Traité de l'administration des bibliothèques publiques
CHAPITRE II.
DISPOSITIONS GÉNÉRALES.
67. On trouvera exposées plus loin les mesures d'organisation et d'ordre usitées dans les diverses bibliothèques. Nous rappellerons seulement ici les règles générales dont l'application serait partout désirable.
Le local d'une bibliothèque bien aménagée doit être suffisamment éclairé, aéré et sec. L'humidité qui tache les feuilles, la poussière qui engendre les insectes, sont d'ordinaire les pires ennemis des livres. Les armoires, les tablettes sont en bois dur, afin de résister à l'action des vers. Le long des premières, à la hauteur des rayons supérieurs, court une forte tringle en fer destinée à supporter en les maintenant des échelles simples, légères, munies de crochets, plus maniables que les échelles roulantes ou doubles.
68. On ne saurait trop fixer l'attention des autorités appelées à nommer un bibliothécaire sur les qualités qu'exige cette fonction. Le bibliothécaire n'introduira ni ne conservera l'ordre dans sa bibliothèque s'il n'a l'esprit méthodique; si, dans la tenue de ses écritures, il ne pousse le soin de l'exactitude jusqu'à la minutie; il ne saura rattacher les ouvrages aux catégories du catalogue, s'il n'est particulièrement versé dans la bibliographie; il ne pourra éviter aux lecteurs les longues recherches inutiles, s'il ne possède des connaissances étendues, très variées surtout, s'il n'est en mesure de les guider dans le maniement des répertoires, des grandes collections, s'il ne sait leur en indiquer le plan, la manière de les consulter, s'il est hors d'état de leur signaler les publications relatives aux sujets qui les intéressent, si enfin il ne met, avec un zèle, une urbanité infatigables, son expérience au service même des plus fâcheux; car le lecteur est le plus souvent à la merci du bibliothécaire, chez qui, par suite, la complaisance devient un véritable devoir professionnel. Il ne pourra profiter des occasions d'achat qui se présentent, s'il n'est constamment au courant des productions de la librairie, de leur intérêt, de leur valeur vénale, s'il n'est capable de distinguer une édition princeps de sa contrefaçon, d'apprécier l'état des gravures d'un ouvrage, la qualité d'une reliure; s'il n'a les notions de paléographie indispensables pour assigner une date approximative à un manuscrit ancien, etc.
La bibliographie est une science exacte qui demande une préparation assez longue et que la pratique développe. Les bibliothécaires improvisés en ignorent jusqu'à l'existence et se préoccupent peu de l'acquérir.
69. Il ne faut pas chercher ailleurs la cause de la mauvaise administration d'un grand nombre de bibliothèques publiques, car le mal est commun. Il s'est étendu aux plus hauts fonctionnaires, et l'on en a vu d'éminents à d'autres titres, commettre des erreurs que leur situation rendait inexcusables. C'est ainsi que, dans un rapport au ministre, un inspecteur général des bibliothèques voit en Vérard l'un des maîtres de la reliure, et parle des magnifiques restes de la bibliothèque de Strasbourg, de laquelle aucun volume n'a été sauvé en 1870. Un tel exemple n'autorise-t-il pas de plus modestes incompétences? Cependant on a, depuis peu, réalisé quelques progrès dans cette voie. La Bibliothèque nationale n'agrée plus comme stagiaires que des archivistes paléographes, des élèves diplômés de l'École des langues orientales ou des bacheliers soumis à un examen d'admission; les candidats aux places de bibliothécaires des bibliothèques universitaires ont également à conquérir un certificat d'aptitude[149]. Il serait à désirer que cette mesure fût étendue à toutes les bibliothèques publiques, sous le contrôle du ministère. Il est vrai que la nomination des bibliothécaires des villes appartient aux municipalités. Mais ne serait-ce pas d'intérêt général de restreindre ce droit comme on l'a fait pour la désignation des archivistes, qui reste aux préfets, sous la réserve de ne choisir que des candidats diplômés[150]?
70. D'autre part, si l'on veut exiger des bibliothécaires plus de capacité ou de zèle, il est juste d'élever les traitements à un chiffre qui les dispense de recourir à des travaux étrangers pour s'assurer une vie honorable. A ce propos, la question a été posée de savoir si la profession de bibliothécaire était compatible avec l'exercice de celle d'avocat, qui exclut tout service salarié. Le conseil de l'ordre du barreau d'Aix l'a résolue négativement, mais sa décision a été l'objet de critiques assez vives de la part d'un académicien, Charles Nodier, et d'un jurisconsulte, Dupin aîné[151]. C'est donner à l'article 42 de l'ordonnance du 20 novembre 1822 une extension contraire à son but. La jurisprudence des barreaux a d'ailleurs admis à l'exclusion générale des fonctionnaires salariés un certain nombre d'exceptions qui se justifieraient beaucoup moins que l'inscription d'un bibliothécaire au tableau. Quoi qu'il en soit, la décision appartient aux conseils de l'ordre.
71. Les bibliothèques publiques s'accroissent par achats, envois des ministères ou dons privés. Les legs et donations authentiques, qu'ils soient faits en espèces sous forme de rentes, ou en livres, doivent être autorisés par décret du chef de l'État. Les dons manuels, qui sont les plus ordinaires, n'entraînent pas cette formalité, mais sont soumis, selon les bibliothèques, à l'approbation soit du ministre, soit des comités chargés de la surveillance. Quant aux dons manuels subordonnés à des conditions ou charges, la jurisprudence administrative en interdit l'acceptation. Le Conseil d'État exige qu'ils soient transformés en donations publiques, c'est-à-dire constatés par des actes notariés, qui seuls peuvent assurer à perpétuité l'exécution des volontés des bienfaiteurs[152].
72. La classification doit prendre pour bases la nature et la destination de la bibliothèque. Nous indiquerons en leur lieu les méthodes appropriées aux établissements spéciaux. Mais les bibliothèques générales, telles que sont d'ordinaire nos collections publiques, peuvent se classer selon des règles uniformes, et la plupart le sont en effet d'après un système bibliographique imaginé en 1706 par Prosper Marchand, appelé au siècle dernier Système des libraires de Paris, remanié et perfectionné de nos jours dans le Manuel du libraire par Jacques-Charles Brunet, qui y a attaché son nom. Entre tous les plans proposés par les bibliographes, depuis le XVIe siècle, depuis Conrad Gessner jusqu'à M. Téchener, en passant par Cristofle de Savigny, Ismaël Bouilliau, le P. Garnier, Gabriel Martin, et plus près de nous, Ampère, Merlin, Fortia d'Urban et le Journal officiel de la librairie, le système de Brunet reste, malgré ses imperfections incontestables, le plus logique et le seul communément répandu. Les bibliographes modernes sont d'ailleurs unanimes à le placer immédiatement après celui qu'ils proposent de lui substituer. Il fait rentrer toutes les branches des connaissances humaines dans les cinq grandes classes: théologie, jurisprudence, sciences et arts, belles-lettres, histoire. Chacune comporte nécessairement un grand nombre de subdivisions, qui varie suivant la spécialité des bibliothèques[153].
73. La tenue régulière d'un registre d'entrée, de catalogues méthodique et alphabétique, les récolements à dates fixes et à chaque mutation de personnel, le numérotage et le timbrage des volumes ont le double but de faciliter les recherches et de constater la propriété de la bibliothèque. En cas de soustractions ou de mutilations, ils font découvrir le délit, et l'inscription, sur les bulletins de demande, du nom du lecteur auquel l'ouvrage a été communiqué permet de connaître et de poursuivre le coupable. Lorsque c'est le bibliothécaire lui-même, le mauvais état de la bibliothèque sert à favoriser ses fraudes. L'exemple suivant s'est plusieurs fois rencontré: un bibliothécaire, avec la complicité d'un libraire, propose au comité d'achat des livres, qui l'accepte, l'acquisition de quelque ouvrage rare déjà possédé par la bibliothèque, mais non enregistré; il s'adjuge ensuite ou partage avec son complice, qui dresse une facture, le montant du prix de la fourniture fictive.
74. Le cas particulier de vol dans une bibliothèque publique n'est pas prévu par la loi. Aussi la jurisprudence a-t-elle dû le comprendre au nombre des vols de pièces, registres et effets commis dans les dépôts publics, visés par les articles 254 et 255 du Code pénal.
«Art. 254. Quant aux soustractions, destructions et enlèvements de pièces ou de procédures criminelles ou d'autres papiers, registres, actes et effets contenus dans des archives, greffes ou dépôts publics, ou remis à un dépositaire public en cette qualité, les peines seront, contre les greffiers, archivistes, notaires ou autres dépositaires négligents, de trois mois à un an d'emprisonnement et d'une amende de 100 à 300 francs.
«Art. 255. Quiconque se sera rendu coupable des soustractions, enlèvements ou destructions mentionnées en l'article précédent sera puni de la réclusion. — Si le crime est l'ouvrage du dépositaire lui-même, il sera puni des travaux forcés à temps.»
La Cour de cassation n'a jamais varié dans son interprétation. La chambre des mises en accusation ayant, par arrêt du 18 février 1813, renvoyé devant la cour d'assises de la Seine un sieur Perrier-Duverger coupable de tentative de vol dans une bibliothèque publique, il se pourvut en cassation, soutenant que cette tentative constituait seulement un délit justiciable du tribunal correctionnel. Le pourvoi fut rejeté «attendu que les faits de prévention qui avaient motivé le renvoi du réclamant à la cour d'assises sont qualifiés crimes par les articles 254 et 255 du Code pénal[154].» Dans un autre arrêt longuement motivé, la Cour de cassation explique pourquoi les collections des bibliothèques publiques rentrent dans les effets dont parle l'article 254: «Attendu que, par cette expression générale effets, l'article 254 a désigné tous les objets quelconques renfermés dans un dépôt public, autres que ceux dont le même article fait une désignation particulière; que, dès lors, les livres renfermés dans une bibliothèque publique sont nécessairement compris dans l'expression générale effets; que la bibliothèque publique est, par la nature de son établissement, un lieu public, et le bibliothécaire, par la nature de ses fonctions, un dépositaire public; qu'ainsi, sous ce triple rapport, le vol de livres dans une bibliothèque publique rentre dans l'application de l'article 254, devient passible de la peine de la réclusion prononcée par l'article 255 et doit, par conséquent, être renvoyé devant les cours d'assises et non aux tribunaux correctionnels; et attendu que, dans l'espèce, D... était prévenu d'avoir commis des vols de livres dans les bibliothèques publiques de Toulouse, dont la surveillance était confiée à un bibliothécaire nommé par l'autorité administrative, que ce vol constituait celui d'effets renfermés dans un lieu public et tel qu'il est déterminé par l'article 254 et que l'article 255 déclare punissable de la peine de la réclusion, etc.[155].» Un autre arrêt de la même cour, non moins solidement motivé, a ajouté aux livres «les statues, les monuments des arts renfermés dans une bibliothèque ou un musée publics» comme «nécessairement compris dans le mot général effets[156]».
75. Cette interprétation sévère a soulevé, de la part de MM. Chauveau et Faustin Hélie, une objection digne d'être rapportée, quoiqu'ils ne la formulent pas sans «une certaine hésitation». Les exemples que donne l'article 254, les articles qu'il énumère semblent indiquer que la pensée du législateur s'est arrêtée au dépôt d'actes, de titres, de registres publics. Ces actes, ces papiers dont la soustraction peut entraîner la ruine des familles n'ont été déposés dans ces lieux que sur la foi de la garantie sociale, et c'est cette garantie que la loi aurait voulu sanctionner par des peines sévères. Peut-on assimiler à ces dépôts spéciaux une bibliothèque publique? A ces titres déposés par des tiers et desquels dépendent les intérêts les plus graves, est-il équitable d'assimiler les livres? La désignation des papiers, des actes et des pièces semble indiquer le sens que la loi a attaché au mot effets, et l'on peut en induire qu'il s'agit du même genre d'objets, des papiers qui sont tantôt des actes, tantôt des procédures, tantôt des effets. Enfin, une nuance semble séparer le vol d'un livre commis dans une bibliothèque, du vol d'un titre commis dans un dépôt de titres. Dans ce dernier cas, la confiance du déposant est forcée; il a dû croire à la sûreté d'un dépôt protégé par l'autorité publique; le préjudice peut être immense: le vol s'aggrave donc nécessairement à raison du lieu où il est commis, à raison du dommage qu'il peut produire. — A ces considérations dont la valeur morale est incontestable, on répond que les articles 254 et 255 du Code pénal sont conçus dans des termes trop généraux et trop positifs pour qu'il soit possible d'en restreindre l'application; que si, dans des bibliothèques non ouvertes au public, les soustractions peuvent être considérées comme vols simples, au contraire en livrant des volumes à l'usage du public, dans une bibliothèque, l'État les place sous la foi publique, et la soustraction qui en est faite présente beaucoup plus de gravité que les différents vols prévus par l'article 401, qui serait seul applicable. Ces soustractions constituent en effet, indépendamment de la valeur des objets détournés, une atteinte portée à l'intérêt d'ordre général qui a rendu nécessaire la protection des dépôts publics. L'article 401 semble surtout insuffisant lorsque l'auteur du vol est le bibliothécaire lui-même.
76. Conformément à ces principes, Libri, en 1850, et le bibliothécaire de Troyes, H..., en 1873, furent traduits pour vols et détournements de manuscrits et de livres, devant la cour d'assises et condamnés, le premier, par contumace, à dix ans de réclusion, le second, à quatre ans d'emprisonnement[157]. En dépit de ces précédents, nous avons vu, en 1876, déférer au tribunal correctionnel de la Seine un sieur A..., coupable de nombreuses soustractions d'estampes à la Bibliothèque nationale. C'est alors par application de l'article 401 qu'il a été puni de deux ans d'emprisonnement[158].
Il a été jugé, en matière de deniers, que le caractère délictueux du détournement commis par un dépositaire public n'était nullement effacé par la restitution des sommes détournées, effectuée pendant les poursuites[159]. Nous ne voyons aucune raison pour qu'il en fût autrement, en matière de livres ou de manuscrits, qu'ils aient été soustraits par le bibliothécaire ou par des tiers.
77. L'article 255 élève justement la peine lorsque le vol ou la destruction sont l'œuvre du dépositaire. Il faut, pensons-nous, considérer ici comme dépositaires non seulement les conservateurs ou bibliothécaires, mais les employés placés sous leurs ordres et même les gens de service. Les uns et les autres, en effet, sont, à des degrés divers, chargés de la garde et de la surveillance des dépôts; ils y ont un libre accès, et la facilité qu'ils trouvent dans leurs fonctions d'y commettre des vols accroît nécessairement leur culpabilité. Elle ne serait pas diminuée pour des auxiliaires ou surnuméraires non salariés, à la condition toutefois qu'ils fussent officiellement attachés au service de la bibliothèque. Mais l'on ne pourrait assimiler à un dépositaire public le secrétaire particulier d'un bibliothécaire qu'aucun titre régulier ne classerait dans le personnel de l'établissement, de quelque liberté qu'il eût pu jouir pour pénétrer dans les salles réservées et se soustraire à la surveillance générale.
Les bibliothécaires ou employés de bibliothèques ne semblent devoir être considérés comme dépositaires publics que dans les dépôts dont ils ont la garde. En dehors de ces dépôts, ils sont de simples travailleurs, et les vols commis par eux dans d'autres bibliothèques ne les rendraient passibles que de la réclusion, peine édictée contre toutes soustractions d'effets dans un dépôt public et non des travaux forcés à temps que les dépositaires encourent.
78. L'article 254 vise seulement les pièces ou effets contenus dans des dépôts publics ou remis à un dépositaire public en cette qualité. Il n'y faut donc pas comprendre ceux qui s'y trouvent à titre accidentel: «Attendu, dit un arrêt de cassation du 19 janvier 1843, que ces mots contenus dans des archives, greffes ou dépôts publics, ne doivent pas s'entendre en ce sens qu'il suffise que ces objets aient été volés dans des archives, greffes ou dépôts publics, mais bien dans ce sens qu'il faut que ces objets aient été remis dans des archives, greffes ou dépôts publics, dans un but analogue à la destination desdites archives, greffes ou dépôts publics; attendu, en effet, que le vol d'un meuble servant à l'ameublement du local où sont les archives, ou le vol d'un objet quelconque commis sur un individu présent dans le lieu servant d'archives, greffes ou dépôts publics, ne sauraient être punis par l'application de l'article 254, mais bien par celle de l'article 401...[160].» Le détournement par un bibliothécaire de livres que lui auraient confiés des tiers rentrerait dans ces conditions; il n'est pas, en effet, dans ses attributions officielles de recevoir un dépôt de ce genre, d'un caractère purement privé[161].
79. En cas de vol ou de destruction par des tiers de documents contenus dans une bibliothèque publique, le bibliothécaire négligent, sans préjudice de sa responsabilité civile, peut être poursuivi correctionnellement. «Les dépositaires, dit l'exposé des motifs du Code pénal, doivent veiller avec soin à la conservation de leur dépôt; ils en sont responsables; mais il ne suffit pas qu'ils puissent être atteints par des condamnations pécuniaires résultant des dommages qu'ils peuvent occasionner.» L'article 254 les punit, en conséquence, d'un emprisonnement de trois mois à un an et d'une amende de 100 à 300 francs. La sanction civile consiste dans l'obligation de remplacer à leurs frais les objets soustraits ou, lorsque la chose est impossible, d'en restituer la valeur vénale. Au double point de vue civil et pénal, l'action publique ne doit être exercée que si la négligence du bibliothécaire est la cause réelle de la perte, s'il est prouvé qu'il ait eu à sa disposition les moyens de la prévenir et n'en ait pas fait usage[162]. Il est malheureusement certain que nombre de vols auraient pu être évités si la surveillance des bibliothécaires avait été plus active, si l'on n'avait trop souvent communiqué des livres dépourvus de toute estampille ou des manuscrits non foliotés, si la tenue des registres de prêt avait été régulière, si la sortie et la rentrée des livres avaient été soumises à un contrôle permanent et sérieux.
Il est à noter que, dans une bibliothèque non ouverte au public, le bibliothécaire négligent n'encourrait, en cas de vol, que la responsabilité civile.
80. Ce n'est pas assez de prévenir les détournements nouveaux; il importe de réparer le préjudice causé par les anciens, lorsque l'occasion s'en présente, c'est-à-dire de poursuivre la réintégration des ouvrages, manuscrits, autographes, estampes, jadis dérobés à des bibliothèques publiques, quand on en apprend la présence entre les mains d'un tiers. Dans ce cas, le bibliothécaire, dûment autorisé, intente au détenteur une action en revendication dont le succès est assuré, s'il n'y a erreur sur la matière. En effet, les collections des bibliothèques font partie du domaine public, et, comme telles, sont imprescriptibles. C'est donc en vain que le détenteur invoquerait la durée de sa jouissance ou exciperait de sa bonne foi: s'il a acquis, sans le savoir, une pièce soustraite à un dépôt public, la vente est nulle de plein droit, et sa possession reste entachée d'un vice originaire qui la rend illégitime. «Rarement, lit-on dans un rapport de M. L. Delisle au ministre[163], une collection d'autographes est mise en vente sans qu'on y trouve un plus ou moins grand nombre de lettres dont l'origine n'est pas douteuse et que les possesseurs s'empressent de restituer dès qu'un appel est fait à leur bonne foi et à leur générosité.» Il n'en va pas toujours ainsi. En 1871, le savant administrateur reconnut, à la simple lecture d'un catalogue publié par le libraire Bachelin-Deflorenne, qu'un très bel exemplaire manuscrit du Décret de Gratien mis en vente devait provenir du cabinet de Bouhier, partant figurer au nombre des manuscrits que Chardon de la Rochette s'était fait remettre, en 1804, par le bibliothécaire de Troyes pour les déposer à la Bibliothèque nationale. M. Delisle fit immédiatement pratiquer une saisie-revendication sur le précieux volume dans la salle où il allait être vendu. Quoique jamais la Bibliothèque ne l'eût effectivement possédé, elle n'en était pas moins la propriétaire légitime. Peu importait, au surplus, que l'infidélité remontât à 1804 ou non. Il suffisait, pour établir le droit de l'État, de constater l'identité du manuscrit saisi avec celui réservé par Chardon de la Rochette pour la Bibliothèque. Du jour où ce dernier, autorisé par le ministre de l'intérieur, Chaptal, en avait donné décharge au bibliothécaire de Troyes, il appartenait à la Bibliothèque et, sous aucun prétexte, n'en pouvait être distrait, «attendu, dit le jugement prononcé dans cette affaire[164], que les imprimés, manuscrits et autres collections précieuses qui appartiennent à l'État et qu'il a réunies dans l'intérêt général sont inaliénables et imprescriptibles, comme dépendant du domaine public...; qu'une conservation abusive, un prêt indéfiniment prolongé ou un détournement n'ont pu altérer le caractère de la propriété ainsi constituée, ni y porter atteinte, etc...» La saisie pratiquée par acte extrajudiciaire fut reconnue valable et le manuscrit restitué à la Bibliothèque nationale.
81. Il est parfois fort difficile à l'administration de fournir la preuve de sa propriété, surtout lorsqu'il s'agit d'objets depuis longtemps disparus. Le directeur d'un dépôt public, à défaut de preuve littérale, peut invoquer à l'appui de sa demande des présomptions suffisantes, notamment celle résultant de la déclaration faite par un tiers dans un ouvrage que ce document a appartenu au dépôt. Plusieurs arrêts de la cour de Paris ont consacré cette doctrine. L'un est intervenu au sujet d'un autographe de Molière reproduit par M. Taschereau dans son livre sur la vie et les ouvrages du grand poète comique, avec mention de l'existence de cette pièce à la Bibliothèque, à l'époque de la publication de son livre (1823); le témoignage a paru concluant à la cour[165]. Un autre a été rendu à la suite d'un procès retentissant, intenté par M. Naudet, au nom de la Bibliothèque, à M. Feuillet de Conches, en revendication d'une lettre autographe de Montaigne. Les motifs résument toute la jurisprudence sur ce point et méritent d'être rapportés: «Considérant, en droit, que celui qui a perdu ou auquel il a été volé une chose peut la revendiquer contre celui entre les mains duquel il la trouve, quelque incontestable que soit la bonne foi de celui-ci; — considérant que le demandeur, en pareil cas, n'est pas dans l'obligation de produire une preuve littérale des faits sur lesquels il fonde sa demande, puisqu'il ne lui a pas été possible de se la procurer; qu'il est donc constant qu'aux termes des articles 1348 et 1353 du Code civil il a le droit d'invoquer, pour justifier ses assertions, des présomptions graves, précises et concordantes; — (suit l'exposé des faits, desquels il résulte que la Bibliothèque a possédé l'autographe en litige, le fait étant attesté par une note de l'éditeur Goujet insérée dans la Galerie française ou Collection des portraits... avec fac-similé d'autographes, publiée par lui, de 1820 à 1823); — considérant qu'en cet état il demeure démontré qu'il y a au procès présomptions graves, précises et concordantes que l'autographe de Montaigne possédé par Feuillet a appartenu à la Bibliothèque nationale, du domaine de laquelle il n'a pu sortir que par une soustraction et qu'il doit dès lors être restitué à cet établissement public, quoiqu'il soit manifeste au plus haut degré que Feuillet a complètement et constamment ignoré les vices de sa possession, qu'il a possédé publiquement avec une entière bonne foi l'autographe revendiqué, quoique cette bonne foi ressorte notamment des offres de restitution qu'il a faites avant toute contestation, en 1837 et 1850, ce qui aurait dû mettre obstacle aux attaques dirigées contre sa loyauté dans les écritures produites aux débats; infirme; au principal, ordonne que Feuillet sera tenu de remettre immédiatement à Naudet ès noms la lettre autographe de Montaigne énoncée dans sa demande, sinon et faute de ce faire par Feuillet dans ledit délai et icelui passé, le condamne à payer audit Naudet ès noms la somme de 10,000 francs[166].»
82. L'inscription au catalogue, une estampille seraient sans doute les meilleures preuves: en cas de mutilation, on en trouverait aussi dans le rapprochement des feuillets soustraits avec le volume dont ils ont été détachés, dans une trace de pagination concordant avec la lacune. Il appert d'ailleurs des arrêts précités que le bibliothécaire est fondé à tirer parti de toutes les présomptions que ses connaissances bibliographiques et un examen attentif lui peuvent suggérer. Le juge, cependant, ne les saurait admettre que si leur réunion forme un ensemble convaincant, car le détenteur a pour lui la présomption naturelle que donne une longue possession. On sait que certaines bibliothèques ont, à diverses époques, procédé à des ventes de doubles ou d'autres ouvrages sans que l'inventaire en ait été dressé ou conservé. Il ne suffit pas, pour appuyer leur revendication, d'établir que tel volume ou document a appartenu à la bibliothèque; car il se pourrait qu'il eût été légitimement acquis dans ces ventes par un tiers dont il serait devenu la propriété incontestable. Il faudrait donc démontrer que la bibliothèque l'a possédé postérieurement à toute vente régulière. Si, au contraire, le détenteur l'a acheté d'un particulier, directement ou dans une vente publique, comme il en a été fait par quelques bibliothécaires infidèles, et que, d'autre part, il ne puisse en attribuer la provenance à une vente officielle dont on ne lui opposerait pas le catalogue, il serait assurément condamné à en opérer la restitution, sauf recours contre celui qui le lui a indûment vendu. — On conçoit, par ces exemples, combien il importe que la propriété d'une bibliothèque soit constatée par la bonne tenue de ses catalogues et registres de prêt, l'estampillage des volumes, la pagination des manuscrits, etc.
83. Les droits de l'État sur les bibliothèques directement administrées par ses soins sont incontestés; au contraire, la question de la propriété des bibliothèques communales est complexe. Les collections confisquées par la Révolution sur les établissements religieux ou autres et sur les émigrés ont été expressément mises sous la main de l'État par les décrets de confiscation. Pour que cette propriété fût passée aux communes, il faudrait que l'État y eût renoncé par un acte d'aliénation expresse, et il ne l'a jamais fait. L'arrêté de 1803 ne donne point les bibliothèques des écoles centrales aux municipalités; il leur en confère seulement la jouissance, à charge de les conserver, surveiller et entretenir à leurs frais; il prescrit d'adresser au ministère de l'intérieur l'état certifié véritable de tous les livres qui les composent. Ce serait donner au texte de l'arrêté une extension évidemment excessive que d'y voir une donation, un abandon de propriété. La circulaire du 22 septembre 1806, presque contemporaine de l'arrêté, en montre bien l'esprit en disant que les villes sont «devenues conservatrices des collections des écoles centrales». En affirmant les droits de l'État sur les manuscrits, le décret du 20 février 1809[167] n'a rien innové: l'origine de la propriété est exactement la même pour les imprimés que pour les manuscrits. Nous n'hésitons donc pas à regarder comme propriété de l'État les collections confiées à la garde des municipalités en 1803. Mais ce caractère doit être restreint aux collections telles qu'elles existaient à cette date. Les accroissements ultérieurs qu'ont reçus les bibliothèques des villes doivent au contraire être considérés comme la propriété des communes. C'est seulement dans ce dernier sens que nous pouvons admettre cette phrase d'un rapport de M. Villemain, ministre de l'instruction publique, interprétatif de l'article 41 de l'ordonnance du 22 février 1839: «La bibliothèque est la propriété de la commune et entretenue à ses frais.» La proposition a pu être ainsi formulée d'une manière générale, parce que l'importance des bibliothèques s'est considérablement accrue et que, pour la plupart, le noyau primitif n'en forme que la moindre partie, mais cette partie n'en reste pas moins, dans son origine et son essence, distincte des accroissements ultérieurs.
84. Si les accroissements sont le fruit d'acquisitions faites des deniers communaux, la propriété de la commune, en ce qui les concerne, nous apparaît évidente: nous la croyons également vraie lorsqu'ils proviennent de dons, de legs ou d'échanges, lors même qu'il s'agit des dons accordés par l'État. L'envoi fait par un ministre à une bibliothèque constitue une concession entière, un acte de don manuel qui justifie le contrôle de l'administration centrale sur la gestion de la bibliothèque, mais ne réserve pas à l'État un droit de propriété. Les ordonnances qui règlent la répartition des livres provenant des souscriptions du ministère et du dépôt légal ne formulent à cet égard aucune restriction.
Nous distinguons donc, dans les bibliothèques des villes fondées en 1803, deux sortes de propriétés: 1o la propriété de l'État sur tous les manuscrits et les imprimés de l'ancien fonds; 2o la propriété des communes sur les acquisitions postérieures à 1803.
85. Quant aux bibliothèques des villes fondées sous l'ancienne monarchie ou, pendant la période révolutionnaire, antérieurement à l'arrêté de 1803, elles appartiennent aux communes, y compris les livres qu'elles ont été admises à puiser dans les dépôts littéraires et qui n'ont fait l'objet d'aucune réserve, et les dons que depuis elles ont reçus de l'État. Il en est de même de celles constituées depuis par donations, legs, etc., aux dépens des municipalités. En résumé, le seul fonds dont l'État soit fondé à revendiquer la propriété nous paraît être celui provenant des écoles centrales, à raison des termes de la concession qui l'a seulement mis à la disposition des communes.
86. Nous n'interprétons pas autrement la propriété de l'État sur les manuscrits. Quoique le décret de 1809 soit conçu dans le sens le plus général, il n'a pu porter atteinte aux droits des villes sur les manuscrits qu'elles possédaient en dehors du concours de l'État. Il convient d'observer que le décret fut surtout une mesure d'ordre public ayant pour but d'empêcher la libre publication des manuscrits. Nous estimons donc que les manuscrits conservés dans les bibliothèques municipales n'appartiennent pas à l'État à un autre titre que les imprimés. Ceux acquis par les villes, de leurs deniers ou en vertu de libéralités privées, sont la propriété des communes; mais le décret de 1809 leur peut être appliqué en tant qu'il en soumet la publication à l'autorisation ministérielle.
87. Il n'était pas inutile de déterminer la propriété respective de l'État et des communes; il ne s'agit pas là seulement d'une controverse théorique. L'application peut donner lieu à de graves contestations. L'État propriétaire est fondé à exercer une surveillance plus active sur les livres dont il a cédé la jouissance à une commune, lorsqu'il juge que la négligence de la municipalité en compromet la conservation. En cas de vols, destructions, dégradations ou disparition de volumes, il est en droit de rendre les municipalités responsables du préjudice causé au domaine public par un défaut de vigilance, notamment lorsque l'absence de catalogues, l'omission de l'estampillage, du foliotage des manuscrits, des récolements, les ont facilités et ont rendu les revendications impossibles. Mais l'exercice de ce droit lui imposerait l'obligation de prouver sa propriété sur les livres soustraits dont il exigerait le remplacement ou pour lesquels il réclamerait une indemnité, c'est-à-dire, qu'il devrait établir qu'ils faisaient partie du fonds mis par lui à la disposition de la commune en 1803. La preuve serait assurément difficile à fournir; la meilleure serait la production d'un inventaire dressé en 1803, conformément aux prescriptions de l'arrêté du 23 janvier. Malheureusement, fort peu de bibliothèques avaient envoyé an ministère le catalogue demandé[168]. Nombre de villes, au contraire, possèdent des catalogues établis pendant la période révolutionnaire; mais ils ne sauraient toujours être invoqués contre les communes, car les soustractions ont pu être effectuées entre l'époque de leur rédaction et la prise en charge des bibliothèques par les municipalités, et l'on sait qu'il en a été commis alors de nombreuses. La présence des volumes mentionnés dans ces inventaires constatée depuis 1803 dans des catalogues plus récents ou par des citations dans des ouvrages imprimés ne serait pas non plus une preuve suffisante, les mêmes volumes ayant pu être rachetés par les villes ou reçus en dons, et il ne faut pas perdre de vue que l'État devrait appuyer ses revendications de preuves péremptoires; de simples présomptions seraient insuffisantes. Contre des tiers, au contraire, les inventaires antérieurs à 1803 seraient un titre incontestable, en raison de l'imprescriptibilité du domaine public; mais là encore il faudrait établir que les particuliers n'ont pu acquérir les livres revendiqués dans une vente de doubles régulièrement faite. Dans la pratique, les revendications de ce genre, surtout à l'égard des communes, sont extrêmement difficiles.
Une autre conséquence de la propriété de l'État sur une partie des bibliothèques est son droit à réclamer, lors d'une vente de doubles, le produit des livres lui appartenant qui auraient figuré parmi les ouvrages ainsi aliénés.
88. L'expérience, sans doute, n'a que trop souvent démontré l'indifférence absolue des autorités municipales pour la conservation de leurs bibliothèques; nous en pourrions citer qui sont livrées à la garde de simples concierges. L'administration centrale, en de semblables cas, devrait-elle être taxée d'une rigueur excessive, si elle retirait de ces bibliothèques abandonnées les livres que l'arrêté consulaire leur a attribués; cet arrêté n'est-il pas violé, puisqu'il prescrit la nomination et l'entretien d'un conservateur? Là où le bibliothécaire existe, mais où son insuffisance, son incurie, mettent en danger les collections confiées à sa garde, l'État, informé par ses inspecteurs généraux, abuserait-il de son droit de propriété en revenant sur la concession primitive, si ses remontrances aux municipalités étaient restées sans effet[169]? Les communes seraient-elles fondées à invoquer l'arrêté de 1803 si elles n'en exécutent les conditions? Que si l'on hésite à admettre cette théorie extrême, il faut reconnaître que le ministère est désarmé devant les municipalités négligentes. Il ne peut même leur imposer des échanges. La seule sanction qu'il puisse donner à ses représentations demeurées inutiles consiste dans la suppression de ses dons. C'est assurément trop peu pour triompher du mauvais vouloir qui lui peut être opposé; plusieurs exemples l'ont prouvé. Aussi souhaitons-nous que, quelque jour, l'attention des pouvoirs publics soit appelée sur l'insuffisance de la législation. L'ordonnance de 1839 est condamnée par un demi-siècle d'application: il importe que l'État puisse exercer sur les bibliothèques communales un contrôle plus sérieux, et, pour cela, qu'il ait sur le personnel des bibliothécaires une autorité effective; que leur nomination lui soit attribuée, ou qu'elle soit seulement soumise à son approbation, il faut qu'elle soit entourée de garanties d'aptitude analogues à celles exigées des archivistes départementaux.
89. Nous avons dit que le décret de 1809 avait surtout en vue l'interdiction d'imprimer ou d'éditer aucun manuscrit des bibliothèques publiques sans l'autorisation du ministre[170]. Cette disposition n'est invoquée, de fait, que dans le cas de publication d'un manuscrit susceptible de porter ombrage à l'administration ou de léser des intérêts privés. Le retrait d'une autorisation accordée implique pour l'État l'obligation de rembourser à l'éditeur des frais qu'il a pu faire sur la foi du consentement préalable; le cas s'est récemment présenté pour des manuscrits du Dépôt de la guerre: le ministère de la guerre a dû racheter l'édition dont il regrettait d'avoir permis la préparation. La fixation des dommages-intérêts auxquels un auteur prétendrait, en pareille occasion, pour l'indemniser de son travail ou de ses déboursés, appartiendrait aux tribunaux ordinaires.
90. Au moment d'aborder l'exposé des règlements particuliers appliqués dans chaque sorte d'établissements, nous devons expliquer brièvement le plan d'ensemble qui a déterminé notre division du sujet. La similitude des ouvrages réunis ne pouvait nous guider ici. Le seul lien véritable qui rattache entre elles un certain nombre de bibliothèques est la communauté de leur dépendance administrative. Nous n'avons pas à traiter de celles destinées à desservir un établissement ou un corps isolés, qu'elles soient exclusivement réservées à ses besoins particuliers ou accessibles au public. C'est ainsi que nous laisserons de côté des bibliothèques d'une importance notable, telles que celles des cours et tribunaux, de l'Académie de médecine, du Muséum d'histoire naturelle, des observatoires; celles des écoles spéciales, polytechnique, normale, forestière, des ponts et chaussées, des mines, des chartes, des beaux-arts, etc.; celles des Archives nationales, du conservatoire de musique, du conservatoire des arts et métiers, et tant d'autres qui, chacune, sont régies par des dispositions uniques, appropriées à leur objet, et sont alimentées par le budget de ces établissements, en dehors de l'action directe du pouvoir central. Au contraire, nous devons étudier avec détail les bibliothèques que la parité des attributions permet de grouper ensemble et sur lesquelles s'exerce par des prescriptions générales le contrôle de l'administration supérieure. Ainsi, par exemple, sont les bibliothèques administratives créées pour le service des préfectures et subordonnées à des règlements uniformes; ainsi les bibliothèques des facultés, etc.
91. Après un rapide exposé du mécanisme de l'organisation centrale au ministère de l'instruction publique et du fonctionnement du dépôt légal, nous avons réparti les bibliothèques de tout genre en deux classes: 1o Les bibliothèques de l'État, directement administrées par ses agents;
- 2o Les bibliothèques communales, administrées par les municipalités, sous la surveillance de l'État.
Nous subdiviserons la première catégorie en deux groupes: 1o Les bibliothèques publiques, d'ailleurs peu nombreuses: ce sont la Bibliothèque nationale, les grandes bibliothèques de Paris, les bibliothèques des palais nationaux, la bibliothèque-musée d'Alger[171]; 2o les bibliothèques particulières, affectées à des services spéciaux. Au premier rang sont celles du Sénat, de la Chambre des députés, du Conseil d'État, de l'Institut de France. Puis viennent les bibliothèques attachées aux établissements d'instruction publique, savoir: les bibliothèques universitaires proprement dites, pour l'enseignement supérieur; les bibliothèques des lycées et collèges, pour l'enseignement secondaire; les bibliothèques pédagogiques et scolaires, pour l'enseignement primaire; quoique les dernières soient véritablement publiques, elles ont trouvé place ici comme le complément naturel des précédentes. A la suite et dans le même groupe, nous avons rangé les bibliothèques administratives, les bibliothèques de la guerre, celles de la marine, des hôpitaux et des prisons.
Les bibliothèques de la deuxième catégorie sont toujours publiques; elles diffèrent seulement entre elles par leur composition et par le genre de lecteurs auxquels elles s'adressent. Nous distinguerons donc: 1o les bibliothèques municipales, scientifiques et littéraires; 2o les bibliothèques municipales populaires.
92. Nous n'avons pas à traiter des bibliothèques libres, fondées, organisées et entretenues par des sociétés privées. Il en est d'un ordre élevé comme celles de la chambre de commerce de Paris, de la Société du protestantisme français, la bibliothèque polonaise, etc.; elles sont absolument indépendantes. Il en est de populaires, créées par des chefs d'usine, des membres du clergé, des associations de propagande; celles-ci d'ordinaire sont unies par un lien d'origine ou de direction. Ni les unes ni les autres ne rentrent dans notre cadre. Cependant, un certain nombre de bibliothèques populaires libres de Paris et du département de la Seine, en dehors de leurs ressources propres, reçoivent des subventions municipales. A ce titre, elles solliciteront notre attention, car elles peuvent être assimilées à des bibliothèques populaires municipales, à cause des obligations que l'administration leur impose et du contrôle qu'elle exerce sur elles pour s'assurer du bon emploi des secours qu'elle leur alloue.
[149] Voir nos 253 et suiv.
[150] Déc. du 4 février 1850 — L. du 10 août 1871, art. 45. — L'article 19 de l'ordonnance du 31 décembre 1846 avait réservé aux anciens élèves de l'École des Chartes une place sur trois vacances dans les bibliothèques publiques du royaume. Quant aux bibliothécaires ou employés dans les bibliothèques communales, ils devaient être pris, soit parmi les anciens élèves de l'École des Chartes, soit parmi les employés à la mairie ayant dix ans de service en cette qualité, les membres de l'Université et les habitants ou originaires de la cité ayant publié des travaux scientifiques ou littéraires. — Les trois dernières catégories offrent, à la vérité, des gages d'instruction, mais non des garanties de l'aptitude professionnelle que nous jugeons indispensable. Ajoutons que l'article 19, dont aucun texte n'a rapporté les dispositions, n'a reçu d'application qu'en ce qui concerne ces trois catégories; au grand détriment des bibliothèques, on n'a jamais tenu compte des droits qu'il confère aux archivistes paléographes.
[151] Le Temps du 20 février, et la Gazette des Tribunaux du 10 mars 1836.
[152] Déc. min. Int., du 18 octobre 1862.
[153] Voici, dans l'ordre adopté par Brunet, les divisions principales de son cadre de classement. Vu sa longueur, nous sommes obligé de renvoyer, pour les détails, au Manuel du libraire, t. VI, p. 29-62.
| THÉOLOGIE. | ||
| I. Écriture Sainte. |
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| II. Liturgie. |
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| III. Conciles. |
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| IV. Saints-Pères. |
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| V. Théologiens. |
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| VI. Opinions singulières. |
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| VII Religion judaïque. | Doctrine, culte, institutions. | |
| VIII. Religion des peuples orientaux.[A] |
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[A] L'histoire du paganisme et celle des religions orientales forment un appendice à l'histoire des religions. Voir infrà. |
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| IX. Appendice a la Théologie. | Ouvrages philosophique sur la divinité et sur les cultes religieux. | |
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| JURISPRUDENCE. | ||
| Introduction. | Histoire de la législation et des tribunaux, Étude du droit, Philosophie du droit, Dictionnaires et Traités généraux. | |
| I. Droit de la nature et des gens. |
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| II. Droit politique. | ||
| III. Droit civil et Droit criminel. |
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| IV. Droit canonique ou ecclésiastique. |
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| SCIENCES ET ARTS. | ||
| Introduction et Dictionnaires. | ||
| I. Sciences philosophiques. |
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| II. Sciences physiques et chimiques. |
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| III. Sciences naturelles. |
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| IV. Sciences médicales. |
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| V. Sciences mathématiques. |
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| VI. Appendice aux sciences. |
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| VII. Arts. |
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| VIII. Arts mécaniques et métiers. |
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| IX. Exercices gymnastiques. |
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| X. Jeux divers. | ||
| BELLES-LETTRES. | ||
| I. Linguistique. |
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| II. Rhétorique. | Rhéteurs. | |
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| II. Rhétorique. (suite). | Orateurs. | |
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| III. Poésie. |
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| III. Poésie (seconde partie). | Poésie dramatique. | |
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| IV. Fictions et prose. |
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| Appendice. | ||
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| V. Philologie. |
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| VI. Dialogues et entretiens. | ||
| VII. Épistolaires. |
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| VIII. Polygraphes. | On les divise par nations, comme les épistolaires. | |
| IX. Collections d'ouvrages et d'extraits de différents auteurs; Recueils de pièces; Mélanges. |
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| HISTOIRE. | ||
| I. Prolégomènes historiques. |
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| II. Histoire universelle, ancienne et moderne. |
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| III. Histoire des religions et des superstitions. |
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| IV. Histoire ancienne. |
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| IV*. Appendice a l'histoire ancienne. |
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| V. Histoire moderne. | Généralités. | |
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| V. Histoire moderne (suite). | Mélanges relatifs à l'histoire de l'Asie, de l'Afrique et de l'Amérique, comprenant l'histoire générale des colonies modernes fondées par les Européens. | |
| ** Asie. | ||
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| Histoire moderne (suite). | *** Afrique. | |
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| Histoire moderne (suite). | **** Les Deux-Amériques. | |
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| Généralités. | ||
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| VI. Paralipomènes historiques. |
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| Mélanges et Dictionnaires encyclopédiques. | ||
| Notice des principaux journaux (Journaux français; Journaux écrits en latin; Journaux étrangers.) | ||
[154] Cass. cr., 9 avril 1813; S. IV, 329.
[155] Cass. cr., 25 mars et 5 août 1819; J. P. XV, 181 et 467.
[156] Cass. cr., 25 mai 1832, J. P., XXIV, 1098.
[157] Cour d'ass. de la Seine, 22 juin 1850; cour d'ass. de Troyes, 9 février 1873. — Le crime mentionné dans l'article 254 se compose de deux éléments: la soustraction frauduleuse et la violation d'un dépôt public; il en résulte que le jury doit être interrogé par une question unique et non par deux, dont l'une serait relative à la soustraction, l'autre à la publicité du dépôt. — Cass. cr., 22 mars 1844.
[158] Trib. de la Seine, 2 janvier 1877. — Appel... La Cour adoptant les motifs des premiers juges et considérant en outre que le nombre des vols, la persistance avec laquelle ils ont été commis et la nécessité de protéger par des exemples sévères la conservation des richesses nationales ne permettent pas de faire une application plus indulgente de la loi... met l'appellation à néant...» (Ch. des app. corr., 1er février 1877.) — On ne saurait voir dans ce jugement une jurisprudence nouvelle; c'est le résultat d'une erreur de compétence que ni le prévenu, ni le ministère public, ni le juge n'ont relevée.
[159] Bourges, 21 janvier 1853, D.P., 55,2,22; Cass. cr., 28 mars 1856, D.P. 56,1,298.
[160] Cass. cr., 19 janvier 1843.
[161] Cf., par analogie, Cass. cr., 24 juin 1841; S., 42,1,281.
[162] Ainsi jugé pour un greffe, Cayenne, 18 décembre 1871; D.P., 72,2,90.
[163] La Bibliothèque nationale en 1875, p. 29.
[164] Trib. de la Seine, 22 décembre 1875. — Ce jugement est reproduit in extenso dans le rapport de M. Delisle, p. 30.
[165] Paris, 3 janvier 1846: D.P., 46,2,212.
[166] Paris, 18 août 1851; D.P., 52,2,96.
[167] «Les manuscrits des bibliothèques impériales, départementales et communales... soit qu'ils existent dans les dépôts auxquels ils appartiennent, soit qu'ils en aient été soustraits... sont la propriété de l'État.»
[168] Circ. min. Int. du 22 septembre 1806 et circ. min. I. P. du 31 juillet 1837.
[169] N'est-ce pas en vertu de ce droit de l'État que Chardon de la Rochette et Prunelle reçurent, en 1804, la mission de recueillir dans les bibliothèques départementales les manuscrits qui pouvaient convenir à la Bibliothèque nationale?
[170] Déc. du 20 février 1809.
[171] La bibliothèque d'Alger ne se distingue de celles des chefs-lieux de nos départements qu'en ce qu'elle appartient à l'État: elle est administrée suivant un règlement édicté par arrêté ministériel du 4 juin 1881, qui n'offre aucune particularité saillante. (Bull. du min. I. P., no 468.)
CHAPITRE III.
ORGANISATION CENTRALE.
SECTION PREMIÈRE.
MINISTÈRE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE.
93. On peut dire d'une façon générale que les bibliothèques ressortissent au ministère de l'instruction publique. Toutefois, les exceptions sont nombreuses; elles comprennent les bibliothèques qui, par leur nature ou leur objet, font partie intégrante d'une administration ou d'un grand service dépendant d'un autre département. Ainsi les bibliothèques de la marine, les bibliothèques militaires, administratives, relèvent des départements de la marine, de la guerre, de l'intérieur; la bibliothèque du comité de législation étrangère relève de la chancellerie, à laquelle seule on pourrait aussi rattacher les bibliothèques des cours et tribunaux, qu'aucun règlement effectif ne relie entre elles et qui sont sous la surveillance immédiate et exclusive des chefs de compagnies judiciaires; de même les bibliothèques du Sénat, de la Chambre des députés relèvent directement de ces corps, qui les administrent et les entretiennent à l'aide de leur budget propre. Restent au contraire dans les attributions et sous le contrôle du ministre de l'instruction publique: la bibliothèque du ministère, la Bibliothèque nationale, les grandes bibliothèques de Paris, les bibliothèques des palais de Compiègne, de Fontainebleau et de Pau, la bibliothèque-musée d'Alger, les bibliothèques scientifiques et littéraires des départements, les bibliothèques populaires, communales et libres, et celles des écoles publiques ou scolaires, les bibliothèques des écoles supérieures[172], des facultés et des lycées. Sauf ces dernières, réunies aux directions de l'enseignement supérieur et de l'enseignement secondaire, les autres sont rattachées à la direction du secrétariat (3e et 4e bureaux)[173].
94. La bibliothèque du ministère, fondée vers 1850, compte environ 15,000 volumes; mal aménagée dans un local très insuffisant, elle est desservie par un chef de bureau, l'emploi de bibliothécaire ayant été supprimé[174]. Elle est surtout alimentée par le dépôt légal et n'achète guère que des suites de collections indispensables.
Un arrêté ministériel du 24 décembre 1884 qui l'a réorganisée la divise en cinq parties: 1o bibliothèque générale, littéraire, scientifique, historique, administrative, etc.; 2o documents relatifs à l'instruction en France; 3o documents relatifs à l'instruction à l'étranger; 4o périodiques; 5o réserves (ouvrages usuels placés dans les cabinets du ministre, du sous-secrétaire d'État et du chef du cabinet).
L'usage sur place et le prêt sont exclusivement réservés aux fonctionnaires de l'administration centrale, de la direction des beaux-arts et aux commissions dépendant du ministère. Les membres du parlement, de l'Institut et le personnel de l'enseignement sont aussi admis, par exception, à consulter les livres sur place, mais ne les peuvent emprunter sans une autorisation du directeur du secrétariat ou du ministre. Le prêt est limité à deux ouvrages à la fois et ne doit pas excéder un mois.
La bibliothèque est ouverte tous les jours, de 10 à 5 heures; en dehors des heures de service, une double clef est toujours à la disposition du ministre, du sous-secrétaire d'État et du chef du cabinet.
95. En vue d'améliorer le fonctionnement des grandes bibliothèques de Paris, c'est-à-dire de l'Arsenal, de la Mazarine, de Sainte-Geneviève, il a été créé récemment un «comité central des bibliothèques de Paris», chargé d'étudier toutes les questions relatives au matériel, au personnel, à la confection des catalogues, etc.[175]. Il est composé des administrateurs et des trésoriers des trois bibliothèques, d'inspecteurs généraux des bibliothèques et archives, du directeur du secrétariat et du chef du bureau des bibliothèques, ceux-ci membres de droit, sous la présidence de M. L. Delisle, siégeant non comme administrateur général de la Bibliothèque nationale, mais comme délégué du ministre[176]: il se réunit le dernier mardi de chaque mois, écoute les rapports des administrateurs sur leurs services respectifs et propose, s'il y a lieu, les réformes au ministre. L'un de ses premiers actes a été de faire procéder au remaniement complet des catalogues de l'Arsenal et à un récolement général des collections qui se poursuit encore.
96. Une seconde commission permanente dirige la publication du catalogue général des manuscrits des bibliothèques des départements; d'autres encore ont pour but d'examiner les ouvrages scientifiques et littéraires pour lesquels les auteurs ou éditeurs sollicitent la souscription du ministère, ou de dresser un catalogue des livres susceptibles d'être admis dans les bibliothèques scolaires et populaires. Les souscriptions et la répartition des exemplaires souscrits s'effectuent par les soins des bureaux, ainsi que la réception et la répartition des volumes provenant du dépôt légal qui sont distribués à plus de 350 bibliothèques publiques. C'est encore par leur intermédiaire que les demandes d'achat de livres présentées par les communes sont transmises à l'adjudicataire officiel de ces fournitures.
97. Le contrôle du ministère sur les bibliothèques des départements s'exerce par l'inspection générale. Jusqu'à 1884, il n'existait qu'un inspecteur général des bibliothèques publiques et un inspecteur général des bibliothèques populaires. Le ministre leur adjoignait parfois des délégués chargés de missions spéciales, notamment dans les dernières années, pour la visite des bibliothèques universitaires et en même temps l'inspection des collections de manuscrits des bibliothèques des chefs-lieux comprises dans le ressort des mêmes académies[177]. Le décret du 21 mars 1884 qui a détaché du ministère de l'intérieur pour les réunir à celui de l'instruction publique les archives départementales et communales a permis de réorganiser l'inspection générale sur des bases plus larges, mieux en rapport avec l'extension des besoins. Il a créé quatre «inspecteurs généraux des bibliothèques et archives» dont le ministre détermine les tournées annuelles. En ce qui concerne les bibliothèques des villes, ils ont à s'assurer du fonctionnement régulier des comités d'inspection et d'achat des livres qui les doivent administrer; ils constatent qu'elles ont bien reçu, classé et catalogué les ouvrages concédés par le ministère; ils présentent aux municipalités les observations utiles. Ils s'occupent particulièrement du récolement des manuscrits qu'une valeur et un intérêt exceptionnels signalent à leur attention. Ils consignent le résultat de leurs visites dans un rapport au ministre: la sanction de leurs éloges consiste dans les distinctions honorifiques qu'ils peuvent solliciter pour les bibliothécaires zélés; celle de leurs critiques serait, au besoin, si les municipalités refusaient de se prêter aux réformes demandées, dans la suspension des concessions de livres accordées par l'administration centrale.
98. Les crédits inscrits par les Chambres au budget de 1885 s'élèvent à 52,800 francs pour le service général des bibliothèques, comprenant l'inspection générale, les frais de tournée, les missions, le service du dépôt légal. Le fonds des souscriptions aux publications scientifiques et littéraires, qui sert à accroître les bibliothèques, a été réduit de 140,000 à 100,000 fr.: de 30,000, le crédit consacré à l'établissement et l'impression du Catalogue général des manuscrits des bibliothèques des départements, a été ramené à 20,000 francs.
99. Il faut rattacher encore au ministère un service d'échange de livres et de reproduction d'objets d'art avec les pays étrangers dont l'idée fut, pour la première fois, émise en 1835 par un savant français, M. Waltemare, et définitivement mise en application, après plusieurs essais, par les soins d'une commission centrale constituée dans ce but à Paris en 1875. L'exposé des motifs du projet de loi de finances de 1883 évaluait à 2,000 le nombre des volumes que les échanges internationaux avaient fait entrer à la Bibliothèque nationale après l'exposition universelle de 1878; il en constatait la progression croissante et citait à l'appui l'acquisition, en 1881, de 25 collections de documents rares sur l'histoire et la littérature de l'Espagne dont la valeur n'était pas moindre de 60,000 francs. Doté en 1880, d'un premier crédit de 5,000 francs, que les pouvoirs publics ont augmenté d'année en année, ce service reçoit aujourd'hui une allocation de 19,000 francs.
SECTION II.
DÉPÔT LÉGAL.
100. L'obligation de déposer à la Bibliothèque du roi les publications nouvelles avait été, depuis le XVIIe siècle, fréquemment et inutilement rappelée par une série d'arrêts du Conseil; elle ne s'appliquait qu'aux ouvrages imprimés et aux estampes gravées avec privilège. La Convention, en proclamant le droit de propriété littéraire, renouvela la prescription du dépôt, mais en intéressant les auteurs à y satisfaire: «Tout citoyen, dit le décret du 19 juillet 1793, qui mettra au jour un ouvrage, soit de littérature ou de gravure, dans quelque genre que ce soit, sera obligé d'en déposer deux exemplaires à la Bibliothèque nationale ou au cabinet des estampes de la République, dont il recevra un reçu signé par le bibliothécaire; faute de quoi, il ne pourra être admis en justice pour la poursuite des contrefacteurs.» Le dépôt n'était donc considéré que comme une garantie de la propriété littéraire; mais combien d'ouvrages et surtout d'ouvrages de luxe sont, en fait, à l'abri de la contrefaçon, en raison soit de leur objet, soit de leur exécution. Aussi le dépôt restait-il facultatif, d'autant que l'auteur qui abandonnait son œuvre au domaine public n'avait aucun motif pour l'effectuer.
101. Il fut transformé dans son but par le décret du 5 février 1810: «Chaque imprimeur sera tenu de déposer à la préfecture de son département et, à Paris, à la préfecture de la Seine, cinq exemplaires de chaque ouvrage, savoir: un pour la Bibliothèque impériale, un pour le ministre de l'intérieur, un pour la bibliothèque de notre Conseil d'État, un pour le directeur général de la librairie.» C'était désormais un instrument de police qu'entendait s'attribuer le gouvernement. Les ordonnances du 21 et du 24 octobre 1814 reproduisirent ces disposions en punissant le défaut de déclaration et de dépôt par la saisie et mise sous séquestre de l'ouvrage et en frappant le contrevenant d'une amende de 1,000 francs la première fois, de 2,000 francs la seconde[178]. Le nombre des exemplaires d'imprimés fut réduit, en 1828, à deux, dont un pour la Bibliothèque nationale et un pour le ministère de l'intérieur, et à trois épreuves d'estampes, dont deux pour la Bibliothèque et un pour le ministère[179]. On créa, peu après, à la bibliothèque Sainte-Geneviève un dépôt spécial pour recevoir l'exemplaire destiné au ministère; le ministre devait y puiser chaque année pour répartir entre les bibliothèques publiques les ouvrages dont il jugerait la propagation utile[180]; toutefois, on ne tarda pas à reprendre l'usage antérieur de centraliser au ministère le dépôt légal.
102. La loi du 29 juillet 1881 sur la presse a atténué les pénalités édictées par l'ordonnance de 1814: «Au moment de la publication de tout imprimé, dit l'article 3, il en sera fait, par l'imprimeur, sous peine d'une amende de 16 francs à 300 francs, un dépôt de deux exemplaires destinés aux collections nationales. Ce dépôt sera fait au ministère de l'intérieur, pour Paris; à la préfecture, pour les chefs-lieux de département; à la sous-préfecture, pour les chefs-lieux d'arrondissement; et, pour les autres villes, à la mairie. L'acte de dépôt mentionnera le titre de l'imprimé et le chiffre du tirage. Sont exceptés de cette disposition les bulletins de vote, les circulaires commerciales ou industrielles et les ouvrages dits de ville ou bilboquets. — Article 4. Les dispositions qui précèdent sont applicables à tous les genres d'imprimés ou de reproduction destinés à être publiés. Toutefois, le dépôt prescrit par l'article précédent sera de trois exemplaires pour les estampes, la musique et en général les reproductions autres que les imprimés.» L'article 10 impose le dépôt, dans les mêmes conditions, de deux exemplaires de chaque feuille ou livraison de journal ou écrit périodique, sous peine de 50 francs d'amende contre le gérant; dépôt indépendant de celui exigé pour le parquet[181]. Enfin, la loi de finances du 29 juillet 1881 a édicté une obligation analogue pour les documents émanés des ministères et administrations publiques et pour les ouvrages auxquels ils souscrivent; le dépôt comporte alors trois exemplaires, pour la Bibliothèque nationale, la bibliothèque du Sénat et celle de la Chambre des députés (art. 35).
103. Les seuls imprimés exempts du dépôt légal sont donc: 1o les bulletins de vote; 2o les circulaires commerciales ou industrielles; 3o les «ouvrages de ville» ou bilboquets. — Les termes restrictifs de la loi ne permettent pas de ranger dans les exceptions les placards[182], les professions de foi, circulaires des candidats et autres documents électoraux[183], et même des pétitions insérées dans un journal lorsqu'elles sont imprimées de façon à en être détachées[184]. Les ouvrages de ville ou bilboquets sont «ceux qui, imprimés pour le compte de l'administration ou destinés à des usages privés, ne sont pas susceptibles d'être répandus dans le commerce[185].» Quoique la dispense de les déposer n'ait été inscrite dans la loi qu'en 1881, elle a toujours existé de fait, par tolérance administrative[186]. On peut entendre sous ce nom les «annonces de mariage, de naissance, de décès, affiches de ventes ou locations, impressions purement relatives à des convenances de famille, de société ou à des intérêts privés[187]». Mais la brièveté d'un ouvrage qui concerne la politique, la religion, la morale et par suite intéresse l'ordre public ne peut, sous aucun rapport, être un titre pour exempter l'imprimeur de l'obligation du dépôt. Un mandement épiscopal[188], une notice nécrologique extraite d'un journal et publiée en brochure[189], une pétition destinée à être signée, n'eût-elle que trois lignes[190], une lettre adressée aux députés d'un département[191], une lettre-circulaire imprimée, adressée par la commission administrative d'une société dûment autorisée à chacun des membres pour lui demander s'il consent à voir figurer son nom sur la liste des membres demandée par le préfet[192], sont soumis au dépôt légal. L'usage a prévalu d'en dispenser au contraire les mémoires produits par les avoués et les avocats, à l'occasion de procès, le serment et le devoir professionnel semblant, aux yeux de l'autorité, une garantie suffisante de leur respect pour l'ordre public; mais il a été jugé que la signature d'un avocat ou d'un avoué, au bas de ces pièces, était une condition rigoureusement nécessaire[193]. L'exemption n'est pas sans inconvénient: le dépôt légal des mémoires d'avocat offrirait une source inestimable de documents à consulter sur notre histoire judiciaire et sociale. Elle n'est pas, d'ailleurs, fondée en droit.
104. S'il n'est pas toujours facile de distinguer «l'ouvrage de ville ou bilboquet» de l'imprimé sujet au dépôt, il l'est souvent moins encore de reconnaître les «circulaires commerciales ou industrielles» que la loi en a exemptées. La jurisprudence, tenant moins compte de la nature que de l'objet de ces imprimés, a vu des «ouvrages», au sens de la loi de 1814, dans un prospectus destiné à publier une découverte[194] ou contenant une appréciation de la publication mise en vente[195]; dans le simple «recto d'une feuille de papier ne contenant qu'une énonciation de prix de divers travaux de fabrique[196]»; dans des annonces ou affiches théâtrales «dont la rédaction, la forme et la couleur sont loin d'être indifférentes au point de vue de la morale et de l'ordre public[197]». Mais il convient d'observer que la loi de 1814, sous le régime de laquelle s'est formée cette jurisprudence, n'avait spécifié aucune exemption en faveur des circulaires commerciales. Le législateur de 1881, qui a pris soin de le faire, a sans doute eu en vue de prévenir des interprétations trop rigoureuses, et nous ne pensons pas que les arrêts antérieurs, cités plus haut, soient conformes à l'esprit de la loi nouvelle. Si les documents visés par eux n'ont pas paru aux tribunaux rentrer dans la catégorie des ouvrages dits bilboquets, on ne leur pourrait guère contester la qualité de circulaires commerciales. Un trait essentiel de ces dernières doit être la gratuité. La circulaire commerciale est un avis distribué à plusieurs personnes à la fois, mais distribué gratuitement; le caractère de circulaire disparaît du moment où, l'imprimé étant vendu, le concours de la volonté des tiers auxquels il est offert en vente est nécessaire pour que l'avis y contenu passe entre leurs mains. C'est ce qu'a jugé récemment le tribunal correctionnel de la Seine[198], et ce point de la question ne saurait soulever de difficulté.
105. L'obligation du dépôt légal s'applique à tous les modes d'impression, aux lithographies, aux gravures d'estampes ou de musique, aux photographies destinées au commerce; pour ces productions, elle comporte trois exemplaires. Les réimpressions y sont soumises comme les impressions premières et surtout lorsqu'elles sont faites sous un nouveau format et avec une justification nouvelle qui en rendent la diffusion plus facile[199].
106. L'imprimeur seul est tenu d'effectuer le dépôt et peut seul, en cas de contravention, être passible de l'amende de 16 à 300 francs. Il doit le faire au moment de la publication, c'est-à-dire avant la mise en vente, et l'on considère comme mis en vente tout ouvrage sorti de l'imprimerie pour être livré au libraire et offert au public[200]. La contravention ne peut être excusée sous le prétexte de la bonne foi de l'imprimeur et du défaut de connaissance de l'impression de l'écrit dans ses ateliers[201]. Elle peut être constatée de quelque manière que ce soit, et le dépôt opéré, après la mise en vente, ne crée pas au profit du contrevenant une fin de non-recevoir contre la poursuite[202].
107. Le dépôt légal est reçu à Paris, au ministère de l'intérieur[203]; dans les chefs-lieux de département, à la préfecture; dans les chefs-lieux d'arrondissement, à la sous-préfecture; dans les autres localités, à la mairie[204]. Les ouvrages déposés dans les départements sont transmis au ministère de l'intérieur par les soins des préfets qui doivent tenir un registre à cet effet et accompagnent leurs envois d'un numéro indicatif. Deux registres analogues sont établis au ministère, l'un pour Paris, l'autre pour les départements, ce dernier divisé en autant de séries numériques que l'on compte de départements. Un troisième est tenu à la Bibliothèque nationale; les numéros correspondent à ceux des registres du ministère. Des deux exemplaires des imprimés dont le dépôt est obligatoire, l'un est attribué à la Bibliothèque nationale, le second au ministère de l'instruction publique; des trois exemplaires des estampes et publications musicales, deux sont attribués à la Bibliothèque, le troisième à l'administration des beaux-arts qui fait remettre les ouvrages de musique au Conservatoire[205]. Tous les vendredis, la Bibliothèque et, après elle, le ministère de l'instruction publique font prendre au ministère de l'intérieur les exemplaires qui leur sont destinés. Le ministre de l'instruction publique fait répartir les siens entre les bibliothèques de Paris et des départements. Les livres provenant du dépôt ou des souscriptions officielles ne peuvent être donnés qu'à des établissements publics[206]; 350 bibliothèques environ participent à ces distributions et reçoivent une seule concession par an, dont la nature et l'importance varient suivant leur spécialité. C'est ainsi que les publications se rattachant à la politique sont réservées à l'Arsenal; les ouvrages de sciences ecclésiastiques, de jurisprudence, de sciences naturelles et médicales aux facultés de théologie, de droit et de médecine; les livres de géographie, cartes et plans, traités de législation commerciale et maritime aux bibliothèques des ports militaires ou marchands; les ouvrages d'art, d'administration et d'histoire militaires aux bibliothèques des villes de guerre; les livres classiques aux lycées, collèges ou écoles, etc.[207]
108. L'acte de dépôt mentionne le titre de l'imprimé et le chiffre du tirage. Il en est délivré à l'imprimeur un récépissé qui sert à établir que celui-ci a satisfait à la loi. La Cour de cassation a jugé que la non-représentation de ce récépissé suffisait à établir la contravention résultant du défaut de dépôt[208]; mais cette doctrine ne nous semble reposer sur aucune base juridique, et par un arrêt plus récent[209], rendu en matière de contrefaçon, la Cour a déclaré que «le législateur a abandonné aux tribunaux l'appréciation souveraine des moyens invoqués pour établir l'existence du dépôt», et la mention de l'ouvrage au Journal de la librairie a été admise comme en étant une preuve suffisante.
109. La loi sur la presse n'a envisagé le dépôt légal que comme mesure de police. L'article 6 de la loi du 19 juillet 1793 qui l'avait institué comme garantie de la propriété littéraire est demeuré en vigueur. Le dépôt légal est donc une condition indispensable pour être admis à intenter une poursuite en contrefaçon littéraire.
Ce n'est pas ici le lieu de l'étudier sous ce point de vue. Observons seulement que ni l'auteur, ni l'éditeur, presque toujours seuls intéressés à sauvegarder la propriété d'un ouvrage, ne reçoivent pas la pièce essentielle pour faire reconnaître leurs droits. Elle reste entre les mains de l'imprimeur, dont elle dégage la responsabilité en établissant qu'il a satisfait à la loi. Tout inconvénient serait supprimé, si le récépissé du ministère, dressé en triple expédition, était en même temps remis à l'imprimeur, à l'auteur et à l'éditeur. D'autre part, ce certificat devrait toujours mentionner les noms des deux derniers: l'absence de désignation suffisante du véritable propriétaire soulève parfois de graves objections devant nos tribunaux, et plus encore devant les tribunaux étrangers[210].
110. Le décret du 28 mars 1852 a accordé aux auteurs étrangers la protection de la loi, même pour leurs ouvrages publiés hors de France; il les a seulement soumis aux mêmes obligations que nos nationaux et notamment à la formalité du dépôt. C'est ce qu'on appelle le dépôt international, et les ouvrages reçus de ce chef au ministère sont, comme ceux provenant du dépôt légal, transmis à la Bibliothèque.
Depuis lors, un certain nombre de conventions littéraires, conclues entre la France et diverses puissances étrangères ont modifié ces dispositions et, sans se préoccuper de la question spéciale du développement de nos bibliothèques publiques, ont supprimé pour ces États l'obligation du dépôt, en subordonnant seulement l'exercice de l'action en contrefaçon, soit à une déclaration du livre enregistrée au ministère de l'intérieur, soit à un simple certificat de l'autorité étrangère attestant que l'œuvre est originale et jouit dans son pays de la protection légale contre la contrefaçon ou la reproduction illicite[211]. Ces conventions littéraires ont aboli presque partout le dépôt international qui ne fournit actuellement à la Bibliothèque qu'un appoint insignifiant.
111. En résumé, le dépôt légal a un triple effet: 1o la police de la librairie; 2o la garantie de la propriété littéraire et artistique; 3o l'accroissement de nos collections nationales. Malheureusement, ce dernier but n'est que très imparfaitement rempli. Depuis plus de cinquante ans, les directeurs de la Bibliothèque n'ont pas cessé de s'en plaindre. Une commission, instituée en 1850, avait élaboré un projet de réorganisation du dépôt qui en eût assuré le fonctionnement régulier si des dissidences entre les ministres de l'instruction publique et de l'intérieur n'avaient empêché qu'il fût même soumis à la Chambre. Il semble que la législation actuelle ait exclusivement eu en vue la police de la librairie et la propriété littéraire, et que la remise des ouvrages déposés dans les bibliothèques publiques soit seulement un moyen pour l'administration de se débarrasser de productions encombrantes. Tous les esprits compétents sont d'accord pour désigner la source du mal et le seul remède utile[212]. Le mal consiste en ce que l'obligation du dépôt incombe seulement à l'imprimeur. La loi vise l'imprimé et non le livre mis en vente: elle ne tient aucun compte des procédés nouveaux de la librairie. Fort souvent, pour gagner du temps, le même ouvrage est imprimé par fragments sur divers points et simultanément; dix feuilles, par exemple, sont composées et tirées à Chartres, dix autres à Corbeil. Les imprimeurs respectifs déposent chacun leurs dix feuilles à la préfecture de Chartres, et à la sous-préfecture de Corbeil. Les titres, feuillets de garde et faux-titres sont imprimés dans une troisième maison qui a la spécialité d'imprimer sur papier de couleur et les dépose de son côté. Sans parler de la difficulté qu'on éprouve à Paris pour réunir ces feuilles éparses qui souvent n'ont pas de titre courant et ne sont pas même toujours accompagnées d'une note indicative, combien se sont égarées dans les bureaux qu'elles ont eu à traverser, et n'arriveront jamais dans aucune bibliothèque! Que de temps perdu pour la collation de volumes qui devraient au moins être complets! Non seulement ils ne le sont pas, mais les exemplaires déposés sont parfois des exemplaires de rebut, tachés d'huile ou d'encre. Ajoutons que le graveur dépose aussi séparément les estampes tirées hors texte, en épreuves de qualité inférieure, qui sont remises au cabinet des estampes, tandis que le texte privé de gravures vient au département des imprimés. Lorsque ces estampes ont été gravées à l'étranger, et le cas s'est présenté pour des publications de grand luxe, l'imprimeur se borne à déposer le texte; de même pour les chromolithographies, que l'on exécute souvent en Suisse, en Alsace ou en Belgique. S'agit-il de planches coloriées, il suffit qu'elles soient déposées en noir. Ainsi l'ont été le Tableau des pavillons maritimes, de M. Legras; l'Histoire de la peinture sur verre, de M. F. de Lasteyrie; la Théorie du contraste des couleurs, de M. Chevreul[213]. Outre la fréquente absence de dépôt[214], dépôt d'ouvrages dépareillés, incomplets ou maculés, voilà donc le résultat de la législation présente.
112. On a dit que les tribunaux pourraient assimiler le dépôt mal fait à l'absence de dépôt. Ce serait, à notre sens, outrepasser la loi dans son esprit comme dans son texte. Car la loi de 1793 est spéciale à la propriété littéraire et la loi de 1881 à la police de la presse; ni l'une ni l'autre n'ont envisagé la question bibliographique ou la qualité des exemplaires exigibles, quoique les inconvénients signalés plus haut fussent connus bien avant la date de la dernière. L'imprimeur exécute servilement la loi, mais ne la viole pas, et le juge serait mal fondé à en exagérer le sens restrictif. Au demeurant, les poursuites sont à peu près impossibles dans la pratique: les contraventions de la presse se prescrivent par trois mois, temps matériellement insuffisant pour que la Bibliothèque ait pu recevoir et collationner les ouvrages, assembler les feuilles du même qui lui viennent de provenances diverses, et constater les lacunes; d'autant plus que les préfets, pour éviter de trop multiples envois, ne font d'expéditions qu'à de longs intervalles, lorsque le nombre des livres déposés permet d'en former un ballot. La Bibliothèque n'a d'autre ressource que de solliciter la bonne volonté des imprimeurs; encore ceux-ci ne sont-ils généralement plus en mesure de la satisfaire lorsque la réclamation se produit, car ils ont livré à l'éditeur la totalité de leurs exemplaires[215].
[172] Écoles normale, des langues orientales vivantes, des chartes, d'Athènes, de Rome; Muséum d'histoire naturelle, Collège de France, Bureau des longitudes, Bureau central météorologique, Observatoires de Paris, Montsouris, Meudon, etc.
[173] Arr. min. du 22 mars 1884. — Cf. arr. min. des 11, 23 janvier, 27 et 28 mars 1882.
[174] Ce service a toujours été négligé. Il y a quelques années, pour agrandir l'appartement du ministre, on transforma en cuisine le bureau du bibliothécaire qui dut s'installer dans un des couloirs dont est composée la bibliothèque.
[175] Arr. min. du 12 mars 1881.
[176] Cf. Arr. min. du 17 mars 1885.
[177] Arr. min. du 5 mai 1881, etc.
[178] L'ordonnance du 24 octobre 1814 modifia la répartition des cinq exemplaires exigés; elle les attribua à la Bibliothèque royale, au chancelier de France, au ministre de l'intérieur, au directeur général de la librairie et au censeur chargé d'examiner l'ouvrage.
[179] Ord. du 9 janvier 1828.
[180] Ord. du 27 mars 1828.
[181] Cf. Bull. du min. de l'intér., août 1871, no 10 et les art. 2 et 7 de la loi du 12 mai 1868.
[182] Caen, 29 novembre 1849; D.P. 1850,2,32.
[183] Cass. cr. 22 août 1830; D.P. 1830,6,279; Cass. cr. 18 décembre 1863; D.P., 1864,1,55; Chambéry, 20 juillet 1872; D.P., 1873,2,9.
[184] Cass. cr., 28 novembre 1850 et 22 février 1851; D.P., 1851,1,278 et 5,437. — Il avait même été jugé, sous l'empire de l'ordonnance de 1814, que les bulletins de vote devaient être soumis au dépôt. Cass. cr., 11 janvier 1856; D.P., 1856,1,92.
[185] Circ. du directeur de la librairie, du 16 juin 1830.
[186] Instr. du directeur de la librairie, du 1er août 1810. Cf. Cass. cr., 3 juin 1826; S., VIII, 1, 352. — Cependant un arrêt de la Cour de cassation du 31 juillet 1823 subordonnait la dispense de dépôt à l'autorisation de distribution délivrée par le préfet. Cass. cr. 31 juillet 1823; Bull. cr., 1823, p. 312.
[187] Cass. cr., 3 juin 1826.
[188] Circ. min. du 2 janvier 1851.
[189] Aix, 22 novembre 1855; D.P., 1856,2,268.
[190] Bordeaux, 24 mai 1872; D.P., 1873,2,128.
[191] Cass. cr., 31 juillet 1823; Bull. cr. 1823, p. 312.
[192] Cass. cr., 20 février 1875; D.P., 1875,1,388.
[193] Cass. cr., 21 octobre 1825; S., VIII, 1,205.
[194] Cass. cr., 3 juin 1836; Bull. cr., 1836, p. 193. Cf. Cass. cr., 16 août 1839; Bull. cr., 1839, p. 404.
[195] Trib. de la Seine, 24 février 1866; Pataille, Ann. de la propr. industr. et littér., 1866, p. 240.
[196] Cass. cr., 4 octobre 1844; D.P., 1845,4,313.
[197] Cass. cr., 13 juillet 1872; D.P., 1872,1,287.
[198] Trib. de la Seine, 10 et 17 avril 1883; Gazette des tribunaux, du 18 avril 1883.
[199] Cass., ch. r., 5 août 1834; S., 1,842; Aix, 22 novembre 1855; D.P., 1856,2,268.
[200] Cass. cr., 2 février 1824. Ch. r., 8 août 1828; Bull. cr., 1828, p. 709. Caen, 29 novembre 1849; D.P., 1850,2,32. Le dépôt ne peut être reçu un jour férié. — Metz, 31 août 1833; J. P., 1833, p. 870.
[201] Cass. cr., 4 mai 1832; S., 1832,1,655; Cass. cr., 6 juillet 1832; S., 1832,1,608.
[202] Paris, 2 mai 1849; D.P., 1850,5,278-279.
[203] Le bureau du dépôt légal, qui dépendait de la direction de la sûreté générale, a été rattaché à la direction du cabinet (bureau de la presse) par arrêté ministériel du 15 décembre 1884.
[204] Avant 1881, le dépôt n'était valable que s'il avait été effectué au secrétariat de la préfecture; celui fait à la sous-préfecture était non avenu. — Cass. cr., 19 avril 1839; Bull. cr., 1839, p. 199.
[205] Un décret du 25 juillet 1878 a affecté à l'administration des beaux-arts et au dépôt légal des estampes et ouvrages de musique les anciennes écuries du Palais-Royal et la plus grande partie de l'aile de Valois dans le même palais.
[206] Arr. min. du 3 avril 1837.
[207] Arr. min. du 15 septembre 1838.
[208] Cass. cr., 2 avril 1830; S., 1831,1,337.
[209] Cass. req., 6 novembre 1872; concl. de M. Reverchon, av. gén. Pataille, Ann., 1873, p. 44.
[210] Pataille, Ann., 1869, p. 385 et suiv.
[211] Conventions avec la Belgique, 22 août 1852, 1er mai 1861 et 31 octobre 1881 (Cf. déclaration du 7 janvier 1869); avec la Grande-Bretagne, 3 novembre 1851; avec l'Espagne, 15 novembre 1853 et 16 juin 1880; avec le Portugal, 12 avril 1851 et 11 juillet 1866; avec la Prusse, 2 août 1862 (convention à laquelle ont successivement adhéré tous les états allemands; elle fut complétée par le protocole spécial du 14 décembre 1864); avec la Saxe royale, 28 mai 1865; avec l'Autriche, 11 décembre 1866 et 7 novembre 1881; avec la Suisse, 30 juin 1864 et 1882; avec l'Italie, 9 juillet 1884; avec la Suède, 29 juillet 1884; etc. Les textes de ces conventions sont publiés in extenso dans le Recueil des traités de paix de M. de Clercq. — Les déclarations sont reçues au Cercle de la librairie et publiées, par ses soins, dans le Journal de la librairie.
[212] Picot, Le dépôt légal et nos collections nationales (Rev. des Deux-Mondes, 1er février 1883).
[213] Mortreuil, p. 141. — Delaborde, p. 133.
[214] Le nombre des brochures non déposées, surtout dans les départements, est assurément considérable. Un écrivain dont les travaux historiques sont fort appréciés des érudits, disait récemment que, sur 17 de ses ouvrages, la Bibliothèque en possédait 4. L'Imprimerie nationale elle-même donnait jusqu'à ces dernières années l'exemple de l'abstention, quoique la plupart de ses publications soient d'un si haut intérêt pour l'histoire politique et administrative. Elle n'est officiellement astreinte au dépôt légal que depuis la loi de finances du 29 juillet 1881 (art. 35).
[215] Le remède consisterait à faire peser en partie sur l'éditeur l'obligation du dépôt légal. M. Mézières, de l'Académie française, a déposé à la Chambre des députés, le 19 mars 1883, un projet de loi en ce sens, absolument conforme aux desiderata formulés par M. Picot. Le dépôt légal comprendrait trois exemplaires pour les imprimés, comme pour les estampes. Le premier serait fourni par l'imprimeur, avant la publication, pour le contrôle; les deux autres comprenant l'ouvrage achevé et dans le meilleur état de vente, sous peine d'une amende égale à la valeur vénale des exemplaires qui auraient dû être déposés. L'action publique relative à la contravention se prescrirait par une année à dater de la mise en vente. — M. Picot avait en outre émis l'idée que l'auteur fût responsable du dépôt d'un imprimé publié sans nom d'éditeur; et que l'imprimeur fût tenu de déposer les trois exemplaires lorsque l'imprimé ne mentionnerait ni nom d'auteur, ni nom d'éditeur. Il est regrettable que le projet de loi soit muet sur ces deux cas; les prévoir eût servi à prévenir des contestations certaines et des recherches difficiles. Nous ferons deux autres réserves: la sanction a l'avantage de n'être plus arbitrairement laissée à l'appréciation du juge, mais le grave défaut de n'imposer au contrevenant qu'une peine équivalente à l'obligation esquivée par lui; de sorte qu'en négligeant d'opérer le dépôt, il court la chance d'éviter une poursuite si sa fraude échappe en temps utile à l'administration, et ne court d'autre risque que d'être condamné à l'effectuer en espèces au lieu de l'effectuer en nature. Si la base d'estimation est équitable pour les ouvrages dispendieux, la pénalité est illusoire lorsqu'il s'agira d'un volume de peu de valeur, d'une brochure d'un ou deux francs; la poursuite serait alors plus onéreuse que fructueuse pour l'administration. Il faudrait que la loi fixât un minimum d'amende, 20 ou 25 francs; et, au-dessus de ce chiffre, que l'amende fût au moins égale à la valeur de quatre exemplaires. En second lieu, il est peut-être excessif de demander deux exemplaires du meilleur état de vente. L'intérêt général ne doit pas faire perdre de vue des intérêts privés parfaitement respectables. Il ne faut pas oublier que les exemplaires du meilleur état sont, pour les imprimés, les tirages sur papier de grand luxe, pour les gravures, les épreuves avant la lettre et que ces exemplaires, toujours tirés à nombre restreint et avec numérotage limité, représentent une valeur vénale très élevée. En exiger de l'éditeur un seul du meilleur état et l'autre de qualité ordinaire sera déjà lui imposer une lourde charge qui, dans beaucoup de maisons, atteindra un chiffre de plusieurs centaines sinon de plusieurs milliers de francs par an. Cette considération semble avoir échappé aux bibliophiles qui ont étudié la question, comme à l'auteur du projet de loi. Loin de la dédaigner, nous pensons qu'il serait équitable d'accorder à l'éditeur une compensation aux sacrifices que lui coûtera cette réforme, soit sous forme d'un dégrèvement de patente proportionné au nombre et au prix des ouvrages fournis par lui au dépôt légal, soit sous une autre forme quelconque. En résumé, quel que soit le sort du projet de loi de M. Mézières, la législation actuelle est condamnée par l'expérience. Les pouvoirs publics ne peuvent manquer d'avoir égard aux réclamations qu'elle soulève. La Bibliothèque nationale ne se maintiendra au rang de première bibliothèque du monde que par un fonctionnement régulier du dépôt légal.