Œuvres de Napoléon Bonaparte, Tome III.
Au Caire, le 24 thermidor an 7(11 août 1799).
Au général Desaix.
J'ai été peu satisfait, citoyen général, de toutes vos opérations pendant le mouvement qui vient d'avoir lieu. Vous avez reçu l'ordre de vous porter au Caire, et vous n'en avez rien fait. Tous les événemens qui peuvent survenir ne doivent jamais empêcher un militaire d'obéir, et le talent, à la guerre, consiste à lever les difficultés qui peuvent rendre difficile une opération et non pas à la faire manquer. Je vous dis ceci pour l'avenir.
BONAPARTE.
Au Caire, le 24 thermidor an 7 (11 août 1799).
Au même.
Les provinces de Fayoum, de Minief et de Bénêçoùef, citoyen général, n'ont jamais dû fournir aux besoins de votre division, puisque même l'administration ne vous en a pas été confiée. Je vous prie de ne vous mêler d'aucune manière de l'administration de ces provinces.
BONAPARTE.
Au Caire, le 24 thermidor an 7(11 août 1799).
Au même.
Vous m'avez fait connaître, citoyen général, à mon retour de Syrie, que vous alliez faire passer 150,000 fr. au payeur général; vous m'apprenez par une de vos dernières lettres, que l'ordre du jour qui ordonne le paiement de thermidor et fructidor, vous empêchait d'exécuter ce versement. Cet ordre ne devait pas regarder votre division, puisqu'elle n'est arriérée que de ces deux mois, tandis que tout le reste de l'armée, indépendamment de ces deux mois, l'est encore de sept autres mois; et ce n'est avoir ni zèle pour la chose publique, ni considération pour moi, que de ne voir, surtout dans une opération de la nature de celle-ci, que le point où on se trouve. D'ailleurs, l'organisation de la république veut que tout l'argent soit versé dans les caisses des préposés du payeur général, pour n'en sortir que par son ordre. Le payeur général n'aurait jamais donné un ordre qui favorisât un corps de troupes plutôt qu'un autre.
Il est nécessaire que le payeur de votre division envoie, dans le plus court délai, au payeur général l'état des recettes et dépenses; je vous prie de m'en envoyer un pareil. Vous sentez combien il est essentiel pour l'ordre, que l'on connaisse toute la comptabilité de l'armée. Je sais que vous vous êtes empressé d'y mettre tout l'ordre que l'on peut désirer.
BONAPARTE.
Au Caire, le 24 thermidor an 7 (11 août 1799).
Au général Kléber.
J'arrive à l'instant, général, au Caire. Le maudit château d'Aboukir nous a occupés six jours. Nous avons fini par y avoir huit mortiers et six pièces de 24. Chaque coup de canon tuait cinq à six hommes. Enfin, ils sont sortis le 15 en foule sans capitulation et jetant leurs armes. Quatre cents sont morts dans les premières vingt-quatre heures de leur sortie, il y avait six jours que ces enragés buvaient de l'eau de la mer. On a trouvé dans le fort dix huit cents cadavres; nous avons en notre pouvoir à peu près autant de prisonniers, parmi lesquels le fils du pacha et les principaux officiers.
On va vous envoyer des pièces de campagne, afin que vous en ayez six à votre disposition. Procurez-vous des chevaux.
Rien de bien intéressant d'aucun côté.
Je vous enverrai demain ou après une grande quantité de galettes anglaises, où vous verrez d'étranges choses.
BONAPARTE.
Au Caire, le 25 thermidor an 7 (12 août 1799).
Au général Desaix.
J'ai reçu, citoyen général, votre lettre du 18 thermidor; j'approuve complètement les projets que vous avez formés. Vous n'aurez effectivement achevé votre expédition de la Haute-Egypte qu'en détruisant Mourad-Bey. Il est devenu si petit, qu'avec quelques centaines d'hommes montés sur des chameaux, vous pourrez le pousser dans le désert et en venir à bout.
Je vous ai demandé le bataillon de la soixante-unième, afin de reformer cette demi-brigade et de lui donner quelques jours de repos à Rosette. Dès l'instant que vous serez venu à bout de Mourad-Bey, je ferai relever toutes vos troupes. Je prépare, à cet effet, la treizième et une autre demi-brigade. Je serais d'ailleurs fort aise d'avoir vos troupes s'il arrivait quelque événement, ou sur la lisière de la Syrie, ou sur la côte. Les nouvelles que j'ai de Gaza ne me font pas penser que l'ennemi veuille rien entreprendre: ce n'est pas une chose aisée. Il n'y aurait de sensé pour lui que de s'emparer d'El-Arich, et lorsqu'il l'aurait pris, il n'aurait fait qu'un pas. Quant à l'opération de traverser le désert, il faut rester cinq jours et même sept sans eau. Il serait difficile, même impossible de transporter de l'artillerie, ce qui les mettrait bon d'état de prendre même une maison.
Je donne ordre qu'on vous envoie quatre pièces de 3 vénitiennes qui sont extrêmement légères. Je vous laisse la vingt-unième, la quatre-vingt-huitième, la vingt-deuxième et la vingtième.
Dès l'instant que l'inondation aura un peu couvert l'Egypte, j'enverrai le général Davoust, comme cela avait été mon projet, avec un corps de cavalerie, d'infanterie, pour commander les provinces de Fayoum, Miniet et Bénêçoùef: jusqu'alors, laissez-y des corps de troupes; arrangez vous de manière que vous soyez maître de ne laisser qu'une centaine d'hommes à Cosseir; que Keneh puisse contenir tous vos embarras, et que vous puissiez, en cas d'invasion sérieuse, pouvoir rapidement et successivement replier toutes vos troupes sur le Caire.
Faites filer sur le Caire toutes les carcasses de barques, avisos ou bricks appartenant aux mameloucks, nous les emploierons pour la défense des bouches du Nil.
J'ai reçu des gazettes anglaises jusqu'au 10 juin. La guerre a été déclarée le 13 mars par la France à l'empereur. Plusieurs batailles ont été livrées; Jourdan a été battu à Feldkirch, dans la forêt Noire, et a repassé le Rhin. Schérer, auquel on avait confié le commandement d'Italie, a été battu à Rivoli, et a repassé le Mincio et l'Oglio. Mantoue était bloquée. Lors de ces affaires, les Russes n'étaient point encore arrivés, le prince Charles commandait contre Jourdan, et M. Kray contre Schérer.
L'escadre française, forte de vingt-deux vaisseaux de guerre et de dix-huit frégates, et partie de Brest dans les premiers jours d'avril, est arrivée au détroit, a présenté le combat aux Anglais, qui n'étaient que dix-huit, et est entrée à Toulon. Elle a été jointe par trois vaisseaux espagnols. L'escadre espagnole est sortie de Cadix et est entrée à Carthagène: elle est forte de vingt-sept vaisseaux de guerre, dont quatre à trois ponts; une nouvelle escadre anglaise est, peu de jours après, entrée dans la Méditerranée, et s'est réunie à Jervis et à Nelson. Ces escadres réunies doivent monter à plus de quarante vaisseaux. Les Anglais bloquent Toulon et Carthagène.
Le ministre de la marine Bruis commande l'escadre française.
A la première occasion, je vous enverrai tous ces journaux.
Corfou a été pris par famine. La garnison a été conduite en France.
Malte est ravitaillée pour deux ans.
BONAPARTE.
Au Caire, le 25 thermidor an 7 (12 août 1799).
Au citoyen Poussielgue.
Vous voudrez bien, citoyen administrateur, faire signifier à la femme de Hassan-Bey que, si, dans la journée de demain, elle n'a pas payé ce qui reste dû de sa contribution, elle sera arrêtée et tous ses effets confisqués.
Vous prendrez toutes les mesures pour accélérer le paiement de Hadji-Husseim.
Les juifs n'ont encore payé que 20,000 fr.: il faut que dans la journée de demain, ils en payent 30,000 autres.
Parmi les individus qui doivent, il y en a auxquels il ne fallait qu'une simple lettre pour les faire payer, entre autres Rosetti, Caffe, Calvi, et tous les individus de l'armée. Il y a la négligence la plus coupable de la part de l'administrateur des finances.
Mon intention n'est pas d'accepter pour comptant du fermage des Cophtes, les différens emprunts que je leur ai faits, que je leur solderai en temps et lieu.
Vous ferez demander 10,000 fr. à titre d'emprunt aux six principaux négocians damasquains, qui doivent être payés dans la journée de demain, et vous leur ferez connaître que mon intention est de les solder en blé.
Faites-moi un rapport sur les affaires du tabac de Rosette; les renseignemens que j'ai eus sont que cela a dû rapporter 14 ou 15,000 fr.
Faites-moi connaître ce qu'ont produit et ce que doivent les provinces de Gisey et du Caire.
Faites-moi également connaître ce qu'ont rendu les douanes de Suez et de Cosseir depuis que nous sommes en Egypte, et ce qui serait dû par ces deux douanes.
BONAPARTE.
Au Caire, le 25 thermidor an 7 (12 août 1799).
Au général Lanusse.
Je vous prie, citoyen général, de garder mes guides et mes équipages; je n'ai pas pu me rendre à Menouf, vu le désir que j'avais de prendre connaissance des affaires du Caire, et de mettre tout en train: car, selon l'usage des Turcs, ils ne payent rien et ne croient pas à la victoire jusqu'à mon arrivée; mais je compte, dans deux jours, débarquer au ventre de la Vache et vous aller trouver à Menouf.
Je vous ferai prévenir vingt-quatre heures d'avance.
BONAPARTE.
Au Caire, le 25 thermidor an 7 (12 août 1799).
Au général Dugua.
Vous ferez, citoyen général, interroger tous les scheicks El-Belet qui sont à la citadelle, pour savoir pourquoi ils ne payent pas leurs contributions; vous leur ferez connaître que, si, d'ici au premier fructidor, ils ne les ont pas payées, ils paieront un tiers de plus, et que, si, d'ici au 10 fructidor, ils n'ont pas payé ce tiers et l'imposition, ils auront le cou coupé.
BONAPARTE.
Au Caire, le 25 thermidor an 7 (12 août 1799).
Au général Marmont.
Je donne ordre, citoyen général, que les deux demi-galères et la chaloupe canonnière la Victoire se rendent à Rosette pour concourir à la défense du Bogaz, afin d'être en mesure, si M. Smith, ce que je ne crois pas, voulait tenter quelque chose avec ses chaloupes canonnières: cet homme est capable de toutes les folies.
Vous sentez qu'il est nécessaire qu'un aussi grand nombre de bâtimens soient commandés par un homme de tête. Si le commandant des armes à Rosette n'avait pas le courage et le talent nécessaires, tâchez de trouver à Alexandrie un officier qui ait la grande main à cette défense: la faible garnison de Rosette fait que la défense du Nil est spécialement confiée à la flottille.
BONAPARTE.
Au Caire, le 25 thermidor an 7 (12 août 1799).
Il est ordonné au citoyen Desnoyers, officier des guides, de se rendre sur-le-champ à Boulaq; il se présentera chez le commandant de la marine, qui mettra à sa disposition une demi-galère armée.
Il s'embarquera dessus, se rendra à Rahmanieh, se présentera chez le commandant de la place, montrera l'ordre ci-joint pour avoir une escorte, et arrivera en toute diligence à Alexandrie; il remettra en propres mains la lettre ci-jointe au général Ganteaume: c'est sa dépêche principale. Il ne partira d'Alexandrie que lorsque le général Ganteaume l'expédiera; il retournera à Rahmanieh, il restera dans le fort jusqu'à ce qu'il reçoive de nouveaux ordres; un officier que je dois y envoyer lui portera les ordres, probablement du 2 au 5. Il est nécessaire qu'il soit rendu à Rahmanieh le 2 à midi, au plus tard.
BONAPARTE.
Au Caire, le 26 thermidor an 7 (13 août 1799).
Au général Desaix.
Je vous envoie, citoyen général, un sabre d'un très-beau travail, sur lequel j'ai fait graver: Conquête de la Haute-Egypte, qui est due à vos bonnes dispositions et à votre constance dans les fatigues. Voyez-y, je vous prie, une preuve de mon estime et de la bonne amitié que je vous ai vouée.
BONAPARTE.
Au Caire, le 26 thermidor an 7 (13 août 1799).
Au général Veaux.
Je suis très-peiné, citoyen général, d'apprendre que vos blessures vont mal: je vous engage à passer le plus tôt possible en France; je donne tous les ordres que vous désirez, pour vous en faciliter les moyens: j'écris au gouvernement conformément à vos désirs: vous avez été blessé au poste d'un brave qui veut redonner de l'élan à des troupes qu'il voit chanceler. Vous ne devez pas douter que, dans toutes les circonstances, je ne prenne le plus vif intérêt à ce qui vous regarde.
BONAPARTE.
Au Caire, le 27 thermidor an 7 (14 août 1799).
Au scheick El-Arichi Cadiashier, distingué par sa sagesse et sa justice.
Nous vous faisons connaître que notre intention est que vous ne confiez la place de cadi à aucun Osmanli: vous ne confirmerez, dans les provinces, pour la place de cadi, que des Egyptiens.
BONAPARTE.
Au Caire, le 27 thermidor an 7 (14 août 1799).
Au général Dugua.
Je vous prie, citoyen général, de faire arrêter tous les hommes de la caravane de Maroc qui seraient restés en arrière, et que les Maugrabins venant à Cosseir ne s'arrêtent qu'un jour, et filent, pour leur pays sans passer par Alexandrie.
BONAPARTE.
Au Caire, le 26 thermidor an 7 (15 août 1799).
Au sultan de Maroc.
Il n'y a pas d'autre Dieu que Dieu, et Mahomet est son prophète.
Au nom de Dieu clément et miséricordieux! Au sultan de Maroc, serviteur de la sainte Caabé, puissant parmi les rois, et fidèle observateur de la loi du vrai prophète.
Nous profitons du retour des pélerins de Maroc pour vous écrire cette lettre et vous faire connaître que nous leur avons donné toute l'assistance qui était en nous, parce que notre, intention est de faire, dans toutes les occasions, ce qui peut vous convaincre de l'estime que nous avons pour vous. Nous vous recommandons, en échange, de bien traiter tous les Français qui sont dans vos états ou que le commerce pourrait y appeler.
BONAPARTE.
Au Caire, le 28 thermidor an 7 (15 août 1799).
Au bey de Tripoli.
Il n'y a pas d'autre Dieu que Dieu, et Mahomet est son prophète.
Au nom de Dieu, clément et miséricordieux! Au bey de Tripoli, serviteur de la Sainte Caabé, le modèle des beys, fidèle observateur de la loi du vrai prophète.
Nous profitons de l'occasion qui se présente pour vous recommander de bien traiter tous les Français qui sont dans vos états, parce que notre intention est de faire dans toutes les occasions tout ce qui pourra vous être agréable et de vivre en bonne intelligence avec vous.
BONAPARTE.
Au Caire, le 28 thermidor an 7 (15 août 1799).
Au général Desaix.
J'ai reçu, citoyen général, un grand nombre de lettres de vous, qui avaient été me chercher à Alexandrie et à Aboukir, et qui sont de retour.
Vous aurez déjà reçu différentes lettres par lesquelles je vous fais connaître que vous pouvez rentrer dans vos positions de la Haute-Egypte, et de détruire Mourad-Bey.
Je vous laisse le maître de lui accorder toutes les conditions de paix que vous croirez utiles. Je lui donnerai son ancienne ferme près de Gizeh; mais il ne pourrait jamais avoir avec lui plus de dix hommes armés: mais si vous pouviez vous en débarrasser, cela vaudrait beaucoup mieux que tous ces arrangemens.
BONAPARTE.
Au Caire, le 28 thermidor an 7 (15 août 1799).
Au général Kléber.
Je reçois à l'instant, citoyen général, votre lettre du 26 à six heures du matin; l'Arabe qui l'a apportée me dit être parti à neuf heures.
Je suis instruit qu'un grand nombre de bâtimens de ceux qui étaient à Aboukir en sont partis le 25, et, si ce ne sont pas ceux-là qui viennent faire de l'eau au Bogaz, ce sont des bâtimens qui étaient mouillés à Alexandrette, et que le bruit des premiers succès d'Aboukir aura fait mettre à la voile.
Le bataillon de la vingt-cinquième est parti pour vous rejoindre. Je vous envoie la demi-galère l'Amoureuse.
Vous pouvez disposer du général Vial qui est dans la Garbieh avec un bataillon de la trente-deuxième; il a avec lui une pièce de canon.
La cavalerie qui était à Alexandrie, qui arrive à l'instant, se reposera la journée de demain, et, si cela est nécessaire, je là ferai partir sur-le-champ.
Quelque chose que ce convoi puisse être, je ne doute pas que vous n'ayez eu le temps de réunir votre division et de vous mettre bien en mesure.
J'ai des nouvelles de Syrie à peu près conformes aux vôtres. Ibrahim-Bey a avec lui deux cent cinquante mameloucks à cheval et cent cinquante à pied, cinq cents hommes à cheval de Djezzar, et six cents hommes à pied. Elfy-Bey n'a avec lui que quatre-vingts mameloucks: une partie des Arabes cherche, comme à l'ordinaire, les moyens de les piller.
J'espère recevoir de vous, dans la journée de demain, des renseignemens positifs sur cette flotte: pourvu qu'ils mettent trois jours à débarquer, comme ils ont fait à Aboukir, et je ne suis plus en peine de rien.
Je fais partir le chef de bataillon Rutty pour commander votre artillerie.
BONAPARTE.
Au Caire, le 28 thermidor an 7 (15 août 1799).
Au général Marmont.
Je vous envoie, citoyen général, deux pelisses, une pour le commandant turc, l'autre pour le scheick El-Messiri; je vous prie de les revêtir publiquement en grande solennité, et de leur dire que c'est pour leur donner une marque de l'estime que j'ai pour eux, et vous leur remettrez une copie de l'ordre du jour.
BONAPARTE.
Au Caire, le 30 thermidor an 7 (17 août 1799).
Au même.
J'ai voulu, citoyen général, conclure un marché avec des Francs, qui devaient me fournir vingt-quatre mille aunes de drap; je comptais les avoir pour 20 fr. et payer moitié en argent, moitié en riz ou en blé. Ayant accaparé tous les draps du pays, ils sentent qu'ils sont à même de me faire les conditions qu'ils veulent: il est cependant indispensable que j'habille l'armée, voici le parti auquel je me résous.
Vous ferez venir chez vous les négocians toscans et impériaux qui ont plus de vingt mille aunes de drap de toute les couleurs à Alexandrie ou à Rosette. Vous leur ferez connaître que la guerre a été déclarée par la république française à l'empereur et au grand-duc de Toscane, que les lois constantes de tous les pays vous autorisent à confisquer leurs bâtimens marchands et mettre le scellé sur leurs magasins; que cependant je veux bien leur accorder une faveur particulière, et ne point les comprendre dans cette mesure générale; mais que j'ai besoin de vingt-quatre mille aunes de drap pour habiller mon armée; qu'il est nécessaire qu'ils fassent de suite la déclaration du drap qu'ils ont; qu'ils en consignent vingt-quatre mille aunes, soit à Alexandrie, soit à Rosette. Ils seront consignés au commissaire des guerres, qui les fera partir en toute diligence au Caire; le procès-verbal en sera fait, et les draps estimés et payés selon l'estimation, sans que le maximum de l'aune passe 18 fr. Un de ces négocians, chargé de pouvoirs des autres, se rendra au Caire pour conférer avec l'ordonnateur en chef, et s'arranger pour le mode de paiement.
Si, au lieu de se prêter à cette mesure de bonne grâce, ces messieurs faisaient les récalcitrans, vous ferez mettre le scellé sur leurs effets, papiers et maisons; vous les ferez mettre dans une maison de sûreté; vous ferez abattre les armes de l'empereur et celles de Toscane, et vous en donnerez avis à l'ordonnateur de la marine, pour qu'il confisque tous les bâtimens appartenant aux Impériaux, Toscans et Napolitains: je préfère la première mesure à la deuxième.
BONAPARTE.
Au Caire, le 30 thermidor an 7 (17 août 1799).
À l'ordonnateur en chef.
Il sera fait une assimilation pour les officiers turcs qui auraient un grade supérieur à celui de capitaine. Comme ils ont tous de l'argent, il leur sera donné tous les jours le pain et la viande, et une certaine quantité de riz tous les quinze jours.
Je vous prie d'envoyer six ardeps de riz au pacha.
BONAPARTE.
Au Caire, le 30 thermidor an 7 (17 août 1799).
Au général Zayonschek.
Vous n'êtes soumis en rien, citoyen général, au général Desaix pour l'administration de la province. Vous regarderez comme nuls tous les ordres qu'il vous donnerait à ce sujet: vous avez eu tort de lui laisser prendre de l'argent; vous verrez, par l'ordre du jour, que mon intention est de n'accorder aucune indemnité sur le miri. Faites-le percevoir avec la plus grande rigueur.
BONAPARTE.
Au Caire, le 30 thermidor an 7 (17 août 1799).
Au citoyen Poussielgue.
Je pars demain matin avant le jour, citoyen administrateur: je vous recommande de pousser vivement ce qui concerne la rentrée des fermages et des autres impositions; de m'envoyer à Menouf toutes les notes que vous pourrez avoir et qui me feront connaître les villages qui sont peu chargés dans le Garbieh et le Menoufieh; enfin, de vivre en bonne intelligence avec les scheicks, de maintenir la paix dans le Caire. Je recommande au général Dugua de frapper ferme au premier événement, qu'il fasse couper six têtes par jour; mais riez toujours.
Faites dans ce qui vous concerne tout ce que vous jugerez à propos, en prenant toujours la voie qui approche le moins de la nouveauté.
Croyez à l'estime que je vous ai vouée, et au désir que j'ai de vous en donner des preuves.
Ecrivez-moi le plus souvent que vous pourrez.
BONAPARTE.
Au Caire, le 30 thermidor an 7 (17 août 1799).
Au divan du Caire.
Au nom, etc.
Je pars demain pour me rendre à Menouf, d'où je ferai différentes tournées dans le Delta, afin de voir par moi-même les injustices qui pourraient être commises, et prendre connaissance et des hommes et du pays.
Je vous recommande de maintenir la confiance parmi le peuple. Dites-lui souvent que j'aime les musulmans, et que mon intention est de faire leur bonheur. Faites-leur connaître que j'ai pour conduire les hommes les plus grands moyens, la persuasion et la force; qu'avec l'une, je cherche à faire des amis, qu'avec l'autre je détruis mes ennemis.
Je désire que vous me donniez le plus souvent possible de vos nouvelles, et que vous m'informiez de la situation des choses.
BONAPARTE.
Au Caire, le 30 thermidor an 7 (17 août 1799).
Au général Kléber.
Je renvoie, citoyen général, l'effendi pris à Aboukir à Constantinople, avec une longue lettre pour le grand-visir: c'est une ouverture de négociation que je fais. Faites-le partir sur une djerme pour Chypre, traitez-le bien; mais qu'il ait peu de communication. Faites la plus grande ostension de forces que vous pourrez.
BONAPARTE.
Au Caire, le 30 thermidor an 7 (17 août 1799).
Au général Dugua.
Je vous envoie, citoyen général, une lettre cachetée pour le grand visir, avec une pour le général Kléber.
Vous vous adresserez à Sulfukiar pour faire venir demain chez vous, l'effendi fait prisonnier à Aboukir. Vous le ferez partir pour Damiette, et vous lui remettrez la lettre pour le grand-visir. Vous lui donnerez un officier de votre état-major pour le conduire, et que personne n'ait de communication avec lui; traitez-le cependant avec égards.
BONAPARTE.
Au Caire, le 30 thermidor an 7 (17 août 1799).
Au grand-visir.
Grand parmi les grands éclairés et sages, seul dépositaire de la confiance du plus grand des sultans.
J'ai l'honneur d'écrire à votre excellence par l'effendi qui a été fait prisonnier à Aboukir, et que je lui renvoie pour lui faire connaître la véritable situation de l'Egypte, et entamer des négociations entre la Sublime Porte et la république française, qui puissent mettre fin à la guerre qui se trouve exister pour le malheur de l'un et de l'autre état.
Par quelle fatalité la Porte et la France, amies de tous les temps, et dès-lors par habitude, amies par l'éloignement de leurs frontières, la France ennemie de la Russie et de l'empereur, la Porte ennemie de la Russie et de l'empereur, sont-elles cependant en guerre?
Comment votre excellence ne sentirait-elle pas qu'il n'y a pas un Français de tué qui ne soit un appui de moins pour la Porte?
Comment votre excellence, si éclairée dans la connaissance de la politique et des intérêts des divers états, pourrait-elle ignorer que la Russie et l'empereur d'Allemagne se sont plusieurs fois entendus pour le partage de la Turquie, et que ce n'a été que l'intervention de la France qui l'a empêché?
Votre excellence n'ignore pas que le vrai ennemi de l'islamisme est la Russie. L'empereur Paul 1er s'est fait grand-maître de Malte, c'est-à-dire a fait voeu de faire la guerre aux musulmans: n'est-ce pas lui qui est chef de la religion grecque, c'est-à-dire des plus nombreux ennemis qu'ait l'Islamisme?
La France, au contraire, a détruit les chevaliers de Malte, rompu les chaînes des Turcs qui y étaient détenus en esclavage, et croit, comme l'ordonne l'Islamisme, qu'il n'y a qu'un seul Dieu.
Ainsi donc la Porte a déclaré la guerre à ses véritables amis, et s'est alliée à ses véritables ennemis.
Ainsi donc la Sublime-Porte a été l'amie de la France tant que cette puissance a été chrétienne, lui a fait la guerre dès l'instant que la France, par sa religion, s'est rapprochée de la croyance musulmane. Mais, dit-on, la France a envahi l'Egypte; comme si je n'avais pas toujours déclaré que l'intention de la république française était de détruire les mameloucks, et non de faire la guerre à la Sublime-Porte; était de nuire aux Anglais, et non à son grand et fidèle ami l'empereur Sélim.
La conduite que j'ai tenue envers tous les gens de la Porte qui étaient en Egypte, envers les bâtimens du grand-seigneur, envers les bâtimens de commerce portant pavillon ottoman, n'est-elle pas un sûr garant des intentions pacifiques de la république française?
La Sublime-Porte a déclaré la guerre dans le mois de janvier à la république française avec une précipitation inouïe, sans attendre l'arrivée de l'ambassadeur Descorches, qui déjà était parti de Paris pour se rendre à Constantinople; sans me demander aucune explication, ni répondre à aucune des avances que j'ai faites.
J'ai cependant espéré, quoique sa déclaration de guerre me fût parfaitement connue, pouvoir la faire revenir, et j'ai à cet effet, envoyé le citoyen Beauchamp, consul de la république, sur la caravelle. Pour toute réponse, on l'a emprisonné; pour toute réponse, on a créé des armées, on les a réunies à Gaza, et on leur a ordonné d'envahir l'Egypte. Je me suis trouvé alors obligé de passer le désert, préférant faire la guerre en Syrie, à ce qu'on la fît en Egypte.
Mon armée est forte, parfaitement disciplinée, et approvisionnée de tout ce qui peut la rendre victorieuse des armées, fussent-elles aussi nombreuses que les sables de la mer; des citadelles et des places fortes hérissées de canon se sont élevées sur les côtes et sur les frontières du désert: je ne crains donc rien, et je suis ici invincible; mais je dois à l'humanité, à la vraie politique, au plus ancien, comme au plus vrai des alliés, la démarche que je fais.
Ce que la Sublime-Porte n'obtiendra jamais par la force des armes, elle peut l'obtenir par une négociation. Je battrai toutes les armées, lorsqu'elles projetteront l'envahissement de l'Egypte; mais je répondrai d'une manière conciliante à toutes les ouvertures de négociations qui me seront faites. La république française, dès l'instant que la Sublime-Porte ne fera plus cause commune avec nos ennemis, la Russie et l'Empereur, fera tout ce qui sera en elle pour rétablir la bonne intelligence, et lever tout ce qui pourra être un sujet de désunion entre les deux états.
Cessez donc des armemens dispendieux et inutiles; vos ennemis ne sont pas en Egypte, ils sont sur le Bosphore, ils sont à Corfou, ils sont aujourd'hui par votre extrême imprudence au milieu de l'Archipel.
Radoubez et réarmez vos vaisseaux; reformez vos équipages; tenez-vous prêt à déployer bientôt l'étendard du prophète, non contre la France, mais contre les Russes et les Allemands qui rient de la guerre que nous nous faisons, et qui, lorsque vous aurez été affaibli, lèveront la tête, et déclareront bien haut les prétentions qu'ils ont déjà.
Vous voulez l'Egypte, dit-on; mais l'intention de la France n'a jamais été de vous l'ôter.
Chargez votre ministre à Paris de vos pleins pouvoirs, ou envoyez quelqu'un chargé de vos intentions ou de vos pleins pouvoirs en Egypte. On pourra, en deux heures d'entretien tout arranger: c'est là le seul moyen de rasseoir l'empire musulman, en lui donnant la force contre ses véritables ennemis, et de déjouer leurs projets perfides; ce qui, malheureusement, leur a déjà si fort réussi.
Dites un mot, nous fermons la mer Noire à la Russie, et nous cesserons d'être le jouet de cette puissance ennemie que nous avant tant de sujets de haïr, et je ferai tout ce qui pourra vous convenir.
Ce n'est pas contre les musulmans que les armées françaises aiment à déployer, et leur tactique, et leur courage; mais c'est, au contraire, réunies à des musulmans, qu'elles doivent un jour, comme cela a été de tout temps, chasser leurs ennemis communs.
Je crois en avoir assez dit par cette lettre à votre excellence; elle peut faire venir auprès d'elle le citoyen Beauchamp, que l'on m'assure être détenu dans la mer Moire. Elle peut prendre tout autre moyen pour me faire connaître ses intentions.
Quant à moi, je tiendrai pour le plus beau jour de ma vie celui où je pourrai contribuer à faire terminer une guerre à la fois impolitique et sans objet.
Je prie votre excellence de croire à l'estime et à la considération distinguée que j'ai pour elle.
BONAPARTE.
Menouf, le 2 fructidor an 7 (19 août 1799).
Au général Dugua.
Désirant m'assurer par moi-même des mouvemens de la côte, et être à même de combiner le rapport qu'il pourrait y avoir entre l'augmentation de voiles qui pourront paraître à Damiette avec celles qui disparaîtront d'Aboukir, je vais voir s'il m'est possible de descendre par les canaux jusqu'à Bourlos. J'enverrai prendre mes dépêches à Rosette, où vous pourrez m'adresser tout ce qu'il y aura de nouveau, et, s'il y avait quelque chose de très-urgent, envoyez-moi des duplicata à Rosette, Menouf et Damiette.
BONAPARTE.
Menouf, le 2 fructidor an 7 (19 août 1799).
Au général Kléber.
Je reçois, citoyen général, votre lettre du 27. Je suis à peu près certain qu'il n'y a dans la Méditerranée aucun armement considérable dirigé contre nous. Ainsi, les vingt-quatre bâtimens mouillés devant Damiette, ou sont les mêmes qui étaient à Aboukir, et ont quitté cette rade, ou c'est une arrière-garde que le pacha attendait et qui porte fort peu de monde.
La division Reynier, réorganisée avec une bonne artillerie, se portera contre ce qui pourrait venir du côté de la Syrie. Je destine pour le même objet les mille ou douze cents hommes de cavalerie que j'ai au Caire prêts à marcher.
Je me rends à Rosette, où je me trouverai bien au fait de tous les mouvemens de la côte, depuis la tour des Arabes, jusqu'à El-Arich. Si vous avez besoin de quelque secours, je vous ferai passer des troupes qui se trouvent dans le Bahhireh et à Alexandrie, désirant tenir intactes les divisions Reynier, Bon et Lannes pour s'opposer à ce qui pourrait venir par terre, quoique les derniers renseignement que j'ai, me tranquillisent entièrement. J'ai le quinzième de dragons et différens détachemens de cavalerie dans le Bahhireh.
Vous recevrez cette lettre le 3 ou le 4; partez, je vous prie, sur-le-champ, pour vous rendre, de votre personne, à Rosette, si vous ne voyez aucun inconvénient à vous absenter de Damiette: sans quoi, envoyez moi un de vos aides-de-camp: je désirerais qu'il pût arriver à Rosette dans la journée du 7. J'ai à conférer avec vous sur des affaires extrêmement importantes.
Vous devez avoir reçu l'effendi ou commissaire de l'armée, fait prisonnier à Aboukir, et que j'envoie à Constantinople.
BONAPARTE.
Alexandrie, le 5 fructidor an 7 (22 août 1799).
Au divan du Caire.
Ayant été instruit que mon escadre était prête, et qu'une armée formidable était embarquée dessus, convaincu, comme je vous l'ai dit plusieurs fois, que, tant que je ne frapperai pas un coup qui écrase à la fois tous mes ennemis, je ne pourrai jouir tranquillement et paisiblement de la possession de l'Egypte, la plus belle partie du monde; j'ai pris le parti d'aller me mettre moi-même à la tête de mon escadre, en laissant le commandement, pendant mon absence, au général Kléber, homme d'un mérite distingué et auquel j'ai recommandé d'avoir pour les ulémas et les scheicks la même amitié que moi. Faites ce qui vous sera possible pour que le peuple de l'Egypte ait en lui la même confiance qu'en moi, et qu'à mon retour, qui sera dans deux ou trois mois, je sois content du peuple de l'Egypte, et que je n'aie que des louanges et des récompenses à donner aux scheicks.
BONAPARTE.
Alexandrie, le 5 fructidor an 7 (22 août 1799).
A l'armée.
Les nouvelles d'Europe m'ont décidé à partir pour la France. Je laisse le commandement de l'armée au général Kléber. L'armée aura bientôt de mes nouvelles, je ne puis pas en dire davantage. Il me coûte de quitter des soldats auxquels je suis le plus attaché; mais ce ne sera que momentanément, et le général que je leur laisse à la confiance du gouvernement et la mienne.
BONAPARTE.
Alexandrie, le 5 fructidor an 7 (22 août 1799).
Au général Menou.
Vous vous rendrez de suite à Alexandrie, citoyen général; vous prendrez le commandement d'Alexandrie, Rosette et Bahhireh.
Je pars ce soir pour France, le général Kléber doit être rendu dans deux ou trois jours à Rosette; vous lui ferez passer le pli ci joint, dont je vous envoie un double, que vous lui ferez passer par une occasion très-sûre.
Le général Marmont part avec moi. Je vous prie, pour empêcher les faux bruits, d'envoyer au général Kléber un bulletin de notre navigation, jusqu'à ce qu'on n'ait plus connaissance des frégates.
Vous préviendrez le général Kléber que la djerme la Boulonnaise est à Rahmanieh.
Je laisse ici quatre-vingts chevaux des guides à cheval sellés, que vous ferez passer au Caire pour monter le reste des guides et de la cavalerie.
Vous ne ferez partir la lettre ci-jointe, pour le général Dugua et pour le Caire, que quarante-huit heures après que les frégates auront disparu.
BONAPARTE.
Alexandrie, le 5 fructidor an 7 (22 août 1799).
Au général Kléber.
Vous trouverez ci-joint, citoyen général, un ordre pour prendre le commandement en chef de l'armée. La crainte que la croisière anglaise ne reparaisse d'un moment à l'autre me fait précipiter mon voyage de deux ou trois jours.
J'emmène avec moi les généraux Berthier, Andréossi, Murat, Lannes et Marmont, et les citoyens Monge et Berthollet.
Vous trouverez ci-joint les papiers anglais et de Francfort jusqu'au 10 juin. Vous y verrez que nous avons perdu l'Italie; que Mantoue, Turin et Tortone sont bloqués. J'ai lieu d'espérer que la première tiendra jusqu'à la fin de novembre. J'ai l'espérance, si la fortune me sourit, d'arriver en Europe avant le commencement d'octobre.
Vous trouverez ci-joint un chiffre pour correspondre avec le gouvernement, et un autre chiffre pour correspondre avec moi.
Je vous prie de faire partir, dans le courant d'octobre, Junot ainsi que mes domestiques et tous les effets que j'ai laissés au Caire; cependant, je ne trouverai pas mauvais que vous engagiez à votre service ceux de mes domestiques qui vous conviendraient.
L'intention du gouvernement est que le général Desaix parte pour l'Europe dans le courant de novembre, à moins d'événemens majeurs.
La commission des arts passera en France sur un parlementaire que vous demanderez à cet effet, conformément au cartel d'échange, dans le courant de novembre, immédiatement après qu'elle aura achevé sa mission. Elle est maintenant occupée à voir la Haute-Egypte; cependant ceux de ses membres que vous jugerez pouvoir vous être utiles, vous les mettrez en réquisition sans difficulté.
L'effendi fait prisonnier à Aboukir est parti pour se rendre à Damiette. Je vous ai écrit de l'envoyer en Chypre; il est porteur, pour le grand-visir, d'une lettre dont vous trouverez ci-joint la copie.
L'arrivée de notre escadre de Brest à Toulon, et de l'escadre espagnole à Carthagène, ne laisse plus de doute sur la possibilité de faire passer en Egypte les fusils, les sabres, les pistolets, fers coulés dont vous pourriez avoir besoin, et dont j'ai l'état le plus exact, avec une quantité de recrues suffisante pour réparer les pertes des deux campagnes.
Le gouvernement vous fera connaître alors lui-même ses intentions, et moi, comme homme public et comme particulier, je prendrai des mesures pour vous faire avoir fréquemment des nouvelles. Si, par des événemens incalculables, toutes les tentatives étaient infructueuses, et qu'au mois de mai vous n'ayez reçu aucun secours ni nouvelles de France, et si, malgré toutes les précautions, la peste était en Egypte cette année et vous tuait plus de quinze cents soldats, perte considérable, puisqu'elle serait en sus de celles que les événemens de la guerre vous occasionneront journellement: je pense que, dans ce cas, vous ne devez pas hasarder de soutenir la campagne, et que vous êtes autorisé à conclure la paix avec la Porte-Ottomane, quand même la condition principale serait l'évacuation de l'Egypte. Il faudrait seulement éloigner l'exécution de cette condition, si cela était possible, jusqu'à la paix générale.
Vous savez apprécier aussi bien que moi combien la possession de l'Egypte est importante à la France: cet empire turc qui menace ruine de tous côtés, s'écroule aujourd'hui, et l'évacuation de l'Egypte serait un malheur d'autant plus grand, que nous verrions de nos jours cette belle province passer en d'autres mains européennes.
Les nouvelles des succès ou des revers qu'aura la république, doivent aussi entrer puissamment dans vos calculs.
Si la Porte répondait, avant que vous eussiez reçu de mes nouvelles de France, aux ouvertures de paix que je lui ai faites, vous devez déclarer que vous avez tous les pouvoirs que j'avais et entamer les négociations: persistant toujours dans l'assertion que j'ai avancée, que l'intention de la France n'a jamais été d'enlever l'Egypte à la Porte; demander que la Porte sorte de la coalition et nous accorde le commerce de la mer Noire; qu'elle mette en liberté les Français prisonniers; et enfin, six mois de suspension d'armes, afin que, pendant ce temps-là, l'échange des ratifications puisse avoir lieu.
Supposant que les circonstances soient telles que vous croyez devoir conclure ce traité avec la Porte, vous ferez sentir que vous ne pouvez pas le mettre à exécution, qu'il ne soit ratifié; et, selon l'usage de toutes les nations, l'intervalle entre la signature d'un traité et sa ratification, doit toujours être une suspension d'hostilité.
Vous connaissez, citoyen général, quelle est ma manière de voir sur la politique intérieure de l'Egypte: quelque chose que vous fassiez, les chrétiens seront toujours nos amis. Il faut les empêcher d'être trop insolens, afin que les Turcs n'aient pas contre nous le même fanatisme que contre les chrétiens, ce qui nous les rendrait irréconciliables. Il faut endormir le fanatisme, avant qu'on puisse le déraciner. En captivant l'opinion des grands scheicks du Caire, on a l'opinion de toute l'Egypte; et, de tous les chefs que ce peuple peut avoir, il n'y en a aucun moins dangereux que des scheicks qui sont peureux, ne savent pas se battre, et qui, comme tous les prêtres, inspirent le fanatisme sans être fanatiques.
Quant aux fortifications d'Alexandrie, El-Arich, voilà les clefs de l'Egypte. J'avais le projet de faire établir cet hiver des redoutes de palmiers, deux depuis Salahieh à Catieh, deux de Catieh à El-Arich: l'une se serait trouvée à l'endroit où le général Menou a trouvé de l'eau potable.
Le général Samson, commandant du génie, et le général Songis, commandant l'artillerie, vous mettront chacun au fait de ce qui regarde sa partie.
Le citoyen Poussielgue a été exclusivement chargé des finances, je l'ai reconnu travailleur et homme de mérite. Il commence à avoir quelques renseignemens sur le chaos de l'administration de l'Egypte. J'avais le projet, si aucun nouvel événement ne survenait, de tâcher d'établir cet hiver un nouveau mode d'imposition, ce qui nous aurait permis de nous passer à peu près des Cophtes; cependant, avant de l'entreprendre, je vous conseille d'y réfléchir long-temps. Il vaut mieux entreprendre cette opération un peu plus tard qu'un peu trop tôt.
Des vaisseaux de guerre français paraîtront cet hiver indubitablement à Alexandrie, Bourlos ou Damiette. Faites construire une bonne tour à Bourlos; tâchez de réunir cinq ou six cents mameloucks que, lorsque les vaisseaux français seront arrivés, vous ferez en un jour arrêter au Caire et dans les autres provinces, et embarquer pour la France. Au défaut de mameloucks, des ôtages d'Arabes, des scheicks Belet qui, pour une raison quelconque, se trouveraient arrêtés, pourront y suppléer. Ces individus arrivés en France, y seront retenus un ou deux ans, verront la grandeur de la nation, prendront quelques idées de nos moeurs et de notre langue, et, de retour en Egypte, y formeront autant de partisans.
J'avais déjà demandé plusieurs fois une troupe de comédiens: je prendrai un soin particulier de vous en envoyer. Cet article est très-important pour l'armée, et pour commencer à changer les moeurs du pays.
La place importante que vous aller occuper en chef va vous mettre à même enfin de déployer les talens que la nature vous a donnés. L'intérêt de ce qui se passera ici est vif, et les résultats en seront immenses pour le commerce, pour la civilisation; ce sera l'époque d'où dateront de grandes révolutions.
Accoutumé à voir la récompense des peines et des travaux de la vie dans l'opinion de la postérité, j'abandonne avec le plus grand regret l'Egypte. L'intérêt de la patrie, sa gloire, l'obéissance, les événemens extraordinaires qui viennent de se passer, me décident seuls à passer au milieu des escadres ennemies pour me rendre en Europe. Je serai d'esprit et de coeur avec vous. Vos succès me seront aussi chers que ceux où je me trouverais en personne, et je regarderai comme mal employés tous les jours de ma vie où je ne ferai pas quelque chose pour l'armée dont je vous laisse le commandement, et pour consolider le magnifique établissement dont les fondemens viennent d'être jetés.
L'armée que je vous confie est toute composée de mes enfans; j'ai eu dans tous les temps, même au milieu des plus grandes peines, des marques de leur attachement. Entretenez-les dans ces sentimens, vous le devez à l'estime et à l'amitié toute particulière que j'ai pour vous et à l'attachement vrai que je leur porte.
BONAPARTE.
FIN DU DEUXIÈME LIVRE.
LIVRE TROISIÈME.
CONSULAT.
Paris, le 18 brumaire an 8 (9 novembre 1799).
Bonaparte, général en chef, aux citoyens composant la garde nationale sédentaire de Paris.
Citoyens, le Conseil des Anciens, dépositaire de la sagesse nationale, vient de rendre le décret ci-joint2; il est autorisé par les articles 102 et 103 de l'acte constitutionnel.
Il me charge de prendre les mesures nécessaires pour la sûreté de la représentation nationale. Sa translation est nécessaire et momentanée. Le corps législatif se trouvera à même de tirer la représentation du danger imminent où la désorganisation de toutes les parties de l'administration nous conduit.
Il a besoin, dans cette circonstance essentielle, de l'union et de la confiance des patriotes. Ralliez-vous autour de lui: c'est le seul moyen d'asseoir la république sur les bases de la liberté civile, du bonheur intérieur, de la victoire et de la paix.
BONAPARTE.
Footnote 2: (return) Par ce décret rendu le 17 brumaire, le Conseil des Anciens chargeait le général Bonaparte de prendre toutes les mesures nécessaires à la sûreté de la représentation nationale, transférée à Saint-Cloud.
Au quartier-général de Paris, le 18 brumaire an 8 (9 novembre 1799).
Aux soldats composant la force armée de Paris.
Soldats, le décret extraordinaire du Conseil des Anciens est conforme aux art. 102 et 103 de l'acte constitutionnel. Il m'a remis le commandement de la ville et de l'armée.
Je l'ai accepté pour seconder les mesures qu'il va prendre et qui sont tout entières en faveur du peuple.
La république est mal gouvernée depuis deux ans. Vous avez espéré que mon retour mettrait un terme à tant de maux; vous l'avez célébré avec une union qui m'impose des obligations que je remplis; vous remplirez les vôtres et vous seconderez votre général avec l'énergie, la fermeté et la confiance que j'ai toujours vues en vous.
La liberté, la victoire et la paix replaceront la république française au rang qu'elle occupait en Europe, et que l'ineptie ou la trahison a pu seule lui faire perdre.
Vive la république!
BONAPARTE.
3Paris, 18 et 19 brumaire an 8 (9 et 10 novembre 1799).
Footnote 3: (return) Nous rapporterons sous cette date les discours tenus par Bonaparte dans ces deux journées mémorables qui devaient changer la face de la France. Ils seront un jour recueillis par l'histoire, car les moindres phrases qui les composent portent l'empreinte de cette âme ambitieuse et extraordinaire qui devait donner des fers à toute l'Europe.
(Barras, l'un des cinq directeurs, effrayé de la tournure que prenaient les affaires, envoya, dans la matinée, à Saint-Cloud son secrétaire Bottot, afin de savoir de Bonaparte ses intentions. Le général, entouré d'une foule de militaires de tout grade, le reçut avec hauteur, et lui parlant comme s'il se fût adressé au Directoire, il lui tint ce foudroyant langage):
Qu'avez-vous fait de cette France que je vous ai laissée si brillante? Je vous ai laissé la paix, j'ai retrouvé la guerre: je vous ai laissé des victoires, j'ai retrouvé des revers: je vous ai laissé les millions de l'Italie, et j'ai trouvé partout des lois spoliatrices et la misère. Qu'avez-vous fait de cent mille Français que je connaissais, tous mes compagnons de gloire? Ils sont morts.
Cet état de chose ne peut durer: avant trois ans il nous mènerait au despotisme; mais nous voulons la république, la république assise sur les bases de l'égalité, de la morale, de la liberté civile et de la tolérance politique. Avec une bonne administration, tous les individus oublieront les factions dont on les fit membres, pour leur permettre d'être français. Il est temps enfin que l'on rende aux défenseurs de la patrie la confiance à laquelle ils ont tant de droits. A entendre quelques factieux, bientôt nous serions tous les ennemis de la république, nous qui l'avons affermie par nos travaux et notre courage. Nous ne voulons pas de gens plus patriotes que les braves qui sont mutilés au service de la république.
(Le Conseil des Anciens s'assembla le 19 brumaire à deux heures, dans la grande galerie du château de Saint-Cloud. A quatre heures, le général Bonaparte fut introduit, et ayant reçu du président le droit de parler, il s'exprima ainsi:)
Représentans du peuple, vous n'êtes point dans des circonstances ordinaires; vous êtes sur un volcan. Permettez-moi de vous parler avec la franchise d'un soldat, avec celle d'un citoyen zélé pour le bien de son pays, et suspendez, je vous en prie, votre jugement jusqu'à ce que vous m'ayez entendu jusqu'à la fin.
J'étais tranquille à Paris, lorsque je reçus le décret du Conseil des Anciens, qui me parla de ses dangers, de ceux de la république. A l'instant j'appelai, je retrouvai mes frères d'armes, et nous vînmes vous donner notre appui; nous vînmes vous offrir les bras de la nation, parce que vous en étiez la tête. Nos intentions furent pures, désintéressées; et pour prix du dévouement que nous avons montré hier, aujourd'hui déjà on nous abreuve de calomnies. On parle d'un nouveau César, d'un nouveau Cromwell; on répand que je veux établir un gouvernement militaire.
Représentans du peuple, si j'avais voulu opprimer la liberté de mon pays; si j'avais voulu usurper l'autorité suprême, je ne me serais pas rendu aux ordres que vous m'avez donnés, je n'aurais pas eu besoin de recevoir cette autorité du sénat. Plus d'une fois, et dans des circonstances très-favorables, j'ai été appelé à la prendre. Après nos triomphes en Italie, j'y ai été appelé par le voeu de mes camarades, par celui de ces soldats qu'on a tant maltraités, depuis qu'ils ne sont plus sous mes ordres, de ces soldats qui sont obligés, encore aujourd'hui, d'aller faire dans les déserts de l'Ouest, une guerre horrible que la sagesse et le retour aux principes avaient calmée, et que l'ineptie ou la trahison viennent de rallumer.
Je vous le jure, représentans du peuple, la patrie n'a pas de plus zélé défenseur que moi; je me dévoue tout entier pour faire exécuter vos ordres; mais c'est sur vous seuls que repose son salut; car il n'y a plus de directoire; quatre des membres qui en faisaient partie ont donné leur démission, et le cinquième a été mis en surveillance pour sa sûreté. Les dangers sont pressans, le mal s'accroît; le ministre de la police vient de m'avertir que dans la Vendée plusieurs places étaient tombées entre les mains des chouans. Représentans du peuple, le Conseil des Anciens est investi d'un grand pouvoir; mais il est encore animé d'une plus grande sagesse; ne consultez qu'elle et l'imminence du danger, prévenez les déchiremens, évitons de perdre ces deux choses pour lesquelles nous avons fait tant de sacrifices, la liberté et l'égalité!...
(Interrompu par un membre qui lui rappelait la constitution, Bonaparte continua de cette manière:)
La constitution! vous l'avez violée au 18 fructidor; vous l'avez violée au 22 floréal; vous l'avez violée au 30 prairial. La constitution! elle est invoquée par toutes les factions, et elle a été violée par toutes; elle est méprisée par toutes; elle ne peut plus être pour nous un moyen de salut, parce qu'elle n'obtient plus le respect de personne. Représentans du peuple, vous ne voyez pas en moi un misérable intrigant qui se couvre d'un masque hyprocrite. J'ai fait mes preuves de dévouement à la république, et toute dissimulation m'est inutile. Je ne vous tiens ce langage que parce que je désire que tant de sacrifices ne soient pas perdus. La constitution, les droits du peuple ont été violés plusieurs fois: et puisqu'il ne nous est plus permis de rendre à cette constitution le respect qu'elle devait avoir, sauvons les bases sur lesquelles elle se repose; sauvons l'égalité, la liberté; trouvons des moyens d'assurer à chaque homme la liberté qui lui est due et que la constitution n'a pas su lui garantir. Je vous déclare qu'aussitôt que les dangers qui m'ont fait confier des pouvoirs extraordinaires, seront passés, j'abdiquerai ces pouvoirs. Je ne veux être, à l'égard de la magistrature que vous aurez nommée, que le bras qui la soutiendra et fera exécuter ses ordres.
(Un membre demande que le général Bonaparte fournisse des preuves des dangers qu'il annonce.)
Bonaparte. S'il faut s'expliquer tout-à-fait; s'il faut nommer les hommes, je les nommerai; je dirai que les directeurs Barras et Moulins m'ont proposé de me mettre à la tête d'un parti tendant à renverser tous les hommes qui ont des idées libérales...
(On discute si Bonaparte continuera de s'énoncer publiquement et si l'assemblée ne se formera pas en comité secret. Il est décidé que le général sera entendu en public.)
Bonaparte. Je vous le répète, représentans du peuple; la constitution, trois fois violée, n'offre plus de garantie aux citoyens; elle ne peut entretenir l'harmonie, parce qu'il n'y a plus de diapazon; elle ne peut point sauver la patrie, parce qu'elle n'est respectée de personne. Je le répète encore, qu'on ne croie point que je tiens ce langage pour m'emparer du pouvoir après la chute des autorités; le pouvoir, on me l'a offert encore depuis mon retour à Paris. Les différentes factions sont venues sonner à ma porte, je ne les ai pas écoutées, parce que je ne suis d'aucune cotterie, parce que je ne suis que du grand parti du peuple français.
Plusieurs membres du Conseil des Anciens savent que je les ai entretenus des propositions qui ont été faites, et je n'ai accepté l'autorité que vous m'avez confiée que pour soutenir la cause de la république. Je ne vous le cache pas, représentans du peuple, en prenant le commandement, je n'ai compté que sur le Conseil des Anciens. Je n'ai point compté sur le Conseil des Cinq-cents qui est divisé, sur le Conseil des Cinq-cents où se trouvent des hommes qui voudraient nous rendre la convention, les comités révolutionnaires et les échafauds; sur le Conseil des Cinq-cents où les chefs de ce parti viennent de prendre séance en ce moment; sur le Conseil des Cinq-cents, d'où viennent de partir des émissaires chargés d'aller organiser un mouvement à Paris.
Que ces projets criminels ne vous effrayent point, représentans du peuple: environné de mes frères d'armes, je saurai vous en préserver; j'en atteste votre courage, vous mes braves camarades, vous aux yeux de qui l'on voudrait me peindre comme un ennemi de la liberté; vous grenadiers dont j'aperçois les bonnets, vous braves soldats dont j'aperçois les baïonnettes que j'ai si souvent fait tourner à la houle de l'ennemi, à l'humiliation des rois, que j'ai employées à fonder des républiques; et si quelqu'orateur, payé par l'étranger, parlait de me mettre hors la loi, qu'il prenne garde de porter cet arrêt contre lui-même! S'il parlait de me mettre hors la loi, j'en appellerais à vous, mes braves compagnons d'armes; à vous, braves soldats que j'ai tant de fois menés à la victoire; à vous, braves défenseurs de la république avec lesquels j'ai partagé tant de périls pour affermir la liberté et l'égalité: je m'en remettrais, mes braves amis, au courage de vous tous et à ma fortune.
Je vous invite, représentans du peuple, à vous former en comité général, et à y prendre des mesures salutaires que l'urgence des dangers commande impérieusement. Vous trouverez toujours mon bras pour faire exécuter vos résolutions.
(Le président invite le général, au nom du conseil, à dévoiler dans toute son étendue le complot dont la république était menacée.)
Bonaparte. J'ai eu l'honneur de dire au Conseil que la constitution ne pouvait sauver la patrie, et qu'il fallait arriver à un ordre de chose tel que nous puissions la retirer de l'abîme où elle se trouve. La première partie de ce que je viens de vous répéter, m'a été dite par les deux membres du directoire que je vous ai nommés, et qui ne seraient pas plus coupables qu'un très-grand nombre d'autres Français, s'ils n'eussent fait qu'articuler une chose qui est connue de la France entière. Puisqu'il est reconnu que la constitution ne peut pas sauver la république, hâtez-vous donc de prendre des moyens pour la retirer du danger, si vous ne voulez pas recevoir de sanglans et d'éternels reproches du peuple français, de vos familles et de vous-mêmes.
(Le général se retire sans vouloir s'expliquer davantage.)
Paris, 19 brumaire an 8, à onze heures du soir (10 novembre 1799).
Proclamation du général Bonaparte au peuple français.
A mon retour à Paris, j'ai trouvé la division dans toutes les autorités, et l'accord établi sur cette seule vérité, que la constitution, était à moitié détruite, et ne pouvait sauver la liberté.
Tous les partis sont venus à moi, tous m'ont confié leurs desseins, dévoilé leurs secrets, et ont demandé mon appui; j'ai refusé d'être l'homme d'un parti.
Le Conseil des Anciens m'a appelé; j'ai répondu à son appel. Un plan de restauration générale avait été concerté par des hommes en qui la nation est accoutumée à voir des défenseurs de la liberté, de l'égalité, de la propriété: ce plan demandait un examen calme, libre, exempt de toute influence et de toute crainte. En conséquence le Conseil des Anciens a résolu la translation du corps-législatif à Saint-Cloud; il m'a chargé de la disposition de la force nécessaire à son indépendance. J'ai cru devoir à mes concitoyens, aux soldats périssant dans nos armées, à la gloire nationale acquise au prix de leur sang, d'accepter le commandement.
Les Conseils se rassemblent à Saint-Cloud; les troupes républicaines garantissent la sûreté au dehors; mais des assassins établissent la terreur au dedans; plusieurs députés du Conseil des Cinq-cents, armés de stilets et d'armes à feu, font circuler autour d'eux des menaces de mort.
Les plans qui devaient être développés sont resserrés, la majorité désorganisée, les orateurs les plus intrépides déconcertés, et l'inutilité de toute proposition sage, évidente.
Je porte mon indignation et ma douleur au Conseil des Anciens, je lui demande d'assurer l'exécution de ses généreux desseins; je lui représente les maux de la patrie qui les lui ont fait concevoir: il s'unit à moi par de nouveaux témoignages de sa constante volonté.
Je me présente au Conseil des Cinq-cents, seul, sans armes, la tête découverte, tel que les Anciens m'avaient reçu et applaudi; je venais rappeler à la majorité ses volontés, et l'assurer de son pouvoir.
Les stilets qui menaçaient les députés, sont aussitôt levés sur leur libérateur; vingt assassins se précipitent sur moi et cherchent ma poitrine: les grenadiers du corps législatif, que j'avais laissés à la porte de la salle, accourent et se mettent entre les assassins et moi. L'un de ces braves grenadiers (Thomé) est frappé d'un coup de stylet, dont ses habits sont percés. Ils m'enlèvent.
Au même moment les cris de hors la loi se font entendre contre le défenseur de la loi. C'était le cri farouche des assassins, contre la force destinée à les réprimer.
Ils se pressent autour du président, la menace à la bouche: les armes à la main, ils lui ordonnent de prononcer le hors la loi: l'on m'avertit; je donne ordre de l'arracher à leur fureur, et six grenadiers du corps législatif s'en emparent. Aussitôt après des grenadiers du corps législatif entrent au pas de charge dans la salle et la font évacuer.
Les factieux intimidés se dispersent et s'éloignent. La majorité soustraite à leurs coups, rentre librement et paisiblement dans la salle de ses séances, entend les propositions qui devaient lui être faites pour le salut public, délibère et prépare la résolution salutaire qui doit devenir la loi nouvelle et provisoire de la république.
Français! vous reconnaissez sans doute à cette conduite le zèle d'un soldat de la liberté, d'un citoyen dévoué à la république. Les idées conservatrices, tutélaires, libérales, sont rentrées dans leurs droits par la dispersion des factieux qui opprimaient les Conseils, et qui, pour être devenus les plus odieux des hommes, n'ont pas cessé d'être les plus méprisables.
BONAPARTE.
Au quartier-général à Paris, le 20 brumaire an 8 (11 novembre 1799).
A l'armée.
Le général Lefebvre conserve le commandement de la dix-septième division militaire.
Les troupes rentreront dans leurs quartiers respectifs; le service se fera comme à l'ordinaire.
Le général Bonaparte est très-satisfait de la conduite des troupes de ligne, des invalides, des gardes nationales sédentaires, qui, dans la journée d'hier, si heureuse pour la république, se sont montrés les vrais amis du peuple; il témoigne sa satisfaction particulière aux braves grenadiers près la représentation nationale, qui se sont couverts de gloire en sauvant la vie à leur général prêt à tomber sous les coups de représentans armés de poignards.
BONAPARTE.
Paris, le 21 brumaire an 8 (12 novembre 1799).
Au peuple français.
La constitution de l'an III périssait; elle n'avait su, ni garantir vos droits, ni se garantir elle-même. Des atteintes multipliées lui ravissaient sans retour le respect du peuple; des factions haineuses et cupides se partageaient la république. La France approchait enfin du dernier terme d'une désorganisation générale.
Les patriotes se sont entendus. Tout ce qui pouvait vous nuire a été écarté; tout ce qui pouvait vous servir, tout ce qui était resté pur dans la représentation nationale s'est réuni sous les bannières de la liberté.
Français, la république, raffermie et replacée dans l'Europe au rang qu'elle n'aurait jamais dû perdre, verra se réaliser toutes les espérances des citoyens, et accomplira ses glorieuses destinées.
Prêtez avec nous le serment que nous faisons d'être fidèles à la république, une et indivisible, fondée sur l'égalité, la liberté et le système représentatif.
Par les consuls de la république.
ROGER-DUCOS, BONAPARTE, SYEYES.
Paris, le 21 brumaire an 8 (12 novembre 1799).
Au citoyen Quinette.
Les consuls de la république, citoyen, viennent de nommer le citoyen Laplace au ministère de l'intérieur. Vous voudrez bien, en conséquence, lui faire la remise du portefeuille. Il a ordre de se rendre de suite, à cet effet, à la maison de votre ministère.
Les consuls de la république, connaissant les services que vous avez constamment rendus, et se souvenant que votre dévouement, dans une circonstance difficile, vous a valu d'honorables souffrances, saisiront toutes les occasions de faire quelque chose qui puisse vous convenir.
Par les consuls de la république.
ROGER-DUCOS, BONAPARTE, SYEYES.
Paris, le 24 brumaire an 8 (15 novembre 1799).
A la commission législative du conseil des Cinq-cents.
Citoyens représentans.
Par un rapport joint au présent message, le ministre des finances vient d'exposer aux consuls de la république la nécessité de rapporter la loi sur l'emprunt forcé, et de lui substituer une subvention de guerre, réglée dans la proportion des vingt-cinq centimes des contributions foncière, mobilière et somptuaire.
En conformité de l'art. 9 de la loi du 19 de ce mois, les consuls de la république vous font la proposition formellement nécessaire de statuer sur cet objet.
Par les consuls de la république.
ROGER-DUCOS, BONAPARTE, SYEYES.
Paris, le 1er frimaire an 8 (22 novembre 1799).
A la commission législative du conseil des Cinq-cents.
Citoyens représentans.
L'article 3 de la capitulation conclue entre le général Bonaparte et le grand maître de l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem, lors de la conquête de l'île de Malte, porte: «Les chevaliers de l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem, qui sont français, actuellement à Malte, et dont l'état sera arrêté par le général en chef, pourront rentrer dans leur patrie, et leur résidence sera comptée comme une résidence en France.»
Cependant une loi du 28 mars 1793 avait assimilé les chevaliers de l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem aux étrangers, et déclaré qu'on ne pouvait opposer comme excuse ou prétexte d'absence la résidence à Malte. La loi du 25 brumaire an 5, confirmant cette disposition, avait ensuite établi que la résidence en pays conquis et réunis, ne comptait que depuis la conquête.
L'article 3 de la capitulation a donc changé à cet égard la condition des chevaliers nés français, qui se trouvaient à Malte au moment de la conquête. Ils ont obtenu par une prompte adhésion aux volontés d'une armée victorieuse, que la résidence à Malte produisît pour eux les mêmes effets que la résidence en France, sans qu'on pût en induire que ceux qui ne prouveraient pas qu'ils ont constamment résidé, soit en France, soit à Malte, depuis l'époque du 9 mai 1792, fixée par les lois pour la résidence de tous les Français, eussent droit au bénéfice de la capitulation; ils se trouvaient au contraire dans le cas où les lois exigent l'exclusion du territoire de la république.
Les consuls de la république, empressés de signaler leur respect pour la foi publique, vous adressent, citoyens représentans, la proposition formelle et nécessaire de donner la force législative à un acte qui assura les fruits de la victoire, en épargnant le sang des braves de l'armée d'Orient.
Par les consuls de la république.
ROGER-DUCOS, BONAPARTE, SYEYES.
Paris, le 4 nivose an 8 (25 décembre 1799).
Bonaparte, premier consul de la république, aux Français.
Rendre la république chère aux citoyens, respectable aux étrangers, formidable aux ennemis, telles sont les obligations que nous avons contractées en acceptant la première magistrature.
Elle sera chère aux citoyens, si les lois, si les actes de l'autorité sont toujours empreints de l'esprit d'ordre, de justice, de modération.
Sans l'ordre, l'administration n'est qu'un chaos; point de finances, point de crédit public; et avec la fortune de l'état s'écroulent les fortunes particulières. Sans justice, il n'y a que des partis, des oppresseurs et des victimes.
La modération imprime un caractère auguste aux gouvernemens comme aux nations. Elle est toujours la compagne de la force et de la durée des institutions sociales.
La république sera imposante aux étrangers, si elle sait respecter dans leur indépendance le titre de sa propre indépendance; si ses engagemens préparés par la sagesse, formés par la franchise, sont gardés par la fidélité.
Elle sera enfin formidable aux ennemis, si ses armées de terre et de mer sont fortement constituées, si chacun de ses défenseurs trouve une famille dans le corps auquel il appartient, et dans cette famille un héritage de vertus et de gloire; si l'officier formé par de longues études, obtient par un avancement régulier la récompense due à ses talens et à ses services.
A ces principes tiennent la stabilité du gouvernement, les succès du commerce et de l'agriculture, la grandeur et la prospérité des nations.
En les développant, nous avons tracé la règle qui doit nous juger. Français, nous vous avons dit nos devoirs; ce sera vous qui nous direz si nous les avons remplis.
BONAPARTE.
Paris, le 4 nivose an 8 (25 décembre 1799).
Aux soldats français.
Soldats! en promettant la paix au peuple français, j'ai été votre organe; je connais votre valeur.
Vous êtes les mêmes hommes qui conquirent la Hollande, le Rhin, l'Italie, et donnèrent la paix sous les murs de Vienne étonnée.
Soldats, ce ne sont plus vos frontières qu'il faut défendre, ce sont les états ennemis qu'il faut envahir.
Il n'est aucun de vous qui n'ait fait plusieurs campagnes, qui ne sache que la qualité la plus essentielle d'un soldat est de savoir supporter les privations avec constance. Plusieurs années d'une mauvaise administration ne peuvent être réparées dans un jour.
Premier magistrat de la république, il me sera doux de faire connaître à la nation entière les corps qui mériteront, par leur valeur et leur discipline, d'être proclamés les soutiens de la patrie.
Soldats, lorsqu'il en sera temps je serai au milieu de vous, et l'Europe étonnée se souviendra que vous êtes de la race des braves.
Le premier consul, BONAPARTE.
Paris, le 4 nivose an 8 (25 décembre 1799).
A l'armée d'Italie.
Les circonstances qui me retiennent à la tête du gouvernement m'empêchent de me trouver au milieu de vous.
Vos besoins sont grands: toutes les mesures sont prises pour y pourvoir.
Les premières qualités du soldat sont la constance et la discipline: la valeur n'est que la seconde.
Soldats, plusieurs corps ont quitté leurs positions; ils ont été sourds à la voix de leurs officiers: la dix-septième légère est de ce nombre.
Sont-ils donc tous morts, les braves de Castiglione, de Rivoli, de Neumarck? Ils eussent péri plutôt que de quitter leurs drapeaux, et ils eussent ramené leurs jeunes camarades à l'honneur et au devoir.
Soldats, des distributions ne vous sont pas régulièrement faites, dites-vous? Qu'eussiez-vous fait si, comme les quatrième et vingt-deuxième légères, les dix-huitième et trente-deuxième de ligne, vous vous fussiez trouvés au milieu du désert, sans pain ni eau, mangeant du cheval et des mulets? La victoire nous donnera du pain, disaient-elles; et vous!... Vous quittez vos drapeaux!
Soldats d'Italie! Un nouveau général vous commande4; il fut toujours à l'avant-garde dans les plus beaux jours de votre gloire. Entourez-le de votre confiance: il ramènera la victoire dans vos rangs. Je me ferai rendre un compte journalier de la conduite de tous les corps, et spécialement de la dix-septième et de la soixante-troisième de ligne; elles se ressouviendront de la confiance que j'avais en elles.
BONAPARTE.
Footnote 4: (return) Masséna.
Paris, 4 nivose an 8 (25 décembre 1799).
Aux citoyens de Saint-Domingue.
Citoyens,
Une constitution qui n'a pu se soutenir contre des violations multipliées, est remplacée par un nouveau pacte destiné à affermir la liberté.
L'art. XCI porte: que les colonies françaises seront réglées par des lois spéciales.
Cette Disposition dérive de la nature des choses et de la différence des climats.
Les habitans des colonies françaises situées eu Amérique, en Asie, en Afrique, ne peuvent être gouvernés par la même loi.
La différence des habitudes, des moeurs, des intérêts, la diversité du sol, des cultures, des productions, exigent des modifications diverses.
Un des premiers actes de la nouvelle législation sera la rédaction des lois destinées à vous régir.
Loin qu'elles soient pour vous un sujet d'alarmes, vous y reconnaîtrez la sagesse et la profondeur des vues qui animent les législateurs de la France.
Les consuls de la république, en vous annonçant le nouveau pacte social, vous déclarent que les principes sacrés de la liberté et de l'égalité des Noirs n'éprouveront jamais, parmi vous, d'atteintes ni de modification.
S'il est, dans la colonie de Saint-Domingue, des hommes mal intentionnés, s'il en est qui conservent des relations avec les puissances ennemies, braves Noirs, souvenez-vous que le peuple français seul reconnaît votre liberté et l'égalité de vos droits.
Le premier consul, BONAPARTE.
Paris, le 5 nivose an 8 (26 décembre 1799).
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE.—SOUVERAINETÉ DU PEUPLE.—LIBERTÉ.—ÉGALITÉ.
Bonaparte, premier consul de la république, à S. M. le roi de la Grande-Bretagne.
Appelé par le voeu de la nation française à occuper la première magistrature de la république, je crois convenable, en entrant en charge, d'en faire directement part à V. M.
La guerre qui, depuis huit ans, ravage les quatre parties du monde, doit-elle être éternelle? N'est-il donc aucun moyen de s'entendre?
Comment les deux nations les plus éclairées de l'Europe, puissantes et fortes plus que ne l'exigent leur sûreté et leur indépendance, peuvent-elles sacrifier à des idées de vaine grandeur le bien du commerce, la prospérité intérieure, le bonheur des familles? Comment ne sentent-elles pas que la paix est le premier des besoins comme la première des gloires?
Ces sentimens ne peuvent pas être étrangers au coeur de V. M. qui gouverne une nation libre et dans le seul but de la rendre heureuse.
V. M. ne verra dans cette ouverture que mon désir sincère de contribuer efficacement, pour la deuxième fois, à la pacification générale, par une démarche prompte, toute de confiance, et dégagée de ces formes qui, nécessaires peut-être pour déguiser la dépendance des états faibles, ne décèlent dans les états forts que le désir mutuel de se tromper.
La France, l'Angleterre, par l'abus de leurs forces, peuvent long-temps encore, pour le malheur de tous les peuples, en retarder l'épuisement; mais, j'ose le dire, le sort de toutes les nations civilisées est attaché à la fin d'une guerre qui embrase le monde entier.
BONAPARTE.
Paris, le 5 nivose an 8 (26 décembre 1799).
Au général de division Saint-Cyr.
Le ministre de la guerre m'a rendu compte, citoyen général, de la victoire que vous avez remportée sur l'aile gauche de l'armée autrichienne.
Recevez comme témoignage de ma satisfaction, un beau sabre que vous porterez les jours de combat.
Faites connaître aux soldats qui sont sous vos ordres que je suis content d'eux et que j'espère l'être davantage encore.
Le ministre de la guerre vous expédie le brevet de premier lieutenant de l'armée.
Comptez sur mon estime et mon amitié.
BONAPARTE.
Paris, le 6 nivose an 8 (27 décembre 1799).
Au sénat conservateur.
Sénateurs,
Les consuls de la république s'empressent de vous faire connaître que le gouvernement est installé. Ils emploieront dans toutes les circonstances, tous leurs moyens pour détruire l'esprit de faction, créer l'esprit public et consolider la constitution qui est l'objet des espérances du peuple français. Le sénat conservateur sera animé du même esprit, et par sa réunion avec les consuls, seront déjoués les mal intentionnés, s'il pouvait en exister dans les premiers corps de l'état.
Le premier consul, BONAPARTE.
Paris, le 7 nivose an 8 (28 décembre 1799).
Au général Augereau, commandant en chef l'armée française en Batavie.
Je vous ai nommé, citoyen général, au poste important de commandant en chef l'armée française en Batavie.
Montrez, dans tous les actes que votre commandement vous donnera lieu de faire, que vous êtes au-dessus de ces misérables divisions de tribunes, dont le contre-coup a été malheureusement, depuis dix ans, la cause de tous les déchiremens de la France.
La gloire de la république est le fruit du sang de nos camarades; nous n'appartenons à aucune autre cotterie qu'à celle de la nation entière.
Si les circonstances m'obligent à faire la guerre par moi-même, comptez que je ne vous laisserai pas en Hollande, et que je n'oublierai jamais la belle journée de Castiglione5. Je vous salue.
BONAPARTE.
Footnote 5: (return) Cette dernière phrase justifie pleinement Bonaparte du reproches qu'on lui a fait si souvent d'avoir oublie la part glorieuse qu'Augereau avait prise à la victoire de Castiglione.
Paris, le 8 nivose an 8 (29 décembre 1799).
Aux habitans des départemens de l'Ouest.
PROCLAMATION.
Une guerre impie menace d'embraser une seconde fois les départemens de l'Ouest. Le devoir des premiers magistrats de la république est d'en arrêter les progrès et de l'éteindre dans son foyer; mais ils ne veulent déployer la force qu'après avoir épuisé les voies de la persuasion et de la justice.
Les artisans de ces troubles sont des traîtres vendus à l'Anglais, et instrumens de ses fureurs, ou des brigands qui ne cherchent dans les discordes civiles que l'aliment et l'impunité de leurs forfaits.
A de tels hommes le gouvernement ne doit ni ménagement, ni déclaration de ses principes.
Mais il est des citoyens chers à la patrie qui ont été séduits par leurs artifices; c'est à ces citoyens que sont dues les lumières et la vérité.
Des lois injustes ont été promulguées et exécutées; des actes arbitraires ont alarmé la sécurité des citoyens et la liberté des consciences; partout des inscriptions hasardées sur des listes d'émigrés, ont frappé des citoyens qui n'avaient jamais abandonné ni leur patrie, ni même leurs foyers; enfin de grands principes d'ordre social ont été violés. C'est pour réparer ces injustices et ces erreurs qu'un gouvernement, fondé sur les bases sacrées de la liberté, de l'égalité, du système représentatif, a été proclamé et reconnu par la nation. La volonté constante, comme l'intérêt et la gloire des premiers magistrats qu'elle s'est donnés, sera de fermer toutes les plaies de la France, et déjà cette volonté est garantie par des actes qui sont émanés d'eux. Ainsi la loi désastreuse de l'emprunt forcé, la loi, plus désastreuse, des ôtages, ont été révoquées; des individus déportés sans jugement préalable, sont rendus à leur patrie et à leur famille. Chaque jour est et sera marqué par des actes de justice, et le conseil d'état travaille sans relâche à préparer la réformation des mauvaises lois, et une combinaison plus heureuse des contributions publiques.
Les consuls déclarent encore que la liberté des cultes est garantie par la constitution; qu'aucun magistrat ne peut y porter atteinte; qu'aucun homme ne peut dire à un autre: Tu exerceras un tel culte, tu ne l'exerceras qu'un tel jour.
La loi du 11 prairial an 3 qui laisse aux citoyens l'usage des édifices destines au culte religieux, sera exécutée. Tous les départemens doivent être également soumis à l'empire des lois générales; mais les premiers magistrats accorderont toujours et des soins et un intérêt plus marqué à l'agriculture, aux fabriques et au commerce, dans ceux qui ont éprouvé de plus grandes calamités.
Le gouvernement pardonnera: il fera grâce au repentir; l'indulgence sera entière et absolue; mais il frappera quiconque, après cette déclaration, oserait encore résister à la souveraineté nationale.
Français habitans des départemens de l'Ouest, ralliez-vous autour d'une constitution qui donne aux magistrats qu'elle a créés la force, comme le devoir de protéger les citoyens, qui les garantit également et de l'instabilité et de l'intempérance des lois.
Que ceux qui veulent le bonheur de la France, se séparent des hommes qui persisteraient à vouloir les égarer pour les livrer au fer de la tyrannie, ou à la domination de l'étranger.
Que les bons habitans des campagnes rentrent dans leurs foyers et reprennent leurs utiles travaux; qu'ils se défendent des insinuations de ceux qui voudraient les ramener à la servitude féodale.
Si malgré toutes les mesures que vient de prendre le gouvernement, il était encore des hommes qui osassent provoquer la guerre civile, il ne resterait aux premiers magistrats qu'un devoir triste, mais nécessaire a remplir, celui de les subjuguer par la force.
Mais non: tous ne connaîtront plus qu'un seul sentiment, l'amour de la patrie. Les ministres d'un Dieu de paix seront les premiers moteurs de la réconciliation et de la concorde; qu'ils parlent aux coeurs le langage qu'ils apprirent à l'école de leur maître; qu'ils aillent dans ces temples qui se rouvrent pour eux, offrir, avec leurs concitoyens, le sacrifice qui expiera les crimes de la guerre et le sang qu'elle a fait verser.
Le premier consul, BONAPARTE.
Paris, le 9 nivose an 8 (30 décembre 1799).
Aux Bourgmestre et sénat de la ville libre et impériale de Hambourg.
Nous avons reçu votre lettre, messieurs; elle ne vous justifie pas.6
Le courage et les vertus conservent les états; la lâcheté et les vices les ruinent.
Vous avez violé l'hospitalité. Cela ne fût pas arrivé parmi les hordes les plus barbares du désert. Vos concitoyens vous le reprocheront éternellement.
Les deux infortunés que vous avez livrés, meurent illustres: mais leur sang fera plus de mal à leurs persécuteurs, que n'aurait pu je faire une armée.
Le premier consul, BONAPARTE.
Footnote 6: (return) Le gouverpement de Hambourg avait livré à celui d'Angleterre deux individus, malgré leur titre de Français.
Paris, le 15 nivose an 8 (5 janvier 1800).
A l'armée de l'Ouest.
PROCLAMATION.
Soldats!
Le gouvernement a pris les mesures pour éclairer les habitans égarés des départemens de l'Ouest; avant de prononcer, il les a entendus. Il a fait droit à leurs griefs, parce qu'ils étaient raisonnables. La masse des bons habitans a posé les armes. Il ne reste plus que des brigands, des émigrés, des stipendiés de l'Angleterre.
Des Français stipendiés de l'Angleterre! ce ne peut être que des hommes sans aveu, sans coeur et sans honneur. Marchez contre eux; vous ne serez pas appelés à déployer une grande valeur.
L'armée est composée de plus de soixante mille braves: que j'apprenne bientôt que les chefs des rebelles ont vécu. Que Les généraux donnent l'exemple de l'activité! La gloire ne s'acquiert que par les fatigues, et si l'on pouvait l'acquérir en tenant son quartier-général dans les grandes villes, ou en restant dans de bonnes casernes, qui n'en aurait pas?
Soldats, quel que soit le rang que vous occupiez dans l'armée, la reconnaissance de la nation vous attend. Pour en être dignes, il faut braver l'intempérie des saisons, les glaces, les neiges, le froid excessif des nuits, surprendre vos ennemis à la pointe du jour, et exterminer ces misérables, le déshonneur du nom français.
Faites une campagne courte et bonne. Soyez inexorables pour les brigands; mais observez une discipline sévère.
BONAPARTE.
Paris, le 21 nivose an 8 (11 janvier 1800).
Aux habitans des départemens de l'Ouest.
Tout ce que la raison a pu conseiller, le gouvernement l'a fait pour ramener le calme et la paix au sein de vos foyers; après de longs délais, un nouveau délai a été donné pour le repentir. Un grand nombre de citoyens a reconnu ses erreurs et s'est rallié au gouvernement qui, sans haine et sans vengeance, sans crainte et sans soupçon, protége également tous les citoyens, et punit ceux qui eu méconnaissent les devoirs.
Il ne peut plus rester armés contre la France que des hommes sans foi comme sans patrie, des perfides, instruments d'un ennemi étranger, ou des brigands noircis de crimes, que l'indulgence même ne saurait pardonner.
La sûreté de l'état et la sécurité des citoyens veulent que de pareils hommes périssent par le fer, et tombent sous le glaive de la force nationale; une plus longue patience ferait le triomphe des ennemis de la république.
Des forces redoutables n'attendent que le signal pour disperser et détruire ces brigands, que le signal soit donné.
Gardes nationales, joignez les efforts de vos bras à celui des troupes de ligne. Si vous connaissez parmi vous des hommes partisans des brigands, arrêtez-les; que nulle part ils ne trouvent d'asile contre le soldat qui va les poursuivre; et s'il était des traîtres qui osassent les recevoir et les défendre, qu'ils périssent avec eux!
Habitans de l'Ouest, de ce dernier effort dépend la tranquillité de votre pays, la sécurité de vos familles, la sûreté de vos propriétés; d'un même coup vous terrasserez et les scélérats qui vous dépouillent, et l'ennemi qui achète et paie leurs forfaits.
Le premier consul, BONAPARTE.
Paris, le 25 nivose an 8 (15 janvier 1800).
Au brave Léon Aune, sergent des grenadiers de la trente-deuxième demi-brigade7.
J'ai reçu votre lettre, mon brave camarade; vous n'aviez pas besoin de me parler de vos actions: je les connais toutes.
Vous êtes le plus brave grenadier de l'armée, depuis la mort de Benezette. Vous avez eu un des cent sabres que j'ai distribués à l'armée. Tous les soldats étaient d'accord que c'était vous qui le méritiez davantage.
Je désire beaucoup vous voir. Le ministre de la guerre vous envoie l'ordre de venir à Paris.
BONAPARTE.
Footnote 7: (return) Cette pièce est la réponse à une lettre que nous rapporterons à cause de son originalité, et parce qu'elle fait connaître l'un des plus dignes enfant de nos armées victorieuses.Léon Aune, sergent des grenadiers de la trente-deuxième demi-brigade, au citoyen Bonaparte, premier consul.
Toulon, le 16 frimaire an 8
Citoyen consul,
Votre arrivée sur le territoire de la république a consolé toutes les ames pures, principalement la mienne, n'ayant plus d'espoir qu'en vous. Je viens a vous comme à mon Dieu tutélaire, vous priant de donner une place dans votre bon souvenir à Léon, que vous avez tant de fois comblé d'honneur au champ de bataille.
N'ayant pu m'embarquer pour l'Egypte, y cueillir de nouveaux lauriers sous votre commandement, je me trouve au dépôt de votre demi-brigade en qualité de sergent. Ayant appris par mes camarades que vous aviez souvent parlé de moi en Egypte, je vous prie de ne pas m'abandonner, en me faisant connaître que vous vous souvenez de moi. Il est inutile de vous rappeler les affaires où je me suis montré comme un républicain, et mérité l'estime de mes supérieurs; néanmoins, à l'affaire de Montenotte j'ai sauvé la vie au général Rampon et au chef de brigade Masse, comme ils vous l'ont certifié eux-mêmes; à l'affaire de Dego, j'ai pris un drapeau à l'ingénieur en chef de l'armée ennemie; à l'affaire de Lodi, j'ai été le Premier à monter à l'assaut et j'ai ouvert les portes à nos frères d'armes; à l'affaire de Borghetto, j'ai passé le premier sur des pontons, le pont étant rompu, j'ai fondu sur l'ennemi, et pris le commandant de ce poste; a l'hôpital, étant fait prisonnier, j'ai tué le commandant ennemi, et par cet acte de bravoure, quatre cents hommes, prisonniers comme moi, ont été rejoindre leurs corps respectifs. En outre, j'ai cinq blessures sur le corps; j'ose tout espérer de vous, et suis bien persuadé que vous aurez toujours égard aux braves qui ont si bien servi leur patrie.
Salut et respect.
LÉON AUNE.
Paris, le 27 nivose an 8 (17 janvier 1800).
Au général Lefebvre, commandant la dix-septième division militaire.
Je reçois, citoyen général, le rapport que vous me faites sur les événemens qui viennent de se passer dans le département de l'Orne8. Faites connaître au général Merle et au commissaire du gouvernement Marceau, que j'attends, pour leur donner une marque publique de la satisfaction que j'éprouve de leur conduite, que tous les rebelles qui sont encore dans le département de l'Orne, aient vécu. Le brigadier-fourrier du neuvième régiment, Bache, sera promu au grade de sous-lieutenant.
BONAPARTE.
Footnote 8: (return) C'était l'annonce d'une victoire remportée par le général de brigade Merle sur les chouans du département de l'Orne, organisé en légion royale du Perche.
Paris, le 28 nivose an 8 (18 janvier 1800).
Au citoyen Lévêque, commissaire du gouvernement près l'administration centrale du Calvados.
Les consuls de la république, citoyen, ne peuvent qu'approuver l'intention que vous manifestez de rester au poste où vous vous trouvez dans des circonstances difficiles. Ils apprécient les sentimens qui vous déterminent et comptent que vous déploierez tout votre zèle pour maintenir dans le département du Calvados la tranquillité qui y règne encore.
Ils ne doutent pas que si elle venait à être troublée, les rebelles n'éprouvassent, par l'effet de vos soins, la même résistance qui vient, dans le département de l'Orne, d'être couronnée d'un succès complet.
Le général Gardanne, qui commande la division, brûle de détruire les rebelles; secondez-le de tous vos moyens.
Le premier consul, BONAPARTE.
Paris, le 9 pluviose an 8 (29 janvier 18oo).
Au général Lefebvre.
Le général Brune, citoyen général, a fait filer sur Vannes, toutes les troupes qui se trouvaient dans les départemens de la Sarthe, de la Mayenne et de l'Orne; j'imagine qu'il aura également appelé à lui le général Gardanne.
Ainsi les vingt-deuxième et quatorzième divisions militaires se trouvent presque dégarnies de troupes.
Mon intention est que le général Chambarlhac, quels que soient les ordres qu'il pourrait recevoir du général Brune, reste constamment dans le département de l'Orne, en vous faisant cependant part, par un courrier extraordinaire, de tous les ordres qu'il recevrait.
Si en conséquence des ordres du général Brune, le général Guidal est parti pour Vannes, le général Chambarlhac prendra le commandement du département de l'Orne. Il se mettra en correspondance avec les généraux qui seraient restés dans la Sarthe et la Mayenne. M. Bourmont qui commande les chouans dans ce département, a accédé à la pacification. Il n'en est pas moins nécessaire que le général Chambarlhac pousse vivement tous les rassemblemens qui existeraient encore, soit dans le département de l'Orne, soit dans la Sarthe ou la Mayenne. Il aura à cet effet de bonnes colonnes, commandées par le général Merle et le général Champeaux.
Vous ferez partir demain le deuxième bataillon de la quarante-troisième et le deuxième bataillon de la soixante-seizième; trois pièces d'artillerie légère, et le cinquième de dragons.
Cette colonne sera commandée parle chef de brigade de la quarante-troisième. Cette colonne se rendra à Verneuil où elle restera en réserve. Vous en préviendrez le général Chambarlhac, qui n'en disposera qu'en cas d'un besoin éminent. Le commandant de cette colonne vous préviendra, par des courriers extraordinaires, de tout ce qui sera à sa connaissance, soit du côté d'Evreux, soit du côté de Nogent-le-Républicain.
S'il se présente des rassemblemens de chouans, il les poursuivra. Vous lui ferez connaître que sa principale mission est de rester en observation, et d'être a votre disposition, selon les circonstances et les nouvelles ultérieures que je recevrai.
BONAPARTE.
Paris, le 18 pluviose an 8 (7 février 1800).
Ordre du jour pour la garde des consuls et pour toutes les troupes de la république.
Washington est mort. Ce grand homme s'est battu contre la tyrannie; il a consolidé la liberté de sa patrie; sa mémoire sera toujours chère au peuple français, comme à tous les hommes libres des deux mondes, et spécialement aux soldats français qui, comme lui et les soldats américains, se battent pour l'égalité et la liberté.
En conséquence, le premier consul ordonne que, pendant dix jours, des crêpes noirs seront suspendus à tous les drapeaux et guidons des troupes de la république.
BONAPARTE.
Paris, le 18 pluviose an 8 (7 février 1800).
PROCLAMATION.
Les consuls de la république, en conformité de l'art.5 de la loi du 23 frimaire, qui règle la manière dont la constitution sera présentée au peuple français; après avoir entendu le rapport des ministres de la justice, de l'intérieur, de la guerre et de la marine;
Proclament le résultat des votes émis par les citoyens français sur l'acte constitutionnel.
Sur trois millions douze mille cinq cent soixante-neuf votans, 1562 ont rejeté; trois millions onze mille sept cents ont accepté la constitution.
Le premier consul, BONAPARTE.
Paris, le 14 ventose an 8 (5 mars 1800).
MESSAGE AU SÉNAT CONSERVATEUR.
Bonaparte, premier consul, au sénat conservateur.
Le premier consul pensant que les places au sénat doivent être occupées par des citoyens qui ont rendu des services essentiels à la république, ou qui se distinguent par des talens supérieurs, vous propose, en conformité de l'art. 16 de la constitution, pour candidat à la place vacante de sénateur, le citoyen Darçon, l'officier le plus estimé du corps du génie, l'un des-corps militaires les plus considérés de l'Europe.
Le premier consul, BONAPARTE.
Paris, le 17 ventose an 8 (8 mars 1800).
Les consuls de la république aux Français.
PROCLAMATION.
Français!
Vous désirez la paix; votre gouvernement la désire avec plus d'ardeur encore. Ses premiers voeux, ses démarches constantes ont été pour elle. Le ministère anglais la repousse; le ministère anglais a trahi le secret de son horrible politique. Déchirer la France, détruire sa marine et ses ports, l'effacer du tableau de l'Europe, ou l'abaisser au rang des puissances secondaires, tenir toutes les nations du continent divisées, pour s'emparer du commerce de toutes et s'enrichir de leurs dépouilles; c'est pour obtenir ces affreux succès que l'Angleterre répand l'or, prodigue les promesses et multiplie les intrigues.
Mais ni l'or, ni les promesses, ni les intrigues de l'Angleterre n'encbaîneront à ses vues les puissances du continent. Elles ont entendu le voeu de la France; elles connaissent la modération des principes qui la dirigent; elles écouteront la voix de l'humanité et la voix puissante de leur intérêt.
S'il en était autrement, le gouvernement, qui n'a pas craint d'offrir et de solliciter la paix, se souviendra que c'est à vous de la commander. Pour la commander, il faut de l'argent, du fer et des soldats.
Que tous s'empressent de payer le tribut qu'ils doivent à la défense commune; que les jeunes citoyens marchent; ce n'est plus pour des factions; ce n'est plus pour le choix des tyrans qu'ils vont s'armer: c'est pour la garantie de ce qu'ils ont de plus cher; c'est pour l'honneur de la France; c'est pour les intérêts sacrés de l'humanité et de la liberté. Déjà les armées ont repris cette attitude, présage de la victoire; à leur aspect, à l'aspect de la nation entière, réunie dans les mêmes intérêts et dans les mêmes voeux, n'en doutez point, Français, vous n'aurez plus d'ennemis sur le continent. Que si quelque puissance encore veut tenter le sort des combats, le premier consul a promis la paix; il ira la conquérir à la tête de ces guerriers qu'il a plus d'une fois conduits à la victoire. Avec eux il saura retrouver ces champs encore pleins du souvenir de leurs exploits; mais au milieu des batailles, il invoquera la paix, et il jure de ne combattre que pour le bonheur de la France et le repos du monde.
Le premier consul, BONAPARTE.
Paris, le 17 ventose an 8 (8 mars 1800).
Aux préfets de département.
Le voeu et l'espoir du gouvernement, citoyens, étaient que votre entrée dans l'administration fût marquée par la paix. Ses démarches pour l'obtenir sont connues de l'Europe; il l'a voulue avec franchise, et il la voudra toujours quand elle sera digne de la nation.
Et en effet, après des succès qu'avouent ses ennemis, quelle autre ambition peut rester au premier consul, que celle de rendre à la France son ancienne prospérité, d'y ramener les arts et les vertus de la paix, de guérir les blessures qu'a faites une révolution trop prolongée, et d'arracher enfin l'humanité toute entière au fléau qui la dévore depuis tant d'années?
Tels étaient ses sentimens et ses voeux lorsqu'il signait la paix a Campo-Formio; ils n'ont pu que s'accroître et se fortifier depuis qu'une confiance honorable l'a porté à la première magistrature, et lui a imposé le devoir plus étroit de travailler au bonheur des Français.
Cependant ses désirs ne sont pas accomplis. L'Angleterre respire encore la guerre et l'humiliation de la France. Les autres puissances, pour se déterminer, attendent quelle sera notre attitude, et quelles seront nos ressources.
Si nous sommes toujours cette nation qui a étonné l'Europe de son audace et de ses succès: si une juste confiance ranime nos forces et nos moyens, nous n'aurons qu'à nous montrer, et le continent aura la paix. C'est là ce qu'il faut faire sentir aux Français; c'est à un généreux et dernier effort qu'il faut appeler tous ceux qui ont une patrie et l'honneur national à défendre. Déployez, pour ranimer ce feu sacré, tout ce que vous avez d'énergie, tout ce que votre réputation et vos talens doivent vous donner de pouvoirs et d'influence sur les esprits et sur les coeurs. Portez dans les familles cette juste confiance, que le gouvernement ne veut que le bonheur public: que les sacrifices qu'il demande seront les derniers sacrifices et la source de la prospérité commune. Réveillez dans les jeunes citoyens cet enthousiasme qui a toujours caractérisé les Français; qu'ils entendent la voix de l'honneur et la voix plus puissante de la patrie; qu'ils se remontrent ce qu'ils étaient aux premiers jours de la révolution, ce qu'ils n'ont pu cesser d'être que quand ils ont cru qu'ils avaient à combattre pour des factions; qu'à votre voix paternelle tout s'ébranle. Ce ne sont plus les accens de la terreur qu'il faut faire entendre aux Français. Ils aiment l'honneur, ils aiment la patrie; ils aimeront un gouvernement qui ne veut exister que pour l'un et pour l'autre. Vous trouverez dans la proclamation ci-jointe9 et dans l'arrêté qui l'accompagne, tout ce que les consuls attendent de votre zèle et du courage des Français.
BONAPARTE.
Footnote 9: (return) C'est celle qui précède.
Paris, 18 ventose an 8 (9 mars 1800).
Réponse du premier consul à une députation du tribunat.
Les consuls de la république reconnaissent dans ce que vous venez de leur dire, le bon esprit qui a animé le tribuuat pendant toute la session.
Toute espérance de paix continentale n'est pas encore entièrement évanouie, et s'il est hors du pouvoir de la république de réaliser promptement le dernier des voeux que vous venez de manifester au nom du tribunat, l'union et l'élan de tous les Français leur est un sûr garant que le premier sera rempli.
BONAPARTE.
Paris, 24 ventose an 8 (15 mars 1800).
Aux magistrats de la ville de Francfort.
J'ai reçu votre lettre du 5 ventose.
De tous les fléaux qui peuvent affliger les peuples, la guerre est un des plus terribles.
Votre intéressante ville, entourée de différentes armées, ne doit espérer la fin de ses maux que dans le rétablissement de la paix.
L'Europe entière connaît le désir du peuple français pour terminer une guerre qui n'a déjà que trop duré.
Rien ne m'a coûté pour seconder son désir; et si la paix n'avait pas lieu, c'est que des obstacles insurmontables s'y seraient opposés; alors la cause du peuple français sera celle de toutes les nations, puisque la guerre pèse sur toutes.
Si le peuple français est assez fort pour suffire à sa cause, il ne lui est pas moins important que l'Europe en connaisse la justice et s'intéresse au succès de ses armes.
Le premier consul, BONAPARTE.
Paris, 29 ventose an 8 (20 mars 1800).
Aux jeunes Français.
Le premier consul reçoit beaucoup de lettres de jeunes citoyens empressés de lui témoigner leur attachement à la république et le désir qu'ils ont de s'associer aux efforts qu'il va faire pour conquérir la paix. Touché de leur dévouement, il en reçoit l'assurance avec un vif intérêt; la gloire les attend à Dijon. C'est lorsqu'il les verra réunis sous les drapeaux de l'armée de réserve, qu'il se propose de les remercier et d'applaudir à leur zèle.
BONAPARTE.
Paris, le 12 germinal an 8 (2 avril 1800).
Au général Berthier, ministre de la guerre.
Les talens militaires dont vous avez donné tant de preuves, citoyen général, et la confiance du gouvernement vous appellent au commandement d'une armée10. Vous avez pendant l'hiver réorganisé le ministère de la guerre; vous avez pourvu, autant que les circonstances l'ont permis, aux besoins de nos armées; il vous reste à conduire pendant le printemps et l'été, nos soldats à la victoire, moyen efficace d'arriver à la paix et de consolider la république.
Recevez, je vous prie, citoyen général, les témoignages de satisfaction du gouvernement sur votre conduite au ministère.
BONAPARTE.
Footnote 10: (return) Celui de l'armée de réserve, auquel il était nomme par un arrêté transmis avec la lettre.
Paris, le 16 germinal an 8 (6 avril 1800).
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS.
Brevet d'honneur pour le citoyen Marin, sergent de la quatre-vingt-dixième demi-brigade11.
Bonaparte, premier consul de la république, d'après le compte qui lui a été rendu de la conduite distinguée du citoyen Marin, sergent à la quatre-vingt-dixième demi-brigade, lorsque l'hôpital d'Anvers manquant de fonds et ne pouvant se procurer les objets nécessaires, il donna sa bourse, fruit de ses économies, pour être employée au soulagement de ses compagnons d'armes, blessés comme lui en Hollande, pendant la campagne de l'an 8, lui décerne, à titre de récompense nationale, un fusil d'honneur.
Il jouira des prérogatives attachées à ladite récompense par l'arrêté du 4 nivose an 8.
BONAPARTE.
Footnote 11: (return) Les brevets d'honneur ont précédé immédiatement l'institution plus généreuse de la légion d'honneur. Nous en insérons un ici pour donner un modèle de leur accord.
Paris, le 1er floréal an 8 (21 avril 1800).
Aux habitant des département mis hors la constitution par la loi du 24 nivose an 8.
PROCLAMATION.
Citoyens, ce fut à regret que les consuls de la république se virent forcés d'invoquer et d'exécuter une loi que les circonstances avaient rendue nécessaire. Ces circonstances ne sont plus; les agens de l'étranger ont fui de votre territoire; ceux qu'ils égarèrent ont abjuré leurs erreurs; le gouvernement ne voit plus désormais parmi vous que des Français soumis aux mêmes lois, liés par de communs intérêts, unis par les mêmes sentimens.
Si pour opérer ce retour, il fut obligé de déployer un grand pouvoir, il en confia l'exécution au général en chef Brune, qui sut unir à des rigueurs nécessaires, cette bienveillance fraternelle qui, dans les discordes civiles, ne cherche que des innocens, et ne trouve que des hommes dignes d'excuse ou de pitié.
La constitution reprend son empire. Vous vivrez désormais sous des magistrats qui, presque tous, sont connus de vous par des talens et des vertus; qui, étrangers aux divisions intestines, n'ont ni haine ni vengeance à exercer. Confiez-vous à leurs soins; ils rappelleront parmi vous l'harmonie; ils vous feront jouir du bienfait de la liberté.
Oubliez tous les événemens que le caractère français désavoue; tous ceux qui ont démenti votre respect pour les lois, votre fidélité à la patrie; qu'il ne reste de vos divisions et de vos malheurs qu'une haine implacable contre l'ennemi étranger qui les a enfantés et nourris; qu'une douce confiance vous attache à ceux qui, chargés de vos destinées, ne mettent d'autre prix à leurs travaux que votre estime, qui ne veulent de gloire que celle d'avoir arraché la France aux discordes domestiques, et d'autre récompense que l'espoir de vivre dans votre souvenir.
BONAPARTE.
Au quartier-général de Martigni, le 28 floréal an 8 (18 mai 1800).
Au ministre de l'intérieur.
Citoyen ministre,
Je suis au pied des grandes Alpes, au milieu du Valais.
Le grand Saint-Bernard a offert bien des obstacles qui ont été surmontés avec ce courage héroïque qui distingue les troupes françaises dans toutes les circonstances. Le tiers de l'artillerie est déjà en Italie; l'armée descend à force; Berthier est en Piémont; dans trois jours tout sera passé.
BONAPARTE.
Au quartier-général de Milan, le 17 prairial an 8 (6 juin 1800).
A l'armée de réserve.
PROCLAMATION.
Soldats!
Un de nos départemens était au pouvoir de l'ennemi; la consternation était dans tout le midi de la France.
La plus grande partie du territoire du peuple ligurien, le plus fidèle ami de la république, était envahi.
La république cisalpine, anéantie dès la campagne passée, était devenue le jouet du grotesque régime féodal.
Soldats! Vous marchez... et déjà le territoire français est délivré! la joie et l'espérance succèdent dans notre patrie à la consternation et à la crainte.
Vous rendrez la liberté et l'indépendance au peuple de Gênes. Il sera pour toujours délivré de ses éternels ennemis.
Vous êtes dans la capitale de la Cisalpine!
L'ennemi épouvanté n'aspire plus qu'à regagner ses frontières. Vous lui avez enlevé ses hôpitaux, ses magasins, ses parcs de réserve.
Le premier acte de la campagne est terminé.
Des millions d'hommes, vous l'entendez tous les jours, vous adressent des actes de reconnaissance.
Mais aura-t-on donc impunément violé le territoire français? Laisserez-vous retourner dans ses foyers l'armée qui a porté l'alarme dans vos familles? Vous courez aux armes!...
Eh bien marchez à sa poursuite, opposez-vous à sa retraite; arrachez-lui les lauriers dont elle s'est parée, et par-là apprenez au monde que la malédiction est sur les insensés qui osent insulter le territoire du grand peuple.
Le résultat de tous nos efforts sera gloire sans nuage et paix solide.
Le premier, consul, BONAPARTE.
Au quartier-général de Milan, le 20 prairial an 8 (9 juin 1800).
Aux deux consuls restés à Paris.
Vous aurez vu, citoyens consuls, par les lettres de M. de Melas, qui étaient jointes a ma précédente lettre, que le même jour que l'ordre de lever le blocus de Gênes arrivait au général Ott, le général Masséna, forcé par le manque absolu de vivres, a demandé à capituler. Il paraît que le général Masséna a dix mille combattans; le général Suchet en a à peu près autant; si ces deux corps se sont, comme je le pense, réunis entre Oneille et Savonne, ils pourront entrer rapidement en Piémont par le Tanaro, et être fort utiles, dans le temps que l'ennemi serait obligé de laisser quelques troupes dans Gênes.
La plus grande partie de l'armée est dans ce moment à Stradella. Nous avons un pont à Plaisance, et plusieurs trailles vis-à-vis Pavie. Orsi, Novi, Brescia et Crémone sont à nous.
Vous trouverez ci-joints plusieurs bulletins et différentes lettres interceptées, qu'il vous paraîtra utile de rendre publiques.
Je vous salue.
BONAPARTE.