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Œuvres de Napoléon Bonaparte, Tome III.

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Milan, le 15 prairial an 13 (4 juin 1805).

Réponse de l'empereur au discours du doge de Gênes, venu à Milan pour solliciter de Napoléon la réunion de la Ligurie à l'empire français.

Monsieur le doge et messieurs les députés du sénat et du peuple de Gênes.

«Les circonstances et votre voeu m'ont plusieurs fois appelé, depuis dix ans, à intervenir dans vos affaires intérieures. J'y ai constamment porté la paix et cherché à faire prospérer les idées libérales, qui seules auraient pu donner à votre gouvernement cette splendeur qu'il avait il y a plusieurs siècles. Mais je n'ai pas tardé à me convaincre moi-même de l'impossibilité où vous étiez, seuls, de rien faire qui fût digne de vos pères. Tout a changé; les nouveaux principes de la législation des mers que les Anglais ont adoptés et obligé la plus grande partie de l'Europe à reconnaître; le droit de blocus qu'ils peuvent étendre aux places non bloquées, et même à des côtes entières et à des rivières, qui n'est autre chose que le droit d'anéantir à leur volonté le commerce des peuples; les ravages toujours croissans des Barbaresques, toutes ces circonstances ne vous offraient qu'un isolement dans votre indépendance. La postérité me saura gré de ce que j'ai voulu rendre libre les mers, et obliger les Barbaresques à ne point faire la guerre aux pavillons faibles, mais à vivre chez eux en agriculteurs et en honnêtes gens. Je n'étais animé que par l'intérêt et la dignité de l'homme. Au traité d'Amiens, l'Angleterre s'est refusée à coopérer à ces idées libérales. Depuis, une grande puissance du continent y a montré tout autant d'éloignement. Seul pour soutenir ces légitimes principes, il eût fallu avoir recours aux armes; mais je n'ai le droit de verser le sang de mes peuples que pour les intérêts qui lui sont propres.

«Dès le moment où l'Europe ne peut obtenir de l'Angleterre que le droit de blocus fût restreint aux places vraiment bloquées, dès le moment que le pavillon des faibles fût sans défense, et livré a la piraterie des Barbaresques, il n'y eut plus d'indépendance maritime; et dès-lors les gens sages prévirent ce qui arrive aujourd'hui. Où il n'existe pas d'indépendance maritime pour un peuple commerçant, naît le besoin de se réunir sous un plus puissant pavillon. Je réaliserai votre voeu: je vous réunirai à mon grand peuple. Ce sera pour moi un nouveau moyen de rendre plus efficace la protection que j'ai toujours aimé à vous accorder. Mon peuple vous accueillera avec plaisir. Il soit que dans toutes les circonstances vous avez assisté ses armées avec amitié, et les avez soutenues de tous vos moyens et de toutes vos forces. Il trouve d'ailleurs chez vous des ports et un accroissement de puissance maritime qui lui est nécessaire pour soutenir ses légitimes droits contre l'oppresseur des mers. Vous trouverez dans votre union avec mon peuple un continent, vous qui n'avez qu'une marine et des ports; vous y trouverez un pavillon, qui, quelles que soient les prétentions de mes ennemis, se maintiendra sur toutes les mers de l'univers, constamment libre d'insultes et de visites, et affranchi du droit de blocus, que je ne reconnaîtrai jamais que pour les places véritablement bloquées par terre comme par mer. Vous vous y trouverez enfin à l'abri de ce honteux esclavage, dont je gouffre malgré moi l'existence envers les puissances plus faibles, mais dont je saurai toujours garantir mes sujets. Votre peuple trouvera dans l'estime que j'ai toujours eue pour lui, et dans ces sentimens de père que je lui porterai désormais, la garantie que tout ce qui peut contribuer à son bonheur sera fait.

«Monsieur le doge et messieurs les députés du sénat et du peuple de Gênes, retournez dans votre patrie; sous peu de temps je m'y rendrai; et là, je scellerai l'union que mon peuple et vous contracterez. Ces barrières qui vous séparent du continent seront levées pour l'intérêt commun, et les choses se trouveront placées dans leur état naturel. Les signatures de tous vos citoyens apposées au bas du voeu que vous me présentez, répondent à toutes les objections que je pouvais me faire. Elles constituent le seul droit que je reconnaisse comme légitime. En le faisant respecter, je ne ferai qu'exécuter la garantie de votre indépendance que je vous ai promise.

NAPOLÉON.




Milan, le 18 prairial, an 13 (7 juin 1805).

Discours prononcé par l'empereur au sein du corps législatif du royaume d'Italie, en annonçant sa volonté de laisser les soins du gouvernement à son beau-fils, le prince Eugène, avec la qualité de vice-roi.

Messieurs, du corps législatif,

«Je me suis fait rendre un compte détaillé de toutes les parties de l'administration. J'ai introduit dans ces diverses branches la simplicité, qu'avec le secours de la consulte et de la censure, j'ai portée dans la révision des constitutions de Lyon. Ce qui est bon, ce qui est beau, est toujours le résultat d'un système simple et uniforme. J'ai supprimé la double organisation des administrations départementales et des administrations de préfecture, parce que j'ai pensé qu'en faisant reposer uniquement l'administration sur les préfets, on obtiendrait non-seulement une économie d'un million dans les dépenses, mais encore une plus grande rapidité dans la marche des affaires. Si j'ai placé auprès des préfets un conseil pour le contentieux, c'est afin de me conformer à ce principe qui veut que l'administration soit le fait d'un seul, et que la décision des objets litigieux soit le fait, de plusieurs.

«Les statuts dont vous venez d'entendre la lecture étendent à mon peuple d'Italie les bienfaits du Code à la rédaction duquel j'ai moi-même présidé. J'ai ordonné à mon conseil de préparer une organisation de l'ordre judiciaire qui rende aux tribunaux l'éclat et la considération, qu'il est dans mon intention de leur donner. Je ne pouvais approuver qu'un prêteur seul fût appelé à prononcer sur la fortune des citoyens, et que des juges cachés aux yeux du public décidassent en secret, non-seulement de leurs intérêts, mais encore de leur vie. Dans l'organisation qui vous sera présentée, mon conseil s'étudiera à faire jouir mon peuple de tous les avantages qui résultent des tribunaux collectifs, d'une procédure publique et d'une défense contradictoire. C'est pour leur assurer une justice plus évidemment éclairée que j'ai établi que les juges qui prononceront le jugement soient aussi ceux qui auront présidé aux débats. Je n'ai pas cru que les circonstances dans lesquelles se trouvent l'Italie me permissent de penser à l'établissement des jurés; mais les juges doivent prononcer comme les jurés, d'après leur seule conviction, et sans se livrer au système de semi-preuves, qui compromet bien plus souvent l'innocence, qu'il ne sert à découvrir le crime. La règle la plus sûre d'un juge qui a présidé aux débats, c'est la conviction de sa conscience.

«J'ai veillé moi-même à l'établissement de formes régulières et conservatrices dans les finances de l'état, et j'espère que mes peuples se trouveront bien de l'ordre que j'ai ordonné à mes ministres des finances et du trésor public de mettre dans les comptes qui seront publiés. J'ai consenti que la dette publique portât le nom de monte-Napoleone, afin de donner une garantie de plus de fidélité aux engagemens qui la constituent et une vigueur nouvelle au crédit.

«L'instruction publique cessera d'être départementale, et j'ai fixé les bases pour lui donner l'ensemble, l'uniformité et la direction qui doivent avoir tant d'influence sur les moeurs et les habitudes de la génération naissante.

«J'ai jugé qu'il convenait, dès cette année, de mettre plus d'égalité dans la répartition des dépenses départementales, et de venir au secours de ceux de mes départemens, tels que le Mincio et le Bas-Pô, qui se trouvent accablés par la nécessité de se défendre contre le ravage des eaux.

«Les finances sont dans la situation la plus prospère, et tous les paiemens sont au courant. Mon peuple d'Italie est, de tous les peuples de l'Europe, le moins chargé d'impositions. Il ne supportera pas de nouvelles charges; et s'il est fait des changemens à quelques contributions, si l'enregistrement est établi dans le projet du budget d'après un tarif modéré, c'est afin de pouvoir diminuer des impositions plus onéreuses. Le cadastre est rempli d'imperfections qui se manifestent tous les jours. Je vaincrai, pour y porter remède, les obstacles qu'oppose à de telles opérations beaucoup moins la nature des choses que l'intérêt particulier; je n'espère cependant point arriver à des résultats tels qu'ils fassent éviter l'inconvénient d'élever une imposition jusqu'au terme qu'elle peut atteindre.

«J'ai pris des mesures pour redonner au clergé une dotation convenable, dont il était en partie dépourvu depuis dix ans; et si j'ai fait quelques réunions de couvens, j'ai voulu conserver, et mon intention est de protéger ceux qui se vouent à des services d'utilité publique, où qui, placés dans les campagnes, se trouvent dans des lieux ou dans des circonstances où ils suppléent au clergé séculier. J'ai eu même temps pourvu à ce que les évêques eussent le moyen d'être utiles aux pauvres, et je n'attends, pour m'occuper du sort des curés, que les renseignement que j'ai ordonné de recueillir promptement sur leur situation véritable. Je sais que beaucoup d'entre eux, surtout dans les montagnes, sont dans une pénurie que j'ai le plus pressant désir de faire cesser.

«Indépendamment de la route du Simplon, qui sera achevée cette année, et à laquelle quatre mille ouvriers, dans la seule partie qui traverse le royaume d'Italie, travaillent en ce moment, j'ai ordonné de commencer le pont de Volano, et que des travaux si importans soient entrepris sans retard et poursuivis avec activité.

« Je ne néglige aucun des objets sur lesquels mon expérience en administration pouvait être utile à mes peuples d'Italie. Avant de repasser les monts, je parcourrai une partie des départemens, pour connaître de plus près leurs besoins.

«Je laisserai dépositaire de mon autorité ce jeune prince que j'ai élevé dès son enfance, et qui sera animé de mon esprit. J'ai d'ailleurs pris des mesures pour diriger moi-même les affaires les plus importantes de l'état.

«Des orateurs de mon conseil vous présenteront un projet de loi pour accorder à mon chancelier, garde-des-sceaux, Melzi, pendant quatre ans, dépositaire de mon autorité comme vice-président, un domaine qui, restant dans sa famille, atteste à ses descendans la satisfaction que j'ai eue de ses services.

«Je crois avoir donné des nouvelles preuves de ma constante résolution de remplir envers mes peuples d'Italie tout ce qu'ils attendent de moi; j'espère qu'à leur tour ils voudront occuper la place que je leur destine dans ma pensée; et ils n'y parviendront qu'en se persuadant bien que la force des armes est le principal soutien des états.

«Il est temps enfin que cette jeunesse qui vit dans l'oisiveté des grandes villes, cesse de craindre les dangers et les fatigues de la guerre, et qu'elle se mette en état de faire respecter la patrie, si elle veut que la patrie soit respectable.

«Messieurs du corps législatif, rivalisez de zèle avec mon conseil d'état, et par ce concours de volontés vers l'unique but de la prospérité publique, donnez à mon représentant l'appui qu'il doit recevoir de vous.

«Le gouvernement britannique ayant accueilli par une réponse évasive les propositions que je lui ai faites, et le roi d'Angleterre les ayant aussitôt rendues publiques en insultant mes peuples dans son parlement, j'ai vu considérablement s'affaiblir les espérances que j'avais conçues, du rétablissement de la paix. Cependant les escadres françaises ont depuis obtenu des succès auxquels je n'attache de l'importance que parce qu'ils doivent convaincre davantage mes ennemis de l'inutilité d'une guerre qui ne leur offre rien à gagner et tout à perdre. Les divisions de la flottille et les frégates construites aux frais des finances de mon royaume d'Italie, et qui font aujourd'hui partie des armées françaises, ont rendu d'utiles services dans plusieurs circonstances. Je conserve l'espoir que la paix du continent ne sera point troublée; et, toutefois, je me trouve en position de ne redouter aucune des chances de la guerre. Je serai au milieu de vous au moment même où ma présence deviendrait nécessaire au salut de mon royaume d'Italie.

NAPOLÉON.




Bologne, le 5 messidor an l3 (24 juin 1805).

Réponse de l'empereur au discours du gonfalonier de la république de Lucques, qui était venu le prier de se charger du gouvernement.

Monsieur le gonfalonier, messieurs les députés des Anciens et du peuple de Lucques, mon ministre près votre république m'a prévenu de la démarche que vous faites. Il m'en a fait connaître toute la sincérité. La république de Lucques, sans force et sans armée, a trouvé sa garantie, pendant les siècles passés, dans la loi générale de l'empire dont elle dépendait. Je considère aujourd'hui comme une charge attachée à ma couronne l'obligation de concilier les différens partis qui peuvent diviser l'intérieur de votre patrie.

«Les républiques de Florence, de Pise, de Sienne, de Bologne, et toutes les autres petites républiques, qui, au quatorzième siècle, partageaient l'Italie, ont eu à éprouver les mêmes inconvéniens. Toutes ont été agitées par la faction populaire et par celle des nobles. Cependant ce n'est que de la conciliation de ces différens intérêts que peuvent naître la tranquillité et le bon ordre. La constitution que vous avez depuis trois ans est faible; je ne me suis point dissimulé qu'elle ne pouvait atteindre son but. Si je n'ai jamais répondu aux plaintes qui m'ont été portées souvent pas différentes classes de vos citoyens, c'est que j'ai senti qu'il est des incouvéniens qui naissent de la nature des choses, et auxquels il n'est de remède que lorsque les différentes classes de l'état éclairées sont toutes réunies dans une même pensée, celle de trouver une garantie dans l'établissement d'un gouvernement fort et Constitutionnel. J'accomplirai donc votre voeu. Je confierai le gouvernement de vos peuples à une personne qui m'est chère par les liens du sang. Je lui imposerai l'obligation de respecter constamment vos constitutions. Elle ne sera animée que du désir de remplir ce premier devoir des princes, l'impartiale distribution de la justice. Elle protégera également tous les citoyens qui, s'ils sont inégaux par la fortune, seront tous égaux à ses yeux. Elle ne reconnaîtra d'autre différence entre eux que celle provenant de leur mérite, de leurs services et de leurs vertus.

«De votre côté, le peuple de Lucques. sentira toute la confiance que je lui donne, et aura pour son nouveau prince les sentimens que des enfans doivent à leur père, des citoyens à leur magistrat suprême, et des sujets à leur prince. Dans le mouvement général des affaires, ce sera pour moi un sentimens doux et consolant de voir que le peuple de Lucques est heureux, content et sans inquiétude sur son avenir. Je continuerai d'être pour votre patrie un protecteur qui ne sera jamais indifférent à son sort.

NAPOLÉON.




Bologne, le 5 messidor an 13 (24 juin 1805).

Approbation de la constitution de l'état de Lucques par l'empereur.

Nous, Napoléon, par la grâce de Dieu et par les constitutions, empereur des Français et roi d'Italie, garantissons l'indépendance et la présente constitution de la république de Lucques.

Nous consentons à ce que nos très-chers et très-aimés beau-frère et soeur le prince et la princesse de Piombino et leur descendance occupent la principauté de Lucques et s'y établissent, promettant et nous réservant de renouveler à tous les changemens de prince la même garantie, nous réservant également, en vertu du droit acquis sur toute notre famille, que ni le prince ni la princesse, ni leurs enfans quelconques, ne puissent se marier que de notre consentement, et nous promettant, avec l'aide de Dieu, d'écarter, par notre protection tout ce qui pourrait nuire à la prospérité du peuple lucquois, à son indépendance et au bonheur de nos très-chers et très-aimés soeur et beau-frère et de leurs descendans.

NAPOLÉON.




Paris, le 18 messidor an 13 (7 juillet 1805).

Notes inscrites dans le Moniteur, en réponse à un message du roi d'Angleterre au parlement.

Ainsi, S.M. britannique avoue après six mois que ce ne sont pas des liaisons avec les puissances du continent qui l'ont empêché, comme le disaient ses ministres par leur lettre au ministre des relations extérieures, de répondre aux ouvertures de paix faites par l'empereur des Français. Ces liaisons qui paraissaient alors si étroites qu'on ne pouvait se dispenser de consulter les puissances avec lesquelles on les avait contractées, ne sont plus que des communications qui n'ont point encore acquis un degré de maturité qui permette d'entrer avec le gouvernement français dans des explications ultérieures. La réponse faite par les ministres, il y a six mois, n'était donc qu'une défaite; et si l'on n'avait pas de liaisons alors, l'on n'en a pas davantage aujourd'hui. S. M. britannique ajoute; qu'il pourrait être d'une importance essentielle en elle, qu'il fût en son pouvoir de profiter de toutes les conjonctures favorables pour effectuer avec d'autres puissances tel accord qui pût lui procurer les moyens de résister à l'ambition désordonnée de la France. C'est une question qu'il est difficile de résoudre. Quoi qu'il en soit, S.M. aurait été beaucoup plus franche et se serait mise dans une position plus simple, si elle avait dit qu'elle ne voulait pas traiter avant d'avoir fait cinq à six campagnes avec les puissances coalisées. Encore faudrait-il savoir à qui demeurerait l'avantage après ces cinq ou six campagnes, et si cet avantage serait en proportion avec le sacrifice de deux à trois mille hommes immolés pour le bon plaisir du roi d'Angleterre. S.M. britannique laisse entrevoir en vérité, et nous devons en cela admirer sa prudence, que si elle ne parvient point à former une coalition et a se procurer le plaisir de voir, du fond de son île et de la terrasse de son château de Windsor, les malheurs du continent, elle se résoudra à faire la paix. La paix, objet de la juste ambition de tous les gouvernemens sages, n'est, si l'on veut parler ainsi, qu'un véritable pis-aller pour S.M. britannique. Elle recommande à ses fidèles communes, de la mettre en état de prendre des mesures, afin de voir si quelque capitan, quelque espèce de chef de condottieri ou de ces bandes célèbres en différens temps, voudrait, pour l'appât d'un sordide gain, faire cause commune avec elle. Qui ne formera des voeux pour que l'Angleterre trouve l'Europe sourde à tous projets de coalition; qui ne priera pour le succès des armes d'une nation qui ne veut que la paix, tandis que l'Angleterre, son ennemie, appelle à grands cris le retour des désastres qui ont si long-temps affligé l'Europe?

S. M. britannique a cru qu'elle pouvait tirer parti de la lettre de l'empereur des Français pour prouver au continent qu'il avait peur de l'Angleterre, et faire penser qu'il craignait la guerre, puisqu'il désirait la paix, et amener ainsi quelque puissance à entrer dans une coalition nouvelle. Le cabinet de Londres n'aura pas oublié d'appuyer d'offres de subsides de si faibles raisonnemens; mais il se sera aperçu qu'il ne mettait pas à un assez haut prix de tels services, et qu'il fallait payer plus cher. Le parlement avait accordé cinq millions sterlings; on lui en a demandé encore autant; nous verrons si la générosité des marchands rendra le marché plus facile. Toutes les paroles, toutes les mesures de ce gouvernement portent le caractère du désordre et de la déraison. C'est une étrange déclaration politique que les ministres mettent dans la bouche du roi, lorsqu'ils lui font dire assez clairement qu'il ne fera la paix que lorsqu'il sera forcé de ne plus faire la guerre. Il en résultera nécessairement que quand il voudra la paix, on jugera qu'il est contraint de la faire, et qu'on pourra se croire alors autorisé à se montrer plus exigeant.

Que conclure donc d'un tel passage? C'est que le rétablissement de la tranquillité de l'Europe est loin encore, puisque le gouvernement anglais ne sera disposé qu'au moment où il sera convaincu qu'aucune puissance ne veut concourir à alimenter l'incendie, et qu'il n'y a plus de ministres ou d'intrigans qu'il puisse espérer d'acheter.

On ferait un recueil très-curieux des sept ou huit discours du roi d'Angleterre à son parlement, rangés à la suite les uns des autres, et par ordre de date; nous laissons à nos lecteurs le soin de faire ce rapprochement, qui n'échappera pas à l'histoire.




Paris, le 25 messidor an 13 (14 juillet 1805).

Note inscrite dans le Moniteur80.

Il y a déjà long-temps qu'on s'est plu à répandre que l'empereur avait des vues pour marier le prince Eugène avec la reine d'Etrurie, et ceci avait été fait malicieusement, pour faire penser que l'empereur voulait réunir la Toscane au royaume d'Italie; cependant cette idée n'est pas heureuse. La reine d'Etrurie a des enfans, et par conséquent ne peut pas apporter en dot le royaume d'Etrurie. Cette seule observation fait sentir tout le ridicule et l'absurdité de cette nouvelle. On a dit aussi qu'il était question de marier un prince de la famille impériale avec une fille de la reine de Naples. Cette nouvelle est plus absurde encore; mais c'est un des inconvéniens des hautes places et du haut rang des princes, que chacun fasse des gloses sur les affaires les plus délicates.

On a bien aussi mis dans nos propres journaux une généalogie aussi ridicule que plate de la maison Bonaparte. Ces recherches sont bien puériles; et à tous ceux qui demanderont de quel temps date la maison de Bonaparte, la réponse est bien facile: elle date du 18 brumaire. Comment, dans le siècle où nous sommes, peut-on être assez ridicule pour amuser le public de pareilles balivernes? Et comment peut-on avoir assez peu de sentiment des convenances et de ce qu'on doit à l'empereur, pour aller attacher de l'importance à savoir ce qu'étaient ses ancêtres? Soldat, magistrat et souverain, il doit tout à son épée et à l'amour de son peuple. Nous ne voulons pas voir de la malveillance dans cette espèce de comparaison avec la maison de Suède, maison souveraine depuis plusieurs siècles. Si c'est un écrivain qui a voulu faire sa cour à l'empereur par cet article, c'est bien le cas de dire: il n'y a rien de dangereux comme un sot ami.

Footnote 80: (return) Cette note est d'autant plus intéressante qu'elle dément les contes ridicules qu'on s'est plu à répandre sur la manie généalogique de Napoléon.



De mon Camp impérial de Boulogne, le 25 thermidor an 13 (11 août 1805).

Lettre au président du corps législatif du royaume d'Italie.

Monsieur le président Taverna, je reçois la lettre du 1er août, que vous m'écrivez au nom du corps législatif. Les assurances de son attachement me sont d'autant plus agréables, que sa conduite pendant la session m'a démontré qu'il ne marchait pas dans la même direction que moi, et qu'il avait d'autres projets et un autre but que ceux que je me proposais. Il est dans mes principes de me servir des lumières de tous les corps intermédiaires, soit conseil des consulteurs, soit conseil législatif, soit corps législatif, soit même des différens colléges, toutes les fois qu'ils auront la même direction que moi. Mais, toutes les fois qu'ils ne porteront dans leurs délibérations qu'un esprit de faction et de turbulence, ou des projets contraires à ceux que je puis avoir médités pour le bonheur et la prospérité de mes peuples, leurs efforts seront impuissans, la honte leur en restera tout entière, et, malgré eux, je remplirai tous les desseins, je terminerai toutes les opérations que j'aurai jugées nécessaires à la marche de mon gouvernement et à l'exécution du grand projet que j'ai conçu de reconstituer et d'illustrer le royaume d'Italie. Ces principes, monsieur le président, je les transmettrai à mes descendans, et ils apprendront de moi qu'un prince ne doit jamais souffrir que l'esprit de cabale et de faction triomphe de son autorité; qu'un misérable esprit de légèreté et d'opposition déconsidère cette autorité première, fondement de l'ordre social, exécutrice du Code civil, et véritable source de tous les biens des peuples. Lorsque les corps intermédiaires seront animés d'un bon esprit, suivront le même but que moi, je serai empressé de prêter l'oreille à leurs observations, et de suivre leurs avis, soit dans la modification, soit dans la direction de ces vues. En finissant, monsieur, je ne veux vous laisser aucun doute sur la vérité de mes sentimens pour le plus grand nombre des membres du corps législatif, dont je connais le mérite et le foncier attachement pour ma personne. Réunis en assemblée, ils n'ont point senti la légèreté qu'ils ont portée dans leurs opérations, mais j'espère qu'appréciant mieux l'ordre et le bonheur de la société, ils sentiront l'avantage de rester rangés constamment autour du trône, de ne marquer dans l'opinion que par leurs propres témoignages de fidélité et d'obéissance, et de ne point ébranler l'attachement et l'amour des sujets par une opposition ouverte et inconsidérée. Sur ce, je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte garde.

NAPOLÉON.




Paris, le 33 thermidor an 13 (11 août 1805).

Note inscrite dans le Moniteur, en réponse à un article d'un journal anglais.

Nous ne sommes pas étonnés que les mouvemens de troupes que fait l'Autriche fassent penser a l'Angleterre qu'elle veut se coaliser contre la France. Mais nous avons meilleurs opinion des sentimens pacifiques de l'empereur d'Allemagne. L'expérience du passé prouve que la Russie verrait avec plaisir la France et l'Angleterre s'affaiblir par une longue guerre, pour envahir, à la faveur de ces circonstances, Constantinople et la Perse; et nous disons qu'elle le verrait avec plaisir, parce qu'elle n'a manqué aucune occasion d'aigrir les affaires au lieu de les raccommoder. On se souvient de la conduite de M. Marcoff à l'époque de la rupture de la paix d'Amiens. Si la Russie avait voulu intervenir, la guerre n'eût pas eu lieu; comme la conduite de M. Marcoff a été approuvée par son souverain, il faut en conclure qu'elle était dans le système du cabinet.

On se souvient avec quel acharnement la Russie, intervenant depuis à Ratisbonne, jetait le gant à la France, et faisait tous ses efforts pour pousser le corps germanique à la guerre. Le corps germanique fut plus sage; il sentit que le champ de bataille serait en Allemagne et en Italie. Il se ressouvint que la conduite des puissances du nord avait été constamment de s'agrandir et de se consolider par l'affaiblissement et les divisions des puissances du midi. Il resta calme, laissa dans l'oubli les notes russes, et se serra davantage à la France.

Dans cette dernière circonstance, les Anglais ont eu recours à la Russie. Si leur conduite n'a eu pour but que de donner un nouvel aliment à l'ambition de cette puissance, et d'accroître son animosité contre la France, ils ont réussi. M. de Novosilzoff s'en est retourné (c'était une chose toute simple); mais il a remis en partant au cabinet de Berlin une note inconvenante, et M. d'Alopeus s'est empressé de la faire imprimer dans les journaux du nord. Si au contraire l'Angleterre était de bonne foi, et voulait sincèrement la paix, la démarche de la Russie a déjoué ce projet, puisqu'elle n'a porté que passion et haine où il fallait du calme et de l'impartialité.

Il reste à savoir aujourd'hui quelle est celle des deux puissances de la Prusse et de l'Autriche qui se déclarera contre la France. La Prusse a déclaré hautement qu'elle ne partageait pas la haine furibonde des Anglais; qu'elle ne voyait pas à quoi pouvaient aboutir ses démarches inconsidérées, irritantes; et qu'enfin, sous aucun prétexte, elle ne prendrait les armes contre la France. Si la Russie élevant le ton voulait l'entraîner à la guerre contre la France, l'opinion du vieux Mollendorf, de ce compagnon du grand Frédéric, est que là Prusse n'a rien à redouter de la France, mais tout à craindre de la Russie; et que, par sentiment de justice, elle doit plutôt joindre cent mille Prussiens à cent mille Français pour défendre son indépendance, et tenir en respect cette puissance moitié européenne et moitié asiatique, qui, séparée de l'Europe par des déserts, pèse, lorsqu'elle le veut, avec tant d'arrogance sur tous ses voisins, et peut, lorsqu'elle le veut aussi, se mettre à l'écart de toutes les tempêtes qu'elle a suscitées.

Il dépend actuellement de la cour de Vienne de décider la question. La paix ou la guerre est dans ses mains. Si l'Angleterre la croit aussi ferme dans son système pacifique qu'elle sait que l'est la Prusse, elle sentira que, puisque le continent ne peut pas être troublé, elle doit mettre un terme à sa haine, et satisfaire le voeu de tous les peuples, en concluant de bonne foi, sans ruse comme sans vain partage, une paix juste et bonne.

Si l'Autriche est bien aise de voir la France et l'Angleterre s'entre-déchirer, elle fera marcher des troupes, fera des dispositions qui encourageront le parti de la guerre en Angleterre, et par là aura la triste gloire de prolonger les anxiétés et les inquiétudes de deux grandes nations.

Mais si les Anglais se trompent, cette politique ne peut guider la conduite d'un prince aussi franc et aussi honnête homme que l'empereur François II. Il n'est pour les princes comme pour les particuliers, qu'un chemin qui conduit à l'honneur. Si ce prince était dans des sentimens hostiles, il lèverait l'étendard. Il a une armée brave et une population nombreuse; il est convaincu qu'une guerre sourde est indigne de lui et de sa nation.

Nous ne doutons pas que l'Autriche veuille avoir la gloire de contribuer à la paix maritime; et elle y a son intérêt, puisque ce moment peut seul faire la séparation des couronnes de France et d'Italie, qu'il peut éloigner les Russes de Corfou et de la Morée, et les Anglais de la Méditerranée, trois choses également avantageuses à l'Autriche. Si elle le veut, disons-nous, elle a un moyen qui est simple; qu'elle persuade l'Angleterre de ce que la Prusse lui a persuadé, et que les journaux ministériels n'aient plus de prétextes pour faire penser que, peu à peu, on parviendra à amener l'Autriche à devenir bien imprudemment le plastron de l'Angleterre.

Mais est-il de l'intérêt de l'Angleterre de prolonger la guerre, même avec le secours de l'Autriche? Un Anglais éclairé disait dans une circonstance solennelle, que le cabinet de Saint-James était dans une fausse direction, quand il désirait vouloir acheter par des sacrifices pécuniaires une coalition. Il observait que la première coalition avait livré à la France, la Belgique et la Hollande; que la seconde lui avait donné le Piémont et l'Italie; que la troisième pourrait lui donner de nouvelles côtes et de nouveaux ports. Cette leçon de politique qui n'est point suspecte dans la bouche d'un citoyen anglais, pourrait l'être dans ce journal; elle n'en est pas moins vraie. Dans les circonstances actuelles, il n'y a d'avantageux pour l'Angleterre, et de profitable pour son commerce, qu'une paix juste et raisonnable.

Que l'Angleterre se persuade bien que les Français d'aujourd'hui, élevés et endurcis dans les camps, ne sont plus les Français du temps de Louis XV; que le temps où elle imposait un traité de commerce au cabinet de Versailles est presque aussi loin de nous que le temps où elle avait un commissaire à Dunkerque. L'empereur l'a très-bien dit au roi d'Angleterre: le monde est assez grand pour les deux nations; disons mieux, pour tous les peuples.




Paris, le 27 thermidor an 13 (15 août 1805).

Note inscrite dans le Moniteur, en réponse à cette phrase d'un journal anglais: «Que l'ennemi vienne (les Français) quand il voudra, il nous trouvera préparés à châtier sa témérité, et à changer son audacieuse entreprise en une destruction certaine pour lui-même.»

Et pourquoi l'ennemi ne vient-il pas? Nous verrions de qui l'événement châtierait la témérité. Nous connaissons votre généralissime; nous l'avons vu à Hondscoot et en Hollande; le tiers de l'armée de Boulogne suffirait pour changer ses audacieuses entreprises en une destruction certaine; mais quoi que vous en disiez, vous savez comme nous ce que vous pouvez attendre d'une lutte sur terre. Quant à la guerre de mer, vous avez acquis sans doute, et vous conservez jusqu'à ce jour une véritable supériorité, mais vous ne l'avez due, mais vous ne la devez qu'à la trahison. C'est la trahison qui vous a livré trente vaisseaux français à Toulon; la trahison du prince d'Orange vous a valu douze vaisseaux hollandais; la trahison enfin a détruit à Quiberon tout ce qui existait des officiers de notre ancienne marine. Malgré ces avantages si odieusement obtenus, et que nous ne vous contestons pas, nos escadres vous attaquent sur vos propres côtes; le Shannon est bloqué, non par de petits bâtimens comme vous le dites, mais par une bonne et belle escadre. Vos colonies avaient déjà rédigé leur capitulation et envoyé des agens à Villeneuve pour traiter; mais ce n'était point la l'objet de sa mission, et malgré les contrariétés qu'il a éprouvées en revenant en Europe, quoique sa navigation eût été de plus de cinquante jours; quoique les vents contraires lui en eussent fait perdre vingt, il a marché sur le corps de vos escadres et opéré sa jonction. Son objet ne fut pas d'attaquer votre commerce, et il vous a fait pour vingt millions de dommages. Dans les Indes, une seule division française a fait sur vous des prises pour une valeur encore plus considérable. Un seul brick du côté des Orcades a capturé tout un convoi de Terre-Neuve. Nos frégates parcourent toutes les mers; il n'y a pas de jours qu'il n'en rentre quelqu'une dans nos ports, et vous n'en avez pas encore pris une seule. Enfin, vous vous vantiez d'empêcher là jonction de nos flottilles, elles sont toutes réunies; et quand vous avez voulu vous opposer à leur marche, elles vous ont battus; vous vous vantiez d'attaquer notre ligne d'embossage, et c'est elle qui, plusieurs fois, a attaqué vos croisières, loin des batteries jusqu'à mi-canal, et de manière que vos vaisseaux, vos frégates, vos corvettes, ont cherché leur sûreté dans la supériorité de leur marche. Mais il y a deux ans qu'on prépare la descente, et la descente n'arrive pas? Elle arrivera si vous ne faites pas la paix. Elle arrivera peut-être dans un an, peut-être dans deux, peut-être dans trois; mais avant que les cinq années soient expirées, quelque événement qui puisse survenir, nous aurons raison de votre orgueil, et de cette supériorité que des trahisons vous ont donnée. Quant au continent, ne croyez pas que vous ayez des alliés. Vous êtes l'ennemi de tous les peuples, et tous les peuples se réjouissent de votre humiliation. Mais parvinssiez-vous à corrompre quelques femmes, quelques ministres, les résultats ne seraient pas pour vous; nous aurions sûrement acquis de nouvelles côtes et de nouveaux ports, de nouvelles contrées, et nous réduirions vos alliés à un tel point que nous pourrions ensuite nous livrer tout entière la guerre maritime. C'est un singulier orgueil qui vous fait penser que nous prétendions en un jour, en un mois, en un an, venir à tout de votre puissance colossale. Le temps est un des moyens, un des élémens de nos calculs. Ayez recours, dans une telle position, à des complots, à des assassinats, à la bonne heure. Cette sorte de guerre ne vous est point étrangère. On dit déjà que Drake songe à revenir à Munich, Spencer-Smith à Stuttgard, et Taylord à Cassel. La France ne souffrira pas qu'ils mettent le pied, non-seulement sur le continent, mais dans les lieux où, en cinq à six marches, peuvent se porter ses armées. Les diplomates assassins sont hors du droit des gens.

Nous nous étions attendus à des malheurs quand vous avez déclaré la guerre. Nous pouvions perdre la Martinique, la Guadeloupe, les îles de France et de la Réunion; qu'avez-vous fait? Vous êtes réduits à un triste système de blocus qui n'empêche pas nos escadres de parcourir les mers; persistez à bloquer nos ports, mais ayez les yeux fixés sur les signaux de vos côtes, et vivez dans de perpétuelles alarmes.

Si votre nation indignée continuant à être dupe de quelques hommes qui se sont partagé le gouvernement de l'Angleterre, ne parvient pas à obliger vos oligarques à faire la paix et à leur persuader enfin que nous ne sommes plus ces Français si long-temps vendus et trahis par des ministres faibles, des rois fainéants, ou des maîtresses avides, vous marcherez vers une inévitable et funeste destinée.

Nous désirons la paix du continent, parce qu'il se trouve placé comme nous voulions qu'il le fût. Nous aurions pu augmenter notre puissance et affaiblir celle de nos rivaux, si nous l'avions trouvé convenable. S'il est quelque état qui veuille encore troubler le continent, il sera la première victime, et sa défaite retombant sur vous-mêmes, rendra vos périls plus imminens et votre chute plus assurée.

Nous le répétons: une paix juste et raisonnable peut seule vous sauver. Un de nos adages est déjà prouvé, et puisque vous n'espérez de salut que dans le concours d'une puissance du continent, seuls vous ne pouvez donc rien contre la France, et la France ne souffrira pas que, seule, vous ayez des vaisseaux sur les mers; les mers sont le domaine de tous les peuples.




Paris, le 1er vendémiaire an 14 (23 septembre 1805).

Discours de l'empereur au sein du sénat81.

Sénateurs,

«Dans les circonstances présentes de l'Europe, j'éprouve le besoin de me trouver au milieu de vous, et de vous faire connaître mes sentimens.

«Je vais quitter ma capitale pour me mettre à la tête de l'armée, porter un prompt secours à mes alliés, et défendre les intérêts les plus chers de mes peuples.

«Les voeux des éternels ennemis du continent sont accomplis: la guerre a commencé au milieu de l'Allemagne. L'Autriche et la Russie se sont réunies à l'Angleterre, et notre génération est entraînée de nouveau dans toutes les calamités de la guerre. Il y a peu de jours, j'espérais encore que la paix ne serait point troublée; les menaces et les outrages m'avaient trouvé impassible; mais l'armée autrichienne a passé l'Inn, Munich est envahie, l'électeur de Bavière est chassé de sa capitale; toutes mes espérances se sont évanouies.

«C'est-dans cet instant que s'est dévoilée la méchanceté des ennemis du continent; Ils craignaient encore la manifestation de mon violent amour pour la paix; ils craignaient que l'Autriche, à l'aspect du gouffre qu'ils avaient creusé sous ses pas, ne revînt à des sentimens de justice et de modération; ils l'ont précipitée dans la guerre. Je gémis du sang qu'il va en coûter à l'Europe; mais le nom français en obtiendra un nouveau lustre.

«Sénateurs, quand à votre aveu, à la voix du peuple français tout entier, j'ai placé sur ma tête la couronne impériale, j'ai reçu de vous, de tous les-citoyens, l'engagement de la maintenir pure et sans tache. Mon peuple m'a donné dans toutes les circonstances des preuves de sa confiance et de son amour. Il volera sous les drapeaux de son empereur et de son armée, qui dans peu de jours auront dépassé les frontières.

«Magistrats, soldats, citoyens, tous veulent maintenir la patrie hors de l'influence de l'Angleterre, qui, si elle prévalait, ne nous accorderait qu'une paix environnée d'ignominie et de honte, et dont les principales conditions seraient l'incendie de nos flottes, le comblement de nos ports, et l'anéantissement de notre industrie.

«Toutes les promesses que j'ai faites au peuple français, je les ai tenues. Le peuple français, à son tour, n'a pris aucun engagement avec moi qu'il n'ait surpassé. Dans cette circonstance si importante pour sa gloire et la mienne, il continuera de mériter ce nom de grand peuple, dont je le saluai au milieu des champs de bataille.

«Français, votre empereur fera son devoir, mes soldats feront le leur; vous ferez le vôtre.»

NAPOLÉON.

Footnote 81: (return) Au moment de son départ pour l'armée, occasionné par l'invasion de la Bavière par l'empereur d'Autriche.



An quartier-général de Strasbourg, le 7 vendémiaire an 14 (29 septembre 1805).

Proclamation de l'empereur à l'armée.

Soldats!

La guerre de la troisième coalition est commencée. L'armée autrichienne a passé l'Inn, violé les traités, attaqué et chassé de sa capitale notre allié... Vous-mêmes vous avez dû accourir à marches forcées à la défense de nos frontières; mais déjà vous avez passé le Rhin: nous ne nous arrêterons plus que nous n'ayons assuré l'indépendance du corps germanique, secouru nos alliés et confondu l'orgueil des injustes aggresseurs. Nous ne ferons plus de paix sans garantie: notre générosité ne trompera plus notre politique.

Soldats, votre empereur est au milieu de vous. Vous n'êtes que l'avant-garde du grand peuple; s'il est nécessaire, il se lèvera tout entier à ma voix pour confondre et dissoudre cette nouvelle ligue qu'ont tissue la haine et l'or de l'Angleterre.

Mais, soldats, nous aurons des marches forcées à faire, des fatigues et des privations de toute espèce à endurer; quelques obstacles qu'on nous oppose, nous les vaincrons; et nous ne prendrons de repos que nous n'ayons planté nos aigles sur le territoire de nos ennemis.

NAPOLÉON.




14 vendémiaire an 14 (6 octobre 1805).

Premier bulletin de la grande armée.

L'empereur est parti de Paris le 2 vendémiaire, et est arrivé le 4 à Strasbourg.

Le maréchal Bernadette, qui, au moment où l'armée était partie de Boulogne, s'était porté de Hanovre sur Gottingue, s'est mis en marche par Francfort, pour se rendre à Wurtzbourg, où il est arrivé le 1er vendémiaire.

Le général Marmont, qui était arrivé à Mayence, a passé le Rhin sur le pont de Cassel, et s'est dirigé sur Wurtzbourg, où il a fait sa jonction avec l'armée bavaroise et le corps du maréchal Bernadotte.

Le corps du maréchal Davoust a passé le Rhin le 4 à Manheim, et s'est porté, par Hildeberg et Necker-Eltz, sur le Necker.

Le corps du maréchal Soult a passé le Rhin le même jour sur le pont qui a été jeté à Spire, et s'est porté sur Heilbronn.

Le corps du maréchal Ney a passé le Rhin le même jour sur le pont qui a été jeté vis à vis de Durlach, et s'est porté à Stuttgard.

Le corps du maréchal Lannes a passé le Rhin à Kehl le 3, et s'est rendu à Louisbourg.

Le prince Murat, avec la réserve de cavalerie, a passé le Rhin à Kehl le 3, et est resté en position plusieurs jours devant les débouchés de la forêt Noire; ses patrouilles, qui se montraient fréquemment aux patrouilles ennemies, leur ont fait croire que nous voulions pénétrer par ses débouchés.

Le grand parc de l'armée a passé le Rhin à Kehl, le 8, et s'est rendu à Heilbronn.

L'empereur a passé le Rhin à Kehl, le 9, a couché à Ettlingen le même jour, y a reçu l'électeur et les princes de Bade, et s'est rendu à Louisbourg chez l'électeur de Wurtemberg, dans le palais duquel il a logé.

Le 10, le corps du général Bernadotte et du général Marmont et les Bavarois qui étaient à Wurtzbourg, se sont réunis et se sont mis en marche pour se rendre sur le Danube.

Le corps du maréchal Davoust s'est mis en marche de Necker-Eltz et a suivi la route de Meckmühl, Ingelsingen, Chreilsheim, Dunkelsbülh, Frembdingen, Aettingen, Haarburg et Donatwerth.

Le corps du maréchal Soult s'est mis en marche d'Heilbronn et a suivi la route d'Esslingen, Goppingen, Weissenstein, Heydenheim, Nattheim et Nordlingen.

Le corps du maréchal Lannes s'est mis en marche de Louisbourg, et a suivi la route de Grossbentelspach à Pludershausen, Gmünd, Aalen et Nordlingen.

Voici la position de l'armée au 14:

Le corps du maréchal Bernadotte et les Bavarois étaient à Weissenbourg.

Le corps du maréchal Davoust à Aettingen, à cheval sur la Reinitz.

Le corps du maréchal Soult à Donawerth, mettre du pont de Munster, et faisant rétablir celui de Donawerth.

Le corps du maréchal Ney a Koessingen.

Le corps du maréchal Lannes à Neresheim.

Le prince Murat, avec ses dragons, bordant le Danube.

L'armée est pleine de santé, et brûlant d'en venir aux mains.

L'ennemi s'était avancé jusqu'aux débouchés de la forêt Noire, où il parait qu'il voulait se maintenir et nous empêcher de pénétrer.

Il avait fait fortifier l'Iller, Memmingen et Ulm se fortifiaient en grande hâte.

Les patrouilles qui battent la campagne assurent qu'il a contremandé ses projets et qu'il paraît fort déconcerté par nos mouvemens aussi nouveaux qu'inattendus.

Les patrouilles françaises et ennemies se sont souvent rencontrées; dans ces rencontres, nous avons fait quarante prisonniers du régiment à cheval de Latour.

Ce grand et vaste mouvement nous a portés en peu de jours en Bavière, nous a fait éviter les montagnes Noires, la ligne de rivières parallèles qui se jettent dans la vallée du Danube, l'inconvénient attaché à un système d'opérations qui auraient toujours en flanc les débouchés du Tyrol, et enfin nous a placés à plusieurs marches derrière l'ennemi, qui n'a pas de temps à perdre pour éviter sa perte entière.




14 vendémiaire an 14 (6 octobre 1805).

Proclamation de l'empereur des Français aux soldats bavarois.

Soldats bavarois,.

«Je me suis mis à la tête de mon armée pour délivrer votre patrie des plus injustes agresseurs. La maison d'Autriche veut détruire votre indépendance, et vous incorporer à ses vastes états. Vous serez fidèles à la mémoire de vos ancêtres qui, quelquefois opprimés, ne furent jamais abattus, et conservèrent toujours cette indépendance, cette existence politique qui sont les premiers biens des nations, comme la fidélité à la maison palatine est le premier de vos devoirs.

«En bon allié de votre souverain, j'ai été touché des marques d'amour que vous lui avez données dans cette circonstance importante. Je connais votre bravoure; je me flatte qu'après la première bataille, je pourrai dire à votre prince et à mon peuple, que vous êtes dignes de combattre dans les rangs de la grande armée.»

NAPOLÉON.




16 vendémiaire an 14 (8 octobre 1805).

Deuxième bulletin de la grande armée.

Les événemens se pressent avec la plus grande rapidité. Le 14, la deuxième division du corps d'armée du maréchal Soult, que commande le général Vandamme, a forcé de marche, ne s'est arrêtée à Nordlingen que deux heures, est arrivée à huit heures du soir à Donawerth, et s'est emparée du pont que défendait le régiment de Colloredo. Il y a eu quelques hommes tués et des prisonniers.

Le 15, à la pointe du jour, le prince Murat est arrivé avec ses dragons; le pont a été à l'heure même raccommodé, et le prince Murat, avec la division de dragons que commande le général Watter, s'est porté sur le Lech, a fait passer le colonel Wattier à la tête de deux cents dragons, qui, après une charge très-brillante, s'est emparé du pont du Lech, et a culbuté l'ennemi, qui était du double de sa force. Le même jour, le prince Murat a couché à Rain.

Le 16, le maréchal Soult est parti avec les deux divisions Vandamme et Legrand, pour se porter sur Augsbourg dans le même temps que le général Saint-Hilaire, avec sa division, s'y portait par la rive gauche.

Le 17, à la pointe du jour, le prince Murat, à la tête des divisions de dragons des généraux Beaumont et Klein, et de la division de carabiniers et de cuirassiers, commandée par le général Nansouty, s'est mis en marche pour couper la route d'Ulm a Augsbourg. Arrivé à Wertingen, il aperçut une division considérable d'infanterie ennemie, appuyée par quatre escadrons de cuirassiers d'Albert. Il enveloppe aussitôt tout ce corps. Le maréchal Lannes, qui marchait derrière ces divisions de cavalerie, arrive avec la division Oudinot, et après un engagement de deux heures, drapeaux, canons, bagages, officiers et soldats, toute la division ennemie est prise. Il y avait douze bataillons de grenadiers qui venaient en grande hâte du Tyrol au secours de l'armée de Bavière. Ce ne sera que dans la journée de demain qu'on connaîtra tous les détails de cette action vraiment brillante.

Le maréchal Soult, avec ses divisions, a manoeuvré toute la journée du 15 et du 16 sur la rive gauche du Danube pour intercepter les débouchés d'Ulm et observer le corps d'armée qui paraît encore réuni dans cette place.

Le corps du maréchal Davoust est arrivé seulement le 16 à Neubourg.

Le corps du général Marmont y est également arrivé.

Le corps du général Bernadotte et les Bavarois sont arrivés, le 10, à Aichstett.

Par les renseignemens qui ont été pris, il paraît que douze régimens autrichiens ont quitté l'Italie pour renforcer l'armée de Bavière.

La relation officielle de ces marches et de ces événemens intéressera le public et fera le plus grand honneur à l'armée.




Au quartier-général d'Augsbourg, le 18 vendémiaire an 14 (10 octobre 1805).

Aux préfet et maires de la ville de Paris.

Messieurs les préfets et maires de notre bonne ville de Paris, nos troupes ayant, au combat de Wertingen, défait douze bataillons de grenadiers, l'élite de l'armée autrichienne, toute son artillerie étant restée en notre pouvoir, ainsi qu'un grand nombre de prisonniers et huit drapeaux, nous avons résolu de faire présent des drapeaux à notre bonne ville de Paris et de deux pièces de canon pour rester à l'Hôtel-de-Ville. Nous désirons que notre bonne ville de Paris voie dans ce ressouvenir et dans ce cadeau, qui lui sera d'autant plus précieux que c'est son gouverneur82 qui commandait nos troupes au combat de Wertingen, l'amour que nous lui portons.

Cette lettre n'étant à d'autre fin, nous prions Dieu qu'il vous tienne en sa sainte et digne garde.

NAPOLÉON.

Footnote 82: (return) Le prince Murat.



Zumershausen, le 18 vendémiaire an 14 (10 octobre 1805).

Troisième bulletin de la grande armée.

Le maréchal Soult a poursuivi la division autrichienne, qui s'est réfugiée à Aicha, l'a chassée, et est entré le 17, à midi, dans Augsbourg avec les divisions Vandamme, Saint-Hilaire et Legrand.

Le 17 au soir, le maréchal Davoust, qui a passé le Danube à Neubourg, est arrivé à Aicha avec ses trois divisions.

Le général Marmont, avec les divisions Boudet, Grouchy, et la division batave du général Dumonceau, a passé le Danube et pris position entre Aicha et Augsbourg.

Enfin, le corps d'armée du maréchal Bernadotte, avec l'armée bavaroise commandée par les généraux Deroi et Verden, a pris position à Ingolstadt; la garde impériale, commandée par le maréchal Bessières, s'est rendue à Augsbourg, ainsi que la division de cuirassiers aux ordres du général d'Hautpout. Le prince Murat, avec les divisions de dragons de Klein et de Beaumont, et la division de carabiniers et de cuirassiers du général Nansouty, s'est porté en toute, diligence au village de Zumershausen, pour intercepter la route d'Ulm à Augsbourg.

Le maréchal Lannes, avec la division de grenadiers d'Oudinot, et la division Suchet, a pris poste le même jour au village de Zumershausen.

L'empereur a passé en revue les dragons au village de Zumershausen; il s'est fait présenter le nommé Mareute, dragon du quatrième régiment, un des plus braves de l'armée, qui, au passage du Lech, avait sauvé son capitaine qui, peu de jours auparavant, l'avait cassé de son grade de sous-officier. S. M. lui a donné l'aigle de la légion d'honneur. Ce brave a répondu: «Je n'ai fait que mon devoir; mon capitaine m'avait cassé pour quelques fautes de discipline, mais il sait que j'ai toujours été bon soldat.»

L'empereur a ensuite témoigné aux dragons la satisfaction de la conduite qu'ils ont tenue au combat de Wertingen. Il s'est fait présenter un dragon par régiment, auquel il a également donné l'aigle de la légion d'honneur.

S. M. a témoigné sa satisfaction aux grenadiers de la division Oudinot. Il est impossible de voir une troupe plus belle, plus animée du désir de se mesurer avec l'ennemi, plus remplie d'honneur et de cet enthousiasme militaire, qui est le présage des plus grands succès.

Jusqu'à ce qu'on puisse donner une relation détaillée du combat de Wertingen, il est convenable d'en dire quelques mots dans ce bulletin.

Le colonel Arrighi a chargé avec son régiment de dragons le régiment de cuirassiers du duc Albert; la mêlée a été très chaude. Le colonel Arrighi a eu son cheval tué sous lui; son régiment a redoublé d'audace pour le sauver. Le colonel Beaumont, du dixième de hussards, animé de cet esprit vraiment français, a saisi au milieu des rangs ennemis un capitaine de cuirassiers, qu'il a pris lui-même, après avoir sabré un cavalier.

Le colonel Maupetit, à la tête du neuvième de dragons, a chargé dans le village de Wertingen. Blessé mortellement, ses derniers paroles ont été: «Que l'empereur soit instruit que le neuvième de dragons a été digne de sa réputation, et qu'il a chargé et vaincu aux cris de vive l'empereur.»

Cette colonne de grenadiers, l'élite de l'armée ennemie, s'étant formée en carrés de quatre bataillons, a été enfoncée et sabrée. Le deuxième bataillon de dragons a chargé dans le bois.

La division Oudinot frémissait de l'éloignement qui l'empêchait encore de se mesurer avec l'ennemi; mais à sa vue seule les Autrichiens accélèrent leur retraite, une seule brigade a pu donner.

Tous les canons, tous les drapeaux, presque tous les officiers du corps ennemi qui a combattu à Wertingen, ont été pris; un grand nombre a été tué; deux lieutenans-colonels, six majors, soixante officiers, quatre mille soldats sont restés en notre pouvoir; le reste a été éparpillé, et ce qui a pu échapper, a dû son salut à un marais qui a arrêté une colonne qui tournait l'ennemi.

Le chef d'escadron Excelmans, aide-de-camp de S. A. S. le prince Murat, a eu deux chevaux tués.

C'est lui qui a porté les drapeaux à l'empereur qui lui a dit: «Je sais qu'on ne peut pas être plus brave que vous; je vous fais officier de la légion d'honneur.»

Le maréchal Ney de son côté, avec la division Malher, Dupont et Loison, la division de dragons à pied du général Baraguey-d'Hilliers, et la division Gazan, ont remonté le Danube et attaqué l'ennemi sur la position de Grümberg. Il est cinq heures, le canon se fait entendre.

Il pleut beaucoup, mais cela ne ralentit pas les marches forcées de la grande armée. L'empereur donne l'exemple: à cheval jour et nuit, il est toujours au milieu des troupes, et partout où sa présence est nécessaire. Il a fait hier quatorze lieues à cheval. Il a couché dans un petit village, sans domestiques et sans aucune espèce de bagage. Cependant l'évêque d'Augsbourg avait fait illuminer son palais, et attendu S. M. une partie de la nuit.




Augsbourg, le 19 vendémiaire an 14 (11 octobre 1805).

Quatrième bulletin de la grande armée.

Le combat de Wertingen a été suivi, à vingt-quatre heures de distance, du combat de Günzbourg. Le maréchal Ney a fait marcher son corps d'armée, la division Loison sur Langeneau, et la division Malher sur Günzbourg. L'ennemi, qui a voulu s'opposer à cette marche, a été repoussé partout. C'est en vain que le prince Ferdinand est accouru en personne pour défendre Günzbourg. Le général Malher l'a fait attaquer par le cinquante-neuvième régiment; le combat est devenu opiniâtre, corps à corps. Le colonel Lacuée a été tué à la tête de son régiment, qui, malgré la plus vigoureuse résistance, a emporté le pont de vive force; les pièces de canon qui le défendaient ont été enlevées, et la belle position de Günzbourg est restée en notre pouvoir. Les trois attaques de l'ennemi sont devenues inutiles; il s'est retiré avec précipitation; la réserve du prince Murat arrivait à Burgau et coupait l'ennemi dans la nuit.

Les détails circonstanciés du combat qui ne peuvent être donnés que sous quelques jours, feront connaître les officiers gui se sont distingués.

L'empereur a passé toute la nuit du 17 au 18, et une partie de la journée du 18, entre les corps des maréchaux Ney et Lannes.

L'activité de l'armée française, l'étendue et la complication des combinaisons qui ont entièrement échappé à l'ennemi, le déconcertent au dernier point.

Les conscrits montrent autant de bravoure et de bonne volonté que les vieux soldats. Quand ils ont une fois été au feu, ils perdent le nom de conscrits; aussi tous aspirent-ils à l'honneur du titre de soldats. Le temps continue à être très-mauvais depuis plusieurs jours. Il pleut encore beaucoup: l'armée cependant est pleine de santé.

L'ennemi a perdu plus de deux mille cinq cents hommes au combat de Günzbourg. Nous avons fait douze cents prisonniers et pris six pièces de canon. Nous avons eu quatre cents tués ou blessés. Le général-major d'Aspre est au nombre des prisonniers.

L'empereur est arrivé le 18 à Augsbourg, à neuf heures du soir; la ville est occupée depuis deux jours. La communication de l'armée ennemie est coupée à Augsbourg et Landsberg, et va l'être à Fuessen. Le prince Murat, avec les corps des maréchaux Ney et Lannes, se met à sa poursuite. Dix régimens ont été retirés de l'armée autrichienne d'Italie et viennent en poste depuis le Tyrol. Plusieurs ont déjà été pris. Quelques corps russes, qui voyagent aussi en poste, s'avancent vers l'Inn; mais les avantages de notre position sont tels que nous pouvons faire face à tous.

L'empereur est logé à Augsbourg chez l'ancien électeur de Trêves, qui a traité avec magnificence la suite de S.M. pendant le temps que ses équipages ont mis a arriver.




Augsbourg, le 20 vendémiaire an 14 (l2 octobre 1805).

Cinquième bulletin de la grande armée.

Le maréchal Soult s'est porté avec son corps d'armée à Landsberg, et par là a coupé une des grandes communications de l'ennemi; il y est arrivé le 19, à quatre heures après midi, et y a rencontré le régiment de cuirassiers du prince Ferdinand, qui, avec six pièces de canon, se rendait à marches forcées à Ulm. Le maréchal Soult l'a fait charger par le vingt-sixième régiment de chasseurs; il s'est trouvé déconcerté à un tel point, et le vingt-sixième de chasseurs était animé d'une telle ardeur, que les cuirassiers ont pris la fuite dans la charge, et ont laissé cent vingt soldats prisonniers, un lieutenant-colonel, deux capitaines et deux pièces de canon. Le maréchal Soult, qui avait pensé qu'ils continueraient leur retraite sur Memmingen, avait envoyé plusieurs régimens pour les couper; mais ils s'étaient retirés dans les bois, où ils se sont ralliés pour se réfugier dans le Tyrol.

Vingt pièces de canon et les équipages de pontons de l'ennemi étaient passés dans la journée du 18 par Landsberg. Le maréchal Soult a mis a leur poursuite le général Sébastiani avec une brigade de dragons. On espère qu'il sera parvenu à les atteindre.

Le 20, le maréchal Soult s'est dirigé sur Memmingen, où il arrivera le 21 à la pointe du jour.

Le maréchal Bernadotte a marché toute la journée du 19, et a porté son avant-garde jusqu'à deux lieues de Munich.

Les bagages de plusieurs généraux autrichiens sont tombés au pouvoir de ses troupes légères. Il a fait une centaine de prisonniers de différens régimens.

Le maréchal Davoust s'est porté à Dachau. Son avant-garde est arrivée à Moisach. Les hussards de Blankenstein ont été mis en désordre par ses chasseurs; dans différens engagemens il a fait une soixantaine d'hommes à cheval prisonniers.

Le prince Murat, avec la réserve de cavalerie et les corps des maréchaux Ney et Lannes, s'est placé vis à vis de l'armée ennemie, dont la gauche occupe Ulm et la droite Memmingen.

Le maréchal Ney est à cheval sur le Danube, vis à vis Ulm.

Le maréchal Lannes est à Weissenhorn.

Le général Marmont se met en marche forcée pour prendre position sur la hauteur d'Illersheim; et le maréchal Soult déborde de Memmingen la droite de l'ennemi.

La garde impériale est-partie d'Augsbourg pour se rendre à Burgau, où l'empereur sera probablement cette nuit.

Une affaire décisive va avoir lieu. L'armée autrichienne a presque toutes ses communications coupées. Elle se trouve à peu près dans la même position que l'armée de Mélas à Marengo.

L'empereur était sur le pont de Lech lorsque le corps d'armée du général Marmont a défilé. Il a fait former en cercle chaque régiment, lui a parte de la situation de l'ennemi, de l'imminence d'une grande bataille, de la confiance qu'il avait en eux. Cette harangue avait lieu pendant un temps affreux; il tombait une neige abondante et la troupe avait de la boue jusqu'aux genoux et éprouvait un froid excessif; mais les paroles de l'empereur étaient de flamme. En l'écoutant, le soldat oubliait ses fatigues et ses privations, et était impatient de voir arriver l'heure du combat.

Le maréchal Bernadotte est arrivé a Munich le 20, a six heures du matin. Il a fait huit cents prisonniers et s'est mis à la poursuite de l'ennemi; le prince Ferdinand se trouvait à Munich. Il paraît que ce prince avait abandonné son armée de l'Iller.

Jamais plus d'événemens ne se décideront en moins de temps. Avant quinze jours les destins de la campagne et des armées autrichiennes et russes seront fixés.




Elchingen, le 23 vendémiaire an 14 (16 octobre 1805).

Cinquième bulletin (Bis) de la grande armée.

Aux combats de Wertingen et de Günzbourg ont succédé des faits d'une aussi haute importance, les combats d'Albeck, d'Elchingen, les prises d'Ulm et de Memmingen.

Le général Soult arriva le 21 devant Memmingen, cerna sur-le-champ la place; et après différens pourparlers, le commandant Capitula.

Neuf bataillons, dont deux de grenadiers, faits prisonniers, un général-major, trois colonels, plusieurs officiers supérieurs, dix pièces de canon, beaucoup de bagages et de munitions de toute espèce ont été le résultat de cette affaire. Tous les prisonniers ont été au même moment dirigés sur le quartier-général.

Au même instant le maréchal Soult s'est mis en marche pour Ochsenhausen, pour arriver sur Biberach et être en mesure de couper la seule retraite qui restait à l'archiduc Ferdinand.

D'un autre côté, l'ennemi fit le 19 une sortie du côté d'Ulm, et attaqua la division Dupont, qui occupait la position d'Albeck. Le combat fut des plus opiniâtres. Cernés par vingt-cinq mille hommes, ces six mille braves firent face à tout et firent quinze cents prisonniers. Ces corps ne devaient s'étonner de rien: c'étaient les neuvième léger, trente-deuxième, soixante-neuvième et soixante-seizième de ligne.

Le 21, l'empereur se porta de sa personne au camp devant Ulm, et ordonna l'investissement de l'armée ennemie. La première opération a été de s'emparer du pont et de la position d'Elchingen.

Le 22, à la pointe du jour, le maréchal Ney passa ce pont, à la tête de la division Loison. L'ennemi lui disputait la position d'Elchingen avec seize mille hommes; il fut culbuté partout, perdit trois mille hommes faits prisonniers, un général-major, et fut poursuivi jusque dans ses retranchemens.

Le maréchal Lannes occupa les petites hauteurs qui dominent la place au-dessus de Pfoël. Les tirailleurs enlevèrent la tête du pont d'Ulm; le désordre fut extrême dans toute la place. Dans ce moment, le prince Murat faisait manoeuvrer les divisions Klein et Beaumont, qui partout mettaient en déroute la cavalerie ennemie.

Le 22, le général Marmont occupait les ponts de Unterkirchen, d'Oberkirch, à l'embouchure de l'Iller dans le Danube, et toutes les communications de l'ennemi sur l'Iller.

Le 23, à la pointe du jour, l'empereur se porta lui-même devant Ulm. Le corps du prince Murat et ceux des maréchaux Lannes et Ney se placèrent en bataille pour donner l'assaut, et forcer les retranchemens de l'ennemi.

Le général Marmont, avec la division de dragons à pied du général Baraguey-d'Hilliers, bloquait la ville sur la rive droite du Danube.

La journée est affreuse. Le soldat est dans la boue jusqu'aux genoux. Il y a huit jours que l'empereur ne s'est débotté.

Le prince Ferdinand avait filé la nuit sur Biberach, en laissant douze bataillons dans la ville et sur les hauteurs d'Ulm, lesquels ont été tous pris, avec une assez grande quantité de canons.

Le maréchal Soult a occupé Biberach le 23 au matin.

Le prince Murat se met à la poursuite de l'armée ennemie, qui est dans un délabrement effroyable.

D'une armée de quatre-vingt mille hommes il n'en reste que vingt-cinq mille, et on a lieu d'espérer que ces vingt-cinq mille ne nous échapperont pas.

Immédiatement après son entrée à Munich, le maréchal Bernadotte a poursuivi le corps du général Kienmayer, lui a pris des équipages et fait des prisonniers.

Le général Kienmayer a évacué le pays et repassé l'Inn. Ainsi la promesse de l'empereur se trouve réalisée, et l'ennemi est chassé de toute la Bavière.

Depuis le commencement de la campagne nous avons fait plus de vingt mille prisonniers, enlevé à l'ennemi trente pièces de canons et vingt drapeaux; nous avons, de notre côté, éprouvé peu de pertes. Si l'on joint à cela les déserteurs et les morts, on peut calculer que l'armée autrichienne est déjà réduite de moitié.

Tant de dévouement de la part du soldat, tant de preuves touchantes d'amour qu'il donne à l'empereur et tant de si hauts faits mériteront des détails plus circonstanciés. Ils seront donnés du moment que ces premières opérations de la campagne seront terminées, et que l'on saura définitivement comment les débris de l'armée autrichienne se tireront de Biberach, et la position qu'ils prendront.

Au combat d'Elchingen, qui est un des plus beaux faits militaires qu'on puisse citer, se sont distingués: les dix-huitième régiment de dragons et son colonel Lefèvre, le colonel du dixième de chasseurs Colbert, qui a eu un cheval tué sous lui; le colonel Lajonquières du soixante-seizième, et un grand nombre d'autres officiers.

L'empereur a aujourd'hui son quartier-général dans l'abbaye d'Elchingen.




De mon camp impérial d'Elchingen, le 26 vendémiaire an 14 (18 octobre 1805).

Au sénat conservateur.

Sénateurs,

«Je vous envoie quarante drapeaux conquis par mon armée dans les combats qui ont eu lieu depuis celui de Wertingen. C'est un hommage que moi et mon armée faisons aux sages de l'empire; c'est un présent que des enfans font à leurs pères.

«Sénateurs, voyez-y une preuve de ma satisfaction pour la manière dont vous m'avez constamment secondé dans les affaires les plus importantes de l'empire. Et vous, Français, faites marcher vos frères; faites qu'ils accourent combattre à nos côtés, afin que, sans effusion de sang, sans efforts, nous puissions repousser loin de nous toutes les armées que forme l'or de l'Angleterre, et confondre les auxiliaires des oppresseurs des mers. Sénateurs, il n'y a pas encore un mois que je vous ai dit que votre empereur et son armée feraient leur devoir. Il me tarde de pouvoir dire que mon peuple fait le sien. Depuis mon entrée en campagne, j'ai dispersé une armée de cent mille hommes: j'en ai fait près de la moitié prisonniers; le reste est tué, blessé, ou déserté, ou réduit à la plus grande consternation. Ces succès éclatans, je les dois à l'amour de mes soldats, à leur constance à supporter les fatigues. Je n'ai pas perdu quinze cents tues ou blessés. Sénateurs, le premier objet de la guerre est déjà rempli. L'électeur de Bavière est rétabli sur son trône. Les injustes agresseurs ont été frappés comme par la foudre, et avec l'aide de Dieu, j'espère, dans un court espace de temps, triompher de mes autres ennemis».

NAPOLÉON

De mon camp impérial d'Elchingen, le 26 vendémiaire an 14 (18 octobre 1805).

Aux archevêques et évêques de l'empire.

«M. l'évéque du diocèse de... Les victoires éclatantes que viennent d'obtenir nos armées contre la ligue injuste qu'ont fomentée la haine et l'or de l'Angleterre, veulent que moi et mon peuple adressions des remercimens au Dieu des armées, et l'implorions, afin qu'il soit constamment avec nous. Nous avons déjà conquis les états de notre allié, et l'avons rétabli dans sa capitale. Veuillez donc, au reçu de la présente, faire chanter dans les églises de notre empire un Te Deum en actions de grâces, noire intention étant que les différentes autorités y assistent.

«Cette lettre n'étant pas à une autre fin, nous prions Dieu qu'il vous ait, monsieur l'évéque, en sa sainte garde.»

NAPOLÉON.




Elchingen, le 26 vendémiaire an 14 (18 octobre 1805).

Sixième bulletin de la grande armée.

La journée d'Ulm a été une des plus belles journées de l'histoire de France. La capitulation de la place est ci-jointe, ainsi que l'état des régimens qui y sont enfermés. L empereur eût pu l'enlever d'assaut; mais vingt mille hommes, défendus par des ouvrages et des fossés pleins d'eau, eussent opposé de la résistance, et le vif désir de S.M. était d'épargner le sang. Le général Mack, général en chef de l'armée, était dans la ville. C'est la destinée des généraux apposés a l'empereur, d'être pris dans des places. On se souvient qu'après les belles manoeuvres de la Brenta, le vieux feld-maréchal Wurmser fut fait prisonnier dans Mantoue, Mélas le fut dans Alexandrie, Mack l'est dans Ulm.

L'armée autrichienne était une des plus belles qu'ait eues l'Autriche. Elle se composait de quatorze régimens d'infanterie formant l'armée dite de Bavière, de treize régimens de l'armée du Tyrol, et de cinq régimens venus en poste d'Italie, faisant trente-deux régimens d'infanterie, et de quinze régimens de cavalerie.

L'empereur avait placé l'armée du prince Ferdinand dans la même situation où il plaça celle de Mélas. Après avoir hésité longtemps, Mélas prit la noble résolution de passer sur le corps de l'armée française, ce qui donna lieu à la bataille de Marengo. Mack a pris un autre parti: Ulm est l'aboutissant d'un grand nombre de routes. Il a conçu le projet de faire échapper ses divisions par chacune de ces routes, et de les réunir en Tyrol et en Bohême. Les divisions Hohenzollern et Werneck ont débouché par Memmingen. Mais l'empereur, dès le 20, accourut d'Augsbourg devant Ulm, déconcerta sur-le-champ les projets de l'ennemi, et fit enlever le pont et la position d'Elchingen, ce qui remédia à tout.

Le maréchal Souk, après avoir pris Memmingen, s'était mis à la poursuite des autres colonnes. Enfin, il ne restait plus au prince Ferdinand d'autre ressource que de se laisser enfermer dans Ulm, ou d'essayer, par des sentiers, de rejoindre la division de Hohenzollern; ce prince a pris ce dernier parti; il s'est rendu à Aalen avec quatre escadrons de cavalerie.

Cependant le prince Murat était à la poursuite du prince Ferdinand. La division Werneck a voulu l'arrêter à Langeneau; il lui a fait trois mille prisonniers, dont un officier général, et lui a enlevé deux drapeaux. Tandis qu'il manoeuvrait par la droite à Heydenheim, le maréchal Lannes marchait par Aalen et Nordlingen. La marche de la division ennemie était embarrassée par cinq cents chariots, et affaiblie par le combat de Langeneau. A ce combat, le prince Murat a été très-satisfait du général Klein. Le vingtième de dragons, le neuvième d'infanterie légère et les chasseurs de la garde impériale se sont particulièrement distingués. L'aide-de-camp Brunet a montré beaucoup de bravoure.

Ce combat n'a pas retardé la marche du prince Murat. Il s'est porté rapidement sur Neresheim, et le 25, à cinq heures du soir, il est arrivé devant cette position. La division de dragons du général Klein a chargé l'ennemi. Deux drapeaux, un officier général et mille hommes ont été de nouveau pris au combat de Neresheim. Le prince Ferdinand et sept de ses généraux n'eurent que le temps de monter à cheval. On a trouvé leur dîner servi. Depuis plusieurs jours ils n'ont aucun point pour se reposer. Il paraît que le prince Ferdinand ne pourra se soustraire à l'armée française qu'en se déguisant, ou en fuyant avec quelques escadrons, par quelques routes détournées d'Allemagne.

L'empereur traversant une foule de prisonniers ennemis, un colonel autrichien témoignait son étonnement de voir l'empereur des Français trempé, couvert de boue, autant et plus fatigué que le dernier tambour de l'armée. Un de ses aides-de-camp lui ayant expliqué ce que disait l'officier autrichien, l'empereur lui fit répondre: «Votre maître a voulu me faire ressouvenir que j'étais un soldat; j'espère que la pompe et la pourpre impériale ne m'ont pas fait oublier mon premier métier.»

Le spectacle que l'armée offrait dans la journée du 23 était vraiment intéressant. Depuis deux jours la pluie tombait à seaux. Tout le monde était trempé; le soldat n'avait pas eu de distribution. Il était dans la boue jusqu'aux genoux; mais la vue de l'empereur lui rendait sa gaieté, et du moment qu'il apercevait des colonnes entières dans le même état, il faisait retentir le cri de vive l'empereur!

On rapporte aussi que l'empereur répondit aux officiers qui l'entouraient, et qui admiraient comment, dans le moment le plus pénible, les soldats oublient toutes leurs privations, et ne se montrent sensibles qu'au plaisir de le voir: «Ils ont raison, c'est pour épargner leur sang que je leur fais essuyer de si grandes fatigues.»

L'empereur, lorsque l'armée occupait les hauteurs qui dominent Ulm, fit appeler le prince de Lichtenstein, général-major, enfermé dans cette place, pour lui faire connaître qu'il désirait qu'elle capitulât, lui disant que s'il la prenait d'assaut, il serait obligé de faire ce qu'il avait fait à Jaffa, où la garnison fut passée au fil de l'épée; que c'était le triste droit de la guerre; qu'il voulait qu'on lui épargnât et à la brave nation autrichienne la nécessité d'un acte aussi effrayant; que la place n'était pas tenable; qu'elle devait donc se rendre. Le prince insistait pour que les officiers et soldats eussent la faculté de retourner en Autriche. «Je l'accorde aux officiers et non aux soldats, a répondu l'empereur; car qui me garantira qu'on ne les fera pas servir de nouveau.»

Puis après avoir hésité un moment, il ajoute: «Eh bien, je me fie à la parole du prince Ferdinand. S'il est dans la place, je veux lui donner une preuve de mon estime, et je vous accorde ce que vous me demandez, espérant que la cour de Vienne ne démentira pas la parole d'un de ses princes». Sur ce que M. Lichtenstein assura que le prince Ferdinand n'était point dans la place. «Alors je ne vois pas», dit l'empereur, «qui peut me garantir que les soldats que je vous renverrai ne serviront pas.»

Une brigade de quatre mille hommes occupe l'une des portes de la ville d'Ulm.

Dans la nuit du 24 au 25 il y a eu un ouragan terrible; le Danube est tout à fait débordé et a rompu la plus grande, partie de ses ponts; ce qui nous gêne beaucoup pour nos subsistances.

Dans la journée du 23, le maréchal Bernadette a poussé ses avant-postes jusqu'à Wasserbourg et Haag sur la chaussée de Braunau; il a fait encore quatre ou cinq cents prisonniers à l'ennemi, lui a enlevé un parc de dix-sept pièces d'artillerie de divers calibres; de sorte que, depuis son entrée à Munich, sans perdre un seul homme, le maréchal Bernadotte a pris quinze cents prisonniers, dix-neuf pièces de canon, deux cents chevaux et un grand nombre de bagages. L'empereur a passé le Rhin le 9 vendémiaire, le Danube le 14, à cinq heures du matin, le Lech le même jour, à trois heures après midi; ses troupes sont entrées a Munich le 20, ses avant-postes sont arrivés sur l'Inn le 23. Le même jour il était maître de Memmingen, et le 25 d'Ulm.

Il avait pris à l'ennemi, aux combats de Wertingen, de Günzbourg, d'Elchingen, aux journées de Memmingen et d'Ulm, et aux combats d'Albeck, de Langeneau et de Neresheim, quarante mille hommes, tant infanterie que cavalerie, plus de quarante drapeaux, et un très-grand nombre de pièces de canon, de bagages, de voitures; et pour arriver à ces grands résultats, il n'avait fallu que des marches et des manoeuvres.

Dans ces combats partiels, les pertes de l'armée française ne se montent qu'à cinq cents morts et à mille blessés. Aussi le soldat dit-il souvent: L'empereur a trouvé une nouvelle méthode de faire la guerre, il ne se sert que de nos jambes et pas de nos bayonnettes. Les cinq sixièmes de l'armée n'ont pas tiré un coup de fusil, ce dont ils s'affligent; mais tous ont beaucoup marché, et ils redoublent de célérité quand ils ont l'espoir d'atteindre l'ennemi.

On peut faire en deux mots l'éloge de l'armée: Elle est digne de son chef.

On doit considérer l'armée autrichienne comme anéantie. Les Autrichiens et les Russes seront obligés de faire beaucoup d'appels, de recrues, pour résister à l'armée française, qui est venue à bout d'une armée de cent mille hommes, sans éprouver, pour ainsi dire, aucune perte.




Elchingen, le 27 vendémiaire an 14 (19 octobre 1805).

Septième bulletin de la grande armée.

Le 26, à cinq heures du matin, le prince Murat est arrivé à Nordlingen, et avait réussi à cerner la division Werneck. Ce général avait demandé à capituler. La capitulation qui a été accordée n'arrivera que dans la journée de demain. Les lieutenans-généraux Werneck, Baillet, Hohenzollern; les généraux Vogel, Macklery, Hohenfeld, Weiberg et Dienesberg sont prisonniers sur parole, avec la réserve de se rendre chez eux. Les troupes sont prisonnières de guerre et se rendent en France. Plus de deux mille hommes de cavalerie ont mis pied à terre, et une brigade de dragons à pied a été montée avec leurs chevaux. On assure que le parc de réserve de l'armée autrichienne, composé de cinq cents chariots, a été pris. On suppose que tout le reste de la colonne du prince Ferdinand doit, à l'heure qu'il est, être investie, le prince Murat ayant débordé la droite par Aalen, et le maréchal Lannes la gauche par Nordlingen. On attend le résultat de ces manoeuvres; il ne reste au prince Ferdinand que peu de monde.

Aujourd'hui, à deux heures après midi, l'empereur a accordé une audience au général Mack; à l'issue de cette audience, le général Berthier a signé avec le général Mack une addition à la capitulation, qui porte que la garnison d'Ulm évacuera la place demain 28. Il y a dans Ulm vingt-sept mille hommes, trois mille chevaux, 18 généraux, et soixante ou quatre-vingts pièces de canon attelées. La moitié de la garde de l'empereur était déjà partie pour Augsbourg; mais S.M. a consenti de rester jusqu'à demain pour voir défiler l'armée autrichienne. Tous les jours on est de plus en plus dans la certitude que, de cette armée de cent mille hommes, il n'en sera pas échappé vingt mille; et cet immense résultat est obtenu sans effusion de sang. L'empereur n'est pas sorti aujourd'hui d'Elchingen; les fatigues et la pluie continuelle, que depuis huit jours il a essuyées, ont exigé un peu de repos. Mais le repos n'est pas compatible avec la direction de cette immense armée. A toute heure du jour et de la nuit il arrive des officiers avec des rapports, et il faut que l'empereur donne des ordres. Il paraît fort satisfait du zèle et de l'activité du général Berthier.

Demain 28, à trois heures après midi, vingt-sept mille soldats autrichiens, soixante pièces de canon, dix-huit généraux, défileront devant l'empereur et mettront bas les armes. L'empereur a fait présent au sénat des drapeaux de la journée d'Ulm. Il y en aura le double de ce qu'il annonce, c'est-à-dire quatre-vingts.

Pendant ces cinq jours, le Danube a débordé avec une violence qui était sans exemple depuis cent ans. L'abbaye d'Elchingen, dans laquelle est établi le quartier-général de l'empereur, est située sur une hauteur d'où l'on découvre tout le pays.

On croit que, demain au soir, l'empereur partira pour Munich. L'armée russe vient d'arriver sur l'Inn.




Elchingen, le 28 vendémiaire an 14 (10 octobre 1805).

Huitième bulletin de la grande armée.

L'empereur a passé aujourd'hui 28, depuis deux heures après midi jusqu'à sept heures du soir, sur la hauteur d'Ulm, où l'armée autrichienne a défilé devant lui. Trente mille hommes, dont deux mille de cavalerie, soixante pièces de canon et quarante drapeaux ont été remis aux vainqueurs, L'armée française occupait les hauteurs. L'empereur, entouré de sa garde, a fait appeler les généraux autrichiens; il les a tenus auprès de lui jusqu'à ce que les troupes eussent défilé; il les a traités avec les plus grands égards. Il y avait sept lieutenans-généraux, huit généraux et le général en chef Mack. On donnera dans le bulletin suivant les noms des généraux et des régimens.

On peut donc évaluer le nombre des prisonniers faits depuis le commencement de la guerre à soixante mille, le nombre des drapeaux à quatre-vingts, indépendamment de l'artillerie, et des bagages, etc. Jamais victoires ne furent plus complètes et ne coûtèrent moins.

On croit que l'empereur partira dans la nuit pour Augsbourg et Munich, après avoir expédié ses courriers.




Elchingen, le 29 vendémiaire an 14 (21 octobre 1805).

Neuvième bulletin de la grande armée.

L'empereur vient de faire la proclamation et de rendre les décrets ci-joints.

A midi, S.M. est partie pour Augsbourg. On a enfin le compte exact de l'armée renfermée dans Ulm; elle se monte a trente-trois mille hommes, ce qui, avec trois mille blessés, porte la garnison prisonnière à trente-six mille hommes. Il y avait aussi dans la place soixante pièces de canon, avec leur approvisionnement et cinquante drapeaux.

Rien ne fait un contraste plus frappant que l'esprit de l'armée française et celui de l'armée autrichienne. Dans l'armée française, l'héroïsme est porté au dernier point; dans l'armée autrichienne, le découragement est à son comble. Le soldat est payé avec des cartes, il ne peut rien envoyer chez lui, et il est très-maltraité. Le Français ne songe qu'à la gloire. On pourrait citer un millier de traits comme le suivant: Brard, soldat du soixante-seizième régiment, allait avoir la cuisse amputée; il avait la mort dans l'âme. Au moment où le chirurgien se préparait à faire l'opération, il l'arrête: «Je sais que je n'y survivrai pas, mais n'importe; un homme de moins n'empêchera pas le soixante-seizième de marcher, la baïonnette en avant, et sur trois rangs, à l'ennemi.»

L'empereur n'a à se plaindre que de la trop grande impétuosité des soldats. Ainsi le dix-septième d'infanterie arrivé devant Ulm, se précipita dans la place; ainsi pendant la capitulation toute l'armée voulait monter à l'assaut, et l'empereur fut obligé de déclarer fermement qu'il ne voulait pas d'assaut.

La première colonne des prisonniers faits dans Ulm part dans ce moment pour la France.

Voici le nombre de nos prisonniers, du moins de ceux actuellement connus, et les lieux où ils se trouvent: dix mille à Augsbourg; trente-trois mille dans Ulm; douze mille à Donawerth, et douze mille qui sont déjà en marche pour la France. L'empereur dit dans sa proclamation que nous avons fait soixante mille prisonniers. Il est probable qu'il y en aura davantage. Il porte le nombre des drapeaux pris à quatre-vingt-dix; il est probable aussi que nous en aurons davantage.

L'empereur a dit aux officiers-généraux autrichiens qu'il avait appelés près de lui pendant que l'armée ennemie défilait: «Messieurs, votre maître me fait une guerre injuste. Je vous le dis franchement, je ne sais pas pourquoi je me bats; je ne sais ce que l'on veut de moi.

«Ce n'est pas dans cette seule armée que consistent mes ressources. Cela serait-il vrai, mon armée et moi ferions bien du chemin. Mais j'en appelle aux rapports de vos propres prisonniers qui vont bientôt traverser la France; ils verront quel esprit anime mon peuple, et avec quel empressement il viendra se ranger sous mes drapeaux. Voilà l'avantage de ma nation et de ma position: avec un mot, deux cent mille hommes de bonne volonté accourront près de moi, et en six semaines seront de bons soldats; au lieu que vos recrues ne marcheront que par force, et ne pourront, qu'après plusieurs années, faire des soldats.

«Je donne encore un conseil à mon frère l'empereur d'Allemagne; qu'il se hâte de faire la paix. C'est le moment de se rappeler que tous les empires ont un terme; l'idée que la fin de la dynastie de Lorraine serait arrivée doit l'effrayer. Je ne veux rien sur le continent, ce sont des vaisseaux, des colonies, du commerce, que je veux; et cela vous est avantageux comme a nous.» M. Mack a répondu que l'empereur d'Allemagne n'aurait pas voulu la guerre, mais qu'il y a été forcé par la Russie. En ce cas, a répondu l'empereur, vous n'êtes donc plus une puissance.

Du reste, la plupart des officiers généraux ont témoigné combien cette guerre leur était désagréable, et avec quelle peine, ils voyaient une armée russe au milieu d'eux.

Ils blâmaient cette politique assez aveugle pour attirer au coeur de l'Europe un peuple accoutumé à vivre dans un pays inculte et agreste, et qui, comme ses ancêtres, pourrait bien avoir la fantaisie de s'établir dans de plus beaux climats.

L'empereur a accueilli avec beaucoup d'affabilité le lieutenant-général Klenau, qu'il avait connu commandant le régiment Wurmser; les lieutenans-généraux Giulay, Gottesheim, Ries; les princes de Lichtenstein, etc.

Il les a consolés de leur malheur, leur a dit que la guerre a ses chances, et qu'ayant été souvent vainqueurs, ils pouvaient être quelquefois vaincus.




Du quartier impérial d'Elchingen, le 29 vendémiaire an 14 (21 octobre 1805).

Proclamation à l'armée.

Soldats de la grande armée,

«En quinze jours nous avons fait une campagne. Ce que nous nous proposions est rempli, nous avons chassé les troupes de la maison d'Autriche de la Bavière et rétabli notre allié dans la souveraineté de ses états. Cette armée qui, avec autant d'ostentation que d'imprudence, était venue se placer sur nos frontières, est anéantie. Mais qu'importe à l'Angleterre? son but est rempli. Nous ne sommes plus a Boulogne, et son subside ne sera ni plus ni moins grand.

De cent mille hommes qui composaient cette armée, soixante mille sont prisonniers. Ils iront remplacer nos conscrits dans les travaux de nos campagnes; deux cents pièces de canon, tout le parc, quatre-vingt-dix drapeaux, tous les généraux sont en notre pouvoir; il ne s'est pas échappé de cette armée quinze mille hommes. Soldats, je vous avais annoncé une grande bataille; mais, grâces aux mauvaises combinaisons de l'ennemi, j'ai pu obtenir les mêmes succès sans courir les mêmes chances; et ce qui est inconcevable dans l'histoire des nations, un si grand résultat ne nous affaiblit pas de plus de quinze cents hommes hors de combat.

«Soldats, ce succès est dû à votre confiance sans borne dans votre empereur, à votre patience à supporter les fatigues et les privations de toute espèce, a votre rare intrépidité.

«Mais nous ne nous arrêterons pas là. Vous êtes impatient de commencer une seconde campagne. Cette armée russe, que l'or de l'Angleterre a transportée des extrémités de l'univers, nous allons lui faire éprouver le même sort.

«À ce combat est attaché plus spécialement l'honneur de l'infanterie; c'est là que va se décider, pour la seconde fois, cette question qui l'a déjà été en Suisse et en Hollande: Si l'infanterie française est la seconde ou la première de l'Europe? Il n'y a pas là de généraux contre lesquels je puisse avoir de la gloire à acquérir. Tout mon soin sera d'obtenir la victoire avec le moins possible d'effusion de sang: mes soldats sont mes enfans.

NAPOLÉON.




De mon camp impérial d'Elchingen, le 29 vendémiaire an 14 (21 octobre 1805).

Décret.

Napoléon, empereur des Français et roi d'Italie,

Considérant que la grande armée a obtenu par son courage et son dévouement des résultats qui ne devaient être espérés qu'après une campagne,

Et voulant lui donner une preuve de notre satisfaction impériale, nous avons décrété et décrétons ce qui suit: Art. 1er. Le mois de vendémiaire de l'an 14 sera compté comme une campagne à tous les individus composant la grande armée.

Ce mois sera porté comme tel sur les états pour l'évaluation des pensions et pour les services militaires.

Nos ministres de la guerre et du trésor public sont chargés de l'exécution du présent décret.

NAPOLÉON.




Augsbourg, le 30 vendémiaire an 14 (28 octobre 1805).

Dixième bulletin de la grande armée.

Lors de la capitulation du général Werneck près Nordlingen, le prince Ferdinand, avec un corps de mille chevaux et une portion du parc, avait pris les devants. Il s'était jeté dans le pays prussien, et s'était dirigé par Gunzenhausen sur Nuremberg. Le prince Murat le suivit à la piste et parvint à le déborder; ce qui donna lieu à un combat sur la route de Furth à Nuremberg, le 29 au soir. Tout le reste du parc d'artillerie, tous les bagages sans exception ont été pris. Les chasseurs à cheval de la garde impériale se sont couverts de gloire; ils ont culbuté tout ce qui s'est présenté devant eux; ils ont chargé le régiment de cuirassiers de Mack. Les deux régimens de carabiniers ont soutenu leur réputation.

On est rempli d'étonnement lorsque l'on considère la marche du prince Murat depuis Albeck jusqu'à Nuremberg. Quoique se battant toujours, il est parvenu à gagner de vitesse l'ennemi, qui avait deux journées de marche sur lui. Le résultat de cette prodigieuse activité a été la prise de quinze cents chariots, de cinquante pièces de canon, de seize mille hommes, y compris la capitulation du général Werneck, et d'un grand nombre de drapeaux. Dix-huit généraux ont posé les armes; trois ont été tués.

Les colonels Morland des chasseurs à cheval de la garde impériale, Cauchois du premier régiment de carabiniers, Rouvillois du premier régiment d'hussards, et les aides-de-camp Flahaut et Lagrange se sont particulièrement distingués. Le colonel Cauchois a été blessé.

Le 29 au soir, le prince Murat a couché à Nuremberg, où il a passé la journée du 30 à se reposer.

Au combat d'Elchingen, le 23 vendémiaire, le soixante-neuvième régiment de ligne s'est distingué. Après avoir forcé le pont en colonne serrée, il s'est déployé à portée du feu des Autrichiens avec un ordre et un sang-froid qui ont rempli l'ennemi de stupeur et d'admiration.

Un bataillon de la garde impériale est entré aujourd'hui à Augsbourg. Quatre-vingts grenadiers portaient chacun un drapeau. Ce spectacle a produit sur les habitans d'Augsbourg un étonnement que partagent les paysans de toutes ces contrées.

La division des troupes de Wurtemberg vient d'arriver à Geisslingen.

Les bataillons de chasseurs qui avaient suivi l'armée depuis son passage à Stuttgard, sont partis pour conduire en France une nouvelle colonne de dix mille prisonniers. Les troupes de Bade, fortes de trois à quatre mille hommes, sont en marche pour se rendre à Augsbourg.

L'empereur vient de faire présent aux Bavarois de vingt mille fusils autrichiens pour l'armée et les gardes nationales. Il vient aussi de faire présent à l'électeur de Wurtemberg de six pièces de canon autrichiennes.

Pendant qu'a duré la manoeuvre d'Ulm, l'électeur a craint un moment pour l'électrice et sa famille, qui se sont rendues alors à Heidelberg. Il a disposé ses troupes pour défendre le coeur de ses états.

Les Autrichiens sont détestés de toute l'Allemagne, bien convaincue que, sans la France, l'Autriche les traiterait comme ses pays héréditaires.

On ne se fait pas une idée de la misère de l'armée autrichienne; elle est payée en billets qui perdent quarante pour cent. Aussi nos soldats appellent-ils plaisamment les Autrichiens des soldats de papier. Ils sont sans aucun crédit. La maison d'Autriche ne trouverait nulle part à emprunter 10,000 fr. Les généraux eux-mêmes n'ont pas vu une pièce d'or depuis plusieurs années. Les Anglais, du moment qu'ils ont su l'invasion de la Bavière, ont fait à l'empereur d'Autriche un petit présent qui ne l'a pas rendu plus riche; ils se sont engagés à lui faire remise des quarante-huit millions qu'ils lui avaient prêtés pendant la dernière guerre. Si c'est un avantage pour la maison d'Autriche, elle l'a déjà payé bien cher.




Munich, le 4 brumaire an 14 (26 octobre 1805).

Onzième bulletin de la grande armée.

L'empereur est arrivé à Munich le 2 brumaire, à neuf heures du soir. La ville était illuminée avec beaucoup de goût; un grand nombre de personnes avait décoré le devant de leurs maisons d'emblèmes qui étaient les expressions de leurs sentimens.

Le 3 au matin, les grands officiers de l'électeur, les chambellans et gentilshommes de la cour, les ministres, les généraux, les conseillers intimes, le corps diplomatique, accrédité près son altesse électorale, les députés des états de Bavière, les magistrats de la ville de Munich, ont été présentés à S. M., qui les a entretenus fort long-temps des affaires économiques de leur pays.

Le prince Murat est arrivé à Munich. Il a montré dans son expédition une prodigieuse activité. Il ne cesse de se louer de la belle charge des chasseurs de la garde impériale et des carabiniers.

Un trésor de deux cent mille florins est tombé en leur pouvoir, ils ont passé outre sans en rien toucher, et ont continué à poursuivre l'ennemi.

Le prince Ferdinand s'est trouvé au dernier combat, et s'est sauvé sur le cheval d'un lieutenant de cavalerie.

Toute la ville de Nuremberg a été témoin de la bravoure des Français. Un grand nombre de déserteurs et de fuyards des débris de l'armée autrichienne remplissent la province de Franconie, où ils commettent beaucoup de désordres. Tous les bagages de l'ennemi ont été pris.

Le soir, l'empereur s'est rendu au théâtre, où il a été accueilli par les démonstrations les plus sincères de joie et de gratitude.

Tout est en mouvement; nos armées ont passé l'Iser et se dirigent sur l'Inn, où le maréchal Bernadotte d'un côté, le général Marmont d'un autre, et le maréchal Davoust, seront ce soir.




Munich, le 5 brumaire an 14 (27 octobre 1805).

Douzième bulletin de la grande armée.

On travaille dans ce moment avec la plus grande activité aux fortifications d'Ingoistad et d'Augshourg. Des têtes de pont sont construites à tous les ponts du Lech et des magasins sont établis sur les derrières.

S. M. a été extrêmement satisfaite du zèle et de l'activité du général de brigade Bertrand, son aide-de-camp, qu'elle a employé à des reconnaissances.

Elle a ordonné la démolition des fortifications des villes d'Ulm et de Memmingen. L'électeur de Bavière est attendu à tout instant. L'empereur a envoyé son aide-de-camp, colonel Lebrun, pour le recevoir et lui offrir sur sa route des escortes d'honneur.

Un Te Deum a été chanté à Augsbourg et à Munich. La proclamation ci-jointe a été affichée dans toutes les villes de la Bavière. Le peuple bavarois est plein de bons sentimens. Il court aux armes et forme des gardes volontaires pour défendre le pays contre les incursions des cosaques.

Les généraux Deroi et de Wrede montrent la plus grande activité; le dernier a fait beaucoup de prisonniers autrichiens. Il a servi pendant la guerre passée dans l'armée autrichienne, et il s'y est distingué.

Le général Mack ayant traversé en poste la Bavière pour retourner à Vienne, rencontra le général de Wrede, aux avant-postes près de l'Inn. Ils eurent une longue conversation sur la manière dont les Français traitaient l'armée bavaroise.

«Nous sommes mieux qu'avec vous, lui dit le général de Wrede; nous n'avons ni morgue ni mauvais traitement à essuyer; et loin d'être exposés les premiers aux coups, nous sommes obligés de demander les postes périlleux, parce que les Français se les réservent de préférence. Chez vous, au contraire, nous étions envoyés partout où il y avait de mauvaises affaires à essuyer.»

Un officier d'état-major vient d'arriver de l'armée d'Italie. La campagne a commencé, le 26 vendémiaire. Cette armée formera bientôt la droite de la grande armée.

L'empereur a donné hier un concert à toutes les dames de la cour. Il a fait un accueil très distingué à madame de Montgelas, femme du premier ministre de l'électeur, et distinguée d'ailleurs par son mérite personnel.

Il a témoigné son contentement à M. de Winter, maître de musique de l'électeur, sur la bonne composition de ses morceaux, tous pleins de verve et de talent.

Aujourd'hui dimanche, 5 brumaire, l'empereur a entendu la messe dans la chapelle du palais.




Haag, le 16 brumaire an 14 (28 octobre 1805).

Treizième bulletin de la grande armée.

Le corps d'armée du maréchal Bernadotte est parti de Munich le 4 brumaire. Il est arrivé le 5 à Wasserburg sur l'Inn, et est allé coucher à Altenmarck. Six arches du pont étaient brûlées. Le comte Manucci, colonel de l'armée bavaroise, s'est porté de Roth à Rosenheim. Il avait trouvé également le pont brûlé et l'ennemi de l'autre côté. Après une vive canonnade, l'ennemi céda la rive droite. Plusieurs bataillons français et bavarois passèrent l'Inn, et le 6, à midi, l'un et l'autre pont étaient entièrement rétablis; les colonels du génie Moris et Somis ont mis la plus grande activité à la réparation desdits ponts; l'ennemi a été vivement poursuivi dès qu'on a pu passer; on a fait à son arrière-garde cinquante prisonniers.

Le maréchal Davoust, avec son corps d'armée, est parti de Freysing, et s'est trouvé le 5 à Mulhdorf; l'ennemi a défendu la rive droite, où il avait établi des batteries désavantageusement situées. Le pont était tellement détruit qu'on a eu de la peine à le rétablir. Le 6, à midi, une grande partie du corps du maréchal Davoust était passée.

Le prince Murat a fait passer une brigade de cavalerie sur les ponts de Mulhdorf, a fait rétablir les ponts d'Oeting et de Marckhl et les a passés avec une partie de sa réserve. L'empereur s'est porté de sa personne à Haag.

Le corps d'armée du maréchal Soult est bivouaqué en avant de Haag. Le corps du général Marmont couche ce soir à Wihsbiburg; celui, du maréchal Ney à Landsberg; celui du maréchal Lannes sur la route de Landshut à Braunau. Tous les renseignemens qu'on a sur l'ennemi portent que l'armée russe marche en retraite.

Il a beaucoup plu toute la journée; tout le pays situé entre l'Iser et l'Inn n'offre qu'une forêt continue de sapins, pays fort ingrat. L'armée a eu beaucoup à se louer du zèle et de l'empressement des habitans de Munich à lui fournir les subsistances qui lui étaient nécessaires.




Braunau, le 18 brumaire an 14 (30 octobre 1805).

Quatorzième bulletin de la grande armée.

Le maréchal Bernadotte est arrivé le 8, à dix heures du matin, à Salzbourg. L'électeur en était parti depuis plusieurs jours; un corps de six mille hommes qui y était s'était retiré précipitamment la veille.

Le quartier-général impérial était le 6 à Haag, le 7 a Mulhdorf, et le 8 à Braunau.

Le maréchal Davoust a employé la journée du 7 a faire réparer entièrement le pont de Mulhdorf. Le premier régiment de chasseurs a exécuté une belle charge sur l'ennemi, lui a tué une vingtaine d'hommes, et lui a fait plusieurs prisonniers, parmi lesquels s'est trouvé un capitaine de hussards.

Dans la journée du 7, le maréchal Lannes est arrivé avec la cavalerie légère au pont de Braunau. Il était parti de Landshut; le pont était coupé. Il a sur-le-champ fait embarquer sur deux bateaux une soixantaine d'hommes; l'ennemi, qui d'ailleurs était poursuivi par la réserve du prince Murat, a abandonné la ville. L'audace des chasseurs du treizième a précipité sa retraite.

La mésintelligence parmi les Russes et les Autrichiens commence à s'apercevoir. Les Russes pillent tout. Les officiers les plus instruits d'entre eux comprennent bien que la guerre qu'ils font est impolitique, puisqu'ils n'ont rien à gagner contre les Français, que la nature n'a pas placés pour être leurs ennemis.

Braunau, comme il se trouve, peut être considéré comme une des plus belles et des plus utiles acquisitions de l'armée. Cette place est entourée d'une enceinte bastionnée, avec pont-levis, demi-lune et fossés pleins d'eau. Il y a de nombreux magasins d'artillerie, et tous en bon état; mais ce qui paraîtra difficile a croire, c'est qu'elle est parfaitement approvisionnée. On y a trouvé quarante mille rations de pain prêtes à être distribuées, plus de mille sacs de farine; l'artillerie de la place consiste en quarante-cinq pièces de canon avec double affût de rechange, en mortiers approvisionnés de plus de quarante mille boulets, et obusiers. Les Russes y ont laissé une centaine de milliers de poudre, une grande quantité de cartouches, de plomb, un millier de fusils, et tout l'approvisionnement nécessaire pour soutenir un grand siège L'empereur a nommé le général Lauriston, qui arrive de Cadix, gouverneur de cette place, où il a établi le dépôt du quartier-général de l'armée.




De mon camp impérial de Braunau, le 8 brumaire an 14 (30 octobre 1805).

Au sénat conservateur.

Sénateurs, J'ai jugé devoir nommer à la place éminente de sénateur deux citoyens de Gênes des plus distingués par leur rang, leurs talens, les services qu'ils m'ont rendus et l'attachement qu'ils m'ont montré dans toutes les circonstances. Je désire que le peuple de Gênes voie dans cette nomination une preuve de l'amour que je lui porte.

NAPOLÉON.




Braunau, le 9 brumaire an 14 (31 octobre 1805).

Quinzième bulletin de la grande armée.

Plusieurs déserteurs russes sont déjà arrivés, entre autres un sergent-major, natif de Moscou, homme de quelque intelligence. On s'imagine bien que tout le monde l'a questionné. Il a dit que l'armée russe était dans des dispositions bien différentes pour les Français que dans la dernière guerre; que les prisonniers qui étaient revenus de France s'en étaient beaucoup loués; qu'il y en avait six dans sa compagnie, qui au commencement du départ de la Pologne, avaient été envoyés plus loin; que si on avait laissé dans les régimens tous les hommes revenus de France, il n'y avait pas de doute qu'ils n'eussent tous déserté; que les Russes étaient fâchés de se battre pour les Autrichiens qu'ils n'aiment pas; et qu'ils avaient une haute idée de la valeur française. On lui a demandé aussi s'ils aimaient l'empereur Alexandre; il a répondu qu'ils étaient trop misérables pour lui porter de l'attachement; que les soldats aimaient mieux l'empereur Paul, mais la noblesse préférait l'empereur Alexandre; que les Russes en général étaient contens d'être sortis de chez eux, parce qu'ils vivaient mieux et étaient mieux payés; qu'ils désiraient tous ne pas retourner en Russie, et qu'ils préféraient s'établir dans d'autres climats à retourner sous la verge d'une aussi rude discipline; qu'ils savaient que les Autrichiens avaient perdu toutes leurs batailles, et ne faisaient que pleurer.

Le prince Murat s'est mis à la poursuite de l'ennemi. Il a rencontré l'arrière-garde des Autrichiens, forte de six mille hommes, sur la route de Merobach; l'attaquer et la charger n'a été qu'une même chose pour sa cavalerie. Cette arrière-garde a été disséminée sur les hauteurs de Ried. La cavalerie ennemie s'est alors ralliée pour protéger le passage d'un défilé; mais le premier régiment de chasseurs et la division de dragons du général Beaumont l'ont culbutée, et se sont jetés avec l'infanterie ennemie dans le défilé. La fusillade a été assez vive, mais l'obscurité de la nuit a sauvé cette division ennemie; une partie s'est éparpillée dans le bois, il n'a été fait que cinq cents prisonniers. L'avant-garde du prince Murat a pris position à Haag. Le colonel Montbrun, du premier de chasseurs, s'est couvert de gloire. Le huitième régiment de dragons a soutenu sa vieille réputation. Un maréchal-de-logis de ce régiment ayant eu le poignet emporté, dit devant le prince au moment où il passait: «Je regrette ma main, parce qu'elle ne pourra plus servir à notre brave empereur.» L'empereur, en apprenant ce trait, a dit: «Je reconnais bien là les sentimens du huitième; qu'on donne à ce maréchal-de-logis une place avantageuse, et selon son état, dans le palais de Versailles.»

Les habitans de Braunau, selon l'usage, avaient porté dans leurs maisons une grande partie des magasins de la place. Une proclamation a tout fait rapporter. Il y a à présent un millier de sacs de farine, une grande quantité d'avoine, des magasins d'artillerie de toute espèce, une très-belle manutention, soixante mille rations de pain, dont nous avions grand besoin; une partie a été distribuée au corps du maréchal Soult.

Le maréchal Bernadette est arrivé à Salzbourg; l'ennemi s'est retiré sur la route de Carinthie et de Wels, Un régiment d'infanterie voulait tenir au village de Hallein; il a dû se retirer sur le village de Colling, où le maréchal espérait que Le général Kellerman parviendrait à lui couper la retraite et à l'enlever.

Les habitans assurent que, dans son inquiétude, l'empereur d'Allemagne s'est porté jusqu'à Wels, où il avait appris le désastre de son armée. Il y avait appris aussi les clameurs de ses peuples de Bohême et de Hongrie contre les Russes qui pillent et violent d'une manière si effrénée qu'on désirait l'arrivée des Français pour les délivrer de ces singuliers alliés.

Le maréchal Davoust, avec son corps d'armée, a pris position entre Ried et Haag. Tous les autres corps d'armée sont en grand mouvement; mais le temps est affreux; il est tombé un demi-pied de neige, ce qui a rendu les chemins détestables.

Le ministre secrétaire-d'état Maret a joint l'empereur à Braunau.

L'électeur de Bavière est de retour à Munich; il a été reçu avec le plus grand enthousiasme par le peuple de sa capitale. Plusieurs malles de Vienne ont été interceptées. Les lettres les plus récentes étaient du 18 octobre. On commençait à y donner des nouvelles de l'affaire de Wertingen; elles y avaient répandu la consternation. Les vivres y étaient d'une cherté à laquelle on ne pouvait atteindre, la famine menaçait Vienne. Cependant la récolte a été abondante; mais la dépréciation du papier-monnaie et des assignats qui perdent plus de quarante pour cent, avaient porté tout au plus haut prix. Le sentiment de la chute du papier-monnaie autrichien était dans tous les esprits.

Le cultivateur ne voulait plus-échanger les denrées contre un papier de nulle valeur. 11 n'est pas un homme en Allemagne qui ne considère les Anglais comme les auteurs de la guerre, et les empereurs François et Alexandre comme les victimes de leurs intrigues. Il n'est personne qui ne dise: Il n'y aura pas de paix tant que les oligarques gouverneront l'Angleterre, et les oligarques gouverneront tant que Georges respirera. Aussi le règne du prince de Galles est-il désiré comme le terme de celui des oligarques qui, dans tous les pays, sont égoïstes et insensibles au malheur du monde.

L'empereur Alexandre était attendu à Vienne; mais il a pris un autre parti. On assure qu'il s'est rendu à Berlin.




Rieil, le 11 brumaire an 14 (2 novembre 1805).

Seizième bulletin de la grande armée.

Le prince Murât a continué sa marche en poursuivant l'ennemi l'épée dans les reins, et est arrivé le 9 en avant de Lambach. Les généraux autrichiens voyant que leurs troupes ne pouvaient plus tenir, ont fait avancer huit bataillons russes pour protéger leur retraite. Le dix-septième régiment d'infanterie de ligne, le premier de chasseurs et le huitième de dragons chargèrent les Russes avec impétuosité, et, après une vive fusillade, les mirent en désordre et les menèrent jusqu'à Lambach, On a fait cinq cents prisonniers, parmi lesquels une centaine de Russes.

Le 10 au matin, le prince Murât mande que le général Walter, avec sa division de cavalerie, a pris possession de Wels. La division de dragons du général Beaumont et la première division du corps d'armée du maréchal Davoust, commandée par le général Bisson, ont pris position à Lambach. Le pont sur la Traun était coupé; le maréchal Davoust y a fait substituer un pont de bateaux. L'ennemi a voulu défendre la rive gauche. Le colonel Valterre, du trentième régiment, s'est jeté un des premiers dans un bateau et a passé la rivière. Le général Bisson, faisant ses dispositions de passage, a reçu une balle dans le bras.

Une autre division du corps du maréchal Davoust est en avant de Lambach, sur le chemin de Steyer. Le reste de son corps d'armée est sur les hauteurs de Lambach.

Le maréchal Soult arrivera ce soir à Wels.

Le maréchal Lannes arrivera ce soir à Lintz.

Le général Marmont est en marche pour tourner la position de la rivière de l'Enns.

Le prince Murat se loue du colonel Conroux, commandant du dix-septième régiment d'infanterie de ligne. Les troupes ne sauraient montrer, dans aucune circonstance, plus d'impétuosité et de courage.

Au moment de son arrivée à Salzbourg, le maréchal Bernadotte avait détaché le général Kellerman à la tête de son avant-garde, pour poursuivre une colonne ennemie qui se retirait sur le chemin de la Carinthie. Elle s'est mise à couvert dans le fort de Passling, dans le défilé de Colling. Quelque forte que fût sa position, les carabiniers du deuxième d'infanterie légère l'attaquèrent avec impétuosité. Le général Werlé fit tourner le fort par le capitaine Campobane, par des chemins presque impraticables; cinq cents hommes, dont trois officiers, ont été fait prisonniers. La colonne ennemie, forte de trois mille hommes, a été éparpillée dans les sommités. On y a trouvé une si grande quantité d'armes, qu'on espère ramasser encore beaucoup de prisonniers. Le général Kellerman donne des éloges à la conduite du chef de bataillon Barbès-Latour. Le général Werle a eu ton habit criblé de balles.

Nos avant-postes mandent de Wels que l'empereur d'Allemagne y est arrivé aujourd'hui, 25 octobre; qu'il y a appris le sort de son armée d'Ulm, et qu'il s'y est convaincu par ses propres yeux des ravages affreux que les Russes font partout, et de l'extrême mécontentement de son peuple. On assure qu'il est retourné à Vienne sans descendre de sa voiture.

La terre est couverte de neige; les pluies ont cessé; le froid a pris le dessus; il est assez vif; ce n'est pas un commencement de novembre, mais un commencement de janvier. Ce temps plus sec a l'avantage d'être plus sain et plus favorable à la marche.




Lambach, le 12 brumaire an 14 (3 novembre 1805).

Dix-septième bulletin de la grande armée.

Aujourd'hui 12, le maréchal Davoust a ses avant-postes près de Steyer. Le général Milhaud, avec la réserve de cavalerie aux ordres du prince Murât, est entré à Lintz le 10; le maréchal Lannes y est arrivé le 12 avec son corps d'armée. On a trouvé à Lintz des magasins considérables dont on n'a pas encore l'inventaire, beaucoup de malades dans les hôpitaux, parmi lesquels une centaine de Russes. On a fait des prisonniers, dont cinquante Russes.

Au combat de Lambach, il s'est trouvé deux pièces de canon russes parmi celles qui ont été prises. Un général russe et un colonel de hussards autrichiens ont été tués.

La blessure que le général Bisson, commandant la première division du corps d'armée du maréchal Davoust, a reçue au bras, est assez sérieuse pour l'empêcher de servir tout le reste de la campagne. Il n'y a cependant aucun danger. L'empereur a donné au général Caffarelli le commandement de cette division.

Depuis le passage de l'Inn on a fait quinze a dix-huit cents prisonniers, tant autrichiens que russes, sans y comprendre les malades.

Le corps d'armée du général Marinent est parti de Lambach à midi.

L'empereur a établi son quartier-général à Lambach, où l'on croit qu'il passera toute la nuit du 12.

La saison continue à être rigoureuse; la terre est couverte de neige, le temps est très-froid.

On a trouvé a Lambach des magasins de sel pour plusieurs millions. Ou a trouvé dans la caisse plusieurs centaines de milliers de florins.

Les Russes ont tout dévasté à Wels, à Lambach et dans tous les villages environnans. Il y a des villages où ils ont tué huit à dix paysans.

L'agitation et le désordre sont extrêmes à Vienne. On dit que l'empereur d'Autriche est établi un couvent des bénédictins de Molk. Il parait que le reste du mois de novembre verra des événemens majeurs et d'une grande importance.

M. Lezay, ministre de France à Salzbourg, a eu une audience de l'empereur au moment où S. M. partait de Brannau. Il n'avait pas cessé jusqu'alors de résider à Salzbourg.

On n'a pas de nouvelles de M. de la Rochefoucauld; on le croit toujours a Vienne. Au moment où l'armée autrichienne passa l'Inn, il demanda des passeports qu'on lui refusa.

Il est arrivé aujourd'hui plusieurs déserteurs russes.




Lintz, le 14 brumaire an 14 (5 novembre 1805).

Dix-huitième bulletin de la grande armée.

Le prince Murat ne perd pas l'ennemi de vue; celui-ci avait laissé dans Ebersberg trois à quatre cents hommes pour retarder le passage de la Traun; mais les dragons du général Walter se jetèrent dans des bateaux, et sous la protection de l'artillerie, attaquèrent avec impétuosité la ville. Le lieutenant Villaudet, du treizième régiment de dragons, a passé le premier dans une petite barque.

Le général Walter, après avoir passé le pont sur la Traun, se porta sur Enns. La brigade du général Milhaud rencontra l'ennemi au village d'Asten, le culbuta, le poursuivit jusques dans Enns, et lui fit deux cents prisonniers, dont cinquante hussards russes. Vingt hussards russes ont été tués. L'arrière-garde des troupes autrichiennes, soutenue par la cavalerie russe, a été partout culbutée; ni l'une ni l'autre n'ont tenu à aucune charge. Le vingt-deuxième et le seizième de chasseurs et leurs colonels, Latour-Maubourg et Durosnel, ont montré la plus grande intrépidité; l'aide-de-camp du prince Murat, Flahaut, a eu une balle dans le bras.

Dans la journée du 13 nous avons passé l'Enns, et aujourd'hui le prince Murat est à la poursuite de l'ennemi. Le maréchal Davoust est arrivé le 12 à Steyer; le 13, dans la journée, il s'est emparé de la ville et a fait deux cents prisonniers; l'ennemi paraissait vouloir s'y défendre. La division de dragons du général Beaumont a soutenu sa réputation; l'aide-de-camp de ce général a été tué. L'un et l'autre des ponts sur l'Enns sont parfaitement rétablis.

Au combat de Lambach, le colonel autrichien de Graffen et le colonel russe Kotoffkin ont été tués.

L'empereur d'Autriche, arrivé à Lintz, a reçu des plaintes de la régence sur la mauvaise conduite des Russes, qui ne se sont pas contentés de piller, mais encore ont assommé à coups de bâton les paysans; ce qui avait rendu déserts un grand nombre de villages. L'empereur a paru très-affligé de ces excès, et a dit qu'il ne pouvait répondre des troupes russes comme des siennes; qu'il fallait souffrir patiemment, ce qui n'a pas consolé les habitans.

On a trouvé à Lintz beaucoup de magasins et une grande quantité de draps et de capottes dans les manufactures impériales.

Le général Deroi, à la tête d'un corps de Bavarois, a rencontré à Lovers l'avant-garde d'une colonne de cinq régimens autrichiens venant d'Italie, l'a complètement battue, lui a fait quatre cents prisonniers et pris trois pièces de canon. Les Bavarois se sont battus avec la plus grande opiniâtreté, et avec une extrême bravoure. Le général Deroi lui-même a été blessé d'un coup de pistolet.

Ces petits combats donnent lieu à un grand nombre de traits de courage de la part des officiers particuliers. Le major-général s'occupe d'une relation détaillée où chacun aura la part de gloire qu'aura méritée son courage.

L'Euns peut être considéré comme la dernière ligne qui défend les approches de Vienne. On prétend que l'ennemi veut tenir et se retrancher derrière les hauteurs de Saint-Hyppolite, à dix lieues de Vienne. Notre avant-garde y sera Demain.




Lintz, le 15 brumaire an 14 (6 novembre 1805).

Dix-neuvième bulletin de la grande armée.

Le combat de Lovers n été très-brillant pour les Bavarois. Les Autrichiens occupaient au-delà de Lovers un défilé presque inaccessible, flanqué à droite et à gauche par des montagnes à pic. Le couronnement était couvert de chasseurs tyroliens qui en connaissent tous les sentiers; trois forts en maçonnerie fermant les montagnes, en rendent l'accès presque impossible. Après une vive résistance, les Bavarois culbutèrent tout, firent six cents prisonniers, prirent deux pièces de canon, et s'emparèrent de tous les forts. Mais à l'attaque du dernier, le lieutenant-général Deroi, commandant en chef l'armée bavaroise, fut blessé d'un coup de pistolet. Les Bavarois ont eu douze officiers tués ou blessés, cinquante soldats tués, et deux cent cinquante blessés. La conduite du lieutenant-général Deroi mérite les plus grands éloges. C'est un vieil officier plein d'honneur, extrêmement attaché à l'électeur dont il est l'ami.

Tous les momens ont été tellement occupés que l'empereur n'a pu encore passer en revue l'armée bavaroise, ni connaître les braves qui la composent.

Le prince Murat, après la prise d'Enns, poursuivit de nouveau l'ennemi; l'armée russe avait pris position sur les hauteurs d'Amstetten; le prince Murat l'a attaquée avec les grenadiers du général Oudinot; le combat a été assez opiniâtre. Les Russes ont été dépostés de toutes leurs positions, ont laissé quatre cents morts sur le champ de bataille et quinze cents prisonniers; le prince Murat se loue particulièrement du général Oudinot; son aide-de-camp Lagrange a été blessé.

Le maréchal Davoust, au passage de l'Enns a Steyer, se loue spécialement de la conduite du général Heudelet, qui commande son avant-garde. Il a continué sa marche, et s'est porté à Wahidoffen.

Toutes les lettres interceptées portent que les meubles de la cour sont déjà embarqués sur le Danube, et qu'ou s'attend à Vienne à la prochaine arrivée des Français.




Lintz, le 16 brumaire an l4 (7 novembre 1805).

Vingtième bulletin de la grande armée.

Le combat d'Amstetten fait beaucoup d'honneur à la cavalerie, et particulièrement aux neuvième et dixième de hussards et aux grenadiers de la division du général Oudinot.

Les Russes ont depuis accéléré leur retraite; ils ont en vain coupé les ponts sur l'Ips, qui ont été promptement rétablis et le prince Murat est arrivé jusqu'auprès de l'abbaye de Molk.

Une reconnaissance s'est portée sur la Bohême, nous avons pris des magasins très-considérables, soit à Freystadt, soit à Matthausen.

Le maréchal Mortier, avec son corps d'armée, manoeuvre sur la rive gauche du Danube.

Une députation du sénat vient d'arriver à Lintz, l'électeur de Bavière y est attendu dans deux heures.




Lintz, le 17 brumaire an 14 (8 octobre 1805).

L'électeur de Bavière et le prince électoral sont arrivés hier soir à Lintz; le lieutenant-général comte de Giulay, envoyé par l'empereur d'Autriche, y est arrivé dans la nuit. Il a eu une très-longue conférence avec l'empereur; on ignore l'objet de sa mission.

On a fait au combat d'Amstetten dix-huit cents prisonniers, dont sept cents Russes.

Le prince Murat a établi son quartier-général à l'abbaye de Molk; ses avant-postes sont sur Saint-Polten (Saint-Hyppolite).

Dans la journée du 17, le général Marmont s'est dirigé sur Léobeu. Arrivé à Weyer, il a rencontré le régiment de Giulay, l'a chargé et lui a fait quatre cents prisonniers, dont un colonel et plusieurs officiers Il a poursuivi sa route. Toutes les colonnes de l'armée sont en grande manoeuvre.




Molk, le 19 brumaire an 14 (10 novembre 1805).

Vingt-unième bulletin de la grande armée.

Le 16 brumaire, le corps d'armée du maréchal Davoust se dirige de Steyer sur Nardhoffen, Marienzell et Lilienfeld. Par ce mouvement il débordait entièrement la gauche de l'armée ennemie, qu'on supposait devoir tenir sur les hauteurs de Saint-Hyppolite et de Lilienfeld; il se dirigeait sur Vienne par un grand chemin de roulage qui y conduit directement.

Le 17, l'avant-garde de ce maréchal étant encore a plusieurs lieues de Marienzell, rencontra le corps du général Meerfeldt, qui marchait pour se porter sur Neudstadt et couvrir Vienne de ce côté. Le général de brigade Heudelet, commandant l'avant-garde du maréchal Davoust, attaqua l'ennemi avec la plus grande vigueur, le mit eu déroute et le poursuivit l'espace de cinq lieues.

Le résultat de ce combat, de Marienzell a été la prise de trois drapeaux, de seize pièces de canon et de quatre mille prisonniers, parmi lesquels se trouvent les colonels des régimens Joseph de Colloredo et de Deutschmeister, et cinq majors.

Le treizième régiment d'infanterie, légère et le cent huitième de ligne se sont parfaitement comportés.

Le 18 au matin, le prince Murat est arrivé á Saint-Hyppolite. Il a dirigé le général de brigade de dragons Sebastiani sur Vienne. Toute la cour et les grands sont partis de cette capitale. On avait déjà annoncé aux avant-postes que l'empereur se préparait a quitter Vienne.

L'armée russe a effectué sa retraite à Krems en repassant le Danube, craignant sans doute de voir ses communications avec la Moravie coupées par le mouvement qu'a fait le maréchal Mortier sur la rive gauche du Danube.

Le général Marmont doit avoir dépassé Léoben.

L'abbaye de Molk, où est logé l'empereur, est une des plus belles de l'Europe. Il n'y a en France, ni en Italie, aucun couvent ni abbaye qu'on puisse lui comparer. Elle est dans une position forte et domine le Danube; c'était un des principaux postes des Romains, qui s'appelait la maison de fer, bâtie par l'empereur Commode.

Les caves et les celliers se sont trouvés remplis de très-bon vin de Hongrie; ce qui a été d'un très-grand secours a l'armée, qui depuis long-temps en manquait; mais nous voilà dans le pays du vin, il y en a beaucoup dans les environs de Vienne.

L'empereur a ordonné qu'on mît une sauve-garde particulière au château de Lustchloss, petite maison de campagne de l'empereur d'Autriche qui se trouve sur la rive gauche du Danube.

Les avenues de Vienne de ce côté ne ressemblent pas aux avenues des grandes capitales. De Lintz à Vienne, il n'y a qu'une seule chaussée; un grand nombre de rivières telles que l'Ips, l'Eslaph, la Molk, la Trasen, n'ont que de mauvais ponts en bois. Le pays est couvert de forêts de sapins; à chaque pas des positions inexpugnables où l'ennemi a en vain essayé de tenir. Il a toujours eu à craindre de se voir déborder et entourer par les colonnes qui manoeuvraient au-delà de ses flancs.

Depuis l'Inn jusqu'ici le Danube est superbe; ses points de vue sont pittoresques; sa navigation, en descendant, rapide et facile.

Toutes les lettres interceptées ne parlent que de l'effroyable chaos dont Vienne offre le spectacle. La guerre a été entreprise parle cabinet autrichien contre l'avis de tous les princes de la famille impériale. Mais Colloredo, mené par sa femme, qui, Française, porte à sa patrie la haine la plus envenimée; Cobentzel, accoutumé à trembler au seul nom d'un Russe, dans la persuasion où il est que tout doit fléchir devant eux, et chez qui, d'ailleurs, il est possible que les agens de l'Angleterre aient trouvé moyen de s'introduire; enfin ce misérable Mack, qui avait déjà joué un si grand rôle pour le renouvellement de la seconde coalition: voilà les influences qui ont été plus fortes que celles de tous les hommes sages et de tous les membres de la famille impériale.

Il n'est pas jusqu'au dernier bourgeois, au dernier officier subalterne, qui ne sente que cette guerre n'est avantageuse que pour les Anglais; que l'on ne s'est battu que pour eux; qu'ils sont les artisans du malheur de l'Europe, comme par leur monopole ils sont les auteurs de la cherté excessive des denrées.

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