Œuvres de Napoléon Bonaparte, Tome III.
Au quartier-général de Broni,
le 2l prairial an 8 (10 juin 1800).
Au citoyen Petiet, conseiller-d'état.
Nous avons eu hier une affaire fort brillante. Sans exagération, l'ennemi a eu quinze cents hommes tués, deux fois autant de blessés; nous avons fait quatre mille prisonniers et pris cinq pièces de canon. C'est le corps du lieutenant-général Ott, qui est venu de Gênes à marches forcées; il voulait rouvrir la communication avec Plaisance.
Comme je n'ai pas le temps d'expédier un courrier à Paris, je vous prie de donner ces nouvelles aux consuls par un courrier extraordinaire.
L'armée continue sa marche sur Tortone et Alexandrie.
La division de l'armée du Rhin est arrivée en entier; il y en a déjà une partie au-delà du Pô.
BONAPARTE.
Au quartier-général de Torre de Garofola,
le 27 prairial an 7 (16 juin 1800).
Aux consuls de la république.
Le lendemain de la bataille de Marengo, citoyens consuls, le général Mélas a fait demander aux avant-postes qu'il lui fût permis de m'envoyer le général Sckal. On a arrêté, dans la journée, la convention dont vous trouverez ci joint la copie12. Elle a été signée dans la nuit, par le général Berthier et le général Mélas. J'espère que le peuple français sera content de son armée.
BONAPARTE.
Footnote 12: (return) C'est la fameuse capitulation du général Mélas à Alexandrie.
Lyon, le 10 messidor an 8 (29 juin 1800).
Aux consuls de la république.
J'arrive à Lyon, citoyens consuls; je m'y arrête pour poser la première pierre des façades de la place Bellecourt, que l'on va rétablir. Cette seule circonstance pouvait retarder mon arrivée à Paris; mais je n'ai pas tenu à l'ambition d'accélérer le rétablissement de cette place que j'ai vue si belle et qui est aujourd'hui si hideuse. On me fait espérer que dans deux ans elle sera entièrement achevée. J'espère qu'avant cette époque, le commerce de cette ville, dont s'enorgueillissait l'Europe entière, aura repris sa première prospérité. Je vous salue.
BONAPARTE.
Paris, le 25 messidor an 8 (14 juillet 1800).
Réponse de Bonaparte aux officiers chargés de présenter au gouvernement les drapeaux conquis par les deux armées du Rhin et d'Italie.
Les drapeaux présentés au gouvernement devant le peuple de cette immense capitale13 attestent le génie des généraux en chef Moreau, Masséna et Berthier, les talens militaires des généraux leurs lieutenans, et la bravoure du soldat français.
De retour dans les camps, dites aux soldats que pour l'époque du 1er vendémiaire, où nous célébrerons l'anniversaire de la république, le peuple français attend, ou la publication de la paix, ou, si l'ennemi y mettait des obstacles invincibles, de nouveaux drapeaux, fruits de nouvelles victoires.
BONAPARTE.
Footnote 13: (return) Celle présentation avait lieu au Champ-de-Mars, au milieu d'une fête pompeuse qui attirait tout Paris.
Paris, le 29 messidor an 8 (18 juillet 1800).
Au sénat conservateur.
Sénateurs,
Depuis deux ans la garnison de Malte résiste aux plus grandes privations. En prêtant serment au pacte social, les soldats de la garnison de Malte ont juré de tenir jusqu'à la dernière once de pain, et de s'ensevelir sous les ruines de cette inexpugnable forteresse. Le premier consul croit ne pouvoir donner une plus grande preuve de la satisfaction du peuple français et de l'intérêt qu'il prend aux braves de la garnison de Malte, qu'en vous proposant le général Vaubois qui la commande, pour une place au sénat conservateur.
En conséquence, et conformément aux articles 15 et 16 de l'acte constitutionnel, le premier consul présente le général Vaubois, comme candidat au sénat conservateur.
BONAPARTE.
Paris, le 29 messidor an 8 (18 juillet 1800).
Au ministre de la justice.
Les consuls ont reçu, citoyen ministre, le dernier travail de la commission des émigrés; ils n'en ont pas été satisfaits.
Le bureau particulier que vous aviez chargé de préparer le travail de la commission a donné l'exemple de la partialité. La commission propose la radiation des émigrés, qui naguère portaient encore les armes contre la république. Le gouvernement est obligé de faire recommencer ce travail.
Renvoyez le citoyen Lepage; il a abusé de votre confiance. Présentez dans le courant de la décade prochaine, au gouvernement, un nouveau projet pour la formation des bureaux de la commission. N'y comprenez point ceux qui composaient le premier bureau: ils n'ont pas la confiance publique.
Composez votre bureau particulier d'hommes justes, intègres et forts. Qu'ils soient bien convaincus que l'intention du gouvernement n'est pas de fermer la porte aux réclamations des individus victimes de l'incohérence des lois sur l'émigration, mais qu'il sera inexorable pour ceux qui ont été les ennemis de la patrie.
Il vous appartient de surveiller l'exécution des lois: ne présentez à la signature du premier consul aucun acte qu'elles réprouvent.
Le premier consul, BONAPARTE.
Paris, 5 thermidor an 8 (24 juillet 1800).
Au ministre de la marine.
Les consuls n'ont pu voir qu'avec peine, citoyen ministre, que plusieurs vaisseaux de l'escadre de Brest ont été désarmés, et que dans un moment où, plus que jamais, il était essentiel de compléter l'organisation de notre escadre, on s'est laissé décourager par les premières difficultés qui se sont présentées.
C'est dans le moment où la guerre continentale absorbait les principales ressources de la nation, et la principale attention du gouvernement, que le ministre de la marine, les amiraux, les ordonnateurs, devaient redoubler, de courage et surmonter tous les obstacles.
Faites rechercher la conduite des ordonnateurs, ou des officiers qui ont ordonné le désarmement des quatre vaisseaux qui ont quitté la rade et sont entrés dans le port, et de ceux qui auraient autorisé le congédiement des matelots. Ces opérations n'ont pas pu être légitimes sans un ordre spécial du gouvernement.
Prenez des mesures pour qu'à la fois, sur toutes nos côtes, on lève des gens de mer; pour que, pendant le même temps, on grée nos vaisseaux, et qu'on les approvisionne de tout ce qui peut être nécessaire à leur navigation. Le peuple français veut une marine; il le veut fortement. Il fera tous les sacrifices nécessaires pour que sa volonté soit remplie.
Portez un coup d'oeil juste, mais sévère, sur vos bureaux et sur les différentes branches de l'administration; il est temps que les dilapidations finissent. Renvoyez ceux des individus qui, dès long-temps, ne sont que trop désignés par l'opinion publique pour avoir participé à des marchés frauduleux; puisque la loi ne peut pas les atteindre, mettons-les au moins dans l'impuissance de nous nuire davantage.
Dans le courant de fructidor, si les circonstances le permettent, le premier consul ira visiter l'escadre de Brest. Faites qu'il n'ait alors que des éloges à donner au ministre et aux principaux agens du gouvernement. Les consuls feront connaître au peuple français les officiers, les administrateurs qui l'auront servi avec zèle, et désigneront à l'opinion publique ceux qui, par une coupable apathie, ne se seraient pas montrés dignes de lui.
Des récompenses seront décernées au vaisseau qui sera le mieux tenu, et dont l'équipage sera le plus discipliné.
Ordonnez au général commandant l'escadre de Brest, ainsi qu'à tous les généraux et capitaines de vaisseaux, de rester constamment à leur bord, de coucher dans leur bâtiment et d'exercer les équipages avec une nouvelle activité; établissez par un règlement des prix pour les jeunes matelots qui montreront le plus d'activité, et pour les canonniers qui se distingueraient dans le tir. Il ne doit pas se passer une seule journée sans que l'on ait, sur chaque vaisseau, fait l'exercice du canon à boulet, en tirant alternativement sur des buttes que l'on établirait sur la côte et sur des carcasses qui seraient placées dans la rade.
Le premier consul, BONAPARTE.
Paris, le 5 thermidor an 8 (24 juillet 1800).
Au ministre de la guerre.
Les consuls sont instruits, citoyen ministre, que le citoyen Foissac-Latour est de retour d'Autriche, et déshonore, en le portant, l'habit de soldat français. Faites-lui connaître qu'il a cessé d'être au service de la république le jour où il a lâchement rendu la place de Mantoue, et défendez-lui expressément de porter aucun habit uniforme. Sa conduite à Mantoue est plus encore du ressort de l'opinion que des tribunaux; d'ailleurs, l'intention du gouvernement est de ne plus entendre parler de ce siège honteux, qui sera long-temps une tache pour nos armes. Le citoyen Foissac-Latour trouvera dans le mépris public la plus grande punition que l'on puisse infliger à un Français.
Le premier consul, BONAPARTE.
Paris, le 5 thermidor an 8 (24 juillet 1800).
Au général Jourdan14.
Le gouvernement croit devoir une marque de distinction au vainqueur de Fleurus. Il sait qu'il n'a pas tenu à lui qu'il ne se trouvât dans les rangs des vainqueurs de Marengo. Les consuls ne doutent pas, citoyen général, que vous ne portiez dans la mission qu'ils vous confient cet esprit conciliateur et modéré qui, seul, peut rendre la nation française aimable à ses voisins. Je vous salue.
BONAPARTE.
Footnote 14: (return) Nommé ministre extraordinaire de la république à Turin.
Paris, le 6 thermidor an 8 (25 juillet 1800).
Au ministre de la marine et des colonies.
Le gouvernement avait ordonné, citoyen ministre, que les frégates sortant du bassin de Dunkerque se rendissent à Flessingue, où elles devaient achever leur armement.
Il n'en a rien été; toutes les frégates sont restées dans la rade de Dunkerque, et l'on n'a pris aucune mesure pour la sûreté de ces bâtimens, et surtout pour les mettre à l'abri des brûlots. Cependant il y avait dans le port des chaloupes canonnières et d'autres petits navires armés, qu'un peu plus de surveillance et de zèle auraient pu faire mettre en rade.
Il est revenu au gouvernement, que de misérables rivalités entre l'ordonnateur, le commandant des armes et le commandant de la rade, ont été cause d'une négligence aussi préjudiciable.
Le gouvernement sait combien de fois ces rivalités ont été, dans la marine, funestes au service.
Vous voudrez bien donner sur-le-champ les ordres pour faire arrêter à Dunkerque, le chef de l'administration, l'officier commandant le port, le général commandant la rade, le capitaine de la Désirée et tous les officiers et contre-maîtres qui étaient de quart lorsque cette frégate a été surprise par l'ennemi. Vous ferez conduire ces officiers à Paris, où ils seront jugés. Vous prendrez des mesures pour que le service ne souffre point pendant leur absence.
Le premier consul, BONAPARTE.
Paris, 7 thermidor an 8 (26 juillet 1800).
Au préfet du département de la Vendée.
On m'a rendu compte, citoyen préfet, de la bonne conduite qu'ont tenue les habitans de Noirmoustier, la Crosnière; Barbâtre et Beauvoir, dans les différentes descentes tentées par les Anglais. On ne m'a pas laissé ignorer que ce sont ceux-là même que la guerre civile avait le plus égarés, qui ont montré le plus de courage et d'attachement au gouvernement.
Faites choisir douze des habitans qui se sont le mieux comportés dans ces affaires et envoyez-les à Paris, accompagnés de l'officier de gendarmerie qui les a conduits. Je veux voir ces braves et bons Français; je veux que le peuple de la capitale les voie, et qu'ils rapportent à leur retour dans leurs foyers les témoignages de la satisfaction du peuple français. Si parmi ceux qui se sont distingués, il y a des prêtres, envoyez-les moi de préférence; car j'estime et j'aime les prêtres qui sont bons Français et qui savent défendre la patrie contre ces éternels ennemis du nom français, ces méchans hérétiques d'Anglais.
Le premier consul, BONAPARTE.
Paris, le 19 fructidor an 8 (6 septembre 1800).
ARRÊTÉ.
Les consuls de la république arrêtent ce qui suit:
Art. 1er Il sera élevé un monument à la mémoire des généraux Desaix et Kléber, morts le même jour, dans le même quart-d'heure, l'un après la bataille de Marengo, qui reconquit l'Italie aux armes de la république, et l'autre en Afrique, après la bataille d'Héliopolis, qui reconquit l'Egypte aux Français.
2. Ce monument sera élevé au milieu de la place des Victoires. La première pierre en sera posée par le premier consul, le 1er vendémiaire prochain.
Un orateur sera chargé de prononcer l'oraison funèbre de ces deux illustres citoyens.
3. Le ministre de l'intérieur est chargé de l'exécution du présent arrêté, qui sera imprimé au bulletin des lois.
BONAPARTE.
Paris, le 1er vendémiaire an 8 (23 septembre 1800).
Aux fonctionnaires publics envoyés des départemens15.
Les préliminaires de paix ont été signés à Paris16 le 9 thermidor entre le citoyen Talleyrand, ministre des relations extérieures, et le comte Saint-Julien, et ratifiés vingt-quatre heures après par les consuls.
Le citoyen Duroc a été chargé de les porter à Vienne. Les intrigues de la faction ennemie de la paix, qui paraît encore y jouir de quelque crédit, ont porté l'empereur à refuser de les ratifier. Ce refus était motivé sur une note du roi d'Angleterre, qui demandait qu'on admît ses envoyés au congrès de Lunéville, conjointement avec les plénipotentiaires de l'empereur.
Le général Moreau a eu ordre de communiquer au général ennemi les préliminaires tels qu'ils ont été imprimés dans le journal officiel, et de lui faire connaître que s'ils n'étaient pas ratifiés dans les vingt-quatre heures, ou que si S.M. l'empereur avait besoin d'explications ultérieures, elle devait remettre à l'armée française les trois places d'Ulm, d'Ingolstadt et de Philipsbourg, sinon que les hostilités recommenceraient.
Le gouvernement a aussi fait connaître au roi d'Angleterre, qu'il ne verrait aucun inconvénient à admettre ses envoyés au congrès de Lunéville, s'il consentait à une trêve maritime qui offrît à la France le même avantage qu'offre à l'empereur la continuation de la trêve continentale.
Le gouvernement reçoit à l'instant même par le télégraphe, la nouvelle «que S.M. l'empereur s'est porté lui-même à son armée sur l'Inn, a consenti à livrer les trois places d'Ulm, d'Ingolstadt et de Philipsbourg, qui sont aujourd'hui occupées par les troupes de la république, et que M. de Lerbach, muni des pouvoirs nécessaires de S.M. l'empereur, est au quartier-général d'Altaefing, avec l'ordre de se rendre à Lunéville».
Les difficultés qu'ont dû présenter naturellement les conditions d'une trêve maritime, entraîneront encore quelques retards; mais si les deux gouvernemens ne s'accordent pas sur les conditions de ladite trêve, alors la France et S.M. l'empereur traiteront séparément pour une paix particulière sur les bases des préliminaires; et si, ce que l'on ne saurait penser, le parti de l'Angleterre parvient à influencer encore les ministres de Vienne, les troupes de la république ne redouteront ni les neiges ni la rigueur des saisons, et pousseront la guerre pendant l'hiver, à toute outrance, sans laisser le temps aux ennemis de former de nouvelles armées.
Ainsi, les principes du gouvernement sont: extrême modération dans les conditions, mais ferme résolution de pacifier promptement le continent.
Les mesures les plus vigoureuses sont prises pour seconder, dans cet objet essentiel, la volonté du peuple français.
Tel est tout le secret de la politique du gouvernement français.
BONAPARTE.
Footnote 15: (return) Les consuls avaient ordonné que pour donner plus de solennité à la fête du 1er vendémiaire, anniversaire de la fondation de la république, chaque département enverrait à Paris une députation de fonctionnaires chargés d'y assister.
Footnote 16: (return) Préliminaires de la paix de Lunéville entre l'empereur et la république.
Paris, le 7 vendémiaire an 9 (29 septembre 1890).
Au ministre de la marine.
Bonaparte, premier consul de la république, ordonne qu'A-Sam, chinois, originaire de Nankin, soit embarqué sur l'une des corvettes commandées par le capitaine de vaisseau Baudin, pour être conduit, aux frais de la république, à l'Ile-de-France, et de là dans sa patrie.
Il est expressément recommandé au capitaine Baudin et aux chefs militaires et d'administration de la marine, d'avoir pour A-Sam les égards qu'il mérite par sa qualité d'étranger, et par la bonne conduite qu'il a tenue pendant son séjour sur le territoire de la république.
Le premier consul, BONAPARTE.
Paris, le 24 vendémiaire an 9 (16 octobre 1800).
Réponse du premier consul à une députation du tribunat.
Je remercie le tribunal de cette marque d'affection. Je n'ai point réellement couru de danger17. Ces sept ou huit malheureux, pour avoir la volonté, n'avaient pas le pouvoir de commettre les crimes qu'ils méditaient. Indépendamment de l'assistance de tous les citoyens qui étaient au spectacle, j'avais avec moi un piquet de cette brave garde, la terreur des méchans. Les misérables n'auraient pu supporter ses regards. La police avait pris des mesures plus efficaces encore.
J'entre dans tous ces détails parce qu'il est peut-être nécessaire que la France sache que son premier magistrat n'est exposé dans aucune circonstance. Tant qu'il sera investi de la confiance de la nation, il saura remplir la tâche qui lui a été imposée.
Si jamais il était dans sa destinée de perdre cette confiance, il ne mettrait plus de prix à une vie qui n'inspirerait plus d'intérêt aux Français.
BONAPARTE.
Footnote 17: (return) Il s'agit de la tentative d'assassinat effectuée sur la personne de Bonaparte dans la soirée du 17 vendémiaire, à l'Opéra, par Aréns, Cernechi et autres conjurés.
Paris, le 25 vendémiaire an 9 (17 octobre 1800).
Réponse du premier consul à une députation du département de la Seine18.
Le gouvernement mérite l'affection du peuple de Paris. Il est vrai de dire que votre cité est responsable à la France entière de la sûreté du premier magistrat de la république..... Je dois déclarer que dans aucun temps, cette immense commune n'a montré plus d'attachement à son gouvernement; jamais il n'y eut besoin de moins de troupes de ligne, même pour y maintenir la police.
Ma confiance particulière dans toutes les classes du peuple de la capitale, n'a point de bornes; si j'étais absent, que j'éprouvasse le besoin d'un asile, c'est au milieu de Paris que je viendrais le chercher.
Je me suis fait remettre sous les yeux tout ce que l'on a pu trouver sur les événemens les plus désastreux qui ont eu lieu dans la ville de Paris dans ces dix dernières années: je dois déclarer, pour la décharge du peuple de Paris, aux yeux des nations et des siècles à venir, que le nombre des méchans citoyens a toujours été extrêmement petit; sur quatre cents, je me suis assuré que plus des deux tiers étaient étrangers à la ville de Paris. Soixante ou quatre-vingts ont seuls survécu à la révolution.
Vos fonctions vous appellent à communiquer tous les jours avec un grand nombre de citoyens; dites-leur que gouverner la France après dix années d'événemens aussi extraordinaires, est une tâche difficile.
La pensée de travailler pour le meilleur et le plus puissant peuple de la terre, a besoin elle-même d'être associée au tableau du bonheur des familles, de l'amélioration de la morale publique et des progrès de l'industrie; je dirais même au témoignage de l'affection et du contentement de la nation.
BONAPARTE.
Footnote 18: (return) Encore au sujet de l'attentat du 17 vendémiaire.
Paris, le 26 vendémiaire an 9 (18 octobre 1800).
Anecdote19.
Le général Moreau, de retour d'Allemagne à Paris, était encore dans le salon du premier consul, lorsque le ministre de l'intérieur entra, apportant une superbe paire de pistolets, d'un travail parfait, et enrichis de diamans; le Directoire les avait fait faire pour être donnés en présent à un prince étranger, et depuis ils étaient restés chez le ministre de l'intérieur. Ces pistolets furent trouvés très-beaux. Ils viennent bien à propos, dit le premier consul en les présentant au général Moreau; et se retournant vers le ministre de l'intérieur: «Citoyen ministre, ajouta-t-il, faites-y graver quelques-unes des batailles qu'a gagnées le général Moreau; ne les mettez pas toutes, il faudrait ôter trop de diamans; et quoique le général Moreau n'y attache pas un grand prix, il ne faut pas trop déranger le dessin de l'artiste.»
BONAPARTE.
Footnote 19: (return) Nous la rapportons parce qu'elle est également honorable pour Bonaparte et pour le général Moreau, le plus dangereux rival que le premier consul eût alors dans l'opinion publique.
Paris, le 27 frimaire an 9 (18 décembre 1800).
Message au sénat conservateur.
Sénateurs,
Le premier consul, conformément à l'art. 16 de la constitution, vous présente pour candidats aux deux places auxquelles le sénat doit nommer en exécution de l'art. 15 de la constitution;
Le citoyen Dedelay d'Agier, qui a réuni les suffrages du tribunal et du corps-législatif;
Le citoyen Rampon, général de division actuellement en Egypte. Ce soldat a rendu des services dans les circonstances les plus essentielles de la guerre. Il est digne, d'ailleurs, du peuple français, de donner une marque de souvenir et d'intérêt à cette brave armée qui, attaquée à la fois du côté de la mer Rouge et de la Méditerranée par les milices de l'Arabie et de l'Asie entière, a été sur le point de succomber par les intrigues et la perfidie sans exemple du ministère anglais; mais elle se ressouvint de ce qu'exigeait la gloire, et confondit aux champs d'Héliopolis, et l'Arabie, et l'Asie et l'Angleterre. Séparés depuis trois ans de la patrie, que les soldats de cette armée sachent qu'ils sont tous présens à notre mémoire.
Le premier consul, BONAPARTE.
Paris, 4 nivose an 9 (25 décembre 1800).
Réponse du premier consul à une députation du département de la Seine.
J'ai été touché des preuves d'affection que le peuple m'a données dans cette circonstance20. Je les mérite, parce que l'unique but de mes désirs et de mes actions est d'accroître sa prospérité et sa gloire. Tant que cette poignée de brigands m'a attaqué directement, j'ai dû laisser aux lois et aux tribunaux ordinaires leur punition; mais puisqu'ils viennent par un crime sans exemple dans l'histoire, de mettre en danger une partie de la population de la cité, la punition sera aussi prompte qu'exemplaire. Assurez, en mon nom, le peuple de Paris que cette centaine de misérables qui ont calomnié la liberté par les crimes qu'ils ont commis en son nom, seront désormais mis dans l'impuissance absolue de faire aucun mal. Que les citoyens n'aient aucune inquiétude; je n'oublierai pas que mon premier devoir est de veiller à la défense du peuple, contre ses ennemis intérieurs et extérieurs.
BONAPARTE.
Footnote 20: (return) Il s'agit de l'attentat du 3 nivose, connu sous le nom de machine infernale.
Paris, le 12 nivose an 9 (8 janvier 1801).
Au corps législatif.
Législateurs,
La république triomphe, et ses ennemis implorent encore sa modération.
La victoire de Hohenlinden a retenti dans toute l'Europe; elle sera comptée par l'histoire au nombre des plus belles journées qui aient illustré la valeur française; mais à peine avait-elle été comptée par nos défenseurs, qui ne croient avoir vaincu que quand la patrie n'a plus d'ennemis.
L'armée du Rhin a passé l'Inn; chaque jour a été un combat, et chaque combat un triomphe.
L'armée gallo-batave a vaincu a Bamberg; l'armée des Grisons, à travers les neiges et les glaces, a franchi le Splugen pour tourner les redoutables lignes du Mincio et de l'Adige. L'armée d'Italie a emporté de vive force le passage du Mincio et bloque Mantoue. Enfin, Moreau n'est plus qu'à cinq journées de Vienne, maître d'un pays immense et de tous les magasins des ennemis.
C'est là qu'a été demandé par le prince Charles, et accordé par le général en chef de l'armée du Rhin l'armistice dont les conditions vont être mises sous vos yeux.
M. de Cobentzel, plénipotentiaire de l'empereur, à Lunéville, a déclaré par une note en date du 31 décembre, qu'il était prêt d'ouvrir les négociations pour une paix séparée. Ainsi, l'Autriche est affranchie de l'influence du gouvernement anglais.
Le gouvernement, fidèle a ses principes et au voeu de l'humanité, dépose dans votre sein et proclame à la France et à l'Europe entière les intentions qui l'animent.
La rive gauche du Rhin sera la limite de la république française; elle ne prétend rien sur la rive droite. L'intérêt de l'Europe ne veut pas que l'empereur dépasse l'Adige. L'indépendance des républiques helvétique et batave sera assurée et reconnue. Nos victoires n'ajoutent rien aux prétentions du peuple français. L'Autriche ne doit pas attendre de ses défaites ce qu'elle n'aurait pas obtenu par des victoires.
Telles sont les intentions invariables du gouvernement. Le bonheur de la France sera de rendre le calme à l'Allemagne et à l'Italie; sa gloire, d'affranchir le continent du génie avide et malfaisant de l'Angleterre.
Si la bonne foi est encore trompée, nous sommes à Prague, à Vienne et à Venise.
Tant de dévouement et tant de succès appellent sur nos armées toute la reconnaissance de la nation.
Le gouvernement voudrait trouver de nouvelles expressions pour consacrer leurs exploits; mais il en est une qui, par sa simplicité, sera toujours digne des sentimens et du courage des soldats français.
En conséquence, le gouvernement vous propose les quatre projets de loi ci-joints21.
Le premier consul, BONAPARTE.
Footnote 21: (return) Ces quatre projets de loi déclaraient que les quatre armées du Rhin, gallo-batave, d'Italie et des Grisons avaient bien mérité de la patrie. La première était commandée par Moreau; la deuxième par Augereau; la troisième par Brune, et la quatrième par Macdonald.
Paris, le 18 nivôse an 9 (8 janvier 1801).
Au sénat conservateur.
Le premier consul, conformément a l'article 16 de la constitution, vous présente comme candidats aux quatre places vacantes au sénat conservateur:
Pour la première place, le citoyen Collot, général de division à l'armée du Rhin;
Ce soldat a rendu des services essentiels dans toutes les campagnes de la guerre. C'est d'ailleurs une occasion de donner un témoignage de considération à cette invincible armée du Rhin qui, des champs de Hohenlinden, est arrivée jusqu'aux portes de Vienne, dans le mois le plus rigoureux de l'année, en vainquant tous les obstacles.
Pour la deuxième place, le citoyen Tronchet, le premier jurisconsulte de France, président du tribunal de cassation.
Le gouvernement désire que le premier corps judiciaire voie dans la présentation de son président un témoignage de satisfaction pour la conduite patriotique qu'il a constamment tenue.
Pour la troisième place, le citoyen Crassous, qui a réuni les suffrages du tribunal et du corps législatif;
Et pour la quatrième, le citoyen Harville, général de division.
Ce soldat a rendu des services importans dans toutes les campagnes, depuis la bataille de Jemmapes jusqu'à celle de Marengo.
Le premier consul, BONAPARTE.
Paris, le 19 nivose an 9 (9 janvier 1801).
Au corps législatif.
Législateurs,
Le gouvernement vous propose le projet de loi suivant: «L'armée d'Orient, les administrateurs, les savans et les artistes, qui travaillent à organiser, à éclairer et a faire connaître l'Egypte, ont bien mérité de la patrie».
Ce projet de loi est l'expression d'un voeu émis par le tribunal, et répété par tout le peuple français.
Quelle armée, en effet, quels citoyens ont mieux mérité de recevoir ce témoignage de la reconnaissance nationale?
À travers combien de périls et de travaux l'Egypte a été conquise! Par combien de prodiges de courage et de patience elle a été conservée à la république!
L'Egypte était soumise; l'élite des janissaires de la Turquie européenne avait péri au combat d'Aboukir. Le grand-visir et ses milices tumultuaires n'étaient pas encore dans la Syrie.
Nos revers en Italie et en Allemagne retentissaient dans l'Orient; on y apprend que la coalition menace les frontières de la France, et que la discorde s'apprête à lui en livrer les débris.
Au bruit des malheurs de sa patrie, le sentiment, le devoir rappellent en Europe celui qui avait dirigé l'expédition d'Egypte.
L'Anglais saisit cette circonstance et sème des rumeurs sinistres: «Que l'armée d'Orient est abandonnée par son général; qu'oubliée de la France, elle est condamnée à périr hors de sa patrie par les maladies ou par le fer des ennemis; que la France elle-même a perdu sa gloire et ses conquêtes, et perdra bientôt son existence avec sa liberté.»
A Paris, de vains orateurs accusaient l'expédition d'Egypte, et déploraient nos guerriers sacrifiés à un système désastreux et à une basse jalousie.
Ces bruits, ces discours recueillis et propagés par les émissaires de l'Angleterre, portent dans l'armée les soupçons, les inquiétudes et la terreur.
El-Arisch est attaqué; El-Arisch tombe au pouvoir du grand-visir par les intrigues des Anglais et par le découragement de nos soldats.
Mais pour arriver en Egypte, il reste un immense désert à traverser. Point de puits dans ce désert qu'au point de Catieh, et là une forteresse et de l'artillerie. Au-delà du désert, le fort de Salahieh, une armée pleine de vigueur et de santé, nouvellement habillée, d'abondantes munitions, des vivres de toute espèce, plus de forces enfin qu'il n'en faut pour résister à trois armées telles que celle du grand-visir.
Mais nos guerriers n'avaient plus qu'un désir, qu'une espérance, celle de revoir, de sauver leur patrie; Kléber cède à leur impatience. L'Anglais trompe, menace, caresse, arrache enfin par ses artifices la capitulation d'El-Arisch.
Les généraux les plus courageux et les plus habiles sont au désespoir. Le vertueux Desaix signe, en gémissant, un traité qu'il réprouve.
Cependant la bonne foi exécute la convention que l'intrigue a surprise. Les forts de Suez, Catien, Salahieh, Belbeis, la Haute-Egypte sont évacués. Déjà Damiette est au pouvoir des Turcs, et les mameloucks sont au Caire.
Quatre-vingts vaisseaux turcs attendent notre armée au port d'Alexandrie pour la recevoir. La forteresse du Caire, Gizeh, tous les forts vont être abandonnés dans deux jours, et l'armée n'aura plus d'asile que ces vaisseaux qui sont destinés à devenir sa prison!
Ainsi l'a voulu la perfidie.
Le gouvernement britannique refuse de reconnaître un traité qu'a entamé, qu'a conduit son ministre plénipotentiaire à la porte, le commandant de ses forces navales destinées à agir contre l'expédition d'Egypte22, et que ce plénipotentiaire, ce commandant a signé conjointement avec le grand-visir.
La France doit à cette conduite la plus belle de ses possessions, et l'armée que l'Anglais a le plus outragée lui doit une nouvelle gloire.
Des bricks expédiés de France ont annoncé la journée du 18 brumaire, et que déjà la face de la république est changée. Au refus prononcé par les Anglais de reconnaître le traité d'El-Arisch, Kléber s'indigne, et son indignation passe dans toute l'armée. Pressé entre la mauvaise foi des Anglais et l'obstination du grand-visir, qui exige l'accomplissement d'un traité que lui-même ne peut pas exécuter, elle court au combat et à la vengeance. Le grand-visir et son armée sont dispersés aux champs d'Héliopolis.
Ce qui reste de Français dans la forteresse du Caire brave toutes les forces des mameloucks et toutes les fureurs d'un peuple exalté par le fanatisme.
Bientôt la terreur et l'indulgence ont reconquis toutes les places et tous les coeurs. Mourad-Bey, qui avait été le plus redoutable de nos ennemis, a été désarmé par la loyauté française, et soumis à la république; il s'honore d'être son tributaire et l'instrument de sa puissance.
Cette puissance s'affermit par la sagesse; l'administration prend une marche régulière et assurée: l'ordre ranime toutes les parties du service; les savans poursuivent leurs travaux, et l'Egypte a désormais l'aspect d'une colonie française.
La mort du brave Kléber, si affreuse, si imprévue, ne trouble point le cours de nos succès.
Sous Menou, et par son impulsion, se développent de nouveaux moyens de défense et de prospérité. De nouvelles fortifications s'élèvent sur tous les points que l'ennemi pourrait menacer! Les revenus publics s'accroissent. Estève dirige avec intelligence et fidélité une administration de finances que l'Europe ne désavouerait pas. Le trésor public se remplit et le peuple est soulagé. Conté propage les arts utiles; Champy fabrique la poudre et le salpêtre; Lepeyre retrouve le système des canaux qui fécondaient l'Egypte, et ce canal de Suez qui unira le commerce de l'Europe au commerce de l'Asie.
D'autres cherchent et découvrent des mines jusqu'au sein des déserts; d'autres s'enfoncent dans l'intérieur de l'Afrique pour en connaître la situation et les productions, pour étudier les peuples qui l'habitent, leurs usages et leurs moeurs, pour en rapporter dans leur patrie des lumières qui éclairent les sciences, et des moyens de perfectionner nos arts ou d'étendre les spéculations de nos négocians.
Enfin le commerce appelle les vaisseaux d'Europe au port d'Alexandrie, et déjà le mouvement qu'il imprime réveille l'industrie dans nos départemens méridionaux.
Tels sont, citoyens législateurs, les droits qu'ont à la reconnaissance de la nation l'armée d'Egypte et les Français qui se sont dévoués au succès de cet établissement: en prononçant qu'ils ont bien mérité de la patrie, vous récompenserez leurs premiers efforts, et vous donnerez une nouvelle énergie a leurs talens et a leur courage.
Le premier consul, BONAPARTE.
Footnote 22: (return) Ce sont les titres que prenait dans tous ses actes Sidney Smith, qui avait signé la capitulation d'El-Arisch.
Paris, le 21 nivose an 9 (11 janvier 1801).
Au corps législatif.
Législateurs,
Le gouvernement vous adresse une nouvelle copie du projet de loi relatif à l'établissement d'un tribunal criminel spécial dans laquelle il n'y a d'autres changemens que la suppression de l'art. 3a.
Le gouvernement a pensé que les dispositions de cet article devaient faire partie d'un projet de loi qu'il se propose de vous présenter, relativement a la police de la capitale.
Le premier consul, BONAPARTE.
Projet de loi sur l'établissement d'un tribunal criminel spécial23.
TITRE 1er
Formation et organisation au tribunal.
Art 1er Il sera établi dans les départemens où le gouvernement le jugera nécessaire un tribunal spécial pour la répression des crimes ci-après spécifiés.
2. Ce tribunal sera composé du président et de deux juges du tribunal criminel, de trois militaires ayant au moins le grade de capitaine, et de deux citoyens ayant les qualités requises pour être juges. Ces derniers, ainsi que les trois militaires, seront désignés par le premier consul.
3. Le commissaire du gouvernement près le tribunal criminel et le greffier du même tribunal, rempliront leurs fonctions respectives de commissaire du gouvernement et de greffier près le tribunal spécial.
4. Dans le cas où le gouvernement jugera nécessaire d'établir un tribunal spécial dans le département de la Seine, les trois juges qui, par l'art. 2, doivent être pris dans le tribunal criminel, seront choisis par le gouvernement dans les deux sections dont il est composé.
Le gouvernement pourra, dans le même cas, établir on commissaire autre que celui du tribunal criminel.
5. Le tribunal spécial ne pourra juger qu'en nombre pair, à huit ou six au moins. S'il se trouve sept juges à l'audience, le dernier, dans l'ordre déterminé par l'art. 2, s'absentera.
TITRE II.
Compétence.
6. Le tribunal spécial connaîtra des crimes et délits emportant peine afflictive ou infamante, commis par les vagabonds et gens sans aveu, et par les condamnée à peine afflictive, si lesdits crimes ou délits ont été commis depuis l'évasion desdits condamnés, pendant la durée de la peine, et même avant leur réhabilitation civique.
7. Il connaîtra aussi du fait de vagabondage et de l'évasion des condamnés.
8. Le tribunal connaîtra contre toutes les personnes, des vols sur les grandes routes, violences, voies de fait, et autres circonstances aggravantes des délits.
9. Il connaîtra aussi contre toutes personnes, des vols dans les campagnes et dans les habitations et bâtimens de campagne, lorsqu'il y aura effraction faite aux murs de clôture, aux toits des maisons, portes et fenêtres extérieures, ou lorsque le crime aura été commis avec port d'armes, et par une réunion de deux personnes au moins.
10. Il connaîtra de même contre toutes les personnes, mais concurremment avec le tribunal ordinaire, des assassinats Prémédités.
11. Il connaîtra également contre toutes personnes, mais exclusivement à tous autres juges, du crime d'incendie et de fausse monnaie, des assassinats préparés par des attroupemens armés, des menaces, excès et voies de fait contre des acquéreurs de biens nationaux, à raison de leurs acquisitions, du crime d'embauchage et de machinations pratiquées hors l'armée, et par des individus non militaires, pour corrompre ou suborner les gens de guerre, les réquisitionnaires et conscrits.
12. Il connaîtra des rassemblemens séditieux, contre les personnes surprises en flagrant délit, dans lesdits rassemblemens.
13. Si après le procès commencé pour un des crimes susmentionnés, l'accusé est inculpé sur d'autres faits, le tribunal spécial instruira et jugera, quelle que soit la nature de ces faits.
14. Il n'est point dérogé aux lois relatives aux émigrés. Ne pourra néanmoins le tribunal spécial suspendre l'instruction et le jugement des procès de sa compétence, quand même il y aurait des prévenus d'émigration dans le nombre des accusés.
TITRE III.
Poursuite, instruction et jugement.
15. Tous les crimes attribués par l'article 2 au tribunal spécial, seront poursuivis d'office, et sans délai, par le commissaire du gouvernement, encore qu'il n'y ait pas de partie plaignante.
16. Les plaintes pourront être reçues indistinctement par le commissaire du gouvernement, par ses substituts, par les officiers de gendarmerie ou de police, qui seront en tournée, ou résidant dans le lieu du délit.
Elles seront signées par l'officier qui les recevra; elles le seront aussi par le plaignant ou par un procureur spécial; et si le plaignant ne sait ou ne peut signer, il en sera fait mention.
17. Tous officiers de gendarmerie et tous autres officiers de police qui auront connaissance d'un crime, seront tenus de se transporter aussitôt où besoin sera; de dresser sur-le-champ, et sans déplacer, procès-verbal détaillé des circonstances du délit et de tout ce qui pourra servir pour la décharge ou conviction, et de décerner tous mandats d'amener selon l'exigence des cas.
18. Des procès-verbaux seront envoyés ou remis dans les vingt-quatre heures au greffe du tribunal, ensemble les armes, meubles, hardes et papiers qui pourront servir à la preuve, et le tout fera partie du procès.
19. S'il y a des personnes blessées, elles pourront se faire visiter par des médecins et chirurgiens qui affirmeront leur rapport véritable, et ce rapport sera joint au procès.
Le tribunal pourra néanmoins ordonner de nouvelles visites par des experts nommés d'office, lesquels prêteront serment entre les mains du président ou de tel autre juge par lui commis, de remplir fidèlement leur mission.
20. Tous officiers de gendarmerie, tous officiers de police, tous fonctionnaires publics seront tenus d'arrêter ou faire arrêter les personnes surprises en flagrant délit, ou désignées par la clameur publique.
21. Tous officiers de gendarmerie, ou de police, seront tenus, en arrêtant un accusé, de faire inventaire des effets et papiers dont cet accusé se trouvera saisi, en présence de deux citoyens domiciliés dans le lieu le plus proche de celui de la capture, lesquels, ainsi que l'accusé, signeront l'inventaire, sinon déclareront la cause de leur refus, dont il sera fait mention, pour être le tout remis dans les trois jours, au plus tard, au greffe du tribunal.
Il sera laissé a l'accusé copie dudit inventaire, ainsi, que du procès-verbal de capture.
22. A l'instant même de la capture, l'accusé sera conduit dans les prisons du lieu, s'il y en a, sinon aux plus prochaines, et dans trois jours, au plus tard, dans celles du tribunal. Les officiers de gendarmerie et de police ne pourront tenir l'accusé en chartre privée dans leurs maisons pu ailleurs.
23. Vingt-quatre heures après l'arrivée de l'accusé dans les prisons du tribunal, il sera interrogé. Les témoins seront entendus séparément et hors de la présence de l'accusé, le tout par un juge commis par le président.
24. Sur le vu de la plainte, des pièces y jointes, des interrogatoires et réponses, des informations, et le commissaire du gouvernement entendu, le tribunal jugera sa compétence sans appel.
S'il déclare ne pouvoir connaître du délit, il renverra sans retard l'accusé et tous les actes du procès par devant qui de droit. Dans le cas contraire, il procédera également, sans délai, à l'instruction et au jugement du fond.
25. Le jugement de compétence sera signifié à l'accusé dans les vingt-quatre heures. Le commissaire du gouvernement adressera dans le même délai, expédition au ministre de la justice, pour être le tout transmis au tribunal de cassation.
26. La session criminelle du tribunal de cassation prendra connaissance de tous jugemens de compétence, rendus par le tribunal spécial et y statuera toutes autres affaires cessantes.
27. Ce recours ne pourra, dans aucun cas, suspendre l'instruction ni le jugement. Il sera seulement sursis à toute exécution jusqu'à ce qu'il ait été statué par le tribunal de cassation.
28. Après le jugement de compétence, nonobstant le recours au tribunal de cassation, et sans y préjudicier, l'accusé sera traduit à l'audience publique du tribunal; là, en présence des témoins, lecture sera donnée de l'acte d'accusation dressé par le commissaire du gouvernement; les témoins seront ensuite successivement appelés. Le commissaire du gouvernement donnera ses conclusions; après lui, l'accusé, ou son défenseur, sera entendu.
29. Les débats étant terminés, le tribunal jugera le fond en dernier ressort, et sans recours en cassation.
Les vols de la nature de ceux dont il est parlé dans les articles 9 et 10 seront punis de mort. Les menaces, excès et voies de fait exercés contre les acquéreurs de biens nationaux, seront punis de la peine d'emprisonnement, laquelle peine ne pourra excéder trois ans, ni être au-dessous de six mois, sans préjudice de plus fortes peines en cas de circonstances aggravantes.
Quant aux autres délits spécifiés en l'article 2, le tribunal se conformera aux dispositions du Code pénal du 17 septembre 1791.
30. A compter du jour de la publication de la présente loi, tous les détenus pour crimes de la nature de ceux mentionnés dans le titre II, seront jugés par le tribunal spécial; en conséquence, il est enjoint à tous juges de les y recevoir avec les pièces, actes, et procédures déjà commencées, et néanmoins en cas de condamnation on n'appliquera aux crimes antérieurs à la publication de la présente loi, que les peines portées contre ces délits par le Code pénal.
31. Le tribunal spécial demeurera révoqué de plein droit, deux ans après la paix générale.
Footnote 23: (return) Nous rapporterons dans ce recueil les dispositions les plus remarquables à l'aide desquelles Bonaparte, premier consul, préludait à l'établissement du despotisme qu'il a exercé lorsqu'il fut devenu empereur, sous le nom de Napoléon. Le projet ci-joint, qui fut converti en loi après une discussion fort vive au tribunal, mérite sans doute d'occuper la première place parmi les institutions machiavéliques de Bonaparte.
Paris, le 24 pluviose an 9 (13 février 1801).
Message au corps législatif et au tribunat.
Législateurs, tribuns,
La paix continentale a été signée a Lunéville. Elle est telle que la voulait le peuple français. Son premier voeu fut la limite du Rhin. Des revers n'avaient point ébranlé sa volonté, des victoires n'ont point dû ajouter à ses prétentions.
Après avoir replacé les anciennes limites de la Gaule, il devait rendre à la liberté les peuples, qui lui étaient unis par une commune origine, par le rapport des intérêts et des moeurs.
La liberté de la Cisalpine et de la Ligurie est assurée. Après ce devoir, il en était un autre que lui imposaient la justice et la générosité.
Le roi d'Espagne a été fidèle à notre cause, et a souffert pour elle. Ni nos revers, ni les insinuations perfides de nos ennemis, n'ont pu le détacher de nos intérêts; il sera payé d'un juste retour: un prince de son sang va s'asseoir sur le trône de Toscane.
Il se souviendra qu'il le doit à la fidélité de l'Espagne et à l'amitié de la France; ses rades et ses ports seront fermés à nos ennemis et deviendront l'asile de notre commerce et de nos vaisseaux.
L'Autriche, et c'est là qu'est le gage de la paix, l'Autriche, séparée désormais de la France par de vastes régions, ne connaîtra plus cette rivalité, ces ombrages qui, depuis tant de siècles, ont fait le tourment de ces deux puissances et les calamités de l'Europe.
Par ce traité, tout est fini pour la France; elle n'aura plus à lutter contre les formes et les intrigues d'un congrès.
Le gouvernement doit un témoignage de satisfaction au ministre plénipotentiaire qui a conduit cette négociation à cet heureux terme. Il ne reste ni interprétation à craindre, ni explication à demander, ni de ces dispositions équivoques dans lesquelles l'art de la diplomatie dépose le germe d'une guerre nouvelle.
Pourquoi faut-il que ce traité ne soit pas le traité de la paix générale! C'était le voeu de la France! C'était l'objet constant des efforts du gouvernement!
Mais tous ses efforts ont été valus, L'Europe sait tout ce que le ministère britannique a tenté pour faire échouer les négociations de Lunéville.
En vain un agent du gouvernement lui déclara, le 9 octobre 1800, que la France était prête à entrer avec lui dans une négociation séparée: cette déclaration n'obtint que des refus, sous le prétexte que l'Angleterre ne pouvait abandonner son allié. Depuis, lorsque cet allié a consenti à traiter sans l'Angleterre, ce gouvernement cherche d'autres moyens d'éloigner une paix si nécessaire au monde.
Il viole des conventions que l'humanité avait consacrées, et déclare la guerre à de misérables pêcheurs.
Il élève des prétentions contraires à la dignité et aux droits de toutes les nations. Tout le commerce de l'Asie et de colonies immenses ne suffit plus à son ambition. Il faut que toutes les mers soient soumises à la souveraineté exclusive de l'Angleterre. Il arme contre la Russie, le Danemarck et la Suède, parce que la Russie, la Suède et le Danemarck ont assuré par des traités de garantie, leur souveraineté et l'indépendance de leurs pavillons.
Les puissances du Nord, injustement attaquées, ont droit de compter sur la France. Le gouvernement français vengera avec elles une injure commune à toutes les nations, sans perdre jamais de vue qu'il ne doit combattre que pour la paix et pour le bonheur du monde.
Le premier consul, BONAPARTE.
Paris, le 25 pluviose an 9 (14 février 1801).
Réponse du premier consul à une députation du corps législatif24.
Le gouvernement reçoit avec plaisir la députation du corps législatif.
Le peuple ne goûtera pas encore tous les bienfaits de la paix, tant qu'elle ne sera pas faite avec l'Angleterre; mais un esprit de vertige s'est emparé de ce gouvernement qui ne connaît plus rien de sacré. Sa conduite est injuste, non seulement envers le peuple français, mais encore envers toutes les puissances du continent; et lorsque les gouvernemens ne sont pas justes, leur prospérité n'est que passagère.
Toutes les puissances du continent s'entendront pour faire rentrer l'Angleterre dans le chemin de la modération, de l'équité et de la raison.
Mais la paix intérieure a précédé la paix extérieure.
Dans le voyage que je viens de faire dans plusieurs départemens, j'ai été touché de l'accord et de l'union qui régnaient entre tous les citoyens. On ne doit attacher aucune importance aux harangues inconsidérées de quelques hommes25.
Le gouvernement se plaît à rendre justice au zèle du corps législatif; pour la prospérité du peuple français et à son attachement pour le gouvernement. En mon particulier, je désire que vous lui fassiez bien connaître la confiance que j'ai en lui, et combien je suis sensible à cette démarche spontanée et au discours que vient de m'adresser son président.
Le premier consul, BONAPARTE.
Footnote 24: (return) Envoyée pour le féliciter sur la paix de Lunéville.
Footnote 25: (return) Allusion aux discours très hardis et très libéraux prononcés au sein du tribunat lors de la discussion du projet de loi sur les tribunaux spéciaux. Ces discours avaient tellement déplu a Bonaparte, que tous les historiens s'accordent à regarder le mécontentement qu'ils lui firent éprouver, comme la cause principale de la suppression ultérieure du tribunat.
Paris, le 25 pluviose an 9 (14 février 1801).
Réponse du premier consul aux Belges qui faisaient partie de la députation du corps législatif26.
Il n'était plus au pouvoir du gouvernement de transiger pour les neuf départemens qui formaient autrefois la Belgique, puisque, depuis leur réunion, ils font partie intégrante du territoire français. Il est cependant vrai de dire que le droit public, tel qu'il était à cette époque reconnu en Europe, a pu autoriser des individus qui voyaient dans S.M. l'empereur leur légitime souverain, à ne pas se reconnaître comme Français.
Mais depuis le traité de Campo-Formio, tout habitant de la Belgique qui a continué à reconnaître l'empereur pour son souverain, et est resté à son service, a par cela seul trahi son devoir et sa patrie; car depuis ce traité les Belges étaient français, comme le sont les Normands, les Languedociens, les Lorrains, les Bourguignons.
Dans la guerre qui a suivi ce traité, les armées ont éprouvé quelques revers; mais quand même l'ennemi aurait eu son quartier-général au faubourg Saint-Antoine, le peuple français n'eût jamais, ni cédé ses droits, ni renoncé a la réunion de la Belgique.
BONAPARTE.
Footnote 26: (return) Les députés belges qui faisaient partie de la députation avaient adressé a Bonaparte une harangue particulière.
Paris, le 3 ventose an 9 (22 février 1801).
Au ministre des finances.
Je sens vivement, citoyen ministre, la perte que nous venons de faire du conseiller-d'état Dufresne, directeur du trésor public.
L'esprit d'ordre et la sévère probité qui le distinguaient si éminemment, nous étaient encore bien nécessaires.
L'estime public est la récompense des gens de bien. J'ai quelque consolation à penser que, du sein de l'autre vie, il sent les regrets que nous éprouvons.
Je désire que vous fassiez placer son buste dans la salle de la trésorerie27.
Je vous salue affectueusement.
BONAPARTE.
Footnote 27: (return) Ce buste, exécuté par le sculpteur Masson, fut placé le 30 pluviose an 10 dans la salle désignée par Bonaparte.
Paris, le 21 messidor an 9 (10 juillet 1801).
Aux Français.
PROCLAMATION28.
Français,
Ce jour est destiné à célébrer cette époque d'espérance et de gloire où tombèrent des institutions barbares; où vous cessâtes d'être divisés en deux peuples, l'un condamné aux humiliations, l'autre marqué pour les distinctions et pour les grandeurs; où vos propriétés furent libres comme vos personnes; où la féodalité fut détruite, et avec elle ces nombreux abus que des siècles avaient accumulés sur vos tètes.
Cette époque, vous la célébrâtes en 1790, dans l'union des mêmes principes, des mêmes sentimens et des mêmes voeux. Vous l'avez célébrée depuis, tantôt au milieu des triomphes, tantôt sous le poids des fers, quelquefois aux cris de la discorde et des factions.
Vous la célébrez aujourd'hui sous de plus heureux auspices. La discorde se taît, les factions sont comprimées; l'intérêt de la patrie règne sur tous les intérêts. Le gouvernement ne connaît d'ennemis que ceux qui le sont de la tranquillité du peuple.
La paix continentale a été conclue par la modération. Votre puissance et l'intérêt de l'Europe en garantissent la durée.
Vos frères, vos enfans rentrent dans vos foyers, tous dévoués à la cause de la liberté, tous unis pour assurer le triomphe de la république.
Bientôt cessera le scandale des divisions religieuses.
Un Code civil, mûri parla sage lenteur des discussions, protégera vos propriétés et vos droits.
Enfin une dure, mais utile expérience, vous garantit du retour des dissensions domestiques, et sera long-temps la sauve-garde de votre prospérité.
Jouissez, Français, jouissez de votre position, de votre gloire et des espérances de l'avenir; soyez toujours fidèles à ces principes et à ces institutions qui ont fait vos succès et qui feront la grandeur et la félicité de vos enfans. Que de vaines inquiétudes ne troublent jamais vos spéculations ni vos travaux. Vos ennemis ne peuvent plus rien contre votre tranquillité.
Tous les peuples envient vos destinées.
«Bonaparte, premier consul de la république, ordonne que la proclamation ci-dessus sera insérée au Bulletin des lois, publiée, imprimée et affichée dans tous les départemens 4e la république.»
Le premier consul, BONAPARTE.
Footnote 28: (return) Elle devait être, et fut en effet lue le 25 messidor pendant la solennité de la fête destinée à célébrer l'anniversaire du 14 juillet.
Paris, le 7 fructidor an 9 (24 août 1801).
Aux soldats du premier régiment d'artillerie29.
Soldats!
Votre conduite dans la citadelle de Turin a retenti dans toute l'Europe.
Une douleur profonde a précédé dans le coeur de vos concitoyens le cri de la vengeance.
Vous avez rendu de grands services... Vous êtes couverts d'honorables blessures; vous les avez reçues pour la gloire de la république... Elle a triomphé de ses ennemis; elle tient le premier rang parmi les puissances!!!
Mais que lui importerait tant de grandeur, si ses enfans indisciplinés se laissaient guider par les passions effrénées de quelques misérables!!!
Vous êtes entrés sans ordre et tumultueusement dans une forteresse, en violant toutes les consignes, sans porter aucun respect au drapeau du peuple français, qui y était arboré.
Le brave officier qui était chargé de la défendre, vous l'avez tué, vous avez passé sur son cadavre... Vous êtes tous coupables.
Les officiers qui n'ont pas su vous préserver d'un tel égarement, ne sont pas dignes de commander... Le drapeau que vous avez abandonné, qui n'a pu vous rallier, sera suspendu au temple de Mars et couvert d'un crêpe funèbre... Votre corps est dissous.
Soldats! Vous allez rentrer dans de nouveaux corps; donnez-y des preuves d'une sévère discipliné. Faites que l'on dise: Ils ont dû servir d'exemples, mais ils sont toujours ce qu'ils ont été, les braves et bons enfans de la patrie.
Le premier consul, BONAPARTE.
Footnote 29: (return) Le premier régiment d'artillerie, en garnison à Turin, s'était insurgé contre ses chefs, et avait tué sur le pont-levis de la forteresse le chef de bataillon Jacquemain, commandant qui voulait en défendre l'entrée. Ce régiment fût étiré, ses compagnies distribuées dans d'autres corps, et les officiers jugés par un conseil de guerre.
Paris, le 17 brumaire an 10 (8 novembre 1801).
Aux habitans de Saint-Domingue.
Quelles que soient votre origine et votre couleur, vous êtes tous Français, vous êtes tous libres, et tous égaux devant Dieu et devant la république.
La France a été, comme Saint-Domingue, en proie aux factions et déchirée par la guerre civile et par la guerre étrangère. Mais tout a changé; tous les peuples ont embrassé les Français et leur ont juré la paix et l'amitié. Tous les Français se sont embrassés aussi et ont juré d'être tous des amis et des frères. Venez aussi embrasser les Français et vous réjouir de revoir vos amis et vos frères d'Europe.
Le gouvernement vous envoie le capitaine-général Leclerc; il amène avec lui de grandes forcés pour vous protéger contre vos ennemis et contre les ennemie de la république. Si l'on vous dit: Cet forces sont destinées à vous ravir votre liberté; répondez: La république ne souffrira pas qu'elle nous soit enlevée. Ralliez-Vous autour du capitaine-général, il vous rapporte l'abondance et la paix; ralliez-vous tous autour de lui. Qui osera se séparer du capitaine-général, sera un traître à la patrie, et la colère de la république le dévorera, comme le feu dévore vos cannes desséchées.
Le premier consul, BONAPARTE.
Paris, le 17 brumaire an 10 (8 novembre 1801).
Au citoyen Toussaint-Louverture, général en chef de l'armée de Saint-Domingue.
Citoyen général,
La paix avec l'Angleterre et toutes les puissantes de l'Europe qui vient d'asseoir la république au premier degré de puissance et de grandeur, met le gouvernement à même de s'occuper de la colonie de Saint-Domingue. Nous y envoyons le citoyen Leclerc, notre beau-frère, en qualité de capitaine-général, comme premier magistrat de la colonie. Il est accompagné de forces convenables pour faire respecter la souveraineté du peuple français. C'est dans ces circonstances que nous nous plaisons à espérer que vous allez nous prouver, et à la France entière, la sincérité des sentimens que vous avez constamment exprimés dans les différentes lettres que vous nous ayez écrites. Nous avons conçu pour vous de l'estime, et nous nous plaisons à reconnaître et à proclamer les grands services que vous avez rendus au peuple français. Si son pavillon flotte sur Saint-Domingue, c'est à vous et aux braves Noirs qu'il le doit. Appelé par vos talens et la force des circonstances au premier commandement, vous avez détruit la guerre civile, mis un frein à la persécution de quelques hommes féroces, remis en honneur la religion et le culte du Dieu de qui tout émane. La constitution que vous avez faite, en renfermant beaucoup de bonnes choses, en contient qui sont contraires à la dignité et à la souveraineté du peuple français, dont Saint-Domingue ne forme qu'une portion.
Les circonstances où vous vous êtes trouvé, environné de tous côtés d'ennemis, sans que la métropole puisse ni vous secourir, ni vous alimenter, ont rendu légitimes les articles de cette constitution qui pourraient ne plus l'être. Mais aujourd'hui que les circonstances sont si heureusement changées, vous serez le premier à rendre hommage à la souveraineté de la nation qui vous compte au nombre de ses plus illustres citoyens, par les services que vous lui avez rendus et par les talens et la force de caractère dont la nature vous a doué. Une conduite contraire serait inconciliable avec l'idée que nous avons conçue de vous. Elle vous ferait perdre vos droits nombreux à la reconnaissance et aux bienfaits de la république; et creuserait sous vos pas un précipice qui, en vous engloutissant, pourrait contribuer au malheur de ces braves noirs dont nous aimons le courage, et dont nous nous verrions avec peine obligés de punir la rébellion.
Nous avons fait connaître à vos enfans et à leur précepteur les sentimens qui nous animent30. Nous vous les renvoyons.
Assistez de vos conseils, de votre influence et de vos talens le capitaine-général. Que pourrez-vous désire, la liberté des Noirs? Vous savez que dans tous les pays où noua avons été, nous l'avons donnée aux peuples qui ne l'avaient pas. De la considération, des honneurs, de la fortune? Ce n'est pas après les services que vons avez rendus, que vous pouvez rendre encore dans cette circonstance, avec les sentimens particuliers que nous avons pour vous, que vous devez être incertain sur votre considération, votre fortune et les honneurs qui vous attendent.
Faites connaître aux peuples de Saint-Domingue que la sollicitude que la France a toujours portée à leur bonheur a été souvent impuissante par les circonstances impérieuses de la guerre; que les hommes venus du continent pour l'agiter et alimenter les factions, étaient le produit des factions, qui elles-mêmes déchiraient la patrie; que désormais la paix et la force du gouvernement assurent leur prospérité et leur liberté. Dites-leur que si la liberté est pour eux le premier des biens, ils ne peuvent en jouir qu'avec le titre de citoyens français, et que tout acte contraire aux intérêts de la patrie, à l'obéissance qu'ils doivent au gouvernement et au capitaine-général qui en est le délégué, serait un crime contre la souveraineté nationale, qui éclipserait leurs services et rendrait Saint-Domingue le théâtre d'une guerre malheureuse, où des pères et des enfans s'entr'égorgeraient.
Et vous, général, songez que vous êtes le premier de votre couleur qui soit arrivé à une si grande puissance et qui se soit distingué par sa bravoure et ses talens militaires, vous êtes aussi devant Dieu et nous, le principal responsable de leur conduite.
S'il était des malveillans qui, disent aux individus qui ont joué le principale rôle dans les troubles de Saint-Domingue, que nous venons pour rechercher ce qu'ils ont fait pendant les temps d'anarchie; assurez-les que nous ne nous informerons que de leur conduite dans cette dernière circonstance, et que nous ne rechercherons le passé que pour connaître les traits qui les auraient distingués dans la guerre qu'ils ont soutenue contre les Espagnols et les Anglais qui ont eté nos ennemis.
Comptez sans réserve sur notre estime, et conduisez-vous comme doit le faire un des principaux citoyens de la plus grande nation du monde.
Le premier consul, BONAPARTE.
Footnote 30: (return) Les enfans de Toussaint-Luverture étaient élevés à Paris, aux frais de la république. Le général Leclerc était chargé de les ramener au général noir avec leur précepteur.
Paris, le 18 brumaire an 10 (9 novembre 1801).
Aux Français.
Français!
Vous l'avez enfin toute entière, cette paix que vous avez méritée par de si longs et de si généreux efforts31!
Le monde ne vous offre plus que des nations amies; et sur toutes les mers, s'ouvrent pour vos vaisseaux des ports hospitaliers.
Fidèle à vos voeux et à ses promesses, le gouvernement n'a cédé ni à l'ambition des conquêtes, ni à l'attrait des entreprises hardies et extraordinaires. Son devoir était de rendre le repos à l'humanité et de rapprocher par des liens solides et durables cette grande famille européenne dont la destinée est de faire les destinées de l'Univers. Sa première tâche est remplie; Une autre commence pour vous et pour lui. A la gloire des combats faisons succéder une gloire plus doute pour les citoyens, moins redoutable pour nos voisins.
Perfectionnons, mais surtout apprenons aux générations naissantes, à chérir nos institutions et nos lois. Qu'elles croissent pour l'égalité civile, pour la liberté publique, pour la prospérité nationale! Portons dans les ateliers de l'agriculture et des arts cette ardeur, cette constance, cette patience qui ont étonné l'Europe dans toutes nos circonstances difficiles. Unissons aux efforts du gouvernement les efforts des citoyens pour enrichir, pour féconder toutes les parties de notre vaste territoire.
Soyons le lien et l'exemple des peuples qui nous environnent. Que l'étranger qu'un intérêt de curiosité attirera parmi nous, s'y arrête, attaché par le charme de nos moeurs, par le spectacle de notre union, de notre industrie et par l'attrait de nos jouissances; qu'il s'en retourne dans sa patrie plus ami du nom français, plus ami et meilleur.
S'il reste encore des hommes que tourmente le besoin de haïr leurs concitoyens, ou qu'aigrisse le souvenir de leurs pertes, d'immenses contrées les attendent; qu'ils osent aller y chercher des richesses et l'oubli de leurs infortunes et de leurs peines. Les regards de la patrie les y suivront; elle secondera leur courage: un jour, heureux de leurs travaux, ils reviendront dans son sein, dignes d'être citoyens d'un état libre, et corrigés du délire des persécutions.
Français! il y a deux ans, ce même jour vit terminer vos dissentions civiles, s'anéantir toutes les factions! Dès-lors vous pûtes concentrer votre énergie, embrasser tout ce qui est grand aux yeux de l'humanité, tout ce qui est utile aux intérêts de la patrie; partout le gouvernement fut votre guide et votre appui. Sa conduite sera constamment la même. Votre grandeur fait la sienne, et votre bonheur est la seule récompense à laquelle il aspire.
Le premier consul, BONAPARTE.
Footnote 31: (return) Les préliminaires de paix entre la France et l'Angleterre avaient été signés le 9 vendémiaire (1er octobre 1801).
Paris, le 1er frimaire an 10 (22 novembre 1801).
Au corps législatif.
EXPOSÉ DE LA SITUATION DE LA RÉPUBLIQUE.
C'est avec une douce satisfaction que le gouvernement offre à la nation le tableau de la situation de la France pendant l'année qui vient de s'écouler. Tout au dedans et au dehors a pris une face nouvelle; et de quelque côté que se portent les regards, s'ouvre une longue perspective d'espérance et de bonheur.
Dans l'ouest et dans le midi, des restes de brigands infestaient les routes et désolaient les campagnes, invisibles à la force armée qui les poursuivait, ou protégés contre elle par la terreur même qu'ils inspiraient à leurs victimes jusqu'au sein des tribunaux, si quelquefois ils y étaient traduits, leur audace glaçait d'effroi les accusateurs et les témoins, les jurés et les juges. Des mains de la justice, ces monstres impunis s'élançaient à de nouveaux forfaits.
Il fallait contre ce fléau destructeur de toute société, d'autres armes que les formes lentes et graduées avec lesquelles la vindicte publique poursuit des coupables isolés qui se cachent dans le silence et dans l'ombre.
Des tribunaux spéciaux ont été créés, dont l'action plus rapide et plus sûre pût les atteindre et les frapper. De grands coupables ont été saisis; les témoins ont cessé d'être muets; les juges ont obéi à leur conscience et la société a été vengée. Ceux qui ont échappé à la justice fuient désormais de repaires en repaires; et chaque jour la république vomit de son sein cette dernière écume des vagues qui l'ont si long-temps agitée.
Cependant l'innocence n'a eu rien à redouter; la sécurité des citoyens n'a point été alarmée des mesures destinées à punir leurs oppresseurs; et les sinistres présages dont on avait voulu épouvanter la liberté, ne se sont réalisés que contre le crime.
Du mois de floréal an 9, jusqu'au 1er vendémiaire an 10, sept cent vingt-quatre jugemens ont été prononcés par le tribunaux spéciaux; dix-neuf seulement ont été rejetés par le tribunal de cassation, à raison d'incompétence. On ne peut donc leur reprocher ni excès de pouvoir, ni invasion de la justice ordinaire.
Le gouvernement, dès les premiers jours de son installation, proclama la liberté des consciences. Cet acte solennel porta le calme dans des ames que des rigueurs imprudentes avaient effarouchées. Il a depuis annoncé la fin des dissensions religieuses; et en effet des mesures ont été concertées avec le souverain pontife de l'Eglise catholique pour réunir dans les mêmes sentimens ceux qui professent une commune croyance. En même temps un magistrat chargé de tout ce qui concerne les cultes, s'est occupé des droits de tous. Il a recueilli dans des conférences avec des ministres luthériens et calvinistes, les lumières nécessaires pour préparer les réglemens qui assureront à tous la liberté qui leur appartient, et la publicité que l'intérêt de l'ordre social autorise à leur accorder.
Des mesures égales pourvoiront à l'entretien de tous les cultes; rien ne sera laissé à la disposition arbitraire de leurs ministres, et le trésor public n'en sentira point de surcharge.
Si quelques citoyens avaient été alarmes par de vaines rumeurs, qu'ils se rassurent: le gouvernement a tout fait pour rapprocher les esprits; mais il n'a rien fait qui pût blesser les principes et l'indépendance des opinions. La paix continentale fixa ce qui restait encore d'inquiétude et de craintes vagues dans les esprits; déjà heureux de tout le bonheur qu'ils attendaient encore, les citoyens se reposèrent au sein de la constitution, et y attachèrent toute leur destinée.
Des administrateurs éclairés et fidèles ont bien secondé cette disposition des esprits; presque partout l'action de l'autorité, transmise par eux, n'a rencontré qu'empressement, amour et reconnaissance.
De là, dans le gouvernement cette sécurité qui a fait sa force. Il n'a pas plus douté de l'opinion publique que de ses propres sentimens, et il ose la provoquer sans craindre sa réponse. Ainsi un prince32, issu d'un sang qui régna sur la France, a traversé nos départemens, a séjourné dans la capitale, a reçu du gouvernement des honneurs qui étaient dus à sa couronne, a reçu des citoyens tous les égards qu'un peuple doit à un autre peuple dans la personne de celui qui est appelé à le gouverner; et aucun soupçon n'a altéré le calme du commandement, aucune rumeur n'a troublé la tranquillité des esprits; partout on a vu la contenance d'un peuple libre et les affections d'un peuple hospitalier: les étrangers, les ennemis de la patrie, ont reconnu que la république était dans le coeur des Français, et qu'elle y avait déjà toute la maturité des siècles.
Footnote 32: (return) Le roi d'Etrurie, issu de la branche des Bourbons d'Espagne.
La rentrée de nos guerriers sur le territoire de la France, a été une suite de fêtes et de triomphes. Ces vainqueurs si redoutés dans les combats ont été parmi nous des amis et des frères; heureux du bonheur public, jouissant sans orgueil de la reconnaissance qu'ils avaient méritée, et se montrant, par la plus sévère discipline, dignes des victoires qu'ils avaient obtenues.
Dans la guerre qui nous restait encore à soutenir, les événemens ont été mêlés de succès et de revers. Réduite à lutter contre la marine d'Angleterre, avec des forces inégales, notre marine s'est montrée avec courage sur la Méditerranée couverte de flottes ennemies; elle a rappelé sur l'Océan quelques souvenirs de son ancien éclat; elle a, par une glorieuse résistance, étonné l'Angleterre accourue sur ses rives pour être témoin de sa défaite; et sans le retour de la paix, il lui était permis d'espérer qu'elle vengerait ses malheurs passés et les fautes qui les avaient produits.
En Egypte, les soldats de l'armée d'Orient ont cédé; mais ils ont cédé aux circonstances plus qu'aux forces de la Turquie et de l'Angleterre; et certainement ils eussent vaincu s'ils avaient combattu réunis. Enfin ils rentrent dans leur patrie; ils y rentrent avec la gloire qui est due à quatre années de courage et de travaux; ils laissent à l'Egypte d'immortels souvenirs, qui, peut-être un jour y réveilleront les arts et les institutions sociales. L'histoire du moins ne taira pas ce qu'ont fait les Français pour y reporter la civilisation et les connaissances de l'Europe; elle dira par quels efforts ils l'avaient conquise; par quelle sagesse, par quelle discipline ils l'ont si long-temps conservée; et, peut-être, elle en déplorera la perte comme une nouvelle calamité du genre Humain.
Vingt-huit mille Français entrèrent en Egypte pour la conquérir: d'autres y ont été depuis envoyés à différentes époques; mais d'autres, en nombre à peu près égal, en étaient revenus. Vingt-trois mille rentrent en France après l'évacuation, non compris les étrangers qui ont suivi leur fortune. Ainsi, quatre campagnes, de nombreux combats, et les maladies n'auront pas enlevé un cinquième de l'armée d'Orient.
Après la guerre continentale, tout ce que les circonstances ont permis de réformer dans le militaire, le gouvernement l'a Opéré.
Des congés absolus sont accordés; ils le sont sans préférence, sans faveur, et dans un ordre irrévocablement fixé. Ceux-qui, les premiers, ont pris les armes pour obéir aux lois de la réquisition, en obtiennent les premiers.. Pour remplir le vide que ces congés laisseront dans l'armée, il sera nécessaire d'appeler des conscrits de l'an 9 et de l'an 10; et, dans cette session, un projet de loi sera présenté au corps législatif pour les mettre à la disposition du gouvernement; mais le gouvernement n'en appellera que le nombre qui sera strictement nécessaire pour maintenir l'armée au complet de l'état de paix.
Nous jouirons de la paix; mais la guerre laissera un fardeau qui pèsera long-temps sur nos finances: acquitter des dépenses qui n'ont pu être prévues ni calculées, récompenser les services de nos défenseurs, ranimer les travaux dans nos arsenaux et dans nos ports, rendre une marine à la France; recréer tout ce que la guerre a détruit, tout ce que le temps a consumé; porter enfin tous nos établissemens au point où les demandent la grandeur et la sûreté de la république; tout cela ne peut se faire qu'avec un accroissement de revenus. Les revenus s'accroîtront d'eux-mêmes avec la paix; le gouvernement les ménagera avec la plus sévère économie: mais si l'accroissement naturel des revenus, si l'économie la plus sévère ne peuvent suffire, la nation jugera les besoins, et le gouvernement proposera les ressources que les circonstances rendront nécessaires.
Dans tout le cours de l'an 9, à peine quelques communications rares ont existé entre la métropole et ses colonies.
La Guadeloupe a conservé un reste de culture et de prospérité; mais la souveraineté de la république y a reçu plus d'un outrage. En l'an 8, un agent unique y commandait; il est déporté par une faction. Trois agens lui succèdent; deux déportent le troisième et le remplacent par un homme de leur choix. Un autre meurt; et les deux qui restent s'investissent seuls du pouvoir qui devait être exercé par trois. Sous cette agence militaire et illégale, l'anarchie, le despotisme règnent tour à tour; les colons, les alliés l'accusent et lui imputent des erreurs et des crimes. Le gouvernement a tenté d'organiser une administration nouvelle; un capitaine-général, un préfet, un commissaire de justice subordonnés entre eux; mais se succédant l'un à l'autre si les circonstances l'exigent, offrent un pouvoir unique qui a une sorte de censure, mais point de rivalité qui en trouble l'action et en paralyse la force. Cette administration existe, et bientôt on saura si elle a justifié les espérances qu'on en avait conçues. Dès son arrivée, le capitaine-général a eu à combattre l'esprit de faction; il a cru devoir envoyer en France treize individus artisans de troubles et moteurs de déportations. Le gouvernement a pensé que de pareils hommes seraient dangereux en France, et a ordonné qu'ils fussent renvoyés dans celle des colonies qu'ils voudraient choisir; la Guadeloupe Exceptée.
A Saint-Domingue, des actes irréguliers ont alarmé la soumission. Sous des apparences équivoques, le gouvernement n'a voulu voir que l'ignorance qui confond les noms et les choses, qui usurpe quand elle ne croit qu'obéir. Mais une flotte et une armée qui s'apprêtent à partir des ports de l'Europe, auront bientôt dissipé tous les nuages; et Saint-Domingue rentrera tout entier sous les lois de la république. A Saint-Domingue et à la Guadeloupe il n'y a plus d'esclaves; tout y est libre; tout y restera libre.
La sagesse et le temps y ramèneront l'ordre et y rétabliront la culture et les travaux.
A la Martinique, ce seront des principes différens. La Martinique a conservé l'esclavage, et l'esclavage y sera conservé. Il en a trop coûté à l'humanité pour tenter encore, dans cette partie, une révolution nouvelle.
La Guyanne a prospéré sous un administrateur actif et vigoureux; elle prospérera davantage sous l'empire de la paix, et agrandie d'un nouveau territoire qui appelle la culture et promet des richesses.
Les Iles de France et de la Réunion sont restées fidèles à la métropole au milieu des factions et sous une administration faible, incertaine, telle que le hasard l'a faite, et qui n'a reçu du gouvernement ni impulsion ni secours. Ces colonies si importantes sont rassurées; elles ne craignent plus que la métropole, eu donnant la liberté aux noirs, ne constitue l'esclavage des blancs.
L'ordre établi, dès l'année dernière, dans la perception des revenus et dans la distribution des dépenses, n'avait laissé que peu d'amélioration à faire dans cette partie. Une surveillance active a porté la lumière sur des dilapidations passées et sur des abus présens; des coupables ont été dénoncés à l'opinion publique et aux tribunaux.
L'action des régies a été concentrée; et de là plus d'énergie et d'ensemble dans l'administration, plus de célérité dans les informations et dans les résultats.
Des mesures ont été prises pour accélérer encore les versemens dans les caisses publiques, pour assurer plus de régularité dans l'acquittement des dépenses, pour en rendre la comptabilité plus simple et plus active.
L'art des faussaires a fait des progrès alarmans pour la société. Avec des pièces fausses, on établissait des fournitures qui n'avaient jamais été faites; on en établissait sur des pièces achetées à Paris; et avec ces titres on trompait les liquidateurs, et on dévorait la fortune publique. Pour prévenir désormais ces abus et ces crimes, le gouvernement a voulu que les liquidations faites dans les bureaux des ministres fussent soumises à une nouvelle épreuve, et ne constituassent la république débitrice qu'après qu'elles auraient été vérifiées par un conseil d'administration.
Le ministre des finances est rendu tout entier aux travaux qu'exigent la perception des revenus et le système de nos contributions.
Un autre veille immédiatement sur le dépôt de la fortune publique, et sa responsabilité personnelle en garantit l'inviolabilité.
La caisse d'amortissement a reçu une organisation plus complète. Un seul homme en dirige les mouvemens; mais quatre administrateurs en surveillent les détails; conseils et, s'il le fallait, censeurs de l'agent qu'ils doivent seconder.
La propriété la plus précieuse de la république, les forêts nationales ont été confiées à une administration qui, toute entière à cet objet unique, y portera des yeux plus exercés, des connaissances plus positives et une surveillance plus sévère.
L'instruction publique a fait quelques pas à Paris et dans un petit nombre de départemens; dans presque tous les autres, elle est languissante et nulle. Si nous ne sortons pas de la route tracée, bientôt il n'y aura de lumières que sur quelques points, et ailleurs ignorance et barbarie.
Un système d'instruction publique plus concentré a fixé les pensées du gouvernement. Des écoles primaires affectées à une ou plusieurs communes, si les circonstances locales permettent cette association, offriront partout aux enfans des citoyens, ces connaissances élémentaires sans lesquelles l'homme n'est guère qu'un agent aveugle et dépendant de tout ce qui l'environne.
Les instituteurs y auront un traitement fixe, fourni par les communes, et un traitement variable, formé de rétributions convenues avec les parens qui seront en état de les supporter.
Quelques fonctions utiles pourront être assignées à ces instituteurs, si elles peuvent se concilier avec leur fonction première et nécessaire.
Dans des écoles secondaires, s'enseigneront les élémens des langues anciennes, de la géographie, de l'histoire et du calcul.
Ces écoles se formeront, ou par des entreprises particulières avouées de l'administration publique, ou par le concours des communes.
Elles seront encouragées par des concessions d'édifices publics; par des places gratuites dans les écoles supérieures, accordées aux élèves qui se seront le plus distingués; et enfin par des gratifications accordées à un nombre déterminé de professeurs qui auront fourni le plus d'élèves aux écoles supérieures.
Trente écoles, sous le nom de lycées, seront formées et entretenues aux frais de la république, dans les villes principales qui, par leur situation et les moeurs de leurs habitans, seront plus favorables à l'étude des lettres et des sciences.
Là seront enseignées les langues savantes, la géographie, l'histoire, la logique, la physique, la géométrie, les mathématiques; dans quelques-unes, les langues modernes dont l'usage sera indiqué par leur situation.
Six mille élèves de la patrie seront distribués dans ces trente établissemens, entretenus et instruits aux dépens de la république.
Trois mille seront des enfans de militaires ou de fonctionnaires qui auront bien servi l'état.
Trois mille autres seront choisis dans les écoles secondaires, d'après des examens et des concours déterminés, et dans un nombre proportionné à la population des départemens qui devront les fournir.
Les élèves des départemens réunis seront appelés dans les lycées de l'intérieur, s'y formeront à nos habitudes et à nos moeurs, s'y nourriront de nos maximes et reporteront dans leurs familles l'amour de nos institutions et de nos lois.
D'autres élèves y seront reçus, entretenus et instruits aux frais de leurs parens.
Six millions seront destinés chaque année à la formation et à l'entretien de ces établissemens, à l'entretien et à l'instruction des élèves de la patrie, au traitement des professeurs, au traitement des directeurs et des agens comptables.
Les écoles spéciales formeront le dernier degré d'instruction publique; il en est qui sont déjà constituées, et qui conserveront leur organisation; d'autres seront établies dans les lieux que les convenances indiqueront, et pour les professions auxquelles elles seront nécessaires.
Tel est en raccourci le système qui a paru au gouvernement réunir le plus d'avantages, le plus de chances de succès, et que dans cette session il proposera au corps législatif, réduit en projet de loi. Sa surveillance peut suffire à trente établissemens; un plus grand nombre échapperait à ses soins et à ses regards; mais surtout un plus grand nombre ne trouverait aujourd'hui ni ces professeurs distingués qui font la réputation des écoles, ni des directeurs capables d'y maintenir une sévère discipline, ni des conseils assez éclairés pour en diriger l'administration.
Trente lycées, sagement distribués sur le territoire de la république, en embrasseront toute l'étendue par leurs rapports, répandront sur toutes ses parties l'éclat de leurs lumières et de leurs succès, frapperont jusqu'aux regards de l'étranger, et seront pour eux ce qu'étaient naguère pour nous quelques écoles d'Allemagne et d'Angleterre, ce que furent quelques universités fameuses, qui, vues dans le lointain, commandaient l'admiration et le respect de l'Europe.
Le Code civil fut annoncé l'année dernière aux délibérations du corps législatif; mais le travail s'accrut sous la main des rédacteurs; les tribunaux furent appelés à le perfectionner; et, enrichi de leurs observations, il est soumis dans le conseil-d'état à une sévère discussion.
Toutes les parties qui le composent seront successivement présentées à la sanction des législateurs: ainsi cet important ouvrage aura subi toutes les épreuves, et sera le résultat de toutes les lumières.
Les ateliers se multiplient dans les maisons d'arrêt et de détention, et le travail en bannit l'oisiveté qui corrompt encore ceux qui étaient déjà corrompus. Dans nombre de départemens il n'y a plus de mendicité.
Les hospices sortent peu à peu de cet état de détresse qui faisait la honte de la nation et la douleur du gouvernement; déjà la bienfaisance particulière les enrichit de ses offrandes, et atteste le retour de ces sentimens fraternels que des lois imprudentes et de longs malheurs semblaient avoir bannis pour toujours.
Sur toutes les grandes communications, les routes ont été ou seront bientôt réparées. Le produit de la taxe d'entretien éprouve partout des accroissemens progressifs. Le plus intéressant de tous les canaux est creusé aux dépens du trésor public, et d'autres seront bientôt créés par l'industrie particulière.
Les lettres et les arts ont reçu tout ce que les circonstances ont permis de leur donner d'encouragement et de secours.
Des projets ont été conçus pour l'embellissement de Paris, et déjà quelques-uns s'exécutent. Une association particulière formée par le zèle, bien plus que par l'intérêt, lui construit des ponts qui ouvriront des communications utiles et nécessaires. Une autre association lui donnera un canal et des eaux salubres, qui manquent encore à cette capitale.
Les départemens ne seront point négligés. De tous côtés on recherche quels travaux sont nécessaires pour les orner ou les féconder. Des collections de tableaux sont destinées à former des muséum dans les villes principales; leur vue inspirera aux jeunes citoyens le goût des arts, et ils arrêteront la curiosité des voyageurs.
Au moment où la paix générale va rendre aux arts et au commerce toute leur activité, le devoir le plus cher au gouvernement est d'éclairer leur route, d'encourager leurs travaux, d'écarter tout ce qui pourrait arrêter leur essor. Il appellera sur ces grands intérêts toutes les lumières; il réclamera tous les conseils de l'expérience; il fixera auprès de lui, pour les consulter, les hommes qui, par des connaissances positives, par une probité sévère, par des vues désintéressées, seront dignes de sa confiance et de l'estime publique.
Heureux si le génie national seconde son ardeur et son zèle, si par ses soins, la prospérité de la république égale un jour ses triomphes et sa gloire.
Dans nos relations extérieures, le gouvernement ne craindra point de dévoiler ses principes et ses maximes: fidélité pour nos alliés, respect pour leur indépendance, franchise et loyauté avec nos ennemis; telle a été sa politique.
La Batavie reprochait à son organisation de n'avoir pas été conçue pour elle.
Mais depuis plusieurs années cette organisation régissait la Batavie. Le principe du gouvernement est que rien n'est plus funeste au bonheur des peuples que l'instabilité des institutions; et quand le directoire batave l'a pressenti sur des changemens, il l'a constamment rappelé à ce principe.
Mais enfin le peuple batave a voulu changer, et il a adopté une constitution nouvelle. Le gouvernement l'a reconnue cette constitution; et il a dû la reconnaître, parce qu'elle était dans la volonté d'un peuple indépendant. Vingt-cinq mille Français devaient rester en Batavie, aux termes du traité de la Haye, jusqu'à la paix générale. Les Bataves ont désiré que ces forces fussent réduites; et en vertu d'une convention récente, elles ont été réduites a dix mille hommes.
L'Helvétie a donné, pendant l'an 9, le spectacle d'un peuple déchiré par les partis, et chacun de ces partis invoquant le pouvoir, et quelquefois les armes de la France.
Nos troupes ont reçu l'ordre de rentrer sur notre territoire; quatre mille hommes seulement restent encore en Helvétie, d'après le voeu de toutes les autorités locales, qui ont réclamé leur présence.
Souvent l'Helvétie a soumis au premier consul des projets d'organisation; souvent elle lui a demandé des conseils: toujours il l'a rappelée à son indépendance.
«Souvenez-vous seulement, a-t-il dit, quelquefois, du courage et des vertus de vos pères; ayez une organisation simple comme leurs moeurs. Songez à ces religions, à ces langues différentes qui ont leurs limites marquées, à ces vallées, à ces montagnes qui vous séparent, à tant de souvenirs attachés à ces bornes naturelles; et qu'il reste de tout cela une empreinte dans votre organisation. Surtout, pour l'exemple de l'Europe, conservez la liberté et l'égalité à cette nation qui leur a, la première, appris à être indépendans et libres.»
Ce n'était là que des conseils, et ils ont été froidement écoutés. L'Helvétie est restée sans pilote au milieu des orages. Le ministre de la république n'a montré qu'un conciliateur aux partis divisés, et le général de nos troupes a refusé aux factions l'appui de ses forces.
La Cisalpine, la Ligurie ont enfin arrêté leur organisation. L'une et l'autre craignent, dans les mouvemens des premières nominations, le réveil des rivalités et des haines. Elles ont paru désirer que le premier consul se chargeât de ces nominations.
Il tâchera de concilier ce voeu de deux républiques qui sont chères à la France, avec les fonctions plus sacrées que sa place lui impose.
Lucques a expié dans les angoisses d'un régime provisoire les erreurs qui lui méritèrent l'indignation du peuple français. Elle s'occupe aujourd'hui à se donner une organisation définitive.
Le roi de Toscane, tranquille sur son trône, est reconnu par de grandes puissances et le sera bientôt par toutes.
Quatre mille Français lui gardent Livourne, et attendent, pour l'évacuer, qu'il ait organisé une armée nationale.
Le Piémont forme notre vingt-septième division militaire, et, sous un régime plus doux, oublie les malheurs d'une longue anarchie.
Le Saint-Père, souverain de Rome, possède ses états dans leur intégrité. Les places de Pesaro, de Fano, de Castel Saint-Leone qui avaient été occupées par les troupes cisalpines, lui ont été restituées.
Quinze cents Français sont encore dans la citadelle d'Ancône, pour en assurer les communications avec l'armée du midi.
Après la paix de Lunéville, la France pouvait tomber de tout son poids sur le royaume de Naples, punir le souverain d'avoir, le premier, rompu les traités, et le faire repentir des affronts, que les Français avaient reçus dans le port même de Naples: mais le gouvernement se crut vengé dès qu'il fut maître de l'être; il ne se sentit plus que le désir et la nécessité de la paix; pour la donner, il ne demande que les ports d'Otrante, nécessaires à ses desseins sur l'Orient, depuis que Malte était occupée par les Anglais.
Paul 1er avait aimé la France; il voulait la paix de l'Europe, il voulait surtout la liberté des mers. Sa grande âme fut émue des sentimens pacifiques que le premier consul avait manifestés; elle le fut depuis de nos succès et de nos victoires: de là, de premiers liens qui l'attachèrent à la république.
Huit mille Russes avaient été faits prisonniers en combattant avec les alliés; mais le ministère, qui dirigeait alors l'Angleterre, avait refusé de les échanger contre des prisonniers français. Le gouvernement s'indigna de ce refus; il résolut de rendre à leur patrie de braves guerriers abandonnés de leurs alliés; il les rendit d'une manière digne de la république, digne d'eux et de leur souverain. De là, des noeuds plus étroits et un rapprochement plus intime.
Tout-à-coup, la Russie, le Danemarck, la Suède, la Prusse s'unissant, une coalition est formée pour garantir la liberté des mers; le Hanovre est occupé par les troupes prussiennes; de grandes, de vastes opérations se préparent; mais Paul 1er meurt subitement.
La Bavière s'est hâtée de reformer les liens qui l'unissaient à la France. Cet allié important pour nous a fait de grandes pertes sur la rive gauche du Rhin. L'intérêt et le désir de la France sont que la Bavière obtienne sur la rive droite une juste et entière indemnité.
De grandes discussions se sont élevées à Ratisbonne sur l'exécution du traité de Lunéville; mais ces discussions ne regardent pas immédiatement la république. La paix de Lunéville conclue avec l'Europe et ratifiée parla diète, a fixé irrévocablement de ce côté-là tous les intérêts de la France.
Si la république prend encore part aux discussions de Ratisbonne, ce n'est que comme garant de stipulations contenues dans l'article 7 du traité de Lunéville, et pour maintenir un juste équilibre dans la Germanie.
La paix avec la Russie a été signée, et rien ne troublera désormais les relations de deux grands peuples, qui, avec tant de raison de s'aimer, n'en ont aucune de se craindre, et que la nature a placés aux deux extrémités de l'Europe pour en être le contre-poids au nord et au midi. La Porte rendue à ses véritables intérêts et à son inclination pour la France, a retrouvé son allié le plus ancien et le plus fidèle.
Avec les Etats-Unis d'Amérique toutes les difficultés ont été aplanies.
Enfin, des préliminaires de paix avec l'Angleterre ont été ratifiés.
La paix avec l'Angleterre devait être le produit de longues négociations, soutenues d'un système de guerre qui, quoique lent dans ses préparatifs, était infaillible dans ses résultats.
Déjà la plupart de ses alliés l'avaient abandonnée. Le Hanovre, seule possession de son souverain sur le continent, était toujours au pouvoir de la Prusse; la Porte, menacée par nos positions importantes sur l'Adriatique, avait entamé une négociation particulière.
Le Portugal lui restait: soumis depuis si long-temps à l'influence et au commerce exclusif des Anglais, le Portugal n'était plus en effet qu'une province de la Grande-Bretagne. C'était là que l'Espagne devait trouver une compensation pour la restitution de l'île de la Trinité. Son armée s'avance; une division des troupes de la république campe sur la frontière du Portugal pour appuyer ses opérations; mais après les premières hostilités et quelques légères escarmouches, le ministère espagnol ratifie séparément le traité de Badajoz, Dès-lors on dut pressentir pour l'Espagne la perte de la Trinité; dès-lors, en effet, l'Angleterre la regarda comme une possession qui lui était acquise, et désormais écarta de la négociation tout ce qui pouvait en faire supposer la restitution possible.
Avant de ratifier le traité particulier de la France avec le Portugal, le gouvernement fit connaitre au cabinet de Madrîd cette détermination de l'Angleterre.
L'Angleterre s'est refusée avec la même inflexibilité à la restitution de l'île de Ceylan; mais la république batave trouvera dans les nombreuses possessions qui lui sont rendues, le rétablissement de son commerce et de sa puissance.
La France a soutenu les intérêts de ses alliés avec autant de force que les siens; elle a été jusqu'à sacrifier des avantages plus grands qu'elle aurait pu obtenir pour elle-même; mais elle a été forcée de s'arrêter au point où toute négociation devenait impossible. Ses alliés épuisés ne lui offraient plus de ressources pour la continuation de la guerre; et les objets dont la restitution leur était refusée par l'Angleterre, ne balançaient pas pour eux les chances d'une nouvelle campagne et toutes les calamités dont elle pouvait les accabler.
Ainsi, dans toutes les parties du monde, la république n'a plus que des amis ou des alliés, et partout son commerce et son industrie rentrent dans leurs canaux accoutumés.
Dans tout le cours de la négociation, le ministère actuel d'Angleterre a montré une volonté franche de mettre un terme aux malheurs de la guerre; le peuple anglais a embrassé la paix avec enthousiasme; les haines de la rivalité sont éteintes; il ne restera que l'imitation de grandes actions et les entreprises utiles.
Le gouvernement avait mis son ambition à replacer la France dans ses rapports naturels avec toutes les nations; il mettra sa gloire à maintenir son ouvrage, et à perpétuer une paix qui fera son bonheur comme celui de l'humanité.
Le premier consul, BONAPARTE.
Paris, le 3 frimaire an 10 (24 novembre 1801).
Réponse du premier consul une députation du corps législatif33.
Le gouvernement apprécie la démarche du corps législatif.
Il est sensible à ce que vous venez de lui dire de sa part.
Les actes du corps législatif, pendant la dernière session, ont contribué à aider la marche de l'administration et à nous faire arriver à l'état où nous sommes.
Il portera les mêmes sentimens dans les travaux de la session qui commence. C'est un moyen sûr de faire le bien-être et la prospérité du peuple français, notre souverain à tous...
C'est lui qui juge tous nos travaux. Ceux qui le serviront avec pureté et zèle seront accompagnés dans leur retraite par la considération et l'estime de leurs concitoyens.
BONAPARTE.
Footnote 33: (return) Envoyée pour remercier le premier consul de son exposé de la situation de la république.
Paris, le 15 frimaire an 10 (16 décembre 1801).
Au sénat conservateur.
Sénateurs,
Depuis la paix générale c'est la première fois que, pour se conformer au voeu de la constitution, le premier consul a à vous présenter des candidats pour les places vacantes au sénat.
Dans cette mémorable circonstance, il a paru convenable de choisir des citoyens militaires pour donner aux armées un témoignage de la satisfaction et de la reconnaissance nationales. En conséquence, le premier consul, conformément à l'article 16 de la constitution, vous présente comme candidats à la place vacante par la mort du citoyen Crassous, sénateur, et aux deux places auxquelles le sénat doit nommer, en exécution de l'art. 15 de la constitution; Le citoyen Lamartillière, général de division d'artillerie, qui, quoique déjà dans un âge avancé, a commandé constamment, pendant toute la guerre de la liberté, l'artillerie aux différentes armées. Il n'a voulu se donner aucun repos tant qu'il y a eu des ennemis à combattre; Le général Jourdan, vainqueur à Fleurus, et administrateur général du Piémont; Le général Borruyer, commandant en chef des invalides. Le premier consul désire que les vétérans de la patrie voient dans la présentation de leur chef une marque du souvenir du gouvernement.
Le premier consul, BONAPARTE.
Paris, 12 nivôse an 10 (2 janvier 1803).
Au corps législatif.
Législateurs,
Le gouvernement a arrêté de retirer le projet de loi du Code civil et celui sur le rétablissement de la marque pour les condamnés. C'est avec peine qu'il se trouve obligé de remettre à une autre époque les lois attendues avec tant d'intérêt par la nation. Mais il s'est convaincu que le temps n'est pas venu où l'on portera dans ces grandes discussions le calme et l'unité d'intention qu'elles demandent.
Le premier consul, BONAPARTE.
Paris, 16 nivose an 10 (6 janvier 1803).
Au citoyen Reding.
Citoyen Reding, depuis deux ans vos compatriotes m'ont quelquefois consulté sur leurs affaires. Je leur ai parlé comme l'aurait fait le premier magistrat des Gaules dans le temps où l'Helvétie en faisait partie.
Les conseils que je leur ai donnés pouvaient les conduire à bien, et leur épargner deux mois d'angoisses; ils en ont peu profité. Vous me paraissez animé du désir du bonheur de votre patrie; soyez secondé par vos compatriotes, et que l'Helvétie se replace enfin parmi les puissances de l'Europe.
Les circonstances de la guerre ont conduit les armées françaises sur votre territoire: le désir de la liberté a armé vos peuples, et surtout ceux des campagnes, contre les priviléges. Des événemens de différente nature se sont succédés en peu d'années; vous avez éprouvé de grands maux; un grand résultat vous reste: l'égalité et la liberté de vos concitoyens.
Quel que soit le lieu où naisse un Suisse aujourd'hui, sur les bords du Léman comme sur ceux de l'Aaar, il est libre: c'est la seule chose que je vois distinctement dans votre état politique actuel.
La base des droits publics de l'Europe est aujourd'hui de maintenir dans chaque pays l'ordre existant. Si toutes les puissances ont adopté ce principe, c'est que toutes ont besoin de la paix et du retour des relations diplomatiques et commerciales.
Le peuple français ne peut donc reconnaître qu'un gouvernement qui serait fondé sur les principes qui vous régissent aujourd'hui.
Vous êtes sans organisation, sans gouvernement, sans volonté nationale... Pourquoi vos compatriotes ne feraient-ils pas un effort? Qu'ils évoquent les vertus patriotiques de leurs pères! Qu'ils sacrifient l'esprit de système, l'esprit de faction, à l'amour du bonheur et de la liberté publics!
Alors vous ne craindrez pas d'avoir des autorités qui soient le produit de l'usurpation momentanée d'une faction; vous aurez un gouvernement, parce qu'il aura pour lui l'opinion et qu'il sera le résultat de la volonté nationale. Toute l'Europe renouvellera avec vous ses relations; la France ne sera arrêtée par aucun calcul d'intérêt particulier; elle fera tous les sacrifices qui pourront assurer davantage votre constitution, l'égalité et la liberté de vos concitoyens; elle continuera par-là à montrer pour vous ses sentimens affectueux et paternels qui, depuis tant de siècles, forment les liens de ces deux parties indépendantes d'un même peuple.
BONAPARTE.
Lyon, 6 pluviose an 10 (26 janvier 1802).
Discours prononcé par le premier consul au sein de la consulte ou assemblée italienne convoquée par lui à Lyon.34.
La république cisalpine, reconnue depuis Campo-Formio, a déjà éprouvé bien des vicissitudes.
Les premiers efforts que l'on a faits pour la constituer ont mal réussi.
Envahie depuis par des armées ennemies, son existence ne paraissait plus probable, lorsque le peuple français, pour la deuxième fois, chassa, par la force de ses armes, vos ennemis de votre territoire.
Depuis ce temps on a tout tenté pour vous démembrer: mais la protection de la France l'emporte, et vous avez été reconnus à Lunéville.
Accrus d'un cinquième, vous existez plus puissans, plus consolidés, avec plus d'espérance!!
Composés de six nations différentes, voas allez être réunis sous le régime d'une constitution plus adaptée que toute autre à vos moeurs et à vos circonstances.
Je vous ai réunis à Lyon autour de moi comme les principaux citoyens de la Cisalpine. Vous m'avez donné les renseignemens nécessaires pour remplir la tâche auguste que m'imposait mon devoir, comme premier magistrat du peuple français et comme l'homme qui a le plus contribué à votre création.
Les choix que j'ai faits pour remplir vos premières magistratures l'ont été indépendamment de tout esprit de parti, de tout esprit de localité.
Celle de président, je n'ai trouvé personne parmi vous qui eût encore assez de droits sur l'opinion publique, qui fût assez indépendant de l'esprit de localité, et qui eût enfin rendu d'assez grands services à son pays, pour la lui confier.
Le procès-verbal que vous m'avez fait remettre, par votre comité du 30, où sont analysées avec autant de précision que de vérité les circonstances extérieures et intérieures dans lesquelles se trouve votre patrie, m'a vivement pénétré.
J'adhère à votre voeu: je conserverai encore pendant le temps que ces circonstances le voudront, la grande pensée de vos affaires.
Au milieu des méditations continuelles qu'exige le poste où je me trouve, tout ce qui vous sera relatif et pourra consolider votre existence et votre prospérité, ne sera point étranger aux affections les plus chère de mon âme.
Vous n'avez que des lois particulières; il vous faut désormais des lois générales.
Votre peuple n'a que des habitudes locales, il faut qu'il prenne des habitudes nationales.
Enfin vous n'avez point d'armée; les puissances qui pourraient devenir vos ennemies en ont de fortes; mais vous avez ce qui peut les produire, une population nombreuse, des campagnes fertiles et l'exemple qu'a donné dans toutes les circonstances essentielles le premier peuple de l'Europe.
BONAPARTE.
Footnote 34: (return) Bonaparte voulant donner à la république cisalpine, fondée par lui en 1796, une dernière organisation, avait convoqué à Lyon les membres les plus influent de cette république. Une constitution avait été créée, et Bonaparte nommé président de la république régénérée. M. de Melzi, l'un des Italiens les plus distingués, fut choisi par loi pour vice-président.
Lyon, le 7 pluviose an 10 (27 janvier 1802).
Aux maires de Lyon.
Citoyens Parent-Munet, Rousset, Bernard-Charpieux, maires de la ville de Lyon, je suis satisfait de l'union et de l'attachement au gouvernement qui animent Lyon, depuis que vous êtes maires. Je désire que vous portiez cette écharpe de distinction, et qu'elle soit un témoignage pour la ville du contentement que j'y ai éprouvé pendant mon séjour.
BONAPARTE.
Paris, le 12 pluviose an 10 (1er février 1802).
Réponse du premier consul à une députation du corps législatif35.
Il était de la gloire et de l'intérêt de la France d'assurer pour toujours le sort d'une république qu'elle a créée36.
J'espère que sa constitution et ses nouveaux magistrats feront son repos et son bonheur.
Ce bonheur et ce repos ne seront pas étrangers au nôtre. Notre prospérité ne peut désormais être séparée de la prospérité des peuples qui nous environnent.
J'ai recueilli dans mon voyage la plus douce récompense des efforts que j'ai faits pour la patrie; j'y ai recueilli surtout l'expression libre et franche de l'opinion publique, dans l'abandon de la confiance particulière, dans le langage simple du commerçant; du manufacturier; du cultivateur. Tous demandent que le gouvernement soit fidèle aux principes qu'ils a développés; c'est de là qu'ils attendent leur Bonheur.
J'étais déjà plein de reconnaissance pour les marques d'intérêt dont la nation a honoré mes premiers efforts. Je reviens, pénétré de sentimens encore plus profonds. Le sacrifice de toute mon existence ne saurait payer les émotions que j'ai senties. J'en éprouve une bien douce en vous voyant associer votre voeu au voeu de la nation.
BONAPARTE.
Footnote 35: (return) A son retour de Lyon.
Footnote 36: (return) La république cisalpine.
Paris, le 34 pluviose an 10 (13 février 1802).
Au sénat conservateur.
Sénateurs, Le gouvernement vous transmet les listes d'éligibilité nationale des départements d'Ile-et-Vilaine et des Deux-Nèthes. Il s'est fait rendre compte des réclamations élevées contre les listes qui lui sont parvenues jusqu'à ce jour. Elles sont très-peu nombreuses, et aucune ne lui a paru pouvoir motiver une dénonciation.
Si quelques citoyens recommandables ont été oubliés sur la liste nationale, ils pourront y être portés au prochain remplacement.
La loi du 30 ventose an 9 n'ayant rien statué sur la manière d'opérer le retirement des listes, une loi nouvelle qui sera nécessaire pour organiser cette partie de la constitution, conciliera tout ce qu'exigent l'intérêt public et les droits des citoyens.
BONAPARTE.
Paris, le 23 ventose an 10 (13 mars 1802).
Note inscrite dans le Moniteur37.
Depuis dix jours tous les journaux anglais crient comme des forcenés, à la guerre... Quelques orateurs du parlement ne se déguisent pas davantage. Leur coeur ne distile que du fiel.
Le premier consul ne veut pas la paix!! Les ministres réparateurs auxquels l'Europe et l'humanité entière doivent tant, M. Addington, lord Hawkesbury, etc., sont joués!!... Cependant il y a plus de quinze jours, si l'on en croit des personnes dignes de foi, que l'on est, à Amiens, d'accord sur tous les articles; que même les discussions de rédaction sont terminées, et que si l'on ne signe pas, c'est que l'on attend toujours de Londres un dernier courrier.
Que signifie donc le langage de ces turbulens écrivassiers!! Les avantages que les préliminaires donnent à la Grande-Bretagne ne sont-ils donc pas assez grands!! Il fallait restreindre la puissance continentale de la France!! Pourquoi donc le roi et le cri unanime de la nation ont-ils ratifié les préliminaires? Et s'il fallait imposer à la France des sacrifices continentaux, pourquoi, M. Grenville, n'avez-vous pas traité lorsque vous aviez des alliés, que leur armée campait sur les Alpes, que les armées russes étaient incertaines sur leur marche rétrograde, et que la Vendée fumante occupait une portion de l'armée française? Et puisque vous ne pensiez pas alors que la France fût encore assez affaiblie pour arriver à votre but, et que vous croyiez devoir continuer la guerre, il fallait, M. Windham, les mieux diriger; il fallait que ces vingt-cinq mille hommes qui se promenaient inutilement, et à tant de frais, sur les côtes de l'Océan et devant Cadix, entrassent dans Gènes le même jour que Melas; il fallait ne pas donner au monde le spectacle hideux, et presque sans exemple, de bombarder les sujets d'un roi, votre allié, jusque dans sa capitale, et sans même avoir renvoyé son ambassadeur38.
Qu'espérez-vous aujourd'hui? Renouveler une coalition? Le canon de Copenhague les a tuées pour cinquante ans.
Que voulez-vous donc? Culbuter le ministère dont la main sage a su guérir une partie des plaies que vous avez faites! Mais enfin si, pour assouvir votre ambition, vous parveniez à entraîner votre patrie dans un gouffre de maux, votre nation ne tarderait pas à regretter les préliminaires de Londres, comme elle a regretté l'armistice d'El-Arisch.
Les détails du congrès d'Amiens mis au grand jour, la nation anglaise qui tient un rang si distingué dans le monde, par son sens droit et profond et la libéralité de ses idées, aurait, envers le premier consul de France, un nouveau mouvement d'estime et de bienveillance, parce qu'elle verrait qu'il n'aurait pas dépendu de lui que la paix fût prompte, honorable et éternelle. Vos passions basses et haineuses seraient à découvert, et vous ne pourriez pas long-temps tromper une nation qui, spontanément unissant sa voix à celle du monde entier, vous déclarerait les ennemis des Hommes.
Footnote 37: (return) Tout le monde sait que Bonaparte se plaisait à écrire dans le Moniteur. Plus d'une fois les notes qu'il faisait insérer dans cet arsenal de sa politique sont devenues des causes ou des annonces de guerre. Jaloux de recueillir tout ce qui provient de cet homme extraordinaire, nous rapporterons celles qui nous paraissent avoir un caractère d'authenticité irrévocable.
Footnote 38: (return) Le bombardement de la capitale du Danemarck.