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Œuvres de Napoléon Bonaparte, Tome III.

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Paris, le 27 germinal an 10 (17 avril 1802).

Proclamation aux Français.

Français,

Du sein d'une révolution inspirée par l'amour de la patrie; éclatèrent tout-à coup au milieu de vous des dissensions religieuses qui devinrent le fléau de vos familles, l'aliment des factions et l'espoir de vos ennemis.

Une politique insensée tâcha de les étouffer sous les ruines de la religion même. A sa voix cessèrent les pieuses solennités où les citoyens s'appelaient du doux nom de frères et se reconnaissaient tous égaux sous la main du Dieu qui les avait créés; le mourant, seul avec sa douleur, n'entendit plus cette voix consolante qui appelle les chrétiens à une meilleure vie, et Dieu même sembla exilé de la nature.

Mais la conscience publique, mais le sentiment de l'indépendance des opinions se soulevèrent, et bientôt, égarés par les ennemis du dehors, leur explosion porta le ravage dans nos départemens; des Français oublièrent qu'ils étaient Français et devinrent les instrumens d'une haine étrangère.

D'un autre côté, les passions déchaînées, la morale sans appui, le malheur sans espérance de l'avenir, tout se réunissait pour porter le désordre dans la société.

Pour arrêter ce désordre, il fallait rasseoir la religion sur sa base, et on ne pouvait le faire que par des mesures avouées par la religion même.

C'était au souverain pontife que l'exemple des siècles et la raison commandaient de recourir, pour rapprocher les opinions et réconcilier les coeurs.

Le chef de l'église a pesé dans sa sagesse et dans l'intérêt de l'église, les propositions que l'intérêt de l'état avait dictées; sa voix s'est fait entendre aux pasteurs: ce qu'il approuve, le gouvernement l'a consenti, et les législateurs en ont fait une loi de la république.

Ainsi disparaissent tous les élémens de discorde; ainsi s'évanouissent tous les scrupules qui pouvaient alarmer les consciences, et tous les obstacles que la malveillance pouvait opposer au retour de la paix intérieure.

Ministres d'une religion de paix, que l'oubli le plus profond couvre vos dissensions, vos malheurs et vos fautes; que cette religion qui vous unit, vous attache tous par les mêmes noeuds, par des noeuds indissolubles, aux intérêts de la patrie.

Déployez pour elle tout ce que votre ministère vous donne de force et d'ascendant sur les esprits; que vos leçons et vos exemples forment les jeunes citoyens à l'amour de nos institutions, au respect et à l'attachement pour les autorités tutélaires qui ont été créées pour les protéger; qu'ils apprennent de vous que le Dieu de la paix est aussi le Dieu des armées, et qu'il combat avec ceux qui défendent la liberté et l'indépendance de la France.

Citoyens qui professez les religions protestantes, la loi a également étendu sur vous sa sollicitude. Que cette morale si sainte, si pure, si fraternelle, les unisse tous dans le même amour pour la patrie, dans le même respect pour ses lois, dans la même affection pour tous les membres de la grande famille.

Que jamais des combats de doctrines n'altèrent ces sentimens que la religion inspire et commande.

Français, soyons tous unis pour le bonheur de la patrie; et pour le bonheur de la patrie et pour le bonheur de l'humanité, que cette religion qui a civilisé l'Europe soit encore le lien qui en rapproche les habitans, et que les vertus qu'elle exige soient toujours associées aux hommes qui nous éclairent. Le premier consul,

BONAPARTE.




Paris, le 15 floréal an 8 (5 mai 1802).

Au corps législatif.

Législateurs,

Le gouvernement vous adresse le traité qui met un terme aux dernières dissensions de l'Europe et achève le grand ouvrage; de la paix.

La république avait combattu pour son indépendance; son indépendance est reconnue; l'aveu de toutes les puissances consacre tous les droits qu'elle tenait de la nature et les limites qu'elle devait à ses victoires.

Une autre république est venue se former au milieu d'elle, s'y pénétrer de ses principes, et y reprendre à sa source l'esprit antique des Gaulois. Attachée à la France par le souvenir d'une commune origine, par des institutions communes, et surtout par le lien des bienfaits, la république italienne a pris son rang parmi les puissances comme parmi nos alliés; elle s'y maintiendra par le courage et s'y distinguera par les vertus.

La Batavie rendue à l'unité d'intérêts, affranchie de cette double influence qui tourmentait ses conseils et qui égarait sa politique, a repris son indépendance, et trouve dans la nation qui l'avait conquise la garantie la plus fidèle de son existence et de ses droits. La sagesse de son administration lui conservera sa splendeur, et l'active économie de ses citoyens lui rendra toute sa prospérité.

La république helvétique, reconnue au dehors, est toujours agitée au dedans par des factions qui se disputent le pouvoir. Le gouvernement, fidèle aux principes, n'a dû exercer sur une nation indépendante d'autre influence que celle des conseils; ses conseils, jusqu'ici, ont été impuissans; il espère encore que la voix de la sagesse et de la modération sera écoutée, et que les puissances voisines de l'Helvétie ne seront pas forcées d'intervenir pour étouffer des troubles dont la continuation menacerait leur propre tranquillité.

La république devait à ses engagemens et à la fidélité de l'Espagne, de faire tous ses efforts pour lui conserver l'intégrité de son territoire. Ce devoir, elle l'a rempli dans tout le cours de la négociation avec toute l'énergie que permettaient les circonstances. Le roi d'Espagne a reconnu la loyauté de ses alliés, et sa générosité a fait à la paix le sacrifice qu'ils s'étaient efforcés de lui épargner. Il acquiert par là de nouveaux droits à l'attachement de la France, et un titre sacré à la reconnaissance de l'Europe. Déjà le retour du commerce console ses états de la calamité de la guerre, et bientôt un esprit vivifiant portera dans ses vastes possessions une nouvelle activité et une nouvelle industrie.

Rome, Naples, l'Etrurie sont rendues au repos et aux arts de la paix.

Lucques, sous une constitution qui a réuni les esprits et étouffé les haines, a retrouvé le calme et l'indépendance.

La Ligurie a posé dans le silence des partis les principes de son organisation, et Gênes voit rentrer dans son port le commerce et les richesses.

La république des Sept-Iles est encore, ainsi que l'Helvétie, en proie à l'anarchie; mais d'accord avec la France, l'empereur de Russie y fait passer les troupes qu'il avait à Naples, pour y reporter les seuls biens qui manquent à ces heureuses contrées, la tranquillité, le règne des lois, et l'oubli des haines et des factions.

Ainsi, d'une extrémité à l'autre, l'Europe voit le calme renaître sur le continent et sur les mers, et son bonheur s'asseoir sur l'union des grandes puissances et sur la foi des traités.

En Amérique, les principes connus du gouvernement ont rendu la sécurité la plus entière à la Martinique, à Tabago, à Sainte-Lucie. On n'y redoute plus l'empire de ces lois imprudentes qui auraient jeté dans les colonies la dévastation et la mort. Elles n'aspirent plus qu'à se réunir à la métropole, et elles lui rapportent, avec leur confiance et leur attachement, une prospérité au moins égale à celle qu'elle y avait laissée.

A Saint-Domingue, de grands maux ont été faits; de grands maux sont à réparer; mais la révolte est chaque jour plus réprimée. Toussaint, sans trésor, sans place et sans armée, n'est plus qu'un brigand errant de morne en morne, avec quelques brigands comme lui, que nos intrépides éclaireurs poursuivent, et qu'ils auront bientôt atteints et détruits.

La paix est connue à l'Ile-de-France et dans l'Inde. Les premiers soins du gouvernement y ont déjà reporté l'amour de la république, la confiance en ses lois et toutes les espérances de la prospérité.

Bien des années s'écouleront désormais pour nous sans victoires, sans triomphes, dans ces négociations éclatantes qui font la destinée des états; mais d'autres succès doivent marquer l'existence des nations, et surtout l'existence de la république. Partout l'industrie s'éveille, partout le commerce et les arts tendent à s'unir pour effacer les malheurs de la guerre. Des travaux de tous les genres appellent la pensée du gouvernement.

Le gouvernement remplira cette nouvelle tâche avec succès aussi long-temps qu'il sera investi de l'opinion du peuple français.

Les années qui vont s'écouler seront, il est vrai, moins célèbres; mais le bonheur de la France s'accroîtra des chances de gloire qu'elle aura dédaignées.

Le premier consul, BONAPARTE.




Paris, le 17 floréal an 10 (7 mai 1802).

Réponse du premier consul au général Menou à son retour d'Egypte.

Celui-ci venait de lui dire: «Consul, en me présentant devant vous, la douleur d'avoir vu perdre votre plus belle conquête se renouvelle vivement.»

Le sort des batailles, lui répondit Bonaparte, est incertain Vous avez fait tout ce qu'on pouvait, après la malheureuse journée du 30, attendre d'un homme de coeur et d'expérience. Votre longue résistance à Alexandrie a contribué à la bonne issue des préliminaires de Londres. Votre bonne administration vous a mérité l'estime de tous les hommes qui en apprécient l'influence sur la prospérité publique.

Je connais bien tout ce qui s'est passé à votre armée. Vos malheurs ont été grands, sans doute; mais ils ne vous ont rien fait perdre dans mon estime, et je m'empresserai de le témoigner hautement, afin qu'aucune clameur ne puisse entacher votre conduite39.

Le premier consul, BONAPARTE.

Footnote 39: (return) Cette réponse de Bonaparte étonnera tous ceux qui savent que la perte de l'Egypte doit être attribuée à la mauvaise administration et à la conduite pusillanime du général Menou. L'histoire dira sans doute pour quelle cause un homme aussi bien à même de juger des événemens que Bonaparte, se montra toujours tellement aveugle sur le compte du général Menou que, pour le récompenser de sa prétendue belle conduite en Egypte, il lui confia depuis une mission éclatante en Italie.



Paris, le 17 floréal an 10 (7 mai 1802).

Réponse du premier consul à une députation du tribunal40.

Le gouvernement est vivement touché des sentimens que vous manifestez au nom du tribunat.

Cette justice que vous rendez à ses opérations est le prix le plus doux de ses efforts. Il y reconnaît le résultat de ces communications plus intimes qui vous mettent en état de mieux apprécier la pureté de ses vues et de ses pensées.

Pour moi je reçois avec la plus sensible reconnaissance le voeu émis par le tribunat.

Je ne désire d'autre gloire que celle d'avoir rempli toute entière la tâche qui m'est imposée. Je n'ambitionne d'autre récompense que l'affection de mes concitoyens; heureux s'ils sont bien convaincus que tous les maux qu'ils pourraient éprouver seraient toujours pour moi les maux les plus sensibles; que la vie ne m'est chère que par les services que je puis rendre à la patrie; que la mort même n'aura point d'amertume pour moi, si mes derniers regards peuvent voir le bonheur de la république aussi assuré que sa gloire.

Le premier consul, BONAPARTE.

Footnote 40: (return) Envoyée pour le féliciter sur la paix d'Amiens, et lui annoncer que le tribunat avait émis le voeu qu'il fût donné au général Bonaparte un gage éclatant de la reconnaissance nationale.



Paris, le 19 floréal an 10 (9 mai 1802).

Au sénat conservateur41.

Sénateurs,

La preuve honorable d'estime consignée dans votre délibération du 18, sera toujours gravée dans mon coeur.

Le suffrage du peuple m'a investi de la suprême magistrature. Je ne me croirais pas assuré de sa confiance, si l'acte qui m'y retiendrait n'était encore sanctionné par son suffrage.

Dans les trois années qui viennent de s'écouler, la fortune a souri à la république; mais la fortune est inconstante, et combien d'hommes qu'elle avait comblés de ses faveurs, ont vécu trop de quelques années42.

L'intérêt de ma gloire et celui de mon bonheur sembleraient avoir marqué le terme de ma vie publique, au moment où la paix du monde est proclamée.

Mais la gloire et le bonheur du citoyen doivent se taire, quand l'intérêt de l'état et la bienveillance publique l'appellent.

Vous jugez que je dois au peuple un nouveau sacrifice; je le ferai si le voeu du peuple me commande ce que votre suffrage autorise.

BONAPARTE.

Footnote 41: (return) Le sénat venait de rendre un sénatus-consulte portant réélection de Bonaparte au consulat pour dix années à ajouter aux dix années qui lui étaient déjà dévolues par l'article 39 de la constitution.
Footnote 42: (return) Napoléon Bonaparte à l'île Sainte-Hélène en est un nouvel et terrible exemple.



Paris, le 24 floréal an 10 (14 mai 1802).

Réponse du premier consul à une députation du corps législatif43.

Les sentimens que vous venez d'exprimer et cette députation solennelle sont pour le gouvernement un gage précieux de l'estime du corps législatif.

J'ai été appelé à la magistrature suprême dans des circonstances telles, que le peuple n'a pu peser dans le calme de la réflexion le mérite de son choix.

Alors la république était déchirée par la guerre civile; l'ennemi menaçait les frontières; il n'y avait plus ni sécurité ni gouvernement. Dans une telle crise, ce choix a pu ne paraître que le produit indélibéré de ses alarmes.

Aujourd'hui la paix est rétablie avec toutes les puissances de l'Europe; les citoyens n'offrent plus que l'image d'une famille réunie, et l'expérience qu'ils ont faite de leur gouvernement les a éclairés sur la valeur de leur premier choix. Qu'ils manifestent leur volonté dans toute sa franchise et dans toute son indépendance; elle sera obéie: quelle que soit ma destinée, consul ou citoyen, je n'existerai que pour la grandeur et la félicité de la France.

Le premier consul, BONAPARTE.

Footnote 43: (return) L'ambition de Bonaparte n'était pas encore satisfaite des dix années ajoutées à sa magistrature par le sénatus-consulte cité plus haut. Les deux autres consuls, sans doute d'après son impulsion, arrêtèrent le 20 floréal (10 mai) que le peuple français serait consulté sur cette question: Napoléon Bonaparte sera-t-il consul à vie? Cet arrêté fut converti en loi par le corps législatif, et une députation de cent dix membres fut chargée d'en instruire Bonaparte. C'est à cette députation que Bonaparte va répondre.



Réponse à la députation du tribunat, envoyée pour le même objet.

Ce témoignage de l'affection du tribunat est précieux au gouvernement. L'union de tous les corps de l'état est pour la nation une garantie de stabilité et de bonheur. La marche du gouvernement sera constamment dirigée dans l'intérêt du peuple, d'où dérivent tous les pouvoirs, et pour qui seul travaillent tous les gens de bien.

Le premier consul, BONAPARTE.




Paris, le 18 prairial an 10 (7 juin 1802).

A la censure de la république italienne.

L'époque de la réunion des collèges, premiers organes de la souveraineté du peuple italien, sera célèbre un jour dans l'histoire de l'Italie.

Les choix que vous avez faits me paraissent remplir l'espérance qu'on avait conçue de vous.

J'ai été très-sensible à tout ce que votre lettre contient d'aimable pour moi... La république italienne jouit de la liberté, du bonheur, et retrouve toute la dignité d'une nation indépendante dans ses institutions actuelles!... Un de mes voeux les plus chers se trouve rempli.

Votre situation s'est considérablement améliorée depuis six mois. Elle sera encore améliorée davantage d'ici à la prochaine réunion des collèges.

Je pourrai alors, je l'espère, passer un mois au milieu de vous.

Je saisis cette circonstance pour témoigner au vice-président Melzi, et aux grands fonctionnaires de la république, ma satisfaction de leur conduite.

Le président de la république italienne, BONAPARTE.




Paris, le 18 prairial an 10 (7 juin 1802).

Au citoyen Guicciardi, secrétaire-d'état de la république italienne.

Citoyen Guicciardi, consultore d'état de la république italienne, je vois avec plaisir que les trois collèges et la censure vous ont choisi pour remplacer un homme que je regrette pour ses bonnes qualités et le bon usage que je lui ai toujours vu faire de sa fortune et de son influence. Vous êtes nommé consultore d'état; soyez dans ces fonctions importantes uniquement attaché à la patrie. Vous n'appartenez plus à aucun département. N'ayez jamais en vue que l'intérêt et la politique de la république entière.

Le président de la république italienne, BONAPARTE.




Paris, le 21 messidor an 10 (10 juillet 1802).

Proclamation aux Français.

Français!

Le 14 juillet commença, en 1789, les nouvelles destinées de la France. Après treize ans de travaux, le 14 juillet revient plus cher pour vous, plus auguste pour la postérité. Vous avez vaincu tous les obstacles, et vos destinées sont accomplies. Au dedans plus de tête qui ne fléchisse sous l'empire de l'égalité; au dehors, plus d'ennemi qui menace votre sûreté et votre indépendance, plus de colonie française qui ne soit soumise aux lois, sans lesquelles il ne peut exister de colonies. Du sein de vos ports le commerce appelle votre industrie et vous offre les richesses de l'univers; dans l'intérieur, le génie de la république féconde tous les germes de la Prospérité.

Français, que cette époque soit pour nous et pour nos enfans l'époque d'un bonheur durable; que cette paix s'embellisse par l'union des vertus, des lumières et des arts; que des institutions, assorties à notre caractère, environnent nos lois d'une impénétrable enceinte; qu'une jeunesse avide d'instruction aille dans nos lycées apprendre à connaître ses devoirs et ses droits; que l'histoire de nos malheurs la garantisse des erreurs passées, et qu'elle conserve, au sein de la sagesse et de la concorde, cet édifice de grandeur qu'a élevé le courage des citoyens.

Tels sont le voeu et l'espoir du gouvernement français; secondez ses efforts, et la félicité de la France sera immortelle comme sa gloire.

Le premier consul, BONAPARTE.




Paris, le 29 messidor an 10 (18 juillet 1809).

Au très-haut et très-magnifique bey d'Alger; que Dieu le conserve en prospérité et en gloire.

Je vous écris cette lettre directement parce que je sais qu'il y a de vos ministres qui vous trompent et qui vous portent à vous conduire d'une manière qni pourrait vous attirer de grands malheurs. Cette lettre vous sera remise en mains propres par un adjudant de mon palais. Elle a pour but de vous demander réparation prompte et telle que j'ai droit de l'attendre des sentimens que vous avez toujours montrés pour moi. Un officier français a été battu dans la rade de Tunis par un de vos rais. L'agent de la république a demandé satisfaction et n'a pu l'obtenir. Deux bricks de guerre ont été pris par vos corsaires, qui les ont amenés à Alger et les ont retardés dans leur voyage. Un bâtiment napolitain a été pris par vos corsaires dans la rade d'Hières, et par là ils ont violé le territoire français. Enfin, du vaisseau qui a échoué cet hiver sur vos côtes, il me manque encore plus de cent cinquante hommes qui sont entre les mains des barbares. Je vous demande réparation pour tous ces griefs, et ne doutant pas que vous ne preniez toutes les mesures que je prendrais eu pareille circonstance, j'envoye un bâtiment pour reconduire en France les cent cinquante hommes qui me manquent. Je vous prie aussi de vous méfier de ceux de vos ministres qui sont ennemis de la France; vous ne pouvez pas avoir de plus grands ennemis; et si je désire vivre en paix avec vous, il ne vous est pas moins nécessaire de conserver cette bonne intelligence qui vient d'être rétablie, et qui seule peut vous maintenir dans le rang et dans la prospérité où vous êtes; car Dieu a décidé que tous ceux qui seraient injustes envers moi, seraient punis. Si vous voulez vivre en bonne amitié avec moi, il ne faut pas que vous me traitiez en puissance faible; il faut que vous respectiez le pavillon français, celui de la république italienne qui m'a nommé son chef, et que vous me donniez réparation de tous les outrages qui m'ont été faits.

Cette lettre n'étant pas à une autre fin, je vous prie de la lire avec attention vous-même, et de me faire connaître par le retour de l'officier que je vous envoie ce que vous aurez jugé convenable de faire.

Le premier consul de la république française,
président de la république italienne,

BONAPARTE.




Paris, le 8 thermidor an 10 (27 juillet 1802).

Au corps législatif de la république italienne.

Législateurs, J'ai vu avec une vive satisfaction la réunion du corps législatif. Vous devez, dans cette première session, jeter les bases de l'administration. Le premier budget qui ait été fait en Italie va vous être présenté. Les recettes, les dépenses, la dette publique, ont également besoin d'un système stable, uniforme, caractère essentiel de la loi.

Un objet que vous jugerez non moins important, c'est la loi qu'on va vous présenter pour la conscription militaire: une armée nationale peut seule assurer à la république la tranquillité intérieure, et la considération à l'extérieur. Un état voisin qui n'avait ni la population, ni la richesse de la république, était parvenu à former une armée qui s'est souvent acquis de la gloire et qui l'a placé pendant long-temps au rang des puissances considérables. Que le corps législatif n'oublie pas que la république doit être la première puissance de l'Italie. Le corps législatif ne peut pas mieux me témoigner la vérité des sentimens qu'il m'exprime, qu'en travaillant de tous ses efforts a la consolidation de l'état et en pesant les principes qui doivent assurer sa gloire et sa grandeur.

Le président de la république italienne, BONAPARTE.




Paris, le l4 thermidor an 10 (2 août 1801).

Au ministre de l'intérieur.

Je vous prie, citoyen ministre, de faire placer à l'Hôtel-Dieu un marbre dédié à la mémoire des citoyens Desault et Bichat, qui atteste la reconnaissance de leurs contemporains pour les services qu'ils ont rendus, l'un à la chirurgie française, dont il est le restaurateur, l'autre à la médecine, qu'il a enrichie de plusieurs ouvrages utiles. Bichat eût agrandi le domaine de celle science si importante et si chère à l'humanité, si l'impitoyable mort ne l'eût frappé à vingt-huit ans. Je vous salue.

BONAPARTE.




Paris, le 15 thermidor an 10 (3 août 1802).

Réponse du premier consul, à une députation du sénat44.

Sénateurs, La vie d'un citoyen est à sa patrie. Le peuple français veut que la mienne toute entière lui soit consacrée... J'obéis à sa Volonté...

En me donnant un nouveau gage, un gage permanent de sa confiance, il m'impose le devoir d'étayer le système de ses lois sur des institutions prévoyantes. Par mes efforts, par votre concours, citoyens sénateurs, par le concours de toutes les autorités, par la confiance et la volonté de cet immense peuple, la liberté, l'égalité, la prospérité de la France seront à l'abri des caprices du sort et de l'incertitude de l'avenir.... Le meilleur des peuples sera le plus heureux, comme il est le plus digne de l'être, et sa félicité contribuera à celle de l'Europe entière. Content alors d'avoir été appelé par l'ordre de celui de qui tout émane, à ramener sur la terre la justice, l'ordre et l'égalité, j'entendrai sonner la dernière heure sans regret, et sans inquiétude sur l'opinion des générations futures. Sénateurs, recevez mes remercimens d'une démarche aussi solennelle. Le sénat a désiré ce que le peuple français a voulu, et par là il s'est plus étroitement associé à tout ce qui reste à faire pour le bonheur de la patrie. Il m'est bien doux d'en trouver la certitude dans le discours d'un président aussi distingué45.

Footnote 44: (return) Le sénat venait de rendre (le 14 thermidor) le sénatus-consulte suivant:

Art. 1er Le peuple français nomme et le sénat proclame Napoléon Bonaparte premier consul à vie.

2. Une statue de la paix tenant d'une main le laurier de la victoire, et de l'autre le décret du sénat, attestera à la postérité la reconnaissance de la nation.

3. Le sénat portera au premier consul l'expression de la confiance, de l'amour et de l'admiration du peuple français.

Footnote 45: (return) Barthélémy, aujourd'hui membre de la chambre des pairs.



Paris, le 27 thermidor an 10 (15 août 1802).

Différentes réponses du premier consul à des députations46

A celle du corps législatif.

Footnote 46: (return) Envoyées pour le féliciter sur son consulat à vie.

L'union du peuple français, dans ces circonstances, le rend digne de toute la grandeur et de toute la prospérité auxquelles il est appelé.

Le voeu formé plusieurs fois par le corps législatif et le tribunat, vient d'être rempli par le sénatus-consulte, et les destins du peuple français sont désormais à l'abri de l'influence de l'étranger qui, jaloux de notre gloire et ne pouvant nous vaincre, aurait saisi toutes les occasions pour nous diviser.

Le corps législatif est appelé, à sa première session, aux discussions les plus chères à l'intérêt public; et le gouvernement attend, pour le convoquer, le moment où tous les travaux des Codes que le conseil-d'état et le tribunat discutent, seront plus avancés.

Dans cet intervalle, le peuple organisera les différens collèges; et les membres du corps législatif qui se trouvent dans leur département concourront par leurs conseils à éclairer les assemblées dont ils font partie, sur leur choix. Le gouvernement accueille avec satisfaction les sentimens que vous venez de lui exprimer.

Au tribunat.

La stabilité de nos institutions assure les destins de la république. La considération des corps dépend toujours des services qu'ils rendent à la patrie. Le tribunat appelé à discuter les projets de loi proposés par le conseil-d'état constitue, avec lui, une des parties les plus essentielles à l'organisation législative. Egal en nombre, divisé comme lui en sections, il continuera de porter dans les discussions cet esprit de sagesse, ce zèle, ces talens dont il a donné, dont il donne aujourd'hui un si bel exemple dans l'examen du Code civil.

Le gouvernement est vivement touché des sentimens que vous venez d'exprimer.

Il y répondra toujours par son dévouement à la patrie.

Au tribunal de cassation.

Le gouvernement a dans la conduite du tribunal de cassation le gage le plus sûr des sentimens que vous venez de lui Exprimer.

Ce tribunal est lui-même une des plus heureuses institutions qui assurent la stabilité de la république.

Le premier appui des états, c'est la fidèle exécution des lois. Placés par vos lumières et par vos fonctions à la tête des tribunaux, c'est à vous qu'il appartient d'y maintenir les principes qui vous dirigent, et les vertus dont vous donnez l'exemple.

BONAPARTE.




Paris, le 20 fructidor an 10 (7 septembre 1803).

Réponse du premier consul à une députation de la ville de Marseille 47.

Je suis sensible au témoignage des sentimens de la ville de Marseille, et je vois avec plaisir sa députation. Le gouvernement a sans cesse les yeux ouverts sur cette grande cité, et prend un vif intérêt a sa splendeur. Par le traité de paix qui vient d'être conclu avec le grand-seigneur, la république a obtenu la libre navigation de la mer Noire. Les relations commerciales de la Méditerranée s'accroissent ainsi et vont être plus avantageuses que jamais. Je désire que le commerce de Marseille ne néglige point une autre source de prospérité. Les bouches du Pô lui sont ouvertes; les bâtimens peuvent remonter jusqu'à Ferrare, pénétrer au sein de la 27ª division militaire, et de là fournir des savons et des autres produits de l'industrie de Marseille, à la Suisse et à une partie de l'Allemagne.

BONAPARTE.

Footnote 47: (return) Envoyée pont présenter à Bonaparte une médaille que la ville de Marseille venait de faire frapper en son honneur.



Paris, le 28 fructidor an 10 (15 septembre 1802).

Au sénat conservateur.

Sénateurs,

En vertu de l'article 63 du sénatus-consulte organique du 16 thermidor, le premier consul nomme au sénat les citoyens Abrial, ministre de la justice; Dubelloy, archevêque de Paris; Aboville, général de division, et premier inspecteur d'artillerie; Fouché, ministre de la police générale; et Roederer, président de la section de l'intérieur du conseil-d'état. Le citoyen Abrial, long-temps chargé du ministère public au tribunal de cassation, y a déployé des talens et une probité qui le portèrent au ministère delà justice. Il a, dans cette place importante, rendu des services que le premier consul croit devoir récompenser, en le faisant asseoir parmi Vous.

Le citoyen Dubelloy a été pendant cinquante ans le modèle de l'église gallicane. Placé à la tête du premier diocèse de France, il y donne l'exemple de toutes les vertus apostoliques et civiques.

Le général Aboville, connu dans toute l'Europe par les talens qu'il a déployés dans la guerre de l'indépendance de l'Amérique septentrionale, est à la tête de cette arme qui a tant d'influence sur la destinée des états.

Le citoyen Fouché, ministre de la police dans des circonstances difficiles, a répondu par des talens, par son activité, par son attachement au gouvernement, à tout ce que les circonstances exigeaient de lui. Placé dans le sein du sénat, si d'autres circonstances redemandaient encore un ministre de la police, le gouvernement n'en trouverait point qui fût plus digne de sa confiance.

Le citoyen Roederer, déjà désigné au sénat dès sa formation, s'est constamment distingué au conseil-d'état. Ses talens et son attachement à la patrie, seront encore plus éminemment utiles dans le premier corps de la république. Le sénat verra dans ces nominations le désir qu'a le premier consul d'ajouter toujours à son lustre et a sa considération.

BONAPARTE.




Saint-Cloud, le 8 vendémiaire an 11 (30 septembre 1809).

Aux dix-huit cantons de la république helvétique.

PROCLAMATION.

Habitans de l'Helvétie, Vous offrez depuis, deux ans un spectacle affligeant. Des factions opposées se sont successivement emparées du pouvoir: elles ont signalé leur empire passager, par un système de partialité qui accusait leur faiblesse et leur inhabileté. Dans le courant de l'an 10, votre gouvernement a désiré que l'on retirât le petit nombre de troupes françaises qui étaient en Helvétie. Le gouvernement français a saisi volontiers cette occasion d'honorer votre indépendance; mais bientôt après vos différens partis se sont agités avec une nouvelle fureur; le sang des Suisses a coulé par la main des Suisses. Vous vous êtes disputés trois ans sans vous entendre; si l'on vous abandonne plus long-temps à vous-mêmes, vous vous tuerez trois ans sans vous entendre davantage. Votre histoire prouve d'ailleurs que vos guerres intestines n'ont jamais pu se terminer que par l'intervention efficace de la France. Il est vrai que j'avais pris le parti de ne me mêler en rien de vos affaires; j'avais vu constamment vos différens gouvernement me demander des conseils et ne pas les suivre, et quelquefois abuser de mon nom, selon leurs intérêts et leurs Passions.

Mais je ne puis ni ne dois rester insensible au malheur auquel vous êtes en proie; je reviens sur ma résolution: je serai le médiateur de vos différens; mais ma médiation sera efficace, telle qu'il convient au grand peuple au nom duquel je parle.

Cinq jours après la notification de la présente proclamation, le sénat se réunira à Berne. Toute magistrature qui se serait formée à Berne depuis la capitulation, sera dissoute et cessera de se réunir et d'exercer Aucune'autorité.

Les préfets se rendront à leurs postes.

Toutes les autorités qui auraient été formées, cesseront de se réunir.

Les rassemblemens armés se dissiperont.

Les première, deuxième demi-brigades helvétiques formeront la garnison de Berne.

Les troupes qui étaient sur pied depuis plus de six mois, pourront seules rester en corps de troupes.

Enfin, tous les individus licenciés des armées belligérantes, et qui sont aujourd'hui armés, déposeront leurs armes à la municipalité de la commune de leur naissance.

Le sénat enverra trois députés à Paris; chaque canton pourra également en envoyer.

Tous les citoyens qui, depuis trois ans, ont été landammans, sénateurs, et ont successivement occupé des places dans l'autorité centrale, pourront se rendre à Paris, pour faire connaître les moyens de ramener l'union et la tranquillité, et de concilier tous les partis.

De mon côté, j'ai le droit d'attendre qu'aucune ville, aucune commune, aucun corps ne voudra rien faire qui contrarie les dispositions que je vous fais connaître.

Habitans de l'Helvétie, revivez à l'espérance!! Votre patrie est sur le bord du précipice: elle en sera immédiatement tirée; tous les hommes de b en seconderont ce généreux projet.

Mais si, ce que je ne puis penser, il était parmi vous un grand nombre d'individus qui eussent assez peu de vertus pour ne pas sacrifier leurs passions et leurs préjugés à l'amour de la patrie, peuple de l'Helvétie, vous seriez bien dégénéré de vos pères!

Il n'est aucun homme sensé qui ne voie que la médiation dont je me charge, est pour l'Helvétie un bienfait de cette providence qui, au milieu de tant de bouleversemens et de chocs, a toujours veillé à l'existence et à l'indépendance de votre nation, et que cette médiation est le seul moyen qui vous reste pour sauver l'une et l'autre.

Car il est temps enfin que vous songiez que si le patriotisme et l'union de vos ancêtres fondèrent votre république, le mauvais esprit de vos factions, s'il continue, la perdra infailliblement; et il serait pénible de penser qu'à une époque où plusieurs nouvelles républiques se sont élevées, le destin eût marqué la fin d'une des plus anciennes.

Le premier consul de la république française,
Président de la république italienne,
BONAPARTE.




Paris, le 11 vendémiaire an 11 (13 octobre 1802).

Réponse du premier consul à une députation du clergé de Lyon.

J'ai vu avec peine la division des prêtres du diocèse de Lyon: ne savent-ils pas que la religion catholique a cela de particulier sur toutes les religions, qu'elle prêche l'oubli des offenses? Quelle opinion doivent donc avoir les séculiers de prêtres qui ont eu réciproquement des sujets de division, et qui ne veulent pas les oublier et se pardonner? Si l'orgueil veut qu'on humilie son ennemi, la charité, vertu caractéristique de la religion de Jésus-Christ, veut qu'on se réconcilie. Partout donc où j'entends encore dire que des prêtres se souviennent d'avoir été ou de n'avoir pas été constitutionnels, j'en conclus que ces ministres prêchent une morale qu'ils ne pratiquent pas; qu'ils sont mus, non par des sentimens religieux, mais par des considérations mondaines. Aucun prêtre sensé, s'il est véritablement catholique, ne peut méconnaître les principes de sa croyance, qui sont la confiance dans les évêques nommés par le gouvernement et institués par le Saint-Siège. Il me tarde donc d'apprendre que le clergé du diocèse de Lyon imitera celui de Paris, qui a donné l'exemple, et parmi lequel il n'y a plus aucune espèce de discorde.

BONAPARTE.




Paris, le 6 brumaire an 11 (28 octobre 1802).

Note inscrite dans le Moniteur.

Une partie des journalistes anglais reste en proie à la discorde. Toutes les lignes qu'ils impriment sont des lignes de sang. Ils appellent à grands cris là guerre civile au sein de la nation occidentale, si heureusement pacifiée. Tous leurs raisonnemens, toutes leurs hypothèses, roulent sur ces deux points,: 1°. Imaginer des griefs contre la France. 2°. Se créer aussi libéralement des alliés, et donner ainsi à leurs passions des auxiliaires parmi les grandes puissances du continent. Leurs griefs principaux sont aujourd'hui les affaires de Suisse, dont l'heureuse issue excite leur jalouse fureur. Il paraît qu'il aurait convenu beaucoup mieux à leurs passions que la guerre civile déchirât cette malheureuse nation, et que les puissances voisines se laissant entraîner par l'empire des circonstances, l'harmonie du continent fût de nouveau troublée. La proclamation du 10 vendémiaire coupe le noeud de toutes ces intrigues.

Ils invoquent le traité de Lunéville, qui assure l'existence de la république helvétique; mais c'est précisément pour l'assurer que l'intervention de la France est indispensable. D'ailleurs, de toutes les puissances de l'Europe, la seule qui n'ait pas le droit d'invoquer à cet égard le traité de Lunéville, c'est l'Angleterre, puisqu'elle seule a refusé de reconnaître la république helvétique. Elle a également méconnu la république italienne, la république ligurienne et le roi de Toscane. Nous savons que depuis un an, malgré les vives instances du gouvernement français, elle a persisté dans le même refus, relativement à ces états et aux arrangemens contentieux stipulés par le traité de Lunéville. L'Angleterre n'a point d'agent diplomatique, ni à Berne, ni à Milan, ni à Gênes, ni à Florence.

Le gouvernement anglais ne se plaint point, et ne peut se plaindre en effet, de ce qui arrive dans des pays dont il ne reconnaît pas l'existence politique, et avec lesquels il n'entretient pas de relations publiques.

Les affaires d'Allemagne excitent encore bien plus vivement la jalousie de cette foule d'écrivains périodiques; et la conduite forte et généreuse qui a mérité à la Russie et à la France les remercimens de tous les peuples, de toutes les villes, de tous les princes d'Allemagne, est un sujet de griefs pour ces instigateurs de troubles.

Le roi d'Angleterre a reconnu tous les arrangemens de l'Allemagne. Il y à adhéré. Il suffit, a ce sujet, de lire le vote de son ministre à la diète de Ratisbonne. Aussi le cabinet britannique, satisfait d'avoir vu prendre en considération et ménager tous ses intérêts, n'élève à cet égard aucune espèce de plaintes.

Les libellistes anglais écrivent que la volonté exprimée par le roi d'Angleterre comme électeur d'Hanovre, n'est pas celle de la nation anglaise. Mais quel autre titre aurait une puissance insulaire pour se mêler des affaires de l'Allemagne! Et à quelle abjection faudrait-il que la Russie, l'Autriche, la Prusse, la Suède, le Danemarck, la Bavière et les maisons de Wurtemberg, de Baden, de Hesse-Cassel, etc. et la république française se trouvassent réduites, si elles ne pouvaient négocier, conclure, arranger leurs intérêts limitrophes sans l'agrément d'une puissance qui est aussi étrangère à ces intérêts qu'à notre droit diplomatique! elle qui seule méconnaît les droits des nations indépendantes sur les mers. Les relations de la France avec l'Angleterre sont le traité d'Amiens, tout le traité d'Amiens, rien que le traité d'Amiens. Les alliés que les écrivains de parti qui impriment à Londres se créent sur le continent n'existent heureusement, ainsi que leurs griefs, que dans leur imagination déréglée et dans les passions haineuses et jalouses qui les tourmentent. Ils appellent de tous leurs voeux les troupes autrichiennes; ils rassemblent et forment des armées dans le Tyrol; mais Thugut n'est plus, et S. M. l'empereur sait bien que, si deux fois la puissance autrichienne a été conduite sur le bord du précipice, c'est pour s'être livrée deux fois à ces perfides insinuations. Bien loin de sacrifier le sang de ses sujets qui lui est si cher, la cour de Vienne, obérée par les remboursemens qu'elle a l'extrême bonne foi de faire à l'Angleterre pour les subsides qu'elle eu a reçus pendant les premières campagnes, ne s'occupe que de diminuer ses dépenses. Elle pourrait en bonne justice, au lieu de rendre l'argent qu'elle a dépensé pour la cause du gouvernement anglais, demander à cette puissance cinq a six millions, comme une juste indemnité des frais de la guerre. Kaunitz disait, au milieu du siècle passé, à un ministre du roi de Prusse qui prenait son audience de congé: «Le roi votre maître apprendra un jour combien l'alliance de l'Angleterre est pesante.» Et, si la Prusse vit ses frontières envahies, sa capitale saccagée et ne succomba pas, elle eu fut redevable à ce prince de glorieuse mémoire, et à cette année qui sera long-temps citée comme un modèle.

N'entendez-vous pas aussi ces journalistes effrénés appeler à grands cris les armées russes? Mais ces armées russes ont-elles oublié que, compromises et abandonnées dans les marais de la Hollande, elles ont été désavouées par l'Angleterre, et qu'au mépris même du droit des nations, on n'a pas voulu les comprendre dans l'échange des prisonniers? mais les Russes, les Suédois et les Danois ne conservent ils pas un long souvenir de ces prétentions inouïes qui ont amené les massacres de Copenhague? Certes, et le continent en est profondément convaincu, le premier des biens, l'intérêt le plus cher est la paix. Il sait trop bien qu'une guerre continentale n'aurait d'autres effets que de concentrer toutes les richesses du commerce, toutes les colonies du monde, dans la main d'une seule Nation.

La Russie et la France, réunies par une estime réciproque, par des intérêts communs, par la ferme volonté de maintenir la paix du continent, contiendraient malgré eux ces esprits inquiets dont la politique turbulente inspire les gazettes anglaises, si jamais l'influence de leurs libelles parvenait à faire remplacer le gouvernement sage qui gouverne la Grande-Bretagne.

Qu'on cite depuis cent ans une puissance continentale qui, s'étant écartée des principes d'une saine politique, n'ait justifié l'allégation de M. Kaunitz?

Si le roi des Deux-Siciles a vu deux fois ses frontières franchies et sa capitale au pouvoir des Français; si l'électeur de Bavière a vu deux fois la même scène se renouveler dans ses états; si le roi de Sardaigne a cessé de régner en Savoie et en Piémont; si la maison d'Orange a perdu le Statdhouderat; si l'oligarchie de Berne et de Gênes a vu s'évanouir son influence, et le Portugal les limites de ses provinces couvertes de troupes prêtes à le conquérir, tous ne l'ont-ils pas dû à l'alliance de l'Angleterre?

La paix de l'Europe est solidement établie, et aucun cabinet, sans doute, ne veut la troubler; mais, s'il pouvait arriver que des individus, ennemis des hommes et de la tranquillité du monde, parvinssent à obtenir quelque crédit dans le cabinet britannique, ils ne réussiraient pas à empêcher tout le bien que les deux nations ont droit d'attendre de leur état de paix et de leurs nouvelles relations.

Au reste, le peuple français n'ignore pas qu'il excite une grande masse de jalousies, et que long-temps contre lui on fomentera des dissensions, soit intestines, soit étrangères; aussi demeure-t-il constamment dans cette attitude que les Athéniens ont donnée à Minerve: le casque en tête et la lance en arrêt. On n'obtiendra jamais rien de lui par des procédés menaçans: la crainte est sans pouvoir sur le coeur des braves!




Paris, la 14 brumaire an 11 (5 novembre 1802).

Note inscrite dans le Moniteur.

Quel est l'intérêt que la faction ennemie de l'Europe prend aux insurgés suisses? Il est aisé de voir qu'elle voudrait en faire un nouveau Jersey pour y tramer des complots, solder des traîtres, répandre des libelles, accueillir tous les criminels, et faire sur l'est tout ce qu'elle fait constamment, au moyen de la position de Jersey, sur l'ouest. Elle aurait par là cet avantage tout particulier d'inquiéter cette belle manufacture de Lyon qui renaît de ses ruines, et porter une main d'acier sur la balance du commerce, afin de la faire pencher en faveur de l'industrie anglaise.

Quel est l'intérêt de la France? Ce n'est que d'avoir de bons voisins et des amis sûrs.

Au midi, le roi d'Espagne allié de la France par inclination comme par intérêt, et les républiques italienne et ligurienne, qui entrent dans son système fédératif; La Suisse, la Bavière, le bon prince de Bade, le roi de Prusse, la Hollande, au nord et à l'est.

La faction ennemie de l'Europe qui veut agiter le continent ne trouvera dans ces états ni complices, ni tolérance. Cependant ces agitateurs ne dorment jamais; ils se sont essayés à la fois à Gênes, en Suisse, en Hollande. Leurs trames prenaient de la consistance en Suisse, lorsque la proclamation du 8 brumaire a tout calmé. Tout est rentré dans son état naturel, dans cet état, qui, de tous côtés, présentera le beau territoire de la France entouré de peuples amis. Cet état est le résultat de dix ans de triomphes, de hasards, de travaux et d'immenses sacrifices. La paix de Lunéville, les préliminaires de Londres et la paix d'Amiens, bien loin d'y rien changer, l'ont consolidé.

Aujourd'hui, pourquoi tenter ce que l'on n'a pu faire réussir jusqu'à ce jour? Nous croit-on devenus lâches? nous croit-on moins forts que nous ne l'avons jamais été? Il est plus facile aux vagues de l'Océan de déraciner le rocher qui entravé sa fureur depuis quarante siècles, qu'à la faction ennemie de l'Europe et des hommes de rallumer la guerre et toutes ses fureurs au milieu de l'occident, et surtout de faire pâlir un instant l'astre du peuple français.




Saint Cloud, le 19 frimaire an 11 (10 décembre 1802).

Aux députés des dix-huit cantons de la république helvétique.

Citoyens députés des dix-huit cantons de la république helvétique, la situation de votre patrie est critique, La modération, la prudence et le sacrifice de vos passions sont nécessaires pour la sauver. J'ai pris à la face de l'Europe l'engagement de rendre ma médiation efficace. Je remplirai tous les devoirs que cette fonction m'impose; mais ce qui est difficile sans votre secours, devient simple avec votre Assistance et votre Influence.

La Suisse ne ressemble à aucun autre état, soit par les événemens qui s'y sont succédés depuis plusieurs siècles, soit par sa situation géographique et topographique, soit par les différentes langues, les différentes religions et cette extrême différence de moeurs qui existent entre ses diverses parties. La nature a fait votre état fédératif; vouloir le vaincre, ne peut pas être d'un homme sage.

Les circonstances, l'esprit des siècles passés, avaient établi chez vous des peuples souverains et des peuples sujets. De nouvelles circonstances et l'esprit différent d'un nouveau siècle, d'accord avec la justice et la raison, ont rétabli l'égalité de droits entre toutes les portions de votre territoire. Plusieurs de vos états ont suivi pendant des siècles ces lois de la démocratie la plus absolue; d'autres ont vu quatre-vingt dix-neuf familles s'emparer du pouvoir, et vous avez eu dans ceux-ci des sujets et des souverains. L'influence et l'esprit général de l'Italie, de la Savoie, de la France, de l'Alsace, qui vous entourent, avaient essentiellement contribué à établir, dans ces derniers temps, cet état de choses. L'esprit de ces divers pays est changé.

La renonciation à tous les privilèges est à la fois la volonté et l'intérêt de votre peuple.

Ce qui est en même temps le désir, l'intérêt de votre nation et des vastes états qui vous environnent est donc:

1°. L'égalité des droits entre vos dix-huit cantons;

2°. Une renonciation sincère et volontaire aux privilèges, de la part des familles patriciennes;

3°. Une organisation fédérative où chaque canton se trouve organisé selon sa langue, sa religion, ses moeurs, son intérêt, son opinion.

La chose la plus importante, c'est de fixer l'organisation de chacun des dix-huit cantons, en la soumettant aux principes généraux.

L'organisation des dix-huit cantons une fois arrêtée, il restera à déterminer les relations qu'ils devront avoir entre eux, et dès lors votre organisation centrale, beaucoup moins importante en réalité que votre organisation cantonale. Finances, armée, administration, rien ne peut être uniforme chez vous. Vous n'avez jamais entretenu de troupes soldées; vous ne pouvez avoir de grandes finances; vous n'avez jamais eu constamment des agens diplomatiques auprès des différentes puissances. Situés au sommet des montagnes qui séparent la France, l'Allemagne et l'Italie, vous participez à la fois de l'esprit de ces différentes nations. La neutralité de votre pays, la prospérité de votre commerce et une administration de famille, sont les seules choses qui puissent agréer à voire peuple et vous maintenir.

Ce langage, je l'ai toujours tenu à vos députés, lorsqu'ils m'ont consulté sur leurs affaires. Il me paraissait tellement fondé en raison, que j'espérais que, sans concours extraordinaire, la nature seule des choses vous conduirait à reconnaître ce système. Mais les hommes qui semblaient le mieux sentir étaient aussi ceux qui, par intérêt, tenaient le plus au système de privilège et de famille, et qui, ayant accompagné de leurs voeux, et, plusieurs, de leurs secours et de leurs armes, les ennemis de la France, avaient une tendance à chercher hors de la France l'appui de leur patrie.

Toute organisation qui eût été établie chez vous, et qui eût été contraire à l'intérêt de la France, ne pouvait pas être dans votre véritable intérêt.

Après vous avoir tenu le langage qu'il conviendrait à un citoyen suisse, je vais vous parler comme magistrat de deux grands pays, et ne pas vous déguiser que jamais la France et la république italienne ne pourront souffrir qu'il s'établisse chez vous un système de nature à favoriser leurs ennemis.

Le repos et la tranquillité de quarante millions d'habitans, vos voisins, sans qui vous ne pourriez ni vivre comme individus, ni exister comme état, sont pour beaucoup dans la balance de la justice générale. Que rien à leur égard ne soit hostile chez vous; que tout y soit en harmonie avec eux, et que, comme dans les siècles passés, votre premier intérêt, votre première politique, votre premier devoir, soient de ne rien permettre, de ne rien laisser faire, sur votre territoire, qui, directement ou indirectement, nuise anx intérêts, à l'honneur et en général aux intérêts du peuple français.

Et, si votre intérêt, la nécessité de faire finir vos querelles, n'avaient pas été suffisans pour me déterminer à intervenir dans vos affaires, l'intérêt de la France et de l'Italie m'en eût lui seul fait un devoir; en effet vos insurgés ont été guidés par des hommes qui avaient fait la guerre contre nous, et le premier acte de tous leurs comités a été un appel aux privilèges, une destruction de l'égalité, et une insulte manifeste au peuple français.

Il faut qu'aucun parti ne triomphe chez vous. Il faut surtout que ce ne soit pas celui qui a été battu. Une contre-révolution ne peut avoir lieu.

Je me plais à vous entretenir, et souvent je vous répéterai les mêmes choses, parce que ce n'est qu'au moment où vos citoyens en seront convaincus, que vos opinions pourront enfin se concilier et votre peuple vivre heureux.

La politique de la Suisse a toujours été considérée comme faisant partie de la politique, de la France, de la Savoie et du Milanais, parce que la manière d'exister de la Suisse est entièrement liée à la sûreté de ces états. Le premier devoir, le devoir le plus essentiel du gouvernement français, sera de veiller à ce qu'un système hostile ne prévale pas parmi vous, et que les hommes dévoués à ses ennemis ne parviennent pas à se mettre a la tête de vos affaires. Il convient non-seulement qu'il n'existe aucun motif d'inquiétude pour la portion de notre frontière qui est ouverte, et que vous couvrez, mais que tout nous assure encore que, si votre neutralité était forcée, le bon esprit de votre gouvernement, ainsi que l'intérêt de votre nation, vous rangeraient plutôt du côté des intérêts de la France que contre eux.

Je méditerai tous les projets, toutes les observations que, collectivement ou individuellement, ou par députation de canton, vous voudrez me faire passer. Les sénateurs Barthélemy, Fouché, Roederer et Desmeunier, que j'ai chargés de recueillir vos opinions, d'étudier vos intérêts et d'accueillir vos vues, me rendront compte de tout ce que vous désirerez qu'ils me disent ou me remettent de votre part.

Le premier consul, BONAPARTE.




Paris, le 10 pluviose an 11 (30 janvier 1803).

Note inscrite par le premier consul en marge d'une délibération du conseil municipal d'Orléans, portant qu'il serait érigé un monument en l'honneur de Jeanne d'Arc, autrement la Pucelle d'Orléans.

Ecrire au citoyen Crignon Desormeaux, maire d'Orléans, que cette délibération m'est très agréable. L'illustre Jeanne d'Arc a prouvé qu'il n'est pas de miracle que le génie français ne puisse produire dans les circonstances où l'indépendance nationale est menacée.

Unie, la nation française n'a jamais été vaincue; mais nos voisins plus calculateurs et plus adfoils, abusant de la franchise et de la loyauté de notre caractère, semèrent constamment parmi nous ces dissensions, d'où naquirent les calamités de cette époque et tous les désastres que rappelle notre histoire.




Paris, le 30 pluviôse an 11 (19 février 1803).

Aux Suisses,

L'Helvétie, en proie aux dissensions, était menacée de sa dissolution; elle ne pouvait trouver en elle-même les moyens de se reconstituer. L'ancienne affection de la nation française pour ce peuple recommandable, qu'elle a récemment défendu par ses armes et fait reconnaître comme puissance par ses traités; l'intérêt de la France et de la république italienne dont la Suisse couvre les frontières; la demande du sénat, celle des cantons démocratiques; le voeu du peuple helvétique tout entier, nous ont fait un devoir d'interposer notre médiation entre les partis qui le divisent. Les sénateurs Barthélemy, Roederer, Fouché et Desmeunier, ont été par nous chargés de conférer avec cinquante-six députés du sénat helvétique et des villes et cantons réunis à Paris. Déterminer si la Suisse, fédérale par sa nature, pouvait être retenue sous un gouvernement central autrement que par la force; reconnaître le genre de constitution qui était le plus conforme au voeu de chaque canton; distinguer ce qui répond le mieux aux idées que les cantons nouveaux se sont faites de la liberté et du bonheur; concilier dans les cantons anciens, les institutions consacrées par le temps avec les droits restitués à la masse des citoyens: tels étaient les objets qu'il fallait soumettre à l'examen et à la discussion. Leur importance et leur difficulté nous ont décidé à entendre nous-même dix députés nommés par les deux partis, savoir: les citoyens d'Affry, Glutz, Jauch, Monnot, Reinhart, Sprecher, Stapfer, Ustery, Watteville et Vonflue; et nous avons conféré le résultat de leurs discussions, tant avec les différens projets présentés par les députations cantonales, qu'avec les résultats des discussions qui ont eu lieu entre ces députations et les sénateurs-commissaires. Ayant ainsi employé tous les moyens de connaître les intérêts et la volonté des Suisses, NOUS, en qualité de médiateur, sans autre vue que celle du bonheur des peuples sur les intérêts desquels nous avions à prononcer, et sans entendre nuire à l'indépendance de la Suisse, STATUONS ce qui suit, etc.

BONAPARTE.

N. B. Le reste contient l'acte de médiation fait par le premier consul de la république française entre les partis qui la divisent.




Paris, le 3 ventose an 11 (21 février 18o3).

Au corps législatif.

EXPOSÉ DE LA SITUATION DE LA RÉPUBLIQUE.

Les événemens n'ont point trompé les voeux et l'attente du gouvernement. Le corps législatif, au moment où il reprend ses travaux, retrouve la république plus forte de l'union des citoyens, plus active dans son industrie, plus confiante dans sa prospérité.

L'exécution du concordat, sur laquelle des ennemis de l'ordre public avaient encore fondé de coupables espérances, a donné presque partout les résultats les plus heureux. Les principes d'une religion éclairée, la voix du souverain pontife, la constance du gouvernement, ont triomphé de tous les obstacles. Des sacrifices mutuels ont réuni les ministres du culte. L'église gallicane renaît par les lumières et la concorde, et déjà un changement heureux se fait sentir dans les moeurs publiques. Les opinions et les coeurs se rapprochent; l'enfant redevient plus docile à la voix de ses parens; la jeunesse plus soumise à la voix des magistrats; la conscription s'exécute aux lieux même où le nom seul de la conscription soulevait les esprits; et servir la patrie est une partie de la religion.

Dans les départemens qu'a visités le premier consul, il a recueilli partout le témoignage de ce retour aux principes qui font la force et le bonheur de la société.

Dans l'Eure, dans la Seine-Inférieure, dans l'Oise, on est fier de la gloire nationale, on sent dans toute leur étendue les avantages de l'égalité; on bénit le retour de la paix; on bénit le rétablissement du culte public. C'est par tous ces liens que les coeurs ont été rattachés à l'état et à la constitution.

Le devoir du gouvernement est de nourrir et d'éclairer ces heureuses dispositions.

Les autres cultes s'organisent et les consistoires se composent de citoyens éclairés, défenseurs connus de l'ordre public, de la liberté civile et de la liberté religieuse.

L'instruction publique, cet appui nécessaire des sociétés, est partout demandée avec ardeur. Déjà s'ouvrent plusieurs lycées; déjà, comme l'avait prévu le gouvernement, une multitude d'écoles particulières s'élèvent au rang des écoles secondaires. Tous les citoyens sentent qu'il n'est pas de bonheur sans lumières: que sans talens ni connaissances, il n'y a d'égalité que celle de la misère et de la servitude.

Une école militaire recevra de jeunes défenseurs de la patrie; soldats, ils apprendront à supporter la vie des camps et les fatigues de la guerre. Par une longue obéissance, ils se formeront à commander et apporteront aux armées la force et la discipline unies aux connaissances et aux talens.

Dans les lycées comme dans l'école militaire, la jeunesse des départemens nouvellement incorporés à la république, vivra confondue avec la jeunesse de l'ancienne France. De la fusion des esprits et des moeurs, de la communication des habitudes et des caractères, du mélange des intérêts, des ambitions et des espérances, naîtra cette fraternité, qui de plusieurs peuples ne fera qu'un seul, destiné par sa position, par son courage, par ses vertus, à être le lien et l'exemple de l'Europe.

L'institut national, à sa puissance sur l'instruction publique, a reçu une direction plus utile; et désormais il déploiera, sur le caractère de la nation, sur la langue, sur les sciences, sur les arts, sur les lettres, une influence plus active.

Pour assurer la stabilité de nos institutions naissantes, pour éloigner des regards des citoyens ce spectre de la discorde qui leur apparaissait encore dans le retour périodique des élections à la suprême magistrature, les amis de la patrie appelèrent le consulat à vie sur la tête du premier magistrat. Le peuple, consulté, a répondu à leur appel, et le sénat a proclamé la volonté du peuple.

Le système d'éligibilité n'a pu résister au creuset de l'expérience et à la force de l'opinion publique.

L'organisation du sénat était incomplète.

La justice nationale était disséminée dans des tribunaux sans harmonie, sans dépendance mutuelle: point d'autorité qui les protégeât, ou qui pût les réformer; point de liens qui les assujettissent à une discipline commune.

Il manquait à la France un pouvoir que réclamait la justice même, celui de faire grâce. Combien de fois, depuis douze ans, il avait été invoqué. Combien de malheureux avaient succombé victimes d'une inflexibilité que les sages reprochaient à nos lois! Combien de coupables qu'une funeste indulgence avait acquittés, parce que les peines étaient trop sévères.

Un sénatus-consulte a rendu au peuple l'exercice des droits que l'assemblée constituante avaient reconnus, mais il les lui a rendus environnés de précautions qui le défendent de l'erreur ou de la précipitation de son choix; qui assurent le respect des propriétés et l'ascendant des lumières.

Que les premières magistratures viennent à vaquer, les devoirs et la marche du sénat sont tracés; des formes certaines garantissent la sagesse et la liberté de son choix, et la souveraineté de ce choix ne laisse ni à l'ambition le moyen de conspirer, ni à l'anarchie le moyen de détruire.

Le ciment du temps consolidera chaque jour cette institution tutélaire. Elle sera le terme de toutes les inquiétudes et le but de toutes les espérances, comme elle est la plus belle des récompenses promises aux services et aux vertus publiques.

La justice embrasse d'une chaîne commune tous tes tribunaux; ils ont leur subordination et leur censure; toujours libres dans l'exercice de leurs fonctions, toujours indépendans du pouvoir, et jamais indépendans des lois.

Le droit de faire grâce quand l'intérêt de la république l'exige, ou quand les circonstances commandent l'indulgence, est remis aux mains du premier magistrat; mais il ne lui est remis que sous la garde de la justice même; il ne l'exerce que sous les yeux d'un conseil, et après avoir consulté les organes les plus sévères de la loi.

Si les institutions doivent être jugées par leurs effets, jamais institution n'eut un résultat plus important que ce sénatus-consulte organique. C'est à compter de ce moment que le peuple français s'est confié à sa destinée, que les propriétés ont repris leur valeur première, que se sont multipliées les longues spéculations; jusque-là tout semblait flotter encore. On aimait le présent, on doutait du lendemain, et les ennemis de la patrie nourrissaient toujours des espérances. Depuis cette époque il ne leur reste que de l'impuissance et de la haine.

L'île d'Elbe avait été cédée à la France; elle lui donnait un peuple doux, industrieux, deux ports superbes, une mine féconde et précieuse; mais séparée de la France, elle ne pouvait être intimement attachée à aucun de ses départemens; ni soumise aux règles d'une administration commune. On a fait fléchir les principes sous la nécessité des circonstances; on a établi pour l'île d'Elbe des exceptions que commandaient sa position et l'intérêt public.

L'abdication du souverain, le voeu du peuple, la nécessité des choses, avaient mis le Piémont au pouvoir de la France. Au milieu des nations qui l'environnent avec les élémens qui composaient sa population, le Piémont ne pouvait supporter ni le poids de sa propre indépendance, ni les dépenses d'une monarchie. Réuni à la France, il jouira de sa sécurité et de sa grandeur; les citoyens laborieux, éclairés, développeront leur industrie et leurs talens dans le sein des arts et de la paix.

Dans l'intérieur de la France, règne le calme et la sécurité. La vigilance des magistrats, une justice sévère, une gendarmerie fortement constituée et dirigée par un chef qui a vieilli dans la carrière de l'honneur, ont imprimé partout la terreur aux brigands.

L'intérêt particulier s'est élevé jusqu'au sentiment de l'intérêt public. Les citoyens ont osé attaquer ceux qu'autrefois ils redoutaient, lors même, qu'ils étaient enchaînés au pied des tribunaux. Des communes entières se sont armées et les ont détruits. L'étranger envie la sûreté de nos routes et cette force publique, qui souvent invisible, mais toujours présente, veille sur son pays et le protége sans qu'il la réclame. Dans le cours d'une année difficile, au milieu d'une pénurie générale, le pauvre ne s'est point défié des soins du gouvernement. Il a supporté avec courage des privations nécessaires; et les secours qu'il avait lieu d'attendre, il les a reçus avec reconnaissance.

Le crime de faux n'est plus encouragé par l'espoir de l'impunité. Le zèle des tribunaux chargés de le frapper, et la juste sévérité des lois, ont enfin arrêté les progrès de ce fléau qui menaçait la fortune publique et les fortunes particulières. Notre culture se perfectionne et défie les cultures les plus vantées de l'Europe. Dans les départemens, il est des cultivateurs éclairés qui donnent des leçons et des exemples. L'éducation des chevaux a été encouragée par des primes; l'amélioration des laines, par l'introduction de troupeaux de races étrangères. Partout les administrateurs zélés recherchent et relèvent les richesses de notre sol, et propagent les méthodes utiles et les résultats heureux de l'expérience. Nos fabriques se multiplient, s'animent et s'éclairent; émules entre elles, bientôt elles seront les rivales des fabriques les plus renommées dans l'étranger. Il ne manque désormais à leur prospérité que des capitaux moins chèrement achetés. Mais déjà les capitaux abandonnent les spéculations hasardeuses de l'agiotage, et retournent à la terre et aux entreprises utiles. Plus de vingt mille ouvriers français qui étaient dispersés dans l'Europe sont rappelés par les fabricans et vont être rendus à nos manufactures.

Parmi nos fabriques, il en est une plus particulière à la France, que Colbert échauffa de son génie; elle avait été ensevelie sous les ruines de Lyon; le gouvernement a mis tous ses soins à l'en retirer. Lyon renaît à la splendeur et à l'opulence; et déjà du sein de leurs ateliers, ses fabricans imposent des tributs aux principaux de l'Europe. Mais le principe de leurs succès est dans le luxe même de la France: c'est dans la mobilité de nos goûts, dans l'inconstance de nos modes que le luxe étranger doit trouver son aliment; c'est là ce qui doit faire mouvoir et vivre une population immense, qui sans cela irait se perdre dans la corruption et la misère.

Il y aura à Compiègne, il s'élèvera bientôt sur les confins de la Vendée, des prytanées où la jeunesse se formera pour l'industrie et pour les arts mécaniques. De là nos chantiers, nos manufactures tireront un jour les chefs de leurs ateliers, de leurs travaux.

Quatorze millions, produit de la taxe des barrières, et dix millions d'extraordinaire, ont été, pendant l'an 10, employés aux routes publiques. Les anciennes communications ont été réparées et entretenues. Des communications nouvelles ont été ouvertes. Le Simplon, le Mont-Cenis, le Mont-Genèvre, nous livreront bientôt un triple et facile accès en Italie. Un grand chemin conduira de Gênes à Marseille. Une route est tracée du Saint-Esprit à Gap; une autre, de Rennes à Brest par Pontivy. A Pontivy, s'élèvent de grands établissemens qui auront une grande influence sur l'esprit public des départemens dont se composait l'ancienne Bretagne; un canal y portera le commerce et une prospérité nouvelle.

Sur les bords du Rhin, de Bingen à Coblentz, une route nécessaire est taillée dans des rochers inaccessibles. Les communes voisines associent leurs travaux aux efforts du trésor public, et les peuples de l'autre rive qui riaient de la folie de l'entreprise, restent confondus de la rapidité de l'exécution.

De nombreux ateliers sont distribués sur le canal de Saint-Quentin.

Le canal de l'Ourcq vient de s'ouvrir, et bientôt Paris jouira de ses eaux, de la salubrité, et des embellissemens qu'elles lui promettent.

Le canal destiné à unir la navigation de la Saône, du Doubs et du Rhin, est presque entièrement exécuté jusqu'à Dôles; et le trésor public reçoit déjà, dans l'augmentation du prix des bois auxquels ce canal sert de débouché, une somme égale à celle qu'il a fournie pour en continuer les travaux.

Les canaux d'Aigues-Mortes et du Rhône, le dessèchement des marais de la Charente-Inférieure sont commencés, et donneront de nouvelles routes au commerce, et de nouvelles terres à la culture. On travaille à rétablir les digues de l'île de Cadsan, celles d'Ostende, celles des côtes du Nord, et à rétablir la navigation de nos rivières. Cette navigation n'est déjà plus abandonnée aux seuls soins du gouvernement. Les propriétaires des bateaux qui les fréquentent ont enfin senti qu'elle était leur patrimoine, et ils appellent sur eux-mêmes les taxes qui doivent en assurer l'entretien.

Sur l'Océan, des forts s'élèvent pour couvrir la rade de l'île d'Aix et défendre les vaisseaux de la république. Partout des fonds sont affectés à la réparation et au nettoyement de nos ports; un nouveau bassin et une écluse de chasse termineront le port du Hâvre, et en feront le plus beau port de commerce de la Manche. Une compagnie de pilotes se forme pour assurer la navigation de l'Escaut, et l'affranchir de la science et du danger des pilotés étrangers.

A Anvers, vont commencer les travaux qui doivent rendre à son commerce son ancienne célébrité; et dans la pensée du gouvernement, sont les canaux qui doivent lier la navigation de l'Escaut, de la Meuse et du Rhin, rendre à nos chantiers, à nos besoins, des bois qui croissent sur notre sol, et à nos fabriques une consommation que des manufactures étrangères leur disputent sur leur propre territoire.

Les îles de la Martinique, de Tabago, de Sainte-Lucie, nous ont été rendues avec tous les élémens de la prospérité. La Guadeloupe reconquise et pacifiée renaît à la culture. La Guyane sort de sa longue enfance et prend des accroissemens marqués.

Saint-Domingue était soumis, et l'artisan de ses troubles était au pouvoir de la France. Tout annonçait le retour de sa prospérité; mais une maladie l'a livrée à de nouveaux malheurs. Enfin, le fléau qui désolait notre armée a cessé ses ravages, les forces qui nous restent dans la colonie, celles qui y arrivent de tous nos ports, nous garantissent qu'elle sera bientôt rendue à la paix et au commerce.

Des vaisseaux partent pour les îles de France et de la Réunion, et pour l'Inde.

Notre commerce maritime recherche les traces de ses anciennes liaisons, en forme de nouvelles, et s'enhardit par des essais. Déjà une heureuse expérience et des encouragemens ont ranimé les armemens pour la pêche, qui fut long-temps le patrimoine des Français. Des expéditions commerciales plus importantes sont faites ou méditées pour les colonies occidentales, pour l'Ile-de-France, pour les Indes.

Marseille reprend sur la Méditerranée son ancien ascendant.

Des chambres de commerce ont été rendues aux villes qui en avaient autrefois; il en a été établi dans celles qui, par l'étendue de leurs opérations et l'importance de leurs manufactures, ont paru les mériter.

Dans ces associations formées par d'honorables choix, renaîtront l'esprit et la science du commerce. Là se développeront les intérêts, toujours inséparables des intérêts de l'état. Le négociant y apprendra à mettre avant les richesses, la considération qui les honore, et avant les jouissances d'un vain luxe, cette sage économie qui fixe l'estime des citoyens et la confiance de l'étranger.

Des députés choisis dans ces différentes chambres, discuteront sous les yeux du gouvernement les intérêts du commerce et des manufactures, et les lois et réglemens qu'exigeront les circonstances.

Dans nos aimées de terre et de mer se propagent l'instruction et l'amour de la discipline. La comptabilité s'épure dans les corps militaires; une administration domestique succède au régime dilapidateur des entreprises et des fournitures. Le soldat mieux nourri, mieux vêtu, connaît l'économie; et les épargnes qu'il verse dans la caisse commune l'attachent à ses drapeaux comme à sa famille.

Toutes les sources de nos finances deviennent plus fécondes. La perception des contributions indirectes est moins vigoureuse pour le contribuable. On comptait, en l'an 6, cinquante millions en garnisaires et en contraintes, et les recouvremens étaient arriérés de trois ou quatre années. Aujourd'hui on n'en compte que trois millions, et les contributions sont au courant.

Toutes les régies, toutes les administrations donnent des produits toujours croissans. La régie de l'enregistrement est d'une fécondité qui atteste le mouvement rapide des capitaux et la multiplicité des transactions.

Au milieu de tant de signes de prospérité, on accuse encore l'excès des contributions directes.

Le gouvernement a reconnu avec tous les hommes éclairés en administration, que la surcharge était surtout dans l'inégalité de la répartition. Des mesures ont été prises, et déjà s'exécutent pour constater les inégalités réelles qui existent entre les divers départemens. Au plus tard dans le cours de l'an 12, des opérations régulières et simultanées nous auront appris quel est le rapport des contributions entre un département et un autre département, et quel est dans chaque département le taux moyen delà contribution foncière. Une fois assuré d'un résultat certain, le gouvernement proposera les rectifications que réclame la justice. Mais dès cette session, et sans attendre les résultats, il proposera une diminution importante sur la contribution foncière.

Des innovations sont proposées encore dans notre système de finances; mais tout changement est un mal, s'il n'est pas démontré jusqu'à l'évidence que des avantages certains doivent en résulter. Le gouvernement attendra du temps et des discussions les plus approfondies la maturité de ces projets que hasarde souvent l'inexpérience, qu'on appuie sur l'exemple d'un passé dont les traces sont déjà effacées, pour la plupart, des esprits, et sur la doctrine financière d'une nation qui, par des efforts exagérés, a rompu toutes les mesures des contributions et des dépenses publiques.

Avec un accroissement incalculé de revenus, des circonstances extraordinaires ont amené des besoins qu'il n'avait pas été donné de prévoir Il a fallu reconquérir deux de nos colonies, et rétablir dans toutes le pouvoir et le gouvernement de la métropole; il a fallu par des moyens soudains, et trop étendus pour être dirigés avec toute la précision d'une sévère économie, assurer des subsistances à la capitale et à un grand nombre de départemens; mais du moins le succès a répondu aux efforts du gouvernement; et de ces vastes opérations il lui reste des ressources pour garantir désormais la capitale du retour de la même pénurie, et pour se jouer des combinaisons du monopole.

Dans le compte raisonné du ministre des finances, on trouve l'ensemble des contributions annuelles et des diverses branches du revenu public, ce qu'elles ont dû produire dans l'année révolue; ce qu'on doit en attendre d'amélioration soit des mesures de l'administration, soit du progrès de la prospérité publique; quels ont été, dans les divers départemens du ministère, les élémens de la dépense pour l'an 10; quelles sommes sont encore à solder sur cette année et les années antérieures; quelles ressources restent pour les couvrir, soit dans les recouvremens à faire pour le passé, soit dans les fonds extraordinaires qui avaient été assignés pour la dépense de cette année, et qui n'ont point encore été consommés; quel est l'état actuel de la dette publique; quels en ont été les accroissemens; quelles en ont été les extinctions naturelles; quelles en ont été enfin celles qu'a opérées la caisse D'amortissement.

Dans le compte du ministre du trésor public, on verra, dans leur réalité, les recettes et les payemens exécutés dans l'an 10; ce qui appartient aux diverses branches de revenus; ce qui doit être imputé à chaque année et à chaque partie de l'administration.

Des comptes rendus de ces deux ministres, sortira le tableau le plus complet de notre situation financière. Le gouvernement le présente avec une égale confiance, à ses amis, à ses détracteurs, aux citoyens et aux étrangers. Après avoir autorisé les dépenses prévues de l'an 12 et approprié les revenus nécessaires à ces dépenses, des objets du plus grand intérêt occuperont la session du corps législatif. Il faut rétablir l'ordre dans notre système monétaire; il faut donner au système de nos douanes une nouvelle force et une nouvelle énergie pour comprimer la contrebande. Il faut enfin donner à la France ce nouveau Code civil depuis long-temps promis et trop long-temps attendu. Sur toutes ces matières, des projets de loi ont été formés sous les yeux du gouvernement et mûris dans des conférences où des commissions du conseil-d'état et du tribunal, n'ont porté que l'amour de la vérité et le sentiment de l'intérêt public. Le même sentiment, les mêmes principes dirigeront les délibérations des législateurs, et garantissent à la république la sagesse et l'impartialité des lois qu'ils auront adoptées.

Sur le continent, tout nous offre des gages de repos et de tranquillité.

La république italienne, depuis les comices de Lyon, se fortifie par l'union toujours plus intime des peuples qui la composent. L'heureux accord de ceux qui la gouvernent, son administration intérieure, sa force militaire, lui donnent déjà le caractère et l'attitude d'un état formé depuis long-temps; et si la sagesse les conserve, ils lui garantissent une prospérité toujours plus prospère.

La Ligurie, placée sous une constitution mixte, voit à sa tête et dans le sein de ses autorités, ce qu'elle a de citoyens les plus recommandables, par leurs voeux, par leurs lumières et par leur fortune.

De nouvelles secousses ont ébranlé la république helvétique. Le gouvernement devait son secours à des voisins dont le repos importe au sien, et il fera tout pour assurer le succès de la médiation et le bonheur d'un peuple dont la position, les habitudes, les intérêts, en font l'allié nécessaire à la France.

La Batavie rentre successivement dans les colonies que la paix lui a conservées. Elle se souviendra toujours que la France ne peut être pour elle que l'amie la plus utile, ou l'ennemie la plus funeste. En Allemagne, se _consomment les dernières stipulations du traité de Lunéville.

La Prusse, la Bavière, tous les princes séculiers qui avaient des possessions sur la rive gauche du Rhin, obtiennent sur la rive droite de justes indemnités. La maison d'Autriche trouve dans les évêchés de Salzbourg, d'Aischtett, de Trente et Brixen et dans la plus grande partie de celui de Passau, plus qu'elle n'a perdu dans la Toscane.

Ainsi, par l'heureux concours de la France et de la Russie, tous les intérêts permanens sont conciliés, et du sein de cette tempête qui semblait devoir l'anéantir, l'empire germanique, cet empire si nécessaire à l'équilibre et au repos de l'Europe, se relève plus fort, composé d'élémens plus homogènes, mieux combinés, mieux assortis aux circonstances présentes et aux idées de notre siècle.

Un ambassadeur français est à Constantinople, chargé de fortifier et de resserrer les liens qui nous attachent à une puissance qui semble chanceler, mais qu'il est de notre intérêt de soutenir et de rassurer sur ses fondemens.

Des troupes britanniques sont toujours dans Alexandrie et dans Malte. Le gouvernement avait le droit de s'en plaindre, mais il apprend que les vaisseaux qui doivent les remmener en Europe sont dans la Méditerranée.

Le gouvernement garantit à la nation la paix du continent, et il lui est permis d'espérer la continuation de la paix maritime. Cette paix est le besoin la volonté de tous les peuples; pour la conserver, le gouvernement fera tout ce qui est compatible avec l'honneur national, essentiellement lié à la stricte exécution des traités.

Mais en Angleterre, deux partis se disputent le pouvoir. L'un a conclu la paix et paraît décidé à la maintenir; l'autre a juré à la France une haine implacable. De là cette fluctuation dans les opinions et dans les conseils, et cette attitude à la fois pacifique et menaçante.

Tant que durera cette lutte de partis, il est des mesures que la prudence commande au gouvernement de la république. Cinq cent mille hommes doivent être et seront prêts à la défendre et à la venger. Etrange nécessité que de misérables passions imposent à deux nations qu'un intérêt et une égale volonté attachent à la paix!

Quel que soit à Londres le sujet de l'intrigue, elle n'entraînera pas d'autres peuples dans des ligues nouvelles; et le gouvernement le dit avec un juste orgueil: seule, l'Angleterre ne saurait aujourd'hui lutter contre la France.

Mais ayons de meilleures espérances, et croyons plutôt qu'on n'écoutera dans le cabinet britannique que les conseils de la sagesse et la voix de l'humanité.

Oui, sans doute, la paix se consolidera tous les jours davantage; les relations des deux gouvernemens prendront ce caractère de bienveillance qui convient à leurs intérêts mutuels. Un heureux repos fera oublier les longues calamités d'une guerre désastreuse; la France et l'Angleterre, en faisant leur bonheur réciproque, mériteront la reconnaissance du monde entier.

Le premier consul, BONAPARTE.




Paris, le 4 ventose an 11 (23 février 1803).

Réponse du premier consul à une députation du corps législatif48.

C'est à l'accord qui a régné entre le gouvernement et le corps législatif, qu'est dû le succès de la mesure la plus importante et la plus populaire qui ait marqué votre dernière session.

Des travaux non moins utiles sont réservés à la session actuelle; le gouvernement attend la même harmonie et les mêmes-résultats.

Je reçois avec la plus grande satisfaction le témoignage des sentimens que vous m'exprimez: je les justifierai par le dévouement le plus constant aux intérêts de la patrie.

Le premier consul, BONAPARTE.

Footnote 48: (return) Envoyée à l'ouverture de la session.



Saint-Cloud, le 10 floréal an 11 (30 avril 1803).

Au landamman et aux membres du conseil du canton d'Ury.

Citoyens landamman et membres du conseil du canton d'Ury, tout ce que vous me dites dans votre lettre du 28 mars m'a vivement touché. J'ai voulu, par l'acte de médiation, vous éviter de grands maux, vous procurer de grands biens. Je n'ai vu que vos intérêts. Oubliez toutes vos divisions. Ne formez qu'un seul peuple.

Je regarderai comme une de mes occupations les plus importantes de maintenir dans toute son intégrité la vieille amitié qui, depuis tant de siècles, vous unit à la nation française.

Dites au peuple de votre canton que je serai toujours prêt à l'aider dans tous les maux qu'il pourrait éprouver, et qu'en retour je compte sur la continuation des sentimens que vous m'exprimez.

BONAPARTE.




Saint-Cloud, le 13 floréal an 11 (3 mai 1803).

Au landamman et aux membres du conseil du canton d'Underwald.

Citoyens landamman et membres du conseil du canton d'Underwald, je vous remercie des sentimens que vous m'exprimez au nom de votre canton par votre lettre du 3 avril. Le titre de restaurateur de la liberté des enfans de Tell, m'est plus précieux que la plus belle victoire. Je n'ai eu en vue dans l'acte de médiation que vos intérêts; quand j'ai disputé avec vos députés, j'ai été, par la pensée, un de vos concitoyens.

Assurez le peuple de votre canton que, dans toutes les circonstances, il peut compter qu'il me trouvera toujours dans les mêmes sentimens. Oubliez toutes vos anciennes querelles, et comptez sur le désir que j'ai de vous donner des preuves de l'intérêt que je vous porte.

BONAPARTE.




Saint-Cloud, le 16 floréal an 11 (6 mai 1803).

Au landamman et aux membres du conseil du canton de Schwitz.

Citoyens landamman et membres du conseil du canton de Schwitz, j'ai éprouvé une vive satisfaction d'apprendre, par votre lettre du 14 avril, que vous étiez heureux par l'acte de médiation. L'oubli de vos querelles passées et l'union entre vous, voilà le premier de vos besoins.

Je serai toujours votre ami, et l'esprit qui m'a dicté l'acte de médiation ne cessera jamais de m'animer.

Quelles que soient les sollicitudes et les occupations que je puis avoir, je regarderai toujours pour moi comme un devoir et une douce jouissance, de faire tout ce qui pourra consolider votre liberté et votre bonheur.

BONAPARTE.




Saint-Cloud, le 24 floréal an 11 (14 mai 1803).

Au corps législatif.

Législateurs,

Le gouvernement de la république vous annonce que des orateurs se rendront à votre séance aujourd'hui samedi, 24 floréal, à deux heures après midi, à l'effet d'y porter la parole au nom du gouvernement et faire une communication extraordinaire49.

Le gouvernement désire que cette communication soit entendue en comité secret.

Le premier consul, BONAPARTE.

Footnote 49: (return) Cette communication était l'annonce de la rupture avec l'Angleterre.



Saint-Cloud, le 30 floréal an 11 (20 mai 1803).

Message au sénat, au corps législatif et au tribunat.

L'ambassadeur d'Angleterre a été rappelé, forcé par nette circonstance, l'ambassadeur de la république a quitté un pays où il ne pouvait plus entendre de paroles de paix.

Dans ce moment décisif, le gouvernement met sous vos yeux, il mettra sous les yeux de la France et de l'Europe ses premières relations avec le ministère britannique, les négociations qui ont été terminées par le traité d'Amiens, et les nouvelles discussions qui semblent finir par une rupture absolue.

Le siècle présent et la postérité y verront tout ce qu'il a fait pour mettre un terme aux calamités de la guerre, avec quelle modération, avec quelle patience il a travaillé à en prévenir le retour.

Rien n'a pu rompre le cours des projets formés pour rallumer la discorde entre les deux nations. Le traité d'Amiens avait été négocié au milieu des clameurs d'un parti ennemi de la paix. A peine conclu, il fût l'objet d'une censure amère: on le représenta comme funeste à l'Angleterre, parce qu'il n'était pas honteux pour la France. Bientôt on sema des inquiétudes, on simula des dangers sur lesquels on établit la nécessité d'un état de paix tel, qu'il était un signal permanent d'hostilités nouvelles. On tint en réserve, on stipendia ces vils scélérats qui avaient déchiré le sein de leur patrie, et qu'on destine à le déchirer encore. Vains calculs de la haine! ce n'est plus cette France divisée par les factions et tourmentée par les orages; c'est la France rendue à la tranquillité intérieure, régénérée dans son administration et dans ses lois, prête à tomber de tout son poids sur l'étranger qui osera l'attaquer et se réunir aux brigands qu'une atroce politique rejetterait encore sur son sol pour y organiser le pillage et les assassinats;

Enfin, un message inattendu a tout-à-coup effrayé l'Angleterre d'armemens imaginaires en France et en Batavie, et supposé des discussions importantes qui divisaient les deux gouvernemens, tandis qu'aucune discussion pareille n'était connue du gouvernement français.

Aussitôt des armemens formidables s'opèrent sur les côtes et dans les ports de la Grande-Bretagne; la mer est couverte de vaisseaux de guerre; et c'est au milieu de cet appareil que le cabinet de Londres demande à la France l'abrogation d'un article fondamental du traité d'Amiens.

Ils voudraient, disaient-ils, des garanties nouvelles, et ils méconnaissent la sainteté des traités, dont l'exécution est la première des garanties que puissent se donner les nations. En vain la France a invoqué la foi jurée; en vain elle a rappelé les formes reçues parmi les nations; en vain elle a consenti à fermer les yeux sur l'inexécution actuelle de l'article du traité d'Amiens, dont l'Angleterre prétendait s'affranchir; en vain elle a voulu remettre à prendre un parti définitif jusqu'au moment où l'Espagne et la Batavie, toutes deux parties contractantes, auraient manifesté leur volonté; vainement enfin, elle a proposé de réclamer la médiation des puissances qui avaient été appelées à garantir, et qui ont garanti en effet la stipulation dont l'abrogation était demandée; toutes les propositions ont été repoussées et les demandes de l'Angleterre sont devenues plus impérieuses et plus absolues.

Il n'était pas dans les principes du gouvernement de fléchir sous la menace; il n'était pas en son pouvoir de courber la majesté du peuple français sous des lois qu'on lui prescrivait avec des formes si hautaines et si nouvelles. S'il l'eût fait, il aurait consacré pour l'Angleterre le droit d'annuler, par sa seule volonté, toutes les stipulations qui l'obligent envers la France; il l'eût autorisée à exiger de la France des garanties nouvelles à la moindre alarme qu'il lui aurait plu de forger; et de là deux nouveaux principes qui se seraient placés dans le droit public de la Grande-Bretagne, à côté de celui par lequel elle a déshérité les autres nations de la souveraineté commune des mers et soumis à ses lois et à ses réglemens l'indépendance de leur pavillon.

Le gouvernement s'est arrêté a la ligne que lui ont tracée ses principes et ses devoirs. Les négociations sont interrompues, et nous sommes prêts à combattre si nous sommes attaqués.

Du moins, nous combattrons pour maintenir la foi des traités et pour l'honneur du nom français.

Si nous avions, cédé à une vaine terreur, il eût fallu bientôt combattre pour repousser des prétentions nouvelles; mais nous aurions combattu déshonorés par une première faiblesse, déchus à nos propres yeux et avilis aux yeux d'un ennemi qui nous aurait une fois fait ployer sous ses injustes prétentions.

La nation se reposera dans le sentiment de ses forces: quelles que soient les blessures que l'ennemi pourra nous faire dans des lieux où nous n'aurons pu ni le prévenir, ni l'atteindre, le résultat de cette lutte sera tel que nous avons droit de l'attendre de la justice de notre cause et du courage de nos guerriers.

Le premier consul, BONAPARTE.




Paris, le 5 prairial an 11 (25 mai 1803).

Réponse du premier consul à une députation du sénat, du corps législatif et du tribunat50.

Nous sommes forcés à faire la guerre pour repousser une injuste agression. Nous la ferons avec gloire. Les sentimens qui animent les grands corps de l'état et le mouvement spontané qui les porte auprès du gouvernement, dans cette importante circonstance, sont d'un heureux présage.

La justice de notre cause est avouée même par nos ennemis, puisqu'ils se sont refusés à accepter la médiation offerte par l'empereur de Russie et par le roi de Prusse, deux princes dont la justice est reconnue par toute l'Europe.

Le gouvernement anglais paraît même avoir été obligé de tromper la nation dans la communication officielle qu'il vient de faire. Il a eu soin de soustraire toutes les pièces qui étaient de nature à faire connaître au peuple anglais la modération et les procédés du gouvernement français dans toute la négociation. Quelques-unes des notes que des ministres britanniques ont publiées sont mutilées dans leurs passages les plus importans. Le reste des pièces données en communication au parlement, contient l'extrait des dépêches de quelques agens publics ou secrets. Il n'appartient qu'à ces agens de contredire ou d'avouer leurs rapports, qui ne peuvent avoir aucune influence dans des débats aussi importans, puisque leur authenticité est au moins aussi incertaine que leur véracité. Une partie des détails qu'ils contiennent est matériellement fausse, notamment les discours que l'on suppose avoir été tenus par le premier consul, dans l'audience particulière qu'il a accordée à lord Whitworth.

Le gouvernement anglais a pensé que la France était une province de l'Inde, et que nous n'avions le moyen ni de dire nos raisons ni de défendre nos justes droits contre une injuste agression. Etrange inconséquence d'un gouvernement qui a armé sa nation, en lui disant que la France voulait l'envahir! On trouve dans la publication faite par le gouvernement anglais, une lettre du ministre Talleyrand à un commissaire des relations commerciales: c'est une simple circulaire de protocole qui s'adresse à tous les agens commerciaux de la république. Elle est conforme à l'usage établi en France depuis Colbert, et qui existe aussi chez la plupart des puissances de l'Europe. Toute la nation sait si nos agens commerciaux en Angleterre sont, comme l'affirme le ministère britannique, des militaires. Avant que ces fonctions leur fussent confiées, ils appartenaient pour la plupart, ou au conseil des prises, ou à des administrations civiles.

Si le roi d'Angleterre est résolu de tenir la Grande-Bretagne en état de guerre, jusqu'à ce que la France lui reconnaisse le droit d'exécuter ou de violer à son gré les traités, ainsi que le privilége d'outrager le gouvernement français dans les publications officielles ou privées, sans que nous puissions nous en plaindre, il faut s'affliger sur le sort de l'humanité... Certainement nous voulons laisser à nos neveux le nom français toujours honoré, toujours sans tache... Nous maintiendrons notre droit de faire chez nous tous les réglemens qui conviennent à notre administration publique, et tels tarifs de douanes que l'intérêt de notre commerce et de notre industrie pourra exiger...

Quelles que puissent être les circonstances, nous laisserons toujours à l'Angleterre l'initiative des procédés violens contre la paix et l'indépendance des nations, et elle recevra de nous l'exemple de la modération, qui seule peut maintenir l'ordre social.

Le premier consul, BONAPARTE.

Footnote 50: (return) Ces trois députations avaient été envoyées par leurs corps respectifs pour féliciter Bonaparte sur son énergie dans les affaires d'Angleterre.



Paris, le 18 prairial an 11 (7 juin 1803).

Note inscrite dans le Moniteur51.

Footnote 51: (return) Le colonel Sébastiani, envoyé dans l'Orient, avait imprimé dans le Moniteur le rapport de son voyage.

Le rapport du colonel Sébastiani ne renferme pas un seul mot contre le gouvernement de sa Majesté; pas un seul mot contre le peuple anglais, pas un seul mot contre l'armée anglaise; il attaquait, il est vrai, un colonel de cette nation; mais qu'est-ce qu'un individu britannique qui se dit outragé en regard des grands intérêts des deux gouvernemens de France et d'Angleterre? Est ce dans la balance même de l'Europe qu'il est permis de placer même tous les noms des colonels anglais, passés, présens et futurs? et le colonel devait-il s'attendre à ce grand honneur d'être vengé par une guerre européenne, de quelques paroles prononcées en Afrique et de quelques justes réponses à des outrages faits au héros et à l'armée qui ont défendu le monde par leurs victoires, et qui l'ont rempli par leur renommée? Eh! quoi, un officier français ne pourra répondre aux injures proférées par un officier anglais contre l'armée et son chef, sans qu'il faille verser toutes les calamités de la guerre sur le pays offensé? A quoi donc se réduit cette récrimination officielle? L'affaire des colonels Sébastiani et Stuart est purement individuelle; elle ne peut, par conséquent, devenir jamais nationale: les lois de l'honneur et les usages militaires sont suffisans pour de tels faits.

Mais convient-il bien au roi d'Angleterre de se plaindre diplomatiquement même de la réponse faite par le général Sébastiani, aux outrages faits à Bonaparte et à l'armée française par un officier anglais, dans une brochure, où il accuse Bonaparte d'avoir empoisonné son armée, brochure que le roi d'Angleterre a reçue de sa main? Le général Sébastiani ne défendait-il pas sa vie contre cet officier qui choisit le moment où ce premier est arrivé au Caire, pour l'accuser auprès du pacha, en lui envoyant un ordre du jour de l'armée d'Egypte, écrit en l'an 7, et excitant contre lui la multitude égarée par des suggestions perfides? Ah! s'il y avait eu des satisfactions à réclamer, elles l'eussent été bien légitimement contre l'odieuse conduite d'un général anglais qui à voulu faire assassiner un officier français, en le livrant aux poignards des Turcs! Nous entrons dans tous ces détails, parce qu'il est essentiel de faire connaître à toute l'Europe la ridicule injustice des plaintes de S. M. britannique. D'ailleurs, rien n'est minutieux quand il s'agit des droits de l'humanité; tout s'agrandit devant l'Europe, juge naturel de cette cause.

Le roi d'Angleterre, toujours ingénieux à chercher des outrages pour remplir son manifeste, en trouve un nouveau dans la communication du premier, consul au corps législatif.

C'est là que Bonaparte a dit, avec tous les politiques et les militaires de l'Europe, cette grande vérité, que l'Angleterre seule ne peut pas lutter contre la France; mais ce n'est là ni un défi ni une jactance. Il n'y a dans le style d'un grand général et d'un gouvernement célèbre que des aperçus-profond et des résultats politiques.

Lorsque le premier consul, après avoir présenté au corps législatif l'état des diverses puissances de l'Europe, a parlé de la Grande-Bretagne, comme ne pouvant lutter seule contre la France, il n'en a tiré qu'une conséquence favorable à la pacification générale. Le duc de Clarence n'existe-t-il pas dans les îles britanniques pour les préserver de toute attaque de la part des Français. Je désire, a-t-il dit éloquemment, voir la nation française employer les vastes ressources qu'elle a dans son sein, pour convaincre ce puissant consul que nous sommes capables de nous mesurer seuls contre la France et contre tous ceux qui se joindront à elle; je désire voir la Grande-Bretagne châtier la France: ce n'est pas la première fois que nous-l'aurions fait.

Non, ce n'est point là un outrage pour la république française de la part du duc de Clarence; victorieuse de toutes les coalitions, triomphante de tous les crimes et de toutes les intrigues payées par l'or britannique, elle ne peut se croire blessée par les rodomontades d'un jeune lord qui croit qu'on châtie la France, comme la France a châtié le duc d'Yorck et ses soldat à Hondscote et sur les dunes de Dunkerque. Il sied bien à un jeune prince anglais de braver la belliqueuse France au moment où elle dépose à peine ses armes victorieuses, au moment où l'étoile d'Albion pâlit, au moment où le fisc et la dette menacent d'engloutir l'Angleterre, au moment où l'Inde opprimée est plus près encore du période des révolutions que ne l'est l'Irlande asservie, au moment où la liberté prépare l'expulsion, des Anglais des Antilles; au moment où l'Europe continentale, éclairée enfin sur ses vrais intérêts, verra avec joie se briser le trident d'airain qui pèse sur l'univers asservi. Ce jeune prince avait-il oublié les leçons que la France avait fait payer si cher a l'Angleterre? Ignore-t-il que quarante-cinq descentes ont eu du succès dans cette Grande-Bretagne, que les peuples barbares se sont tour à tour partagée; ignore-t-il qu'il a suffi d'une poignée de Normands pour châtier les Anglais et leur donner des lois.

Les communications du premier consul avec le corps législatif ne sont donc pas des outrages pour le gouvernement anglais, pas plus que les communications du premier consul avec lord Withwort, 1°. Il est constant que cette conversation dont cet ambassadeur a envoyé les détails à son gouvernement, est fausse dans ses principales parties. Elle a été formellement démentie dans le journal officiel: d'ailleurs ce qu'a dit le premier consul, il l'avait dit peu de jours auparavant dans le message au corps législatif: «l'empire ottoman est ébranlé de tous côtés; mais l'intérêt de la France est de le soutenir»; 2° elle est publiée par un gouvernement qui est convaincu d'avoir altéré, mutilé, falsifié sans pudeur les pièces les plus authentiques des dernières négociations, en les présentant imprimées au parlement; 3° lorsque le premier consul a voulu favoriser lord Withwort d'une conversation particulière, ce n'était pas sans doute pour fournir des armes contre lui-même au gouvernement machiavélique de Londres, mais bien pour faire connaître ses véritables intentions, ses sentimens modérés, et le désir de la paix qui anime le gouvernement français.

On conçoit enfin qu'il puisse exister un gouvernement stabilisé depuis un siècle, renommé par l'habileté des politiques et par la régularité de sa diplomatie, qui ne rougit pas de baser une déclaration sur des vues, des idées, des indices, des soupçons, des conjectures, sur des rapports inexacts et vains, sur des conversations fugitives et mal rendues autant que mal interprétées.

C'est cependant d'une autre conversation du premier consul avec lord Wihtwort, en présence du corps diplomatique, que S.M. veut tirer un nouvel exemple de provocation de la part du gouvernement français, comme si le jour où le premier message du roi d'Angleterre, pour les préparatifs maritimes, fut connu à Paris, il était possible à un gouvernant dont l'honneur et la vérité animent le coeur et la pensée, de se contenir au point de dissimuler là profonde indignation qu'inspiré le mensonge et la déloyauté. Il n'appartient qu'aux hommes flegmatiques et profonds dans l'art perfide et dissimulé des cours, de se déguiser ainsi. Le premier consul fut extrêmement modéré, si nous considérons les conjonctures où il se trouvait placé; et il montra dans cette circonstance autant d'énergie que d'amour de la paix. Ah! sans doute après un message aussi insultant pour le peuple français, après un message royal, fondé sur deux mensonges évidens, après un message où S.M. britannique annonce faussement qu'il se fait des arméniens dans les ports de France, et qu'il y avait des négociations ouvertes entre les deux cabinets, il n'est aucune puissance, aucun gouvernement qui n'ait rompu soudainement toute communication avec un prince capable d'allumer la guerre, en mentant à son pays et à la face de l'Europe.

Comment donc le roi d'Angleterre présenta-t-il aussi à son parlement, comme motif légitime de guerre, une gazette d'Hambourg, dont un article prétendu inséré par l'influence du commissaire français, des relations commerciales, propage, selon lui, dans l'Europe les calomnies les plus mal fondées et les plus offensantes contre S. M. et son gouvernement?

S. M. britannique, en articulant un pareil motif de guerre, a cru qu'il n'était pas permis à un commissaire français de démontrer que S. M. britannique avait été induite par ses sages et habiles ministres, à faire à la nation anglaise deux révoltans mensonges dans son premier message au parlement, où il annonce, contre la vérité connue de toute l'Europe, qu'il se faisait des armemens considérables dans tous les ports de France, et qu'il y avait des négociations ouvertes entre les deux cabinets. Si prouver l'évidente fausseté de ces deux assertions royales, c'est outrager S. M. britannique, et calomnier son gouvernement, que faudra-t-il donc dire de ce ramas de libelles scandaleux, d'injures grossières, et d'amères calomnies, consignées dans les journaux anglais, sous l'autorité du roi et de ses ministres; journaux scandaleusement insultans, qui ont inondé l'Europe et provoqué, principalement depuis la paix générale, le chef du gouvernement français? Quel nom faudra-t-il donner au système anglais qui déclare inviolables ou plutôt impunis, ces calomniateurs périodiques, pourvu qu'ils dénigrent les gouvernans des autres nations, pourvu qu'ils travaillent constamment à décrier les gouvernans étrangers, pourvu qu'ils fassent une guerre vile et honteuse aux hommes célèbres et aux gouvernemens éclairés qui ne veulent pas reconnaître la suprématie de l'Angleterre, ni s'humilier devant la raison éminente de son roi et la hante prudence de ses ministres.

C'est aussi, porte la déclaration royale, pour dégrader, avilir et insulter S. M. et son gouvernement, que le gouvernement français a demandé, dans plusieurs occasions, de violer les droits de l'hospitalité, à l'égard des personnes qui ont trouvé un asile dans ses états, et contre lesquelles il n'y a pas d'accusation fondée. Il faut être bien dépourvu de raison, ou bien aveuglé dans sa haine, pour prétendre de pareils motifs de guerre: car on aura de la peine à croire que ce même gouvernement, qui se plaint aujourd'hui de ce que le gouvernement français lui demande, au nom de la justice et de la sûreté générale, l'éloignement de quelques empoisonneurs, de quelques assassins, de quelques calomniateurs à gages, honteusement abrités dans les îles britanniques, est le même gouvernement qui a offert à la France la déportation de ces êtres malfaisans pour prix du consentement à l'occupation de Malte durant dix années. Si donc la France avait voulu violer un traité, l'Angleterre aurait violé l'hospitalité; si la France avait voulu livrer aux Anglais le commerce de toutes les nations, la Grande-Bretagne, reconnaissante, aurait déporté quelques scélérats; mais si la France refuse d'asservir la navigation de la Méditerranée, ces malfaiteurs reconnus ne sont plus pour l'Angleterre que des hommes irréprochables dont elle ne saurait violer l'asile.

Voilà cependant le gouvernement qui se vante de sa morale, de sa modération, de sa justice, et qui se plaint de calomnie, d'outrages et de provocations. Voilà, certes, de nobles et grands motifs d'incendier de guerre toute l'Europe et de mettre aux prises deux nations industrieuses et agricoles.

Quelques paquets de marchandises anglaises, non reçues librement en France, tandis que les Anglais repoussent nos productions territoriales; quelques agens commerciaux qui demandent des sondes de port et des plans de villes imprimés partout, tandis que nous accueillons, sans défiance, des milliers d'Anglais qui viennent chez nous; quelques cantons suisses que la France n'a pas voulu laisser ruiner, se détruire par des dissensions intestines, ni laisser envahir par une guerre étrangère, tandis que les Anglais y envoyaient des émissaires, des armes, des munitions, des plans d'extermination civile; quelque troupes françaises stationnées en Hollande; tandis que les Anglais organisaient des plans d'invasion sur cette contrée et sur ses colonies; quelques obstacles apportés par la France à ce que l'Angleterre rallumât la guerre sur le continent par des intrigues diplomatiques, tandis que les Anglais envoient des émissaires dans toutes les parties de l'Europe pour tâcher de légitimer leur fureur de guerroyer encore avec la France; quelques invitations aux Anglais d'évacuer Malte pour exécuter le traité d'Amiens, tandis qu'ils se plaignaient dans les dits journaux que la France ne l'exécutait pas de son côté; quelques idées que la France désirait encore l'Egypte et les îles Ioniennes, tandis que les Anglais laissaient leurs troupes à Alexandrie un an après le traité d'Amiens, et ne désemparaient pas de Malte; quelques conversations rédigées sans vérité, et interprétées sans bonne foi, tandis que les Anglais ne cessent d'outrager la France dans les journaux et d'insulter le chef de son gouvernement: telles sont cependant les causes graves et légitimes de la guerre juste et nécessaire, causes officiellement présentées par S. M. britannique, qui déclare a la fin de son manifeste: «n'être animée que du sentiment de ce qu'elle doit à l'honneur de son commerce, aux intérêts de son peuple, et du désir d'arrêter les progrès d'un système qui, s'il ne rencontre pas d'obstacles, peut devenir fatal à toutes les parties du Vous, roi de la Grande-Bretagne, eh quoi! vous parlez de l'honneur de votre couronne pour faire de nouveau la guerre; et vous vous basez sur l'honneur de votre parole royale pour annuler un traité de paix solennel! Vous, vous êtes pénétré des intérêts de votre peuple, qui ne pouvait contenir sa joie lorsque vous signâtes la paix, et vous invoquez encore les intérêts de ce même peuple quand votre déclaration de guerre contriste toutes les classes pensantes, propriétaires et industrieuses de l'Angleterre! Vous parlez du désir d'arrêter les progrès d'un système qui peut devenir fatal à toutes les parties du monde civilisé; et pour mieux civiliser le monde, vous lui reportez toutes les calamités de la guerre!

Eh! de quel système voulez-vous parler? est-ce de ce système de puissance, de domination et d'accroissement dont vos ministres et vos orateurs ministériels ne cessent d'accuser la France, pour masquer aux autres nations la puissance colossale, l'insatiable ambition et l'accroissement perpétuel de l'Angleterre? Entendez-vous parler de l'énergie, de l'ambition et de la vaste politique du premier consul, que vos journalistes et vos diplomates ne cessent de calomnier auprès des autres gouvernemens. Que vos libellistes périodiques, oratoires ou diplomatiques dépriment tant qu'ils voudront une vie aussi glorieuse et un gouvernement aussi énergique; que, dans leur style injuste et contumélieux, ils appellent la dignité qu'il imprime au peuple français, orgueil; sa suite imperturbable dans le bien, opiniâtreté; son énergie profonde d'exécution, dureté; son désir prononcé de ne jamais laisser outrager la nation française, arrogance; ses vues pour la défense et la sûreté du midi de l'Europe, ambition: de pareilles censures ne prouveront jamais que le génie ne soit le génie; que vouloir la paix par tant de sacrifices ne soit l'amour inaltérable de l'humanité; que résister aux invasions et aux perfidies de l'Angleterre ne soit défendre son pays et maintenir l'Europe; mais elles prouveront seulement que les vues conciliatrices et paisibles de Bonaparte ont été également méconnues et calomniées dans le palais de Windsor et dans les salles de Westminster. Je m'arrête: il ne s'agit ici ni d'homme ni de quelques éloges, il s'agit de la paix du monde.

Mais à quel tribunal doivent se porter de telles questions? c'est à celui de l'Europe entière et de la postérité, que la république française citera l'Angleterre. Quelle importante cause que celle où les bienfaits de la paix et les calamités de la guerre sont mis en balance, où la violation des traités et des droits des peuples est mise en question par quelques passions honteuses; où l'on voit deux grands gouvernemens pour parties et le monde entier pour tribunal! De quel côté est donc l'esprit d'ambition, d'agrandissement, d'agression et de prééminence universelle?

La France possédait par ses armes toutes les contrées, depuis la mer du Nord jusqu'à la mer Adriatique, et depuis le Danube jusqu'au canal de Messine. Qu'a-t-elle fait pour la paix générale? Elle rend la Batavie à elle-même; elle restitue à la Suisse son indépendance avec ses anciennes constitutions; elle cède le pays vénitien à l'Autriche; des indemnités territoriales sont accordées aux électeurs du corps germanique; les îles vénitiennes régularisent la forme de leur gouvernement sous l'influence de la Russie et de la Porte; l'Italie voit s'établir les républiques lucquoise, italienne et ligurienne; les troupes françaises évacuent les états du pape et le royaume de Naples; l'Etrurie reçoit un roi; les troupes françaises, presque aux portes de Vienne, rentrent sur la rive gauche du Rhin; le Portugal est évacué et rendu à son indépendance. Ah! si la France avait eu des projets ambitieux et des vues d'agrandissement, n'aurait-elle pas conservé l'Italie toute entière sous son influence directe? n'aurait-elle pas étendu sa domination sur la Batavie, la Suisse et le Portugal? Au lieu de cet agrandissement facile, elle présente une sage limitation de son territoire et de sa puissance: elle subit la perte de l'immense territoire de Saint-Domingue, ainsi que des trésors et des armées destinés à la restauration de cette colonie... Elle fait tous les sacrifices pour obtenir la continuation de la paix.

L'Angleterre, au contraire, s'empare entièrement de l'île opulente de Ceylan et de toute la navigation du golfe du Bengale; elle acquiert l'importante possession de la Trinité; elle essaie, par un traité secret, avec les Mameloucks, d'envahir l'Egypte, en leur fournissant des armes et des munitions; elle ne quitte Alexandrie que long-temps après l'expiration des délais convenus, et parce que les ravages de la peste l'épouvantent. Elle viole le traité d'Amiens pour garder Malte, pour éloigner les corsaires barbaresques, pour faire le commerce exclusif de l'Adriatique, du Levant, des Dardanelles, et de la mer Noire, et pour défendre à toutes les nations la navigation de la Méditerranée; elle réunit tous ses efforts pour faire perdre Saint-Domingue à la France52 et pour l'empêcher de jouir de la Louisiane; elle excite les dissensions dans les cantons suisses et fournit des munitions et des armes à leur extermination civile; elle envoie des escadres dans les mers du Nord, devant le Texel et la Meuse, menaçant d'envahir la Batavie; elle convoite la Sicile, demande l'île de Lampedouse et occupe la Sardaigne. Les quatre parties du monde, les golfes, les caps, les détroits, des colonies opulentes, ne peuvent satisfaire sa cupidité politique et commerciale. Son avarice et son ambition sont enfin à découvert. Le masque tombe; l'Angleterre n'assigne plus que trente-six heures à la durée de la paix. Elle a spéculé la guerre soudaine pour saisir à la fois sur l'Océan les richesses long-temps déposées, que les colonies espagnoles, portugaises et bataves envoient enfin à leurs métropoles, ainsi que les vaisseaux de la république et les bâtimens de son commerce à peine régénéré. L'Angleterre, pour satisfaire quelques passions haineuses et trop puissantes, trouble la paix du monde, viole sans pudeur les droits des nations, foule aux pieds les traités les plus solennels, et fausse la foi jurée, cette foi antique, éternelle, que même les hordes sauvages connaissent, et qu'elles respectent religieusement.

Un seul obstacle l'arrête dans sa marche politique et dans sa course ambitieuse, c'est la France victorieuse, modérée et prospère; c'est son gouvernement énergique et éclairé; c'est son chef illustre et magnanime: voilà les objets de son envie délirante, de ses attaques réitérées, de sa haine implacable, de son intrigue diplomatique, de ses conjurations maritimes et de ses dénonciations officielles à son parlement et à ses sujets. Mais l'Europe observe; la France s'arme: l'histoire écrit: Rome abattit Carthage!

Footnote 52: (return) Selon le duc de Clarance (séance du 23 mai) c'est aux efforts de la Grande-Bretagne que la France doit attribuer la perte de Saint-Domingue.



Saint-Cloud, le 18 prairial an 11 (7 juin 1803).

Circulaire adressée aux cardinaux, archevêques et évêques de France.

Monsieur,

Les motifs de la présente guerre sont connus de toute l'Europe. La mauvaise foi du roi d'Angleterre qui a violé la sainteté des traités, en refusant de restituer Malte à l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem, qui a fait attaquer nos bâtimens de commerce sans déclaration préalable de guerre, la nécessité d'une juste défense, tout nous oblige de recourir aux armes. Je vous fais donc cette lettre pour vous dire que je souhaite que vous ordonniez des prières pour attirer la bénédiction du ciel sur nos entreprises. Les marques que j'ai reçues de votre zèle pour le service de l'état, m'assurent que vous vous conformerez avec plaisir à mes intentions.

BONAPARTE.




Paris, le 27 messidor an 11 (16 juillet 1803).

Note inscrite dans le Moniteur.

La mesure que vient de prendre le gouvernement anglais en bloquant l'embouchure de l'Elbe et celle du Weser, est un nouvel acte d'infraction aux droits des neutres et à la souveraineté de toutes les puissances.

La France, attaquée par l'Angleterre, acquit le droit de porter la guerre dans toutes les possessions britanniques et de s'emparer, comme elle l'avait fait dans les guerres antérieures, du Hanovre qui en fait partie. Mais elle n'a occupé les bords de l'Elbe que dans les pays dont cette conquête l'a mise en possession; elle a respecté la neutralité de Brême, d'Hambourg et des autres états du continent.

Quelle circonstance aurait donc autorisé le roi d'Angleterre à défendre aux puissances neutres la navigation de l'Elbe et du Weser; si le pavillon anglais ne peut paraître sur tous les points qu'une batterie française peut atteindre, du moins il ne doit pas empêcher les neutres de naviguer partout où les chances de la guerre ont conduit les armées françaises, et d'entretenir leurs communications entre eux. L'Elbe et le Weser baignent une grande étendue de territoires neutres; les rivières qui s'y jettent agrandissent encore les relations commerciales dont ils offrent le débouché: fermer l'entrée de ces fleuves, c'est intercepter les communications d'une grande partie du continent, c'est commettre un acte d'hostilité contre tous les pays auxquels cette navigation appartient.

L'Angleterre aurait dû déclarer plus franchement qu'elle ne veut souffrir aucune puissance neutre; mais les neutres souffriront-ils à leur tour que leur pavillon et leurs droits soient méprisés.

Si l'Angleterre a voulu punir l'Allemagne de n'avoir pas défendu et protégé le Hanovre, c'est sans doute comme prince de l'Empire qu'elle a cru avoir des droits à cette protection. Cependant comment oserait-elle réclamer une garantie des membres de l'Empire au moment où elle viole les droits de l'un d'entre eux? Le roi d'Angleterre, en la qualité de membre du corps germanique, avait consenti à des arrangemens, avait stipulé des indemnités en faveur de l'ordre de Malte, également considéré comme prince de l'Empire. A peine S. M. britannique avait solennellement signé ces dispositions, qu'elle attente à l'indépendance du territoire de l'ordre. Elle n'a pas le droit de former pour elle des réclamations qui seraient plus justement élevées contre elle.

Au reste, la mesure de fermer l'entrée des principaux fleuves de l'Allemagne est, comme toutes celles que l'Angleterre a prises depuis plusieurs mois, un acte d'aveuglement qui retombe sur elle-même. Elle rompt les liens de son commerce avec l'Allemagne, et se ferme les principales voies pour l'introduction de ses marchandises sur le continent. Elle en accoutume les peuples à se passer de son industrie; elle les oblige, pour en obtenir des articles équivalens, à s'adresser à la France, à qui, lorsque l'embouchure de l'Elbe est fermée, toutes les voies de terre restent ouvertes. La fureur et la passion sont de bien mauvais conseillers.

Les journalistes anglais annoncent, comme un fait d'armes dont ils tirent vanité, l'enlèvement de pêcheurs français; et cependant l'Angleterre agit encore ici contre elle-même. En dérobant la propriété aux malheureux habitans des côtes, et en privant les familles de leurs soutiens, elle met au désespoir cette population dont elle a détruit les ressources; elle l'excite à se porter avec plus d'ardeur à la défense de notre territoire et à venger la patrie. Elle allume le sentiment de la haine dans le coeur des hommes qui, par l'obscurité et la tranquillité de leur vie, semblaient y être le moins accessibles.

Ainsi, une mauvaise action entraîne toujours de funestes résultats; ce qui est injuste n'est jamais profitable et ne peut que soulever l'opinion.

Il est dans la nature de l'homme de refuser son intérêt et ses voeux aux entreprises évidemment contraires et à la bonne foi et à l'équité; et quelles que soient les préventions, il finit toujours par être entraîné vers la cause la plus juste, Eh! quel serait le sort de l'Europe s'il n'y a aucune puissance disposée à contenir l'ambition d'un état, qui ne compte pour rien les traités et la justice!

Le ministère anglais suit au surplus la pente où l'entraîne son caractère bien connu de l'Europe entière. Les hommes faibles ne peuvent obéir à la raison; abandonnés à leurs passions, ils se trouvent sans cesse hors de mesure. Une conduite modérée atteste la vigueur d'un jugement sain. L'injustice et la violence proviennent d'une véritable faiblesse, comme le transport est l'effet naturel de l'état de maladie. Comment les lumières de la raison pourraient-elles briller au milieu des illusions du délire? Ne dit-on pas chaque jour au peuple anglais que la France est en proie à tous les désordres, et toujours déchirée par les factions; que le gouvernement est sans force, l'esprit public sans énergie? Peut-être en parlant contre l'évidence, les ministres de S. M. britannique ne parlent pas plus contre leur conscience, qu'un malade dans le délire, lorsqu'il montre à ceux qui l'environnent les fantômes que son imagination a créés.

Malheur au peuple conduit par des hommes faibles et sans plan! Malheur aussi à l'Europe si ces hommes disposent de ce qui reste encore de puissance et de la prospérité d'un grand peuple!

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