Œuvres de Napoléon Bonaparte, Tome III.
Paris, le 12 thermidor an 11 (31 juillet 1803).
Notes insérées dans le Moniteur.
53Non, M. Windham, non, nous châtierons une centaine de familles d'oligarques, dont les conseils et l'influence pèsent trop sur leur gouvernement, et qui sont chargées de tout le sang qui a été versé en Europe pendant ces dernières années. Nous ferons jouir le peuple anglais de tous les bienfaits de l'égalité, et nous établirons une alliance permanente qui assure le repos de l'Europe, la civilisation des deux nations et l'amélioration de l'espèce humaine.
54Lord Hawkesbury, dans la dernière guerre, voulait marcher sur Paris: aujourd'hui il admet la possibilité que nous arrivions jusqu'à Londres: voilà un changement assez notable; ministre enfant, inconsidéré, coupable: comment si, sur quatre chances, vous admettez qu'il y en ait une qui permette aux Français de porter la guerre au milieu de vos foyers, pouvez-vous conseiller de faire la guerre? Malte qui, quoi que vous en disiez, est le seul et véritable objet de la guerre, vaut-elle que dès le premier moment de cette guerre vous établissiez une imposition extraordinaire de deux années de revenu; que vous proclamiez la banqueroute, en mettant à contribution la dette publique; que vous proposiez une levée en masse, depuis dix-sept jusqu'à cinquante-cinq ans; que vous livriez un état commerçant, fondé sur le crédit et l'ordre, aux appréhensions, aux chances d'une guerre corps à corps et d'une invasion? Savez-vous ce que c'est qu'une levée en masse? Croyez-vous que la multitude ne soit pas la même dans tous les pays et dans tous les temps?
Footnote 53: (return) M. Windham, dans la chambre des communes, prétendait que les Français voulaient anéantir l'Angleterre.
Footnote 54: (return) Fussent-ils maîtres de Londres (les Français), disait lord Hawkesbury, les Anglais ne se tiendraient pas pour battus.
Croyez-vous qu'il y ait aujourd'hui sur le continent un homme de bon sens, qui, envisageant les conséquences de vos mesures, vous accorde du crédit et vous ouvre sa bourse? Les levées en masse furent toujours les précurseurs et le foyer des désordres civils. Vous auriez pu vous justifier d'avoir placé votre nation dans cette position violente, si ce que vous avez dit dans votre premier message avait été vrai, et que vous eussiez vu un armement formidable prêt à vous envahir, votre conduite aurait en effet mérité des éloges des Anglais, et l'intérêt de l'Europe, si la France, se refusant à l'exécution des traités, avait voulu forcer votre nation à souscrire entre le déshonneur de cette violation, et une lutte dont les conséquences ne peuvent être calculées. Mais quelles doivent être les réflexions des hommes sensés, lorsqu'ils voient que c'est la France seule qui s'est trouvée dans cette situation forcée?
On peut appliquer à vos conseils ce que l'écriture a dit des conseils du roi de Babylonne lorsque Cyrus était à ses portes: «L'esprit du Seigneur les a abandonnés, et l'esprit de vertige s'est emparé de leurs conseils et de ceux de tous les citoyens».
55Quand avez-vous pu compter sur les efforts du continent, que vous avez outragé en l'obligeant à ployer momentanément sous votre nouveau code maritime, fondé sur les mêmes principes et les mêmes raisonnemens que celui d'Alger et de Tunis? comment vous flatter de l'appui des puissances continentales, lorsque vous n'y avez recouru qu'au moment des déclarations de guerre, et qu'à l'époque des ouvertures de paix, vous faites cause à part? et comment pouvez-vous compter sur le continent, lorsque vous avez outragé la Prusse, l'Autriche et la Russie, en leur demandant vous-mêmes la garantie de l'indépendance de Malte, et qu'ensuite vous refusez d'évacuer cette île? Entraînés par l'esprit de pillage et de rapine, vous ne vous donnez pas le temps de discuter; préoccupés d'une seule pensée, vous craignez que quelques millions qui sont sur les mers ne rentrent dans les ports d'Europe; mais le temps de vos pirateries est fini. Vous avez enlevé quarante millions à la France, autant à la Hollande; le crime porte sa punition, et déjà les principes violateurs de votre mauvaise foi se sont introduits jusque dans le système de vos finances, qui pouvait se soutenir encore par le plus grand respect pour vos créanciers, et vous les avez arbitrairement imposés. Il faut que vos marchands, au lieu de l'aune et de la pipe, prennent les armes et aillent pirouetter en sentinelles toutes les nuits le long de vos plages.
Footnote 55: (return) M. Pitt prétendait que toute l'Europe allait s'armer pour l'Angleterre.
Il faut que chaque citoyen paie au trésor public, dans une année, le revenu de deux années, et vous n'en êtes cependant qu'aux trois premiers mois d'une guerre qui dans ses commencemens, est constamment avantageuse à votre marine. Malheur au peuple dont les gouvernans sont assez faibles pour ne se déterminer que par des sentimens d'orgueil et de boursouflure! La sagesse, la raison et les calculs, voilà la seule garantie de la prospérité des nations.
Et pourquoi êtes-vous menacés d'une invasion? c'est parce que vous voulez interdire à la France son commerce et l'empêcher de rétablir ses manufactures, et de vivre au sein de la paix. Vous la déshonorez en voulant qu'elle consente à ce que vous puissiez exécuter ou non les traités que vous faites avec elle; vous êtes menacés d'une invasion, et vous déclarez la guerre sans la faire précéder par des discussions et par des négociations requises en pareilles circonstances. A peine avez-vous donné sept jours, puis trente-six heures, pour répondre à vos impérieux ultimatum! Et pourquoi vous jetez-vous à la guerre avec tant de précipitation, avec tant d'inconsidération? Parce que quelques vaisseaux appartenant à de paisibles marchands peuvent rentrer. Misérables pirates! vous paierez cher les millions que vous avez pillés à de pauvres pêcheurs hollandais, et à des spéculateurs paisibles!
Et vous M. Fox56, vous qui êtes-le premier dans le petit nombre des hommes qui ont jusqu'ici échappé à l'esprit de vertige, et qui, vous plaçant hors de l'atmosphère des passions et de ce nuage errant et furibond que quelques insensés font planer sur votre pays, avez vu d'un coup d'oeil les causes et les suites de la guerre, pourquoi n'avez-vous pas dit avec énergie à votre nation: «Vous pouvez faire la paix, vous le pouvez à des conditions honorables. La raison de nos dissentimens est l'inexécution d'un traité; il faut l'exécuter; il faut sacrifier l'honneur à la patrie et au bien du peuple; il faut exécuter fidèlement les engagemens pris à Amiens». Doué de plus de talens que la plupart de tous vos contemporains, vous avez assez de perspicacité pour saisir tant de funestes résultats, mais pas assez de courage pour vous exposer à l'indignation des hommes passionnés et pour crier sans relâche: «l'univers veut la paix; le traité d'Amiens l'a rétablie: qu'il soit exécuté». Ils vous déchireraient dans leur fureur, sans doute; mais qu'importe? La postérité dans cette affaire-ci est bien près de nous.
Footnote 56: (return) M. Fox dit qu'il avait toujours été partisan de la paix, mais que du moment où l'Angleterre était menacée d'une invasion, il devait se rendre à son poste.
57Ce nouveau message ne dit rien de nouveau: aurait-il pour objet d'ordonner aux membres de la chambre d'être d'accord sur les mesures de finances mal conçues et mal dirigées que le ministère a proposées. Si l'on s'en tient à ses propres expressions, on voit: 1°. qu'il invite la chambre à arrêter les dispositions nécessaires pour faire face aux dépenses extraordinaires de l'année; mais c'est l'échiquier qui a présenté toutes les mesures qui ont été adoptées jusqu'à présent; S. M. veut-elle les annuler et investir la chambre des communes des pouvoirs de l'échiquier? 2°. Le message invite la chambre a prendre toutes les mesures que l'urgence des circonstances peut demander. Si le roi donne à la chambre des communes l'initiative sur les mesures que l'urgence des circonstances peut commander, il faut nous attendre à lire de belles extravagances. Tout ce qui vient aujourd'hui du parlement anglais porte un caractère d'irréflexion qui frappe même les hommes les moins attentifs.
Footnote 57: (return) Georges venait d'adresser a la chambre des communes un message, où il réclamait une levée extraordinaire d'argent.
58 Des souscriptions!... Mais que peut donner une nation qu'on impose à cinq pour cent de ses propriétés, ou à deux années de son revenu? Si le gouvernement français avait pris de telles mesures, elles auraient produit une augmentation de 2,100,000,000.
Footnote 58: (return) Le Times annonçait des souscriptions de toutes parts pour la guerre.
59 Message, en vérité, de nature à exciter une grande curiosité! et que nous ne pouvons nous empêcher de recommander à la méditation de tous les souverains du continent. Après la paix d'Amiens, lorsque le prince d'Orange se trouvait dans une situation tout-à-fait pénible, Le ministère lui refusa tout ce que ce prince était en droit de lui demander. Pendant les deux années de paix qui suivirent, on lui répondit sans cesse qu'on ne pouvait ni devait rien lui donner. La guerre se déclare, et un message sollicite en sa faveur la générosité nationale. Espérons que bientôt un autre message invitera la chambre à payer les dettes de la nation à l'égard du roi de l'île de Sardaigne, en s'acquittant avec ce prince des subsides qui lui sont encore dus.
Footnote 59: (return) Autre message du roi d'Angleterre où Georges cherchait à apitoyer la nation sur le sort de la maison d'Orange.
60Ces prisonniers dont on a tant parlé sont une jeune demoiselle de quatorze ans et un enfant de douze ans, partis de la Martinique, où ils sont nés, pour venir achever leur éducation en France. Tels sont les personnages dangereux qu'il faut soigneusement garder, et que S. M. britannique confie à la fidélité du capitaine Thesiger. On leur permet de se promener dans un bourg et de se procurer eux-mêmes ce qui leur est nécessaire. Comparez cette manière de traiter deux enfans à l'entière liberté dont jouissent à Paris et dans les villes de la France les prisonniers de guerre anglais. Avec son système de finance qui se détériore; avec le rang élevé dont elle tombe, la nation anglaise perd encore les qualités sociales qui l'avaient long-temps distinguée.
Footnote 60: (return) Cette note s'explique sans commentaires.
Paris, le 30 thermidor an 11 (18 août 1803).
Aux citoyens landamman et membres de la diète générale de la Suisse.
Citoyens landamman et membres de la diète générale de la Suisse, vous me rappelez l'un des plus heureux momens de ma vie, lorsque vous m'écrivez que l'acte de médiation vous a épargné la guerre civile.
C'est dans cette vue que j'avais déféré au voeu de la Suisse entière, et que j'étais intervenu dans ses dissensions.
L'expérience a servi de guide pour la base de vos institutions actuelles; elle peut en servir pour la continuation des rapports qui subsistèrent constamment entre la France et votre pays.
Ces rapports sont fondés sur des senti mens d'affection et d'estime, dont j'aimerai toujours à donner des témoignages à votre nation.
BONAPARTE.
Paris, le 30 thermidor an 11 (18 avril 1803).
Aux citoyens membres du grand-conseil du canton de Vaud.
Citoyens membres du grand-conseil du canton de Vaud, j'ai lu avec sensibilité le décret du 14 avril, par lequel vous m'exprimez votre reconnaissance.
Lorsque j'ai accepté d'être votre médiateur, mon but a été de rapprocher les esprits, et de prévenir le retour des anciennes divisions. Je vois avec satisfaction que ce but est rempli.
Votre bonheur ne peut, dans aucun temps, m'être étranger. Des rapports intimes de voisinage, de langue, de moeurs, vous unissent à la France; et je prendrai toujours un vif intérêt au maintien de votre tranquillité et des avantages que l'acte de médiation vous a rendus.
BONAPARTE.
Paris, le 30 vendémiaire an 12 (13 octobre 1803).
Note inscrite dans le Moniteur, en réponse à un article du journal anglais le Morning-Post, qui finissait ainsi: «Le premier consul demandera la paix lorsqu'il verra que tout l'avantage sera de notre côté et toute l'humiliation du sien.»
Vous aviez en Europe la réputation d'une nation sage, mais vous avez bien dégénéré de vos pères. Tous vos discours inspirent sur le continent le mépris de la pitié. Voltaire dit quelque part: quand Auguste buvait, la Pologne était ivre. L'état de maladie de votre roi s'est communiqué à votre nation; jamais peuple n'a été entraîné si promptement par un esprit de vertige qui se manifeste chez les peuples quand Dieu le permet.
Vous faites la guerre pour garder Malte, et alarmés dès les six premiers mois sur votre position, vous croyez une levée en masse nécessaire à votre sûreté!!! Les peines, les angoisses, les périls, attachés aux mouvemens tumultueux et populaires, voilà déjà le châtiment terrible et juste de votre déloyauté.
Ce même esprit de vertige vous fit répondre avec insolence au roi de Prusse, lorsqu'il vous proposa de garantir le Hanovre, si vous vouliez reconnaître l'indépendance de son pavillon, et vous conduisit à une levée en masse dans le Hanovre. Lorsque depuis on vous proposa la convention de Salhingen, le même esprit dicta votre refus, et par là le roi d'Angleterre manqua à ses devoirs les plus sacrés, mérita la haine, de ses peuples de l'Elbe et donna lieu au gouvernement français de désarmer vingt mille hommes et d'occuper celles des provinces du Hanovre qui lui étaient encore restées.
Lorsque vous vîtes le résultat de cette conduite inconsidérée, impolitique, immorale, vous eûtes recours à une mesure moins réfléchie encore; vous déclarâtes en état de blocus l'Elbe et le Weser. Par là, vous fîtes outrage, vous fîtes tort au Danemarck, à la Prusse, à Hambourg, à Brème, qui, riverains de ce fleuve, n'avaient cependant rien de commun avec l'occupation du Hanovre.
Cette conduite était peu sage; mais ce qui la constitue inconcevable, c'est que, bloquant l'Elbe et le Weser, vous exécutâtes précisément ce que les Français désiraient. Il n'est pas un négociant, pas un teneur de livres de Londres qui n'ait calculé le dommage que vous vous êtes fait à vous-mêmes.
Le Weser et l'Elbe demeurant libres, vous auriez introduit vos marchandises au moyen des navires prussiens, danois, brémois, etc.; et vos manufactures et votre commerce ne se fussent pas ressenti de l'occupation du Hanovre. Ainsi, en déclarant le blocus de l'Elbe et du Weser, vous avez exécuté, non-seulement la chose la plus injuste qui ait été faite depuis les Carthaginois, qui, à leur gré, prohibaient le commerce des différentes régions, mais la chose la plus contraire à vos intérêts.
Certainement cette conduite n'a pas été inspirée par l'esprit de calcul et de prudence qui seul vous dirigeait jadis, mais bien par cet esprit de vertige qui plane sur vous et qui règne dans vos conseils.
Enfin, pour prouver à la France que vous devez garder Malte, vous la menacez d'une levée en masse, la plus funeste des extrémités auxquelles puisse être réduite une nation après avoir essuyé de grands malheurs. Vienne ne fit une levée en masse que lorsque les armées françaises furent à ses portes. Vous nous menacez de M. Pitt, de lord Withwort, que vous faites colonels, et votre roi exerce à cheval sa troupe, afin de lui communiquer cette ardeur guerrière et cette expérience qu'il a acquises dans tant de combats!!! Ces caricatures misérables font rire de pitié l'Europe, et l'on cherche en vain l'esprit de cette vieille Angleterre, si sûre dans ses conseils, si sensée et si constante dans ses entreprises. La politique de vos précédens ministres vous a séparés de tous vos alliés, était-ce le temps de vous montrer injustes, oppresseurs, violateurs des traités? Etait-ce le temps de vouloir, par la force, réunir au commerce exclusif de l'Océan celui de la Méditerranée, auquel vos ancêtres plus sages avaient eu le bon esprit de renoncer? Et lorsque vous avez des projets aussi ambitieux qu'ils sont mal calculés, vous vous aliénez la plus belle et la plus considérable de vos provinces. Vous avez réuni son parlement à votre parlement, et vous refusez à l'Irlande l'exercice de sa religion! Vous savez pourtant bien que la chose la plus sacrée parmi les hommes, c'est la conscience, et que l'homme a une voix secrète qui lui crie que rien sur la terre ne peut l'obliger à croire ce qu'il ne croit pas. La plus horrible de toutes les tyrannies est celle qui oblige les dix-huit vingtièmes d'une nation à embrasser une religion contraire à leur croyance, sous peine de ne pouvoir ni exercer les droits de citoyens, ni posséder aucun bien, ce qui est la même chose que de n'avoir plus de patrie sur la terre.
Ainsi donc vous voulez réunir l'Irlande, et vous ne voulez pas que les Irlandais aient une patrie! Inconcevable contradiction, que l'Europe ne peut expliquer qu'en l'attribuant à l'esprit d'absence et d'imprévoyance qui caractérise vos conseils. Vous êtes peut-être aujourd'hui la seule nation éclairée chez qui la tolérance ne soit pas établie. Vous voulez et vous ne voulez pas; et s'il était vrai que les Pitt et les Grenville eussent quitté le ministère parce que le roi avait manqué de parole à l'égard des Irlandais, après leur avoir promis la liberté de leur religion, il faudrait le dire: ils étaient dépourvus de toute pudeur, ces hommes qui ont brigué la honte de leur succéder aux conditions imposées par un prince malade, sans foi, et qui, dans le siècle où nous sommes, a rétabli les lois des Néron et des Domitien, et persécuté comme eux l'église catholique. Ils n'ont pas trouvé cet exemple dans votre histoire; vos pères avaient plus de vertus, plus de respect national.
Quel est donc le sort que le destin vous a préparé? il échappe aux calculs de toute intelligence humaine.
Cependant serait-il présomptueux de dire que le prince, dont l'entêtement et le délire vous a fait perdre l'Amérique et vient de vous faire perdre le Hanovre, pourra vous faire perdre l'Irlande, si, pour votre punition, Dieu le conserve encore quelque temps sur son trône? Le ciel ne donne aux nations des princes vicieux ou aliénés que pour châtier et abaisser leur orgueil.
Paris, le 17 brumaire an 12 (9 novembre 1803).
Notes inscrites dans le Moniteur.
L'Angleterre n'a point de fusils61. Qui croirait qu'après avoir déclaré la guerre, provoqué l'arrivée d'une armée française dans son sein, l'Angleterre manque d'armes pour ses défenseurs? elle a recours à des piques et à des coutelas. Elle a déjà consommé les cinquante mille fusils qu'elle avait en réserve dans la tour de Londres, et l'on sait que dans les levées en masse et les mouvemens tumultueux, il faut compter les fusils par millions. Ses agens ont parcouru le nord de l'Allemagne, ils se sont présentés à Berlin, à Hesse-Cassel, Brunswick, etc., pour avoir des fusils; ils en ont offert le double et le triple de leur valeur, et ils n'ont pu s'en procurer. Ainsi donc M. Addington arme son régiment avec des piques! Peut-il y avoir une plus grande preuve de l'esprit de démence qui s'est emparé des conseils de cette nation...
Footnote 61: (return) Le Merchant, journal anglais, annonçait qu'à défaut de fusils, les braves Bretons allaient se servir de piques.
Pourquoi sommes-nous en guerre62? Parce que le peuple anglais n'a, pour diriger ses affaires, qu'un roi fou, qu'un premier ministre qui a le caractère et l'incertitude d'une vieille gouvernante; un ministre des affaires étrangères, jeune homme inconsidéré qui, dans la première coalition, voulait arriver a Paris en douze jours, et dont les calculs politiques se ressentent de cette extrême inconsidération.
Footnote 62: (return) Titre d'une brochure anglaise qui venait de paraître à Londres.
La paix d'Amiens était honorable a l'Angleterre; elle eût été solide, puisque l'Angleterre était la seule des puissances coalisées qui, au lieu de perdre, avait accru et consolidé ses domaines de l'Orient et de l'Occident par des acquisitions de la plus grande importance. Mais des ministres incapables ne surent la défendre ni par la force des discours, ni par des mesures sensées. Ils voulaient que la France leur fût en tout favorable, et ils continuèrent à laisser solder sous leurs yeux des hommes qui, sans cesse, méditaient l'assassinat du premier magistrat de France. Ils voulaient, après tant d'orages, et de malheurs, fonder la paix des deux nations, et ils n'avaient pas une voie, pas un moyen pour s'opposer au torrent d'injures et de calomnies sans exemple, que les différens partis, pour les embarrasser sans doute, s'étudiaient à vomir contre le gouvernement français.
Ils voulaient diminuer la prévention et l'aigreur naturelle après la guerre acharnée qui avait eu lieu entre les deux états, et l'esprit de méfiance qui avait existé entre les deux gouvernemens; et eux-mêmes ne cessaient de déclarer qu'il fallait un état de paix considérable, qu'il fallait rester sur ses gardes, non qu'ils le pensassent véritablement, mais pour complaire, par un excès de faiblesse, aux ennemis de leur autorité dans le parlement, sans prévoir que nécessairement le gouvernement français devait non-seulement en dire mais en faire autant. Enfin, nous avons la guerre parce que l'Angleterre est sans roi, que ses conseils et son parlement sont divisés par des factions acharnées et puissantes, et que le ministère qui dirige les affaires est sans puissance d'opinion ou de talent. Les événemens actuels ont prouvé qu'une nation étrangère ne pourrait traiter avec l'Angleterre que quand elle aurait un roi capable d'une volonté, ou un ministère fort et puissant, capable d'éclairer la nation, de justifier de ce qu'il a fait. Faite par Grenville et l'ancien ministère, la paix eût été solide; elle l'eût été sous le règne du prince de Galles, ou sous le ministère d'hommes forts en talens et en raisonnemens, tels que les membres de l'opposition.
Quelques personnes ont essayé de comparer la levée en masse des propriétaires de Londres et de quelques autres comtés, avec la levée en masse du peuple français de 1789. Les hommes que l'inquiétude du gouvernement britannique exporte journellement de son territoire, et les voyageurs impartiaux, ne trouvent guère de ressemblance que dans l'expression. Celui qui, en 1790, parcourait nos populeux départemens, rencontrait partout, non pas quelques corps et métiers ralliés sous des bannières de confrérie, mais les villes entières levées au signal de la patrie menacée, et faisant retentir les airs de chants civiques et d'hymnes à la liberté. L'homme que son zèle et quelquefois sa modestie même plaçait dans les rangs où l'âge, le talent et le mérite se plaisaient à se confondre, savait bien que ce n'était pas pour défendre la vaisselle plate de son capitaine, qu'il abandonnait sa femme et ses enfans, allait exposer sa vie et verser son sang: un autre motif l'appelait aux armes, le besoin de sortir du néant, dans lequel était plongée la France entière, et de disputer à d'insolens et privilégiés héréditaires la considération qui appartenait au mérite seul: voilà tout ce qui avait soulevé une grande nation, voila ce qui a recruté pendant long-temps une armée qui, d'abord de 1,200,000, s'est constamment et facilement maintenue à la hauteur des dangers et des besoins de la patrie.
Pour enflammer les soldats de la liberté on n'avait pas recours à de sottes et lâches caricatures contre les ennemis de leur pays; il suffisait de leur dire que la révolution qui en faisait des hommes libres, était menacée par une ambition impie, et l'on n'était pas réduit d'invoquer leur pitié en faveur d'un ordre de choses qui ne garantit à la majorité que sa misère et son opprobre. Aussi la France était la terre de Cadmus, hérissée de piques et couverte de défenseurs. Le soin qu'on a pris en Angleterre de parodier notre levée en masse, n'a servi qu'à prouver la pauvreté des moyens dont on dispose. Une fanfaronnade du gouvernement anglais a fait défendre de recevoir des nouveaux volontaires qui se présentaient en foule, mais pour apprécier cette mesure il faut en connaître les motifs.
La vérité est que le gouvernement, beaucoup plus effrayé que flatté de l'empressement de ceux qui demandaient à être armés, n'a pas trouvé d'autres moyens d'arrêter leur zèle plus que suspect; en outre demander à être volontaire, était un moyen d'éviter d'être enrôlé, et il est aujourd'hui reconnu que beaucoup de volontaires n'ont pas eu d'autre vocation. Tout cet héroïsme a empêché la faible armée anglaise de se compléter, et il lui manque encore plus de dix mille hommes, malgré la ferveur avec laquelle les recruteurs anglais expédient à leurs commettans l'écume du Holstein et de la Haute-Saxe pour aller défendre les intérêts et la gloire de John Bull ou de sa patrie.
Nous ne dissimulerons pas que le désir de conserver de grands et lourds privilèges ne soit capable de quelque énergie passagère; nous conviendrons, si l'on veut, que les courtauts de Westminster ont assez bonne mine sous leur uniforme rouge; mais si les légions de César ajustent aux visages, gare que cette belle troupe ne s'occupe bientôt de pourvoir à sa sûreté individuelle.
Boulogne, le 24 brumaire an 12 (16 novembre 1803).
Ordre du jour.
Le premier consul est satisfait de l'armée de terre du camp de Saint Omer, et des divisions de la flottille réunies à Boulogne. Il charge l'amiral et le général en chef de faire connaître aux soldats et matelots que leur conduite justifie l'opinion qu'a d'eux le premier consul.
BONAPARTE.
Paris, le 8 frimaire an 12 (1er décembre 1803).
Note inscrite dans le Moniteur en réponse à un message du roi d'Angleterre au parlement, où Georges assurait que la France voulait sérieusement détruire la constitution, la religion et l'indépendance de la nation anglaise; mais qu'au moyen des mesures qu'il allait prendre, cette même France ne retirerait de son projet que la défaite, la confusion et le malheur.
Est-ce bien le roi d'Angleterre, le chef d'une nation maîtresse des mers et souveraine de l'Inde qui tient ce langage? Quoi, nous sommes à peine au sixième mois depuis ce jour où la discorde apparut à votre roi, et épaissit sur ses yeux les ténèbres de l'intrigue et de la basse ambition, et lui montra les ports de France et de Hollande remplis de flottes et d'armées qui méditaient l'invasion de l'Angleterre, depuis ce jour où votre prince, encore abusé par ces perfides illusions, vint au milieu de vous, et dans son effroi, convainquit l'Europe et la France de l'égarement de ses conseils; et déjà nous l'entendons parler de marcher avec son peuple pour la défense de la religion, de vos lois, de votre indépendance. Qui vous a donc réduits à cette extrémité? Si vous aviez perdu les batailles de la Trébie, de Trasimène, de Cannes, tiendriez-vous un autre langage. Cependant la lutte est à peine commencée; vous n'avez essuyé aucun revers, même tout vous a prospéré! et l'alarme est dans vos villes, et vos conseils ont besoin de se rassurer à la voix d'un chef qui déclare qu'il veut périr en marchant à la tête de son peuple! Ceux qui lui dictent ces discours inconsidérés ignorent-ils donc que Harold-le-parjure se mit aussi à la tête de son peuple! Ignorent-ils que les prestiges de la naissance, les attributs du pouvoir souverain, le manteau de pourpre qui couvre les rois sont de fragiles boucliers dans ces momens où la mort, se promenant à travers les rangs de l'une et de l'autre armée, attend le coup d'oeil du génie et un mouvement inattendu, pour choisir le parti qui doit lui fournir ses victimes. Le jour d'une bataille tous les hommes sont égaux.
L'habitude des combats, la supériorité de la tactique, et le sang-froid du commandement font seuls les vainqueurs ou les vaincus. Un roi qui, à soixante-trois ans, se mettrait pour la première fois à la tête de ses troupes, serait, dans un jour de combat, un embarras de plus pour les siens, une nouvelle chance de succès pour les ennemis.
Le roi d'Angleterre parle de l'honneur de sa couronne, du maintien de la constitution, de la religion, des lois, de l'indépendance. La jouissance de tous ces biens précieux n'était-elle pas assurée par le traité d'Amiens? On dirait, en lisant ce discours, que ce n'est pas l'ambassadeur d'Angleterre qui a eu la honteuse insolence de donner trente-six heures pour se décider à la guerre, et qu'au contraire l'ambassadeur de France a exigé à Londres que dans trente-six heures on changeât la religion, on abolît la constitution, on déshonorât l'Angleterre. Votre religion, votre constitution, votre honneur ne pouvaient-ils donc exister sans l'ultimatum de lord Whitworth? Qu'a donc de commun le rocher de Malte et l'île de Lampedouse avec votre religion, vos lois et votre indépendance?
Il n'appartient pas à la prudence humaine de connaître ce que la Providence a arrêté dans sa profonde sagesse pour servir à la punition du parjure et au châtiment de ceux qui soufflent la division, provoquent la guerre, et pour les vains prétextes ou les secrètes raisons d'une ambition misérable, prodiguent sans ménagement le sang des hommes; mais nous pouvons présager avec assurance l'issue de cette importante contestation, et dire que vous n'aurez pas Malte, que vous n'aurez point Lampedouse, et que vous signerez un traité moins avantageux que celui d'Amiens.
La défaite, la confusion et le malheur! Si le roi est si sûr de son fait, que n'ordonne-t-il à ses flottes, à ses croisières de nous laisser pendant quelques jours un libre passage? Nous verrons bientôt si le résultat serait pour les Français, la défaite, la confusion et le malheur. Toutes ses rodomontades sont indignes à la fois d'un grand peuple et d'un homme dans son bon sens. Le roi d'Angleterre eût-il remporté autant de victoires qu'Alexandre, Annibal ou César; ce langage ne serait pas moins insensé. Le destin de la guerre et le sort des batailles tiennent à si peu de choses? La fortune est si souvent inconstante et aveugle qu'il faut être dépourvu de toute raison pour affirmer que l'armée française qui, jusqu'à ce jour, n'a point passé pour lâche, ne trouverait sur le sol de la Grande-Bretagne que défaite, confusion et malheur.
Quant aux menaces présomptueuses dont le roi d'Angleterre accuse ses ennemis, les ministres seraient embarrassés, sans doute, de les citer. Dans quel temps le premier consul, qui, seul, a la direction de toutes les dispositions militaires, a-t-il dit qu'il voulait envoyer une armée en Angleterre? Il a dit jusqu'à présent, on campera au Texel, à Ostende, à Saint-Omer, à Brest, à Bayonne, et l'armée y a campé. Ne peut-on donc, lorsqu'on est en guerre, réunir des troupes dans des camps, sans exécuter des menaces présomptueuses?
Vous convenez que l'armée française peut pénétrer au sein de l'Angleterre; vous offrez, dans cette supposition, votre tête et votre bras à votre peuple pour sa défense, et vous assurez, d'un ton prophétique, que le résultat sera, pour l'armée française, la défaite, la confusion et le malheur.... Soit, mais qu'y gagnerez-vous? L'avantage que nous en retirerons sera, dites-vous, la gloire de surmonter les difficultés actuelles: il était bien-plus simple de ne pas faire naître ces difficultés.—De repousser un danger immédiat: il était bien plus sûr de ne pas vous exposer à ce danger.—D'établir la sûreté et l'indépendance du royaume sur la base de sa force reconnue: mais le traité d'Amiens avait établi la sûreté et l'indépendance du royaume de la Grande-Bretagne.—Résultant de l'épreuve de ses ressources et de son énergie, eh! qui doute que votre peuple, qui règne sur les deux mondes, ne soit riche, brave et plein d'énergie?
Certes, ces expressions, l'épreuve de ses propres ressources et de son énergie, doivent retentir dans toute l'Europe: ainsi vous vous battez pour montrer que vous pouvez vous battre; vous accablez vos peuples pour faire connaître que vous êtes riches; vous produisez le malheur des générations actuelles pour constater cette énergie que personne n'avait envie de vous contester. L'Europe jugera si de pareils sentimens sont le résultat de la grandeur ou de la faiblesse de l'âme, de la sagesse ou de la folie.
Mais si nous admettons que, d'après l'inconstance de la fortune et les vicissitudes de la guerre, l'armée française pût trouver au sein de la Grande-Bretagne la défaite et le malheur, admettez à votre tour qu'une armée de vétérans, dont chaque soldat a affronté la mort dans tant de batailles, et que conduisent des hommes à qui l'Europe accorde quelqu'estime, peut, soit par son courage, soit par quelques manoeuvres, porter au milieu de vous le malheur, la confusion et la défaite, quel avantage en résultera pour la France? ce ne sera pas de surmonter les difficultés actuelles: il n'en existe aucune pour elle; de repousser un danger immédiat: il n'est dans cette lutte, aucun danger immédiat pour elle; d'établir la sûreté et l'indépendance de l'état sur la base de sa force reconnue, résultant de l'épreuve de ses propres ressources et de son énergie: sa sûreté, son indépendance, sa force, ses propres ressources et son énergie, sont comme l'éclat du soleil: il n'est besoin d'aucune preuve pour les constater.
Le résultat serait pour elle de vous arracher ce trident, acquis par cinquante années de bonheur, par les vertus de vos pères, et conservé par la duplicité de votre cabinet; de venger cette Hibernie infortunée, de la restituer aux nations, et de faire luire sur cette terre, arrosée de sang et de larmes, des jours sereins et prospères... ce serait...
Enfin, l'Europe attentive à la lecture de ce discours, sera frappée d'un seul sentiment. Quoi! les ministres de la Grande-Bretagne sont assez insensés pour mettre dans la bouche de leur roi, et pour proclamer, dans un jour solennel, que du sort d'une bataille dépendent les destinées de ce colosse qui pèse sur les deux mondes?
Si du sort d'une bataille avait dépendu celui d'un seul des nouveaux départemens acquis par la France, nous sommes assurés qu'elle eût fait la paix, qu'elle n'eût pas repoussé vos injustes prétentions, qu'elle eût cédé Malte. Cette conduite aurait été conforme aux devoirs imposés à tous les hommes, chefs ou ministres, dont les volontés influent sur le sort des nations.
Paris, le 25 nivose an 12 (16 janvier 1804).
Au corps législatif.
EXPOSÉ DE LA SITUATION DE LA RÉPUBLIQUE.
La république a été forcée de changer d'attitude, mais elle n'a point changé de situation; elle conserve toujours, dans le sentiment de sa force, le gage de sa prospérité. Tout était calme dans l'intérieur de la France, lorsqu'au commencement de l'année dernière, nous entretenions encore l'espoir d'une paix durable. Tout est resté calme depuis qu'une puissance jalouse a rallumé les torches de la guerre; mais sous cette dernière époque, l'union des intérêts et des sentimens s'est montrée plus pleine et plus entière; l'esprit public s'est développé avec plus d'énergie.
Dans les nouveaux départemens que le premier consul a parcourus64, il a entendu, comme dans les anciens, les accens d'une indignation vraiment française; il a reconnu, dans leur haine contre un gouvernement ennemi de notre prospérité, mieux encore que dans les élans de la joie publique et d'une affection personnelle, leur attachement à la patrie, leur dévouement à sa destinée.
Footnote 64: (return) Ceux de la Belgique.
Dans tous les départemens, les ministres du culte ont usé de l'influence de la religion pour consacrer ce mouvement spontané des esprits. Des dépôts d'armes que des rebelles fugitifs avaient confiés à la terre, pour les reprendre dans un avenir que leur forgeait une coupable prévoyance, ont été révélés au premier signal du danger, et livrés aux magistrats pour en armer nos défenseurs.
Le gouvernement britannique tentera de jeter, et peut-être il a déjà jeté sur nos côtes quelques-uns de ces monstres qu'il a nourris pendant la paix pour déchirer le sol qui les a vus naître; mais ils n'y retrouveront plus ces bandes impies qui furent les instrumens de leurs premiers crimes; la terreur les a dissoutes, ou la justice en a purgé nos contrées; ils n'y retrouveront ni cette crédulité dont ils abusèrent, ni ces haines dont ils aiguisèrent les poignards. L'expérience a éclairé tous les esprits; la sagesse des lois et de l'administration a réconcilié tous les coeurs.
Environnés partout de la force publique, partout atteints par les tribunaux, ces hommes affreux ne pourront désormais ni faire des rebelles, ni recommencer impunément leur métier de brigands et d'assassins.
Tout à l'heure une misérable tentative a été faite dans la Vendée, la conscription en était le prétexte; mais, citoyens, prêtres, soldats, tout s'est ébranlé pour la défense commune; ceux qui, dans d'autres temps, furent des moteurs de troubles, sont venus offrir leurs bras à l'autorité publique, et, dans leurs personnes et dans leurs familles, des gages de leur foi et de leur dévouement.
Enfin ce qui caractérise surtout la sécurité des citoyens, le retour des affections sociales, la bienfaisance se déploie tous les jours davantage; de tous côtés on offre des dons à l'infortune, et des fondations à des établissemens utiles.
La guerre n'a point interrompu les pensées de la paix; et le gouvernement a poursuivi avec constance tout ce qui tend à mettre la constitution dans les moeurs et dans le tempérament des citoyens, tout ce qui doit attacher à sa durée tous les intérêts et toutes les espérances.
Ainsi, le sénat a été placé à la hauteur où son institution l'appelait. Une dotation telle que la constitution l'avait déterminée, l'entoure d'une grandeur imposante.
Le corps législatif n'apparaîtra plus qu'environné de la majesté que réclament ses fonctions; on ne le cherchera plus vainement hors de ses séances. Un président annuel sera le centre de ses mouvemens, et l'organe de ses pensées et de ses voeux dans ses relations avec le gouvernement. Ce corps aura enfin cette dignité qui ne pouvait exister avec des formes mobiles et indéterminées.
Les collèges électoraux se sont tenus partout avec ce calme, cette sagesse qui garantissent les heureux choix.
La légion d'honneur existe dans les parties supérieures de son organisation, et dans une partie des élémens qui doivent la composer. Ces élémens, encore égaux, attendent d'un dernier choix leurs fonctions et leurs places. Combien de traits honorables a révélés l'ambition d'y être admis! Que de trésors la république aura dans cette institution pour récompenser les services et les vertus!
Au conseil d'état, une autre institution prépare aux choix du gouvernement des hommes pour toutes les branches supérieures de l'administration; des auditeurs s'y forment dans l'atelier des réglemens et des lois; ils s'y pénètrent des principes et des maximes de l'ordre public. Toujours environnés de témoins et de juges, souvent sous les yeux du gouvernement, souvent dans des missions importantes, ils arriveront aux fonctions publiques avec la maturité de l'expérience, et avec la garantie que donnent un caractère, une conduite et des connaissances éprouvées.
Des lycées, des écoles secondaires s'élèvent de tous côtés, et ne s'élèvent pas encore assez rapidement au gré de l'impatience des citoyens. Des réglemens communs, une discipline commune, un même système d'instruction y vont former des générations qui soutiendront la gloire de la France par des talens, et ses institutions par des principes et des vertus.
Un prytanée unique, le prytanée de Saint-Cyr, reçoit les enfans des citoyens qui sont morts pour la patrie; déjà l'éducation y respire l'enthousiasme militaire.
A Fontainebleau, l'école spéciale militaire compte plusieurs centaines de soldats qu'on ploie à la discipline, qu'on endurcit à la fatigue, qui acquièrent, avec les habitudes du métier, les connaissances de l'art.
L'école de Compiègne offre l'aspect d'une vaste manufacture, où cinq cents jeunes gens passent de l'étude dans les ateliers, des ateliers à l'étude. Après quelques mois, ils exécutent avec la précision de l'intelligence, des ouvrages qu'on n'en aurait pas obtenus après des années d'un vulgaire apprentissage, et bientôt le commerce et l'industrie jouiront de leur travail et des soins du gouvernement.
Le génie, l'artillerie, n'ont plus qu'une même école et une institution commune.
La médecine est partout soumise au nouveau régime que la loi a prescrit. Dans une réforme salutaire, on a trouvé le moyen de simplifier la dépense et d'ajouter à l'instruction.
L'exercice de la pharmacie a été mis sous la garde des lumières et de la probité.
Un règlement a placé entre le maître et l'ouvrier, des juges qui terminent leurs différens avec la célérité qu'exigent leurs intérêts et leurs besoins, et avec l'impartialité que commande la justice.
Le Code civil s'achève, et dans cette session, pourront être soumis aux délibérations du corps législatif les derniers projets de lois qui en complètent l'ensemble.
Le Code judiciaire, appelé par tous les voeux, subit en ce moment les discussions qui le conduiront à sa maturité.
Le Code criminel avance, et du Code de commerce les parties que paraissent réclamer le plus impérieusement les circonstances, sont en état de recevoir le sceau de la loi dans la session prochaine.
De nouveaux chefs-d'oeuvre sont venus embellir nos musées; et tandis que le reste de l'Europe envie nos richesses, nos jeunes artistes vont encore, au sein de l'Italie, échauffer leur génie à la vue de ses grands monumens, et respirer l'enthousiasme qui les a enfantés.
Dans le département de Marengo, sous les murs de cette Alexandrie qui sera un des plus puissans boulevarts de la France, s'est formé le premier camp de nos vétérans. Là, ils conserveront le souvenir de leurs exploits et l'orgueil de leurs victoires; ils inspireront à leurs nouveaux concitoyens l'amour et le respect de cette patrie qu'ils ont agrandie et qui les a récompensés; ils laisseront dans leurs enfans des héritiers de leur courage, et de nouveaux défenseurs de cette patrie dont ils recueilleront les bienfaits.
Dans l'ancien territoire de la république, dans la Belgique, d'antiques fortifications qui n'étaient plus que d'inutiles monumens des malheurs de nos pères ou des accroissemens progressifs de la France, seront démolies. Les terrains qui avaient été sacrifiés à leur défense seront rendus à la culture et au commerce, et avec les fonds que produiront ces démolitions et ces terrains, seront construites de nouvelles forteresses sur nos nouvelles frontières.
Sous un meilleur système d'adjudication, la taxe d'entretien des routes a pris de nouveaux accroissemens; des fermiers d'une année étaient sans émulation; des fermiers de portions trop morcelées étaient sans fortune et sans garantie.
Des adjudications triennales, des adjudications de plusieurs barrières à la fois, ont appelé des concurrens plus nombreux, plus riches et plus hardis.
Le droit de barrière a produit en l'an 11 quinze millions; dix de plus ont été consacrés dans la même année à l'entretien et au perfectionnement des routes.
Les routes anciennes ont été entretenues et réparées; des routes ont été liées à d'autres routes par des constructions nouvelles. Dès cette année les voitures franchissent le Simplon et le Mont-Cenis.
On rétablit au pont de Tours trois arches écroulées.
De nouveaux ponts sont en construction à Corbeille, à Roanne, à Nemours, sur l'Isère, sur le Roubion, sur la Durance, sur le Rhin. Avignon et Villeneuve communiqueront par un pont entrepris par une association particulière.
Trois ponts avaient été commencés à Paris avec des fonds que des citoyens avaient fournis; deux ont été achevés en partie avec les fonds publics, et les droits qui s'y perçoivent assurent, dans un nombre déterminé d'années, l'intérêt et le remboursement des avances.
Un troisième, le plus intéressant de tous (celui du jardin des Plantes) est en construction et sera bientôt terminé. Il dégagera l'intérieur de Paris d'une circulation embarrassante, se liera avec une place superbe, depuis long-temps décrétée, qu'embelliront des plantations et les eaux de la rivière d'Ourcq, et sur laquelle aboutiront en ligne directe la rue Saint-Antoine et celle de son faubourg.
Le pont seul formera l'objet d'une dépense que couvriront rapidement les droits qui y seront perçus. La place et tous ses accessoires ne coûteront à l'état que l'emplacement et les ruines sur lesquelles elle doit s'élever.
Les travaux du canal de Saint-Quentin s'opèrent sur quatre points à la fois. Déjà une galerie souterraine est percée dans une étendue de mille mètres; deux écluses sont terminées, huit autres s'avancent; d'autres sortent des fondations, et cette vaste entreprise offrira dans quelques années une navigation complète.
Les canaux d'Arles, d'Aigues-Mortes, de la Saône et de l'Yonne; celui qui unira le Rhône au Rhin; celui qui, par le Blavet, doit porter la navigation au centre de l'ancienne Bretagne, sont tous commencés, et tous seront achevés dans un temps proportionné aux travaux qu'ils exigent.
Le canal qui doit joindre l'Escaut, la Meuse et le Rhin, n'est déjà plus dans la seule pensée du gouvernement; des reconnaissances ont été faites sur le terrain; des fonds sont déjà prévus pour l'exécution d'une entreprise qui nous ouvrira l'Allemagne, et rendra à notre commerce et à notre industrie des parties de notre propre territoire que leur situation livrait à l'industrie et au commerce des étrangers.
La jonction de la Rance à la Vilaine unira la Manche à l'Océan, portera la prospérité et la civilisation dans des contrées où languissent l'agriculture et les arts, où les moeurs agrestes sont encore étrangères à nos moeurs. Dès cette année des sommes considérables ont été affectées à cette opération.
Le dessèchement des marais de Rochefort, souvent tenté, souvent abandonné, s'exécute avec constance. Un million sera destiné cette année à porter la salubrité dans ce port, qui dévorait nos marins et ses habitans. La culture et les hommes s'étendront sur les terrains voués depuis long-temps aux maladies et à la dépopulation.
Au sein du Cotentin, un dessèchement non moins important, dont le projet est fait, dont la dépense, largement calculée, sera nécessairement remboursée par le résultat de l'opération, transformera en riches pâturages d'autres marais d'une vaste étendue, qui ne sont aujourd'hui qu'un foyer de contagion toujours renaissant.
Les fonds nécessaires à cette entreprise sont portés dans le budget de l'an 12. En même temps un pont sur la Vire liera le département de la Manche au département du Calvados, supprimera un passage toujours dangereux et souvent funeste, et abrégera de quelques myriamètres la route qui conduit de Paris à Cherbourg.
Sur un autre point du département de la Manche, un canal est projeté, qui portera le sable de la mer et la fécondité dans une contrée stérile, et donnera aux constructions civiles et à la marine des bois qui périssent sans emploi à quelques myriamètres du rivage.
Sur tous les canaux, sur toutes les côtes de la Belgique, les digues minées par le temps, attaquées par la mer, se réparent, s'étendent et se fortifient.
La jetée et le bassin d'Ostende sont garantis des progrès de la dégradation; un pont ouvrira une communication importante à la ville, et l'agriculture s'enrichira d'un terrain précieux, reconquis sur la mer.
Anvers à vu arrêter tout à coup un port militaire, un arsenal et des vaisseaux de guerre sur le chantier. Deux millions assignés sur la vente des biens nationaux, situés dans les départemens de l'Escaut et des Deux-Nèthes, sont consacrés à la restauration et à l'agrandissement de son ancien port. Sur la foi de ce gage, le commerce fait des avances, les travaux sont commencés, et dans l'année prochaine ils seront conduits à leur perfection.
A Boulogne, au Havre, sur toute cette côte que nos ennemis appellent désormais une côte de fer, de grands ouvrages s'exécutent ou s'achèvent.
La digue de Cherbourg, long-temps abandonnée, long-temps l'objet de l'incertitude et du doute, sort enfin du sein des eaux; et déjà elle est un écueil pour nos ennemis et une protection pour nos navigateurs. A l'abri de cette digue, au fond d'une rade immense, un port se creuse, où, dans quelques années, la république aura ses arsenaux et des flottes.
A la Rochelle, à Cette, à Marseille, à Nice, on répare avec des fonds assurés les ravages de l'insouciance et du temps. C'est surtout dans nos villes maritimes, où la stagnation du commerce a multiplié les malheurs et les besoins, que la prévoyance du gouvernement s'est attachée à créer des ressources dans des travaux utiles ou nécessaires.
La navigation intérieure périssait par l'oubli des principes et des règles; elle est désormais soumise à un régime salutaire et conservateur. Un droit est consacré à son entretien, aux travaux qu'elle exige, aux améliorations que l'intérêt public appelle. Placée sous la surveillance des préfets, elle a encore, dans les chambres de commerce, des gardiens utiles, des témoins et des censeurs de la comptabilité des fonds qu'elle produit; enfin des hommes éclairés qui discutent les projets formés pour la conserver et pour l'étendre.
Le droit de pêche dans les rivières navigables est redevenu ce qu'il dut toujours être, une propriété publique. Il est confié à la garde de l'administration forestière; et des adjudications triennales lui donnent, dans des fermiers, des conservateurs encore plus, actifs, parce qu'ils sont plus intéressés.
L'année dernière a été une année prospère pour nos finances; les régies ont heureusement trompé les calculs qui en avaient d'avance déterminé les produits. Les contributions directes ont été perçues avec plus d'aisance. Les opérations qui doivent établir les rapports de la contribution foncière de département à département marchent avec rapidité. La répartition deviendra invariable; on ne verra plus cette lutte d'intérêts différens qui corrompait la justice publique, et cette rivalité jalouse qui menaçait l'industrie et la prospérité de tous les départemens.
Des préfets, des conseils généraux ont demandé que la même opération s'étendît à toutes les communes de leur département pour déterminer entre elles les bases d'une répartition proportionnelle. Un arrêté du gouvernement a autorisé ce travail général devenu plus simple, plus économique par le succès du travail partiel. Ainsi, dans quelques années, toutes les communes de la république auront chacune, dans une carte particulière, le plan de leur territoire, les divisions, les rapports des propriétés qui le composent; et les conseils généraux et les conseils d'arrondissement trouveront, dam la réunion de tous ces plans, les élémens d'une répartition juste dans ses bases et perpétuelle dans ses proportions.
La caisse d'amortissement remplit avec constance, avec fidélité, sa destination. Déjà propriétaire d'une partie de la dette publique, chaque jour elle accroît un trésor qui garantit à l'état une prompte libération; une comptabilité sévère, une fidélité inviolable, ont mérité aux administrateurs la confiance du gouvernement et leur assurent l'intérêt des citoyens.
La refonte des monnaies s'exécute sans mouvemens, sans secousses; elle était un fléau quand les principes étaient méconnus; elle est devenue l'opération la plus simple depuis que la foi publique et les règles du bon sens en ont fixé les conditions.
Au trésor, le crédit public s'est soutenu au milieu des secousses de la guerre et des rumeurs intéressées.
Le trésor public fournissait aux dépenses des colonies, soit par des envois directs de fonds, soit par des opérations sur le continent de l'Amérique. Les administrateurs pouvaient, si les fonds étaient insuffisans, s'en procurer par des traites sur le trésor public, mais avec des formes prescrites et dans une mesure déterminée.
Tout à coup une masse de traites (quarante-deux millions) a été créée à Saint-Domingue, sans l'aveu du gouvernement, sans proportion avec les besoins actuels, sans proportions avec les besoins a venir.
Des hommes sans caractère les ont colportées à la Havanne, à la Jamaïque, aux Etat-Unis; elles y ont partout été exposées sur les places a de honteux rabais, livrées à des hommes qui n'avaient versé ni argent ni marchandises, ou qui ne devaient en fournir la valeur que quand le paiement en aurait été effectué au trésor public. De là un avilissement scandaleux en Amérique et un agiotage plus scandaleux en Europe.
C'était pour le gouvernement un devoir, rigoureux d'arrêter le cours de cette imprudente mesure, de sauver à la nation les pertes dont elle était menacée, de racheter surtout son crédit par une juste sévérité.
Un agent du trésor public a été envoyé à Saint-Domingue, chargé de vérifier les journaux et la caisse du payeur général; de constater combien de traites avaient été créées, par quelle autorité et sous quelles formes; combien avaient été négociées, et à quelles conditions; si pour des versemens réels; si sans versemens effectifs, si pour éteindre une dette légitime, si pour des marchés simulés.
Onze millions de traites qui n'étaient pas encore en circulation, ont été annulés. Des renseignemens ont été obtenus sur les autres.
Les traites dont la valeur intégrale a été reçue, ont été acquittées avec les intérêts du jour de l'échéance au jour du paiement; celles qui ont été livrées sans valeur effective, sont arguées de faux, puisque les lettres-de-change portent pour argent versé, quoique le procès-verbal de paiement constate qu'il n'a rien été versé; et elles seront soumises à un sévère examen. Ainsi, le gouvernement satisfera à la justice qu'il doit aux créanciers légitimes et à celle qu'il doit à la nation dont il est chargé de défendre les droits.
La paix était dans les voeux comme, dans les intérêts du gouvernement. Il l'avait voulue au milieu des chances encore incertaines de la guerre; il l'avait voulue au milieu des victoires. C'est à la prospérité de la république qu'il avait désormais attaché toute sa gloire. Au dedans, il réveillait l'industrie, il encourageait les arts, il entreprenait ou des travaux utiles, ou des monumens de grandeur nationale. Nos vaisseaux étaient dispersés sur toutes les mers, et tranquilles sur la foi des traités.
Ils n'étaient employés qu'à rendre nos colonies à la France et au bonheur. Aucun armement dans nos ports, rien de menaçant sur nos frontières.
Et c'est là le moment que choisit le gouvernement britannique pour alarmer sa nation, pour couvrir la Manche de vaisseaux, pour insulter notre commerce par des visites injurieuses, nos côtes et nos ports, les côtes et les ports de nos alliés par la présence de forces menaçantes.
Si, au 17 ventose de l'an 11 (8 mars 1803), il existait aucun armement imposant dans les ports de France et de Hollande, s'il s'y exécutait un seul mouvement auquel la défiance la plus ombrageuse pût donner une interprétation sinistre, nous sommes les agresseurs; le message du roi d'Angleterre et son attitude hostile ont été commandés par une légitime prévoyance, et le peuple anglais a pu croire que nous menacions son indépendance, sa religion, sa constitution.
Mais si les assertions du message étaient fausses; si elles étaient démenties par la conscience de l'Europe, comme par la conscience du gouvernement britannique, ce gouvernement a trompé sa nation; il l'a trompée pour la précipiter sans délibération dans une guerre dont les terribles effets commencent à se faire sentir en Angleterre, et dont les résultats peuvent être si décisifs pour les destinées futures du peuple anglais.
Toutefois l'agresseur doit seul répondre des calamités qui pèsent sur l'humanité.
Malte, le motif de cette guerre, était au pouvoir des Anglais; c'eût été à la France d'armer pour en assurer l'indépendance, et c'est la France qui attend en silence la justice de l'Angleterre, et c'est l'Angleterre qui commence la guerre et qui la commence sans la déclarer.
Dans la dispersion de nos vaisseaux, dans la sécurité de notre commerce, nos pertes devaient être immenses; nous les avions prévues, et nous les eussions supportées sans découragement et sans faiblesse: heureusement elles ont été au-dessous de notre attente. Nos vaisseaux de guerre sont rentrés dans les ports de l'Europe; un seul, qui, depuis longtemps était condamné à n'être plus qu'un vaisseau de transport, est tombé au pouvoir de l'ennemi.
De 200 millions que les croiseurs anglais pouvaient ravir à autre commerce, plus des deux tiers ont été sauvés: nos corsaires ont vengé nos pertes par des prises importantes, et les vengeront par de plus importantes encore.
Tabago, Sainte-Lucie étaient sans défense, et n'ont pu que se rendre aux premières forces qui s'y sont présentées; mais nos grandes colonies nous restent, et les attaques que nos ennemis ont hasardées contre elles ont été vaines.
Le Hanovre est en notre pouvoir: vingt-cinq mille hommes des meilleures troupes ennemies ont posé les armes, et sont restés prisonniers de guerre. Notre cavalerie s'est remontée aux dépens de la cavalerie ennemie, et une possession chère au roi d'Angleterre, est, entre nos mains, le gage de la justice qu'il sera forcé de nous rendre.
Chaque jour le despotisme britannique ajoute à ses usurpations sur les mers. Dans la dernière guerre, il avait épouvanté les neutres, en s'arrogeant, par une prétention inique et révoltante, le droit de déclarer des côtes entières en état de blocus. Dans cette guerre, il vient d'augmenter son code monstrueux, du prétendu droit de bloquer des rivières, des fleuves.
Si le roi d'Angleterre a juré de continuer la guerre, jusqu'à ce qu'il ait réduit la France à ces traités déshonorans que souscrivirent autrefois le malheur et la faiblesse, la guerre sera longue. La France a consenti dans Amiens à des conditions modérées; elle n'en reconnaîtra jamais de moins favorables; elle ne reconnaîtra surtout jamais, dans le gouvernement britannique, le droit de ne remplir de ses engagemens que ce qui convient aux calculs progressifs de son ambition, le droit d'exiger encore d'autres garanties après la garantie de la foi donnée. Eh! si le traité d'Amiens n'est point exécuté, où seront, pour un traité nouveau, une foi plus sainte et des sermens plus sacrés!
La Louisiane est désormais associée à l'indépendance des Etats Unis d'Amérique. Nous conservons là des amis que le souvenir d'une commune origine attachera toujours à nos intérêts, et que des relations favorables de commerce uniront long-temps à notre prospérité.
Les Etats-Unis doivent à la France leur indépendance; ils nous devront désormais leur affermissement et leur grandeur.
L'Espagne reste neutre.
L'Helvétie est rassise sur ses fondemens, et sa constitution n'a subi que les changemens que la marche du temps et des opinions lui a commandés. La retraite de nos troupes atteste la sécurité intérieure et la fin de toutes ses divisions. Les anciennes capitulations ont été renouvelées, et la France a retrouvé ses premiers et ses plus fidèles alliés.
Le calme règne dans l'Italie; une division de l'armée de la république italienne traverse en ce moment la France pour aller camper avec les nôtres sur les côtes de l'Océan. Ces bataillons y trouveront partout des vestiges de la patience, de la bravoure et des grandes actions de leurs ancêtres.
L'empire ottoman, travaillé par les intrigues souterraines, aura, dans l'intérêt de la France, l'appui que d'anciennes liaisons, un traité récent et sa position géographique, lui donnent droit de réclamer.
La tranquillité rendue au continent par le traité de Lunéville, est assurée par les derniers actes de la diète de Ratisbonne. L'intérêt éclairé des grandes puissances, la fidélité du gouvernement à cultiver avec elles les relations de bienveillance et d'amitié, la justice, l'énergie de la nation et les forces de la république en répondent.
Le premier consul, BONAPARTE.
Paris, le 28 pluviose an 12 (18 février 1804).
Réponse du premier consul à une députation du sénat65.
«Depuis le jour où je suis arrivé à la suprême magistrature, un grand nombre de complots ont été formés contre ma vie. Nourri dans les camps, je n'ai jamais mis aucune importance à des dangers qui ne m'inspirent aucune crainte.
«Je ne puis pas me défendre d'un sentiment profond et pénible, lorsque je songe dans quelle situation se trouverait aujourd'hui ce grand peuple, si le dernier attentat avait pu réussir; car c'est principalement contre la gloire, la liberté, les destinées du peuple français, que l'on a conspiré.
«J'ai depuis long-temps renoncé aux douceurs de la condition privée; tous mes momens, ma vie entière, sont employés à remplir les devoirs que mes destinées et le peuple français m'ont imposés.
«Le ciel veillera sur la France et déjouera le complot des méchans. Les citoyens doivent être sans alarmes: ma vie durera tant qu'elle sera nécessaire à la nation. Mais ce que je veux que le peuple français sache bien, c'est que l'existence, sans sa confiance et sans son amour, serait pour moi sans consolation, et n'aurait plus aucun but.»
Le premier consul, BONAPARTE.
Footnote 65: (return) Envoyée au sujet de la conspiration de Georges et de Pichegru.
Paris, le 28 pluviose an 12 (18 février 1804).
Réponse du premier consul à une députation de la garde consulaire et du corps composant la garde de Paris66.
«Que les soldats de la république, qui avaient reçu du peuple l'honorable mission de le défendre contre ses ennemis, mission dont les armées s'étaient acquittées avec autant de gloire que de bonheur, avaient plus le droit que les autres citoyens de s'indigner des trames que notre plus cruel ennemi avaient formées jusqu'au sein de la capitale; que quels que soient les services rendus pur des citoyens, ils n'en sont que plus coupables lorsqu'ils ourdissent contre elle des trames criminelles; que les circonstances actuelles offriront a la postérité deux inconcevables exemples....; qu'il a été trois jours sans pouvoir croire à des trames aussi noires qu'insensées; mais qu'il avait été forcé de se rendre à l'évidence des faits et de ne plus arrêter la marche de la justice; que jamais sous son gouvernement, des hommes quels qu'ils soient, quels que soient les services qu'ils auront rendus, ne fausseront leurs sermens et ne pratiqueront impunément des liaisons avec les ennemis de la France.....; mais que dans les circonstances actuelles, l'union de tous les Français était un spectacle consolant pour son coeur; que ce n'était pas à eux qu'il avait besoin de répéter que ces attentats si souvent renouvelés contre sa personne ne pourront rien, n'eût-il autour de lui que le corps le moins nombreux de l'armée».
Le premier consul, BONAPARTE.
Footnote 66: (return) Envoyée après la découverte de la conspiration ourdie par Georges et Pichegru, et dans laquelle le général Moreau se trouva fortement compromis.
Saint-Cloud, le 28 germinal an 12 (18 avril 1804).
Au sénat conservateur.
Sénateurs,
Le sénateur Joseph Bonaparte, grand officier de la légion d'honneur, m'a témoigné le désir de partager les périls de l'armée, campée sur les côtes de Boulogne, afin d'avoir part à sa gloire.
J'ai cru qu'il était du bien de l'état et que le sénat verrait avec plaisir qu'après avoir rendu à la république d'important services, soit par la solidité de ses conseils dans les circonstances les plus graves, soit par le savoir, l'habileté, la sagesse qu'il a déployés dans les négociations successives du traité de Mortefontaine qui a terminé nos différens avec les Etats-Unis d'Amérique; de celui de Lunéville, qui a pacifié le continent; et dans ces derniers temps de celui d'Amiens, qui avait rétabli la paix entre la France et l'Angleterre, le sénateur Joseph Bonaparte fût mis en mesure de contribuer à la vengeance que se promet le peuple français pour la violation de ce dernier traité, et se trouvât dans le cas d'acquérir de plus en plus des titres à l'estime de la nation.
Ayant déjà servi sous mes yeux dans les premières campagnes de la guerre et donné des preuves de son courage et de ses bonnes dispositions pour le métier des armes, dans le grade de chef de bataillon, je l'ai nommé colonel commandant le premier régiment de ligne, l'un des corps les plus distingués de l'armée, et que l'on compte parmi ceux qui, toujours placés au poste le plus périlleux, n'ont jamais perdu leurs étendards, et ont très-souvent ramené ou décidé la victoire.
Je désire en conséquence que le sénat agrée la demande que lui fera le sénateur Joseph Bonaparte, de pouvoir s'absenter de la délibération pendant le temps où les occupations de la guerre le retiendront à l'armée.
BONAPARTE.
Saint Cloud, le 5 floréal an 12 (25 avril 1804).
Au sénat conservateur.
Sénateurs,
J'ai nommé le sénateur Serrurier gouverneur des Invalides. Je désire que vous pensiez que les fonctions de cette place ne sont point incompatibles avec celles de sénateur.
Rien n'intéresse aussi vivement la patrie que le bonheur de ces huit mille braves, couverts de tant d'honorables blessures et échappés à tant de dangers. Eh! à qui pouvait-il être mieux confié qu'à un vieux soldat, qui, dans les temps les plus difficiles, et en les conduisant à la victoire, leur donna toujours l'exemple d'une sévère discipline et de cette franche intrépidité, première qualité du général. En voyant leur gouverneur assis parmi les membres d'un corps qui veille à la conservation de cette patrie, à la prospérité de laquelle ils ont tant contribué, ils auront une nouvelle preuve de ma sollicitude pour tout ce qui peut rendre plus honorable et plus douce la fin de leur glorieuse carrière.
Le premier consul, BONAPARTE.
Saint-Cloud, le 5 floréal an 12 (25 avril 1804).
Au sénat conservateur.
Votre adresse du 6 germinal dernier n'a pas cessé d'être présente à ma pensée67. Elle a été l'objet de mes méditations les plus constantes.
Vous avez jugé l'hérédité de la suprême magistrature nécessaire pour mettre le peuple français à l'abri des complots de nos ennemis et des agitations qui naîtraient d'ambitions rivales. Plusieurs de nos institutions vous ont, en même temps, paru devoir être perfectionnées pour assurer, sans retour, le triomphe de l'égalité et de la liberté publique, et offrir à la nation et au gouvernement la double garantie dont ils ont besoin.
Nous avons été constamment guidés par cette grande vérité: que la souveraineté réside dans le peuple français, dans ce sens que tout, tout sans exception, doit être fait pour son intérêt, pour son bonheur et pour sa gloire. C'est afin d'atteindre ce but que la suprême magistrature, le sénat, le conseil d'état, le corps législatif, les collèges électoraux et les diverses branches de l'administration sont et doivent être institués.
A mesure que j'ai arrêté mon attention sur ces grands objets, je me suis convaincu davantage de la vérité des sentimens que je vous ai exprimés, et j'ai senti de plus en plus que, dans une circonstance aussi nouvelle qu'importante, les conseils de votre sagesse et de votre expérience m'étaient nécessaires pour fixer toutes mes idées.
Je vous invite donc à me faire connaître votre pensée toute entière.
Le peuple français n'a rien à ajouter aux honneurs et à la gloire dont il m'a environné; mais le devoir le plus sacré pour moi, comme le plus cher à mon coeur, est d'assurer à ses enfans les avantages qu'il a acquis par cette révolution qui lui a tant coûté, surtout par le sacrifice de ce million de braves, morts pour la défense de ses droits.
Je désire que nous puissions lui dire le 14 juillet de cette année: «Il y a quinze ans, par un mouvement spontané, vous courûtes aux armes, vous acquîtes la liberté, l'égalité et la gloire. Aujourd'hui ces premiers biens des nations, assurés sans retour, sont à l'abri de toutes les tempêtes; ils sont conservés à vous, et à vos enfans: des institutions conçues et commencées au sein des orages de la guerre intérieure et extérieure, développées avec constance, viennent se terminer, au bruit des attentats et des complots de nos plus mortels ennemis, par l'adoption de tout ce que l'expérience des siècles et des peuples a démontré propre à garantir les droits que la nation avait jugés nécessaires a sa dignité, à sa liberté, et à son bonheur.
BONAPARTE.
Footnote 67: (return) C'est l'adresse dans laquelle le sénat suppliait le premier consul de prendre des mesures pour rendre son autorité éternelle. C'était le premier pas fait vers la dignité d'empereur.
Saint-Cloud, le 28 floréal an 12 (18 mai 1804).
Réponse du premier consul au sénat68.
Tout ce qui peut contribuer au bien de la patrie est essentiellement lié à mon bonheur.
J'accepte le titre que vous croyez utile à la gloire de la nation.
Je soumets à la sanction du peuple la loi de l'hérédité.
J'espère que la France ne se repentira jamais des honneurs dont elle environnera ma famille.
Dans tous les cas, mon esprit ne sera plus avec ma postérité, le jour où elle cesserait de mériter l'amour et la confiance de la grande nation.
BONAPARTE.
Footnote 68: (return) Le sénat s'était rendu en corps à Saint-Cloud, pour présenter au premier consul le senatus-consulte organique décrété dans le jour, par lequel Napoléon Bonaparte était déclaré empereur, et la dignité impériale rendue héréditaire dans sa famille.
FIN DU TROISIÈME LIVRE.
LIVRE QUATRIÈME.
EMPIRE.
1804.
Paris, le 28 floréal an 12 (18 mai 1804).
Le serment de l'empereur est ainsi conçu:
«Je jure de maintenir l'intégrité du territoire de la république; de respecter et de faire respecter les lois du concordat et la liberté des cultes; de respecter et de faire respecter l'égalité des droits, la liberté politique et civile, l'irrévocabilité des ventes des biens nationaux; de ne lever aucun impôt, de n'établir aucune taxe qu'en vertu de la loi; de maintenir l'institution de la légion d'honneur; de gouverner dans la seule vue de l'intérêt, du bonheur et de la gloire du peuple français.»
Saint-Cloud, le 28 floréal an 12 (18 mai 1804).
Aux consuls Cambacérès et Lebrun.
Citoyens consuls, Cambacérès et Lebrun, votre titre va changer; vos fonctions et ma confiance restent les mêmes. Dans la haute dignité d'archi-chancelier de l'empire, et d'archi-trésorier, dont vous allez être revêtus, vous manifesterez, comme vous l'avez fait dans celle de consuls, la sagesse de vos conseils, et les talens distingués qui vous ont acquis une part aussi importante dans tout ce que je puis avoir fait de bien. Je n'ai donc à désirer de vous que la continuation des mêmes sentiment pour l'état et pour moi.
NAPOLÉON.
Paris, le 29 floréal an 12 (19 mai 1804).
Réponse de l'empereur à une députation de la garde impériale69.
Je reconnais les sentimens de la garde pour ma personne; ma confiance dans la bravoure et dans la fidélité des corps qui la composent est entière. Je vois constamment avec un nouveau plaisir des compagnons d'armes échappés à tant de dangers, et couverts de tant d'honorables blessures; et j'éprouve un sentiment de contentement lorsque je peux me dire, en les considérant sous leurs drapeaux, qu'il n'est pas une des batailles, pas un des combats livrés durant ces quinze dernières années, et dans les quatre parties du monde, qui n'ait eu parmi eux des témoins et des acteurs.
NAPOLÉON.
Footnote 69: (return) Envoyée pour le complimenter sur sa nouvelle dignité.
Paris, le 6 prairial an 12 (26 mai 1804).
Réponses de l'Empereur à différentes députations70.
A celle du tribunat.
Je vous remercie du soin que vous mettez à relever le peu de bien que je puis avoir fait... Le tribunat a contribué par ses travaux à la perfection des différens actes de la législation de la France, et en cela il a rempli le plus constant de mes voeux. Je me plais à tout devoir au peuple; ce sentiment seul me rend chers les nouveaux honneurs dont je suis revêtu.
A celle du collège électoral du département de la Vendée.
Les sentimens que vous m'exprimez me sont d'autant plus précieux que votre département a été le théâtre de plus de désastres, et que vous avez éprouvé plus de malheurs.
Lorsque les affaires de l'état me permettront de visiter vos contrées, je désire que les vestiges de la guerre aient disparu, et que je puisse voir vos habitations relevées, votre agriculture prospérant, et vos coeurs réunis par l'oubli du passé, l'amour du présent, et les espérances de l'avenir.
Je regarderai toujours comme un devoir, et il sera cher à mon coeur, d'accorder une protection particulière à vos contrées. Je compte aussi en retour sur la sincérité des sentimens que vous m'exprimez au nom de vos concitoyens.
A celle du collège électoral du département du Haut-Rhin.
Je sais que le département du Haut-Rhin a beaucoup souffert des calamités de la guerre, et il doit jouir maintenant des bienfaits de la paix.
Les sentimens que vous me témoignez en son nom me sont d'autant plus agréables qu'ils me sont exprimés par un général qui s'est distingué tant de fois sur les champs de bataille71. Je me plais à lui rendre ce témoignage.
NAPOLÉON.
Footnote 70: (return) Enroyées pour le complimenter sur son élévation à l'empire.
Footnote 71: (return) Le général sénateur et maréchal de l'empire Lefebvre.
Saint-Cloud, le 4 messidor an 12 (23 juin 1804).
Aux présidens et membres composant la cour de justice criminelle du département de la Seine, séante à Paris.
Notre coeur a été d'autant plus affecté des complots nouveaux tramés contre l'état, par les ennemis de la France, que deux hommes qui avaient rendu de grands services à la patrie y ont pris part.
Par votre arrêt du 21 prairial dernier, vous avez condamné à la peine de mort Athanase-Hyacinthe Bouvet de Lozier, l'un des complices. Son crime est grand; mais nous avons voulu lui faire ressentir, dans cette circonstance, les effets de cette clémence que nous avons toujours eue en singulière prédilection.
En conséquence, et après avoir réuni en conseil privé dans notre palais de Saint-Cloud, le 2 du présent mois, l'archi-chancelier de l'empire, l'archi-trésorier, le connétable, le grand-juge et ministre de la justice, les ministres des relations extérieures et de la guerre, les sénateurs François de Neufchâteau, Laplace et Fouché; les conseillers-d'état Régnault de Saint-Jean-d'Angely et Lacuée; et les membres de la cour de cassation Muraire et Oudart, nous avons déclaré et déclarons faire grâce de la peine capitale à Bouvet de Lozier, Armand Gaillard, Frédéric Lajolais.; Louis Russillion, Charles d'Hozier, François Rochelle, Charles-François de Rivière, et Armand-François-Heraclius Polignac, et commuer ladite peine en celle de la déportation, qui s'effectuera dans un délai de quatre années, pendant lesquelles lesdits tiendront prison dans le lieu qui leur sera désigné.
Mandons et ordonnons que les présentes lettres, scellées du sceau de l'empire, vous seront présentées dans trois jours, à compter de leur réception, par notre procureur-général près ladite cour, en audience publique, où les impétrans seront conduits pour entendre la lecture, debout et la tête, découverte; que lesdites lettres seront de suite transcrites sur vos registres sur la réquisition du même procureur-général, avec annotation d'icelles en marge de la minute de l'arrêt de condamnation.
NAPOLÉON.
Saint-Cloud, le 21 messidor an 12 (10 juillet 1804).
A M. Régnier, grand-juge, ministre de la justice.
Monsieur Régnier, grand-juge, au moment de la paix générale, j'ai réuni le ministère de la police à celui de la justice. Les circonstances de la guerre et les derniers événemens m'ont convaincu de la nécessité que vous m'avez souvent représentée, de réorganiser ce ministère, et m'ont décidé à céder au désir que vous m'avez témoigné d'être laissé tout entier aux fonctions si importantes de grand-juge, ministre de la justice. Je ne puis adhérer à votre voeu sans vous témoigner la satisfaction que j'ai eue de vos services, comme ministre de la police générale. Rendu a votre ministère naturel, vous ne pourrez y apporter plus de zèle que vous ne l'avez fait jusqu'à ce jour; mais vous aurez plus de temps a donner à cette partie si essentielle du gouvernement. La bonne administration de la justice et la bonne composition des tribunaux sont dans un état ce qui a le plus d'influence sur la valeur et la conservation des propriétés, et sur les intérêts les plus chers de tous les citoyens.
Cette lettre n'ayant point d'autre objet, monsieur Régnier, grand-juge, ministre de la justice, je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte garde.
NAPOLÉON.
Paris, le 26 messidor an 12 (15 juillet 1804).
Paroles de l'empereur en faisant prêter serment aux membres de la légion-d'honneur, à la première distribution solennelle de cet ordre, qui eut lieu le même jour aux Invalides.
Commandans, officiers, légionnaires, citoyens et soldats, vous jurez sur votre honneur de vous dévouer au service de l'empire et à la conservation de son territoire, dans son intégrité; à la défense de l'empereur, des lois de là république et des propriétés qu'elles ont consacrées; de combattre par tous les moyens que la justice, la raison et les lois autorisent, toute entreprise qui tendrait à rétablir le régime féodal; enfin, vous jurez de concourir de tout votre pouvoir au maintien de la liberté et de l'égalité, bases premières de nos constitutions. Vous le jurez.
NAPOLÉON.
Calais, le 18 thermidor an 12 (6 août 1804).
A M. Chaptal, ministre de l'intérieur.
Monsieur Chaptal, ministre de l'intérieur, je vois avec peine l'intention où vous êtes de quitter le ministère de l'intérieur pour vous livrer tout entier aux sciences; mais je cède à votre désir. Vous remettrez le portefeuille à M. Portalis, ministre des cultes, en attendant que j'aie définitivement pourvu à ce département. Désirant vous donner une preuve de ma satisfaction de vos services, je vous ai nommé sénateur. Dans ces fonctions éminentes qui vous laissent plus de temps à donner à vos travaux pour la prospérité de nos arts et les progrès de notre industrie manufacturière, vous rendrez d'utiles services à l'état et à moi.
Sur ce, je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte garde.
NAPOLÉON.
Décret contenant institution des prix décennaux.
Napoléon, empereur des Français, à tous ceux qui les présentes lettres verront, salut!
Etant dans l'intention d'encourager les sciences, les lettres et les arts qui contribuent éminemment à l'illustration et à la gloire des nations;
Désirant non-seulement que la France conserve la supériorité qu'elle a acquise dans les sciences et dans les arts, mais encore que le siècle qui commence l'emporte sur ceux qui l'ont précédé;
Voulant aussi connaître les hommes qui auront le plus participé à l'éclat des sciences, des lettres et des arts;
Nous avons décrété et décrétons ce qui suit:
Art. 1er. Il y aura de dix ans en dix ans, le jour anniversaire du 18 brumaire, une distribution de grands prix, donnés de notre propre main, dans le lieu et avec la solennité qui seront ultérieurement réglés.
2. Tous les ouvrages de sciences, de littérature et d'arts, toutes les inventions utiles, tous les établissemens consacrés aux progrès de l'agriculture ou de l'industrie nationale, publiés, connus ou formés dans un intervalle de dix années, dont le terme précédera d'un an l'époque de la distribution, concourront pour le grand prix.
3. La première distribution des grands prix se fera le 18 brumaire an 18; et, conformément aux dispositions de l'article précédent, le concours comprendra tous les ouvrages, inventions où établissemens, publiés ou connus depuis l'intervalle du 18 brumaire de l'an 7 au 18 brumaire de l'an 17.
4. Ces grands prix seront, les uns de la valeur de dix mille francs, les autres de la valeur de cinq mille;
Les grands prix de la valeur de dix mille francs seront au nombre de neuf, et décernés:
1°. Aux auteurs des deux meilleurs ouvrages de science; l'un pour les sciences physiques, l'autre pour les sciences mathématiques;
2°. A l'auteur de la meilleure histoire ou du meilleur morceau d'histoire, soit ancienne, soit moderne;
3°. A l'inventeur de la machine la plus utile aux arts et aux manufactures;
4°. Au fondateur de l'établissement le plus avantageux à l'agriculture ou à l'industrie nationale; 5°. A l'auteur du meilleur ouvrage dramatique, soit comédie, soit tragédie, représenté sur les théâtres français;
6°. Aux auteurs des deux meilleurs ouvrages, l'un de peinture, l'autre de sculpture, représentant des actions d'éclat ou des événemens mémorables puisés dans notre histoire;
7°. Au compositeur du meilleur opéra représenté sur le théâtre de l'académie impériale de musique.
6. Les grands prix de la valeur de cinq mille francs seront au nombre de treize, et décernés:
1°. Aux traducteurs de dix manuscrits de la bibliothèque impériale ou des autres bibliothèques de Paris, écrits en langues anciennes on en langues orientales, les plus utiles, soit aux sciences, soit à l'histoire, soit aux belles-lettres, soit aux arts;
2°. Aux auteurs des trois meilleurs petits poëmes ayant pour sujet des événemens mémorables de notre histoire, ou des actions honorables pour le caractère français.
7. Ces prix seront décernés sur le rapport et la proposition d'un jury composé des quatre secrétaires perpétuels des quatre classes de l'institut, et des quatre présidens en fonction dans l'année qui précédera celle de la distribution.
NAPOLÉON.
Saint-Cloud, le 30 brumaire an 13 (21 novembre 1804).
A M. Champagny, ministre de l'intérieur72.
Dans une ville composée de près de quarante mille habitans, le zèle de tous devait suppléer aux corporations qui n'existent plus. Le ministre de l'intérieur fera connaître aux habitans de Metz que j'aurais attendu d'eux plus d'activité dans une circonstance où elle était commandée, par des intérêts qui les touchaient de si près, et par des sentimens si naturels.
NAPOLÉON.
Footnote 72: (return) En réponse à une lettre où le ministre faisait part à l'empereur d'un violent incendie qui avait eu lieu a Metz le 17, et prétendait qu'il n'avait été aussi violent que parce que l'abolition des anciennes corporations d'ouvriers avait empêché ceux-ci de prêter leur secours.
Paris, le 9 frimaire an 13 (30 novembre 1804.)
A MM. les membres du corps municipal de notre bonne ville de Paris.
Messieurs les membres du corps municipal de notre bonne ville de Paris, la divine Providence et les constitutions de l'empire ayant placé la dignité impériale héréditaire dans notre famille, nous avons désigné le 11 du présent mois de frimaire et l'église métropolitaine de Paris pour le jour et le lieu de notre sacre et de notre couronnement; nous aurions voulu pouvoir, dans cette auguste circonstance, rassembler dans une même enceinte, non-seulement tous les habitans de la capitale de l'empire, mais encore l'universalité des citoyens qui composent la nation française; dans l'impossibilité de réaliser une chose gui aurait eu tant de pris pour notre coeur, désirant que ces solennités reçoivent leur principal éclat de la réunion d'un grand nombre de citoyens distingués par leur dévouement à l'état et à ma personne, et voulant donner à notre bonne ville de Paris un témoignage particulier de notre affection, nous avons pour agréable que le corps municipal entier assiste à ces cérémonies.
Nous vous faisons, en conséquence, cette lettre, pour que vous ayez à vous rendre ledit jour, 11 frimaire, dans l'église métropolitaine, à l'heure et dans l'ordre gui vous seront indiqués par notre grand maître des cérémonies.
Sur ce, je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte et digne garde.
NAPOLÉON.
Paris, le 10 frimaire an 13 (1er décembre 1804).
Réponse de l'empereur au sénat venu en corps pour le remercier d'avoir accepté la dignité d'empereur.
Je monte au trône où m'ont appelé les voeux unanimes du sénat, du peuple et de l'armée, le coeur plein du sentiment des grandes destinées, de ce peuple, que du milieu des camps j'ai, le premier, salué du nom de grand.
Depuis mon adolescence, mes pensées tout entières lui sont dévolues; et je dois le dire ici, mes plaisirs et mes peines ne se composent plus aujourd'hui que du bonheur ou du malheur de mon peuple.
Mes descendans conserveront long-temps ce trône, le premier de l'univers.
Dans les camps, ils seront les premiers soldats de l'armée, sacrifiant leur vie pour la défense de leur pays.
Magistrats, ils ne perdront jamais de vue que le mépris des lois et l'ébranlement de l'ordre social ne sont que le résultat de la faiblesse et de l'incertitude des princes.
Vous, sénateurs, dont les conseils et l'appui ne m'ont jamais manqué dans les circonstances les plus difficiles, votre esprit se transmettra à vos successeurs; soyez toujours les soutiens et les premiers conseillers de ce trône si nécessaire au bonheur de ce vaste empire.
NAPOLÉON.
Paris, le 14 frimaire an 13 (5 décembre 1804).
Paroles de l'empereur en distribuant les aigles impériales aux différentes armes de l'armée.
Soldats, voilà vos drapeaux; ces aigles vous serviront toujours de point de ralliement; ils seront partout où votre empereur les jugera nécessaires pour la défense de son trône et de son peuple.
Vous jurez de sacrifier votre vie pour les défendre et de les maintenir constamment par votre courage sur le chemin de l'honneur et de la victoire. Vous le jurez.
NAPOLÉON.
Au palais des Tuileries, le 21 frimaire an 13 (13 décembre 1804).
Au sénat conservateur.
Sénateurs,
Les constitutions de l'empire ayant statué que les actes qui constatent les naissances, les mariages et les décès des membres de la famille impériale, seront transmis, sur un ordre de l'empereur, au sénat, nous avons chargé notre cousin l'archi-chancelier de l'empire de vous présenter les actes qui constatent la naissance de Napoléon Charles, né le 18 vendémiaire an 11, et de Napoléon Louis, né le 19 vendémiaire an 13, fils du prince Louis notre frère, et nous invitons le sénat à en ordonner, conformément aux constitutions, la transcription sur ses registres, et le dépôt dans ses archives. Ces princes hériteront de l'attachement de leur père pour notre personne, de son amour pour ses devoirs, et de ce premier sentiment qui porte tout prince appelé à de si hautes destinées à considérer constamment l'intérêt de la patrie et le bonheur de la France comme l'unique objet de sa vie.
NAPOLÉON.
Paris, le 26 frimaire an 13 (17 décembre 1804).
A M. François de Neufchâteau, président du sénat.
Monsieur François de Neufchâteau, président du sénat, voulant donner un témoignage de notre satisfaction aux habitans de notre bonne ville de Paris dans la personne de M. Bévière, l'un de ses maires, et doyen d'âge du corps municipal, et désirant en même temps honorer les vertus publiques et privées dont ce magistrat a donné l'exemple pendant tant d'années, nous l'avons nommé à une place de sénateur. Nous ordonnons en conséquence qu'expédition de notre décret de nomination vous soit transmise, afin que vous en donniez connaissance au sénat.
Sur ce, je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte garde.
NAPOLÉON.
Paris, le 27 frimaire an 13 (18 décembre 1804).
Réponse de l'empereur à un discours du corps municipal de Paris le jour de la fête que lui donna la ville pour célébrer son couronnement.
Messieurs du corps municipal, je suis venu au milieu de vous pour donner à ma bonne ville de Paris l'assurance de ma protection spéciale; dans toutes les circonstances je me ferai un plaisir et un devoir de lui donner des preuves particulières de ma bienveillance; car je veux que vous sachiez que dans les batailles, dans les plus grands périls, sur les mers, au milieu des déserts même, j'ai eu toujours en vue l'opinion de cette grande capitale de l'Europe, après toutefois le suffrage tout puissant sur mon coeur de la postérité.
NAPOLÉON.
Paris, le 6 nivose an l3 (27 décembre 1804).
Discours prononcé par l'empereur à l'ouverture du corps législatif.
«Messieurs les députés des départemens au corps législatif, messieurs les tribuns et les membres de mon conseil-d'état, je viens présider à l'ouverture de votre session. C'est un caractère plus imposant et plus auguste que je veux imprimer à vos travaux. Princes, magistrats, citoyens, soldats, nous n'avons tous dans notre carrière qu'un seul but, l'intérêt de la patrie. Si ce trône sur lequel la Providence et la volonté de la nation m'ont fait monter est cher a mes yeux, c'est parce que seul il peut défendre et conserver les intérêts les plus sacrés du peuple français. Sans un gouvernement fort et paternel, la France aurait à craindre le retour des maux qu'elle a soufferts. La faiblesse du pouvoir suprême est la plus affreuse calamité des peuples. Soldat ou premier consul, je n'ai eu qu'une pensée; empereur, je n'en ai pas d'autre: les prospérités de la France. J'ai été assez heureux pour l'illustrer par des victoires, pour la consolider par des traités, pour l'arracher, aux discordes civiles et y préparer la renaissance des moeurs, de la société et de la religion. Si la mort ne me surprend pas au milieu de mes travaux, j'espère laisser à la postérité un souvenir qui serve à jamais d'exemple ou de reproche a mes successeurs.
«Mon ministre de l'intérieur vous fera l'exposé de la situation de l'empire; les orateurs de mon conseil-d'état vous présenteront les différens besoins de la législation. J'ai ordonné qu'on mît sous vos yeux les comptes que mes ministres m'ont rendus de la gestion de leur département. Je suis satisfait de l'état prospère de nos finances. Quelles que soient les dépenses, elles sont couvertes par les recettes. Quelqu'étendus qu'aient été les préparatifs qu'a nécessités la guerre dans laquelle nous sommes engagés, je ne demanderai à mon peuple aucun nouveau sacrifice.
«Il m'aurait été doux, à une époque aussi solennelle, de voir la paix régner sur le monde; mais les principes politiques de nos ennemis, leur conduite récente envers l'Espagne, en font connaître les difficultés. Je ne veux pas accroître le territoire de la France, mais en maintenir l'intégrité; Je n'ai point l'ambition d'exercer en Europe une plus grande influence, mais je ne veux pas décheoir de celle que j'ai acquise. Aucun état ne sera incorporé dans l'empire; mais je ne sacrifierai pas mes droits, les liens qui m'attachent aux états que j'ai créés.
«En me décernant la couronne, mon peuple a pris l'engagement de faire tous les efforts que requerraient les circonstances pour lui conserver cet éclat qui est nécessaire à sa prospérité et à sa gloire comme à la mienne. Je suis plein de confiance dans l'énergie de la nation et dans ses sentimens pour moi. Ses plus chers intérêts sont l'objet constant de mes sollicitudes.
«Messieurs les députés des départemens au corps législatif, messieurs les tribuns et les membres de mon conseil d'état, votre conduite pendant la session précédente, le zèle qui vous anime pour la patrie, pour ma personne, me sont garans de l'assistance que je vous demande, et que je trouverai en vous pendant le cours de cette session.»
NAPOLÉON.
Paris, le 12 nivôse an 13 (2 janvier 1805).
A Sa Majesté George III, roi d'Angleterre.
Monsieur mon frère, appelé au trône par la Providence et par les suffrages du sénat, du peuple et de l'armée, mon premier sentiment est un voeu de paix. La France et l'Angleterre usent leur prospérité; elles peuvent lutter des siècles. Mais leurs gouvernemens remplissent-ils bien le plus sacré de leurs devoirs? Et tant de sang versé inutilement et sans la perspective d'aucun but, ne les accuse-t-il pas dans leur propre conscience? Je n'attache pas de déshonneur à faire le premier pas; j'ai assez, je pense, prouvé au monde que je ne redoute aucune chance de la guerre; elle ne m'offre d'ailleurs rien que je doive redouter. La paix est le voeu de mon coeur; mais la guerre n'a jamais été contraire à ma gloire. Je conjure V.M. de ne pas se refuser au bonheur de donner elle-même la paix au monde; qu'elle ne laisse pas cette douce satisfaction à ses enfans, car enfin il n'y eut jamais de plus belles circonstances ni de moment plus favorable pour faire taire toutes les passions et écouter uniquement le sentiment de l'humanité et de la raison. Ce moment une fois perdu, quel terme assigner à une guerre que tous mes efforts n'auraient pu terminer? V.M. a plus gagné en dix ans en territoire et en richesse que l'Europe n'a d'étendue; la nation est au plus haut point de prospérité. Que peut-elle espérer de la guerre? coaliser quelques puissances du continent? Le continent restera tranquille; une coalition ne ferait qu'accroître là puissance et la grandeur continentale de la France. Renouveler des troubles intérieurs? Les temps ne sont plus les mêmes. Détruire nos finances? Des finances fondées sur une bonne agriculture ne se détruisent jamais. Enlever à la France ses colonies? Les colonies sont pour la France un objet secondaire; et S.M. n'en possède-t-elle déjà pas plus qu'elle n'en peut garder? Si V. M. veut elle-même y songer, elle verra que la guerre est sans but, sans aucun résultat présumable pour elle. Eh! quelle triste perspective de faire battre les peuples pour qu'ils se battent! Le monde est assez grand pour que nos deux nations puissent y vivre, et la raison a assez de puissance pour qu'on trouve les moyens de tout concilier, si de part et d'autre on en a la volonté. J'ai toutefois rempli un devoir saint et précieux à mon coeur. Que V.M. croie à la sincérité des sentimens que je viens de lui exprimer et à mon désir de lui en donner des preuves, etc., etc.
Sur ce, je prie Dieu, monsieur mon frère, qu'il vous ait en sa sainte et digne garde.
NAPOLÉON.
Au palais des Tuileries, le 12 pluviôse an 13 (1er. février 18o5).
Message au sénat conservateur.
Sénateurs,
Nous avons nommé grand-amiral de l'empire notre beau-frère le général Murat. Nous avons voulu non-seulement reconnaître les services qu'il a rendus à la patrie et l'attachement particulier qu'il a montré à notre personne dans toutes les circonstances de sa vie, mais rendre aussi ce qui est dû à l'éclat et à la dignité de notre couronne, en élevant au rang de prince une personne qui nous est de si près attachée par les liens du sang.
NAPOLÉON.
Au palais des Tuileries, le 12 pluviose an 13 (1er février 1805).
Message au sénat conservateur.
Sénateurs,
Nous avons nommé notre beau-fils, Eugène Beauharnais, archi-chancelier d'état de l'empire. De tous les actes de notre pouvoir, il n'en est aucun qui soit plus doux à notre coeur.
Elevé par nos soins et sous nos yeux, depuis son enfance, il s'est rendu digne d'imiter, et avec l'aide de Dieu, de surpasser un jour les exemples et les leçons que nous lui avons donnés.
Quoique jeune encore, nous le considérons dès aujourd'hui, par l'expérience que nous en avons faite dans les plus grandes circonstances, comme un des soutiens de notre trône, et un des plus habiles défenseurs de la patrie.
Au milieu des sollicitudes et des amertumes inséparables du haut rang où nous sommes placé, notre coeur a eu besoin de trouver des affections douces dans la tendresse et la constante amitié de cet enfant de notre adoption; consolation sans doute nécessaire à tous les hommes, mais plus communément à nous, dont tous les instans sont dévoués aux affaires des peuples.
Notre bénédiction accompagnera ce jeune prince dans toute sa carrière; et, secondé par la Providence, il sera un jour digne de l'approbation de la postérité.
NAPOLÉON.
Paris, le 21 pluviose an 13 (10 février 1805).
Réponse de l'empereur à une députation du corps législatif73.
Messieurs les députés des départemens au corps législatif,
«Lorsque j'ai résolu d'écrire au roi d'Angleterre, j'ai fait le sacrifice du ressentiment le plus légitime et des passions les plus honorables. Le désir d'épargner le sang de mon peuple m'a élevé au-dessus des considérations, qui déterminent ordinairement les hommes. Je serai toujours prêt à faire les mêmes sacrifices. Ma gloire, mon bonheur, je les ai placés dans le bonheur de la génération actuelle. Je veux, autant que je pourrai y influer, que le règne des idées philantropiques et généreuses soit le caractère du siècle. C'est à moi à qui de tels sentimens ne peuvent être imputés à faiblesse, c'est à nous, c'est au peuple le plus doux, le plus éclairé, le plus humain, de rappeler aux nations civilisées de l'Europe qu'elles ne forment qu'une seule famille, et que les efforts qu'elles emploient dans leurs dissensions civiles sont des atteintes à la prospérité commune. Messieurs les députés des départemens au corps législatif, je compte sur votre assistance, comme sur la bravoure de mon armée».
NAPOLÉON.
Footnote 73: (return) Envoyée pour le féliciter sur sa lettre au roi d'Angleterre.
Paris le 21 pluviose an 13 (10 février 1805).
Réponse de l'empereur au tribunat74.
La génération actuelle a besoin de bonheur et de repos; et la victoire ne s'obtient qu'avec le sang des peuples. Le bonheur du mien est mon premier devoir comme mon premier sentiment.
Je sens vivement tout ce que vous me dites.
La plus douce récompense de tout ce que je puis avoir fait de bien sera toujours pour moi l'union et l'amour de ce grand peuple.
NAPOLÉON.
Footnote 74: (return) Dont une députation avait été envoyée pour le même objet.
Paris, le 21 pluviose an 13 (10 février 1805).
Paroles de l'empereur en donnant aux grands dignitaires de l'empire la grande décoration de la légion d'honneur.
Messieurs,
La grande décoration vous rapproche de ce trône; elle peut exiger des sermens nouveaux, elle ne vous impose pas de nouvelles obligations. C'est un complément aux institutions de la légion d'honneur. Cette grande décoration a aussi un but particulier, celui de lier à nos institutions les institutions des différens états de l'Europe, et de montrer le cas et l'estime que je fais, que nous faisons de ce qui existe chez les peuples nos voisins et nos amis.
Au palais des Tuileries, le 25 pluviose an 13 (14 février 1805).
Au corps législatif.
Législateurs,
Conformément à l'article 9 du sénatus-consulte du 28 frimaire an 12, portant que les candidats pour la nomination du président du corps législatif, seront présentés dans le cours de la session annuelle pour l'année suivante et à l'époque de cette session qui sera désignée, nous vous invitons a procéder aux opérations relatives à cette présentation.
NAPOLÉON.
Paris, le 10 ventose an 13 (1er mars 1805).
Note inscrite dans le Moniteur.
75M. Pitt n'avait pas besoin de ce vote de 5,000,000 livres sterling. On sait très-bien depuis deux ans, que s'il est un prince assez ennemi de sa maison, de son trône, de ses peuples, pour vouloir vendre son repos, les destins futurs de sa famille et le sang de ses sujets, l'Angleterre est là pour les lui payer avec cet or acquis par le monopole aux dépens de tous les peuples de l'Europe. Le gouvernement anglais donne au monde le spectacle odieux de la plus grande immoralité. Ses agens parcourent, la bourse à la main, tous les cabinets, et partout les puissances rejettent avec horreur cet argent de la corruption qui ne peut produire que le remords et le malheur. Que l'Angleterre soit disposée a fournir plusieurs centaines de millions aux puissances qui voudront recommencer la lutte, c'est une chose connue qu'il n'était pas nécessaire de proclamer de nouveau. Ce que le vote de M. Pitt manifeste avec une égale évidence, c'est cet état d'aveuglement qui ne lui permet pas de voir que l'Europe veut le repos, et que si ceux qui cherchent à la faire rentrer dans une mer d'incertitude et de sang étaient renversés à leur tour, ils tomberaient aux acclamations de tous les peuples.
L'argent est utile aux coalitions, on ne l'ignore pas; mais ce n'est point avec de l'argent qu'on fait les coalitions. Quelle est celle des grandes puissances de l'Europe qui ne dépense dans une campagne active le double et le triple de ce que vous pouvez lui offrir? Elle répand, de plus, le sang de ses sujets; mais cet élément n'entre jamais dans vos calculs.
C'est en suivant cette politique sage et mesurée, en ayant de la prévoyance dans la prospérité, en se montrant prêts à secourir ses amis dans le malheur, et à faire des sacrifices pour leur avantage, qu'on a des alliés. Cet usage n'est pas le vôtre; votre seule politique, le grand Frédéric l'a dit il y a long-temps, est d'aller frapper à toutes les portes, une bourse à la main. Mais les funestes effets de cette politique ont été démontrés par l'expérience. Gardez donc votre or; et pour peu que vous soyez animés par l'intérêt de votre patrie, faites la paix, et prenez dans la paix des principes modérés. Vous aurez le temps de payer votre dette et de vous assurer la possession de ces richesses immenses que vous accumulez, de ces immenses Indes qui gémissent sous votre domination.
On a fait au devant de vous les premiers pas pour la paix, et comment avez-vous répondu a ces avances? en mettant, à l'ouverture du parlement, des injures dans la bouche de votre roi, en violant enfin le secret de vos négociations, ce qui a donné le caractère le plus évident a l'intention où vous étiez qu'elles n'eussent aucune suite.
Footnote 75: (return) M. Pitt avait demandé au parlement britannique un vote de 5,000,000 liv. sterlings pour engager les puissances du continent à contracter une alliance avec le roi d'Angleterre.
Paris, le 26 ventose an 13 (17 mars 1805).
Réponse de l'empereur à la grande députation de la république italienne, venue à Paris pour lui offrir la couronne de fer d'Italie.
Depuis le moment où nous parûmes pour la première fois dans vos contrées, nous avons toujours eu la pensée de créer indépendante et libre la nation italienne; nous avons poursuivi ce grand objet au milieu des incertitudes des événemens.
Nous formâmes d'abord les peuples de la rive droite du Pô en république cispadane, et ceux de la rive gauche en république transpadane.
Depuis, de plus-heureuses circonstances nous permirent de réunir ces états et d'en former la république cisalpine.
Au milieu des soins de toute espèce qui nous occupaient alors, nos peuples d'Italie furent touchés de l'intérêt que nous portâmes à tout ce qui pouvait assurer leur prospérité et leur bonheur; et lorsque, quelques années après, nous apprîmes au bord du Nil que notre ouvrage était renversé, nous fûmes sensible aux malheurs auxquels vous étiez, en proie. Grâce à l'invincible courage de nos armées, nous parûmes dans Milan lorsque nos peuples d'Italie nous croyaient encore sur les bords de la mer Rouge.
Notre première volonté, encore tout couvert du sang et de la poussière des batailles, fut la réorganisation de la patrie italienne.
Les statuts de Lyon remirent la souveraineté entre les mains de la consulte et des collèges, où nous avions réuni les différens élémens qui constituent les nations.
Vous crûtes alors nécessaire à vos intérêts que nous fussions le chef de votre gouvernement; et aujourd'hui persistant dans la même pensée, vous voulez que nous soyons le premier de vos rois. La séparation des couronnes de France et d'Italie, qui peut être utile pour assurer l'indépendance de vos descendens, serait dans ce moment funeste à votre existence et à votre tranquillité. Je la garderai cette couronne, mais seulement tout le temps que vos intérêts l'exigeront; et je verrai avec plaisir arriver le moment où je pourrai la placer sur une plus jeune tête qui, animée de mon esprit, continue mon ouvrage, et soit toujours prête à sacrifier sa personne et ses intérêts à la sûreté et au bonheur du peuple sur lequel la Providence, les constitutions du royaume et ma volonté l'auront appelé à régner.
NAPOLÉON.
Paris, le 28 ventose an 13 (18 mars 1805).
Au sénat conservateur.
Sénateurs, La principauté de Piombino que la France possède depuis plusieurs années, a été depuis ce temps administrée sans règle et sans surveillance. Située au milieu de la Toscane, éloignée de nos autres possessions, nous avons jugé convenable d'y établir un régime particulier. Le pays de Piombino nous intéresse par la facilité qu'il offre pour communiquer avec l'île d'Elbe et la Corse. Nous avons donc pensé devoir donner ce pays, sous le haut domaine de la France, à notre soeur la princesse Eliza, en conférant à son mari le titre de prince de l'empire. Cette donation n'est pas l'effet d'une tendresse particulière, mais une chose conforme a la saine politique, à l'éclat de notre couronne et à l'intérêt de nos peuples.
NAPOLÉON.
Paris, le 27 ventose an 13 (18 mars 1805).
Discours de l'empereur au sein du sénat en lui faisant part de son acceptation de la couronne d'Italie.`
«Sénateurs, nous avons voulu dans cette circonstance nous rendre au milieu de vous, pour faire connaître, sur un des objets les plus important de l'état, notre pensée toute entière.
«La force et la puissance de l'empire français sont surpassées par la modération qui préside à toutes nos transactions politiques.
«Nous ayons conquis la Hollande, les trois quarts de l'Allemagne, la Suisse, l'Italie toute entière; nous avons été modérés au milieu de la plus grande prospérité. De tant de provinces nous n'avons gardé que ce qui était nécessaire pour nous maintenir au même point de considération et de puissance où a toujours été la France. Le partage de la Pologne, les provinces soustraites à la Turquie, la conquête des Indes et de presque toutes les colonies avaient rompu à notre détriment l'équilibre général.
«Tout ce que nous a vous jugé inutile, pour le rétablir, nous l'avons rendu, et par là nous avons agi conformément au principe qui nous a constamment dirigé, de ne jamais prendre les armes pour de vains projets de grandeur, ni par l'appât des conquêtes.
«L'Allemagne a été évacuée; ses provinces ont été restituées aux descendans de tant d'illustres maisons qui étaient perdues pour toujours, si nous ne leur eussions accordé une généreuse protection. Nous les avons relevées et raffermies, et les princes d'Allemagne ont aujourd'hui plus d'éclat et de splendeur que n'en ont jamais eu leurs ancêtres.
L'Autriche elle-même, après deux guerres malheureuses, a obtenu l'état de Venise. Dans tous les temps elle eût échangé, de gré à gré, Venise contre les provinces qu'elle a perdues.
«A peine conquise, la Hollande a été déclarée indépendante. Sa réunion à notre empire eût été le complément de notre système commercial, puisque les plus grandes rivières de la moitié de notre territoire débouchent en Hollande; cependant la Hollande est indépendante, et ses douanes, son commerce et son administration se régissent au gré de son gouvernement.
«La Suisse était occupée par nos armées, nous l'avions défendue contre les forces combinées de l'Europe. Sa réunion eût complété notre frontière militaire. Toutefois, la Suisse se gouverne par l'acte de médiation, au gré de ses dix-neuf cantons, indépendante et libre.
«La réunion du territoire de la république italienne à l'empire français eût été utile au développement de notre agriculture; cependant, après la seconde conquête, nous avons, à Lyon, confirmé son indépendance; nous faisons plus aujourd'hui, nous proclamons le principe de la séparation des couronnes de France et d'Italie, en assignant pour l'époque de cette séparation, l'instant où elle devient possible et sans dangers pour nos peuples d'Italie.
«Nous avons accepté et nous placerons sur notre tête cette couronne de fer des anciens Lombards pour la retremper, la raffermir, et pour qu'elle ne soit point brisée au milieu des tempêtes qui la menaceront, tant que la Méditerranée ne sera pas rentrée dans son état habituel.
«Mais nous n'hésitons pas à déclarer que nous transmettrons cette couronne a un de nos enfans légitimes, soit naturel, soit adoptif, le jour où nous serons sans alarmes sur l'indépendance que nous avons garantie, des autres états de la Méditerranée.
«Le génie du mal cherchera en vain des prétextes pour remettre le continent en guerre; ce qui a été réuni à notre empire par les lois constitutionnelles y restera réuni. Aucune nouvelle province n'y sera incorporée; mais, les lois de la république batave, l'acte de médiation des dix-neuf cantons suisses et le premier statut du royaume d'Italie, seront constamment sous la protection de notre-couronne, et nous ne souffrirons jamais qu'il y soit porté atteinte.
«Dans toutes les circonstances et dans toutes les transactions, nous montrerons la même modération, et nous espérons que notre peuple n'aura plus besoin de déployer ce courage et cette énergie qu'il a toujours montrés pour défendre ses légitimes droits.
Paris, le 4 germinal an 13 (26 mars 1805).
Réponse de l'empereur à une députation du conseil-d'état76.
Je suis bien touché des sentimens que vient de m'exprimer, au nom du conseil-d'état, l'un de ses présidens77. Je suis convaincu que ses membres s'occuperont toujours avec intérêt et avec zèle de tout ce qui pourra ajouter au honneur de mes peuples et à l'éclat de ma couronne; car j'ai toujours trouvé parmi eux de vrais amis.
Footnote 76: (return) Envoyé pour le féliciter sur son nouveau titre de roi d'Italie.
Footnote 77: (return) M. Defermon.
Paris, le 12 prairial an 13 (1er juin 1805).
Notes inscrites dans le Moniteur, en réponse à un article du Morning-Chronicle, rapportant comme certaine une alliance entre l'Angleterre, la Russie et la Suède.
Les Anglais ne perdent point l'habitude d'inventer des nouvelles, de les répandre chez eux et de les propager ensuite dans toute l'Europe. Ils sont trop attachés à cette ressource pour ne pas en user sans cesse. Il est vrai que huit ou dix jours après la publication d'une fausse nouvelle, ils la contredisent eus-mêmes; mais ces huit ou dix jours se sont écoulés, le change s'est soutenu, et l'occasion arrive de mettre au jour une nouvelle fausseté qu'ils accréditent même par des pièces très-officielles; ainsi de suite pour tous les mois, pour toutes les semaines de l'année. Ce système de mensonge a beaucoup de rapport avec le système de finances tant vanté en Angleterre. On est obligé de dépenser dix-huit millions et l'on n'a que neuf millions de revenu. On fait un emprunt; mais on affecte le paiement de cet emprunt sur une branche de revenu, ce qui diminue d'autant le revenu des années suivantes. Il est vrai que l'année qui suit on n'augmente pas davantage les recettes directes de l'échiquier; mais on fait de nouveaux emprunts et l'on crée un autre déficit pour les autres années. On va de la sorte tout aussi long-temps que l'on peut aller, et l'on ira en effet jusqu'à l'inévitable catastrophe qui fera sentir au peuple anglais le vide et les conséquences funestes d'un tel système. Mais revenons a l'article curieux dont ces observations nous ont écartés.
Lorsque l'empereur, au sortir même de la métropole de Paris, fit des propositions de paix au roi d'Angleterre, le roi d'Angleterre les éluda, et osa dire en plein parlement que les traités qui le liaient avec la Russie l'obligeaient, avant de répondre, de s'entendre avec cette puissance. Nous dîmes alors ce que nous pensions de cette assertion, et les six mois qui viennent de s'écouler ont assez justifié notre opinion; toute l'Europe est maintenant convaincue que l'Angleterre n'avait pas d'alliance avec la Russie; qu'elle avait employé dans cette circonstance un-véritable subterfuge, tout aussi faux que celui dont S.M. britannique se servit dans son message du 7 mars, lorsqu'elle assura que les ports de France et de Hollande étaient pleins d'armemens et de troupes destinées à envahir l'Angleterre. Aujourd'hui que le cabinet de Saint-Pétersbourg a refusé d'adopter les vues de l'ambassadeur Woronzow; qui réside à Londres pour la Russie, et qui est beaucoup moins Russe qu'Anglais; aujourd'hui que l'empereur Alexandre a déclaré qu'il voulait être neutre, ne prendre part ni pour la France ni pour l'Angleterre, mais intervenir dans leur querelle, pour aider autant qu'il sera possible le rétablissement de la paix générale; aujourd'hui enfin que ce souverain a fait demander des passe-ports pour un de ses chambellans qu'il envoye en France, le gouvernement anglais craint le mauvais effet que de telles dispositions feraient à Londres, dans un moment surtout où la faiblesse et l'ineptie de son système de guerre deviennent sensibles pour tous les habitans de la Grande-Bretagne; il suppose aussitôt un traité d'alliance offensive et défensive avec la Russie; il prétend que si l'empereur Alexandre envoyé auprès de l'empereur Napoléon, c'est pour notifier un ultimatum et tracer le cercle de Popilius. Rien n'est plus faux que tout cela; mais aussi rien n'est plus conforme aux nobles habitudes du cabinet de Londres. C'est en dire assez sur cet objet; il nous paraît convenable de saisir cette occasion de revenir sur le passé, et d'apprendre aux Anglais que si, lorsque le jeune lord Withworth eut l'impertinence de dire que s'il n'avait pas une réponse, dans trente-six heures, il quitterait la France, l'empereur, alors premier consul, ne le fit pas prendre, jeter dans une chaise de poste, et reconduire à Calais, c'est que chaque jour de délai faisait rentrer quelques-uns de nos vaisseaux de commerce. Il n'y eut par alors un moment d'hésitation, et la guerre était décidée depuis l'instant où le roi d'Angleterre avait insulté la nation française dans son parlement,
Il fallait être aussi dépourvu de sens ou aussi aveuglé que l'était alors le ministère britannique, pour penser que l'empereur, dont le caractère est assez connu en Europe, aurait la faiblesse de laisser outrager impunément la nation. Il est temps que l'Angleterre s'accoutume enfin au nouvel état de choses, et qu'elle se mette bien dans la pensée qu'une nation qui a des côtes si étendues, dont la population, est quatre fois plus considérable que la sienne, dont les habitans sont au moins aussi braves, ne consentira jamais à se laisser déshériter du commerce de l'univers. La France combattra avec les mêmes armes qu'on emploiera contre elle. Si son gouvernement est attaqué par les papiers anglais, les journaux français diront au gouvernement anglais des vérités qu'il n'aimera sûrement pas entendre; si le roi, dans ses discours au parlement, se fait l'écho de ses ministres pour insulter encore la France, on sera forcé de lui répondre, et par les exposés de la situation de l'empire, et par les discours que nos orateurs prononcent dans le sein de nos principales autorités. Si enfin l'Angleterre nous combat par les privilèges exclusifs, nous la combattrons par les privilèges exclusifs; si c'est par des actes de navigation, nous lui répondrons par des actes de navigation; mais tant que nous aurons des bois dans nos forêts; tant que notre population se renouvellera sur nos côtes, que l'Angleterre ne compte pas de notre part sur une lâche condescendance; une paix réelle et solide entre elle et nous ne peut avoir lieu que quand elle renoncera au projet tout à fait au-dessus de sa puissance de nous exclure du commerce de l'univers. Assurément on ne peut accuser d'ambition immodérée une nation de quarante millions d'hommes qui ne demande qu'à vivre l'égale d'une nation de dix millions.
78Ce sont autant de rêveries que les assertions de ce long paragraphe. L'ambition de la France, qui, deux fois, a évacué la moitié de l'Allemagne et les états vénitiens, ne peut effrayer personne; si on lui faisait des propositions accompagnées de menaces, ce ne serait pas l'empereur qui ne voudrait pas la paix, mais ceux qui, la menace à la bouche, auraient profané ce nom sacré.
Footnote 78: (return) Réponse à un article du Lloyd's Evening Post, où le journaliste proposait de faire au chef du gouvernement français des ouvertures de paix, accompagnées de prétentions exagérées; moyen excellent, ajoutait le journaliste, pour démontrer à toute l'Europe et à la France même l'ambition démesurée de Bonaparte.
Non, assurément, l'empereur ne rétrogradera jamais, et ne s'éloignera pas des principes qu'il a adoptés. Sa politique est ouverte et franche. La maison de Bourbon occupait le royaume de Naples et le duché de Parme, et tout le monde sait que Venise était sous l'influence française: à présent Venise appartient à l'Autriche; Naples est gouverné par des sentimens ennemis des Français et dévoués à l'Angleterre; le royaume d'Italie ne rétablit pas l'équilibre, car l'on sait fort bien que, loin de valoir à lui seul ces pays qui étaient sous l'influence de la maison de Bourbon, il ne vaut pas même les Deux-Siciles.
Quant à la Hollande, il est vrai que la France exerce sur elle cette influence naturelle et inévitable d'un voisin puissant sur un faible voisin; que cette influence ne pourrait cesser que si la Belgique passait sous une autre domination; et sans doute les ministres anglais, dans leur profonde sagesse, n'en sont pas à vouloir nous priver de la Belgique. Il serait tout aussi sensé de recommencer les diatribes de M. Burke et de dire que la France est effacée de la carte du monde. Mais les intérêts de la France ne se composent pas uniquement de ce qui tient au continent. Vous parlez de justice, d'équilibre et d'indépendance de l'Europe; mais commencez donc par renoncer au droit de blocus. N'est-il pas ridicule de penser que le port de Cadix était en état de blocus, lorsque deux escadres se combinaient librement dans ses eaux! Ici, ce sont des rivières que vous mettez en état de blocus; là, ce n'est pas moins que cent lieues de côtes. Il est évident qu'un pareil ordre de choses n'est que le droit de piller les neutres, érigé en système. Il est évident qu'en se l'arrogeant, l'Angleterre place tontes les mers sous la même domination qu'elle exerce Sur un de ses comtés. Il y a lieu à l'exercice du droit de blocus, quand une place est bloquée de tous côtés par terre et par mer, et qu'elle est constituée en etat d'être prise. Mais lorsqu'une place n'est point attaquée par terre; que des vaisseaux tiennent à quelques lieues en mer une station qui s'approche, ou disparaît, selon que lui commandent les vents pu les marées, il est absurde de la considérer comme étant en état de blocus.
L'état de blocus est un fait et non une déclaration: bloquer, veut dire renfermer de tous côtés. Une tour, une maison, ne sont pas bloquées lorsqu'on ne garde qu'une issue, et qu'on peut y entrer et en sortir librement. En définissant ainsi le droit de blocus, vous donnerez une preuve que vous respectez l'indépendance de l'Europe; vous mériterez qu'on ajoute foi à vos paroles, et la France, voyant que vous admettez pour quelque chose le repos et l'indépendance de l'Europe, fera des sacrifices sans regrets, si elle en a à faire. Vous demandez l'équilibre de l'Europe; mais l'équilibre de l'Europe est rompu lorsqu'une puissance en soutire tout l'argent, et triple, quintuple ses moyens naturels; et lorsque c'est le résultat d'un système de conquête qui a envahi l'Inde, il est clair qu'on ne peut parier de l'équilibre de l'Europe sans parler aussi de l'équilibre des Indes. En resserrant vos limites, vous ferez une chose juste, qui sera agréable à l'Europe et utile à vous-mêmes, car plus vous concentrerez votre domination, plus vous serez assurés de conserver vos côtes.
Enfin, il y a deux moyens de faire la paix, c'est ou de souscrire uniquement, entièrement, le traité d'Amiens, ou de consentir, soit sur les affaires du continent, soit sur celles de l'Inde, soit sur le droit maritime, et celui de blocus, des compensations, des restitutions réciproques dont il n'était pas question dans ce traité.
L'Europe ne veut plus se laisser endormir par des mots; les puissances en sont venues à un point où elles ne peuvent plus s'en imposer. Ce n'est que par une modération véritable qu'on parvient à la paix. Des sentimens opposés ne mèneraient à aucun résultat. Et comme l'a dit l'empereur dans sa réponse au roi d'Angleterre, le monde n'est-il pas assez grand pour contenir en même temps les deux nations? Quant à une coalition, elle est impossible; mais dût-elle se réaliser, elle ferait autant de mal à l'Angleterre que la séparation même de l'Irlande. Ceci ne paraîtra peut-être pas clair; cependant quiconque voudra y penser, comprendra fort bien ce que nous voulons dire.
En résumé, tous les bruits que peuvent faire courir les Anglais, d'une coalition continentale, sont faux, n'ont pour but que de relever leur change, et d'opposer quelques prestiges aux nouvelles qu'ils reçoivent et qu'ils vont recevoir des deux Indes.
79Ici nous devons une observation sur ce M. André Hammond, qui est un courtier d'intrigues les plus basses et les plus déshonorantes. C'est par lui que tous les fonds qui ont été envoyés à Pichegru et à Georges ont passé; et l'époque du 9 février est remarquable. Une grande partie de ses fonds a servi à ourdir les trames criminelles que le droit de la guerre, et le sentiment de l'honneur réprouvent: Quant à cette expédition de pierres, nous en appelons au jugement de tous les marins de l'Europe, conçut-on jamais rien d'aussi bête. Qu'on cherche à combler un port de la Méditerranée, cela se conçoit; mais un port sujet aux marées, qu'en trois marées sèches on aurait déblayé, c'est le comble de l'extravagance. Un esprit de vertige s'est emparé de la nation, la folie dirige ses conseils. Après la grande expédition des pierres est venue celle des brûlots à tourne-broches, tout aussi mal conçue et tout aussi inutile. Aujourd'hui, c'est le tour des globes de compression. C'est dommage que l'enfer ne soit pas à la disposition de l'Angleterre, elle le vomirait sur tout l'univers. Elle ressemble assez au mauvais génie que dépeint Milton; mais que peut-il contre le bon génie, qui, simple, modeste dans sa marche, tient à crime toute démarche oblique, ou regarde comme une victoire déshonorante la victoire qui n'est pas gagnée l'épée à la main. L'avenir nous apprendra ce que peuvent les expéditions de pierres, les brûlots à tourne-broches, les globes à compression, contre des opérations franches et loyales, méditées sans prétention et avec prudence, et exécutées avec douceur et humanité.
Footnote 79: (return) Le ministère anglais avait donné à M. André Haramond la commission de combler le port de Boulogne au moyen de globes de compression. Celle commission venait d'elle trouvée sur un bâtiment anglais capturé par la flottille de Boulogne.