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Œuvres de Napoléon Bonaparte, Tome III.

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Saint-Polten, le 22 brumaire an 14 (13 novembre 1805).

Vingt-deuxième bulletin de la grande armée.

Le maréchal Davoust a poursuivi ses succès. Tout le corps de Meerfeld est détruit. Ce général s'est sauvé avec une centaine de hulans.

Le général Marmont est à Léoben; il a fait cent hommes de cavalerie, prisonniers.

Le prince Murat était depuis trois jours à une demi-lieue de Vienne. Toutes les troupes autrichiennes avaient évacué cette ville. La garde nationale y faisait le service; elle était animée d'un très-bon esprit.

Aujourd'hui, 22 brumaire, les troupes françaises ont fait leur entrée dans cette capitale.

Les Russes se sont refusés à toutes les tentatives que l'on a faites pour les engager à livrer bataille sur les hauteurs, de Saint-Pollen (Saint-Hyppolite). Ils ont passé le Danube à Krems, et aussitôt après leur passage brûle pont, qui était très-beau.

Le 20, à la pointe du jour, le maréchal Mortier, à la tête de six bataillons, s'est porté sur Stein. Il croyait y trouver une arrière-garde; mais toute l'armée russe y était encore, ses bagages n'ayant pas filé; alors s'est engagé le combat de Diernstein, à jamais mémorable dans les annales militaires; Depuis six heures dû matin jusqu'à quatre heures de l'après-midi, ces quatre mille braves tinrent tête à l'armée russe, et mirent en déroute tout ce qui leur fut opposé.

Maîtres du village de Leiben, ils croyaient la journée finie; mais l'ennemi irrité d'avoir perdu dix drapeaux, six pièces de canon, neuf cents hommes faits prisonniers et deux mille hommes tués, avait fait diriger deux colonnes par des gorges difficiles pour tourner les Français. Aussitôt que le maréchal Mortier s'aperçut de cette manoeuvre, il marcha droit aux troupes qui l'avaient tourné, et se fit jour au travers des lignes de l'ennemi, dans l'instant même où le neuvième régiment d'infanterie légère et le trente-deuxième régiment d'infanterie de ligne, ayant chargé un corps russe, avaient mis ce corps en déroute après lui avoir pris deux drapeaux et quatre cents hommes.

Cette journée a été une journée de massacre. Des monceaux de cadavres couvraient un champ de bataille étroit; plus de quatre mille Russes ont été tués ou blessés; treize cents ont été faits prisonniers. Parmi ces derniers se trouvent deux colonels.

De notre côté, la perte a été peu considérable; le quatrième et le neuvième d'infanterie légère ont le plus souffert. Les colonels du centième et du cent-troisième ont été légèrement blessés; le colonel Wattier, du quatrième régiment de dragons, a été tué. S. M. l'avait choisi pour un de ses écuyers: c'était un officier d'une grande valeur. Malgré les difficultés du terrain, il était parvenu à faire, contre une colonne russe, une charge très-brillante, mais il fut atteint d'une balle, et trouva la mort dans la mêlée.

Il paraît que les Russes se retirent à grandes journées. L'empereur d'Allemagne, l'impératrice, le ministère et la cour sont à Brünn en Moravie. Tous les grands ont quitté Vienne; toute la bourgeoisie y est restée. On attend à Brünn l'empereur Alexandre, à son retour de Berlin.

Le général comte de Giulay a fait plusieurs voyages, portant des lettres de l'empereur de France et d'Allemagne. L'empereur d'Allemagne se résoudra sans doute à la paix lorsqu'il aura obtenu l'assentiment de l'empereur de Russie.

En attendant, le mécontentement des peuples est extrême. On dit à Vienne, et dans toutes les provinces de la monarchie autrichienne, que l'on est mal gouverné; que, pour le seul intérêt de l'Angleterre, on a été entraîné dans une guerre injuste et désastreuse; que l'on a inondé l'Allemagne de barbares mille fois plus à craindre que tous les fléaux réunis; que les finances sont dans le plus grand désordre; que la fortune publique et les fortunes particulières sont ruinées par l'existence d'un papier-monnaie qui perd cinquante pour cent; qu'on avait assez de maux à réparer, pour qu'on ne dût pas y ajouter encore tous les malheur de la guêrre.

Les Hongrois se plaignent d'un gouvernement illibéral qui ne fait rien pour leur industrie, et se montre constamment jaloux de leurs priviléges, et inquiet de leur esprit national.

En Hongrie, comme en Autriche, à Vienne comme dans les autres villes, on est persuadé que l'empereur Napoléon a voulu la paix; qu'il est l'ami de toutes les nations, et de toutes les grandes idées.

Les Anglais sont les perpétuels objets des imprécations de tous les sujets de l'empereur d'Allemagne et de la haine la plus universelle. N'est-il pas temps enfin que les princes entendent la voix de leurs peuples, et qu'ils s'arrachent à la fatale influence de l'olygarchie anglaise.

Depuis le passage de l'Inn, la grande armée a fait, dans différentes affaires d'avant-garde, et dans les différentes rencontres qui ont eu lieu, environ dix mille prisonniers.

Si l'armée russe, avait voulu attendre les Français, elle était perdue. Plusieurs corps d'armée la poursuivent vivement.




Du château de Schoenbrünn, le 23 brumaire an 14 (14 novembre 1805).

Vingt-troisième bulletin de la grande armée.

Au combat de Diernstein, où quatre mille Français attaqués dans la journée du 11 par vingt-cinq à trente mille Russes, ont gardé leurs positions, tué à l'ennemi trois à quatre mille hommes, enlevé des drapeaux et fait treize cents prisonniers, les quatrième et neuvième régimens d'infanterie légère et les centième et trente-deuxième regimens d'infanterie de ligne se sont couverts de gloire. Le général Gazan, y a montré beaucoup de valeur et de conduite; les Russes, le lendemain du combat, ont évacué Krems et quitté le Danube, en nous laissant quinze cents de leurs prisonniers dans le plus absolu dénuement. On a trouvé dans leur ambulance beaucoup d'hommes qui avaient été blessés et qui étaient morts dans la nuit.

L'intention des Russes paraissait être d'attendre des renforts à Krems, et de se maintenir sur le Danube.

Le combat de Diernstein a déconcerté leurs projets; ils ont vu par ce qu'avaient fait quatre mille Français, ce qui leur arriverait à forces égales.

Le maréchal Mortier s'est mis à leur poursuite, pendant que d'autres corps d'armée passent le Danube sur le pont de Vienne, pour les déborder par la droite; le corps du maréchal Bernadotte est en marche pour les déborder par la gauche.

Hier 22, à dix heures du matin,, le prince Murat traversa Vienne. A la pointe du jour, une colonne de cavalerie s'est portée sur le pont du Danube et a passé, après différens pourparlers avec des généraux autrichiens. Les artificiers ennemis chargés de brûler le pont, l'essayèrent plusieurs fois, mais ne purent y réussir.

Le maréchal Lannes et le général Bertrand, aides-de-camp de l'empereur, ont passé le pont les premiers. Les troupes ne se sont point arrêtées dans Vienne, et ont continué leur marche pour suivre leur direction.

Le prince Murat a établi son quartier-général dans la maison du duc Albert: le duc Albert a fait beaucoup de bien à la ville; plusieurs quartiers manquaient d'eau, il en a fait venir à ses frais, et a dépensé des sommes notables pour cet objet.

Ci-joint l'état de l'artillerie et des munitions trouvées dans Vienne; la maison d'Autriche n'a pas d'autre fonderie ni d'autre arsenal que Vienne. Les Autrichiens n'ont pas eu le temps d'évacuer au-delà du cinquième ou du quart de leur artillerie et d'un matériel considérable. Nous avons des munitions pour faire quatre campagnes et renouveler quatre fois nos équipages d'artillerie, si nous les perdions. Nous avons aussi des approvisionnemens de siége pour armer un grand nombre de places.

L'empereur s'est établi au palais de Schoenbrünn. Il s'est rendu aujourd'hui à Vienne, à deux heures du matin; il a passé le reste de la nuit à visiter les avant-postes sur la rive gauche du Danube, ainsi que les positions, et s'assurer si le service se faisait convenablement. Il était rentré à Schoenbrünn à la petite pointe du jour.

Le temps est devenu très-beau; la journée est une des plus belles de l'hiver, quoique froide. Le commerce et toutes les transactions vont à Vienne comme à l'ordinaire; les habitans sont pleins de confiance et très-tranquilles chez eux. La population de cette ville est de deux cent-cinquante mille âmes. On ne l'estime pas diminuée de dix mille personnes par l'absence de la cour et des grands seigneurs.

L'empereur a reçu à midi M. de Wrbna, qui se trouve à la tête de l'administration de toute l'Autriche.

Le corps d'armée du maréchal Soult a traversé Vienne aujourd'hui, à neuf heures du matin. Celui du maréchal Davoust la traverse en ce moment.

Le général Marmont a eu à Léoben différens petits avantages d'avant-postes.

L'armée bavaroise reçoit tous les jours un grand accroissement.

L'empereur vient de faire à l'électeur de nouveaux présens; il lui a donné quinze mille fusils pris dans l'arsenal de Vienne, et lui a fait rendre toute l'artillerie que, dans différentes circonstances, l'Autriche avait pris dans les états de Bavière.

La ville de Kuffstein a capitulé entre les mains du colonel Pompeï.

Le général Milhaud a poussé l'ennemi sur la route de Brünn jusqu'à Volkersdorff. Aujourd'hui, à midi, il avait fait six cents prisonniers et pris un parc de quarante pièces de canon attelées.

Le maréchal Lannes est arrivé à deux heures après midi à Stokerau; il y a trouvé un magasin immense d'habillemens, huit mille paires de souliers et de bottines, et du drap pour faire des capottes à toute l'armée.

On a aussi arrêté sur le Danube plusieurs bateaux qui descendaient ce fleuve, et qui étaient chargés d'artillerie, de cuir et d'effets d'habillemens.

(Suit le relevé de l'inventaire général des bouches à feu et armes existantes en ce moment à Vienne, au grand arsenal.)




Au quartier impérial de Vienne, le 23 brumaire an 14 (14 novembre 1805).

Ordre du jour.

L'empereur témoigne sa satisfaction au quatrième régiment d'infanterie légère, au trente-deuxième de ligne, pour l'intrépidité qu'ils ont montrée au combat de Diernstein, où leur fermeté à conserver la position qu'ils occupaient a forcé l'ennemi à quitter celle qu'il avait sur le Danube.

S.M. témoigne sa satisfaction au dix-septième régiment de ligne et au trentième, qui, au combat de Lambach, ont tenu tête à l'arrière-garde russe, l'ont entamée, et lui ont fait quatre cents prisonniers.

L'empereur témoigne également sa satisfaction aux grenadiers d'Oudinot, qui, au combat d'Amstetten, ont repoussé de ces belles et formidables positions les corps russes et autrichiens, et ont fait quinze cents prisonniers, dont six cents Russes.

S.M. est satisfaite des premier, seizième et vingt-deuxième régimens de chasseurs; neuvième et dixième régimens de hussards, pour leur bonne conduite dans toutes les charges qui ont eu lieu depuis l'Inn, jusqu'aux portes de Vienne, et pour les huit cents prisonniers russes faits à Stein.

Le prince Murat, le maréchal Lannes, la réserve de cavalerie avec leurs corps d'armée sont entrés à Vienne le 22, se sont emparés le même jour du pont sur le Danube, ont empêché qu'il ne fût brûlé, l'ont passé sur-le-champ, et se sont mis à la poursuite de l'armée russe.

Nous avons trouvé dans Vienne plus de deux mille pièces de canon; une salle d'armes garnie de cent mille fusils; des munitions de toutes espèces; enfin, de quoi former tout l'équipage de trois ou quatre armées.

Le peuple de Vienne a paru voir l'armée avec amitié.

L'empereur ordonne qu'on porte le plus grand respect aux propriétés, et que l'on ait les plus grands égards pour le peuple de cette capitale, qui a vu avec peine la guerre injuste que l'on a faite, et qui nous témoigne, par sa conduite, autant d'amitié qu'il montre de haine pour les Russes, peuple qui, par ses habitudes et ses moeurs barbares, doit inspirer les mêmes sentimens à toutes les nations policées.

NAPOLÉON.




Au palais de Schoenbrünn, le 24 brumaire an 14 (15 novembre 1805).

Vingt-quatrième bulletin de la grande armée.

Au combat de Diernstein, le général-major autrichien Smith, qui dirigeait les mouvemens des Russes, a été tué, ainsi que deux généraux russes. Il paraît que le colonel Wattier n'est pas mort; mais que son cheval ayant été blessé dans une charge, il a été fait prisonnier. Cette nouvelle a causé la plus vive satisfaction à l'empereur, qui fait un cas particulier de cet officier.

Une colonne de quatre mille hommes d'infanterie autrichienne et un régiment de cuirassiers ont traversé nos postes, qui les ont laissé passer sur un faux bruit de suspension d'armes qui avait été répandu dans notre armée. On reconnaît à cette extrême facilité le caractère du Français, qui, brave dans la mêlée, est d'une générosité souvent irréfléchie hors de l'action.

Le général Milhaud, commandant l'avant-garde du corps du maréchal Davoust, a pris cent quatre-vingt-onze pièces de canon, avec tous les caissons d'approvisionnemens. Ainsi, la presque totalité de l'artillerie de la monarchie autrichienne est en notre pouvoir.

Le palais de Schoenbrünn, dans lequel l'empereur est logé, a été bâti par Marie-Thérèse, dont le portrait se trouve dans, presque tous les appartemens.

Dans le cabinet où travaille l'empereur, est une statue de marbré qui représente cette souveraine. L'empereur, en la voyant, a dit que si cette grande reine vivait encore, elle ne se laisserait point conduire par les intrigues d'une femme telle que madame Colloredo. Constamment environnée, comme elle le fut toujours, des grands de son pays, elle aurait connu la volonté de son peuple; elle n'aurait pas fait ravager son pays par les Cosaques et les Moscovites; elle n'aurait pas consulté, pour se résoudre á faire la guerre à la France, un courtisan comme ce Cobetilzel, qui, trop éclairé sur les intrigues de la cour, craint de désobéir à une femme étrangère, investie du funeste crédit dont elle abuse; un scribe comme ce Collembach; un homme enfin aussi universellement haï que Lamberty. Elle n'aurait pas donné le commandement de son armée à des hommes tels que Mack, désigné non par la volonté du souverain, non par la confiance de la nation, mais par l'Angleterre et la Russie. C'est en effet une chose remarquable que cette unanimité d'opinions dans nue nation toute entière contre les déterminations de la cour; les citoyens de toutes les classes, tous les hommes éclairés, tous les princes même se sont opposés à la guerre. On dit que le prince Charles, au moment de partir pour l'armée d'Italie, écrivit encore à l'empereur pour lui représenter l'imprudence de sa résolution, et lui prédire la destruction de la monarchie. L'électeur de Saltzbourg, les archiducs, les grands, tinrent le même langage. Tout le continent doit s'affliger de ce que l'empereur d'Allemagne, qui veut le bien, qui voit mieux que ses ministres, et qui, sous beaucoup de rapports, serait un grand prince, ait une telle défiance de lui-même et vive si constamment isolé. Il apprendrait des grands de l'empire, qui l'estiment, a s'apprécier lui-même; mais aucun d'eux, aucun des hommes considérables qui jugent et chérissent les intérêts de la patrie, n'approchent jamais de son intérieur. Cet isolement, dont on accuse l'influence de l'impératrice, est la cause de la haine que la nation a conçue contre cette princesse. Tant que cet ordre de choses existera, l'empereur ne connaîtra jamais le voeu de son peuple, et sera toujours le jouet des subalternes que l'Angleterre corrompt, et qui le circonviennent de peur qu'il ne soit éclairé. Il n'y a qu'une voix à Vienne, comme à Paris: les malheurs du continent sont le funeste ouvrage des Anglais.

Toutes les colonnes de l'armée sont en grande marche et se trouvent déjà en Moravie, et à plusieurs journées au-delà du Danube. Une patrouille de cavalerie est déjà parvenue jusqu'aux portes de Presbourg, capitale de la Haute-Hongrie; elle a intercepté le courrier de Venise au moment où il cherchait à entrer dans cette ville. Les dépêches de ce courrier portent que l'armée du prince Charles se retire en grande hâte, dans l'espoir d'arriver à temps pour secourir Vienne.

Le général Marmont mande que le corps qui s'était avancé jusqu'à Oedembourg, par la vallée de la Muerh, a évacué cette contrée après avoir coupé tous les ponts, précaution qui l'a mis à l'abri d'une vive poursuite.

Le nombre des prisonniers que fait l'armée s'accroît à chaque instant.

S. M. a donné audience aujourd'hui à M. le général-major batave Bruce, beau-frère du grand pensionnaire, venu pour féliciter l'empereur de la part de LL. HH. PP. les états de Hollande.

L'empereur n'a encore reçu aucune des autorités de Vienne; mais seulement une députation des différens corps de la ville, qui, le jour de son arrivée, est venue à sa rencontre à Sigarts-Kirschen. Elle était composée du prince de Sinzendorf, du prélat de Seidenstetten, du comte de Weterani, du baron de Kess, du bourgmestre de la ville, M. Wohebben, et du général Bourgeois, du corps du génie.

S. M. les a accueillis avec beaucoup de bonté, et leur a dit qu'ils pouvaient assurer le peuple de Vienne de sa protection.

Le général de division Clarke est nommé gouverneur-général de la haute et de la basse Autriche.

Le conseiller d'état Daru en est nommé intendant-général.




Schoenbrünn, le 25 brumaire an 14 (16 novembre 1805).

Vingt-cinquième bulletin de la grande armée.

Le prince Murat et le corps du maréchal Lannes ont rencontré hier l'armée russe à Hollabrünn. Une charge de cavalerie a eu lieu; mais l'ennemi a aussitôt abandonné le terrain, en laissant cent voitures d'équipage attelées.

L'ennemi ayant été joint et les dispositions d'attaque étant faites, un parlementaire autrichien s'est avancé, et a demandé qu'il fût permis aux troupes de l'empereur d'Allemagne de se séparer des Russes; sa demande lui a été accordée.

Peu de temps après, M. le baron de Wintzingerode, aide-de-camp général de S. M. l'empereur de toutes les Russies, s'est présenté aux avant-postes et a demandé à capituler pour l'armée russe. Le prince Murat a cru devoir y consentir; mais l'empereur n'a pas pu approuver cette capitulation. Il part au moment même pour se rendre aux avant-postes.

L'empereur n'a pas pu donner son approbation, parce que cette capitulation est une espèce de traité, et que M. de Wintzingerode n'a pas justifié des pouvoirs de l'empereur de Russie. Cependant S. M., tout en faisant marcher son armée, a déclaré que l'empereur Alexandre se trouvant dans le voisinage, si ce prince ratifie la convention, elle est prête à la ratifier également.

Le général Vialannes, commandant la cavalerie du maréchal Davoust, est entré a Presbourg. M. le général comte de Palffy a écrit une lettre à laquelle le maréchal Davoust a répondu.

Un corps de trois mille Autrichiens s'était retranché dans la position de Waldermünchen, au débouché de la Bohême. Le général Baraguay-d'Hilliers, à la tête de trois bataillons de dragons à pied, a marché contre ce corps, qui s'est hâté d'abandonner sa position.

Le général Baraguay-d'Hilliers était le 18 à Treinitz en Bohême; il espérait entamer ce corps.

Le maréchal Ney avait eu la mission de s'emparer du Tyrol: il s'en est acquitté avec son intelligence et son intrépidité accoutumées. Il a fait tourner les forts de Scharnitz et de Neustark, et s'en est emparé de vive force. Il a pris dans cette affaire dix-huit cents hommes, un drapeau et seize pièces de canon de campagne attelées.

Le 16, à cinq heures après-midi, il a fait son entrée à Inspruck; il y a trouvé un arsenal rempli d'une artillerie considérable, seize mille fusils et une immense quantité de poudre. Le même jour, il est entré à Hall, où il a aussi pris de très-grands et très-riches magasins, dont on n'a pas encore l'inventaire. L'archiduc Jean, qui commandait en Tyrol, s'est échappé par Luchsthall. Il a chargé un colonel de remettre tous les magasins aux Français, et de recommander à leur générosité douze cents malades qui sont à Inspruck.

A tous ces trophées de gloire, est venue se joindre une scène qui a touché l'âme de tous les soldats. Pendant la guerre dernière, le soixante-seizième régiment de ligne avait perdu deux drapeaux dans les Grisons; cette perte était depuis long-temps pour ce corps le motif d'une affliction profonde. Ces braves savaient que l'Europe n'avait point oublié leur malheur, quoiqu'on ne pût en accuser leur courage. Ces drapeaux, sujets d'un si noble regret, se sont trouvés dans l'arsenal d'Inspruck, un officier les a reconnus; tous les soldats sont accourus aussitôt. Lorsque le maréchal Ney les leur a fait rendre avec pompe, des larmes coulaient des yeux de tous les vieux soldats. Les jeunes conscrits étaient fiers d'avoir servi à reprendre ces enseignes enlevées à leurs aînés par les vicissitudes de la guerre. L'empereur a ordonné que cette scène touchante soit consacrée par un tableau. Le soldat français a pour ses drapeaux un sentiment qui tient de la tendresse. Ils sont l'objet de son culte, comme un présent reçu des mains d'une maîtresse.

Le général Klein a fait une incursion en Bohême avec sa division de dragons. Il a vu partout les Russes en horreur: les dévastations qu'ils commettent font frémir. L'irruption de ces barbares appelés par le gouvernement lui-même, a presque éteint dans le coeur des sujets de l'Autriche toute affection pour leur prince. «Nous et les Français, disent les Allemands, nous sommes les fils des Romains; les Russes sont les enfans des Tartares. Nous aimons mieux mille fois voir les Français armés contre nous, que des alliés tels que les Russes». A Vienne, le seul nom d'un Russe inspirait la terreur. Ces hordes de sauvages ne se contentent pas de piller pour leur subsistance; ils enlèvent, ils détruisent tout. Un malheureux paysan qui ne possède dans sa chaumière que ses vêtemens, en est dépouillé par eux. Un homme riche qui occupe un palais, ne peut espérer de les assouvir par ses richesses: ils le dépouillent et le laissent nu sous ses lambris dévastés.

Sans doute, c'est pour la dernière fois que les gouvernemens européens appelleront de si funestes secours. S'ils étaient capables de le vouloir encore, ils auraient à payer ces alliés du soulèvement de leur propre nation. D'ici à cent ans, il ne sera en Autriche au pouvoir d'aucun prince d'introduire des Russes dans ses états. Ce n'est pas qu'il n'y ait dans ces armées un grand nombre d'officiers dont l'éducation a été soignée, dont les moeurs sont douces et l'esprit éclairé Ce qu'on dit d'une armée s'entend toujours de l'instinct naturel de la masse qui la compose.




Znaïm, le 27 brumaire an 14 (18 novembre 1805).

Vingt-sixième bulletin de la grande armée.

Le prince Murat, instruit que les généraux russes, immédiatement après la signature de la convention, s'étaient mis en marche avec une portion de leur armée sur Znaïm, et que tout indiquait que l'autre partie allait la suivre et nous échapper, leur a fait connaître que l'empereur n'avait pas ratifié la convention, et qu'en conséquence il allait attaquer. En effet, le prince Murat a fait ses dispositions, a marché à l'ennemi, et l'a attaqué le 25, à quatre heures après midi, ce qui a donné lieu au combat de Juntersdorff, dans lequel la partie de l'armée russe qui formait l'arrière-garde a été mise en déroute, a perdu douze pièces de canon, cent voitures de bagages, deux mille prisonniers et deux mille hommes restés sur le champ de bataille. Le maréchal Lannes a fait attaquer l'ennemi de front; et tandis qu'il le faisait tourner par la gauche par la brigade de grenadiers du général Dupas, le maréchal Soult le faisait tourner par la droite par la brigade du général Levasseur, de la division Legrand, composée des troisième et dix-huitième régimens de ligne. Le général de division Walther a chargé les Russes avec une brigade de dragons, et a fait trois cents prisonniers.

La brigade de grenadiers du général Laplanche-Mortière s'est distinguée. Sans la nuit, rien n'eût échappé. On s'est battu à l'arme blanche plusieurs fois. Des bataillons de grenadiers russes ont montré de l'intrépidité: le général Oudinot a été blessé; ses deux aides-de-camp, chefs d'escadron Dermangeot et Lamotte, l'ont été à ses côtés. La blessure du général Oudinot l'empêchera de servir pendant une quinzaine de jours. En attendant, l'empereur voulant donner une preuve de son estime aux grenadiers, a nommé le général Duroc pour les commander.

L'empereur a porté son quartier-général à Znaïm le 26, à trois heures après-midi. L'arrière-garde russe a été obligée de laisser ses hôpitaux à Znaïm, où nous avons trouvé des magasins de farine et d'avoine assez considérables. Les Russes se sont retirés sur Brünn, et notre avant-garde les a poursuivis à mi-chemin; mais l'empereur, instruit que l'empereur d'Autriche y était, a voulu donner une preuve d'égards pour ce prince, et s'est arrêté la journée du 27.

Le fort de Keuffstein a été pris par les Bavarois.

Le général Baraguay-d'Hilliers a fait une incursion jusqu'à Pilsen en Bohême, et obligé l'ennemi à évacuer ses positions. Il a pris quelques magasins, et rempli le but de sa mission. Les dragons à pied ont traversé avec rapidité les montagnes couvertes de glace et de sapins qui séparent la Bohême de la Bavière.

On ne se fait pas d'idée de l'horreur que les Russes ont inspirée en Moravie. En faisant leur retraite, ils brûlent les plus beaux villages; ils assomment les paysans. Aussi les habitans respirent-ils en les voyant s'éloigner. Ils disent: «Nos ennemis sont partis.» Ils ne parlent d'eux qu'en se servant du terme de barbares, qui ont apporté chez eux la désolation. Ceci ne s'applique pas aux officiers qui sont en général bien différens de leurs soldats, et dont plusieurs sont d'un mérite distingué; mais l'armée a un instinct sauvage que nous ne connaissons pas dans nos armées européennes.

Lorsqu'on demande aux habitans de l'Autriche, de la Moravie, de la Bohême, s'ils aiment leur empereur: Nous l'aimions, répondent-ils, mais comment voulez-vous que nous l'aimions encore? il a fait venir les Russes.

A Vienne, le bruit avait couru que les Russes avaient battu l'armée française, et venaient sur Vienne; une femme a crié dans la rue: «Les Français sont battus; voici les Russes!» L'alarme a été générale; la crainte et la stupeur ont été dans Vienne. Voilà cependant le résultat des funestes conseils de Cobentzel, de Colloredo et de Lamberti. Aussi ces hommes sont-ils en horreur à la nation, et l'empereur d'Autriche ne pourra reconquérir la confiance et l'amour de ses sujets qu'en les sacrifiant à la haine publique; et, un jour plus tôt, un jour plus tard, il faudra bien qu'il le fasse.




Porltiz, le 28 brumaire an 14 (19 octobre 1805).

Vingt-septième bulletin de la grande armée.

Depuis le combat de Zuntersdorf, l'ennemi a continué sa retraite avec la plus grande précipitation. Le général Sébastiani avec sa brigade de dragons, l'a poursuivi l'épée dans les reins. Les immenses plaines de la Moravie ont favorisé sa poursuite. Le 27, à la hauteur de Porltiz, il a coupé la retraite à plusieurs corps, et a fait dans la journée deux mille Russes prisonniers de guerre.

Le prince Murat est entré le 27, à trois heures après midi, à Brünn, capitale de la Moravie, toujours suivant l'ennemi.

L'ennemi a évacué la ville et la citadelle, qui est un très-bon ouvrage, capable de soutenir un siège en règle.

L'Empereur a mis son quartier-général à Porlitz.

Le maréchal Soult, avec son corps d'armée, est à Riemstschitz.

Le maréchal Lannes est en avant de Porlitz.

Les Moraves ont encore plus de haine pour les Russes et d'amitié pour nous, que les habitans de l'Autriche. Le pays est superbe, et beaucoup plus fertile que l'Autriche. Les Moraves sont étonnés de voir au milieu de leurs immenses plaines les peuples de l'Ukraine, du Kamtschatka, de la Grande-Tartarie, et les Normande, les Gascons, les Bretons et les Bourguignons en venir aux mains et s'égorger, sans cependant que leur pays ait rien de commun, ou qu'il y ait entre eux aucun intérêt politique immédiat; et ils ont assez de bon sens pour dire, dans leur mauvais bohémien, que le sang humain est devenu une marchandise dans les mains des Anglais. Un gros fermier morave disait dernièrement à un officier français, en parlant de l'empereur Joseph II, que c'était l'empereur des paysans, et que, s'il avait continué a vivre, il les aurait affranchis des droits féodaux qu'ils payent aux couvens de religieuses.

Nous avons trouvé à Brünn soixante pièces de canon, trois cents milliers de poudre, une grande quantité de blé et de farine, et des magasins d'habillement très-considérables.

L'empereur d'Allemagne s'est retiré à Olmutz. Nos postes sont à une marche de cette place.




Brünn, le 30 brumaire an 14 (20 novembre 1805).

Vingt-huitième bulletin de la grande armée.

L'empereur est entré a Brünn le 29, à dix heures du matin.

Une députation des états de Moravie, à la tête de laquelle se trouvait l'évêque, est venue a sa rencontre. L'empereur est allé visiter les fortifications, et à ordonné qu'on armât la citadelle, dans laquelle on a trouvé plus de six mille fusils, une grande quantité de munitions de guerre de toute espèce, et entre autres quatre cents milliers de poudre.

Les Russes avaient réuni toute leur cavalerie, qui formait un corps d'environ six mille hommes, et voulaient défendre la jonction des routes de Brünn et d'Olmutz. Le général Walther les contint toute la journée, et, par différentes charges, les obligea à abandonner du terrain. Le prince Murat fit marcher la division de cuirassiers du général d'Hautpoult et quatre escadrons de la garde impériale.

Quoique nos chevaux fussent fatigués, l'ennemi fut chargé et mis en déroute. Il laissa plus de deux cents hommes, cuirassiers ou dragons d'élite, sur le champ de bataille: cent chevaux sont restés dans nos mains.

Le maréchal Bessières, commandant la garde impériale, a fait, à la tête de quatre escadrons de la garde, une brillante charge qui a dérouté et culbuté l'ennemi. Rien ne contrastait comme le silence de la garde et des cuirassiers et les hurlemens des Russes.

Cette cavalerie russe est bien montée, bien équipée: elle a montré de l'intrépidité et de la résolution; mais les hommes ne paraissent pas savoir se servir de leurs sabres; et, à cet égard, notre cavalerie a un grand avantage. Nous avons eu quelques hommes tués et une soixantaine de blessés, parmi lesquels se trouvent le colonel Durosnel, du seizième de chasseurs, et le colonel Bourdon, du onzième de dragons.

L'ennemi s'est retiré de plusieurs lieues.




Brünn, le 2 Frimaire an 14 (23 novembre 18o5).

Vingt-neuvième bulletin de la grande armée.

Le maréchal Ney a fait occuper Brixen, après avoir fait beaucoup de prisonniers à l'ennemi, il a trouvé dans les hôpitaux un grand nombre de malades et blessés autrichiens. Le 26 brumaire, il s'est emparé de Clauzen et de Bolzen.

Le général Jellachick, qui défendait le Voralberg, était occupé.

Le maréchal Bernadotte occupe Iglau. Ses partis sont entrés en Bohême.

Le général de Wrede, commandant les Bavarois, a pris une compagnie d'artillerie autrichienne, cent chevaux de troupe, cinquante cuirassiers et plusieurs officiers. il s'est emparé d'un magasin considérable d'avoine et autres grains, et d'un grand nombre de chariots attelés, chargés du bagage de plusieurs régimens et officiers autrichiens.

L'adjudant-commandant Maison, a fait prisonniers, sur la roule d'Iglau à Brünn, deux cents hommes des dragons de la Tour et des cuirassiers de Hohenlohe. Il a chargé un autre détachement de deux cents hommes, et a fait cent cinquante prisonniers.

Des reconnaissances ont été portées jusqu'à Olmutz. La cour a évacué cette place et s'est retirée en Pologne.

La saison commence à devenir rigoureuse. L'armée française a pris position. Sa tête est appuyée par la place de Brünn, qui est très-bonne, et qu'on s'occupe à armer et à mettre dans le meilleur état de défense.




Au bivouac d'Austerlitz, le 10 frimaire an 14 (1er décembre 1805).

Proclamation à la grande armée.

Soldats,

L'armée russe se présente devant vous pour venger l'armée autrichienne d'Ulm. Ce sont ces mêmes bataillions, que vous avez battus à Hollabrunn, et que depuis vous avez constamment poursuivis jusqu'ici.

Les positions que nous occupons sont formidables, et pendant qu'ils marcheront pour tourner ma droite, ils me présenteront le flanc.

Soldats, je dirigerai moi-même tous vos bataillons: je me tiendrai loin du feu, si avec votre bravoure accoutumée, vous portez le désordre et la confusion dans les rangs ennemis; mais si la victoire était un moment incertaine, vous verriez votre empereur s'exposer aux premiers coups, car la victoire ne saurait hésiter, dans cette journée surtout, où il y va de l'honneur de l'infanterie française, qui importe tant à l'honneur de toute la nation.

Que, sous prétexte d'emmener les blessés, on ne désorganise pas les rangs, et que chacun soit bien pénétré de cette pensée, qu'il faut vaincre ces stipendiés de l'Angleterre, qui sont animés d'une si grande haine contre notre nation.

Cette victoire finira notre campagne, et nous pourrons reprendre nos quartiers d'hiver, où nous serons joints par les nouvelles armées qui se forment en France, et alors la paix que je ferai, sera digne de mon peuple, de vous et de moi.

NAPOLÉON.




Austerlitz, le 12 frimaire an 14 (2 décembre 1805)

Trentième bulletin de la grande armée.

Le 6 frimaire, l'empereur, eu recevant la communication des pleins-pouvoirs de MM. de Stadion et de Giulay, offrit préalablement un armistice, afin d'épargner le sang, si l'on avait effectivement envie de s'arranger et d'en venir à un accommodement définitif.

Mais il fut facile à l'empereur de s'apercevoir qu'on avait d'autres projets; et comme l'espoir du succès ne pouvait venir à l'ennemi que du côté de l'armée russe, il conjectura aisément que les deuxième et troisième armées étaient arrivées, ou sur le point d'arriver à Olmutz, et que les négociations n'étaient plus qu'une ruse de guerre pour endormir sa vigilance.

Le 7, à neuf heures du matin, une nuée de cosaques, soutenue par la cavalerie russe, fit plier les avant-postes du prince Murat, cerna Vischau, et y prit cinquante hommes à pied du sixième régiment de dragons. Dans la journée, l'empereur de Russie se rendit à Vischau, et toute l'armée russe prit position derrière cette ville.

L'empereur avait envoyé son aide-de-camp, le général Savary, pour complimenter l'empereur de Russie dès qu'il avait su ce prince arrivé à l'armée. Le général Savary revint au moment où l'empereur faisait la reconnaissance des feux de bivouac ennemis placés à Vischau. Il se loua beaucoup du bon accueil, des grâces et des bons sentimens personnels de l'empereur de Russie, et même du grand-duc Constantin, qui eut pour lui toute espèce de soins et d'attentions; mais il fut facile de comprendre, par la suite des conversations qu'il eut pendant trois jours avec une trentaine de freluquets qui, sous différens titres, environnent l'empereur de Russie, que la présomption, l'imprudence et l'inconsidération régneraient dans les décisions du cabinet militaire, comme elles avaient régné dans celles du cabinet politique.

Une armée ainsi conduite ne pouvait tarder à faire des fautes. Le plan de l'empereur fut dès ce moment de les attendre et d'épier l'instant d'en profiter. Il donna sur-le-champ l'ordre de retraite à son armée, se retira de nuit, comme s'il eût essuyé une défaite, prit une bonne position à trois lieues en arrière, fit travailler avec beaucoup d'ostentation à la fortifier et à y établir des batteries.

Il fit proposer une entrevue de l'empereur de Russie, qui lui envoya son aide-de-camp le prince Dolgorouki: cet aide-de-camp put remarquer que tout respirait dans la contenance de l'armée française la réserve et la timidité. Le placement des grand'-gardes, les fortifications que l'on faisait en toute hâte, tout laissait voir à l'officier russe une armée à demi battue.

Contre l'usage de l'empereur, qui ne reçoit jamais avec tant de circonspection les parlementaires à son quartier-général, il se rendit lui-même a ses avant-postes. Après les premiers complimens, l'officier russe voulut entamer des questions politiques. Il tranchait sur tout avec une impertinence difficile à imaginer: il était dans l'ignorance la plus absolue des intérêts de l'Europe et de la situation du continent. C'était, en un mot, un jeune trompette de l'Angleterre. Il parlait à l'empereur comme il parle aux officiers russes, que depuis long-temps il indigne par sa hauteur et ses mauvais procédés. L'empereur contint toute son indignation; et ça jeune homme, qui a pris une véritable influence sur l'empereur Alexandre, retourna plein de l'idée que l'armée française était à la veille de sa perte. On se convaincra de tout ce qu'a dû souffrir l'empereur, quand on saura que sur la fin de la conversation, il lui proposa de céder la Belgique et de mettre la couronne de fer sur la tête des plus implacables ennemis de la France. Toutes ces différentes démarches remplirent leur effet. Les jeunes tètes qui dirigent les affaires russes se livrèrent sans mesure à leur présomption naturelle. Il n'était plus question de battre l'armée française, mais de la tourner et de la prendre: elle n'avait tant fait que par la lâcheté des Autrichiens. On assuré que plusieurs vieux généraux autrichiens, qui avaient fait des campagnes contre l'empereur, prévinrent le conseil que ce n'était pas avec cette confiance qu'il fallait marcher contre une armée qui comptait tant de vieux soldats et d'officiers du premier mérite. Ils disaient qu'ils avaient vu l'empereur, réduit à une poignée de mondé dans les circonstances les plus difficiles, ressaisir la victoire par des opérations rapides et imprévues, et détruire les armées les plus nombreuses; que cependant ici on n'avait obtenu aucun avantage; qu'au contraire, toutes les affaires d'arrière-garde de la première armée russe avaient été en faveur de l'armée française; mais à cela cette jeunesse présomptueuse opposait la bravoure de quatre-vingt mille Russes, l'enthousiasme que leur inspirait la présence de leur empereur, le corps d'élite de la garde impériale de Russie, et, ce qu'ils n'osaient probablement pas dire, leur talent, dont ils étaient étonnés que les Autrichiens voulussent méconnaître la puissance.

Le 10, l'empereur, du haut de son bivouac, aperçut, avec une indicible joie, l'armée russe, commençant, à deux portées de canon de ses avant-postes, un mouvement de flanc pour tourner sa droite. Il vit alors jusqu'à quel point la présomption et l'ignorance de l'art de la guerre avaient égaré les conseils de cette brave armée. Il dit plusieurs fois: «Avant demain au soir cette armée est à moi.» Cependant le sentiment de l'ennemi était Bien différent: il se présentait devant nos grand'-gardes à portée de pistolet: il défilait par une marche de flanc sur une ligne de quatre lieues, en prolongeant l'armée française, qui paraissait ne pas oser sortir de sa position: il n'avait qu'une crainte, c'était que l'armée française ne lui échappât. On fit tout pour confirmer l'ennemi dans cette idée. Le prince Mural fit avancer un petit corps de cavalerie dans la plaine; mais tout d'un coup il parut étonné des forces immenses de l'ennemi, et rentra à la hâte. Ainsi, tout tendait à confirmer le général russe dans l'opération mal calculée qu'il avait arrêtée. L'empereur fit mettre à l'ordre la proclamation ci-jointe. Le soir, il voulut visiter à pied et incognito tous les bivouacs; mais à peine eut-il fait quelques pas qu'il fut reconnu. Il serait impossible de peindre l'enthousiasme des soldats en le voyant. Des fanaux de paille furent mis en un instant au haut de milliers de perches, et quatre-vingt mille hommes se présentèrent au devant de l'empereur, en le saluant par des acclamations; les uns, pour fêter l'anniversaire de son couronnement, les autres disant que l'armée donnerait le lendemain son bouquet à l'empereur. Un des plus vieux grenadiers s'approcha de lui et lui dit: «Sire, tu n'auras pas besoin de l'exposer. Je te promets, au nom des grenadiers de l'armée, que tu n'auras à combattre que des yeux, et que nous t'amènerons demain les drapeaux et l'artillerie de l'armée russe pour célébrer l'anniversaire de ton couronnement.».

L'empereur dit en entrant dans son bivouac, qui consistait en une mauvaise cabane de paille sans toit, que lui avaient faite les grenadiers: «Voilà la plus belle soirée de ma vie; mais je regrette de penser que je perdrai bon nombre de ces braves gens. Je sens, au mal que cela me fait, qu'ils sont véritablement mes enfans; et, en vérité, je me reproche quelquefois ce sentiment, car je crains qu'il ne me rende inhabile à faire la guerre.» Si l'ennemi eût pu voir ce spectacle, il eût été épouvanté. Mais l'insensé continuait toujours son mouvement, et courait à grands pas à sa perte.

L'empereur fit sur-le-champ toutes ses dispositions de bataille. Il fit partir le maréchal Davoust en toute hâte, pour se rendre au couvent de Raygern; il devait, avec une de ses divisions et une division de dragons, y contenir l'aile gauche de l'ennemi, afin qu'au moment donné elle se trouvât enveloppée: il donna le commandement de la gauche au maréchal Lannes, de la droite au maréchal Soult, du centre au maréchal Bernadotte, et de toute la cavalerie, qu'il réunit sur un seul point, au prince Murat. La gauche du maréchal Lannes était appuyée au Santon, position superbe que l'empereur avait fait fortifier, et où il avait fait placer dix-huit pièces de canon. Dès la veille, il avait confié la garde de cette belle position au dix-septième régiment d'infanterie légère, et certes elle ne pouvait être gardée par de meilleures troupes. La division du général Suchet formait la gauche du maréchal Lannes; celle du général Caffarelli formait sa droite, qui était appuyée sur la cavalerie du prince Murat. Celle-ci avait devant elle les hussards et chasseurs sous les ordres du général Kellermann, et les divisions de dragons Valther et Beaumont; et en réserve les divisions de cuirassiers des généraux Nansouty et d'Hautpoult, avec vingt-quatre pièces d'artillerie légère.

Le maréchal Bernadotte, c'est-à-dire le centre, avait à sa gauche la division du général Rivaud, appuyée à la droite du prince Murat, et à sa droite la division du général Drouet.

Le maréchal Soult, qui commandait la droite de l'armée, avait à sa gauche la division du général Vandamme, au centre la division du général Saint-Hilaire, à sa droite la division du général Legrand. Le maréchal Davoust était détaché sur la droite du général Legrand, qui gardait les débouchés des étangs, et des villages de Sokolnilz et de Celnitz. Il avait avec lui la division Friant et les dragons de la division du général Bourcier. La division du général Gudin devait se mettre de grand matin en marche de Nicolsburg, pour contenir le corps ennemi qui aurait pu déborder la droite.

L'empereur, avec son fidèle compagnon de guerre, le maréchal Berthier, son premier aide-de-camp le colonel-général Junot, et tout son état-major, se trouvait en réserve avec les dix bataillons de sa garde et les dix bataillons de grenadiers du général Oudinot, dont le général Duroc commandait une partie.

Cette réserve était rangée sur deux lignes, en colonnes par bataillons, à distance de déploiement, ayant dans les intervalles quarante pièces de canon servies par les canonniers de la garde. C'est avec cette réserve que l'empereur avait le projet de se précipiter par tout où il eût été nécessaire. On peut dire que cette réserve valait une armée.

A une heure du matin, l'empereur monta à cheval pour parcourir ses postes, reconnaître les feux des bivouacs de l'ennemi, et se faire rendre compte par les grand'gardes de ce qu'elles avaient pu entendre des mouvemens des Russes. Il apprit qu'ils avaient passé la nuit dans l'ivresse et des cris tumultueux, et qu'un corps d'infanterie russe s'était présenté au village de Sokolnitz, occupé par un régiment de la division du général Legrand, qui reçut ordre de le renforcer.

Le 11 frimaire, le jour parut enfin. Le soleil se leva radieux; et cet anniversaire du couronnement de l'empereur, où allait se passer l'un des plus beaux faits d'armes du siècle, fut une des plus belles journées de l'automne.

Cette bataille, que les soldats s'obstinent à appeler la journée des trois empereurs, que d'autres appellent la journée de l'anniversaire, et que l'empereur a nommée la journée d'Austerlitz, sera à jamais mémorable dans les fastes de la grande nation.

L'empereur, entouré de tous les maréchaux, attendait, pour donner les derniers ordres, que l'horizon fût bien éclairci. Aux premiers rayons du soleil, les ordres furent donnés, et chaque maréchal rejoignit son corps au grand galop.

L'empereur dit en passant sur le front de bandière de plusieurs régimens: Soldats, il faut finir cette campagne par un coup de tonnerre qui confonde l'orgueil de nos ennemis. Aussitôt les chapeaux au bout des baïonnettes et les cris de vive l'empereur! furent le véritable signal du combat. Un instant après la canonnade se fit entendre à l'extrémité de la droite, que l'avant-garde ennemie avait déjà débordée; mais la rencontre imprévue du maréchal Davoust arrêta l'ennemi tout court, et le combat s'engagea.

Le maréchal Soult s'ébranle au même instant, se dirige sur les hauteurs du village de Pringen avec les divisions des généraux Vandamme et Saint-Hilaire, et coupe entièrement la droite de l'ennemi, dont tous les mouvemens devinrent incertains. Surprise par une marche de flanc pendant qu'elle fuyait, se croyant attaquante et se voyant attaquée, elle se regarde a demi battue.

Le prince Murat s'ébranle avec sa cavalerie; la gauche, commandée par le maréchal Lannes, marche en échelons par régimens, comme à l'exercice. Une canonnade épouvantable s'engage sur toute la ligne; deux cents pièces de canon, et près de deux cent mille hommes, faisaient un bruit affreux: c'était un véritable combat de géans. Il n'y avait pas une heure qu'on se battait, et toute la gauche de l'ennemi était coupée. Sa droite se trouvait déjà arrivée à Austerlitz, quartier-général des deux empereurs, qui durent faire marcher sur-le-champ la garde de l'empereur de Russie, pour tâcher de rétablir la communication du centre avec la gauche. Un bataillon du quatrième de ligne fut chargé par la garde impériale russe à cheval, et culbuté; usais l'empereur n'était pas loin: il s'aperçut de ce mouvement; il ordonna au maréchal Bessières de se porter au secours de sa droite avec ses invincibles, et bientôt les deux gardes furent aux mains. Le succès ne pouvait être douteux: dans un moment la garde russe fut en déroute. Colonel, artillerie, étendards, tout fut enlevé. Le régiment du grand-duc Constantin fut écrasé; lui-même ne dut son salut qu'à la vitesse de son Cheval.

Des hauteurs d'Austerliz, les deux empereurs virent la défaite de toute la garde russe. Au même moment le centre de l'armée, commandé par le maréchal Bernadette, s'avança; trois de ses régimens soutinrent une très-belle charge de cavalerie. La gauche, commandée par le maréchal Lannes, donna trois fois. Toutes les charges furent victorieuses. La division du général Caffarelli s'est distinguée. Les divisions de cuirassiers se sont emparées des batteries de l'ennemi. A une heure après midi la victoire était décidée; elle n'avait pas été un moment douteuse. Pas un homme de la réserve n'avait été nécessaire et n'avait donné nulle part. La canonnade ne se soutenait plus qu'à notre droite. Le corps de l'ennemi, qui avait été cerné et chassé de toutes ses hauteurs, se trouvait dans un bas-fond et acculé à un lac. L'empereur s'y porta avec vingt pièces de canon. Ce corps fut chassé de position en position, et l'on vit un spectacle horrible, tel qu'on l'avait vu à Aboukir, vingt mille hommes se jetant dans l'eau et se noyant dans les lacs.

Deux colonnes, chacune de quatre mille Russes, mettent bas les armes et se rendent prisonniers; tout le parc de l'ennemi est pris. Les résultats de cette journée sont quarante drapeaux russes, parmi lesquels sont les étendards de la garde impériale; un nombre considérable de prisonniers; l'état-major ne les connaît pas encore tous, on avait déjà la note de vingt mille; douze ou quinze généraux; au moins quinze mille Russes tués, restés sur le champ de bataille. Quoiqu'on n'ait pas encore les rapports, on peut, au premier coup d'oeil, évaluer notre perte à huit cents hommes tués et à quinze ou seize cents blessés. Cela n'étonnera pas les militaires, qui savent que ce n'est que dans la déroute qu'on perd des hommes, et nul autre corps que le bataillon du quatrième n'a été rompu. Parmi les blessés sont le général Saint-Hilaire, qui, blessé au commencement de l'action, est resté toute la journée sur le champ de bataille; il s'est couvert de gloire; les généraux de division Kellermann et Walther; les généraux de brigade Valhubert, Thiébaut, Sébastiani, Compan et Rapp, aide-de-camp de l'empereur. C'est ce dernier qui, en chargeant à la tête des grenadiers de la garde, a pris le prince Repnin, commandant les chevaliers de la garde impériale de Russie. Quant aux hommes qui se sont distingués, c'est toute l'armée qui s'est couverte de gloire. Elle a constamment chargé aux cris de vive l'empereur! et l'idée de célébrer si glorieusement l'anniversaire du couronnement animait encore le soldat.

L'armée française, quoique nombreuse et belle, était moins nombreuse que l'armée ennemie, qui était forte de cent cinq mille hommes, dont quatre-vingt mille Russes et vingt-cinq mille Autrichiens. La moitié de cette armée est détruite; le reste a été mis en déroute complette, et la plus grande partie a jeté ses armes.

Cette journée coûtera des larmes de sang à Saint-Pétersbourg. Puisse-t-elle y faire rejeter avec indignation l'or de l'Angleterre! et puisse ce jeune prince, que tant de vertus appelaient à être le père de ses sujets, s'arracher à l'influence de ces trente freluquets que l'Angleterre solde avec art, et dont les impertinences obscurcissent ses intentions, lui font perdre l'amour de ses soldats, et le jettent dans les opérations les plus erronées! La nature, en le douant de si grandes qualités, l'avait appelé à être le consolateur de l'Europe. Des conseils perfides, en le rendant l'auxiliaire de l'Angleterre, le placeront dans l'histoire au rang des hommes qui, en perpétuant la guerre sur le continent, auront consolidé la tyrannie britannique sur les mers et fait le malheur de notre génération. Si la France ne peut arriver à la paix qu'aux conditions que l'aide-de-camp Dolgorouki a proposées à l'empereur, et que M. de Novozilzof avait été chargé de porter, la Russie ne les obtiendrait pas, quand même son armée serait campée sur les hauteurs de Montmartre.

Dans une relation plus détaillée de cette bataille, l'état-major fera connaître ce que chaque corps, chaque officier, chaque général, ont fait pour illustrer le nom français et donner un témoignage de leur amour à leur empereur.

Le 12, à la pointe du jour, le prince Jean de Lichtenstein, commandant l'armée autrichienne, est venu trouver l'empereur à son quartier-général, établi dans une grange. Il en a eu une longue audience. Cependant nous poursuivons nos succès, L'ennemi s'est retiré sur le chemin d'Austerliz à Godding. Dans cette retraite il prête le flanc; l'armée française est déjà sur ses derrières, et le suit l'épée dans les reins.

Jamais champ de bataille ne fut plus horrible. Du milieu de lacs immenses, on entend encore les cris de milliers d'hommes qu'on ne peut secourir. Il faudra trois jours pour que tous les blessés ennemis soient évacués sur Brünn. Le coeur saigne. Puisse tant de sang versé, puissent tant de malheurs retomber enfin sur les perfides insulaires qui en sont la cause! puissent les lâches oligarques de Londres porter la peine de tant de maux!




Austerliz, le 12 frimaire an 14 (3 décembre 1805).

Trentième bulletin (bis) de la grande armée.

En ce moment arrive au quartier-général la capitulation envoyée par le maréchal Augereau, du corps d'armée autrichien commandé par le général Jellachich. L'empereur eût préféré que l'on eût gardé les prisonniers en France, cela eût-il dû occasionner quelques jours de blocus de plus; car l'expérience a prouvé que, renvoyés en Autriche, les soldats servent incontinent après.

Le général de Wrede, commandant les Bavarois, a eu différentes affaires en Bohême contre l'archiduc Ferdinand. Il a fait quelques centaines de prisonniers.

Le prince de Rohan, à la tête d'un corps de six mille hommes qui avait été coupé par le maréchal Ney et par le maréchal Augereau, s'est jeté sur Trente, a passé la gorge de Bonacio, et tenté de pénétrer à Venise. Il a été battu par le général Saint-Cyr, qui l'a fait prisonnier avec ses six mille hommes.




Austerlitz, le 14 frimaire an 14 (4 décembre 1805).

Trente-unième bulletin de la grande armée.

L'empereur est parti hier d'Austerlitz, et est allé à ses avant-postes près de Saruschitz, et s'est là placé à son bivouac. L'empereur d'Allemagne n'a pas tardé à arriver. Ces deux monarques ont eu une entrevue qui a duré deux heures.

L'empereur d'Allemagne n'a pas dissimulé, tant de sa part que de la part de l'empereur de Russie, tout le mépris que leur inspirait la conduite de l'Angleterre. «Ce sont des marchands, a-t-il répété, qui mettent en feu le continent pour s'assurer le commerce du inonde.»

Ces deux princes sont convenus d'un armistice et des principales conditions de la paix, qui sera négociée et terminée sous peu de jours.

L'empereur d'Allemagne a fait également connaître à l'empereur, que l'empereur de Russie demandait à faire sa paix séparée, qu'il abandonnait entièrement les affaires de l'Angleterre, et n'y prenait plus aucun intérêt.

L'empereur d'Allemagne répéta plusieurs fois dans la conversation: «Il n'y a point de doute; dans sa querelle avec l'Angleterre, la France a raison.» Il demanda aussi une trêve pour les restes de l'armée russe. L'empereur lui fit observer que l'armée russe était cernée, que pas un homme ne pouvait échapper: «Mais, ajouta-t-il, je désire faire une chose agréable à l'empereur Alexandre; je laisserai passer l'armée russe, j'arrêterai la marche de mes colonnes; mais votre majesté me promet que l'armée russe retournera en Russie, évacuera l'Allemagne et la Pologne autrichienne et prussienne.»—«C'est l'intention de l'empereur Alexandre, a répondu l'empereur d'Allemagne; je puis vous l'assurer: d'ailleurs, dans la nuit, vous pourrez vous en convaincre par vos propres officiers.»

On assure que l'empereur a dit à l'empereur d'Allemagne, en le faisant approcher du feu de son bivouac: «Je vous reçois dans le seul palais que j'habite depuis deux mois.» L'empereur d'Allemagne a répondu en riant: «Vous tirez si bon parti de cette habitation qu'elle doit vous plaire.» C'est du moins ce que l'on croit avoir entendu. La nombreuse suite des deux princes n'était pas assez éloignée pour qu'elle ne pût entendre plusieurs choses.

L'empereur a accompagné l'empereur d'Allemagne à sa voiture, et s'est fait présenter les deux princes de Lichtenstein et le général prince de Schwartzenberg. Après cela il est revenu coucher à Austerlitz.

On recueille tous les renseignemens pour faire une belle description de la bataille d'Austerlitz. Un grand nombre d'ingénieurs lèvent le plan du champ de bataille. La perte des Russes à été immense: les généraux Kutuzow et Buxhowden ont été blessés; dix ou douze généraux ont été tués: plusieurs aides-de-camp de l'empereur de Russie et un grand nombre d'officiers de distinction ont été tués. Ce n'est pas cent vingt pièces de canon qu'on a prises, mais cent cinquante. Les colonnes ennemies qui se jetèrent dans les lacs furent favorisées par la glace; mais la canonnade la rompit, et des colonnes entières se noyèrent. Le soir de la journée, et pendant plusieurs heures de la nuit, l'empereur a parcouru le champ de bataille et a fait enlever les blessés: spectacle horrible s'il en fut jamais! L'empereur, monté sur des chevaux très-vites, passait avec la rapidité de l'éclair, et rien n'était plus touchant que de voir ces braves gens le reconnaître sur-le-champ; les uns oubliaient leurs souffrances et disaient: Au moins la victoire est-elle bien assurée? Les autres: Je souffre depuis huit heures, et depuis le commencement de la bataille je suis abandonné, mais j'ai bien fait mon devoir. D'autres: Vous devez être content de vos soldats aujourd'hui. A chaque soldat blessé l'empereur laissait une garde qui le faisait transporter dans les ambulances. Il est horrible de le dire: quarante-huit heures après la bataille, il y avait encore un grand nombre de Russes qu'on n'avait pu panser. Tous les Français le furent avant la nuit. Au lieu de quarante drapeaux, il y en a jusqu'à cette heure quarante-cinq, et l'on trouve encore les débris de plusieurs.

Rien n'égale la gaîté des soldats à leur bivouac. A peine aperçoivent-ils un officier de l'empereur, qu'ils lui crient: L'empereur a-t-il été content de nous?

En passant devant le vingt-huitième de ligne, qui a beaucoup de conscrits du Calvados et de la Seine-Inférieure, l'empereur lui dit: «J'espère que les Normands se distingueront aujourd'hui.» Ils ont tenu parole; les Normands se sont distingués. L'empereur, qui connaît la composition de chaque régiment, a dit à chacun son mot; et ce mot arrivait et parlait au coeur de ceux auxquels il était adressé, et devenait leur mot de ralliement au milieu du feu. Il dit au cinquante-septième: «Souvenez-vous qu'il y a bien des années que je vous ai surnommé le Terrible.».I1 faudrait nommer tous les régimens de l'armée; il n'en est aucun qui n'ait fait des prodiges de bravoure et d'intrépidité. C'est là le cas de dire que la mort s'épouvantait et fuyait devant nos rangs, pour s'élancer dans les rangs ennemis; pas un corps n'a fait un mouvement rétrograde. L'empereur disait: «J'ai livré trente batailles comme celle-ci, mais je n'en ai vu aucune où la victoire ait été si décidée, et les destins si peu balancés.» La garde à pied de l'empereur n'a pu donner; elle en pleurait de rage. Comme elle demandait absolument à faire quelque chose: «Réjouissez-vous de ne rien faire, lui dit l'empereur: vous devez donner en réserve; tant mieux si l'on n'a pas besoin de vous aujourd'hui.»

Trois colonels de la garde impériale russe sont pris, avec le général qui la commandait. Les hussards de cette garde ont fait une charge sur la division Caffarelli. Cette seule charge leur a coûté trois cents hommes qui restèrent sur le champ de bataille. La cavalerie française s'est montrée supérieure et a parfaitement fait. À la fin de la bataille, l'empereur a envoyé le colonel Dallemagne avec deux escadrons de sa garde en partisans, pour parcourir à volonté les environs du champ de bataille, et ramener les fuyards. Il a pris plusieurs drapeaux, quinze pièces de canon, et fait quinze cents prisonniers. La garde regrette beaucoup le colonel des chasseurs à cheval Morland, tué d'un coup de mitraille, en chargeant l'artillerie de la garde impériale russe. Cette artillerie fut prise; mais ce brave colonel trouva la mort. Nous n'avons eu aucun général tué. Le colonel Mazas, du quatorzième de ligne, brave homme, a été tué. Beaucoup de chefs de bataillon ont été blessés. Les voltigeurs ont rivalisé avec les grenadiers. Les cinquante-cinquième, quarante-troisième, quatorzième, trente-sixième, quarantième et dix-septième...; mais on n'ose nommer aucun corps, ce serait une injustice pour les autres; ils ont tous fait l'impossible. Il n'y avait pas un officier, pas un général, pas un soldat qui ne fût décidé à vaincre ou à périr.

Il ne faut point taire un trait qui honore l'ennemi: le commandant de l'artillerie de la garde impériale russe venait de perdre ses pièces; il rencontra l'empereur: Sire, lui dit-il, faites-moi fusiller, je viens de perdre mes pièces. «Jeune homme, lui répondit l'empereur, j'apprécie vos larmes; mais on peut être battu par mon armée, et avoir encore des titres à la gloire.»

Nos avant-postes sont arrivés à Olmutz; l'impératrice et toute sa cour s'en sont sauvées en toute hâte.

Le colonel Corbineau, écuyer de l'empereur, commandant le cinquième régiment de chasseurs, a eu quatre chevaux tués; au cinquième il a été blessé lui-même, après avoir enlevé un drapeau. Le prince Murat se loue beaucoup des belles manoeuvres du général Kellermann, des belles charges des généraux Nansouty et d'Hautpoult, et enfin de tous les généraux; mais il ne sait qui nommer, parce qu'il faudrait les nommer tous.

Les soldats du train ont mérité les éloges de l'armée. L'artillerie a fait un mal épouvantable à l'ennemi. Quand on en a rendu compte à l'empereur, il a dit: «Ces succès me font plaisir, car je n'oublie pas que c'est dans ce corps que j'ai commencé ma carrière militaire.»

L'aide-de-camp de l'empereur, le général Savary, avait accompagné l'empereur d'Allemagne après l'entrevue, pour savoir si l'empereur de Russie adhérait à la capitulation. Il a trouvé les débris de l'armée russe sans artillerie ni bagages et dans un épouvantable désordre; il était minuit; le général Meerfeld avait été repoussé de Godding par le maréchal Davoust; l'armée russe était cernée; pas un homme ne pouvait s'échapper. Le prince Czartorinski introduisit le général Savary près de l'empereur. Dites à votre maître, lui cria ce prince, que je m'en vais; qu'il a fait hier des miracles; que cette journée a accru mon admiration pour lui; que c'est un prédestiné du ciel; qu'il faut à mon armée cent ans pour égaler la sienne. Mais puis-je me retirer avec sûreté? Oui, Sire, lui dit le général Savary, si V.M. ratifie ce que les deux empereurs de France et d'Allemagne ont arrêté dans leur entrevue.—Eh qu'est-ce?—Que l'armée de V.M. se retirera chez elle par les journées d'étape qui seront réglées par l'empereur, et qu'elle évacuera l'Allemagne et la Pologne autrichienne. A cette condition, j'ai l'ordre de l'empereur de me rendre a nos avant-postes qui vous ont déjà tourné, et d'y donner ses ordres pour protéger votre retraite, l'empereur voulant respecter l'ami du premier consul.—Quelle garantie faut-il pour cela?—Sire, votre parole.—Je vous la donne.—Cet aide-de-camp partit sur-le-champ au grand galop, se rendit auprès du maréchal Davoust, auquel il donna l'ordre de cesser tout mouvement et de rester tranquille. Puisse cette générosité de l'empereur des Français ne pas être aussitôt oubliée en Russie que le beau procédé de l'empereur qui renvoya six mille hommes à l'empereur Paul avec tant de grace et de marques d'estime pour lui. Le général Savary avait causé une heure avec l'empereur de Russie, et l'avait trouvé tel que doit être un homme de coeur et de sens, quelques revers d'ailleurs qu'il ait éprouvés. Ce monarque lui demanda des détails sur la journée. Vous étiez inférieurs à moi, lui dit-il, et cependant vous étiez supérieurs sur tous les points d'attaque. Sire, répondit le général Savary, c'est l'art de la guerre et le fruit de quinze ans de gloire; c'est la quarantième bataille que donne l'empereur.—Cela est vrai; c'est un grand homme de guerre. Pour moi, c'est la première fois que je vois le feu. Je n'ai jamais eu la prétention de me mesurer avec lui.—Sire, quand vous aurez de l'expérience, vous le surpasserez peut-être.—Je m'en vais donc dans ma capitale. J'étais venu au secours de l'empereur d'Allemagne; il m'a fait dire qu'il est content. Je le suis aussi.

A son entrevue avec l'empereur d'Allemagne, l'empereur lui a dit: «M. et Mme Colloredo, MM. Paget et Rasumowki ne font qu'un avec votre ministre Cobentzel: voilà les vraies, causes de la guerre, et si V.M. continue à se livrer à ces intrigans, elle ruinera toutes les affaires et s'aliénera le coeur de ses sujets, elle cependant qui a tant de qualités pour étre heureuse et aimée!»

Un major autrichien s'étant présenté aux avant-postes; porteur de dépêches de M. Cobentzel pour M. de Stadion à Vienne, l'empereur a dit: «Je ne veux rien de commun avec cet homme qui s'est vendu à l'Angleterre pour payer ses dettes, et qui a ruiné son maître et sa nation, en suivant les conseils de sa soeur et de Mme Colloredo.»

L'empereur fait le plus grand cas du prince Jean de Lichtenstein; il a dit plusieurs fois; «Comment, lorsqu'on a des hommes d'aussi grande distinction, laisse-t-on mener ses affaires par des sots et des intrigans?» Effectivement le prince de Lichtenstein est un des hommes les plus distingués, non seulement par ses talens militaires, mais encore par ses qualités et ses connaissances.

On assure que l'empereur a dit, après sa conférence avec l'empereur d'Allemagne: «Cet homme me fait faire une faute, car j'aurais pu suivre ma victoire, et prendre toute l'armée russe et autrichienne; mais enfin quelques larmes de moins seront versées.»




Austerlitz, le 15 frimaire an 14 (6 décembre 1805).

Trente-deuxième bulletin de la grande armée.

Le général Friant, à la bataille d'Austerlitz, a eu quatre chevaux tués sous lui. Les colonels Conroux et Demoustier se sont fait remarquer. Les traits de courage sont si nombreux, qu'à mesure que le rapport en est fait à l'empereur, il dit: «Il me faut toute ma puissance pour récompenser dignement tous ces braves gens.»

Les Russes, en combattant, ont l'habitude de mettre leurs havre-sacs bas. Comme toute l'armée russe a été mise en déroute, nos soldats ont pris tous des havre-sacs. On a pris aussi une grande partie de ses bagages, et les soldats y ont trouvé beaucoup d'argent.

Le général Bertrand, qui avait été détaché après la bataille avec un escadron de la garde, a ramassé un grand nombre de prisonniers, dix-neuf pièces de canon et beaucoup de voitures remplies d'effets. Le nombre de pièces de canon prises jusqu'à cette heure, se monte à cent soixante-dix.

L'empereur a témoigné quelque mécontentement de ce qu'on lui eût envoyé des plénipotentiaires la veille de la bataille, et qu'on eût ainsi prostitué le caractère diplomatique. Cela est digne de M. de Cobentzel, que toute la nation regarde comme un des principaux auteurs de tous ces malheurs.

Le prince Jean de Lichtenstein est venu trouver l'empereur au château d'Austerlitz. L'empereur lui a accordé une conférence de plusieurs heures. On remarque que l'empereur cause volontiers avec cet officier général. Ce prince a conclu, avec le maréchal Berthier, un armistice de la teneur suivante:

M. Talleyrand se rend à Nicolsburg, où les négociations vont s'ouvrir.




Armistice conclu entre LL. MM. II. de France et d'Autriche.

S.M. l'empereur des Français et S.M. l'empereur d'Allemagne voulant arriver à des négociations définitives pour mettre fin à la guerre qui désole les deux états, sont convenus au préalable, de commencer par un armistice, lequel aura lieu jusqu'à la conclusion de la pais définitive ou jusqu'à la rupture des négociations; et dans ce cas, l'armistice ne devra cesser que quinze jours après cette rupture; et la cessation de l'armistice sera notifiée aux plénipotentiaires des deux puissances et au quartier-général des deux armées.

Les conditions de l'armistice sont:

Art. 1er. La ligne des deux armées sera en Moravie, le cercle d'Iglau, le cercle de Znaïm, le cercle de Brünn, la partie du cercle d'Olmutz sur la rive droite de la petite rivière de Trezeboska en avant de Prosnitz jusqu'à l'endroit où elle se jette dans la Marck, et la rive droite de la Marck jusqu'à l'embouchure de cette rivière dans le Danube, y compris cependant Presbourg.

Il ne sera mis néanmoins aucune troupe française ni autrichienne dans un rayon de cinq à six lieues autour de Holitch, à la rivé droite de la Marck.

La ligne des deux armées comprendra en outre, dans le territoire à occuper par l'armée française, toute la basse et haute Autriche, le Tyrol, l'état de Venise, la Carinthie, la Styrie, la Carniole, le comté de Goritz et l'Istrie: enfin, dans la Bohême, le cercle de Montabor, et tout ce qui est à l'est de la route de Tabor à Lintz.

2. L'armée russe évacuera les états d'Autriche, ainsi que là Pologne autrichienne; savoir: la Moravie et la Hongrie, dans l'espace de quinze jours, et la Gallicie dans l'espace d'un mois. L'ordre de route de l'armée russe sera tracé, afin qu'on sache toujours où elle se trouve, ainsi que pour éviter tout malentendu.

3. Il ne sera fait en Hongrie aucune espèce de levée en masse, ni d'insurrections; et en Bohème, aucune espèce de levée extraordinaire; aucune armée étrangère ne pourra entrer sur le territoire de la maison d'Autriche.

Des négociateurs se réuniront de part et d'autre à Nicolsburg, pour procéder directement à l'ouverture des négociations, afin de parvenir à rétablir promptement la paix et la bonne harmonie entre les deux empereurs.

Fait double entre nous soussignés, le maréchal Berthier, ministre de la guerre, major-général de la grande armée, chargé des pleins pouvoirs de S.M. l'empereur des Français et roi d'Italie, et le prince Jean de Lichtenstein, lieutenant-général, chargé des pleins-pouvoirs de S.M. l'empereur d'Autriche, roi de Hongrie, etc.

A Austerlitz, le 15 frimaire an 14 (6 décembre 1805).

Signé, maréchal BERTHIER,
et Jean, prince DE LICHTENSTEIN, lieutenant-général.




Austerlitz, le 16 frimaire an 14 (6 décembre 1805).

Trente-troisième bulletin de la grande armée.

Le général en chef Buxhowden a été tué avec un grand nombre d'autres généraux russes dont on ignore les noms. Nos soldats ont ramassé une grande quantité de décorations; le général russe Kutusow a été blessé, et son beau-fils, jeune homme de grand mérite, a été tue.

On a fait compter les cadavres: il en résulte qu'il y a dix-huit mille Russes tués, six cents Autrichiens et neuf cents Français. Nous avons sept mille blessés russes. Tout compte fait, nous avons trois mille blessés Français; le général Roger Valhubert est mort des suites de ses blessures; il a écrit à l'empereur une heure avant de mourir: «J'aurais voulu faire plus pour vous; je meurs dans une heure: je ne regrette pas la vie, puisque j'ai participé à une victoire qui vous assure un règne heureux. Quand vous penserez aux braves qui vous étaient dévoués, pensez à ma mémoire. Il me suffit de vous dire que j'ai une famille; je n'ai pas besoin de vous la recommander».

Les généraux Kellermann, Sébastiani et Thiébaut sont hors de danger.

Les généraux Marisy et Demont sont blessés, mais beaucoup moins grièvement.

On sera sans doute bien aise de connaître les différens décrets que l'empereur a rendus successivement en faveur de l'armée; ils sont ci-joints.

Le corps du général Buxhowden, qui était à la gauche, était de vingt-sept mille hommes: pas un n'a rejoint l'armée russe. Il a été plusieurs heures sous la mitraille de quarante pièces de canon, dont une partie servie par l'artillerie de la garde impériale, et sous la fusillade des divisions des généraux Saint-Hilaire et Friant. Le massacre a été horrible; la perte dés Russes ne peut s'évaluer à moins de quarante-cinq mille hommes, et l'empereur de Russie ne s'en retournera pas chez lui avec plus de vingt-cinq mille hommes.

Puisse cette leçon profiter à ce jeune prince et lui faire abandonner le conseil qu'a acheté l'Angleterre! Puisse-t-il répondre le véritable rôle qui convient a son pays et à son caractère, et secouer enfin le joug de ces vils oligarques de Londres! Catherine-la-Grande connaissait bien le génie et les ressources de la Russie, lorsque dans la première coalition elle n'envoya point d'armée, et se contenta de secourir les coalisés par ses conseils et par ses voeux. Mais elle avait l'expérience d'un long règne et du caractère de sa nation. Elle avait réfléchi sur les dangers des coalitions. Cette expérience ne peut être acquise à vingt-quatre ans.

Lorsque Paul, son fils, fit marcher des armées contre la France, il sentit bientôt que les erreurs les plus courtes sont les meilleures; et après une campagne, il retira ses troupes. Si Woronzow qui est à Londres n'était pas plus anglais que russe, il faudrait avoir une bien petite idée de ses talens pour supposer qu'il eût pu penser que soixante, quatre-vingt, cent mille Russes parviendraient à déshonorer la France, à lui faire subir le joug de l'Angleterre, à lui faire abandonner la Belgique, et à forcer l'empereur à livrer sa couronne de fer à la race dégénérée des rois de Sardaigne.

Les troupes russes sont braves, mais beaucoup moins braves que les troupes françaises; leurs généraux sont d'une inexpérience, et les soldats d'une ignorance et d'une pesanteur qui rendent leurs armées, en vérité, peu redoutables. Et d'ailleurs, en supposant des victoires aux Russes, il eût fallu dépeupler la Russie pour arriver au but insensé que lui avaient prescrit les oligarques de Londres.

La bataille d'Austerlitz a été donnée sur le tombeau du célèbre Kauny. Cette circonstance a fait la plus grande impression, sur la tête des Viennois. A force de prudence et de bonne conduite, et en la maintenant toujours en bonne harmonie avec la France, il avait porté l'Autriche à un haut degré de prospérité.

Voici les noms des généraux russes faits prisonniers: beaucoup d'autres sont morts sur le champ de bataille. Il y a en outre quatre ou cinq cents officiers, dont vingt majors on lieutenans-colonels, et plus de cent capitaines: Prebiszenski, Wimpfen, Muller Zakoumsky, Muller, Berg, Selechow, Strysy, Szlerliskow, le prince Repnin, le prince Sibersky, Adrian, Lagonon, Salima, Mezenkow, Woycikoff.

L'empereur a mandé à Brünn M. de Talleyrand qui était à Vienne. Les négociations vont s'ouvrir à Nicolsbourg.

M. Maret avait joint à Austerlitz S.M., qui y a signé le travail des ministres et du conseil d'état.

L'empereur a couché ce soir a Brünn.




De notre camp impérial d'Austerlitz, le 16 frimaire an 14 (6 décembre 1805).

Napoléon, empereur des Français, roi d'Italie, avons décrété et décrétons ce qui suit:

ART. 1er. Les veuves des généraux morts à la bataille d'Austerlitz jouiront d'une pension de six mille francs leur vie durant; les veuves des colonels et des majors, d'une pension de deux mille quatre cents francs; les veuves des capitaines d'une pension de douze cents francs; les veuves des lieutenans et sous-lieutenans, d'une pension de huit cents francs; les veuves des soldats, d'une pension de deux cents francs.

2. Notre ministre de la guerre est chargé de l'exécution du présent décret, qui sera mis à l'ordre du jour de l'armée et inséré au bulletin des lois.

NAPOLÉON.




De notre camp impérial d'Austerlitz, le 16 frimaire an 14 (6 décembre 1805).

Napoléon, empereur des Français, roi d'Italie, avons décrété et décrétons ce qui suit:

ART. 1er. Nous adoptons tous les enfans des généraux, officiers et soldats français morts à la bataille d'Austerlitz.

2. Ils seront tous entretenus et élevés à nos frais, les garçons dans notre palais impérial de Rambouillet, et les filles dans notre palais impérial de Saint-Germain. Les garçons seront ensuite placés et les filles mariées par nous.

3. Indépendamment de leurs noms de baptême et de famille, ils auront le droit d'y joindre celui de Napoléon. Notre grand-juge fera remplir à cet égard toutes les formalités voulues par le Code civil.

4. Notre grand-maréchal du palais et notre intendant-général de la couronne sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l'exécution du présent décret, qui sera mis à l'ordre du jour de l'armée et inséré au bulletin des lois.

NAPOLÉON.




Brünn, le 19 frimaire an 14 (9 décembre 1805).

Trente-quatrième bulletin de la grande armée.

L'empereur a reçu aujourd'hui M. le prince Repnin fait prisonnier à la bataille d'Austerlitz à la tête des chevaliers-gardes, dont il était le colonel. S.M. lui a dit qu'elle ne voulait pas priver l'empereur Alexandre d'aussi braves gens, et qu'il pouvait réunir tous les prisonniers de la garde impériale russe et retourner avec eux en Russie. S.M. a exprimé le regret que l'empereur de Russie eût voulu livrer bataille, et a dit que ce monarque, s'il l'avait cru la veille, aurait épargné le sang et l'honneur de son armée.

M. le prince Jean de Lichtenstein est arrivé hier avec de pleins-pouvoirs. Les conférences entre lui et M. de Talleyrand sont en pleine activité.

Le premier aide-de-camp Junot, que S.M. avait envoyé auprès de l'empereur d'Allemagne et de Russie, a vu a Holitz l'empereur d'Allemagne, qui l'a reçu avec beaucoup de grâce et de distinction. Il n'a pu continuer sa mission, parce que l'empereur Alexandre était parti en poste pour Saint-Pétersbourg, ainsi que le général Kutuzow.

S.M. a reçu a Brünn M. d'Haugwitz, et a paru très-satisfaite de tout ce que lui a dit ce plénipotentiaire qu'elle a accueilli, d'une manière d'autant plus distinguée, qu'il s'est toujours défendu de la dépendance de l'Angleterre, et que c'est à ses conseils qu'on doit attribuer la grande considération et la prospérité dont jouit la Prusse. On ne pourrait en dire autant d'un autre ministre qui, né en Hanovre, n'a pas été inaccessible à la pluie d'or. Mais toutes les intrigues ont été et seront impuissantes contre le bon esprit et la haute sagesse du roi de Prusse. Au reste, la nation française ne dépend de personne, et cent cinquante mille ennemis de plus n'auraient fait autre chose que de rendre la guerre plus longue. La France et la Prusse, dans ces circonstances, ont eu à se louer de M. le duc de Brunswick, de MM. de Mollendorff, de Knobelsdorff, Lombard, et sur-tout du roi lui-même. Les intrigues anglaises ont souvent paru gagner du terrain; mais, comme, en dernière analyse, on ne pouvait arriver à aucun parti sans aborder de front la question, toutes les intrigues ont échoué devant la volonté du roi. En vérité, ceux qui les conduisaient abusaient étrangement de sa confiance: la Prusse peut-elle avoir un ami plus solide et plus désintéressé que la France?

La Russie est la seule puissance en Europe qui puisse faire une guerre de fantaisie: après une bataille perdue ou gagnée, les Russes s'en vont: la France, l'Autriche, la Prusse, au contraire, doivent méditer long-temps les résultats de la guerre: une ou deux batailles sont insuffisantes pour en épuiser toutes les chances.

Les paysans de Moravie tuent les Russes partout où ils les rencontrent isolés. Ils en ont déjà massacré une centaine. L'empereur des Français a donné des ordres pour que des patrouilles de cavalerie parcourent les campagnes, et empêchent ces excès. Puisque l'armée ennemie se retire, les Russes qu'elle laisse après elle sont sous la protection du vainqueur. Il est vrai qu'ils ont commis tant de désordres, tant de brigandages, qu'où ne doit pas s'étonner de ces vengeances. Ils maltraitaient les pauvres comme les riches: trois cents coups de bâton leur paraissaient une légère offense. Il n'est point d'attentats qu'ils n'aient commis. Le pillage, l'incendie des villages, le massacre, tels étaient leurs jeux. Ils ont même tué des prêtres jusque sur les autels! Malheur au souverain qui attirera un tel fléau sur son territoire! La bataille d'Austerlitz a été une victoire européenne, puisqu'elle a fait tomber le prestige qui semblait s'attacher au nom de ces barbares. Ce mot ne peut s'appliquer cependant ni a la cour ni au plus grand nombre des officiers, ni aux habitans des villes qui sont au contraire civilisés jusqu'à la corruption.




Brünn, le 20 frimaire an 14 (10 décembre 1805).

Trente-cinquième bulletin de la grande-armée.

L'armée russe s'est mise en marche le 17 frimaire sur trois colonnes, pour retourner en Russie. La première a pris le chemin de Cracovie et Therespol: la seconde, celui de Kaschau, Lemberg et Brody, et la troisième, celui de Cizrnau, Wotrell et Hussiatin. A la tête de la première, est parti l'empereur de Russie avec son frère le grand-duc Constantin.

Indépendamment de l'artillerie de bataille, un parc entier de cent pièces de canon a été pris aux Russes avec tous leurs caissons.

L'empereur est allé voir ce parc; il a ordonné que toutes les pièces prises fussent transportées en France. Il est sans exemple que, dans une bataille, on ait pris cent cinquante a cent soixante pièces de canon, toutes ayant fait feu et servi dans l'action.

Le chef d'escadron Chaloppin, aide-de-camp du général Bernadette, a été tué.

Les colonels Lacour du cinquième régiment de dragons, Digeon du vingt-sixième de chasseurs, Bessières du onzième de chasseurs, frère du maréchal Bessières; Gérard, colonel, aide-de-camp du maréchal Bernadotte; Marès, colonel, aide-de-camp du maréchal Davoust, ont été blessés.

Les chefs de bataillon Perrier du trente-sixième régiment d'infanterie de ligne; Guye, du quatrième de ligue; Schwiter, du cinquante-septième de ligne; les chefs d'escadron Grumblot, du deuxième régiment de carabiniers; Didelon, du neuvième de dragons; Boudichon, du quatrième de hussards; le chef de bataillon du génie Abrissot, Rabier et Mobillard du cinquante-cinquième de ligne; Profit, du quarante-troisième, et les chefs d'escadron Tréville, du vingt-sixième de chasseurs, et David, du deuxième de hussards, ont été blessés.

Les chefs d'escadron des chasseurs à cheval de la garde impériale Beyermann, Bohu et Thity, ont été blessés.

Le capitaine Tervé, des chasseurs à cheval de la garde, est mort des suites de ses blessures.

Le capitaine Geist; les lieutenans Bureau, Barbanègre, Guyot, Fournier, Adet, Bayeux et Renuo, des chasseurs à cheval de la garde, et les lieutenans Ménager et Rolles, des grenadiers à cheval de la garde, ont été blessés.




Lettre de S.M. l'Empereur et Roi à M. le cardinal archevêque de Paris.

Mon cousin, nous ayons pris quarante-cinq drapeaux sur nos ennemis, le jour de l'anniversaire de notre couronnement, de ce jour où le Saint-Père, ses cardinaux et tout le clergé de France firent des prières dans le sanctuaire de Notre-Dame, pour la prospérité de notre règne. Nous avons résolu de déposer lesdits drapeaux dans l'église de Notre-Dame, métropole de notre bonne ville de Paris. Nous avons ordonné, en conséquence, qu'ils vous soient adressés, pour la garde en être confiée à votre chapitre métropolitain. Notre intention est que, tous les ans, audit jour, un office solennel soit chanté dans ladite métropole, en mémoire des braves morts pour la patrie dans cette grande journée, lequel office sera suivi d'actions de grâce pour la victoire qu'il a plu au Dieu des armées de nous accorder. Cette lettre n'étant pas à une autre fin, nous prions Dieu qu'il vous ait, mon cousin, en sa sainte et digne garde.

NAPOLÉON.




Schoenbrünn, le 23 frimaire an 14 (13 décembre 1805).

Trente-sixième bulletin de la grande armée.

Ce sera un recueil d'un grand intérêt, que celui des traits de bravoure qui ont illustré la Grande-Armée.

Un carabinier du 10e régiment d'infanterie légère a le bras gauche emporté par un boulet de canon: Aide-moi, dit-il à son camarade, à ôter mon sac, et cours me venger: je n'ai pas besoin d'autres secours. Il met ensuite son sac sur son bras droit, et marche seul vers l'ambulance.

Le général Thiébaut, dangereusement blessé, était transporté par quatre prisonniers russes; six Français blessés l'aperçoivent, chassent les Russes et saisissent le brancard, en disant: C'est à nous seuls qu'appartient l'honneur de porter un général français blessé.

Le général Valhubert a la cuisse emportée d'un coup de canon, quatre soldats se présentent pour l'enlever: «Souvenez-vous de l'ordre du jour, leur dit-il d'une voix de tonnerre, et serrez vos rangs. Si vous revenez vainqueurs, on me relèvera après la bataille; si vous êtes vaincus, je n'attaché plus de prix à la vie.»

Ce général est le seul dont on ait à regretter la perte; tous les autres généraux blessés sont en pleine guérison.

Les bataillons des tirailleurs du Pô et des tirailleurs corses se sont bravement comportés dans la défense du village de Strolitz. Le colonel Franceschi, avec le 8e de hussards, s'est fait remarquer par son courage et sa bonne conduite.

On a fait écouler l'eau du lac, sur lequel de nombreux corps russes s'étaient enfuis le jour de la bataille d'Austerlitz, et l'on en a retiré quarante pièces de canon russes, et une grande quantité de cadavres.

L'empereur est arrivé ici avant hier 21 à dix heures du soir.

Il a reçu hier la députation des maires de Paris, qui lui ont été présentes par S.A.S. le prince Murat.

M. Dupont, maire du 7e arrondissement, a prononcé un discours auquel S.M. l'Empereur a répondu:

«Qu'il voyait avec plaisir la députation des maires de Paris; que, quoiqu'il les reçût dans le Palais de Marie-Thérèse, le jour où il se retrouverait au milieu de son bon peuple de Paris, serait pour lui un jour de fête; qu'ils avaient été à portée de voir les malheurs de la guerre et d'apprendre, par le triste spectacle dont leurs regards ont été frappés, que tous les Français doivent considérer comme salutaire et sacrée la loi de la conscription, s'ils ne veulent pas que quelque jour leurs habitations soient dévastées et le beau territoire de la France livré, ainsi que l'Autriche et la Moravie, aux ravages des barbares; que, dans leurs rapports avec la bourgeoisie de Vienne, ils ont pu s'assurer qu'elle-même apprécie la justice de notre cause, et la funeste influence de l'Angleterre et de quelques hommes corrompus.» Il a ajouté «qu'il veut la paix, mais une paix qui assure le bien-être du peuple français, dont le bonheur, le commerce et l'industrie sont constamment entravés par l'insatiable avidité de l'Angleterre.»

S.M. a ensuite fait connaître aux députés qu'elle était dans l'intention de faire hommage à la cathédrale de Paris des drapeaux conquis sur les Russes le jour anniversaire de son couronnement, et de leur confier ces trophées pour les porter au cardinal archevêque.




Schoenbrünn, le 6 nivose an 14 (27 décembre 1805).

Proclamation à la grande armée.

Soldats,

«La paix entre moi et l'empereur d'Autriche est signée. Vous avez, dans cette arrière-saison, fait deux campagnes; vous avez rempli tout ce que j'attendais de vous. Je vais partir pour me rendre dans ma capitale; j'ai accordé de l'avancement et des récompenses à ceux qui se sont le plus distingués: je vous tiendrai tout ce que je vous ai promis. Vous avez vu votre empereur partager avec vous vos périls et vos fatigues; je veux aussi que vous veniez le voir entouré de la grandeur et de la splendeur qui appartiennent au souverain du premier peuple de l'univers. Je donnerai une grande fête, aux premiers jours de mai, à Paris; vous y serez tous, et, après, nous irons où nous appelèrent le bonheur de notre patrie et les intérêts de notre gloire.

«Soldats, pendant ces trois mois qui vous seront nécessaires pour retourner en France, soyez le modèle de toutes les armées: ce ne sont plus des preuves de courage et d'intrépidité que vous êtes appelés à donner, mais d'une sévère discipline. Que mes alliés n'aient pas à se plaindre de voire passage; et, en arrivant sur ce territoire sacré, comportez-vous comme des enfans au milieu de leur famille: mon peuple se comportera avec vous comme il le doit envers ses héros et ses défenseurs.

«Soldats, l'idée que je vous verrai tous, avant six mois, rangés autour de mon palais, sourit à mon coeur, et j'éprouve d'avance les plus tendres émotions: nous célébrerons la mémoire de ceux qui, dans ces deux campagnes, sont morts au champ d'honneur, et le monde nous verra tout prêts à imiter leur exemple, et à faire encore plus que nous n'avons fait, s'il le faut, contre ceux qui voudraient attaquer notre honneur ou qui se laisseraient séduire par les corrupteurs des éternels ennemis du continent».

NAPOLÉON.




Schoenbrünn, le 6 nivose an 14 (27 décembre 1805).

Proclamation aux habitans de Vienne.

Habitans de la ville de Vienne,

«J'ai signé la paix avec l'empereur d'Autriche. Prêt à partir pour ma capitale, je veux que vous sachiez l'estime que je vous porte, et le contentement que j'ai de votre bonne conduite pendant le temps que vous avez été sous ma loi. Je vous ai donné un exemple inoui, jusqu'à présent, dans l'histoire des nations. Dix mille hommes de votre garde nationale sont restés armés, ont gardés vos portes; votre arsenal tout entier est resté en votre pouvoir; et, pendant ce temps-là, je courais les chances les plus hazardeuses de la guerre. Je me suis, confié en vos sentimens d'honneur, de bonne foi, de loyauté: vous avez justifié ma confiance.

«Habitans de Vienne, je sais que vous avez tous blâmé la guerre que des ministres vendus à l'Angleterre ont suscitée sur le continent. Votre souverain est éclairé sur les menées de ces ministres corrompus; il est livré tout entier aux grandes qualités qui le distinguent; et, désormais, j'espère pour vous et pour le continent des jours plus heureux.

«Habitans de Vienne, je me suis peu montré parmi vous, non par dédain ou par un vain orgueil; mais je n'ai pas voulu distraire en vous aucun des sentimens que vous deviez au prince avec qui j'étais dans l'intention de faire une prompte paix. En vous quittant, recevez, comme un présent qui vous prouve mon estime, votre arsenal intact, que les lois de la guerre ont rendu ma propriété; servez-vous en toujours pour le maintien de l'ordre. Tous les maux que vous avez soufferts, attribuez-les aux malheurs inséparables de la guerre; et tous les ménagemens que mon armée a apportés dans vos contrées, vous les devez à l'estime que vous avez méritée».

NAPOLÉON

De mon camp impérial de Schoenbrünn, le 6 nivose an 14 (27 décembre 1805).

Proclamation à là grande armée.

Soldats,

«Depuis dix ans, j'ai tout fait pour sauver le roi de Naples; il a tout fait pour se perdre.

«Après la bataille de Dego, de Mondovi, de Lodi, il ne pouvait m'opposer qu'une faible résistance. Je me fiai aux paroles de ce prince, et fus généreux envers lui.

«Lorsque la seconde coalition fut dissoute à Marengo, le roi de Naples, qui, le premier, avait commencé cette injuste guerre, abandonné à Lunéville par ses alliés, resta seul et sans défense. Il m'implora; je lui pardonnai une seconde fois.

«Il y a peu de mois, vous étiez aux portes de Naples. J'avais d'assez légitimes raisons, et de suspecter la trahison qui se méditait, et de venger les outrages qui m'avaient été faits. Je fus encore généreux. Je reconnus la neutralité de Naples; je vous ordonnai d'évacuer ce royaume; et, pour la troisième fois, la maison de Naples fut raffermie et sauvée.

«Pardonnerons-nous une quatrième fois? nous fierons-nous une quatrième fois à une cour, sans foi, sans honneur, et sans raison? Non! non. La dynastie de Naples a cessé de régner; son existence est incompatible avec le repos de l'Europe et l'honneur de ma couronne.

«Soldats, marchez; précipitez dans les flots, si tant est qu'ils vous attendent, ces débiles bataillons des tyrans des mers. Montrez au monde de quelle manière nous punissons les parjures. Ne tardez pas à m'apprendre que l'Italie est toute entière soumise à mes lois ou à celles de mes alliés; que le plus beau pays de la terre est affranchi du joug des hommes les plus perfides; que la sainteté du traité est vengée, et que les mânes de mes braves soldats égorgés dans les ports de Sicile à leur retour d'Egypte, après avoir échappé aux périls des naufrages, des déserts, et de cent combats, sont enfin apaisés.

«Soldats, mon frère marchera à votre tête; il connaît mes projets; il est le dépositaire de mon autorité; il a toute ma confiance; environnez-le de toute la vôtre».

NAPOLÉON

FIN DU QUATRIÈME VOLUME.

(Fin du Tome III)
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