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Œuvres de P. Corneille, Tome 01

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The Project Gutenberg eBook of Œuvres de P. Corneille, Tome 01

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Title: Œuvres de P. Corneille, Tome 01

Author: Pierre Corneille

Commentator: Charles Joseph Marty-Laveaux

Release date: March 13, 2010 [eBook #31628]
Most recently updated: January 6, 2021

Language: French

Credits: Produced by Carlo Traverso, Hélène de Mink and the Online
Distributed Proofreading Team at https://www.pgdp.net (This
file was produced from images generously made available
by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at
http://gallica.bnf.fr)

*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK ŒUVRES DE P. CORNEILLE, TOME 01 ***

Notes de transcription:
Les erreurs clairement introduites par le typographe ont été corrigées.
L'orthographe d'origine a été conservée et n'a pas été harmonisée.

Les lettres l, d et s, en exposant après un chiffre romain signifient respectivement livre, denier et sol, (ex: CXLIX l VI s IXd). L'abréviation lt signifie livre tournois, (1 livre tournois = 20 sols tournois; 1 sol = 12 deniers tournois).

L'abbréviation c après un chiffre romain signifie que le chiffre doit être multiplié par cent.

Dans la note [730], il faut lire 1633 au lieu de 1533 dans ce bout de phrase : «Allons, je ne veux pas. (1533-57)».

Le mot «lairrez» dans la note 831 se trouve tel quel dans l'original.

Les vers sont en principe numérotés toutes les 5 lignes; les numéros omis dans l'original ont été également omis dans cette version. Les numéros des pages blanches n'ont pas été repris.

Œuvres

DE

P. CORNEILLE


NOUVELLE ÉDITION

REVUE SUR LES PLUS ANCIENNES IMPRESSIONS
ET LES AUTOGRAPHES
ET AUGMENTÉE
de morceaux inédits, des variantes, de notices, de notes, d'un lexique des mots
et locutions remarquables, d'un portrait, d'un fac-simile, etc.

PAR M. CH. MARTY-LAVEAUX

TOME PREMIER

PARIS

LIBRAIRIE DE L. HACHETTE ET Cie

BOULEVARD SAINT-GERMAIN

1862

LES

GRANDS ÉCRIVAINS

DE LA FRANCE

NOUVELLES ÉDITIONS

PUBLIÉES SOUS LA DIRECTION

DE M. AD. REGNIER

Membre de l'Institut

Œuvres

DE

P. CORNEILLE

TOME I


PARIS.—IMPRIMERIE DE CH. LAHURE ET Cie

Rue de Fleurus, 9

AVERTISSEMENT.

Notre premier soin a été de constituer le texte de cette édition avec exactitude et sincérité. Si ce devoir eût été généralement mieux rempli par nos devanciers, nous n'aurions sur ce point aucune observation à faire; mais comme en nous rapprochant de Corneille nous nous éloignons souvent de ceux qui ont publié ses œuvres, sans pouvoir en avertir en chaque circonstance, nous prions tout d'abord le lecteur qui voudrait s'assurer par lui-même de l'exactitude de notre travail, de remonter aux éditions données par notre poëte, et de ne considérer comme fautifs que les passages qui ne se trouveraient pas conformes à ces impressions anciennes, les seules qui fassent autorité: nous avons cherché à les suivre fidèlement, et si, par hasard, nous nous en écartions en quelque endroit, ce qui, nous l'espérons, n'arrivera que bien rarement, ce serait du moins contre notre volonté et par suite d'une erreur toute matérielle. Au contraire, la plupart de ceux qui nous ont précédé, alarmés des moindres singularités grammaticales, des hardiesses de style les plus légitimes, se sont hâtés de corriger, avec une sollicitude qu'ils croyaient respectueuse, les passages qui offusquaient leur goût.

Ce n'est pas seulement, comme on pourrait le croire, dans le courant du dix-huitième siècle qu'il en a été ainsi. La dernière édition des œuvres de Corneille, publiée par M. Lefèvre et recherchée à bon droit comme la plus complète, ne se distingue guère à cet égard des précédentes.

On lit dans un Sonnet à M. de Campion sur ses hommes illustres:

J'ai quelque art d'arracher les grands noms du tombeau,
De leur rendre un destin plus durable et plus beau,
De faire qu'après moi l'avenir s'en souvienne:
Le mien semble avoir droit à l'immortalité.

Cette tournure excellente a choqué les éditeurs, et, où il y avait le mien, ils ont mis mon nom, détruisant ainsi, afin de faire disparaître une incorrection imaginaire, toute la vivacité de ce passage.

Les altérations de ce genre ne tombent pas seulement sur les ouvrages de second ordre: elles défigurent parfois de très-beaux morceaux des chefs-d'œuvre de Corneille.

A qui venge son père, il n'est rien d'impossible,

dit Rodrigue au Comte[1]. C'est ainsi que ce vers est imprimé dans toutes les éditions courantes, ainsi qu'il est dit au théâtre, ainsi qu'il est récité dans nos colléges; seulement, par un scrupule d'exactitude, M. Lefèvre fait remarquer que de 1637 à 1648 on lit:

A qui venge son père, il n'est rien impossible,

sans le mot de. Qui s'aviserait de soupçonner après cela que cette dernière leçon (il n'est rien impossible) est la seule exacte, la seule qui se trouve dans toutes les impressions surveillées par Corneille, et encore dans celle de 1692, dont son frère a pris soin?

Ce n'est pas là un fait unique, isolé. On a souvent admis de la sorte, comme par pitié, en variante, la leçon authentique émanée de Corneille, tandis qu'on insérait dans le texte une correction inutile ou un rajeunissement maladroit. Une seule pièce nous fournira trois nouveaux exemples de ce singulier genre d'inexactitude.

Corneille a dit dans Cinna:

De quelques légions qu'Auguste soit gardé,
Quelque soin qu'il se donne et quelque ordre qu'il tienne,
Qui méprise sa vie est maître de la sienne[2].

Et plus loin:

Le ravage des champs, le pillage des villes,
Et les proscriptions, et les guerres civiles
Sont les degrés sanglants dont Auguste a fait choix
Pour monter dans le trône et nous donner des lois[3].

Enfin:

On a fait contre vous dix entreprises vaines;
Peut-être que l'onzième est prête d'éclater,
Et que ce mouvement qui vous vient agiter
N'est qu'un avis secret que le ciel vous envoie[4].

«Qui méprise sa vie est maître de la sienne» a paru amphibologique aux éditeurs; ils ont mis: «Qui méprise la vie.»

«Monter dans le trône» les choquait; ils y ont substitué la phrase aujourd'hui consacrée: «monter sur le trône.»

Ils ont pensé que l'agitation d'Auguste ne devait pas durer plus longtemps que le morceau dans lequel il l'exprime, et, par suite de ce raisonnement: «Qui vous vient agiter» est devenu «qui vous vient d'agiter.»

M. Lefèvre a reproduit ce texte sans paraître soupçonner qu'il eût subi la moindre altération. Toutefois, pour chacun de ces vers, il a admis comme variante la rédaction de Corneille, qui ne figurait à aucun titre dans les impressions postérieures à 1692. C'est toujours un progrès[5].

En général, nous avons suivi, pour chaque ouvrage, la dernière édition donnée par l'auteur; mais on verra par les notes que nous l'avons toujours soumise à un contrôle sévère, à une attentive révision.

Le Théâtre de P. Corneille, de 1682, si important pour l'ensemble du texte, fourmille de fautes typographiques, contre lesquelles il faut se tenir continuellement en garde. Souvent un vers entier s'y trouve passé; parfois un mot y est estropié; plus fréquemment encore il est remplacé par un autre qui semble avoir un sens, et c'est certes là le cas le plus difficile et le plus délicat.

Dans cette édition de 1682, Médée, pour ne citer qu'un exemple, parle ainsi dans la IVe scène du Ier acte:

Filles de l'Achéron, pestes, larves, furies,
Fières sœurs, si jamais notre commerce étroit
Sur vous et vos serments me donna quelque droit
Sortez de vos cachots avec les mêmes flammes,
Et les mêmes tourments dont vous gênez les âmes.

Le sens n'a en lui-même rien d'absolument invraisemblable, et, si l'on n'avait que ce texte, il ne viendrait peut-être pas à l'esprit d'y introduire une correction; mais, quand on s'est convaincu que toutes les éditions antérieures portent serpents au lieu de serments, il est difficile de voir dans ce dernier mot autre chose qu'une faute d'impression; aussi n'hésitons-nous pas à le rejeter, en le mentionnant toutefois en note, afin que le lecteur soit toujours complètement renseigné sur la constitution du texte.

Les variantes n'ont pas été de notre part l'objet d'une moindre attention; nous n'avons pas cru qu'il nous fût permis de rien exclure, de rien sacrifier. Nous nous sommes appliqué à faciliter l'étude des éditions données par Corneille, et à fournir les moyens de suivre sans fatigue la pensée du poëte dans ses progrès et parfois dans ses défaillances, à travers toutes les rédactions successives qu'il a tour à tour adoptées.

Elles sont fort nombreuses: il y a pour les œuvres de la première moitié de sa carrière dramatique, trois états principaux et un grand nombre de retouches intermédiaires, que nous ne rappelons ici que fort sommairement, mais dont on se rendra compte d'une manière plus complète, en parcourant les variantes et la notice bibliographique. On trouve d'abord l'édition en pièce séparée, à laquelle les recueils publiés de 1644 à 1657 changent peu de chose, bien qu'il y ait déjà çà et là un certain nombre de vers à recueillir. En 1660, l'économie du recueil est entièrement modifiée: les dédicaces, avis au lecteur, arguments des premières impressions et les fragments d'historiens et de poëtes placés en tête de certaines tragédies, soit lors de leur publication, soit en 1644, disparaissent, et font place à d'autres préliminaires. L'édition est divisée en trois tomes; en tête de chacun se trouve, pour la première fois, un des Discours sur le théâtre et la série consécutive de tous les examens des pièces contenues dans le volume. Ces examens forment ainsi comme des chapitres d'un même ouvrage; et, en les séparant, les éditeurs les ont altérés en plus d'un endroit[6]. Les impressions de 1663 et de 1664 ne contiennent encore que des variantes de détail; puis on arrive enfin à celles de 1668 et de 1682, qui diffèrent fort peu l'une de l'autre. La seconde, dont nous avons déjà parlé, est la dernière que l'auteur ait revue, et doit être incontestablement la base même du texte de Corneille[7].

Malgré les objections spécieuses de quelques bons esprits et l'exemple du plus consciencieux éditeur de Corneille, M. Taschereau, qui a cru devoir publier seulement les variantes d'un grand intérêt historique ou littéraire, nous avons entrepris de reproduire dans tous leurs détails jusqu'aux moindres de ces changements[8].

Corneille commence à écrire à une époque où la plus grande licence règne dans la comédie. Plus modeste, plus retenu que ses contemporains, il cède encore parfois à son insu à la contagion de l'exemple; mais à mesure que le théâtre, grâce à son influence, s'épure davantage, il s'applique à faire disparaître quelques scènes un peu libres, quelques expressions hasardées. Une édition où les divers textes de ses premières pièces sont tous réunis, permet donc d'apprécier d'un coup d'œil le progrès qui s'est accompli à cet égard en peu d'années.

Pour l'histoire de la langue, les variantes sont plus utiles encore. Elles nous font connaître l'instant précis de la disparition des termes surannés, des constructions tombées en désuétude, et nous montrent, contre toute attente, le grand Corneille, superstitieux observateur des règles de Vaugelas, s'appliquant sans cesse à modifier dans ses œuvres ce qui n'est pas conforme aux lois nouvelles introduites dans le langage.

Enfin, on comprend de reste, sans que nous insistions, combien ces études sont indispensables aux personnes qui veulent aborder sérieusement la critique et l'histoire de notre littérature; pour les avoir négligées, l'auteur d'un article d'ailleurs fort estimable, intitulé les Contemporains de Corneille[9], est tombé dans une bien étrange erreur: il compare à des fragments de diverses pièces jouées vers 1630, le commencement de Mélite, non tel qu'il a été écrit d'abord, mais tel qu'il a été refait en 1660, et il s'écrie avec étonnement: «Voilà les premiers vers de Corneille; à l'exception d'un mot, il n'y a rien qui ait vieilli.»

Il ne suffisait pas d'avoir la volonté bien arrêtée de recueillir toutes les variantes, ni même de parvenir à se procurer les éditions où elles se trouvent, il fallait encore trouver la manière la plus expéditive et la plus sûre d'exécuter le travail. M. Ad. Regnier, qui dirige la collection des Grands écrivains de la France, avec une vigilance infatigable et une sûreté de goût des plus rares, a eu l'excellente idée de convoquer pour cette collation autant de lecteurs que nous avions de textes différents. Ce mode de révision, qui sera employé pour tous les auteurs auxquels il pourra utilement s'appliquer, nous paraît être le moyen le plus sûr d'arriver à une exactitude presque absolue[10].

Après avoir dit jusqu'où nous avons poussé le scrupule à l'égard des variantes, il est presque inutile d'ajouter que nous avons fait tous nos efforts pour réunir et publier jusqu'aux plus minces productions sorties de la plume de Corneille. Cette tâche, aujourd'hui pénible, l'eût été beaucoup moins au siècle dernier, mais alors les éditeurs se regardaient comme des juges, chargés de procéder à un choix des plus sévères, et ils omettaient de propos délibéré ce qui ne leur semblait pas excellent. L'abbé Granet en convient avec une grande naïveté dans la Préface des Œuvres diverses[11], et les efforts successifs de plusieurs générations d'éditeurs n'ont sans doute pas encore suffi à retrouver tous les opuscules qu'il avait alors sous la main et qu'il a négligés volontairement.

Des publications récentes fort curieuses, quelques recherches personnelles, d'obligeantes communications et surtout des hasards heureux nous ont permis d'augmenter cette édition de bon nombre de lettres et de pièces de vers de Corneille, et de quelques morceaux importants à la composition desquels il a pris une part difficile à déterminer, mais qui paraît incontestable.

Nous sommes parvenu à retrouver l'épitaphe latine du P. Goulu, que M. Taschereau a signalée le premier comme étant de Corneille, mais qui avait échappé à ses recherches.

Nous ajouterons aux poésies diverses un assez grand nombre de pièces:

Un quatrain qui figure, en 1631, en tête du Ligdamon et Lidias de Scudéry, et que M. Tricotel a recueilli, en 1859, dans le Bulletin du bouquiniste;

Une épigramme publiée en 1632 dans les Mélanges poétiques, à la suite de Clitandre, et que personne cependant ne semble avoir connue;

Une pièce en l'honneur de la Vierge, composée en 1633 pour le Palinod de Rouen, et recueillie tout récemment par M. Édouard Fournier dans ses Notes sur la vie de Corneille, qui précèdent sa charmante comédie de Corneille à la butte Saint-Roch;

Un compliment adressé la même année (1633) à Mareschal sur sa tragi-comédie de la Sœur valeureuse, publié par lui en tête de sa pièce;

Un hommage poétique du même genre publié en 1635 par de la Pinelière, en tête de son Hippolyte, tous deux recueillis également par M. Édouard Fournier;

Un remercîment aux juges du Palinod, improvisé en 1640 par Corneille, au nom de Jacqueline Pascal, signalé en 1842 par M. Sainte-Beuve dans son Histoire de Port-Royal, et publié plus tard par M. Cousin, mais qui ne se trouve pas dans l'édition de M. Lefèvre;

Un sonnet qui a paru, en 1650, en tête de l'Ovide en belle humeur de d'Assoucy;

Un autre compliment du même genre, mais qui s'applique à un ouvrage bien différent, au Traité de la théologie des saints du P. Delidel, publié en 1668. C'est encore M. Édouard Fournier qui a renouvelé le souvenir effacé de ces deux dernières petites pièces.

Nous ajouterons quatre belles lettres à celles qu'on connaît. La première traite d'affaires; elle a été signalée par M. Taschereau qui en a publié un curieux fragment; les trois autres, toutes littéraires, adressées à M. de Zuylichem, secrétaire des commandements du prince d'Orange, et à l'abbé de Pure, sont entièrement inédites.

Dans l'édition de M. Lefèvre, les lettres sont, pour la plupart, rapprochées des ouvrages auxquels elles ont rapport; nous avons préféré les classer tout simplement d'après leurs dates. Nous y avons joint celles qui ont été adressées à Corneille par Balzac et Saint-Évremont, et de la sorte s'est trouvée constituée pour la première fois une véritable correspondance de Corneille, composée de plus de vingt lettres ou fragments de lettres.

«Nous regrettons beaucoup, disait M. Lefèvre, en 1854, de ne pouvoir augmenter notre édition de la traduction en vers que Corneille a faite des deux premiers livres de la Thébaïde de Stace, mais les recherches de M. Floquet, de l'Académie de Rouen, de M. Aimé Martin, etc., etc., ainsi que les nôtres, n'ont eu aucun résultat.» Nous avons ajouté sans plus de succès nos investigations à celles de nos prédécesseurs. Nous avons pu seulement déterminer avec un peu plus d'exactitude la date de l'impression qui doit être fixée aux premiers mois de 1672, et nous avons soigneusement recueilli les trois vers conservés par Ménage. Reproduits par M. Taschereau dans son Histoire de la vie de Corneille, connus de M. Lefèvre, qui en parle sans les citer, ils ne figurent néanmoins jusqu'ici dans aucune édition des Œuvres de notre poëte. Ce n'est pas toutefois, on le comprend, pour annoncer une addition de ce genre que nous parlons ici de ce poëme; mais il nous paraît utile d'attirer une fois de plus l'attention des bibliophiles et des amis de Corneille sur un fait si singulier. Il semble impossible en effet que cet ouvrage ait disparu pour toujours, et qu'à moins de deux cents ans de distance, et malgré les bienfaits de l'imprimerie, il en soit pour nous du père de notre théâtre comme de ces écrivains de l'antiquité dont certains livres ne nous sont connus que grâce aux fragments conservés par les grammairiens.

Le théâtre, comme on doit le penser, ne s'est guère accru; nous reproduirons cependant deux publications, peu importantes en elles-mêmes, mais fort intéressantes pour l'histoire de la représentation des pièces de Corneille[12]: le Dessein d'Andromède et le Dessein de la Toison d'or. Ces desseins sont de véritables livrets très-semblables à ceux qui se vendent encore aujourd'hui dans les théâtres d'opéra. Nous sommes contraint d'ajouter qu'ils ne sont pas rédigés d'une manière beaucoup plus attachante. Notre poëte en est cependant bien l'auteur, car il dit en tête du Dessein d'Andromède: «J'ai dressé ce discours seulement en attendant l'impression de la pièce.»

Nous avons cru pouvoir extraire de la Comédie des Tuileries, pour le faire figurer dans notre édition, un acte, le troisième, dont la rédaction paraît très-vraisemblablement avoir été confiée à notre poëte; néanmoins nous l'avons fait imprimer en petits caractères, afin que le lecteur pût toujours distinguer à première vue ce qui est incontestablement de Corneille de ce qui peut seulement lui être attribué.

Cette précaution était encore plus nécessaire à l'égard des pamphlets publiés en sa faveur dans la querelle du Cid, et réunis par nous à la suite de la Notice relative à cet ouvrage. En effet, bien que Niceron les regarde comme de Corneille, et que Barbier lui en attribue au moins un, nous n'hésitons pas à déclarer qu'il n'en est point l'auteur; mais écrits par ses amis, et très-probablement sous son inspiration, ils renferment sur sa personne des particularités intéressantes; ils sont d'ailleurs peu nombreux, assez courts, fort rares: c'était plus qu'il n'en fallait pour nous décider à les publier.

L'histoire des ouvrages de Corneille sera exposée dans des Notices historiques, littéraires et bibliographiques placées en tête de chacun d'eux, conformément au plan général adopté pour toute la collection des Grands écrivains.

Ces notices, dont nous aurons soin d'exclure les théories et les appréciations littéraires, afin de réserver plus de place aux faits certains et aux pièces originales, seront complétées et reliées entre elles par une Vie de Corneille, où il sera plus question de lui que de ses ouvrages, et dans laquelle l'homme passera avant le poëte.

Un portrait de Corneille avec les armes de sa famille, un fac-simile de son écriture, la vue de la maison où il est né, la reproduction de quelques anciennes gravures propres à faire mieux comprendre certaines particularités contenues dans ses œuvres, en seront un complément agréable et presque nécessaire, bien que tout nouveau.

Les éclaircissements généraux donnés dans les notices nous permettront de ne pas multiplier les notes et surtout de les rédiger avec une grande brièveté. La table de tous les noms de personnes et de lieux, et des principales matières contenues dans les œuvres de Corneille, dans les notices et dans les notes, facilitera d'ailleurs singulièrement les rapprochements et les recherches, et le Lexique qui terminera l'ouvrage contiendra la solution d'un grand nombre de problèmes relatifs à l'histoire du langage au dix-septième siècle. En accordant à ce dernier travail le prix du concours ouvert en 1858, l'Académie française m'a imposé le devoir de le rendre aussi digne qu'il serait en moi de cette honorable distinction. Une étude plus sérieuse et plus approfondie du texte de Corneille vient de m'en fournir les moyens; puissé-je en avoir profité autant que je l'ai dû et voulu faire!

Ch. Marty-Laveaux.


NOTICE BIOGRAPHIQUE

SUR

PIERRE CORNEILLE[13].

Corneille est issu d'une famille de robe dans laquelle le prénom de Pierre était réservé aux fils aînés bien avant qu'il l'eût porté.

Pierre Corneille, arrière-grand-père du poëte, ne remplissait sans doute point de fonctions publiques, car son nom n'est suivi d'aucune qualité dans les actes où il se lit. Son fils, Pierre Corneille, épousa en 1570 Barbe Houel, qui appartenait à une famille noble, et fut dotée par son oncle, Pierre Houel, sieur de Vandelot, vieux garçon, greffier criminel du Parlement et notaire secrétaire de la maison et couronne de France. Pierre Houel fit admettre son neveu au greffe en qualité de commis; bientôt après, celui-ci traita d'une petite charge de conseiller référendaire à la chancellerie et se fit recevoir avocat. Ce Pierre Corneille eut pour fils, en 1572, Pierre Corneille, père du poëte, puis Antoine et François Corneille, ses deux oncles. Le 5 mai 1599, le père de Corneille obtint du Roi des provisions de maître particulier des eaux et forêts en la vicomté de Rouen, et fut reçu en cette qualité le 31 juillet de la même année. Il épousa, le 9 juin 1602, Marthe Lepesant, fille de François Lepesant[14]. Le 29 septembre 1602, un acte régulier de partage mit les jeunes époux en possession d'une maison située à Rouen, rue de la Pie, qui venait du père du marié, décédé en 1588, et dont la succession était demeurée depuis lors indivise.

Ce fut dans cette maison que naquit, le 6 juin 1606, l'enfant qui devait être le grand Corneille[15]. Trois jours plus tard, le 9, il était présenté au baptême dans la paroisse Saint-Sauveur par Pierre Lepesant, secrétaire du Roi, son oncle maternel, et Barbe Houel, son aïeule paternelle, et il recevait sur les fonts le prénom de Pierre, que portaient son père et son parrain[16]. Nous ne savons rien de particulier sur son enfance. M. Gosselin, dans un excellent travail, auquel nous avons emprunté la plupart des faits qui précèdent[17], a conjecturé, non sans vraisemblance, qu'elle s'écoula en partie dans une maison de campagne des plus riantes que Pierre Corneille, le père, acheta le 7 juin 1608 à Petit-Couronne, lorsque son enfant venait d'atteindre la fin de sa seconde année[18].

Corneille fit ses études avec succès au collége des Jésuites de Rouen. En 1620, il reçut en prix un exemplaire de l'ouvrage de Panciroli intitulé: Notitia utraque dignitatum, cum Orientis, tum Occidentis, ultra Arcadii Honoriique tempora (Lugduni, 1608): c'est un volume in-folio, relié en veau brun, doré sur tranche, et portant sur les plats les armes d'Alphonse Ornano, alors lieutenant général au gouvernement de Normandie, et qui, en cette qualité, avait fait les frais des prix distribués au collége. Ce livre appartenait à la bibliothèque de M. Villenave[19], et M. Floquet, qui l'y a vu, fait remarquer que, suivant l'usage, «une notice détaillée et signée du principal indique dans quelle classe et à quel titre cette récompense avait été décernée au jeune Corneille[20].» Par malheur nous ignorons ce qu'est devenu ce volume et nous n'avons pu voir nous-même ni reproduire le curieux renseignement qu'il renferme.

Suivant une tradition dont l'origine est demeurée inconnue, Corneille a remporté un prix de rhétorique pour une traduction en vers français d'un morceau de la Pharsale[21]. Mais nous ne croyons pas que ce prix soit le volume que nous venons de décrire: il est, non pas impossible, mais peu probable, que notre poëte, né en 1606, ait fait sa rhétorique en 1620.

Le temps n'a pas fait disparaître entièrement les témoignages de la gratitude de Corneille envers ses maîtres. La bibliothèque de la Sorbonne possède un exemplaire de l'édition de 1664 de son Théâtre, sur le titre duquel il a inscrit cet envoi:

Patribus Societatis Jesu
Colendissimis præceptoribus suis
Grati animi pignus
D. D. Petrus Corneille.

Dii, majorum umbris tenuem et sine pondere terram,
Qui præceptorem sancti voluere parentis
Esse loco
[22].

Un monument plus durable et plus touchant des sentiments de respect dont il demeura toujours animé à l'égard de ceux qui avaient formé sa jeunesse, est la pièce de vers qu'il adressa, à l'âge de soixante-deux ans, au P. Delidel, et qu'il signa affectueusement: «Son très-obligé disciple[23]

Ce furent peut-être ces reconnaissants souvenirs qui déterminèrent Corneille à mettre en vers français certains poëmes latins du P. de la Rue. Du reste il fit le même honneur à Santeul. Cela irritait fort Huet, qui s'écrie avec humeur dans ses Mémoires: «Il avait acquis une réputation considérable et méritée, et il régnait au théâtre, lorsque, oublieux de sa dignité, il s'abaissa à de petites compositions fort peu dignes de l'excellence de son génie. S'il paraissait quelque poëme ayant du succès dans les écoles, il se faisait l'interprète de ceux qu'il eût à peine dû accepter pour interprètes de ses ouvrages[24]

Au sortir du collége, Corneille étudia le droit, et, le 18 juin 1624, il fut reçu avocat et prêta serment en cette qualité au parlement de Rouen[25]. «Mais, dit un de ses contemporains, comme il avoit trop d'élévation d'esprit pour ce métier-là, et un génie trop différent de celui des affaires, il n'eut pas plus tôt plaidé une fois, qu'il y renonça. Il ne laissa pas de prendre la charge d'avocat général à la table de marbre du Palais, qui ne l'engageoit qu'à fort peu de chose[26].» M. Gosselin a pris soin de nous faire connaître cette juridiction et le lieu où elle s'exerçait: «La table de marbre du Palais, à Rouen, créée par Louis XII en 1508, connaissait des eaux et forêts en appel, mais jugeait en première instance tout ce qui concernait la navigation.... Le lieu des séances n'était par lui-même guère capable d'imposer le moindre respect aux justiciables; il était situé dans la grande salle des procureurs, au bout, vers la rue Saint-Lô, et le bureau de justice n'était autre qu'une grande table en marbre, derrière laquelle les juges étaient assis, ayant à leurs côtés et un peu au-dessus de leurs têtes, dans des niches existant encore aujourd'hui, au milieu la sainte Vierge, d'un côté Geffroy Hébert, évêque de Coutances, et de l'autre côté Antoine Boyer, abbé de Saint-Ouen[27].» A sa charge d'avocat général à la table de marbre Corneille joignit, ainsi que son prédécesseur, celle d'avocat du Roi aux siéges généraux de l'Amirauté. M. Gosselin a prouvé récemment, dans une intéressante étude, que, malgré l'assertion, souvent reproduite, contenue dans l'article des Nouvelles de la république des lettres, ces charges n'étaient point, comme on l'a prétendu, de pures sinécures[28].

Pendant que Corneille étudiait au collége des Jésuites, il avait pris en amitié une petite fille, Marie Courant, dont il devint fort épris plus tard, et dont le bon goût, les sages conseils eurent, si nous en croyons notre poëte[29], une grande influence sur son talent. Si, ce que nous ignorons, il aspira à sa main, sa prétention fut vaine: Marie Courant fit un beau mariage; au lieu de prendre le nom, bien modeste encore, de Corneille, elle épousa M. Thomas du Pont, correcteur en la chambre des comptes de Normandie[30].

C'est encore M. Gosselin qui nous a fait connaître le nom de famille de Mme du Pont[31]. Tant qu'on l'a ignoré, on était très-porté à la confondre avec Mlle Milet, dont Corneille fut amoureux plus tard, et en l'honneur de qui il composa un sonnet, dont il fut si content, qu'à en croire son frère, il fit sa comédie de Melite (1629) tout exprès pour l'employer[32]. Je penchais fort, je l'avoue, vers cette opinion; mais elle ne peut plus se soutenir aujourd'hui, et il faut admettre, ce qui du reste n'a rien d'invraisemblable, que l'ancienne passion, la sérieuse amitié de Corneille pour Marie Courant, a été traversée par une passagère amourette: tout se trouve ainsi concilié. M. Taschereau invoque, il est vrai, le propre témoignage de Corneille, qui dit dans l'Excuse à Ariste[33]:

.... Nul objet vainqueur
N'a possédé depuis ma veine ni mon cœur.

Mais si Corneille, qui écrivait ceci en 1637, se plaisait alors à oublier les galanteries et les caprices de sa vie de jeune homme, dans les Mélanges poétiques, publiés cinq ans auparavant, en 1632, il tenait un tout autre langage:

J'ai fait autrefois de la bête;
J'avois des Philis à la tête[34];

et ailleurs:

Plus inconstant que la lune,
Je ne veux jamais d'arrêt[35].

Ce sont là, dira-t-on, des exagérations de poëte; cela est possible; mais il peut bien y avoir aussi dans l'Excuse à Ariste exagération de constance et de fidélité.

Quelle qu'ait été du reste l'occasion qui a donné naissance à Mélite, cette comédie eut un très-grand succès, malgré les critiques assez vives que lui attirèrent la simplicité du plan et le naturel du style. «Ceux du métier la blâmoient de peu d'effets[36],» ainsi que nous l'apprend l'auteur lui-même. Bientôt après, il composa dans un système très-différent, qui fut en ce temps un essai très-sérieux, la tragi-comédie de Clitandre (1632), qu'il aimait à présenter plus tard comme une espèce de bravade[37]. La preuve de l'importance qu'il y attacha est dans l'empressement qu'il mit à la publier avant Mélite. Clitandre est suivi de Mélanges poétiques, contenant des pièces galantes, des vers de ballet, et quelques traductions des épigrammes d'Owen[38]. Avant cette époque, Corneille n'avait encore eu d'imprimé qu'un quatrain en l'honneur de Scudéry[39], avec qui il s'était lié dès qu'il avait travaillé pour le théâtre, et dont, en retour, le nom figure le premier dans une série d'une vingtaine d'hommages poétiques placés en tête de la Veuve (1633), dus pour la plupart à des rimeurs aujourd'hui complètement inconnus, mais dont le patronage parut alors à Corneille utile et honorable.

La Veuve fut suivie de la Galerie du Palais (1633), de la Suivante (1634) et de la Place Royale (1634). Cette dernière comédie, que nous avons donnée comme ayant été jouée en 1635, suivant en cela l'opinion générale, est un peu plus ancienne, comme le prouve un opuscule de notre poëte, qui est d'une assez grande importance pour la chronologie de ses premières pièces.

Lorsque Louis XIII, la Reine et le Cardinal séjournèrent en 1633 aux eaux de Forges, les hauts dignitaires des environs s'empressèrent d'aller leur rendre hommage. Corneille fut invité par François de Harlay de Champvallon, archevêque de Rouen, à composer des vers en leur honneur. Il s'en excusa dans une pièce latine, où il se tire fort agréablement de ces éloges qu'il a l'air de n'oser aborder. Malgré sa feinte modestie, il n'hésite pas à énumérer en tête de son poëme ses succès de théâtre, et à déclarer que là il règne presque sans rival:

Me pauci hic fecere parem, nullusque secundum[40].

Ces vers latins furent peut-être l'occasion qui le mit directement en rapport avec le Cardinal, auquel devaient du reste le recommander puissamment ses premiers essais dramatiques. Bientôt il fut placé par lui au nombre des poëtes chargés de composer des pièces de théâtre sous sa direction. Nous avons indiqué la part qu'il prit, comme un des «cinq auteurs,» à la Comedie des Tuileries (1635), et nous avons raconté comment le défaut d'esprit de suite, ou plutôt de docilité, dont l'accusait Richelieu, le porta à renoncer à cette tâche de collaborateur et à quitter Paris en prétextant quelques affaires de famille qui l'appelaient à Rouen.

Lorsqu'il se remit au travail pour son propre compte, il aborda sérieusement le genre tragique dans Medée (1635); mais quoique ce fût là à beaucoup d'égards une tentative heureuse, elle ne satisfit entièrement ni son auteur ni le public, et le génie inquiet et infatigable de Corneille se remit en quête de sa voie, certain déjà de la trouver. L'Espagne l'attira, soit qu'il eût de lui-même donné cette direction à ses études, soit, comme on l'a prétendu, qu'il eût suivi en cela les conseils de M. de Châlon, ancien secrétaire des commandements de la Reine mère, retiré à Rouen. Ce qu'on n'a pas assez remarqué, c'est qu'il préluda au Cid par l'Illusion comique (1636). Les exagérations du capitan ne manquent sous sa plume ni de noblesse ni de dignité: il le fait en plus d'une circonstance plus réellement majestueux qu'il n'aurait fallu. Sa grande âme tournait malgré lui au sublime; elle y était entraînée invinciblement, et Matamore parle déjà parfois le langage de Rodrigue. Ce fut dans les derniers jours de 1636 que parut ce merveilleux Cid, sur lequel nous nous étendrons d'autant moins ici, que nous en avons plus longuement exposé l'histoire dans notre édition. Le savant M. Viguier, dont les amis des lettres déplorent la perte récente, en a indiqué, dans un mémoire spécial, les origines espagnoles[41]. Quant à nous, nous avons raconté, dans la longue notice consacrée à cet ouvrage[42], tout ce que nous avons pu recueillir de relatif à ses premières représentations, à l'affluence qui s'y porta, au jeu des comédiens qui remplirent les principaux rôles; nous avons dit la colère des confrères de Corneille et en particulier de Scudéry, la complicité de Richelieu, dont cette pièce excitait la jalousie de poëte et les légitimes susceptibilités de ministre; nous avons exposé, dans tous ses détails, le long procès porté à cette occasion devant la juridiction littéraire de l'Académie française; nous avons reproduit les principales pièces de ce procès, et enfin le jugement lui-même. On peut parcourir successivement l'Excuse à Ariste et le Rondeau de Corneille[43], qui ont servi de point de départ et de prétexte à toute la querelle; les vers placés dans la dédicace de la Suivante[44] et dont on n'avait pas bien apprécié la portée, faute de remarquer qu'ils n'avaient été publiés qu'après le Cid; les Observations de Scudéry[45], les titres et l'analyse des pamphlets publiés contre Corneille[46]; le texte complet de tous ceux auxquels on a prétendu qu'il avait eu, au moins indirectement, quelque part[47]; enfin les Sentiments de l'Académie[48].

Au mois de janvier 1637, Pierre Corneille père reçut des lettres de noblesse[49], qu'il avait méritées, mais que, sans l'éclat jeté sur son nom par son fils, il n'eût peut-être jamais obtenues, disions-nous dans notre notice sur le Cid[50]. Les découvertes intéressantes faites par M. Gosselin, depuis le moment où nous nous exprimions de la sorte, ont établi que nous avions raison plus encore que nous ne pouvions le supposer. Investi en 1599, comme nous l'avons dit, de sa charge de maître des eaux et forêts, Pierre Corneille père y avait trouvé maintes occasions de déployer sa fermeté et son courage. Plus d'une fois il avait eu à réprimer, les armes à la main, les vols de bois qui se commettaient dans les forêts, et les registres du Parlement attestent avec quels soins vigilants il s'appliquait à réprimer tout désordre et à maintenir ses agents dans le devoir. Par malheur, si Pierre Corneille, le père, était énergique et intègre, il avait un caractère âpre et absolu, qui lui attira beaucoup d'ennemis. Des difficultés qu'il eut avec Amfrye, son verdier[51], amenèrent, à l'occasion d'un mur indûment élevé sur la limite de la propriété de Petit-Couronne, un très-long procès, que Pierre Corneille perdit le 1er juin 1618. En 1620, sans attendre que son fils fût en âge de lui succéder, il donna sa démission. Il avait donc quitté ses fonctions depuis dix-sept ans, lorsque, au mois de janvier 1637, on lui accorda des lettres de noblesse pour le récompenser de la manière dont il s'en était acquitté. N'est-il pas évident par là que ses bons services étaient fort oubliés, et que les exploits de Rodrigue vinrent grandement en aide à la courageuse conduite du maître des eaux et forêts? Le père de Corneille ne jouit pas longtemps de la distinction qu'il venait d'obtenir: il mourut le 12 février 1639, à l'âge de soixante-sept ans.

Les années qui suivirent le succès du Cid furent bien tristement remplies pour Corneille par les persécutions des jaloux et des envieux, les chagrins de famille, les règlements de successions[52], les tracas d'affaires. Un sieur François Hays avait obtenu des provisions de second avocat du Roi au siége général des eaux et forêts, à la table de marbre du Palais, à Rouen[53], qui venaient réduire de moitié les profits de la charge acquise par Corneille dix ans auparavant. Nous ignorons quelle fut l'issue de l'affaire; mais elle demeura longtemps pendante et nécessita de nombreuses démarches. On voit que les motifs qui retardèrent jusqu'au commencement de l'année 1640 la représentation d'Horace furent de plus d'un genre et que le découragement de Corneille ne tenait pas à des causes purement littéraires. Fort maltraité par les poëtes et les critiques du temps, lors de la nouveauté du Cid, Corneille espéra se ménager la bienveillance de certains d'entre eux en leur lisant Horace avant la représentation. Ce fut chez Boisrobert que la lecture eut lieu, probablement afin de bien disposer le cardinal de Richelieu. Les assistants, dont on ne nous a nommé peut-être que les principaux, étaient Chapelain, Barreau, Charpi, Faret, l'Estoile et d'Aubignac[54]. Ce dernier fut d'avis de changer le dénoûment; l'Estoile appuya d'Aubignac; Chapelain proposa aussi un cinquième acte de sa façon. Mais si, en certaines circonstances, Corneille était un bourgeois assez humble, il garda toujours comme poëte une fière indépendance: il goûta peu toutes ces observations. Nous ne savons pas ce qu'il y répondit dans cette assemblée; mais nous connaissons les sentiments dont il était animé, par le «mauvais compliment» qu'il fit plus tard à Chapelain, à qui il dit, d'un ton à ce qu'il paraît assez bourru, «qu'en matière d'avis il craignait toujours qu'on ne les lui donnât par envie et pour détruire ce qu'il avait bien fait.» La manière dont Corneille accueillit les critiques qu'on lui adressa détruisit tout le bon effet qu'il eût pu se promettre de la déférence témoignée aux hommes de lettres, plus ou moins en crédit, à qui il avait lu Horace. On comprend que toute la coterie hostile à l'auteur du Cid se soit émue et qu'il ait été un instant question d'observations et de jugement sur la nouvelle pièce[55]. Heureusement la position que Corneille avait déjà conquise et la fermeté de son attitude calmèrent cette effervescence; et, à partir de ce moment, il n'eut plus à redouter d'autre juge que le public.

A Horace succéda Cinna. Ce fut après ce nouveau triomphe qu'eut lieu le mariage de Corneille. A en croire son neveu Fontenelle, il ne fallut rien moins qu'une intervention toute-puissante et fort inattendue pour que le poëte pût épouser Marie de Lamperière, fille de Mathieu de Lamperière, lieutenant général aux Andelys.

«M. Corneille, encore fort jeune, dit-il, se présenta un jour plus triste et plus rêveur qu'à l'ordinaire devant le cardinal de Richelieu, qui lui demanda s'il travailloit: il répondit qu'il étoit bien éloigné de la tranquillité nécessaire pour la composition, et qu'il avoit la tête renversée par l'amour. Il en fallut venir à un plus grand éclaircissement, et il dit au Cardinal qu'il aimoit passionnément une fille du lieutenant général d'Andely, en Normandie, et qu'il ne pouvoit l'obtenir de son père. Le Cardinal voulut que ce père si difficile vînt à Paris; il y arriva tout tremblant d'un ordre si imprévu, et s'en retourna bien content d'en être quitte pour avoir donné sa fille à un homme qui avoit tant de crédit[56]

La première nuit de ses noces, Corneille fut tellement malade que le bruit courut à Paris qu'il était mort d'une pneumonie. Ménage fit, sans perdre de temps, une pièce de vers latins en l'honneur du prétendu défunt[57].

Ce morceau est important pour la biographie de Corneille; car, à défaut d'acte authentique, il nous fait approximativement connaître l'époque à laquelle il prit femme. Dans ses vers, Ménage parle d'Horace, de Cinna, ce qui prouve que le nouveau marié n'était pas fort jeune, comme le dit Fontenelle, mais déjà d'un âge mûr. Cinna est de 1640; Corneille, né en 1606, se maria donc à trente-quatre ou trente-cinq ans, et ne tarda guère à devenir père; car dans une lettre du 1er juillet 1641[58], il annonce à un ami la grossesse de sa femme; et le 10 janvier 1642, elle accoucha d'une fille, qui fut appelée Marie.

C'est sans doute vers le temps de son mariage que Corneille entra en relation avec l'hôtel de Rambouillet. C'était là un puissant secours contre la jalousie de ses ennemis littéraires, mais non le moyen de nourrir et développer cette admirable simplicité qui, dans les moments de haute et grande inspiration, distinguait son génie[59]. Dans cette Guirlande poétique que Montausier offrit à Julie d'Angennes trois ou quatre ans avant de l'épouser, il y a trois fleurs au moins, six peut-être, à qui Corneille a dicté leurs hommages[60]. Ce fut dans la chambre bleue de l'hôtel qu'il lut Polyeucte à de belles dames, un peu offusquées de l'austérité de l'ouvrage, et à un évêque, fort blessé des excès de zèle de l'ardent néophyte[61]. Corneille, à qui l'habitude de communiquer ses pièces, avant la représentation, à un auditoire choisi ne profitait décidément pas, et qui cependant ne la perdit point, ne fut, dit-on, consolé de sa déconvenue que par les conseils d'un acteur fort médiocre, qui ranima son courage et le décida à laisser sa pièce aux comédiens. On a même prétendu[62] que ceux-ci ayant d'abord refusé de jouer cette tragédie, Corneille donna son manuscrit à l'un d'eux, qui le jeta sur un ciel de lit, où il demeura oublié plus de dix-huit mois; mais M. Taschereau a fait justice de cette fable invraisemblable.

Il faut dire à la décharge des auditeurs de Corneille que son extérieur n'avait rien d'aimable, son débit rien de séduisant. Nous avons déjà fait remarquer ailleurs[63] que Boisrobert lui reprochait de barbouiller ses vers; les divers portraits que ses contemporains ont faits de lui prouvent que ce reproche n'avait rien d'exagéré.

«.... Simple, timide, d'une ennuyeuse conversation, dit la Bruyère[64]; il prend un mot pour un autre, et il ne juge de la bonté de sa pièce que par l'argent qui lui en revient[65]; il ne sait pas la réciter, ni lire son écriture.»

Vigneul Marville parle à peu près de même[66]: «A voir M. de Corneille, on ne l'auroit pas pris pour un homme qui faisoit si bien parler les Grecs et les Romains et qui donnoit un si grand relief aux sentiments et aux pensées des héros. La première fois que je le vis, je le pris pour un marchand de Rouen. Son extérieur n'avoit rien qui parlât pour son esprit; et sa conversation étoit si pesante qu'elle devenoit à charge dès qu'elle duroit un peu. Une grande princesse, qui avoit désiré de le voir et de l'entretenir, disoit fort bien qu'il ne falloit point l'écouter ailleurs qu'à l'Hôtel de Bourgogne. Certainement M. de Corneille se négligeoit trop, ou pour mieux dire, la nature, qui lui avoit été si libérale en des choses extraordinaires, l'avoit comme oublié dans les plus communes. Quand ses familiers amis, qui auroient souhaité de le voir parfait en tout, lui faisoient remarquer ces légers défauts, il sourioit et disoit: «Je n'en suis pas moins pour cela Pierre de Corneille.» Il n'a jamais parlé bien correctement la langue françoise; peut-être ne se mettoit-il pas en peine de cette exactitude, mais peut-être aussi n'avoit-il pas assez de force pour s'y soumettre.»

Fontenelle, à la fin du portrait, fort intéressant pour nous et fidèle sans aucun doute, qu'il nous a laissé de son oncle, ne rend pas un témoignage beaucoup plus favorable de son talent de lecteur: «M. Corneille, dit-il, étoit assez grand et assez plein, l'air fort simple et fort commun, toujours négligé, et peu curieux de son extérieur. Il avoit le visage assez agréable, un grand nez, la bouche belle, les yeux pleins de feu, la physionomie vive, des traits fort marqués et propres à être transmis à la postérité dans une médaille ou dans un buste. Sa prononciation n'étoit pas tout à fait nette; il lisoit ses vers avec force, mais sans grâce[67]

Enfin Corneille, confirmant par avance ces divers témoignages, a dit de lui-même:

... L'on peut rarement m'écouter sans ennui,
Que quand je me produis par la bouche d'autrui[68].

Heureusement le jeu des acteurs mit en relief les beautés de l'admirable tragédie dont le débit de l'auteur et les préjugés de ses auditeurs avaient un instant compromis le succès, et Polyeucte parcourut une longue et fructueuse carrière[69]. Les contemporains de Corneille nous l'ont appris, sans nous fournir toutefois les éléments d'une relation quelque peu suivie de la première représentation de ce chef-d'œuvre, dont la date même est douteuse. On l'a généralement placée à l'année 1640, mais un passage de la lettre latine du 12 décembre 1642, dans laquelle Sarrau engage Corneille à écrire un éloge funèbre de Richelieu, semble devoir la reporter à l'année 1643[70].

Pompée et le Menteur, ces deux pièces si différentes, sont, comme nous l'apprend Corneille[71], «parties toutes deux de la même main, dans le même hiver.» Mais quel est cet hiver? Celui de 1641-1642, dit-on généralement; ce serait plutôt celui de 1643-1644, si la date que nous venons de proposer pour Polyeucte paraissait devoir être adoptée.

En 1643, Corneille sollicita vainement le droit de faire jouer par qui bon lui semblerait Cinna, Polyeucte et la Mort de Pompée, qu'il avait fait représenter d'abord par les comédiens du Marais, et que d'autres comédiens, le frustrant «de son labeur» (ce sont ses termes), avaient entrepris de représenter; mais ce «privilége,» qui ne nous semble aujourd'hui que la simple garantie de la propriété de son travail, ne lui fut pas accordé[72].

La Suite du Menteur paraît devoir être placée à l'année 1644. C'est aussi en 1644 ou 1645 que vient la première représentation de Rodogune, qui obtint un éclatant succès, fort propre à dédommager le poëte des ennuis qu'avait dû lui causer le plagiat, d'ailleurs très-maladroit, de Gilbert, que nous avons raconté tout au long dans notre Notice sur Rodogune[73].

En 1644, Antoine Corneille, frère de Pierre, et religieux au Mont-aux-Malades, fut nommé curé de Fréville. A cette occasion, il reçut de sa mère, à titre de prêt, quelques objets mobiliers et la casaque de drap noir de son père, et donna du tout un reçu qui prouve quelle était encore la simplicité de vie de cette famille à l'époque même où l'illustre poëte avait déjà écrit ses chefs-d'œuvre[74].

La chute de Théodore, qui suivit de fort près l'heureux succès de Rodogune, dut surprendre d'autant plus Corneille qu'il considérait les choses de trop haut pour être sensible à ce que le sujet de sa pièce présentait de choquant, et qu'il s'étonnait de la meilleure foi du monde de la prévention et de l'aveuglement du public.

Vers cette époque, Louis XIV enfant lui adressa une lettre officielle afin de le prier de composer des vers pour un grand ouvrage à figures que préparait Valdor, les Triomphes de Louis le Juste[75]. Cet honneur fut bientôt suivi d'un témoignage d'admiration et d'amitié venu de moins haut, mais qui probablement toucha encore plus Corneille: d'un éloge des plus enthousiastes parti de la plume de son cher Rotrou[76]. La manière inattendue dont ces louanges sont amenées, dans une tragédie romaine, au moyen d'un étrange anachronisme, montre combien ce sincère ami avait recherché l'occasion d'exprimer ses sentiments d'admiration. Dans le Véritable Saint-Genest (acte I, scène V), le principal personnage est, comme l'on sait, un comédien qui devient chrétien et martyr. L'empereur Dioclétien, après lui avoir prodigué des éloges mérités, l'interroge ainsi:

Mais passons aux auteurs, et dis-nous quel ouvrage
Aujourd'hui dans la scène a le plus haut suffrage,
Quelle plume est en règne, et quel fameux esprit
S'est acquis dans le cirque un plus juste crédit.

A quoi Saint-Genest finit par répondre en faisant allusion à Cinna et à Pompée:

Nos plus nouveaux sujets, les plus digues de Rome,
Et les plus grands efforts des veilles d'un grand homme,
A qui les rares fruits que la muse produit
Ont acquis dans la scène un légitime bruit,
Et de qui certes l'art comme l'estime est juste,
Portent les noms fameux de Pompée et d'Auguste.
Ces poëmes sans prix où son illustre main
D'un pinceau sans pareil a peint l'esprit romain,
Rendront de leurs beautés votre oreille idolâtre,
Et sont aujourd'hui l'âme et l'amour du théâtre.

Nous mentionnerons ici à sa date une lettre du 18 mai 1646, où Corneille remercie Voyer d'Argenson d'un poëme sacré qu'il vient de recevoir de lui en présent, et nous fait connaître son opinion sur les écrits de ce genre. Je «m'étois persuadé, dit-il dans un passage fort altéré par les premiers éditeurs, que d'autant plus que les passions pour Dieu sont plus élevées et plus justes que celles qu'on prend pour les créatures, d'autant plus un esprit qui en seroit bien touché pourroit faire des poussées plus hardies et plus enflammées en ce genre d'écrire[77]

Voilà qui fait pressentir le futur traducteur de l'Imitation de Jésus-Christ. Jusqu'à ce moment toutefois Corneille était exclusivement occupé du théâtre, et vers la fin de cette année 1646, ou dès les premiers jours de la suivante[78], il fit représenter Héraclius, que Boileau appelait une espèce de logogriphe[79], mais dont, malgré la complication volontaire de l'intrigue, le succès ne fut pas un instant compromis.

C'est le 22 janvier 1647, plus de dix ans après le Cid, que Corneille fut élu membre de l'Académie française, qui avait si vivement critiqué son premier chef-d'œuvre. Il s'était vu préférer successivement M. de Salomon, M. du Ryer, et il aurait peut-être encore échoué devant M. Ballesdens si celui-ci n'avait eu le bon goût de se retirer devant lui, et si d'autre part, pour lever un dernier obstacle, l'illustre candidat n'avait pris soin de faire dire à la Compagnie: «qu'il avoit disposé ses affaires de telle sorte qu'il pourroit passer une partie de l'année à Paris[80]

Charles le Brun reproduisit les traits du nouvel académicien dans une excellente peinture, qui est devenue le portrait communément adopté où tous le reconnaissent[81]. Ce fut, suivant toute apparence, pour l'en remercier que Corneille écrivit, au sujet de la fondation de l'Académie de peinture, la pièce de vers intitulée: la Poésie à la Peinture, en faveur de l'Académie des peintres illustres[82]. Il y célèbre le retour de «cette belle inconnue, la Libéralité,» qui, vainement appelée par les poëtes, semble consentir à reparaître aux yeux des peintres.

Nous arrivons au temps de la Fronde, si désastreux pour l'État, si funeste pour les arts et les lettres, particulièrement pour les auteurs dramatiques et les comédiens, et durant lequel, suivant l'expression de Corneille, les désordres de la France ont resserré dans son cabinet ce qu'il se préparait à lui donner[83]. Ces troubles n'empêchèrent point toutefois la publication du magnifique ouvrage de Valdor, auquel avait travaillé notre poëte: les Triomphes de Louis le Juste. Il parut le 22 mai 1649. On devait tenir naturellement, dans des circonstances si graves, à ne rien négliger de ce qui pouvait rendre à la royauté un peu de prestige et d'éclat.

Il est assez difficile de suivre pendant cette époque le détail de la vie de Corneille. Il faut se contenter d'indiquer quelques faits, qui ont pour nous leur intérêt, mais qu'aucun lien commun ne rattache les uns aux autres. Le Sonnet au R. P. dom Gabriel à l'occasion de sa traduction des Épîtres de saint Bernard[84] nous montre une fois de plus que notre poëte avait dès lors avec divers religieux d'excellentes relations, qui durent contribuer pour une certaine part au changement de direction que subit par la suite son talent.

Un billet du 25 août 1649[85] nous apprend, par le lieu d'où il est daté, que Corneille avait alors momentanément quitté Rouen, et qu'il était à Nemours, très-probablement chez le médecin Dubé, son parent et allié, comme il l'appelle, dont il adresse à un de ses amis un ouvrage tout récemment publié.

Vers les derniers jours de 1649, les troubles politiques, un instant apaisés, laissèrent quelque place aux questions littéraires. Une discussion des plus frivoles, mais qui néanmoins conservait, ainsi que l'a remarqué notre poëte, quelque chose de l'ardeur des passions du moment, occupa vivement les esprits. Il s'agissait de se déterminer entre le sonnet d'Uranie, par Voiture, et celui de Job, par Benserade. Corneille, prié de se prononcer à ce sujet, écrivit tour à tour trois petites pièces, bien marquées au coin de cette réserve propre, dit-on, aux caractères normands et dans lesquelles il est impossible de deviner auquel des deux poëtes il donne vraiment la préférence[86]. Peut-être, au fond du cœur, avait-il pour ces deux productions, alors si goûtées, une indifférence égale, que nous serions, pour notre compte, très-disposé à lui pardonner.

Enfin le calme devint assez grand pour permettre de représenter Andromède et Don Sanche, qui se suivirent de fort près dans un ordre assez difficile à déterminer[87].

Au moment où Corneille venait de faire représenter Andromède, il se trouva investi pour un temps de fonctions publiques, qu'il ne regretta pas plus, sans doute, lorsqu'il les quitta, qu'il ne les avait souhaitées quand on l'en revêtit. Le 1er février 1650, le Roi et la Reine mère quittèrent Paris pour Rouen, où Mazarin vint les rejoindre le 3 du même mois[88]. Plusieurs des créatures du duc de Longueville, gouverneur de Normandie, alors prisonnier à Vincennes, furent destituées pendant ce voyage royal, et la Gazette et divers actes découverts par M. Floquet au greffe de Rouen, et qu'on trouvera à la suite de cette notice[89], établissent que le 15 février le sieur Bauldry, procureur des états de Normandie, fut remplacé dans ses fonctions par Pierre Corneille, ce qui lui valut, dans l'Apologie particulière pour M. le duc de Longueville, une attaque d'ailleurs fort adoucie par l'estime dont jouissait le poëte. Après un éloge très-complaisamment développé du sieur Bauldry, l'auteur anonyme parle en ces termes de celui par qui on l'a remplacé: «On lui a donné un successeur qui sait fort bien faire des vers pour le théâtre, mais qu'on dit être assez mal habile pour manier de grandes affaires. Bref, il faut qu'il soit ennemi du peuple, puisqu'il est pensionnaire de M. de Mazarin.» Du reste, on ne sait rien de la façon dont Corneille remplit cette charge, qui, l'année suivante, le 15 mars, fut rendue à Bauldry, lorsque le duc de Longueville eut fait sa paix avec la cour. Le 18 mars 1650, Corneille avait vendu et résigné, moyennant six mille livres tournois, ses offices de conseiller et avocat du Roi à la table de marbre[90]; il se trouva donc, à partir de ce moment, dépourvu de toutes fonctions officielles.

Nicomède fut représenté au commencement de 1651. Le ton de ce drame, élégant mélange de tragique et de familier, procède directement, ce semble, de l'époque de la Fronde, où, dans les affaires publiques, la tragédie tournait à l'ironie, et où les plus tristes désastres, les plus affreuses misères engendrées par les luttes des grands étaient masqués à leurs yeux par des mots spirituels et d'agréables reparties.

Après cette pièce, Corneille aborde un genre d'écrits tout différents. Longtemps, malgré ses sentiments chrétiens, son talent avait eu, dans la plupart de ses œuvres, un caractère tout profane. Dans Polyeucte, il avait réussi à réunir les plus intéressantes conceptions dramatiques à l'expression la plus élevée de la foi et de la ferveur. Dans Théodore, il avait espéré de remporter de nouveau un triomphe si difficile; mais la nature du sujet avait été un obstacle insurmontable, même pour un poëte de génie. Il ne voulait cependant pas renoncer à revêtir des ornements de la poésie les pensées religieuses qui se présentaient souvent à son esprit et dans lesquelles ses anciens et vénérés maîtres ne cessaient de l'entretenir. Ce fut sans grand'peine assurément qu'il se laissa persuader par des Pères jésuites de ses amis d'entreprendre la traduction en vers de l'Imitation de Jésus-Christ; et le 15 novembre 1651 il en faisait paraître les vingt premiers chapitres. Pendant qu'ils étaient accueillis avec faveur et même avec enthousiasme par tous ceux qui se réjouissaient de cet éclatant témoignage de la profonde piété du grand poëte, on fit à Pertharite (1652) la plus «mauvaise réception[91].» Les circonstances politiques et la misère générale n'étaient alors guère favorables au théâtre, et Scarron ne faisait que se rendre l'écho de l'opinion publique en disant dans son Épître chagrine:

Rien n'est plus pauvre que la scène
Qu'on vit opulente autrefois,
Quoique le plaisir de nos rois.
Il n'est saltimbanque en la place
Qui mieux ses affaires ne fasse
Que le meilleur comédien,
Soit françois, soit italien.
De Corneille les comédies,
Si magnifiques, si hardies,
De jour en jour baissent de prix.

(Les Œuvres de M. Scarron, 1668, tome I, p. 16.)

Corneille lui-même s'exprime ainsi dans l'avis Au lecteur de Pertharite[92]: «Il est temps.... que des préceptes de mon Horace je ne songe plus à pratiquer que celui-ci:

Solve senescentem mature sanus equum, ne
Peccet ad extremum ridendus et ilia ducat[93].
»

Bien des années plus tard, lorsqu'après un long éloignement Corneille était revenu au théâtre, un écrivain sans mérite, qui a été du moins pour lui un sincère ami, et à qui cette amitié a fait écrire par hasard quelques pages naturelles et convaincues, l'abbé de Pure, faisait ainsi l'éloge de cette résolution:

«Puisque le plaisir est l'objet naturel et primitif des spectacles, sitôt qu'on s'aperçoit que l'on ne plaît plus, il faut que le poëte fasse judicieusement sa retraite, qu'il se résolve de bonne foi à quitter une place qu'il ne peut tenir, et qu'à l'exemple d'un ancien, il cesse par raison, sans attendre de s'y voir forcé par sa foiblesse. Nous avons vu de nos jours une pareille résolution qui a passé pour exemplaire, et dont le souvenir a plu même après la dédite et la contrevention; mais c'est toujours beaucoup d'avoir pu la former, et la vanité qui ne nous quitte point ne nous laisse pas souvent cette liberté de reconnoître et encore moins d'avouer nos défauts[94]

Il n'est pas étonnant qu'après le succès si divers de ses deux derniers ouvrages, Pertharite et le commencement de l'Imitation, Corneille ait longtemps cessé de travailler pour le théâtre, et se soit attaché avec ardeur à continuer sa pieuse traduction, dont il avait publié les premiers chapitres sans trop savoir s'il poursuivrait sa tâche, et seulement, nous dit-il, «pour coup d'essai, et pour arrhes du reste[95]

Les recherches dont la vie et les œuvres de Corneille ont été l'objet dans ces derniers temps ont en partie comblé le vide que ses biographes du dix-huitième siècle avaient laissé dans l'histoire des années où il demeura éloigné du théâtre. En 1840, M. Deville a communiqué à l'Académie de Rouen la description d'un registre de la paroisse Saint-Sauveur de Rouen, qui contient les comptes dressés par Pierre Corneille en sa qualité de marguillier et de trésorier en charge de ladite paroisse, pour l'année écoulée de Pâques 1651 à Pâques 1652[96]. M. Célestin Port publia en 1852 quatre lettres inédites, adressées par Pierre Corneille au R. P. Boulard, abbé coadjuteur de Sainte-Geneviève, au sujet de la traduction de l'Imitation. La première est de la veille de Pâques 1652, et il y est question de ces comptes de la paroisse Saint-Sauveur dont nous venons de parler; la dernière est du 10 juin 1656[97]. Enfin, en 1867, une intéressante communication de M. Gosselin à M. Taschereau nous montre Corneille faisant en 1652 quelques acquisitions dans une vente de livres à Rouen[98].

Si l'on joint aux lettres publiées par M. Port l'ensemble des préfaces des diverses éditions de l'Imitation, que nous avons pour la première fois rassemblées d'une manière complète, si l'on prend la peine de lire en note au commencement de chacun des chapitres la description des divers sujets des gravures que le traducteur y avait jointes dans plusieurs éditions, et si l'on considère le soin qu'il avait pris de les accompagner de devises choisies avec une ingénieuse recherche, soit par lui soit par ses amis, on n'aura pas de peine à croire que Corneille, qui avait toujours été (Polyeucte ne permet guère d'en douter) un chrétien sincère, ait, en s'éloignant du théâtre, embrassé avec ferveur les pratiques de la dévotion.

Les documents que nous venons de mentionner ne devaient pas être ignorés au moment de la mort de Corneille. Si l'on ne s'occupa pas alors de les réunir, c'est qu'à cette époque on ne s'intéressait qu'aux œuvres d'un poëte, non à sa personne, et encore, parmi ses œuvres, aux plus brillantes et aux plus célèbres. Quant aux commentateurs et aux biographes du dix-huitième siècle, Voltaire et Fontenelle, ils n'auraient eu garde d'insister sur ces détails, même s'ils les eussent connus. Ces vérités auraient été de celles que ce dernier eût gardées dans sa main, car d'ordinaire les critiques de ce temps ne poussaient pas la sincérité jusqu'à rapporter, en historiens fidèles, même les faits contraires à leurs convictions.

Pendant cette période de la vie de Corneille, éclairée dans ces dernières années, comme nous venons de le voir, d'un jour nouveau, on fit courir encore le bruit de sa mort, qui fut démenti en ces termes par Loret, dans la Muse historique du 2 janvier 1655:

Par je ne sais quels colporteurs
Un de nos plus fameux auteurs
Fut occis dès l'autre semaine,
C'est-à-dire, ils prirent la peine
De crier partout son trépas,
Quoique défunt il ne fût pas.
Cet auteur est Monsieur Corneille,
Qui du Parnasse est la merveille,
Dans la France fort estimé,
Et surtout beaucoup renommé
Pour ses beaux poëmes comiques,
Mais encor plus pour les tragiques,
Par lesquels il a mérité
D'ennoblir sa postérité,
Dès le temps de ce prince auguste
Que l'on nommoit Louis le Juste.
Divin génie! esprit charmant!
Rare honneur du pays normand!
Mon illustre compatriote,
Dont l'âme est à présent dévote,
Détruisant cette folle erreur,
Qui me mettoit presque eu fureur,
Mon âme est aujourd'hui ravie
De te restituer la vie.

Les rares petites pièces de vers échappées à Corneille vers ce temps-là se distinguent presque toutes par leur caractère sérieux. Nous citerons l'épitaphe d'Élisabeth Ranquet, morte au mois d'avril 1654, à Briquebec, en odeur de sainteté[99]; un sonnet d'un tour très-ferme, pour obtenir la confirmation des lettres de noblesse de 1637, mises en question par la déclaration du 30 décembre 1656[100]; un autre, plein de fierté, placé en 1657 par Campion en tête de ses Hommes illustres[101]. Ce n'était plus d'ailleurs qu'avec peine que Corneille se décidait à écrire de ces petites poésies. Gilles Boileau, qui lui avait demandé des vers sur la mort du président Pomponne de Bellièvre, et auquel il répondit, à ce qu'il paraît, qu'il n'avait ni le talent de louer, ni celui de blâmer, fait vivement ressortir le contraste que forme un refus ainsi motivé avec la conduite qu'il avait tenue précédemment. En exhalant sa mauvaise humeur à cette occasion, il énumère une série d'opuscules, dont quelques-uns n'ont pas encore été retrouvés[102].

Corneille étant parvenu à la cinquantaine tout occupé de graves pensées, de pieuses résolutions, semblait s'être pour jamais éloigné du théâtre, lorsqu'un incident assez simple vint changer ses nouvelles habitudes, modifia ses dispositions, et lui fit reprendre ses anciens travaux. En 1658, la troupe de Molière s'établit à Rouen vers Pâques, et y resta jusqu'au mois d'octobre. Un auteur dramatique, même devenu marguillier, a bien du mal à ne point fréquenter le théâtre, surtout lorsqu'on y joue ses pièces, et il lui est difficile de rester indifférent à la vue des belles et aimables personnes qui y remplissent avec éclat les principaux rôles. On remarquait principalement dans cette troupe la du Parc, assez habituellement appelée «la Marquise.» Corneille, charmé, se mit bientôt à la célébrer, tant sous cette dénomination que sous celle d'Iris. Comment ce chrétien austère, déjà sur le penchant de l'âge, parvient-il à parler de sa passion poétique à la jeune et jolie comédienne, sans scandaliser et sans faire sourire? comment sait-il prendre un ton presque badin, sans rien perdre de sa dignité? c'est ce qu'il est plus facile de sentir que d'expliquer, et nous ne saurions mieux faire que de renvoyer le lecteur aux poésies mêmes: «Iris, dit le poëte,

Iris, que pourriez-vous faire
D'un galant de cinquante ans[103]

Cependant, si déraisonnable que lui paraisse cet amour, il s'y laisse entraîner, et l'on sent que sous la frivolité apparente du langage se cache un sentiment profond, qui nous paraît s'être prolongé plus encore qu'on ne l'a cru. Est-il bien hardi de supposer que c'est ce sentiment qui a inspiré à Corneille, dans les pièces postérieures à ce temps, ses types de vieillards amoureux, très-neufs dans la tragédie, et d'une vérité fort originale[104]? L'élégie Sur le départ d'Iris se termine de façon à faire croire que cet hommage fut le terme de ce commerce de galanterie[105]; mais les vers amoureux continuèrent: il suffit pour le voir de feuilleter les œuvres de Corneille. Cette disposition d'esprit aidant, il fit bon accueil aux présents et aux propositions encourageantes de Foucquet, qui l'engageait à travailler de nouveau pour le théâtre. Voici en quels termes il lui répond:

Je sens le même feu, je sens la même audace
Qui fit plaindre le Cid, qui fit combattre Horace;
Et je me trouve encor la main qui crayonna
L'âme du grand Pompée et l'esprit de Cinna.
Choisis-moi seulement quelque nom dans l'histoire
Pour qui tu veuilles place au temple de la Gloire[106].

Entre plusieurs sujets que le Surintendant lui proposa, Corneille s'arrêta à celui d'Œdipe[107]. La pièce réussit parfaitement, et valut au poëte, de la part du Roi, des libéralités, qu'il considéra comme «des ordres tacites, mais pressants, de consacrer aux divertissements de Sa Majesté ce que l'âge et les vieux travaux» lui avaient laissé d'esprit et de vigueur[108]. Il agit en conséquence. Après avoir écrit pour Marie-Thérèse d'Autriche un sixain destiné à être mis en musique par Lambert[109], il célébra le mariage de cette princesse avec le roi de France dans le Prologue de la Toison d'or, pièce représentée avec grande pompe à Neubourg, aux frais de M. de Sourdeac, et plus tard à Paris, avec un succès et un éclat dont nous avons rapporté tout au long les abondants témoignages[110].

Le 31 octobre 1660 est la date de l'Achevé d'imprimer d'une édition importante des œuvres de Corneille, revue par lui avec le soin le plus consciencieux. Une de ses lettres nous le montre occupé de cette révision. Dès le 9 juillet 1658, il écrit à l'abbé de Pure qu'il compte avoir terminé dans deux mois la correction de ses ouvrages, si quelque nouveau dessein ne vient l'interrompre[111]. Depuis plusieurs années Corneille s'apercevait avec douleur que les immenses progrès qu'il avait plus que personne introduits dans la langue et dans l'art dramatique faisaient plus vivement ressortir la faiblesse relative de ses premiers ouvrages[112]. Comme il arrive toujours à la suite d'un grand mouvement littéraire, les grammairiens et les critiques étaient venus en foule. En 1647, Vaugelas avait écrit ses judicieuses Remarques, et Corneille en tint compte, dans sa révision, avec une déférence dont on n'avait pas été suffisamment frappé, mais que nous avons signalée à l'attention du lecteur dans la préface de notre Lexique, et dont l'examen des variantes fournira des preuves nombreuses. Il était loin, on le conçoit, d'accepter aussi volontiers les décisions de l'abbé d'Aubignac, qui, dix ans après Vaugelas, en 1657, avait écrit sur la Pratique du théâtre un livre où, se proclamant de sa propre autorité le législateur de la scène, il exagérait fort les rigueurs d'Aristote et d'Horace, abusait étrangement des aveux pleins de noblesse et de sincérité que notre poëte avait eu l'imprudence de faire devant lui, et s'attribuait le mérite des progrès accomplis de son temps.

«M'étant avancé, dit-il, dans la connoissance des savants de notre siècle, j'en rencontrai quelques-uns assez intelligents au théâtre, principalement dans la théorie et dans les maximes d'Aristote, et d'autres qui s'appliquoient même à la considération de la pratique, et tous ensemble approuvèrent les sentiments que j'avois de l'aveuglement volontaire de notre siècle, et m'aidèrent beaucoup à confondre l'opiniâtreté de ceux qui refusoient de céder à la raison: si bien que peu à peu le théâtre a changé de face, et s'est perfectionné jusqu'à ce point que l'un de nos auteurs les plus célèbres (en marge: Monsieur de Corneille) a confessé plusieurs fois, et tout haut, qu'en repassant sur des poëmes qu'il avoit donnés au public avec grande approbation, il y a dix ou douze ans, il avoit honte de lui-même, et pitié de ses approbateurs[113]

Parfois d'Aubignac donne à Corneille de grands éloges, mais presque toujours avec l'intention bien marquée de limiter son génie et de restreindre l'admiration qu'il excite. Ainsi, défendant les longues délibérations qui se trouvent dans certaines tragédies: «J'exhorte, dit-il, autant que je le puis, tous les poëtes d'en introduire sur leur théâtre tant que le sujet en pourra fournir, et d'examiner soigneusement avec combien d'adresse et de variété elles se trouvent ornées chez les anciens, et, j'ajoute, dans les œuvres de M. Corneille; car si on y prend bien garde, on trouvera que c'est en cela principalement que consiste ce qu'on appelle en lui des merveilles, et ce qui l'a rendu si célèbre[114]

Après avoir lu le passage qui précède, on comprend que notre poëte écrive à l'abbé de Pure avec sa fierté naïve: «Je ne suis pas d'accord avec M. d'Aubignac de tout le bien même qu'il a dit de moi[115]

Il eut l'ambition fort légitime de prendre à son tour la parole sur des questions qu'il avait si bien étudiées et qui lui importaient si fort, et joignit à son édition de 1660 trois Discours sur le théâtre, et des Examens de chacune de ses pièces représentées jusqu'à cette époque.

Corneille prend au début de ce travail un ton modéré et modeste, qu'on peut regarder comme une adroite critique de celui de d'Aubignac: «Je hasarderai quelque chose, dit-il, sur cinquante ans de travail pour la scène, et en dirai mes pensées tout simplement, sans esprit de contestation qui m'engage à les soutenir, et sans prétendre que personne renonce en ma faveur à celles qu'il en aura conçues[116].» Ces paroles adressées au public se trouvent commentées par les explications que Corneille donne à l'abbé de Pure, dans la lettre que nous avons déjà citée[117]: «Bien que je contredise quelquefois M. d'Aubignac et Messieurs de l'Académie, je ne les nomme jamais, et ne parle non plus d'eux que s'ils n'avoient point parlé de moi.»

On ne saurait trop apprécier chez l'impétueux auteur de l'Excuse à Ariste et de la Lettre apologétique les modifications que l'âge et l'expérience avaient apportées à son tempérament littéraire. Il a su si heureusement, et avec une si habile modération, faire dominer dans son nouveau travail la forme du précepte et de la fine observation, que les lecteurs qui négligent de lire la lettre à l'abbé de Pure avant d'aborder les Discours sur le théâtre et les Examens, peuvent prendre cette défense, adroite et souvent solide, pour un simple traité théorique.

Au commencement de l'année 1661, nous trouvons Corneille fort occupé des démarches à faire pour placer son second fils comme page chez la duchesse de Nemours[118], démarches couronnées, du reste, d'un prompt succès. Vers la fin de la même année, une curieuse lettre à l'abbé de Pure[119], jusqu'ici fort mal publiée[120], nous apprend qu'il a déjà presque achevé les trois premiers actes de Sertorius; nous le voyons persuadé qu'il n'a «rien écrit de mieux,» et le public contemporain semble avoir partagé cette opinion[121].

Au mois d'avril 1662, il écrit au même abbé de Pure: «Le déménagement que je prépare pour me transporter à Paris me donne tant d'affaires que je ne sais si j'aurai assez de liberté d'esprit pour mettre quelque chose cette année sur le théâtre[122].» Il ne fit, en effet, rien représenter en 1662; et au commencement d'octobre il n'avait pas encore quitté Rouen[123]. Non-seulement aucun ouvrage dramatique, mais nulle pièce de vers ne vient se placer dans cette année, qu'un déménagement de poëte semble, on a peine à le croire, avoir occupée ou du moins troublée tout entière. C'est, il est vrai, à cette époque que se rattache la Plainte de la France à Rome, écrite à l'occasion de l'insulte faite au duc de Créquy, ambassadeur de France, par les Corses de la garde du Pape; mais nous avons prouvé que cette pièce de vers, attribuée sans hésitation à Corneille par la plupart de ses éditeurs et de ses biographes, n'est point de lui, mais de Fléchier[124].

Où Corneille vint-il habiter à Paris en quittant Rouen? Ce fut, selon M. Édouard Fournier, à l'hôtel de Guise, rue du Chaume, où est aujourd'hui le palais des Archives. Il est vrai qu'en 1663 d'Aubignac nous apprend que notre auteur y avait «le couvert et la table,» et Tallemant des Réaux raconte qu'il avait «trouvé moyen» d'y «avoir une chambre[125];» mais cela ne s'applique-t-il pas aux séjours passagers que le poëte venait faire seul à Paris, dans le temps où il habitait encore Rouen, plutôt qu'à une installation permanente et complète avec femme et enfants?

On peut être encore plus tenté de le croire si l'on remarque que le 7 septembre 1655, Tristan l'Hermite mourut à l'hôtel de Guise, comme nous l'apprend Loret par les vers suivants de sa Muse historique:

Mardi, cet auteur de mérite,
Que l'on nommoit Tristan l'Hermite,
..............................................
Décéda d'un mal de poulmon
Dans le très-noble hôtel de Guise,
Où ce prince, qu'un chacun prise,
Par ses admirables bontés,
Ses soins et générosités,
Dès longtemps s'étoit fait paraître
Son bienfaiteur, Mécène, et maître.

N'est-il pas probable que Corneille eut dès 1655 la survivance de ce logis, dès longtemps consacré à un poëte dramatique, et auquel sa supériorité sur tous ses rivaux lui donnait une sorte de droit?

En tout cas, il est certain qu'il n'alla pas s'établir en 1662 rue d'Argenteuil, et qu'il y vint beaucoup plus tard qu'on ne l'a cru; il n'y était pas encore fixé en 1676, car, ainsi que l'a remarqué M. Taschereau[126], une procuration du 23 août 1675, relative à la tutelle des enfants d'un cousin de Corneille, avec qui il paraissait fort lié, et qu'il avait chargé depuis son départ de Rouen d'y surveiller ses intérêts[127], prouve qu'à cette époque Pierre Corneille demeurait rue de Cléry, paroisse Saint-Eustache[128]. Il y habitait encore au commencement de l'année suivante, comme le montre une Liste (avec les adresses) de Messieurs de l'Academie francoise en Ianuier 1676, la seule de ce genre que nous connaissions pour tout le dix-septième siècle[129].

En 1662, Colbert fit dresser par Costar et Chapelain une double liste des savants et des écrivains qui paraissaient mériter des pensions du Roi. Corneille est naturellement sur l'une et sur l'autre. Les jugements qui se rapportent à lui et que nous reproduisons ailleurs[130] lui sont très-favorables. Par malheur, on se montra beaucoup moins prodigue envers lui d'argent que d'éloges; et tandis que le 1er janvier 1663 la pension de Mézerai était fixée à quatre mille livres et celle de Chapelain et de plusieurs autres à trois, notre poëte n'en obtint que deux mille, dont il parut, du reste, fort satisfait, car il exprima son contentement avec beaucoup d'effusion dans un Remercîment en vers, où il rappelle les louanges qu'il a adressées au Roi dans ses ouvrages. Moins empressé, il est vrai, à l'égard de Colbert, il laissa passer plus d'un an avant de lui témoigner sa reconnaissance[131].

A la fin de janvier 1663, peu de temps après avoir reçu sa pension, Corneille fit représenter Sophonisbe, qui eut une vogue assez grande, mais de peu de durée, et qui donna lieu à divers écrits de Donneau de Visé et de d'Aubignac, dont on trouvera l'analyse dans la Notice consacrée à cet ouvrage[132]. Nous y avons réuni plusieurs témoignages qui semblent établir d'une manière certaine que cette pièce a été, ainsi que beaucoup d'autres tragédies de Corneille, retouchée avant l'impression. Un passage de d'Aubignac, qui nous avait échappé, semble encore confirmer ce fait: «Toutes les choses qu'il a pu réformer dans sa Sophonisbe ont été rajustées, mais assez mal, comme on l'a remarqué à la nouvelle couleur qu'il a depuis peu donnée au mauvais mariage de cette reine, fait un peu trop à la hâte, l'ayant prétexté de quelques vieilles lois des Africains; et maintenant il dit que je me suis trompé dans mes observations. Cela vraiment est bien fin, de corriger ses fautes et soutenir hardiment que l'on n'en a point fait, et d'avancer que je dormois ou que je rêvois ailleurs durant la représentation; ses amis, qui lors étoient auprès de moi, savent bien que j'étois assez attentif, et que je me plaignois souvent de leur interruption, quand ils exigeoient de moi des louanges que ma conscience ne pouvoit donner[133]

Au mois d'août 1664, Othon eut à son tour un remarquable succès. Puis un an se passe sans que Corneille fasse rien paraître de nouveau. Le 19 juillet 1665, il obtient un privilége pour une traduction des Louanges de la sainte Vierge attribuées à saint Bonaventure, et la publie à ses frais le 22 août, chez Gabriel Quinet. «Si ce coup d'essai ne déplaît pas, dit le poëte dans l'avis Au lecteur, il m'enhardira à donner de temps en temps au public des ouvrages de cette nature;» et il ajoute, avec un regret sincère, il faut le croire, mais que peut-être on aura quelque peine à regarder comme très-profond: «Ce n'est pas sans beaucoup de confusion que je me sens un esprit si fécond pour les choses du monde, et si stérile pour celles de Dieu[134]

Jusqu'alors Corneille, quoique sans cesse exposé aux traits de l'envie et engagé parfois dans les luttes littéraires les plus animées, avait été un poëte heureux: de prompts succès avaient balancé ses chutes, et il avait été l'objet des hommages les plus flatteurs. «Tout Paris, dit Perrault dans ses Hommes illustres, a vu un cabinet de pierres de rapport fait à Florence, et dont on avoit fait présent au cardinal Mazarin, où entre les divers ornements dont il est enrichi, on avoit mis aux quatre coins les médailles ou portraits des quatre plus grands poëtes qui aient jamais paru dans le monde: savoir Homère, Virgile, le Tasse et Corneille. On ne peut pas croire qu'il entrât de la flatterie dans ce choix, et qu'il n'ait été fait par la voix publique, non-seulement de la France, mais de l'Italie même, assez avare de pareils éloges. Cette espèce d'honneur n'est pas ordinaire, et peu de gens en ont joui, comme M. Corneille, pendant leur vie.... Il seroit malaisé d'exprimer les applaudissements que ses ouvrages reçurent. La moitié du temps qu'on donnoit aux spectacles s'employoit en des exclamations qui se faisoient de temps en temps aux plus beaux endroits, et lorsque par hasard il paroissoit lui-même sur le théâtre, la pièce étant finie, les exclamations redoubloient et ne finissoient point qu'il ne se fût retiré, ne pouvant plus soutenir le poids de tant de gloire[135]

Nous arrivons maintenant à l'époque douloureuse de la vie de Corneille. A la fin de 1665, nous le voyons signalant dans un sixain spirituel et mordant les retards apportés au payement de sa pension[136]. Un peu plus tard, il laisse paraître dans un remercîment adressé à Saint-Évremont, qui avait défendu sa Sophonisbe, les appréhensions que lui avait causées le succès de l'Alexandre de Racine[137], appréhensions que l'accueil fait cinq mois après à l'Agésilas ne fut point de nature à calmer. Attila, un peu plus heureux devant le public, eut toutefois encore à essuyer de mordantes critiques. Mais les difficultés de la vie, les contrariétés d'amour-propre ne sont rien auprès des chagrins dont Corneille se vit frappé. Il avait quatre fils: deux au service, où ils faisaient vaillamment leur devoir, et deux autres, beaucoup plus jeunes, qui étaient confiés (cela est certain pour l'un et probable pour l'autre) aux soins des Pères jésuites, comme Corneille l'avait été lui-même.

Le 6 juillet 1667, le second, que nous avons vu page de la duchesse de Nemours, blessé au pied au siége de Douai, est ramené à Paris, et on le rapporte sur un brancard dans la maison de son père[138]. Peu de temps après, dans la même année, le troisième fils du poète, Charles Corneille, filleul du P. de la Rue, qui a déploré son trépas dans une touchante élégie latine[139], mourait à quatorze ans, au moment où sa précoce intelligence faisait concevoir à son père les plus légitimes espérances.

Sept ans plus tard, en 1672, nous trouvons un témoignage de l'amitié de Corneille pour le P. de la Rue, dans le soin qu'il prit de traduire son poëme latin Sur les Victoires du Roi, et surtout de dire à Louis XIV, en lui présentant sa traduction, «qu'elle n'égaloit point l'original du jeune jésuite, qu'il lui nomma[140].» Avant et après cette traduction, Corneille composa encore d'autres vers sur les campagnes du Roi et des imitations de pièces latines de Santeul. En 1670, il publia son Office de la sainte Vierge, dédié à la Reine, et accompagné d'une Approbation datée d'octobre 1669.

Nous avons eu occasion d'indiquer tout à l'heure combien la renommée naissante de Racine portait ombrage à Corneille, et déjà nous avions dit ailleurs quelle impatience lui causaient les plus innocentes malices de son jeune rival[141]. Soumettre deux poëtes si différents d'âge, de talent, de caractère, à un véritable concours semblait impossible. Henriette d'Angleterre y parvint pourtant, et Corneille, qui avait imprudemment accepté un sujet auquel ses qualités ne convenaient point, donna dans Tite et Bérénice (1670) une triste preuve de l'affaiblissement de son génie[142].

Le privilége de cette tragédie fait mention d'une traduction en vers de la Thébaïde de Stace, dont un livre tout au moins, le second, paraît avoir été imprimé, mais probablement comme essai et à très-petit nombre. Corneille, découragé sans doute du peu de succès de cette tentative, n'aura pas jugé à propos d'y donner suite. On n'a pas pu retrouver un seul exemplaire de l'ouvrage[143].

Il eut une heureuse inspiration en 1674, lorsqu'il se fit le collaborateur de Molière, et consacra «une quinzaine,» nous dit-il, à écrire une grande partie de la tragédie-ballet de Psyché[144], et notamment cette scène si délicate et si tendre où Psyché déclare à l'Amour les sentiments qu'il lui fait éprouver.

Après avoir composé encore quelques vers en l'honneur de Louis XIV, et particulièrement les Victoires du Roi sur les états de Hollande, autre traduction d'un poëme du P. de la Rue[145], Corneille fit jouer, en 1672, sa Pulchérie par les comédiens du Marais, et se montra satisfait du demi-succès qu'elle obtint[146]. Il l'avait lue plusieurs fois avant la représentation à des auditeurs de son choix. Il s'était fait une habitude de ces lectures. Les gens de qualité tenaient à grand honneur d'être consultés par lui, et en 1661 Molière nous présente un de ses Fâcheux s'écriant:

Je sais par quelles lois un ouvrage est parfait,
Et Corneille me vient lire tout ce qu'il fait.

(Les Fâcheux, acte I, scène 1, vers 53 et 54.)

En 1674, de nouveaux malheurs de famille vinrent assaillir le poëte: son vaillant fils, qui en 1667 était revenu blessé du siége de Douai, fut frappé mortellement au siége de Grave, à la tête de la compagnie qu'il commandait en qualité de lieutenant de cavalerie. Son pauvre père ne travailla plus guère à partir de ce nouveau deuil. Il termina sa carrière dramatique à la fin de l'année par Suréna[147], et n'écrivit plus que quelques petits poëmes officiels ou des suppliques en vers ou en prose.

Deux de ces pièces sont surtout intéressantes.

D'abord un placet, par lequel Corneille rappelle à Louis XIV la promesse qu'il lui a faite depuis quatre ans d'un bénéfice pour Thomas Corneille, son quatrième fils, et qu'il termine si hardiment en lui disant:

Qu'un grand roi ne promet que ce qu'il veut tenir[148].

Ce placet, qu'on était tenté de regarder comme une boutade qui, au lieu d'avoir été adressée au Roi, était demeurée renfermée dans le portefeuille du poëte, ou n'avait du moins circulé que dans un petit cercle d'amis; ce placet, que Granet croyait publier pour la première fois d'après un manuscrit, nous l'avons trouvé, non sans étonnement, imprimé en 1677 dans le Mercure, un an ou deux à peine après le moment où il fut écrit. C'est là un curieux témoignage à joindre à ceux qu'une étude attentive permettrait aujourd'hui de réunir sur les libertés littéraires du siècle de Louis XIV.

Ensuite cette belle et touchante épître Au Roi, qui est comme le testament poétique de Corneille, et dans laquelle il recommande, avec une éloquence si simple, ce qu'il avait de plus cher au monde: ses chefs-d'œuvre, pour lesquels il craignait l'oubli; puis ses deux derniers fils: le capitaine, pour qui il tremblait; l'ecclésiastique, sur qui il cherche encore à attirer l'attention royale, et qui obtint enfin, le 20 avril 1680, l'abbaye d'Aiguevive en Touraine[149]. Se peut-il que cette noble supplique n'ait pas suffi pour assurer la tranquillité de sa vieillesse? Pourquoi faut-il qu'il ait été obligé d'écrire à Colbert la lettre déchirante dans laquelle il se plaint du malheur qui l'accable «depuis quatre ans, de n'avoir plus de part aux gratifications dont Sa Majesté honore les lettres?»

Aux motifs d'inquiétude qu'avait alors Corneille se joignait l'ennui d'un long procès intenté à sa famille par suite d'une tutelle de son père, et dans lequel il jugea utile d'intervenir, quoique n'ayant pas été d'abord compris dans la poursuite[150].

C'est à cette époque de la vie du poëte que se rapporte la lettre suivante, écrite, en 1679, par un Rouennais à un de ses amis, et publiée par M. Em. Gaillard, qui, par malheur, ne dit ni où est l'original de la lettre, ni quel en est l'auteur, ni à qui elle est adressée[151]:

«J'ai vu hier M. Corneille, notre parent et ami; il se porte assez bien pour son âge. Il m'a prié de vous faire ses amitiés. Nous sommes sortis ensemble après le dîner, et en passant par la rue de la Parcheminerie, il est entré dans une boutique pour faire raccommoder sa chaussure, qui étoit décousue. Il s'est assis sur une planche, et moi auprès de lui; et lorsque l'ouvrier eut refait, il lui a donné trois pièces qu'il avoit dans sa poche. Lorsque nous fûmes rentrés, je lui ai offert ma bourse; mais il n'a point voulu la recevoir ni la partager. J'ai pleuré qu'un si grand génie fût réduit à cet excès de misère.»

Au commencement de 1680, «sitôt, dit le Mercure[152], que le mariage (du Dauphin) fut déclaré,» Corneille, alors âgé de près de soixante-quatorze ans, alla présenter au Roi et au jeune prince une pièce de vers sur ce sujet. Tout ce morceau est empreint de la plus vive tristesse, et du sentiment, hélas! trop sincère, qu'a le poëte de la caducité de son génie. C'est avec une réelle conviction qu'il dit au Dauphin:

Quel supplice pour moi, que l'âge a tout usé,
De n'avoir à t'offrir qu'un esprit épuisé[153]!

et qu'il termine par ces mots:

De quel front oserois-je, avec mes cheveux gris,
Ranger autour de toi les Amours et les Ris?
Ce sont de petits dieux, enjoués, mais timides,
Qui s'épouvanteroient dès qu'ils verroient mes rides;
Et ne me point mêler à leur galant aspect,
C'est te marquer mon zèle avec plus de respect[154].

Ce sont là les derniers vers qui nous restent de lui, les derniers sans doute qu'il ait écrits. Depuis lors son unique travail fut la révision définitive de ses œuvres pour l'édition de 1682. Il ne paraît pas que cette édition ait été bien fructueuse pour lui.

Le 10 novembre 1683, il vendit sa maison de Rouen, de la rue de la Pie, moyennant quatre mille trois cents livres, sur lesquelles il ne devait lui en revenir que treize cents, les trois mille autres étant destinées à l'amortissement de la pension, jusqu'alors garantie par cette propriété, qu'il payait pour sa fille Marguerite, religieuse au couvent des dominicaines[155]. Corneille n'intervint pas personnellement dans cet acte d'amortissement; il n'y figure que par l'entremise de le Bovier de Fontenelle, son beau-frère; son neveu nous apprend le triste motif qui le tint éloigné: «Ses forces, dit-il, diminuèrent toujours de plus en plus, et la dernière année de sa vie son esprit se ressentit beaucoup d'avoir tant produit et si longtemps[156]

Son dénûment ne fit que s'accroître à l'approche de ses derniers moments, et Boileau indigné alla chez le Roi pour faire rétablir la pension de Corneille, et offrit le sacrifice de la sienne. «Action très-véritable, dit Louis Racine, que m'a racontée un témoin encore vivant; on a eu tort de la révoquer en doute, puisque Boursault, qui ne devoit pas être disposé à le louer, la rapporte dans ses lettres[157].» Le Roi envoya immédiatement deux cents louis; ce fut la Chapelle, parent de Boileau, qui fut chargé de les porter. Le P. Tournemine, qui met en doute l'exactitude de tout ce récit, convient toutefois de cette circonstance[158]. Ce secours avait été bien tardif; l'illustre poète expira peu de jours après l'avoir reçu[159]. Il mourut dans la nuit du 30 septembre au 1er octobre 1684[160].


«Comme c'est une loi dans cette Académie (l'Académie française), dit Fontenelle, que le directeur fait les frais d'un service pour ceux qui meurent sous son directorat, il y eut une contestation de générosité entre M. Racine et M. l'abbé de Lavau, à qui feroit le service de M. Corneille, parce qu'il paroissoit incertain sous le directorat duquel il étoit mort. La chose ayant été remise au jugement de la Compagnie, M. l'abbé de Lavau l'emporta, et M. de Benserade dit à M. Racine: «Si quelqu'un pouvoit prétendre à enterrer M. Corneille, c'étoit vous: vous ne l'avez pourtant pas fait[161]

Ce à quoi il pouvait prétendre à plus juste titre et ce qu'il obtint, ce fut l'honneur de louer dignement son illustre rival. Lorsque, le 2 janvier 1685, Thomas Corneille, élu à l'unanimité à la place que son frère laissait vacante à l'Académie française, eut prononcé son discours de réception, ce fut Racine qui lui répondit. Il sut faire de son illustre prédécesseur un portrait à la fois brillant et familier, fort connu assurément, mais dont rien ne saurait tenir lieu à la fin d'une étude sur Corneille, car en même temps qu'il résume le jugement des contemporains, il devance celui de la postérité avec une exactitude, une justesse que le temps nous permet aujourd'hui d'apprécier et d'admirer:

«Lorsque, dans les âges suivants, on parlera avec étonnement des victoires prodigieuses et de toutes les grandes choses qui rendront notre siècle l'admiration de tous les siècles à venir, Corneille, n'en doutons point, Corneille tiendra sa place parmi toutes ces merveilles. La France se souviendra avec plaisir que sous le règne du plus grand de ses rois a fleuri le plus grand de ses poëtes. On croira même ajouter quelque chose à la gloire de notre auguste monarque lorsqu'on dira qu'il a estimé, qu'il a honoré de ses bienfaits cet excellent génie; que même, deux ou trois jours avant sa mort, et lorsqu'il ne lui restoit plus qu'un rayon de connoissance, il lui envoya encore des marques de sa libéralité, et qu'enfin les dernières paroles de Corneille ont été des remercîments pour Louis le Grand.

«Voilà, Monsieur, comme la postérité parlera de votre illustre frère; voilà une partie des excellentes qualités qui l'ont fait connoître à toute l'Europe. Il en avoit d'autres, qui bien que moins éclatantes aux yeux du public, ne sont peut-être pas moins dignes de nos louanges: je veux dire homme de probité et de piété, bon père de famille, bon parent, bon ami. Vous le savez, vous qui avez toujours été uni avec lui d'une amitié qu'aucun intérêt, non pas même aucune émulation pour la gloire, n'a pu altérer. Mais ce qui nous touche de plus près, c'est qu'il étoit encore un très-bon académicien; il aimoit, il cultivoit nos exercices[162]; il y apportoit surtout cet esprit de douceur, d'égalité, de déférence même, si nécessaire pour entretenir l'union dans les compagnies. L'a-t-on jamais vu se préférer à aucun de ses confrères? L'a-t-on jamais vu vouloir tirer ici aucun avantage des applaudissements qu'il recevoit dans le public? Au contraire, après avoir paru en maître et, pour ainsi dire, régné sur la scène, il venoit, disciple docile, chercher à s'instruire dans nos assemblées; laissoit, pour me servir de ses propres termes, laissoit ses lauriers à la porte de l'Académie[163]; toujours prêt à soumettre son opinion à l'avis d'autrui, et de tous tant que nous sommes, le plus modeste à parler, à prononcer, je dis même sur des matières de poésie.»


PIÈCES JUSTIFICATIVES

DE LA NOTICE BIOGRAPHIQUE[164].


I.—Page xix.

Actes de baptême de Pierre Corneille.

Le neuvieme jour [de juin 1606], Pierre, fils de M. Pierre Corneille, a esté baptisé. Le parrain, M. Pierre le Pesant, secretaire du Roy, et Barbe Houel. (Registre de la paroisse Saint-Sauveur de Rouen, déposé au greffe du tribunal de première instance de Rouen.)


Le vendredi neuvieme, Pierre, fils de M. Pierre Corneille, a esté baptisé. Le parrain, M. Pierre le Pesant, secretaire du Roy, et damoiselle Barbe Houel. (Registre de la paroisse Saint-Sauveur de Rouen, déposé à la mairie de Rouen.)


II.—Page xxi.

Réception de Pierre Corneille comme avocat par la cour de Rouen.

Du mardi XVIIIe jour de juin 1624, Me Pierre Corneille, licencié es loix, après que par ordonnance de la Cour a esté informé d'office, par les conseillers commissaires à ce députés, de sa vie, mœurs, actions, comportemens, religion catholique, apostolique et romaine; oüi sur ce le procureur general du Roi, et de son consentement, a esté receu advocat en ladite cour, et a fait et presté le serment en tel cas requis et accoustumé. (Archives du greffe de l'ancien parlement de Rouen.)


III.—Page XXI.

Nomination de Pierre Corneille, comme avocat du Roi en la Table de marbre.

Jay receu de Me Pierre Corneille le jeune la somme de trois cens soixante et quinze livres pour la resignation de loffice de conseiller et advocat du Roy antien à la table de marbre du Pallais à Rouen pour le siege des eaues et forestz aux gaiges et droicts y appartenant faicte à son profict par Me Pierre Desmogeretz qui a paié l'annuel duquel office ledit Corneille a esté pourveu. Faict à la Rochelle le XVIIIe novembre XVIc vingt huict. Signé Deligny, et au dos Enregistré au Contrôle général des finances par moy soubsigné commis audit contrôle. A Paris le dernier de decembre XVIc vingt huict. Signé Sublet.


Jay receu de Me Pierre Corneille la somme de CVIII l. pour le droit de mar d'or de loffice de conseiller et advocat du Roy antien a la table de marbre du Pallais à Rouen pour le siege des eaues et forestz dont il a esté pourveu pour la resignation de Me Pierre Desmogeretz. Faict à Paris le XXXe decembre 1628. Signé de la Court, et au dos Enregistré au Contrôle general des finances par moy soubsigné commis audit contrôle. A Paris le dernier de decembre 1628. Signé Sublet, et plus bas, collationné par moy conseiller secrettaire du Roy et de ses finances. Signé Couppeau.


Louis [165] par la grace de Dieu Roy de France et de Navare A tous ceux qui ces presentes verront salut sçavoir faisons que pour le bon et louable rapport qui faict nous a esté de la personne de notre cher et bien amé Me Pierre Corneille et de ses sens suffisance loiauté preudhommie experience et bonne dilligence a icelluy pour ces causes et autres a ce nous mouvans. Avons donné et octroié donnons et octroions par ces presentes l'office de notre Conseiller et advocat antien à la table de marbre du Pallais à Rouen pour le siege des eaux et foretz que nagueres soulloit tenir et exercer Me Pierre Desmogeretz dernier paisible possesseur dIcelluy vaccant a present par la resignation quil en a faite par sa procuration cy attachée soubz le contrescel de notre chancelerie. Pour le dit office avoir tenir et doresnavant exercer en jouir et user par le dit Corneille aux honneurs authoritez prerogatives preeminences franchises libertez gaiges, droictz de chauffages proffictz revenus et esmolumens accoustumez et y appartenans telz et semblables qu'en jouissoit le dit Desmogerets tant quil nous plaira, encore quil ne vive les quarante jours portez par noz ordonnances de la rigueur desquelles nous l'en avons rellevé et dispensé attendu le droit annuel pour ce par luy paié Sy donnons en mandement a nos amez et feaux conseillers les gens tenans notre court de parlement de Rouen. Qu'après leur estre apparu des bonne vie mœurs conversation et religion Catholique apostolicque et Romaine du dit Corneille et de luy pris et receu le serment en tel cas requis et accoustumé Ilz le mettent et instituent ou facent mettre et instituer de par nous en possession et saisine du dit office l'en faisant jouir et user aux honneurs authoritez prerogatives preeminences franchises libertez gaiges droictz de chevauchée profictz revenus et esmollumens susdit plainement paisiblement et a luy obeir et entendre de tous ceux et ainsy quil appartiendra ez choses touchant et concernant le dit office Pourveu touttesfois qu'il nayt au dit siege aucuns parens ni alliez au degré de nos ordonnances a peyne de nullité des presentes et de sa reception. Mandons en outre a noz amez et feaux conseillers les Presidens et tresoriers generaux de France à Rouen que par le receveur et paieur des gaiges des officiers du dit siege ou autres noz officiers comptables qu'il appartiendra ilz facent paier et dellivrer au dit Corneille les ditz gaiges et droictz doresnavant par chacun an aux termes et en la maniere accoustumée A commencer du jour et datte des presentes Rapportant lesquelles ou coppie dicelles deument collationnée pour une fois seulement. Avec quittance du dit Corneille sur ce suffisante. Nous voullons les ditz gaiges et droictz et que paié baillé luy aura esté estre passé et alloué en la despense des comptes des dits receveurs qui les auront paiez par noz amez et feaux les gens de noz comptes a Rouen ausquelz mandons ainsy le faire sans difficulté car tel est notre plaisir En tesmoing de quoy nous avons faict mettre notre scel à ces dites presentes données a Paris le dernier jour de decembre l'an de grace XVIc vingt huict et de notre regne le XIXe. Et sur le reply est escript par le Roy Couppeau et scellé sur double queue du grand sceau de cire jaulne et a costé est escript Le dit Me Pierre Corneille a esté receu au dit estat et office dadvocat du Roy pour les eaues et forestz au dit siege de la table de marbre suivant ces presentes et a faict et presté le serment a ce requis et accoustumé a Rouen en parlement le seizie jour de febvrier XVIc vingt et neuf signé Deschamps.


Les presidens et Tresoriers generaux de France en Normandie au bureau des finances en la generallité de Rouen veu par nous les lettres pattentes du Roy données à Paris le dernier jour de decembre dernier par lesquelles Sa Majesté a donné et octroié a Me Pierre Corneille loffice de son conseiller et advocat antien a la table de marbre du pallais à Rouen pour le siege des eaues et forestz que nagueres soulloit tenir et exercer Me Pierre de Mogeretz dernier paisible possesseur d'Icelluy vaccant lors par la resignation quil en a faicte Pour le dit office avoir tenir et doresnavant exercer en jouir et user par le dit Corneille aux honneurs, authoritez prerogatives preeminences franchises libertez gaiges droicts de chauffages proffictz revenus et esmollumens accoustumez et y appartenant telz semblables qu'en jouissoit le dit Desmogeretz Nous mandant Sa dite Majesté le faire paier des dits gaiges et droitz comme plus amplement les dites lettres patentes le contiennent desquelles et apprès quil nous est apparu de sa reception en la court de Parlement de Rouen le XVIe jour de febvrier dernier, Consentons Entant qu'a nous est lentherinement Mandant aux receveurs du domaine en la vicomté de Vernon chacun en lannée de son exercice paier bailler et dellivrer au dit Me Pierre Corneille les gaiges de huict vingtz dix livres au dit office appartenant telz et semblables qu'en a jouy le dit Demogeretz aux termes et en la maniere acoustumée A commencer les cours d'Iceux du jour et dabte des dites lettres de provision, desquelles rapportant par celluy des dits receveurs qui en fera le premier paiement coppie et de ces presentes pour une fois seullement avec quittance sur ce suffisante Seront les ditz gaiges et droicts par nous passez et allouez en leurs estatz partout qu'il appartiendra Donné à Rouen le neufe jour de mars XVIc vingt et neuf.


Jay Receu de Me Pierre Corneille la somme de cent huict livres pour le droit de mar dor de loffice de conseiller du Roy et son premier advocat du Roy en la marine de France au siege general de la table de marbre de notre pallais à Rouen dont il a esté pourveu par la demission de Me Pierre Desmogeretz, faict à Paris le VIIIe janvier 1629 Signé de la Court et au dos Enregistrée au contrôle general des finances par moy soubsigné commis au dit contrôle le dixe de Janvier 1629 Signé Sublet et plus bas Collationné par moy Conseiller Secrettaire du Roy et de ses finances Signé Couppeau.


Louis par la grace de Dieu Roy de France et de Navarre A tous ceux qui ces presentes verront salut Sçavoir faisons que pour le bon rapport qui nous a esté faict de la personne de notre cher et bien amé Me Pierre Corneille et de ses sens suffisance loiauté preudhommie experience et bonne dilligence a Icelluy pour ces causes et autres A ce nous mouvans Avons a la nomination de notre tres cher cousin le sr Cardinal de Richelieu Grand Me chef et Sur Intendant general de la navigation et commerce de France Aiant pouvoir de ce donné et octroié donnons et octroions par ces presentes loffice de notre conseiller et premier advocat en ladmirauté de France au siege general de la table de marbre de notre pallais a Rouen que nagueress soulloit tenir et exercer Me Pierre Demogeretz dernier paisible possesseur d'Icelluy vaccant a present par la resignation quil en a faicte par sa procuration cy avec La dite nomination attachée soubz le contre scel de notre chancelerie. Pour le dit office avoir tenir et doresnavant exercer en jouir et user par le dit Corneille aux honneurs auctoritez prerogatives preeminences exemptions franchises libertez gaiges droictz fruictz proffictz revenus et esmollumens y apartenant telz et semblables quen jouissoit le dit Demogeretz Tant quil nous plaira Sy donnons en mandement a noz amez et feaux conseillers les gens tenans notre court de Parlement a Rouen qu'apres leur estre apparu des bonne vie mœurs conversation et relligion catholique apostolique et romaine du dit Corneille et de luy prins et receu le serment en tel cas requis et accoustumé Ilz le mettent et instituent ou facent mettre et instituer de par nous en possession et saisine du dit office len faisant jouir et user aux honneurs aucthoritez prerogatives preeminences exemptions franchises libertez gaiges droicts fruicts profficts revenus et esmollumens susdits plainement et paisiblement Et a luy obeir et entendre de tous ceux et ainsy quil apartiendra ez choses touchant et concernant le dit office, pourveu touttefois que le dit Corneille n'ayt au dit siege aucuns parens ny alliez au degré de noz ordonnances a peine de nullité des presentes et de sa reception Mandons en outre a noz amez et feaux conseillers les Presidens et tresoriers generaulx de France audict Rouen que par le Receveur et paieur des gaiges des officiers dudit siege Ilz facent paier audit Corneille les dits gaiges et droictz doresnavant par chacun an A commencer du jour et date des presentes Rapportant lesquelles ou coppie d'Icelles deuement collationnée pour une fois seullement avec quittance dudit Corneille sur ce suffisante Nous voullons les dits gaiges et droictz estre passez et allouez en la despence des comptes dudit receveur desduicts et rabattus de sa recepte par noz amez et feaux les gens de noz comptez à Rouen ausquelz mandons ainsy le faire sans difficulté Car tel est notre plaisir en tesmoing de quoy nous avons faict mettre notre scel à ces dites presentes données à Paris le dixe jour de Janvier lan de grace mil six cens vingt neuf et de notre regne le dix neufe et sur le reply est escript par le Roy signé Couppeau et scellé sur double queue du grand sceau de cire jaulne et a costé du dit reply est escript le dit Me Pierre Corneille a esté receu au dit estat et office dadvocat du Roy en ladmirauté de France au siege de la table de marbre du pallais à Rouen suivant ces presentes et a faict et presté le serment a ce requis A Rouen en parlement le seizie jour de febvrier XVIc vingt neuf signé Deschamps.


Les Presidens et tresoriers generaulx de France en Normandie au bureau des finances en la generallité de Rouen, Veu par nous les lettres pattentes du Roy donnez a Paris le dixe jour de Janvier dernier par lesquelles Sa Majesté a la nomination de son tres cher cousin le sr Cardinal de Richelieu grand Mre chef et surintendant general de la navigation et commerce de France aiant pouvoir de ce a donné et octroié A Me Pierre Corneille loffice de son conseiller et premier advocat en ladmirauté de France au siege general de la table de marbre du pallais a Rouen que nagueres soulloit tenir et exercer Me Pierre de Mogeretz dernier paisible possesseur d'Icelluy. Vaccant lors par la resignation quil en a faicte pour le dit office avoir tenir et doresnavant exercer en jouir et user par le dit Corneille aux honneurs aucthoritez prerogatives preeminences exemptions franchises libertez gaiges droictz fruicts profficts revenus et esmollumens y appartenans telz et semblables qu'en jouissoit le dit de Mogeretz. Nous mandant Sa dite Majesté le faire paier de ses gaiges et droicts comme plus amplement les dites lettres pattentes le contiennent desquelles et appres qu'il nous est apparu de sa reception en la court de Parlement de Rouen le seizie jour de febvrier dernier consentons en tant qu'a nous est lentherinement Mandant aux receveurs generaux des finances en la generallité de Rouen chacun en lannée de son exercice paier bailler et dellivrer au dit Me Pierre Corneille aux termes et en la maniere accoustumée les gaiges de VIIIXX Xlt attribuez au dit office telz et semblables qu'en jouissoit le dit de Mogeretz, a commencer le cours d'Iceux du jour et datte des dites lettres de provision desquelles raportant par celluy des dits receveurs qui en fera le premier paiement coppie et de ces presentes pour une fois seulement avec quittance sur ce suffisante Seront les dits gaiges et droictz par nous passez et Allouez en leurs estatz par tout quil apartiendra donné a Rouen le neufe jour de mars mil VIc vingt neuf.

(Archives de la Seine-Inférieure.)


IV.—Page XXVI.

Lettres de noblesse accordées, le 24 mars 1637, à Pierre Corneille,
père du poëte[166].

Louis, par la grâce de Dieu, roy de France et de Navarre, à tous presens et advenir, salut.

La Noblesse, fille de la Vertu, prend sa naissance, en tous estats bien policés, des actes genereux de ceux qui tesmoignent, au peril et pertes de leurs biens et incommoditez de leurs personnes, estre utiles au service de leur prince et de la chose publicque; ce qui a donné subject aux roys nos predecesseurs et à nous, de faire choix de ceux qui par leurs bons et louables effects ont rendu preuve entiere de leur fidellité, pour les eslever et mettre au rang des nobles, et, par ceste prerogatifve, rendre leurs vie et actions remarquables à la posterité. Ce qui doibt servir d'emulation aux autres à ceste exemple, de s'acquerir de l'honneur et reputation, et esperance de pareille rescompence.

Et d'autant que par le tesmoignage de nos plus speciaux serviteurs nous sommes deuement informé que nostre amé et feal Pierre Corneille, issu de bonne et honorable race et famille, a toujours eu en bonne et singuliere recommandation le bien de cest estat et le nostre en divers emplois qu'il a eus par nostre commandement et pour le bien de nostre service et du publicq et particulierement en l'exercice de l'office de maistre de nos eaues et forestz en la vicomté de Rouen, durant plus de vingt ans, dont il s'est acquitté avec un extreme soing et fidelité, pour la conservation de nos dictes forests, et en plusieurs autres occasions où il s'est porté avec tel zele et affection que ses services rendus et ceux que nous esperons de luy à l'advenir, nous donnent subject de recongnoistre sa vertu et merites, et les decorer de ce degré d'honneur, pour marque et memoire à sa posterité.

Sçavoir faisons que nous, pour ces causes et autres bonnes et justes considerations à ce nous mouvans, voulant le gratifier et favorablement traicter, avons le dict Corneille de nos grace specialle plaine puissance et authorité royalle, ses enfans et posterité, masles et femelles, nais et à naistre en loyal mariage, annoblys et annoblissons, et du tittre et quallité de noblesse decoré et decorons par ces presentes signées de notre main. Voulons et nous plaist qu'en tous actes et endroicts, tant en jugement que dehors, ilz soient tenus et reputtez pour nobles, et puissent porter le titre d'escuyer, jouir et uzer de tous honneurs, privilleges et exemptions, franchises, prerogatives, preeminences dont jouissent et ont accoustumé jouyr les autres nobles de nostre royaume, extraictz de noble et ancienne race, et, comme telz, ilz puissent acquerir tous fiefz, possessions nobles, de quelque nature et quallité qu'ilz soient et d'iceux, ensemble de ceux qu'ils ont acquis et leur pourroient escheoir à l'advenir, jouir et uzer tout ainsy que s'ils estoient nais et issus de noble et ancienne race, sans qu'ils soient ou puissent estre contraincts en vuider leurs mains, ayant d'habondant au dict Corneille et à sa posterité, de nostre plus ample grace, permis et octroié, permettons et octroyons qu'ils puissent doresnavant porter partout et en tous lieux que bon leur semblera, mesmes faire eslever par toutes et chacune leurs terres et seigneuries, leurs armoiries timbreez telles que nous leur donnons et sont cy empreintes[167], tout ainsy et en la mesme forme et maniere que font et ont accoustumé faire les autres nobles de nostre dict royaume.

Sy donnons en mandement à nos amez et feaux conseillers les gens tenans nostre cour des aides à Rouen, et autres nos justiciers et officiers qu'il appartiendra, chacun en droict soy, que de nos presente grace, don d'armes, et de tout le contenu ci-dessus ils facent, souffrent et laissent jouir et uzer pleinement, paisiblement et perpetuellement le dit Corneille, ses dits enfans et posterité masles et femelles, nais et à naistre en loial mariage, cessant et faisant cesser tous troubles et empeschemens au contraire. Car tel est nostre plaisir nonobstant tant quelzconques edictz, ordonnance, revocquations, et reiglemens à ce contraires, ausquels et à la desrogatoire des desrogatoires y contenue, nous avons desrogé et desrogeons par ces dictes presentes. Et afin que ce soit chose ferme et stable à tousjours, nous avons faict mettre nostre seel aux dictes présentes sauf, en autres choses, nostre droict et l'autruy en toutes. Donné à Paris, au mois de janvier, l'an de grace mil six cent trente sept, et de nostre reigne le vingt-septième. Signé Louis. Et sur le reply par le Roy, De Loménie ung paraphe. Et à costé visa, et scellé en laas de soye rouge et verd du grand sceau de cire verde.

Et sur le dict reply est escript: Registrez es registres de la court des Aides en Normandie, suivant l'arrest d'icelle du vingt-quatrieme jour de mars mil six cent trente sept. Signé De L'estoille, ung paraphe.


V.—Page XXVII.

Aveu fait par Pierre Corneille, tant en son nom qu'au nom du Thomas, son frère,
pour des fiefs provenant de la succession de son père[168].

De Nobles et Religieuses personnes Messieurs Abbé et convent de l'Abbaye et Baronnie de St. Ouen de Rouen tient et advoue tenir en leurs fiefs de l'eau de Seine au droit de l'office de Pitancier[169] dicelle M. Pierre Corneille Escuyer Conseiller du Roy et Advocat de Sa Majesté aux sieges generaux de la table de marbre du palais à Rouen fils aisne et heritier en partie de deffunt M. Pierre Corneille Escuyer Conseiller du Roy et Me particulier des Eaux et forestz en la viconté de Rouen tant pour luy que pour Thomas Corneille son frere mineur d'ans et son coheritier en la dite succession. C'est assavoir une piece de terre en isle nommée la Litte contenant cinq vergees ou environ ainsy plantée de cerisiers, pruniers, oziers, fresnes, vignes que autres plantz assise en la paroisse d'Orival pres Cleon bornée de tous boutz et costes leau de Seine a cause de quoy il doibt six sols de rente seigneuriale par [an] laquelle piece luy appartient a cause de la succession du dit deffunt sr son pere. Plus le dit sr Corneille audit nom tient et advoue tenir desdits srs Religieux, Abbé et couvent de la dite Abbaye et Baronnie de St. Ouen une vergée de terre en isle en plant et labeur sise en la grande isle de Cleon, paroisse dudit lieu bornée de deux costes le canal de Seine et des deux boutz Roger Daniel dont il doibt douze deniers de rente seigneurialle par chacun an, laquelle luy appartient aussi a cause de la succession du dit deffunt sr son pere avec reliefs treiziesme droitz et devoirs seigneuriaux quand le cas y eschet saouf a augmenter ou diminuer par le dit sr Corneille pour les heritages contenus au present adveu s'il vient cy apres en sa cognoissance que faire se doibve ou qu'il y eust autres heritages sujetz et contribuables ausdites rentes.

Signé: Corneille.

Les pleds des Seigneuries de labbaie et baronnie de St. Ouen à Rouen tenus au manoir abbatial du dit lieu par nous Mathieu Poullain escuyer sr Du boscguillaume advocat en la cour Seneschal de la dite abbaie et baronnie de St. Ouen le mercredy dixhuicte jour de juin XVIc quarante deux est comparu Le dit sr Corneille lequel a baillé et présenté cest adveu icelluy juré et affirmé véritable qui a esté receu saouf le droict proprietaire de MMgrs et à blasmer et sans prejudice des frais de prise de fief et reunion a laquelle fin assignation a luy faicte aux prochains pledz pour produire. Donné comme dessuz.

Signé: Poullain et Pigeon.


VI.—Page XXVII.

Pièces relatives à la création d'un second avocat du Roi au siége général des eaux et forêts à la Table de marbre du Palais à Rouen[170].

A Maistre Charles Ycard, advocat au privé conseil de Sa Majesté:

A la requeste de Pierre Corneille, escuyer, conseiller du Roy et advocat de Sa Majesté au siege general des eaües et forests à la table de marbre du Palais à Rouen, soit signifié en copies les exploicts d'opposition du quinziesme jour d'octobre 1638 et du troisiesme de juin 1639 à Monseigneur le Chancelier ou à[171]        garde des roolles des offices de finance, que le requerant s'oppose, comme de faict il s'oppose, à l'expedition des provisions ou lettres du pretendu office de second advocat du Roy au dit siege, cy-devant possedé par maistre Gilles Aubert, ledict office vacquant à cause de mort; employant pour moyen en la presente opposition qu'il n'y avoit eu aulcun edict de creation dudict office, en quoy Sa Majesté       [172] y auroit esté surprise en la delivrance desdites provisions, et telles et aultres raisons qu'il entend desduire en temps et lieu. Elisant, aux fins de la presente opposition, son domicile en la maison et personne de maistre Charles Ycard advocat au privé conseil de Sa Majesté. Dont ledict Corneille a requis acte.

Corneille.


Au Roy et à nos Seigneurs de son Conseil.

Sire,

Pierre Corneille, vostre conseiller et advocat à la table de marbre du Palais, remonstre qu'il y auroit instance pendante en vostre Conseil sur l'opposition qu'il a formée aux provisions de l'office de second advocat à la table de marbre du Palais, entre luy d'une part, et Francoys Hays, prétendant obtenir, d'aultre, et la vefve de Me Gilles Aubert aussy opposante, en la quelle instance, bien que ses soubstiens soient justes tant contre ledict Hays que contre la dicte vefve, et bien que ses conclusions aillent à faire declarer ledict office supprimé et exteinct, neantmoins, si le bon plaisir de Vostre Majesté est tel que lesdictes provisions ayent lieu et que ledict office revive, Il vous supplie de considerer que ledict office faict la moitié du sien qui est d'antienne creation, et à ces causes d'estre receu à l'offre du faict de rembourser ledict Hays de ce qu'il aura financé en vos coffres et que les provisions seront delivrées en blanc audict suppleant, pour par luy ledict office estre exercé conjoinctement ou separement.

Et il priera Dieu pour vostre prosperité, longue et heureuse vie.

Dans les moyens à l'appui présentés par Jacques Goujon il est dit que les fonctions de second avocat n'ont été créées que par l'abus d'un sieur Isaac Payer, seul advocat du Roy audict siege, lequel en 1611, en un temps où ceux de la relligion pretendue reformée faisoient leurs efforts de s'accroistre en la magistrature, s'estant faict desinteresser par un nommé Gilles Aubert, huguenot comme luy, luy permit d'obtenir des provisions de second avocat; qu'Aubert estant decedé dernierement, sa vefve n'a pu vendre à Francoys Hays un droit qui n'existoit pas et qui n'estoit que la suite d'un abus; qu'enfin ledit Hays, apres avoir esté contrainct par certaines considerations de vendre sa charge de Me particulier au mesme siege des eaües et forests ne desdaignant pas de s'y venir asseoir au dernier rang, monstroit par la combien peu il meritoit que le Roy prist sa demande en consideration.


VII.—Page XXXIII.

Projet de lettres patentes concédant à P. Corneille le droit de ne laisser jouer ses pièces qu'aux troupes autorisées par lui.

Louis, etc., à nos améz feaux conseillers les mes des reqtes ordres de nostre hostel, salut. Notre cher et bien amé conseiller et advocat au siege gal de la table de marbre du Pallais des eaues et forests de Rouen, le sieur Corneille nous a fait remonstrer qu'il a cy-devant employé beaucoup de temps à composer plusieurs pieces tragiques nommées Cinna, Polyeucte et la Mort de Pompée, lesquelles il auroit fait representer par nos comediens ordres, representant au marais du Temple à Paris; et d'autant qu'il a appris que depuis quelque temps les aultres comediens auroient, à son grand prejudice, entreprins de representer les dictes pieces et que si Ils avoient cette liberté l'exposant seroit frustré de son labeur[173], nous suppliant sur ce luy pourvoir et luy accorder nos lettres necessaires; nous à ces causes, desirant favorablement traitter l'expant, luy avons de nos grace specialle, pleine puissance et authorité royalle permis et permettons par ces presentes de fre jouer et representer lesdictes pieces de theatre ci-dessus speciffiées, nommées Cinna, Polyeucte, la Mort de Pompée par troupe de nos comediens, en tels lieux et endroicts de nostre royaulme que bon luy semblera, et ce durant le temps de.... à compter du jour qu'elles auront esté representées la premiere fois, pendant lequel temps vous ferez, comme nous faisons par ces presentes, tres-expresses inhibitions et defenses à tous nos comediens representans tant en nostre dicte ville de Paris qu'autres lieux de nostre royaulme de jouer ny representer lesdictes pieces sans le vouloir et consentement dudict exposant ou de ceux qui auront droit de luy, à peine de dix mille livres d'amende et de tous despens, dommages et interests. Si vous mandons que du contenu en ces presentes.... fassiez, souffriez et laissiez jouir et.... exposant pleinement et paisiblement, et à ce.... souffrir et obeir tous ceux qu'il appartien.... Mandons au premier nostre huissier ou sergent royal sur ce requis fre, pour l'execution des presentes, tous exploicts de justice à ce requis et necessaires sans aucune aultre plus.... que ces presentes. Car tel est nostre plaisir. Donné à.... le.... jour de.... l'an de grace 1643 et de nostre regne le premier.

Par le Roy[174].


VIII.—Page XXXIII.

Reçu d'objets mobiliers donné le 25 juin 1644 par Antoine Corneille,
frère de Pierre Corneille[175].

Je soussigné prieur curé de Freville cognois et confesse avoir reçu de Mademoiselle Corneille, ma mere, une douzeine d'assiettes et demie douzeine de platz, le tout de fin estain; plus trois douzeines de serviettes dont il en a une douzeine de doubleuvre et deux nappes de lin et un doublier. Une Casaque de drap noir qui estoit à feu mon pere, une grande table qui se tire des deux costez et deux formes, une toile de lit de ces estoffes jaulnes imprimées. Tous lesquels meubles elle m'a prestés en ma necessité, lorsque j'ay esté demeurer à Freville et luy promets les restituer ou à elle ou à mes freres, toutes fois et quantes. Faict ce samedy vingt cinquiesme jour de juin mil six cens quarante quatre.

Signé: F. Antoine Corneille, et un paraphe.


IX.—Page XXXVII.

Nomination de Corneille à la charge de procureur des états de Normandie.

Lettre de cachet adressée à l'hôtel de ville de Rouen.

Sa Majesté ayant pour des considerations importantes à son service destitué par son ordonnance de ce jourd'huy le sieur Bauldry de la charge de procureur des Estats de Normandie, et estant necessaire de la remplir de quelque personne capable, et dont la fidelité et affection sont connues, sadite Majesté a fait choix du sieur de Corneille, lequel, par l'advis de la Reyne Regente, elle a commis et commet à ladite charge, au lieu et place dudit sieur Bauldry, pour doresnavant l'exercer et en faire les fonctions jusques à la tenue des Estats prochains, et jusques à ce qu'il en soit autrement ordonné par sadicte Majesté, laquelle mande et ordonne à tous qu'il appartiendra de reconnoistre ledit sieur de Corneille en ladite qualité de procureur desdits Estats sans difficulté.

Fait à Rouen, le quinzieme jour de febvrier 1650.

Louis.

Et plus bas:

De Lomenie.


Lettre de cachet à Messieurs de la Grand'Chambre. De par le Roy,

Nos amez et feaux ayant pour des considerations importantes à notre service destitué le sieur Bauldry de la charge de procureur des Estatz de Normandie, nous avons en mesme temps commis à icelle le sieur de Corneille pour l'exercer et en faire les fonctions jusques à ce qu'aux premiers Estatz il y soit pourveu. Sur quoy nous vous avons bien voulu faire cette lettre, de l'advis de la Reyne Regente, nostre tres-honorée dame et mere, pour vous en informer, Et n'estant la presente pour un autre subjet, nous ne vous la ferons plus longue.

Donné à Rouen, le dix-septieme jour de febvrier 1650.

Louis.

Et plus bas:

De Lomenie.
(Archives de l'hôtel de ville de Rouen.)


X.—Page XXXVIII.

Résignation des fonctions d'avocat du Roi en la Table de marbre.

Du vendredi après midy dix-huitieme jour de mars seize cent cinquante en l'Escriptoire.

Fut present maistre Pierre Corneille escuyer conseiller du Roi et antien advocat aux sieges generaux de l'admirauté, eaux et forests de Normandie, en la table de marbre du Palais à Rouen, y demeurant, lequel de son bon gré confessa avoir vendu et resigné par ces presentes à noble homme maistre Alexandre Leprovost sieur de la Malleterre advocat en parlement de Rouen y demeurant present ce acceptant en la presence accord et consentement de noble homme maistre Gabriel Leprovost sieur de la Bardelliere conseiller du Roi au siege general des dites eaux et forests de Normandie, son père c'est assavoir: Les dits offices de conseiller et advocat du Roy ancien es sieges generaux de l'admirauté eaux et forests de Normandie en la dite table de marbre du Palais à Rouen auxquels il a esté pourvu par lettre du Roy donnée à Paris le dernier de decembre seize cent vingt-huit et dernier janvier an suivant, par la resignation que faite en avoit été à son profit par noble homme maistre Pierre de Mogeres lors titulaire d'iceux offices, desquels le dit sieur Corneille promet obtenir les provisions à ses frais et despens savoir du dit office des dites eaux et forests dans trois mois de ce jour et de celui de l'admirauté six semaines apres le retour de la Reine Regente en la ville de Paris et en saisir le dit sieur Leprovost fils pour par le dit se faire recevoir aux dits offices à ses frais et despens comme il advisera bien estre et jouir par lui des gaiges du dit office du dit jour et à l'avenir comme des autres droits fruits profits chauffages revenus et emolumens y attribués tels et semblablement qu'en ont joui les autres titulaires des dits offices et le dit sieur Corneille qu'il sera tenu et obligé faire cesser tout trouble et opposition qui pourroient arriver à la reception du dit sieur Leprovost par le fait du dit sieur Corneille seulement auquel il promet aussi mettre es mains les dites lettres de provision sus datees et autres pieces dont il est saisi concernant les dits offices lors et au temps de la livraison de la dite provision. Cette vendue et resignation est faite moyennant la somme de six mille livres tournois laquelle ils ont convenu ensemble de la dite somme les dits sieurs Leprovost pere et fils se sont solidairement et sans division ordre de distribution ni appellation de garantie en payer au dit sieur Corneille dans le lundi de quasimodo prochain venant la somme de sept cens livres tournois pour subvenir au dit sieur Corneille à l'obtention des dites lettres de provision des dites forests plus la somme de deux mille trois cens livres tournois lorsque le dit sieur Corneille mettra en leurs mains les dites lettres de provision des dites eaux et forests et pour les trois mille livres restant pour et au lieu d'iceux les dits sieur Leprovost père et fils se sont submis et obligés par ces presentes solidairement comme dit est en faire payer au dit sieur Corneille en cette ville de Rouen à leurs despens le nombre de cent quatorze livres cinq sous huit deniers de rente par an à commencer à courir du jour que le dit sieur Corneille leur mettra es mains les dites lettres de provision de l'admirauté et continuer jusques au racquit que les dits sieurs Leprovost pere et fils chacun et l'un d'eux leurs heritiers pourroit faire toutefois et quantes qu'il leur plaira en payer au dit sieur Corneille et ses heritiers la dite somme de trois mille livres en arrerages prorata et à la seureté du paiement livraison et garantie de laquelle rente les dits sieurs Leprovost ont obligé par speciale et principale hypotheque les dits offices ci-dessus vendus gaiges et droits d'iceux outre la generale obligation de tous leurs autres biens et heritages presents et à venir sans déroger à aucunes generalités ni specialités et pour plus grande seureté de garantie de la dite rente et assurer les dits offices en la famille des dits sieurs Leprovost y se sont submis et obligés payer chacun an le droit annuel à quoi les dits offices seront taxés et en fourniront copie des dites lettres au dit sieur Corneille quinze jours apres l'ouverture du bureau qui sera establi en cette ville et faute par eux de ce faire le dit sieur Corneille demeure permis et autorisé payer le dit droit pour en être remboursé sur les dits sieurs Leprovost, le tout tant et si longtemps que la dite rente aura cours et que le dit droit aura lieu. Presents Pierre Crosnier et Nicolas Labé.

Signé: Corneille, Leprovost, Leprovost, Crosnier, Labé,
Houpville et Helye.


Du vendredi apres midy dix-huitieme jour de mars, en l'escriptoire à Rouen, fut present maistre Pierre Corneille escuyer conseiller et advocat du Roy antien en la table de marbre du Palais à Rouen pour le siege des eaux et forests demeurant au dit Rouen lequel de son bon gré a fait et constitué son procureur general et special c'est assavoir        auquel le dit sieur constituant a donné pouvoir et puissance de pour lui et en son nom resigner et mettre es mains du Roy notre sire et à monseigneur le chancelier ou autres ayant pouvoir quant à ce son dit estat et office de conseiller du Roy antien en la dite salle de marbre du Palais à Rouen pour le siege des eaux et forests pour et au nom profit et faveur de maistre Alexandre Leprovost advocat en la Cour et non d'autre et de la dite resignation en requerir demander et obtenir telles lettres de don, provision et octroi que besoin sur ce est generalement promettant obliger biens et heritages. Presens Pierre Crosnier et Nicolas Labé demeurant à Rouen.

Signé: Corneille, Crosnier, Labé, Helye et Houpville.

Et du dit jour fut present Monsieur Pierre Corneille escuyer conseiller et ancien advocat du Roy au siege de l'admirauté de France en la table de marbre du Palais à Rouen lequel de son bon gré a fait et constitué son procureur general et special, c'est assavoir          auquel portant la dite presente le dit sieur constituant a donné pouvoir et puissance de pour lui et en son nom resigner et remettre es mains du Roy notre sire et de la Reine Regente sa mere jouissant de l'office de grand maistre chef surintendant general du commerce et navigation de France ou autres ayant pouvoir le dit estat et office de conseiller et advocat du Roy antien en la dite admirauté de France au dit siege de la table de marbre du Palais à Rouen en faveur toutefois de maistre Alexandre Leprovost avocat en parlement et non autre consentir toutes lettres de provision estre sur ce expediées et generalement promettant obliger tous ces biens et heritages. Presens les dessus dits.

Signé: Corneille, Crosnier, Labé, Houpville et Helye.


XI.—Page xl.

Extrait du registre des comptes de la paroisse de Saint-Sauveur de Rouen pendant les années 1622-1653.

Gestion de Pierre Corneille père. 1622-1623.

Combpte de la recepte mise et despense que moy Pierre Corneille cydevant Me des eaux et forestz de la vicomté de Rouen ay eue et faicte comme tresorier de la paroisse de Saint-Sauveur du dit Rouen, des rentes et revenus appartenanz à la d. esglize, pour ung an à Pasques mil six cens vingt deux et finissant à Pasques mil six cens vingt trois pour estre procedé à l'audition et clausion d'icelluy.

.... Se charge ledit comptable de la somme de dix livres pour une année escheue au jour de Pasques mil six cens vingt trois de pareille somme de rente deue à cause d'une fondation faicte en la dicte esglize par damoiselle Barbe Houel sa mère et par luy par contrat passé devant les tabellions de Rouen le vingtme febvrier mil six cens quatorze.


Fondation de Pierre Corneille père. 1624-1625.

  • Reçu .... du dit Pierre Corneille, la somme de soixante livres, pour deux années escheuez au dit jour de Pasques VIc vingt cinq pour pareille somme de rente par luy constituée sur tous ses biens et heritages pour et à cause d'une fondation par luy faite en icelle esglize à condition de luy faire dire et cellebrer à perpetuité par son chapelain abbitué en la dite esglize une basse messe le vendredy de chacune semaine de l'an, à l'heure de huict heures de matin et une haulte messe de requiem le jour des Trepassés et jour precedent, qui est le jour de Toussaint, après vespre vigilles des morts de neuf seaulmes dix neuf lessons et avec sous franges ordinaires pour ce cy LX l

Gestion de Pierre Corneille, le poëte. 1651-1652.

Compte et estat de la recepte mise et despense que Pierre Corneille Escuyer cy devant advocat de sa Majesté aux sieges generaux de la table de marbre du palais à Rouen, tresorier en charge de la paroisse de Saint Sauveur dudit Rouen a faite des rentes revenus et deniers appartenanz a la dite eglise, et ce pour l'année commençant a Pasques mil six cens cinquante et un et finissant a pareil jour mil six cens cinquante et deux par luy presenté à Messieurs les curés et tresoriers de la dite paroisse à ce que pour sa decharge il soit procedé à l'examen du dit compte et clausion d'iceluy.

PREMIEREMENT.

  • Se charge le dit comptable de la somme de cent quarante et neuf livres six sols neuf deniers par luy receue de Monsieur Pauiot Procureur general de sa Majesté en sa chambre des Comptes de Normandie et tresorier precedentCXLIX l VI s IXd
  • Plus de la somme de trente livres receues de Jaques Basin pour le vin du bail a luy fait de trois boutiques appartenant audit tresor XXX l
  • De la somme de six livres receue d'André Brissel pour le vin du bail a luy fait d'une autre boutiqueVI l
  • De la somme de trois livres receues de Simon Gosselin pour le vin du bail a luy fait d'une autre boutique IIIl
  • De la somme de trois livres receue de Marie Regnaut, vefve de Mahon pour le vin du bail a elle fait d'une autre boutique IIIl
  • De la somme de quarante sols receus de Marguerite Lose pour le vin du bail a elle fait d'une autre boutique XLs
  • De la somme de vint sols pour le vin du bail d'une autre boutique fait à Marie le Lievre XXs
  • De la somme de quatre livres receue de la confrairie de Saint Joseph en la presente année IVl
  • De la somme de vint livres receue des heritiers de feu Madame Fumiere pour deux annees de dix livres de rente par elle leguees par testament au tresor de la dite Eglise l'une escheue a Pasques precedent et passee en reprise au compte de M. Pauiot et l'autre escheue a Pasques de cette presente annee sauf la reprise comme audit compte XXl
  • De la somme de cent sept sols donnee par Madame Godin pour l'occupation d'un banc Vl VIIs
  • Somme II c XXIII l XIII sIXd

Autre chapitre des deniers receus par ledit comptable pour arrerages des rentes foncieres deues audit tresor.

PREMIEREMENT.

  • Se charge ledit comptable de la somme de dix sols receus de la vefve de deffunt sieur de Houppeville apoticaire representant Jean Cavé pour une année de la rente fonciere quelle doibt audit tresor a cause de sa maison située en la dite paroisse ou pendoit pour enseigne la couronne d'or. La dite rente escheue à Pasques mil six cens cinquante et un Xs
  • De la somme de quarante sols receus de Mr Nalot representant Guillaume Costil fils au precedent Jean Duchemin pour une annee escheue a Pasques mil six cens cinquante et un de la rente fonciere quil doibt à cause dune maison située en la dite paroisse ou pend pour enseigne le franc Archer XLs
  • De la somme de quatre livres dix sols receus des heritiers de deffunt Guillaume Costil pere representant Pierre et Abraham Toustain pour une année escheue a Pasques mil six cens cinquante et un de la rente fonciere qu'ils doibvent audit tresor a cause d'une maison située en la dite paroisse proche le mouton rouge[176] IVl Xs
  • De la somme de sept livres dix sols receue de Madame de Rombosc representant feu M. le President Jubert pour une année escheue a Pasques mil six cens cinquante et un de la rente fonciere qu'elle doibt audit tresor pour une maison située en la paroisse Saint Patrice VIIl Xs
  • De la somme de quatre sols receue des heritiers de Philippes le Prevost et Estienne l'Allemand pour une année escheue a Pasques mil six cens cinquante et un de la rente fonciere qu'ils doibvent audit tresor a cause d'une maison située en la dite paroisse ou pend pour enseigne la Licorne IVs
  • De la somme de soixante sols receue d'honorable homme Claude le Forestier Espicier pour une année escheue a Pasques mil six cens cinquante et un de la rente fonciere quil doibt au dit tresor a cause d'une maison située en la paroisse de Saint Maclou IIIl
  • De la somme de douze sols receue de Charles Moisant representant Guillaume et Louys Allain et au precedent Vautier pour une année escheue a Pasques mil six cens cinquante et un de la rente fonciere qu'ils doivent audit tresor a cause d'une maison située rue Malpalu ou pend pour enseigne l'image St. Martin XIIs
  • De la somme de douze sols six deniers receue de M. Hellot Receveur de la fabrique de St. Ouen pour une année escheue a Pasques mil six cens cinquante et un de la rente fonciere deue par la dite fabrique au dit tresor a cause d'une maison située paroisse de St. Maclou ou pend pour enseigne la Chapelle XIIs VId
  • De la somme de vint sols receue des peres Minimes pour une annee escheue a Pasques mil six cens cinquante et un de la rente fonciere deue audit tresor a cause d'une maison située rue du Figuier paroisse St. Nicaise XXs
  • De la somme de trente sols receus des heritiers de M. de Civile Vassonville representant feu M. du Rombosc conseiller au parlement pour une annee escheue a Pasques mil six cens cinquante et un de la rente fonciere qu'il doibt audit tresor a cause d'une maison située en la paroisse St. Patrice XXXs
  • De la somme de dix sols receue des heritiers de feu M. Nicolas le Prevost heritier de feu Jean Tillard pour une annee escheue a Pasques mil six cent cinquante et un de la rente fonciere qu'il doibt audit tresor située paroisse de St. Maclou Xs
  • De la somme de trois sols receue des heritiers de Pierre Parent pour une annee escheue a Pasques mil six cens cinquante et un de la rente fonciere quils doivent audit tresor a cause d'une maison sise rue Cauchoise ou pend pour enseigne l'Eschiquier IIIs
  • De Monsieur du Resnel tuteur des soubsaagés de feu Mr Alonse du Resnel son frere vivant Rr des tailles de l'eslection d'Arques representant la vefve de Hugues Hebert au droit d'Estienne le Febvre la somme de cinq sols pour une annee escheue a Pasques mil six cens cinquante et un de la rente fonciere que doibvent les dits soubsaagés audit tresor a cause d'une maison située paroisse St. Martin sur Renelle ou pend pour enseigne l'image dudit St. Martin Vs
  • De la somme de quatre livres receue de[177]       Plait boulenger representant Guillaume Pigerre pour une année escheue a Pasques mil six cens cinquante et un de la rente fonciere deue audit tresor a cause d'une maison située rue Cauchoise ou pend l'image St. Pierre IIIIl
  • De la somme de quarante sols receue de la vefve Nicolas Paullé au droit de feu sieur du Parc pour une année escheue a Pasques mil six cens cinquante et un de la rente fonciere deue audit tresor a cause d'une maison située rue Cauchoise ou pend pour enseigne le Limaçon XLs
  • De la somme de huit livres receue de ladite vefve Paulé pour une année de pareille rente escheue a Pasques mil six cens cinquante et un pour sa part d'une partie de vint livres de rente fonciere que ledit tresor a droit de prendre par indivis sur une maison située en ladite paroisse ou pend pour enseigne le grand moulin sans prejudice dudit indivis VIIIl
  • De la somme de douze livres receue d'honorable homme Toussaint Brunel representant la vefve Lenoble pour une annee darrerages de rente fonciere escheue a Pasques mil six cens cinquante et un pour le reste de la dite partie de vint livres de rente deue par indivis audit tresor sur la dite maison du grand moulin sans prejudice pareillement dudit indivis XIIl
  • De la somme de douze livres dix sols receue de Mr Nicolas Coulon representant le feu sieur de Boilevesque pour une année escheue de Pasques mil six cens cinquante et un de la rente fonciere qu'il doibt audit tresor a cause des deux maisons situées l'une en la dite paroisse l'autre en la paroisse St. Pierre l'honoré XIIl Xs
  • De la somme de trente sols receue de la vefve Nicolas Bonnet pour une année escheue a Pasques mil six cens cinquante et un de la rente fonciere qu'elle doibt audit tresor a cause d'une maison sise sur l'eau de Robec ou pend pour enseigne la poesle XXXs
  • De la somme de soixante sols receue des heritiers de Philippe l'Anglois et de Nicolas le Monnier pour une année escheue a Pasques mil six cens cinquante et un de la rente fonciere qu'ils doivent audit tresor a cause d'une maison sise sur la dite paroisse ou pend pour enseigne le petit More LXs
  • De la somme de soixante et sept sols six deniers receue d'honneste femme Marie Bihorel a la descharge de[178]      Dubreuil proprietaire d'une maison située rue Cauchoise ou pendoit pour enseigne le Cigne Royal a present l'Aigle d'or pour une année de la rente fonciere deue audit tresor a cause d'icelle maison escheue a Pasques mil six cens cinquante et un LXVIIs VId
  • De la somme de trente sols receue de la vefve Mathurin Bauquet au droit de Guillaume de la Mare pour une année escheue a Pasques mil six cens cinquante et un a cause d'une maison située rue Cauchoise XXXs
  • De la somme de vint huit livres quatre sols pour les arrerages escheus a Pasques mil six cens cinquante et un de neuf sols de rente fonciere que ledit tresor a droit de prendre sur une maison située sur ladite paroisse ou pend pour enseigne le Bras d'or dont le comptable n'a receu aucune chose non plus quë les precedenz tresoriers, neanmoins se charge de la dite somme pour tenir forme de compte sauf la reprise comme au compte precedent XXVIIIl IVs
  • De la somme de dix sols receue des heritiers de deffunt Nicolas Petit pour une année escheue a Pasques mil six cens cinquante et un de la rente fonciere qu'ils doivent audit tresor a cause d'une maison située paroisse de Saint Martin sur Renelle ou pend pour enseigne la Clef Xs
  • De la somme de trente six sols receue de M. du Saussey conseiller au Parlement pour une année escheue a Pasques mil six cens cinquante et un de la rente fonciere qu'il doibt au dit tresor a cause d'une maison sise rue de la Miette XXXVIs
  • De la somme de quarante sols receue de Nicolas Mouton parcheminier demeurant a Erbane pour une année escheue a Pasques mil six cens cinquante et un de la rente fonciere qu'il doibt au dit tresor a cause d'une maison située devant Saint Maclou XLs
  • De la somme de soixante et quatre livres pour les arrerages escheus a Pasques mil six cens cinquante et un de vint sols de rente fonciere deubs audit tresor par Messieurs les Eschevins de cette ville representanz Pierre Piedeleu a cause d'un jardin situé hors Cauchoise proche le Vieil palais sauf la reprise comme au compte precedent LXIVl
  • De la somme de soixante sols receue des heritiers de feu M. Toulon representant le sr de Marconville pour une annee escheue a Pasques mil six cens cinquante et un de rente fonciere qu'ils doibvent audit tresor a cause d'une maison située paroisse de St. Michel LXs
  • De la somme de soixante sols receue de[179]      Moulin capitaine de la cinquantaine de cette ville representant Pierre du Clos pour une année escheue a Pasques mil six cens cinquante et un de pareille partie de rente fonciere deue audit tresor a cause d'une maison située en la paroisse de St. Martin sur Renelle LXs
  • De la somme de dix livres deue par le present comptable comme heritier du feu Sr Corneille vivant Me des eaux et foretz de cette vicomté de Rouen pour une année eschue a Pasques mil six cens cinquante et deux de la rente qu'il doibt audit tresor a cause de la fondation faicte en la dite paroisse par damoiselle Barbe Houel, son ayeule paternelle et le dit feu sieur Corneille son pere suivant le contrat passé par devant les tabellions de Rouen en l'année mil six cens vingt et quatre le huitiesme de febvrier[180] Xl
  • De la somme de trente livres reçue de Thomas Corneille Escuyer Sr de Lisle frere dudit comptable pour une année escheue a Pasques mil six cens cinquante et deux de la rente fonciere par luy deue comme heritier dudit feu Sr Corneille a cause d'une fondation par luy faite en la ditte paroisse par contrat passé devant les tabellions de Rouen le dix septiesme d'Avril mil six cens vingt et trois XXXl
  • De la somme de cent livres escheue a Pasques mil six cens cinquante et deux pour une annee d'arrerages de la rente fonciere deue par M. du Saussey consr au parlement et par la vefve de feu M. de Boislevesque a cause de la fondation faite par le dit sr de Boislevesque en la dite paroisse par contrat passé devant les tabellions de Rouen le vint et quatriesme de Juin mil six cens trente six Cl
  • De la somme de trente livres pour une annee escheue a Pasques mil six cent cinquante et deux de rente fonciere deue par Jacques Desmarets heritier de feu M. Robert Desmarets clerc de la dite paroisse a cause de la fondation faite par luy en la dite paroisse par contrat passé par devant les tabellions de Rouen le dixiesme d'Avril mil six cens quarante et quatre XXXl
  • De la somme de six livres receue de Jan Bouffart pour un sixiesme de trente six livres de rente deues a la dite paroisse [en] vertu du testament de Luque de la Londe femme de Thomas Duval, la dite annee escheue a Pasques mil six cens cinquante et deux, et sans prejudice de l'indivis pour les autres trente livres VIl
  • De la somme de trente livres receue du sieur Minedorge grossier mercier pour le surplus de la dite partie des trente six livres escheues a Pasques mil six cens cinquante et deux sans prejudice pareillement de l'indivis XXXl
  • De la somme de cinquante livres receue de M. Charles Lefebvre procureur au Parlement comme ayant acquis la maison des heritiers de M. Thomas Duval pour une annee de pareille rente escheue le cinquiesme de septembre mil six cens cinquante et un Ll
  • Sommes du present chapitre IIIIc XXVIIIl XIVs

Autre recepte a cause des rentes hypotheques deues audit tresor par l'hostel commun de la ville de Rouen.

PREMIEREMENT.

  • Se charge ledit comptable de la somme de soixante livres pour les arrerages de rentes que ledit tresor a a prendre par chacun an sur la recepte generalle des finances de la generalité de Rouen pour l'annee derniere escheue dont ledit comptable n'a receu aucune chose mais seulement a receu la somme de sept livres dix sols pour un demy quartier de la dite rente escheue le quinziezme de febvrier mil six cens quarante huit de quinze livres pour un quartier escheu le dernier de mars mil six cens quarante neuf sauf la reprise pour le surplus LXl
  • De la somme de douze livres seize sols huit deniers pour les arrerages de rentes que ledit tresor a a prendre sur les deniers de la solde pour l'annee derniere escheue dont ledit comptable na peu recevoir que trente deux sols et un denier pour un demy quartier escheu à Pasques mil six cens cinquante et soixante et quatre sols deux deniers pour un quartier escheu a Noel de ladite année 1650 neantmoins se charge de la dite somme sauf la reprise XIIl XVIs VIIId
  • De la somme de quatre vint livres pour les arrerages de pareille rente que ledit tresor a a prendre par chacun an sur les deniers de ladite solde pour l'annee derniere escheue dont ledit comptable n'a receu que dix livres pour deux quartiers escheus a Pasques mil six cens cinquante et vint livres pour un quartier escheu a Noel de ladite annee 1650 neantmoins se charge de ladite somme pour tenir forme de compte sauf la reprise LXXXl
  • De la somme de cinquante et quatre livres pour les arrerages de pareille rente que ledit tresor a a prendre par chacun an sur les deniers de ladite solde pour l'année derniere escheue dont ledit comptable n'a receu que six livres quinze sols pour demy quartier escheu a Pasques mil six cens cinquante de treize livres dix sols pour un quartier escheu a Noel en ladite annee neantmoins se charge de ladite somme pour tenir forme de compte sauf la reprise LIIIIl
  • Somme IIc VIl XVIs VIIId

Autre recepte de ce qui est deu des arrerages de la rente autrefois deue par M. Jean Gravé.

  • Se charge ledit comptable de la somme de quatre livres huit sols pour une annee escheue a Pasques mil six cens cinquante deux de la rente deue audit tresor par M. Louys Fargeol a cause de sa femme pour sa part de ladite rente a la faisance de laquelle il a este condamne IIIIl VIIIs
  • De la somme de soixante et une livres douze sols quil a receue de M. Nicolas de Sahurs chirurgien pour le raquit damortissement de quatre livres huit sols de rente deue par ledit de Sahurs pour sa part et contribution de ladite rente constituee sur ledit M. Jean Gravé demeuré insolvable suivant l'acquit qu'en a baillé ledit comptable audit de Sahurs le quinziesme d'Avril mil six cens cinquante et un LXIl XIIs
  • De la somme de quatre livres huit sols pour une annee escheue a Pasques mil six cens cinquante et un de la rente deue audit tresor par les heritiers de Philippe le Prevost pour leur part de contribution de ladite rente IIIIl VIIIs
  • Somme LXXl VIIIs

Autre recepte a cause des boutiques et places de derriere le chœur de l'Eglise dans la poissonnerie pour l'année escheue de Pasques mil six cens cinquante et deux.

PREMIEREMENT.

  • De Robert Gausseaume six livres pour une année du louage d'une petite boutique quil tient VIl
  • De Fleury le Faucheur pour une petite boutique un auvent attaché derriere le chœur et place dans la poissonnerie vint et cinq livres XXVl
  • De Messieurs les vendeurs de poisson pour une année du louage de la boutique qu'ils tiennent dix huit livres XVIIIl
  • De Vincente Poignant poissonniere pour une année du louage d'un estal dans la poissonnerie huit livres VIIIl
  • De la vefve du Hamel pour une année du louage de la boutique qu'elle tient six livres VIl
  • De Perrette Fiquais pour une année du louage de la boutique qu'elle tient dix huit livres XVIIIl
  • De Louys le Cacheur pour pareille année de louage de la boutique qu'il tient vint livres XXl
  • De Marguerite Lose pour pareille année du louage de la boutique qu'elle tient dudit tresor vint et quatre livres XXIIIIl
  • Somme CXXVl

Autre recepte des rentes hypotheques qui ont esté données par M. Jean Pepin vivant curé de la dite paroisse pour lesquelles il avoit fait fondation suivant le contrat fait et passé devant les tabellions de Rouen le 13 de may 1635 et du revenu des boutiques qu'il a fait bastir sur le cimetiere de la dite Eglise suivant la permission a luy donnée par Mrs les precedenz thresoriers aux charges du contrat cy dessus dabté.

  • Se charge ledit comptable de la somme de trente livres pour une année escheue a Pasques mil six cens cinquante deux de la rente deue par Pierre Estienne XXXl
  • Somme XXXl

Boutiques.

  • Fait recepte ledit comptable de la somme de trente six livres receue de Robert Gosseaume pour l'année escheue a Pasques mil six cens cinquante et deux de la boutique qu'il tient dudit tresor XXXVIl
  • De maistre Jacques Basire sergent pour pareille annee du louage de la boutique qu'il tient la somme de vint livres XXl
  • D'honorable homme Jaques Basin la somme de six vint livres pour pareille année du louage de trois boutiques qu'il tient dudit tresor CXXl
  • De Louys Grenguet coutre de la dite Eglise pour pareille année du louage de la boutique qu'il tient la somme de trente six livres XXXVIl
  • De Jean Alexandre la somme de trente six livres pour pareille année de louage de la boutique qu'il tient XXXVIl
  • D'Andre Brisset pour et au nom de la vefve Nicolas Nervet a present defunte la somme de trente trois livres pour pareille annee du louage de la boutique qu'il tient dudit tresor XXXIIIl
  • De Susanne d'Orange vefve de Jacques de St. Loup la somme de trente trois livres pour pareille année du louage de la boutique qu'elle tient dudit tresor XXXIIIl
  • De Simon Gosselin pour pareille annee de la boutique qu'il tient dudit tresor la somme de trente trois livres XXXIIIl
  • De François Doutey ayant espousé Geneviefve le Vacher la somme de vint quatre livres pour pareille annee du louage de la boutique qu'il tient XXIIIIl
  • De Marie le Lievre pour pareille annee du louage de la boutique qu'elle tient la somme de dix huit livres XVIIIl
  • De Marie Regnault vefve de feu Mahon la somme de vint livres pour pareille annee du louage de la boutique qu'elle tient dudit tresor XXl
  • Somme IIIIc IXl

Autre recepte des deniers receus par ledit comptable pour les sepultures faites en ladite Eglise pendant l'annee quil a esté en charge.

  • Pour l'ouverture de la terre de Gilles le Maistre brouetier trois livres IIIl
  • Pour l'ouverture de la terre de Madame Glinel trois livres IIIl
  • Pour l'ouverture de la terre de Madame Hebert et pour avoir sonné la grosse cloche neuf livres IXl
  • Pour la fille de M. Hebert vint sols XXs
  • Pour avoir sonné la grosse cloche pour la mere du nepveu à Monsieur l'Asne six livres VIl
  • Pour l'enfant de M. le Bon vint sols XXs
  • Pour le laquais de M. Pauiot trente sols XXXs
  • Pour Catherine Coudre trois livres IIIl
  • Pour Madame le Carpentier[181]
  • De Monsieur le Curé executeur du testament de Jean Mousse Bremen pour legs quil a fait a l'Eglise la somme de trente livres XXXl
  • Pour l'enfant de Robert le Roy dix sols Xs
  • Pour l'ouverture de la terre de la sœur de Monsieur de Houppeville trois livres IIIl
  • Pour l'ouverture de la terre de Madame Poulain trois livres IIIl
  • Pour l'enfant de Monsieur Bellien vint sols XXs
  • Pour l'ouverture de la terre de Mr Coulon apporté de la paroisse de Sainte Marie quatre livres IIIIl
  • Pour l'ouverture de la terre de Simon Gosselin trois livres IIIl
  • Pour l'ouverture de la terre de Charles Delamare chargeur trois livres IIIl
  • Pour un enfant de M. le Sauvage sergent quinze sols XVs
  • Pour l'ouverture de la terre du laquais de Monsieur du Gourrel un escu IIIl
  • Pour l'ouverture de la terre de M. Barré calendreur trois livres IIIl
  • Pour le son de la grosse cloche pour Monsieur du Castel espicier six livres VIl
  • Plus Mre du Moustier prebstre en mourant a donné a leglise ce qui luy estoit deu par le tresor dicelle qui se montoit a vint et sept livres quatorze sols scavoir dix livres pour derniere annee de ses gages qui estoient entre les mains dudit comptable, douze livres dix sept sols qui luy ont este rendus par M. le curé pour ses distributions journalieres de la dite derniere annee de quatre livres dix sept sols qui ont esté rendus aussi audit comptable par Mrs les chappelains pour sa part des obitz de ladite derniere annee et sen charge en recepte ledit comptable parce quil employera en despense lesdites sommes XXVIIl XIVs
  • Somme CXVl IXs

Autre recepte des deniers receus par ledit comptable pendant son année pour les cueillettes des bassins.

  • Pour la cueillette faite par Monsieur Brunel du bassin de l'œuvre la somme de cinquante livres quatorze sols sept deniers Ll XIVs VIId
  • Pour la cueillette faite par M. le Bon pour le bassin de la Vierge la somme de quatre vint et une livres sept sols dix deniers LXXXIl VIIs Xd
  • Pour la cueillette faite par Messieurs les prebstres pendant l'annee pour le bassin des trespasses non compris ce qu'avoit peu cueillir feu Mre du Moustier au lieu de quoy il a donné a l'Eglise ce qui luy estoit deu par ledit tresor, que ledit comptable a employé cy devant en recepte au chapitre precedent la somme de onze livres seize sols six deniers XIl XVIs VId
  • Pour la cueillette faite pendant les festes solennelles y compris le cierge benist la somme de soixante deux livres quatre sols dix deniers LXIIl IVs Xd
  • Pour la cueillette faite sur la paroisse pour le linge la sepmaine sainte, la somme de quarante deux livres quinze sols XLIIl XVs
  • Plus cueilly par une fille pour les trespasses pendant ladite annee la somme de vint et une livres seize sols quatre deniers XXIl XVIs IVd
  • Plus on m'a envoyé pour le linge vint et quatre sols six deniers XXIVs VId
  • Somme IIc LXXIl XIXs VIId
  • Somme toute de la Recepte XVIIIc IIIIxxIl Is

Chapitre des mises ordinaires faites par ledit comptable.

PREMIEREMENT.

  • A Monsieur le Curé pour la celebration de la messe du Saint Sacrement la somme de trente livres XXXl
  • A Messieurs les chappelains pour leur assistance a la celebration de ladite messe dix neuf livres dix huit sols XVIIIIl XVIIIs
  • Audit Sr curé tant pour luy que pour lesditz sieurs chapelains pour les distributions journalieres de la haute messe et salut qui se dit tous les jours de la fondation de Monsieur le curé Pepin la somme de deux cens trente une livres unze sols CC XXXIl XIs
  • Audit sieur curé pour une annee de ses gages vingt et sept livres XXVIIl
  • Audit sieur pour la messe des trespasses qui se dit tous les lundis de l'annee vint livres XXl
  • Audit sieur pour la celebration de quatre obitz de M. de Berengeville quarante huit sols XLVIIIs
  • Audit sieur pour quatre autres obitz de la fondation de feu M. Corneille pere dudit comptable quarante et huit sols XLVIIIs
  • Audit sieur pour quatre autres obitz de la fondation de feu M. Robert Desmarets vivant prebstre clerc de ladite paroisse quatre livres IVl
  • Audit sieur pour treize obits de la fondation de feu Lucque de la Londe dix livres dix sols Xl Xs
  • Audit sieur pour douze obitz de diverses fondations neuf livres douze sols IXl XIIs
  • Audit sieur pour dix huit obitz et trois saluts de la fondation de feu Monsieur de Boislevesque la somme de vint livres quatre sols XXl IVs
  • Ausditz sieurs chapelains pour leur assistance[182] ausditz dix huit obitz et trois salutz la somme de vint et trois livres seize sols XXIIIl XVIs
  • Audit sieur curé pour l'inviolata trois livres IIIl
  • A Monsieur Alexandre prebstre vicaire de ladite paroisse pour une année de ses gages finissant à Pasques de la presente année vint livres XXl
  • Audit sieur pour avoir celebré durant ladite année tous les jours la premiere messe qui se dit tous les jours de l'année a six heures du matin en hyver et a cinq heures en este, cent cinquante livres CLl
  • A Monsieur de la Motte prebstre premier chappier en la dite paroisse pour ses gages de ladite annee vint et cinq livres XXVl
  • A Monsieur le Pelletier prebstre second chappier en la dite paroisse pour ses gages de ladite annee pareille somme de vint et cinq livres XXVl
  • A M. Frechon prebstre chapelain en ladite paroisse pour ses gages de ladite annee vint livres XXl
  • A Monsieur le Vasseur prebstre pour avoir celebré la messe de la fondation de feu Monsieur Pepin durant ladite année cent cinquante livres CLl
  • A feu Mre du Moustier prebstre chapelain de ladite paroisse pour ses gages de ladite annee la somme de vint livres dont ledit comptable ne luy a payé que dix livres, et s'est chargé des dix autres au chapitre de la recepte des deniers des inhumations comme données a leglise pour ledit feu Sr du Moustier et partant fait employ au present article de ladite somme de vint livres XXl
  • A Monsieur Heurtaut prebstre pour ses gages de ladite année pareille somme de vint livres XXl
  • A Monsieur le Vallois prebstre et organiste de ladite Eglise pour une annee de ses gages cinquante livres Ls
  • Audit sieur pour avoir celebré tous les vendredis une messe basse de la fondation dudit feu sieur Corneille vint livres XXl
  • Audit sieur pour la celebration d'une messe toutes les semaines pour defunte Madelaine Cavé qui se doibt celebrer aussi tous les vendredis XXl
  • Audit sieur pour la celebration de deux messes la semaine durant ladite annee scavoir tous les mardy et mercredy de la fondation de feu Luque de la Londe quarante livres XLl
  • A lui pour avoir joué des orgues aux trois salutz de la fondation de feu M. de Boislevesque trente sols XXXs
  • A Monsieur Millet prebstre clerc de ladite paroisse pour ses gages de ladite année vint et sept livres XXVIIl
  • Audit sieur Millet pour ses gages anciens six livres dix sols VIl Xs
  • Audit sieur pour assister et sonner la premiere messe qui se dit tous les jours a six heures cinquante sols Ls
  • A luy pour les chantres qui chantent la passion en musique le jour du vendredy saint trois livres dix sols IIIl Xs
  • Audit sieur pour quatre obitz de feu M. Robert Desmarets vint sols XXs
  • Audit sieur pour treize obitz de Lucque de la Londe trente neuf sols XXXIXs
  • A sept chapelains pour quatre obitz de la fondation de feu M. de Berengeville quatre autres de la fondation de feu Monsieur Corneille et douze autres de diverses fondations quatorze livres XIVl
  • Auditz sept chappelains pour quatre obitz de la fondation de feu M. Robert Desmarets quatre livres quatre sols IIIIl IIIIs
  • A six chapelains pour treize obitz de la fondation de Lucque de la Londe sept livres seize sols VIIl XVIs
  • Pour la celebration d'une haute messe le jour des morts et vigiles au jour de Toussaintz de la fondation dudit feu sieur Corneille trois livres IIIl
  • A Richard Noel sousclerc en la dite paroisse pour avoir sonné les vint obits cy-dessus vint sols XXs
  • A luy pour avoir sonné la messe de la fondation de feu M. le Curé Pepin pendant la dite annee douze livres XIIl
  • A luy pour avoir sonné les obits de feu M. Robert Desmarets six sols VIs
  • A luy pour avoir sonné les obits de feu Luque de la Londe treize sols XIIIs
  • A Louys Granguet père, de la dite paroisse pour ses gages de ladite année vint et quatre livres XXIIIIl
  • A Louys Granguet fils autre soubsclerc en la dite paroisse pour une année des gages a luy accordés l'annee derniere par Messieurs les Tresoriers suivant quil appert a la fin du precedent compte la somme de douze livres XIIl
  • Au souffleur d'orgues pour une année de ses gages six livres VIl
  • Pour avoir fourny pendant ladite annee le luminaire cent quinze livres CXVl
  • Pour l'huile et l'encens vint et quatre livres dix sols XXIVl Xs
  • Pour la chandelle fournie a la lanterne huit livres douze sols VIIIl XIIs
  • Pour le pain a chanter huit livres VIIIl
  • Pour les herbes a semer le jour du Saint Sacrement vint sols XXs
  • Pour le buis du dimanche des rameaux trente cinq sols XXXVs
  • Pour l'escurage des chandeliers de cuivre paye audit Granguet, coutre, six livres VIl
  • Somme XIIc LVIIIl IIs

Autre chapitre des despenses extraordinaires faites par ledit comptable durant la dite année.

PREMIEREMENT.

  • A Pierre d'Aust masson pour avoir raccommodé les voutes et le dessus des deux sacristies, fourny la limaille, plastre et ciment la somme de cinquante livres Ll
  • A la vefve Bense pour du plomb fourny pour raccommoder lesdites voutes, vint livres dix sols XXl Xs
  • A Pierre du Maine maistre paveur pour avoir pavé devant une boutique appartenant a l'eglise proche du Lyon d'or quarante sept sols XLVIIs
  • A Jean Robin serrurier pour le fer qu'il a fourny a raccommoder lesdites voutes et autres ouvrages par luy faitz pour ledit tresor douze livres XIIl
  • A Jean Bertelin vitrier pour avoir raccommodé deux paneaux de vitre derriere le chœur et en iceux refait un visage de la vierge et mis quelques pieces de peinture remis la lanterne en plomb neuf et raccommodé les vitres de la sacristie la somme de unze livres XIl
  • Pour une goutiere de fer blanc seize sols XVIs
  • Pour avoir fait raccommoder une fenestre sur la boutique de Francois Doutey douze sols XIIs
  • Pour avoir fait raccommoder le benistier d'argent et le baston de la croix trente sols XXXs
  • Pour avoir fait raccommoder le vipillon d'argent vint sols XXs
  • A Nicolas le Clerc plastrier pour avoir raccommodé la couverture de leglise fourny d'ardoises plastre, tuiles et ciment trente et une livres dix sols XXXIl Xs
  • Pour huit quittances de la ville payé au sieur Badran quarante sols XLs
  • Pour un pannier a porter le pain benist dix sols Xs
  • Pour du papier a noter la messe et sequence de St. Sauveur quatorze sols XIVs
  • Pour un casset de cuir a porter la croix dorée aux processions et pour avoir fait raccommoder le pulpitre vint sols XXs
  • Pour avoir fait raccommoder l'image de la Resurrection de dessus le grand Autel et les deux tableaux de Nostre Seigneur et de la vierge quinze sols XVs
  • Pour deux verres a la lampe d'argent douze sols XIIs
  • Pour un vipillon trois sols IIIs
  • Pour avoir fait refaire le petit chandelier dix sols Xs
  • Pour avoir fait raccommoder les ornemens quarante cinq sols XLVs
  • Pour avoir fait raccommoder les missels et supplemens trente sols XXXs
  • Pour avoir fait raccommoder un antiphonier neuf dix sols Xs
  • Pour avoir fait raccommoder une des branches du chandelier a trois branches qui est devant l'image de Saint Sauveur dix sept sols six deniers XVIIs VId
  • Somme CXLIIl XIs VId
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