Œuvres de P. Corneille, Tome 01
Chapitre des deniers comptés et non receus.
- Fait reprise ledit comptable de la somme de vint livres dont il sest trop chargé au premier chapitre de recepte ou il auroit employé vint livres pour deux annees de dix livres de rente que feu Madame Fumiere auroit donnee au tresor de ladite paroisse pendant dix ans desquels vint livres il n'auroit peu estre payé des heritiers de ladite dame que de la somme de dix livres seulement pour l'annee escheue a Pasques mil six cens cinquante et un et partant soustient a bon droit la dite reprise XXl
- De la somme de vint huit livres quatre sols pour les arrerages escheus de Pasques mil six cens cinquante et un de neuf sols de rente fonciere que ledit tresor a droit de prendre et avoir sur une maison situee en ladite paroisse, ou pent pour enseigne le Bras d'or dont ledit comptable n'ayant recu aucune chose soustient a bon droit ladite reprise comme aux comptes precedens XXVIIIl IXs
- De la somme de soixante et quatre livres dont il sest aussi chargé en recepte des rentes foncieres pour les arrerages escheus a Pasques mil six cens cinquante et un de vint sols de rente fonciere deubs audit tresor par Messieurs les Eschevins de Rouen representant Pierre Piedeleu dont il n'a receu aucune chose non plus que les precedens tresoriers LXIV l
- De la somme de trente sept livres dix sols dont ledit comptable sest trop chargé au premier article des rentes hypotheques deues audit tresor par lhostel commun de cette ville de Rouen pour une annee des arrerages de soixante livres de rente a prendre sur la recepte generalle des finances dont ledit comptable na peu recevoir que vint et deux livres dix sols pour un quartier et demi et partant soustient a bon droit ladite reprise de trente sept livres dix sols pour le surplus XXVII l Xs
- De la somme de huit livres cinq deniers dont ledit comptable sest trop chargé au second article desdites rentes deues audit tresor par lhostel commun de la ville sur les deniers de la solde pour une année darrerage de douze livres seize sols huit deniers de rente dont il n'auroit peu recevoir que quatre livres seize sols trois deniers pour un quartier et demy et partant soustient a bon droit ladite reprise de huit livres cinq deniers pour le surplus VIIIl Vd
- De la somme de cinquante livres dont il sest aussi trop chargé au 3e article desdites rentes pour une année de quatre vint livres de rente sur la dite solde dont il n'auroit receu que trente livres pour un quartier et demy et partant soustient la dite reprise de cinquante livres a bon droit pour le surplus Ll
- De la somme de trente trois livres quinze sols dont il sest pareillement trop chargé au dernier article desdites rentes pour une année de cinquante quatre livres de rente a prendre sur la dite solde dont il na peu toucher que vint livres cinq sols pour un quartier et demi, partant met en reprise lesdites trente trois livres quinze sols pour le surplus XXXIIIl XVs
- Somme IIc XXXIl IXs Vd
- La mise et reprise XVIc XXXIIl IIs XId
Et[183] la Recepte monte la somme de dix huit centz quatre vingtz une livres et partant seroit deu par Monsr Corneille present comptable pour plus receu que mis la somme de deux centz quarante huict livres dix huict sols un denier laquelle il a presentement payée comptant a Monsieur Brunel tresorier entrant en charge au moyen de quoi ledit sieur Corneille demeure quicte de l'administration dudit Tresor. Et a esté donné par ledit sieur Corneille au Tresor de la dite Eglise un drap de veloux noir mortuaire pour lequel Mademoiselle sa mère a contribué de la somme de cent livres qu'elle a donnée audit Tresor par ce que ledit sieur Corneille aura la faculté de sen servir pour ceulx de sa famille et domestiques[184] sans pour ce payer aucune chose la mesme faculté demeurant a Messieurs les tresoriers leurs veufves et enfantz seulement. Et ou le dit drap mortuaire seroit baillé ou presté ce qui ne se fera que du consentement de Monsieur le Curé et de M. le Tresorier en charge, il fera payer et donner audit Tresor par chaque fois soixante solz au moins et ce pour ceulx de ladite paroisse seulement a la reserve des parentz dudit sieur Corneille qui la donne et ce au troisieme degré autres que ceulx qui portent le nom. Faict et arresté à Rouen en la chambre dudit Tresor ce lundy premier jour d'avril mil six cents cinquante deux. Approuvé en glose et domestiques[185].
Signé: Piquais, Puchot fils, Pauyot, Ferron, Toussaint Brunel,
(un nom illisible), Corneille, Duboys, Osmont, Philippe Veillant,
Billouët, de Sahurs, Nicollas Lefeubvre, Leforestier, Regnault,
le Sauvage et le Bon.
Le dixe jour d'octobre mil six cents cinquante deux apres la visitation des Sts. Sacrements de Leglise de St. Sauveur faicte par nous prbre chanoine et grand archidiacre de Leglise de Roüen, vicaire general de Monseigneur Lillustrissime et Reverendissime archevesque de Roüen primat de Normandie et hault doyen de St. Meslon a Pontoise avons approuvé le compte apres qu'il nous est apparu avoir esté veu et diligamment examiné [en] presence de Monsieur le curé et plus notables marguilliers et parroissiens. Avons aussi ordonné qua ladvenir les Statuts des confrairies seront leus a tous les maistres et freres une fois l'an a ce que chacun cognoisse son obligation.
Signé: d'Aquillenguy.
Modèle de procuration écrit en entier de la main de Pierre Corneille[186].
Pierre Corneille Escuyer cy devant advocat du Roy a la table de marbre du Palais a Rouen et Thomas Corneille Escuyer sr de Lisle estantz depresent a Rouen, passent procuration a noble homme Pierre Corneille leur cousin demeurant à Rouen proche des feuillantz rue des bons enfantz pour poursuivre en leur absence leurs debiteurs tant pour arrerages de rente et fermages que debtes mobiles et bailler toutes quittances pour ce necessaires, eslisant leur domicile ches le dit sr Corneille leur cousin, etc.
XIII.—Page XLIX.
Extrait du dossier de la tutelle des enfants de Pierre Corneille et de Catherine de Melun, déposé aux archives du palais de justice de Rouen. Procuration à François le Bovyer.
Par devant les conseillers du Roy, notaires au Chatelet de Paris soubzsignés: fut present Pierre Corneille escuyer demeurant à Paris Rue de Clery parroisse St. Eustache, lequel a faict et constitué son procureur general et special Me Francois le Bovyer escuyer advocat en la cour auquel il donne pouvoir et puissance de pour luy en son nom comparoir par devant Monsieur le vicomte de Rouen ou autre juge competent qu'il appartiendra a l'assemblée qui se doit faire des parents et amis des enfants mineurs de defunctz Pierre Corneille vivant secretaire du Roy et de damoiselle Catherine de Melun jadis sa femme. Et la pour le dit sr constituant en qualité de cousin paternel qu'il est aux dits mineurs nommer et convenir de la personne de Me Adrien Hemery, Procureur au Parlement de Rouen, oncle des dits mineurs pour tuteur à iceulx mineurs, que le dit sr Corneille nomme, estant d'avis qu'il soit esleu en la dicte qualité de tuteur principal à iceulx mineurs ne connoissant personnes plus capables d'exercer la dite charge que le dit sr Hemery. Et generalement faire par le dit Procureur pour raison de ce que dessus tout ce qu'il sera necessaire. Promettant avoir le tout agreable.
Fait et passé à Paris le 23 aoust 1675 après midy. Et a signé.
Corneille, Torinon et Dumont.
XIV.—Page LVI.
Supplique de Corneille au sujet d'un procès relatif à une tutelle de son père.
Extrait d'un dossier intitulé: Dossier de Pierre Corneille[187].
A nos seigneurs de Parlement en la chambre des Enquestes.
Suplie humblement Pierre Corneille escuyer demeurant à Paris.
Disant quil y a procez pendant en la cour clos et distribué entre les mains de Monsieur de Gruchet entre les srs Daval de Beneray et les electeurs de la tutelle de damelle Francoise Lengeigneur sa femme au quel il s'agit d'une somme de deux mil sept cents livres payée au sr de la Rosiere premier mary de la dite Lengeigneur ou quoi que ce soit a ses creanciers avec stipulation expresse de subrogation de la dite damelle Lengeigneur à lhypotheque des debtes du dit de la Rosiere laquelle somme les dits electeurs soustiennent qu'elle doit estre imputée à leur descharge sur le debet de compte rendu par le tuteur decedé insolvable et decreté et dautant que le dit suppliant est heritier du deffunt sr Corneille son pere qui estoit l'un des electeurs de la dite tutelle, et qu'en cette qualité il a interest d'empescher quil se fasse rien par collusion entre les parties qui sont presentement en cause.
Il vous plaise nos ditz seigneurs recevoir le dit suppliant partie intervenante au dict proces pour y conserver son interest et faire deffenses aux dites parties d'appointer ni transiger si non en sa presence et vous ferez justice.
Soit monstrée à partye. Fait à Rouen le 21 avril 1678.
Signé: Douillard.
Vente de la maison de la rue de la Pie.
Du dix novembre seize cent quatre-vingt-trois.
Fut present maistre François Lebovier escuyer sieur de Fontenelle, avocat dans la cour de parlement de Rouen y demeurant rue du Cordier paroisse de Saint Godard au nom et comme procureur general special de Pierre Corneille escuyer sieur d'Amville demeurant à Paris rue d'Argenteuil paroisse de Saint Roch par procuration passée devant Laverdy et Lenormand conseillers du Roy, notaires garde notes au Chatelet de Paris le quatrieme de ce present mois special à l'effet des presentes demeurées annexées avec la presente note apres avoir esté paraphée du dit sieur de Fontenelle et du sieur acquereur ci-après nommé et de leurs requisitions par les notaires soussignés, lequel sieur de Fontenelle en usant du pouvoir contenu en la dite procuration a vendu quitte cedé et delaissé et promis garantir pour et au nom du dit sieur de Corneille au sieur Dominique Sonnes chirurgien juré à Rouen y demeurant paroisse de Saint Sauveur, present acquereur, c'est assavoir:
Une maison assise en la dite paroisse de Saint Sauveur rue de la Pie de telle continence qu'elle est et toute et autant qu'il en a esté baillé à maistre Jean Costy medecin par le dit sieur de Fontenelle au nom du dit sieur de Corneille par bail sous seing privé de trente et unieme jour d'aoust dernier et qu'en tenoit auparavant le sieur Cotelle marchand sans du tout en rien excepter ni retenir, bornée d'un costé: une grande maison appartenant au sieur de Lisle Corneille frere du dit sieur vendeur d'autre costé monsieur de Beringeville tresorier de France, d'un bout le dit sieur de Lisle et d'autre bout le pavé du Roy en la dite rue de la Pie, franche quitte et exempte de toute rente et charge quelconque pour en jouir posseder, faire et disposer par le dit sieur acquereur du jour de Saint Michel dernier passé et à l'avenir comme de chose à lui proprietairement appartenant pour lequel effet le dit sieur de Fontenelle au dit nom a subrogé le dit sieur Sonnes à tous les droits, noms, raisons et actions du dit sieur Corneille auquel la dite maison appartient de son ancien propre à la charge par le dit sieur acquereur d'entretenir le bail du dit Sieur Cotelle le temps restant de la jouissance d'icelui lequel bail le dit sieur de Fontenelle a presentement mis es mains du dit sieur acquereur cette vente ainsi faite moyennant le prix et somme de quatre mille trois cents livres que le dit sieur acquereur a presentement payé comptant au sieur de Fontenelle au dit nom en la presence des dits notaires en louis d'argent et monnoies ayant cours au prix du Roy du nombre de laquelle somme il en sera employé celle de trois mille livres pour racquitter la pension de dame Marguerite Corneille dite de la Trinité fille au dit sieur vendeur religieuse au monastere des religieuses dominiquaines au faubourg de Cauchoise. A l'entretenement et garantie duquel present contrat le dit sieur de Fontenelle en a obligé tous les biens et heritages du dit sieur de Corneille comme faire le peut en vertu de la dite procuration faite et passée à Rouen en la maison du dit sieur de Fontenelle le mercredy apres midy sixieme jour de novembre 1683: Presents Laurent Langlois et Guillaume Blondel demeurant à Rouen, temoins.
Signé: Le Bovyer, Sonnes, Langlois, Blondel et Liot.
XVI.—Page lviii.
Acte de décès de Pierre Corneille.
Octobre dud. jour second.
Me Pierre Corneille escuyer cydeuant auocat gnal a la table de marbre a Roüen agé denuiron soixante et dix huit ans decedé hier rue d'argenteüil en cette parroisse a este inhume en leglise[188] en presence de Mre Thomas Corneille escuyer sr de L'isle demnt rue Clos gergeau en cette parroisse et de Me Michel Bicheur prestre de cette eglise y demnt proche.
Bicheur, Corneille.
(Registre des sepultures faites en l'eglize parroissialle de St. Roch à Paris
pendant l'année mil six cens quatre vingt quatre, fol. 61 ro.)
LISTE DES MOTS REMARQUABLES
qui se trouvent dans les documents écrits de la main de Pierre Corneille et notamment dans le Registre de la paroisse Saint-Sauveur.
On sait combien les pièces judiciaires et les comptes d'abbayes ou de paroisses abondent en termes intéressants à recueillir pour les lexiques spéciaux. Il nous a paru curieux de réunir les mots anciens ou techniques qui, ne pouvant être considérés comme appartenant à la diction de Corneille puisqu'ils lui étaient imposés par des nécessités particulières, ne devaient pas se trouver dans le Lexique de ses œuvres, mais qui formeront ici un utile appendice.
Antiphonier. Pour avoir fait raccommoder un antiphonier, page xcxvi.
Appert (Il). Suivant qu'il appert, p. xciv.
Arrérage. Douze livres seize sols huit deniers pour les arrerages de rentes, p. lxxxviii.
Assistance. A Messieurs les Chappelains pour leur assistance à la celebration de ladite messe, p. xcii.
Bassin. Autre recepte des deniers receus par ledit comptable pendant son année pour les cueillettes des bassins, p. xci.
Brouetier. Pour l'ouverture de la terre de Gilles le Maistre brouetier, trois livres, p. xc.
Calendreur. Pour l'ouverture de la terre de M. Barre calendreur, p. xci.
Casset. Pour un casset de cuir à porter la croix dorée aux processions, p. xcxvi.
Chappier. A Monsieur de la Motte, prebstre premier chappier.... à Monsieur Pelletier, prebstre second chappier en la dite paroisse, p. xciii.
Chargeur. Pour l'ouverture de la terre de Charles Delamare, chargeur, trois livres, p. xci.
Convent. P. lxxi et passim.
Coutre (sacristain, voyez le Dictionnaire du patois normand, de MM. Duméril, et le Glossaire de du Cange, au mot Coulter). De Louys Grenguet coutre de la dite Eglise, p. xc.—Audit Granguet coutre, six livres, p. xcv.
Cueillette. Autre recepte des deniers receus par ledit comptable pendant son année pour les cueillettes des bassins, p. xci.
Cueillir. Plus cueilly par une fille pour les trespassés pendant ladite année, p. xcii.
Escurage. Pour l'escurage des chandeliers de cuivre, p. xcv.
Faisance. Sa part de ladite rente à la faisance de laquelle il a esté condamné, p. lxxxviii.
Gages. A Monsieur Alexandre prebstre vicaire de ladite paroisse pour une année de ses gages finissant à Pasques de la presente année vint livres, p. xciii; voyez aussi p. xciv et passim.
Grossier. De la somme de trente livres receue du sieur Minedorge grossier mercier, p. lxxxvii.
Haute messe. Pour la celebration d'une haute messe, p. xciv.
Indivis. Prendre par indivis, p. lxxxv.—Sans prejudice de l'indivis, p. lxxxvii.
Louage. Une année du louage d'une petite boutique qu'il tient, p. lxxxix.
Obit. Audit sieur pour la celebration de quatre obitz, p. xcii.
Ouverture de la terre. Pour l'ouverture de la terre de Gilles le Maistre brouetier, trois livres, p. xc.
Pain a chanter. P. xcv.
Pitancier, p. lxxi (voyez la note 1).
Poissonniere. De Vincente Poignant poissonniere, p. lxxxix.
Sequence. Pour du papier à noter la messe et sequence de Saint-Sauveur, p. xcxvi.
Soubsaagé. De Monsieur du Resnel tuteur des soubsaagés de feu M. Alonse du Resnel, p. lxxxiv.
Trespassé. Pour le bassin des trespassés, p. xcii.
Vin du bail. P. lxxxii.
Vipillon (goupillon, voyez le Dictionnaire du patois normand, de MM. Duméril). Pour avoir fait raccommoder le vipillon d'argent, p. xcv.—Pour un vipillon, trois sols, p. xcvi.
GÉNÉALOGIE DE PIERRE CORNEILLE[189].
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Pierre, mentionné dans un arrêt du 16 avril 1542, sans aucune qualification. |
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Pierre, conseiller référendaire; avocat le 28 avril 1575; commis au greffe du Parlement en 1586; mort vers 1588. Il épousa en 1570 Barbe Houel, fille de Jean Houel, sieur de Valleville. Ils eurent pour enfants: |
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| 1 Jeanne, baptisée le 16 septembre 1571; religieuse. |
2 Pierre, né en 1572 ou 1574, maître particulier des eaux et forêts; anobli en 1637. Il épousa, le 9 juin 1602, Marthe le Pesant, fille de François le Pesant, avocat, et d'Ysabeau le Cuilier. Il eut de ce mariage: |
3 Antoine, né en 1577, curé de Sainte-Marie des Champs, près d'Yvetot. |
4 Barbe, baptisée le 16 mars 1578. |
5 Richard, baptisé le 2 février 1580. |
6 Guillaume, baptisé le 5 mars 1581; marié avec Magdeleine Osmont. Il eut de ce mariage: |
7 Françoise, baptisée le 23 juillet 1583, morte le 6 novembre 1601. |
8 François, baptisé le 19 janvier 1585. C'est de cette branche, fort étendue, que descendait Marie-Françoise Corneille, mariée à M. Dupuits, et dotée avec l'édition faite par Voltaire en 1764. |
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| Noël, garde du corps de Sa Majesté. |
Guillaume, receveur du chapitre d'Évreux. |
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1 Pierre CORNEILLE, né le 6 juin 1606. |
2 Marie, baptisée le 4 novembre 1609, mariée en 1634 au sieur Ballain. |
3 Antoine, baptisé le 10 juillet 1611. |
4 Magdelaine, baptisée le 13 janvier 1618. |
5 Marthe, baptisée le 26 août 1623, mère de Fontenelle. |
6 Thomas, baptisé le 24 août 1625. |
7 Magdelaine, baptisée le 27 juin 1629, morte en 1635. |
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DESCENDANCE DE PIERRE CORNEILLE.
| Pierre Corneille. | ||||||||||||||||||
| 1 Marie, |
2 Pierre[190], |
3 ....Corneille, |
4 Charles, |
5 Thomas, |
6 Marguerite, |
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| née le 10 janvier 1642, | ||||||||||||||||||
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mariée en 1res noces le 13 septembre 1661 à Félix Guenebault de Boislecomte, sieur du Buat, mort à Candie en 1668; elle eut de ce mariage: |
mariée en 2es noces à Jacques-Adrien de Farcy, président des trésoriers de France; elle eut de ce mariage: | capitaine de cavalerie, gentilhomme ordinaire de la maison du Roi, né le 7 septembre 1643, mort le 31[191] janvier 1698. Marié à Marie Cochois, il eut de ce mariage: | lieutenant de cavalerie, tué au siége de Grave en 1674. Voy. tome X, p. 188 note 4 et p. 189 note 2. | filleul du P. Larue, né le... 1653, mort en 1667. Voyez tome X, p. 383. | abbé d'Aiguevive, mort en 1699. Voyez tome X, p. 134, note 4. | religieuse dominicaine, sous le nom de sœur de la Trinité. | ||||||||||||
| Benoît de Boislecomte du Buat, religieux théatin. | Françoise de Farcy, née en 1684, mariée le 22 octobre 1701 à Adrien de Corday. Ils eurent pour fils: | Marie de Farcy, dont la postérité s'est éteinte à la 2e génération. | Pierre-Alexis, né le 28 mars 1694. Marié vers 1718 à Bénigne Larmannat, il eut de ce mariage: | |||||||||||||||
| 1 Marie-Anne, née vers 1719, élevée au couvent à Nevers, protégée par M. de Malesherbes. |
2 Claude-Étienne, né le 15 avril 1728, reçu par Voltaire à Ferney le 9 mars 1763. Marié à Rose Bérenger, il eut de ce mariage: |
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| Jacques-Adrien de Corday, né le 7 avril 1704, mort le 21 janvier 1795, marié le 22 août 1729 à Renée-Adélaïde de Belleau de la Motte, née le 27 octobre 1711, morte le 21 janvier 1800; il eut de ce mariage huit enfants: | 1 Louis-Ambroise, né le 9 décembre 1756. Marié à Catherine-Rose Fabre, il eut de ce mariage: |
2 Jeanne-Marie, née le 21 juillet 1765, pupille de M. de Malesherbes. |
3 ....Corneille, née le 10 novembre 1771, mariée à M. Girard. Sans postérité. |
4 Jean-Baptiste, né le 17 janvier 1776. Marié à Marie Chazel, il eut de ce mariage: |
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| Jacques-François de Corday d'Armans, son 3e fils, lieutenant au régiment de la Fère, né le 2 septembre 1737, mort à Barcelonne le 30 juin 1798, marié le 1er février 1764 à Charlotte-Jacqueline de Gaulthier, morte en 1782; il eut d'elle cinq enfants. | 1 Louise-Madeleine, née le 19 octobre 1786. |
2 Marie-Thérèse, née le 7 septembre 1787. |
3 Marie-Augustine, née le 4 septembre 1790. |
4 Pierre-Alexis, né le 24 janvier 1792, mort en 1868, député au Corps législatif, où il a été remplacé par son fils. |
5 Catherine, née le 5 novembre 1793. |
6 Pierre, né le 6 septbre 1796. |
7 Joseph-Augustin, né le 4 février 1798. |
8 Joseph-Michel. |
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| Marie-Anne-Charlotte de Corday, leur troisième fille, naquit aux Ligueries le 7 juillet 1768, et mourut le 17 juillet 1793[192]. | ||||||||||||||||||
| 1 Marie-Alexandrine, née le 2 messidor an vi. |
2 Thérèse-Philippine, née le 2 pluviôse an x. |
3 P. Xavier, né le 1er août 1809. |
4 Marie-Anne, née le 27 juill. 1812. |
5 Catherine-Julie, née le 17 juillet 1816. |
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TABLE CHRONOLOGIQUE
DES OUVRAGES ET ÉCRITS DE TOUT GENRE
DE PIERRE CORNEILE[193].
| 162.(?) | —1632. Pièces i-xiv des Mélanges poétiques imprimés à la suite de Clitandre. | X, | 25-56 |
| 1629 | Mélite. | I, | 123 |
| 1631 | A M. de Scudéry (sur son Ligdamon et Lidias). | X, | 57 |
| 1632 | Clitandre. | I, | 255 |
| — | Récit pour le ballet du chateau de Bicêtre. | X, | 58 |
| — | Pour Monsieur L. C. D. F., représentant un diable au même ballet. Épigramme. | X, | 60 |
| — | A Monseigneur le duc de Longueville (Dédicace de Clitandre). Préface. (L'Achevé d'imprimer est du 20 mars 1632.) | I, | 259 |
| — | Au Lecteur (des Mélanges poétiques). | X, | 24 |
| 1633 | A M. de Scudéry sur son Trompeur puni. Madrigal. (L'Achevé d'imprimer est du 4 janvier 1633.) | X, | 61 |
| — | A Monsieur de Liancour (Dédicace de Mélite). Au Lecteur. (L'Achevé d'imprimer est du 12 février 1633.) | I, | 134 |
| — | Pour la Sœur valeureuse de M. Mareschal. | X, | 62 |
| La Veuve. | I, | 371 | |
| — | La Galerie du Palais.[194] | II, | 1 |
| 1634 | A Madame de la Maisonfort (Dédicace de la Veuve). Au Lecteur. (L'Achevé d'imprimer est du 13 mars 1634.) | I, | 375 |
| — | La Suivante. | II, | 113 |
| — | La Place royale.[195] | II, | 215 |
| — | P. Cornelii.... excusatio. (Achevé d'imprimer du 14 août 1634.—Il est question de la Place royale dans cette pièce de vers latins.) | X, | 64 |
| 1635 | Pour l'Hippolyte de monsieur de la Pinelière. | X, | 73 |
| — | La Comédie des Tuileries, IIIe acte. | II, | 303 |
| — | Médée. | II, | 327 |
| 1636 | L'Illusion. | II, | 421 |
| — | Le Cid. | III, | 1 |
| 1637 | A Madame de Liancour (Dédicace de la Galerie du Palais.—L'Achevé d'imprimer est du 20 février 1637). | II, | 10 |
| — | A Monsieur*** (Dédicace de la Place royale.—L'Achevé d'imprimer est du 20 février 1637). | II, | 219 |
| — | Excuse a Ariste. | X, | 74 |
| — | Rondeau. | X, | 79 |
| — | Lettre apologétique. | X, | 399 |
| — | A Madame de Combalet (Dédicace du Cid). Avertissement. (L'Achevé d'imprimer est du 24 mars 1637.) | III, | 77 |
| — | (13 juin.) Lettre à Boisrobert. | X, | 427 |
| — | A Monsieur*** (Dédicace de la Suivante.—L'Achevé d'imprimer est du 9 septembre 1637). | II, | 116 |
| — | (15 novembre.) Lettre à Boisrobert. | X, | 428 |
| — | (3 décembre.) Lettre à Boisrobert. | X, | 428 |
| Lettre (sans date). | X, | 429 | |
| — | (13 décembre.) Lettre à Boisrobert. | X, | 430 |
| 1639 | A Monsieur P. T. N. G. (Dédicace de Médée.—L'Achevé d'imprimer est du 16 mars 1639). | II, | 332 |
| — | A Mademoiselle M. F. D. R. (Dédicace de l'Illusion.—L'Achevé d'imprimer est du 16 mars 1639). | II, | 430 |
| — | Au Roy et à nos Seigneurs de son Conseil. | I, | lxxiii |
| 1640 | Horace. | III, | 243 |
| — | Cinna. | III, | 359 |
| — | Remercîment fait sur-le-champ par monsieur de Corneille. | X, | 81 |
| 1641 | A Monseigneur le cardinal duc de Richelieu (Dédicace d'Horace.—L'Achevé d'imprimer est du 15 janvier 1641). | III, | 258 |
| — | Lettre (sans date). | X, | 432 |
| — | La Tulipe. Madrigal. Au Soleil. | X, | 82 |
| — | La Fleur d'orange. Madrigal. | X, | 83 |
| — | L'Immortelle blanche. Madrigal. | X, | 83 |
| — | (1er juillet.) Lettre à M. Goujon, avocat au conseil privé du Roi. | X, | 433 |
| 1642 | Épitaphe de dom Jean Goulu, général des Feuillants. | X, | 396 |
| — | Vers sur le cardinal de Richelieu. | X, | 86 |
| 1643 | A Monsieur de Montoron (Dédicace de Cinna.—L'Achevé d'imprimer est du 18 janvier 1643). | III, | 369 |
| — | Polyeucte[196]" | III, | 463 |
| — | Projet de lettres patentes concédant à P. Corneille le droit de ne laisser jouer ses pièces qu'aux troupes autorisées par lui. | I, | lxxiv |
| — | Sur la mort du roi Louis XIII. Sonnet. | X, | 87 |
| — | A la Reine régente (Dédicace de Polyeucte). Abrégé du martyre de saint Polyeucte. (L'Achevé d'imprimer est du 20 octobre 1643.) | III, | 471 |
| — | Pompée. | IV, | 1 |
| — | Le Menteur. | IV, | 117 |
| 1644 | La Suite du Menteur. | IV, | 275 |
| — | A Monseigneur l'éminentissime cardinal Mazarin (Dédicace de Pompée.—L'Achevé d'imprimer est du 16 février 1644). | IV, | 11 |
| — | A Monseigneur Monseigneur l'éminentissime cardinal Mazarin. Remercîment. | X, | 92 |
| — | Au Lecteur (de Pompée). | IV, | 14 |
| — | A maître Adam, menuisier de Nevers, sur ses Chevilles. (L'Achevé d'imprimer est du 25 mai 1644.) | IV, | 100 |
| — | Rodogune. | IV, | 397 |
| — | Épître. Au Lecteur (du Menteur.—L'Achevé d'imprimer est du dernier octobre 1644). | IV, | 130 |
| — | Au Lecteur (des Œuvres de Corneille, première partie, édition de 1644). | I, | 1 |
| 1645 | Théodore. | V, | 1 |
| — | Épître (en tête de la Suite du Menteur.—L'Achevé d'imprimer est du dernier septembre 1645). | IV, | 279 |
| 1646 | (18 mai.) Lettre à Voyer d'Argenson. | X, | 444 |
| — | A Monsieur de Boisrobert, abbé de Châtillon, sur ses Épîtres. (L'Achevé d'imprimer est du 21 juillet.) | X, | 102 |
| — | A Monsieur L. P. C. B. (Dédicace de Théodore.— L'Achevé d'imprimer est du 31 octobre 1646). | V, | 8 |
| 1647 | Héraclius. | V, | 113 |
| — | Discours prononcé par Monsieur Corneille, avocat général à la Table de marbre de Normandie, le 22 janvier 1647, lorsqu'il fut reçu (à l'Académie françoise) à la place de M. Maynard. | X, | 407 |
| — | A Monseigneur Seguier, chancelier de France (Dédicace d'Héraclius). Au Lecteur. (L'Achevé d'imprimer est du 28 juin 1647.) | V, | 141 |
| 1648 | Au Lecteur (des Œuvres de Corneille, seconde partie, publiée en 1648). | I, | 2 |
| 1649 | (6 mars.) Lettre à Monsieur de Zuylichem. | X, | 448 |
| — | Les Triomphes de Louis le Juste. (Le privilége est du 22 mai 1649.) | X, | 104 |
| — | La Poésie a la Peinture, en faveur de l'Académie des peintres illustres. | X, | 452 |
| — | A saint Bernard, sur la traduction de ses Épîtres, par le R. P. dom Gabriel de Sainte-Geme. Sonnet. (L'Achevé d'imprimer est du 23 août 1649.) | X, | 122 |
| — | (25 août.) Lettre à Monsieur Dubuisson. | X, | 452 |
| 1650 | Andromède. | V, | 243 |
| — | Don Sanche d'Aragon. | V, | 397 |
| — | A Monsieur d'Assoucy, sur son Ovide en belle humeur. (L'Achevé d'imprimer est du 25 février 1650.) | X, | 124 |
| — | Dessein de la tragédie d'Andromède. (L'Achevé d'imprimer est du 3 mars 1650.) | V, | 258 |
| — | Sur la contestation entre le sonnet d'Uranie et de Job. | X, | 125 |
| — | A Mademoiselle de Cosnard de Ses. | X, | 129 |
| — | A Monsieur de Zuylichem (Dédicace de Don Sanche). Argument. (L'Achevé d'imprimer est du 14 mai 1650.) | V, | 404 |
| — | (28 mai.) Lettre à Monsieur de Zuylichem. | X, | 453 |
| 1651 | Nicomède. | V, | 495 |
| — | A M. M. M. M. (Dédicace d'Andromède). Argument tiré du quatrième et cinquième livre des Métamorphoses d'Ovide. (L'Achevé d'imprimer est du 13 août 1651.) | V, | 291 |
| — | Au Lecteur (des vingt premiers chapitres de l'Imitation.—L'Achevé d'imprimer est du 15 novembre 1651). | VIII, | 17 |
| — | Au Lecteur (de Nicomède.—L'Achevé d'imprimer est du 29 novembre 1651). | V, | 501 |
| — | Extrait du Registre des comptes de la paroisse de Saint-Sauveur de Rouen. Gestion de Pierre Corneille, le poëte (1651-1652). | I, | lxxxii |
| 1652 | Pertharite. | VI, | 1 |
| — | (30 mars.) Lettre au R. P. Boulart. | X, | 458 |
| — | (12 avril.) Lettre au R. P. Boulart. | X, | 462 |
| — | (23 avril.) Lettre au R. P. Boulart. | X, | 466 |
| — | Au Lecteur (des cinq derniers chapitres du livre I de l'Imitation de Jésus-Christ, et des six premiers du livre II.—L'Achevé d'imprimer est du 31 octobre 1652). | VIII, | 19 |
| 1653 | Au Lecteur (de Pertharite.—L'Achevé d'imprimer est du 30 avril 1653). | VI, | 5 |
| — | Au Lecteur (trois avertissements des diverses éditions des deux premiers livres de l'Imitation de Jésus-Christ publiées en 1653). | VIII, | 21 |
| — | A Monsieur de Loy..., sur son panégyrique de Monseigneur le premier président de Bellièvre. | X, | 131 |
| — | Pour Monsieur d'Assoucy, sur ses Airs. | X, | 132 |
| 1654 | Au Lecteur (des trente premiers chapitres du livre III de l'Imitation de Jésus-Christ). | VIII, | 27 |
| — | Épitaphe sur la mort de Damoiselle Élisabeth Ranquet. | X, | 133 |
| 1656 | (10 juin.) Lettre au R. P. Boulart. | X, | 470 |
| — | Au souverain pontife Alexandre VII. (Dédicace de l'Imitation de Jésus-Christ.) | VIII, | 1 |
| 1657 | Sonnet (Au Roi, pour obtenir la confirmation des lettres de noblesse accordées à son père). | X, | 135 |
| — | A Monsieur de Campion, sur ses Hommes illustres. Sonnet. (L'Achevé d'imprimer est du 15 janvier 1657.) | X, | 137 |
| 1658 | Lettre à Pellisson. | X, | 477 |
| — | Sonnet perdu au jeu. | X, | 140 |
| — | (9 juillet.) Lettre à l'abbé de Pure. | X, | 478 |
| — | Sur le départ de Madame la marquise de B. A. T. | X, | 141 |
| 1659 | Œdipe. | VI, | 101 |
| — | (12 mars.) Lettre à l'abbé de Pure. | X, | 482 |
| — | Vers présentés a Monseigneur le procureur général Foucquet, surintendant des finances.—Au Lecteur (d'Œdipe.—L'Achevé d'imprimer est du 26 mars 1659). | VI, | 121 |
| 1659 | Madrigal. | X, | 150 |
| — | Autre sur le même sujet. | X, | 152 |
| 1660 | Air de M. Lambert pour la Reine. | X, | 153 |
| — | Pour une dame qui représentoit la Nuit en la comédie d'Endymion. Madrigal. | X, | 154 |
| — | Jalousie. | X, | 155 |
| — | Bagatelle. | X, | 158 |
| — | Stances. | X, | 160 |
| — | Sonnet. | X, | 162 |
| — | Sonnet. | X, | 163 |
| — | Sonnet. | X, | 164 |
| — | Stances. | X, | 165 |
| — | Sonnet. | X, | 167 |
| — | Chanson. | X, | 168 |
| — | Stances. | X, | 170 |
| — | Stances. | X, | 172 |
| — | Épigramme. | X, | 173 |
| — | Rondeau. | X, | 174 |
| — | (25 août.) Lettre à l'abbé de Pure | X, | 485 |
| — | Discours de l'utilité et des parties du Poëme dramatique.—Discours de la Tragédie....—Discours des Trois Unités. | I, | 13 - 122 |
| — | Examen de chacune des pièces publiées jusqu'en 1660. En tête de chaque pièce. | ||
| — | La Toison d'or. | VI, | 221 |
| 1661 | Desseins de la Toison d'or. (L'Achevé d'imprimer est du 31 janvier 1661.) | VI, | 230 |
| — | (3 novembre.) Lettre à l'abbé de Pure. | X, | 489 |
| 1662 | Sertorius. | VI, | 351 |
| — | (25 avril.) Lettre à l'abbé de Pure. | X, | 493 |
| — | Au Lecteur (de Sertorius.—L'Achevé d'imprimer est du 8 juillet 1662). | VI, | 357 |
| 1663 | Remercîment présenté au Roi en l'année 1663. | X, | 175 |
| — | Sophonisbe. | VI, | 447 |
| — | Au Lecteur (de Sophonisbe.—L'Achevé d'imprimer est du 10 avril 1663). | VI, | 460 |
| — | Au Lecteur (de l'édition du Théâtre de Corneille de 1663). | I, | 4 |
| 1664 | A Monseigneur le duc de Guise, sur la mort de Monseigneur son oncle. Sonnet. | X, | 182 |
| — | (3 août.) Othon. | VI, | 565 |
| 1665 | Au Lecteur (d'Othon.—L'Achevé d'imprimer est du 3 février 1665). | VI, | 571 |
| — | Au Roi, pour le retardement du payement de sa pension | X, | 185 |
| — | Hymnes de sainte Geneviève. | IX, | 613 |
| — | Louanges de la sainte Vierge. | IX, | 1 |
| 1666 | Lettre à M. de Saint-Évremond. | X, | 497 |
| — | Agésilas. | VII, | 1 |
| — | Au Lecteur (d'Agésilas.—L'Achevé d'imprimer est du 3 avril). | VII, | 5 |
| 1667 | Attila. | VII, | 97 |
| — | Au Roi, sur son retour de Flandre. | X, | 186 |
| — | Poëme sur les victoires du Roi, traduit de latin en françois par P. Corneille. | X, | 192 |
| — | Traductions et imitations de l'épigramme latine de M. de Montmor. | X, | 218 |
| — | Au Lecteur (d'Attila.—L'Achevé d'imprimer est du 20 novembre 1667). | VII, | 103 |
| 1668 | Au R. P. Delidel, de la Compagnie de Jésus, sur son Traité de la Théologie des saints. | X, | 220 |
| — | Au Roi, sur sa conquête de la Franche-Comté | X, | 223 |
| — | Sur le canal du Languedoc, pour la jonction des deux mers. Imitation. | X, | 231 |
| — | Air de M. Blondel. | X, | 233 |
| 1669 | Défense des fables dans la poésie. Imitation du latin. | X, | 234 |
| 1670 | L'Office de la sainte Vierge. | IX, | 55 |
| — | Sur la pompe du pont Notre-Dame. Traduction par Pierre Corneille. | X, | 242 |
| — | Pour la fontaine des Quatre-Nations, vis-à-vis le Louvre. Traduction par Pierre Corneille. | X, | 244 |
| — | Traduction en vers françois de la Thébaïde de Stace. | X, | 245 |
| — | Tite et Bérénice. | VII, | 183 |
| 1671 | Psyché. | VII, | 277 |
| 1672 | Sur le départ du Roi. | X, | 247 |
| — | Vers présentés au Roi à son retour de la guerre d'Hollande, le 2 août 1672. | X, | 249 |
| — | Les victoires du Roi sur les états de Hollande, en l'année M.DC.LXXII. | X, | 252 |
| — | Pulchérie. | VII, | 371 |
| 1673 | Au Lecteur (de Pulchérie.—L'Achevé d'imprimer est du 20 janvier 1673). | VII, | 376 |
| — | Sur la prise de Mastric. Sonnet. | X, | 285 |
| 1674 | Au Roi, sur sa libéralité envers les marchands de la ville de Paris. | X, | 287 |
| — | Suréna. | VII, | 455 |
| 1676 | Au Roi, sur son départ pour l'armée en 1676. | X, | 299 |
| — | Vers présentés au Roi, sur sa campagne de 1676. | X, | 304 |
| — | Placet au Roi. | X, | 308 |
| — | Au Roi, sur Cinna, Pompée, Horace, Sertorius, Œdipe, Rodogune, qu'il a fait représenter de suite devant lui à Versailles, en octobre 1676. | X, | 309 |
| — | Version de l'ode a M. Pellisson. | X, | 315 |
| 1677 | Sur les victoires du Roi, en l'année 1677. | X, | 322 |
| 1678 | Au Roi, sur la paix de 1678. | X, | 326 |
| — | Lettre à Colbert. | X, | 501 |
| 1679 | Inscription pour l'arsenal de Brest. Traduction. | X, | 331 |
| 1680 | A Monseigneur, sur son mariage. | X, | 334 |
Œuvres
DE
P. CORNEILLE.
AVERTISSEMENTS
PLACÉS PAR CORNEILLE EN TÊTE DES DIVERS RECUEILS DE SES PIÈCES.
I
AU LECTEUR[197].
C'est contre mon inclination que mes libraires vous font ce présent, et j'aurois été plus aise de la suppression entière de la plus grande partie de ces poëmes, que d'en voir renouveler la mémoire par ce recueil. Ce n'est pas qu'ils n'ayent tous eu des succès assez heureux pour ne me repentir point[198] de les avoir faits; mais il y a une si notable différence d'eux à ceux qui les ont suivis, que je ne puis voir cette inégalité sans quelque sorte de confusion. Et certes, ceux-ci, si je n'eusse j'aurois laissé périr entièrement reconnu que le bruit qu'ont fait les derniers obligeoit déjà quelques curieux à la recherche des autres, et pourroit être cause qu'un imprimeur, faisant sans mon aveu ce que je ne voulois pas consentir, ajouteroit mille fautes aux miennes. J'ai donc cru qu'il valoit mieux, et pour votre contentement et pour ma réputation, y jeter un coup d'œil, non pas pour les corriger exactement (il eût été besoin de les refaire presque entiers), mais du moins pour en ôter ce qu'il y a[199] de plus insupportable. Je vous les donne dans l'ordre que je les ai composés, et vous avouerai franchement que pour les vers, outre la foiblesse d'un homme qui commençoit à en faire, il est malaisé qu'ils ne sentent la province où je suis né. Comme Dieu m'a fait naître mauvais courtisan, j'ai trouvé dans la cour plus de louanges que de bienfaits, et plus d'estime que d'établissement. Ainsi étant demeuré provincial, ce n'est pas merveille si mon élocution en conserve quelquefois le caractère. Pour la conduite, je me dédirois de peu de chose si j'avois à les refaire. Je ne m'étendrai point à vous spécifier quelles règles j'y ai observées: ceux qui s'y connoissent s'en apercevront aisément, et de pareils discours ne font qu'importuner les savants, embarrasser les foibles, et étourdir les ignorants.
II
AU LECTEUR[200].
Voici une seconde partie de pièces de théâtre un peu plus supportables que celles de la première. Elles sont toutes assez régulières, avec cette différence toutefois, que les règles sont observées avec plus de sévérité dans les unes que dans les autres; car il y en a qu'on peut élargir et resserrer, selon que les incidents du poëme le peuvent souffrir. Telle est celle de l'unité de jour, ou des vingt et quatre heures. Je crois que nous devons toujours faire notre possible en sa faveur, jusqu'à forcer un peu les événements que nous traitons, pour les y accommoder; mais si je n'en pouvois venir à bout, je la négligerois même sans scrupule, et ne voudrois pas perdre un beau sujet pour ne l'y pouvoir réduire. Telle est encore celle de l'unité du lieu, qu'on doit arrêter, s'il se peut, dans la salle d'un palais, ou dans quelque espace qui ne soit pas de beaucoup plus grand que le théâtre, mais qu'on peut étendre jusqu'à toute une ville, et se servir même, s'il en est besoin, d'un peu des environs. Je dirois la même chose de la liaison des scènes, si j'osois la nommer une règle; mais comme je n'en vois rien dans Aristote; que notre Horace n'en dit que ce petit mot: Neu quid hiet[201], dont la signification peut être douteuse; que les anciens ne l'ont pas toujours observée, quoiqu'il leur fût assez aisé, ne mettant qu'une scène ou deux à chaque acte; que le miracle de l'Italie, le Pastor Fido[202], l'a entièrement négligée: j'aime mieux l'appeler un embellissement qu'une règle; mais un embellissement qui fait grand effet, comme il est aisé de le remarquer par les exemples du Cid et de l'Horace. Sabine ne contribue non plus aux incidents de la tragédie dans ce dernier que l'Infante dans l'autre, étant toutes deux des personnages épisodiques qui s'émeuvent de tout ce qui arrive selon la passion qu'elles en ressentent, mais qu'on pourroit retrancher sans rien ôter de l'action principale. Néanmoins l'une a été condamnée presque de tout le monde comme inutile, et de l'autre personne n'en a murmuré, cette inégalité ne provenant que de la liaison des scènes qui attache Sabine au reste des personnages et qui n'étant pas observée dans le Cid, y laisse l'Infante tenir sa cour à part.
Au reste, comme les tragédies de cette seconde partie sont prises de l'histoire, j'ai cru qu'il ne seroit pas hors de propos de vous donner au devant de chacune le texte ou l'abrégé des auteurs dont je les ai tirées, afin qu'on puisse voir par là ce que j'y ai ajouté du mien et jusques où je me suis persuadé que peut aller la licence poétique en traitant des sujets véritables.
III
AU LECTEUR[203].
Ces quatre Volumes contiennent trente deux Pieces de Théatre. Ils ſont réglez à huit chacun[204]. Vous pourrez trouver quelque choſe d'étrange aux innovations en l'orthographe que j'ay hazardées icy, et je veux bien vous en rendre raiſon. L'uſage de noſtre Langue eſt à preſent ſi épandu par toute l'Europe, principalement vers le Nord, qu'on y voit peu d'Eſtats où elle ne ſoit connuë; c'eſt ce qui m'a fait croire qu'il ne ſeroit pas mal à propos d'en faciliter la prononciation aux Eſtrangers, qui s'y trouvent ſouvent embarraſſez par les divers ſons qu'elle donne quelquefois aux meſmes lettres. Les Hollandois m'ont frayé le chemin, et donné ouverture à y mettre diſtinction par de différents Caractéres, que juſqu'icy nos Imprimeurs ont employé indifféremment. Ils ont ſeparé les i et les u consones d'avec les i et les u voyelles, en ſe ſervant touſiours de l'j et de l'v, pour les premiéres, et laiſſant l'i et l'u pour les autres, qui juſqu'à ces derniers temps avoient eſté confondus[205]. Ainſi la prononciation de ces deux lettres ne peut eſtre douteuſe, dans les impreſſions où l'on garde le meſme ordre, comme en celle-cy. Leur exemple m'a enhardy à paſſer plus avant. J'ay veu quatre prononciations differentes dans nos ſ, et trois dans nos e, et j'ay cherché les moyens d'en oſter toutes ambiguitez, ou par des caractéres differens, ou par des régles generales, avec quelques exceptions. Je ne ſçay ſi j'y auray reüſſi, mais ſi cette ébauche ne déplaiſt pas, elle pourra donner jour à faire un travail plus achevé ſur cette matiere, et peut-eſtre que ce ne ſera pas rendre un petit ſervice à noſtre Langue et au Public.
Nous prononçons l'ſ de quatre diverſes manieres: tantoſt nous l'aſpirons, comme en ces mots, peſte, chaſte; tantoſt elle allonge la ſyllabe, comme en ceux-cy, paſte, teſte; tantoſt elle ne fait aucun ſon, comme à esbloüir, esbranler, il eſtoit; et tantoſt elle ſe prononce comme un z, comme à preſider, preſumer. Nous n'avons que deux differens caracteres, ſ, et s, pour ces quatre differentes prononciations; il faut donc eſtablir quelques maximes générales pour faire les diſtinctions entieres. Cette lettre ſe rencontre au commencement des mots, ou au milieu, ou à la fin. Au commencement elle aſpire toûjours: ſoy, ſien, ſauver, ſuborner; à la fin, elle n'a presque point de ſon, et ne fait qu'allonger tant ſoit peu la ſyllabe, quand le mot qui ſuit ſe commence par une conſone; et quand il commence par une voyelle, elle ſe détache de celuy qu'elle finit pour ſe joindre avec elle, et ſe prononce toûjours comme un z, ſoit qu'elle ſoit précedée par une conſone, ou par une voyelle.
Dans le milieu du mot, elle eſt, ou entre deux voyelles, ou aprés une conſone, ou avant une conſone. Entre deux voyelles elle paſſe touſiours pour z, et aprés une conſone elle aspire touſiours, et cette difference ſe remarque entre les verbes compoſez qui viennent de la meſme racine. On prononce prezumer, reziſter, mais on ne prononce pas conzumer, ny perziſter. Ces régles n'ont aucune exception, et j'ay abandonné en ces rencontres le choix des caracteres à l'Imprimeur, pour ſe ſervir du grand ou du petit, ſelon qu'ils ſe ſont le mieux accommodez avec les lettres qui les joignent. Mais je n'en ay pas fait de meſme, quand l'ſ eſt avant une conſone dans le milieu du mot, et je n'ay pû ſouffrir que ces trois mots, reſte, tempeſte, vous eſtes, fuſſent eſcrits l'un comme l'autre, ayant des prononciations ſi differentes. J'ay reſervé la petite s pour celle où la ſyllabe eſt aſpirée, la grande pour celle où elle eſt ſimplement allongée, et l'ay ſupprimée entierement au troiſiéme mot où elle ne fait point de ſon, la marquant ſeulement par un accent ſur la lettre qui la précede. J'ay donc fait ortographer ainſi les mots ſuivants et leurs ſemblables, peste, funeste, chaste, reſiste, espoir; tempeſte, haſte, teſte; vous étes, il étoit, ébloüir, écouter, épargner, arréter. Ce dernier verbe ne laiſſe pas d'avoir quelques temps dans ſa conjugaiſon, où il faut luy rendre l'ſ, parce qu'elle allonge la ſyllabe; comme à l'imperatif arreſte, qui rime bien avec teſte; mais à l'infinitif et en quelques autres où elle ne fait pas cet effet, il eſt bon de la ſupprimer et eſcrire, j'arrétois, j'ay arrété, j'arréteray, nous arrétons, etc.[206].
Quant à l'e, nous en avons de trois ſortes. L'e feminin, qui ſe rencontre touſiours, ou ſeul, ou en diphtongue, dans toutes les derniéres ſyllabes de nos mots qui ont la terminaiſon féminine, et qui fait ſi peu de ſon, que cette syllabe n'eſt jamais contée[207] à rien à la fin de nos vers féminins, qui en ont touſiours une plus que les autres. L'e masculin, qui ſe prononce comme dans la langue Latine, et un troiſiéme e qui ne va jamais ſans l's, qui luy donne un ſon eſlevé qui ſe prononce à bouche ouverte, en ces mots: ſucces, acces, expres. Or comme ce ſeroit une grande confuſion, que ces trois e, en ces trois mots, aſpres, verite, et apres, qui ont une prononciation ſi differente, euſſent un caractére pareil, il eſt aisé d'y remédier, par ces trois ſortes d'e que nous donne l'Imprimerie, e, é, è, qu'on peut nommer l'e simple, l'e aigu, et l'e grave. Le premier ſervira pour nos terminaiſons feminines, le ſecond pour les Latines, et le troiſiéme pour les eſlevées, et nous eſcrirons ainſi ces trois mots et leurs pareils, aſpres, verité, après, ce que nous eſtendrons à ſuccès, excès, procès, qu'on avoit juſqu'icy eſcrits avec l'e aigu, comme les terminaiſons Latines, quoy que le ſon en ſoit fort différent. Il eſt vray que les Imprimeurs y avoient mis quelque différence, en ce que cette terminaiſon n'eſtant jamais ſans ſ, quand il s'en rencontroit une après un é Latin, ils la changeoient en z, et ne la faiſoient préceder que par un e simple. Ils impriment veritez, Deïtez, dignitez, et non pas verités, Deïtés, dignités; et j'ay conſervé cette Ortographe: mais pour éviter toute ſorte de confuſion entre le ſon des mots qui ont l'e Latin ſans ſ, comme verité, et ceux qui ont la prononciation élevée, comme succès, j'ay cru à propos de nous ſervir de différents caractéres, puiſque nous en avons, et donner l'è grave à ceux de cette derniere eſpece. Nos deux articles pluriels, les et des, ont le meſme ſon, quoy qu'écrits avec l'e ſimple: il eſt ſi mal-aiſé de les prononcer autrement, que je n'ay pas crû qu'il fuſt beſoin d'y rien changer. Je dy la meſme choſe de l'e devant deux ll, qui prend le ſon auſſi eſlevé en ces mots, belle, fidelle, rebelle, etc., qu'en ceux-cy, ſuccès, excès; mais comme cela arrive toûjours quand il ſe rencontre avant ces deux ll, il ſuffit d'en faire cette remarque ſans changement de caractére. Le meſme arrive devant la simple l, à la fin du mot, mortel, appel, criminel, et non pas au milieu, comme en ces mots, celer, chanceler, où l'e avant cette l garde le ſon de l'e feminin.
Il eſt bon auſſi de remarquer qu'on ne ſe ſert d'ordinaire de l'é aigu, qu'à la fin du mot, ou quand on ſupprime l'ſ qui le ſuit; comme à établir, étonner: cependant il ſe rencontre ſouvent au milieu des mots avec le meſme ſon, bien qu'on ne l'écrive qu'avec un e ſimple; comme en ce mot ſeverité, qu'il faudroit eſcrire ſévérité, pour le faire prononcer exactement, et je l'ay fait obſerver dans cette impreſſion[208], bien que je n'aye pas gardé le meſme ordre dans celle qui s'eſt faite in folio[209].
La double ll dont je viens de parler à l'occaſion de l'e, a auſſi deux prononciations en noſtre Langue, l'une ſeche et ſimple, qui ſuit l'Ortographe, l'autre molle, qui ſemble y joindre une h. Nous n'avons point de différents caractéres à les diſtinguer; mais on en peut donner cette régle infaillible. Toutes les fois qu'il n'y a point d'i avant les deux ll, la prononciation ne prend point cette molleſſe. En voicy des exemples dans les quatre autres voyelles: baller, rebeller, coller, annuller. Toutes les fois qu'il y a un i avant les deux ll, ſoit ſeul, ſoit en diphtongue, la prononciation y adjouſte une h. On eſcrit bailler, éveiller, briller, chatoüiller, cueillir, et on prononce baillher, éveillher, brillher, chatouillher, cueillhir. Il faut excepter de cette Régle tous les mots qui viennent du Latin, et qui ont deux ll dans cette Langue, comme ville, mille, tranquille, imbecille, diſtille, illuſtre, illegitime, illicite, etc. Je dis qui ont deux ll en Latin, parce que les mots de fille et famille en viennent, et ſe prononcent avec cette molleſſe des autres qui ont l'i devant les deux ll, et n'en viennent pas; mais ce qui fait cette différence, c'eſt qu'ils ne tiennent pas les deux ll des mots Latins, filia et familia, qui n'en ont qu'une, mais purement de noſtre Langue. Cette régle et cette exception ſont générales et aſſeurées. Quelques Modernes, pour oſter toute l'ambiguité de cette prononciation, ont eſcrit les mots qui ſe prononcent ſans la molleſſe de l'h, avec une l ſimple, en cette maniere, tranquile, imbecile, diſtile, et cette Ortographe pourroit s'accommoder dans les trois voyelles a, o, u, pour eſcrire ſimplement baler, affoler, annuler, mais elle ne s'accommoderoit point du tout avec l'e, et on auroit de la peine à prononcer fidelle et belle, ſi on eſcrivoit fidele et bele; l'i meſme ſur lequel ils ont pris ce droit, ne le pourroit pas ſouffrir touſiours, et particulierement en ces mots ville, mille, dont le premier, ſi on le reduiſoit à une l ſimple, ſe confondroit avec vile, qui a une ſignification toute autre.
Il y auroit encor quantité de remarques à faire ſur les différentes manieres que nous avons de prononcer quelques lettres en noſtre Langue: mais je n'entreprens pas de faire un Traité entier de l'Ortographe et de la prononciation, et me contente de vous avoir donné ce mot d'avis touchant ce que j'ay innové icy; comme les Imprimeurs ont eu de la peine à s'y accouſtumer, ils n'auront pas ſuivy ce nouvel ordre ſi ponctüellement, qu'il ne s'y ſoit coulé bien des fautes, vous me ferez la grace d'y ſuppléer.
DISCOURS
DE L'UTILITÉ ET DES PARTIES
DU POËME DRAMATIQUE[210].
Bien que, selon Aristote, le seul but de la poésie dramatique soit de plaire aux spectateurs, et que la plupart de ces poëmes leur ayent plu, je veux bien avouer toutefois que beaucoup d'entr'eux n'ont pas atteint le but de l'art. Il ne faut pas prétendre, dit ce philosophe, que ce genre de poésie nous donne toute sorte de plaisir, mais seulement celui qui lui est propre[211]; et pour trouver ce plaisir qui lui est propre, et le donner aux spectateurs, il faut suivre les préceptes de l'art, et leur plaire selon ses règles. Il est constant qu'il y a des préceptes, puisqu'il y a un art; mais il n'est pas constant quels ils sont. On convient du nom sans convenir de la chose, et on s'accorde sur les paroles pour contester sur leur signification. Il faut observer l'unité d'action, de lieu, et de jour, personne n'en doute; mais ce n'est pas une petite difficulté de savoir ce que c'est que cette unité d'action, et jusques où peut s'étendre cette unité de jour et de lieu. Il faut que le poëte traite son sujet selon le vraisemblable et le nécessaire[212]; Aristote le dit, et tous ses interprètes répètent les mêmes mots, qui leur semblent si clairs[213] et si intelligibles, qu'aucun d'eux n'a daigné nous dire, non plus que lui, ce que c'est que ce vraisemblable et ce nécessaire. Beaucoup même ont si peu considéré ce dernier[214], qui accompagne toujours l'autre chez ce philosophe, hormis une seule fois, où il parle de la comédie[215], qu'on en est venu jusqu'à établir une maxime très-fausse, qu'il faut que le sujet d'une tragédie soit vraisemblable; appliquant ainsi[216] aux conditions du sujet la moitié de ce qu'il a dit de la manière de le traiter. Ce n'est pas qu'on ne puisse faire une tragédie d'un sujet purement vraisemblable: il en donne pour exemple la Fleur[217] d'Agathon, où les noms et les choses étoient de pure invention, aussi bien qu'en la comédie; mais les grands sujets qui remuent fortement les passions, et en opposent l'impétuosité aux lois du devoir ou aux tendresses du sang, doivent toujours aller au delà du vraisemblable, et ne trouveroient aucune croyance parmi les auditeurs, s'ils n'étoient soutenus, ou par l'autorité de l'histoire qui persuade avec empire, ou par la préoccupation de l'opinion commune qui nous donne ces mêmes auditeurs déjà tous persuadés. Il n'est pas vraisemblable que Médée tue ses enfants, que Clytemnestre assassine son mari, qu'Oreste poignarde sa mère; mais l'histoire le dit, et la représentation de ces grands crimes ne trouve point d'incrédules. Il n'est ni vrai ni vraisemblable qu'Andromède, exposée à un monstre marin, aye été garantie de ce péril par un cavalier volant, qui avoit des ailes aux pieds; mais c'est une fiction[218] que l'antiquité a reçue; et comme elle l'a transmise jusqu'à nous, personne ne s'en offense quand on[219] la voit sur le théâtre. Il ne seroit pas permis toutefois d'inventer sur ces exemples. Ce que la vérité ou l'opinion fait accepter seroit rejeté, s'il n'avoit point d'autre fondement qu'une ressemblance à cette vérité ou à cette opinion. C'est pourquoi notre docteur dit que les sujets viennent de la fortune, qui fait arriver les choses, et non de l'art, qui les imagine[220]. Elle est maîtresse des événements, et le choix qu'elle nous donne de ceux qu'elle nous présente enveloppe une secrète défense d'entreprendre sur elle, et d'en produire sur la scène qui ne soient pas de sa façon. Aussi les anciennes tragédies se sont arrêtées autour de peu de familles, parce qu'il étoit arrivé à peu de familles des choses dignes de la tragédie[221]. Les siècles suivants nous en ont assez fourni pour franchir ces bornes, et ne marcher plus sur les pas des Grecs; mais je ne pense pas qu'ils nous ayent donné la liberté de nous écarter de leurs règles. Il faut, s'il se peut, nous accommoder avec elles, et les amener jusqu'à nous[222]. Le retranchement que nous avons fait des chœurs nous oblige à remplir nos poëmes de plus d'épisodes qu'ils ne faisoient; c'est quelque chose de plus, mais qui ne doit pas aller au delà de leurs maximes, bien qu'il aille au delà de leur pratique.
Il faut donc savoir quelles sont ces règles; mais notre malheur est qu'Aristote et Horace après lui en ont écrit assez obscurément pour avoir besoin d'interprètes, et que ceux qui leur en ont voulu servir jusques ici ne les ont souvent expliqués qu'en grammairiens ou en philosophes. Comme ils avoient plus d'étude et de spéculation que d'expérience du théâtre, leur lecture nous peut rendre plus doctes, mais non pas nous donner beaucoup de lumières fort sûres pour y réussir.
Je hasarderai quelque chose sur cinquante ans[223] de travail pour la scène, et en dirai mes pensées tout simplement, sans esprit de contestation qui m'engage à les soutenir, et sans prétendre que personne renonce en ma faveur à celles qu'il en aura conçues.
Ainsi ce que j'ai avancé dès l'entrée de ce discours, que la poésie dramatique a pour but le seul plaisir des spectateurs, n'est pas pour l'emporter opiniâtrément sur ceux qui pensent ennoblir l'art, en lui donnant pour objet de profiter aussi bien que de plaire. Cette dispute même seroit très-inutile, puisqu'il est impossible de plaire selon les règles, qu'il ne s'y rencontre beaucoup d'utilité. Il est vrai qu'Aristote, dans tout son Traité de la Poétique, n'a jamais employé ce mot une seule fois; qu'il attribue l'origine de la poésie au plaisir que nous prenons à voir imiter les actions des hommes[224]; qu'il préfère la partie du poëme qui regarde le sujet à celle qui regarde les mœurs, parce que cette première contient ce qui agrée le plus, comme les agnitions et les péripéties[225]; qu'il fait entrer dans la définition de la tragédie l'agrément du discours dont elle est composée[226]; et qu'il l'estime enfin plus que le poëme épique, en ce qu'elle a de plus[227] la décoration extérieure et la musique, qui délectent puissamment, et qu'étant plus courte et moins diffuse, le plaisir qu'on y prend est plus parfait[228]; mais il n'est pas moins vrai qu'Horace nous apprend que nous ne saurions plaire à tout le monde, si nous n'y mêlons l'utile, et que les gens graves et sérieux, les vieillards, les amateurs de la vertu, s'y ennuieront, s'ils n'y trouvent rien à profiter:
Centuriæ seniorum agitant expertia frugis[229].
Ainsi, quoique l'utile n'y entre que sous la forme du délectable, il ne laisse pas d'y être nécessaire, et il vaut mieux examiner de quelle façon il y peut trouver sa place, que d'agiter, comme je l'ai déjà dit, une question inutile touchant l'utilité de cette sorte de poëmes. J'estime donc qu'il s'y en peut rencontrer de quatre sortes.
La première consiste aux sentences et instructions morales qu'on y peut semer presque partout; mais il en faut user sobrement, les mettre rarement en discours généraux, ou ne les pousser guère loin, surtout quand on fait parler un homme passionné, ou qu'on lui fait répondre par un autre; car il ne doit avoir non plus de patience pour les entendre, que de quiétude d'esprit pour les concevoir et les dire. Dans les délibérations d'État, où un homme d'importance consulté par un roi s'explique de sens rassis, ces sortes de discours trouvent lieu de plus d'étendue; mais enfin il est toujours bon de les réduire souvent de la thèse à l'hypothèse; et j'aime mieux faire dire à un acteur, l'amour vous donne beaucoup d'inquiétudes, que, l'amour donne beaucoup d'inquiétudes aux esprits qu'il possède.
Ce n'est pas que je voulusse entièrement bannir cette dernière façon de s'énoncer sur les maximes de la morale et de la politique. Tous mes poëmes demeureroient bien estropiés, si on en retranchoit ce que j'y en ai mêlé; mais encore un coup, il ne les faut pas pousser loin sans les appliquer au particulier; autrement c'est un lieu commun, qui ne manque jamais d'ennuyer l'auditeur, parce qu'il fait languir l'action; et quelque heureusement que réussisse cet étalage de moralités, il faut toujours craindre[230] que ce ne soit un de ces ornements ambitieux qu'Horace nous ordonne de retrancher[231].
J'avouerai toutefois que les discours généraux ont souvent grâce, quand celui qui les prononce et celui qui les écoute ont tous deux l'esprit assez tranquille pour se donner raisonnablement cette patience. Dans le quatrième acte de Mélite, la joie qu'elle a d'être aimée de Tircis lui fait souffrir sans chagrin la remontrance de sa nourrice, qui de son côté satisfait à cette démangeaison qu'Horace attribue aux vieilles gens, de faire des leçons aux jeunes[232]; mais si elle savoit que Tircis la crût infidèle, et qu'il en fût au désespoir, comme elle l'apprend ensuite, elle n'en souffriroit pas quatre vers. Quelquefois même ces discours sont nécessaires pour appuyer des sentiments dont le raisonnement ne se peut fonder sur aucune des actions particulières de ceux dont on parle. Rodogune, au premier acte, ne sauroit justifier la défiance qu'elle a de Cléopatre, que par le peu de sincérité qu'il y a d'ordinaire dans la réconciliation[233] des grands après une offense signalée, parce que, depuis le traité de paix, cette reine n'a rien fait qui la doive rendre suspecte de cette haine qu'elle lui conserve dans le cœur. L'assurance que prend Mélisse, au quatrième de la Suite du Menteur, sur les premières protestations d'amour que lui fait Dorante, qu'elle n'a vu qu'une seule fois, ne se peut autoriser que sur la facilité et la promptitude que deux amants nés l'un pour l'autre ont à donner croyance à ce qu'ils s'entre-disent; et les douze vers qui expriment cette moralité en termes généraux ont tellement plu, que beaucoup de gens d'esprit n'ont pas dédaigné d'en charger leur mémoire[234]. Vous en trouverez ici quelques autres de cette nature. La seule règle qu'on y peut établir, c'est qu'il les faut placer judicieusement, et surtout les mettre en la bouche de gens qui ayent l'esprit sans embarras, et qui ne soient point emportés par la chaleur de l'action.
La seconde utilité du poëme dramatique se rencontre en la naïve peinture des vices et des vertus, qui ne manque jamais à faire son effet, quand elle est bien achevée, et que les traits en sont si reconnoissables qu'on ne les peut confondre l'un dans l'autre, ni prendre le vice pour vertu. Celle-ci se fait alors toujours aimer, quoique malheureuse; et celui-là se fait toujours haïr, bien que triomphant. Les anciens se sont fort souvent contentés de cette peinture, sans se mettre en peine de faire récompenser les bonnes actions, et punir les mauvaises. Clytemnestre et son adultère tuent Agamemnon impunément; Médée en fait autant de ses enfants, et Atrée de ceux de son frère Thyeste, qu'il lui fait manger. Il est vrai qu'à bien considérer ces actions qu'ils choisissoient pour la catastrophe de leurs tragédies, c'étoient des criminels qu'ils faisoient punir, mais par des crimes plus grands que les leurs. Thyeste avoit abusé de la femme de son frère; mais la vengeance qu'il en prend a quelque chose de plus affreux que ce premier crime. Jason étoit un perfide d'abandonner Médée, à qui il devoit tout; mais massacrer ses enfants à ses yeux est quelque chose de plus. Clytemnestre se plaignoit des concubines qu'Agamemnon ramenoit de Troie; mais il n'avoit point attenté sur sa vie, comme elle fait sur la sienne; et ces maîtres de l'art ont trouvé le crime de son fils Oreste, qui la tue pour venger son père, encore plus grand que le sien, puisqu'ils lui ont donné des Furies vengeresses pour le tourmenter, et n'en ont point donné à sa mère, qu'ils font jouir paisiblement avec son Égisthe du royaume d'un mari qu'elle avoit assassiné.
Notre théâtre souffre difficilement de pareils sujets: le Thyeste de Sénèque[235] n'y a pas été fort heureux; sa Médée y a trouvé plus de faveur; mais aussi, à le bien prendre, la perfidie de Jason et la violence du roi de Corinthe la font paroître si injustement opprimée, que l'auditeur entre aisément dans ses intérêts, et regarde sa vengeance comme une justice qu'elle se fait elle-même de ceux qui l'oppriment.
C'est cet intérêt qu'on aime à prendre pour les vertueux qui a obligé d'en venir à cette autre manière de finir le poëme dramatique par la punition des mauvaises actions et la récompense des bonnes, qui n'est pas un précepte de l'art, mais un usage que nous avons embrassé, dont chacun peut se départir à ses périls. Il étoit dès le temps d'Aristote, et peut-être qu'il ne plaisoit pas trop à ce philosophe, puisqu'il dit qu'il n'a eu vogue que par l'imbécillité du jugement des spectateurs, et que ceux qui le pratiquent s'accommodent au goût du peuple, et écrivent selon les souhaits de leur auditoire[236]. En effet, il est certain que nous ne saurions voir un honnête homme sur notre théâtre sans lui souhaiter de la prospérité, et nous fâcher de ses infortunes. Cela fait que quand il en demeure accablé, nous sortons avec chagrin, et remportons une espèce d'indignation contre l'auteur et les acteurs; mais quand l'événement remplit nos souhaits, et que la vertu y est couronnée, nous sortons avec pleine joie, et remportons une entière satisfaction et de l'ouvrage, et de ceux qui l'ont représenté. Le succès heureux de la vertu, en dépit des traverses et des périls, nous excite à l'embrasser; et le succès funeste du crime ou de l'injustice est capable de nous en augmenter l'horreur naturelle, par l'appréhension d'un pareil malheur.
C'est en cela que consiste la troisième utilité du théâtre, comme la quatrième en la purgation des passions par le moyen de la pitié et de la crainte[237]. Mais comme cette utilité est particulière à la tragédie, je m'expliquerai sur cet article au second volume, où je traiterai de la tragédie en particulier[238], et passe à l'examen des parties qu'Aristote attribue au poëme dramatique. Je dis au poëme dramatique en général, bien qu'en traitant cette matière il ne parle que de la tragédie; parce que tout ce qu'il en dit convient aussi à la comédie, et que la différence de ces deux espèces de poëmes ne consiste qu'en la dignité des personnages, et des actions qu'ils imitent, et non pas en la façon de les imiter, ni aux choses qui servent à cette imitation.
Le poëme est composé de deux sortes de parties. Les unes sont appelées parties de quantité, ou d'extension; et Aristote en nomme quatre: le prologue, l'épisode, l'exode, et le chœur[239]. Les autres se peuvent nommer des parties intégrantes[240], qui se rencontrent dans chacune de ces premières pour former tout le corps avec elles. Ce philosophe y en trouve six: le sujet, les mœurs, les sentiments, la diction, la musique, et la décoration du théâtre[241]. De ces six, il n'y a que le sujet dont la bonne constitution dépende proprement de l'art poétique; les autres ont besoin d'autres arts subsidiaires: les mœurs, de la morale; les sentiments, de la rhétorique; la diction, de la grammaire; et les deux autres parties ont chacune leur art, dont il n'est pas besoin que le poëte soit instruit, parce qu'il y peut faire suppléer par d'autres que lui[242], ce qui fait qu'Aristote ne les traite pas. Mais comme il faut qu'il exécute lui-même ce qui concerne les quatre premières, la connoissance des arts dont elles dépendent lui est absolument nécessaire, à moins qu'il aye reçu de la nature un sens commun assez fort et assez profond pour suppléer à ce défaut[243].
Les conditions du sujet sont diverses pour la tragédie et pour la comédie. Je ne toucherai à présent qu'à ce qui regarde cette dernière, qu'Aristote définit simplement une imitation de personnes basses et fourbes[244]. Je ne puis m'empêcher de dire que cette définition ne me satisfait point; et puisque beaucoup de savants tiennent que son Traité de la Poétique n'est pas venu tout entier jusques à nous, je veux croire que dans ce que le temps nous en a dérobé il s'en rencontroit une plus achevée.
La poésie dramatique, selon lui, est une imitation des actions, et il s'arrête ici à la condition des personnes, sans dire quelles doivent être ces actions. Quoi qu'il en soit, cette définition avoit du rapport à l'usage de son temps, où l'on ne faisoit parler dans la comédie que des personnes d'une condition très-médiocre; mais elle n'a pas une entière justesse pour le nôtre, où les rois même y peuvent entrer, quand leurs actions ne sont point au-dessus d'elle. Lorsqu'on met sur la scène un simple intrique[245] d'amour entre des rois, et qu'ils ne courent aucun péril, ni de leur vie, ni de leur État, je ne crois pas que, bien que les personnes soient illustres, l'action le soit assez pour s'élever[246] jusqu'à[247] la tragédie. Sa dignité demande quelque grand intérêt d'État, ou quelque passion plus noble et plus mâle que l'amour, telles que sont l'ambition ou la vengeance, et veut donner à craindre des malheurs plus grands que la perte d'une maîtresse. Il est à propos d'y mêler l'amour, parce qu'il a toujours beaucoup d'agrément, et peut servir de fondement à ces intérêts, et à ces autres passions dont je parle; mais il faut qu'il se contente du second rang dans le poëme, et leur laisse le premier.
Cette maxime semblera nouvelle d'abord: elle est toutefois de la pratique des anciens, chez qui nous ne voyons aucune tragédie où il n'y aye qu'un intérêt d'amour à démêler. Au contraire, ils l'en bannissoient souvent; et ceux qui voudront considérer les miennes, reconnoîtront qu'à leur exemple je ne lui ai jamais laissé y prendre le pas devant, et que dans le Cid même, qui est sans contredit la pièce la plus remplie d'amour[248] que j'aye faite, le devoir de la naissance et le soin de l'honneur l'emportent sur toutes les tendresses qu'il inspire aux amants que j'y fais parler.
Je dirai plus. Bien qu'il y aye de grands intérêts d'État dans un poëme, et que le soin qu'une personne royale doit avoir de sa gloire fasse taire sa passion, comme en Don Sanche, s'il ne s'y rencontre point de péril de vie, de pertes d'États, ou de bannissement, je ne pense pas qu'il aye droit de prendre un nom plus relevé que celui de comédie; mais pour répondre aucunement à la dignité des personnes dont celui-là représente les actions, je me suis hasardé d'y ajouter l'épithète d'héroïque, pour le distinguer d'avec les comédies ordinaires. Cela est sans exemple parmi les anciens; mais aussi il est sans exemple parmi eux de mettre des rois sur le théâtre sans quelqu'un de ces grands périls. Nous ne devons pas nous attacher si servilement à leur imitation, que nous n'osions essayer quelque chose de nous-mêmes, quand cela ne renverse point les règles de l'art; ne fût-ce que pour mériter cette louange que donnoit Horace aux poëtes de son temps:
Nec minimum meruere decus, vestigia græca
Ausi deserere[249];
et n'avoir point de part en ce honteux éloge:
O imitatores, servum pecus[250]!
Ce qui nous sert maintenant d'exemple, dit Tacite, a été autrefois sans exemple, et ce que nous faisons sans exemple en pourra servir un jour[251].
La comédie diffère donc en cela de la tragédie, que celle-ci veut pour son sujet une action illustre, extraordinaire, sérieuse: celle-là s'arrête à une action commune et enjouée; celle-ci demande de grands périls pour ses héros: celle-là se contente de l'inquiétude et des déplaisirs de ceux à qui elle donne le premier rang parmi ses acteurs. Toutes les deux ont cela de commun, que celle action doit être complète et achevée; c'est-à-dire que dans l'événement qui la termine, le spectateur doit être si bien instruit des sentiments de tous ceux qui y ont eu quelque part, qu'il sorte l'esprit en repos, et ne soit plus en doute de rien. Cinna conspire contre Auguste, sa conspiration est découverte, Auguste le fait arrêter. Si le poëme en demeuroit là, l'action ne seroit pas complète, parce que l'auditeur sortiroit dans l'incertitude de ce que cet empereur auroit ordonné de cet ingrat favori. Ptolomée craint que César, qui vient en Égypte, ne favorise sa sœur dont il est amoureux, et ne le force à lui rendre sa part du royaume, que son père lui a laissée par testament: pour attirer la faveur de son côté par un grand service, il lui immole Pompée; ce n'est pas assez, il faut voir comment César recevra ce grand sacrifice. Il arrive, il s'en fâche, il menace Ptolomée, il le veut obliger d'immoler les conseillers de cet attentat à cet illustre mort; ce roi, surpris de cette réception si peu attendue, se résout à prévenir César, et conspire contre lui, pour éviter par sa perte le malheur dont il se voit menacé. Ce n'est pas encore assez; il faut savoir ce qui réussira de cette conspiration. César en a l'avis, et Ptolomée, périssant dans un combat avec ses ministres, laisse Cléopatre en paisible possession du royaume dont elle demandoit la moitié, et César hors de péril; l'auditeur n'a plus rien à demander, et sort satisfait, parce que l'action est complète.
Je connois des gens d'esprit, et des plus savants en l'art poétique, qui m'imputent d'avoir négligé d'achever le Cid, et quelques autres de mes poëmes, parce que je n'y conclus pas précisément le mariage des premiers acteurs, et que je ne les envoie point marier au sortir du théâtre. A quoi il est aisé de répondre que le mariage n'est point un achèvement nécessaire pour la tragédie heureuse, ni même pour la comédie. Quant à la première, c'est le péril d'un héros qui la constitue, et lorsqu'il en est sorti, l'action est terminée. Bien qu'il aye de l'amour, il n'est point besoin qu'il parle d'épouser sa maîtresse quand la bienséance ne le permet pas; et il suffit d'en donner l'idée après en avoir levé tous les empêchements, sans lui en faire déterminer le jour. Ce seroit une chose insupportable que Chimène en convînt avec Rodrigue dès le lendemain qu'il a tué son père, et Rodrigue seroit ridicule, s'il faisoit la moindre démonstration de le desirer. Je dis la même chose d'Antiochus. Il ne pourroit dire de douceurs à Rodogune qui ne fussent de mauvaise grâce, dans l'instant que sa mère se vient d'empoisonner à leurs yeux, et meurt dans la rage de n'avoir pu les faire périr avec elle. Pour la comédie, Aristote ne lui impose point d'autre devoir pour conclusion que de rendre amis ceux qui étoient ennemis[252]; ce qu'il faut entendre un peu plus généralement que les termes ne semblent porter, et l'étendre à la réconciliation de toute sorte de mauvaise intelligence; comme quand un fils rentre aux bonnes grâces d'un père qu'on a vu en colère contre lui pour ses débauches, ce qui est une fin assez ordinaire aux anciennes comédies; ou que deux amants, séparés par quelque fourbe qu'on leur a faite, ou par quelque pouvoir dominant, se réunissent par l'éclaircissement de cette fourbe, ou par le consentement de ceux qui y mettoient obstacle; ce qui arrive presque toujours dans les nôtres, qui n'ont que très-rarement une autre fin que des mariages. Nous devons toutefois prendre garde que ce consentement ne vienne pas par un simple changement de volonté, mais par un événement qui en fournisse l'occasion. Autrement il n'y auroit pas grand artifice au dénouement d'une pièce, si, après l'avoir soutenue durant quatre actes sur l'autorité d'un père qui n'approuve point les inclinations amoureuses de son fils ou de sa fille, il y consentoit tout d'un coup au cinquième, par cette seule raison que c'est le cinquième, et que l'auteur n'oseroit en faire six. Il faut un effet considérable qui l'y oblige, comme si l'amant de sa fille lui sauvoit la vie en quelque rencontre où il fût prêt d'être assassiné par ses ennemis, ou que par quelque accident inespéré, il fût reconnu pour être de plus grande condition, et mieux dans la fortune qu'il ne paroissoit.
Comme il est nécessaire que l'action soit complète, il faut aussi n'ajouter rien au delà, parce que quand l'effet est arrivé, l'auditeur ne souhaite plus rien et s'ennuie de tout le reste. Ainsi les sentiments de joie qu'ont deux amants qui se voient réunis après de longues traverses doivent être bien courts; et je ne sais pas quelle grâce a eue chez les Athéniens la contestation de Ménélas et de Teucer pour la sépulture d'Ajax, que Sophocle fait mourir au quatrième acte; mais je sais bien que de notre temps la dispute du même Ajax et d'Ulysse pour les armes d'Achille après sa mort, lassa fort les oreilles, bien qu'elle partît d'une bonne main[253]. Je ne puis déguiser même que j'ai peine encore à comprendre comment on a pu souffrir le cinquième de Mélite et de la Veuve. On n'y voit les premiers acteurs que réunis ensemble, et ils n'y ont plus d'intérêt qu'à savoir les auteurs de la fausseté ou de la violence qui les a séparés. Cependant ils en pouvoient être déjà instruits, si je l'eusse voulu, et semblent n'être plus sur le théâtre que pour servir de témoins au mariage de ceux du second ordre[254]; ce qui fait languir toute cette fin, où ils n'ont point de part. Je n'ose attribuer le bonheur qu'eurent ces deux comédies à l'ignorance des préceptes, qui étoit assez générale en ce temps-là, d'autant que ces mêmes préceptes, bien ou mal observés, doivent faire leur effet, bon ou mauvais, sur ceux même qui, faute de les savoir, s'abandonnent au courant des sentiments naturels; mais je ne puis que je n'avoue du moins que la vieille habitude qu'on avoit alors à ne voir rien de mieux ordonné a été cause qu'on ne s'est pas indigné contre ces défauts, et que la nouveauté d'un genre de comédie très-agréable, et qui jusque-là n'avoit point paru sur la scène, a fait qu'on a voulu trouver belles toutes les parties d'un corps qui plaisoit à la vue, bien qu'il n'eût pas toutes ses proportions dans leur justesse.
La comédie et la tragédie se ressemblent encore en ce que l'action qu'elles choisissent pour imiter doit avoir une juste grandeur[255], c'est-à-dire qu'elle ne doit être, ni si petite qu'elle échappe à la vue comme un atome, ni si vaste qu'elle confonde la mémoire de l'auditeur et égare son imagination[256]. C'est ainsi qu'Aristote explique cette condition du poëme, et ajoute que pour être d'une juste grandeur, elle doit avoir un commencement, un milieu, et une fin[257]. Ces termes sont si généraux, qu'ils semblent ne signifier rien; mais à les bien entendre, ils excluent les actions momentanées qui n'ont point ces trois parties. Telle est peut-être la mort de la sœur d'Horace, qui se fait tout d'un coup sans aucune préparation dans les trois actes qui la précèdent; et je m'assure que si Cinna attendoit au cinquième à conspirer contre Auguste, et qu'il consumât les quatre autres en protestations d'amour à Émilie, ou en jalousies contre Maxime, cette conspiration surprenante feroit bien des révoltes dans les esprits, à qui ces quatre premiers auroient fait attendre toute autre chose.
Il faut donc qu'une action, pour être d'une juste grandeur, aye un commencement, un milieu et une fin. Cinna conspire contre Auguste et rend compte de sa conspiration à Émilie, voilà le commencement; Maxime en fait avertir Auguste, voilà le milieu; Auguste lui pardonne, voilà la fin. Ainsi dans les comédies de ce premier volume, j'ai presque toujours établi deux amants en bonne intelligence; je les ai brouillés ensemble par quelque fourbe, et les ai réunis par l'éclaircissement de cette même fourbe qui les séparoit.
A ce que je viens de dire de la juste grandeur de l'action j'ajoute un mot touchant celle de sa représentation, que nous bornons d'ordinaire à un peu moins de deux heures. Quelques-uns réduisent le nombre des vers qu'on y récite à quinze cents, et veulent que les pièces de théâtre ne puissent aller jusqu'à dix-huit, sans laisser un chagrin capable de faire oublier les plus belles choses. J'ai été plus heureux que leur règle ne me le permet, en ayant pour l'ordinaire donné deux mille aux comédies, et un peu plus de dix-huit cents aux tragédies, sans avoir sujet de me plaindre que mon auditoire ait[258] montré trop de chagrin pour cette longueur.
C'est assez parlé du sujet de la comédie, et des conditions qui lui sont nécessaires. La vraisemblance en est une dont je parlerai en un autre lieu[259]; il y a de plus, que les événements en doivent toujours être heureux, ce qui n'est pas une obligation de la tragédie, où nous avons le choix de faire un changement de bonheur en malheur, ou de malheur en bonheur. Cela n'a pas besoin de commentaire; je viens à la seconde partie du poëme, qui sont les mœurs.
Aristote leur prescrit quatre conditions, qu'elles soient bonnes, convenables, semblables, et égales[260]. Ce sont des termes qu'il a si peu expliqués, qu'il nous laisse grand lieu de douter de ce qu'il veut dire.
Je ne puis comprendre comment on a voulu entendre par ce mot de bonnes, qu'il faut qu'elles soient vertueuses. La plupart des poëmes, tant anciens que modernes, demeureroient en un pitoyable état, si l'on en retranchoit tout ce qui s'y rencontre de personnages méchants, ou vicieux, ou tachés de quelque foiblesse qui s'accorde mal avec la vertu. Horace a pris soin de décrire en général les mœurs de chaque âge[261], et leur attribue plus de défauts que de perfections; et quand il nous prescrit de peindre Médée fière et indomptable, Ixion perfide, Achille emporté de colère, jusqu'à maintenir que les lois ne sont pas faites pour lui, et ne vouloir prendre droit que par les armes[262], il ne nous donne pas de grandes vertus à exprimer. Il faut donc trouver une bonté compatible avec ces sortes de mœurs; et s'il m'est permis de dire mes conjectures sur ce qu'Aristote nous demande par là, je crois que c'est le caractère brillant et élevé d'une habitude vertueuse ou criminelle, selon qu'elle est propre et convenable à la personne qu'on introduit. Cléopatre, dans Rodogune, est très-méchante; il n'y a point de parricide qui lui fasse horreur, pourvu qu'il la puisse conserver sur un trône qu'elle préfère à toutes choses, tant son attachement à la domination est violent; mais tous ses crimes sont accompagnés d'une grandeur d'âme qui a quelque chose de si haut, qu'en même temps qu'on déteste ses actions, on admire la source dont elles partent. J'ose dire la même chose du Menteur. Il est hors de doute que c'est une habitude vicieuse que de mentir; mais il débite ses menteries avec une telle présence d'esprit et tant de vivacité, que cette imperfection a bonne grâce en sa personne, et fait confesser aux spectateurs que le talent de mentir ainsi est un vice dont les sots ne sont point capables. Pour troisième exemple, ceux qui voudront examiner la manière dont Horace décrit la colère d'Achille ne s'éloigneront pas de ma pensée. Elle a pour fondement un passage d'Aristote, qui suit d'assez près celui que je tâche d'expliquer. La poésie, dit-il, est une imitation de gens meilleurs qu'ils n'ont été, et comme les peintres font souvent des portraits flattés, qui sont plus beaux que l'original, et conservent toutefois la ressemblance, ainsi les poëtes, représentant des hommes colères ou fainéants, doivent tirer une haute idée de ces qualités qu'ils leur attribuent, en sorte qu'il s'y trouve un bel exemplaire d'équité ou de dureté; et c'est ainsi qu'Homère a fait Achille bon[263]. Ce dernier mot est à remarquer, voir qu'Homère a donné aux emportements de la colère d'Achille cette bonté nécessaire aux mœurs, que je fais consister en cette élévation de leur caractère, et dont Robortel[264] parle ainsi: Unumquodque genus per se supremos quosdam habet decoris gradus, et absolutissimam recipit formam, non tamen degenerans a sua natura et effigie pristina[265].
Ce texte d'Aristote que je viens de citer peut faire de la peine, en ce qu'il porte que les mœurs des hommes colères ou fainéants doivent être peintes dans un tel degré d'excellence, qu'il s'y rencontre un haut exemplaire d'équité ou de dureté. Il y a du rapport de la dureté à la colère; et c'est ce qu'attribue Horace à celle d'Achille en ce vers:
. . . . Iracundus, inexorabilis, acer[266].
Mais il n'y en a point de l'équité à la fainéantise, et je ne puis voir quelle part elle peut avoir en son caractère. C'est ce qui me fait douter si le mot grec ῥαιθυμους a été rendu dans le sens d'Aristote par les interprètes latins que j'ai suivis. Pacius[267] le tourne desides; Victorius[268], inertes; Heinsius[269], segnes; et le mot de fainéants, dont je me suis servi pour le mettre en notre langue, répond assez à ces trois versions; mais Castelvetro[270] rend en la sienne par celui de mansueti, «débonnaires ou pleins de mansuétude;» et non-seulement ce mot a une opposition plus juste à celui de colères, mais aussi il s'accorderoit mieux avec cette habitude qu'Aristote appelle επιεικειαν, dont il nous demande un bel exemplaire. Ces trois interprètes traduisent ce mot grec par celui d'équité ou de probité, qui répondroit mieux au mansueti de l'Italien[271] qu'à leurs segnes, desides, inertes, pourvu qu'on n'entendît par là qu'une bonté naturelle, qui ne se fâche que malaisément: mais j'aimerois mieux encore celui de piacevolezza[272], dont l'autre se sert pour l'exprimer en sa langue; et je crois que pour lui laisser sa force en la nôtre, on le pourroit tourner par celui de condescendance, ou facilité équitable d'approuver, excuser, et supporter tout ce qui arrive. Ce n'est pas que je me veuille faire juge entre de si grands hommes; mais je ne puis dissimuler que la version italienne de ce passage me semble avoir quelque chose de plus juste que ces trois latines. Dans cette diversité d'interprétations, chacun est en liberté de choisir, puisque même on a droit de les rejeter toutes, quand il s'en présente une nouvelle qui plaît davantage, et que les opinions des plus savants ne sont pas des lois pour nous.
Il me vient encore une autre conjecture, touchant ce qu'entend Aristote par cette bonté de mœurs qu'il leur impose pour première condition. C'est qu'elles doivent être vertueuses tant qu'il se peut, en sorte que nous n'exposions point de vicieux ou de criminels sur le théâtre, si le sujet que nous traitons n'en a besoin. Il donne lieu lui-même à cette pensée, lorsque voulant marquer un exemple d'une faute contre cette règle, il se sert de celui de Ménélas dans l'Oreste d'Euripide, dont le défaut ne consiste pas en ce qu'il est injuste, mais en ce qu'il l'est sans nécessité[273].
Je trouve dans Castelvetro une troisième explication qui pourroit ne déplaire pas, qui est que cette bonté de mœurs ne regarde que le premier personnage, qui doit toujours se faire aimer, et par conséquent être vertueux, et non pas ceux qui le persécutent, ou le font périr; mais comme c'est restreindre274] à un seul ce qu'Aristote dit en général, j'aimerois mieux m'arrêter, pour l'intelligence de cette première condition, à cette élévation ou perfection de caractère dont j'ai parlé, qui peut convenir à tous ceux qui paroissent sur la scène; et je ne pourrois suivre cette dernière interprétation sans condamner le Menteur, dont l'habitude est vicieuse, bien qu'il tienne le premier rang dans la comédie qui porte ce titre.
En second lieu, les mœurs doivent être convenables. Cette condition est plus aisée à entendre que la première. Le poëte doit considérer l'âge, la dignité, la naissance, l'emploi et le pays de ceux qu'il introduit: il faut qu'il sache ce qu'on doit à sa patrie, à ses parents, à ses amis, à son roi; quel est l'office d'un magistrat, ou d'un général d'armée[275], afin qu'il puisse y conformer ceux qu'il veut faire aimer aux spectateurs, et en éloigner ceux qu'il leur veut faire haïr; car c'est une maxime infaillible que, pour bien réussir, il faut intéresser l'auditoire pour les premiers acteurs. Il est bon de remarquer encore que ce qu'Horace dit des mœurs de chaque âge n'est pas une règle dont on ne se puisse dispenser sans scrupule. Il fait les jeunes gens prodigues et les vieillards avares: le contraire arrive tous les jours sans merveille; mais il ne faut pas que l'un agisse à la manière de l'autre, bien qu'il aye quelquefois des habitudes et des passions qui conviendroient mieux à l'autre. C'est le propre d'un jeune homme d'être amoureux, et non pas d'un vieillard; cela n'empêche pas qu'un vieillard ne le devienne: les exemples en sont assez souvent devant nos yeux; mais il passeroit pour fou s'il vouloit faire l'amour en jeune homme, et s'il prétendoit se faire aimer par les bonnes qualités de sa personne. Il peut espérer qu'on l'écoutera, mais cette espérance doit être fondée sur son bien, ou sur sa qualité, et non pas sur ses mérites; et ses prétentions ne peuvent être raisonnables, s'il ne croit avoir affaire à une âme assez intéressée pour déférer tout à l'éclat des richesses, ou à l'ambition du rang.
La qualité de semblables, qu'Aristote demande aux mœurs, regarde particulièrement les personnes que l'histoire ou la fable nous fait connoître, et qu'il faut toujours peindre telles que nous les y trouvons. C'est ce que veut dire Horace par ce vers:
Sit Medea ferox invictaque[276]. . . .
Qui peindroit Ulysse en grand guerrier, ou Achille en grand discoureur, ou Médée en femme fort soumise, s'exposeroit à la risée publique. Ainsi ces deux qualités, dont quelques interprètes ont beaucoup de peine à trouver la différence qu'Aristote veut qui soit entre elles sans la désigner, s'accorderont aisément, pourvu qu'on les sépare, et qu'on donne celle de convenables aux personnes imaginées, qui n'ont jamais eu d'être que dans l'esprit du poëte, en réservant l'autre pour celles qui sont connues par l'histoire ou par la fable, comme je le viens de dire.
Il reste à parler de l'égalité, qui nous oblige à conserver jusqu'à la fin à nos personnages les mœurs que nous leur avons données au commencement:
Servetur ad imum
Qualis ab incepto processerit, et sibi constet[277].
L'inégalité y peut toutefois entrer sans défaut, non-seulement quand nous introduisons des personnes d'un esprit léger et inégal, mais encore lorsqu'en conservant l'égalité au dedans, nous donnons l'inégalité au dehors, selon l'occasion[278]. Telle est celle de Chimène, du côté de l'amour; elle aime toujours fortement Rodrigue dans son cœur; mais cet amour agit autrement en la présence[279] du Roi, autrement en celle de l'Infante, et autrement en celle de Rodrigue; et c'est ce qu'Aristote appelle des mœurs inégalement égales[280].
Il se présente une difficulté à éclaircir sur cette matière, touchant ce qu'entend Aristote lorsqu'il dit que la tragédie se peut faire sans mœurs, et que la plupart de celles des modernes de son temps n'en ont point[281]. Le sens de ce passage est assez malaisé à concevoir, vu que, selon lui-même, c'est par les mœurs qu'un homme est méchant ou homme de bien, spirituel ou stupide, timide ou hardi, constant ou irrésolu, bon ou mauvais politique, et qu'il est impossible qu'on en mette aucun sur le théâtre qui ne soit bon ou méchant, et qui n'aye[282] quelqu'une de ces autres qualités. Pour accorder ces deux sentiments qui semblent opposés l'un à l'autre, j'ai remarqué que ce philosophe dit ensuite que si un poëte a fait de belles narrations morales et des discours bien sentencieux, il n'a fait encore rien par là qui concerne la tragédie[283]. Cela m'a fait considérer que les mœurs ne sont pas seulement le principe des actions, mais aussi du raisonnement. Un homme de bien agit et raisonne en homme de bien, un méchant agit et raisonne en méchant, et l'un et l'autre étale de diverses maximes de morale suivant cette diverse habitude. C'est donc de ces maximes, que cette habitude produit, que la tragédie peut se passer, et non pas de l'habitude même, puisqu'elle[284] est le principe des actions, et que les actions sont l'âme de la tragédie, où l'on ne doit parler qu'en agissant et pour agir. Ainsi pour expliquer ce passage d'Aristote par l'autre, nous pouvons dire que quand il parle d'une tragédie sans mœurs, il entend une tragédie où les acteurs énoncent simplement leurs sentiments, ou ne les appuient que sur des raisonnements tirés du fait, comme Cléopatre dans le second acte de Rodogune, et non pas sur des maximes de morale ou de politique, comme Rodogune dans son premier acte. Car, je le répète encore, faire un poëme de théâtre où aucun des acteurs ne soit bon ni méchant, prudent ni imprudent, cela est absolument impossible.
Après les mœurs viennent les sentiments, par où l'acteur fait connoître ce qu'il veut ou ne veut pas, en quoi il peut se contenter d'un simple témoignage de ce qu'il se propose de faire, sans le fortifier de raisonnements moraux, comme je le viens de dire. Cette partie a besoin de la rhétorique pour peindre les passions et les troubles de l'esprit, pour en consulter[285], délibérer, exagérer ou exténuer; mais il y a cette différence pour ce regard entre le poëte dramatique et l'orateur, que celui-ci peut étaler son art, et le rendre remarquable avec pleine liberté, et que l'autre doit le cacher avec soin, parce que ce n'est jamais lui qui parle, et ceux qu'il fait parler ne sont pas des orateurs.
La diction dépend de la grammaire. Aristote lui attribue les figures, que nous ne laissons pas d'appeler communément figures de rhétorique. Je n'ai rien à dire là-dessus, sinon que le langage doit être net, les figures placées à propos et diversifiées, et la versification aisée et élevée au-dessus de la prose, mais non pas jusqu'à l'enflure du poëme épique, puisque ceux que le poëte fait parler ne sont pas des poëtes.
Le retranchement que nous avons fait des chœurs a retranché la musique de nos poëmes. Une chanson y a quelquefois bonne grâce, et dans les pièces de machines cet ornement est redevenu nécessaire pour remplir les oreilles de l'auditeur cependant que les[286] machines descendent.
La décoration du théâtre a besoin de trois arts pour la rendre belle, de la peinture, de l'architecture, et de la perspective. Aristote prétend que cette partie, non plus que la précédente, ne regarde pas le poëte; et comme il ne la traite point, je me dispenserai d'en dire plus qu'il ne m'en a appris.
Pour achever ce discours, je n'ai plus qu'à parler des parties de quantité, qui sont le prologue, l'épisode, l'exode et le chœur. Le prologue est ce qui se récite avant le premier chant du chœur; l'épisode, ce qui se récite entre les chants du chœur; et l'exode, ce qui se récite après le dernier chant du chœur[287]. Voilà tout ce que nous en dit Aristote, qui nous marque plutôt la situation de ces parties, et l'ordre qu'elles ont entre elles dans la représentation, que la part de l'action qu'elles doivent contenir. Ainsi pour les appliquer à notre usage, le prologue est notre premier acte, l'épisode fait les trois suivants, l'exode le dernier.
Je dis que le prologue est ce qui se récite devant le premier chant du chœur, bien que la version ordinaire porte, devant la première entrée du chœur, ce qui nous embarrasseroit fort, vu que dans beaucoup de tragédies grecques le chœur parle le premier, et ainsi elles manqueroient de cette partie, ce qu'Aristote n'eût pas manqué de remarquer. Pour m'enhardir à changer ce terme, afin de lever la difficulté, j'ai considéré qu'encore que le mot grec πάροδος, dont se sert ici ce philosophe, signifie communément l'entrée en un chemin ou place publique, qui étoit le lieu ordinaire où nos anciens faisoient parler leurs acteurs, en cet endroit toutefois il ne peut signifier que le premier chant du chœur. C'est ce qu'il m'apprend lui-même un peu après, en disant que le πάροδος du chœur est la première chose que dit tout le chœur ensemble[288]. Or quand le chœur entier disoit quelque chose, il chantoit; et quand il parloit sans chanter, il n'y avoit qu'un de ceux dont il étoit composé qui parlât au nom de tous. La raison en est que le chœur alors tenoit lieu d'acteur, et que ce qu'il disoit servoit à l'action, et devoit par conséquent être entendu; ce qui n'eût pas été possible, si tous ceux qui le composoient, et qui étoient quelquefois jusqu'au nombre de cinquante, eussent parlé ou chanté tous à la fois. Il faut donc rejeter ce premier πάροδος du chœur, qui est la borne du prologue, à la première fois qu'il demeuroit seul sur le théâtre et chantoit: jusque-là il n'y étoit introduit que parlant avec un acteur par une seule bouche, ou s'il y demeuroit seul sans chanter, il se séparoit en deux demi-chœurs, qui ne parloient non plus chacun de leur côté que par un seul organe, afin que l'auditeur pût entendre ce qu'ils disoient, et s'instruire de ce qu'il falloit qu'il apprît pour l'intelligence de l'action.
Je réduis ce prologue à notre premier acte, suivant l'intention d'Aristote, et pour suppléer en quelque façon à ce qu'il ne nous a pas dit, ou que les années nous ont dérobé de son livre, je dirai qu'il doit contenir les semences de tout ce qui doit arriver, tant pour l'action principale que pour les épisodiques, en sorte qu'il n'entre aucun acteur dans les actes suivants qui ne soit connu par ce premier, ou du moins appelé par quelqu'un qui y aura été introduit. Cette maxime est nouvelle et assez sévère, et je ne l'ai pas toujours gardée; mais j'estime qu'elle sert beaucoup à fonder une véritable unité d'action, par la liaison de toutes celles qui concurrent[289] dans le poëme. Les anciens s'en sont fort écartés, particulièrement dans les agnitions, pour lesquelles ils se sont presque toujours servis de gens qui survenoient par hasard au cinquième acte, et ne seroient arrivés qu'au dixième, si la pièce en eût eu dix. Tel est ce vieillard de Corinthe dans l'Œdipe de Sophocle et de Sénèque, où il semble tomber des nues par miracle, en un temps où les acteurs ne sauroient plus par où en prendre[290], ni quelle posture tenir, s'il arrivoit une heure plus tard. Je ne l'ai introduit qu'au cinquième acte non plus qu'eux; mais j'ai préparé sa venue dès le premier, en faisant dire à Œdipe qu'il attend dans le jour la nouvelle de la mort de son père. Ainsi dans la Veuve, bien que Célidan ne paroisse qu'au troisième, il y est amené par Alcidon, qui est du premier. Il n'en est pas de même des Maures dans le Cid, pour lesquels il n'y a aucune préparation au premier acte. Le plaideur de Poitiers dans le Menteur avoit le même défaut; mais j'ai trouvé le moyen d'y remédier en cette édition[291], où le dénouement se trouve préparé par Philiste, et non plus par lui.
Je voudrois donc que le premier acte contînt le fondement de toutes les actions, et fermât la porte à tout ce qu'on voudroit introduire d'ailleurs dans le reste du poëme[292]. Encore que souvent il ne donne pas toutes les lumières nécessaires pour l'entière intelligence du sujet, et que tous les acteurs n'y paroissent pas, il suffit qu'on y parle d'eux, ou que ceux qu'on y fait paroître ayent besoin de les aller chercher pour venir à bout de leurs intentions. Ce que je dis ne se doit entendre que des personnages qui agissent dans la pièce par quelque propre intérêt considérable, ou qui apportent une nouvelle importante qui produit un notable effet. Un domestique qui n'agit que par l'ordre de son maître, un confident qui reçoit le secret de son ami et le plaint dans son malheur, un père qui ne se montre que pour consentir ou contredire le mariage de ses enfants, une femme qui console et conseille son mari: en un mot, tous ces gens sans action n'ont point besoin d'être insinués au premier acte; et quand je n'y aurois point parlé de Livie dans Cinna, j'aurois pu la faire entrer au quatrième, sans pécher contre cette règle. Mais je souhaiterois qu'on l'observât inviolablement quand on fait concurrer deux actions différentes, bien qu'ensuite elles se mêlent ensemble. La conspiration de Cinna, et la consultation d'Auguste avec lui et Maxime, n'ont aucune liaison entre elles, et ne font que concurrer d'abord, bien que le résultat de l'une produise de beaux effets pour l'autre, et soit cause que Maxime en fait découvrir le secret à cet empereur. Il a été besoin d'en donner l'idée dès le premier acte, où Auguste mande Cinna et Maxime. On n'en sait pas la cause; mais enfin il les mande, et cela suffit pour faire une surprise très-agréable, de le voir délibérer s'il quittera l'empire ou non, avec deux hommes qui ont conspiré contre lui. Cette surprise auroit perdu la moitié de ses grâces s'il ne les eût point mandés dès le premier acte, ou si on n'y eût point connu Maxime pour un des chefs de ce grand dessein. Dans Don Sanche, le choix que la reine de Castille doit faire d'un mari, et le rappel de celle d'Aragon dans ses États, sont deux choses tout à fait différentes: aussi sont-elles proposées toutes deux au premier acte, et quand on introduit deux sortes d'amours, il ne faut jamais y manquer.
Ce premier acte s'appeloit prologue du temps d'Aristote, et communément on y faisoit l'ouverture du sujet, pour instruire le spectateur de tout ce qui s'étoit passé avant le commencement de l'action qu'on alloit représenter, et de tout ce qu'il falloit qu'il sût pour comprendre ce qu'il alloit voir. La manière de donner cette intelligence a changé suivant les temps. Euripide en a usé assez grossièrement, en introduisant, tantôt un dieu dans une machine, par qui les spectateurs recevoient cet éclaircissement, et tantôt un de ses principaux personnages qui les en instruisoit lui-même, comme dans son Iphigénie, et dans son Hélène, où ces deux héroïnes racontent d'abord toute leur histoire, et l'apprennent à l'auditeur, sans avoir aucun acteur avec elles à qui adresser leur discours.
Ce n'est pas que je veuille dire que quand un acteur parle seul, il ne puisse instruire l'auditeur de beaucoup de choses; mais il faut que ce soit par les sentiments d'une passion qui l'agite, et non pas par une simple narration. Le monologue d'Émilie, qui ouvre le théâtre dans Cinna, fait assez connoître qu'Auguste a fait mourir son père, et que pour venger sa mort elle engage son amant à conspirer contre lui; mais c'est par le trouble et la crainte que le péril où elle expose Cinna jette dans son âme, que nous en avons la connoissance. Surtout le poëte se doit souvenir que quand un acteur est seul sur le théâtre, il est présumé ne faire que s'entretenir en lui-même, et ne parle qu'afin que le spectateur sache de quoi il s'entretient, et à quoi il pense. Ainsi ce seroit une faute insupportable si un autre acteur apprenoit par là ses secrets. On excuse cela dans une passion si violente, qu'elle force d'éclater, bien qu'on n'aye personne à qui la faire entendre, et je ne le voudrois pas condamner en un autre, mais j'aurois de la peine à me le souffrir.
Plaute a cru remédier à ce désordre d'Euripide en introduisant un prologue détaché, qui se récitoit par un personnage qui n'avoit quelquefois autre nom que celui de Prologue, et n'étoit point du tout du corps de la pièce. Aussi ne parloit-il qu'aux spectateurs pour les instruire de ce qui avoit précédé, et amener le sujet jusques au premier acte où commençoit l'action.
Térence, qui est venu depuis lui, a gardé ses prologues, et en a changé la matière. Il les a employés à faire son apologie contre ses envieux, et pour ouvrir son sujet, il a introduit une nouvelle sorte de personnages, qu'on a appelés protatiques, parce qu'ils ne paroissent que dans la protase, où se doit faire la proposition et l'ouverture du sujet[293]. Ils en écoutoient l'histoire, qui leur étoit racontée par un autre acteur; et par ce récit qu'on leur en faisoit, l'auditeur demeuroit instruit de ce qu'il devoit savoir, touchant les intérêts des premiers acteurs, avant qu'ils parussent sur le théâtre[294]. Tels sont Sosie dans son Andrienne, et Davus dans son Phormion, qu'on ne revoit plus après la narration[295], et qui ne servent qu'à l'écouter. Cette méthode est fort artificieuse; mais je voudrois pour sa perfection que ces mêmes personnages servissent encore à quelque autre chose dans la pièce, et qu'ils y fussent introduits par quelque autre occasion que celle d'écouter ce récit. Pollux dans Médée est de cette nature. Il passe par Corinthe en allant au mariage de sa sœur, et s'étonne d'y rencontrer Jason, qu'il croyoit en Thessalie; il apprend de lui sa fortune, et son divorce avec Médée, pour épouser Créuse, qu'il aide ensuite à sauver des mains d'Égée, qui l'avoit fait enlever, et raisonne avec le Roi sur la défiance qu'il doit avoir des présents de Médée. Toutes les pièces n'ont pas besoin de ces éclaircissements, et par conséquent on se peut passer souvent de ces personnages, dont Térence ne s'est servi que ces deux fois dans les six comédies que nous avons de lui.
Notre siècle a inventé une autre espèce de prologue pour les pièces de machines, qui ne touche point au sujet, et n'est qu'une louange adroite du prince devant qui ces poëmes doivent être représentés. Dans l'Andromède, Melpomène emprunte au soleil ses rayons pour éclairer son théâtre en faveur du Roi, pour qui elle a préparé un spectacle magnifique. Le prologue de la Toison d'or, sur le mariage de Sa Majesté et la paix avec l'Espagne, a quelque chose encore de plus éclatant. Ces prologues doivent avoir beaucoup d'invention; et je ne pense pas qu'on y puisse raisonnablement introduire que des Dieux imaginaires de l'antiquité, qui ne laissent pas toutefois de parler des choses de notre temps, par une fiction poétique, qui fait un grand accommodement de théâtre.
L'épisode, selon Aristote, en cet endroit, sont nos trois actes du milieu; mais comme il applique ce nom ailleurs aux actions qui sont hors de la principale[296], et qui lui servent d'un ornement dont elle se pourroit passer, je dirai que bien que ces trois actes s'appellent épisode, ce n'est pas à dire qu'ils ne soient composés que d'épisodes. La consultation d'Auguste au second de Cinna, les remords de cet ingrat, ce qu'il en découvre à Émilie, et l'effort que fait Maxime pour persuader à cet objet de son amour caché de s'enfuir avec lui, ne sont que des épisodes; mais l'avis que fait donner Maxime par Euphorbe à l'Empereur, les irrésolutions de ce prince, et les conseils de Livie, sont de l'action principale; et dans Héraclius, ces trois actes ont plus d'action principale que d'épisodes. Ces épisodes sont de deux sortes, et peuvent être composés des actions particulières des principaux acteurs, dont toutefois l'action principale pourroit se passer, ou des intérêts des seconds amants qu'on introduit, et qu'on appelle communément des personnages épisodiques. Les uns et les autres doivent avoir leur fondement dans le premier acte, et être attachés à l'action principale, c'est-à-dire y servir de quelque chose; et particulièrement ces personnages épisodiques doivent s'embarrasser si bien avec les premiers, qu'un seul intrique brouille les uns et les autres. Aristote blâme fort les épisodes détachés, et dit que les mauvais poëtes en font par ignorance, et les bons en faveur des comédiens pour leur donner de l'emploi[297]. L'Infante du Cid est de ce nombre, et on la pourra condamner ou lui faire grâce par ce texte d'Aristote, suivant le rang qu'on voudra me donner parmi nos modernes.
Je ne dirai rien de l'exode, qui n'est autre chose que notre cinquième acte. Je pense en avoir expliqué le principal emploi, quand j'ai dit que l'action du poëme dramatique doit[298] être complète. Je n'y ajouterai que ce mot: qu'il faut, s'il se peut, lui réserver toute la catastrophe, et même la reculer vers la fin, autant qu'il est possible. Plus on la diffère, plus les esprits demeurent suspendus, et l'impatience qu'ils ont de savoir de quel côté elle tournera est cause qu'ils la reçoivent avec plus de plaisir: ce qui n'arrive pas quand elle commence avec cet acte. L'auditeur qui la sait trop tôt n'a plus de curiosité; et son attention languit durant tout le reste, qui ne lui apprend rien de nouveau. Le contraire s'est vu dans la Mariane, dont la mort, bien qu'arrivée dans l'intervalle qui sépare le quatrième acte du cinquième, n'a pas empêché que les déplaisirs d'Hérode, qui occupent tout ce dernier, n'ayent plu extraordinairement; mais je ne conseillerois à personne de s'assurer sur cet exemple. Il ne se fait pas des miracles tous les jours; et quoique son auteur[299] eût bien mérité ce beau succès par le grand effort d'esprit qu'il avoit fait à peindre les désespoirs de ce monarque, peut-être que l'excellence de l'acteur qui en soutenoit le personnage, y contribuoit beaucoup[300].
Voilà ce qui m'est venu en pensée touchant le but, les utilités, et les parties du poëme dramatique. Quelques personnes de condition, qui peuvent tout sur moi, ont voulu que je donnasse mes sentiments au public sur les règles d'un art qu'il y a si longtemps que je pratique assez heureusement. Comme ce recueil est séparé en trois volumes, j'ai séparé[301] les principales matières en trois Discours, pour leur servir de préfaces. Je parle[302] au second des conditions particulières de la tragédie, des qualités des personnes et des événements qui lui peuvent fournir de sujet, et de la manière de le traiter selon le vraisemblable ou le nécessaire. Je m'explique dans le troisième[303] sur les trois unités, d'action, de jour, et de lieu. Cette entreprise méritoit une longue et très-exacte étude de tous les poëmes qui nous restent de l'antiquité, et de tous ceux qui ont commenté les traités qu'Aristote et Horace ont faits de l'art poétique, ou qui en ont écrit en particulier; mais je n'ai pu me résoudre à en prendre le loisir; et je m'assure que beaucoup de mes lecteurs me pardonneront aisément cette paresse, et ne seront pas fâchés que je donne à des productions nouvelles le temps qu'il m'eût fallu consumer à des remarques sur celles des autres siècles. J'y fais quelques courses, et y prends des exemples quand ma mémoire m'en peut fournir. Je n'en cherche de modernes que chez moi, tant parce que je connois mieux mes ouvrages que ceux des autres, et en suis plus le maître, que parce que je ne veux pas m'exposer au péril de déplaire à ceux que je reprendrois en quelque chose, ou que je ne louerois pas assez en ce qu'ils ont fait d'excellent. J'écris sans ambition et sans esprit de contestation, je l'ai déjà dit. Je tâche de suivre toujours le sentiment d'Aristote dans les matières qu'il a traitées; et comme peut-être je l'entends à ma mode, je ne suis point jaloux qu'un autre l'entende à la sienne. Le commentaire dont je m'y sers le plus est l'expérience du théâtre et les réflexions sur ce que j'ai vu y plaire ou déplaire. J'ai pris pour m'expliquer un style simple, et me contente d'une expression nue de mes opinions, bonnes ou mauvaises, sans y rechercher aucun enrichissement d'éloquence. Il me suffit de me faire entendre; je ne prétends pas qu'on admire ici ma façon d'écrire, et ne fais point de scrupule de m'y servir[304] souvent des mêmes termes, ne fût-ce que pour épargner le temps d'en chercher d'autres, dont peut-être la variété ne diroit par si justement ce que je veux dire. J'ajoute à ces trois Discours généraux l'examen de chacun de mes poëmes en particulier, afin de voir en quoi ils s'écartent ou se conforment aux règles que j'établis. Je n'en dissimulerai point les défauts, et en revanche je me donnerai la liberté de remarquer ce que j'y trouverai de moins imparfait. Balzac[305] accorde ce privilége à une certaine espèce de gens, et soutient qu'ils peuvent dire d'eux-mêmes par franchise ce que d'autres diroient par vanité. Je sais si j'en suis; mais je veux avoir assez bonne opinion de moi pour n'en désespérer pas.
DISCOURS
DE LA TRAGÉDIE
ET DES MOYENS DE LA TRAITER
SELON LE VRAISEMBLABLE OU LE NÉCESSAIRE.
Outre les trois utilités du poëme dramatique dont j'ai parlé dans le discours que j'ai fait servir de préface à la première partie de ce recueil, la tragédie a celle-ci de particulière que par la pitié et la crainte elle purge de semblables passions[306]. Ce sont les termes dont Aristote se sert dans sa définition, et qui nous apprennent deux choses: l'une, qu'elle excite[307] la pitié et la crainte; l'autre, que par leur moyen elle purge de semblables passions. Il explique la première assez au long, mais il ne dit pas un mot de la dernière; et de toutes les conditions qu'il emploie en cette définition, c'est la seule qu'il n'éclaircit point. Il témoigne toutefois dans le dernier chapitre de ses Politiques un dessein d'en parler fort au long dans ce traité[308], et c'est ce qui fait que la plupart de ses interprètes veulent que nous ne l'ayons pas entier[309], parce que nous n'y voyons rien du tout sur cette matière. Quoi qu'il en puisse être, je crois qu'il est à propos de parler de ce qu'il a dit, avant que de faire effort pour deviner ce qu'il a voulu dire. Les maximes qu'il établit pour l'un pourront nous conduire à quelques conjectures pour l'autre, et sur la certitude de ce qui nous demeure nous pourrons fonder une opinion probable de ce qui n'est point venu jusqu'à[310] nous.
Nous avons pitié, dit-il, de ceux que nous voyons souffrir un malheur qu'ils ne méritent pas, et nous craignons qu'il ne nous en arrive un pareil, quand nous le voyons souffrir à nos semblables[311]. Ainsi la pitié embrasse l'intérêt de la personne que nous voyons souffrir, la crainte qui la suit regarde la nôtre, et ce passage seul nous donne assez d'ouverture pour trouver la manière dont se fait la purgation des passions dans la tragédie. La pitié d'un malheur où nous voyons tomber nos semblables nous porte à la crainte d'un pareil pour nous; cette crainte, au desir de l'éviter; et ce desir, à purger, modérer, rectifier, et même déraciner en nous la passion qui plonge à nos yeux dans ce malheur les personnes que nous plaignons, par cette raison commune, mais naturelle et indubitable, que pour éviter l'effet il faut retrancher la cause. Cette explication ne plaira pas à ceux qui s'attachent aux commentateurs de ce philosophe. Ils se gênent sur ce passage, et s'accordent si peu l'un avec l'autre, que Paul Beni[312] marque jusqu'à[313] douze ou quinze opinions diverses, qu'il réfute avant que de nous donner la sienne. Elle est conforme à celle-ci pour le raisonnement, mais elle diffère en ce point, qu'elle n'en applique l'effet qu'aux rois et aux princes, peut-être par cette raison que la tragédie ne peut nous faire craindre que les maux que nous voyons arriver à nos semblables, et que n'en faisant arriver qu'à des rois et à des princes, cette crainte ne peut faire d'effet que sur des gens de leur condition. Mais sans doute il a entendu trop littéralement ce mot de nos semblables, et n'a pas assez considéré qu'il n'y avoit point de rois à Athènes, où se représentoient les poëmes dont Aristote tire ses exemples, et sur lesquels il forme ses règles. Ce philosophe n'avoit garde d'avoir cette pensée qu'il lui attribue, et n'eût pas employé dans la définition de la tragédie une chose dont l'effet pût arriver si rarement, et dont l'utilité se fût restreinte[314] à si peu de personnes. Il est vrai qu'on n'introduit d'ordinaire que des rois pour premiers acteurs dans la tragédie, et que les auditeurs n'ont point de sceptres par où leur ressembler, afin d'avoir lieu de craindre les malheurs qui leur arrivent; mais ces rois sont hommes comme les auditeurs, et tombent dans ces malheurs par l'emportement des passions dont les auditeurs sont capables. Ils prêtent même un raisonnement aisé à faire du plus grand au moindre; et le spectateur peut concevoir avec facilité que si un roi, pour trop s'abandonner à l'ambition, à l'amour, à la haine, à la vengeance, tombe dans un malheur si grand qu'il lui fait pitié, à plus forte raison lui qui n'est qu'un homme du commun doit tenir la bride à de telles passions, de peur qu'elles ne l'abîment dans un pareil malheur. Outre que ce n'est pas une nécessité de ne mettre que les infortunes des rois sur le théâtre. Celles des autres hommes y trouveroient place, s'il leur en arrivoit d'assez illustres et d'assez extraordinaires pour la mériter, et que l'histoire prît assez de soin d'eux pour nous les apprendre. Scédase n'étoit qu'un paysan de Leuctres; et je ne tiendrois pas la sienne indigne d'y paroître, si la pureté de notre scène pouvoit souffrir qu'on y parlât du violement effectif de ses deux filles, après que l'idée de la prostitution n'y a pu être soufferte dans la personne d'une sainte qui en fut garantie[315].
Pour nous faciliter les moyens de faire naître cette pitié et cette crainte où Aristote semble nous obliger, il nous aide à choisir les personnes et les événements qui peuvent exciter l'une et l'autre. Sur quoi je suppose, ce qui est très-véritable, que notre auditoire n'est composé ni de méchants, ni de saints, mais de gens d'une probité commune, et qui ne sont pas si sévèrement retranchés dans l'exacte vertu, qu'ils ne soient susceptibles des passions et capables des périls où elles engagent ceux qui leur défèrent trop. Cela supposé, examinons ceux que ce philosophe exclut de la tragédie, pour en venir avec lui à ceux dans lesquels il fait consister sa perfection.
En premier lieu, il ne veut point qu'un homme fort vertueux y tombe de la félicité dans le malheur, et soutient que cela ne produit ni pitié, ni crainte, parce que c'est un événement tout à fait injuste[316]. Quelques interprètes poussent la force de ce mot grec μιαρόν, qu'il fait servir d'épithète à cet événement, jusqu'à le rendre par celui d'abominable[317]; à quoi j'ajoute qu'un tel succès excite plus d'indignation et de haine contre celui qui fait souffrir, que de pitié pour celui qui souffre, et qu'ainsi ce sentiment, qui n'est pas le propre de la tragédie, à moins que d'être bien ménagé, peut étouffer celui qu'elle doit produire, et laisser l'auditeur mécontent par la colère qu'il remporte, et qui se mêle à la compassion, qui lui plairoit s'il la remportoit seule.
Il ne veut pas non plus qu'un méchant homme passe du malheur à la félicité, parce que non-seulement il ne peut naître d'un tel succès aucune pitié, ni crainte, mais il ne peut pas même nous toucher par ce sentiment naturel de joie dont nous remplit la prospérité d'un premier acteur, à qui notre faveur s'attache[318]. La chute d'un méchant dans le malheur a de quoi nous plaire par l'aversion que nous prenons pour lui; mais comme ce n'est qu'une juste punition, elle ne nous fait point de pitié, et ne nous imprime aucune crainte, d'autant que nous ne sommes pas si méchants que lui, pour être capables de ses crimes, et en appréhender une aussi funeste issue.
Il reste donc à trouver un milieu entre ces deux extrémités, par le choix d'un homme qui ne soit ni tout à fait bon, ni tout à fait méchant, et qui, par une faute, ou foiblesse humaine, tombe dans un malheur qu'il ne mérite pas. Aristote en donne pour exemples Œdipe et Thyeste, en quoi véritablement je ne comprends point sa pensée. Le premier me semble ne faire aucune faute, bien qu'il tue son père, parce qu'il ne le connoît pas, et qu'il ne fait que disputer le chemin en homme de cœur contre un inconnu qui l'attaque avec avantage. Néanmoins, comme la signification du mot grec ἁμάρτημα peut s'étendre à une simple erreur de méconnoissance, telle qu'étoit la sienne, admettons-le avec ce philosophe, bien que je ne puisse voir quelle passion il nous donne à purger, ni de quoi nous pouvons nous corriger sur son exemple.
J'avouerai plus. Si la purgation des passions se fait dans la tragédie, je tiens qu'elle se doit faire de la manière que je l'explique; mais je doute si elle s'y fait jamais, et dans celles-là même qui ont les conditions que demande Aristote. Elles se rencontrent dans le Cid, et en ont causé le grand succès: Rodrigue et Chimène y ont cette probité sujette aux passions, et ces passions font leur malheur, puisqu'ils ne sont malheureux qu'autant qu'ils sont passionnés l'un pour l'autre. Ils tombent dans l'infélicité par cette foiblesse humaine dont nous sommes capables comme eux; leur malheur fait pitié, cela est constant, et il en a coûté assez de larmes aux spectateurs pour ne le point contester. Cette pitié nous doit donner une crainte de tomber dans un pareil malheur, et purger en nous ce trop d'amour qui cause leur infortune et nous les fait plaindre; mais je ne sais si elle nous la donne, ni si elle le purge, et j'ai bien peur que le raisonnement d'Aristote sur ce point ne soit qu'une belle idée, qui n'ait jamais son effet dans la vérité. Je m'en rapporte à ceux qui en ont vu les représentations: ils peuvent en demander compte au secret de leur cœur, et repasser sur ce qui les a touchés au théâtre, pour reconnoître s'ils en sont venus par là jusqu'à cette crainte réfléchie, et si elle a rectifié en eux la passion qui a causé la disgrâce qu'ils ont plainte. Un des interprètes d'Aristote veut qu'il n'aye parlé de cette purgation des passions dans la tragédie que parce qu'il écrivoit après Platon, qui bannit les poëtes tragiques de sa république, parce qu'ils les remuent trop fortement. Comme il écrivoit pour le contredire, et montrer qu'il n'est pas à propos de les bannir des États bien policés, il a voulu trouver cette utilité dans ces agitations de l'âme, pour les rendre recommandables par la raison même sur qui l'autre se fonde pour les bannir. Le fruit qui peut naître des impressions que fait la force de l'exemple lui manquoit: la punition des méchantes actions, et la récompense des bonnes, n'étoient pas de l'usage de son siècle, comme nous les avons rendues de celui du nôtre; et n'y pouvant trouver une utilité solide, hors celle des sentences et des discours didactiques, dont la tragédie se peut passer selon son avis, il en a substitué une qui peut-être n'est qu'imaginaire. Du moins, si pour la produire il faut les conditions qu'il demande, elles se rencontrent si rarement, que Robortel ne les trouve que dans le seul Œdipe, et soutient que ce philosophe ne nous les prescrit pas comme si nécessaires que leur manquement rende un ouvrage défectueux, mais seulement comme des idées de la perfection des tragédies. Notre siècle les a vues dans le Cid, mais je ne sais s'il les a vues en beaucoup d'autres; et si nous voulons rejeter un coup d'œil sur cette règle, nous avouerons que le succès a justifié beaucoup de pièces où elle n'est pas observée.
L'exclusion des personnes tout à fait vertueuses qui tombent dans le malheur bannit les martyrs de notre théâtre. Polyeucte y a réussi contre cette maxime, et Héraclius et Nicomède y ont plu, bien qu'ils n'impriment que de la pitié, et ne nous donnent rien à craindre, ni aucune passion à purger, puisque nous les y voyons opprimés et près de[319] périr, sans aucune faute de leur part dont nous puissions nous corriger sur leur exemple.
Le malheur d'un homme fort méchant n'excite ni pitié, ni crainte, parce qu'il n'est pas digne de la première, et que les spectateurs ne sont pas méchants comme lui pour concevoir l'autre à la vue de sa punition; mais il seroit à propos de mettre quelque distinction entre les crimes. Il en est dont les honnêtes gens sont capables par une violence de passion, dont le mauvais succès peut faire effet dans l'âme de l'auditeur. Un honnête homme ne va pas voler au coin d'un bois, ni faire un assassinat de sang-froid; mais s'il est bien amoureux, il peut faire une supercherie à son rival, il peut s'emporter de colère et tuer dans un premier mouvement, et l'ambition le peut engager dans un crime ou dans une action blâmable. Il est peu de mères qui voulussent assassiner ou empoisonner leurs enfants de peur de leur rendre leur bien, comme Cléopatre dans Rodogune; mais il en est assez qui prennent goût à en jouir, et ne s'en dessaisissent qu'à regret et le plus tard qu'il leur est possible. Bien qu'elles ne soient pas capables d'une action si noire et si dénaturée que celle de cette reine de Syrie, elles ont en elles quelque teinture du principe qui l'y porta, et la vue de la juste punition qu'elle en reçoit leur peut faire craindre, non pas un pareil malheur, mais une infortune proportionnée à ce qu'elles sont capables de commettre. Il en est ainsi de quelques autres crimes qui ne sont pas de la portée de nos auditeurs. Le lecteur en pourra faire l'examen et l'application sur cet exemple.
Cependant, quelque difficulté qu'il y aye à trouver cette purgation effective et sensible des passions par le moyen de la pitié et de la crainte, il est aisé de nous accommoder avec Aristote. Nous n'avons qu'à dire que par cette façon de s'énoncer il n'a pas entendu que ces deux moyens y servissent toujours ensemble; et qu'il suffit selon lui de l'un des deux pour faire cette purgation, avec cette différence toutefois, que la pitié n'y peut arriver sans la crainte, et que la crainte peut y parvenir sans la pitié. La mort du Comte n'en fait aucune dans le Cid, et peut toutefois mieux purger en nous cette sorte d'orgueil envieux de la gloire d'autrui, que toute la compassion que nous avons de Rodrigue et de Chimène ne purge les attachements de ce violent amour qui les rend à plaindre l'un et l'autre. L'auditeur peut avoir de la commisération pour Antiochus, pour Nicomède, pour Héraclius; mais s'il en demeure là, et qu'il ne puisse craindre de tomber dans un pareil malheur, il ne guérira d'aucune passion. Au contraire, il n'en a point pour Cléopatre, ni pour Prusias, ni pour Phocas; mais la crainte d'une infortune semblable ou approchante peut purger en une mère l'opiniâtreté à ne se point dessaisir du bien de ses enfants, en un mari le trop de déférence à une seconde femme au préjudice de ceux de son premier lit, en tout le monde l'avidité d'usurper le bien ou la dignité d'autrui par la violence; et tout cela proportionnément à la condition d'un chacun et à ce qu'il est capable d'entreprendre. Les déplaisirs et les irrésolutions d'Auguste dans Cinna peuvent faire ce dernier effet par la pitié et la crainte jointes ensemble; mais, comme je l'ai déjà dit, il n'arrive pas toujours que ceux que nous plaignons soient malheureux par leur faute. Quand ils sont innocents, la pitié que nous en prenons ne produit aucune crainte, et si nous en concevons quelqu'une qui purge nos passions, c'est par le moyen d'une autre personne que de celle qui nous fait pitié, et nous la devons toute à la force de l'exemple.
Cette explication se trouvera autorisée par Aristote même, si nous voulons bien peser la raison qu'il rend de l'exclusion de ces événements qu'il désapprouve dans la tragédie. Il ne dit jamais: Celui-là n'y est pas propre, parce qu'il n'excite que de la pitié[320] et ne fait point naître de crainte, et cet autre n'y est pas supportable, parce qu'il n'excite que de la crainte et ne fait point naître de pitié; mais il les rebute, parce, dit-il, qu'ils n'excitent ni pitié ni crainte[321], et nous donne à connoître par là que c'est par le manque de l'une et de l'autre qu'ils ne lui plaisent pas, et que s'ils produisoient l'une des deux, il ne leur refuseroit point son suffrage. L'exemple d'Œdipe qu'il allègue me confirme dans cette pensée. Si nous l'en croyons, il a toutes les conditions requises en la tragédie; néanmoins son malheur n'excite que de la pitié, et je ne pense pas qu'à le voir représenter, aucun de ceux qui le plaignent s'avise de craindre de tuer son père ou d'épouser sa mère. Si sa représentation nous peut imprimer quelque crainte, et que cette crainte soit capable de purger en nous quelque inclination blâmable ou vicieuse, elle y purgera la curiosité de savoir l'avenir, et nous empêchera d'avoir recours à des prédictions, qui ne servent d'ordinaire qu'à nous faire choir dans le malheur qu'on nous prédit par les soins mêmes que nous prenons de l'éviter; puisqu'il est certain qu'il n'eût jamais tué son père, ni épousé sa mère, si son père et sa mère, à qui l'oracle avoit prédit que cela arriveroit, ne l'eussent fait exposer de peur qu'il n'arrivât[322]. Ainsi non-seulement ce seront Laïus et Jocaste qui feront naître cette crainte, mais elle ne naîtra que de l'image d'une faute qu'ils ont faite quarante ans avant l'action qu'on représente, et ne s'exprimera en nous que par un autre acteur que le premier, et par une action hors de la tragédie.
Pour recueillir ce discours, avant que de passer à une autre matière, établissons pour maxime que la perfection de la tragédie consiste bien à exciter de la pitié et de la crainte par le moyen d'un premier acteur, comme peut faire Rodrigue dans le Cid, et Placide dans Théodore, mais que cela n'est pas d'une nécessité si absolue qu'on ne se puisse servir de divers personnages pour faire naître ces deux sentiments, comme dans Rodogune; et même ne porter l'auditeur qu'à l'un des deux, comme dans Polyeucte, dont la représentation n'imprime que de la pitié sans aucune crainte[323]. Cela posé, trouvons quelque modération à la rigueur de ces règles du philosophe, ou du moins quelque favorable interprétation, pour n'être pas obligés de condamner beaucoup de poëmes que nous avons vu réussir[324] sur nos théâtres.
Il ne veut point qu'un homme tout à fait innocent tombe dans l'infortune, parce que, cela étant abominable, il excite plus d'indignation contre celui qui le persécute que de pitié pour son malheur; il ne veut pas non plus qu'un très-méchant y tombe, parce qu'il ne peut donner de pitié par un malheur qu'il mérite, ni en faire craindre un pareil à des spectateurs qui ne lui ressemblent pas; mais quand ces deux raisons cessent, en sorte qu'un homme de bien qui souffre excite plus de pitié pour lui que d'indignation contre celui qui le fait souffrir, ou que la punition d'un grand crime peut corriger en nous quelque imperfection qui a du rapport avec lui, j'estime qu'il ne faut point faire de difficulté d'exposer sur la scène des hommes très-vertueux ou très-méchants dans le malheur. En voici deux ou trois manières, que peut-être Aristote n'a su prévoir, parce qu'on n'en voyoit pas d'exemples sur les théâtres de son temps.
La première est, quand un homme très-vertueux est persécuté par un très-méchant, et qu'il échappe du péril où le méchant demeure enveloppé, comme dans Rodogune et dans Héraclius, qu'on n'auroit pu souffrir si Antiochus et Rodogune eussent péri dans la première, et Héraclius, Pulchérie et Martian dans l'autre, et que Cléopatre et Phocas y eussent triomphé. Leur malheur y donne une pitié qui n'est point étouffée par l'aversion qu'on a pour ceux qui les tyrannisent, parce qu'on espère toujours que quelque heureuse révolution les empêchera de succomber; et bien que les crimes de Phocas et de Cléopatre soient trop grands pour faire craindre l'auditeur d'en commettre de pareils, leur funeste issue peut faire sur lui les effets dont j'ai déjà parlé. Il peut arriver d'ailleurs qu'un homme très-vertueux soit persécuté, et périsse même par les ordres d'un autre, qui ne soit pas assez méchant pour attirer trop d'indignation sur lui, et qui montre plus de foiblesse que de crime dans la persécution qu'il lui fait. Si Félix fait périr son gendre Polyeucte, ce n'est pas par cette haine enragée contre les chrétiens, qui nous le rendroit exécrable, mais seulement par une lâche timidité, qui n'ose le sauver en présence de Sévère, dont il craint la haine et la vengeance après les mépris qu'il en a faits durant son peu de fortune. On prend bien quelque aversion pour lui, on désapprouve sa manière d'agir; mais cette aversion ne l'emporte pas sur la pitié qu'on a de Polyeucte, et n'empêche pas que sa conversion miraculeuse, à la fin de la pièce, ne le réconcilie pleinement avec l'auditoire. On peut dire la même chose de Prusias dans Nicomède, et de Valens dans Théodore. L'un maltraite son fils, bien que très-vertueux, et l'autre est cause de la perte du sien, qui ne l'est pas moins; mais tous les deux n'ont que des foiblesses qui ne vont point jusques au crime, et loin d'exciter une indignation qui étouffe la pitié qu'on a pour ces fils généreux, la lâcheté de leur abaissement sous des puissances qu'ils redoutent, et qu'ils devroient braver pour bien agir, fait qu'on a quelque compassion d'eux-mêmes et de leur honteuse politique.
Pour nous faciliter les moyens d'exciter cette pitié, qui fait de si beaux effets sur nos théâtres, Aristote nous donne[325] une lumière. Toute action, dit-il, se passe, ou entre des amis, ou entre des ennemis, ou entre des gens indifférents l'un pour l'autre. Qu'un ennemi tue ou veuille tuer son ennemi, cela ne produit aucune commisération, sinon en tant qu'on s'émeut d'apprendre ou de voir la mort d'un homme, quel qu'il soit. Qu'un indifférent tue un indifférent, cela ne touche guère davantage, d'autant qu'il n'excite aucun combat dans l'âme de celui qui fait l'action; mais quand les choses arrivent entre des gens que la naissance ou l'affection attache aux intérêts l'un de l'autre, comme alors qu'un mari tue ou est prêt de tuer sa femme, une mère ses enfants, un frère sa sœur; c'est ce qui convient merveilleusement à la tragédie[326]. La raison en est claire. Les oppositions des sentiments de la nature aux emportements de la passion, ou à la sévérité du devoir, forment de puissantes agitations, qui sont reçues de l'auditeur avec plaisir; et il se porte aisément à plaindre un malheureux opprimé ou poursuivi par une personne qui devroit s'intéresser à sa conservation, et qui quelquefois ne poursuit sa perte qu'avec déplaisir, ou du moins avec répugnance. Horace et Curiace ne seroient point à plaindre, s'ils n'étoient point amis et beaux-frères; ni Rodrigue, s'il étoit poursuivi par un autre que par sa maîtresse; et le malheur d'Antiochus toucheroit beaucoup moins, si un autre que sa mère lui demandoit le sang de sa maîtresse, ou qu'un autre que sa maîtresse lui demandât celui de sa mère; ou si, après la mort de son frère, qui lui donne sujet de craindre un pareil attentat sur sa personne, il avoit à se défier d'autres que de sa mère et de sa maîtresse.
C'est donc un grand avantage, pour exciter la commisération, que la proximité du sang et[327] les liaisons d'amour ou d'amitié entre le persécutant et le persécuté, le poursuivant et le poursuivi, celui qui fait souffrir et celui qui souffre; mais il y a quelque apparence que cette condition n'est pas d'une nécessité plus absolue que celle dont je viens de parler, et qu'elle ne regarde que les tragédies parfaites, non plus que celle-là. Du moins les anciens ne l'ont pas toujours observée: je ne la vois point dans l'Ajax de Sophocle, ni dans son Philoctète; et qui voudra parcourir ce qui nous reste d'Eschyle et d'Euripide y pourra rencontrer quelques exemples à joindre à ceux-ci. Quand je dis que ces deux conditions ne sont que pour les tragédies parfaites, je n'entends pas dire que celles où elles ne se rencontrent point soient imparfaites: ce seroit les rendre d'une nécessité absolue, et me contredire moi-même. Mais par ce mot de tragédies parfaites j'entends celles du genre le plus sublime et le plus touchant, en sorte que celles qui manquent de l'une de ces deux conditions, ou de toutes les deux, pourvu qu'elles soient régulières à cela près, ne laissent pas d'être parfaites en leur genre, bien qu'elles demeurent dans un rang moins élevé, et n'approchent pas de la beauté et de l'éclat des autres, si elles n'en empruntent de la pompe des vers, ou de la magnificence du spectacle, ou de quelque autre agrément qui vienne d'ailleurs que du sujet.
Dans ces actions tragiques qui se passent entre proches, il faut considérer si celui qui veut faire périr l'autre le connoît ou ne le connoît pas[328], et s'il achève, ou n'achève pas. La diverse combination[329] de ces deux manières d'agir forme quatre sortes de tragédies, à qui notre philosophe attribue divers degrés de perfection. On connoît celui qu'on veut perdre, et on le fait périr en effet, comme Médée tue ses enfants, Clytemnestre son mari, Oreste sa mère; et la moindre espèce est celle-là. On le fait périr sans le connoître, et on le reconnoît avec déplaisir après l'avoir perdu; et cela, dit-il, ou avant la tragédie, comme Œdipe, ou dans la tragédie, comme l'Alcméon d'Astydamas, et Télégonus dans Ulysse blessé[330], qui sont deux pièces que le temps n'a pas laissé venir jusqu'à nous; et cette seconde espèce a quelque chose de plus élevé, selon lui, que la première. La troisième est dans le haut degré d'excellence, quand on est prêt de faire périr un de ses proches sans le connoître, et qu'on le reconnoît assez tôt pour le sauver, comme Iphigénie reconnoît Oreste pour son frère, lorsqu'elle devoit le sacrifier à Diane, et s'enfuit avec lui[331]. Il en cite encore deux autres exemples, de Mérope dans Cresphonte, et de Hellé, dont nous ne connoissons ni l'un ni l'autre. Il condamne entièrement la quatrième espèce de ceux qui connoissent, entreprennent et n'achèvent pas, qu'il dit avoir quelque chose de méchant, et rien de tragique[332], et en donne pour exemple Hémon qui tire l'épée contre son père dans l'Antigone[333], et ne s'en sert que pour se tuer lui-même. Mais si cette condamnation n'étoit modifiée, elle s'étendroit un peu loin, et envelopperoit non-seulement le Cid, mais Cinna, Rodogune, Héraclius et Nicomède.
Disons donc qu'elle ne doit s'entendre que de ceux qui connoissent la personne qu'ils veulent perdre, et s'en dédisent par un simple changement de volonté, sans aucun événement notable qui les y oblige, et sans aucun manque de pouvoir de leur part. J'ai déjà marqué cette sorte de dénouement pour vicieux[334]; mais quand ils y font de leur côté tout ce qu'ils peuvent, et qu'ils sont empêchés d'en venir à l'effet par quelque puissance supérieure, ou par quelque changement de fortune qui les fait périr eux-mêmes, ou les réduit sous le pouvoir de ceux qu'ils vouloient perdre, il est hors de doute que cela fait une tragédie d'un genre peut-être plus sublime que les trois qu'Aristote avoue; et que s'il n'en a point parlé, c'est qu'il n'en voyoit point d'exemples sur les théâtres de son temps, où ce n'étoit pas la mode de sauver les bons par la perte des méchants, à moins que de les souiller eux-mêmes de quelque crime, comme Électre, qui se délivre d'oppression par la mort de sa mère, où elle encourage son frère, et lui en facilite les moyens.
L'action de Chimène n'est donc pas défectueuse pour ne perdre pas Rodrigue après l'avoir entrepris, puisqu'elle y fait son possible, et que tout ce qu'elle peut obtenir de la justice de son roi, c'est un combat où la victoire de ce déplorable amant lui impose silence. Cinna et son Émilie ne pèchent point contre la règle en ne perdant point Auguste, puisque la conspiration découverte les en met dans l'impuissance, et qu'il faudroit qu'ils n'eussent aucune teinture d'humanité, si une clémence si peu attendue ne dissipoit toute leur haine. Qu'épargne Cléopatre pour perdre Rodogune? Qu'oublie Phocas pour se défaire d'Héraclius? Et si Prusias demeuroit le maître, Nicomède n'iroit-il pas servir d'otage à Rome, ce qui lui seroit un plus rude supplice que la mort? Les deux premiers reçoivent la peine de leurs crimes, et succombent dans leurs entreprises[335] sans s'en dédire; et ce dernier est forcé de reconnoître son injustice après que le soulèvement de son peuple, et la générosité de ce fils qu'il vouloit agrandir aux dépens de son aîné, ne lui permettent plus de la faire réussir.
Ce n'est pas démentir Aristote que de l'expliquer ainsi favorablement, pour trouver dans cette quatrième manière d'agir qu'il rebute, une espèce de nouvelle tragédie plus belle que les trois qu'il recommande, et qu'il leur eût sans doute préférée, s'il l'eût connue. C'est faire honneur à notre siècle, sans rien retrancher de l'autorité de ce philosophe; mais je ne sais comment faire pour lui conserver cette autorité, et renverser l'ordre de la préférence qu'il établit entre ces trois espèces. Cependant je pense être bien fondé sur l'expérience à douter si celle qu'il estime la moindre des trois n'est point la plus belle, et si celle qu'il tient la plus belle n'est point la moindre. La raison est que celle-ci ne peut exciter de pitié. Un père y veut perdre son fils sans le connoître, et ne le regarde que comme indifférent, et peut-être comme ennemi. Soit qu'il passe pour l'un ou pour l'autre, son péril n'est digne d'aucune commisération, selon Aristote même, et ne fait naître en l'auditeur qu'un certain mouvement de trépidation intérieure, qui le porte à craindre que ce fils ne périsse avant que l'erreur soit découverte, et à souhaiter qu'elle se découvre assez tôt pour l'empêcher de périr: ce qui part de l'intérêt qu'on ne manque jamais à prendre dans la fortune d'un homme assez vertueux pour se faire aimer; et quand cette reconnoissance arrive, elle ne produit qu'un sentiment de conjouissance, de voir arriver la chose comme on le souhaitoit[336].
Quand elle ne se fait qu'après la mort de l'inconnu, la compassion qu'excitent les déplaisirs de celui qui le fait périr ne peut avoir grande étendue, puisqu'elle est reculée et renfermée dans la catastrophe; mais lorsqu'on agit à visage découvert, et qu'on sait à qui on en veut, le combat des passions contre la nature, ou du devoir contre l'amour, occupe la meilleure partie du poëme; et de là naissent les grandes et fortes émotions qui renouvellent à tous moments et redoublent la commisération. Pour justifier ce raisonnement par l'expérience, nous voyons que Chimène et Antiochus en excitent beaucoup plus que ne fait Œdipe de sa personne. Je dis de sa personne, parce que le poëme entier en excite peut-être autant que le Cid ou que Rodogune; mais il en doit une partie à Dircé, et ce qu'elle en fait naître n'est qu'une pitié empruntée d'un épisode.
Je sais que l'agnition est un grand ornement dans les tragédies: Aristote le dit; mais il est certain qu'elle a ses incommodités. Les Italiens l'affectent en la plupart de leurs poëmes, et perdent quelquefois, par l'attachement qu'ils y ont, beaucoup d'occasions de sentiments pathétiques qui auroient des beautés plus considérables. Cela se voit manifestement en la Mort de Crispe, faite par un de leurs plus beaux esprits, Jean-Baptiste Ghirardelli[337], et imprimée à Rome en l'année 1653. Il n'a pas manqué d'y cacher sa naissance à Constantin, et d'en faire seulement un grand capitaine, qu'il ne reconnoît pour son fils qu'après qu'il l'a fait mourir. Toute cette pièce est si pleine d'esprit et de beaux sentiments, qu'elle eut assez d'éclat pour obliger à écrire contre son auteur, et à la censurer sitôt qu'elle parut. Mais combien cette naissance cachée sans besoin, et contre la vérité d'une histoire connue, lui a-t-elle dérobé de choses plus belles que les brillants dont il a semé cet ouvrage! Les ressentiments, le trouble, l'irrésolution et les déplaisirs de Constantin auroient été bien autres à prononcer un arrêt de mort contre son fils que contre un soldat de fortune. L'injustice de sa préoccupation auroit été bien plus sensible à Crispe de la part d'un père que de la part d'un maître; et la qualité de fils, augmentant la grandeur du crime qu'on lui imposoit, eût en même temps augmenté la douleur d'en voir un père persuadé. Fauste même auroit eu plus de combats intérieurs pour entreprendre un inceste que pour se résoudre à un adultère; ses remords en auroient été plus animés, et ses désespoirs plus violents. L'auteur a renoncé à tous ces avantages pour avoir dédaigné de traiter ce sujet comme l'a traité de notre temps le P. Stéphonius[338], jésuite, et comme nos anciens ont traité celui d'Hippolyte; et pour avoir cru l'élever d'un étage plus haut selon la pensée d'Aristote, je ne sais s'il ne l'a point fait tomber au-dessous de ceux que je viens de nommer.
Il y a grande apparence que ce qu'a dit ce philosophe de ces divers degrés de perfection pour la tragédie avoit une entière justesse de son temps, et en la présence de ses compatriotes[339]; je n'en veux point douter; mais aussi je ne puis empêcher de dire que le goût de notre siècle n'est point celui du sien sur cette préférence d'une espèce à l'autre, ou du moins que ce qui plaisoit au dernier point à ses Athéniens ne plaît pas également à nos François; et je ne sais point d'autre moyen de trouver mes doutes supportables, et demeurer tout ensemble dans la vénération que nous devons à tout ce qu'il a écrit de la poétique.
Avant que de quitter cette matière, examinons son sentiment sur deux questions touchant ces sujets entre des personnes proches: l'une, si le poëte les peut inventer; l'autre, s'il ne peut rien changer en ceux[340] qu'il tire de l'histoire ou de la fable.
Pour la première, il est indubitable que les anciens en prenoient si peu de liberté, qu'ils arrêtoient leurs tragédies autour de peu de familles, parce que ces sortes d'actions étoient arrivées en peu de familles; ce qui fait dire à ce philosophe que la fortune leur fournissoit des sujets, et non pas l'art. Je pense l'avoir dit en l'autre discours[341]. Il semble toutefois qu'il en accorde un plein pouvoir aux poëtes par ces paroles: Ils doivent bien user de ce qui est reçu, ou inventer eux-mêmes[342]. Ces termes décideroient la question, s'ils n'étoient point si généraux; mais comme il a posé trois espèces de tragédies, selon les divers temps de connoître et les diverses façons d'agir, nous pouvons faire une revue sur toutes les trois, pour juger s'il n'est point à propos d'y faire quelque distinction qui resserre cette liberté. J'en dirai mon avis d'autant plus hardiment, qu'on ne pourra m'imputer de contredire Aristote, pourvu que je la laisse entière à quelqu'une des trois.
J'estime donc, en premier lieu, qu'en celles où l'on se propose de faire périr quelqu'un que l'on connoît, soit qu'on achève, soit qu'on soit empêché d'achever, il n'y a aucune liberté d'inventer la principale action, mais qu'elle doit être tirée de l'histoire ou de la fable. Ces entreprises contre[343] des proches ont toujours quelque chose de si criminel et de si contraire à la nature, qu'elles ne sont pas croyables, à moins que d'être appuyées sur l'une ou sur l'autre; et jamais elles n'ont cette vraisemblance sans laquelle ce qu'on invente ne peut être de mise.
Je n'ose décider si absolument de la seconde espèce. Qu'un homme prenne querelle avec un autre, et que l'ayant tué il vienne à le reconnoître pour son père ou pour son frère, et en tombe au désespoir, cela n'a rien que de vraisemblable[344], et par conséquent on le peut inventer; mais d'ailleurs cette circonstance de tuer son père ou son frère sans le connoître, est si extraordinaire et si éclatante, qu'on a quelque droit de dire que l'histoire n'ose manquer à s'en souvenir, quand elle arrive entre des personnes illustres, et de refuser toute croyance à de tels événements, quand elle ne les marque point. Le théâtre ancien ne nous en fournit aucun exemple qu'Œdipe; et je ne me souviens point d'en avoir vu aucun autre chez nos historiens. Je sais que cet événement sent plus la fable que l'histoire, et que par conséquent il peut avoir été inventé[345], ou en tout, ou en partie; mais la fable et l'histoire de l'antiquité sont si mêlées ensemble, que pour n'être pas en péril d'en faire un faux discernement, nous leur donnons une égale autorité sur nos théâtres. Il suffit que nous n'inventions pas ce qui de soi n'est point vraisemblable, et qu'étant inventé de longue main, il soit devenu si bien de la connoissance de l'auditeur, qu'il ne s'effarouche point à le voir sur la scène. Toute la Métamorphose d'Ovide est manifestement d'invention; on peut en tirer[346] des sujets de tragédie, mais non pas inventer sur ce modèle, si ce n'est des épisodes de même trempe: la raison en est que bien que nous ne devions rien inventer que de vraisemblable, et que ces sujets fabuleux, comme Andromède et Phaéton, ne le soient point du tout, inventer des épisodes, ce n'est pas tant inventer qu'ajouter à ce qui est déjà inventé; et ces épisodes trouvent une espèce de vraisemblance dans leur rapport avec l'action principale; en sorte qu'on peut dire que supposé que cela se soit pu faire, il s'est pu faire comme le poëte le décrit[347].
De tels épisodes toutefois ne seroient pas propres à un sujet historique ou de pure invention, parce qu'ils manqueroient de rapport avec l'action principale, et seroient moins vraisemblables qu'elle. Les apparitions de Vénus et d'Éole ont eu bonne grâce dans Andromède; mais si j'avois fait descendre Jupiter pour réconcilier Nicomède avec son père, ou Mercure pour révéler à Auguste la conspiration de Cinna, j'aurois fait révolter tout mon auditoire, et cette merveille auroit détruit toute la croyance que le reste de l'action auroit obtenue. Ces dénouements par des Dieux de machine sont fort fréquents chez les Grecs, dans des tragédies qui paroissent historiques, et qui sont vraisemblables à cela près: aussi Aristote ne les condamne pas tout à fait, et se contente de leur préférer ceux qui viennent du sujet. Je ne sais ce qu'en décidoient les Athéniens, qui étoient leurs juges; mais les deux exemples que je viens de citer montrent suffisamment qu'il seroit dangereux pour nous de les imiter en cette sorte de licence. On me dira que ces apparitions n'ont garde de nous plaire, parce que nous en savons manifestement la fausseté, et qu'elles choquent notre religion, ce qui n'arrivoit pas chez les Grecs. J'avoue qu'il faut s'accommoder aux mœurs de l'auditeur et à plus forte raison à sa croyance; mais aussi doit-on m'accorder que nous avons du moins autant de foi pour l'apparition des anges et des saints que les anciens en avoient pour celle[348] de leur Apollon et de leur Mercure: cependant qu'auroit-on dit, si pour démêler Héraclius d'avec Martian, après la mort de Phocas, je me fusse servi d'un ange? Ce poëme est entre des chrétiens, et cette apparition y auroit eu autant de justesse que celle[349] des Dieux de l'antiquité dans ceux des Grecs; c'eût été néanmoins un secret infaillible de rendre celui-là ridicule, et il ne faut qu'avoir un peu de sens commun pour en demeurer d'accord. Qu'on me permette donc de dire avec Tacite: Non omnia apud priores meliora, sed nostra quoque ætas multa laudis et artium imitanda posteris tulit[350].
Je reviens aux tragédies de cette seconde espèce, où l'on ne connoît un père ou un fils qu'après l'avoir fait périr; et pour conclure en deux mots après cette digression, je ne condamnerai jamais personne pour en avoir inventé; mais je ne me le permettrai jamais.
Celles de la troisième espèce ne reçoivent aucune difficulté: non-seulement on les peut inventer, puisque tout y est vraisemblable et suit le train commun des affections naturelles, mais je doute même si ce ne seroit point les bannir du théâtre que d'obliger les poëtes à en prendre les sujets dans l'histoire. Nous n'en voyons point de cette nature chez les Grecs, qui n'ayent la mine d'avoir été inventés par leurs auteurs. Il se peut faire que la fable leur en aye prêté quelques-uns. Je n'ai pas les yeux assez pénétrants pour percer de si épaisses obscurités, et déterminer si l'Iphigénie in Tauris est de l'invention d'Euripide, comme son Hélène et son Ion, ou s'il l'a prise d'un autre; mais je crois pouvoir dire qu'il est très-malaisé d'en trouver dans l'histoire, soit que tels événements[351] n'arrivent que très-rarement, soit qu'ils n'ayent pas assez d'éclat pour y mériter une place: celui de Thésée, reconnu par le roi d'Athènes, son père, sur le point qu'il l'alloit faire périr, est le seul dont il me souvienne[352]. Quoi qu'il en soit, ceux qui aiment à les mettre sur la scène peuvent les inventer sans crainte de la censure: ils pourront produire par là quelque agréable suspension dans l'esprit de l'auditeur; mais il ne faut pas qu'ils se promettent de lui tirer beaucoup de larmes.
L'autre question, s'il est permis de changer quelque chose aux sujets qu'on emprunte de l'histoire ou de la fable, semble décidée en termes assez formels par Aristote, lorsqu'il dit qu'il ne faut point changer les sujets reçus, et que Clytemnestre ne doit point être tuée par un autre qu'Oreste, ni Ériphyle par un autre qu'Alcméon[353]. Cette décision peut toutefois recevoir quelque distinction et quelque tempérament. Il est constant que les circonstances, ou si vous l'aimez mieux, les moyens de parvenir à l'action, demeurent en notre pouvoir. L'histoire souvent ne les marque pas, ou en rapporte si peu, qu'il est besoin d'y suppléer pour remplir le poëme; et même il y a quelque apparence de présumer que la mémoire de l'auditeur, qui les aura lues autrefois, ne s'y sera pas si fort attachée qu'il s'aperçoive assez du changement que nous y aurons fait, pour nous accuser de mensonge; ce qu'il ne manqueroit pas de faire s'il voyoit que nous changeassions l'action principale. Cette falsification seroit cause qu'il n'ajouteroit aucune foi à tout le reste; comme au contraire il croit aisément tout ce reste quand il le voit servir d'acheminement à l'effet qu'il sait véritable, et dont l'histoire lui a laissé une plus forte impression. L'exemple de la mort de Clytemnestre peut servir de preuve à ce que je viens d'avancer: Sophocle et Euripide l'ont traitée tous deux, mais chacun avec un nœud et un dénouement tout à fait différents l'un de l'autre; et c'est cette différence qui empêche que ce ne soit la même pièce, bien que ce soit le même sujet, dont ils ont conservé l'action principale. Il faut donc la conserver comme eux; mais il faut examiner en même temps si elle n'est point si cruelle, ou si difficile à représenter, qu'elle puisse diminuer quelque chose de la croyance que l'auditeur doit à l'histoire, et qu'il veut bien donner à la fable, en se mettant en la place de ceux qui l'ont prise pour une vérité. Lorsque cet inconvénient est à craindre, il est bon de cacher l'événement à la vue, et de le faire savoir par un récit qui frappe moins que le spectacle, et nous impose plus aisément.
C'est par cette raison qu'Horace ne veut pas que Médée tue ses enfants, ni qu'Atrée fasse rôtir ceux de Thyeste[354] à la vue du peuple[355]. L'horreur de ces actions engendre une répugnance à les croire, aussi bien que la métamorphose de Progné en oiseau et de Cadmus en serpent, dont la représentation presque impossible excite la même incrédulité quand on la hasarde aux yeux du spectateur:
Quæcumque ostendis mihi sic, incredulus odi[356].
Je passe plus outre, et pour exténuer ou retrancher cette horreur dangereuse d'une action historique, je voudrois la faire arriver sans la participation du premier acteur, pour qui nous devons toujours ménager la faveur de l'auditoire. Après que Cléopatre eut tué Séleucus, elle présenta du poison à son autre fils Antiochus, à son retour de la chasse; et ce prince, soupçonnant ce qu'il[357] en étoit, la contraignit de le prendre, et la força à s'empoisonner. Si j'eusse fait voir cette action sans y rien changer, c'eût été punir un parricide par un autre parricide; on eût pris aversion pour Antiochus, et il a été bien plus doux de faire qu'elle-même, voyant que sa haine et sa noire perfidie alloient être découvertes, s'empoisonne dans son désespoir, à dessein d'envelopper ces deux amants dans sa perte, en leur ôtant tout sujet de défiance. Cela fait deux effets. La punition de cette impitoyable mère laisse un plus fort exemple, puisqu'elle devient un effet de la justice du ciel, et non pas de la vengeance des hommes; d'autre côté, Antiochus ne perd rien de la compassion et de l'amitié qu'on avoit pour lui, qui redoublent plutôt qu'elles ne diminuent; et enfin l'action historique s'y trouve conservée malgré ce changement, puisque Cléopatre périt par le même poison qu'elle présente à Antiochus.
Phocas étoit un tyran, et sa mort n'étoit pas un crime; cependant il a été sans doute plus à propos de la faire arriver par la main d'Exupère que par celle d'Héraclius. C'est un soin que nous devons prendre de préserver nos héros du crime tant qu'il se peut, et les exempter même de tremper leurs mains dans le sang, si ce n'est en un juste combat. J'ai beaucoup osé dans Nicomède: Prusias son père l'avoit voulu faire assassiner dans son armée; sur l'avis qu'il en eut par les assassins mêmes, il entra dans son royaume, s'en empara, et réduisit ce malheureux père à se cacher dans une caverne, où il le fit assassiner lui-même[358]. Je n'ai pas poussé l'histoire jusque-là; et après l'avoir peint trop vertueux pour l'engager dans un parricide, j'ai cru que je pouvois me contenter de le rendre maître de la vie de ceux qui le persécutoient, sans le faire passer plus avant.
Je ne saurois dissimuler une délicatesse que j'ai sur la mort de Clytemnestre, qu'Aristote nous propose pour exemple des actions qui ne doivent point être changées. Je veux bien avec lui qu'elle ne meure que de la main de son fils Oreste; mais je ne puis souffrir chez Sophocle que ce fils la poignarde de dessein formé cependant qu'elle est à genoux devant lui et le conjure de lui laisser la vie[359]. Je ne puis même pardonner à Électre, qui passe pour une vertueuse opprimée dans le reste de la pièce, l'inhumanité dont elle encourage son frère à ce parricide. C'est un fils qui venge son père, mais c'est sur sa mère qu'il le venge. Séleucus et Antiochus avoient droit d'en faire autant dans Rodogune; mais je n'ai osé leur en donner la moindre pensée. Aussi notre maxime de faire aimer nos principaux acteurs n'étoit pas de l'usage des anciens[360]; et ces républicains avoient une si forte haine des rois, qu'ils voyoient avec plaisir des crimes dans les plus innocents de leur race. Pour rectifier ce sujet à notre mode, il faudroit qu'Oreste n'eût dessein que contre Égisthe; qu'un reste de tendresse respectueuse pour sa mère lui en fît remettre la punition aux Dieux; que cette reine s'opiniâtrât à la protection de son adultère, et qu'elle se mît entre son fils et lui si malheureusement qu'elle reçût le coup que ce prince voudroit porter à cet assassin de son père. Ainsi elle mourroit de la main de son fils, comme le veut Aristote, sans que la barbarie d'Oreste nous fît horreur, comme dans Sophocle, ni que son action méritât des Furies vengeresses pour le tourmenter, puisqu'il demeureroit innocent.