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Analectabiblion, Tome 1 (of 2): ou extraits critiques de diveres livres rares, oubliés ou peu connus

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LES DICTZ DE SALOMON.

Ensemble quatre autres opuscules tant gothiques que modernes, composant un joli volume manuscrit du XVIIIe siècle, sur peau de vélin, format in-16, avec une parfaite imitation de l'écriture gothique et des figures en bois des éditions originales.

(1480-82-88—1509—1631—1750.)

1o. Les Dictz de Salomon avecques les Respōces de Marcoul fort joyeuses, translaté du latin, (Salomonis et Marcolphi dialogus, Antuerpiæ, per me Gerardum leeu impressus, 1488, in-4), et mis en rime française par Jehan Divery. Paris, par Guillaume Eustace, M.D.IX. (Très rare.)

On connaît une édition sans date des Dictz de Salomon qui est encore plus rare que l'édition de 1509, et c'est celle-là que notre manuscrit représente fidèlement. Quant à l'opuscule lui-même, il est édifiant par le but de l'auteur, mais d'une telle naïveté d'expression, qu'il fait aujourd'hui l'effet d'un écrit des plus libres. Le roi Salomon, voulant détourner les hommes des piéges de la volupté, présente un tableau hideux et vrai des ruses, des tromperies et de la basse cupidité des femmes perdues. Marcou, Marcoul, ou Marcon, son valet, fait chorus avec lui, selon le mode hébraïque, en répondant un tercet à chaque tercet de premier texte: le tout est semé de métaphores, de comparaisons, comme cela se voit dans les psaumes, et compose quatre-vingt-dix-sept tercets, dont à peine oserons-nous citer six:

SALOMON.
Ne vous chaut semer
En sablon de mer
Ia ny croistra grain.
MARCOUL.
Bien pert son sermon
Qui veut par raison
Chastoier putain.
SALOMON.
Cerf va cele part
Ou il set lessart
Si paist volentiers.
MARCOUL.
Pute de mal art
Set bien de musart
Traire les deniers.
SALOMON.
Len tent a le glu
Ou len a véu
Reperier oisiaus.
MARCOUL.
Pute cerche four
La ou ele espour
Plente de troussiaus.

Il faut avouer que Jean Divery n'était pas un versificateur élégant, même pour son époque, et que du Verdier l'a beaucoup honoré d'en parler comme il l'a fait.

2o La Grande Confrarie des Soulx d'Ouvrer et Enragez de rien faire.; avecques les Pardons et Statuts d'icelle. Ensemble les monnoies d'or et d'argent servans à la dicte Confrarie. Nouuellement imprimé à Lyon en labbaye de Sainct-Lasche.

Cette petite pièce, sans date, qu'on doit rapporter à la fin du XVe siècle, est une vive satire des mœurs du temps cachée sous une imitation burlesque et fort spirituelle des édits royaux et ordonnances seigneuriales. «De par Saoul d'Ouvrer, par la grâce de trop dormir, roi de Négligence, duc d'Oysiveté, palatin d'Enfance, visconte de Meschanceté, marquis de Trop-Muser, connétable de Nulle-Entreprinse, admiral de Faintise, capitaine de Laisse-moy en Paix, et courier de la court ordinaire de monseigneur Sainct-Lasche, à nos amés feaulx conseillers sur le faict de nulle science èt salut, etc.» Suit une longue ordonnance pour obliger lesdits féaulx, sujets de ladicte abbaye, à vivre oisifs, souffreteux, endettés, misérables, etc., moyennant quoi il leur est accordé royalement tous les dimanches deux miches de faulte de pain, les lundis de faulte de vin, et les autres jours nécessité, etc., etc. Après l'ordonnance vient une belle royale promesse au nom de Bacchus, Cupido, Cérès, Pallas et Vénus, régens de la confrarie de Sainct-Lasche, pour rémunérer en l'autre monde, par toutes sortes de jouissances et profusions, lesdicts sujets de tout ce qu'ils auront souffert sur la terre. Un tarif des monnoies de l'abbaye suit le tout. On y trouve qu'un noble vaut deux vilains, un ducat deux comtes, un réal deux chevaliers, un florin au monde deux de paradis, un marquis deux barons, un ail deux oignons, etc., etc. En vérité, en vérité, la liberté de penser et d'écrire, ou même la licence, n'est pas nouvelle chez les Français: c'est une plante de leur sol et justement de leur âge.

3o. S'ensuit la lettre d'Escornifflerie, nouuellement imprimée à Lyon, avec deux figures, dont l'une porte pour épigraphe: Spes Nemesis.

L'auteur de cette pièce rarissime est probablement Hans du Galaphe, le même qui doit avoir écrit le Testament de Taste-Vin, roi des Pions, vers 1480, et pourrait bien avoir aussi composé la pièce précédente, qui offre de l'analogie avec la présente lettre: «Nous, Taste-Vin, par la grâce de Bacchus, roy des Pions, duc de Glace, etc., etc., etc., sçavoir faisons à tous nos subjects, vasseaux et taverniers, tripiers, morveux, escorcheurs, escumeurs de pottée froide, ypocrites et gens qui font accroire d'une truie que c'est un veau, et d'un veau que c'est une brebis, etc., etc., et qu'ils soyent prests à donner à nostre très cher et parfaict Teste de C... rosti, tasses, brocs, verres, etc., tous pleins de vin, ypocras, vin d'anis, etc., etc., donné à Frimont en Yvernay, à nostre chastellerie de Tremblay, les octaves sainct Jean en hiver, et de nostre règne la moitié plus qu'il n'y en a, etc., etc., signé par copie de maistre Jehan Gallon, premier chambellan en nostre chapitre général, tenu en l'abbaye de Saincte-Souffrette, etc., etc.»

4o. Prenostication nouuelle de frère Thibault, avec une figure et cette épigraphe: Ceste année des merueilles. Imprimé à Lyon.

Excellente plaisanterie contre les devins. L'auteur annonce des choses prodigieuses qu'il explique ensuite tout naturellement. Ainsi, cette année, on verra des rois et des reines s'allier ensemble, puis se brouiller, et se consumer en cendres. C'est un jeu de cartes qu'un joueur perdant jettera au feu dans son dépit. Une créature naîtra sur la terre, qui aura barbe de chair, bec de corne, pieds de griffon, faisant grand bruit, et tel que les corps sans âme s'en émouvront, et alors les chrétiens courront sur le dos d'un des signes des quatre Évangélistes, et arriveront en un lieu où des gens morts-vifs crieront jusqu'à ce que le fils ait mangé le père. C'est un coq au chant duquel les cloches sonnent la messe. Alors arrivent les fidèles, chaussés de souliers de cuir de bœuf, qui trouvent des religieux chantant jusqu'après la communion du prêtre. On retrouve cette énigme sous forme de prophétie dans un petit livre passablement plaisant, traduit du toscan, lequel a pu servir de type à son tour aux questions tabariniques. Ce livre est intitulé: Questions diverses et responses, divisées en trois livres, à sçavoir: Questions d'amour, questions naturelles et questions morales et politiques, dédiées par le traducteur à la noblesse française et aux esprits généreux. 1 vol. in-12. Lyon, 1570, ou Rouen, 1617, ou Rouen, (sans date.)

5o. Compromis, ou Contrat d'Association passé entre deux Filles de Paris, qui ont promis et juré, l'une et l'autre, de faire argent de tout, 1631. Le titre seul de ce contrat annonce qu'il n'est pas susceptible d'honnête analyse.


LA GRĀD MONARCHIE DE FRANCE.

Composée par messire Claude de Seyssel, lors evesque de Marseille, et depuis archevesque de Turin, dressant au roy très chrestien Frāçoys premier de ce nom.

ENSEMBLE:
LA LOY SALICQUE,
PREMIÈRE LOY DES FRANÇAIS.

On les vend en la grande salle du Palais, au premier pilier, en la boutique de Galiot du Pré, libraire juré en l'Université de Paris. (1 vol. in-12 de 162 feuillets, plus 12 feuillets préliminaires, et un feuillet à la fin figurant les insignes de Galiot du Pré, avec de jolies vignettes en bois dont le dessin, remarquablement correct, témoigne de la renaissance de l'art). Imprimé par Denys Janot.

(1482—1515—1541.)

Claude de Seyssel, digne prélat et homme d'État, d'origine piémontaise, avait été conseiller du roi Louis XII, prince qu'il aimait et admirait avec raison, dont il écrivit l'histoire, sous lequel il s'était formé à l'étude de notre ancien droit public, et au respect pour nos franchises. Il composa sa Grand'Monarchie dans l'année 1515, en deux mois, comme il nous l'apprend dans son Prologue adressé au roi François Ier. Sa Loy salicque est antérieure à cet ouvrage. Il l'écrivit vers l'an 1482, pour répondre aux prétentions des Anglais sur certaines parties du royaume de France établies sur les droits d'Edouard III, et éclaircir définitivement cette matière, qui laissait encore des doutes alors dans plusieurs esprits. Quant à la Grand'Monarchie, ce fut l'hommage d'un vieux et fidèle serviteur présenté à son jeune maître dans le but de guider ses premiers pas dans les affaires du gouvernement et de la guerre, par la connaissance des causes qui avaient élevé le royaume au degré de force et de splendeur qu'on lui voyait, comme aussi par l'examen des fautes qui l'avaient souvent compromis. C'est en quelque sorte le nunc dimittis de ce vieillard vénérable; car il mourut en 1520, heureux sans doute d'avoir vu Marignan, et de n'avoir pas vu Pavie ni bien d'autres choses.

Sa dédicace au roi est pleine d'expressions naïves et touchantes: «Sire, dit-il, moy voulant à présent retirer au service de Dieu et de mon Eglise, comme estat et mon âge le recquierent, et non ayant eu l'espace et le loisir de vous informer et faire rapport de bouche, de plusieurs grans affaires que j'ay maniées, à cause des occupations intolérables qu'avez eu à ce commencement de vostre regne, pour le concours des princes et grans personnages... m'a semblé devoir à tout le moins vous faire quelque ject par escrit, etc., etc.»

Vient ensuite la division de son livre en cinq parties, savoir: 1o de l'excellence du gouvernement monarchique, et en particulier de l'excellente police de la monarchie française; 2o des moyens de police qui peuvent accroître la prospérité et la grandeur du royaume; 3o des moyens de force d'en augmenter la puissance; 4o de la politique étrangère, et de la façon dont il convient de vivre avec les autres états; 5o des guerres à entreprendre, des conquêtes à faire, et des moyens de conserver celles déjà faites. Le style de l'écrivain est encore gothique, entravé de termes et de tournures qui sentent l'étranger. Il manque d'ailleurs de chaleur, qualité que probablement l'âge de Seyssel n'était pas seul à lui refuser, à en juger par sa vie de Louis XII et par ses autres écrits; mais l'imagination, qui embellit tous les sujets, n'est pas nécessaire dans celui-ci; et, du reste, le sens droit, la franche probité et une érudition supérieure pour le temps y dédommagent le lecteur par l'utilité de ce qu'il n'y trouve pas en agrément. La 1re partie contient 19 chapitres; la 2e, 25; la 3e, 12; la 4e, 4; et la 5e, 10. Nous donnons une idée de ces deux ouvrages sans nous arrêter aux nombreuses divisions qui les fractionnent souvent inutilement, et en parlant le plus possible au nom de l'auteur, méthode qui nous semble propre à vivifier l'analyse et à la sauver des langueurs du style indirect.

Trois sortes de gouvernemens: le monarchique, le meilleur de tous quand les princes sont bons, mais en raison de cela même, chanceux; l'aristocratique, plus sûr, sans que pourtant il soit à l'abri de l'oligarchie, c'est à dire de l'égoïsme de quelques hommes puissans; et le populaire, turbulent de sa nature, dangereux et ennemi des gens de bien. Chacun de ces gouvernemens tend à empirer, par son accroissement même, et à tomber par là de l'un dans l'autre, ainsi qu'on le vit à Rome, d'abord gouvernée sagement, puis tyranniquement par des rois; puis, en haine des rois, régie par des consuls représentant la royauté mitigée, et par un sénat aristocratique; puis merveilleusement réglée par l'action balancée des deux premiers pouvoirs et du pouvoir populaire, lequel venant ensuite à s'étendre avec les frontières, ouvrit la porte aux brigues et aux séductions de quelques citoyens riches et ambitieux; d'où naquirent les guerres civiles, et avec elles survint le despotisme militaire suivi de la mort.

Le gouvernement de Venise, qui assure les franchises du peuple et restreint l'exercice de la souveraineté entre un duc, image de prince, et les nobles, paraît le plus sage de tous et le plus favorable à la durée de l'Etat. Toutefois, il renferme trois germes de destruction: 1o la crainte jalouse qu'ont les nationaux des gens de guerre, en faisant confier aux étrangers la conduite des troupes de terre et de mer, expose la république à être trahie ou mal servie; 2o à côté des gentilshommes qui ont tout le pouvoir s'est élevée une classe d'hommes sages et riches qui, ne pouvant rien, sont mécontens et dangereux; 3o parmi les nobles eux-mêmes, il s'est formé deux grandes factions, celle des nobles fondateurs et celle des nobles agrégés; et chez les deux, mille partis divers qui se détestent et peuvent un jour se heurter si violemment, que l'édifice s'écroule. Seyssel aurait pu ajouter à ces causes de ruine, que l'État vénitien étant fondé sur le commerce, dont le temps change à la fin l'objet et les chemins, devait décliner suivant les variations de cette boussole du monde. A tout prendre, continue-t-il, le monarchique est le meilleur, en ce qu'il dure davantage et s'accorde mieux avec la nature des choses qui tend à l'unité; et, dans la monarchie, la succession convient mieux que l'élection, laquelle répugne à son principe.

Entre les monarchies, celle de France offre des caractères particuliers qui la rendent préférable à toute autre. Première spéciauté, que j'y trouve bonne; elle va par succession masculine et ne saurait tomber en main de femme, grâce à la loi salique. De la sorte, on n'y voit pas arriver par mariages des étrangers avec leur suite, leurs mœurs étranges, leurs intérêts nouveaux, qui rompent le fil des coutumes, desseins et mœurs nationales. Seconde spéciauté. L'autorité royale, sans être trop restreinte, est pourtant limitée, ou pour le moins réglée par trois chefs, savoir: la religion, la police et la justice. Les Français sont naturellement religieux, et même, quand ils étaient idolâtres, ils donnaient toute suprématie aux druides; d'où il suit que leurs rois sont obligés d'avoir Dieu de leur côté, et qu'un saint prêtre peut toujours les reprendre et arguer publiquement en leur barbe. Les parlemens, composés de gens notables et jugeant à vie, sont un frein puissant aux caprices des souverains; car ces caprices changent, ne fût-ce que par la mort du capricieux, et le corps de la justice ne changeant pas plus que son esprit, il arrive que les mauvais conseillers de la couronne, et les criminels de tous ordres, finissent toujours par être pris dans eux ou leurs hoirs, et d'autant plus rudement que plus ils ont été favorisés contre le droit. Le parlement ne sert pas seulement à la justice des personnes; aidé de la Chambre des comptes, il arrête les prodigalités du souverain, soit en n'obéissant pas à leurs ordres, soit en revenant plus tard sur l'exécution d'ordres mal donnés, en vertu du principe que le domaine royal est inaliénable, et aussi d'ordonnances fort sages contre lesquelles nulle durée ne prescrit. De la sorte, le roi prodigue est forcé de recourir à des taxes, moyen difficile, hasardeux, et d'un usage nécessairement rare. Mais, de plus, il y a une autre forme de vivre en ce royaume, qui règle excellemment l'autorité royale sans lui nuire; c'est la division des trois ordres dans l'État, sans parler du clergé, dont on parlera plus tard, savoir: la noblesse, le peuple moyen ou gras, et le peuple menu ou maigre. La noblesse seule porte les armes, et, pour ce, de défendre le pays, jouit de charges, bénéfices et priviléges qui la rendent contente et indépendante. Elle ne voudrait méfaire au roi; le roi ne pourrait méfaire à elle. C'est le premier ordre en considération, et si ne sont pourtant les deux autres oubliez. D'abord le peuple moyen a seul la marchandise et les offices de finance, et, partant, s'enrichit par lui-même, tandis que les nobles ne peuvent rien gagner qu'en bien servant l'État. Le gros profit est donc pour le peuple gras, si les honneurs et dons du roi sont pour les nobles. Quant au peuple menu, celui-là qui vaque au labourage et aux arts mécaniques, s'il n'est pas trop libre ni trop riche, aussi ne faut-il pas qu'il le soit, à peine de remuer pour l'être davantage, et tout brouiller; et si ne laisse-t-il pas de vivre en paix, n'étant mené en guerre, et jouissant d'ailleurs de plusieurs menus offices de justice et de finance. Le beau de cet arrangement est qu'on peut passer, non vitement, mais sûrement d'un ordre en l'autre supérieur; du 3e au 2e par soi seul, et du 2e au 1er par la concession du roi, laquelle ne saurait manquer aux gens dignes, par le besoin où est le prince de réparer sans cesse, dans la noblesse, les vides qu'y font la guerre et la pauvreté, les nobles se faisant souvent tuer, et ne pouvant faire commerce. Il est curieux de rapprocher, de ces éloges donnés à notre ancien état social et politique, les plaintes ou soupirs de la France esclave, qu'on trouvera dans ce recueil sous l'année 1690. Je trouve encore une bonne spéciauté en ceci que les bénéfices ecclésiastiques se donnant par élection, suivant la pragmatique, tout sujet capable y peut prétendre. Hélas! le bon Seyssel, qui est ici d'accord avec Pasquier, ne se doutait guère que cette spéciauté allait s'évanouir deux ans plus tard, ou peut-être s'en doutait-il? Poursuivons: ces trois ordres vivent en harmonie, d'abord par intérêt, puis faute de se pouvoir nuire, car si les nobles veulent écraser les deux ordres inférieurs, ils rencontrent de front le roi et la justice. Si les deux ordres inférieurs veulent regimber, le roi, la justice et les armes les arrêtent. Voilà comment la monarchie de France est une Grand'Monarchie, très bien fondée pour durer longuement et prospérer grandement. Maintenant, comment la conserver et l'augmenter par la police.

La première chose est que le monarque soit bien instruit et formé de bonne heure à l'amour de ses peuples, de la vertu et de Dieu, et dressé à de sages façons de vivre; mais, comme tout a été dit sur ce sujet par Aristote éduquant Alexandre, Zénocratès écrivant à Néoclès, roi des Cypriotes, Zénophon en son livre de la Pédie de Cyrus, Cicéron en son oraison à la louange de Pompée, Plinius en son panégyrique de Trajan, saint Thomas d'Aquin et Egidius de Rome, et de nos jours par Jehan Meschinot en ses Lunettes des princes, il serait superflu et téméraire ensemble de rien ajouter. Je présuppose donc le prince doué, à cet égard, des dons de nature et de grace, et je viens aux points particuliers: 1o le prince doit avoir trois conseils; un général sans être trop nombreux, qui répond au conseil des soixante-douze disciples de Jésus-Christ; un autre plus restreint pour les affaires plus secrètes, à l'imitation du conseil des douze apôtres; et enfin un confidentiel, qui sera l'image de la réunion de saint Pierre, saint Jean et saint Jacques, pour les hauts mystères et promptes délibérations. Le 1er conseil doit s'assembler au moins trois fois par semaine; le 2o tous les jours; et le 3o quand le cas le requiert. Il faut les composer de gens notables de diverses charges et emplois, et considérer la vertu et le mérite pour le choix, d'autant plus que le nombre en est plus petit. Dans ces conseils, le prince doit rarement décider contre la majorité des voix, n'y donner crédit absolu à personne, écouter les délations sans les trop croire ni trop les dédaigner, exiger et garder un secret inviolable sur les matières qui le demandent, sans craindre d'ailleurs de s'entretenir, parfois, familièrement de certaines affaires, pour mieux s'éclairer, et ne garder jamais rien pour soi seul; car il faut au moins un avis dans toute chose. Ces points capitaux des conseils étant bien réglés, il serait difficile que l'État vînt à souffrir grand dommage sans qu'il y eût à l'instant remède. Autres points: se ressouvenir que les choses se conservent par les mêmes causes et moyens qui les ont introduites. Ainsi, l'Etat de France étant établi sur la religion, la justice et la police, il convient d'honorer et aider le pape; de rendre aux prélats les hommages qui leur sont dus, encore que je confesse que, de notre temps, il y en ait beaucoup d'indignes, et beaucoup du fait même des princes; et de ceux-là je suis sans doute des plus indignes. Il faut exiger la résidence des prélats, et ne pas souffrir que, par ambition, ils aillent à Rome, par troupes, engraisser la cupidité romaine, et amaigrir nos provinces. Il convient encore de respecter religieusement la justice du royaume; car les hommes résistent à la force et obéissent à la justice. Pour ce faire, choisir maturément les sujets; les peu changer; empêcher la vénalité des charges de judicature qui commence à s'introduire; ne jamais intervenir, dans les procès, en faveur de qui que ce soit, et encore moins contre, et user rarement du droit de grâce, et jamais pour les criminels détestables. Enfin, dans ce qui concerne la police proprement dite, le soin premier du souverain sera de maintenir cette harmonie des trois ordres de citoyens dont on a parlé, savoir: pour la noblesse, de l'aimer et de l'estimer, d'autant qu'elle vit d'honneurs, non de profit, servant l'État depuis tant de siècles, aux périls et dépens de sa vie; mais de ne pas la laisser usurper l'autorité sur les baillis, sénéchaux et autres juges royaux, et d'y réprimer sévèrement les violences auxquelles, par le fait des armes, elle est trop inclinée; de veiller à ce que les gens de justice ne la ruinent point par la longueur des procès; de modérer, par l'exemple royal, son goût excessif pour les pompes, le luxe et la bombance, qui l'épuise et la contraint puis après à piller le peuple gras et le peuple maigre. Sa gloire et sa réputation ne consistent point en telles pompes et gorgiasetez. Pour l'ordre moyen: de favoriser la marchandise, et prendre souci, par diverses ordonnances du roi, très difficiles à bien peser, et qui ne sont pas de mon fait, que l'argent ne sorte point du royaume. Pour le tiers-ordre ou populaire: de le peu fouler d'impôts et taxes; de veiller à ce que les officiers de finance n'augmentent pas la charge en la levant; de le protéger contre les gens d'armes, et de lui ouvrir la porte à s'élever par le commerce, la science, la littérature, et même la guerre. Un seul homme, qui s'élève par ces moyens, en fait courir dix mille; et, par ainsi, s'entretient l'émulation de vertu. Mais il est temps de montrer comment le royaume peut s'accroître par la force.

Le prince établira judicieusement, sur les frontières, de bonnes places fortifiées et bien munies de toutes choses, qu'il visitera de temps à autre, à l'imprévu, aussi bien que les provinces, donnant audience et facile accès à un chacun. Il entretiendra des corps permanens de gens de pied, tant pour faire part au peuple de la défense du pays, que pour ne pas assoler la noblesse, et faire face aux Anglais, Allemands et Suisses, qui combattent à pied. De la sorte il n'aura plus besoin d'étrangers; la nation sera suffisamment, mais non trop aguerrie, et l'argent ne sortira pas du royaume. Il aura soin de tenir ses troupes en exacte et sévère discipline, laquelle consiste en deux choses: première, le bon choix des chefs, fait par mérite plus que par faveur, entre gens ni trop vieux ni trop jeunes, et pourvus des qualités requises, dont l'auteur fait l'énumération. Seconde chose, l'obéissance des soudards, laquelle s'obtient mieux par la sévérité juste que par la débonnaireté; comme aussi par l'attention des chefs à respecter les droits et les besoins des soudards, et à les satisfaire, en gardant toujours la majesté du commandement, et sans souffrir abondance de charrois, provisions, harnois, pour aider à l'opulence des gens de guerre, toujours pernicieuse à la discipline, ainsi qu'Annibal l'expérimenta dans Capoue.

La politique étrangère, ou la façon de vivre avec les États et princes voisins, est encore à rechercher pour accroître le royaume. C'est là une matière délicate, car elle n'offre pas de règles théoriques sûres comme le gouvernement du dedans, tel pays devenant ennemi d'ami qu'il était, par mille causes imprévues. Toutefois on peut encore ici se faire des principes, 1o de rechercher la paix avec toutes nations qui ne sont pas hostiles par nature et essence, telles que les nations infidèles, et de n'entreprendre guerre que pour la défense et l'honneur de soi ou de ses alliés; 2o de se tenir constamment préparé contre l'attaque, en voyant clair sur la conduite du dehors, principalement contre l'agression des États puissans, ou qui s'agrandissent, ce qui s'obtient par le soin de ne laisser passer ni pénétrer, par ses terres, aucun voisin redoutable; d'avoir des amis chez les étrangers qui les surveillent, et balancent les partis ennemis; de ménager des discords entre eux, quand on a sujet de les craindre, et d'attirer chez soi les hommes de tous les pays qui dominent les autres par leurs talens. Il ne faut pas entreprendre guerre sans avoir épuisé la voie des remontrances, ni faire la paix dans l'adversité à moins de nécessité extrême, à l'exemple des Romains et à l'encontre des Carthaginois. Ce serait un capital expédient, pour le royaume de France, qui a tant de belles côtes, d'avoir toujours de bonnes flottes et armées de mer, lesquelles préviennent mieux les guerres que les armées de terre, par la crainte qu'elles inspirent sur tous les points, et sont moins lourdes aux peuples.

La cinquième et dernière partie de mon livre traitera, comme je l'ai dit, des conquêtes à faire et des moyens de les conserver, pour ce que le roi de France, tant sage qu'il soit, peut être, par légitimes droits, amené à conquérir au loin, ainsi que cela s'est encore vu, mêmement de nos jours. Et d'abord, il convient, avant de conquérir, d'examiner si la conquête est juste, et de l'examiner devant Dieu et son conseil, sans faintise, et bien autrement que l'on ne doit faire, si j'ose dire, quand il s'agit de se défendre; et vaut mieux, s'il y a doute, différer dix ans qu'avancer d'un jour. Cet examen fait, il faut passer à celui des difficultés probables, telles que les forces de l'ennemi, la qualité du pays, l'état des chemins, les ressources de vivres, les lieux à traverser, et enfin ses propres ressources, en comptant toute chose au pire; puis après, examiner comment on gardera ce qu'on aura possible pris, et si le gain vaut la perte; bref et finalement, ne se décider pour oui que par considération de nécessité et non par celle de la simple utilité. L'entreprise une fois décidée, il faut s'équiper promptement, ne pas regarder aux frais, et agir vite, surtout avec les Français, qui sont trop meilleurs d'arrivée et à la première poincte qu'après long séjour et de froid sang. La conquête faite, recourir promptement aux moyens d'une sage police pour s'attacher les habitans, et ne plus laisser que le moins possible d'image de la guerre, afin de montrer qu'on n'est pas venu pour fouler, mais pour gouverner et s'établir en amis, à long-temps et pour toujours. Récompenser les siens en biens du pays, afin qu'ils s'y attachent et maintiennent par possessions, par alliances, etc., les habitans, ainsi que fit Guillaume de Normandie. Punir aigrement les révoltes, et accueillir largement les fidèles et les soumis. Incorporer nombre de naturels dans ses troupes; prendre les mœurs du pays; respecter les usages; bailler les charges aux naturels, hormis les premières; rendre bonne et égale justice, et punir les violences des siens; connaître les divisions des partis, car il y en a partout, et fortifier l'un contre l'autre; enfin, se saisir de bons otages, et mettre garnisons solides ez places convenables. Ainsi prospérera de plus en plus, Dieu aidant, la nation de France.

LA LOY SALICQUE,

Première Loy des Françoys faicte par le roy Pharamond, premier roy de France, faisant mention de plusieurs droicts appartenant aux roys de France.

(1540.)

On sait qu'en 1478, Louis XI, suivant sa coutume de faire agir la ruse plutôt que les armes, avait conclu avec Edouard IV (Yorck) une trève de 100 ans, qui suspendit habilement les prétentions du roi d'Angleterre sur la couronne de France et sur l'héritage de certaines provinces, telles que la Normandie, l'Anjou, etc. Cette convention trancha, par le fait, au profit de nos rois, une question que la guerre eût bien pu laisser indécise encore pendant longues années; mais restait l'évidence des droits français à démontrer. C'est là ce qu'entreprit Claude de Seyssel, dans sa Loi salique, peu de temps après la signature de la trève adroite dont nous venons de parler. Il divisa son ouvrage en trois sections; la première traite de la grande querelle d'Edouard III et de Philippe de Valois, résolue en faveur de ce dernier par les états-généraux, sur ce passage fameux de la loi civile des Saliens, relatif à la transmission des Alleuds: Nulla portio hæreditatis de terra salicqua mulieri veniat; passages que nos vieux Français appliquaient au domaine de la couronne et à la couronne elle-même; confondant ici deux choses distinctes, la couronne et le domaine royal; car le gouvernement des hommes, entendons de ceux qui ne sont pas réduits à l'état de servitude, ne saurait jamais, en dépit de toutes les lois saliques du monde, être considéré comme une propriété. Mieux vaut s'en tenir, sur ce point, à la déclaration d'Estienne Pasquier, que la loi qui interdit la couronne de France aux femmes n'est écrite nulle part, hormis ez cœurs des Françoys. Dans la deuxième section, l'auteur, après une longue et savante dissertation historique, déboute les princes anglais de tout droit sur la Normandie, la Guienne, l'Anjou, le Maine, à titre héréditaire; et cela, tant en vertu de la succession régulière qu'à cause des confiscations légalement exercées pour le fait de félonie. Enfin la troisième section est consacrée à prouver, contre le roi Edouard IV, qu'il est mal fondé à tirer vindicte de la rupture opérée en 1449 de la trève conclue en 1444, entre Charles VII et Henri VI, puisque les torts vinrent alors de l'Angleterre, qui se saisit violemment, en pleine paix, de la ville de Fougères sur le duc de Bretagne, vassal du roi de France. Seyssel met à établir que la France a pour elle la bonne foi, une importance qui lui fait beaucoup d'honneur, ainsi qu'à l'esprit français de cette époque; mais il est fort amer, à ce sujet, contre les Anglais, et cite un cruel quatrain:

Anglicus est cui
Numquam credere fas est
Dum tibi dicit: Ave.
Tanquam ab hoste cave.

En résumé, cet ouvrage, rempli de notions historiques précises et de raisonnemens bien déduits, sur notre ancien droit public, sera toujours excellent à lire pour s'instruire à fond des causes de nos vieilles dissensions avec les Anglais. On trouve à la suite un petit aperçu géographique sur la Gaule et la Grande-Bretagne qui dénote un savoir tant soit peu gothique. Il y est écrit que saint Patrice, fils de la sœur saint Martin, fut envoyé par le pape Célestin, en Hybernie, qui est une région en mer, nommée Escosse la Saulvaige, où les gens mangent les hommes et les femmes, comme dict sainct Hierosme. Si cette assertion est vraie, il faut convenir qu'on ne doit désespérer de rien en fait de civilisation, puisque l'Écosse est aujourd'hui considérée, par bien des gens éclairés, comme un des pays de la terre où il faut chercher le type de l'espèce humaine, sous le double rapport des lumières et des mœurs.


LA GRANDE DANSE MACABRE
DES HOMMES ET DES FEMMES,

Historiée et renouvelée de vieux gaulois en langage le plus poli de notre temps, avec le Débat du Corps et de l'Ame, la Complaincte de l'Ame damnée; l'Exhortation de bien vivre et de bien mourir; la Vie du mauvais Antechrist; les Quinze signes du jugement. A Troyes, chez Jean-Antoine Garnier, 1728; 1 vol. in-4, fig. en bois, de 76 pages.

(1485-90—1728.)

L'auteur, ou plutôt le traducteur français de ce livre bizarre, est un sieur Guyot Marchant, qui demeurait à Paris, en 1485. L'édition originale parut, cette même année, le 28 septembre. Elle est fort rare, mais bien moins complète que les éditions postérieures, ne contenant que 10 feuillets de texte et 17 gravures en bois. L'édition in-fol., gothique, de 1490, indique que cette composition singulière, qui se trouve figurée dans un tableau fameux du peintre Holbein, et, dernièrement, dans un ouvrage anglais à vignettes coloriées, intitulé: The Dance of Death, a été traduite autrefois en vers français d'un poème allemand.

L'idée du livre est le développement de ce lieu commun, si souvent traité dans toutes les langues, que tous les hommes, grands et petits, riches et pauvres, paieront le tribut à la mort.

O créature raisonnable
Qui désire le firmament,
Voici ton portrait véritable,
Afin de mourir saintement;
C'est la danse des Macabées,
Où chacun à danser apprend,
Car la Parque, ceste obstinée,
N'épargne ni petit ni grand, etc., etc., etc.

La suite des figures représente la mort entraînant les gens de toute condition, bon gré mal gré, à commencer, pour les hommes, par le pape, l'empereur, le patriarche, le connétable, l'archevêque, le roi, le chevalier, le cardinal, et jusqu'au simple abbé, au bailli, à l'astrologue, au bourgeois, au moine, au maître d'école, à l'usurier, à l'amoureux, au petit enfant et au médecin; et, pour les femmes, depuis la reine, la duchesse, la régente, l'abbesse, etc., etc., jusqu'à la bergère, à la bourgeoise, à la mignonne, à l'impotente, à la pucelle, à la femme grosse, à la religieuse, à la sorcière, à la bigote et à la sotte. Le texte en vers qui se lit en bas de chaque figure en est l'explication paraphrasée. La mort dialogue avec le patient en octaves de huit pieds, quelquefois assez comiques, le plus souvent insignifiantes. Nous remarquons dans l'auteur une certaine pente satirique contre le clergé; car c'est toujours lui que la mort goguenarde le plus, et qui fait le plus de façons pour la suivre.

LA MORT.
Vous faites l'étonné, me semble,
Cardinal! Allons, vitement!
Suivez les autres tous ensemble,
Rien ne sert votre étonnement!
Vous avez vécu richement,
Et non pas comme les apôtres;
Laissez ce riche habillement,
Vous danserez comme les autres.
LE CARDINAL.
J'ai bien sujet de m'ébahir,
Puisqu'il faut enfin que je parte;
Je ne pourrai plus me vêtir
De violet ni d'écarlate;
Chapeau rouge, chape de prix
Me faut laisser en grand'détresse;
Hélas! je n'avais pas appris
Qu'après la joie vient la tristesse.

Nous observerons encore que les femmes, en général, dans cet ouvrage, suivent la camarde de meilleure grace que les hommes; et peut-être l'auteur a-t-il raison, en dépit de l'appareil de courage dont notre noble sexe s'enorgueillit: il est vrai qu'il ne s'agit ici que de la mort naturelle. Nous ne dirons rien des pièces qui suivent la grand'danse, et où les mêmes pensées se retrouvent sous une forme moins piquante. A l'égard des signes précurseurs de la fin du monde qui terminent l'ouvrage, ils donneraient à penser que le monde va finir tous les jours; car ces signes ne sont autres que les vices de l'humanité. «Quand vous verrez des ambitieux cruels, des impudiques effrontés, des avares sans pitié, etc., etc., etc., ce sont des signes prochains de la fin du monde.» Ne voilà-t-il pas des signes bien précis? J'aime mieux cette tradition sacrée: «Quand vous verrez le monde se convertir, ce sera le signe qu'il touche à sa fin.»


LE GRAND KALENDRIER
ET COMPOST DES BERGIERS,

Composé par le Bergier de la Grand'Montaigne, auquel sont adioustez plusieurs nouuelles figures et tables, lesquelles sont fort utiles à toutes gens, ainsi que pourrez voir cy-apres en ce présent liure. A Paris (sans date, mais de l'an 1500, comme on peut le voir au feuillet de la Physionomie des Étoiles, vers la fin du livre), pour Jehan Bonfons, libraire, demourant en la rue Neufue-Nostre-Dame, à l'enseigne Sainct-Nicolas. Figures en bois gothiques. 1 vol. in-4 de 84 feuillets. (Très rare.)

(1488—1500.)

M. Brunet dit que le Compost des Bergiers fut imprimé en français, pour la première fois, à Paris, par Guyot Marchant, l'an 1488, le 18e jour d'avril, in-fol., gothique, de 90 feuillets, fig. en bois. Il remarque que le P. Laire assure, dans son Index librorum, que cet ouvrage est traduit du latin de Sextus Rufus Avienus; mais il n'en croit rien, d'autant que Panzer ne le donne pas à cet auteur. Je me permettrai d'être de son avis contre celui du P. Laire, tout en pensant que la composition du premier Compost des Bergiers (car il y en a plusieurs) remonte fort au delà de 1400, et probablement au temps où le latin corrompu faisait une partie de la langue vulgaire des Français et des Gaulois romanisés. Le Compost est une production beaucoup trop rustique pour être attribuée au poète du IVe siècle Avienus, bien que ce poète ait été assez barbare pour mettre Phèdre en vers élégiaques, et Tite-Live en vers iambes. Je lis sur mon exemplaire, qui vient de la bibliothèque des capucins de Rouen, une note manuscrite ancienne, où il est dit que ce livre fut défendu pour ôter les exemples de fortifier les superstitions. Il y avait matière, car le Bergier de la Grand'Montaigne se mêle d'expliquer tous les secrets des mondes à propos du cours des années et des saisons. Je vois, dans ses prologues, que l'homme met autant de temps à décliner et se détruire qu'à croître et se fortifier de corps et d'esprit, c'est à dire 36 ans; d'où il résulte que la durée naturelle de la vie humaine est de 72 ans, et que les différences en plus et en moins tiennent au bon ou mauvais régime, aux accidens ou à la bonne fortune. J'y vois aussi que les 72 ans se rapportent à une seule année solaire de douze mois, répartis en quatre saisons de trois mois chacune, en comptant 6 ans de la vie pour un mois; d'où nos quatre saisons de Jeunesse plaisante, Force vigoureuse, Sagesse profitable et Vieillesse débile, durant chacune 18 ans. Mais ce n'est rien encore; voici qui passe les bornes du Calendrier: «L'homme se change par les inclinations des corps célestes.»

«En janvier que les rois venus sont,
»Blau médit, Frémin se morfont,
»Anthoine s'esbat, Vincent boit,
»Pol doit plus qu'on ne lui doibt.»

L'arbre des péchés a 7 branches figurant les sept péchés capitaux. Chacune de ces branches a plusieurs rameaux: ainsi l'orgueil en a 17, l'envie 13, l'ire 10, la paresse 17, l'avarice 20, la gloutonnerie 5, et la luxure 5; c'est bien peu. Selon ce que raconte Lazare, des choses de l'enfer, après sa résurrection, les orgueilleux sont attachés à des roues de moulin à crampons de fer, qui tournent perpétuellement; image de la roue de la fortune. Les envieux sont transpercés de glaives et de couteaux aigus. Les paresseux, dans une ténébreuse salle, sont mordus de serpens menus et gros. Des chaudrons pleins de métaux fondus coulent sur les avaricieux pour les soûler d'or et d'argent. Sur les bords d'un fleuve infect, des tables servies de crapauds rassasient à bon marché les gloutons et gloutes. Les luxurieux sont baignés dans des puits de feu et de soufre.

Vient ensuite le Jardin aux champs de vertus, contenant l'Oraison dominicale, l'Ave Maria, le Credo, les dix Commandemens de la loi, et les cinq de l'Église, en vers français barbares, tels qu'on les connaît; le tout avec des commentaires et nombre de mauvais vers français et latins.

S'ensuivent encore l'Histoire du navire sur mer, comparé à l'homme vivant au monde en perpétuel péril de damnation, des chansons de bergers et de bergères plus morales que poétiques, une explication des vertus théologales, un traité d'anatomie où l'on apprend que le corps humain comprend 248 os, un traité d'hygiène pour les quatre saisons, un traité d'astrologie qui dénote des observations astronomiques assez étendues et plus subtiles qu'on ne s'y attend.

Le livre finit par une suite de distiques et de quatrains, intitulée: les Dits des Oiseaux, dans lesquels dits chaque oiseau nous enseigne à bien vivre. Certainement, le Bergier de la Grand'Montaigne, type de Mathieu Lansberg, n'en sait pas autant que notre bureau des longitudes; mais quoi! le savoir des Newton et des Laplace commence ainsi, et puis il y a des gens qui paient le Compost 50 fr. en 1833. Ce n'est donc pas un almanach méprisable. D'ailleurs l'abbé Goujet en estime l'auteur et le met au rang de nos vieux poètes, dans sa Bibliothèque française.

Voici un échantillon de ses poésies; c'est une chanson de bergère qui bien se cognoissoit, et à laquelle sa cognoissance profitoit, et disoit:

Je considere ma pauure humanité
Et comme en pleur nasquis sur terre:
Je considere moult ma fragilité
Et mon peché qui trop le cueur me serre:
Je considere que mort me viendra querre
Je ne scay l'heur, pour me tollir la vie:
Je considere que l'ennemi m'espie,
La chair, le monde si me guerroyent fort
Je considere que c'est tout par envie
Pour me livrer sans fin de mort à mort:
Je considere les tribulations
De ce siècle; dont la vie n'est pas nette:
Je considere cent mille passions
Ou pauuvre humaine creature est subjecte:
Je considere la sentence parfaicte
Du vray juge faicte sur bons et maux:
Je considere que tant plus vis, pis vaux,
Dont conscience bien souuent me remort:
Je considere des damnez les defaux,
Qui sont livrés sans fin de mort à mort.

Quand ce viendra le jugement doutable,
O doulce vierge sur toutes delectable,
Ayez mercy de moy celle journée, etc., etc., etc.

L'AMANT RENDU CORDELIER
A L'OBSERVANCE D'AMOURS;

SUIVI DE
L'AMANT RENDU PAR FORCE
AU COUVENT DE TRISTESSE;

DE
LA COMPLAINCTE QUE FAIT L'AMANT A SA DAME
PAR AMOURS;

ET DES
DICTS D'AMOURS ET VENTES.

Sans date, 1 vol. in-12 gothique, avec figures en bois et le chiffre de Guillaume Nyver, imprimeur de Paris, en 1520.

Cette édition n'est guère moins rare que l'édition imprimée à Paris, du 4 octobre 1490, in-4 gothique, au Saulmon, par Germain Vineaut ou Bineaut. Elle contient 52 feuillets, sans date ni signature, et se trouvait chez le duc de la Vallière. Bernard de la Monnoye, dans une de ses notes sur Du Verdier, continuateur de la Bibliothèque française de La Croix du Maine, attribue l'Amant rendu Cordelier à Martial Dauvergne, dit de Paris, parce qu'il naquit dans cette ville. On a réimprimé ce joli poème à la suite des Arrests d'Amours, du même auteur. Notre exemplaire a l'avantage de renfermer deux pièces qui ne se rencontrent ni dans l'édition de 1490, ni dans celle de 1520, savoir: la Complaincte de l'Amant et les Dits d'Amours et Ventes. Ces deux pièces portent la rubrique suivante: A Paris, pour Jehan Bonfons, libraire, demourant en la rue Neufve-Nostre-Dame, à l'enseigne Sainct-Nicolas.

(1490—1520.)

Martial Dauvergne, procureur au parlement de Paris et notaire au Châtelet, mort en 1508, auteur des poèmes ci-dessus énoncés, est surtout connu, premièrement par ses Vigiles de la Mort de Charles VII, poème, où les exploits de ce grand règne sont racontés avec intérêt, réimprimé, en 1721, par Coustellier, en 2 vol. in-12; secondement, par les Arrests d'Amours, que le jurisconsulte Benoît le Court a commentés trop savamment. Nous parlerons, dans l'article suivant, de ce dernier ouvrage, d'un auteur plein de sentiment et d'esprit, qui, avec bien moins de réputation que Villon, nous paraît lui être fort supérieur. Son Amant rendu cordelier à l'observance d'amours, dont il est question présentement, est vivant de grace et d'imagination. Il eût mérité d'être rajeuni par La Fontaine, et, tel qu'il est, on le lit avec charme, sans se rebuter de la prolixité gothique dont il n'est pas plus exempt que toutes les poésies de cette époque. L'auteur expose qu'il a vu en songe ce qu'il raconte. C'était la marche alors usitée; tous nos vieux poètes songeaient; Jehan de Meung songeait; Martin Franc songeait; Octavien de Saint-Gelais et André de la Vigne songeaient. Martial de Paris a donc vu, en songe, ung poure amant, portant le deuil et sans devise, pleurer amèrement à la porte d'un couvent de cordeliers, et demander à parler à Damp prieur. Le malheureux vient pour entrer en religion, chassé du monde par les tourmens que l'amour lui cause. Damp prieur est l'homme de sens: il ne se presse pas d'accueillir le poure amant; et, dans l'idée d'éprouver sa vocation, il lui présente tous les agrémens de la vie mondaine en opposition avec les rudes épreuves du cloître.

«Il n'y a céans que poureté; dit-il.—Hélas! répond l'amant, il ne m'en chault.—Mais d'où vous vient ceste affection?—Les biens d'amours je vous les quitte; mes ris sont tournés à plourer; en lieux où tout plaisir habite je ne quiers jamais demourer.—Comme vous qui estes si jeune, avez-vous le cueur tant failli? etc.—A poursuivre grace de dame, trop y fault de pas et de tours; et si n'en peut-on avoir dragme, qui ne couste mille doulours.—De tels maulx nul n'est tant malade qu'on ne face bientost guérir, d'ung baiser ou d'une balade, quant amour le veult secourir.—Ha! monseigneur, vous avez tort! vous sçavez mieulx que vous ne dictes! etc., etc.—Mais quelle dame serviez-vous donc? étoit-ce un monstre de nature?—Non, non; le bien et le mal cognoissoit; jamais n'en sera de pareille; Dieu lui doint bon jour où quelle soit, et à tous ceulx de sa sequelle! quant j'oys encor parler d'elle, les larmes m'en viennent ez yeux, et ma douleur s'en renouvelle; dont il ne m'en est pas de mieulx.» Damp prieur, en homme expérimenté, veut savoir les détails de la passion de l'amant, ce qui lui suggère une série d'interrogations, dont quelques unes sont délicates. «Or, sire, par ce seur dormir, que tenez de si grant valeur, sentiez-vous pas le cueur frémir...? Estiez-vous point transi ou pasme?—Baisoie trois fois mon oreiller en riant à part moy aulx anges.—Durant que ceste nuict duroit, la songiez-vous point nullement? ou se vostre œil la desiroit pour veoir illec visiblement? car de tel mondain pensement adviennent mainctes frénasies, etc.—Bien souventte fois advenoit que voirement je la songeoye, toute telle joye si me prenoit qu'au lit chantoye et pleureoye, puis, moi resveillé, j'enrageoye que ne la veoye illec et maintes fois place changeoye en faizant des piedz le chevet.» Damp prieur continue: il demande à l'amant s'il suivait sa dame en tout lieu, s'il passait les nuits sous sa fenêtre, s'il en perdait le boire et le manger, etc., etc.; à quoi l'amant répond toujours que oui, et en des termes fort passionnés. Damp prieur ne se rebute pas; il a l'air de croire que tous ces tourmens de l'amour ne sont que roses au prix des rigueurs de la vie monastique. «Tout cuisans que sont les maux de l'amant, dit-il, un petit brin de romarin donné par celle qu'on aime, et assaisonné d'un doulx regard, vous paye de tout martyre.—Il est vrai, reprend l'amant, mais si le lendemain un aultre compaignon survient, à qui l'on fasse bienvenue, la fièvre en double continue, etc., etc.—Vous ne me ferez pas croire, répliqua Damp prieur, que si vous eussiez bien fait connaître vos peines à votre dame, elle n'en eût pas eu pitié!—Ah! monseigneur, d'elle ne me plains mie! la faulte en est à Malebouche et Danger, qui m'ont desservi près d'elle, et ont mon bien et mon honneur tollu.» Damp prieur fait une dernière tentative pour éprouver la résolution du poure amant: il lui laisse entrevoir que Vénus finit toujours par entendre les clamours de qui l'en veult prier; mais l'amant résiste, et, bien déterminé d'entrer en religion, dit à l'abbé: «Je suis prest quant à Dieu plaira.—Hélas! poure malheureux! tu perdras ici ta jeunesse, etc.—Mon cueur ne s'en esbahira.» Sur ce, Damp prieur s'en va le timbre à ses frères sonner, rassemble le chapitre, et lui propose de recevoir le novice; lequel, étant accepté, est reçu, logé dans le couvent, instruit de ce qu'il y doit faire, et se soumet liberallement à tout, sans murmure ni négligence. Toutefois, en une journée du printemps, qu'on dit, sur l'herbette, Damp prieur le surprit ayant à sa ceinture trois brins de violette, crime dont il fut sévèrement puni, et dans lequel il ne retomba plus. Le temps du noviciat passé, vient le grand et fatal jour de la prise d'habit. Amis, parens, voisins sont conviés, selon l'usage, beaux gens d'armes, belles dames, etc., etc. Entre icelles paraît la beauté qui causait le martyre du novice: on la connaît à ses pleurs et à ses vêtemens de deuil. Les dames, en la voyant, se prennent à la mauldire et à caqueter. L'office commence: Damp prieur prêche sur les vanités du monde, sur la pénitence et sur la mort. Durant le sermon, le poure amant ne peut s'empêcher d'étendre ses regards sur celle qu'il va quitter pour toujours, puis il fait semblant de dormir. La triste toilette suit le sermon. Le novice est mis quasi tout nu avant de recevoir l'habit de cordelier. A le voir ainsi dépouillé, les sanglots éclatent dans l'assemblée; la dame par amours s'efforce de paraître tranquille, mais la fièvre la dévore. Elle se lève, chancelle, et tombe évanouie. On la délace: le novice accourt épouvanté, lui fait respirer du vinaigre; mais voilà qu'en revenant à elle, la dame par amours laisse tomber d'une de ses manches un cœur d'or émaillé de plours, que le novice n'avait pas donné...: c'est le dernier trait des malheurs du poure amant. Dès lors il ne songe plus qu'à précipiter la cérémonie, qui est un peu longuement décrite: il revêt l'habit de cordelier, jure d'observer la règle, et surtout de renoncer à toutes les espèces de doulx yeux. Ce n'est pas une petite affaire, car le lecteur saura qu'il y a quarante et une sortes de doulx yeux; doulx yeux qui toujours vont et viennent; doulx yeux avançant l'accolée; doulx yeux reluisans comme azur, doulx yeux farouches et paoureux; doulx yeux à vingt et cinq caras; doulx yeux renversés à grand haste; doulx yeux pétillans et gingans; doulx yeux rians par bas et hault; ruans à dextre et à senestre, etc., etc., etc. La cérémonie achevée, et les présens faits au nouveau cordelier, les gens s'en vont, et l'auteur finit par ces vers:

Il n'est loyer que de poure homme,
De charité que de pur don.
Ayez, mesdames, pitié don
Des amoureux de l'observance,
Car ils ont trop piteux guerdon.
Dieu leur doinct bonne pacience!

L'Amant rendu par force au Couvent de tristesse peut être considéré comme la suite du poème précédent; mais, ainsi que toutes les suites, il est inférieur à l'ouvrage principal. On y voit le cordelier en proie à la fois aux dégoûts du monde et à ceux du cloître.

Rendu je suis au couvent de tristesse
Auquel sans cesse je pleure et gémis.
Dueil en est prieur qui me tient grant rudesse, etc.

En paix ne laisse ceulx qui l'ordre ont promis.

De ce couvent désespoir est portier,
Et le chambrier se dit fol appétit.
Soulci se tient auprès du bénitier, etc.

Advisez y mes gorgias de court, etc., etc.

Qui n'y pense, je dis qu'il n'est pas sage.

Quant à la ballade de la Complaincte que faict l'Amant à sa Dame par amours, quelque goût que nous ayons pour les poésies érotiques de Martial de Paris, nous respectons trop la chasteté des lecteurs modernes pour en parler avec détail. Il nous suffira de dire qu'elle est écrite sur le rhythme alexandrin, et que tous les vers de cette pièce, par un vrai tour de force, se terminent, pour cause, par de ces mots que les femmes savantes voulaient étêter sans pitié, tels que: Comporte, convient, conjoindre, compromis, compère, conseils, condescendre, confesse, etc. Honni soit qui mal pense du dictionnaire!


Les Dicts d'Amours et Ventes sont un dialogue entre l'amant et l'amye, où chacun se vend tour à tour des fleurs d'amour, en accompagnant le marché de petits mots de tendresse, de malice, ou de passion. «Cie je vous vends la violette; cie je vous vends la marjolaine; cie je vous vends la fleur du Pré-Blanc; cie je vous vends la verge d'argent, etc., etc. Ces milliers de puérilités amoureuses divertissaient nos pères: aussi toutes les idées de nos vieux auteurs sont-elles tournées vers l'amour. Chez eux l'amour se mêle à tout, et tout s'y rapporte. Les mœurs françaises, si généreuses, si polies, en sont découlées comme d'une source vivifiante et inépuisable. Nous devons nous estimer heureux de devoir à cette faiblesse pour nos compagnes de si nobles et de si brillantes destinées; et les femmes de tous les pays, devant tirer un juste honneur de ce fait incontestable, sont obligées de pardonner, en faveur de ce grand résultat, les libertés de nos poètes, dans les choses ainsi que dans les mots.


LIII. ARREST D'AMOURS.

Arresta amorum, accuratissimis benedicti Curtii Symphoriani commentariis ad utriusque juris rationem, forensiumque actionum usum acutissime accommodata, franc. lat.; le tout diligemment reveu et corrigé outre les précédentes impressions. Un vol. in-16. A Rouen, chez Raphaël du Petit-Val.

(1490—1525—1587—1731.)

Selon M. Brunet, le 52e arrêt et l'ordonnance sur les masques sont de Gilles d'Aurigny, dit le Pamphile. Quant à l'ensemble du livre des Arrests d'Amours, il est, comme on sait, de Martial Dauvergne. La première édition qui en fut donnée porte la date de 1525 (Paris, 18 novembre), 1 vol. pet. in-4 gothique; et la meilleure est celle qu'a publiée Lenglet Dufresnoy, avec des notes et un glossaire des anciens termes. A Paris, 2 vol. in-12, en 1731. L'édition de 1587 a le mérite d'être fort jolie et assez peu commune. Benoît Court, auteur beaucoup trop sérieux du docte commentaire de ces décisions plaisantes et frivoles, était un chanoine de Lyon, né à Saint-Symphorien du Forez, dans le XVIe siècle. Sans les nombreux passages d'Ovide, de Lucrèce, de Plaute, de Virgile et d'autres poètes, qui coupent à chaque instant le travail pesant du légiste, son commentaire, tout farci de citations prises dans le texte des lois romaines, et dans les gloses d'Accurse, de Bartole, d'Æmilius, de Baldus, etc., serait illisible.

Martial Dauvergne a voulu, dans ce recueil, se moquer des formes pédantesques et du jargon barbare de la justice. Sa plaisanterie, qui suppose une grande science, serait meilleure si elle était moins prolongée; mais, à la longue, elle semble un peu froide. En général, ce poète aimable est plus fait pour le sentiment que pour la raillerie. Il a grace à pleurer et grimace parfois en riant; en quoi il est justement l'opposé de Clément Marot. Sans rapporter le sujet des cinquante-trois Arrêts d'Amours, ce qui deviendrait fastidieux, nous pouvons bien faire un choix piquant dans ce vaste répertoire de controverses galantes, imitées des troubadours provençaux.

Au second arrêt, par exemple, il s'agit d'une femme qui avait piqué d'une épingle la joue de son amant après l'avoir baisée. Le bailli de joye la condamne à mouiller chaque jour la plaie avec sa bouche jusqu'à parfaite guérison, et à 30 livres d'amende au profit des prisonniers d'amour, pour être employés en banquets.

Le neuvième arrêt est rendu pardevant le marquis des Fleurs et Violettes d'amours, contre un amoureux un peu simple qui avait intenté action à son amie, sur ce qu'elle écoutait les fleurettes de plusieurs galans, et acceptait d'eux des bouquets, perles et menues choses. L'amie se défend avec hauteur, en disant que sa partie adverse devrait plutôt se réjouir de la voir si honorée, et que ledit plaignant entend mal son cas. Sur d'aussi bonnes raisons, l'amie devait gagner son procès et le gagne.

Au dixième arrêt, un autre amoureux, demandant rescision d'un contrat prétendu usuraire, par lequel il serait tenu de faire plusieurs dons, honneurs et servies à sa dame, pour un seul baiser, perd sa cause avec dépens. Dans le fait comme dans le droit, peut-il y avoir usure dans un baiser bien donné? le garde des sceaux d'amours ne le pense pas, et nous sommes de son avis.

Le treizième arrêt mérite une mention particulière: il est rendu par le prévôt d'Aubépine contre les héritiers d'un amant, qui réclamaient, à titre de droits successifs, les faveurs qu'une dame s'était engagée à donner perpétuellement au défunt, et dont la principale consistait à lui faire, à volonté, le petit genouil. La dame répond pertinemment qu'il n'en est pas des biens d'amours comme des autres, et que si elle faisait le petit genouil auxdits héritiers, elle donnerait plus qu'elle n'avait promis. Point de question dans cette affaire: aussi la dame gagne-t-elle sa cause avec dépens.

Le quatorzième arrêt rentre dans l'espèce du précédent: il émane du sénéchal des Aiglantiers, et déboute un demandeur impertinent qui invoquait le droit de retrait lignager, à propos d'un baiser quotidien qu'un sien parent, dont il était le plus proche lignager, avait cédé, pour un prix et du consentement de la dame baisante, à un acheteur dudit baiser.

Au trentième arrêt, on voit enfin une femme condamnée: il est vrai que ce n'est pas sans raison. Après avoir ruiné son amant, elle prétendait lui refuser ses graces. La cour l'oblige à servir aux communs plaisirs.

Le trente-troisième arrêt renvoie un vieillard qui demandait à justice qu'une telle dame fût contrainte à l'aimer pour son argent. Vit-on jamais d'arrêt plus équitable?

Le quarantième arrêt présente un vrai jugement de Salomon. Certaine dame somme son amant de cesser d'être triste et de redevenir joyeux. La cour fait droit à sa requête, sous la condition qu'elle égaiera sondit amant.

L'ordonnance des masques ne fait pas beaucoup d'honneur à la chasteté du sieur Pamphile. Une de ses clauses permet à tous masqués, tâter, baiser, accoler et passer outre, pourvu que ce ne soit par force.

Le trente-cinquième arrêt, qui est le dernier, établit la bonne judiciaire de l'abbé des Cornards, lequel, tenant ses grands jours à Rouen, prend connaissance de la cause de dame Catin Huppie contre son époux Pernet Fétart, réclamant le paiement de certains arrérages à elle dus, depuis quatre ans, par ledit Fétart. L'abbé déboute la demanderesse, mais l'autorise à se pourvoir d'adjoint, pourvu que ce soit sous main et sans bruit.


LES VERTUS
DES EAUX ET DES HERBES,
AVEC LE RÉGIME CONTRE LA PESTILENCE;

Faict et composé par messieurs les médecins de la cité de Basle en Allemaigne. 1 vol. pet. in-4 gothique, fig. en bois, contenant 17 feuillets, sans date ni rubrique.

(1490 environ.)

Les médecins de Bâle ont divisé leur premier Traité de la Vertu des Eaux et des Herbes en trois parties, dont la première traite des eaux artificielles; la deuxième, des herbes; et la troisième, qui est fort courte, se réfère à aulcunes recebtes utilles et proffitables pour la consolation des corps humains. Le traité entier est écrit à la requeste de très noble et redoutée dame la comtesse de Bouloigne, pour ce qu'elle est dame pleine de pitié et compassion ez pouures malades esquels elle secourt très voulentiers pour l'amour de Dieu, ainsi que dame bien sachante et apprise en l'art de la médicine. On voit, dans la première partie, que l'eau d'or distillée avec des plaques de fer chauffées au feu et mortifiées quarante fois dans de l'eau de fontaine, puis gardée dans une phiole d'yvoire, étant mélangée avec le vin qu'on boit, ou prise pure, est un excellent cordial qui enlumine les esprits; que l'eau de la feuille, fleur et racine de Buglose guérit les mélancoliques et les fous enragés; que l'eau de bouton rouge de Darchacange Montaing est bonne aux ulcérations des reins de ceux qui pissent le sang; que l'eau de fenouil provoque le lait chez les femmes et le sperme chez les hommes; que l'eau de Pringorum guérit de la strangurie et prouffite moult à engendrer; que qui lave sa face dans de l'eau de romarin l'embellit, et que qui se baignerait dans cette eau renouvellerait sa jeunesse comme l'aigle; enfin que les eaux de fleur de fève, de semences de melon, de fleur de sehuc, de lis, de racine de buis, sont propres à conserver ou à rendre la fraîcheur du visage et de la peau. Ici les auteurs se justifient de donner une telle recette, en ce qu'il est permis aux femmes d'user d'auculns moyens qui embellissent et les font sembler jeunes affin de garder leurs maris d'aller en fornication et adultère.

La deuxième partie, qui traite de la vertu des herbes, nous apprend les merveilleux effets de l'armoise, bonne surtout pour provoquer les règles et guérir les fleurs blanches, la propriété qu'a la chélidoine de rendre la vue, recette connue des hirondelles, la vertu de l'hysope pour la toux, celle de la rue pour faciliter les urines, celle de la creve ou cive pour refroidir les sens, celle de l'ortie contre l'ardeur amoureuse, etc., etc, etc.

La troisième partie, celle des recettes, nous donne, contre la goutte, le remède suivant: prenez oint de pourceau frais, racine de persil, racine d'ysope, et graine de genièvre; puis cuisez tout ensemble très bien en un pot neuf de terre couvert très bien deux jours et une nuit; mettez bon vin blanc dedans tant que la matière soit bien confite, et puis la coulez bien parmi deux touailles, et mettez-en une boîte pour garder, et oignez-en la goutte.

Le second traité comprend le régime contre la pestilence. Le premier préservatif est de prier Dieu, la glorieuse vierge Marie, et mesmement messeigneurs saint Sébastien et saint Roch, lesquels sont spéciaux intercesseurs envers Nostre Seigneur contre cette merveilleuse maladie. Nous n'entrerons pas dans le détail des moyens thérapeutiques proposés par les médecins de Bâle; d'autant moins que ces moyens n'offrent rien qui soit saillant par la science ou par l'étrangeté; mais nous rapporterons textuellement les conseils hygiéniques de ces docteurs du XVe siècle, parce qu'ils offrent des rapports frappans avec ceux que nous ont donnés nos docteurs en 1832, contre le choléra-morbus asiatique. «Au temps qui est dangereux de pestilence on se doibt garder de trop manger, et de tous baings en général, et spécialement des estuves, de aer trouble comme nébuleux, pluvieux ou couvert de serain, ou aer de nuict; de soy courroucer, et de mélancholie, de mauvaises odeurs, de froid, de lait, de tous fruitages pierreux, comme pêches, prunes, cerises et aultres semblables; et ne porte point ton urine trop long-temps avecques toy. Ne bois point sans avoir soif, et te garde de compaignie de femme et de excessive paour. Ta viande doit estre mêlée avec un petit de vinaigre, et principallement quand le temps est chauld et la personne chaulde. Le matin, quand tu leveras, et n'estant point fort tes membres, te habille chauldement, et te pourmelne bien, et ne soie pas long-temps sans déjeuner. Lave tes mains souvent en eau salée; ne te travaille point trop de quelque labeur que ce soit, et tiens ta teste et tes pieds chaulds.»

Ces préceptes, reconnus excellens, sont reproduits en vers à la fin de ce livre, demeuré inconnu à nos bibliographes. L'exemplaire que nous possédons vient de la bibliothèque de M. Langs de Londres. Il n'est pas ébarbé.


LES LUNETTES DES PRINCES,

Avec aulcunes Balades et Additions nouuellement composées par noble hōme Jehan Meschinot, en son vivant grant maître de l'Hostel de la royne de France.—Icy finissent les Lunettes des Princes, imprimées à Paris par Philippe Pigouchet. lan M.CCCC. quatre vingt et dix-neuf, pour Simon Vostre, libraire, demourant en la rue Neufve Nostre Dame, à l'enseigne Saint Jehan levangeliste. 1 vol in-8 gothique, de 108 feuillets, très rare.

M. Brunet, qui parle de cette édition sous le No 8728, dit que ce précieux livre (précieux par sa rareté) fut imprimé, pour la première fois, à Nantes, chez Estienne Larcher, en 1493, 1 vol. pet. in-4 gothique. Jehan Meschinot, qui fut maître d'hôtel du duc François II de Bretagne, puis de la reine Anne, y est qualifié de seigneur de Mortières. Ce poète, homme de cour, mourut en 1509. Il ne paraît pas qu'il se soit fort engraissé à la table des ducs de Bretagne; aussi était-il fort triste, comme l'indique le surnom qu'il prit de Banni de Liesse. Notre édition de 1499 porte en tête du premier feuillet, sur lequel est gravé sur un frontispice en bois le chiffre P. P., le nom entier de Philippe Pigouchet. Nous remarquerons que le livre est imprimé sans points ni virgules.

(1493-1499.)

Cet ouvrage de morale, dont l'abbé Goujet ne nous dispense pas de parler, est une macédoine de vers et de prose, mais plus souvent de vers, composée dans le but de retracer aux grands de la terre leurs méfaits et leur néant.

«Les grants pillent leurs moyens et plus bas
Les moyens font aux moindres maitz cabas
Et les petits s'entre-veulent destruire, etc., etc., etc.»

Le lieu commun n'est pas traité ici selon la manière d'Horace, pas plus que dans le passage qui suit, sur le malheur et la nécessité de la mort:

«O mort, combien ta mémoire est amère!

Tu n'as en mal seconde ne première!
On ne te peut descripre bonnement;
Plus a en toi de douleur et tourment
Que comprendre ne peut entendement
Soit de Platon, de Virgile ou Homère, etc., etc.»

Suivent de tristes complaintes sur la mort du duc Jean de Bretagne: Mais quoi! le roi David, prophète pacifique.—Et Salomon saige dict en publicque.—Eux-mêmes ont dû trespasser—Or donc chascun doibt y passer. Voilà qui conduit le poète au dégoût de toute chose et de toute personne:

«Il ne me chault de Gaultier ne Guillaume
Et aussi peu du roy et son royaume;
Je donne autant des rez que des tonduz, etc., etc.»

Il entre bien quelques regrets des plaisirs évanouis, dans cette philosophie chagrine:

J'ay eu robes de martres et de Bievre,
D'oyseaulx et chiens à perdrix et à lièvre;
Mais de mon cas c'est piteuse besogne,
S'en cellui temps je fus jeune et enrieure
Servant dames à tours, à meung sur yeure,
Tout ce qu'en ay rapporté, c'est vergogne, etc., etc., etc.

Ce retour mélancolique sur le passé mène bientôt le Banni de Liesse à des pensées religieuses et à de pieux conseils adressés à son lecteur:

Quant tu liras le Romant de la Rose,
Les faicts romains, Jules, Virgile, Orose[47],
Et moult d'autres anciennes histoires,
Tu trouveras que mort, en son enclose,
A prins les grants et a leur bouche close
Desquels encor florissent les mémoires
Par leurs bienfaits et œuvres méritoires.

Rends-toi à Dieu et ton courage change!
Rends-lui honneur, rends-lui gloire et louange!
Recognois-le pour ton Seigneur et maistre,
Car envers toy n'a pas esté estrange,
Mais t'a baillé ame qui, sans estre ange,
N'a pareille créature en son estre, etc., etc., etc.

Vient ensuite une excellente recette:

Pour parvenir doncques à grant science
Un livre auras qui a nom conscience
Où tu liras choses villes et nettes:
Fuy les ordes, et destruy com si en ce
La mort estoit: pren tout en pacience
Et te repens de tes façons jeunettes;
Mais pour plus cler veoir, te fault lunettes
Qui discernent les blanches des brunettes, etc., etc., etc.

Ces lunettes sont merveilleuses: le verre de droite est la prudence, le verre de gauche est la justice, et ces deux verres sont joints entre eux, sur le milieu du nez philosophe, par un clou qui est la tempérance. J'ai grande foi au clou, pour ma part, ayant lu, dans l'Imitation de Jésus-Christ, ces belles paroles: Frena gulam et omnia vitia frenabuntur. Peu après la description des Lunettes morales et l'indication de leur usage, finit la première partie des Ballades. Une Oraison en prose, intitulée Oraison de l'Acteur (c'est à dire de l'auteur), succède à ces Ballades, et précède un songe également en prose, où les Lunettes jouent leur rôle, mais qui, du reste, est si confus, que l'analyse en serait difficile. Après le songe, le poète nous donne un long et ennuyeux poème octosyllabique, lequel commence ainsi:

Homme misérable et labile
Qui va contrefaisant l'habile
Menant estat désordonné,
Croy qu'enfer est de lor donné
A qui ne vivra sainctement, etc., etc., etc.

Quinze feuillets de distiques arrivent à la suite du poème. En voici un échantillon:

En force est prudence mise
Et assise.
Justice y est bien comprise
Et submise,
Dont les lunettes se font
Qui sont de bele devise;
Or les vise, etc., etc., etc.

S'ensuivent XXV Ballades composées par le dict Jehan Meschinot sur XXV Princes de Ballades, ou Ballades adressées aux Princes et à lui envoyez et composez par messire Georges ladventurier, serviteur du duc de Bourgogne. Ce fleuve de Ballades, pour me servir du langage de Meschinot, n'est pas trop navigable pour nos intelligences modernes. Messire Georges ladventurier y donne, au surplus, des avis très sages aux princes menteurs, avares, inconstans, amis de la guerre, égoïstes, envieux, prodigues, etc., etc., etc. Ces Ballades sont souvent précédées d'un verset de l'Écriture sainte. Après elles, on voit une commémoration, en vers, de la Passion de Jésus-Christ, et premièrement de l'oraison qu'il fit au Jardin des Olives.

S'ensuivent les nouvelles additions. S'ensuit une supplication que fist le dict Meschinot au duc de Bretaigne, son souverain seigneur. L'homme ne vit pas seulement de lunettes morales, il lui faut encore du pain. C'est ce dont le Banni de Liesse, s'étant aperçu dans sa misère, s'autorise pour demander à son patron de le secourir. La requête est faite en termes assez curieux pour que nous devions l'extraire: «Supplie très humblement vostre poure vassal, loyal subject et serviteur, nommé le Banni de Liesse, à présent demeurant au diocèze d'infortune, paroissien d'affliction, et voisin de désespoir... Exposant, comme dès son jeune âge, il a continuellement servi messeigneurs vos prédécesseurs, les ducs Jehan, François, Pierre et Artus... Un larron, publiquement ennemi de humanité, appelé malheur, demourant de tout temps avec Fortune, accompaigné d'une vieille maigre déchirée, laquelle est nommée Pauvreté, ont incessamment guerroyé et poursuivi le dict suppliant...; ont, en conduisant leur cruelle inimitié, expolié le dict suppliant, de cinquante ans et plus (ceci nous apprend que Meschinot était né avant 1437), et qui pis est, ont faict commandement exprès à fureur, souci, ennui et douleur, leurs armuriers de mille ans, de forger, audit Banni de Liesse, ung pesant harnois à double soulde, dont les étoffes sont d'acier de mélancolie mistionné d'aigreur, etc., etc., etc. Qu'il vous plaise, mon souverain seigneur, commander à Honneur, procureur général de vos entreprises, soy adhérer avec le dict suppliant... Ce faisant, vous le réformerez, en changeant son nom et lieu de sa demeure, etc., etc., etc., priant Dieu à jamais qu'il lui plaise vous donner paix et repos d'esprit, aise, santé d'ame et de corps, honneur, bonne vie et longue durée, avecques tout ce que vostre noble cœur desire. Amen.»

Ce n'était pas, du moins, sur ce ton bassement et ridiculement piteux que Marot demandait l'aumône à François Ier; mais pourquoi nous attacher à la guenille de ce pauvre homme? C'est à la pourpre ducale et royale qu'il faut nous prendre ici, car si la misère, à genoux, soulève les cœurs nobles, l'ingrat égoïsme de la puissance opulente, envers ses serviteurs, n'offre pas un spectacle moins digne de mépris; et il y faut joindre l'horreur. Au surplus, un grand enseignement ressort de la vie du Banni de Liesse; c'est le cruel degré d'infortune auquel peuvent conduire les Ballades. Il vaut presque toujours mieux faire des souliers que des Ballades.

Jehan Meschinot ne supplie pas seulement le duc de Bretagne; il supplie aussi Dieu, (bon pour celui-là!)

Dieu père par création,
Et père de recréation, etc., etc., etc.,

de venir à son aide. A cette nouvelle requête succèdent divers Rondeaux; une briève lamentation et complainte sur la mort de madame de Bourgogne, faicte à la demande de monseigneur de Crouy quand il vint en Bretaigne devers le duc, lequel piteusement se douloit du cas advenu; plus une Oraison de Nostre-Dame, et commence chacune ligne par l'une des lettres de l'Ave Maria; plus d'autres poésies mêlées; plus une Ballade faite pour la duchesse Marguarite de Foix, quant elle vint en Bretaigne; plus des Litanies sur l'Amour sodale, l'Amour vicieuse et l'Amour folle, où l'on voit ce que prescrivent et savent faire ces trois amours. L'Ouvrage, ou plutôt le Recueil, se termine par deux ou trois dernières Ballades et autant de Rondeaux; plus un dialogue entre la Mort et l'Honneur humain, qui pouvait être fort intéressant, et qui ne l'est guère. Jean Meschinot ne manque pas de sens, tant s'en faut; mais il n'a ni goût ni génie. Son livre n'en est pas moins recherché des amateurs, qui le paient volontiers 100 francs en 1832, tandis qu'ils ont un Boileau pour 20 sous et moins. C'est que les Lunettes des Princes sont, ainsi que nous l'avons dit, d'une extrême rareté, probablement par un effet de leur peu de mérite même qui en aura fait négliger la conservation.

[47] Orose est bien choisi pour la rime.


LE VERGIER D'HONNEUR,

Nouuellement imprimé à Paris. De l'Entreprinse et Voyage de Naples; auquel est comprins comment le roi Charles, huitiesme de ce nom, à banniere desployée, passa et repassa, de journée en journée, depuis Lyon jusques à Naples, et de Naples jusques à Lyon. Ensemble plusieurs aultres choses faictes et composées par revérend père en Dieu, monsieur Octavien de Saint-Gelais, évesque d'Angoulême, et par maistre André de la Vigne, secrétaire de la royne, et de monsieur le duc de Savoye, avec aultres. On les vend à Paris, en la grant rue Sainct-Jacques, à l'enseigne de la Rose blanche couronnée (sans date). Un vol. in-fol, gothique, à deux colonnes, contenant 127 feuillets, avec des signatures de AAIIII., frontispice et figures en bois. (Édition très rare, qui paraît antérieure à celle de Paris, Jehan Trepperel, quoique Panzer fasse remonter cette dernière à l'an 1495.)

(1495.)

Maître André de la Vigne, au lieu de commencer simplement sa curieuse chronique de l'expédition de Charles VIII, laquelle est écrite moitié en vers, moitié en prose, la fait précéder, selon le goût du temps, d'une fiction poétique. Il suppose que, pendant son sommeil, dame Chrétienté, fille de prothoplasmateur, est venue lui conter ses doléances; ce qu'ayant entendu dame Noblesse, sa chère amye et sœur dilective, cette bonne dame est accourue pour la consoler et lui promettre la guerre de Naples, qui n'intéressait guère, soit dit en passant, dame Chrétienté. Majesté royale paraît, sur ces entrefaites, et scelle de sa parole les promesses de dame Noblesse. Plusieurs conseillers, qui du reste avaient grande raison, essaient en vain, par des rimes rétrogrades, de faire abandonner à Majesté royale son généreux dessein; l'entreprise est résolue. Maître André de la Vigne est content, aussi bien que dame Chrétienté; il chante un hymne en l'honneur du roi et se met en devoir de raconter comment Charles VIII alla de Lyon à Naples avec une armée, pour s'en revenir, après quatorze mois d'absence, de Naples à Lyon. Voilà bien un début de secrétaire qui ne sait rien ou ne veut rien dire de ce qu'il sait. C'est dans Guichardin, et surtout dans Comines, qu'il faut chercher le nœud de cette pitoyable et vaillante expédition. On y verra comment elle fut suggérée à un roi de 22 ans, brave, mais inhabile, par Ludovic Sforce, qui avait besoin, pour un moment, de la présence des Français en Italie, pour usurper le duché de Milan sur Jean Galéas Sforce, son neveu, allié par sa femme Isabelle à la maison d'Arragon, souveraine de Naples, comment ce double traître mit dans ses intérêts les deux ministres de France dirigeans, savoir, à prix d'or, le sènéchal Estienne de Vers ou de Vaesc, et par l'appât d'un chapeau de cardinal, le trésorier des finances, évêque de Saint-Malo, Briçonnet; enfin comment Ludovic, ayant une fois rempli son but de refouler l'armée du prince d'Arragon dans le midi de l'Italie, pour empoisonner son neveu tout à son aise et voler la souveraineté de Milan au successeur naturel en bas âge, n'eut rien de plus pressé que de se faire un mérite auprès du roi des Romains, des Vénitiens, du pape et du roi de Castille, d'écraser les Français, et que d'ourdir, à cet effet, une ligue odieuse avec les princes sus-nommés. Nous remarquerons, à ce propos, que Ludovic Sforce, dit le More, put, aussi bien que Borgia, servir de type au héros du Traité du Prince; mais, malheureux comme lui, il prouve, par sa destinée, que Machiavel, en dépit de ses panégyristes, a montré, dans sa théorie de domination, plus de cruelle subtilité que de haute prudence. Le penseur méchant n'est jamais assez profond. Venons au Vergier d'Honneur:

«Mille quatre cens quatre vins et tréze[48]
»Le roy Charles, huictème de ce nom
»Pour répulser l'iniquité maulvaise
»Du roy Alphons qui tenait à malaise
»En bon pays plusieurs nobles de nom
»Aussi pour los, gloire, bruict et renom
»A main armée, en brief temps conquester,
»Il entreprint de Naples conquester, etc., etc., etc.»

Après avoir fait, à grands frais, d'assez minces préparatifs, le roi de France vient à Lyon le 13 mai 1494. C'est là qu'est le rendez-vous de l'armée. Il envoie, par terre, le duc d'Orléans (qui fut depuis Louis XII), avec des gens de guerre, vers Milan, Gênes, Venise, Florence, Lucques, Pise, etc., puis met ordre aux affaires de son royaume, nomme régent monsieur de Bourbon, et part pour Vienne en Dauphiné, avec la reine et toute la cour. De Vienne, le 22 août, à la côte Saint-André; le 23 à Grenoble. La ville était tendue et accoustrée parmy les rues à grant tapisseries. Six journées de séjour à Grenoble. On renvoie les chariots qui n'auraient pu passer les monts d'Embrun, et tout le bagage se met sur des mulets:

Fardeaux, paquets, grans bahus, malles, coffres,
Broches, chenêts, poilles, pots de fer aux gauffres, etc., etc.,

et le roi défend à tous de rien prendre sans payer.

Noms de ceux qui furent envoyés en mission dans les principales villes d'Italie. Jehan de Chasteaudreux, Hervé du Chesnoy, Adam et Adrien de Lille, en Lombardie; Jehan de Cardonne, à Florence; Brillac, à Gênes; Gaulchier de Tinteville, à Sienne; à Milan, Rigaut ou Regnault d'Oreilles; à Lucques, le seigneur de Couan et don Juan; Louis Lucas, encore à Milan; le seigneur de Bouchaige et Montsoreau, à Venise. Plus tard, on y envoya le seigneur d'Argenton (Philippe de Comines), et bien en prit. Le seigneur d'Aubigny fut dépêché avec des troupes, dans la Romanie, à la rencontre de Frédéric d'Arragon, frère du roi Alphonse, qui ne l'attendit pas, et commença une retraite précipitée qui rendit le séjour du seigneur d'Aubigny, dans cette partie, aussi facile que le fut, par la même cause, la marche du roi sur Naples. Monsieur d'Autun, le général Bidant, et monseigneur le président Quesnoy, allèrent en ambassade à Rome auprès d'Alexandre VI (Borgia).

Noms des chefs de l'armée: Monseigneur d'Orléans conduisant l'avant-garde à Asti. On le laissa depuis dans ces contrées, où il ne fit pas grand'chose qui vaille pour s'être enfermé dans Novare, qu'il occupa stérilement, au lieu d'aller au devant du roi, à son retour, et de gêner la réunion des confédérés; Messieurs de Bresse, de Montpensier, qui fut laissé à Naples; de Foix, de Ligny Luxembourg, de Vendôme, Engilvert de Clèves, de la Trémouille, qui se couvrit de gloire à Fornoue; d'Aubigny, Jean Jacques, prince de Salerne; les trois marquis de Saluces, MM. de Pienne, de Rothelin, les maréchaux de Gié, Rohan et de Rieux; les sénéchaux de Beaucaire, de Normandie et d'Agenois. Le compilateur de ce recueil, qu'il lui soit permis de le dire, avait, dans cette armée, un de ses auteurs qui occupa le poste de lieutenant du vicomte de Lanzac, nommé gouverneur de Naples sous M. de Montpensier.

Noms des mignons et familiers du roi: Bourdillon, Balzac, Lachaulx, Galliot, Chastillon, George Edoville, Paris, Gabriel et Dijon.

«Pour assaillir un féminin donion
»Trop plus propres que dix autres milliers, etc., etc.»

Chandyot, le bailli de Vitry, Jehannot du Tertre, Perot le Vacher, René Parent, le bailli de Saint-Pierre-le-Moustier, Jehan de Fasnay, du Fau, Pierre de la Porte, de Valletantpierre, Girault et Charles de Suzanne, le seigneur de la Brosse, monsieur du Chief, et Adam de Maulbranche, tous officiers des divers services de Sa Majesté.

Le roi part de Grenoble le 29 août, après ouï la Messe, prenant congé de la reine avec sa noblesse. Couchée à Escroy; le lendemain, samedi, 30 août, couchée à Saint-Bonnet; dimanche 31, à Notre-Dame d'Embrun; lundi, 1er septembre, à Briançon; mardi 2, à la prévôté d'Ourse (Oulx). On y pendit un gentilhomme aventurier; mercredi 3, couchée à Suze, en Savoie; jeudi 4, à Saint-Jousset; vendredi 5, à Turin, où il y eut une solennité moulte grande. Madame de Savoie alla au devant du roi avec une suite nombreuse magnifiquement parée. On eut des fêtes de tout genre,

«Franches repues, grosses urbanitez,
»Recueils joyeulx, doulces humanitez, etc., etc.»

On joua aux carrefours des mystères, dans lesquels figuraient Noé, Sem, Cham, Abraham, Jacob, Hercule et Jason. Le samedi 6, à Quiers, où la réception fut encore très belle. Trois pucelles débitèrent au roi force ballades. Mardi 9, à Asti, où Ludovic Sforce, et sa femme Béatrix d'Este, vinrent saluer Charles VIII en grande pompe. Le roi, ayant été atteint de la petite-vérole, fut contraint de séjourner près d'un mois dans cette ville: c'est là qu'il reçut la nouvelle de la victoire remportée sur le prince de Tarente, par ses galères, près du pont de Gênes. Le 6 octobre, le roi, étant rétabli, alla coucher à Montcal, en Lombardie, jolie petite ville appartenant à feu le marquis de Montferrat, dont la veuve fut une alliée des Français, très ardente et très utile. Le 7 octobre, à Cazal, capitale du Montferrat. La marquise douairière y reçut le roi de son mieux, et lui fit servir poules, pigeons, chapons de Saint-Denis arrosés d'hypocras blanc et vermeil. Vendredi 10, à Mortore; samedi 11, à Vignebelle (le marquis d'Aubays, dans son itinéraire des rois de France, dit Vigève); lundi 13, aux Granges, à une demi-lieue de Milan; vendredi 14, à Pavie. L'entrée et le séjour dans cette ville, jusqu'au 17, ne furent qu'une fête continuelle. Le 17, à Castel-Saint-Jouan; et le lendemain entrée triomphale à Plaisance.

........ pour loyers et guerdons
D'icelle ville, mesmement les plus saiges
Firent au roi de très gracieux dons
Et par exprès des plaisantins fromaiges
Qui sont si grans, si espais et si larges
Que peuvent estre grans meulles de moulins,
Lesquels il fit conduire dans Moulins
Devers la royne et monsieur de Bourbon,
Qui le présent trouverent bel et bon.

Mais ce que Charles VIII ne trouva pas bon, ce fut d'apprendre la mort du jeune duc de Milan, Jean Galéas Sforce, que Ludovic, son oncle, aussitôt après le passage des Français, acheva d'empoisonner à Pavie, pour régner à sa place. Le roi versa des larmes au service funèbre. Le jeudi, 23 octobre, à Florensole; le 24, à Saint-Denys (Borgo san Dioniago); le 25, à Fornoue, bourg au pied des montagnes, où plus tard,

A maints Lombards tenant là leur arroy
On fist croquer de trop dures chastaignes.

Le 26, à Térence, dans les Apennins; lundi 27, à Bellée; le 28, à Pontresme (Pontremoli), où Pierre de Médicis vint assurer le roi de l'amitié des Florentins, en lui remettant les clefs de la place de Sarzane; le mercredi 29, à Yole, où il y eut une querelle d'Allemands facilement apaisée; le 30, à Sarsaigne (Sarzane). Le roi y séjourna six jours. Ludovic profita de ce repos pour venir encore saluer Charles VIII, comme s'il avait voulu de plus en plus l'endormir. Après quoi il retourna vite à Milan ourdir sa trame, les Français ne lui servant plus à rien désormais. Jeudi, 6 novembre, à Massa; le 7, à Petre-Saincte (Pietra Santa), ville florentine, qui reçut garnison royale au château; le samedi, 8 novembre, entrée solennelle à Lucques; et le dimanche à Pise, autre entrée magnifique. Les Pisans accueillirent le roi comme un libérateur qui les devait soustraire au joug, encore bien nouveau, des Florentins. André de la Vigne se complaît, dans sa description de Pise, à détailler surtout les somptuosités du cimetière, dont la terre fut apportée de Jérusalem par ordre de Constantin, et dans lequel sont figurées la Création du monde, la Passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ, etc., etc., etc. Le mardi 11, au pont du Cygne, à deux lieues de Florence. Là, six jours de station, à cause de l'émeute des Florentins, qui chassèrent Pierre de Médicis, lui reprochant d'avoir livré leurs places aux Français. Ce n'était, toutefois, qu'un feu de paille, ainsi qu'il y en a tant dans l'Italie. Pierre de Médicis à peine chassé, l'émeute s'apaisa; les Français furent admis sans honneur ni humeur; le maréchal de Gié fit les logemens, et le lundi, 17 novembre, l'armée entra dans Florence.

Les Florentines à faces angéliques,
Dames de Sienne, Romaines autenticques,
Vinrent illec voir le roy des hardis
Et leur sembloit estre à ung paradis,
De voir François en leurs terres marcher,
Car bien sçavent que pour enharnacher
La nef Venus d'amoureux avirons
Et pour à poinct un connin embrocher
Qu'ils ne vont pas ainsi que bourgerons, etc., etc., etc.

L'armée royale était disposée dans l'ordre suivant: Les coulevriniers, la bande des piquiers, la bande des arbalétriers, puis six mille capitaines commandés par monsieur de Clèves et le comte de Nevers, les archers d'ordonnance, les hommes d'armes à cheval, tous gentilshommes, la bande des deux cents arbalétriers, la bande des archers de la garde du roi, conduits par Crussol et Claude de la Chastre avec monsieur de Quoquebourne, fils de ce dernier; la bande des cent gentilshommes du roi, les pages d'honneur, les valets de pied, le roi, monté sur son coursier, dit le Savoie, magnifique cheval noir et borgne; Sa Majesté, revêtue d'une armure étincelante de pierreries, ayant à ses côtés quatre grands seigneurs florentins; puis venaient le grand-écuyer et le prévôt de l'hôtel, suivis d'autres archers de la garde du corps, les chevaliers de l'ordre, les seigneurs, ducs, marquis, comtes et barons, les cardinaux, évêques et abbés, les présidens et gens de conseil, les pensionnaires et grands gosiers de cour, qu'André de la Vigne qualifie de grands bragars, de grands prodigues de despens ordinaires, de grands pompeurs du temps présent qui court, les trésoriers et financiers généraux, les bagages, les vivandiers, les lavandiers, les marchands portatifs, les chariots, charrettes, brouettes et autres ustensiles. Le roi entendit la Messe à Saint-Laurent; le lendemain à l'Annonciade; puis, se tenant sur ses gardes jusqu'au 28 novembre, il alla coucher ce jour-là, un vendredi, dans une maison de plaisance près du port de Florence; le 29, à Saint-Casant; dimanche 30, séjour; le 1er décembre, à Pontgibon (Poggibonzi); le mardi 2, entrée à Sienne l'antique, alors ville impériale, peu satisfaite de son sort; car on y reçut le monarque français comme un libérateur. Tous ces petits Etats municipaux, abandonnés à eux-mêmes ou asservis par leurs voisins, étaient devenus bien misérables. Se tournant et retournant sans cesse, toujours inquiets, toujours mécontens, toujours changeant, faisant tantôt de la domination avec des chapelets et des échafauds, tantôt de la liberté avec des poignards et du poison, suspendus à la basque du premier souverain puissant qui passait, pour lui crier vivat! et lui demander ce qu'ils ne savaient ni définir, ni conquérir, ni garder, ni respecter, à savoir une noble et calme indépendance; tous ces petits États, disons-nous, représentaient justement les grenouilles d'Ésope, implorant Jupiter. Quant au brave roi Charles VIII, qui n'avait aucune politique dans la tête, qui était venu en Italie sans savoir pourquoi, ou plutôt à son insu, pour faire, de ses deux ministres prévaricateurs, l'un duc, l'autre cardinal, il regardait ces mouvemens d'un air étonné, accueillant vaguement tout le monde, promettant au hasard, semant au hasard de faibles garnisons qui ne servirent à rien, ni pour lui ni pour les autres; c'est ce qu'il faut voir dans Comines. Le jeudi, 4 décembre, le roi quitta Sienne, et alla coucher à San-Clero, qui est un lieu plaisamment contourné; vendredi, séjour; le 6, à la Paillette (la Paglia), hameau de cinq ou six maisons, où l'on rejoignit l'artillerie; dimanche, après Messe ouïe, départ et coucher à Aiguependant (Aquapendente), première ville pontificale; mercredi 10, seulement, le roi se remit en route pour Viterbe, où il coucha: il y fut bien reçu et prit son logement à l'évêché, près la porte romaine. De Viterbe, M. de la Trémouille fut député vers le pape Alexandre VI, qui, après quelques explications, accorda le passage. Ce pontife, sur le conseil des Colonnes, gibelins, et contre l'avis des Ursins, du parti guelfe, avait d'abord fait mine de tenir pour les Arragonnais; mais il changea, pour le moment, sans doute, à la vue de la défaite honteuse du prince Frédéric d'Arragon. Des cardinaux, et le confesseur même du pape, vinrent saluer le roi à Viterbe. Tout étant ainsi réglé, de part et d'autre, le lundi, 15 décembre, on repartit pour la petite ville de Naples (Nepi), où l'on s'arrêta jusqu'au 19. Ce jour-là, départ pour Bressaignes (Bracciano), place appartenant à un riche seigneur nommé Virgille, qui en fit fort loyalement les honneurs, et donna même son fils bâtard, jeune homme de grande audace, pour faire la campagne avec l'armée de France. Le roi demeura dans Bracciano jusqu'au 24 décembre, pour faire ses dernières dispositions d'entrée dans Rome. Il envoya M. de Ligny, avec bon nombre d'Allemands, occuper Ostie, et MM. de la Trémouille et de Gié, à Rome, faire ses logemens. Il reçut aussi, à Bracciano, l'ambassade solennelle du pape, composée des cardinaux de Lorette, de Saint-Denys et de l'Escaigne. Le prince d'Arragon, duc de Calabre, qui était encore à Rome avec ses troupes, voyant les Français si près de lui, s'enfuit vers la Pouille. Enfin, le 24 décembre ou le 31 (car il y a ici une contradiction dans le Vergier d'Honneur), le 24, donc, et non le 19, comme le dit le marquis d'Aubays, Charles VIII entra dans Rome avec son ost, qu'il était déjà bien tard, à la clarté des torches et des flambeaux. Il prit son chemin par la porte Flamine, passa devant Sainte-Marie del Popolo, et s'alla loger au palais Saint-Marc avec toute son artillerie. Alexandre VI était de méchante humeur et s'enferma dans le château Saint-Ange, sans vouloir voir le roi, ce qui chagrina tant Sa Majesté, qu'elle députa au pontife MM. de Bresse, de Foves, de Ligny, de Gié, l'évêque d'Angers, et maître Jehan d'Arcy, lequel, par le moyen d'une belle et humaine harangue en bon latin, parvint à rétablir l'harmonie. Cet heureux résultat obtenu, Charles se mit à visiter les choses exquises de Rome, telles que Sainte-Véronique, Nostre-Dame-de-Saint-Luc, l'église des Frères-Mineurs, dite Ara cœli, le mont de la Sibylle, d'où l'on voit l'hôtel de ville qui fut le Capitole ancien des Romains; et le mardi, 13 janvier 1495, la Minerve et Saint-Sébastien. Une rixe s'étant élevée, sur ces entrefaites, entre la garde française et écossaise, et les juifs, dans laquelle plusieurs de ces derniers furent tués, le roi donna l'ordre à M. de Gié de faire justice, et six galans juifs furent pendus. Le jeudi 15, visite au Colisée, qui appartient et est de droit au roy; le 16, messe à Saint-Pierre, et ce même jour, où le pape et le roi se virent affectueusement, M. de Saint-Malo (Briçonnet) fut fait cardinal; le 18, dimanche, le roi toucha les écrouelles à la chapelle de France, puis assista, en grand cortége de seigneurs, à l'office majeur célébré par le pape à Saint-Pierre. Sa Majesté ainsi que sa suite étant confessées, Sa Sainteté, vêtue de blanc, donna sa bénédiction solennelle au peuple et à l'armée, comme au grand jubilé. Les jours suivans, visite à Saint-Jean-de-Latran, et dispositions militaires pour le départ. Enfin, le mercredi, 28 janvier, après avoir ouï la messe, déjeûné chez le pape, reçu sa dernière bénédiction et baisé sa main, le roi quitta Rome, emmenant, comme otage libre, le cardinal de Valence, fils naturel d'Alexandre VI, et alla coucher à Marigné; le 29, à Belistre (Vellétri), où l'on séjourna jusqu'au 3 février. Le cardinal de Valence profita de ce séjour pour s'enfuir du camp et retourner à Rome, où déjà le pape avait faussé sa foi et donné la main aux ennemis du roi, ainsi que le seigneur d'Argenton l'avait su démêler et mander expressément de Venise. Le comte de Nevers, à l'avant-garde, prit d'assaut la ville et le château de Montfortin. Le mardi, 3 février, à Valmontone; le 4, à Florentine, où l'on s'arrêta le 5, pour y être parrain d'un juif que M. d'Angers baptisa et nomma Charles. Rien, aujourd'hui, ne fait mal comme ces baptêmes de juifs garantis par des princes français. Vendredi 6, à Verlic; lundi 9, à Bahut, d'où le roi alla voir le siége d'un fort, dit le Mont-Saint-Jean. L'assaut fut sanglant: il y périt 40 hommes de l'armée royale et 956 assiégés, après un combat de sept heures, où Charles VIII se montra ce qu'il était, digne chevalier. On sut là que le duc de Calabre s'était encore enfui de San-Germano, abandonnant ainsi la clef du royaume de Naples de ce côté. Jeudi 12, à Cyprienne; vendredi 13, à San-Germano. On mit garnison dans le château, puis on visita l'abbaye de Saint-Benoît. Le 15, à Mignague (Minagno); lundi 16, à Triague. On y apprit que le duc de Calabre s'était encore enfui de Capoue, et l'on y reçut les députés de cette ville, qui en apportèrent les clefs. Le 17 à Couy, et le 18, entrée à Capoue sans obstacle. Jeudi 19, couchée à Averse. Le roi reçut une députation qui lui remit les clefs de Naples, en lui annonçant que le roi Alphonse s'était enfui en Sicile, exemple imité peu après, par son fils Ferdinand, qu'il avait, avant de partir, fait couronner à sa place. Le maréchal de Gié prit les devants pour vérifier les faits, et entra paisiblement à Naples, où il fut très bien accueilli. Alors le roi, le 21, se rendit à Pougue-Réal, superbe maison de plaisance du roi Alphonse, où il dîna joyeusement; et le dimanche, 22 février 1495, il fit sa pompeuse entrée à Naples. Il logea au château de Capouane, et fit incontinent battre et bombarder le Château-Neuf, dont il s'empara, ainsi que de la citadelle, après plusieurs jours de bombardement.

Ici André de la Vigne commence son récit en prose, et c'est alors qu'il devient poétique. Le siége du Château-de-l'Œuf demanda plus de valeur et de peines. Le roi s'y rendait chaque jour, souvent dînait dans la tranchée, et encourageait alors ses artilleurs par ses munificences. La place capitula le 13 mars. Claude de la Chastre, Claude de Rabandaiges et monseigneur de Lavernade prirent possession du Château-de-l'Œuf, qui se trouva merveilleusement approvisionné de munitions de tout genre. Samedi 14, le roi dîna chez M. de Clérieux, et passa son temps, du 15 au 22, dans son château de Capouane, à recevoir les hommages des princes, princesses et seigneurs du royaume. Lundi, 23 mars, il alla se réjouir à Pougue-Réal, où la fille de la duchesse d'Amalfi, habillée en amazone, monta un cheval fougueux et fit mille voltes et pennades qui émerveillèrent la cour et l'armée. Le 24, conseil et cour de chancellerie, présidés par M. du Quesnay, où l'on pourvut aux charges, offices et emplois, au nouveau coin de la monnaie, au nouvel écu armorié du royaume. Charles VIII arrivait au trône de Naples en vertu du testament de René d'Anjou, au mépris des prétentions du duc de Lorraine, héritier de la maison d'Anjou, par les femmes. Son droit était litigieux, sa possession impossible; mais on l'avait abusé sur ces deux points. Le mercredi 25, arriva la prise de Gaëte, que le sénéchal de Beaucaire alla occuper; le 27, autre partie de plaisir à Pougue-Réal; le 28, visite aux murailles de Naples, fraîchement bâties; le dimanche 29, tandis qu'on était à s'amuser à Pougue-Réal, le fou du roi de Naples tomba du haut du château de Capouane et se tua, ce qui courrouça fort Charles VIII. Du 29 mars au 10 avril, le temps fut employé à diverses courses de plaisir ou de dévotion; le 10, M. d'Aubigny partit pour occuper la Calabre; le 14, arrivèrent les vaisseaux de France, au grand plaisir de tous; le 15, le roi toucha les écrouelles, ce qui fit un spectacle moult beau à voir; le jeudi absolu, 16, grand office, où le roi nourrit 13 pauvres. Le jour de Pâques, 19 avril, le roi se confessa à Saint-Pierre, où il dîna et toucha derechef les écrouelles. Il y eut sermon du seigneur Pynelle. Du 22 avril au 1er mai, joûtes magnifiques près du Château-Neuf. Les tenans étaient Chastillon et Bourdillon, puis M. de Dunois et l'écuyer Galliot. Dimanche, 3 mai, représentation solennelle du miracle de saint Janvier. Lundi, 4 mai, inventaire du Château-Neuf fait par MM. de Bresse et du Boys-Fontaine. Il s'y trouva des richesses supérieures à toutes celles du roi, de monseigneur d'Orléans et de monsieur de Bourbon réunies. Le vendredi 8, on alla voir, à deux milles de Naples, la montagne que Virgile fit percer bien subtilement. Le 10 et le 11, préparatifs pour l'entrée royale, qui eut lieu, le 13 mai, avec la plus grande pompe. Le roi se rendit à Saint-Janvier, y fit le serment, reçut celui des nobles napolitains, donna l'ordre de chevalerie, et fut proclamé à la joie générale. M. de Montpensier fut nommé vice-roi. Le 18, banquet royal au Château-Neuf, et le 19, chez le prince de Salerne. Le mercredi, 20 mai, après 86 journées de séjour, le roi quitta Naples avec une grande partie de son armée, pour s'en retourner en France; il était plus que temps. Le 20, couchée à Averse; le 21, à Capoue; le 22, chez l'évêque de Sesse; le 24, à San-Germano; le 25, à Ponte-Corvo; le 26, à Cyprienne; le 27, à Forcelonne (Florentine), et le jeudi 28, à Lyague. La petite ville de Forcelonne était sous l'interdit du pape quand le roi y passa, parce que les habitans avaient coupé les bras à leur évêque, du parti arragonais. Mais le roi, ayant le pouvoir de se faire dire la messe partout, en usa. De Lyague, le 29, à Valmontone; le 30, à Marigné; et le lundi, 1er juin, à Rome. Le pape était sorti de sa capitale. Charles VIII disposa toute chose pour sa sûreté et pour celle de la ville sainte, rendit ses hommages à saint Pierre, et logea chez le cardinal de Saint-Clément. Mercredi 3, à Campanole; jeudi 4, à Soulte; et le 5, à Viterbe, où l'on demeura deux jours, par révérence de la feste de Pentecouste. Plusieurs pages du roi, s'étant égarés dans les bois de Viterbe, y furent tués par les paysans. On prit les assassins et on les pendit. L'avant-garde de l'armée fut arrêtée à l'entrée de Toustanella, place que l'on prit d'assaut et que l'on pilla. M. de Lespare, pour s'être engagé imprudemment, fut fait prisonnier. De ce moment, le roi ne marcha plus qu'en bon ordre et comme en pays ennemi. Il quitta Viterbe le 8 juin, lundi, et alla coucher à Montefiascone. Le 9 et le 10, à Aquapendente. Il eut quelque peine à franchir Ricolle et San-Clero le 12; mais, enfin, il gagna heureusement Sienne, où il fut très bien reçu le samedi 13 juin. Mercredi 17, à Poggibonzi; le lendemain, procession du Saint-Sacrement, où le roi se montra bon catholique. Ledit jour, la nouvelle vint que monseigneur d'Orléans était entré dans Novare, malgré le duc de Milan et ses alliés. Le 19, arrivée près de Florence, à Campane. Les Florentins s'étaient tournés contre les Français: aussi leur prit-on de force la ville de Pontvelle; puis on se rendit à Pise, qui accueillit l'armée avec enthousiasme. Les hommes et les femmes de Pise vinrent, pieds nus, se mettre sous la protection du roi, ce qui tant l'émut qu'il leur laissa garnison. Pareil accueil lui fut fait à Lucques, où il entra le mercredi 23. On en repartit le 25, et l'on arriva le 29 au pied des Alpes boulonnaises, en passant par Massa, Pietra-Santa, Lavanza, Sarzana, dont la garnison fut levée, Villa-Franca et Pontremoli. Là on eut grand'peine à faire franchir les monts à l'artillerie, opération qui réussit, toutefois, grâce aux soins et à l'habileté de Jehan de la Grange, à la constance des Allemands qu'il conduisait, et aux secours que fournit M. de la Trémouille, grand-chambellan. Le roi resta trois jours dans son camp à surveiller le passage pour lequel on fut, parfois, forcé de tailler les roches. Quand M. de la Trémouille vint annoncer au roi que l'artillerie avait passé, il semblait être mort pour la grande chaleur qu'il avait soubstenue, ceci faisant. Il faut dire, à l'honneur du maréchal de Gié comme des 600 lances et des 1500 Suisses qu'il menait à l'avant-garde, qu'il contribua puissamment au succès de ce passage difficile, en faisant tête à l'ennemi, sans quoi le roi était perdu. De tristes nouvelles de Naples arrivèrent au camp de Pontremoli. M. d'Aubigny mandait que, le jour du Saint-Sacrement, ceux de Gaëte et ceux de Naples avaient voulu massacrer les Français. Le vendredi, 3 juillet, le roi franchit les monts, à son tour, avec une belle compaignie, alla coucher à Cassan, le samedi, à Térence, et le dimanche 5, il atteignit Fornoue. On ne fit que se rafraîchir et entendre la messe à Fornoue, puis on se remit en marche en moult bel ordre, le maréchal de Gié à l'avant-garde, Sa Majesté en la bataille, et M. de la Trémouille à l'arrière-garde, où il acquit beaucoup d'honneur. On n'avanca que deux milles ce jour-là, et le roi campa près de Vigerre, dans une belle plaine garnie de saulsoyes, prairies et fontaines. La nuit se passa sur le qui-vive; les Allemands pillèrent un beau château du comte Galéas, action dont Charles VIII se montra fort courroucé. Le lendemain, lundi, 5 juillet 1495, le roi entendit la messe à six heures du matin moult dévotement, dîna, puis monta à cheval vers huit heures. Il était bien armé et richement acoustré, vêtu, par dessus son armure, d'une jaquette à courtes manches, de couleurs blanche et violette, semée de croisettes de Jérusalem et fine broderie de riche orfévrerie; son coursier noir, dit le Savoie, pareillement accoutré de blanc et de violet semés de croisettes; et semblait bon gendarme s'il en fut, le dit très vertueux roi, nonobstant la corpulence qu'il avait en si jeune âge. L'armée s'ébranla dans l'ordre de la veille, savoir: M. de Gié et messire Jean-Jacques avec l'avant-garde; après eux, les Suisses menés par MM. de Nevers, de Clèves, le bailli de Dijon, et le grand-écuyer de la reine, Lornay. L'artillerie venait ensuite avec le bailli d'Aussonne, Jehan de la Grange et Guyot de Louzières. Le roi suivait avec la bataille, après laquelle marchaient MM. de la Trémouille et de Guise avec l'arrière-garde. Les bagages devaient cheminer par oultre les grèves à main gauche, sous la conduite du vaillant capitaine Houdet; mais à grand'peine voulaient-ils tenir ordre, dont le capitaine Houdet se courrouçait fort; l'un voulant aller, l'autre non; l'un boire, l'autre manger; plusieurs faire repaître leurs chevaux; plusieurs aller au logis devant, ce qui fut cause de leur perdition, la confusion s'étant mise aussitôt dans cette troupe indisciplinée.

Cependant, les confédérés, en nombre décuple de l'armée royale, et formant près de 50,000 hommes, s'étaient ébranlés, de leur côté, pour aller au devant du roi, et avaient pris position. Ils tirèrent quelques coups de canon sur l'avant-garde, qui n'en continua pas moins sa route. La bataille française, tout en marchant, fit taire leur artillerie, et la chose alla bien ainsi l'espace d'une demi-lieue; mais les Lombards et les Vénitiens, ayant vu passer les bagages en désordre, les chargèrent furieusement, dans l'espoir que toute l'armée de Charles serait entraînée avec eux. Le danger du roi était pressant: chacun en prit un courage nouveau; et ce vaillant prince contribua, plus que tout autre, à maintenir l'ordre par sa présence et ses discours, disant à ses gens: «Mes amys, n'ayez point de paour; je sçay qu'ils sont dix fois autant que nous, mais ne vous chaille! Dieu nous a aydé jusques icy. Je vous ay conduitz à Naples, où j'ay eu victoire sur mes adversaires; et, depuis Naples, je vous ay admenez jusques icy sans oppression ne esclandre vilaine. Si le plaisir de Dieu est encores, je vous rameneray en France, à l'honneur, louenge et gloire de nous et de nostre royaulme.»

Les Vénitiens, voyant que la bataille était serrée autour du roi, sans que rien y pût mordre, dépêchèrent un héraut, en apparence, pour réclamer un prisonnier notable, mais, dans le fond, pour observer le lieu où Sa Majesté se trouvait et le vêtement qu'il portait, afin de diriger leurs coups de ce côté. Ils formèrent ensuite une bande de leurs meilleurs gendarmes pour charger le groupe royal; ce qu'apercevant Charles VIII, il forma également une bande choisie, de laquelle furent Charles de Maupas, qui fut fait chevalier sur l'heure; Gilles Charmet de Normandie, qui portait l'enseigne des gentilshommes; et messire Aymary de Prye. Le roi joignit à cette valeureuse élite les deux cents archers de M. de Crussol, et prit la tête de la colonne, ayant toujours à ses côtés Claude de la Chastre, dont il prenait les conseils pour ce que c'estoit un gentilhomme expérimenté au fait de guerre. La bande ennemie, appuyée et en partie masquée par le bois de Fornoue, se présenta gaillardement. Celle du roi l'assaillit aussitôt avec rage. Le choc fut terrible: Charles frappait de sa main virilement, et paraissait prendre une force nouvelle à chaque coup qu'il recevait sur son armure. Plusieurs des siens, pour donner la bricole aux traîtres ennemis, s'estoient acoustrés de blanc et de violet comme lui, et lui faisaient rempart de leurs corps. Dieu se déclara pour le bon droit. La bande des alliés périt presque tout entière en peu d'heures, ou fut faite prisonnière. Du côté des Français, M. le bâtard Mathieu de Bourbon fut seul pris, à cause que son cheval l'emporta. Ce grand effort fini, les alliés décampèrent, laissant le roi victorieux sur le champ de bataille, où il s'estoit montré vray fils de Mars, hardy comme Hector, chevalereux comme Olivier, et délibéré comme Roland. «On cuidoit bien, dit André de la Vigne, que Dieu estoit, pour la France en ceste journée; car, autant que dura la tuerie, la chasse et escarmouche, oncques ne cessa de venter, pleuvoir, tonner et esclairer, comme sy tous les diables eussent été par les champs.» Ce fut un beau fait d'armes pour les Français, qui n'étaient pas plus de 8 à 9,000 contre plus de 50,000 ennemis, commandés par le marquis de Mantoue, le comte Galéas Sforce et le seigneur Fercasse. Le roi coucha la nuit suivante dans une maisonnette, et fit un maigre souper, ainsi que ses braves, tous les bagages ayant été pillés, et, pour la plupart, par les valets eux-mêmes. On sut, dans l'armée, par un messager dépêché au duc de Milan, que l'on arrêta, le nombre et la qualité des morts de l'ennemi. Sa perte fut immense. On enterra les morts le lendemain, après une suspension d'armes, et le roi alla coucher à Magdelan le 7. Mercredi 8, à Florensole, où l'on fut rejoint par M. de Bresse et sa bande, qui venaient de Sienne. Le 9, à Salmedon. Il fallut faire un long détour et passer sous les murs de Plaisance, à tous risques, parce que les ponts étaient rompus. Le 10, aux faubourgs du Châtel-Saint-Juan. De là le roy envoya un héraut à Tortone, place forte dans laquelle s'était renfermé le seigneur Fercasse, neveu du duc de Milan. Ce seigneur se conduisit avec générosité, jusqu'à fournir des vivres à l'armée. Dimanche 12, à Capriate; le 13, on campa à six milles de Nice, près d'Asti, sur les terres du marquis de Montferrat. Le 14, à Nice; le 15 à Asti, où l'on séjourna jusqu'au 27 pour reposer l'armée, qui se refit entièrement dans ce pays plantureux. On apprit dans ce lieu comment les Napolitains avaient rappelé le roi Ferrant (Ferdinand), et toutes les peines qu'essuyait le duc d'Orléans dans Novare. Le roi se rendit alors à Turin et y arriva heureusement le 30 juillet; il avait logé la veille à Quiers, chez un bon gentilhomme piémontais, nommé Jehan du Solier, dont la fille lui adressa une longue et moult belle harangue, sans fléchir, tousser, cracher, ne varier en auculnes manières. Cette aimable pucelle y parlait de ses regrets de n'être pas la Pucelle d'Orléans, formait le vœu que le vaillant roi renversât bientôt le More, et finissait par supplier Charles VIII de prendre toute sa famille à son service. Sorti des terres lombardes et vénitiennes, le roi se trouvait en pays ami, mais il avait près de lui l'armée des confédérés qu'il fallait vaincre pour délivrer le duc d'Orléans captif dans Novare. Il campa donc près des ennemis, entre Quiers et Versay (Verceil), sur le Pô, recruta son armée d'Allemands, disposa tout pour une nouvelle bataille, et cependant ouvrit des négociations qui occupèrent les mois d'août et de septembre entiers, plus vingt jours d'octobre. Ce fut dans le camp de Verceil que le roi, après bien des pourparlers, fut rejoint par le duc d'Orléans, que le bâtard de Bourbon, fait prisonnier à Fornoue, lui fut rendu, et qu'il perdit de la dysenterie, à son grand regret, son bon parent et ami, François comte de Vendôme, l'escarboucle des princes, en beauté, bonté, sagesse, doulceur et bénignité, auquel il voulut faire des obsèques comme s'il eût été son frère.

Enfin la paix fut signée, grâce aux bons soins de Comines, qui fut ensuite envoyé à Venise pour la faire ratifier des Vénitiens. Le seigneur d'Argenton eut le beau rôle dans tout le cours de cette triste affaire; il avait blâmé l'entreprise; il avait signalé la ligue, partagé les dangers et la gloire de Fornoue; il contribua plus que personne à la paix; c'était avoir du bonheur et le mériter.

Le roi leva son camp le 21 octobre et repartit pour Lyon en très bel ordre, passant par Suze, Briançon, la Mure, Grenoble, où la fatigue le retint quelques jours, Morain et Chantonay. Le 7 novembre, un samedi, Charles VIII rentra dans Lyon, dont la population le reçut avec des acclamations incroyables; il logea à l'archevêché. La reine, madame de Bourbon, et toute la cour, l'y attendaient. Il y eut alors de joyeux momens, et André de la Vigne en profita pour offrir l'ouvrage dont nous venons de faire l'analyse[49].

Ce récit, dit le Vergier d'Honneur, est suivi d'une énorme quantité de ballades, rondeaux, complaintes, épitaphes et autres poésies, tant du sieur de la Vigne que de messire Octavien de Saint-Gelais, évêque d'Angoulême. Ces pièces, la plupart médiocres, même pour le temps, méritent peu d'être lues: les amateurs en trouveront de nombreuses citations dans la bibliothèque française de l'abbé Goujet; nous n'en citerons qu'un rondeau qui ne doit pas être de l'évêque d'Angoulême:

Vieille putain par trop désordonnée,
A redoubter plus qu'une ame damnée,
Vous m'avez bien lourdement abusé
De m'estre ainsi longuement amusé
A vous aymer plus qu'autre femmelette.
Mule esclopée, roupieuse hacquenée,
Au bas mestier estes si acharnée,
Qu'en avez ja le hoc illec usé,
Vieille putain.
Quant vostre amour premier me fut donnée,
Pas ne cuydoye du mois ne de l'année,
Quelque fin homme que je soye, ou rusé,
Estre de vous en ce point refusée,
Pour a ung autre vous estre habandonnée,
Vieille putain.

[48] Lisez, pour la mesure comme pour la vérité, quatre-vingt-un et treize.

[49] Jean Marot a fait, à l'imitation du Vergier d'Honneur, le récit en vers des deux voyages de Louis XII à Gênes et à Venise. Ses vers sont meilleurs que ceux d'André de la Vigne; mais, en somme, son ouvrage est bien moins intéressant, pauvre qu'il est de circonstances et de traits de mœurs: on en peut lire l'analyse dans les mémoires de littérature de Thémiseul Saint-Hyacinthe.


SYDRACH LE GRANT PHILOSOPHE,
FONTAINE DE TOUTES SCIENCES;

Contenant mil quatre-vingt et quattre demandes et les solutions d'icelles: comme il appert en la table séquente. Nouvellement imprimé à Paris par Alain Lotrian et Denys Janot, imprimeurs et libraires, demourant en la rue Neufve-Nostre-Dame, à l'enseigne de l'Escu de France. 1 vol. in-4 gothique, non chiffré, avec frontispice et figures en bois, contenant 162 feuillets. Edition rare, sans date. (1519 environ.)

Ce livre a été réimprimé en lettres rondes par Galliot du Pré, à Paris, en 1531, 1 vol. pet. in-8 de 271 feuillets chiffrés. Il n'est pas commun non plus de rencontrer cette 2e édition, d'ailleurs très nette et très jolie, qui s'associe parfaitement au Roman de la Rose et au Champion des Dames, du même imprimeur. Nous possédons un bel exemplaire de chacune des deux éditions; celui de 1531 vient de la bibliothèque de Marie-Joseph Chénier.

(1496-1519-1531.)

L'histoire fabuleuse de ce livre singulier se lit dans le prologue du traducteur français, qui dédie son œuvre, translatée du latin, au roi Charles VIII. A l'en croire, le sage Sydrach composa son Recueil philosophique pour amener la conversion d'un roi d'Inde mécréant, nommé Boétus, lequel vivait justement 847 ans après Noé. L'écrit passa de main en main dans celles de plusieurs docteurs et clercs de l'église de Tolède, qui le traduisirent du grec en latin vers l'an 1243 de notre ère. Voilà, certes, une belle généalogie. Nous pensons que le lecteur fera mieux de rapporter la source de la Fontaine de toutes sciences aux rêveries de quelque médecin arabe de Cordoue converti au christianisme. Le fond et la forme de l'ouvrage répondent au récit du translateur. C'est le roi Boétus qui questionne le saige Sydrach, lequel ne demeure court sur rien, pas même sur la nature et l'excellence des anges. Nous ne rapporterons pas les 1084 réponses du sage; autrement, le public deviendrait aussi savant que nous, et cela ne serait pas juste; nous étant donné la peine de lire toutes ces réponses, pendant qu'il n'a pas pris la peine d'en lire une seule; mais nous lui en donnerons plusieurs, seulement pour l'amorcer, en observant que, partout, les hommes ont débuté par résoudre les difficultés avant de les apercevoir. La raison humaine affirme d'abord; ensuite elle doute; puis elle nie, et c'est là son triste terme, après lequel vous la voyez recommencer à parcourir le même cercle.

Q.—La femme peut-elle porter plus de deux enfans en une portée au ventre?—R. La femme peut porter à une ventrée sept enfans; car la marris (matrice) de la femme a sept chambres. (Que diront nos anatomistes de cet appartement complet?)

Q.—Qui vit plus que chose que soit?—R. L'aigle et le serpent... Le serpent vit plus de mille ans, et chascun cent ans lui naist une goutte en la teste du grand d'une lentille; et, quant il a accompli les mille ans, il devient ung fier dragon. (Qu'on prouve le contraire! donc cela est vrai.)

Q.—Ceux qui ont mal de goutte, comment peuvent-ils guérir?—R. Qu'ils se facent saigner du bras dextre et usent de médecines qui font vuider.

Q.—Où habite l'ame?—R. L'ame habite là où il y a sang, et non en la peau, les ongles et les dents. (Il est assez naturel de penser que ce qui écorche et qui mord n'a point d'ame.)

Q.—Qui donne plus grande science à l'homme, la froide vianlde ou la chaulde?—R. La chaulde... qui amollit les nerfs, les veines et eschauffe le cueur. (Comment le roi Boétus ne se serait-il pas converti à entendre de telles réponses?)

Q.—Doibt l'homme chastier sa femme quand elle forfaict?—R. Quant la bonne femme faict quelque forfaict, son forfaict est réputé moult petit forfaict; mais quant la maulvaise femme forfaict, elle se doibt chastier par humbles parolles, deux, trois, quatre et cinq fois, jusqu'à la neufvième..., et se à tant ne s'amende, l'on la doibt laisser et du tout déguerpir. (Il est impossible d'insinuer plus doucement que la méchante femme est incorrigible.)

Q.—Pourquoi ne fist Dieu l'homme qu'il ne peust pescher?—R. Si Dieu eust faict l'homme qu'il n'eust pu pescher, l'homme n'eust desservy à mal bien avoir, et ainsi le bien fust retourné à Dieu dont il estoit venu.

Q.—Pourquoi les hommes regardent entre les jambes des femmes?—R. Les fols y regardent, mais les saiges non...; car aussitôt..., par convoitise, les yeulx tresbuchent en pesché.

Q.—Lequel est le plus beau membre du corps?—R. Si est le nez lequel est au corps comme le soleil au ciel. (Avis aux poètes! voilà de quoi renouveler leurs images.)

Q.—Qui fut avant faist, le corps ou l'ame?—R. Dieu fist toutes choses dès le commencement du monde...; quant l'homme engendre en la femme, les sept planettes forment la semence par la voulunté de Dieu...; saturnus la fait prendre...; jupiter lui forme la teste et la chière...; mars lui forme le corps...; vénus lui forme les membres...; mercurius lui forme la langue; et... luna lui forme les ongles et le poil, etc., etc., etc.

Le saige Sydrach résout encore beaucoup d'étranges questions; mais c'est assez: il ne faut jamais épuiser les fontaines.


LA GUERRE ET LE DÉBAT
ENTRE LA LANGUE, LES MEMBRES ET LE VENTRE.

C'est assavoir la langue, les yeux, les oreilles, le nez, les mains, les pieds, qui ne veullent plus rien bailler ne administrer au ventre, et cessent chascun de besongner. iii.c. On les vend à Paris, en la rue Nostre-Dame, à l'enseigne Sainct-Nicolas. 1 vol. pet. in-4 gothique, figures en bois, de 18 feuillets, rarissime. Sans date. (1490 à 1499.)

M. Brunet parle de cette édition sous le no 8765, et en cite une autre également, sans date, in-4 de 18 feuillets. Paris, Jehan Trepperel. Du Verdier, qui attribue l'ouvrage à Jehan d'Abundance, dit le bazochien, et quelquefois maistre Tiburce, mort vers 1540, mentionne une troisième édition de ce livre, encore sans date, in-4, sous la rubrique de Lyon, Jacques Moderne. Ces trois éditions peuvent être rapportées à la même époque à peu près, c'est à dire de 1490 à 1499. Notre exemplaire n'est pas ébarbé.

(1499.)

Le Débat entre la Langue, les Membres et le Ventre n'est autre chose que la fable des Membres et de l'Estomac, fiction ingénieuse qui a subi bien des vicissitudes, comme on voit, depuis Menenius Agrippa jusqu'à notre La Fontaine. Le bazochien Jehan d'Abundance, ou, selon quelques uns, Jehan Molinet, a délayé cet apologue dans un flux de vers de dix pieds, dont on va juger par les passages suivans. Dans ce poème, l'initiative de l'insurrection est donnée à la langue: c'est elle qui incite les autres membres et organes à refuser le service. Elle s'évertue à médire du seigneur ventre, qui la tient sous le joug. «Fussions-nous d'Allemagne ou d'Anjou, dit-elle, de l'endurer ce nous est grand reproche, etc., etc., etc. Qu'a-t-il de plus que nous pour commander?...

Est-il plus noble par génération,
D'autorité ou par perfection
Que nous ne sommes? Je ne le puis entendre.
Un sac rempli de putréfaction,
De poureté et grande infection, etc., etc., etc.

»Soyez homme de guerre, gentilhomme, ou vilain, ou bourgeois, il vous faut travailler à rembourer ce trou, et se aucuns se rendent dedans un monastère:

Ils n'y vont pas pour mener vie austère,
C'est pour remplir ce sac plein de lavailles, etc., etc., etc.

»Que de peine ne prenais-je pas pour combler ce lac punais, pour amasser le plaisir de ce sac!

Je crie, je jure, la fausseté j'adjuge,

Je happe tout et biffle bœuf et vache,

Je me parjure et je faulse ma foy,

Par fas je fais et par néfas déffais,

Pour acquérir quelque chose à ce trou,

Je ne veuil plus faire faicts que j'ay faictz,

Mes compaignons, mes amis en substance,
Laissons tout là! etc., etc., etc.

Ici la langue se tait, et l'acteur (l'auteur) dit quelques mots pour amener le discours des yeux. Il est bon de savoir que l'acteur a entendu toutes ces belles disputes en songe; toujours des songes! Discours des yeulx:

O dame langue! certes vous dites bien,
Ce gouffu sale cy ne nous sert de rien.

Il n'y a chair, viande ne poisson,
Lard, fruit, beurre, œufs, saulvaiges, venaison,
Que je ne chasse pour ce maistre pansart.

Pour ce laissons-le, c'est mon opinion, etc.

Discours des oreilles:

Las! mes frères, moi qui suis les oreilles,
J'ay faict pour lui des choses nompareilles,
Je ne puis plus endurer ceste peine.

Se j'oy parler de quelque bon disner,
Incontinent il y faut cheminer.

Pour ce laissons-le, se vous voulez m'en croire, etc.

Discours du nez:

Je n'ay de lui gaiges, prouffits ne rentes,
Fors seulement cette infecte fumée
Que par trahison ay mainte fois humée,

Je luy cherche dons odoriférans

Et il me rend pour tout potaige un vent.

Dieu le mauldie lui et ses adhérens, etc., etc., etc.

Discours des mains:

Eusse cent francs de rente et en domayne
Si faut-il bien que ce grant gouffre ameine,
Tout mon vaillant, tant qu'il soit rembouré,

Rien n'amassons qui n'entre en sa bouticque.
J'croy qu'il soit pire qu'un hérétique, etc., etc., etc.

Le discours des pieds est une répétition des mêmes griefs diversement appliqués. A peine est-il fini, que la langue recommence ses imprécations contre le seigneur ventre, et la conjuration est résolue. On vient à l'effet: chacun se tient coy. Le premier jour se passa doulcement,—le second jour, la gueule, nullement ne se veult taire;—et au tiers jour furent les membres en tel point—pour la famine que, etc., etc. Alors la langue, toujours la première à parler, s'aperçoit qu'elle est dupe, ainsi que ses compaignons:

Tant plus vivons, tant plus décrépitons;

Il nous vault mieux pour savoir la naissance
De nostre mal parler à cette pance
Que de mourir si misérablement.

Or viens çà, ventre, escoute mes complains,

Ne souffre pas que toy, ne ton lignaige
Ton propre sang endure ce brouillage, etc., etc., etc.

Le ventre se rend aux supplications de l'ingrate, non sans la gourmander vertement. La leçon profite aux autres conjurés qui reprennent chacun leur office, et la santé revient au corps expirant. L'acteur termine la pièce par ces mots:

O vous lysans! corrigez ce volume;
Des mots y a mal couchez ung minot
Et pardonnez à moy pour Jehannot.

On doit pardonner au poure Jehannot; mais comment se pardonner à soi-même d'avoir payé son Débat cent francs?


VOLUMEN
ERUDITISSIMI VIRI ANTONII CODRI URCÆI.

Emendate accurateq; impressum Bononiæ per Joannem Antonium Platonidem Benedictorum Bibliopolam, nec non civem bononiensem. Sub anno Domini M.CCCCC.II, die vero VII Martii, Joanne Bentivolo II, patre patriæ, feliciter administrante.

Edition primaria, due aux soins de Philippe Béroald, qui la dédie à Galéas Bentivoglio, protonotaire apostolique, en reconnaissance de ce que ce prélat lui a fourni les Mss. 1 vol. in-fol. en 2 parties, dont la première contient 106 feuillets, et la deuxième 65; sans autre titre que l'index suivant, la rubrique précédente de l'imprimeur se trouvant à la fin de la 2e partie; immédiatement avant, 1o la Lettre de Bartolomée Bianchini à Mino Roscio, sénateur; 2o la Vie de Codrus, par le même; 3o les Sept poésies laudatives de Virgile Portus; 4o la Lettre laudative du savant Jean Pin, de Toulouse au savant Jean Mourolet, de Tours; 5o une Épigramme du même et son Epitaphe de Codrus; toutes pièces latines qui terminent le volume. Voici l'index qui sert de titre à notre première édition, laquelle est fort rare et renferme exactement les mêmes choses que la seconde, de Venise 1506; la troisième, de Paris, Jean Petit, 1515, in-4; et la quatrième, de Bâle, 1540, in-4; sauf que cette dernière offre, en plus, une table générale des matières, ainsi que le dit M. Brunet.

(1500-1502.)

In hoc vol. hæc continentur.

Orationes seu sermones, ut ipse appellabat (15)
Epistolæ (10)
Silvæ (22)
Satyræ ( 2)
Ecloga ( 1)
Epigrammata (97)

Hyacinthe, cordonnier, dit Bélair, dit Saint-Hyacinthe, dit le chevalier de Thémiseul, auteur du Chef-d'œuvre d'un Inconnu, l'un des hommes qui ont eu le plus d'esprit, a fait, sur l'édition de 1515 (car il n'avait jamais vu la première), une analyse exacte et détaillée des ouvrages de Codrus Urcæus, principalement des XV discours en prose qui en sont la partie la plus curieuse et la plus étendue. Cet excellent morceau, le meilleur, peut-être, de ses mémoires littéraires, aujourd'hui trop peu lus, servira de base au présent extrait, dont il nous eût dispensés, si nous n'avions, d'ailleurs, jugé convenable d'y joindre quelques additions, et de parler de plusieurs notes autographes de Bernard de la Monnoye, dont notre exemplaire de l'édition de 1502 est enrichi.

Le premier discours de Codrus est donc, ainsi que l'expose fort nettement Thémiseul, une revue satirique des divers états et des diverses conditions de la vie, dans laquelle le professeur se plaît à montrer la vanité de l'esprit humain, pour conclure que tout ce qu'ont dit et fait les hommes, dans tous les temps, n'est que fables, fabulæ. Il s'y moque des dialecticiens qui enseignent qu'une syllabe mange un fromage, parce qu'un rat mange un fromage, et qu'un rat est une syllabe. Il se moque des médecins, des femmes mariées, des politiques, des prédicateurs, des théologiens même comme des autres, d'une façon très claire et très hardie, et finit par dire que tout est fable dans la philosophie, hormis le principe d'aimer Dieu par dessus toute chose, et son prochain comme soi-même. Au sujet des vaines disputes des philosophes, sur la nature de l'ame, nous remarquerons ces sages paroles: «Quid autem sit anima nondum inter philosophos convenit, nec unquam fortasse conveniet. O divina sapientia! ô Deus immortalis! hoc non est hominis, sed tuum officium. Hæ partes tuæ sunt quid anima patefacere mortalibus! Les philosophes ne s'accordent pas et ne s'accorderont peut-être jamais sur la nature de l'ame. O divine sagesse! ô Dieu immortel! ceci n'est point du ressort de l'homme, mais du tien! c'est à toi de révéler aux mortels ce que c'est que l'ame humaine.»

La deuxième oraison est un discours d'ouverture pour un cours sur Homère et Lucain, où l'orateur se perd en éloges de la rhétorique, dont il ne laisse pas pourtant de se moquer aussi (car il est très moqueur), par la mention qu'il fait du fameux procès entre un écolier d'Athènes et son maître, au sujet du salaire promis, que le premier refusait en s'obstinant à ne point plaider, et que le second réclamait; l'un et l'autre s'appuyant sur cette clause du contrat: Je vous paierai tant, lorsque j'aurai gagné ma première cause; procès qui fournit à M. de La Harpe, dans son Cours de Littérature, une occasion de plus de prouver excellemment la lumière, en réfutant un sophisme ridicule.

Le troisième discours est une véritable apothéose d'Homère, terminée par cette hyperbole: «Si vous consultez bien votre Homère, vous posséderez tous les arts, toutes les sciences; et vous étancherez votre soif dans une source inépuisable; sinon, vous ne saurez rien, vous n'apprendrez rien, et vous serez comme Tantale au milieu des eaux.» Madame Dacier s'est fait de belles querelles, au sujet d'Homère, pour bien moins.

Le quatrième discours, dans lequel Codrus examine s'il faut qu'un homme sensé se marie, quel choix il doit faire et à quel âge, comment il doit nourrir et élever ses enfans, sert à faire connaître le caractère cynique et téméraire de l'auteur, autant que les mœurs corrompues de Bologne; car la pudeur n'y est pas ménagée. On peut considérer cette singulière leçon publique comme un plaidoyer pour et contre le mariage. Thémiseul en rapporte certains passages des plus licencieux avec complaisance et malice.

Le cinquième discours est tout à la louange d'Aristote et de la philosophie. Codrus, rappelant la belle définition que donne Platon de la philosophie, qu'il appelle la méditation de la mort, l'explique, à notre avis, avec plus de subtilité que de raison, quand il prétend que Platon n'entend point ici la mort naturelle, mais la mort des passions; il est vrai que ce n'est pas la peine d'assembler un auditoire choisi pour lui dire les choses simplement: les gens du monde laissent le bon-sens au peuple. Il est pourtant certain que Platon entendait ici la mort naturelle; ce qui n'empêche pas que le premier fruit de la méditation de la mort naturelle ne soit de tuer les passions.

Au sixième discours, Codrus prend l'occasion de se défendre contre ses détracteurs, qui l'accusent, les uns d'être ignorant, les autres d'aimer les beaux garçons; du reste, il y contredit son précédent discours; car, des opinions mobiles et contraires des philosophes, il infère que la philosophie n'est rien qu'un mensonge à mille faces, proposition par où nous l'avons vu débuter. Ce triste aveu est suivi de deux récits que Thémiseul ose à peine indiquer, tant ils sont obscènes; il n'avait pas été si réservé plus haut. Nous le serons moins que lui, pour cette fois seulement, ne pouvant trouver une plus belle occasion de montrer ce qu'étaient alors, en Italie, les maîtres et les disciples, Eruditissimi viri et auditores benevolentissimi, ainsi que les appelle Codrus; et nous rapporterons, en latin, l'une de ces histoires, qui fera rire les amateurs de la belle latinité sans les corrompre autrement que n'ont fait tels passages d'Horace et telles épigrammes de Martial: «Quædam rustici uxor volens maritum amandare ut sacerdotem ruralem quem amabat intromitteret, veniente vespera bovem e stabulo dissolvit et in pascua longinqua relegavit: maritoque ut bovem quæreret persuasit. Quod dum ille exequeret, interea bonus adulter bis aut ter rustici uxorem subegit et re patrata discessit. Rediens rusticus bove reperto adhæsit uxori et inter feminium tetigit, repperitque irroratum. Admiratus rogavit uxorem: cur hoc rorat? et illa respondit: amisso de bove plorat. Rusticus ille fatuus credidit et subinde cum in feminio intrasset, sensit latiorem, et rogans uxorem de causâ, illa respondit: Ridet de bove reperto.»

Le septième discours traite des beautés de la langue grecque. Pourquoi, dans ce cas, ne vient-il pas immédiatement après le troisième? observe judicieusement Thémiseul, et pourquoi presque aucun de ces discours n'est-il à sa place, pas plus le huitième que le septième? Nous ajouterons que la faute en est à Béroald, et qu'elle est sans excuse de la part d'un élève chéri de Codrus, qui, ayant suivi toutes ses leçons, devait en avoir retenu l'enchaînement. Codrus parle du grec en homme qui n'en perd pas la raison, à l'exemple de beaucoup de savans de ce temps. Il lui préfère même le latin, qu'il estime plus plein et plus grave, et pour lequel il se déclare prêt à rompre la lance au besoin, tout en accordant qu'on doit avoir, pour le grec, le respect que des enfans ont pour leurs parens; et que cette langue, ainsi que l'a fort bien dit Quintilien, est la plus douce du monde et aussi la plus propre à exprimer les choses techniques.

Le huitième discours termine le cours des poètes grecs par une Vie d'Homère d'une brièveté, d'une nullité peu dignes d'un professeur de grec.

L'éloge de la Fable en général, d'Ésope, de la Vie pastorale, de Virgile et de Codrus prend tout le neuvième discours.

Le dixième est encore un panégyrique des Lettres grecques.

Le onzième venge le grec de quelques détracteurs, et contient, avec un second Éloge de la Vie pastorale, une Vie d'Hésiode, dans laquelle Codrus met ce poète au dessus même d'Homère.

Le douzième discours est un bizarre, cynique, et quelquefois judicieux éloge du juste-milieu, dans lequel le chapitre de la génération entraîne l'orateur, selon son penchant, à donner beaucoup de détails lubriques, et tels, à propos de l'infamie de certains moines, que nous n'en dirons rien, quoique Thémiseul en parle beaucoup, après avoir fait, tout à l'heure, la petite bouche.

Dans le treizième discours, on voit un panégyrique des arts libéraux et de l'université de Bologne, laquelle passait, avec raison, pour être aussi facétieuse que savante; d'où nous est venu le personnage comique du Docteur de Bologne, aussi proverbial qu'Arlequin et Pantalon.

Le quatorzième discours renferme un panégyrique de la vertu, court et pauvre: la matière n'inspirait pas Codrus.

Enfin, le quinzième est un hommage rendu aux magistrats de Bologne. Les lettres de Codrus offrent peu d'intérêt, dit Thémiseul, et pourtant il les analyse avec assez de détail pour dispenser les autres d'en parler. Quant aux poésies, qu'il juge plus que médiocres, et qu'il n'examine guère que pour en relever les défauts, à la vérité, avec autant de goût que de finesse, nous nous permettrons d'être moins sévères que lui. Par exemple, il n'extrait, de la première pièce à Jean II Bentivoglio, l'un des braves condottieri de ce temps, qu'un charmant portrait de ce jeune héros, et s'exprime sur le reste avec trop de négligence. La pièce entière, qui a 198 vers hexamètres, et dont l'objet est de célébrer tout ensemble la vaillance, la justice et l'humanité de Bentivoglio, nous paraît belle d'un bout à l'autre. Les vers suivans, notamment, ne sont-ils pas de la meilleure école?

Ordine post alii pedites, equitesque sequuntur;
Pars clypeos gestant; hos umbræ lancea longæ
Armat; vos equites ferro pugnatis et arcu.
Interea horrizonis petit ærea machina bombis
Sidera; respondentque tubæ, resonantque propinqui
Montes; et pariter tellus, mare, sidera clamant, etc., etc., etc.

Le dialogue entre Mars et la Paix, qui se disputent Bentivoglio (Annibal), renferme des beautés véritables, particulièrement la peinture des maux que tant de guerres entre de petits États avaient faits à l'Italie. Il y a de la chaleur et du sentiment dans la complainte de Codrus sur la mort de son jeune disciple Sinibald Ordolafe. Nous ferons bon marché de l'Eglogue et des deux Satires; mais, quant aux poésies légères, nous pensons qu'on en peut recueillir plusieurs que Thémiseul a délaissées, dont quelques unes, il est vrai, sentent, comme il le dit, le terroir; telle est celle à Glaucus:

Candide, si mecum prandisses, Glauce, volebam, etc., etc.

Enfin la prose burlesque pour la Saint-Martin est fort gaie.

Les notes latines de Bernard de la Monnoye, d'une écriture très fine et parfaitement nette, sont au nombre de trente-trois, distribuées ainsi qu'il suit: vingt-neuf dans les discours de la première partie, et quatre dans les poésies de la deuxième. Elles sont presque toutes grammaticales et corrigent tantôt des erreurs de mots ou de noms commises par l'auteur, tantôt des fautes de l'imprimeur; quelquefois ce sont de simples dates rétablies, redressées ou ajoutées. Au dessous du premier index, la Monnoye a écrit son anagramme: A Delio nomen, et une ligne où il annonce que le livre des Fables de Codrus est perdu. Ne s'est-il pas en partie retrouvé dans les Fables nouvellement découvertes qu'on nous a données comme de Phèdre? A propos de Galéas Bentivoglio, la troisième note apprend, d'après Hughellus sur les archevêques de Bologne, que ce Galéas, qui occupa le siége de cette ville, en 1511, après la mort du cardinal Alidosio, fut, dans la suite, interdit et dépouillé de ses dignités par Jules II, et qu'il alla mourir misérablement avec les siens. Quatrième note: Codrus avait écrit: feminæ filant. La Monnoye corrige ainsi: nent; et il ajoute: «Vox barbara qua usus Ordericus Vitalis, usus et Poggius in fabulis, quin et Hortensius Landus in fortianis quæstionibus, quod mirum.» La 11e note rectifie un passage de Palæphat mal cité par Codrus: «Temere id reris Codre; nil enim tale apud Palæphatem.» 21e note; au lieu de duos opposuit incudes, «lege duas sed Codro scriptori non admodum exacto, solecismus facile potuit excidere.» 31e note; au sujet de la pièce: Olim cum juvenis fui, etc., où Codrus déplore l'isolement dans lequel la vieillesse le plonge, lisez en marge: «mirum de senectute queri Codrum qui 54 annos non excessit.»

Avant la lettre que Jean Pin écrit à Maurolet, en l'honneur de Codrus, la Monnoye rapporte: 1o d'après l'Épître dédicatoire de l'Horace de 1519, que François Asulan Andrea, beau-père d'Alde Manuce, adressa à ce même Jean Pin, alors ambassadeur de François Ier à Venise, que ce personnage avait été fait conseiller au parlement de Toulouse par Louis XII; 2o d'après les lettres de Pietro Alciono au chancelier Duprat, que Jean Pin fut très savant dans les lettres grecques et latines, et qu'il traduisit en latin, après les avoir mis en meilleur ordre, les dix livres des histoires romaines de Dion, depuis le duumvirat d'Auguste et d'Antoine, après l'expulsion de Lépide jusqu'à la mort de Néron. Ces témoignages honorables, à la mémoire de Jean Pin, toujours de la main de la Monnoye, sont précédés de la copie également autographe de l'épigramme suivante de Gilbert Ducherius, adressée à Jean Pin, membre du parlement de Toulouse, évêque de Rieux (Rivensis).

Adria te Franci tractare negotia regni
Sæpe olim vidit, vidit et insubria
Post exantlatos nullo non orbe labores
Ut res obtigerat maxima quæque tibi:
Ordo senatorum, centumque viralis honestas
Albo te inscripsit, Pine diserte, suo.
Inde tuæ demum ut virtuti accessio major
Fiat, Revensi præsul in urbe sedes.
Si quicquam superest, quo possis altius ire,
Virtuti haud deerunt numina sancta tuæ.

Maintenant relevons, avec et sans Thémiseul, quelques détails de la vie de Codrus, par Bianchini, qui avait été l'élève et l'intime ami de ce professeur. Antoine Urcæus, surnommé Codrus, naquit à Herberia, petite ville du territoire de Reggio, le 15 août 1446, un peu avant le jour. Son aïeul, fils d'un potier du Brescian, fut le premier de sa famille qui s'établit à Herberia. Sa mère mourut en couche, ce qu'il rappelle d'une manière touchante dans son premier discours, en la nommant Mater dulcissima. Il fut de bonne heure, et pendant 14 ans, professeur de belles-lettres à Forli; puis il vint professer à l'université de Bologne le grec, le latin et la rhétorique, et mourut dans ces fonctions, à Bologne, en 1500, au monastère de Saint-Sauveur, où il avait voulu être transporté. On voit qu'il avait alors 54 ans. Bayle s'est donc trompé quand, sur la foi de Spizelius, De felice litterato, et de Léandre Albert dans sa description de l'Italie, il a fait mourir Codrus à 76 ans, en 1516. Valérien de Bellune s'est également trompé en disant, dans son curieux ouvrage De infelicitate litteratorum, que notre professeur mourut assassiné cruellement par des brigands d'une faction ennemie (ab adversæ factionis latronibus fœdissimè trucidatus); car il mourut d'un asthme, après un excès de table. Le christianisme de Codrus avait toujours été suspect durant sa vie, sinon dans ses actes extérieurs, au moins dans ses pensées, ses paroles intimes et sa conduite privée; mais il donna, en mourant, de grands signes de religion et de repentir mêlé de terreur et de vanité, se recommandant à Dieu et à la Vierge, et plaignant le monde savant de ne l'avoir plus. On l'accusa de pédérastie, et quoi qu'en dise Bianchini avec indignation, ce n'est pas sans sujet, si l'on s'en réfère à ses épigrammes à Glaucus, surtout à celles qui commencent par ces mots: Huic ego jam volui, etc., dum fui impubes, etc., inter formosos juvenes, etc., etc. Il était violent, châtiait parfois avec barbarie ses écoliers, qu'il excellait, néanmoins à instruire et à s'attacher. Son surnom de Codrus lui vint de ce que le prince de Forli, s'étant un jour recommandé à lui, sur la voie publique, il répondit: Mes affaires vont bien, Jupiter se recommande à Codrus (Jupiter Codro se commendat). Il eut d'illustres disciples, tels que Palmari, Volta, Paleoti, Albergoti, Bianchini et le jeune Béroald; comme aussi d'illustres amis, entre lesquels on distingue les princes de Forli et de Ferrare, ceux de Bologne, les Bentivoglio, Politien, Buti, Alde Manuce, Tiberti, Garzoni, Guarini, Ripa, Lambertini, les deux Roscio, Foscarini; la plupart savans, dont quelques uns avaient été ses maîtres. Galéas Bentivoglio le fit peindre par Francia. Rien de plus laid que sa figure, à en juger par la gravure que Thémiseul en donne, laquelle est de Blesweyck. Il y ressemble, en laid, au fameux violon moderne Paganini. Bayle, selon Thémiseul, a trop vanté et trop plaint Codrus, en avançant qu'il fut un des plus savans et des plus malheureux auteurs de son siècle; car Politien, Béroald, Ficin, Pic de la Mirandole furent plus savans que lui, dont le savoir était confus et la mémoire mauvaise; qui lisait presque toujours ses leçons; et, d'un autre côté, il fut plus heureux qu'il ne devait s'attendre à l'être, vu ses hardiesses et ses mauvaises mœurs. Son mérite spécial fut d'être bon latiniste. Le service qu'il rendit à Plaute, en rétablissant son Aulularia, fait honneur aux deux. Bayle encore n'aurait pas dû dire qu'après l'incendie de ses papiers, Codrus s'alla cacher dans les forêts pour y mener une vie sauvage, tandis qu'il ne fit que s'aller coucher, pour une nuit, hors de Forli, sur un fumier; vomissant des imprécations contre la Vierge, à laquelle il signifia, en bon latin, qu'il voulait aller en enfer, et qu'elle s'en tînt pour avertie au jour de sa mort; ce dont nous avons vu qu'il se repentit bien quand le grand jour fut arrivé. Montesquieu, dont le valet de chambre brûla, par mégarde, la Vie de Louis XI, ne fit pas tant de bruit pour une perte bien plus grande, sans doute, que celle du livre intitulé Pastor, qu'avait composé Codrus, et qui fut brûlé par sa propre négligence: aussi Montesquieu n'eut-il pas de pardons à demander à la Vierge en mourant. Codrus ne fut peut-être sublime qu'une fois; mais certainement il le fut dans l'épitaphe qu'il voulut faire graver sur son tombeau, laquelle consiste dans ces seuls mots: Codrus eram. Mais en voilà bien assez sur le docteur de Bologne. En résumé, Codrus fut un très bel esprit, plein de notions variées plus que profondes, érudit plutôt que réellement savant. Une multitude de faits et de textes surchargeaient sa tête et s'y confondaient, pour en sortir avec agrément et vivacité, mais sans méthode, sans but précis, et, par conséquent, sans autre résultat (du moins dans ses discours publics) que d'amuser ses auditeurs et de faire parler de lui.

C'est là, du reste, tout le fruit qu'on doit attendre communément de ces réunions fastueuses, instituées, dit-on, pour nourrir les contemporains des graves enseignemens de l'histoire et des pures inspirations du goût littéraire. Sans doute apparaissent quelquefois, dans ses chaires illustres, d'inespérés phénomènes qui nous démentent noblement ici, et que, loin de méconnaître, nous admirons autant que personne au monde; mais, pour un de ces êtres privilégiés, pour un orateur brillant, chaste, solide et fécond tel que Quintilien dans Rome, tel que M. Villemain ou ses émules dans Paris, que de sophistes prétentieux, que de rhéteurs vides et bouffis il faut entendre an milieu d'applaudissemens déréglés! Généralement, on ne devrait prêcher en public que la religion et la morale, science première, dont le but est l'ordre social même, et le champ, la conscience universelle: quant aux lettres, quant à l'histoire et à la philosophie, tant d'apparat nuit plus qu'il ne sert à leur propagation; les hommes faits ne s'y avanceront que par le travail silencieux et réfléchi de cabinet, les jeunes élèves, que par le régime sévère, constant et régulier du collége; et non dans des assemblées théâtrales, où les maîtres, intéressés à s'ouvrir des voies nouvelles, renversent de front ou de côté tout ce qui se rencontre devant eux, ou l'auditoire adulé ne demande qu'à se créer de nouvelles idoles. Aussi ne voyons-nous jamais plus briller ces assemblées consacrées au triomphe des lettres qu'à des époques où l'art et le goût ne sont déjà plus: c'est comme le festin des enterremens. Requiescant.


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