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Analectabiblion, Tome 1 (of 2): ou extraits critiques de diveres livres rares, oubliés ou peu connus

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LE LIVRE DES PASSE-TEMPS
DES DEZ,

Ingénieusement compilé par maistre Laurent Lesperit, pour responce de vingt questions par plusieurs souventtes fois faictes et desirées, à sçavoir qui sont spécifiées au retour de ce feuillet en la roue de fortune, desquelles, selon le nombre des poincts d'ung trait de trois dez, les responces sont par subtilles calculations, selon l'ordonnance de praticquer ce petit volume après le renvoy des signes aux sphères de ce présent livre, mis en profeties, situés après les dictes sphères comme se peult facilement appercevoir. Translaté d'italien en françoys par maistre Anthitus Faure, lequel a esté nouuellement visité et diligemment corrigé de plusieurs faultes qui estoient en icelui.

(1528.)

Cette rare plaquette in-4, imprimée en gothique, avec portraits, figures, sphères, roues de fortune, signes zodiacaux en bois, contient 87 feuillets non chiffrés. Le pronostiqueur commence par rapporter diverses destinées humaines à autant de figures en bois, qui sont placées elles-mêmes sous différens signes du zodiaque. Ainsi, veux-tu savoir si ta vie doit être heureuse? va au roi Salomon qui va au signe du soleil; si ta femme est loyale et belle? va au roi Turno qui va au signe du scorpion; si l'amant est aimé de sa dame? va au roi Agamemnon qui va au signe cueur; quelle abondance de biens tu auras? va au roi Ptolémée qui va au signe de l'écrevisse, etc., etc., etc. Ensuite viennent de naïves prophéties d'Adam, de David, d'Isaac, de Joseph, de Jacob, de Tobie, de Jonas, de Mathusalem, d'Ezéchiel, de Siméon, d'Elysée, d'Abraham, de Moïse, de Balaam, de Noé, d'Elie, d'Abuch, de Nephtalim, de Daniel et d'Isaïe. Ces prophéties sont accompagnées de numéros qui vous renvoient aux différens signes sous lesquels vos destinées sont placées; en sorte, par exemple, que, si vous avez le no 55, d'Isaïe, il est incontestable que vous vivrez bien et seurement, joyeusement et longuement; si le no 1, d'Adam:

Tu mourras en estat de grâce
S'en paradis dois avoir place, etc., etc.

Nous ne demandons pas mieux qu'on sourie de pitié en lisant de telles folies de l'an 1528; mais alors il ne faut pas, en 1833, aller consulter mademoiselle Le Normand.

L'original italien de ce livre est cité par le Doni, dans sa libraria prima, et y porte pour titre: Il libro della Ventura.


ANTONIUS DE ARENA
(Antoine de la Sable),

Provençalis de bragardissima villa de Soleriis (Soliers), ad suos compagnones qui sunt de persona friantes, Bassas dansas et Branlas practicantes novellas, de guerra romana, neapolitana et genuensi, mandat; una cum epistola ad fallotissimam suam garsam, Janam Rosæam, pro passando tempus. A Paris, par Nicolas Bonfons, demeurant en la rue Neufve-Nostre-Dame, à l'enseigne Saint-Nicolas. 1 petit vol. in-8 de 35 feuillets, lettres rondes, finissant par ces mots: «Explicit utilissimum opus guerrarum et dansarum impressarum in bragardissima villa de Paris, per discretum hominem magistrum Julium Delfinum de Piemontum, de anno mille cincentum et septanta quatuor ad vinta unum de mense aprile.»

Cette édition, qu'il ne faut pas confondre avec celle de Galliot du Pré, sous la même date, n'est pas moins rare. M. Brunet ne paraît pas l'avoir connue, puisqu'il ne la cite pas; mais rien de plus naturel ici que les omissions, vu le grand nombre d'éditions qui ont reproduit les poésies macaroniques d'Antoine de la Sable. La première de toutes, selon M. Brunet (et l'on en compte 13, selon M. Tabaraud), est celle pet. in-8 goth. (sans date), de 40 feuillets non chiffrés, à 23 lignes par page; et la deuxième est celle de 1529, qui figure au catalogue de la Vallière, sous le n. 2689. L'édition de 1670, stampata in stampatura stampatorum, que nous possédons en seconde édition, quoique la meilleure et la plus complète de toutes, est moins belle que la nôtre de 1574-76, étant moitié en lettres italiques, moitié en lettres rondes. On ne doit pas d'ailleurs tant la vanter de ce qu'elle est plus complète que les autres, attendu qu'Antoine de la Sable n'est point l'auteur des pièces qu'elle renferme en plus, savoir: la Guerre huguenote de 1574 (bellum huguenoticum), qui est de Remy Belleau: et les divers poèmes macaroniques (nova novorum novissima poemata), la plupart de Bartholomée Bolla de Bergame, dit l'Apollon des poètes, lequel Apollon est un plaisant bien insipide, surtout auprès du spirituel Aréna. Quant à la jolie édition de Londres (Paris), 1758, in-12, que nous avons, en troisième, sur papier fort, et qui contient les mêmes choses que celle de 1670, moins toute la partie des poèmes bergamasques, elle a le mérite de nous offrir, outre une courte préface française très bien faite, un petit poème burlesque, en latin macaronique, sur la mort de très illustre Michel Morin, l'omnis homo, tombé du haut d'un orme en dénichant un nid de pie. Morini tombantis caput et collum gribouillantur, etc., etc.

(1529-36-74—1670—1758-60.)

Antonius de Aréna, jurisconsulte, élève d'Alciat, et poète macaronique, imitateur de Merlin Cocaïe, naquit à Soliers, diocèse de Toulon, d'une famille connue, dès le XIIIe siècle, sous le nom de la Sable, qu'il a latinisé. Sa jeunesse fut plus libre qu'exemplaire, comme le témoignent ses poèmes sur l'art des danses, branles et gambades, dédiés à sa garce Jeanne Rosée; et sa carrière de légiste fut bornée, puisqu'il mourut, en 1544, simple juge à Saint-Remy, diocèse d'Arles; mais il avait l'esprit satirique, avec une imagination tournée à la gaîté, et ces dispositions lui assurèrent des succès plus durables que n'en valurent l'étude et l'interprétation des lois à son maître, le savant Milanais, dont le monde, aujourd'hui, ne connaît plus que le nom et quelques pauvres emblêmes. C'est que la nature humaine, base unique des arts d'agrément, ne change point, tandis que nos connaissances, qui servent de fondement aux arts utiles, sont soumises à des vicissitudes perpétuelles. Il y aurait ici matière à réfléchir, s'il était permis de penser sérieusement au début d'un extrait macaronique; mais Aréna, moins que tout autre, ne veut de réflexions sérieuses. Son seul but est de plaire, ou peut-être même de s'amuser. Ses premières poésies retracent, en latin burlesque, le sac de Rome, exécuté, en 1527, par l'armée impériale du connétable de Bourbon. Il y raconte plaisamment ses dangers, ses souffrances, ses misères; comme quoi il jura de ne plus retourner à la guerre, après cette triste expédition, et comme ses camarades l'embauchèrent de nouveau pour accompagner Lautrec à Naples.

Le voilà donc arrivé à Naples avec l'armée française... in pogio realo fuerunt tentoria nostra. Tout allait bien, quand la maladie, eh! quelle maladie, grand Dieu! vint tout gâter.

Oy ventres, plagos, ô feges, ô mala goutta,
Oy, oy, las gambas, ô mala goutta tace.

Per totum mundum, grossa vairola vogat, etc., etc.

Nostras personas brulabant atque calores,
Multum chaudassus paysius ille manet.
Cum perdutus ero, nullus me quærat in illo:
Ordius et brutus et malè sanus adest, etc., etc.;

Pour comble de maux, Lautrecum dominum febris post grossa tuavit... O Dieu! grand Dieu! que vouliez-vous que nous fissions dans cette occurrence?... Deus, atque Deus, quid vis quod nos faciamus?... Nous fîmes pour le mieux, ce fut tout... Dieu châtie bien ceux qu'il aime... Après la guerre de Rome et celle de Naples, vient celle de Gênes...

Quand Gênes, la changeante, vit notre armée en désarroi, tout d'abord elle se rébella contre nous, et André Doria pareillement... Ce fut bien à tort, car la France traite noblement les gens. Notre roi est un roi bénin, brave, bon bragard, gaillard, grandis valdè et bellissimus...; qui connaît et fait respecter les lois et l'équité; qui guérit les écrouelles, escrolas sanat...; qui a rétabli Rome que les infidèles avaient pillée...; qui a soutenu la foi, comme firent toujours ses ancêtres, selon ce que nos livres disent... Ah! trahison, trahison ribaude!... Sans la trahison, la France eût été la maîtresse du monde... Toutefois, Dieu est juste, il est bon soldat, il vengera notre roi François..., il punira les traîtres..., il fera des Français un peuple invincible... Mais c'est assez parler de la guerre, qui m'a fait tant de maux...; il est l'heure de parler de gentillesses et de danses.

DES GENTILLESSES DES ÉTUDIANS.

Gentigalantes sunt omnes instudiantes, gentils galans sont tous les écoliers...; et bellas garsas semper amare solent, c'est un usage immémorial chez eux d'aimer les belles garces...; mundum præsentem sanctaque jura regunt, ils sont les oracles de la loi et gouvernent le monde à présent...; si non sit lectus, terra cubile facit, faute de lit, la terre leur fait couchette, etc... Il est vrai qu'ils sont querelleurs autant que galans... Voyez-les, dans Avignon, prendre partie pour ou contre un abbé... Les voilà tous armés de bâtons et tenant à deux mains de longues épées qui, tantôt à droite, tantôt à gauche, ne font pas grand mal, qui fere taillabant undique nihil... Grande est la fureur, grande est la rumeur...; mais la paix est bientôt faite..., tout ce bruit finit en grosse riaille (in grossa riailla)... Avignon est une heureuse et bragarde cité, disons-le... En tout, quelle belle chose que cette Provence!... et ce parlement d'Aix! parlamentum sapium sapienter aquense, qui fait si grande justice et si brève... Et ces étudians de Toulouse, encore!... Quelle gloire pour le midi! plures in numero sunt, bragat docta Tolosa... Comme ils lisent! comme ils expliquent! comme ils entretiennent des filles! comme ils enfoncent les portes!... Quand la goguette passe mesure, le parlement, courroucé, la réprime... Toutefois, c'est avec douceur..., plura juventuti parcere nempè decet... Tels sont les étudians...; tu les connais, lecteur!... sunt flores mundi semper amando Deum... Regarde l'étudiant s'arracher du toit paternel, par amour pour la science... Son père l'embrasse, le bénit, lui donne un mulet, des conseils, peu d'argent, et le voilà parti!... Les étudians sont subtils... La peste elle-même ne saurait les atteindre...; dès qu'ils la sentent, ils emballent leurs livres et fuient devant elle, en changeant mille et mille fois de logis... Ils prient Dieu ainsi: Seigneur, éloignez de nous la peste et secourez notre misère!... A force d'échapper à la peste et de changer de logis, les voilà devenus savans jurisconsultes... Ici, j'aurais cent langues, que je ne pourrais assez chanter leurs louanges... C'est merveille de les voir danser et bragarder avec les jeunes filles, de les entendre s'écrier: vivent l'amour et les garces! tout en dansant au son du tympanon.

Maintenant parlons des basses danses... Il faut m'écouter pour savoir danser, et il faut savoir danser; car ceux qui ne savent pas danser sont l'objet des brocards de toutes les femmes et de tous les jeunes gens...

Ergo qui vultis vos calignare puellas
Dulciter ac illis basia longa dore, etc.

Ecoutez-moi et apprenez à danser!... J'en ai bien baisé pour avoir su danser..., experto crede Roberto... Je vous préviens, d'ailleurs, qu'il n'y a point de danses au paradis, et qu'après votre mort vous ne danserez plus... Dansez donc de votre vivant... Vous énumérer toutes les sortes de danses, je ne le ferai; cela ne se peut... Les danses se renouvellent sans cesse... Il n'est plus question aujourd'hui des danses de nos pères, de la danse: Monsieur, ma mio, lo brot de la vigna friado; ni de la danse: En tout noble cœur, fleur de beauté; ni de la danse: Toto, avant, reculo, tiro, tiro, reculo... Je vais vous donner des règles générales pour danser toute espèce de danse..., incipiendo dansam fit reverentia semper... Otez votre barrette avec trois doigts seulement et la remettez lentement sur votre tête...; partez de la jambe gauche...; donnez la main droite à votre danseuse..., mais ayez les mains nues...; point de gants, entendez-vous?... Si vous dansez avec deux belles, faites en sorte de les regarder toutes deux à la fois, pour en être aimé, etc., etc.

Suivent, sans nombre, des leçons techniques sur les pas doubles et simples, sur la reprise, le congé, les branles et autres parties de l'art dans lesquelles le poète triomphe heureusement et gaîment des difficultés de la versification. Ces leçons se terminent par une longue admonition aux danseurs, remplie de conseils fort sages, tels que de ne se point moucher avec les doigts...

Nasum digitis de non moccare recorda.

Et rotare cave quando dansabis, amice.

Tu quoque per dansas nunquam sautando petabis.

Ubertam boccam nunquam dansando tenebis.

Et non escraches morvelos ante puellas.

Ceci est un peu sale, mais voilà qui est plus délicat:

Si bene, flaterias parlementando puellis,
Dulces parolas fœmina semper amat.

Et voici qui est plus relevé.

In dansis etiam nunquam sis, oro, superbus!
Gloria luciferum chassavit de paradiso, etc.

En tout, ces petits poèmes sont trop crus, mais fort plaisans. Quant à l'épître du poète amoureux à Jeanne Rosée, sa belle, c'est tout uniment une longue et catégorique requête à l'effet de terminer son martyre et pas davantage.

Grandem perdonem gagnabis de paradiso
Si tu me facias corpus habere tuum.

Jamais fille, que je pense, ne s'est laissé séduire par de telles paroles, il y faut encore autre chose; mais il est temps de venir au chef d'œuvre d'Antoine de la Sable, c'est à dire au récit satirique de la folle entreprise tentée par Charles-Quint sur la Provence, en l'année 1536, laquelle fit tant d'honneur au patriotisme des Provençaux et valut au connétable Anne de Montmorency, par son heureuse et menaçante inaction dans son camp d'Avignon, le surnom de Fabius français.


MEYGRA ENTREPRISA

Catoliqui imperatoris, quando de anno Domini M.D.XXXVI. veniebat per Provensam bene corrossatus in postam prendere Franciam cum villis de Provensa; propter grossas et menutas gentes rejohire, per Antonium Arenam, Bastifausata (Bafouée). 1 vol. in-8 de 106 pages, et 16 pages préliminaires. Lugduni, 1760.

Réimpression tirée à 150 exemplaires seulement d'un livre publié, en 1536, à Avignon, en lettres gothiques, et devenu si rare, au rapport de Bouche, l'historien de Provence, qu'il n'en avait jamais vu que deux exemplaires. Cette réimpression est plus belle et plus recherchée que celle qui parut, en 1748, à Avignon, sous la rubrique de Bruxelles.

Ce poème a 2396 vers, alternativement hexamètres et pentamètres. L'auteur s'adresse à François Ier....: Rex bone! lui dit-il, la guerre vous donne de si rudes pensemens, que la tête vous en fait mal..... Votre sommeil est troublé..... Croyez-moi, faites grande chère..... Nul mélancolique ne peut vivre..... Vous régnez sur cette France que le ciel favorise, pour laquelle chacun de ses enfans est prêt à mourir...., et qui ne sera jamais reniée comme Dieu le fut de saint Pierre..... Écoutez, je vais vous donner de fraîches nouvelles qui vous réjouiront le cœur..... Janot, le roi d'Espagne, imperlateur des lansquenets, jaloux du titre de maître du monde, avait formé, contre vous, une lourde et sotte entreprise....; celle de saisir vos états et vos enfans..... Il était entré dans notre Provence, tuant, pillant, ne laissant dans nos campagnes poules ni semences..... Vainement le pape et le grand cardinal de Lorraine, que je voudrais bien voir pape un jour, avaient essayé de l'arrêter, lui représentant que le droit n'était pas pour lui, que mal prend à qui fait mauvaise guerre à la France, que bien mal acquis ne profite pas..... Il ne voulut rien entendre... Il s'écria: La France pense me trouver bon-homme...., je rabattrai son caquet.....

Sum Dominus: mundi gladii est mihi cessa potestas,
Atque meis regitur legibus omnis homo...

et autre babil semblable..... Il s'imaginait déjà tenir Paris..... Le forfant Antoine de Leve lui avait mis cette vision en tête....; et déjà les vainqueurs se partageaient le butin..... De vrai, ils s'y prirent bien d'abord..... La Provence le sait trop à leurs pilleries..... Janot marcha le premier vers Antibes, en passant par Nice pour voir sa dame, et se faisant escorter, sur mer, par cinq galères d'André Doria..... Le seigneur d'Antibes, Gentifalot, se défendit bien; mais, ne pouvant résister au nombre, il se retira vers Grasse, puis à Brignolles, puis à Aix avec nos soldats..... Cependant nos campagnes étaient fiérobrûlodévastées..... Les peuples se lamentaient, disant: «Nous avons sué, nous avons semé, et la guerre nous enlève le fruit de nos sueurs et de nos semences...» Patience! criaient nos gens d'armes..., notre roi vous confortera..... Belle chienne de patience! reprenaient les peuples; nous allons devenir errans sur la terre comme des Bohémiens sans feu ni lieu...» Subito l'espérance renaît... Janot l'imperlateur ne pourra vivre avec ses ribauds dans un pays dévastobrûlé..... Il ne faut que le harceler devant, derrière et de côté, tandis que nos gens d'armes s'assembleront pour, puis après frotti frotter son orde échine..... Allons, presto, assemblons les gens d'armes!..... Les gens d'armes s'assemblent... Grand roi! vous cherchez un lieu sûr pour asseoir votre camp... vous croyez l'avoir trouvé sur le mont Barret, près d'Aix....; mais le sage Montmorency ne juge pas la place bonne pour le camp et veut l'établir sous Avignon, en laissant seulement 6,000 hommes pour protéger la ville d'Aix..... Bientôt même l'ordre est donné d'évacuer cette noble cité, avec invitation à chacun d'emporter son bien..... Que de cris! que de larmes!..... Déjà l'Espagnol avait occupé Grasse, Brignolles, et s'acheminait sur Aix par Saint-Maximin, près Marseille... Entre Brignolles et le château de Gaylet, la bande française lui frotta un tantinet les os dans une escarmouche....; pourtant il fallut lui céder, et le ribaud se crut triomphant... Le voilà plantant son camp sur les bords du Rhône, au plan d'Alhan... Là, copieusement fourni de toutes choses hormis de pain, il se met à banqueter sous ses tentes et à manger nos raisins...; la foire le prit lors au ventre...

Ullum cristerium, pro cullo, nemo petebat,

De rossignolo, merdas, armata, chiabat, etc.

Que de gens illustres il avait avec lui!..... Le duc de Savoie, le bossu, le cocu que nous voulions priver de son duché, du Piémont, de la Bresse et même de Nice, et à grande raison, car c'est un gille qui laisse porter les chausses à sa femme, et ladite femme est tout encarognée de colère contre nous... Le marquis de Saluces, traître à qui nous avions confié le commandement de nos armées... Que Dieu lui concède damnation dans l'autre monde!... Ce ribaud d'Antoine Leva, maladif, grand guerrier de langue, qui se fait porter par les paysans comme une relique... songecreux, maudevin, bon conseiller de malices..., puis le duc de Bavière, puis Ferrand, marquis du Guast, puis le duc d'Albe... Les méchans s'entourent de méchans... L'armée de ces brûlovoleurs semblait si grosse que de nous devoir sans miséricorde avaler...; mais néant!.. Il en demeura bien dans les champs de Provence 20,000 de ces imperlatoriaux, qui servirent de friandise aux chiens et aux loups..... Ils y restèrent les ribauds sans que les cloches aient tintinnabulé leur glas, sans que prêtre de Dieu ait chanté pour eux de profundis... Ils rendaient leur ame par terre et non au lit, et n'avaient point d'amis près d'eux en mourant... Les malheureux n'en ont pas... Donc Janot l'Espagnol, Tudesque, Italien, s'avançait en France, en ferme foi de nous escoffier..., se croyant redoutable à Dieu même, parlant aux saints avec bonté, jurant qu'il ne lairrait cheux nous pierre sur pierre... Il marchait avec cavaliers lombards, agiles comme des lièvres, avec arquebusiers, piquiers, artilleurs... La terreur les précédait... Les mères s'enfuyaient devant lui, portant leurs nouveau-nés sur leur dos... Les femmes grosses allaient accoucher dans les bois ou parmi les roches... A bon droit défilait-on, car jamais, sur terre, il ne se vit une si perverse canaille, pas même chez les Turcs... Omne scelus faciunt non metuendo Deum... Ces coquins de Nissars et de Génois remplissaient leurs barques de butin français et l'emportaient chez eux par mer... Tout doux!... Un jour la Provence vous traitera comme vous l'avez traitée!... Alors vous lui crierez pardon, ribauds!... mais elle vous répondra: taisez-vous!... Non, la muse se refuse à exprimer les indignités que ces mécréans commirent...

Establum faciunt de gleisis gens maledicta.

Latrinas culi, mesprisiando Deum.
Et corpus Christi per terram sæpe gitando, etc.

Dans la grande église de Saint-Sauveur, à Aix, ils ne laissèrent ni reliques, ni vases sacrés... Alors, grand roi, vos paysans de Provence s'émurent..., ils s'armèrent, qui de bâtons, qui de rapières, qui de broches; ils se répandirent autour du camp ennemi, tombant sur ceux-ci quand ils dormaient, sur ceux-là quand ils buvaient, sur les gens isolés, sur les enfans perdus, et les tuant de la meilleure volonté possible... Leur demandait-on la vie? les paysans répondaient: à la mort!... Pourquoi êtes-vous venus ici manger nos gallines, ribauds! à la mort!... Et les soldats d'Espagne rendaient la pareille aux paysans qu'ils prenaient... C'était une désolation...

Testiculos illis extra de ventre tirabant
Cum cordis valde testa ligata fuit, etc., etc.

Ah! guerre rustique! on ne peut se figurer combien vous êtes cruelle!... L'imperlateur n'était pas où il croyait d'abord en être... S'il abandonnait un village sans l'occuper, ce village se rébellait sur ses talons... S'il y laissait quelques soldats, les villages d'alentour se levaient pour accourir à l'égorgée de la garnison, ainsi qu'on le vit arriver à Saint-Maximin... Mais je veux raconter ce que fit la brave ville de Soliers, ma patrie... Un trompette vient un jour la sommer de se rendre... Le peuple répond qu'il aime mieux mourir... Seconde sommation accompagnée de douces paroles...

Hispani flatant quando trahire volunt;
Quando petunt aliquid, per dulcia verba babilhant.....

Réponse que les épées sont prêtes, et que s'il ne se retire on le frottera... Troisième sommation avec menace de mettre la ville à feu et à sac... Aussitôt toutes les cloches de la ville de tocsiner..., toutes les cloches de la campagne drelindinent pareillement... L'Espagnol attaque, mais il perd bon nombre des siens avant de prendre la ville et de la saccager... Enfin Soliers fut saccagé... J'y perdis mes meubles et ma maison... Que le diable torde le cou à l'Espagnol!... Le fort de Toulon ne se distingua pas moins en tirant sur les galères de Doria... Partout les ennemis étaient reçus à l'infernal... Hélas! ils pénètrent dans la ville d'Aix..., ils incendient le palais..., ils envahissent les salles du parlement, et font demander à nos magistrats de rendre la justice au nom de Janot... Mais tous absens, tous fidèles à la France, font défaut à la cour... (Ici Aréna nomme tous les membres des diverses cours de Provence, en mêlant à leurs noms d'ingénieux éloges que la mémorable circonstance qui les amène rend précieux pour leurs familles.) Comment représenter les excès des impériaux?... Ils affament, ils ruinent la ville et ne s'arrêtent que lorsqu'ils se voient eux-mêmes en butte à la famine et à la misère... Alors ils regardent le ciel, les insensés, et s'écrient: «Grand Dieu! nous sommes coupables..., secourez-nous!...» Mais le Dieu qui gouverne les astres est sourd aux prières des ribauds... Dans leur désespoir, ils eussent consumé la cité d'Aix entière, sans les supplications des moines observantins, des religieuses de Sainte-Claire et de celles de Nazareth... Pendant qu'ils couraient la campagne pour chercher des vivres, heureusement pour eux, André Doria leur amena un fort secours d'argent et de biscuit... Cela les mit en goût d'aller ruiner la cité d'Arles... L'épouvante, à leur approche, avait saisi les habitans...; mais le lieutenant de justice les rassure... J'irai trouver Montmorency, leur dit-il; je lui demanderai de visiter nos murs et de nous aider à les défendre... Il dit, et cavalcando, eperonando, va trouver Montmorency dans Avignon la sainte, où sont de belles femmes pro rigolando... Montmorency répond oui d'un signe de tête et tient parole... Il visite la cité d'Arles et la met en état de se bien défendre, lui laissant le prince de Melfe avec Bonneval... Les gendarmes y affluent de toute part et se logent en maîtres dans les maisons... Les amis font bonne cuisine aux frais des habitans et les paient ensuite en jetant leurs meubles par les fenêtres et les piédauculant s'ils soufflent un mot du procédé... Telle est la guerre... Elle se fait toujours aux dépens de Jacques Bonhomme...

Triste quid est aliud bellum, quam missa per orbem
Publica tempestas, diluviumque domus?...

Les femmes les plus illustres, madame d'Alène, madame de Beaujeu portent elles-mêmes de la terre aux remparts dans des corbeilles... On est bientôt prêt à recevoir l'ennemi... Sur ces entrefaites, le marquis du Guast se présente... Il voit ces murailles hérissées de défenseurs... Il voit la cité d'Arles, entourée par le Rhône, le narguer comme une reine au sein des eaux... Il recule et bien lui prend, car s'il se fût obstiné, rudement il eût été frotté avant d'être jeté dans le fleuve... Vive la cité d'Arles! puisse-t-elle bragarder semper!... Le capitaine du Guast voulait prendre Tarascon, saccager Sainte-Marthe, passer par bateaux à Roses, traverser le Languedoc et regagner l'Espagne...; il se flattait... Tarascon et Beaucaire ne furent pas de son avis... Il retourne alors sur Marseille...; néant... Notre-Dame-de-la-Garde garde Marseille... Quand l'imperlateur vit cette courageuse ville si bien fournie qu'elle était de soldats, de canons, de galères de toute grandeur: «Arrière, arrière, dit-il, le diable ni César ne prendraient Marseille; elle est trop vaillante et trop fortifiée...» Ce dit, il se retirecula et rejoignit son Antoine Leva qui, de présent, se moribondait d'éthysie, et qui lui fit l'allocation suivante: «César! fuge littus avarum! Fuyez la Provence!... Nous ne pouvons rien contre la fortune...; cette garce est pour la France... Fuyez! autrement les Français sortiront de leur camp d'Avignon, et vous aurez sur l'échine!... Je vais mourir... croyez m'en donc!... Retirez-vous en sage et galant homme!...» Comme il achevait ces mots, le ribaud, il expira désespéré et s'en alla droit aux enfers... Là, Pluto proserpinait le prince des diables avec les siens... Leva leur cria: «Je suis à vous...; je vous appartiens pour avoir conseillé d'attaquer la France..., pour avoir empoisonné le Dauphin à Madrid... Il est vrai que je n'étais pas seul à verser le poison et que quelqu'un m'a bien adjudé comme le confessa le comte de Montécuculi sous la main du bourreau...» Qui fut ratepenaudé par la mort d'Antoine de Lève? ce fut Janot l'imperlateur... Il ne mangeait ni ne dormait plus... Antoine! mon ami! que deviendra mon empire sans toi?... Maudite mort! maudit destin!... Tandis que l'imperlateur se morfondait ainsi en hélas, un messager survient qui lui apporte de méchantes nouvelles d'Avignon... Le roi François est arrivé au camp... Sa vue a enflammé ses troupes... Un cri a retenti: France! France vivat... Les larmes coulaient de tous les yeux, les canons tonnaient, les arquebuses pétaient, les étendards flottaient, ensemble les banderolles... On eût dit que le paradis avec les chérubins descendait sur terre... Notre roi était armé de pied en cap... Le coursier qu'il montait, bardé de fer et d'or ciselé, bondissait sous lui sans le secours des éperons... Il n'y a point, dans l'univers, de si gaillarde lance que notre roi... C'est la guerre qui l'a créé... Guerra creavit illum... Avec cela, doux au peuple et bon compagnon pour tous... Les seigneurs de France l'escortaient ayant le grand maître Montmorency à leur tête... Le camp est levé... L'armée s'avance d'Avignon... Elle forme bien 100,000 hommes avec les paysans qui s'y joignent, et la présence du roi seul en vaut 20,000... A cette approche formidable, Janot se met à pleurer... «Hoïmé, soldats, dit-il aux siens, la fortune est une ribaude...; prenez sur vous pour cinq jours de pain et détalons d'ici faute de quoi nous ferions triste fin...» Ces mots à peine achevés, vous eussiez juré que trente mille diables remuaient la plaine d'Alhan..., et le boute-selle de sonner, et les chevaux de galoper toupatata patatou... A l'étendard!... Heli! Heli!... en Italie!... détalons!... Si France nous prenait, ce ne serait pour nous péché véniel... «Dieu! je suis deshonoré!... moi qui ai vaincu le Turc, qui ai pris Tunis, qui ai fait sauter les galères de Barberousse, moi forcé de me retireculer sans livrer bataille!...» Ainsi se désolait l'imperlateur, et cependant il cherchait à prix d'or, parmi les paysans, quelques espions qui voulussent aller à la découverte de la marche des Français...; mais il n'en trouva pas un seul dans toute la Provence... La retraite des impériaux une fois commencée, le roi de France dépêcha contre eux le sénéchal et le comte de Tende... On les poursuivit l'épée dans les reins... Les paysans s'y mirent, et chaque jour on tuait de ces ribauds à belles douzaines...

Propter Hispanos mortos et lansquenetos,
Patria, pro vero, fœtida tota manet.

Enfin Janot confia les débris de son armée au marquis du Guast qui, vaille que vaille, les ramena en Italie, pendant que lui, honteux et dolent, fut conduit à Gênes sur les galères de Doria... Vaillant roi de France! grâces vous soient rendues!... vous nous avez sauvés!... vivez à jamais!... que votre glorieuse mémoire soit impérissable!... et donnez à votre serviteur un petit emploi pour banqueter... Sire! avisez-y... Je ne veux qu'une épouse qui soit vierge, riche, belle et sage, pour vous chanter, pour vous bénir!... O rex bone! vole!

Moi, Antoine Aréna, j'écrivais ceci étant avec les paysans de Provence, par les bois, montagnes et forêts, lorsqu'en l'année 1636 l'empereur d'Espagne et toute sa gendarmerie, faute de pain, dévastaient nos vignes et vinrent puis après foirer sans clystères dans la ville d'Aix.

Il y a beaucoup de verve et d'esprit dans cet ouvrage. Toutefois Aréna ne vaut pas Merlin Cocaïe, il s'en faut de toute la distance de l'esprit au génie.


NOUVELLE MORALITÉ
D'UNE PAUVRE FILLE VILLAGEOISE;

Laquelle ayma mieux avoir la teste coupée par son père que d'estre violée par son seigneur; faicte à la louange des chastes et honnestes filles, à quatre personnaiges, sçavoir: le Père, la Fille, le Seigneur et le Valet.

Imprimé sur un ancien manuscrit, et inséré dans la collection de différens ouvrages anciens, poésies et facéties, dite le Recueil de Caron[51], faite et publiée par les soins de Pierre-Siméon Caron. Paris, 1798—1806, 11 volumes petit in-8, dont il n'a été tiré que 56 exemplaires, dont 12 en papier vélin, 2 en papier bleu, 2 en papier rose, et un seul sur peau de vélin. (Voir, pour les détails bibliographiques et biographiques relatifs à cette rare collection, l'ouvrage curieux et savant de M. Charles Nodier intitulé: Mélanges tirés d'une petite bibliothèque.)

ET
MORALITÉ NOUVELLE TRÈS FRUCTUEUSE
DE L'ENFANT DE PERDITION,
QUI PENDIT SON PÈRE ET TUA SA MÈRE:

Et comment il se désespéra. A sept personnaiges, sçavoir: le Bourgeois, la Bourgeoise, le Fils, et quatre Brigands. A Lyon, chez Pierre Rigaud, 1608.

Réimprimé sur le seul exemplaire connu, lequel se trouvait dans la bibliothèque de Louis XVI, à Versailles, et se voit maintenant dans la bibliothèque royale, et inséré dans le précieux Recueil de Farces gothiques rares, fait et publié à très petit nombre d'exemplaires par les soins de M. Crozet, libraire. Paris, 1 vol. pet. in-8 contenant 19 pièces. 1827-28.

(1536-40—1608—1798—1827-29.)

Il y a, nous le pensons, une instruction littéraire importante à tirer du rapprochement de ces deux moralités, dont l'une est pathétique, celle de la chaste villageoise, et l'autre horrible, celle de l'enfant de perdition. C'est, en effet, dans ces premiers efforts de l'art que les vrais principes qui le constituent deviennent frappans d'évidence. Il n'y a pas moyen de s'y tromper à une époque où ils agissent pour ainsi dire d'eux-mêmes, et sans le secours des prestiges que, plus tard, un style plus élégant, une plus grande expérience des effets de la scène peuvent leur prêter. On voit donc ici clairement que l'intérêt dramatique, ainsi que l'a proclamé Aristote, consiste dans les situations et les caractères mixtes, ceux où la terreur et la pitié se balancent, et non dans les extrêmes qui excitent l'horreur ou le mépris. Nos poètes modernes feront bien de méditer là dessus.

En rangeant la première de ces deux moralités sous l'année 1536, et la seconde sous l'année 1540, sans dire pourquoi, les frères Parfait ont probablement fait une transposition; et très certainement ils ont commis cette erreur, si, comme nous penchons à le croire, les deux ouvrages sont de la même main très habile; c'est à dire toujours, selon nous, de Jean Bouchet: car il n'est pas présumable qu'un auteur, une fois qu'il a découvert le secret capital de l'art, l'oublie ou n'en tienne compte. Quoi qu'il en soit, voici l'analyse de ces moralités remarquables qui compléteront ce que nous avons cru devoir recueillir en ce genre, parmi plus de trente pièces que les curieux nous ont transmises.

Moralité de la pauvre fille villageoise.—Le père commence en ces mots: Ma fille!—Que vous plaît, mon père?—Ne m'est-ce pas douleur amère que Dieu ait défait mon ménage?—Père! cessez ce desconfort, etc., etc.—Servir je vous veulx pour certain—tant qu'il plaira au créateur.—Fille! tu m'éjouis le cueur!—Quand j'entends ta douce loquence,—ta bonté passe ma douleur, etc., etc.—Mon père! il est temps de dîner;—vous plaist-il ceste busche fendre?—Ce tableau des soins du ménage à l'aide desquels cette tendre fille cherche à distraire le veuvage de son père est une peinture digne d'Homère ou de la Bible; et le père, qui termine cette scène antique par des louanges à Dieu, y met le sceau de la perfection. Mais voici un contraste terrible qui va commencer l'action. La scène change; le seigneur du lieu paraît suivi de son valet et vêtu de beaux habits.—Que dit-on de moy quand je vais par voye?—Suis-je pas beau?—On dit que d'icy en Savoie—n'y en a pas un aussi net.—Ha! que tu es un bon valet! etc., etc.—Mais je sens amoureuse jeunesse, etc., etc.—Se tu sçais fille ne princesse,—pour m'esbattre, si la recorde!—J'en sçay une, etc., etc.—Mais son chaste cueur homme n'aborde, etc., etc.—Par ma foy! j'en suis féru:—Qui est-elle?—La fille au pauvre Groux-Moulu,—Esglantine au beau corps menu.—Son père est mon vassal; va le trouver! promets-lui qu'après mon plaisir je la ferai marier et lui donnerai de grands présens.—Le valet part pour sa honteuse ambassade: il aborde la jeune Esglantine en messager impudique et grossier. La chaste fille le repousse avec mépris. Il revient tout confus raconter sa mauvaise réception au seigneur qui, plus enflammé par la résistance, ordonne à son valet de retourner et de faire agir la menace. Le valet obéit et trouve le père et la fille ensemble occupés à louer Dieu.—Je suis aussi pauvre que Job, dit le père;—mais toutes fois j'ay suffisance, etc., etc.—Puisque ma fille en pacience—me tient loyale compagnie, etc., etc.; à quoi la fille répond par cette prière:

Douce mère du fruit de vie!
Regnant en gloire triumphante
Dessus la haute gérarchie
Des anges ou chascun d'eulx chante,
En vous louant, vierge puissante,
Par leurs doux chants très amoureux,
Préservez vos pauvres servantes,
Par grâce! de faits vicieux!

Le valet interrompt ces touchantes paroles par de nouvelles propositions plus infames et plus violentes. La fille écarte ce misérable avec indignation. Le père veut l'assommer et le chasse. Nouveau récit fait au seigneur; nouvelle colère de cet homme impétueux.—Comment ce villain malostru—lui fault-il mon vouloir briser?—Je porterai mon branc d'acier,—foy que je dois à Saint-Richier!—il aura des coups plus de cent, etc. Arrivé chez le paysan:—Villain! de rude entendement, dit cet homme,—qui te meut d'estre si hardy?—Ha! monseigneur! pour Dieu, mercy! etc., etc.—Fausse garce, vous y passerez!—Ha! monseigneur! pour Dieu, mercy!—Mercy? coquin, vous y mourrez!—Le père effrayé s'écrie:—Tout vostre plaisir en ferez;—où force règne droict n'a lieu.—O Jésus-Christ! souverain Dieu!—De pitié et miséricorde, dit la fille:—Tu seras liée d'une corde, reprend le seigneur; et le valet de répéter deux fois:—Tu seras liée d'une corde! Esglantine demande pour dernière grâce une heure de répit, afin de parler à son père. On lui accorde cette heure, et c'est ici que le pathétique est à son comble. Que fait cette vertueuse fille dans son entretien dernier avec son père? Elle le supplie, elle le conjure de lui trancher la tête avec sa cognée.—Mon cher enfant! ma géniture!—La chair de mon corps engendré!—Possible n'est à créature humaine, etc., etc.—Mon père, je mourray de ma main,—et si par vous je suis damnée,—je proteste m'en plaindre à plein—devant le juge souverain.—Mon cueur se rit et mon œil pleure, dit alors le père, en voyant tant de vertu dans sa chère fille; et le seigneur cependant est aux écoutes. La fille, pressant de plus en plus son père, ce malheureux père se dispose à frapper le coup fatal, quand le seigneur s'élance et dit au paysan:—Que feras-tu?—meschant! tu en seras pendu!—Monseigneur! s'écrie la jeune fille,—j'ay requis en piteux langage—mon père de moy décoller, etc., etc.—Cher seigneur! vous devez garder—vos subjects par vostre prouesse,—et vous me voulez diffamer! etc., etc.—J'ayme mieux mon temps conclure—maintenant honneur et sagesse.—Ces derniers mots fléchissent enfin le seigneur.—O vénérable créature, lui dit-il:—Sur toutes bonnes la régente,—je renonce à ma folle cure;—pardonnez-moy! pucelle gente! etc., etc.; et il prend une couronne de fleurs et il la lui met sur la tête en l'appelant fontaine de chasteté; et il fait le père intendant de ses biens avec de grands présens; et il reçoit tout en pleurs les remercîmens du père et de la fille; mais il n'épouse pas Esglantine, ce qu'aujourd'hui nos poètes lui auraient fait faire et ce qui eût été une faute impardonnable contre le costume et les mœurs du temps.

MORALITÉ DE L'ENFANT DE PERDITION.

Le bourgeois ouvre la scène par des plaintes amères contre les déréglemens de son fils—Ma femme! tu l'as trop flatté dans son enfance, etc., etc.—La bourgeoise essaie de calmer les chagrins de son mari. Tous deux vont à la messe pour se réconforter. Aussitôt le théâtre est occupé par les quatre brigands et le fils du bourgeois. On forme un complot pour détrousser des marchands. Le deuxième brigand renchérit sur le complot et engage le fils à tuer son vieillard de père.—Si j'avais un vieillard de père—qui me détînt par vitupère—mon bien si très estroitement,—de mes deux mains villainement—l'estranglerois par grand outrage.—L'avis est soutenu pas les trois autres brigands. Le fils agrée cette monstrueuse proposition; il court droit à son père qu'il aperçoit:—Sus! ribaud père! sçay te quoi—pour avoir paix avec moy?—il te convient bailler argent.—Le père répond par de vifs reproches.—Sus! sus! vieillard, c'est trop presché!—dit un brigand.—Despêche-toy, ajoute le fils.—Las! mon enfant, en bonne foy,—je ne soustiens denier ne maille.—Alors le fils lui met la corde au cou.—Las! mon enfant, prends à mercy—ton pauvre père! veux-tu défaire—cil qui t'a faict?—Despêche-toy!—Las! que dira ta pauvre mère? etc., etc.—Je t'ay nourry en ma maison,—et maintenant faut que je meure.—Despêche-toy.—Las! tu me deusses secourir—et me nourrir—sur ma vieillesse,—et de tes mains me fais périr! etc., etc.—Au moins je te pry supporter—et mieux traiter—ta pauvre mère,—despêche-toy!—Mon cher enfant! las! baise-moy—pour dire adieu au départir, etc.—Adieu, mon fils! mon enfant cher!—Ici le fils pend son père.—Quand ma mère verra cela, dit-il après son parricide, elle criera comme une folle.—Eh bien! reprend un brigand, il ne faut que ton couteau traire—et lui donner dedans le corps.—Le fils consent. Sur ces entrefaites, arrive la mère qui, voyant le cadavre de son mari pendu, se met à crier et à pleurer. Elle interroge son fils, le soupçonne.—Vous en avez menti! coquarde!—O desloyal garçon mauldict! etc., etc.—Allez, voilà vostre payement! dit le fils, et il poignarde sa mère, qui expire en s'écriant: Jésus! Jésus! Et les monstres de courir à la maison pour la dévaliser. Alors le quatrième brigand propose à ses compagnons de se défaire du fils pour avoir plus grosse part du butin.—Non, dit un autre, vaut mieux le piper au jeu.—On joue au dez; le fils perd tout ce qu'il a d'un seul coup, et les brigands le quittent. Sa désespération commence avec sa misère.—O misérable faux truand! se dit-il à lui-même,—où iras-tu? que feras-tu?—Il fait son testament:—A Lucifer premièrement—teste et cervelle je luy donne,—et à Satan pareillement,—la peau de mon corps luy ordonne;—mes bras à Astaroth abandonne, etc., etc., et il finit par ces mots:—A tous les diables me command!—La première moralité est excellente, celle-ci est détestable: enfans des muses, cherchez pourquoi!

[51] On ajoute quelquefois à cette collection plusieurs pièces du même genre qui lui sont étrangères. Notre exemplaire, relié par Lewis, en Angleterre, contient, par exemple, 23 pièces; mais le recueil est complet avec les 12 articles énoncés par M. Brunet, dans son Manuel du Libraire et de l'Amateur.


VINGT-DEUX FARCES ET SOTTIES

De l'an 1480 à l'an 1613-1632; tirées de la Collection de divers ouvrages anciens, par Pierre-Siméon Caron; et du Recueil de Farces gothiques, publié par M. Crozet, libraire.

(De l'an 1480 à l'an 1613—1622—1798—1806-13-28.)

Entre la Farce de Pathelin, la meilleure, la plus ancienne de toutes les pièces de ce genre, pièce que l'on s'obstine à croire anonyme, quoique M. de la Vallière l'ait attribuée à Pierre Blanchet[52], et la Farce de Gauthier Garguille et de Perrine sa femme, également anonyme, l'une des dernières et des plus cyniques de ce graveleux répertoire, se place une innombrable quantité de ces opuscules comiques, dont à peine cinquante nous avaient été conservés. Nous nous bornerons à donner l'extrait de quelques uns, en choisissant soit les plus piquans, soit ceux que MM. de la Vallière, Beauchamps et Parfait n'ont point analysés. Tout légers que paraissent ces titres des Enfans Sans Soucy, les dédaigner serait injuste; ils ont leur importance dans l'histoire de notre théâtre aussi bien que dans celle de nos mœurs; si bien que Gratian du Pont, dans son Art de la Rhétorique, ne craint pas d'en assigner les règles, en disant que la Farce ne doit pas avoir plus de 500 vers. Nos comédies en un acte sont évidemment dérivées de ces productions récréatives, historiques, facétieuses, enfarinées, etc., dont le domaine s'est partagé, vers 1613, entre nos théâtres et les tréteaux; et il faut remarquer que, de toutes les espèces de drames, c'est la seule qui ait eu des succès constamment progressifs, depuis 1474 environ, époque de sa naissance, où ses triomphes souvent sont marqués par de véritables chefs-d'œuvre de naturel, de malice et de gaîté.

1. Farce nouvelle et récréative du médecin qui guarist de toutes sortes de maladies et de plusieurs aultres: aussi faict le nés a l'enfant d'une femme grosse, et apprend a deviner: c'est à sçavoir quatre personnages: Le Médecin, le Boiteux, le Mary, la Femme. Cette farce grossière a fourni à La Fontaine l'idée de son joli conte du Faiseur d'oreilles; mais ici ce n'est pas l'oreille que l'ouvrier fait à l'enfant de la femme grosse, c'est le nez. Il y a bien d'autres différences entre les deux ouvrages.

2. Farce de Colin, fils de Thénot le maire, qui revient de la guerre de Naples, et ameine un pélerin prisonnier, pensant que ce feust un turc. A quatre personnages, assavoir: Thénot, la Femme, Colin, le Pélerin. Colin, fils de Thénot, revient de Naples où il n'a pas fait d'autres prouesses que de s'enfuir et d'arrêter un pélerin endormi. Dans son voyage il pille la maison d'une pauvre paysanne qui vient se plaindre à Thénot, père, magistrat du lieu. Thénot fait mine d'interroger son fils, qui fait mine, de son côté, de ne rien entendre à la plainte et se perd en récits de l'expédition de Naples. Ce quiproquo entre la plaignante, le juge et Colin, rappelle une des meilleures scènes de la farce de Pathelin, et fait tout le comique de la pièce, dont le dénouement est le renvoi de la plaignante sans justice et le mariage de Colin avec la fille de Gauthier Garguille. Évidemment l'auteur a eu l'intention de ridiculiser les justices de village.

3. Farce nouvelle de deux savetiers, l'un pauvre et l'autre riche; le riche est marri de ce qu'il veoid le pauvre rire et se resjouir, et perd cent escus et sa robe que le pauvre gaigne. A trois personnages, c'est à sçavoir: Le Pauvre, le Riche et le Juge. La scène s'ouvre par les chants joyeux du pauvre: Hay, hay, avant Jean de Nivelle,—Jean de Nivelle a des houzeaux,—le roi n'en a pas de si beaux, etc., etc. Le riche s'étonne de rencontrer tant de gaîté dans la pauvreté. Suit un dialogue entre le pauvre et le riche sur les avantages de la médiocrité pour le bonheur, dialogue plein d'agrément et de raison. Jusqu'ici l'auteur est dans la bonne voie, et c'est le sujet de la jolie fable du Savetier et du Financier: mais bientôt il dévie. Son pauvre savetier se laisse persuader d'aller demander à Dieu 100 écus au pied d'un autel. Le savetier riche se cache derrière l'autel et marchande, au nom de Dieu, avec le pauvre, d'abord pour 60 écus, puis pour 90; puis il lui en offre 99, dans l'espoir que le pauvre ne voudra rien démordre de ses 100 écus. Cependant le pauvre prend les 99 écus et s'enfuit, aux grands regrets du riche qui lui crie: «Despéche! rends-moi mes écus!» Le pauvre ne veut rien rendre. Un débat s'élève. Il faut aller trouver le juge en sa cour. Mais le pauvre n'a point de robe pour se rendre au plaids; le riche lui en prête une. Arrivés tous deux devant le Juge, le Riche forme sa plainte en termes si confus et le pauvre se défend si naïvement, que le Juge condamne le Riche. Alors le Pauvre, joignant l'ironie à la fourberie (encore une imitation de Pathelin), dit au Riche: «Hay, génin, hay, pauvre cornard!—J'ay ta robe et ton argent;—mais est-elle point retournée?—Non payé suis de ma journée, etc., etc.—Pardonnez-nous, jeunes et vieux;—une autre fois nous ferons mieulx.»

4. Farce nouvelle des femmes qui ayment mieux suivre Folconduit et vivre a leur plaisir que d'apprendre aucune bonne science. A quatre personnages, c'est à sçavoir: Le Maître, Folconduit, Promptitude, Tardive à bien faire. Le Maître fait un appel aux femmes pour leur apprendre à bien vivre. Promptitude et Tardive se rendent chez lui avec Folconduit. Le Maître leur propose toutes sortes de bons livres et de bons préceptes. Les deux consultantes s'en moquent et disent non à tout; elles finissent par se remettre sous la direction de Folconduit, et le Maître leur souhaite bon voyage, en lançant contre les femmes cet anathème: Nulle science ne leur duict;—vérité leur est adversaire,—science ne les peut attraire,—à se taire on peut parler;—d'ailleurs, voulant toujours aller—par ville ou en pélerinage. Adieu.—Cela est bien aisé à dire.

5. Farce nouvelle de l'Antechrist et de trois femmes, une bourgeoise et deux poissonnières. A quatre personnages, c'est à sçavoir: Hamelot, Colechon, la Bourgeoise, l'Antechrist, deux Poissonnières. C'est une querelle de halle à propos de poisson marchandé par la Bourgeoise. On ne sait à quoi revient ici l'Antechrist qui arrive pour culbuter les paniers des Poissonnières, se faire battre et s'enfuir. La scène finit par la réconciliation des deux Poissardes qui vont boire ensemble.—Vadé a donc eu aussi son Jodelle, son Hardy, son Robert Garnier, comme Pierre Corneille.

6. Farce joyeuse et récréative d'une femme qui demande les arrérages a son mary. A cinq personnages, c'est à sçavoir: Le Mary, la Femme, la Chambrière, le Sergent, le Voisin. La Femme se plaint à sa Chambrière d'être délaissée de son Mari. La Chambrière lui conseille d'aller trouver le Sergent, pour se faire payer ses arrérages par ordre de justice. Le Sergent expose à la Femme tout le détail des formes judiciaires employées en pareilles causes; mais il n'est pas besoin d'y recourir. Un voisin a si bien prêché le Mari, que celui-ci va chercher sa Femme, et, passant derrière le théâtre, lui paie les arrérages dus, à la satisfaction de la plaignante et du public.

7. Farce nouvelle contenant le débat d'un jeune moine et d'un vieil gendarme, pardevant le dieu Cupidon pour une jeune fille; fort plaisante et récréative. A quatre personnages, c'est à sçavoir: Cupidon, la Fille, le Moine, le Gendarme. Au début, Cupidon, assis sur un trône, convoque les amans de tous les pays. Une jeune fille, qui n'est pas encore pourvue, se présente au dieu pour implorer son assistance. Cupidon lui donne bon espoir, mais la détourne du mariage et lui conseille de prendre un ami au jour la journée. La Fille, convaincue par les raisonnemens du dieu qui raisonne le plus mal, se dispose à faire son choix entre un jeune Moine et un vieux Gendarme qui sont venus également demander secours à Cupidon. Les deux rivaux se querellent à qui aura la Fille. Le dieu décide que ce sera le meilleur chanteur de basse-contre. La Fille chante d'abord avec le moine qu'elle trouve à son gré. Le capitaine veut la remise de la cause à huitaine. La Fille n'entend point de dilation.—Prenez-moy, dit le Gendarme; il n'est aboy que de vieux chiens.—A quoi la Fille ajoute qu'il n'est feu que de jeune boys.—Par adventure,—pour faire œuvre de nature,—si ay je encore verte veine.—Bon! s'écrie le Moine; un coup peust estre par semaine;—c'est où s'estend tout son pouvoir.—Je ne le veulx donc point avoir; répond la Fille, et Cupidon adjuge la belle Hélène au Moine, qui compte deux ducats au dieu pour ses habits; et Cupidon de remercier en ces mots: grates vobis, grates vobis.—Le sublime est que le Gendarme donne aussi un écu à Cupidon pour ses habits, ce qui lui vaut deux grates vobis et rien de plus.—Cette joyeuseté fait souvenir de la dame des belles cousines et de Damp, abbé.—Les sept farces précédentes ont été réunies en un volume in-12, selon le duc de la Vallière, lequel, publié en 1612, chez Nicolas Rousset, à Paris, est devenu très rare. Ce volume a probablement servi aux réimpressions de Caron.—Ces farces ont été jouées de 1480 à 1500 environ.

8. Farce joyeuse et récréative du galant qui a faict le coup. A quatre personnages: Le Médecin, le badin Oudin, la femme Crespinete, la chambrière Malaperte. Pendant que Crespinete est allée en pélerinage, son mari Oudin a fait un enfant à sa chambrière Malaperte; et cela sur le théâtre, par respect sans doute pour l'unité de lieu: mais, au mépris de l'unité de temps, voilà Malaperte qui est grosse et sur le point d'accoucher. Comment cacher cette mésaventure à Crespinete qui va revenir? On court chez le Médecin. C'est un homme habile; il promet de tout arranger, pourvu qu'on lui envoie Crespinete, et que Badin fasse le malade. Badin fait donc le malade et envoie Crespinete au Médecin pour en obtenir remède à son mal. Le Médecin s'écrie, sur le récit de Crespinete, que Badin a un enfant dans le ventre.—Quoi! mon mari enceint?—Oui!—Quel remède?—Il faut tâcher de le faire coucher avec votre chambrière et qu'elle prenne l'enfant sur son compte. Et Crespinete paraît une femme simple. Elle retourne chez son mari, le prêche si bien, ainsi que sa Chambrière, qu'elle les met tous deux au lit. Aussitôt elle se retire, et de cette façon l'enfant vient au monde sans que le mari s'en mette en peine et sans que le monde en jase.—Jouée à Paris en 1610.

9. Sottie à dix personnages, jouée à Genève, en la place du Molard, le dimanche des Bordes, l'an 1523.—A Lyon, chez Pierre Rigaud. Folie, le Poste, Anthoine, Gallion, Grand Pierre, Claude Rousset, Pettremand, Gaudefroys, Mulet et l'Enfant. Cette pièce est une allusion aux malheurs causés par les troubles de religion. Mère Folie pleure son mari Bontemps. Tout d'un coup le Poste ou la Poste arrive de Genève qui apporte des nouvelles de Bontemps. Il n'est point mort. Il écrit, de deux lieues du paradis, qu'il se porte bien et qu'il reviendra quand justice aura son cours et qu'il n'aura risque d'être pendu. Mère Folie lit sa lettre à ses amis qu'elle convoque à cet effet. Grande joie dans la compagnie. On quitte le deuil; on se fait des chaperons blancs avec la chemise sale de mère Folie, et en attendant Bontemps on se met à boire, et puis c'est tout. La compagnie fait sagement, voulant boire, de boire en attendant Bontemps.

10. Sottie jouée le dimanche après les Bordes, en 1524, en la justice.—«Monsieur le duc de Savoye et Madame estoient en cette ville et y devoient assister, mais pour ce qu'on ne les alla point quérir et aussi qu'on disoit que c'estoient des huguenots qui jouoient, ils n'y voulurent venir. M. de Maurienne et aultres courtisans y vinrent.—Les enfans de Bontemps estoient vestus de fil noir. A dix personnages: Le Prebstre, le Medecin, le Conseiller, l'Orphèvre, le Bonnetier, le Cousturier, le Savetier, le Cuisinier, Grande Mère Sottie, le Monde.» Cette Sottie est une suite de la précédente. Bontemps n'est point revenu et mère Folie est morte. Que vont faire les orphelins? Grande Mère Sottie vient à leur aide; elle leur dit d'apprendre chacun un métier et les conduit au Monde. Le Monde les interroge un à un, et trouve à redire aux œuvres de chacun, du Conseiller, du Prêtre dont les messes sont trop longues ou trop courtes, de l'Orphèvre, du Bonnetier, etc., etc. Le Monde se trouve malade; il commande aux enfans de Bontemps de porter de son urine au Médecin. Réflexion faite, il va chercher lui-même le Médecin et lui confesse qu'il est malade des tristes prédictions qui circulent par tout.—«Et tu te troubles pour cela?» répond le Médecin:

«Monde, tu ne te troubles pas
De voir ces hommes attrapards
Vendre et acheter bénéfices;
Les enfans ez bras des nourrices,
Estre abbés, évesques, prieurs,
Chevaucher très bien les deux sœurs,
Tuer les gens pour leurs plaisirs, etc., etc.»

Veux-tu guérir?—Oui.—Passe, et ne t'arreste en rien—à ces prognostications, etc.—Et vous tous, enfans de Bontemps, soyez, pour plaire au Monde, soyez bavards, ruffiens, menteurs,—rapporteurs, flatteurs, meschants—gents et vous aurez chez lui Bontemps.—Alors on habille le Monde en fou, et la toile tombe.

11. Le mystère du chevalier qui donna sa femme au diable. A dix personnages, assavoir: Dieu, Notre-Dame, Gabriel, Raphaël, le Chevalier, sa Femme, Amaulry, escuyer; Anthénor, escuyer; le Pipeur et le Diable. Ce n'est pas là un vrai mystère, mais, sous ce nom, une farce moralité, du genre de celles que les confrères avaient permis aux Enfans Sans Soucy de représenter. On le reconnaîtra facilement à la nature et à la marche de l'action.—Un Chevalier, ébloui de sa fortune, dépense son bien à tort et à travers avec ses deux écuyers qui sont ses flatteurs et qu'il comble de présens. La Femme du Chevalier est une personne pieuse et sensée. Elle fait en vain à son mari de sages remontrances; on l'envoie promener; on lui dit de se taire; on l'appelle caquetoire: enfin elle est contrainte de se résigner, ce qu'elle fait en s'adressant à la Vierge Marie:

«Haulte dame, dit-elle,
Garde sa poure ame!
Que mal ne l'entame
Dont puisse périr.
Ta douleur réclame
Que mon cœur enflamme
Tant qu'enfin la flamme
Ne puisse sentir, etc.»

Les craintes de la vertueuse épouse ne tardent pas à se réaliser. Vient un Pipeur de dés. Le Chevalier perd tout son bien avec le Pipeur et ses deux écuyers. Alors ces Messieurs l'abandonnent. Il entre dans le désespoir. Le diable, qui guette l'ame du Chevalier et celle de la dame, offre ses services. Il promet au malheureux de lui rendre une grande fortune s'il consent à s'engager et à lui engager sa femme, le tout livrable dans sept ans. Le Chevalier signe l'engagement, redevient riche et retrouve ses deux flatteurs.

«Anthenor, dit Amaulry, je suis bien joyeux,
»Monseigneur si est remplumé, etc.»

Ces misérables sont accueillis comme par le passé. La vie joyeuse recommence, et le Chevalier envoie paître sa femme tout de nouveau. Vient enfin le moment de se donner au diable. Le Chevalier conduit sa femme tristement à l'endroit convenu. Celle-ci, soupçonnant quelque mésaventure, demande à son mari de la laisser entrer dans une église, ce qui lui est accordé. Elle y fait une si ardente prière, que la Vierge Marie se charge de délivrer les deux époux des griffes du diable. Par son intercession, Dieu, suivi de Gabriel et de Raphaël, apparaît, et quand le diable se présente, il trouve à qui parler et n'a que le temps de s'enfuir chez Lucifer en blasphémant. De cette façon, le Chevalier garde sa femme, son ame et son argent. Il ne faut pourtant pas que tous les maris s'y fient; nous ne sommes plus au temps des mystères.

12. Farce nouvelle du meusnier et du gentilhomme. A quatre personnages, à sçavoir: l'Abbé, le Meusnier, le Gentilhomme et son Page. A Troyes, chez Nicolas Oudot, 1628.—Un gentilhomme nécessiteux veut tirer 300 écus d'un abbé de son vasselage, et le taxe à cette somme, à moins qu'il n'en reçoive réponse aux trois questions suivantes: 1o. Quel est le centre du monde? 2o. Combien vaut ma personne? 3o. Que pensai-je en ce moment?—L'Abbé, fort en peine, conte son embarras à son meunier, qui le tire d'affaire en se chargeant des habits et du rôle de l'Abbé. 1o. Dit le Meunier au Gentilhomme, mettez un genou en terre; voilà précisément le centre du monde, et prouvez-moi le contraire; 2o vous valez 29 deniers, car Dieu ne fut vendu que 30 deniers par Judas, et ce n'est pas affaire que vous valiez un denier de moins que Dieu; 3o vous pensez que je sois l'abbé, tandis que je ne suis qu'un meunier à sa place. La plaisanterie réussit, et le Gentilhomme, fidèle à sa foi, renonce aux 300 écus.

13. Joyeuse farce, à trois personnages, d'un Curia qui trompa la femme d'un Laboureur; le tout mis en rhythme savoyard, sauf le langage du Curia, lequel, en parlant audit Laboureur, escorchoit le langage françoys, et c'est une chose fort récréative: ensemble la chanson que ledit Laboureur chantoit en racoustrant son soulier, tandis que ledit Curia joyssait de la femme du Laboureur; puis les reproches et maudissions faictes audit Laboureur par sa femme, en lui remonstrant fort aigrement et avec grand courroux que c'estoit luy qui estoit la cause de tout le mal, d'autant que l'ayant menacé à battre, elle ne pouvoit du moins faire de luy obéir, par quoi le Laboureur oyant l'affront que lui avoit faict le Curia, se leva de cholère, et demandoit son épée et sa tranche ferranche pour tuer le Curia, mais sa femme l'apaisa.—A Lyon, 1595.—Le titre de cette pièce suffit à son analyse.

14. Comédie facétieuse et très plaisante du voyage de frère Fécisti en Provence, vers Nostradamus: pour sçavoir certaines nouvelles des clefs du paradis et d'enfer que le pape avait perdues.—Imprimé à Nîmes, en 1599. Frère Fécisti, nommé ainsi pour avoir été fessé par les moines de son couvent à l'occasion d'une fille qu'il avait abusée, va en Provence consulter Nostradamus. En chemin, il rencontre Brusquet qui, sans être huguenot, le tourne en ridicule et lui prédit la potence. Brusquet poursuit son moine jusque chez le prophète, dont il se moque aussi bien que de frère Fécisti. Le moine ne veut pas d'abord dire son secret à Nostradamus devant Brusquet; mais il s'y résout sur l'assurance que Brusquet ne vient pas de lieu—où les huguenots se nourrissent.—D'où vient-il donc?—D'où les diables pissent,—vers la Sorbonne de Paris. Or, frère Fécisti vient de la part du pape savoir des nouvelles de ses clefs. A chaque mot qu'il prononce, Brusquet l'interrompt par un lazzi huguenot. Nostradamus demande 24 heures pour répondre. En attendant cette réponse, Brusquet turlupine le moine, l'appelle sot, larron, asne. Frère Fécisti se fâche à la fin, et la farce finit par bon nombre de gourmades entre lui et Brusquet. Cependant la réponse de Nostradamus n'arrive pas; elle n'est venue que de nos jours.

15. Farce nouvelle, très bonne et très joyeuse de la cornette. A cinq personnages: Le Mary, la Femme, le Valet et les deux Nepveux; par Jehan d'Abundance, basochien et notaire royal de la ville de Pont-Saint-Esprit, 1545. C'est une jolie comédie dont Molière aurait pu profiter. Elle montre à quel point une femme qui s'est emparée de l'esprit de son mari peut impunément pousser la tromperie. Celle-ci, d'accord avec son valet Finet, tire de gros présens d'un chanoine et de bons services d'un jeune garçon. Les deux neveux du mari l'avertissent de tout ce manége, en insistant sur les circonstances; mais la dame a pris les devants en prévenant son cher époux, les larmes aux yeux, des calomnies de messieurs les neveux: aussi les reçoit-on vertement, et jamais il n'y eut de ménage moins troublé quand la pièce finit.

16. Farce plaisante et récréative sur le tour qu'a joué un porteur d'eau dans Paris, le jour de ses noces, 1632. Le Porteur d'eau, l'Espouse, sa Mère, l'Entremetteur, les Violons, les Conviez. Que d'aigrefins ont imité le Porteur d'eau de 1632, lequel, étant accordé avec une jeune fille dont il a reçu de l'argent et un manteau, s'enfuit au moment du repas de noces et laisse sa fiancée, les parens et les convives se débattre, pour le paiement, avec le traiteur et les violons.

17. Tragi-comédie des enfans de Turlupin, malheureux de nature, ou l'on voit les fortunes dudit Turlupin, le mariage entre lui et la boulonnoise, et aultres mille plaisantes joyeusetez qui trompent la morne oysiveté.—A Rouen, rue de l'Horloge, chez Abraham Couturier. Pièce assez drôle, où les divers personnages sont tous plus malheureux les uns que les autres, se querellent, se battent, puis se consolent en buvant ensemble: grotesque image de la vie humaine.

18. Tragi-comédie plaisante et facétieuse intitulée la subtilité de Fanfreluche et de Gaudichon, et comme il fut emporté par le diable.—A Rouen.—Acteurs: Fanfreluche, Gaudichon, le Vieillard, la Vieille, le Docteur, Bistory, valet de Fanfreluche, le Diable, la Mort. Rien de si obscur et de plus tristement plat que cette pièce, où l'on voit le diable emporter un latiniste manqué, nommé Fanfreluche, qui s'est marié à Gaudichon, uniquement pour la satisfaction du vieux père et de la vieille mère de la demoiselle.

19. Farce joyeuse et profitable a un chascun, contenant la ruse et meschanceté et obstination d'aucunes femmes. Par personnages: Le Mary, la Femme, le Serviteur, le Serrurier, 1596. Le Mari n'est guère intéressant dans sa jalousie; car il n'a pas plutôt découvert les écus que sa femme a gagnés à ses dépens, qu'il entre en belle humeur et se réjouit de sa déconvenue maritale. Bien des gens suivent cet exemple; mais peu osent, comme ici, ne s'en point cacher devant le public.

20. Discours facétieux des hommes qui font saller leurs femmes a cause qu'elles sont trop douces; lequel se joue à cinq personnages: Marceau, Jullien, Gillete, femme de Marceau, Françoise, femme de Jullien, Maistre Mace, philosophe de Bretaigne.—A Rouen, 1558. Marceau et Jullien s'entretiennent des vertus de leurs femmes. Ils n'y trouvent qu'une chose à redire; c'est qu'elles sont si douces que possible ne sauraient-elles résister à la séduction. Qu'y faire? aller consulter Mace le philosophe. Mace promet de remédier à cette douceur excessive, et demande qu'on lui amène les deux femmes. Elles venues, il veut les faire mettre toutes nues pour les saler. Elles ne veulent point se mettre toutes nues devant un vieux philosophe, et encore moins se laisser saler; elles crient, elles tempêtent et s'en vont battre leurs maris. Ceux-ci reviennent au philosophe pour qu'il ait à dessaler un peu ces dames, la dose de sel paraissant trop forte. Mais Mace répond:

«Les doulces je sçay bien saler
Mais touchant les désaler, point.»

Et c'est là tout le sel de la pièce.

21. Farce joyeuse et récréative de Poncette et de l'amoureux transy.—A Lyon, par Jean Marguerite, 1595. Ceci est tout bonnement une ordure; c'est pourquoi nous laissons l'amoureux transi se consoler de n'avoir pas épousé Poncette et d'avoir épousé mademoiselle Rose, quæ semper bombinat in lecto.

22. Farce de la querelle de Gaultier Garguille et de Perrine, sa femme, avec la sentence de séparation entre eux rendue.—A Vaugirard, par a. e. i. o. u., à l'enseigne des Trois-Raves. Gautier Garguille est mécontent de sa femme Perrine, parce que, l'ayant prise en bon lieu, il en attendait de grands profits et n'en retire que misère et maladies. Il lui fait des remontrances plus financières que morales, et Perrine lui répond par des résolutions, sentant l'impénitence finale, qui, parfois, sont très plaisantes. Là dessus Gaultier lui jette à la tête pots, plats, escuelles, potage, et lui eût rompu le cou sans la Renaud, honnête voisine, qui intervient fort à propos. S'ensuit un bel et bon divorce, prononcé par le juge, le 1er août 1613.

On lit, dans les curieux Mémoires de l'abbé de Marolles, qu'il était difficile aux plus sérieux de ne pas rire de l'acteur fameux qui faisait le rôle de Perrine. Cet acteur était si parfaitement gai, que son nom est devenu proverbial dans la postérité, ainsi que la dame Gigogne, autre comédien, bouffon de ce temps.

[52] Selon la bibliothèque du Théâtre Français, la Farce de Pathelin, composée vers 1474 ou 1480, l'aurait été par Pierre Blanchet, né à Poitiers en 1439, prêtre en 1469, et mort en 1499, dans sa ville natale.


DECLAMATION
CONTENANT
LA MANIÈRE DE BIEN INSTRUIRE LES ENFANS
DÈS LEUR COMMENCEMENT,
AVEC UN PETIT TRAICTÉ DE LA CIVILITÉ PUÉRILE ET HONNÊTE.

Le tout translaté nouuellement du latin en françois, par Pierre Saliat. On les vend à Paris, en la maison de Simon Colines, demourant au Soleil d'or, rue Saint-Jean-de-Beauvais. (1 vol. in-12 de 73 feuillets, et 6 feuillets préliminaires, dédié à discrète et prudente personne, monseigneur Jean-Jacques de Mesme, docteur ez droitz, conseiller du roy, nostre sire et lieutenant civil de la ville et prevosté de Paris. M.D.XXXVII.)

(1537.)

N'ayant pu découvrir le nom de l'auteur latin, nous adresserons de sincères hommages à son modeste interprète. Tous les deux en méritent et doivent être honorés des pères et mères pour avoir si bien aimé les enfans, si bien étudié leurs mœurs et leurs besoins, si fortement empreint, dans l'esprit des parens, la nécessité de commencer, dès le plus petit âge, l'éducation et l'instruction; pour n'avoir négligé aucune observation, aucun précepte utile, encore que puéril et vulgaire; laissant de côté tout orgueil, toute prétention de bien dire et d'être applaudi, et ne s'occupant que de leur objet, celui de former à la vertu, aux bienséances, à la santé, ces tendres et frêles rejetons des familles, si barbarement méconnus, si cruellement traités de leur temps. Hélas! pourquoi ces voix douces, humbles et persuasives ne furent-elles pas dès lors entendues? Qui n'a frémi d'indignation, en lisant, dans Érasme, le récit du terrible régime du collége de Navarre? Et, dans le présent livre, qui ne sentirait son cœur se soulever au détail des stupides et sanglans châtimens dont il nous offre l'exemple? «... Tu dirois que ce n'est pas une escole, mais une bourrellerie. On n'oit rien léans fors que coups de verge, criz, pleurs, soupirs et sanglotz... Après les Escossois, il n'est point de plus grands fesseurs que les maîtres d'escolle de France. Quant ils en sont admonestés, ils ont coustume de répondre que ceste nation ne se corrige, sinon que par battre, ainsi qu'il a esté dit de Phrygie... Il estoit besoing que telle manière de gens fussent escorcheurs ou bourreaux, non point maistres de petits enfans.»

Une jeune mère, fort femme de bien, amène elle-même, au collége, son fils âgé de dix ans, et grandement le recommande. Incontinent après son départ, pour avoir occasion de battre l'enfant, le théologien pédagogue reproche à cette pauvre créature je ne sais quel air de fierté; il fait un signe; le fouetteur arrive, jette l'enfant par terre, et le bat comme s'il eût commis quelque sacrilége. Le théologien avait beau crier: c'est assez, c'est assez; le bourreau, tout assourdi de fureur, paracheva sa bourrellerie presque jusqu'à la pamoison et esvanouissement de l'enfant. Alors le théologien, se retournant vers nous: «Il n'a rien mérité, dit-il, mais il le falloit humilier.»

Une autre fois, un enfant, faussement accusé d'avoir barbouillé d'encre les livres de ses camarades, est suspendu nu par les aisselles et battu de verges dans cette position presque jusqu'à la mort: l'enfant eut, de l'affaire, une maladie dont il pensa périr. L'auteur s'élève aussi généreusement contre la sotte et cruelle coutume des bienvenues, tolérées par des maîtres imbécilles, qui soumettaient les arrivans à des épreuves des plus cyniques et souvent dangereuses. Les plaintes que fait entendre, à ce sujet, cet homme sage, pourraient trouver leur application, qui le dirait? encore aujourd'hui.

Après la Déclamation, vient le Traité de la civilité puérile, dont la candeur et la naïveté proverbiales ont été l'objet de railleries, à notre avis, bien injustes. Sans doute nous n'avons que faire, maintenant, qu'on nous avertisse de ne pas tremper nos doigts dans la sauce, de ne pas les lécher, et les essuyer à nos habits en mangeant, de ne pas racler avec nos ongles l'intérieur de la coque d'un œuf, pour en extraire le blanc, de ne pas prendre, à table, l'air morne et songeur, etc., etc.; mais il faut se reporter à des temps plus anciens, où le savoir-vivre n'était ni fixé ni connu, pour apprécier convenablement, dans ce livre, un enchaînement de conseils et de leçons qui suppose une philosophie très saine, et un ensemble de préceptes vraiment dignes du moraliste observateur. Le ton en est un peu commun, d'accord; mais il n'en est que mieux entendu de tous. «La lumière est commune à tous les hommes, a dit Fénelon, et je l'en aime mieux.» Si nous avions à réformer les mœurs d'une nation, quel livre, croit-on, lui ferions-nous d'abord connaître? l'Esprit des Lois? non, sans doute; mais la civilité puérile et honnête.

Au reste, cet intéressant sujet a exercé plus d'un esprit. La Croix du Maine, tom. III, parle d'un sieur Ferrand de Bez, Parisien, qui écrivit en vers français une institution puérile dédiée à Charles d'Alonville, Jean et Christophe de Thou, ses disciples, laquelle fut imprimée in-8 en 1553, à Avignon, pour Barthélemy Bonhomme, par Jean Lucquet de Nîmes.


ALUMETTES DU FEU DIVIN,

Où sont déclairez les principaux articles et mystères de la Passion de Nostre-Saulveur-Jésus-Christ, avec les Voyes de Paradis, enseignées par Nostre-Saulveur et Rédempteur; par Pierre Doré, docteur en théologie, de l'ordre des frères Prescheurs. Nouvellement reveu et corrigé, à Lyon, par Jean Pillehotte, à l'enseigne de Jésus. 1 vol. in-32 de 485 pages.

(1538-86.)

Ces Allumettes, dédiées à une religieuse du royal monastère de Poissy, sont au nombre de 29, en autant de chapitres, dont les titres sont fort réjouissans. On y voit le nouveau fusil à allumer le feu, le drappeau bruslé où descendent les esbluettes du feu, les sept soufflets pour faire ce feu, la cloche du couvre-feu, etc., etc. Le marchand d'allumettes annonce qu'il veut, par le moyen de son paquet soufré, remédier aux pauvres meschancetez et meschantes pauvretez, lamentables misères et misérables lamentations, périls dangerieux et dangiers périllieux de tous les humains; ce qui montre qu'avant tout il aime le bel-esprit et les antithèses. Rien n'arrête sa verve en ce genre, pas même les touchantes paroles de Jésus-Christ sur la croix: «Pater meus, in manus tuas commendo spiritum meum.» Paroles, dit-il, qui sont un sifflet et soufflet pour faire ardre nos cœurs du feu d'amour divin. Il n'est plus possible aujourd'hui de lire ces folies ascétiques dont les ames pieuses faisaient jadis leurs délices, tant sont grandes les vicissitudes de l'esprit de l'homme, dans les formes, sinon dans le fond, lequel est toujours le même.

Après les Allumettes viennent les Voyes de paradis, qui ne présentent qu'une paraphrase contournée et amphigourique des béatitudes de l'Évangile. Le volume est terminé par une notice des livres spirituels dont les personnes dévotes devaient se nourrir en 1584. Cette notice, qui commence par l'Imitation de Jésus-Christ, de Jean Georson (Gerson), est curieuse. Elle contient 20 titres d'ouvrages parmi lesquels on trouve les Exercices de la vie chrétienne, du P. Louart, jésuite; le Traité de l'oraison, du P. Louis de Grenade, jésuite; les Lettres des Indes, par ceux de la Compagnie de Jésus; le Catéchisme du P. Canisius (Edmond Auger, jésuite, confesseur de Henri III); la Fréquente Communion du P. Christophe, de Madrid, jésuite; la Praticque spirituelle de la princesse de Parme, et enfin les Confessions de saint Augustin et les Méditations de saint Bernard.

La première édition des Allumettes est de Paris, les Angeliers, 1538, in-8o; elle ne renferme pas les Voyes de paradis. Pierre Doré composa encore la Tourterelle de viduité, pour faire prendre patience aux veuves; l'oraison funèbre de Claude de Lorraine, duc de Guise, mort en 1550; le Passereau solitaire; la Conserve de grâce, prise, par façon de rebus, du psaume Conserva me, etc., etc. L'abbé Ladvocat dit que c'est probablement Pierre Doré que Rabelais désigne par ce nom de maître Doribus; certainement le curé de Meudon pensait aux écrits de notre dominicain, en dressant son catalogue de la bibliothèque de Saint-Victor. Du reste, Pierre Doré était savant. Né à Orléans, il fut professeur de théologie et docteur de Sorbonne, et mourut en 1569. Il écrivit contre Calvin un livre latin, sous le titre d'Anti-Calvinus, qui n'a pas fait grand mal à cet hérésiarque.

Ses Allumettes sont allées trouver l'Éperon de discipline lourdement forgé et rudement limé, ainsi que l'Opiate de sobriété, composés par l'abbé de Cherisery, Antoine du Saix, vers 1532.


LA MANIÈRE DE BIEN TRADUIRE
D'UNE LANGUE DANS UNE AUTRE;

D'advantage de la ponctuation de la langue française, plus des accens d'ycelle, par Estienne Dolet. Lyon, Estienne Dolet, 1540. Ensemble: Genethliacium Claudii Doleti, Stephani Doleti filii, liber vitæ communi in primis utilis et necessarius. Auctore patre. Lugduni, apud eumdem Doletum, 1539. Cum privilegio ad decenium. (Poème latin composé par Estienne Dolet pour l'instruction morale de son fils, à la suite duquel se trouvent plusieurs pièces de vers latins écrites à Dolet par ses amis. Le volume est terminé par la traduction en vers français du Genethliacum, laquelle est d'un ami de Dolet, qui l'intitule: l'Avant naissance de Claude Dolet, fils d'Estienne Dolet; œuvre très utile et nécessaire à la vie commune, contenant comme l'homme se doibt gouverner en ce monde. A Lyon, chez Estienne Dolet, 1539). Réimprimé à 120 exempl., 1 vol. in-8. Paris, Techener, de l'imprimerie de Tastu.

(1539-40—1830.)

Étienne Dolet, possédé de l'amour des lettres et du désir de faire fleurir la langue française qui était encore bien barbare de son temps, avait composé, sous le titre de l'Orateur françoys, un livre divisé en neuf traités, savoir: de la Grammaire, de l'Orthographe, des Accens, de la Punctuation, de la Pronunciation, de l'Origine d'aucunes dictions, de la Manière de bien traduire d'une langue en aultre, de l'Art oratoire et de l'Art poétique. C'est ce qu'il indique dans son épître dédicatoire adressée au peuple françoys, qui précède sa Manière de bien traduire. Encore que ces neuf traités dussent être fort imparfaits (les choses n'allant pas à bien tout d'un coup, comme il le dit lui-même), nous devons regretter de n'avoir conservé que les trois traités relatés dans le titre ci-dessus, l'auteur y faisant preuve de goût et de grand jugement. Le seul défaut du premier des trois, la Manière de bien traduire, est d'être trop bref et trop général aux dépens du développement que le sujet demandait. Dolet y donne, toutefois, cinq règles excellentes; 1o de bien connaître la matière de l'ouvrage qu'on traduit, et l'esprit de l'écrivain à traduire; 2o d'être également instruit à fond de sa langue et de celle sur laquelle on travaille; 3o de ne pas se mettre en servitude, ni s'attacher à rendre le mot pour le mot, ou les mots dans leur ordre, ce qui est besterie, mais de se pénétrer de la marche de son auteur pour la reproduire fidèlement; 4o de ne pas suivre indiscrètement, ainsi que le font les écrivains des langues modernes non fixées, la coutume d'emprunter des mots et des tours à la langue originale, au lieu de se conformer aux tours et aux termes nationaux; 5o (et c'est, selon Dolet, une règle principale d'où dépend le sort de tout écrit), d'observer les nombres oratoires, c'est à dire de donner à ses phrases le nombre et la période convenables au sujet; or, tout sujet est susceptible de nombres et de périodes, ainsi que le témoignent les histoires de Salluste et de César, aussi bien que les oraisons de Marc-Tulle Cicéron.

Nous dirons peu de chose du second traité, celui de la Ponctuation, cette matière, qui était neuve du temps de Dolet, étant épuisée de nos jours après les judicieuses remarques de l'abbé d'Olivet et de ses successeurs. Qui ne sait aujourd'hui l'usage et la place de l'incise ou virgule, du comma ou deux points, du punctum ou point rond, du point admiratif, de l'interrogatif et de la parenthèse? Le petit traité des Accens est comme celui de la Ponctuation, très sensé, mais tout aussi superflu maintenant. Il nous fournit pourtant une remarque à faire au sujet de la suppression de l'apocope que nous imposa l'usage, et qu'il faut regretter pour la commodité des poètes. L'apocope, dont la figure est celle de l'apostrophe, avait pour effet d'ôter la voyelle ou la syllabe muette de la fin d'un mot pour le rendre plus rond et mieux sonnant. Exemples: Pri' pour prie, com' pour comme, recommand' pour recommande, etc., etc. Une preuve que l'apocope était bonne à quelque chose, c'est qu'on en a conservé l'effet dans certains mots, tels qu'encor pour encore, tout en supprimant sa figure, et qu'on l'a même entièrement gardée dans quelques cas, tels que grand'chose, grand'mère, etc. Les langues ne s'enrichissent pas toujours en s'épurant.

Le poème du Genethliacum est touchant et bien pensé. On y voit un tendre père, éprouvé par de longs malheurs, poursuivi par l'injuste haine des méchans, se retremper dans la vertu, et signaler sa joie de la naissance d'un fils chéri par des préceptes remplis de saine morale et de haute philosophie.


«................... Nec territus ullo
»Portento, credes generari cuncta sagacis
»Naturæ vi præstante, imperioque stupendo
»Naturæque ejusdem dissolvi omnia jussu, etc., etc.»

«Affranchi des terreurs qui suivent les prodiges,
»Tu verras la nature, au dessus des prestiges,
»Merveilleuse en puissance, en sagesse à la fois,
»Tout former, tout dissoudre, et toujours par des lois, etc., etc.»


»Si tibi divitiæ multæ post fata parentum
»Obvenient; non largus eas absume, nepotum
»Exemplo; duris pater has sudoribus olim
»Quæsiit; immenso quod partum est tempore, turpis
»Non gula, non luxus, non damnosa alea perdat.
»Sic utare tuo ut non indigeas alieno.
»Re sine nullus eris, quamvis virtutibus aptus
»Undique sis......, etc., etc.»
«.......................... Opum vi fama paratur, etc., etc.

»..........................Sit tibi semper egenus
»Charior ære: juva, poteris quoscumque petentes
»A te subsidium, etc., etc. ............»

«At si nulla tibi obvenient bona patria, quæstum
»Non ideo facies turpem, nec lucra parabis
»Ex damno alterius....................»
«Non bene parta, brevi spatio labuntur et absunt, etc., etc.»
«... Adulatorum facile tum eluseris artem,
»Ac qui falsa refert de te narrata, repelles, etc., etc.
»At vero uxorem, cum qua consortia vitæ
»Sunt obeunda diu, solvendaque funere tantum,
»Liberius tracta. Comes est, non serva, marito
»Conjux, etc., etc.»

«Si ton père en mourant t'a légué la richesse,
Ne va pas, à la voix d'une folle jeunesse,
Consommer, dans un jour, le travail de trente ans,
Arrosé des sueurs de tes pauvres parens.
N'engloutis pas ces fruits d'un labeur implacable
Dans les hasards du jeu, du luxe et de la table:
Use du tien de sorte à n'user point d'autrui.
Les biens ont leur valeur, sans laquelle, aujourd'hui,
Jamais rien ne seras, fusses-tu l'honneur même.
La puissance de l'or fait le renom suprême!
Pourtant que l'indigent te soit plus cher que l'or;
Prompt à le secourir, ouvre-lui ton trésor.
Que si la pauvreté t'est laissée en partage,
Ne fais, pour en sortir, rien qui le ciel outrage;
Que ton lucre, au prochain, ne coûte point de pleurs!
Bien mal acquis s'envole et retombe en malheurs.
Fuis l'adulation, le précepte est facile,
Et ferme ton oreille aux faux amis de ville,
Du mal qu'on dit de toi, conteurs intéressés.
Rends ta moitié l'objet de tes soins empressés!
La vie a fait vos nœuds: que la mort seule y touche!
Sois ami pour ta femme, et non tyran farouche;
C'est ta compagne et non ta servante, etc., etc....»

Suivent d'excellens préceptes pour se conduire dans la vie privée, dans les emplois de magistrature, à la cour, à la guerre, profession dont il détourne son fils par le tableau des mœurs violentes des guerriers de son temps. Enfin,

«Cum mors pallens ætate peracta
»Instabit, non ægro animo communia perfer
»Fata; nihil nobis damni mors invehit atrox,
»Sed mala cuncta aufert miseris, et sidera pandit.
»Tu ne crede, animos una cum corpore, lucis
»Privari usura. In nobis cœlestis origo
»Est quædam, post cassa manens, post cassa superstes
»Corpora, et æterna se commotura vigore, etc., etc.»

La traduction en vers français de cet estimable poème n'a pas, à beaucoup près, le mérite de l'original. Elle est plate, prosaïque et pleine d'enjambemens désagréables. On se permet, il est vrai, plus facilement, les enjambemens dans les vers de dix pieds, parce que le mètre en est familier de sa nature; mais il y faut des bornes. Les rimes d'ailleurs ne sont pas alternées. Il s'en trouve jusqu'à dix masculines de suite, ce qui rend l'harmonie bien monotone. C'est ici le cas de dire traduttore, traditore. Il suffit, pour juger du ton général de cette traduction, de voir comme l'ami de Dolet a rendu les beaux vers sur la mort que nous venons de citer:

«La mort est bonne et nous prive du mal
»Calamiteux: et puis nous donne entrée
»Au ciel (le ciel des ames est contrée);
»Prends doncq en gré, quand d'ici partiras,
»Et par la mort droict au ciel t'en iras, etc., etc.»

Nous ne pensons pas qu'il y ait de l'orgueil à essayer de la traduction suivante comme moins mauvaise; le lecteur en jugera.

... Et quand la pâle mort, de ton âge accompli
Viendra trancher le cours; que ton cœur amolli
N'écarte point sa faux au monde entier commune!
A qui la connaît bien la mort n'est importune;
C'est l'asile des maux, c'est la porte des cieux:
Car ne va pas penser qu'en nous fermant les yeux
Elle ferme à jamais notre ame à la lumière:
L'homme remonte alors à sa source première.
Il est, il est en lui, même au sein du tombeau,
Un principe éternel, un éternel flambeau, etc., etc., etc.

LE RÉVEIL-MATIN DES COURTISANS,
OU
MOYENS LÉGITIMES
POUR PARVENIR A LA FAVEUR ET POUR S'Y MAINTENIR;

Traduction françoise de l'espagnol de don Anthonio de Guevara, évesque de Mondoñedo, prédicateur et historiographe de Charles-Quint; par Sébastien Hardy, Parisien, receveur des Aydes et Tailles du Mans, seconde édition. A Paris, de l'imprimerie de Robert Estienne, pour Henri Sara, rue Saint-Jean-de-Latran, à l'enseigne de l'Alde. In-8 de 384 pages et 4 feuillets préliminaires. (Exemplaire de Gaignat.)

(1540—1623.)

Don Antoine de Guevara, moine franciscain de la province d'Alava, que ses talens et sa piété recommandèrent auprès de Charles-Quint, mourut, en 1544, évêque de Mondonedo. Les biographes et bibliographes citent son Horloge des Princes, ses Épîtres dorées, ses Vies des empereurs romains, ses poèmes du Mépris de la court, de l'Amye de court, de la parfaite Amye de court, de la Contre-Amye de court, ainsi que les traductions de ces divers ouvrages par les seigneurs de Gutery, de Borderie, les sieurs d'Alaigre, Hécoet, Charles Fontaine, etc., etc., de l'an 1549 à 1556, et, chose étrange, ils ne disent mot de cet écrit, la meilleure, la plus oubliée et la plus rare des productions de l'auteur. Guevara composa ce traité qu'un auteur célèbre a faussement qualifié de Manuel du Cloître plutôt que de la Cour, pour un favori de Charles-Quint, modèle de grandeur d'ame et de loyauté, nommé Francisco de Los Cobos, que l'empereur maria avec Marie de Mendoce, et fit grand commandeur de Léon. L'ouvrage reçut, en Italie, les honneurs de la traduction sous son titre primitif de Aviso de favoriti e dottrina de Corteggiani. Le traducteur français Sébastien Hardy, auteur, en 1616, avec un sieur de Grieux, de Mémoires et Instructions pour le fonds des rentes de l'Hôtel-de-Ville, changea ce titre raisonnable contre un bizarre, je ne sais pourquoi, et dédia sa traduction à M. de Flexelles, sieur du Plessis-du-Bois, conseiller du roi et secrétaire des finances, dans une épître qui sent son receveur des Aides. Il dit qu'en faisant l'éloge de son original il ne craint pas de s'être mécompté d'outre-moitié du juste prix, en quoi il a raison. Du reste, sa traduction paraît fidèle et elle est fort passablement écrite.

La devise de Guevara est celle-ci: Posui finem curis—Spes et fortuna valete, que Sébastien Hardy rend de la manière suivante: Fortune et espérances vaines,—adieu, j'ay mis fin à mes peines.

Avant d'arriver aux vingt chapitres dont se compose ce traité dans la traduction, il faut recevoir dix enseignemens, puis franchir un long prologue suivi d'un argument qui n'est pas court: les Espagnols ne vont pas vite, et leurs lecteurs ont besoin de patience; mais la patience reçoit avec eux son prix.—Parmi les enseignemens, le courtisan doit retenir ceux qui suivent: Ne dites pas tout ce que vous savez; ne découvrez pas tout ce que vous pensez; ne faites pas tout ce que vous pourriez faire; ne prenez pas tout ce que vous pourriez prendre; ne montrez pas toutes vos richesses.—Voici encore une sentence digne de mémoire, tirée du prologue: «Ceux qui cherchent plus d'un ami n'ont qu'à se rendre à la boucherie pour y acheter plusieurs cœurs.»—La première leçon du livre est bien remarquable dans la bouche d'un homme qui avait vécu sagement à la cour, et qui enseigne l'art d'y bien vivre:—«Voulez-vous être heureux? dit-il, fuyez les cours!»—Ici vient, à l'appui du conseil, un détail des misères et des embarras qui assiègent le pauvre homme suivant la cour, soit en station, soit en voyage, tels que de n'avoir ni repos, ni sommeil, ni liberté, fort souvent point d'argent avec force obligation d'en donner aux valets du prince, aux archers, aux muletiers, d'en prêter aux bons amis, d'en dépenser pour soi en habits somptueux qu'il faut changer sans cesse; que savons-nous encore, et cela d'ordinaire pour n'avoir pas même une parole du maître, un regard du favori, un écu du trésorier, et se voir assailli d'envieux qui vous croient puissant, et de cliens qui vous somment de faire leur fortune. Mettez que vous ayez tant fait que d'être un jour emplumé; voici tout d'abord les honnêtes cavaliers et les honnêtes dames vous plumant, qui d'une aile, qui de l'autre. Pour être calomnié, pour moqué, c'est le destin du courtisan, c'est sa vie; il faut qu'il s'y résigne. S'il se tait, c'est un lourdaud; s'il parle, c'est un importun; s'il dépense, on l'appelle prodigue; s'il est ménager, avaricieux; s'il demeure au logis, hypocrite; s'il visite, entremetteur; s'il est grandement suivi, ils disent qu'il est fol et superbe; s'il mange seul, qu'il est honteux et misérable; conclusion que de mille courtisans il n'y en a pas trois qui profitent.—Mais aussi comment contenter les gens de cour? les loger à leur goût, il n'y a pas moyen, d'autant qu'il faut loger non seulement leur train, mais encore leur folie, et cela plus près du palais que de l'église.—L'article des logemens occupe long-temps Guevara; c'est que dans toute cour l'article est capital pour un homme qui veut s'y pousser, et l'était surtout alors à la cour d'Espagne, si voyageuse à dos de mules et de mulets, dans un pays si dépourvu, tellement que le personnage dont chacun avait le plus affaire et qu'il fallait le plus caresser était le grand-maréchal des logis du roi. Caressez donc, Messieurs, flattez les officiers des logis, mais gardez-vous de hanter les femmes et les filles de vos hôtes! c'est une trahison infame de le faire. Passe pour gâter leurs meubles, leurs lits, leur linge, abattre les pots à bouquets, rompre les garde-fols, descarreler les planchers, barbouiller les murailles et faire bruit dans la maison; mais aborder leurs femmes et leurs filles, cela mérite d'avoir le col tordu et les mains coupées; lisez plutôt Suétone dans la vie de Jules-César, Plutarque en son Traité du Mariage, et Macrobe en ses Saturnales. «N'avez-vous donc pas à la cour assez de provisions de ce genre étalées en toute saison?»—Cependant voulez-vous gagner la faveur du prince? sachez lui plaire par le respect et l'à-propos; ensuite, mais en second lieu, servez-le bien.

C'est une chose fragile que la faveur, et on ne la retrouve plus quand une fois elle est échappée.—Quiconque a mis son prince en colère ne doit plus compter sur sa faveur.—L'activité est bonne, l'adresse bonne, la fourberie mauvaise, la vertu utile, la fortune toute puissante.—Parlez peu souvent au prince; et pourquoi lui parleriez-vous souvent? pour médire? il vous craindra; pour lui donner avis secret? il ne vous croira pas; pour le conseiller? c'est vanité qui le blessera; pour lui conter des balivernes? familiarité choquante; pour le reprendre? il vous chassera; pour le flatter? il vous méprisera; le plus sûr est donc de parler peu souvent à lui. Quand vous vous y hasardez, que ce soit à l'oreille gauche, afin que le prince ait toujours la main droite.—Ne sentez alors ni le vin, ni l'ail.—Ne toussez ni ne crachez.—Point de gestes de tête, ni de la main; point de remuement de barbe; on devient odieux par les contraires. J'ajouterai à ces sages leçons de Guevara un important précepte: En voiture, gare les jambes, et n'ayez ni nécessités, ni inconvéniens, autrement c'est fait de vous.—Rire quand le prince se gausse de quelqu'un; bon, bon: mais rire sans éclats, et ne pas se gausser pareillement.—Soyez connu de tous ceux qui approchent le prince; bien traité d'eux ou foulé aux pieds, n'importe; soyez connu.—Point de presse à vous entremêler des hautes affaires; le maître ne les confie qu'aux gens retenus.—Combattez vos ennemis, sans laisser de leur parler ni de les saluer avec politesse, la cour est une lice de chevaliers, non une arène de gladiateurs.—Il y a des hommes simples à la cour qui prennent pour bons tous les avis qu'on leur donne; erreur notable! la plupart de ces avis sont des embûches.—Il y en a d'autres qui, pour être assidus, se font chenilles; autre erreur notable!—Rien à gagner pour un courtisan à dîner fréquemment en ville, le maître en serait jaloux.—Il convient d'être bien habillé et bien suivi. Chicherie, mort du courtisan.—Ayez des mules bien pansées et équipées, et ne manquez pas de proposer aux dames de les porter en croupe au palais.—Il est bon de donner, parfois, quelque pièce de soye ou quelque bague de valeur aux huissiers du palais; bon également d'être courtois avec les dames. Quant à en servir une particulière, cela n'est bon que si l'on a force plumes à perdre.—La présence fréquente au manger et au lever du roi est d'excellent régime. C'en est un très mauvais que de s'accoster des bouffons et des bavards.—A la chasse, un fin courtisan court le roi, pendant que le roi court la bête.—A table avec le roi, il prend moins plaisir à boire et à manger qu'à se voir en si haut lieu.—Méprisez les méchans discours, afin de mieux venger et plus sûrement vos injures.—Vos ennemis véritables, ceux-là seuls qui sont dignes de vos traits, ne sont pas les mal disant de vous, mais les mieux plaisant que vous.—Si vous apercevez quelque buffet préparé dans un coin des appartemens du roi, n'en approchez pas, car ce buffet n'est peut être ainsi disposé que pour donner aux mauvais desseins, s'il y en avait, l'occasion de se manifester.—Suivez la faction de vos pères dans cet empire des factions. Rien ne préjudicie tant à la fortune des courtisans que d'en changer.—A la cour on ne compte pas par individus, mais par familles.—Maintenant venons aux favoris. Ils n'ont plus qu'à se maintenir, et pour ce, ils ne doivent pas se troubler de l'envie qu'ils causent, car elle est inévitable.—Il leur suffit de surveiller les envieux, de ne se mêler d'aucune autre querelle que de celles du prince, d'expédier promptement les affaires. On supporte les refus prompts et polis, jamais le silence ni le dédain.—Qu'ils ne soient, aux gens, ni ingrats ni fâcheux; qu'ils dirigent et contiennent leurs employés.—Un favori peut être impunément, ce qu'à Dieu ne plaise toutefois, luxurieux, gourmand, envieux, paresseux, colère; mais tôt ou tard, il paie chèrement la superbe. La braise ne se conserve que sous les cendres.—L'avarice est dommageable au favori, vu que n'attachant que lui à sa richesse, elle ne donne à sa richesse qu'un seul appui.—Qu'il mette une borne à sa cupidité; car, outre que le cupide ne se désaltère pas plus que l'hydropique, il arrive communément qu'une fois devenue bête grasse, il sert au prince de festin.—Favoris, ne vous fiez pas trop sur votre faveur; l'histoire vous le conseille! ne soyez point esclaves de ce monde périssable; Dieu vous le défend.—Si vous voulez mourir gens de bien, quittez la cour avant de vieillir!—Je ne puis mieux finir que par ce grand trait l'analyse de cet ouvrage agréable et profond.


LYON MARCHANT.

Satire françoise sur la comparaison de Paris, Rohan, Lyon, Orléans, et sur les choses mémorables, depuys l'an mil cinq cens vingt quatre, soubz allégories et énigmes, par personnages mystiques, jouée au collége de la Trinité, à Lyon, mil CCCCC XLI. On les vend à Lyon, en rue Merciere, par Pierre de Tours. (1 vol. in-12 gothique, de 27 feuillets.) M.D.XLII.

Ce n'est pas le volume imprimé que nous possédons, mais une parfaite copie manuscrite, figurée, faite dans le XVIIIe siècle, de cette satire de Barthélemy Aneau, qui fut jouée à Lyon, en 1541, au collége de la Trinité, et imprimée aussi à Lyon, en 1542, par Pierre de Tours. L'imprimé, selon M. Brunet, no 9899, est devenu si rare, qu'un exemplaire s'en est vendu 201 liv. chez le duc de la Vallière, et 210 liv. chez M. Gaignat. Notre copie, qui est unique, n'est donc guère moins précieuse que l'original; elle a, de plus, le mérite de renfermer, outre le Lyon Marchand, 1o l'Adventure du capitaine Tholosan, en 1541, avec cette devise: Liberté plus que vie; 2o l'Adventure du Ramoneur envers dame Jeanne le Reste, belle Lyonnaise, Baiser libéral; 3o diverses Epigrammes latines et françoyses; 4o la Traduction d'une Épître de Cicéron à Octave, par Barthélemy Aneau, avec une Dédicace à Mellin de Saint-Gelais; 5o des Vers latins de Corneil Severe, docte romain, sur la mort de Cicéron, avec la traduction en vers françoys.

(1541-42—1750.)

La satire du Lyon marchant est une comparaison des avantages de la ville de Lyon avec ceux des autres principales villes de France, telles que Paris, Rouen et Orléans, où la palme est décernée à la première.

Paris monté sur un cheval Rohan,
Paris appreins aux amours plus qu'aux armes
Divins corps nudz touljours veoir vouldroit bien,
Mais en ayant ses pasteurs bons gens d'armes
Pour estre grand et monté sur Rohan, etc., etc.

Europe est grande et pleine de bonté;
Aurelian est un fort chien couchant;
Et Paris est dessus Rohan monté,
Mais devant tous est le Lyon marchant.

Ce vers, qui termine la pièce préliminaire ou le prologue intitulé: Le cry des Monstres de la Satire, devient comme le refrain de l'ouvrage. Quant à la satire elle-même, elle offre une perpétuelle et obscure allégorie où l'on voit figurer divers monstres et personnages fabuleux, tels qu'un lion, Arion monté sur un dauphin, Vulcain, Aurélien l'empereur, Paris monté sur un cheval rohan, Androdus, Europe, Ganimède et la Vérité toute nue, qui devait être curieuse à voir sur le théâtre du collége de la Trinité. Arion, sur son dauphin, ouvre la scène en chantant sur le luth un lay piteux et lamentable; puis il jette son instrument et se met à plorer la mort du Dauphin, fils de François Ier, otage de son père à Madrid; mort funeste attribuée au poison. Sur ces entrefaites, Vulcan sort d'un souterrain, armé d'une serpentine dont il tire un coup en criant: Avez-vous peur?... et oui vraiment Paris a peur, Paris, qui dormait au pied du mont Ida; Androdus, Ganimède et la Vérité, qui n'étaient pas loin, ont tous grande peur à ce méchant tour de Vulcan. Ils accourent sur le théâtre esbahis. «Hau! qu'est-ce celà?» dit Paris; à quoi Vulcan, toujours plaisant, répond:

C'est un coup de matines
Que Vulcan sonne avec son gros beffroy, etc.

Allusion à l'attaque soudaine de Charles-Quint contre François Ier.—On se doute bien que Lyon n'a pas peur:

Hà faut-il craindre? oncq crainte n'esprouvay;
Je me retire en mon fort jusqu'au fond, etc.

Là dessus Arion se met à raconter en vers ses longues infortunes expliquées ensuite par la Vérité, d'où il suit qu'Arion, jeté en mer, est le roi de France fait prisonnier à Pavie, par trahison. Puis Lyon vient faire une sortie contre Henri VIII, au sujet des troubles d'Angleterre. A son tour, Paris expose les fatals exploits du comte de Nassau, en Picardie, et comme il battit en brèche la ville de Péronne. Europe prend ensuite la parole pour déplorer les conquêtes du sultan Soliman, menaçantes pour la chrétienté. Dans ce conflit de malheurs, Paris, Lyon et Aurelian (Orléans) réclament l'honneur de défendre le cueur d'Europe, c'est à dire la France. Lyon dit que cet honneur lui revient, en sa qualité de seul lion qui soit en France. Paris fait valoir ses droits de capitale, étant Paris sans pair. Aurelian observe qu'il a vaincu la reine de Palmyre. «Et moy, reprend Paris, ne suis-je pas Pâris le beau fils de Priam?»

Mais je (réplique Lyon), qui de nature
Suis la plus noble et forte créature, etc.

Voyez un peu tout ce qu'en dit cy Pline
En naturelle histoire et discipline, etc., etc.

Paris, fatigué des vanteries de Lyon, lui coupe la parole avec ces mots:

Pourquoy eus-tu donc peur des lansquenets,
Quand d'Avignon, venant du camp du roy,
Passoient par toy? etc., etc.
LYON.
................ Ce ne fut pas moy,
C'estoient un tas de dames et muguettes
Qui avoient paour de ces longues braguettes, etc.
PARIS.
Plus excellent je suis.
LYON.
Je n'en croy rien.
PARIS.
J'en croy la vérité.
LYON.
Et moy aussi.
AURELIAN.
Allons donc la chercher, etc.

La Vérité sort aussitôt de terre, et dit: «Veritas de terra orta est; justitia de cœlo prospexit.» On lui demande de donner sa sentence, ce qu'elle fait en ces termes, faisant à chaque ville sa part:

Aurelian est de grand providence
Pour obvier à fortune, etc.....
Son esperit est conduit par prudence, etc., etc.

Paris est beau, etc..................
De tous les arts et sciences sachant,
Très éloquent et en vers et en prose
Mais devant tous est le Lyon marchant.
Lyon marchant, assis en son hault trône,
Ayant le chef de haults monts couronné
Comme Corinthe est de deux mers, du Rhône
Et de la Saône il est environné, etc., etc.

Donc devant tous est le Lyon marchant.

Cela pouvait être vrai en 1541; il en est autrement en 1833.

Le petit poème, en l'honneur du capitaine Tholosan, nous apprend que ce hardi gendarme mit à mort le séducteur de sa sœur, vint ensuite du Piémont, son pays, en France, où il servit bravement François Ier contre les Piémontais, finit par devenir insolent, se fit mettre en prison à Lyon d'où il s'échappa violemment après avoir tué trois geoliers; fut enfin repris et décapité. Conclusion que:

S'il est captif maintenant en enfer,
D'estre tué se garde Lucifer;
S'il est au ciel, c'est un pays libere
Dont départir jamais ne délibère.

L'advanture du Ramoneur avec la dame Jeanne le Reste est écrite en termes trop crus pour être rapportés; c'est assez qu'on sache que le Ramoneur, surpris avec ladite dame par son galant, reçoit de lui, au lieu de châtiment, un baiser et deux écus préparés pour madame le Reste.

Il n'y a rien à dire de la lettre fulminante de Cicéron à Octave, écrite peu de temps avant de mourir, si ce n'est que la traduction en est énergique dans sa gothicité. Elle est précédée du dixain suivant:

Le cygne chante approchant de mort l'heure;
Le porceau crie, ayant de mort doubtance;
Le cerf legier mourir innocent pleure;
L'homme gémit, craignant la conséquence;
Ainsi chantant en douleur d'éloquence,
Ainsi criant en exclamation,
Ainsi plorant en triste affliction,
Ainsi plaignant son innocente fin,
Marc Ciceron, en dernière action,
De cygne, porc, cerf et homme eut la fin.

Barthélemy Aneau, qualifié par La Croix du Maine de poète français et latin, historien, jurisconsulte et orateur, naquit à Bourges vers le commencement du XVIe siècle, fut professeur de rhétorique au collége de la Trinité, à Lyon, et mourut misérablement en juin 1565; ayant été massacré par le peuple comme protestant, sur le faux soupçon qu'une pierre lancée, sur le Saint-Sacrement, de la maison qu'il habitait, était partie de sa fenêtre au moment où passait la procession de la Fête-Dieu. Il était lié avec Clément Marot, Mellin de Saint-Gellais, etc. La traduction en vers des emblêmes d'Alciat est de lui. Sans doute il avait le mérite d'une vaste érudition pour avoir été si estimé des plus beaux esprits de son temps; mais, sans compter son plat mystère de la nativité de Notre Seigneur Jésus-Christ, il a composé tant d'ouvrages pitoyables, selon la liste qu'en donne le P. Niceron, qu'on ne saurait lui accorder un autre mérite: aussi n'en parlons-nous que pour continuer la chaîne des idées et du goût des peuples dans les divers âges de la littérature moderne.


LE SECOND ENFER
D'ETIENNE DOLET,
NATIF D'ORLÉANS,

Qui sont certaines compositions faictes par lui mesme sur la justification de son emprisonnement. A Lyon, 1544, in-16. Réimprimé in-8 en 1 vol., à Paris, chez Tastu, 1830; Techener, éditeur, et tiré à cent vingt exemplaires seulement.

(1544—1830.)

Étienne Dolet, savant imprimeur de Lyon, naquit en 1500, à Orléans, de parens riches et distingués. Sans être athée, comme on le disait, sans être même précisément hérétique, il se fit, par la liberté de ses discours et surtout par son goût pour la critique sévère, de si grands ennemis, qu'il devint la victime des théologiens de son temps et fut brûlé vif, à Paris, dans la place Maubert, le 3 août 1546. Son livre du Second Enfer est d'une excessive rareté, des deux éditions originales. La bibliothèque royale n'en possède aucun exemplaire. La Mazarine n'en a qu'un seul de l'édition de Paris, in-16, contenant 52 feuillets non paginés. Un amateur distingué, M. le comte de Ganay, s'en est procuré un de l'édition de Lyon, laquelle est paginée et d'un format plus élégant, également in-16. C'est sur ces deux exemplaires qu'a été faite la belle réimpression de 1830 qui déjà n'est plus commune dans le commerce. Le Second Enfer réimprimé renferme: 1o des épîtres en vers adressées par l'auteur à ses meilleurs amis, au roi François Ier, à M. le duc d'Orléans (Louis XII), à la reine Marguerite de Navarre, au cardinal de Tournon, au cardinal de Lorraine, à la duchesse d'Estampes, au parlement de Paris, aux chefs de la justice de Lyon; 2o la traduction du dialogue attribué par les uns à Platon, par les autres à Eschine, qui a pour titre Axiochus et pour interlocuteurs Socrate, Clinias et Axiochus; et la traduction d'un autre dialogue de Platon intitulé Hipparchus ou de la convoitise de l'Homme touchant la lucrative; 3o un cantique en vers composé pendant que Dolet était sous les verrous de la Conciergerie, sur sa désolation et sa consolation. On a peine à imaginer, après avoir lu la traduction de l'Axiochus, comment des juges purent être assez stupidement barbares pour condamner Dolet au plus affreux des supplices à cette occasion. Socrate, dans cet entretien, entreprend de rassurer Axiochus contre la crainte de la mort, et dans ce but il ne lui fait pas seulement l'exposé des misères de la vie humaine dans les diverses conditions, il oppose à ce tableau tout moral la certitude de l'immortalité de l'ame et l'espoir d'une éternité bienheureuse fondé sur la pratique des vertus. Il est vrai que, dans un certain passage, Socrate rapporte une raison de mépriser la mort, plus subtile que sensée: «La mort n'est rien encore avant de frapper, dit-il, et quand elle a frappé ce n'est plus rien, puisque son sujet n'a plus de sentiment.» Mais d'abord Socrate ne donne pas cette raison de son fonds; il la tire d'un certain Prodicus, et ne s'y arrête guère, pour passer sur-le-champ aux espérances de la philosophie religieuse; ensuite, Socrate ou Prodicus, Platon ou Eschine ne sont pas Étienne Dolet. Voilà cependant pour quel motif apparent Dolet fut brûlé vif comme athée, relaps, à la grande joie du peuple! C'est un crime judiciaire ineffaçable et honteux pour la mémoire du prince qui l'a souffert. Mais Dolet méprisait les arguties de la scolastique; il était fatigué des mots et allait droit aux choses; il aimait passionnément Cicéron et Platon, et beaucoup plus que Pierre Lombard, que Scot, qu'Angelus Odonus, l'anticicéronien; il entrevoyait la prochaine émancipation des esprits et la favorisait; enfin il était sincère, pauvre et hardi: pouvait-il échapper? c'est ce que fait admirablement ressortir l'auteur anonyme d'un avant-propos aussi chaleureusement écrit que bien pensé, intitulé: Réhabilitation, dont notre réimpression est enrichie. On ne saurait lire cette courte introduction sans être profondément ému. Gardons-nous de la croire inutile aujourd'hui. La pitié pour de tels malheurs sera toujours de saison, car il y aura toujours des hypocrites, des bourreaux et un peuple pour les applaudir. La prose d'Étienne Dolet vaut mieux que ses vers, sans offrir pourtant le mordant de celle de Henri Étienne; la grace naïve et simple du style d'Amyot, ni la pittoresque vivacité du langage de Montaigne; mais la hauteur des idées, la noblesse des sentimens, le pathétique de la situation rachètent, dans ces vers, l'incorrection et le prosaïsme. On en peut juger par les citations suivantes:

Quand on m'aura ou bruslé ou pendu,
Mis sur la roue, et en quartiers fendu,
Qu'en sera-t-il! ce sera un corps mort!
Las! toutefois, n'aurait-on nul remord?

Ung homme est-il de valeur si petite,
Sitôt muni de science et vertu,
Pour estre, ainsi qu'une paille ou festu,
Anihilé? Fait-on si peu de compte
D'ung noble esprit qui mainte aultre surmonte? etc., etc.

Et ailleurs:

O que vertu a de puissance!
O que fortune est imbécille!
O comme vertu la mutile!
Vertu n'est jamais inutile,
Les effets en sont évidens;
Ne plaignez doncq mes accidens,
Amys, doulcement je les porte,
Car vertu toujours me conforte.

Finissons par ces deux vers qu'il adressait aux Français et dirigeait contre la Sorbonne qui voulait détruire l'imprimerie:

C'est assez vescu en tenebres!
Acquérir fault l'intelligence.

Une des devises de Dolet était celle-ci: Durior est spectatæ virtutis quam incognitæ conditio. (La condition de la vertu est plus dure aperçue qu'ignorée.)


MARGUERITES
DE LA
MARGUERITE DES PRINCESSES,
TRÈS ILLUSTRE ROYNE DE NAVARRE.

A Lyon, par Jean de Tournes, M.D.XLVII. 2 vol. in-8.

(1546—47.)

Ces perles sont le recueil complet des Œuvres poétiques de la belle, sensible et spirituelle Marguerite de Valois, sœur chérie de François Ier; plus connue dans le monde littéraire et galant, par les contes imités de Boccace, dits l'Heptaméron. Cette aimable princesse, née en 1492, veuve du connétable duc d'Alençon, en 1525, peu après la catastrophe de Pavie, alla consoler son auguste frère dans sa prison de Madrid, fut ensuite remariée par lui, en 1527, à Henri d'Albret, roi de Navarre, et mourut à 57 ans, dans le Bigorre, le 2 décembre 1549, vingt mois et deux jours après ce frère qu'elle avait tant aimé, avec lequel elle avait tant de rapports de caractère, de goûts et de sentimens. Quelque mérite qu'on puisse trouver à ses écrits, il faut convenir que son plus bel ouvrage fut cette Jeanne d'Albret, mère de notre Henri IV, à qui la France doit son meilleur roi, et l'humanité, le modèle, peut-être, de tous les rois. Nous rapporterons ici les différentes pièces de son trésor poétique, dans l'ordre selon lequel son écuyer, valet de chambre, Simon Sylvius, dit de la Haye, les a rangées, après avoir obtenu, pour leur publication, un privilége du parlement de Bordeaux, signé du président de Pontac, le 29 mars 1546.

1o. Le miroir de l'ame pécheresse, poème que la Sorbonne censura d'abord comme contenant des propositions qui se rapprochaient des sentimens des réformateurs. Il faut bien avoir des yeux de docteur pour découvrir des propositions mal sonnantes dans ce petit ouvrage où l'on retrouve sainte Thérèse plutôt que Calvin; qui respire la pénitence et le plus tendre amour de Dieu; dans lequel, enfin, la présence réelle n'est pas seulement professée par ces vers:

«Me consolant par la réception
»De vostre corps très digne et sacré sang;»

mais encore où le sont, en mille endroits, les dogmes enseignés par l'Église, et qui n'est, à proprement parler, qu'une paraphrase de divers passages de l'Écriture sainte; témoin ce qui suit:

... Pareillement espouse me clamez
En ce lieu-là, montrant que vous m'aimez
Et m'appelez par vraie amour jalouse
Vostre colombe aussi et votre espouse.
Parquoy direz par amoureuse foy
Qu'à vous je suis et vous estes à moy.
Vous me nommez amye, espouse et belle;
Si je le suis, vous m'avez faite telle;
Las! vous plaist-il tels noms me départir?
Dignes ils sont de faire un cœur partir,
Mourir, brusler, par amour importable, etc., etc.

Ce ton d'ascétisme passionné continue jusqu'à la fin; certes il y a loin de là aux emportemens de l'invective luthérienne, aux sarcasmes de l'ironie calviniste; mais quoi! plutôt que de ne pas trouver de matière à disputes, les docteurs en verraient sur le dos d'un antiphonier. Il est bien vrai que Marguerite de Valois avait, dans l'origine, reçu avec faveur les premières semences de la réforme; ainsi l'avait fait presque toute la cour, ainsi la plupart des beaux-esprits du temps. Cette réforme avait alors de si belles paroles à la bouche, tant de justes plaintes à former, tant de science et d'esprit, un style et des discours si clairs, et partant si supérieurs aux arguties de la scolastique expirante, que beaucoup de gens de bonne foi, que les chrétiens le plus orthodoxes pouvaient s'y laisser prendre et qu'un grand nombre y fut pris. La reine de Navarre goûta donc mieux d'abord Clément Marot que Schnarholtzius, Théodore de Bèze que l'abbé de Saint-Victor Lyset, Érasme que Pfeffercorn, André de Hutten que Gratius Ortuinus, etc. Le beau crime! François Ier lui-même en fut dans ce temps-là complice; mais, plus tard, quand le monde s'ébranla au nom de ces pacifiques évangélistes; quand on vit de toutes parts l'Eglise insultée, ses ministres menacés dans leurs biens et dans leurs personnes, le glaive tiré jusque sur la tête des princes et du pontife, et de téméraires novateurs soutenant, au nom de la raison, d'autres dogmes sacrés, avec des bûchers et des brigandages, les ames droites et honnêtes, les esprits sages et prévoyans, pour la plupart, s'arrêtèrent. Marguerite de Valois, des premières, fut de ce nombre, et dans tout état de cause, à quelque date de sa vie qu'il faille rapporter son Miroir de l'ame pécheresse, on ne saurait rien voir dans ce poème que de religieux et d'édifiant.

2o. Discord estant en l'homme par la contrariété de l'esprit et de la chair, et paix par vie spirituelle. Plus dévotieux que poétique.

3o. Oraison de l'ame fidèle a son seigneur Dieu. Elle est beaucoup trop longue. En général la diffusion est le défaut de la Marguerite des Marguerites. Cependant le début de son oraison a de la majesté:

Seigneur duquel le siége sont les cieux,
Le marchepied, la terre et ces bas lieux,
Qui, en tes bras, enclos le firmament,
Qui est toujours nouveau, antique et vieux,
Rien n'est caché au regard de tes yeux;
Au fond du roc tu vois le diamant,
Au fond d'enfer ton juste jugement,
Au fond du ciel ta majesté reluire,
Au fond du cœur le couvert pensement, etc., etc., etc.

Le dernier vers est plein de passion:

«Las! viens Jésus! car je languis d'amours!»

4o. Oraison de nostre seigneur Jésus-Christ. On voit que, dans l'ordonnance de son édition, La Haye a fait passer toutes les œuvres spirituelles avant toute pièce profane. Cette marche est probablement contraire en général à l'ordre chronologique.

5o. Comédie de la nativité de Jésus-Christ. Joseph et Marie, pour obéir à l'ordre d'Hérode, se rendent à Jérusalem. Arrivés à Bethléem, Marie se sent prise du mal d'enfant. Elle reçoit l'hospitalité dans une étable. Joseph va chercher à la ville ce qui est nécessaire. Pendant ce temps-là, Marie, assistée de Dieu et des anges, accouche d'un fils au milieu d'un concert céleste de louanges et de bénédictions. Joseph revient, trouve Marie mère d'un enfant adorable; il l'adore. Viennent trois bergers et trois bergères qui en font autant. Satan, attiré par ces adorations et ces cantiques, vient voir de quoi il s'agit et entre en grande fureur. Il fait de la métaphysique pour détourner les bergers de leur adoration; mais Dieu paraît, toujours avec un chœur d'anges, qui fait taire Satan, et la comédie finit.

6o. Comédie de l'adoration des trois rois a Jésus-Christ. Dieu le père ouvre la scène: il commande à Philosophie, Tribulation, Inspiration et Intelligence divine d'aller chercher les trois rois Balthasar, Melchior et Gaspard pour qu'ils viennent adorer l'enfant Jésus nouveau-né. Il ordonne aussi à ses anges d'envoyer aux trois princes une étoile pour les guider. Aussitôt dit, aussitôt fait. Les trois rois paraissent, cherchent l'enfant, sont quelque peu détournés par Hérode qui cherche aussi l'enfant avec ses docteurs pour le faire mourir; mais Dieu pare à tout inconvénient. Les trois rois trouvent celui qu'ils cherchaient et l'adorent pendant que les anges font chorus. Tout cela est d'une naïveté de diction presque ridicule. Il y a des choses qu'il faut laisser où elles sont, de peur de les gâter en les touchant.

7o. Comédie des innocens. On voit du moins une pensée dramatique dans cette pièce et même une pensée de génie. Hérode a commandé le meurtre de tous les enfans nouveau-nés, de peur de laisser vivre celui que les prophètes ont annoncé comme devant régner à Jérusalem. Dieu sait bien garantir son fils en le faisant emporter en Égypte par Joseph son père putatif et Marie sa mère immaculée. Le théâtre se remplit de mères avec leurs petits enfans. La nourrice du fils d'Hérode, par l'effet d'une méprise, obéit à la loi commune, ne se doutant, non plus que personne, de l'objet de cette réunion de tous les petits enfans de la Judée. Arrivent les soldats conduits par un farouche capitaine. Le signal est donné de tuer toutes ces innocentes créatures. Cris, lamentations, supplications des mères. La nourrice du petit Hérode a beau crier que son nourrisson est le fils du roi; la soldatesque a commencé, elle n'écoute rien, et l'enfant d'Hérode est massacré, quand Hérode tout d'un coup paraît triomphant. La nourrice court à lui et l'informe en pleurant de la fatale méprise. Alors le monstre entre dans un furieux désespoir, et Rachel met le comble à sa rage désespérée en lui apprenant que l'enfant Jésus est sauvé. Cependant les anges se réjouissent et chantent des cantiques au plus haut des cieux. Cette comédie est infiniment supérieure aux autres.

8o. Comédie du désert. Dieu subvient, dans le désert, aux besoins de Joseph, de Marie et de l'enfant Jésus, en leur envoyant Contemplation, Mémoire et Consolation, escortées d'anges en nombre suffisant. Tout se passe en saints discours, fort ennuyeux, il faut bien le dire: c'est la plus triste comédie de Marguerite.

9o. Le Triomphe de l'Agneau. C'est la victoire remportée par le Messie sur le péché originel. L'ouvrage est d'une longueur et d'une fadeur insupportables.

10o. Complainte d'un Prisonnier. On sent que le Prisonnier n'est autre que François Ier. La complainte est touchante, mais n'est pas plus poétique pour cela.

11o. Chansons spirituelles. La première fut composée pendant la dernière maladie du roi, Marguerite étant malade de son côté. Elle respire le plus vrai sentiment et une douce piété; elle s'adresse à Dieu:

Las! celui que vous aimez tant
Est détenu par maladie
Qui rend son peuple mal content,
Et moi envers vous si hardie.

Puisqu'il vous plaist lui faire boire
Votre calice de douleur,
Donnez à nature victoire
Sur son mal et nostre malheur!

Je regarde de tous costés
Pour voir s'il n'arrive personne,
Priant sans cesse n'en doutez
Dieu, que santé à mon roi donne, etc., etc.

La seconde chanson est faite après la mort du roi:

Las! tant malheureuse je suis
Que mon malheur dire ne puis
Sinon qu'il est sans espérance.
Désespoir est déjà à l'huis
Pour me jeter au fond du puits
Où n'a d'en saillir l'espérance, etc., etc.

Autre Chanson:

Je n'ay plus ni père, ni mère,
Ni sœur, ni frère,
Si non Dieu auquel j'espère, etc., etc.

12o. L'histoire des satyres et nymphes de Diane. Ce petit poème a de l'agrément. Les faunes et les satyres y courent après les nymphes de Diane que le son des hautbois a imprudemment attirées près d'eux. Au moment de les atteindre, ils sont déçus dans leurs amoureux transports, et voient changer en saules cette troupe fugitive, à la prière d'une nymphe aimée de la chaste déesse. Moralité qui enseigne aux jeunes filles à fuir les plaisirs les plus innocens quand ils leur sont offerts par des hommes.

13o. Épistre au roi son frère, renfermant des vœux et des prières pour sa prospérité.

14o. Autre épistre de la mesme au mesme, en lui envoyant un David pour ses étrennes. David y est proposé au roi comme modèle.

15o. Réponse du roi a sa sœur, en lui envoyant une saincte Catherine pour ses étrennes. François Ier y promet assistance à sa sœur, sans doute au sujet de la Navarre que Charles-Quint retenait malgré le traité de Noyon de 1519.

16o. Autre épistre de la reine de Navarre au roi, pour le complimenter du ravitaillement de Landrecy, en 1543; action brillante pour François qui commandait en personne une armée opposée à Charles-Quint. La lettre finit par ces vers:

«De tous mes maulx reçeus auparavant
»Je n'en sens plus, car mon roy est vivant.»

17o. Épistre de la reine de Navarre au roi pour le féliciter de ce que ses sentimens se tournent vers la dévotion.

18o. Épistre de la même au roi de Navarre, Henri d'Albret, son deuxième mari, pendant une maladie qui le retenait au lit.

«Sera de cœur un Te Deum chanté,
Le suppliant à vous et nous donner
Grace et santé pour plus n'abandonner
Celle qui veult, mesmes en paradis,
Estre avec vous, et plus ne vous en dis.»

19o. Les quatre dames et les quatre gentilshommes. La première dame est aimée et ne veut pas aimer à cause des tourmens dont l'amour est cause. Elle cherche à éloigner son amant, mais ses exhortations sont annulées par ces trois derniers vers qui sont bien jolis:

Or n'esperez de me voir désormais;
Car, pour la fin, je vous jure et promets
Qu'autre que vous je n'aimerai jamais.

La deuxième dame aime un trompeur; elle se lamente; toutefois elle forme le dessein de mourir plutôt que de renoncer à sa passion. La troisième dame, toute fidèle, cherche à guérir son jaloux amant de ses soupçons, et lui tient des discours, à cette fin, les plus tendres et les plus délicats du monde. La pièce est charmante et fort bien écrite pour le temps. La quatrième dame se répand en pleurs et gémissemens au sujet de l'abandon d'un perfide inconstant. Il y a trop de ressemblance entre ce quatrième cas et le deuxième. Passons aux quatre gentilshommes. Le premier, à force de respecter sa dame et de n'oser lui déclarer ses feux, s'en va mourir consumé. Enfin, au moment de mourir, il se déclare, le pauvre gentilhomme; mais il est bien tard. Le deuxième gentilhomme, favorisé de sa dame, en est si follement joyeux qu'il ne se peut tenir de conter son bonheur à sa belle avec toutes circonstances d'elle bien connues. S'il ne le conte pas à d'autres, il n'y a point de mal. Troisième gentilhomme. C'est un martyr qui trépasse des rigueurs de sa dame et veut au moins lui faire pitié avant son trépassement. Son cas est en effet pitoyable. Le quatrième et dernier gentilhomme fait à sa dame une déclaration d'amour en bonne et due forme; il en espère peu en ce monde vu la grande vertu d'icelle dame, mais il se rabat sur l'idée de la tenir embrassée en paradis. Voilà un amoureux qui sait attendre; Dieu veuille que tout lui vienne à point.

20o. La comédie. Deux Filles, deux Mariées, la Vieille, le Vieillard et les quatre Hommes. La scène s'ouvre par un dialogue entre deux Filles rieuses. La première parle contre l'amour, qui, dit-elle, rend esclave. La deuxième est d'un avis contraire et soutient que la liberté sans amour n'est bonne à rien. La dispute continue sur ce ton sans s'échauffer ni échauffer personne. Paraissent, à l'autre coin du théâtre, deux Mariées pleureuses: l'une se plaint d'être maltraitée de son mari; l'autre se dit plus malheureuse, étant jalouse avec sujet de l'être. Les deux couples s'abordent et se questionnent les uns les autres sur leurs rires et leurs doléances. Survient fort à point, pour juger, une Vieille qui a résisté à l'amour durant vingt ans, puis qui l'a servi vingt ans, après quoi elle a pleuré soixante ans son ami qu'elle a perdu. La Vieille a donc cent ans de compte fait et de l'expérience à proportion. Aussi la première Mariée, en la voyant, s'écrie-t-elle:

«Voilà une dame authentique!
»Quel habit! quel port! quel visage!»

La deuxième Mariée répond:

«Hélas! ma sœur, qu'elle est antique!»

Et les deux Filles de s'écrier à leur tour:

«Voilà une dame authentique!»

La consultation se fait: disons en résumé que la Vieille conseille à la première Mariée de se consoler des boutades de son mari avec un bel oiseau, sans dire quel oiseau; à la jalouse de prendre son infidèle comme il vient et quand il vient; vu qu'un infidèle est fort, et qu'un mari fort vaut mieux qu'un mari mort. A l'égard des deux Filles, la Vieille prophétise, à celle qui paraît sans souci, qu'elle aimera trop, et à celle qui a plaidé pour l'amour, qu'elle se repentira de sa trop grande facilité. Personne jusqu'ici n'est content des discours de la Vieille, mais sitôt qu'à l'arrivée des quatre Hommes elle conseille aux quatre femmes de danser avec eux, tout le monde devient content; la danse commence et la comédie finit; comédie, non, mais causerie souvent très spirituelle.

21o. Farce de Trop, Prou, Peu et Moins. Trop et Prou, après s'être annoncés au public en style énigmatique, se rencontrent, s'abordent, se confient leurs chagrins et voyagent ensemble. Ils voient venir à eux Peu et Moins qui sont d'une gaîté folle. Le dialogue s'établit entre eux, dialogue des plus plats, où l'on aperçoit que l'auteur veut montrer que pauvreté passe richesse. Cela est aisé à dire aux rois et reines.

22o. La coche (la voiture). Le poète ou la poète (car nous pouvons bien dire la poète au lieu du poète, puisque Marguerite dit la coche au lieu du coche), la poète donc avise trois charmantes dames dans une belle prairie, lesquelles menaient un moult grand deuil et contestaient entre elles à qui avait le pire sort et le plus d'honneur. Voici les termes du débat: La première dame souffre de n'être pas aimée de son amant autant qu'elle l'aime. La deuxième dame ne veut pas satisfaire son amant de peur d'être éloignée de ses deux amies, et ce combat entre l'amour et l'amitié la tue. La troisième dame serait heureuse avec son amant adorable et adoré, mais elle souffre tant des douleurs de la première et de la seconde dame, que son propre bonheur s'en évanouit. Là dessus, la poète, interpellée de déclarer laquelle des trois dames mène le pire deuil avec le plus d'honneur, se récuse, et l'on convient d'en référer au roi François Ier, non pas sans doute en son conseil d'État, mais en sa cour d'amours. Voilà nos dolentes embarquées dans la coche pour aller trouver Sa Majesté. Le poème finit avant que le roi soit informé. A défaut de décision royale, nous décidons que, des trois dolentes, la première est la seule malheureuse, et que les deux autres sont deux sottes. L'ouvrage est orné de jolies vignettes en bois.

23o. l'Umbre. Ingénieux et plein de passion. Marguerite, se comparant à l'ombre et son ami au corps, représente la plus intime et la plus parfaite union amoureuse.

24o. La mort et la résurrection d'amour. Galanterie trop alambiquée.

25o. Chansons.

26o. Adieux des dames de la reine de Navarre à la princesse sa fille. On y voit en vers les adieux de mesdames de Grammont d'Artigaloube, de la Benestaye, de Clermont, du Breuil, de Saint-Pather, de la reine, de la sénéchale et de la petite Françoise.

27o. Deux énigmes indéchiffrables.


LE TRESPAS,
OBSÈQUES ET ENTERREMENT

De très hault, très puissant et très magnanime François, par la grâce de Dieu, roy de France, très chrestien, premier de ce nom, prince clément, père des arts et sciences. Ensemble les deux Sermons funèbres prononcez esdites obséques, l'ung à Nostre Dame de Paris, l'aultre à Saint-Denis, en France. De l'imprimerie de Robert Estienne, imprimeur du roy, par commandement et privilége dudit seigneur. 1 vol. in-8 de 106 pages.

(1547.)

Du Verdier dit que cet opuscule est de Pierre Chastel ou du Châtel, évêque de Mâcon, dont Baluze a écrit la vie en latin, et le même qui fit l'oraison funèbre de François Ier. Pierre Chastel ne fut pas seulement éloquent et savant; il se signala par une douceur et une charité remarquables dans ces temps de violence en matière de religion. On ne peut oublier qu'il sauva une première fois, du bûcher, le malheureux Étienne Dolet, en récitant la parabole de l'enfant prodigue. Le Gallia christiana donne sur ce digne prélat les détails suivans: Il s'était élevé par son mérite, avait été fait évêque de Tulle en 1539, fut appelé au siége de Mâcon en 1544, siége qu'il occupa jusqu'en 1552. François Ier, qui aimait passionnément l'entretien des hommes lettrés, l'avait approché de sa personne en qualité de lecteur, d'aumônier et de bibliothécaire, et le recevait journellement à sa table. Il devint grand-aumônier, sous Henri II, en 1548, après la mort de Philippe de Cossé, évêque de Coutances. Nous pensons qu'on le suivra avec intérêt dans l'analyse que nous donnons de son récit et de ses deux discours funèbres.

«Le dernier jour de mars MDXLVII, ledict seigneur estant au chasteau de Rambouillet, aggravé de longue maladie qui se termina en flux de ventre, après avoir parlé à Monseigneur le Dauphin, son filz unique, et l'avoir instruict des affaires du royaume, luy avoir recommandé ses bons serviteurs et officiers, s'estre très dévotement accusé et quasi publiquement confessé de ses faultes et délicts, demandé et reçu tous ses derniers sacremens comme prince très chrestien qu'il estoit de nom et de faict: entre une et deux heures après-midi, rendit l'ame à Dieu. Le corps duquel demoura, pour ledict jour, en son lit ordinaire, jusques au lendemain vendredi matin qu'il fut délivré à ses médecins et chirurgiens pour estre ouvert et vuidé ainsi que l'on a coustume de faire en tel cas, etc., etc.» Le corps fut ensuite porté dans l'abbaye de Haulte-Bruyère, près Rambouillet, où il fut gardé jusqu'au 11 avril, puis transféré à Saint-Cloud, dans la maison de l'évêque de Paris (alors le cardinal du Bellay), où on le mit sur le lit de parade en grande pompe. L'effigie du roi défunt était dressée dans une salle voisine et les repas lui étaient servis par les grands officiers et officiers simples, chaque jour, comme si le monarque eût été vivant. Après onze jours, le corps fut mis dans la bière, et le grand deuil commença. La chapelle ardente dura jusqu'au 21 mai, jour où le corps fut amené à Nostre-Dame-des-Champs pour l'office solennel du cardinal de Meudon. Ce premier convoi fut très pompeux. On y voyait quarante archevêques ou évêques, les cardinaux de Ferrare, de Chastillon, d'Amboise, d'Annebault, d'Armagnac, de Meudon, de Lenoncourt, du Bellay, de Givry et de Tournon, ainsi que les princes du grand deuil, MM. d'Enghien, de Vendôme, de Montpensier, de Longueville et le marquis de Maine (Mayenne). Le 23 mai, dimanche, les obsèques furent criées dans Paris en grand cortége des officiers et magistrats de la ville, et le second convoi se rendit à Nostre-Dame-de-Paris, où il y eut office célébré par le cardinal du Bellay, et oraison funèbre de l'évêque de Mâcon. Dans ce convoi figurèrent les ambassadeurs du pape, de l'empereur, de l'Angleterre, de l'Écosse, de Venise, de Ferrare et de Mantoue, chacun d'eux conduit par un prélat à cheval. Le 24 mai, troisième convoi, de Nostre-Dame de Paris à l'abbaye de Saint-Denys. On marcha à pied jusqu'à Saint-Ladre, puis on monta à cheval jusqu'à la croix qui penche vers Saint-Denys; et là, le cardinal du Bellay remit le corps au cardinal de Bourbon, abbé de Saint-Denis. Même office que la veille, et l'évêque de Mâcon y acheva l'oraison funèbre, après quoi les cérémonies usitées pour l'enterrement terminèrent ces tristes solennités. M. de Sédan apporta, dans le caveau, l'enseigne de la garde des Suisses; M. de Chauvigny, celle des cent archers de la garde; M. le Sénéchal d'Agenois, celle d'autres cent archers de la garde; M. de Nançay, celle d'autres cent archers de la garde, répondant aux trois compagnies des gardes du corps françaises des rois Bourbons; M. de Lorges, celle des cent Écossais de la garde; M. de Canaples, celle des cent gentilshommes de la garde; et M. de Boisy, celle d'autres cent gentilshommes de la garde, dont chacun de ces seigneurs avait la charge. Enfin l'amiral cria: Le roi est mort, cri répété trois fois par le héraut d'armes. Il cria ensuite: Vive le roi Henri, deuxième de ce nom, cri encore trois fois répété, puis la bannière de France fut relevée par l'amiral, ainsi que les enseignes par les seigneurs qui en avaient la charge, et l'on se sépara. N'omettons pas que les obsèques des deux fils de François Ier, morts avant lui, se firent en même temps que les siennes.

Oraison funèbre.—Dans la première partie, prononcée le 23 mai, à Notre-Dame-de-Paris, l'orateur prend pour texte ce verset du Psalmiste: Humiliata est in pulvere anima nostra; conglutinatus in terra venter noster. Notre ame a été humiliée dans la poussière, et notre corps confondu avec la terre. Après un long exorde sur la vanité des grandeurs humaines et la brièveté de la vie, il entre dans son sujet, qui est de célébrer les vertus, les hauts faits, et surtout la pieuse mort du roi. Pierre Chastel commence son récit oratoire par de touchantes expressions de sa propre douleur. Il loue ensuite son héros de sa douceur envers ses serviteurs, de sa générosité envers ses ennemis, de la loyauté de son caractère, de sa modération dans la fortune prospère, comme de sa constance dans les revers, telle, dit-il, que l'on ne l'a jamais vu en la prospérité s'eslever, ni en adversité se rendre. Il relève également la solide érudition du roi, son goût éclairé pour les lettres et les arts; puis, parcourant toute la suite de ses actions militaires, il tire un heureux parti de sa défaite et de sa captivité de Pavie, et, dans l'impossibilité de montrer des victoires constantes, puisque François Ier fut plus souvent vaincu que vainqueur, il le compare à Fabius Maximus, en disant qu'il fut le bouclier de la France encore plus que Fabius ne l'avoit esté de Rome. Mais c'est au tableau des derniers momens du roi que l'orateur s'étend et triomphe. Sa communion, onze jours avant sa mort, si courageuse et si édifiante, le noble et public aveu qu'il fit de ses fautes, les trois bénédictions qu'il donna au Dauphin dans le cours de ces onze cruelles journées, les conseils judicieux qui précédèrent ces bénédictions, la dernière et fatale opération qu'il subit deux jours avant d'expirer, ses adieux à ses serviteurs, son ardeur de se réunir à Dieu par la mort, et enfin l'instant suprême qui mit fin à sa brillante carrière, fournissent au panégyriste sacré des mouvemens et une péroraison très pathétiques. «Enfin, s'écrie l'évêque de Mâcon, avec bien grand'peine, il dict pour la dernière fois: Jésus! et se retournant devers nous, il nous dict, ainsy qu'il put dire, qu'il avoit prononcé le nom de Jésus. Hélas! il me semble que j'aye encores résonnant en mes oreilles le son de sa voix mourante et languissante, qui disoit: je l'ay dict, je l'ay dict Jésus! et après la parolle et la veue perdue, il fit certains signes de la croix sur son lict..... sur quoy il rendist l'esperit à Dieu.—O royaume de France chrestien et catholique destitué de sa glorieuse et fructueuse vie: peuple, noblesse et justice de France, desquels il a continué l'amour et la mémoire jusques à la mort: ministres de l'Eglise catholique qu'il a tenus et défendus en l'authorité de l'ordre hiérarchique de l'église militante, ne debvez-vous avoir perpétuelle mémoire et prier continuellement pour luy? Eglise triomphante, saincts et sainctes, apostres, évangélistes, prophètes, martyrs, et vous, glorieuse mère de Dieu, desquels il a soutenu, observé, honoré la vénération, priez, intercédez pour luy! et vous, Seigneur Jésus-Christ..., méditateur..., recevez l'ame de ce sang royal, et présentez à vostre père cette conqueste de vostre croix! Amen.» La seconde partie a moins de chaleur. La matière prêtait moins à l'éloquence. Ici l'orateur prend pour texte le verset du psaume 43: Exurge, Domine, adjuva nos et redime nos propter nomen tuum. Il quitte le ton de la douleur, se la reproche comme une impiété, et ne veut plus considérer, dans la mort du roi, que son triomphe éternel. Suivent de longs développemens de cette pensée pieuse, que la vie est un danger ou même un malheur, et qu'une mort sainte est le vrai bonheur de l'homme. Tout le sermon (car ce dernier discours est un sermon plutôt qu'une oraison funèbre) roule sur cette seule pensée. L'orateur épuisé ne se soutient qu'à force de citations sacrées; j'en ai compté 115, dont plusieurs tiennent toute une page, en sorte que cette seconde partie n'est guère qu'un long texte traduit. Mais cela même était fort du goût du temps et prouve beaucoup de science théologique et de puissance de mémoire. Pierre du Chastel n'était pas seulement un homme vertueux, éloquent et savant; il eut encore toute la prudence d'un fin politique dans la grande guerre de l'Église contre la réforme, et usa, dans l'occasion, de sages tempéramens. Ainsi, quand la Faculté de Paris condamna la fameuse Bible dite de Léon de Juda, imprimée par Robert Étienne, en 1545, avec les notes de Vatable, il défendit cet important travail, appuyé de l'autorité des docteurs de Salamanque qui l'avaient fait réimprimer, et ne voulut pas que les lettres sacrées et profanes fussent compromises par la flétrissure de si savans hommes.


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