Analectabiblion, Tome 2 (of 2): ou extraits critiques de divers livres rares, oubliés ou peu connus
SONNET
CONTRE LES ESCRIMEURS ET LES DUELLISTES;
Par l'abbé de Saint-Polycarpe. A Paris, chez Jamet Mestayer, imprimeur du roy, M.D.LXXXVIII, pet. in-12 de 10 feuillets.
(1588.)
L'abbé de Saint-Polycarpe dédie son Œuvre au roi Henri III: il l'aurait publiée plus tôt sans qu'il a eu peur, voyant la fureur des duels poussée si loin les années précédentes, de s'attirer quelque méchante affaire. Il en est de même de certains sonnets qu'il tient en réserve contre la chicane des gens de justice, cette seconde plaie de l'État; il ne les publiera que plus tard, pour ce qu'ayant encore des procès, il a souci de les gagner et crainte de les perdre. La foi du poète moraliste dans la vertu de ses sonnets pour l'extinction des duels et de la chicane annonce une ame candide. Le présent recueil contient treize pièces dont le public jugera par la première:
L'abbé continue, sur ce ton, à dire d'excellentes choses; mais, arrivé au dernier sonnet, il confesse que, tout en blâmant les duellistes, il fera comme eux, si l'occasion se présente de venger son honneur; en quoi il a raison. Mais que deviendront alors ses douze premiers sonnets?
Le Poème couronné intitulé: le Duel aboli, de Bernard de la Monnoye, n'est ni plus concluant ni plus utile; mais il a plus de mérite poétique, puisqu'on y lit des vers comme ceux-ci:
LA VIE
ET
FAITS NOTABLES DE HENRI DE VALOIS,
Tout au long sans rien requérir, où sont contenues les trahisons, perfidies, sacriléges, exactions, cruautez et hontes de cest hypocrite et apostat, ennemy de la religion catholique. Pet. in-8 de 92 pages avec huit figures en bois, sans nom d'auteur ni d'imprimeur, et sans date. (Paris.)
(1588.)
S'il faut en croire l'abbé d'Artigny, au tome Ier de ses Mémoires, ce libelle sanglant, dans lequel, d'ailleurs, il ne se trouve que trop de vérités, est de Jean Boucher, curé de Saint-Benoît de Paris, docteur en théologie, dont les fougueux sermons étaient si puissans sur les esprits des ligueurs. Notre édition sans date pourrait bien être antérieure à celle de Millot, qui est citée par M. Brunet, et remplit 141 pages. Ses huit figures en bois représentent le sacrilége dudit roi, le meurtre de Henri de Guise et celui du cardinal Louys de Guise, son frère; Henri, faisant le superbe sur son trône, à son retour de Pologne; le même à son sacre, quand, par une espèce de présage, la couronne lui tomba deux fois de la tête; le bourreau de Cracovie brisant les armoiries dudit roi; la figure d'une religieuse de Poissy, violée par ledit roi; et finalement un massacre exécuté par les ordres dudit roi. Cette vie, qui s'arrête après le meurtre des Guise, fut publiée dans Paris, vers la fin de 1588, pour exciter le peuple à la rébellion. Nous en rapporterons les principales circonstances, d'après l'anonyme, en rappelant au lecteur qu'il est facile de calomnier même Henri III. N'est-ce pas le calomnier, par exemple, que de dire qu'il était poltron, et qu'il se battit fort mal à Jarnac et à Moncontour? Au surplus, la véritable histoire a prononcé son arrêt sur ce prince. Venons vitement au libelle:
Henri de Valois, né à Fontainebleau le 19 septembre 1551, et non un jour de Pentecoste, comme le disent ceux qui veulent autoriser davantage son heur, eut pour parrains Édouard VI, roi d'Angleterre, et Antoine de Bourbon, duc de Vendosmois. Il fut institué en toutes vertus, et du vivant du roy Charles IX, qui a trop peu duré à la France, promit quelque chose de bon de soy, étant lieutenant-général de son frère, en 1568; mais il fit bientôt connaître son peu d'affection à la religion catholique, ayant divulgué le secret de la Saint-Barthélemy à un gentilhomme. Son siége de la Rochelle, abandonné, coûta 2 millions d'or en pure perte. Peu après, étant parti, en rechignant, pour la Pologne, dont il s'était fait élire roi, il donna un anneau au roi Charles IX, son frère, que celui-ci ne porta guère, s'étant, incontinent après, trouvé mal de la maladie dont il est mort, c'est à dire du poison. La nouvelle de la mort de ce frère, qui le faisait roi de France, lui arriva en telle diligence, que Chemerault, qui la lui porta, ne mit que 17 jours à venir de Paris à Cracovie, capitale de Poulogne, distante de 800 lieues et plus. Alors, que fit M. le roi de Poulogne? vilainement il bancqueta les grands seigneurs poulonais, comme pour les mieux assurer de sa résolution de rester avec eux, et soudainement, la nuit ensuivant le festin, partit sur chevaux frais, avec aucuns affidés dont mal pensa arriver aux François restés à Cracovie, notamment au sieur de Pibrac, généreux homme.
Le voilà prenant le plus long chemin, passant par Padoue, Ferrare et Turin où, de gracieuseté pour le duc Emmanuel Philibert, son parent, il lui remet les citadelles et places de Turin, Chivres, Pignerol, Savillan et Cazal, seuls restes des conquêtes des François en Italie.
A peine assis son trône, il fait l'orgueilleux, met une barrière entre lui et sa noblesse, ne laissant approcher que Quélus et Maugiron, ses bardaches; et Dieu sait quel beau ménage il faisait avec eux à la turquesque.
Bientôt il fait empoisonner le cardinal de Lorraine, à Avignon, et se met à dissiper l'argent du peuple.
Déjà, entre son élection de Pologne et ses guerres faites, tant bien que mal, aux hérétiques, il avait mangé 36 millions à la ville de Paris, et 60 millions au clergé de France.
Nous l'allons voir travailler plus à plein, et, d'entrée de jeu, il vole la vraie croix de la Sainte-Chapelle, apportée par saint Louis, et la vend aux Vénitiens. Il vend tous les offices; il invente les plus ridicules impôts avec son sieur d'O, surintendant des finances, et de tout cela fait largesses à ses mignons.
Une querelle s'engage entre ses deux beaux-filz, Quélus et d'Antraguet. Voilà que Maugiron et Ribeyrac, Schomberg et Livarot, venus sur le terrain pour arranger l'affaire, finissent par se battre entre eux, disant venger leur honneur. Quélus, blessé à mort, tombe à terre, et, en peu d'instans, Ribeyrac tombe mort aussi, non sans avoir blessé furieusement le maucréant Maugiron, qui, se sentant bien frappé, s'écrie: Je renie Dieu, je suis mort. Livarot tue Schomberg, et ce duel fatal, qui, par parenthèse, est décrit, par l'anonyme, d'une façon très pittoresque, fournit à Henri de Valois l'occasion d'un nouveau scandale: celui de faire placer les statues de Quélus et de Maugiron dans l'église de Saint-Paul. Après avoir pleuré ces beaux-filz, comme une femme fait son amant, Henri de Valois ne tarde pas à se munir d'autres mignons, du nombre desquels Nogaret se distingue par des profusions sans exemple ni mesure.
Mais ce n'est pas assez des mignons, il faut à ce roi hypocrite et sacrilége une belle religieuse du couvent de Poissy, et il la viole en société avec ses mignons. C'est pour ces harpies du roi qu'est institué l'ordre dit du Saint-Esprit. Ce roi n'entend à aucune remontrance; quand on lui parle raison, il jure, se fâche et courrouce, fait ensuite des processions pour en imposer au pauvre peuple, et se moque de Dieu et des saints; témoin sa visite à la couronne d'épines, qui le fait rire et s'écrier que Dieu avait la tête bien grosse. Il entoure sa personne de quarante-cinq ames damnées, sous le nom de gentilshommes, qu'il dresse à s'en aller tuer ceux dont la vie l'importune; et il a l'effronterie d'appeler ses quarante-cinq ses coupe-jarret. Il laisse son chancelier Chivergny augmenter ses petits moyens jusqu'à près de 400,000 liv. de rentes, et aussi voler à gueule ouverte son premier président, Achille Harlay, et aussi tous ses officiers. Le royaume est au pillage; les rentes de l'Hôtel-de-Ville sont arrêtées; on ne paie plus personne: alors les vertueux Lorrains veulent venir au secours du peuple par bonnes raisons. Henri de Valois fait entrer 12,000 Suisses dans Paris pour ruiner le pouvoir de ces vertueux hommes: la bourgeoisie le chasse. Il a l'audace d'assembler les états à Blois; et là, pour répondre aux clameurs du royaume infortuné, il fait massacrer, par ses quarante-cinq, le duc de Guise et le cardinal de Guise, par les archers du capitaine du Guast. Vrai Néron, Héliogabale et Caracalla, qui finit par faire mourir jusqu'à sa mère; et ici l'auteur se tait. De pareils écrits valent le couteau de Jacques Clément. Observons que, dans ce torrent d'invectives, il ne se rencontre aucune plainte contre le mignon Joyeuse. C'est que celui-là avait embrassé la Ligue de bonne foi.
LES SORCELLERIES
DE HENRI DE VALOIS,
ET
LES OBLATIONS QU'IL FAISAIT AU DIABLE,
DANS LE BOIS DE VINCENNES,
Avec la figure des démons d'argent doré, auxquels il faisait offrandes, et lesquels se voyent encores en ceste ville, chez Didier-Millot, à Paris, près la porte Saint-Jacques, 1589, avec permission. Pet. in-8 de 15 pages. Ensemble, Advertissement des nouvelles cruautez et inhumanitez desseignées par le tyran de la France. A Paris, par Rolin Thierry. M.D.LXXXIX, avec privilége; pet. in-8 de 20 pages en plus petits caractères.
(1589.)
Cette pièce anonyme n'est pas moins rare que la Vie de Henri de Valois et que le Martyre des Deux Frères, dont le présent recueil offre l'analyse. La figure qu'on y voit est reproduite dans la belle édition du Journal de l'Étoile, qu'a donnée Lenglet-Dufresnoy. Ni M. Brunet ni M. Barbier n'ont parlé des Sorcelleries de Henri de Valois, dont nous n'avons pu découvrir l'auteur. Le détail de ces sorcelleries présente peu d'intérêt: s'il est véritable, l'opinion, assez justement établie de la démence de Henri III, vers la fin de sa carrière, n'est plus problématique. Il est à remarquer que le libelliste attribue à l'influence de d'Épernon le goût que Henri de Valois prit pour les sortiléges, dans les derniers malheurs de son règne. Quels piéges les favoris ne tendent-ils pas aux princes dont ils espèrent! Quant au fait même des sorcelleries, il est certain qu'une croix dorée fut trouvée à Vincennes, laquelle était placée sur un coussin de velours, entre deux satyres de vermeil qui lui tournaient le dos. Comment le vainqueur de Jarnac et de Moncontour en vint-il à joindre ces évocations magiques aux processions de pénitens blancs? c'est le secret de la nature humaine, bien misérable, il faut l'avouer, quand le sentiment de la morale divine l'abandonne.
L'Advertissement des Nouvelles Cruautez, etc., qui suit les Sorcelleries, mérite une mention particulière; le ton en est noble dans sa véhémence; les faits articulés sont plausibles, les principes clairement posés et les déductions habilement tirées. C'est un vrai manifeste, non contre la couronne, mais contre la personne d'un souverain, qui, selon l'auteur, ayant forfait aux lois du royaume, soit par une alliance avec les cantons suisses protestans, moyennant la cession du Dauphiné et des villes de Châlons et de Langres, soit par une secrète connivence avec Henri de Navarre, prince huguenot, a perdu ses droits à l'obéissance de ses peuples. On y lit ces mots: «Faire service au roy et respecter Sa Majesté, ce n'est pas servir un tyran qui indignement porte le nom de roy, renverse les loix de l'Etat, et en aliène le domaine. Combattre pour le roy, c'est combattre pour le royaume, pour l'Etat, pour la patrie, et non pas pour une personne particulière; car ce mot de roy est une générale notion et remarque de la majesté, non d'un simple homme, ny d'une personne fragile et mortelle, mais de la dignité royale, etc., etc... On prie pour le roy en tant qu'il est le moyen par lequel l'estat public subsiste, etc., etc., etc.» Cette œuvre, dont nous sommes loin d'approuver les conclusions sans réserve, est un monument d'autant plus curieux, qu'elle paraît avoir eu pour objet et pour effet la rébellion de Paris, en 1589, et la déchéance de Henri III. Le style décèle sans doute une main supérieure et des plus autorisées de ce temps calamiteux aussi bien que mémorable.
LE MARTYRE DES DEUX FRÈRES,
Contenant au vray toutes les particularitez les plus notables des massacres et assassinats commis ès les personnes de très hauts et très puissans princes chrétiens, messeigneurs le révérendissime cardinal de Guyse, archevêque de Rheims, et de monseigneur le duc de Guyse, pairs de France, par Henri de Valois, à la face des estats dernièrement tenus à Blois. (Pet. in-8 de 54 pages chiffrées et de 2 non chiffrées, contenant quatre sonnets, et orné des portraits en bois des Deux Frères, d'une vignette sur bois à deux compartimens, représentant le meurtre du duc de Guyse, et d'une autre où l'on voit la mort du cardinal de Guyse. Edition qui paraît antérieure à celle que cite M. Brunet, sous le no 13787.) M.D.LXXXIX.
(1589.)
Diatribe des plus virulentes, dont la forme est plus oratoire que narrative, à en juger surtout par son début, assez singulier pour être rapporté: «Il n'y a celui de vous, messieurs, qui, avec ce grand roi, n'adjugiez, donniez l'honneur et le prix à ce très certain axiome prononcé après plusieurs disputes et traitez faits devant lui, à sçavoir quelle chose du monde estoit et debvoit estre la plus forte, ou le roy, ou le vin, ou les femmes, fust enfin tenu et résolu que super omnia vincit veritas, etc.» Cet axiome en faveur de la vérité étant posé, l'orateur se met en devoir de débiter tous les mensonges injurieux que l'esprit du temps lui fournit contre le roi Henri III, déjà bien assez flétri par ses faits et gestes authentiques. Les épithètes de Sardanapale engeoleur, d'ame endiablée, d'hypocrite sodomite, de parjure athéiste, de coquin, de poltron qui s'enfuit de Paris par la porte Neuve, et s'en va comme un esclave se réfugier à Chartres, ne sont que le prélude et le jeu de sa verve furibonde. Les textes sacrés dont ce beau discours est coupé doivent faire conjecturer qu'il fut prononcé dans une église. Les deux Guise y sont présentés à la vénération des fidèles comme des martyrs de la foi, tandis qu'au fond ils ne le furent que de leur ambition effrénée. Le récit de leur mort funeste est reproduit avec les circonstances que l'on sait et quelques autres, omises par les historiens, dont nous croyons devoir signaler la suivante:
Le corps du duc de Guise, gissant donc dans la chambre du roi, qui venait de le fouler aux pieds, était à l'envi insulté par les assassins, ce que voyant un aumônier du roi, nommé Dorguin, ce brave et digne prêtre en fut touché jusqu'aux larmes; et, n'écoutant que la voix de la charité, il entonna le de profundis au milieu des bourreaux armés de leurs fers sanglans. C'est là, sans doute, une action sublime.
Henri, toujours selon l'orateur, communia le lendemain de ce double meurtre; il avait entendu la messe le jour même, le 22 décembre. L'évêque du Mans, frère de Rambouillet et de Maintenon, fut, dit notre anonyme, l'un des instigateurs de ces assassinats.
La péroraison du discours est digne de l'exorde. On y lit ces mots: «Vous l'eussiez pris (Henri de Valois), pour un Turc par la teste, un Alleman par le corps, harpie par les mains, Anglois par la jartière, Poulonois par les piés, et pour un diable en l'ame.»
Ceux qui voudront connaître l'orateur le peuvent en combinant de toutes les manières possibles les mots suivans, qu'il indique comme l'anagramme de son nom, et avec lesquels il signe son discours: la richesse peult. La patience et non la curiosité nous a manqué pour le faire.
PROSA
CLERI PARISIENSIS
AD DUCEM DE MENA (MAYENNE),
Post cædem regis Henrici III. Lutetiæ, apud Sebastianum Nivellium, typographum unionis, avec la traduction, en vers françois, par P. Pighenat, curé de Saint-Nicolas-des-Champs. A Paris, 1 vol. in-8, M.D.LXXXIX. Belle copie manuscrite sur peau de vélin, faite en 1780, d'un livret très rare que M. Didot l'aîné réimprima, en 1786, à 56 exemplaires dont 6 sur peau de vélin. Cette copie, qui est une pièce unique, renferme 36 pages; elle est ornée de fleurons à la plume figurant des fleurs et des fruits. L'original latin est composé de 24 strophes de 6 vers, et la traduction, également de 24 strophes de 12 vers hexamètres. Le tout se termine par le distique suivant: ad dementem Parisinorum plebem, quæ impurissimum Arsacidam in numerum divorum refert.
(1589-1780.)
Cette prétendue prose du clergé parisien, composée, en apparence, par un furieux ligueur, en l'honneur de Jacques Clément et de madame de Montpensier (Catherine de Lorraine, sœur du duc de Guise assassiné à Blois), mais en réalité par un antiligueur, contre les héros de la ligue, est un monument remarquable de l'esprit de parti. Le cynisme, la rage et la démence ne sauraient aller plus loin. Supposer que le clergé de Paris a déifié une princesse pour s'être abandonnée à un moine, à condition qu'il tuerait son roi; qu'il a mis au rang des saints ce moine luxurieux et fanatique pour avoir accompli son horrible promesse; et cela au nom de la religion qui pardonne! c'est assurément le dernier des excès, bien que les jésuites, le pape lui-même, et certains curés de Paris, on le sait trop, aient alors autorisé, par d'aveugles fureurs, des imputations terribles contre le clergé en masse. Du moins, l'auteur latin a gardé l'anonyme; mais peut-on concevoir qu'il ait pris le nom d'un curé de Paris, dans la traduction d'une telle pièce en français, traduction faite dans les termes que nous allons reproduire en partie. Ah! sans doute la religion n'est pas comptable de ces indignités! qui l'est donc? l'esprit de vengeance politique, c'est à dire la plus cruelle et la plus inflexible des passions que la société humaine ait enfantées. Il n'est pas inutile de perpétuer le souvenir de pareils exemples, afin que chacun voie où il peut être entraîné dans les discordes civiles.
Cette pièce sanglante est écrite avec un naturel si brûlant, elle entre si profondément dans les passions qu'elle veut flétrir, en les faisant parler, que bien des gens, et nous les premiers, l'avons prise au sérieux. Nous confessons, à cet égard, notre erreur, qui peut, sans façon, être qualifiée de bévue; mais M. Leber, dans le piquant opuscule qu'il a publié en 1834, sur l'état des pamphlets avant Louis XIV, en ayant appelé, sur ce point, à la réflexion du public, nous nous sommes bientôt convaincus, par une lecture attentive, que la prose du clergé de Paris n'était rien autre chose qu'une satire cynique et horriblement belle des excès de la ligue, un ballon d'annonce de la satire Ménippée, qu'il convient, peut-être, d'attribuer à l'un des auteurs de ce dernier ouvrage. Il y a toujours à gagner dans le commerce des vrais gens de lettres.
LE MASQUE DE LA LIGUE
ET DE L'HESPAGNOL DÉCOUUERT.
Où 1o la Ligue est dépainte de toutes ses couleurs; 2o est monstré n'estre licite au subject s'armer contre son roy pour quelque prétexte que ce soit; 3o est le peu de noblesse tenant le party des ennemis, advertie de son debvoir. A Tours, chez Iamet Mestayer, imprimeur ordinaire du roy. 1 vol. in-12 de 274 pag. M.D.LXXXX.
(1590.)
«Le tyran d'Hespagne béant et ententif de long-temps à l'invasion de la France,... voyant que le dernier des Valois en tenoit le sceptre, après la mort de monsieur son frère, que l'on dit avoir esté empoisonné par le moïen de ses agents et ambassadeurs..., a suscité une ligue, et par elle produict des monstres plus hideux et horribles que ceux que l'on dit avoir esté dontez par le fils d'Alcmène, jadis...; que dis-tu Circé? que dis-tu, horrible Mégère, ligue impie!... Mettras-tu ton espérance au duc de Parme et en ces Hespagnols?... Tu blesmis, magicienne, quand je te parle du Biarnois, quand je t'oppose la force de ce Sanson, la vaillance de cet Achille..., quelle médecine te pourra sauver de cette mortelle maladie?... De quels alexis-pharmaques te serviras-tu?... La vieille couuerture et caballe de la religion ne te sert plus de rien: ceste drogue est euentée... Les mercenaires langues des faulx prescheurs sont de prèsent drogues de peu de valeur... Qui ne voit que les sermons que tu fais faire par tes cordeliers, par tes assassins cuculés..., sont philippiques, et rien de plus?... Tu as, malheureuse! praticqué une autre manière de gens que l'on nomme jésuites, non mendians, mais qui font mendier, desquels les scandales sont plus secrets, mais beaucoup plus pernicieux que les autres... Que dis-je? tu es toi-même par eux praticquée, Alecton mauldite! etc., etc.»
Ici l'auteur de ce pamphlet catholique et royaliste fait une histoire satirique de l'établissement de la compagnie de Jésus à Paris, en 1521, par Inigo de Loyola; il rappelle ce zélateur, marchant pieds nus, et se faisant suivre de Pierre Fabri, Diego Laynès, Jean Conduri, Claude Gay, Pascal Brouet, François Xavier, Alphonse Salmeron, Simon Rodriguès, et Nicolas Bovadilla, estudians en théologie, qu'il nomme des soufflets d'ambition, des avortons du père du mensonge. Il suit les jésuites jusqu'au temps de la ligue, où ils allaient proclamant partout les Guise comme vrais descendans de Charlemagne, pour les opposer aux Bourbons du Béarn. Puis, s'adressant de nouveau à la ligue: «Sorcière! lui dit-il..., tu piafes maintenant avec ton duc de Parme...; mais ces Hespagnols qui te sont dieux aujourd'hui, enfin te seront loups!... Ces frocs, ces cuculles, ces monstres, ces horreurs infernales, ces furies terrasser nostre Alcide! non, non...; le corps est plus fort que l'ombre, la vérité que le faux!... Tu demandes s'il n'est pas permis de se bander avec la force contre un prince hérétique?... quand tu l'aurais tel, ce n'est pas au subjet a s'armer contre son prince..., la noblesse catholique, qui le suit, te le doibt faire cognoistre! Si le roy me commande de le suivre en guerre, je le ferai; s'il me commande de changer ma religion, je ne le ferai pas; mais il est trop sage pour me le commander... Vois si David s'est révolté contre Saül, encore qu'il en fût mal payé de tous ses services, et que Saül fût un cruel tyran!... Jéroboam, roy de Samarie, avoit rejeté la religion ancienne: quel prophète a persuadé de faire la guerre contre lui? nul...»
Suit une foule d'exemples tirés de l'Ancien et du Nouveau Testament; puis l'auteur s'autorise d'un long passage de saint Thomas d'Aquin, pour établir que mieux vaudrait encore souffrir la tyrannie que d'attenter à la puissance du tyran; mais il est évident qu'il use ici de subtilité, ou qu'il n'a pas lu saint Thomas d'Aquin jusqu'au bout. Il interpelle enfin la noblesse en ces termes: «Vous autres gentilshommes de cœur et de sang généreux, qui faites l'amour à cette rusée courtisanne, la ligue, bon Dieu! que vous estes abusés...! voyez vous pas que vous promettant, elle tire de vous, et que vous, donnant, elle vous despouille?... Aymerez-vous mieux vivre misérables soubs la tyrannie de ceux qui vous ruineront que soubs la douce et agréable subjection du plus gracieux roy de la terre?... Ne voulez-vous, messieurs, dessillant vos yeux, voir en quel labyrinthe vous estes entrez, et vous joindre à ceste juste cause pour recouurer, avec vostre prince, les temps heureux des règnes de Louis XII, François Ier et Henri II? etc., etc...»
Ces exhortations et ces avis terminent ce pamphlet, précieux échantillon de l'esprit du temps, qui, fort heureusement pour la France, fut appuyé des batailles d'Arques et d'Ivry. M. Anquetil n'a pas connu le Masque de la Ligue découvert.
L'ECCELLENZA
E TRIONFO DEL PORCO;
Discorso piacevole di Salustio Miranda, diviso in cinque capi: nel primo, si tratta l'Ethimologia del nome con l'utilità; secundo, le Medicine che se ne Cavano; tertio, le Virtù sue; quarto, le Autorite di quelli, che n'hanno scritta; quinto, les feste i trionfi, e le grandezze di lui. Con un capitolo alle muse invitandole al detto trionfo. Suit la figure du cochon avec cette devise: Muy bueno por comeresto. In Ferrara, per Vittorio Baldini, con licenza di S.S. (1 vol. in-12 de 72 pages.) M.D.XC.IIII.
(1594—1625—1736-41.)
Rien de plus froid que ce long panégyrique du Cochon. Il était facile de se moquer plus agréablement des moines et des érudits pédans du XVIe siècle.
La rareté de l'ouvrage en fait tout le prix pour nous. Peut-être en a-t-il un autre pour les Italiens? celui d'être écrit avec élégance et pureté: dans ce cas, où le vrai toscan va-t-il se nicher?
LES FACÉTIEUSES RENCONTRES
DE VERBOQUET,
POUR RÉJOUIR LES MÉLANCOLIQUES.
Contes plaisans pour passer le temps. A Troyes, chez la veuve de Jacques Oudot, et Jean Oudot fils, imprimeur-libraire, rue du Temple, avec permission du roy en son conseil du 11 mai 1736. (1 vol. in-12 de 35 pages.)
L'approbation du chancelier, donnée après suppression de ce qu'il avait trouvé mauvais dans ce pauvre recueil, est du 28 octobre 1715. L'édition originale du Verboquet est de Rouen 1625, in-12. De toutes nos facéties sans nombre, celle-ci est peut-être la plus insignifiante.
LES PENSÉES FACÉTIEUSES
ET LES BONS MOTS
DU FAMEUX BRUSCAMBILLE,
Comédien original. A Cologne, chez Charles Savoret, rue Brin-d'Amour, au Cheval-Volant (1 vol. pet. in-8 de 216 pages.) M.DCC.XLI.
Des Lauriers n'est pas l'auteur de ces pensées; on les doit à un plaisant anonyme, bien moins gai que lui, sinon moins cynique, lequel s'est permis de rajeunir l'Ancien Bruscambille, d'y ajouter, d'en retrancher, d'y mêler des vers fort plats; en un mot, de le gâter. Les amateurs des facéties les recherchent pourtant à cause de certaines pièces de l'invention du correcteur, qui ne se trouvent pas ailleurs, telles que les caractères des femmes coquettes, joueuses, plaideuses, bigotes, etc., etc., ainsi que la bulle comique, sur la réformation de la barbe des révérends pères capucins, fulminée par Benoît XIIIe, en 1738, et signée Oliverius, évêque de Lanterme.
LES TROIS VÉRITÉS;
Deuxième édition augmentée, avec un advertissement et bref examen sur la response faicte à la troisième Vérité, par Pierre le Charron, Parisien; de nouveau imprimé à Bourdeaux, Millanges. (1 vol. in-8.)
(1594-1596.)
Charron, qui avait semé, dans son Traité de la Sagesse, des propositions mal sonnantes sur l'immortalité de l'ame, l'existence de Dieu et autres grands points de religion, fut plus chrétien ou plus circonspect dans son livre des Trois Vérités qu'il publia d'abord, sans nom d'auteur, à Cahors, en 1594. Sa première Vérité est qu'il y a une religion; sa seconde Vérité, que la religion chrétienne est la véritable; enfin, sa vérité troisième, dirigée contre le Traité de l'Église de Duplessis Mornay, établit que, hors l'Église catholique romaine, il n'y a point de salut.
Les argumens du premier Livre, où les athées sont pris à partie, montrent qu'il n'y a pas d'effet sans cause; que l'objection contre l'existence de Dieu, tirée de l'impossibilité de le démontrer et de le définir, est de nulle valeur, l'homme ne pouvant, en sa qualité d'être fini, définir un être infini; que le raisonnement suivant n'est pas meilleur: «Si Dieu existait, il serait tel ou tel, ce qui impliquerait contradiction avec la qualité d'être infini;» car Dieu peut exister sans que l'homme puisse savoir s'il est tel ou tel. La vraie connoissance de Dieu, dit Charron, est la parfaite ignorance de lui. Le monde est formé de matière ou sans matière; et, dans les deux hypothèses, il suppose un acte et un agent hors de lui-même. L'ordre de l'univers, l'harmonie, la prévoyance, qui partout y éclatent, révèlent un créateur. Le consentement des peuples reconnaît Dieu. Les génies occultes, dont on ne saurait nier l'existence, les démons, les miracles, les prédictions, les sibylles le prouvent. Le mal moral et physique n'est pas une raison de nier Dieu, car nous ne pouvons savoir si ce que nous appelons mal est nuisible, dans le sens absolu, et s'il n'a pas son utilité. Nos vices ne compromettent pas l'existence de Dieu, puisqu'ils ne viennent pas de lui, mais de nous, et que Dieu sait tirer le bien de nos vices mêmes. Enfin (et ceci est excellent), il est évident que Dieu vaut mieux que point de Dieu; or, il est de l'essence de l'intelligence, qui ne peut elle-même se trahir, de croire le mieux.
Suit une sage énumération des avantages qui découlent pour l'homme de la croyance en Dieu; et c'est par là que finit, avec le douzième chapitre, le premier livre, des trois le meilleur à notre avis.
Second Livre.—Cinq religions ont eu principalement crédit dans le monde, savoir: la naturelle; la gentille, à partir du déluge et de la tour de Babel; la judaïque, commencée au temps d'Abraham et promulguée par Moïse; la chrétienne; et la mahumétane, 600 ans avant Jésus-Christ. Chacune allègue ses saints, ses miracles, ses victoires, et chacune fait des reproches sanglans aux quatre autres. On reproche à la naturelle que, n'ayant ni dogme écrit, ni prescriptions déterminées, elle ne forme pas proprement une religion; à la gentille, ses sacrifices humains et la multiplicité de ses dieux; à la judaïque, sa cruauté envers les prophètes, et ses pratiques de superstition grossière; à la chrétienne, ses trois Dieux en un seul et son culte des images; à la mahumétane, sa vanité charnelle et sa propagation par la guerre.
A part les monstruosités qui souillent toutes ces religions (la chrétienne exceptée), il y a ce caractère de vérité attaché à la chrétienne seulement, qu'elle s'appuie sur la révélation; car par là seul elle établit que l'homme, sans le concours de Dieu, ne peut connaître ni pratiquer ses devoirs religieux, ce qui est évident. Le christianisme, d'ailleurs, l'emporte sur les religions rivales par le nombre, l'authenticité et l'éminence de ses miracles, de ses prophéties et de ses saints. On doit ajouter en sa faveur l'excellence de sa morale qui l'a fait estimer des plus vertueux empereurs païens; mais elle a six prérogatives capitales; 1o d'avoir été annoncée par les prophètes; 2o la qualité souveraine et divine de son auteur; 3o l'assurance qu'elle donne d'une vie future; 4o d'avoir détruit les idoles et l'action des démons; 5o les circonstances et les moyens de sa publication et de sa réception au monde; 6o qu'elle seule remplit le cœur de l'homme et le perfectionne.
Suivent des réponses aux objections, parmi lesquelles voici une réponse à ceux qui objectent l'absurdité de certains dogmes: «C'est un accroissement d'honneur et dignité à l'esprit humain de croire et recevoir en soi choses qu'il ne peut entendre, et rien ne témoigne plus de la force de l'ame qu'une croyance qui révolte les sens.» Autre réponse: «La marche de la raison étant la chose la plus incertaine, ce serait folie de lui confier ses destinées futures, et la sagesse commande de s'en remettre plutôt à la révélation, laquelle venant de Dieu, ne saurait tromper.» Ainsi procède Charron. Heureux les esprits dociles qui s'en contenteront! ils vivront en paix avec eux-mêmes, seront respectés des hommes, agréables à Dieu dans leur simplicité, et marcheront d'un pas ferme dans la voie de la vertu.
Troisième Livre.—Dieu étant supposé prouvé, aussi bien que la religion révélée de Jésus-Christ, l'auteur vient à combattre les sectes dissidentes. Toute l'argumentation de ce Livre, le plus étendu des trois, repose sur le syllogisme suivant, qui termine le premier chapitre: la certaine règle de nos consciences chrétiennes est et ne peut être que l'Église, sans quoi la doctrine serait soumise à la raison de chacun qui porterait, dans l'interprétation des écritures, la même incertitude qu'en toute autre chose; or, cette Eglise, juge nécessaire de la doctrine, est évidemment la catholique romaine; donc, etc., etc., etc. Les chapitres de ce Livre sont remplis de réponses aux objections des réformés de La Rochelle. C'est un débat sur la scolastique et la tradition où l'auteur prend ses avantages de l'unité de la foi catholique, ainsi que l'a fait depuis, plus éloquemment, le grand Bossuet, dans son Histoire des Variations, et dans son magnifique sermon sur l'unité de l'Eglise. L'Eglise, ajoute Charron, a précédé les Ecritures, donc elle a seule droit de les interpréter. L'aigle de Meaux a pu puiser dans ce Livre plus d'un fait et plus d'un raisonnement; et il a le grand mérite de sauver merveilleusement la sécheresse de la controverse par la noblesse et l'entraînement du style, mérite qui manque absolument à l'auteur des Trois Vérités. Charron a le grand tort d'être ennuyeux: il ferait presque haïr la méthode, quand son contemporain Montaigne fait presque aimer la confusion.
DISCOURS VÉRITABLE
SUR LE FAICT DE MARTHE BROISSIER,
De Romorantin, prétendue démoniaque, avec cette épigraphe:
A Paris, par Mamert-Patisson, imprimeur du roy. M.D.XCIX, avec privilége. (Pet. in-8 de 48 pag. et 3 feuillets préliminaires.)
(1599.)
On sait que, sous le règne de Henri IV, Marthe Broissier, fille d'un tisserand de Romorantin, se fit passer pour possédée, et qu'en cette qualité, ayant agité les esprits à Paris, le roi ordonna une enquête de médecins pour éclairer la justice. Duret et quelques docteurs gagnés par les ligueurs déclarèrent la fille réellement possédée; mais Marescot, joint à la plus grande partie des médecins de la Faculté, constata l'imposture, en sorte que le parlement, par arrêt du 24 mai 1599, exila Marthe Broissier à Romorantin. Ce discours, dédié au roi, n'est autre chose que le rapport historique de la Faculté: il est précédé d'un distique latin et des vers suivans:
Ce rapport est écrit avec la gravité convenable et respire une sincère conviction. On y voit que, le 30 mars 1599, Marthe Broissier fut interrogée devant l'évêque de Paris, en latin par le docteur Marescot, et en grec par le théologien Marius, en présence des médecins Ellain, Hautain, Riolan et Duret, dans l'abbaye de Sainte-Geneviève; que son prétendu démon se trouva si muet et si peu versé dans les langues savantes, qu'il fit tout d'abord suspecter son caractère diabolique. L'intrigante fille se trahit encore bien mieux en souffrant tranquillement, sur ses lèvres, une relique de la vraie croix, tandis qu'elle entrait en convulsion à la vue du chaperon d'un prêtre. Le jugement de Marescot est énergique dans son laconisme: du démon rien, du mensonge beaucoup, de la maladie fort peu. (Nihil a dæmone, multa ficta, a morbo pauca.) L'interrogatoire ne laissa pourtant pas que de continuer jusqu'au 5 avril; mais l'affluence du peuple devenant telle qu'on pouvait craindre une sédition, la sorcière fut mise entre les mains de Lugoly, lieutenant criminel qui la retint deux mois au Châtelet, où elle était traitée doucement. La Rivière, premier médecin du roi, Laurence, médecin ordinaire, et d'autres gens de l'art furent assidus à la visiter, et joignirent leur témoignage à celui de Marescot. Enfin le parlement rendit son arrêt conformément à leurs conclusions. Cet arrêt, signé Voisin, et transcrit à la suite de notre discours, est plein de sagesse ainsi que le rapport de Marescot, en cela bien différent du rapport contradictoire aussi reproduit dans le discours, lequel rapport, parfaitement réfuté malgré l'autorité des médecins signataires, au nombre desquels on dit que se trouvait Duret, offre un nouveau monument de la folie et de la fourberie humaines. La conduite de Duret, dans cette circonstance, ne lui fait pas honneur.
Mais quel intérêt avait-on à faire de Marthe Broissier une démoniaque? celui de retenir, sous le joug d'une superstition grossière, l'esprit d'un peuple que le règne d'un prince éclairé tendait à émanciper. Le discours véritable passe généralement pour être de Marescot; toutefois, Tallemant des Réaux, dans ses Mémoires ou historiettes imprimées en 1833, à Paris, et publiées par MM. de Châteaugiron, de Monmerqué et Jules Taschereau, fait entendre que l'auteur est Le Bouteiller, père de l'archevêque de Tours et du surintendant. Guy-Patin le donne à Simon Piètre, médecin célèbre, gendre de Marescot.
HISTOIRE PRODIGIEUSE
ET LAMENTABLE
DE JEAN FAUSTE,
Grand magicien, avec son Testament et sa Vie espouvantable. A Amsterdam, chez Clément Malassis. (1 vol. pet. in-12 de 222 pages, plus 3 feuillets de table.) M.DC.LXXIV.
M. Brunet ne cite que l'édition de Cologne, 1712, in-12. La nôtre est plus jolie et plus rare. M. Barbier parle d'une édition de Paris, Binet, 1603, d'une autre de Rouen, Malassis, 1666, et dit que l'auteur allemand de cet ouvrage, dont le traducteur est Pierre-Victor Palma Cayet, se nomme George-Rodolphe Widman. Comment Malassis de Rouen date-t-il une édition d'Amsterdam? ou comment Malassis d'Amsterdam date-t-il une édition de Rouen? c'est ce qu'on ne peut guère expliquer qu'en disant que l'édition d'Amsterdam est imprimée jouxte la copie de Malassis de Rouen. Nous avons encore connaissance d'une édition de Paris, 1622, chez la veuve du Carroy. 1 vol. pet. in-12 de 247 pages, sans la table.
(1603-67-74—1712.)
Il appartenait au génie allemand, qui réalise les abstractions et idéalise les choses positives, de donner un corps solide aux rêves de la magie et à la croyance des esprits, si répandues dans le moyen-âge. Ainsi fit-il; et l'histoire de Jean Fauste, qu'on pourrait appeler l'épopée de la métaphysique chrétienne, est à la fois un témoignage de la puissante imagination et une preuve de la crédulité du public allemand dans le XVIe siècle. Cette épopée (car c'en est une véritable) eut, en Allemagne, un succès populaire; et il faut que l'impression qu'elle fit ait été bien forte pour que le célèbre Goëthe, génie national de l'Allemagne moderne, ait jugé digne de lui de la faire revivre dans celui de ses drames que les suffrages de ses compatriotes ont le plus universellement couronné. Cet auteur l'a ressuscitée avec talent, sans doute; mais, qu'il nous soit permis de le dire, il ne l'a ni surpassée ni même égalée, malgré sa fameuse création de la Jeune Fille séduite, personnage d'un pathétique souvent faux, qui d'ailleurs a le tort d'être épisodique, par conséquent de distraire le public du but principal de l'auteur. L'original est empreint d'une conviction profonde et native qu'on ne retrouve pas dans la copie. Là c'est un chêne mystérieux et druidique, à l'ombre duquel on se sent saisi d'une crainte religieuse et terrible; ici c'est bien l'arbre encore, mais la sève du mystère manque; vainement les efforts du poète essaient de la rajeunir avec des scènes d'amour, à la vérité pleines de charme, le prestige s'évanouit, sans compter que les limites du drame, tout étendues qu'elles sont chez nos voisins, offrent un cadre trop étroit pour une conception de ce genre, et bien moins propre que le récit au développement de vérités morale, qui forment la partie substantielle et utile de ces fictions enchantées. Laissons donc Goëthe dans sa gloire et ne nous occupons que de Widman dans son obscurité: la justice le veut.
Jean Fauste, fils d'un paysan de Weymar, est élevé par un riche bourgeois de Wittemberg, son parent, qui le destine à l'état ecclésiastique. Ses talens et son mauvais caractère se signalent prématurément. Il fait des études brillantes tout en désolant son honnête famille. A peine hors des classes, il enlève, dans un examen triomphant, le bonnet de docteur en théologie; mais à peine docteur, le voilà jetant de côté l'Écriture sainte et les livres canoniques pour embrasser la débauche. Il se rend à Cracovie, ville célèbre pour les écoles de magie, y devient tout d'abord grand nécromancien, astrologue, mathématicien, puis médecin, guérissant par des paroles et des clystères. Il fait des cures merveilleuses, avec le second moyen sans doute, qui alors pouvait passer pour un expédient magique. De médecin, Fauste se fait droguiste; des drogues il vient à la chimie, et de la chimie de cette époque aux conjurations diaboliques; la marche est naturelle. Son premier appel au diable a lieu, entre 9 et 10 heures du soir, dans la forêt de Mangealle, près Wittemberg. Un diable se rend avec grand fracas, suivi d'un cortége de démons inférieurs, dans le cercle que Fauste à tracé: des pourparlers s'engagent; Fauste propose ses conditions; le diable Méphistophélès, qui n'est que du second ordre, en réfère à son maître, en Orient. Enfin, après trois conjurations, Fauste renonce à son Dieu, voue son ame et son corps à l'enfer, moyennant quoi Méphistophélès lui servira de guide sous la figure d'un moine, et satisfera tous ses désirs dans le cours d'une vie qui est limitée à 24 ans. Le pacte est scellé par du sang de Fauste épanché sur une tuile ardente. Tout cela est accompagné de circonstances et de peintures très bien inventées, allant vivement au fait, sans le moindre germe du verbiage moderne. Fauste a pour valet un écolier nommé Wagner, aussi vaurien que lui, lequel, avec Méphistophélès, complète un trio monstrueux. Il n'est pas croyable tout ce que fait ce trio chez le duc de Bavière, chez l'évêque de Strasbourg, à Nuremberg, à Augsbourg, à Francfort, servant et trompant chaque jour un maître nouveau, se transportant comme l'éclair d'un lieu à un autre, nageant dans les plaisirs et l'opulence, pénétrant dans les lits des chambrières, etc., etc. Fauste a une fois la fantaisie de se marier; mais, comme c'était là un dessein honnête, le diable l'échaude si cruellement qu'il renonce au mariage et reprend la chaîne de ses lubricités. Il apprend, de son esprit diabolique, mille belles choses de l'enfer, sur les régions diverses qu'on y trouve, telles que le Lac de la Mort, l'Etang de Feu, la Terre ténébreuse, le Tartare ou l'Abîme, la Terre d'oubli, la Gehenne ou le Tourment, l'Erèbe ou l'Obscurité, le Barathre ou le Précipice, le Styx ou le Désespoir, l'Achéron ou la Misère, etc., etc. La hiérarchie des légions infernales lui est révélée avec les noms des personnages, l'histoire des anges trébuchés, les attributs et la puissance de chacun. Fauste ne se lasse point de questionner, ni d'abord Méphistophélès de répondre; mais, à la fin, Fauste fait une question qui cause un tressaillement au diable.: «Si tu t'étais trouvé à ma place, dit-il à son esprit, qu'aurais-tu fait?»—«J'aurais honoré Dieu, mon Créateur, répond le diable en riant d'un rire de possédé; je l'aurais servi, j'aurais imploré sa grâce sur toute chose.»—«Ai-je encore le temps d'en user ainsi? reprend Fauste.»—«Oui, dit le diable, mais tu ne le feras pas.»—«Laisse là tes prédictions!»—«Et toi finis tes questions!» Ceci est sublime et clôt la première partie.
Au début de la seconde partie, Fauste veut se convertir et ranger sa vie dont il est fatigué: il se met à travailler et compose d'excellens almanachs, étant grand mathématicien; mais la curiosité de la science, l'ayant emporté trop avant, il rappelle son malin esprit et lui demande de l'informer des choses du ciel. Méphistophélès lui dénombre les sphères célestes. Fauste avance encore et s'enquiert de la création de l'homme. Alors l'esprit lui donne exprès toutes fausses notions conformes à la doctrine des athées qui font le monde matériel, existant par lui-même, et l'homme aussi ancien que le monde. Fauste tombe dans la mélancolie: l'esprit, pour le distraire, lui amène une légion de diables qui le font voyager aux enfers, dans les étoiles, et par toutes les contrées de la terre. Il accomplit ses différens voyages en peu de jours, à l'âge de 16 ans, et les écrit pour un écolier de ses amis, nommé Jonas. La description variée de ces voyages n'est pas un médiocre agrément de ce livre singulier. L'arrivée de Fauste à Constantinople et les bons tours qu'il joue au grand-turc fournissent des épisodes plaisans qui reposent le lecteur des impressions sinistres qu'il a reçues. Fauste apparaît, dans le sérail, sous la figure de Mahomet. On juge bien que les beautés du sérail ne lui refusent rien, et le lendemain elles racontent au grand-turc ébahi comment Mahomet les a toutes honorées, se déportant en homme avec la puissance d'un Dieu. De Constantinople Fauste va en Égypte, parcourt l'Archipel, y observe une comète. L'esprit, à ce sujet, lui expose une théorie des comètes qui n'est guère savante. La seconde partie finit avec les voyages de Fauste et la physique de Méphistophélès.
Troisième et dernière partie. Fauste est appelé à la cour de Charles-Quint, et, pour le satisfaire, lui fait apparaître le spectre d'Alexandre le Grand. Il s'amuse aux dépens des personnes de la cour impériale, tantôt enchantant la tête d'un chevalier sur laquelle il plante des bois de cerf, tantôt faisant semblant d'assaillir le château d'un baron avec une armée magique. Il rend aussi des services, tels que ceux de mener trois comtes d'empire, par les airs, aux noces d'un fils du duc de Bavière, à Mayence; de fournir, au milieu de l'hiver, des cerises exquises à la comtesse d'Anhalt, qui, étant grosse, avait une envie démesurée d'en manger, etc., etc. A Saltzbourg, il met tout en rumeur avec ses compagnons de joie, en célébrant, pendant quatre jours, les bacchanales; une autre fois il renverse le chariot d'un paysan, qu'il fait ainsi voyager sens dessus dessous; ailleurs, il avale une charrette de foin par forme d'escamotage; là il va jusqu'à tromper un maquignon, ici le voilà donnant à un juif sa jambe droite en gage; il dérobe le bréviaire d'un prêtre, la tête d'un homme qui passe; il se crée un jardin rempli de toutes les fleurs de l'univers, distribue des philtres amoureux, et se signale chaque jour par d'innombrables faits de sorcellerie dont le détail est difficile à rendre. Mais les années convenues s'écoulent; le fatal dénouement approche. Un prud'homme, âgé, bon chrétien, qui estoit médecin fort craignant Dieu, aborde Fauste et le conjure de revenir à la vertu dans le sein de l'Église. Fauste est un moment touché; mais l'esprit malin l'emporte: une seconde promesse, scellée de sang, achève la destinée du malheureux. Le diable, qui garde rancune au prud'homme, tente de le séduire; mais le prud'homme, assisté de Dieu, se rit de Méphistophélès, et le diable s'enfuit tout confus. Ce malin démon, ne voulant plus courir le risque de perdre l'ame de Fauste, lui amène deux belles Flamandes, une Hongroise, une Anglaise, deux Allemandes de Souabe et une Française. Ce n'est pas assez pour la lubrique fureur de Fauste, il lui faut encore la belle Hélène, femme de Ménélas: il l'obtient. C'est alors une joie indicible qui accompagne Fauste jusqu'à son dernier mois. Ce dernier mois est enfin venu; Fauste fait son testament: il lègue ses richesses et son malin esprit, sous la forme d'un singe, à son valet Wagner, et, peu après, commence à tomber dans la tristesse finale. Ses lamentations déchirent le cœur: «Ha! Fauste! ha! mon corps! ha! mes membres! ah! mon ame! ah! mon entendement! ah! amitié et haine! ah! miséricorde et vengeance! ah! ah! ah! misérable homme que je suis! ô ma vie fragile et inconstante!... ô douteuse espérance!...» L'esprit le réprimande et le raille alors sans pitié: «Tu as renié ton Dieu par orgueil, par débauche, pour être appelé maître Jean, et jouir des femmes, lui dit-il, tu as voulu manger des cerises en hiver! tu auras les noyaux en tête!...» Et Fauste de redoubler ses lamentations: «O pauvre damné que je suis! n'y a-t-il aucun secours? Amen, amen...» Cependant les vingt-quatre ans sont écoulés demain. La nuit qui précède ce demain est terrible, et telle que Méphistophélès lui-même essaie de réconforter sa victime; mais ses consolations sont vaines, étant toutes prises dans le système de la nécessité. Enfin Fauste se résigne à subir son sort: il va trouver ses compagnons, les étudians de Wittemberg, et les engage une dernière fois à souper. Durant le souper, bien autrement dramatique que le Festin de Pierre, Fauste harangue ses amis, leur annonce sa fin prochaine, leur apprend comment il s'est précipité dans l'abîme, les supplie de ne pas l'imiter et de rester fidèles à Dieu. Il leur demande pardon, les charge de ses adieux à sa famille, et les quitte pour s'aller coucher. A minuit sonnant, grand bruit, comme d'un vent impétueux, dans la chambre de Fauste. Le lendemain, les convives entrent dans cette chambre fatale et trouvent Fauste gisant mort sur le carreau, défiguré et démembré: ses yeux sont d'un côté par terre, sa cervelle de l'autre; des taches de son sang couvrent les murs: les étudians, consternés, rassemblent ces tristes débris, les enterrent, et l'histoire finit.
Si ce n'est pas là une œuvre de génie, appuyée sur les bases mêmes du christianisme, qui enseigne à fuir les plaisirs de ce monde et à laisser les prospérités temporelles aux méchans, nous ne donnons pas notre ame au diable, mais nous lui livrons cette critique tout entière. Quant au traducteur Palma Cayet, l'auteur de la Chronologie novenaire et septenaire, il ne mérite ici d'éloge que pour nous avoir fait connaître ce livre curieux. Du reste, il construit ses phrases d'une façon si baroque et si pénible, qu'à peine devait-il s'entendre lui-même. On l'accusa de sorcellerie dans son temps: ce fut bien à tort, sans doute; sous le rapport du talent d'écrire, du moins, nul ne fut moins sorcier.
Nous remarquerons, en terminant cette analyse, que Jean Fauste, l'un des inventeurs de l'imprimerie, fut accusé de magie devant le Parlement de Paris, pour cette découverte. Est-ce à lui que Widman fait allusion? La question va droit aux érudits.
BREVE SUMA Y RELACION
Del modo del Rezo y Missa del oficio santo Gotico Mozarabe, que en la capilla de corpus Christi de la santa yglesia de Toledo se conserva y reza oy, conforme a la regla del glorioso san Isidoro arçobispo de Sevilla. Por el Maestro Eugenio de Robles, cura proprio de la yglesia parōchial Mozarabe de san Marcos, y capellan de la dicha capilla. Dirigido a los Señores Dean y cabildo de la santa yglesia de Toledo, primada de las Españas. (1 vol. pet. in-4 de 23 feuillets, seul exempl. connu en France, dit M. Ch. Nodier; vendu 150 liv. Gaignat; et le même prix chez les jésuites du collége de Clermont.) En Toledo, año M.DC.III.
(1603.)
Lorsque, dans l'année 714 de notre ère, sous le califat égyptien de Vélid Ier, après la défaite et la mort du roi goth Rodrigue, qui suivirent la trahison du comte Julien, Tolède tomba, par capitulation, au pouvoir des Arabes, que conduisait l'intrépide Tarick, premier lieutenant du célèbre Moussa ou Muza, une convention se conclut entre les chrétiens vaincus et les musulmans vainqueurs, qu'il fut aussi honorable aux premiers de demander, avant même de rien stipuler pour leurs libertés et leurs biens, qu'aux seconds de souscrire et de respecter; ce fut celle qui garantissait le libre exercice de la religion chrétienne. De là vint, avec le temps, suivant l'archevêque de Tolède, don Rodrigue, que les chrétiens de cette ville prirent le nom de Mozarabes, abréviatif de Mixtiarabes, c'est à dire chrétiens mêlés d'Arabes, nom que ces braves défenseurs de la cité conquise transmirent religieusement à leurs descendans, et qui, après sa reprise par Alphonse VI, en 1085, valut successivement, à la colonie fidèle, de grands priviléges de la part des rois de Castille et d'Espagne, notamment de don Alphonse et de dona Violente, en 1277, d'Alphonse Remondez, de Ferdinand Ier, de Jean II, de Ferdinand et Isabelle, de la reine Jeanne la Folle, de Charles-Quint, de Philippe II et Philippe III. Il y a des historiens (entre autres Garibay) qui prétendent que le nom de Mozarabes ou Muzarabes fut donné à ces chrétiens de Tolède par Moussa, le conquérant arabe, en haine de son lieutenant Tarick, dont il enviait la gloire; mais cette version peu vraisemblable ne doit guère nous arrêter.
Quoi qu'il en soit, les Mozarabes de Tolède sont encore, aujourd'hui, tenus en grand honneur. Pendant les 372 ans de leur sujétion, ils avaient six églises paroissiales, savoir: Saint-Just, dont le recteur faisait les fonctions d'évêque, Saint-Luc, Sainte-Eulalie, Saint-Marc, Saint-Torcat, Saint-Sébastien. Le pape Jules III leur a concédé, ainsi qu'à tous ceux ou celles qui s'allieraient à eux par mariage, le droit, en quelque endroit qu'ils habitassent, de ne relever que de l'une de leurs six paroisses, et d'y payer exclusivement les dixmes. L'histoire des Mozarabes et de leur rite gothique a été traité, avec détail, par le docteur Francisco de Pissa, et par maître Alonzo de Villegas, dans sa Flos sanctorum, tous deux chapelains de la chapelle mozarabe de Corpus Christi, à Tolède, chapelle illustre qui fut dotée de treize prêtres desservant à perpétuité, par le cardinal de Ximenès, lorsque, pour sauver des ravages du temps la pureté du rite mozarabe, il en fit traduire l'office complet en latin, sur l'original gothique, lequel, par parathèse, doit être un précieux monument à consulter pour le langage vulgaire castillan au VIIIe siècle, s'il est conservé dans les archives du chapitre de Tolède, ainsi que nous le pensons, car on ne touche à rien dans ce pays.
Le livre d'où nous extrayons ces détails, et ceux qui suivent, unique peut-être en France, est, en Espagne même, de la plus grande rareté. Il faudrait le transcrire tout entier pour donner une idée exacte des nombreuses différences qu'il signale entre le rite mozarabe et notre rite latin; nous nous bornerons à rapporter les plus marquantes, en commençant par dire que c'est saint Isidore, archevêque de Séville, mort en 736, qui passe pour l'auteur de ce rite gothique. Dans ce rite, il y a six dimanches de l'Avent au lieu de quatre. Il y a aussi un dimanche de l'Avent pour la Nativité de saint Jean-Baptiste. Au dimanche qui précède le carême, et qui s'appelle le dimanche des chairs supprimées, de carnes tollendas, on lit l'évangile du Mauvais riche et de Lazare. Les messes dominicales du carême commencent par deux prophéties ou plus, après la confession générale. De même pour les messes de vigiles. Il y a des messes de requiem particulières pour les évêques, pour les simples prêtres, diacres et sous-diacres, et pour les petits enfans morts dans le baptême; les messes des martyrs espagnols, tels que saint Laurent, saint Vincent, sainte Eulalie, saint Just et saint Rufin, sont notablement plus longues et plus solennelles que les autres. On ne chante qu'une seule Passion, celle du vendredi saint, et l'évangile de la Résurrection se dit durant toute la semaine pascale. A Noël, on ne dit qu'une seule messe au lieu de trois. L'office se célèbre tous les jours dans la chapelle mozarabe de Corpus Christi. Tous les offices commencent par les Vêpres, qui sont très courtes, aussi bien que les Matines. Les Complies commencent par le psaume: Signatum est super nos lumen vultus tui, Domine, etc. Excepté le jour de Sainte-Madeleine et une fête de la Vierge, on ne dit jamais ni cantiques ni magnificat; le Pater Noster est, à chaque demande à Dieu, coupé par une demande additionnelle en paraphrase, ce qui semble une invention bien malheureuse. Nos Latins ont été plus sages en n'ajoutant rien à ce qui dit tout.
LA SAGE FOLIE,
Fontaine d'allégresse, Mère des Plaisirs, Reyne des Belles humeurs; pour la défense des personnes joviales; à la confusion des Archi-Sages et Protomaistres; œuvre morale, très curieuse et utile à toutes sortes de personnes, traduitte en françois, de l'italien, d'Anthoine-Marie Spelte, historiographe du roy d'Espagne, par L. Garon. (2 parties en 1 vol. in-12: la 2e partie a pour titre: la Délectable Folie, support des capricieux, soulas des fantasques, nourriture des bigeares pour l'utilité des cerveaux foibles et retenue des boutadeux.) A Rouen, chez Jacques Cailloué, dans la cour du Palais. M.DC.XXXV.
(1606-35.)
On voit dans M. Brunet que la Saggia Pazzia fut imprimée pour la première fois à Pavie, in-4, en 1606, et qu'il y a, de cet ouvrage, une seconde traduction française d'un sieur J. Marcel, imprimée à Lyon, in-8, en 1650. Les premières traductions de ces sortes d'écrits facétieux sont préférables, en ce qu'elles reproduisent plus naïvement leur allure singulière. Garon dédie la sienne à M. du May, secrétaire de monseigneur d'Halincourt, comme à un grand esprit, capable de patroner le livre immortel de Spelte auprès de la nation française, qui n'est, dit-il, que trop prompte à remarquer les moindres défauts, et ne se met d'ordinaire en campagne, pour approuver, qu'assisté de quelque bon ange tutélaire. Il ne demande, au surplus, qu'un petit filet de patience au lecteur, pour pénétrer dans le sens intérieur de la Sage Folie, et voir qu'en effet cette folie est très sage et très utile. François Spelte, en sa qualité de créateur, prend un ton plus fier dans sa préface; il n'implore pas la patience, il l'impose et justifie ses éloges de la Folie sous le prétexte que l'esprit le plus grave veut du relâche. Domitien ne passait-il pas du temps à embrocher des mouches? Hartabus, roi des Hircaniens, à prendre des taupes? Bias, roi des Lydiens, à enfiler des grenouilles, comme Homère à les chanter? Æsopus, roi des Macédoniens, à faire des lanternes...? Silence donc, ignorans censeurs! testes de concombre! et lisez...! Lisons donc de peur d'être appelés têtes de concombre!
La première partie renferme trente et un chapitres, tous consacrés à l'honneur de la Folie, amie de la nature, de grand secours aux petits enfans, aux femmes, pour les inciter à devenir grosses plus d'une fois; aux adolescens, pour leur donner de la grace; aux hommes faits, pour soutenir leur ardeur; aux vieillards, pour soulager leurs maux; cause d'amitié, instrument de gloire, ame de la guerre, etc., etc. Nombre de citations de poètes anciens, de traits d'histoire cousus à cet éternel panégyrique de la Folie, composent les trois quarts de l'ouvrage. Le reste est une paraphrase de cette idée juste, que l'homme a besoin, pour agir avec une sorte de goût et d'énergie dans les affaires de ce monde, de voir les choses autrement qu'elles ne sont en réalité.
La deuxième partie ne renferme que vingt-quatre chapitres, où l'auteur, particularisant son sujet, qu'il n'a, jusque là, traité que généralement, s'étend sur les délices que la Folie procure aux poètes, aux pédagogues, aux grammairiens, aux auteurs de tout genre, aux astrologues, aux nécromanciens et magiciens, aux joueurs, aux plaideurs, aux alchimistes, aux chasseurs, aux amateurs de bâtimens, aux fantasques, aux ambitieux, aux amans, etc., etc.: le tout finit par une critique amère de la folie brutale des mascarades. Spelte n'est pas assez gai dans ses satires; car c'est la satire qui est sa Minerve, ainsi que celle de tous les panégyristes de la Folie, depuis Érasme et Rabelais jusqu'à Tabarin. Il a, toutefois, un chapitre plaisant sur la manie pédantesque des érudits de son temps, de latiniser le langage vulgaire, chapitre qui trouverait son application de nos jours. On y voit qu'un pédant de Bologne, annonçant que des bannis menaçaient la ville de pillage, et le gouverneur de la mort, s'exprima ainsi: «Vereoque per la copia de ces exuls, l'antistite ne soit nèce un jour;» qu'un autre, adressant une lettre à Padoue, sur la place du Vin, à l'Épicerie de la Lune, écrivit: «En la cité Anténorée au dessus du fore de Bacchus, à l'Aromaterie de la déesse triforme;» qu'un troisième, injuriant une fille, lui dit: «Cette lupe romulée a toujours l'œil aux locules et ne se voit jamais qu'avec un ris de Cythérée, parce qu'elle n'est pas sature de son ingluvie.» Les bonnes fortunes, en fait de plaisanterie, sont rares chez l'auteur, beaucoup trop sage pour un écrivain facétieux. La faute, il est vrai, pourrait bien retomber en partie sur le traducteur, puisqu'il n'y a rien de plus intraduisible que le rire.
LE TOMBEAU ET TESTAMENT
DU FEU COMTE DE PERMISSION,
Dédié à l'Ombre du prince de Mandon par ceux de la vieille Académie. A Paris, par Toussainct Boutillier, demeurant à la rue Sainct-Nicolas-du-Chardonneret. (1 vol. in-12 de 24 pages.)
(1606.)
Bernard de Bluet d'Arbères, comte de Permission, ou Sans Permission, se disant chevalier des ligues des treize cantons suisses, vivait sous Henri IV, à qui il dédiait toutes les rêveries qu'il s'avisait d'imprimer, puis de colporter pour de l'argent. Les curieux recherchent infiniment le recueil complet des 103 opuscules qu'il a composés, et qu'on ne trouve plus guère, non plus que son Testament et son Tombeau. Ses contemporains, croyant que les folies qu'il débitait renfermaient des prophéties cachées, ne dédaignaient pas de les acheter; aujourd'hui c'est la manie du rare qui leur donne seule de la valeur. Les pièces préliminaires du présent volume de poésies nous apprennent que le comte de Permission naquit en Savoie, qu'il garda les moutons dans son enfance, fut ensuite charron, puis prophète mélancolique, en Piémont, à la cour du duc son maître, d'où ayant été chassé, il vint en France, s'y fit quelque réputation par son originalité, qui n'était pas dépourvue de noblesse, et mourut pauvre en 1606 de la manière honorable qu'on va voir. Maistre Guillaume, Du Bois, Des Viettes, Chasteaudun, et Pierre Du Puy lui élevèrent ce tombeau, où il est dit que:
On lit, à la page 23, l'épitaphe ci-après dudit comte, écrite en français orthographié, selon la prononciation allemande, pour l'honneur de la gravelure.
A l'égard du testament, il n'y a rien à en dire, tant il est pauvre d'esprit et même de singularité, si ce n'est qu'un bibliomane est tout fier de le rencontrer pour 50 francs.
ÉTAT DE L'EMPIRE
ET GRANDE DUCHÉ DE MOSCOVIE;
Avec ce qui s'y est passé de plus mémorable et tragique pendant les regnes de quatre empereurs; à sçavoir, depuis l'an 1590, jusques en l'an 1606, en septembre; par le capitaine Margeret. A Paris, chez Jacques Langlois. M.DC.LXIX (1669). 1 vol. in-12: la 1re édition est de 1607.
(1607-1669.)
«Sire (le capitaine Margeret s'adresse à Henri IV), si les sujets de V. M., qui voyagent en pays éloignés, faisaient leurs relations au vrai de ce qu'ils ont vu et marqué de plus notable; leur profit particulier tournerait à l'utilité publique..., et leverait l'erreur à plusieurs que la chrétienté n'a de bornes que la Hongrie; car je puis dire avec vérité, que la Russie, de laquelle j'entreprends ici la description, par le commandement de V. M., est l'un des meilleurs boulevarts de cette chrétienté, et que cet empire et ce pays-là est plus grand, puissant, populeux et abondant que l'on ne cuide, et mieux muni et défendu contre les Scythes et autres peuples mahométans que plusieurs ne jugent. La puissance absolue du prince le rend craint de ses sujets, et le bon ordre et police du dedans le garantit des courses ordinaires des barbares... Après donc, Sire, que vos trophées et votre bonheur eurent acquis à V. M. le repos duquel la France jouit à présent, et voyant, de là en avant, mon service inutile à V. M. et à ma patrie, que je lui avais rendu pendant les troubles, sous la charge du sieur de Vaugrenan, à Saint-Jean de Losne, en Bourgogne, j'allai servir le prince de Transylvanie, et, en Hongrie, l'empereur, puis le roi de Pologne, en la charge d'une compagnie de gens de pied, et finalement la fortune m'ayant porté au service de Boris, empereur de Russie, il m'honora d'une compagnie de cavalerie; et, après son décès, Démétrius, reçu audit empire, me continua en son service, me donnant la première compagnie de ses gardes; et, pendant ce temps, j'eus moyen d'apprendre, outre la langue, une infinité de choses concernant son état, les lois, mœurs et religion du pays, ce que j'ai représenté, par ce petit discours, avec si peu d'affectation et tant de naïveté, que non seulement V. M., qui a l'esprit admirablement judicieux, mais aussi chacun y reconnaîtra la vérité, laquelle les anciens ont dit être l'ame et la vie de l'histoire... Je supplie Dieu de maintenir V. M., Sire, etc., etc., etc.»
Le capitaine Margeret traite ensuite sa matière à peu près comme nous allons l'exposer par abrégé, en divisant, avec sa permission, son sujet en deux parties, par respect pour la méthode.
PARTIE DESCRIPTIVE.
Russie est un pays de grande étendue, plein de grandes forêts aux endroits les mieux habitués, du côté de la Lithuanie et Livonie, et de grands marécages, qui sont comme ses remparts... Ce pays borde à la Lithuanie, à la Podolie, au Turc, au Tartare, à la rivière d'Obo (le fleuve Oby), à la mer Caspienne, puis à la Livonie, à la Suède, Norwége, Terre-Neuve et mer Glaciale... Depuis Smolensqui, ville murée de pierres au temps de Théodore Juanevitz, par Boris Fœderovitz, lors protecteur de l'empire (vers 1584), jusqu'à Casan, il y a bien 1,300 verstes, la verste faisant le quart de notre lieue. Casan était autrefois un royaume absolu de Tartarie, qui aurait été conquis par les grands ducs Basilius Johannès et son fils Johannès Basilius. Le prince en fut pris prisonnier par Johannès Basilius, et vit encore en Moscou: il s'appelle Tsar Siméon... De Casan à Astrican, vers la mer Caspienne, il y a quelques 2,000 verstes... Astrican fournit toute la Russie de sel et poissons salés, et l'on tient le pays entre Astrican et Casan très fertile, encore que presque point peuplé. Ce pays a été conquis par Johannès Basilius, qui subjugua aussi une autre grande province tartare, laquelle, nommée Sibérie, joint la rivière d'Obo, est remplie de bois et marais, et est le lieu où l'on envoie en exil les disgraciés. La Russie est fort froide au septentrion et à l'occident, y ayant six mois de neige; mais le long du Volga, aux campagnes de Tartarie, vers Casan et Astrican, elle est fort tempérée et fertile en grains, fruits, voire même vignes sauvages. Il y a toute sorte de venaison, hormis de sangliers; les lapins y sont fort rares; les troupeaux, surtout les moutons y abondent...; l'habitant est paresseux et adonné à l'ivrognerie; le principal breuvage est le médon, l'eau de vie mêlée de miel, duquel il y a quantité, comme de cidre, et aussi la cervoise. Tous indistinctement, hommes, femmes, filles, enfans, ecclésiastiques, gentilshommes, boivent jusqu'à fin de boisson... Ce pays reçut le christianisme y a environ 700 ans (vers 900), premièrement par un évêque de Constantinople. Ils tiennent la religion grecque, et baptisent les enfans, les plongeant trois fois dans l'eau: ils ont plusieurs images, mais nulle taillée que la croix; ils ont beaucoup de saints tant des grecs que des leurs, mais point de saintes, hormis la vierge Marie. Leur plus grand patron est saint Nicolas; ils ont un patriarche qui a été créé au temps de Johannès Basilius (au XVIe siècle), par celui de Constantinople. Les prêtres sont mariés, mais eux veufs ils ne se remarient point et ne peuvent plus administrer les sacremens ni confesser. Leurs archevêques et évêques, non plus que les moines, n'étant pas mariés, n'administrent point les sacremens...; ils ont quatre carêmes, outre les vendredis et samedis, durant lesquels ils ne mangent point de chair, c'est à dire durant la moitié de l'année...; ils ont les saintes Ecritures en leur langue, qui est l'esclavonne; leur ignorance, du reste, est grande et mère de leur dévotion; ils abhorrent la langue latine, et n'y a aucune école ni université entre eux. Il n'y a que dix à douze ans que l'imprimerie est connue en Russie.... On y enterre les morts sans attendre les vingt-quatre heures, du matin au soir; ils font des interrogatoires aux morts et bien des folies et festins aux enterremens...; tous les passages du pays sont tellement fermés, qu'il est impossible d'en sortir sans licence de l'empereur; car c'est la nation la plus défiante et soupçonneuse du monde...; la plupart de leurs châteaux et forteresses sont de bois. La ville de Moscou a trois enceintes de bois, dont la première est aussi étendue, j'estime, que Paris, et y a le château qui est grand et fut bâti au temps de Basilius Johannès par un Italien... Tout dépend de l'empereur, qui n'a conseil que de forme, et ce prince est le plus absolu qui soit sur la terre; ses frères même étant appelés clops hospodaro (esclaves de l'empereur)...; la justice y est sévère, et tout juge qui a reçu des présens est fouetté et exilé...; les femmes sont toutes fardées, jeunes et vieilles; elles sont tenues de fort près, et ont leur logis séparé de celui de leurs maris: on ne les voit jamais, car c'est une grande faveur qu'ils se font, les uns aux autres, que de se montrer leurs femmes...; ils ont beaucoup de vieillards de quatre-vingts, cent et cent vingt ans, connaissant peu les maladies et point la médecine, si ce n'est l'empereur. Quand ils sont malades, ils mettent une charge de poudre d'arquebuse dans un verre d'eau de vie, avalent cela bien remué, puis vont à l'étuve où ils suent deux heures... Les revenus de l'empire sont grands et le trésor bien fourni d'or, d'argent, de joyaux et d'étoffes, vu qu'il ne sort point d'argent du pays et qu'il y en entre toujours, contre marchandises. Ils n'ont d'autre monnoie que des denins ou kopeck qui valent 16 deniers tournois, lesquels ils réduisent en roubles qui valent chacun cent denins ou 6 livres 12 sous tournois.... La garde de l'empereur est composée de 10,000 strélitz ou arquebousiers qui résident à Moscou. Les empereurs ne sortent guère souvent qu'ils n'aient 18 ou 20,000 chevaux avec eux. Leur armée est commandée par des vaivodes, et se divise en cinq corps principaux, distribués sur les frontières de Tartarie pour empêcher les courses des Tartares. Il n'y a autre office en l'armée que les susdits généraux, sinon que toute la gendarmerie, tant cavalerie qu'infanterie, est réduite sous capitaines, sans lieutenans, enseignes, trompettes ni tambours. Ils font sentinelle perpétuelle, avec vedettes avancées, contre les Tartares qui sont si lestes, dans leurs courses, que de tromper la surveillance. La plus grande force des Russes est en cavalerie dont ils ont innombrablement, parce que chaque ville, bourg et bourgade fournissent des hommes montés. Leurs chevaux, la plupart de Tartarie, sont bons, petits, durent jusqu'à 25 ou 30 ans, et passent pour jeunes à 10 ou 12 ans. Hors les 10,000 strélitz et les corps des frontières, presque toutes les troupes sont convoquées au besoin de guerre, et rentrent, à la paix, dans leurs foyers... L'empereur a peu de communication avec les autres souverains, dont il se méfie.
PARTIE HISTORIQUE.
On tient que l'extraction des grands ducs a été par trois frères sortis du Danemarck, lesquels envahirent la Russie, Lithuanie et Podolie, vers l'an 800, et Ruric, frère aîné, se fit appeler grand duc de Wolodimir, duquel sont descendus tous les grands ducs en ligne masculine jusqu'à Johannès Basilius, lequel a premier reçu le titre d'empereur par Maximilien, empereur des Romains, après les conquêtes de Casan, Astrican et Sibérie, au XVIe siècle. Ce Johannès Basilius, surnommé le Tyran, a eu sept femmes, ce qui est contre leur religion, laquelle ne permet d'en prendre plus de trois, desquelles sept femmes il eut trois fils. On dit qu'il tua l'aîné de sa propre main avec le bâton à tête d'acier recourbé qui servait de sceptre en ce temps. Le second fils, Théodore Juanovitz, succéda au père. Le troisième fut Démétrius Johannès, lequel était venu de la septième femme. Donc Basilius le tyran maria son second fils Théodore à la fille d'un gentilhomme de bonne maison, nommé Boris Fœderovitz, qui s'attira les bonnes grâces de son empereur jusqu'à la mort dudit empereur Johannès Basilius arrivée en 1584. Théodore, le nouvel empereur, était un homme fort simple, dont tout le plaisir était de sonner les cloches en l'église, d'où le peuple, qui avait fait mine de le déposer, se contenta de choisir le beau père Boris pour protecteur, lequel était subtil et d'autant très entendu aux affaires, et très aimé des Russes. Théodore, sans enfans, ayant perdu sa fille unique à l'âge de trois ans, Boris affecta l'empire, exila l'impératrice douairière, et son fils Démétrius Johannès, lequel, plus tard, il ordonna de tuer, âgé de sept ou huit ans qu'il était; chose qui fut faite, ou non, selon ce que nous allons voir. Cette exécution cruelle, encore que secrète, occasiona de la rumeur à Moscou, ville où les habitans sont religieux. Que fit Boris pour ressaisir la confiance populaire? Il fit secrètement incendier un quartier de cette ville de bois, et publiquement, s'entremit si bien à éteindre l'incendie et à dédommager les marchands qu'il augmenta son crédit; et lorsqu'en 1598 Théodore, son gendre et son maître, fut mort, il usa d'un nouveau subterfuge très habile pour se faire donner l'empire, faisant circuler, sur l'avis qu'il avait reçu de la prochaine venue d'une grande ambassade tartare, que les Tartares allaient attaquer Moscou; dont il assembla une grande armée, dit-on, de 500,000 hommes, alla au devant des Tartares après s'être fait élire empereur, dissipa l'ambassade avec des présens, et revint triompher à Moscou, en toute paix, ayant ainsi, d'un coup, assuré le dehors et le dedans... Il employa lors tous bons moyens de se maintenir, rendant à chacun bonne justice, se laissant facilement aborder, entretenant des alliances foraines, et mêlant le sang de sa famille avec les plus grandes maisons de Moscou, hormis avec deux ou trois rivales, l'aîné de l'une desquelles, appelé Vasilei Juanovitz Choutsqui, règne à présent en Moscovie...; en 1601, commença en Russie cette horrible famine qui dura trois ans, où la mesure de bled, qui se vendait d'ordinaire 15 sous, se vendait pour lors 3 roubles, ou 20 livres. Il se commit d'énormes cruautés durant ce fléau. Les familles se dévoraient les unes les autres, et souvent le mari était tué et mangé par sa femme. Il périt à Moscou plus de 120,000 personnes. Une grande cause de ces morts fut les aumônes mêmes de Boris, lesquelles attiraient à Moscou la population des campagnes, et diminuaient d'autant les ressources de vivres... Vers ce temps, un bruit étant venu à Boris que le petit Démétrius Johannès, qu'il avait ordonné de tuer, vivait encore, il entra en perpétuels soupçons et tourmens, exilant ceux-ci et ceux-là sur simples délations des maîtres par les serviteurs. Enfin, en 1604, ses soupçons se réalisèrent, et Démétrius Johannès entra en Russie par la Podolie, avec 4,000 hommes, soutenu des Polonais. Les succès de ce compétiteur furent d'abord grands; mais Boris parvint à le battre, et ses affaires étaient en bon train, lorsqu'il mourut d'apoplexie un samedi, 23 avril 1605. Le peuple et l'armée reconnurent d'abord son fils Fœdor Borisvitz; mais plusieurs des grands, entre lesquels Galitchin et Knes Choutsqui ayant passé à Démétrius le 17 mai, une conspiration s'ourdit à Moscou, par l'entremise des Choutsqui; le fils de Boris fut arrêté prisonnier, et Démétrius, qui était à Thoula, reçut l'avis d'arriver dans la capitale, où il serait salué empereur. Il entra dans Moscou le 30 juin de l'année 1605, après avoir fait étouffer Fœdor Borisvitz et sa mère, et fut couronné, le 31 juillet suivant, à Notre-Dame.
Le premier soin de Démétrius fut de resserrer son alliance avec les Polonais, et de se donner une garde étrangère, notamment une compagnie de cent archers et deux cents arquebousiers dont il me confia le commandement. Il se rapprocha de Vasilei Choutsqui, dont il avait d'abord eu à se plaindre, sitôt après son couronnement, au point de le condamner à perdre la tête, se montra prince clément, et fit régner la douceur et la liberté, choses nouvelles pour ce pays. Cependant on ne tarda pas à faire des menées contre lui, à l'instigation de Choutsqui. 4,000 Cosaques, gens de pied, s'assemblèrent entre Casan et Astrican. Ils avaient à leur tête un prétendu fils de Théodore Juanovitz, qu'ils nommaient Zar Pieter, et avait 16 à 17 ans. Cette révolte ne dura guère. Sur ces entrefaites arriva, en grande pompe, à Moscou, l'impératrice que Démétrius avait épousée, laquelle était une princesse polonaise. Elle fut couronnée le 17 mai 1606; mais le samedi, 27 du même mois, comme chacun ne songeait qu'aux fêtes, Démétrius fut inhumainement assassiné avec 1,700 Polonais, sur l'ordre de Vasilei Juanovitz Choutsqui, le chef des conspirateurs, lequel fut élevé à l'empire. Tout le pays fut alors en trouble et agitation, ne sachant le peuple auquel obéir. Vasilei Choutsqui imagina, pour s'affermir, de faire passer pour faux Démétrius l'empereur qu'il avait assassiné, et fit déterrer le prétendu vrai Démétrius enfant, lui faisant de magnifiques funérailles... Je ne vis point tuer l'empereur Démétrius à cause que j'étais pour lors malade; mais ce fut une grande perte pour la chrétienté et pour la France qu'il aimait, n'ayant rien que de civilisé. On a dit qu'il avait été élevé par les jésuites; cela est faux; il n'introduisit que trois jésuites en Russie, où avant lui nul jésuite n'avait paru... Je sortis de Russie le 14 septembre 1606, et depuis, j'ai su que Choutsqui avait été assailli de craintes et de révoltes nouvelles. Quant à ce qui est de l'empereur Démétrius Johannès, que Choutsqui voulut faire passer pour faux, je tiens qu'il était vrai fils de l'empereur Johannès Basilius dit le tyran, et non point usurpateur, ayant d'ailleurs les belles qualités d'un légitime roi.
Les historiens modernes n'ont généralement pas adopté ce sentiment du capitaine Margeret touchant Démétrius: en tout, ils se sont, sur beaucoup de points, éloignés de son récit. Nous ne persistons pas moins à regarder sa relation comme un renseignement précieux, fondé qu'il est sur les traditions du pays, dans la persuasion où nous sommes que la tradition orale est le flambeau de l'histoire, même pour les pays où les documens écrits abondent plus qu'en Russie. Dans tous les cas, cette relation servirait, s'il en était encore besoin, à témoigner, par le tableau qu'elle présente de l'empire moscovite, en 1600, à témoigner, disons-nous, d'une vérité que M. de Voltaire a proclamée, que J.-J. Rousseau a méconnue, savoir, que le czar Pierre, monté sur le trône en 1689, c'est à dire 83 ans seulement après la catastrophe de Démétrius, est un des personnages les plus merveilleux de l'histoire du monde.
SCALIGERANA, THUANA, PERRONIANA,
PITHŒANA ET COLOMESIANA;
Avec des notes de plusieurs savans (Recueil publié par des Maiseaux). Amsterdam, chez Covens et Mortier. (2 vol. in-12.) M.D.CC.XL.
(1607-68-69-95—1740.)
Voici la fleur des ana. C'est le savant des Maiseaux, l'auteur des vies de Bayle et de Saint-Evremond, qui l'offre à M. Mead, médecin du roi d'Angleterre, éditeur de la magnifique édition anglaise de l'histoire de M. de Thou. Ce recueil contient les conversations de M. de Thou l'historien, du cardinal du Perron, de François Pithou, frère de Pierre Pithou, à qui nous devons la connaissance des fables de Phèdre, et la belle harangue du lieutenant civil d'Aubray dans la satire ménippée, enfin celles du docte et honnête Colomiés, l'auteur de la bibliothèque choisie, et de Joseph Scaliger, fils du grand Jules-César de la Scala, soi-disant issu des princes de Vérone. Nous ferons connaître, dans leur ordre, quelques unes des particularités de ces divers ana qui nous ont le plus frappé.
THUANA.
MM. du Puy avaient recueilli les Dits de M. de Thou. Un conseiller au parlement de Paris, M. Sarrau, les transcrivit en 1642. Ce manuscrit, tombé entre les mains d'Adrien Daillé, fils du célèbre ministre calviniste de ce nom, fut copié pour Isaac Vossius, qui le fit imprimer très fautivement, en 1669. Plus tard, M. Buckley en donna une réimpression correcte, enrichie de notes de Daillé, de Le Duchat et de des Maiseaux, laquelle est ici reproduite avec une fidélité qui nous permet d'en citer divers passages avec toute confiance. Il est bon d'avertir que, dans ces extraits, comme dans le livre, c'est l'auteur lui-même qui parle. Ainsi, pour commencer, nous allons entendre M. de Thou abrégé.
Le marquis de Pisani, homme de haut lieu, ami des savans sans aucunement l'être, fut un des plus grands ministres qu'ait eus la France. Sa vie serait belle à écrire, car elle fut une perpétuelle ambassade, occupée en de grandes affaires dont il sortait fort généreusement. Il soutenait à merveille l'honneur de son maître, et s'en faisait rendre par tous les souverains, à force de garder sa dignité. En 1568, il se fit restituer d'autorité un sujet français que le pape avait emprisonné, et obligea, une autre fois, le roi d'Espagne à lui envoyer les députés d'une certaine ville lui faire excuse d'une injure. C'est lui qui, sommé par Sixte-Quint de quitter ses Etats sous huit jours, répondit qu'il n'aurait pas de peine à en sortir sous 24 heures.
Nos rois ont été détournés d'envoyer des ecclésiastiques à Rome, depuis que MM. de Rambouillet et de la Bourdaisière s'étaient fait faire cardinaux malgré leurs instructions (voilà qui est bien, dirons-nous à M. de Thou; mais si nos rois envoient à Rome des laïcs qui ne soient pas ducs, les papes les feront princes, et d'ailleurs les papes ne sont pas les seuls souverains qui aient des titres de princes et de ducs à vendre, ainsi que des cordons et autres insignes. Le meilleur remède serait d'interdire aux sujets français d'accepter quoi que ce fût des princes étrangers).
M. de Foix, en Italie, avait un médecin allemand qui opérait des guérisons merveilleuses avec l'antimoine.
Muret me disait à Rome, durant le règne de Pie V: «Nous ne sçavons que deviennent les gens ici. Je suis esbahi quand je me lève, que l'on vient me dire, un tel ne se trouve plus, et si, l'on n'en oseroit parler. L'inquisition les exécutoit promptement.»
Toute la politique du pape Sixte-Quint tournait sur ce point, qu'il voulait chasser les Espagnols de Naples et réunir ce royaume à l'État romain. C'était, du reste, un méchant moine et le plus grand extorqueur d'argent qui fût oncques.
De Xaintes, qui avait été au concile de Trente, disait qu'il y avait plus du nobis que du spiritui sancto.
J'ai connu le bon-homme de Roques qui se nommait Secondat. Il demeurait à Agen, et si, il était de Bourges. Il avait épousé la sœur de la femme de Jules Scaliger. Il eut beaucoup d'enfans. L'un fut tué au siége d'Ostende (en 1604), un autre vit à la cour fort mélancolique. (M. de Thou nous donne ainsi la source généalogique de M. de Montesquieu. Ce grand esprit sortait donc d'une famille de Bourges. Cette antique cité peut désormais changer ses armes, ou, du moins, les écarteler hardiment d'un aigle d'or éployé.)
PERRONIANA.
L'histoire du Perroniana est la même que celle du Thuana. Les articles y sont rangés par ordre alphabétique. Nous y avons remarqué ce qui suit:
La plus envieuse et la plus brutale nation, à mon gré, c'est l'Allemande, ennemie de tous les étrangers. Ce sont des esprits de bière et de poisle, envieux tout ce qui se peut. C'est pour cela que les affaires se font si mal en Hongrie... Les Anglais encore sont plus polis de beaucoup... La noblesse est fort civilisée; il y a de beaux esprits... Les Polonais sont de fort honnêtes gens; ils aiment les Français. Les Allemands leur veulent un grand mal.
Les Amadis ne sont point de mauvais style, ceux qui sont traduits par des Essars (les huit premiers livres); un jour, le feu roi (Henri III) voulait que je les lui lusse pour l'endormir, et après lui avoir lu deux heures, je lui dis: «Sire, si l'on savait à Rome que je vous lusse les Amadis, on dirait que nous sommes empêchés à grand'chose.»
L'Anticoton (de l'avocat au parlement de Paris, César du Pleix) est un livre bien fait, et il ne s'est fait de livre contre les jésuites qui les ruine tant. Ils sont trop ambitieux, et entreprennent sur tout.
Il n'est point vrai que le pape Zacharie au temps de Pépin, ni saint Augustin, aient nié les antipodes, dans le sens que la terre était plate comme une assiette, d'autant qu'ils la tenaient pour ronde, aussi bien que Cicéron, Méla et Macrobe; mais ne sachant pas alors que la zone torride fût pénétrable, ils niaient qu'elle fût habitée par des hommes, ce qui eût été, dans ce cas, contraire à la foi, comme le serait l'opinion que la lune est habitée par des hommes. S'ils eussent su que la zone torride fût pénétrable, et aujourd'hui que l'Eglise sait qu'elle l'est, il n'y a plus de difficultés canoniques sur le point des antipodes.
Nous ne saurions convaincre un arien par l'Écriture; il n'y a nul moyen que par l'autorité de l'Église.
Otez à ceux de la religion saint Augustin, ils n'ont plus rien, et sont défaits. Aussi me suis-je appliqué à éclaircir cinquante passages admirables de cet auteur.
La science des cas de conscience est périlleuse et damnable; elle ne sert qu'à mettre les ames en anxiété; il faut, sur ces matières, s'en remettre à la prudence et discrétion des confesseurs.
On ne révélait pas jadis les mystères de l'Eucharistie aux catéchumènes; au contraire, il était expressément défendu de le faire.
(Le mot si connu, je vous envoie une longue lettre, n'ayant pas eu le temps de la faire courte, est d'Antoine de Quevara, l'auteur espagnol du Réveil-matin des courtisans, dans une lettre qu'il écrit au connétable de Castille, le 13 janvier 1522. L'histoire des bons mots en circulation serait une chose piquante.)
(Où le cardinal du Perron a-t-il vu que Commode fût conçu de Marc-Aurèle par Faustine, la même nuit qu'il lui avait fait boire du sang d'un gladiateur dont elle était amoureuse, pour lui en amortir la passion?)
Il peut venir beaucoup plus de scandale à l'Église s'il fallait tenir que le pape est sous le concile, que s'il fallait tenir l'opinion contraire; parce qu'il est malaisé d'assembler un concile, et avant qu'il fût assemblé, le mal pourrait gagner. Ils tiennent à Rome que le concile est par dessus le pape en trois cas seulement; quand le pape est schismatique, simoniaque, ou hérétique; qui est autant à dire que le concile n'est jamais par dessus lui; parce que si le pape est schismatique, il est douteux; s'il est simoniaque, il est hérétique, et s'il est hérétique, il n'est rien. (Ici nous demanderons à du Perron la permission de conclure contrairement, que s'ils disent cela à Rome, ils donnent gain de cause absolument à l'opinion que le concile est au dessus du pape; mais ils ne disent point cela à Rome; ils disent que le pape est infaillible ex cathedra, et ils voient le vrai pape dans celui des compétiteurs du Saint-Siége qui a le dernier. Quant à la réflexion première du cardinal, elle est fort sensée.)
(Lisez, dans le Perroniana, l'article CONFORMITÉ, pour apprendre ce que c'est qu'un théologien subtil, et combien cette espèce d'hommes-là est ingénieuse à troubler la raison, en fendant les cheveux en quatre. Vous saurez comment, entre la conformité actuelle d'opinion et la non-conformité il y a quatre degrés, savoir: la répugnance, la compatibilité, la congruité et la conformité potentielle; et comment les actes de saint Luc sont, avec son évangile, dans un rapport de conformité potentielle, mais non pas de conformité actuelle; après quoi vous ne serez pas plus instruit à respecter l'évangile et à pratiquer ses maximes.)
Les épîtres des papes et les décrétales sont toutes fausses jusqu'à Siricius (saint Sirice, pape en 384). Ces anciennes épîtres des papes ont été forgées en Espagne au temps de Charlemagne.
Les langues commencent par la naïveté et se perdent par l'affectation. (Voilà une sentence excellente!)
(C'est un habile homme que le cardinal du Perron, mais c'est un plus grand vantard. Il ose dire de lui, que la nature l'a doué de toutes les sortes d'esprit, qu'il aurait pu, à volonté, exceller dans l'histoire, dans la poésie, dans les sciences, aussi bien que dans les langues et la théologie. Ce n'est pas tout: il a des prétentions à l'agilité, à la force, à la grace du corps, et tire orgueil d'avoir sauté jusqu'à 22 semelles après avoir bu 20 verres de vin. Il a une singulière manière d'argumenter en faveur de la persécution des hérétiques, en opposition à ceux qui objectent que la primitive Église s'éleva contre les édits sanguinaires des empereurs en matière de religion: c'est, dit-il, qu'alors l'Église avait intérêt à la tolérance, au lieu qu'une fois sur le trône avec Constantin, elle eut intérêt à l'intolérance; et qu'il est fort sage de gouverner selon les temps et les lieux. Voilà ce qui s'appelle sauter 22 semelles en logique après s'être enivré de son vin.)
Dans le vieux Testament, il n'est parlé ni du paradis ni de l'enfer selon le sens où nous l'entendons; et, dans le nouveau, hormis dans deux passages indirects, on n'y voit rien du purgatoire. C'est donc par l'autorité de l'Eglise qu'il faut appuyer l'existence du purgatoire.
La version latine, dite la Vulgate, du vieux Testament est de saint Jérôme; mais celle du nouveau Testament n'en est pas et fut seulement retouchée par lui.
L'historien du Haillan disait, des faux titres anciens, qu'il avait mangé de la brebis sur la peau de laquelle on les avait écrits.
PITHŒANA.
Le Pithœana, écrit de la propre main de François Pithou, neveu d'autre François Pithou de cujus, fut recopié par M. de la Croze, bibliothécaire du roi de Prusse, qui le communiqua à M. Teyssier, lequel le publia en tête de ses nouvelles additions aux éloges des hommes savans, tirés de l'histoire de M. de Thou, additions imprimées en 1704, à Berlin. La présente édition est purgée des nombreuses fautes de la première.
M. de Thou n'est pas savant, hors la poésie et le bien-dire; M. Héraud est savant; M. Rigault n'est pas savant...; Loisel n'est pas savant, mais homme de bien... (ces paroles sont à méditer). Elles montrent ce qu'étaient ces hommes du XVIe siècle, et l'estime qu'ils faisaient de la véritable érudition. On n'était point savant, à leurs yeux, pour connaître tout ce qui était publié; mais seulement pour remonter aux sources mêmes, en découvrant, restituant, éclaircissant les manuscrits. De tels savans étaient de vrais prodiges de travail, de patience et d'intelligence. Avec nos habitudes molles et mondaines, nous serions bien ignorans sans eux, et même, avec leurs secours, à peine en savons-nous assez pour profiter de ce qu'ils ont su. Les Scaliger, Poggio, Casaubon, Muret, Cujas, Erasme, Lipse, les deux Pithou, Onuphre, Rhenanus, simple correcteur de l'imprimeur Froben de Basle, Ranconnet, président, et d'abord simple correcteur des Estienne, quels grands noms! Le travail de 20 heures sur 24 n'était qu'une partie des épreuves de la science alors. Il y allait souvent, pour ses adeptes, de la liberté et de la vie. On sait les infortunes des Estienne. La destinée de Ranconnet, l'auteur du dictionnaire de Charles Estienne et des Formules de droit, données sous le nom de Brisson, fut plus cruelle encore. Il mourut en prison pour avoir conseillé la tolérance au cardinal de Lorraine. Son fils périt sur l'échafaud. Sa fille expira sur un fumier!... C'est à ce prix que nous jouissons, dans la mollesse, de quelques lumières et de quelque libertés que nous sommes toujours prêts à jeter au sac des charlatans.
Tous les pères imprimés à Rome sont corrompus. Tout ce que font imprimer les jésuites est corrompu. Les huguenots commencent à faire de même. Les livres de Basle sont bons et entiers.
Paroles de Nicolas le Fèvre: M. de Mesmes, sot bibliotaphe! (c'est à dire, tombeau de livres, parce qu'il ne communiquait pas les livres précieux qu'il amassait. Dieu veuille qu'on ne nous fasse pas le reproche contraire!)
Monsieur, je parle à vous; écoutez-moi: Scientia est cognoscere Deum et cum toto corde amare; reliquum nil est. La vraie science est de connaître Dieu et de l'aimer de tout son cœur; le reste n'est rien.
COLOMESIANA.
Ce recueil fut, une troisième fois, réimprimé par des Maiseaux, avec des additions et des notes, en 1726; il avait d'abord paru en 1706, de la même main, et avant tout, en 1668-75, de la main de Colomiès lui-même.
M. de Valois pensait que plus du quart de la bibliothèque de Photius n'était pas de ce patriarche.
La grande charte d'Angleterre fut trouvée par le chevalier Robert Cotton, avec tous les seings et tous les sceaux, chez un tailleur qui s'apprêtait à en tailler des mesures: il l'eut pour 4 sous.
Le bon-homme Laurent Bochel, qui a fait imprimer les décrets de l'Eglise gallicane, a dit à Guy-Patin, qui me l'a redit, qu'Amyot avait traduit Plutarque sur une vieille version italienne, ce qui fut cause des fautes qu'il a commises. (A ce compte, nous ne sommes pas surpris de l'amertume des reproches que lui a faits le savant de Méziriac, lesquels n'empêcheront pas, si les amateurs du grec n'estiment guère cette traduction, les amateurs du français de l'aimer beaucoup.)
Le célèbre Jacques le Fèvre, poursuivi comme huguenot par la Sorbonne, s'était retiré, dans son extrême vieillesse, à Nérac, près de la reine de Navarre, sœur de François Ier, qui lui était tendrement attachée. Cette princesse lui ayant fait, un jour, l'honneur de venir dîner chez lui avec quelques amis, durant le repas, le bon-homme paraissait triste. Sur la demande que lui fit la reine Marguerite de la cause de son chagrin, il lui répondit en versant des larmes: «Madame, je me vois en l'âge de cent et un ans sans avoir touché de femme; et si, je ne laisse pas de trembler devant les jugemens de Dieu, vu que j'ai fui la persécution par amour de la vie, à l'âge où je devais n'y point tenir, et quand nombre de braves gens, pleins de jeunesse, bravent la mort pour l'Evangile.»—«Rassurez-vous, lui dit la reine, Dieu pardonne aux faiblesses naturelles qui ne sont pas compagnes de malice.»—«Vous croyez?» reprit le vieillard; et sur ce, après avoir légué à sa protectrice et à ses amis tout ce qu'il possédait, il se leva de table, alla se coucher, s'endormit, et ne se réveilla plus.
LE PREMIER ET LE SECOND SCALIGERANA.
Les deux Scaligerana sont le recueil des Dits mémorables de Joseph Scaliger, fils de Jules-César Scaliger. Le premier Scaligerana est l'ouvrage de Vertunien, sieur de Lavau, médecin de Poitiers, mort en 1607. Tannegui le Fèvre, père de madame Dacier, le fit imprimer en latin, avec des remarques, dans l'année 1669, à la prière de l'avocat Sigogne, qui en avait acheté le manuscrit; le second Scaligerana, dont le héros est encore Joseph Scaliger, fut recueilli par Jean et Nicolas de Vassan, ses élèves, qui le donnèrent à MM. du Puy; ceux-ci l'ayant communiqué au conseiller Sarrau, qui le prêta à M. Daillé fils, ce dernier le transcrivit par ordre alphabétique, en 1663, et le confia à Isaac Vossius, lequel le fit imprimer, sans soin, à La Haye, en 1666. Daillé le réimprima, en 1667, à Rouen, avec plus de correction. Des libraires hollandais publièrent ces deux recueils en 1695, et enfin des Maiseaux en donna cette édition, qui est la meilleure, sans compter qu'elle est enrichie de notes de divers illustres personnages; la plus grande partie de ces dits mémorables consiste en scholies sur des termes et locutions grecques et latines, fort estimables sans doute, mais fort peu susceptibles d'analyse. Nous aurons plus égard aux choses qu'aux mots dans les extraits que nous en ferons.
Aristophane est l'auteur le plus élégant des Grecs, comme Térence le plus élégant des Latins.
Calvin est un grand homme et un théologien solide; son Institution chrétienne est un livre immortel, dont l'épître dédicatoire à François Ier est un chef-d'œuvre.
Il vaudrait mieux avoir perdu tout le droit civil, et avoir conservé intacts Caton et Varron.
Catulle, Tibulle et Properce sont les triumvirs de l'amour.
Je fais peu de cas des livres philosophiques de Cicéron, parce qu'il n'y démontre rien, et n'a rien d'Aristotélique.
Ennius était un poète antique de grand génie: plût au ciel que nous l'eussions en entier, au prix de Lucain, de Stace, de Silius Italicus et de tous ces garçons-là.
Paul Jove est très menteur, et de beaucoup inférieur à Guichardin; il écrit avec plus d'affectation que de correction.
Les ambassadeurs à Rome doivent plus dépenser qu'à Venise; quia semper veniunt ex improviso cardinales; à Venise, pauciores visitationes. Olim legati, qui mittebantur Romam, avaient 6,000 écus l'année, et cum redibant, un beau présent; nunc duplicata; il faut que les ambassadeurs qui ad reges et principes mittuntur fassent état d'y employer du leur.
Bellarmin n'a rien cru de ce qu'il a écrit: plane est atheus. (Il est bien indiscret de parler ainsi, sans preuve, d'un tel savant. Bayle a vigoureusement relevé Scaliger sur ce passage.)
Le diables ne s'adressent qu'aux faibles; ils n'auraient garde de s'adresser à moi, je les tuerais tous, ils apparaissent aux sorciers, en boucs.
Grégoire VII a fait brûler à Rome de bons livres, tels que Varron et une infinité d'autres, par pure barbarie.
La Guinée est en Afrique.
Les Nassau ne sont point d'origine princière, mais seulement de race noble et très noble; ils ont eu un empereur, Adolphe; mais de simples nobles jadis pouvaient prétendre à l'empire d'Allemagne, tels que les Hapsbourg.
Barneveld demandait à Maurice de Nassau, à l'occasion d'Ostende qu'il s'agissait de rendre: «Mais pourquoi fortifie-t-on les places s'il faut les rendre?» Il répondit: «C'est comme si vous demandiez pourquoi se marie-t-on si puis après on est cocu?»
Que Sophocle est admirable! c'est le premier des poètes grecs. Quelle divine tragédie que Philoctète! un sujet si simple fournir tant de richesses!
Disons, en finissant, qu'il faut lire les Scaligerana avec précaution, tant parce qu'ils ne présentent point les paroles directes de l'homme, mais seulement celles que lui prêtent des amis qui peuvent s'être trompés ou avoir menti, qu'à cause de l'extrême orgueil du savant qui va, sans cesse, disant du bien de lui et du mal des autres, en des termes souvent grossiers à révolter.
LE BRAVVRE DEL CAPITANO SPAVENTO,
Divise in sesti ragionamenti in forma di dialogo di Francesco Andreini da Pistoya, comico Geloso.
LES BRAVACHERIES DU CAPITAINE SPAVENTO,
DE FRANÇOIS ANDREINI DE PISTOIE,
Comédien de la Compagnie des Jaloux, traduites par Jean de Fonteny, et dédiées au vidame du Mans, Charles d'Angennes, marquis de Pisany. A Paris, par David Le Clerc, rue Frementel, au Petit-Corbeil, près le Puits Certain. (1 vol. in-12.) M.DC.VIII.
(1608.)
Six entretiens burlesques entre le capitaine Spavente, comme qui dirait le capitaine Tempête, et Trappola son valet, composent cette facétie. Dans le premier entretien, le capitaine discourt de sa merveilleuse origine et d'une revue générale de la cavalerie à laquelle il veut se rendre, monté sur Bucéphale, couvert d'une cuirasse forgée par Vulcain, et armé des propres mains du dieu Mars. Dans le second entretien, le capitaine raconte comment, s'étant amusé, par désœuvrement, un certain jour, à guerroyer contre Jupiter, il l'a fait son prisonnier, en le terrassant par le moyen d'une douzaine de pyramides qu'il lui a jetées à la tête. Le troisième entretien est consacré à la description du jeu de ballon, des courses de bagues et des joûtes, ainsi qu'à l'ordonnance d'un festin où la petite poitrine de Vénus et les génitoires d'Hercule devront être mis au pot. Au quatrième ragionamento, le capitaine donne au bénévole Trappola une description modeste de ses chasses au cerf ou à la biche d'Ascagne, du sanglier d'Erymanthe et de l'ours arctique et antarctique. Au cinquième, il parle de ses bâtards dont il a plusieurs milliers, ayant défloré deux cents pucelles en une demi-nuit par suite d'une seule gageure contre Alcide, et aussi d'une querelle qu'il eut avec Janus, dans laquelle il se vit contraint, pour apprendre à vivre au double dieu, de lui donner deux soufflets sur ses deux faces de manière à lui faire pirouetter la tête comme un tonton. Enfin au sixième et dernier ragionamento, le capitaine Spavente rend compte de son habitation superastrale, de son épée diamantine et de sa galère d'or aux voiles de pourpre, c'est à dire d'une quantité de folies et de rodomontades qui ne sont guère plaisantes à la lecture, mais qui pouvaient réjouir les Italiens quand l'acteur auteur Andreini leur prêtait le secours de sa pantomime joyeuse. L'Italie, en général, peut être considérée comme la patrie des farces et des grimaces, aussi bien et plus encore que celle de la poésie et des beaux-arts. Rien n'est plus difficile et plus oiseux que de prouver aux gens qu'ils ont tort de rire ou de pleurer de telle ou telle chose. Quant à nous, qu'il nous soit permis de trouver les bravacheries du capitaine Spavente insipides et indignes de souvenir, si ce n'est sous le rapport bibliographique.
LE MASTIGOPHORE,
OU
PRÉCURSEUR DU ZODIAQUE.
Auquel par manière apologétique sont brisées les brides à veaux de maistre Juvain Solanic, pénitent repenti, seigneur du Morddrect et d'Ampladémus, en partie, du costé de la Moüe; traduit du latin en françois par maistre Victor Grévé (Antoine Fusy), géographe-microcosmique, avec cette épigraphe: Vi nævi comedis solem, pinguesce luce. 1 vol. in-8 de 330 pages et 3 feuillets préliminaires.
(1609.)
«Frelon[5]! tu me piques....., tu m'éveilles, punaise!..... Attends, Bédouin!... je te vais eschaubouiller la pie-mère et la dure-mère, pia mater et dura-mater..... Toutefois, prends patience! pour aujourd'hui je ne te veux que bertourder, réservant à un autre jour à te tondre sur le peigne; et ce, en faveur de ce que j'ai envie de savoir en quel degré est ta ladrerie; car, si elle n'est cordée, elle s'adoucira de ce remède... J'ignore si tu n'es point de ceux qui renoncent à leur perruque afin d'épargner le temps et la dépense d'un étui à peigne...; il faut m'en éclaircir..., il est besoin que je sale, que je verjute un peu mon discours..., parce qu'avec ta contre-façon de gros ventru Ampladémus..., encore que tu sois tout bigarré de carême prenant..., tu ne sens guère quand l'ennemi te touche.....; or, sus donc! courage!..... à mal exploiter, bien écrire... Ne te hâte pas de te mettre en colère contre cette paperasse..., car tu as en toi de quoi guérir les maladies de foie..., le foie de loup les guérissant toutes... Cependant chausse ton gantelet..., tu auras justement ton sac et tes quilles... N'est-ce pas la raison qu'on frappe du jarret ceux qui donnent de la corne? Bien est vrai qu'il n'y a tant de peine à se garder du devant d'un bélier que du derrière d'un âne...; renfonce tes yeux...; ne fais pas le clair voyant comme si tu étais parmi des aveugles...; ne te mets pas en fanfare, en prosopopée, en équipage, fiançant le frontispice d'homme de bien...; tu n'en montres que mieux ta ratepelade..., tu n'as pas toujours été si gras qu'on te croit maintenant; tu t'es souvent couché sans souper qu'il n'était pas jeûne, du temps que tu alignais les visières[6], que tu étais chausseur de lunettes, agenceur de parties adoniques, et que tu portais les rogatons...; depuis qu'il a plu dans ton écuelle, tu t'es retiré de pair d'avec ceux qui vendent les chiens pour avoir du pain..., tu es devenu gentilhomme à la touche et à l'aiguille...; rien ne t'empêche d'être compagnon de verrerie. C'est d'où tu tires des commentaires véreux sur autrui...; tu devrais te moucher le nez avant que de prendre garde aux autres...; tes yeux arguent tout droit que ta tête n'est pas cuite, que tu es un épi sans grain, une chandelle sans suif, un potage sans sel, un apothicaire sans sucre, un niau, un fouille-merde, une cervelle composée de têtes de lièvre et de mulet, qui veille en s'endormant sur des quintes fantasieuses, farouches et soupçonneuses...; je veux pourtant te fêter gorgiasement, d'autant que l'estime que je fais de toi vaut mieux qu'une savate... Ce qui me chagrine est la lourde volagerie de ton entendoire...; mais je t'apprête un caveçon pour l'enchevêtrer sans dilatation.... Dirait-on qu'un ladre nourri de la chair du serpent, tel que tu es, qu'un faiseur d'argumens chaponnés..., s'oppose aux doctes et exprès témoignages des sens et de la nature qui confirment que le feu d'une maison ou cheminée est extinguible par les souillures féminines du sang lunier?... C'est bien à toi à goguer sur la fleur de la plus fine et philosophante science du feu qui se puisse trouver...; à toi qui ne saurais dire combien ta barbe est plus jeune que tes cheveux, et qui penses la rhétorique, la logique, l'éthique être des Suisses fondus de chimères, tournés en saucisses sur la nature d'un porreau!... etc., etc.» Mais il est temps d'informer le lecteur de la cause de cette grande colère du jésuite Antoine Fusy, curé de Saint-Barthélemy et de Saint-Leu, à Paris (car c'est lui qui est le véritable auteur du mastigophore, sous le nom de Victor Grévé); cet insensé, de beaucoup d'érudition et d'esprit sans mœurs, était un des derniers disciples de ce clergé de la Ligue qui ressemblait si peu à notre clergé actuel. Ses opinions et ses désordres lui attirèrent en 1612, des condamnations de l'officialité, confirmées par la primatie, pour faits de magie et de paillardise, sur la poursuite d'un sieur Nicolas Vivian, maître des comptes, premier marguillier de Saint-Leu. Il fut mis en prison, y demeura cinq ans environ, puis se rendit à Genève, où il embrassa le calvinisme, se maria successivement deux fois, et publia un autre écrit de la force du mastigophore, intitulé: Le franc archer de la véritable Église. Un de ses fils, chose remarquable pour les personnes qui croient à l'influence des races, se fit, à son tour, mahométan, à Constantinople, pour échapper à la juridiction de l'ambassadeur de France dont il avait justement encouru la rigueur. Je ne serais pas étonné que son petit-fils eût embrassé le fétichisme de peur d'être mangé! Ce curé libertin et caustique se mêlait de sciences; entre autres, de physique et de médecine. Il avait émis l'opinion que le sang menstruel des femmes avait la propriété d'éteindre le feu. Où avait-il pris cette folie, et quelles sottes expériences lui avait-elle suggérées? Quoi qu'il en soit, cette opinion acheva de scandaliser, en 1609, le premier marguillier, maître des comptes, Nicolas Vivian, que Fusy nomme, par anagramme, Juvien Solanic. De là grands débats entre le curé et son marguillier, de là le mastigophore, libelle rabelaisien, trop long sans doute, mais rempli de verve, de gaîté mordante et d'imagination satanique, où toutes les langues, vivantes ou mortes, tous les patois français, tous les argots populaires viennent servir la fureur de l'auteur et l'aider à défendre sa belle découverte physico-médicale sur la vertu des menstrues, mais surtout seconder sa vengeance contre le sieur Vivian. Il ne faut pas croire que nous soyons seuls à exhumer cette production macaronique. Le P. Niceron lui accorde une mention particulière au tome 34 de ses mémoires. Dans tous les temps, les amateurs de livres curieux l'ont recherchée. Elle se trouvait dans la précieuse collection de M. de Maccarthy, et le bel exemplaire que nous en possédons est honoré d'une note autographe d'un de nos plus spirituels et de nos plus instruits bibliophiles. Voilà notre excuse, et sur ce, nous allons continuer, un moment encore, notre marqueterie.
«Cesse, vieux ladre!... cesse, anthropophage, de sucer la substance humaine, de la pressorier, et de te gorger de ce qui est le plus quintessencié en l'homme!... l'honneur et la réputation, c'est le ciel!... et ceux qui s'acharnent à poursuivre, écorcher, déchirer la réputation des gens, sont des écumeurs, des égorgeurs infects, vermoulus, tigneux de rouille et de corruption...; le sel de l'ame est tout de charité... Boucaner la réputation d'autrui, c'est pis que tuer...; c'est pis faire que nos duellistes qui, au moins quelquefois, tout ensanglantés, octroient la vie...; tandis que vous autres, cafards..., mines tannées, maroquinées, moües ensaffranées de dévotions papelardes..., grimaciers tortus..., bouffis d'une fausse religion..., qui ne pensez jamais être si chérissables... qu'en ravissant, forçant, prenant au poil quelque occasion badine de donner l'alarme, sonner le tocsin..., afin d'acquérir la possession d'un faux titre d'estoc d'armes de saint Pierre, d'épée gauchère de saint Paul, de couteau pendant de votre paroisse, de tranche plume de saint Bernard, de garde-bride de saint Georges, de hallebarde de saint Maurice, de zagaie de saint Sébastien...; savez-vous ce que vous voulez, esprits chicaneurs, factieux et remuans?... vous voulez tondre sur un œuf!... et toi, docteur en droit civil et incivil, en vin et verjus, en sauce et potage, à la cuisine et au cellier..., comme vassal, ayant prêté serment au dieu des jardins..., tu penses obtenir passe-port... en réchignant la vie d'autrui?... tu as une ame... souple comme un las-d'aller... claire, brune comme la sueur d'un ramoneur de cheminée dont tu fais un pissefard pour te laver!... tu fais du Sanctificetur comme si tu étais une épingle d'autel... ou quelque dévote Ave Maria enfilée..., si beau de loin, si veau de près...; ah! mon ami, barba non facit philosophum...; c'est à toi à faire planter des choux sur les ailes d'un moulin à vent...; tu ne peux me tromper à la valeur de ta dominoterie...; tu ne dis jamais ce que tu penses, tu ne fais jamais ce que tu dis..., père béat!... aussi as-tu la langue plus grande qu'il ne faut pour servir d'écouvillon à torcher un four... Si quelqu'un échappe de tes mains, ou rencontre quelque bonne aventure, tu en es tout ahuri...; que tu es maussade, mon Polydore!... que tu es papelard!... tu as trente cas de conscience par le passage desquels tu légitimerais un poison...; toutefois, regarde-moi un peu... mon mulet..., mon guilledou... écoute-moi tout quoi!..., j'entends donc traiter ici de l'extinction du feu, etc., etc.»
Après ce préambule, qui prend le tiers de l'ouvrage, le curé Fusy entre en matière, et sa physique médicale, dont nous ferons grâce au lecteur, magasin de toutes les folles rêveries, de tous les contes de la science du grand Albert et de Corneille Agrippa, ne cesse de se mêler plaisamment à sa fureur, laquelle ne tombe point durant tout le reste du livre; loin de là, qu'elle ne fait que croître, puiser de nouveaux alimens en elle-même, et s'exhaler, sans fin, sans répit, sans mesure, jusqu'à la péroraison, digne de l'exorde, que voici: «Va donc... et regarde de tirer mieux une autre fois..., sur peine d'une rechute qui te coûtera davantage...; car la corne que tu portes dans le sein te reviendra tout droit sur la tête; pardonne à la hâtivité si tu n'es servi si poliment; adieu jusqu'au retour.»
[5] Ceci s'adresse à Nicolas Vivian, dont l'anagramme est Juvien Solanic.
[6] Le sieur Vivian était probablement fils d'un opticien.
QUESTION ROYALE ET SA DÉCISION.
A Paris, chez Toussaint du Bray, rue Saint-Jacques, aux Espics Meurs, et en sa bouticque, au Palais, à l'entrée de la gallerie des Prisonniers. Avec privilége. (1 vol. pet. in-12 de 57 feuillets.) M.DC.IX.
(1609.)
C'est ici l'édition originale de ce livre rare et recherché dont l'auteur est le fameux Jean du Verger de Hauranne, abbé de Saint-Cyran. Il y a une réimpression de cet ouvrage, de format in-8, en date de 1740, laquelle est plus facile à trouver que l'édition de 1609, sans être néanmoins commune. L'abbé Tabaraud prétend que la Question royale, qui fit grand bruit lorsqu'elle parut, est une plaisanterie dans le goût de l'éloge de la folie d'Érasme, composée de l'abbé de Hauranne, dans sa jeunesse, pour plaire à son ami le comte de Cramail (Adrien de Montluc, auteur de la comédie des Proverbes). On en pourrait douter, seulement à lire le début, dont le ton se soutient du reste jusqu'à la fin: «La puissance est de beaucoup différente de l'action, et l'une et l'autre, de l'obligation. Mais en matière de mœurs et d'actions commandées par la loi, ces trois choses se regardent et s'entre-suivent de la mesme façon qu'en l'ordre de la nature, la puissance, l'action et l'objet. Car tout ainsi qu'à chaque sorte d'objet différent répond une différente faculté, aussi toute sorte d'obligation suppose, en ce qui est obligé, la puissance de s'en acquitter, etc., etc.» Rie qui pourra, ce ne sera pas nous; bien heureux si nous comprenons. Disons que M. Tabaraud n'avait pas lu la Question royale ou qu'il l'avait oubliée. Il est vrai que le maître de MM. de Port-Royal pouvait être triste, même en voulant plaisanter; toutefois, comme joyeuseté, ceci est par trop sérieux, surtout venant d'un homme de 27 ans qui aspire à l'ingénieuse finesse d'Érasme (car Jean du Verger de Hauranne n'avait guère que cet âge quand il écrivit son opuscule, et ne fut abbé de Saint-Cyran que douze ans plus tard). Quoi qu'il en soit, son dessein est de montrer dans quelles circonstances, principalement en temps de paix, le sujet peut se croire autorisé à conserver la vie du prince aux dépens de la sienne. Quelqu'un qui ne voudrait qu'être clair dirait simplement que c'est lorsque le devoir y oblige; mais si l'on tient absolument à obscurcir cette question royale et à la noyer dans une métaphysique abstruse, on dit, avec Jean du Verger de Hauranne, qu'il y a trois sortes d'actions mauvaises; la première d'une mauvaistié intrinsèque et essentielle, comme la pédérastie, etc.; la seconde d'une mauvaistié naturelle que l'extrême nécessité modifie, telle que le larcin, etc.; et la troisième d'une mauvaistié individuelle que les relations et les circonstances peuvent rendre bonne, telle que l'homicide, etc., etc. Venant ensuite au sujet de la thèse qui est l'homicide de soi-même, ou suicide, légitime en certains cas, on commence par établir que Dieu, ne pouvant pas se montrer moins puissant que Satan qui se permet l'homicide, a permis ou même ordonné parfois l'homicide, témoin le sacrifice d'Abraham, celui de Jephté, etc. Puis on dit, par forme d'incident, que la raison naturelle est un surgeon de la loi éternelle..., en vertu de quoi, lorsque la raison naturelle justifie l'homicide, l'homicide perd sa mauvaistié du troisième ordre..., et alors de l'homicide au suicide légitime le chemin se trouve frayé: «Car, comme le genre est déterminé par la différence, aussi la générale inclination qu'a l'homme envers toutes sortes de biens sensibles, et nommément à l'endroit de sa propre vie, est restreinte, par les considérations de la raison, à choses toutes contraires; ce qui fait qu'au soldat marchant, sur l'ordre de son chef, à une mort certaine commet un suicide légitime, et encore mieux le martyr de la foi, et tout aussi bien le sujet qui se dévoue pour sauver la vie de son prince.» On ajoute, pour corroborer ce qui n'a pas besoin d'être corroboré, que l'homme est soumis à trois gouvernemens moraux: l'éthique ou gouvernement de soi-même, l'économique ou loi de la famille, et la politique ou gouvernement de la chose publique. Là dessus on s'étend le plus inintelligiblement qu'on peut, de manière pourtant à laisser entrevoir que le second de ces gouvernemens domine le premier, et le troisième les deux autres. On répond à des objections hétéroclites et imaginaires. On cite nombre d'exemples de l'histoire sacrée et profane, qui ne vont guère au fait; enfin on se montre éminemment scolar, ce qui charmait MM. de Port-Royal, quoiqu'ils fussent des gens de beaucoup de génie; et l'on finit par ces mots: «Qu'il est beau de vouloir vivre et de ne le vouloir pas tout ensemble, et de s'ensevelir dans l'amour de ses concitoyens par une généreuse mort, pour ne s'ensevelir pas dans la ruine de son pays par la mort de ses concitoyens.» En vérité, si le Petrus Aurelius n'a d'autre mérite que celui d'être écrit comme la Question royale, nous félicitons l'abbé de Saint-Cyran de son immortalité; mais il a joué de bonheur, ce qui n'empêche pas que, si l'on désire un bel exemplaire de la Question royale, édition de 1609, il ne faille donner 20 ou 30 francs, ou s'en priver.
LA MESSE EN FRANÇOIS,
Exposée par M. Jean Bedé, Angevin, advocat au Parlement de Paris. A Genève, de la Société caldorienne. (1 vol. in-8.) M.DC.X.
(1610.)
La paraphrase explicative des cérémonies de la messe, par maître Jean Bedé de la Gormandière, calviniste, est une attaque violente contre l'institution capitale de l'Eglise romaine, dans laquelle l'auteur, par l'effet d'un zèle que nous croyons sincère parce qu'il est absolument dégagé d'ironie, s'abandonne souvent à toute l'indignation de l'esprit de secte. Il n'entre ni dans notre plan, ni dans notre humeur, de reproduire les raisonnemens contenus dans ce livre, peu commun et fort mal écrit. Les dissidens ne manqueraient pas de trouver ces raisonnemens bons, et les orthodoxes de les juger vicieux; ces derniers, au besoin, pourraient d'ailleurs leur opposer la paraphrase explicative de la messe, que M. l'abbé Le Courtier, curé des Missions étrangères, a composée dernièrement avec une grande supériorité de talent et d'esprit. Nous vivons heureusement dans une époque où chacun demeure dans sa foi sans commander celle d'autrui. Rien ne justifierait donc le bibliographe de chercher, en parlant d'un écrit oublié, à réveiller une controverse où, de part et d'autre, l'autorité des faits et des argumens est épuisée. N'en déplaise à l'avocat angevin, vainement nous apprend-il que la messe est une artonécrolipsaniconolâtrie, c'est à dire un service de pain, de morts, de reliques et d'images, et pas autre chose; nous irons à la messe, comme par le passé, sans craindre, pour cela, d'être des artonécrolipsaniconolâtres.
Mais comme il est bon de tirer profit de tout, nous mentionnerons ici quelques particularités extraites de son ouvrage, qui, si elles sont vraies, offrent de l'intérêt pour l'histoire de notre liturgie, dont nous avons toujours regretté de ne pas voir un abrégé savant et substantiel; car le Rationalis de Guillaume Durand est bien gothique et bien incomplet dans sa longueur.
Ainsi Bedé assure, d'après Durand, que la mention des apôtres placée à la suite de ces mots: Communicantes et memoriam venerantes imprimis, etc., remonte au pape Sirice; d'après Platine, que le Memento pour les morts fut inventé, en 580, par le pape Pélage; qu'en 588 le pape Sergius introduisit le chant de l'Agnus Dei pendant la communion du prêtre, et que l'offertoire, le canon Te igitur, etc., ainsi que plusieurs autres prières ou cérémonies, datent de Léon III, en l'an 800.
LES ŒUVRES SATIRIQUES
DU SIEUR DE COURVAL-SONNET,
GENTILHOMME VIROIS.
Dédiées à la reine, mère du roy, deuxième édition, revue, corrigée et augmentée par l'auteur. A Paris, chez Rolet-Boutonné, au Palais, en la gallerie des Prisonniers, près la Chancellerie. (1 vol. in-8 de 350 pages, portrait. M.DC.XXII.)
(1610-1622.)
Si l'on veut faire une ample connaissance avec les poésies de Thomas de Courval-Sonnet, né à Vire, d'un père noble et de Madeleine Lechevalier des Aigneaux, noble aussi et sœur des deux frères Aigneaux qui ont si mal traduit Virgile en vers français, on peut consulter l'abbé Goujet qui l'a compris dans les 573 poètes dont il parle; pour nous, qui évitons avec soin de répéter le scrupuleux auteur de la Bibliothèque française dans le très petit nombre de cas où nous traitons les mêmes sujets que lui, et qui nous bornons alors à essayer de le suppléer, nous chercherons moins, dans les œuvres satiriques du gentilhomme virois, le génie et l'art qui n'y sont guère, que la peinture de nos mœurs sous cette régente étourdie et capricieuse qui semble n'être venue aux affaires que pour gâter l'ouvrage de Sully et entraver celui de Richelieu. La corruption existait déjà dans ce temps-là, et ses effets étaient d'autant plus funestes que les institutions lui offraient plus de prise, que l'anarchie régnait dans l'administration, en sorte que tout dilapidateur avait ses franches coudées. On voyait des abbés et des prélats tenir marché de prébendes et de bénéfices, acheter ceux-ci, revendre celles-là, nourrir publiquement des demoiselles, entretenir chiens, chevaux, oiseaux de chasse, banqueter journellement à grand fracas de riche vaisselle. Mais la simonie ne s'arrêtait pas au clergé; la noblesse l'exerçait plus scandaleusement encore. En raison du droit de patronage et de collation qu'elle avait originairement sur nombre de bénéfices, ou que le roi concédait à ses importunités, elle se ménageait la meilleure part du revenu de ces bénéfices, en instituant pour titulaires, sous le nom de custodi-nos et de confidentaires, de véritables fermiers à tonsure qui achetaient d'elle, à haut prix, le droit d'exploiter les sacremens. Rien n'égalait la bassesse d'un custodi-nos. Son patron le tenait pour abbé,
Quantité de nobles laïcs obtenaient des évêchés, des abbayes, et s'en allaient, pour la forme, prêcher en cuirasse, remettre les péchés l'épée au côté; mais, pour le fond, dévaster les églises et les terres ecclésiastiques, couper les bois, vendre les calices, les ornemens précieux qu'ils remplaçaient par de vieille lingerie et des garnitures d'étain, laissant cheoir les bâtiments autrefois si somptueux.
Les gens de justice ne faisaient pas moins de leur côté; sinon dans les grands parlemens où le respect pour soi-même en faisait garder pour les lois; du moins dans les siéges inférieurs, tels que présidiaux, vicomtés, bailliages, dont les juges vendaient tout et prenaient à pleines mains crochues. «La plus chère maistresse de ces hommes-là, dit Courval-Sonnet,
Cette hideuse vénalité tenait à l'usage pernicieux de vendre les charges et les états d'officiers, que l'esprit fiscal du gouvernement avait introduit dans l'administration de la justice. Ceux qui achetaient chèrement leurs emploi se croyaient fondés, à leur tour, à en vendre l'exercice; et chose déplorable! on devait ce honteux trafic au bon Louis XII, à l'occasion de ses excessives dépenses pour ses pauvres expéditions d'Italie. Mais que n'y avait-il pas à dire contre les financiers et officiers des chambres des comptes, partisans, receveurs généraux, commis et trésoriers? Ces messieurs, las de voler les peuples, se faisaient construire des palais de princes qu'ils ornaient de tableaux exquis de Venise ou d'Anvers, d'azur et d'or bruni, de lits de drap d'or ou de toile d'argent, de courtines de velours couvertes de clinquant; leurs femmes portaient le velours, le satin, le taffetas et le damas à fond d'or et à ramage, avec des manches à bouillons, en arcades, et des coiffures semées de diamans, émeraudes, saphirs et rubis, des bracelets en turquoises et grenats, des carcans d'or et des colliers de perles. Les gages de ces Dieux de Bureau coûtaient annuellement 3,600,000 livres, c'est à dire autant que rapportaient, vers l'an 1500, tous les tributs du royaume; ils prélevaient les deux tiers du revenu du roi, de sorte que la royale épargne n'avait que 20 sous où ces messieurs en avaient 40. Sous Charles VI on se plaignit, aux Etats Généraux, du grand nombre des officiers de finances qui écorchaient et sous-écorchaient les malheureux taillables; or, il n'y avait que cinq trésoriers, six auditeurs et quatre maîtres des comptes alors. Qu'auraient-ils dit, en ce bon temps de 1610, à voir plus épaisse que troupe de fourmis ou hannetons, cette armée de surintendans, intendans, maîtres, auditeurs, présidens, trésoriers de l'épargne grande et petite, trésoriers des parties casuelles, trésoriers, receveurs généraux, clercs, contrôleurs, greffiers, triennaux, etc., etc.? Ah! sire! ah! grand roi Louis treizième!
Voilà, en résumé, la matière des six satires de Courval-Sonnet sur les abus de la France, que contient notre édition de 1622, moins complète de douze autres sonnets, dit M. Brunet, que l'édition de Rouen 1627; mais, à notre avis, bien assez riche comme cela. Le poète bas-normand a intitulé ces six satires: Anti-Simonie, Anti-Ierasylie, Anti-Décatophilacie, Anti-Diaphthorie et Anti-Fiscoclopie, sans doute afin que, sur la première étiquette, on n'y comprît rien; il suit la même méthode à l'égard de six autres satires qu'il consacre, dans notre édition, à médire des femmes, et qu'il intitule: Anti-Zygogamicie, Antipatie et Discrasie, Clero-Ceranie, Cataphronésie, Tyrannidoylie, Dyscolopénie, et enfin Thymitithélie, pour exprimer les traverses du mariage, l'incompatibilité des humeurs, les hasards du cocuage, les ennuis d'un lien éternel, la servitude du mari pauvre d'une femme riche, la déconvenue du mari d'une femme pauvre, et la censure générale des femmes.
Les titres bizarres ne seraient rien; ce qui est plus fâcheux pour l'honneur du poète, c'est que, dans ses diatribes contre le mariage et contre les femmes, outre qu'il se permet un étrange cynisme d'expressions, il ne se montre vraiment pas raisonnable. Est-ce l'être, en effet, que de comparer le joug de l'hymen à celui des forçats ou des Indiens de l'Amérique espagnole? que de le qualifier
Que de voir, dans chaque mari, un vrai marguillier de Saint-Pierre-aux-Bœufs ou un confrère de Saint-Innocent?
Que de peindre les époux tirant d'ordinaire chacun de leur côté, et se mettant ainsi en hasard
C'est à dire le mal vénérien?
Que de reprocher aux femmes l'épuisement des hommes, quand il arrive à ceux-ci d'avoir abusé d'elles?
Que de les taxer de n'être bonnes à rien, pas même à perpétuer l'espèce humaine, attendu qu'elles ont besoin de nous pour cela? enfin, que de débiter mille autres sornettes pareilles? La satire, toute amie qu'elle est de la mordante hyperbole, demande plus de bon-sens et de vérité; néanmoins Courval-Sonnet, au total, est un honnête homme, il remplit une des premières conditions morales du poème satirique, trop négligé des maîtres du genre, celle de poursuivre les vices en épargnant les vicieux; car, bien qu'il ne ménage rien, il ne nomme personne. Son style d'ailleurs est facile et naturel dans son prosaïsme; aussi n'est-il ni fatigant, ni ennuyeux, quoique trop abondant; on doit passer beaucoup à l'auteur, en considération du temps où il écrivait; mais je ne saurais, pour mon compte, lui passer, premièrement, d'avoir comblé la mesure de la flatterie dans sa dédicace en prose à la reine Marie de Médicis; secondement, d'avoir tant de juste indignation sans verve: c'est justement tout l'opposé de l'immortel Despréaux qui avait bien de la verve et même de la malignité sans indignation. Juvénal et Regnier avaient de l'une et de l'autre.
PIÈCES RARES
SUR LA MORT DE HENRI LE GRAND,
(Recueil formant un volume in-8 qui contient huit pièces, dont nous parlerons suivant l'ordre où elles sont rangées dans la Table manuscrite placée au commencement.)
(1610-1611-1615.)
I.—La Chemise sanglante de Henri le Grand.
Opuscule de huit pages, sans nom d'auteur ni d'imprimeur, et sans indication d'année. M. Barbier l'attribue au ministre Perisse, et cite une édition de l'an 1615 que le nôtre a sans doute précédée, en raison même de l'absence de toute date qui la distingue. Cet écrit violent est un appel à la guerre civile faite au nom du feu roi contre la reine-mère, Concini, la Galigaï sa femme, le père Cotton, le chancelier de Sillery, le surintendant Bullion, d'Épernon et autres sangsues de l'État, dans l'intérêt du prince de Condé qui méditait alors de prendre les armes pour se venger de la cour, assisté des ducs de Vendôme et de Guise, et généralement aussi du parti des réformés. Le ton de ce manifeste est sanglant comme le titre l'indique. «Louis XIII, mon cher fils, c'est à vous que je parle; c'est vous dont je me plains, etc. Votre mère ne parle que par l'organe de ce coyon de Conchine et de la Sorcière... Cet yvronyme de Dolé, ce loup de Bullion, ce traître chancelier qui se sont faits, par leurs voleries, les plus riches de vostre Estat..., sont les conseillers et maquereaux du désordre. D'Espernon tient encore les armes sous la faveur desquelles Ravaillac m'a mis dans le tombeau.... Mon cher fils, mon très cher cœur, esveillez vous! voyez cette chemise toute trempée de mon sang; la France la pleure, vos parens la vengent...; ne demeurez stupide à cette juste et sainte demande... Conchine m'a fait assassiner; il a fait empoisonner votre frère d'Orléans et mon cousin le comte de Soissons, emprisonner le duc de Vendosme, vostre frère, chasser mon neveu le prince de Condé, assassiner mon neveu le duc de Longueville, et feu Rouville. Il a tyrannisé les habitans d'Amiens, entrepris sur mon neveu de Guise, etc., etc.; introduit le boucon et le coton en France.... Vengez la mort de votre père, etc., etc.» Ces griefs n'étaient que trop fondés pour la plupart; mais le remède proposé devint pire que le mal, et sans le cardinal de Richelieu, il eût amené la ruine totale ou peut-être même le démembrement de la monarchie.
II.—Le Courrier breton.
Réimpression sans date, faite en 1630, de la pièce imprimée à Saumur en 1611, in-8, sous le titre de l'Anti-Jésuite, que Prosper Marchand attribue à Montlyard (voir l'article de ce nom dans le Dictionnaire historique, de Marchand). Cette diatribe de trente pages, qui a pour but de provoquer l'expulsion des jésuites, comme auteurs ou fauteurs du régicide par leurs actes et par leurs écrits, repose sur des imputations vagues plutôt que sur de véritables preuves. Le pamphlétaire s'en embarrasse peu. La politique, selon lui, dispense des règles ordinaires de la morale et de la justice, et commande souvent de faire un petit mal pour un grand bien. Quand on chasserait tous les jésuites du royaume pour le crime de plusieurs, on ne ferait qu'imiter, dit-il, le terrible expédient de la décimation militaire contre laquelle nul homme sensé ne s'est élevé. N'ont-ils pas exécuté la sanglante tragédie de Saint-Cloud en 1588, après l'avoir préparée par cette fatale consultation de 88 médecins du roi Henri III, qui déclara la reine Louise incapable d'avoir des enfans et ouvrit ainsi la porte à toutes les factions de ce règne? Ne lit-on pas dans leurs patrons Mariana, Bellarmin, etc., qu'il est licite aux sujets de tuer leurs rois lorsqu'ils sont tyrans, et que le pape l'ordonne. La réfutation de ce principe est aisée, mais le Courrier breton s'en tire mal en tombant dans l'excès contraire, en proclamant l'obéissance un devoir divin dans tous les cas. Ce dernier principe est aussi fou et aussi barbare que l'autre. La seule chose que la raison puisse concéder aux tyrans est celle-ci: que l'espèce humaine étant facilement entraînée au mal, l'intérêt des peuples est presque toujours de souffrir ses tyrans plutôt que de s'en affranchir par la violence; mais de là au droit divin d'opprimer sans crainte et au devoir divin de se soumettre sans plainte, il y a loin. Quant à la doctrine du petit mal qu'on peut ou ne peut pas faire pour un grand bien selon le cas, nous ne la comprenons point. Pour ceux qui ne séparent jamais l'utile de l'honnête, qui professent que la morale et l'utilité se confondent, jamais l'occasion ne se présente du petit mal pour le grand bien, car partout où il y a grand bien il n'y a point petit mal. Nous sommes de ces gens en toute simplicité, ne concevant pas qu'une chose morale puisse être nuisible, ni qu'une chose utile ou nécessaire puisse être immorale, c'est à dire que la morale soit une chose et la nécessité une autre, c'est à dire qu'il n'y ait point de morale, c'est à dire qu'il n'y ait point de Dieu.
III.—L'Ombre de Henri le Grand au roy. M.DC.XV.
Suite de conseils très édifians, mais fort simples que le roi pouvait sans effort se donner à lui-même pour peu qu'il eût étudié son catéchisme, sans avoir besoin de l'ombre de son père. En voici pourtant quelques uns dignes de remarque: 1o. Ne point se servir d'étrangers dans ses armées, ni dans ses affaires. 2o. Concéder peu de pouvoir aux grands. 3o. Prendre Sully pour ministre. 4o. Assembler des conciles nationaux pour régler les intérêts de l'Église gallicane et résoudre les points de controverse. 5o. Pratiquer la clémence, mais ne pas l'outrer comme Henri IV le fit dans la conspiration du comte d'Auvergne, et dans l'affaire du rappel des jésuites. 6o. Surveiller l'Espagnol, seul voisin redoutable, étant hostile et puissant. 7o. Abattre la prépondérance de la maison d'Autriche. L'ombre termine ses conseils par un adieu paternel.... Adieu, mon fils, mon bien-aymé, mes délices! L'écrit renferme quinze pages.
IV.—Discours sur le maudit et exécrable Attentat entrepris de nouveau, tant sur la personne du roy que sur son Etat. A Poictiers, par J. de Marnef, imprimeur et libraire ordinaire du roy. (8 pages.)
Il s'agit ici de la criminelle tentative de Pierre Barrière contre la vie de Henri IV. L'orateur se félicite de la protection du ciel qui a sauvé les jours du bon roi, et y voit un gage de sécurité pour l'avenir. Hélas! il se trompait!
V.—Observations mathémathiques du nombre quatorze, tant sur la naissance, mort et principales actions de feu Henri le Grand, vivant, roy de France et de Navare, que sur le terme de l'an 1610, en lequel le dict deffunct est décédé, où l'on verra chose digne d'admiration. Suyvie de la Récapitulation de l'épitafe du dict seigneur et des quatre choses mémorables qui se sont passées le jour et le lendemain de sa mort; le tout dédié au roy, par Estienne de Selles, ministre escrivain podographe et arithméticien juré à Paris, demeurant à Auxerre. A Paris, par François du Carroy, imprimeur et libraire, tenant sa boutique au bout de la rue Dauphine, devant le Pont-Neuf; avec privilége. (15 pages.) M.DC.XI.
Ces rapprochemens singuliers tirés de la combinaison des nombres, quoique fort peu philosophiques, paraissaient jadis l'objet d'une science sérieuse à l'aide de laquelle on pouvait lire mystérieusement dans les destinées humaines. Aussi le sieur Estienne de Selles fait-il hommage de son travail soi-disant mathématique au jeune roi Louis XIII, dans une épître où l'on voit que cet hommage a été communiqué au conseil. S'il est encore aujourd'hui des personnes que de tels jeux amusent ou intéressent, elles feront bien de jeter les yeux sur ceux-ci, qui sont ingénieux. Elles y verront, par exemple, que le nombre quatorze présidait au sort de Henri IV; que cet excellent prince se maria 14 jours avant le 31 décembre; qu'il gagna la bataille d'Ivry le 14 mars; qu'il mourut le 14 mai; que Ravaillac, son assassin, fut exécuté 14 jours après sa mort; qu'il régna 14 trétérides, tant en France qu'en Navarre; que les jours depuis sa naissance jusqu'à sa fin cruelle se divisent, sans fraction, par 14; comme aussi que l'âge du monde, jusqu'à l'an 1610, se divise, sans fraction, par le même nombre; 398 fois 14 donnant exactement 5572, chiffre qui, selon de Selles, formait le nombre des années du monde en 1610, etc., etc.
VI.—Discours lamentable sur l'attentat et parricide commis en la personne de très heureuse mémoire Henri IV, roy de France et de Navarre, par Pelletier. A Paris, par François Huby, rue Saint-Jacques, au Soufflet-Vert, devant le collége de Marmoutier, avec permission. M.DC.X.
C'est l'œuvre d'un bon citoyen qui écrit dans la vue de prévenir de nouvelles guerres civiles après la terrible catastrophe du vendredi, 14 mai 1610. L'ouvrage ne contient que 15 pages, y compris le titre, et n'offre d'ailleurs rien de remarquable.
VII.—Funebres Cyprez dédiez à la royne, mère du roy, régente en France, sur la mort du très chrétien, très victorieux et très auguste monarque Henri IV, roi de France et de Navarre, surnommé le Grand, par D.-F. Champflour, prieur de Saint-Robert de Montferrand, en Auvergne. A Paris, chez Jean Libert, demeurant rue Saint-Jean-de-Latran, près le collége de Cambray. M.DC.X. (14 pages.)
Trois pièces funébres en vers français et six en vers latins, respirant toutes le bel-esprit plus que la douleur, composent les cyprès du bénédictin Champflour.
Le sonnet qui commence le recueil finit par ces vers:
La onzième et dernière pièce est ainsi conçue:
Une ligne du père Hardouin de Péréfixe vaut mieux que des milliers de pareils vers.
VIII.—Arrest de la cour du Parlement contre le tres meschant parricide François Ravaillac. A Paris, chez Antoine Vitray, rue Perdue, au collége Sainct-Michel, près la place Maubert. (6 pages.) M.DC.X.
Il faut qu'une législation soit bien barbare pour faire naître la pitié en faveur d'un monstre tel que Ravaillac, c'est pourtant le sentiment qu'on éprouve en lisant dans l'arrêt du parlement rendu contre ce parricide le 27 mai 1610, et signé Voysin, les dispositions suivantes... «Condamne faire amende honorable devant la principale porte de l'église de Paris, où il sera mené et conduit dans un tombereau; là, nud en chemise, tenant une torche ardente du poids de deux livres, dire et déclarer, etc., etc.; de là conduit à la place de Grève et sur un eschaffaut, tenaillé aux mammelles, bras, cuisses et gras des jambes, sa main dextre y tenant le cousteau duquel a commis le dict parricide, ards et bruslez de feu de souffre, et sur les endroits où il sera tenaillé, jetté du plomb fondu, de l'huile bouillante, de la poix résine bruslante, de la cire et souffre fondus ensemble; ce fait, son corps tiré et desmembré à quatre chevaux, ses membres bruslez, ses cendres jettées au vent...; ses biens confisquez, la maison où il est nay desmolie, sans qu'à sa place puisse y estre fait autre bastiment..., et que, dans quinzaine après la publication du présent arrest en la ville d'Angoulesme, son père et sa mère vuideront le royaume avec défense d'y revenir sous peine d'estre étranglez sans autre forme de procès.... Enjoint à ses frères et sœurs, oncles, etc., de changer leur nom, sous les mêmes peines...»