Analectabiblion, Tome 2 (of 2): ou extraits critiques de divers livres rares, oubliés ou peu connus
RELATION DU PAYS DE JANSÉNIE,
Où il est traitté des singularitez qui s'y trouvent, des coutumes, mœurs et religion de ses habitans; par Louis Fontaine, sieur de Saint-Marcel. A Paris, chez Denys Thierry, rue Saint-Jacques, et au Palais, chez Claude Barbin, dans la grand'salle, au Signe de la Croix. (Pet. in-8 de 118 pages et de 4 feuillets préliminaires, avec une figure ployée représentant la carte perspective du pays de Jansénie.) M.DC.LXIV.
(1664.)
M. Barbier nous apprend que le véritable auteur est le Père Zacharie, capucin de Lisieux, et que l'ouvrage est le même que celui qui a été imprimé, en 1688, au nom des jésuites, avec des augmentations de plus de moitié, sous le titre d'Antiphantôme du jansénisme ou Nouvelle description du pays de Jansénie avec ses confins, la Calvinie, la Libertinie, etc., chez Antoine Novateur (Antoine Arnaud), sans date. M. Arnaud y fait allusion dans la partie du livre de la Morale pratique des Jésuites dont il est auteur. Cette plate production est une ironie bien froide et une pauvre vengeance des Lettres Provinciales. La Calvinie, la Libertinie, la Désespérie qui bornent la Jansénie; la colonie de Flamands qui peuple la capitale; les horloges des habitans réglées sur la lune et non sur le soleil; les maisons à portes de derrière; l'aconit qui vient partout en pleine terre dans ce pays; ces lacs qui tiennent par des rivières au lac de Genève; ces plaisanteries et mille autres dans le même goût composent le plus beau de ce livre insipide, devenu toutefois assez rare pour être recherché des bibliomanes.
L'APOCALYPSE DE MÉLITON,
OU
RÉVÉLATION DES MYSTÈRES CÉNOBITIQUES;
Par Méliton (Claude Pithoys). A Saint-Léger, chez Noël et Jacques Chartier. (1 vol. in-12 de 232 pages, plus 3 feuillets préliminaires.) M.DC.LXV.
(1665.)
M. Barbier, qui cite cet ouvrage au no 1008 de son Dictionnaire, dit qu'il est de Claude Pithoys et non de Camus, évêque de Belley, comme l'a cru Voltaire. Il ajoute que Pithoys s'est servi des écrits de Camus pour composer cette satire des Moines mendians. Nous remarquerons que Claude Pithoys ou Pistois, qualifié, par certains biographes, de moine apostat, ne s'est pas seulement servi des écrits du vertueux évêque de Belley, l'ami de saint François de Sales, contre les religieux mendians, pour composer son Apocalypse de Méliton, mais que ce livre virulent n'est pas autre chose que la défense des divers ouvrages anti-cénobitiques du savant prélat, tels que le Directeur désintéressé, les Réflexions sur l'ouvrage des moines de saint Augustin, la Pétronille, l'Hermianthe, la Dévotion civile, le Voyageur inconnu, la Pieuse Julie, les Variétés historiques, l'Agatonphile, les Événemens singuliers, la Tour des Miroüers et les Relations morales contre les Entretiens curieux d'un sieur de Saint-Agran qui, sous le nom d'Hermodore, avait soutenu la cause des Moines mendians avec une ironie très amère. Pithoys se cache, à son tour, sous le nom du martyr de Sébaste, saint Méliton, et assure, dès le début de ses Éclaircissemens, que ses sentimens et ses pensées lui ont été dictés de la bouche même de l'évêque de Belley. Sans entrer dans cette controverse, aujourd'hui surannée en France, bien que l'expression nerveuse et la dialectique pressante du faux Méliton la pussent aisément rajeunir, nous extrairons de cet Apocalypse des détails curieux, sans, toutefois, en garantir l'exactitude, nous bornant à les donner comme des renseignemens publics, fournis, en 1665, sur la foi d'un pieux évêque.
Selon Pithoys, il y avait alors dans le monde catholique quatre-vingt-dix-huit ordres religieux, tant rentés que non rentés. Dans ce nombre, deux, l'un renté, l'autre non renté, comprenaient seuls six cent mille moines, dont quarante mille seulement étant réformés observaient la règle, le reste vivait dans une oisiveté désordonnée. Des autres quatre-vingt-seize ordres, à peine le dixième pouvait-il être considéré comme observant la règle. Une fainéantise si générale et si ancienne avait fait naître des disputes innombrables, sans cesse renouvelées, et souvent sanglantes. Sept ou huit cents opinions divisèrent entre autres les sectateurs de Scot et ceux de saint Thomas; voilà pour la scolastique: on se disputa sur bien d'autres sujets; c'est ce que Méliton appelle l'entre-mangerie cénobitique. Il y avait trente-quatre ordres mendians dont un seul, comptant trois cent mille bouches, absorbait annuellement 30,000,000 livres. Ces trente-quatre ordres tiraient en bloc plus d'argent par les aumônes volontaires ou extorquées que les soixante-quatre ordres religieux, rentés, n'avaient de revenus fixes, en y joignant même ceux du clergé séculier. Ces trente-quatre ordres, formant un peuple de plus d'un million d'hommes, ne fournissaient pas cinquante mille confesseurs ou prédicateurs à l'Eglise. Les neuf cent cinquante mille autres moines mendians, simples choristes ou frères lais n'étaient donc d'aucune utilité pour la propagation de la foi ou l'administration des sacremens. Qu'on ne dise pas que les choristes étaient utiles pour chanter les louanges de Dieu. Sur cinquante choristes, à peine six assistaient aux offices; encore, afin d'avoir plus tôt fini, avaient-ils substitué au dévotieux plein chant je ne sais quelle plate et froide psalmodie; ils s'enfermaient derrière l'autel pour cacher au public leur petit nombre, et avaient grand soin de faire résonner leurs voix par des moyens artificiels, comme de psalmodier sur des tons graves en face de grands pots sonores; le surplus des choristes et frères lais assiégeait les tables, les cabinets des grands, les ruelles, les chevets des testateurs, et se mêlait de mariages, de négociations, d'affaires et d'intrigues de tout genre. Leur prétendu travail des mains se trouvait, depuis longues années, réduit au soin de leurs maisons et de leurs jardins. Leur prétendu savoir consistait principalement à jargonner, à nommer, par exemple, le remords stimule, les pénitens récolligés; à dire sportule pour bissac, obédience pour obéissance, cingule pour ceinture, mordache pour bâillon, tunique pour chemise, ambulacre pour promenoir, etc., etc., et surtout à mettre tout le monde à la taille, grands et petits, à dixmer la menthe et le cumin. Hermodore a beau se vanter des seize cents saints, des vingt-huit papes, des deux cents cardinaux, seize cents archevêques, quatre mille évêques et quinze mille abbés produits par le seul ordre de saint Benoît; ce compte, dont Pithoys rabat au moins quinze cent cinquante saints, ne prouve rien, sinon que la prélature est une des bonnes choses du monde, fort goûtée des moines, qui ont renoncé aux choses du monde. Saint Benoît établit son institut sur l'humilité et la pauvreté; d'où vient que les bénédictins possédaient 100 millions de revenus, et souvent 300,000 de rente dans des villes où l'évêque n'en avait pas 18,000? d'où vient que l'abbaye du Mont-Cassin, dotée du gouvernement perpétuel de la terre de Labour au royaume de Naples, était, de plus, suzeraine de cinq villes épiscopales, quatre duchés, deux principautés, vingt-quatre comtés, et propriétaire de milliers de villages, terres, fermes, moulins, etc.? La sainteté des mœurs formait la base essentielle des ordres religieux; d'où vient tant de réformes successives et infructueuses? L'ordre de saint Dominique a subi vingt-cinq réformes depuis quatre cents ans qu'il est au monde, sans se trouver pour cela plus avancé dans les voies de la perfection chrétienne; mais laissons l'article des mœurs. Hermodore! ce livre n'est pas fait pour le scandale, et d'ailleurs il convient d'être indulgent pour la faiblesse humaine. Il n'est pas surprenant que la chasteté, déjà si difficile à garder dans l'isolement, soit comme impossible à des moines aussi répandus que le sont les minorites dans le tourbillon du siècle. Laissons encore les ordres rentés, qui ne font pas l'objet spécial de ces recherches, et tenons-nous en, continue Pithoys, à notre sujet, savoir: la censure de cette mendicité dont vous prétendez faire une vertu première et un état de perfection, encore qu'elle ne répugne pas moins à votre règle primitive qu'à la raison et aux vrais principes de l'Evangile. Cette règle vous obligeait à travailler de corps et d'esprit pour vivre, et le testament de saint François, ainsi que la bulle de Nicolas III, pape du XIIIe siècle, qui vous confirma, ne vous permettaient de recourir à l'aumône que comme les pauvres ordinaires, ni plus, ni moins; c'est à dire dans les cas d'infirmité ou de salaire dénié; mais vous n'eûtes en aucun temps le privilége de l'aumône, depuis l'origine de votre institut, au XIe siècle. Comment donc avez-vous pu croire que l'Eglise violât les lois divines et humaines pour donner un privilége de manger leur pain gratuitement et de vivre en désordre à ceux qui pourraient bien vivre de leurs travaux? cela ne tombe pas sous le sens. C'est par humilité que vous mendiez, dites-vous; oh bien oui! qu'on essaie de se moquer de vous, et puis on verra ce que c'est que votre humilité et comment vous jouerez des mains! Tranchons le mot, les cénobites mendians, loin d'être dans un état de perfection, d'obéissance et de pauvreté, font ce qu'ils veulent, comme ils veulent, où ils veulent, quand ils veulent, autant qu'ils veulent, au moyen de quoi ils pensent avoir le droit de quêter ce qu'ils veulent, qui ils veulent, comme ils veulent, quand ils veulent, où ils veulent et autant qu'ils veulent; étrange aveuglement de la fainéantise, qui voudrait transformer en une sainte vie une vie semblable à celle des argotiers, des gros gredins, des truands, des gueux, des coquins et des bélîtres. Les cinq ou six cents variétés d'habits monastiques, la coutume de marcher pieds nus, l'usage du scapulaire ou tablier, inutiles depuis que les moines ne travaillent plus sérieusement; en un mot, tout ce qui constitue la vie morale et physique des ordres mendians passe ainsi successivement sous la coupelle de frère Pithoys, qui, assurément, ne fut pas payé par son général pour écrire son Apocalypse.
Voilà donc dans quels sables stériles s'étaient perdues ces quatre sources fécondes comparées aux quatre grands fleuves du paradis qui sortirent jadis des éminentes vertus de saint Basile, saint Benoît, saint François, saint Augustin! Tout finit, répétons-le avec Bossuet, tout dégénère; mais s'il suffit aux bons esprits de la moitié des abus signalés par Méliton pour écarter la pensée de rétablir aujourd'hui les ordres monastiques, les ordres mendians surtout, il doit leur suffire également de la dixième partie du bien qu'ont fait autrefois les moines pour mettre ces derniers à l'abri des fureurs et des mépris de la récrimination. N'oublions pas que les ordres religieux ont fertilisé nos terres dévastées, ressuscité les lettres et les sciences, opposé le droit sacré aux brutalités sanguinaires d'une force aveugle, et fait heureusement traverser au génie de l'Europe la terrible lande du moyen-âge. Quels bienfaits de la loi civile pourront effacer ces bienfaits? Ah! si jamais les Cabyles ou les Baskirs se ruent sur nos contrées, et viennent, après les avoir passées au fer et au feu, à semer du sel aux lieux où Paris triomphe avec son or, son tumulte, ses misères et ses plaisirs, nous aurons plus affaire des moines, sans doute, que de l'Apocalypse de Méliton!
LETTRES CHOISIES
DE RICHARD SIMON (de l'Oratoire),
Nouvelle édition, revue, corrigée et augmentée d'un volume et de la vie de l'auteur, par M. Bruzen de la Martinière, son neveu. A Amsterdam, chez Pierre Mortier. M.DCC.XXX.
(1665—1703-30.)
Les lettres, plus que toute autre chose, procurent une gloire durable, mais, moins que toute autre chose, donnent le bonheur; parce que les moindres succès y excitent l'envie au plus haut degré; parce qu'en raison du long travail qu'elles imposent, elles éloignent du commerce de la vie commune, principale source des relations utiles, s'alliant mal d'ailleurs avec l'exercice des professions lucratives; enfin parce qu'elles rendent notre faiblesse ou même notre néant plus visible à nos propres yeux. Un père prudent doit frémir de voir son enfant s'adonner aux lettres, et une tendre mère doit en pleurer. Le très savant homme, dont nous rappelons la correspondance choisie, confirme, à cet égard, l'opinion des sages. S'il ne tient pas, par ses malheurs, un premier rang sur le Catalogue des gens de lettres infortunés, que Valérien de Bellune commença au XVIe siècle, il a pourtant droit d'y figurer; car c'est un triste sort d'avoir consacré son enfance et sa jeunesse à des études pénibles, consumé son âge mûr dans les querelles et les mécomptes, fini, dans la vieillesse et la pauvreté, par jeter tous ses manuscrits à la mer, pour mourir, à soixante-quatorze ans, dans la disgrace de son ordre, du regret de tant d'efforts infructueux: or, telle fut son histoire. Il est vrai qu'il y eut de sa faute par suite d'un caractère peu conciliant, mais il y eut aussi, comme nous l'allons voir, beaucoup de nécessité dans ses revers, à cause même de ses travaux, lesquels, regardant uniquement la critique sacrée, le livraient aux plus terribles des adversaires, aux théologiens. Né en 1638, il montra de bonne heure sa vocation, et sortit presqu'un savant tout formé du collége des Oratoriens de Dieppe, sa patrie. La congrégation de l'Oratoire lui souriait alors et semblait vouloir, en se l'attachant, lui ouvrir une vaste et glorieuse carrière. C'est encore une circonstance ordinaire dans la vie des hommes lettrés, de ceux surtout qui tiennent à des corporations religieuses, que leur début soit entouré d'espérances, pour être bientôt suivi de cruelles amertumes: heureux ces derniers quand le mal se borne pour eux aux clameurs de la jalousie, ainsi qu'il advint à l'immortel Père Mabillon, et ne va pas jusqu'au voyage de Jérusalem, c'est à dire jusqu'à la prison perpétuelle nommée l'In pace! L'illusion fut courte chez notre auteur. Il savait l'hébreu autant que rabbin au monde; bien plus, il lisait toute la Polyglotte de Walton; ce fut assez pour armer ses confrères contre lui. Vainement son général, le respectable Père Sénault, essaya-t-il de le soutenir de ses encouragemens et de son influence, force lui fut d'interrompre ses doctes recherches sur les textes originaux de la Bible, et d'aller humblement professer les humanités à Juilly. Ordonné prêtre en 1670 après un examen triomphant qui blessa l'orgueil des examinateurs, il reprit enfin sa marche et préluda, par quelques publications de haute critique, au grand ouvrage qui décida sa réputation et ses malheurs, l'Histoire critique du Vieux Testament. Cet ouvrage, imprimé en 1678 à Paris, fut d'abord approuvé, puis supprimé par les mêmes juges, puis rendu au monde érudit par les libraires de Hollande, en dépit des docteurs, des solitaires de Port-Royal, des bénédictins, des rabbins et des réformés; car ce rare monument d'érudition hébraïque, grecque et latine, rencontra toute sorte d'ennemis, depuis Bossuet un moment son approbateur, jusqu'au protestant Spanheim. Rome, qui faisait consister toute la théologie dans la science des canons des conciles et des décrétales des papes, comme toute la philosophie dans les rêveries platoniciennes, encore plus creuses que nos argumens aristotéliciens; Rome qui, en fait de texte sacré, surtout depuis le concile de Trente, ne regardait que la Vulgate, ne voyait que la Vulgate de saint Jérôme, conçut des soupçons; soupçons gratuits, ainsi que ne cessait de le dire Richard Simon, en montrant que des corrections de détail, des remarques, des éclaircissemens, des rapprochemens scientifiques ne pouvaient blesser l'authenticité de la Vulgate, alors que la Vulgate était authentique et reconnue telle par le critique même qui la redressait sur des points de discussion secondaire étrangers aux dogmes de la foi: mais l'hébraïsme était un terrain si glissant qu'on n'écoutait rien de ce côté. Généralement, l'Italie n'a jamais vu de bon œil les hébraïsans. Dans la ville sainte, il était interdit même aux Juifs de rien écrire qui pût étendre la connaissance de l'hébreu. On sait que Venise elle-même s'opposa aux entreprises du fameux rabbin Léon de Modène, en ce genre. L'Allemagne n'était guère plus sûre aux hébraïsans, témoin Reüchlin dans son affaire avec les docteurs de Cologne. Alcala, Salamanque et Lisbonne l'étaient davantage sans beaucoup de fruit; et quant à la France, où la Faculté de Paris, toujours un peu rivale de Rome, avait une chaire d'hébreu que Guillaume Postel, protégé de François Ier, avait rendue célèbre; quant à l'Angleterre, cette terre d'indépendance et de méditation, qui tirait un juste orgueil de ses Warburton, de ses Buxtorfs, y pouvait, à la vérité, hébraïser qui voulait, mais à la condition de vivre et de mourir en disputant. D'aucun côté les raisons secrètes ne manquaient aux adversaires du pauvre M. Simon. En première ligne ici marchaient MM. de Port-Royal, et cela parce que le hardi commentateur n'était rien moins que janséniste, c'est à dire, selon le langage du moment, augustinien; qu'il admirait la science des jésuites de cette époque, en effet l'âge d'or de la société; qu'il était lié d'intimité avec le Père Verjus, et qu'il considérait feu le Père Maldonat comme un grand homme, en le mettant même au dessus du Père Morin, l'un des Hercules de l'Oratoire. D'autre part, M. Spanheim et ses amis reprochaient amèrement à M. Simon d'avoir, tout en s'aidant de la Bible de Calvin et de celle de Léon de Juda avec les notes de Vatable ou plutôt de Robert Estienne, dans ce qu'il jugeait bon, contrôlé, retouché en beaucoup d'endroits les textes des réformés; et, chose curieuse, ces messieurs, qui faisaient profession de rejeter la tradition, hormis, par complaisance, celle des quatre premiers siècles de l'Eglise, de s'en tenir, pour unique règle de la foi, aux paroles de l'Ecriture, ce qui autorisait indéfiniment l'examen des textes originaux, exigeaient, cette fois, qu'on les crût sur parole et défendaient leurs versions par la tradition. D'autre part encore, les rabbins qui, n'ayant ni feu ni lieu depuis la dispersion des Juifs, ne s'accordaient sur rien, pas même sur la Massore, cet ancien commentaire de la Bible juive que leur grand Aben-Esra n'a pas épargné, ces rabbins, divisés comme les catholiques et les calvinistes en rabbinistes et caraïtes, autrement en partisans de la tradition et disciples exclusifs du texte, ces savans de synagogue, tous plus ou moins cabalistes, rêveurs et menteurs, qui ne pouvaient présenter, en 1680, de Bible juive de plus de 600 ans d'âge, soit du Levant, soit de l'Egypte, trouvaient mauvais que M. Simon ne reconnût pas, chez eux, de texte sur tous les points irréformable. Prétention ridicule s'il en fut! Il n'y a pas de livre antique au monde dont le texte soit irréformable sur tous les points, et cela par plusieurs causes: 1o la difficulté essentielle d'une parfaite concordance entre des manuscrits en diverses langues et de divers temps; 2o le zèle aveugle qui fait, trop souvent, plier les textes aux besoins de l'argumentation; 3o la mauvaise foi qui les altère. Voyez les anciens manuscrits des Pères grecs et latins, lesquels sont plus faciles à rencontrer que les anciens manuscrits de[10] la Bible (et il faut savoir que les plus anciens manuscrits ne sont pas toujours les plus exacts; Thomasius, qui éclaircit le Lactance par l'ordre du pape Pie V, travailla sur un manuscrit de près de 1,000 ans de date, et n'a pas fixé les leçons du Lactance); voyez, disons-nous, ces précieux monumens écrits de notre Eglise primitive, eh bien! il est bon de se défier des éditions qui en furent données à Rome dans le XVe siècle, attendu que ces éditions princeps, quoique faites sur les meilleurs manuscrits du Vatican, étaient confiées au très savant évêque d'Alérie précisément pour les accommoder aux vues particulières du saint-siége. Cependant qui ouvrit le feu contre l'ouvrage de M. Simon ou le soutint avec le plus d'ardeur? Ce fut M. Ellies Dupin, le très savant auteur de la Bibliothèque ecclésiastique. Il mit, sans façon, notre critique à côté de Spinosa, pour avoir dit que Moïse n'était pas l'auteur de toutes les paroles du Pentateuque, notamment de la partie du Deutéronome où il est parlé de la mort de Moïse et de sa sépulture, demeurée inconnue jusqu'à aujourd'hui (ce sont les propres mots du texte de la Vulgate). M. Ellies Dupin voulait qu'il fût de foi que, dans ce passage, Moïse eût parlé en prophète, comme partout ailleurs il avait parlé en historien. M. Simon répondait victorieusement que le ton du discours, dans le passage controversé, excluait toute idée de prophétie; mais il n'en concluait rien contre la doctrine orthodoxe, tout en donnant ce passage à Esdras, puisqu'il démontrait que nombre de Pères de l'Eglise et de saints commentateurs l'avaient attribué, les uns à Josué, les autres à Samuel, les autres à Eléazar, sans compromettre leur foi, ni raisonnablement la foi en Moïse considéré comme auteur inspiré de la généralité du Pentateuque. En effet, pourquoi s'échauffer là dessus? Eh! quand ce serait Esdras? Il semble, à entendre ces cris, qu'Esdras n'est rien en fait d'antiquité et d'autorité, tandis qu'il est beaucoup. Il ne faut pas tant se guinder sur les siècles pour atteindre ce qu'on saisit sans cela, ni tant redouter les discussions de forme alors qu'on a raison au fond. Il ne faut pas imiter ces rabbins qui font tenir une école de théologie par Noé à Membré, et une autre, non loin de là, par Héber qui aurait demeuré quatorze ans avec Jacob. Aux vrais érudits qui, purs d'intention, ne recourent aux originaux que pour en éclaircir les versions authentiques soit des Septante, soit de la Vulgate, il ne faut pas fermer la bouche en leur disant lestement: «Vous n'avez que faire de traiter ce sujet;» car c'est s'exposer à ce que des adversaires mal intentionnés le traitent contre la loi. M. Simon ne pensait pas non plus qu'il fallût chercher une indication de la Trinité dans le pluriel elohim (les dieux) qui se lit au commencement de la Genèse, où Moïse dit que Dieu créa le ciel et la terre; mais, à cet égard, il s'appuyait encore sur nombre d'autorités reçues. Il croyait, avec d'autres autorités de même calibre, que le livre de Job, de toute authenticité d'ailleurs, était moins une histoire véritable qu'une sublime composition où la grande question du bien et du mal était agitée de la façon la plus dramatique, et résolue dans le vrai sens de la liberté de l'homme et de la Providence divine: le beau reproche à lui faire! Il convenait que les passages où l'historien Josèphe parle de Jésus-Christ étaient falsifiés par des mains maladroites; mais c'est une chose admise aujourd'hui par tous les gens instruits, et l'on ne peut que déplorer l'incroyable persistance que certains orateurs mettent à s'autoriser, en chaire, de ces grossières interpolations dont l'Eglise n'a nullement besoin, au contraire; car le christianisme, qui fut, de tout temps, hors d'atteinte, jouit désormais d'un avantage décisif, celui d'être hors de question et de n'avoir plus d'ennemis sensés partout où il n'a pas d'amis indiscrets.
Nous n'étendrons pas plus loin l'exposé de ces chicanes et des réponses qu'elles amenèrent, bien que cela nous fût aisé, puisque c'est à peu près là toute la matière des Lettres choisies, qui vont de 1665 à 1703, et s'adressent à des laïques, à des ecclésiastiques, à des ministres réformés connus par leur savoir, tels que MM. de la Roque, Galliot, Frémont d'Ablancourt, de Lameth, Justel, Claude, Le Cointe, Mallet, Thévenot, Pélisson, Jurieu, Gaudin, Dallo et autres. Cette correspondance, fort précieuse assurément, fort nécessaire à consulter dans l'occasion, n'étant d'ailleurs qu'une perpétuelle scolie sacrée, dépourvue de tout ornement d'imagination, doit être resserrée ici dans d'étroites limites pour ne pas trop interrompre le fil de notre biographie raisonnée.
Quelques rudes qu'eussent été les coups portés à l' Histoire critique du Vieux Testament, son auteur y avait gagné un point capital, il était devenu justement célèbre; or, qui connaît les secrets de l'esprit humain ne sera pas surpris de voir M. Simon, aussitôt après avoir rompu avec l'Oratoire, s'élancer de plus belle dans les régions nébuleuses où il avait porté de vives lumières. Il conçut d'abord le dessein de donner une version complète de la Bible avec des remarques; mais, effrayé de l'entreprise, il se renferma dans une traduction du Nouveau Testament qu'il publia, en 1689, avec ou peu après une histoire critique de cette seconde partie de livres saints. Là, de nouvelles censures l'attendaient et toujours précédées d'approbations parties des mêmes mains, savoir de Bossuet et de la Sorbonne, remarquons-le avec M. de la Martinière sans nous constituer en rien juges du débat. MM. de Port-Royal, irrités des corrections multipliées que M. Simon avait faites à leur version de Mons, éclatèrent contre lui dans cette occasion et se mirent à crier au socinianisme, en quoi, faut-il le dire? le grand Bossuet les imita. Nous ne voudrions pas déclarer, comme le fait M. de la Martinière, que le principe de cette ardeur fulminante fut, chez l'aigle de Meaux, un certain dépit personnel; pourtant la chose n'étant pas impossible, vu que les plus nobles cœurs sont fragiles devant l'amour-propre, c'est une mention à faire qui nous fournira, par occasion, une digression intéressante, puisée, ainsi que tous les autres détails de cet article, dans les Lettres choisies. Après nos sanglantes guerres de religion qui n'avaient résolu aucune difficulté religieuse, quelques esprits supérieurs, calmes et de bonne foi, s'étaient aperçus que les points capitaux de séparation entre les catholiques et les calvinistes n'étaient, en bonne logique, ni nombreux, ni insolubles, et de là, de part et d'autre, quelque idée confuse d'une possibilité de conciliation. «Si ces points sont comme quarante, disait le Père Véron, jésuite d'un grand sens, il est facile d'en rayer bientôt trente-cinq.» Plusieurs dissidens notables convenaient qu'on avait été trop loin. «Nous avons rogné les ongles de la religion jusqu'au vif,» disait Grotius. Le cardinal de Richelieu, qui aimait à faire le grand théologien, avait projeté, sur la fin de sa vie, d'opérer la réunion des deux Eglises, en ouvrant des conférences régulières avec les ministres. Son plan était libéralement conçu. Il ne voulait pas de harangues, se ressouvenant du mauvais effet qu'avait produit celle de Théodore de Bèze au colloque de Poissy. Tout s'y devait passer en discussions contradictoires qu'il aurait dirigées, et pour lesquelles un certain Père du Laurens, de l'Oratoire, était chargé de lui préparer les matières. On espérait, dès l'entrée, réduire les questions à six chefs, et, pour faire beau jeu aux calvinistes, on devait écarter la tradition, n'argumenter que sur le texte de l'Ecriture, et prendre pour base le texte de Calvin. Enfin de bonnes sommes d'argent devaient subvenir aux frais des ministres, et ceci était encore la digue de La Rochelle. L'entreprise eût-elle réussi? nous en doutons; au demeurant, peu importe. Sur ces entrefaites, Richelieu mourut; mais son projet ne mourut pas avec lui. Bossuet était digne de le reprendre. On sait quelles ouvertures ce grand homme fit à Leibnitz à ce sujet, et que le livre de l'Exposition de la Foi fut écrit en vue de la réunion désirée. Ce livre excita une admiration générale, comme tout ce qui sortait d'une telle plume; mais M. Simon, bien qu'il professât une profonde vénération pour l'évêque de Meaux, qu'il l'eût, plus d'une fois, secondé en réfutant, de son côté, les calvinistes, cédant probablement alors à un mouvement de rancune causé par le souvenir de son ancienne affaire, s'avisa d'imprimer que le livre de l'Exposition de la Foi était renouvelé d'un ouvrage de M. Camus, évêque de Bellay, dont il fit de pompeux éloges. Nous le répétons, cette petite malice n'influa peut-être point sur le jugement du prélat relativement à la traduction de l'ex-oratorien, mais ce qu'il y a de sûr est que ce jugement fut d'une rigueur si peu traitable, que ni M. Bignon, ni le chancelier de Pont-Chartrain n'en purent détourner les effets. Un tolle universel s'éleva du centre de l'Eglise de France; le cardinal de Noailles condamna, le grand conseil condamna, et peu s'en fallut qu'on n'écrivît au roi, ainsi que cela s'était vu quelques années auparavant, lorsqu'il fut question, sous M. l'archevêque de Harlay, d'imprimer toutes les Œuvres de Jean Gerson: «Sire, on veut vous ôter la couronne!» Toutefois M. Simon tenait ferme encore. Il avait très doctement répondu à Bossuet, avec plus d'art même que de coutume, et ce redoutable ennemi étant venu à mourir, il pouvait se promettre de respirer un peu, lorsque, pour son malheur, s'étant trouvé engagé à critiquer la version des Quatre Evangélistes du Père Bouhours, jésuite, il se vit tout à coup les jésuites sur le corps, les jésuites qui l'avaient jusque-là ménagé en mémoire d'une vieille amitié, de sa part très fidèle ou même un peu partiale. Oh! pour cette fois il fallut succomber; savoir, comme nous l'avons dit en débutant, noyer ses manuscrits de ses savantes mains, puis mourir de chagrin et emporter au tombeau, pour tout prix d'une érudition immense, d'une grande bonne foi, d'un grand zèle catholique et de soixante ans d'études fatigantes, un brevet d'unitaire, oui d'unitaire; c'est bien celui que lui donne M. Tabaraud, dans l'article de la Biographie universelle qu'il lui consacre, lequel, par parenthèse, n'est pas l'un des meilleurs de ce docteur, et pouvait l'être, car le sujet était singulièrement de sa compétence. O vanas hominum mentes! voilà donc où mène la critique sacrée! L'évènement, du reste, n'a rien d'étrange.
Si l'on se retrace l'objet et les conditions de la critique sacrée, il y a de quoi, pour un adepte, commencer par où M. Simon a fini. Avant tout, et pendant vingt années de labeur, des difficultés grammaticales inouies entre l'hébreu ancien sans les points voyelles, l'hébreu postérieur au IXe siècle avec les points, l'arabe, le syriaque, le chaldéen, le cophte, le grec de la décadence et le latin barbare; ensuite la recherche, le déchiffrage, la collation de manuscrits rarissimes épars dans l'Europe, et partout soustraits aux regards des curieux par des mains jalouses; étude des textes, étude des versions, étude des commentaires depuis le Talmud, le Targum, la Massore et d'innombrables écrits rabbiniques sans cesse opposés les uns aux autres, depuis les Catenes ou chaînes grecques, qui sont d'anciens commentaires grecs de la Bible où l'on trouve les Pères de l'Eglise aux prises entre eux, témoin saint Athanase aux prises avec Théodore d'Héraclée sur les psaumes, jusqu'aux commentaires modernes où pareillement les plus graves autorités se combattent, témoins Alcazar et Bossuet combattant Pierre Bulenger sur le onzième chapitre de l'Apocalypse, et ne voulant pas absolument reconnaître, dans Elie et Enoch, les deux personnages désignés comme devant assister à la fin du monde, alors que Pierre Bulenger, s'appuyant de la tradition, les y veut absolument reconnaître; et qu'on ne dise pas que ce sont là des minuties! il n'y a point de minuties dans la critique sacrée; on vous y demande compte d'une préposition, d'une virgule, d'un accent, et l'on est excusable de le faire puisqu'il s'agit de la loi des lois. Quand vous pensez tenir votre homme avec le sens littéral (sensus strictus), il vous échappe avec le sens accommodé ou théologique (sensus latus); le mystique et le direct, le droit et le fait, les opinions de l'Eglise à distinguer de ses décisions, les jugemens privés du pape à distinguer de ses jugemens ex cathedrâ, l'autorité générale des Pères à distinguer de l'autorité de ces mêmes Pères pris individuellement, la tradition constante à distinguer de la tradition variable, les alternatives dans les censures et les approbations, variations dues aux temps, aux lieux, aux circonstances, aux mœurs, au langage; tout cela vous barre le chemin, et tout cela n'est encore que l'inévitable; que dire de l'accidentel? comment se tirer des préjugés et des rivalités de corporations? comment vaincre ou concilier le dominicain, le cordelier, le jésuite, le janséniste? comment subjuguer les passions de l'hérésiarque? c'est là pourtant ce que les critiques sacrés entreprennent de faire. Aussi ne le font-ils point, et se consument-ils, à la file, dans des luttes acharnées qu'éclairera encore le dernier jour du monde. Une réflexion en finissant: il faut avouer qu'il était dur de soumettre aux controversistes la liberté et la vie des hommes, comme nous l'avons fait durant dix siècles avec cette belle doctrine des religions d'Etat et de l'unité forcée de croyance. Que de larmes répandues, que de sang versé avant d'arriver à la liberté de conscience qui, si elle ne finit les disputes saintes, les rend du moins innocentes! Nous jouissons depuis trente ans, en France, de ce bienfait suprême; sachons donc le conserver seulement deux cents ans. Pour cela, n'oublions pas qu'un moment suffit à le faire évanouir. Ce n'est pas ici une crainte imaginaire; l'histoire est là pour appuyer nos sollicitudes.—Quelle histoire, s'il vous plaît?—Allons, allons, point de fanfaronnades! point de petits airs de grand seigneur! L'histoire de tous les temps, celle d'hier, celle de demain peut-être; mais non, rassurons-nous; il ne sera jamais dit que cette noble terre, fécondée par tant de grands esprits depuis le chancelier de l'Hospital jusqu'au président de Montesquieu, ait laissé honteusement périr, chez elle, ces généreux principes de vie sociale capables à eux seuls de faire croire qu'en effet Dieu créa l'homme à son image; il ne sera jamais dit que John Bull et Jonathan aient eu plus de fortune, plus de sens et plus de courage que Jean le Coq.
[10] Simon dit que le Ms. des Epîtres de saint Paul, qui est à la Bibliothèque royale de Paris, et que l'on croit du VIe siècle, n'est qu'un fragment du Ms. de la Bible, conservé à Cambridge.
LA
MORALE PRATIQUE DES JÉSUITES,
Représentée en plusieurs histoires arrivées dans toutes les parties du monde, extraite ou de livres très autorisez et fidelement traduits; ou de mémoires très seurs et indubitables. A Cologne, chez Gervinus Quentel. (1 vol. in-12, très joliment imprimé en caractères elzeviriens, formant, en 2 parties, 331 pages, plus 11 feuillets préliminaires, avec un portrait du R. P. Antoine Escobar.) M.DC.LXIX.
(1669-95.)
La Morale pratique des Jésuites forme, comme on sait, huit volumes in-12, imprimés à Cologne, chez Quentel, de l'an 1669 à l'an 1695. Les deux premiers tomes de ce recueil appartiennent à Sébastien-Joseph du Cambout de Pontchâteau, de l'illustre maison de Coislin; et les six autres sont de la main d'Antoine Arnaud de Port-Royal. Nous ne parlerons que des premiers, tant parce que nous ne possédons que cette partie d'un recueil dont les tomes se vendent, la plupart du temps, détachés (seule partie, au surplus, qui, au rapport de M. Bérard, dans son Catalogue des Elzévirs, soit sortie des presses elzéviriennes), que pour ne pas fatiguer le lecteur par une trop longue analyse d'écrits satiriques. Il faut, plus que jamais, se borner dans l'exposé d'une polémique si connue, qui, parmi tant d'écrits opposés, n'a produit qu'un livre immortel, les Lettres provinciales; on trouvera d'ailleurs bien assez de faits, dans ce fragment important, pour prendre une idée du reste. M. de Pontchâteau Coislin était un des plus zélés moralistes et des partisans les plus chauds de Port-Royal. Il fit à pied le voyage d'Espagne pour se procurer le Theatro jesuitico, où il croyait trouver de bonnes armes pour sa cause. C'est, du moins, ce que raconte l'abbé d'Artigny au tome II de ses curieux mémoires, Chronique scandaleuse des Savans, article des plus piquans par parenthèse, et qui contient le germe de l'ouvrage de l'abbé Irailh sur les Querelles littéraires. L'auteur primitif de la Morale pratique annonce, dans sa préface, que son dessein est de mettre d'abord en évidence, 1o l'orgueil; 2o la cupide avarice des jésuites. Avant de produire les preuves de ces deux accusations, il cite deux témoignages terribles, savoir: celui du jésuite Mariana, au chapitre XIV de son Histoire d'Espagne, et le livre qu'écrivit contre la société le jésuite Jarrige, de la Rochelle. Il donne ensuite, par extraits, ou dans leur entier, avec des commentaires, les pièces suivantes que nous extrairons, à notre tour, dans l'ordre où elles sont rangées. Bien des gens penseront qu'il était inutile d'exhumer des souvenirs si durs et rapportés si crument; nous ne sommes point de leur avis. Nous croyons que si l'on doit du ménagement aux opinions de bonne foi, justes ou fausses, on ne doit à aucune le silence, et que, s'il est un moyen de contenir les partis dans de certaines bornes, c'est de leur montrer que tôt ou tard la postérité du sang-froid sera leur juge. D'ailleurs nous ne cautionnons point ici M. de Coislin; nous nous bornons à réclamer pour lui la même liberté de parler qu'on s'est permise contre ses amis et lui, la même que les moines se sont permise dans tous les temps contre leurs adversaires. Ceux qui se montrent si délicats n'ont qu'à lire le Démocrite des réformés, par le Père Charles de Saint-Agnès, prieur des augustins déchaussés de Lyon; ils s'enhardiront avec ces vers adressés à un certain ministre protestant de Grenoble:
Nous ne pouvions pas, ce nous semble, choisir de meilleure précaution oratoire, avant d'enregistrer, par numéros, les pièces du procès intenté aux jésuites par M. de Pontchâteau, qui, du reste, était bon catholique, d'une foi inaltérable et de mœurs très pures.
1o. Prophéties de Melchior Canus, dominicain, évêque des Canaries et de Sainte-Hildegarde, abbesse, en 1415, contre l'institut de jésuites. «Insurgent gentes, quæ comedent peccata populi... diabolus radicabit in eis quatuor vitia, scilicet: adulationem, ut eis largius detur; invidiam, quando datur aliis et non sibi; hypocrisim, ut placeant per simulationem; et detrectationem, ut seipsos commendent, et alios vituperent... pauperes divites, simplices patentes, devoti adulatores, mendici superbi, doctores instabiles, humiles elati, dulces calumniatores, confessores lucri..., patres pravitatis, filii iniquitatis, etc., etc., etc.»
»Une race s'élevera qui mangera les péchés du peuple...; le diable enracinera chez elle quatre vices, savoir: l'adulation, pour qu'on lui donne plus largement; l'envie, quand on donnera aux autres et non à elle; l'hypocrisie, afin de plaire par de beaux dehors, et la médisance, qui se vante et rabaisse autrui... Race de pauvres opulens, race de simples chargés de puissance, de flatteurs dévots, de mendians superbes, d'humbles orgueilleux, de doucereux calomniateurs, de confesseurs d'argent..., de pères de dépravation, de fils d'iniquité, etc.» Ces prophéties ont été appliquées aux jésuites par un évêque de Balbastro, dominicain, mort vers l'an 1629 en odeur de sainteté. Suit un commentaire explicatif où l'on voit, entre autres choses, ce qui suit, rapporté par l'auteur du Théâtre jésuitique, dominicain, évêque de Malaga, lequel se nommait Ildefonse de Saint-Thomas, et était bâtard du roi d'Espagne Philippe II. La politique des jésuites est de marcher à leur but sans rougir de rien, sans se soucier d'aucune chose, vu qu'il n'y a rien de tel que de faire ses affaires, le monde oubliant bientôt les moyens qu'on a pris pour les faire. Tous les moyens donc leur sont bons. C'est ainsi qu'ils ont inventé les confessions par lettres, et qu'ils ont permis le mariage aux religieux sur de simples révélations probables. Quand un des leurs a commis quelque action scandaleuse, ils s'unissent tous pour les défendre, ils flattent surtout les femmes pour attraper des successions; ils ont toujours un des leurs à la cour pour calomnier leurs ennemis. Dès qu'on se fait de leurs amis, ils se mettent tous à crier que vous êtes un saint et un habile homme; ils détestent les autres moines; jamais ils n'aventurent leurs personnes, quoiqu'ils osent beaucoup, parce qu'ils se retirent à propos, se masquant derrière les forts, et mettant les autres en avant. Même dans les Indes et au Japon, ils ont eu fort peu de martyrs; et leurs succès, dans ces contrées, tinrent à la souplesse plutôt qu'à la fermeté de leur foi. Ils mentent; ils reçoivent et prennent de toutes mains, des vieillards, des grandes dames, des usuriers, des concubines, etc., et se montrent complaisans pour les pécheurs. Leur vie est molle et délicate: à les voir partout se taisant, on ne conçoit pas d'abord comment ils remplissent la terre de leur bruit: c'est qu'ils se mêlent de tout, de donner une servante à une maison, un maître à un écolier, un client à un avocat, une épouse à un garçon, comme de confesser les rois, de leur souffler la guerre ou la paix. Les domestiques de leurs mains sont leurs espions: la pitié n'est pas connue chez eux, et la rancune est éternelle. Leur façon de persécuter est douce, lente, mais sûre, agissant comme un poison secret. On dirait que les enfans des riches leur appartiennent; ils les vont pourchassant jusqu'à ce qu'ils les tiennent, et ceux qu'ils manquent sont décriés; ils ont grand goût et grand talent pour le commerce, depuis la vente de la petite mercerie jusqu'au vaste trafic de mer. Quand ils s'établissent quelque part, sur-le-champ ils y sèment la division. Ils aiment les beaux bâtimens et veulent qu'on dise de loin, en s'approchant d'une ville: «Voyez-vous le clocher des jésuites?».
2o. Conclusio facultatis theologiæ parisiensis, facta die decembris, anno 1554. C'est une respectueuse représentation de la Faculté de théologie de Paris contre les bulles des papes Paul III et Jules III, en faveur des jésuites, laquelle pièce est terminée par ces mots: «Hæc societas videtur in negotio fidei periculosa, pacis ecclesiæ perturbativa, monasticæ religionis eversiva, et magis in destructionem quam in ædificationem instituta.»—«Cette société paraît dangereuse pour la foi, perturbatrice du repos de l'Eglise, subversive de la religion monastique, et plus propre à détruire qu'à édifier.»
3o. Remontrances de la cour du parlement de Paris au roi Henri IV sur le rétablissement des jésuites, faites par M. le P., président de Harlay, en 1604. «Cette société, contre laquelle la Sorbonne avait rendu un décret en 1554, n'a été admise du parlement, que par provisions, en 1564, à des conditions qu'elle a dépassées. Comme elle usurpe partout l'instruction, elle a su, depuis, à l'aide de nouveaux et jeunes docteurs, se rendre la Sorbonne favorable. Elle en fera bientôt de même de votre parlement, sire...; alors on verra s'établir dans votre royaume les pernicieuses maximes de ces novateurs, savoir: que les ecclésiastiques ne sont sujets et justiciables que du pape; que le pape peut excommunier les rois, et ainsi délier les sujets du serment de fidélité; que les papes ont le droit de vie et de mort sur les princes de la terre... Votre assassin Barrière a été endoctriné, pour son crime, par le jésuite Varade... Le jésuite Guignard a fait des livres pour justifier le meurtre de Henri III... Ils ont livré le Portugal à Philippe II... Nous vous supplions très humblement qu'il vous plaise conserver l'arrêt d'expulsion rendu contre eux à l'occasion de l'affaire de Chastel, etc...»
4o. Extrait du livre intitulé: Image du premier siècle de la Société des Jésuites. Pour montrer l'esprit d'orgueil de cette compagnie et de quoi elle se vante. D'après ce livre, les jésuites sont une troupe d'anges lumineux et brûlans. Ils sont tous éminens en doctrine et sagesse. C'est la compagnie des parfaits. Ils sont tous des lions et des aigles. Ils naissent tous le casque en tête; chacun d'eux vaut une armée. Ils se sont fait traîner en triomphe à Goa, dans un char tiré par des écoliers habillés en anges. Leur société est un miracle perpétuel. Le souverain pontife a beau condamner les livres de leurs Pères Poza, Bauny, Cellot, Rabardeau, etc., etc.; ils n'en sont pas moins le rational, l'oracle sur la poitrine du grand prêtre. Un archevêque de Malines, qui les connaissait bien, a beau dire d'eux: Isti homines fient ut stercus terræ, ils n'en sont pas moins supérieurs aux évêques, selon eux, en honneurs, en rang, en puissance, en autorité. Ils ont mis leur approbation à un sermon fait par un dominicain pour la béatification de saint Ignace, où il est dit que saint Ignace est au dessus de Moïse. C'est à leur Père Lainez qu'on doit le rang de Vierge immaculée acquis à la mère de Dieu dans le concile de Trente. Il y a conformité entre la vie de saint Ignace et celle de Jésus-Christ. Leur société est vierge. Leur nom de jésuites vient de ce qu'ils sont les vrais compagnons de Jésus, les chrétiens par excellence. Jésus-Christ vient au devant de chaque jésuite mourant pour le recevoir. Durant les trois premiers siècles de leur établissement, ils ne fourniront aucun jésuite à l'enfer, comme l'affirme François Borgia à son ami Marc. La Vierge tient la Société de Jésus sous son manteau. Ils sont les médecins de l'univers, et la chrétienté ne peut être guérie que par eux. Ferdinand II, Ferdinand III d'Espagne, Sigismond III de Pologne, le cardinal Infant, le duc de Savoie, la mère de l'empereur Rodolphe et celle de Charles IX de France étaient de la société. Leurs sodalités ou congrégations réforment le monde. Avant eux les chrétiens ne communiaient qu'une fois ou tout au plus deux ou trois fois par an, tandis que, depuis eux, on voit souvent communier toutes les semaines, et se confesser presque tous les jours, ce qui est un grand bien. Par leurs pompes sacrées et les pieuses réjouissances qu'ils ont introduites dans leurs églises, ils ont ravi les ames et les personnes aux pompes mondaines, etc., etc.
5o. Histoires des artifices et violences des jésuites pour enlever aux ordres religieux plusieurs abbayes et prieurez considérables tirées du factum de dom Paul Willaume, vicaire-général de l'ordre de Cluny, présenté au conseil du roi de France, en 1654, contre les recteurs des trois colléges de jésuites, de Schelestadt, d'Ensisheim et de Fribourg en Brisgaw. Suit l'arrêt du conseil qui maintient ledit frère Willaume, en date du 4 août 1654. Exactions violentes, corruptions de juges par présens, plaintes fondées sur le mensonge, subornations de témoins, surprise de lettres de roi, rapines et démolitions de bénéfices, enlèvemens de titres et registres, triple action à trois tribunaux pour la même cause, bulles arrachées par importunités, rien ne manque à ce factum pour en faire un monument complet des torts imputés aux jésuites. L'arrêt du conseil couronna ce factum; mais c'est une défunte histoire: qu'elle repose en paix.
6o. Autres histoires des artifices et violences des jésuites pour enlever des abbayes aux ordres de saint Benoît et de Cîteaux, tirées des livres du célèbre Père du Hay, bénédictin, l'un intitulé: Astrum inestinctum, 1636; l'autre: Hortus crusianus, Francfort, 1658. Ici point d'arrêt rapporté; par conséquent, nulle sanction publique donnée aux imputations qui composent un gros faisceau de dix impostures, quatre enlèvemens d'abbayes et nombre de fourberies, intrigues, injures, etc.; c'est encore là, d'ailleurs, de la vieille histoire.
7o. Histoire célèbre de l'énorme tromperie faicte, par le recteur des jésuites de Metz, aux ursulines de cette ville, au sujet d'une maison, avec l'arrêt favorable auxdites ursulines, rendu au parlement de Metz, le 10 mai 1661. Vieille histoire.
8o. La fameuse banqueroute des jésuites de Séville, de plus de 450,000 ducats; récit tiré du Mémorial des Créanciers, présenté au roi d'Espagne, en 1645, et traduit sur l'original de Jean Onufre de Salazar. Vieille histoire.
9o. Autres marques de l'avarice, injustice et fourberie des jésuites, tirées du théâtre jésuitique principalement. C'est un magasin d'historiettes et d'anecdotes scandaleuses pour la morale et la doctrine, dont nous ne garantissons pas l'authenticité, bien entendu, mais qui ont un certain air de vérité contemporaine, et dont plusieurs sont fort piquantes. Par exemple, on y voit que, dans un sermon du jésuite espagnol Ocquete, pour le jour de la Conception, ce Père dit que la Vierge aimerait mieux être damnée éternellement que d'avoir conçu ou été conçue dans le péché originel. C'est là le sublime de l'immaculée Conception et de l'anti-dominicanisme, il faut l'avouer.
10o. Ce volume est terminé par la lettre d'un monsieur à un de ses amis de Paris, écrite de Grenoble, le 28 octobre 1661, dans laquelle on peut juger de la complaisance des jésuites pour leurs amis riches, par l'exemple d'un abbé régulier qui reçut d'eux l'absolution in extremis sans être forcé de restituer quantité de voleries, ni de réparer quantité d'actions criminelles dont suit l'énumération.
LE COMTE DE GABALIS,
OU
ENTRETIENS SUR LES SCIENCES SECRÈTES,
Renouvelé et augmenté d'une lettre sur ce sujet, avec cette épigraphe:
A Cologne, chez Pierre Marteau, sans nom d'auteur (l'abbé de Montfaucon de Villars) ni indication d'année (1670). 1 vol. pet. in-12 de 161 pages.
(1670.)
La science de l'infatigable Raymond-Lulle, d'Agrippa le philogyne, de Paracelse, le presque divin, etc., etc., autrement la science cabalistique, régna, en Italie, en Allemagne et en France, du XIIe au XVIIe siècle. Le soin que l'abbé de Villars prit de l'attaquer par le ridicule prouve qu'elle avait encore assez de cours dans les classes élevées de la société, sous Louis XIV. Le vulgaire lui sera, dans tous les temps, plus ou moins soumis, fondée qu'elle est sur cet instinct de curiosité qui porte les hommes à vivre dans l'avenir et à l'interroger. Ce petit ouvrage, qui veut être ironique et plaisant aux dépens des cabalistes, contient cinq entretiens dans lesquels l'auteur est censé recevoir la révélation des profonds mystères de la cabale par un de ses principaux adeptes, le comte de Gabalis. Il résulte des instructions du comte que, pour avoir la disposition de cœur et d'esprit convenable, un apprenti cabaliste doit d'abord se refuser à tout commerce charnel. Suivent d'autres révélations dont voici quelques unes: les quatre élémens (c'était encore le temps des quatre élémens) sont habités par une infinité de peuples divers, invisibles à l'homme. L'air a ses sylphes et ses amazones d'une beauté mâle, incomparable; les eaux recèlent des ondins et des ondines; la terre a ses gnomes auxquels toutes les mines obéissent; et le feu nourrit les salamandres, purs esprits qui ne croient pourtant pas à l'éternité, en quoi ils ne se montrent pas bons raisonneurs. C'est avec les filles de ces nations cachées que l'homme, qui veut devenir sage et commander à la nature, doit seulement avoir affaire. Quand on sait s'y prendre avec ce sexe impalpable, on parvient à beaucoup savoir, et notamment à se nourrir pour plusieurs années, sans manger, rien qu'avec un demi-scrupule de quintessence solaire. Précisément, comme les interlocuteurs en sont là, le comte de Gabalis emmène son élève dîner, et les deux premiers entretiens sont finis. Au troisième entretien, le comte plaide la cause des oracles et s'évertue à expliquer comment Dieu, avant l'avènement de son fils, permettait aux oracles ce qu'il ne leur a pas permis depuis, d'instruire les hommes. Ici l'abbé de Villars aborde le grand sujet qui, plus tard, exerça la spirituelle malice de Fontenelle et la pesante érudition du jésuite Balthus, dans leur controverse sur l'Histoire des Oracles de Vandale; mais encore qu'il paraisse avoir eu le même dessein que l'ingénieux adversaire des oracles, c'est à dire de faire crouler l'édifice du vrai merveilleux en établissant qu'il n'a pas plus d'appui que le faux, il ne montre ici ni hardiesse ni adresse. Cependant il est assez malin, au quatrième entretien, pour saint Jérôme et saint Athanase qu'il fait voir défendant l'existence et la sagesse des sylphes. Heureux eût été le genre humain et parfait aussi bien, assure le comte, si Adam et Ève n'eussent communiqué qu'avec des sylphes! Ici se présentent de nombreux exemples de filles des hommes rendues mères par des sylphes et des salamandres, et des autorités graves en faveur de ces exemples, sans compter l'anachorète saint Antoine. Voilà de quoi troubler ou pacifier bien des maris, selon qu'ils envisageront la chose!
Le cinquième et dernier entretien n'est rempli que d'anecdoctes cabalistiques, toutes plus folles les unes que les autres. Au total, ces dialogues, qui eurent assez de succès pour se reproduire à Londres, en 1742, avec une suite formant 2 volumes in-12, ne sont ni vifs ni amusans.
Un cabaliste ne manquerait pas de dire que le pauvre abbé de Villars, cousin du savant Père Montfaucon, n'est mort assassiné, en 1675, par un de ses parens, que pour avoir plaisanté les sylphes. Il n'en est pourtant rien. D'ailleurs, il n'y avait pas de quoi se fâcher; personne n'a ri.
LE TOMBEAU DE LA MESSE;
Par David Dérodon. A Amsterdam, chez Daniel Du Fresne, marchand-libraire, dans la porte des Vieilles-Gens, près le Heeren-Logement, à la Bible française, (1 vol. in-12 de 232 pages et 2 feuillets préliminaires, plus une page à la fin, non chiffrée, qui renferme un sonnet commençant par ce vers:
et finissant par cet autre:
(1670-82.)
Notre exemplaire contient, par addition, 1o une Vie de Galéas Caraccioli, marquis de Vico; 2o l'Histoire de la fin tragique de François Spiere. Ces deux opuscules ne font pas partie nécessaire du volume, quoiqu'ils y soient insérés: nous en parlerons toutefois ci-après. Le Tombeau de la Messe fit bannir de France son auteur, zélé calviniste, habile professeur de philosophie, qui mourut à Genève, vers l'an 1670. L'argument du livre est scandaleux et impertinent. Dérodon n'y parle que de couper les deux jambes au dogme de la présence réelle, de lui arracher sa coupe des mains, de dépouiller son corps, de l'assommer et de le mettre dans le sépulcre; c'était beaucoup dire et mal dire. L'évènement a renversé son dessein. Son ouvrage est composé de huit discours, savoir: le premier touchant l'exposition des paroles sacramentelles: hoc est corpus meum; le deuxième, touchant l'exposition de ces paroles: qui manducat carnem meam et bibit sanguinem meum habet vitam æternam; le troisième est contre la transubstantiation; le quatrième contre la présence réelle de l'humanité de Jésus-Christ dans l'hostie; le cinquième contre l'adoration de l'hostie; le sixième contre le retranchement de la coupe; le septième contre la messe, et le huitième et dernier veut résoudre sept objections des docteurs de Rome. Dans ces discours, dont la forme est sententieuse et pédantesque, le style lourd et obscur, Dérodon ne fait guère que répéter ce que ses devanciers avaient exposé bien mieux que lui. Ce qu'il y ajoute de son chef n'est le plus souvent que subtil. Nous en excepterons pourtant le passage de la page 115 à la page 121, où il s'autorise de la manière dont les premiers Pères de l'Eglise attaquaient l'idolâtrie, et les deux pages de conclusion qui ont une forme pressante et dramatique.
LA VIE DE GALEAS CARACCIOLI,
MARQUIS DE VICO,
ET L'HISTOIRE TRAGIQUE
DE LA FIN DE FRANÇOIS SPIERE,
Mises en françois par le sieur de Lestan (Antoine Teissier). A Amsterdam, 1682.
L'original italien de cette vie est un sieur Balbano. Le traducteur français, qui prend le nom de Lestan, est, selon M. Barbier, un calviniste de Montpellier, nommé Antoine Teissier qui, lors de la révocation de l'édit de Nantes, se retira en Prusse et mourut à Berlin, en 1715, à quatre-vingt-quatre ans, après avoir laissé plusieurs écrits d'histoire, de philologie, de théologie et de morale, recommandables. Le but de Teissier, dans ses traductions de la vie de Caraccioli et de la catastrophe de Spiere, a été, comme il nous l'apprend dans sa préface, 1o de fournir un double exemple moral par le tableau d'une persévérance courageuse opposée à celui d'une lâche apostasie; 2o de prouver que, dans de certains cas, le divorce est permis entre chrétiens, d'après l'autorité des saints Pères. La destinée de Caraccioli peut, ce nous semble, offrir un enseignement contraire à celui que se proposent Teissier et Balbano. Cet illustre Napolitain, doué d'un vrai mérite, opulent, heureux dans son union avec sa femme Victoire, fille du duc de Nocera, dont il était chéri, heureux dans six enfans dignes de lui, fils d'un père célèbre dans les armes, honoré lui-même de l'empereur Charles-Quint, son souverain, vient à s'enflammer pour la doctrine calviniste. Un fanatisme mélancolique s'empare de sa raison. Bientôt il court à Genève abjurer la religion catholique. Sa famille le conjure de revenir au moins un moment près d'elle, dans l'espoir de le ramener. Il se rend à cet appel; une entrevue a lieu à Vico même, sur les confins de la Dalmatie, entre cet infortuné sectaire, son vieux père et sa femme qui se jette dans ses bras avec ses six enfans, dont le plus jeune, fille de 12 ans, pleine de graces et de tendresse, embrasse ses pieds en les inondant de larmes; rien n'y fait: le fanatisme triomphe de la raison, de l'honneur et de la nature. Galéas Caraccioli est alors maudit par son père, abandonné de sa femme et de ses enfans, privé de ses biens. Il retourne à Genève, se console avec les flatteries de Calvin qui tirait vanité de cette abjuration. Sur l'avis des nouveaux docteurs, il divorce, épouse une bourgeoise calviniste âgée de quarante ans et achève à soixante-neuf ans, en 1586, sa triste vie dans une obscure pauvreté, mais, il faut l'avouer, courageusement et pieusement, après avoir plongé tous les siens dans une douleur éternelle.
Voici les vers que lui consacre son biographe; c'est payer trop cher un quatrain. Nous ne pensons pas qu'un tel exemple soit capable de tenter ceux qui joindront à un bel esprit des sentimens vraiment religieux et moraux:
L'autre exemple est si justement l'opposé du premier que, bien qu'il soit rapporté par Sleidan, livre 1er, et par d'autres historiens, nous le soupçonnerions volontiers apocryphe et inventé pour l'effet. François Spiere, avocat de Padoue, avait embrassé la nouvelle religion, vers 1548. La crainte du supplice le fit abjurer sa croyance. Il rentra, par peur de la mort, dans le sein de l'Eglise catholique; mais, bientôt saisi de remords et de honte, il tomba dans le marasme et mourut en désespéré, se voyant tenaillé par les démons. Ce phénomène doit être rare dans une religion qui n'est pas exclusive. Il est vrai qu'à son début la réforme s'était donné les airs de l'intolérance.
TRAITEZ SINGULIERS ET NOUVEAUX
CONTRE LE PAGANISME DU ROI BOIT.
Le premier du Jeusne ancien de l'Église catholique la veille des rois; le second, de la Royauté des Saturnales, remise et contrefaite par les chrestiens charnels en ceste feste; le troisième, de la Superstition du Phœbé, ou de la Sottise du Febvé, à messieurs les théologaux de toutes les églises de France; par Jean Deslyons, docteur de Sorbonne, doyen et théologal de la cathédrale de Senlis; ouvrage utile aux curez, aux prédicateurs et au peuple. A Paris, chez la veuve C. Savereux, libraire-juré, au pied de la tour de Nostre-Dame, à l'enseigne des Trois-Vertus. Avec privilége. (1 vol. in-12 de 346 pages et 28 feuillets préliminaires.) M.DC.LXX.
(1670.)
C'est en vain que le savant Deslyons s'autorise, pour les temps anciens, de saint Augustin, des évêques d'Afrique, et, pour les temps modernes, des Stappleton, des Colvenérès, des Barthélemy Pierre et de tous les docteurs de la célèbre Faculté de Douai, nous ne saurions concevoir la sérieuse indignation que lui cause notre banquet de la veille des rois, avec ses cris du roi boit, sa fève royale et son innocente gaîté quand elle est d'ailleurs innocente. Tant de sainte fureur pour si peu rappelle involontairement le zèle républicain qui aussi proscrivait les convives du roi boit: les extrêmes se touchent. Que la tradition populaire, qui a perpétué chez nous cette coutume joyeuse, ait sa source dans certaines cérémonies du paganisme, cela peut être; mais y a-t-il là de quoi tant se fâcher? est-ce la seule tradition païenne que les chrétiens ait conservée? n'en voit-on pas d'autres soigneusement retracées jusque dans nos églises? est-il bien sûr que notre liturgie soit tout entière chrétienne? nous avons ouï dire que non. Que font, par exemple, ces chœurs de jeunes garçons et de jeunes filles chantant des cantiques processionnellement à la Fête-Dieu? que font-ils, à l'heure des cantiques, sous les bannières du sacré cœur ou plutôt du jésuitisme? Cet appareil de voiles blancs, de rubans blancs, de bouquets, de corbeilles de roses, etc., etc.; toutes ces choses et bien d'autres sont-elles plus en harmonie avec la gravité du culte de la croix qu'avec le Carmen seculare des enfans de Diane et d'Apollon? Nous ne disons rien de la fameuse fête des fous qui fit si longtemps le plaisir des habitans de la Provence; il y aurait trop à dire. Conclusion que la mauvaise humeur de l'abbé Deslyons est mal fondée; mais son savoir l'est fort bien. Il prouve invinciblement et surabondamment, dans son premier traité, par l'autorité des anciens Pères et l'exemple de l'Eglise primitive, que la veille de l'Epiphanie, ainsi que les vigiles des grandes fêtes, étaient consacrées au jeûne et à la prière, non à la joie et aux festins; que l'Eglise grecque et l'Eglise latine ont fidèlement observé ce jeûne, la première jusqu'à présent, la seconde jusqu'au XIIIe siècle. Ses preuves, à cet égard, sont sans reproches. Il les fait suivre d'une invitation aux chrétiens de son temps de substituer du moins un jeûne de dévotion au jeûne d'obligation qui s'est perdu, et finit ainsi sa première dissertation.
Dans le second traité, qui est aussi savant et plus amusant à lire que le précédent, il établit, d'après Lucien, Macrobe, Athénée, Arrien, Horace, Juvénal, Martial et Tacite, que notre festin du roi boit est une dégénération peu dissimulée de la royauté des saturnales, et repousse justement l'imputation faite, à cette occasion, aux catholiques, par les huguenots, d'avoir sanctifié cette cérémonie païenne, puisqu'il est avéré que le festin du roi boit n'a jamais été approuvé par l'Eglise; loin de là, qu'il a toujours été blâmé par ses docteurs et ses prédicateurs. Citation, page 208, du livre des Recherches faites par Pirat, chapelain des rois Charles IX, Henri III, Henri IV et Louis XIII, sur les cérémonies de la chapelle royale, où l'on voit le cérémonial suivi à la chapelle du Louvre, sous Henri III, pour la royauté de la fève.
Au troisième traité, l'auteur se livre à des investigations étymologiques au sujet de la fève employée dans le gâteau des rois. La question perd alors de son austérité. La fève vient-elle du mot Phœbé, ou de Faba, ou d'Ephébé à cause de l'enfant qui tire le gâteau? L'abbé Deslyons adopte l'étymologie de Faba; en quoi nous lui donnons, pour notre part, toute raison. Il conclut que l'usage de tirer le gâteau est une puérilité du moins, si ce n'est pas une impiété. Il a encore toute raison ici; mais nous oserons lui répéter que si c'est un jeu puéril, cela ne mérite pas les foudres sacerdotales.
HEXAMERON RUSTIQUE,
OU
LES SIX JOURNÉES PASSÉES A LA CAMPAGNE,
ENTRE DES PERSONNES STUDIEUSES;
Par la Mothe le Vayer, conseiller d'État. A Amsterdam, chez Pierre Mortier, libraire. (Pet. in-12.) M.DC.XCVIII.
(1670-98.)
Ce serait un livre très amusant, et d'aventure même très utile que celui qui représenterait, au naturel, la conversation familière d'hommes instruits liés par une commune affection; mais ce que beaucoup d'écrivains nous ont donné pour tel n'est rien moins que cela. Loin de réaliser l'idée d'une causerie véritable, l'auteur y parle presque toujours seul sous le nom de ses personnages, et ces personnages eux-mêmes ne conversent point; la plupart du temps ils monologuent sur des répliques bien ou mal données. C'est ce qu'on voit dans les Six Journées de campagne, dites l'Hexaméron rustique, où, successivement, les sieurs Egysthe (Chevreau), Marulle (l'abbé de Marolles); Racémius (Bautru), Tubertus Ocella (la Mothe le Vayer), Ménalque (Ménage) et Simonide (l'abbé Le Camus), tiennent le dé sans partage. Aussi l'ouvrage est-il glacé, tout en renfermant de bonnes pensées et plusieurs traits passablement plaisans. Cependant la réunion promettait: La Mothe le Vayer, avec sa tête pensante et indépendante, était propre à jeter des questions en avant, comme à les débattre; on connaît Ménage, et l'on sait combien il pouvait mettre d'esprit dans l'érudition; Urbain Chevreau, né en 1613 dans la patrie d'Urbain Grandier, ancien précepteur du duc du Maine, ancien secrétaire de la reine Christine de Suède, auteur estimé d'un tableau de la Fortune et de ses effets, homme honnête et lettré, ayant vu tout le règne de Louis XIII et les trois quarts de celui de Louis XIV, aurait pu fournir son tribut d'anecdotes et de réflexions; Guillaume Bautru, comte de Nogent, par la grace de ses bons mots, à qui ses bouffonneries de cour avaient acquis 100,000 livres de rente, selon madame de Motteville, eût très convenablement représenté les enfans de la grande intrigue du monde; l'abbé Le Camus, épicurien aimable tant qu'il fut aumônier du roi, prélat austère une fois nommé à l'évêché de Grenoble, ce qui arriva en 1671, eût mêlé quelque peu de théologie à ces conversations; or, il en faut dans toute conversation solide; et quant au bon abbé de Marolles, le trop fécond et trop naïf traducteur de l'antiquité latine, il eût été le bardot de l'assemblée pour sa joie et pour la nôtre; mais point: Tubertus Ocella ne concevra point son Hexaméron ainsi. Il parlera tout seul dans sa quatrième journée, comme ses amis le feront les cinq autres jours, et ce sera pour démontrer, par l'autorité graveleuse du centon d'Ausone et des Endécasyllabes de Pline le Jeune, comment, dans sa description du fameux antre des nymphes de l'Odyssée, Homère a prétendu faire une allusion moitié érotique, moitié anatomique, aux parties secrètes de la femme. Voilà certainement une folie insigne, fort cynique et peu séduisante. Les philosophes ne devraient jamais toucher ces cordes-là, ils n'y entendent rien.
Egysthe Chevreau a mieux rencontré au premier dialogue, où il fait voir, par de notables exemples, que les meilleurs écrivains sont sujets à se méprendre. Ainsi, dit-il, Aristote a mis la source du Danube dans les Pyrénées, et son commentateur Crémonin l'en excuse ridiculement sur ce que les anciens pouvaient bien rattacher la chaîne des Pyrénées à celle des Alpes. Bergier, l'historien des grands chemins de Rome, commit une bévue du même ordre, en traduisant l'inscription suivante: Decimius médicus Clinicus chirurgus occularius, par ces mots: Décimius médecin, Clinicus chirurgien oculiste; de même, un savant religieux italien traduisit paroles de mauvais aloi par parole di cattivo aloes, et le cardinal de Richelieu prit le nom du poète Térentianus Maurus pour le titre d'une comédie de Térence. Tout ceci nous rappelle un personnage qui se disait piqué de la Tarentaise, et ce chancelier de France, dont parle Balzac dans son Aristippe, lequel était si neuf, touchant certaines matières, que de chercher, sur la carte, la démocratie et l'aristocratie, comme il eût pu faire la Dalmatie et la Croatie.
Les méprises des grands auteurs ne sont pas toutes de cette force, il faut l'avouer; mais il n'est aucun d'eux, Egysthe a raison de le dire, qui, dans le cours de sa carrière, n'ait, à son tour, payé quelque tribut à l'ignorance. Il convient de le leur pardonner, et, dans l'occasion, de les interpréter favorablement, ainsi que le recommande Marulle au second dialogue; toutefois, ce serait pousser l'indulgence trop loin, ne lui en déplaise, que d'excuser leurs licences comme leurs bévues, que de passer à Sénèque sa description des débauches d'Hostius, à Dion de Pruse, dit Chrysostôme, l'ami de Trajan, l'éloge qu'il fait de l'onanisme en racontant les félicités solitaires et pourtant publiques de Diogène, éloge renouvelé par le duc d'Albe, si nous avons bonne souvenance; lequel duc d'Albe mettait la masturbation au rang des premiers devoirs d'un bon général d'armée. Saint Augustin n'est pas moins blâmable, pour établir qu'Adam et Eve ne se connurent charnellement qu'après leur péché, d'expliquer, dans sa Cité de Dieu, comment le père des hommes, dans son état de pureté, jetait sa semence avec la main dans l'utérus de sa compagne. Ce qui est trop nu blesse le goût autant que les mœurs.
Il est également des bizarreries peu dignes de mémoire; telles sont celles que rapporte Racémius Bautru, au troisième dialogue, touchant les parties sexuelles du corps humain. Ainsi, quand Vossius prétend, au neuvième livre de son Histoire de la Philosophie, que les organes de la génération ne vinrent à nos premiers parens qu'après leur chute, comme de véritables écrouelles; quand Aristote considère le membre viril comme un animal à part; quand Charles IX, saisi par cet endroit en jouant avec Villandry, veut punir de mort ce maladroit, et ne lui fait grâce qu'à la prière de l'amiral de Coligny; quand le père François Alvarez raconte que les filles d'Abyssinie portent suspendues secrètement de petites clochettes, par manière de galanterie, comme si l'heure du berger ne pouvait pas sonner sans cela, Vossius, Aristote, Charles IX et le père François Alvarez ont tort, et Racémius Bautru aussi, et peut-être nous aussi d'en faire souvenir.
Le cinquième dialogue conduit par Ménage ne présente, pour tout fruit, qu'une critique froide des œuvres de Balzac, notamment de son Aristippe, qu'il appelait son chef-d'œuvre. Ici Ménage ou La Mothe le Vayer paraît avoir cédé à un mouvement de malveillance; car Balzac, bien que trop bel-esprit, et trop dépourvu de sentiment, ne laisse pas que d'être un homme supérieur. Les portraits de courtisans que fait son Aristippe sont généralement vrais et parfaitement écrits. Il y flatte un peu Louis XIII et le cardinal de Richelieu; mais la flatterie peut tomber plus mal, et somme toute, les entretiens, les lettres et les traités de Balzac valent bien mieux que l'Hexaméron rustique, ou même que les Dialogues d'Orasius Tubero. Jamais Balzac ne fût descendu aux puérilités du sixième et dernier dialogue de l'Hexaméron, conduit par l'abbé Le Camus, dans lequel cet ecclésiastique enjoué passe la revue des saints que les divers corps de métiers ont pris pour patrons par forme de rébus, tels que saint Blanchard, patron des blanchisseuses, saint Roch, patron des paveurs, saint Vaast, patron des meuniers, l'Ascension, fête des couvreurs, saint Liénard, patron des prisonniers, etc. L'ouvrage se termine par un éloge du scepticisme; si c'est là où l'auteur en voulait venir, le lecteur pensera qu'il a pris le plus long.
DE USU FLAGRORUM
IN RE MEDICA ET VENERIA,
Lumborumque et renum officio, Thomæ Bartholomi, Joannis-Henrici et Meibomii patris, Henrici Meibomii filii. Accedunt de eodem renum officio Joachimi Olhasii et Olaï Wormii dissertatiunculæ. Francofurti, ex bibliopolio Daniel Paulli, 1670. (1 vol. pet. in-8 de 144 pages, pap. fin.) (Rare.)
DE L'UTILITÉ DE LA FLAGELLATION
Dans les plaisirs du mariage et dans la médecine, traduit de Meibomius, par Mercier de Compiègne, avec le texte, des notes, des additions et figures. Paris (J. Girouard), 1792, in-16. 1 vol. in-16, pap. vél, peu commun.
TRAITÉ DU FOUET,
ET DE SES EFFETS SUR LE PHYSIQUE DE L'AMOUR,
OU
APHRODISIAQUE EXTERNE,
Ouvrage médico-philosophique, suivi d'une dissertation sur les moyens d'exciter aux plaisirs de l'amour, par D*** (Doppet), médecin, 1788. 1 vol. in-18 de 108 pages, plus 18 feuillets préliminaires.
HISTOIRE DES FLAGELLANS,
Où l'on fait voir le bon et le mauvais usage des Flagellations parmi les chrétiens, par des preuves tirées de l'Écriture sainte, etc., trad. du latin de M. l'abbé Boileau, docteur de Sorbonne (par l'abbé Granet). Amsterd., chez Henri Sauzet, 1732. (1 vol. in-12.)
(1670—1732-88-92.)
Les orgies des savans ont toujours un côté sérieux. Voilà qu'en 1639, dans un repas donné à Lubeck, chez Martin Gerdesius y conseiller du duc de Holstein, auquel assistaient, entre autres convives, Chrétien Cassius, évêque de Lubeck, et le célèbre médecin Jean-Henri Meibomius, d'Helmstadt, on vint à parler des flagellations médicales, comme d'une pratique ridicule et insensée. Pas si ridicule, dit Meibomius, et je vous le prouverai. Il tint parole; de là ce traité singulier dédié à son cher ami l'évêque de Lubeck, qui fut imprimé d'abord à l'insu de l'auteur, et où sont accumulés, sur la foi de Cælius Aurelianus, de Rhazès, de Menghus Faventinus, de Pétrone, du prince Pic de la Mirandole, de Cœlius Rhodigianus, etc., etc., quantité de faits, dont plusieurs fort cyniques, d'où ressort, dans la plus complète évidence, la puissance qu'a la flagellation appliquée sur la région lombaire, soit de dissiper les vapeurs cérébrales, soit d'exciter à l'acte générateur, soit même (et ceci m'a paru plus merveilleux que tout le reste), de rendre l'embonpoint aux corps humains exténués. Maintenant la raison de cette puissance? un pédant rêveur la trouve dans la conjonction des astres; Galien et Pic de la Mirandole, dans la force de l'habitude; mais tout le monde n'a pas l'habitude d'être fouetté, et tout le monde est plus ou moins soumis à cette action de la flagellation; il faut donc chercher une autre cause. C'est à la médecine et à l'anatomie que Meibomius la demande très judicieusement. On doit lire, dans son ouvrage, les développemens qu'il donne à sa théorie sur l'office des lombes et des reins, lequel consisterait principalement à élaborer le fluide séminal, par l'action des esprits que les artères et les veines ont portés dans ces parties, d'où suit la conclusion naturelle que les moyens qui augmentent la chaleur et la force du sang dans la région précitée y favorisent l'action de ces esprits et l'élaboration génératrice. Comme il faut toujours des autorités aux docteurs, Meibomius fortifie ses raisonnemens par des témoignages tirés d'Aristote, d'Avicenne, d'Ovide, de Tibulle, d'Apulée, des Pères de l'Eglise et d'Origène, en son commentaire du 109e verset du Psaume 37, «mes lombes sont remplis d'illusions.» Il finit son traité par l'aveu que la flagellation peut, en certains cas, servir légitimement d'aphrodisiaque; toutefois, il n'envie l'administration de ce remède à personne: je suis de son avis.
La lettre que le médecin danois Bartholin écrit à Meibomius le fils, en lui dédiant sa nouvelle et excellente édition du Traité de Jean-Henri Meibomius, est un appendice intéressant de l'ouvrage, par les faits corroboratifs qu'il contient. Il suffit ici d'indiquer ces faits et surtout l'histoire du sieur et de la dame Jourdain, tirée des anecdotes moscovites de Pierre d'Erlesunde, qui établit que les femmes russes tenaient à grand honneur et plaisir d'être fouettées par leurs maris, et que leurs maris tenaient la chose à grand usage. Ceci pouvait être vrai en 1669, mais ne l'est certainement plus aujourd'hui.
Meibomius, le fils, répond à Bartholin une lettre semi-docte, semi-plaisante, et se montre encore plus pénétré que son père de l'usage dont la flagellation peut être dans la médecine.
On doit convenir que l'emploi du latin en pareille matière avait sa bienséance. Cela est surtout apparent lorsqu'on vient à comparer le texte original des Meibomius et de Bartholin à la traduction que Mercier de Compiègne nous en a donnée en français, avec un accompagnement de petites notes rabelaisiennes qui passent toute mesure dans un ouvrage plutôt scientifique, après tout, qu'érotique. Le médecin Doppet s'est encore moins gêné que Mercier de Compiègne, dans son Traité du Fouet, qui est une imitation plagiaire du traité de Meibomius. Ici tout est libertinage et satire grossière. Le lecteur n'y saurait rien apprendre d'utile; en revanche, il y peut souiller son imagination, et même trouver les moyens de ruiner sa santé; car l'ouvrage contient une pharmacopée très étendue des plus actifs aphrodisiaques, réduits en électuaires formulés, suivie d'une liste raisonnée des plantes analogues à la vertu de ses récipés. Tout est utile, au contraire, et vraiment digne d'attention dans l'Histoire des Flagellans que publia, vers la fin de l'année 1700, dans un latin aiguisé du sel de Plaute, l'abbé Boileau, frère du grand Despréaux. Cet excellent écrit que l'abbé Irailh, dans son Recueil des querelles littéraires, a eu grand tort d'appeler un livre saintement obscène, traduit en français dès 1701, puis en 1732 par l'abbé Granet, l'éditeur des œuvres du savant de Launoy, n'excita pas moins, quand il parut, une grande rumeur parmi les moines, les théologiens, et surtout chez les jésuites, soit à cause des opinions jansénistes imputées à l'auteur, soit par une suite de cette déplorable prédilection que les jésuites ont toujours eue pour la discipline d'en bas, comme on disait. Le père du Cerceau et l'infatigable controversiste Jean-Baptiste Thiers, curé de Vibraye, s'emportèrent cruellement, dans cette occasion, contre l'abbé Boileau. De leur côté, les moines et les moinesses, qui voulaient absolument se fouetter jusque ad vitulos en chantant, au chœur, le miserere, firent grand bruit. Mais de réfutation concluante, il n'en parut aucune; aussi n'y en avait-il pas de possible. L'abbé Boileau, bien supérieur à Meibomius, dont il ne laisse pas que de s'appuyer, poursuit, en dix chapitres, la flagellation, spécialement la flagellation volontaire, depuis son origine jusqu'à nous, sous toutes ses formes et ses prétextes, comme une indigne coutume née du paganisme et de l'esprit de libertinage. Dans l'éducation des enfans, elle corrompt le maître et dégrade ou pervertit le disciple. Quintilien en réprouvait l'usage. Comme peine infligée aux esclaves et aux hérétiques, elle blessait la décence et favorisait la cruauté; comme moyen de se mortifier soi-même, c'est la plus dangereuse des macérations, en ce qu'elle excite la chair en la voulant réprimer; comme pénitence, elle joint le ridicule au scandale. Ne fait-il pas beau voir le père Girard donnant la discipline à la belle Cadière, pour commencement de satisfaction, et cela parce que liberté pareille a été prise, sans encombre de chasteté, par Saint-Edmond, Bernardin de Sienne, et par le capucin Mathieu d'Avignon? Que de pères Girard ignorés cette coutume n'a-t-elle pas produits contre un Saint-Edmond? A en juger par la nature humaine qui est la même partout, la flagellation du christianisme n'a pas eu d'avantages sur celle des lupercales, et dans le nombre des dévotes fouettées, nous avons dû avoir autant de femmes compromises que les Romains. Ici la matière s'égaie d'une histoire extraite de Michel Scot, livre IV, de ses Tables philosophiques. Il s'agit d'un mari jaloux qui, ayant suivi sa femme à confesse, et ayant vu le prêtre, après l'aveu, emmener la pénitente derrière l'autel pour la discipliner, s'offrit à recevoir les coups à la place de sa tendre épouse. Le prêtre consentit et, durant l'opération, la belle s'écriait: Frappez fort, mon père, car je suis une grande pécheresse. «O Domine, tot tenera est, ego proipsa recipio disciplinam; quo flectente genua, dixit mulier: percute fortiter, Domine, quia magna peccatrix sum.» On n'imaginerait pas à quels excès la fureur de se flageller peut être portée si l'histoire n'était là pour les attester. On vit une veuve de distinction subir volontairement ce qu'ils appelaient la pénitence de cent années, c'est à dire trois mille coups de discipline par an. Le moine Dominique l'encuirassé en souffrit bien d'autres, ainsi que son surnom l'indique; mais quant à celui-là, c'est tant pis pour sa cuirasse, je ne le plains guère, non plus que le cardinal Pierre de Damien, qui, vers l'an 1057, selon l'abbé Boileau, introduisit cette stupide et dangereuse coutume de la flagellation volontaire dans notre religion, primitivement si dégagée de toute superstition honteuse.
Ce qu'il y a de pire dans les usages absurdes et violens, c'est qu'ils sont contagieux, tant il y a de l'animal chez l'homme. Ainsi, de ce que Pierre de Damien et Dominique l'encuirassé s'étaient fouettés par pénitence dans le XIe siècle, il advint, par un effet de l'exemple, soutenu de terreurs imaginaires et d'un sentiment profond des calamités du temps, que des multitudes de flagellans vagabonds se levèrent en Italie, vers l'année 1260, se renouvelèrent avec encore plus de folie et de scandale, jusque dans l'Allemagne, en 1349, pour se représenter une troisième fois, et, alors, dans le délire de l'ignorance et de la débauche, de 1574 à 1583, sous le patronage du roi Henri de Valois, conseillé par son confesseur jésuite, Edmond Auger[11]. Dans le cours de cette longue maladie, qui heureusement eut ses intervalles, ce fut vainement que les plus savans et les plus vertueux hommes, tels que Jean Gerson, en 1395, que nombre de docteurs avoués de l'Eglise, que des corps et des magistrats révérés, tels que l'avocat général Servin, et le Parlement de Paris, en 1601, condamnèrent ces folies si scandaleusement prônées par le jésuite Gretzer, dans son apologie de la métanéologie d'Edmond Auger, rien n'y fit, rien, sinon le temps et la lassitude; encore restait-il assez de traces de ces souillures dans les ames religieuses, en 1700, pour que l'abbé Boileau, docteur de Sorbonne, homme de vie irréprochable, eût beaucoup à souffrir de les avoir racontées, démasquées et courageusement flétries. Espérons que, du moins, c'est une affaire dite et conclue au profit des mœurs et du bon sens. L'Evangile nous enseigne que, dans l'amour de Dieu et du prochain, consiste toute la religion: c'est dire que la vraie, la solide pénitence réside dans le repentir de la faute commise et la réparation du dommage causé. Ces deux grandes conditions remplies, que le pécheur se mortifie si la piété le conseille ou l'ordonne; la raison ne l'empêche! mais qu'il le fasse avec mesure et silence, et surtout point de nudités en plein air; conséquemment, point de discipline d'en haut ni d'en bas!
[11] Voy., dans la Bibliothèque universelle de Le Clerc, tom. 8, pages 455-60, un récit de Flagellation volontaire des pénitens de Dusseldorff, en 1684, envoyé à l'auteur, par un sieur du Ry, témoin oculaire, récit qui passe en ridicule, si ce n'est un scandale, d'autres faits de même nature rapportés au tome IV du même recueil, touchant la Flagellation volontaire des pénitens à gages, usitée à Turin, et favorisée par les jésuites.
DE LA
CONNOISSANCE DES BONS LIVRES,
OU
EXAMEN DE PLUSIEURS AUTEURS;
Par Charles Sorel, né en 1599, mort en 1674. (1 vol. pet. in-12.) Amsterdam, chez Henri et Théodore Boom, M.DC.LXXII.
(1671-72.)
Sans le quatrième et dernier chapitre du quatrième et dernier Traité de cet ouvrage, nous n'en aurions point parlé; non que le livre soit d'ailleurs méprisable, ni très commun, mais parce que, pour le fond, l'auteur ne s'y élève guère au dessus d'un esprit et d'une science ordinaires, et que, pour la forme, son style est froid et pesant jusqu'à devenir parfois soporifique. Dans ce dernier chapitre donc, qui traite du Nouveau langage françois ou du langage à la mode, on trouve des particularités relatives à l'histoire de notre langue qui méritent d'être recueillies, et que, pour cette raison, nous exposerons ici en peu de mots.
Malherbe et Cœffeteau ont beaucoup servi à l'ennoblissement du français et l'ont dégagé de l'attirail antique de Ronsard, comme du clinquant italien des Médicis. Depuis eux on a rarement dit des choses telles que celles-ci d'un ministre d'Etat fort sage, mais fort méchant discoureur: «Je me suis fait un cal contre les impropères.» C'est à Balzac que revient cette locution à moins que, dont la cour s'engoua. Les femmes ont grandement contribué aux variations du langage en France. Le Cyrus et la Clélie ont introduit quantité de nouveaux mots et de nouveaux tours qui sont restés. Évaporé, écervelé, éventé, attachement, engagement, empressement, emportement, accablement, personne accablante, prétexte, précautionner, insulter, donner un certain tour aux choses, avoir l'esprit bien ou mal tourné, raisonner juste, faire les choses de la belle manière, les prendre du bon ou du mauvais côté, parler tout franc, avoir des sentimens délicats, traiter une affaire de la dernière conséquence, etc., etc.; tout cela nous est venu de mesdames les précieuses, entre 1640 et 1660; tout cela est précieux en effet, mais l'usage en a effacé la teinte précieuse. La princesse de Montpensier, jolie nouvelle de madame de la Fayette et de Ségrais, est un des premiers livres dont le style ait été généralement approuvé du beau monde. Les Amours de la Cour de France, par Bussy-Rabutin, et l'Histoire de la comtesse de Selles ont fourni les premiers modèles d'une galanterie où la liberté s'allie à la délicatesse. Cependant, vers ce temps, le sceptre du langage passa, de la cour, dans les mains plus fermes des gens de lettres. C'est à Molière, dans sa comédie des Précieuses ridicules, que ce changement de fortune est dû principalement, et aussi, ajouterons-nous, à Pascal, dans les Lettres provinciales. Le peuple a ses proverbes et ses quolibets qui sont les tropes de la rue; la cour a ses métaphores qui sont les proverbes du salon. D'un côté, l'on dit qui refuse muse, à bon entendeur salut, attendez-moi sous l'orme, rira bien qui rira le dernier; de l'autre, on dit se mettre sur ce pied-là, avoir la mine de savoir, tomber sur le chapitre de, aimer mieux le tête-à-tête que le chorus, etc. Les femmes, selon Sorel, eurent bien de la peine à faire passer la locution suivante, se piquer d'une chose ou de faire une chose; c'est qu'aussi cette façon de parler est très précieuse et pour le moins autant que celle-ci, renchérir sur le ridicule, contre laquelle Molière a été impuissant. Sorel finit ce curieux chapitre de son quatrième Traité par le conseil qu'il donne à l'Académie de fixer le langage; conseil naïf, s'il en fut, à notre avis. Les Académies, très utiles pour honorer et récompenser les écrivains servent peu à l'avancement des langues et ne servent point à leur conservation; les langues d'ailleurs ne sauraient être fixées, non plus qu'aucune autre chose du monde.
Le début de ce quatrième Traité, consacré à la manière de bien parler et de bien écrire en notre langue, ne présente qu'une sorte de rhétorique des plus communes. Toutefois il y faut remarquer un passage où l'auteur réfute très bien une idée de son temps qui ne semble pas judicieuse, bien qu'elle ait son côté philosophique et plaisant, celle d'écrire l'histoire à rebours, en remontant de moderne à l'ancien, selon la méthode usitée dans les preuves généalogiques. On conçoit qu'une telle méthode puisse rendre palpable l'action des causes sur les évènemens, et si nous avons du loisir, nous essaierons peut-être de raconter certaine histoire ainsi; mais ce ne sera jamais la manière de procéder d'un historien sérieux.
Venons aux trois premiers Traités à qui nous avons fait un passe-droit, savoir: au premier sur la connaissance des bons livres, lequel a donné son titre à l'ouvrage entier; au deuxième, sur l'histoire et les romans, et au troisième sur la poésie française. En les compilant, par ordre, sans nous arrêter à leurs divisions, nous en extrairons ce qui suit:
Il y a une mode pour les livres comme pour toute chose. Les livres, sauf quelques exceptions commandées par leur excellence, les livres ont leur temps pour paraître et leur temps pour durer. Il n'est pas sûr que les Essais de Montaigne eussent aujourd'hui (en 1671) le même succès que quand ils parurent. Nous voulons plus de méthode. Sorel a raison ici; la censure que MM. de Port-Royal firent de Montaigne permet du moins de le supposer. La forme des livres fait beaucoup pour leur destinée, et leur titre aussi, et le nom des auteurs aussi. Il y a tel nom d'auteur qui tue son livre. Théophile Viau fit très bien de retrancher son nom de Viau. Un bon moyen de pousser un livre est d'en faire parler souventes fois sous le manteau par de bons compères avant la publication, puis d'en aller lire çà et là des fragmens.
Liste des livres dont parle Sorel, qui étaient en renom de son temps, et ne sont plus connus de personne:
- L'Honnête Homme, par M. Faret.
 - L'Honnête Femme, par le P. Dubosq.
 - Lettres des Dames, par le même.
 - L'Honnête Garçon, par M. de Grenaille.
 - L'Honnête Fille, par le même.
 - L'Honnête mariage, par le même.
 - Les Harangues des Dames, par le même.
 - Les Plaisirs des Dames, par le même.
 - L'Honnête Veuve, par M. I.
 - Les Sentimens l'Honnête Homme, par M. Chorier, qui fit l'Aloïsia
 - sans doute pour les honnêtes femmes.
 - La Philosophie de l'Honnête Homme, par le même.
 - Le Lycée, par M. Bardin.
 - La Femme généreuse, par un inconnu.
 - Le Ministre fidèle, par J. Baudouin.
 - Les Vies des Ministres, par le comte d'Auteuil.
 - L'École du Prince, par M. Chevreau.
 - L'Arcadie, de Pambrock.
 - Le Secrétaire à la mode, par M. de la Serre.
 - De l'Art de parler sans précaution sur toute de sujets, par Morestel.
 - Le Héros, par le sieur Laurent Gratian, gentilhomme arragonais.
 - Les Avis et les présens de la demoiselle de Gournay.
 
Sorel, qui s'était annoncé par des romans, qui n'est plus guère connu que par son roman de Francion, s'évertue contre les romans. Il pouvait leur préférer l'histoire avec tout droit, comme il le fait, sans aller si loin. Accordons-lui que ces sortes d'écrits sont plus propres à égarer le jugement qu'à former le cœur, qu'en général ils vivent d'évènemens extraordinaires que la vérité n'admet pas, sans avoir, comme les fictions poétiques, le mérite d'élever les sentimens; qu'ils sont surtout pernicieux à la jeunesse dont ils entraînent l'imagination au delà des bornes, que la fureur du public pour les romans de chevalerie et les romans de bergerie aux XVIe et XVIIe siècles était une vraie démence; mais qu'il nous concède également qu'il y a des romans excellens, où les mœurs, les passions et les ridicules des hommes sont fidèlement représentés pour leur instruction et pour leurs plaisirs. Montaigne ne les aimait pas; mais Montaigne, avec toute son imagination, était plus réfléchi que sensible. La Noüe ne les aimait pas; mais le brave La Noüe était un homme de guerre austère et sérieux à qui l'imagination manquait. Quand on parle des romans ex professo, il faut parler des bons et non des mauvais. Il ne faut pas entendre que tout s'y passe en incidens forcés comme dans celui dont une jeune fille, à qui l'on demandait où elle en était du livre, disait naïvement: «J'en suis au quatrième enlèvement.» Il ne faut pas prétendre que l'action en soit nécessairement comme la natte qu'on peut alonger sans fin, y ajoutant toujours de la paille ou de la filasse; car ces défauts ne constituent que les mauvais romans et non les bons, surtout lorsqu'on est aussi rigoureux pour les romans, il n'en faut point composer de tels que l'Histoire comique de Francion, laquelle, malgré le succès qu'elle obtint, est une œuvre de très mauvais goût et d'un comique presque toujours bas ou plat. Certaines personnes ont osé comparer ce roman de Francion à l'immortel Gil Blas. Cela est bien peu sensé. Nous voulons croire que Sorel a peint, avec quelque vérité, les mœurs de la jeunesse dépravée, celles des gens de justice et celles des gens de l'Université, au temps de Louis XIII; mais il y a tableau et tableau. L' Histoire de Francion est un tissu d'aventures bizarres, d'obscénités sans voile comme sans charme, de saletés à faire bondir le cœur, assaisonnées d'une prétention à la morale qui fait pitié. Le héros, dupe d'abord d'un sot amour pour madame Laurette qui n'est rien qu'une fille de joie déguisée en femme sensible, finit par s'aller marier en Italie, on ne sait pourquoi, car il aurait facilement rencontré en France ce qu'il trouve à Rome. Des galanteries pour de l'argent, des filouteries par débauche, les sales confessions d'une vieille entremetteuse, des tours dégoûtans faits à qui n'en peut mais, tels que de faire boire à un pauvre vielleur aveugle du pissat dans un verre embrené, un style digne de ces inventions ou d'une langueur insoutenable, voilà bien, il est vrai, de quoi guérir du goût pour les romans, si le genre ne comportait pas autre chose; mais il n'en est rien, et il n'en était rien, même du temps de Sorel; la traduction de Longus, par Amyot, en fait foi. Il convient de peu prêcher quand on est aussi loin de pouvoir prêcher d'exemple, et c'est ce qu'oublie notre auteur. Il paraît mieux fondé, dans son Traité de la Poésie française, lorsqu'il se récrie contre la barbarie de la rime. Toutefois là même, il aurait dû garder plus de mesure. Il fallait tenir plus de compte, soit de la nécessité de la rime dans une langue peu rhythmée, soit des heureux effets que les maîtres du temps en avaient déjà tirés, présages de ceux qui devaient plus tard immortaliser nos grands poètes de Louis XIV. En somme, ce petit livre, où il y a de bonnes pensées, ne rapporte pas, à la lecture, ce qu'il coûte, aux trois quarts près. Charles Sorel, qui se prétendait de la même famille qu'Agnès Sorel, n'annonce pas sa parenté par les grâces de l'esprit. Il avait du sens, de la mémoire, des études et rien de plus. Du reste, homme d'honneur, désintéressé quoique pauvre, sans intrigue ni ambition, et régulier dans sa conduite: c'est l'image du véritable homme de lettres. Croirait-on qu'avec sa lourdeur et sa bonhomie, il ait été précoce au point de figurer à 17 ans dans le monde littéraire, et qu'il ait été l'intime ami du spirituel et caustique Guy-Patin? La nature et la destinée sont inexplicables.
Sorel, fils d'un procureur au parlement de Paris, naquit en 1599, et mourut en 1674.
ADVIS FIDÈLE AUX HOLLANDAIS,
Touchant ce qui s'est passé dans les villages de Bodegrave et de Swammerdam, et les cruautés inouies que les François y ont exercées.—Avec un mémoire de la dernière marche de l'armée du roi de France en Brabant et en Flandre. 1 vol. in-4 avec fig. de Romain de Hooge, représentant les ravages de la guerre. Imprimé en Hollande, à la Sphère ↀ.ⅮC.LXXII.
(1672-73.)
Abraham de Wicquefort, diplomate aventurier, qui passa une partie de sa vie dans des emplois de résident de petites cours à Paris ou à la Haye, et l'autre dans les prisons de France ou de Hollande, auteur, entre beaucoup d'ouvrages médiocres, du livre estimé qui a pour titre: l'Ambassadeur et ses fonctions, composa cet Avis fidèle pour plaire aux Hollandais qu'il servit et trahit tour à tour, argent sur table. Ce n'était pas à lui naturellement qu'il appartenait de tracer les devoirs de sa profession; il n'en mérite pas moins d'éloge pour s'en être acquitté convenablement. Sa destinée parut être d'avoir le bon droit pour lui, la plume à la main. Il l'a, sans doute, ici complètement. Pendant la guerre injuste de 1672, que Louis XIV fit à la Hollande, et qui finit, en 1678, par le traité de Nimegue, le duc de Luxembourg, un des plus hardis généraux de l'armée de France, entreprit de profiter des glaces dans un hiver très froid, pour aller ruiner La Haye. On était alors au temps de Noël; les canaux et les inondations, qui servent de rempart à la Hollande, étaient gelés; le duc s'aventura, avec 8,000 hommes, à travers ce pays, où tout devient défilé quand les eaux reprennent leur cours avec le dégel. Ce dégel, qu'on ne devait pas attendre, survint, tout d'un coup, durant la marche des Français, qui furent forcés de se retirer avec des peines inouies. En se retirant, l'armée mit le feu aux villes et villages qu'elle quittait, ainsi qu'aux vaisseaux et marchandises, et commit toute sorte de violences. Les bourgs de Bodegrave et de Swammerdam principalement eurent un sort déplorable et disparurent dans les flammes avec bon nombre d'habitans. C'est le récit de ces cruautés qui fait le sujet de l'Advis fidèle; et bien qu'on puisse le soupçonner d'exagération (car il n'est guère présumable que le soldat le plus déchaîné coupe le sein aux femmes qu'il viole, et s'amuse, en pillant, à écarteler les petits enfans), il est certain que la conduite des troupes de Luxembourg fut horrible, et qu'elle laissa, dans toute la Hollande, des sentimens de haine et de vengeance, dont Louis XIV éprouva de tristes effets, en 1713, lors des négociations d'Utrecht. Le récit de Wicquefort fut publié en 1673, probablement par l'ordre des hautes puissances, et adressé aux Hollandais pour les engager à redoubler leurs efforts, ce qu'ils surent faire avec succès, grâce au prince d'Orange. La narration, chose très digne d'estime, est écrite avec un calme et une sagesse mêlés de noble amertume, qui la distinguent des libelles ordinaires des réfugiés. On y trouve des faits plus que des invectives. Il n'y a pas seulement de la modération dans ce système d'accusation, il y a du goût et de la saine politique: l'ouvrage y gagne d'autant plus d'autorité. Le graveur, en cela, n'a pas imité l'écrivain, tant sont hideuses les formes sous lesquelles ces excès sont représentés. Rien n'était plus propre, il est vrai, à enflammer les esprits. Il y a des circonstances où les caricatures sont de véritables fusées à la Congrève. Mais à combien peu tiennent le sort et la renommée des expéditions guerrières! Sans un dégel, dans le nord, au 1er janvier, Luxembourg aurait probablement détruit avec méthode et discipline le centre de la puissance hollandaise; ses soldats se seraient enrichis sans crime; son coup de main, qui flétrit encore aujourd'hui sa mémoire, passerait justement pour un des plus glorieux faits d'armes; et, pour tant d'heureux résultats, il n'aurait pas eu besoin de la moitié du courage et du talent qu'il déploya, sans fruit, dans sa retraite.
DE L'ABUS DES NUDITÉS DE GORGE.
Seconde édition, reveue, corrigée et augmentée; jouxte la copie imprimée à Bruxelles. Paris, chez J. de Laize de Bresche, rue Saint-Jacques, devant Saint-Benoît, à l'image saint Joseph. (1 vol. in-12 de 116 pages et 2 feuillets préliminaires) M.DC.LXXVII.
(1677)
On attribue généralement le Traité de l'Abus des Nudités de gorge à l'abbé Jacques Boileau, docteur de Sorbonne, frère de Despréaux, quoique M. Barbier ni M. Brunet ne sachent pas sur quel fondement. Peut-être cette opinion tient-elle à l'analogie de l'ouvrage avec l'Histoire des Flagellans. L'imprimeur dit, dans son avis au lecteur, que ce Traité est dû à la piété d'un gentilhomme français qui, passant par la Flandre, fut singulièrement blessé d'y voir les femmes avec la gorge et les épaules découvertes; mais une telle censure est plus naturelle à supposer de la part d'un ecclésiastique. Le gentilhomme, d'ordinaire, n'est pas si tendre à la tentation, ou bien il l'est davantage à la tolérance. Notre exemplaire est signé à la main au dessous du titre, de la Bellonguerais. Si l'auteur n'est point l'abbé Boileau; ne serait-ce pas ce gentilhomme? Sub judice lis est.
L'ouvrage est divisé en deux parties, dont l'une traite de la nuisance et de la culpabilité de la nudité des épaules et de la gorge; et l'autre, des vaines excuses des femmes pour autoriser cet abus. La matière est toute contenue dans 113 paragraphes, ainsi répartis, 44 dans la première division et 69 dans la seconde. A la fin se trouve une ordonnance de MM. les vicaires-généraux de Toulouse, administrateurs capitulaires du diocèse, le siége vacant, pour prohiber lesdites nudités sous peine d'excommunication. L'ordonnance présente, pour signataires, les sieurs Ciron, du Four, de la Font, Destopinya, et Beauvestre, secrétaire.
Première partie.—Le monde recherche ces nudités; preuve que Dieu les réprouve.—Saint Paul et saint Jean-Chrysostôme les anathématisent, surtout dans la maison du Seigneur.—Les femmes ne savent-elles pas que la vue d'un beau sein n'est pas moins dangereuse pour nous que celle d'un basilic?—Quelle place Dieu peut-il trouver dans une ame que les yeux ont trahie?—La nudité d'Eve fut une suite et une marque de son péché.—Quand on montre ces choses, ce ne peut être que dans un mauvais dessein; car quel serait le bon? Si les femmes et les filles se veulent bien souvenir de ce que dit saint Jean-Chrysostôme, qu'une image et une statue nues sont les signes du diable, elles se couvriront.—Les Juives, les Romaines même portaient des voiles; quelle honte pour des chrétiennes que de n'en pas souffrir!—Si elles ne sont pas touchées de leur salut, qu'elles le soient du moins de leur santé compromise!—Qu'elles le soient du mépris qu'elles excitent jusque chez ceux qui les admirent!—Ne veulent-elles plaire qu'aux libertins, mais elles deviendront leurs victimes. Veulent-elles plaire aux honnêtes gens, mais alors qu'elles se couvrent.—La femme est un temple dont la pureté tient les clefs.—Ses discours seraient chastes et sa parure ne le serait pas! quelle inconséquence!—Un sein et des épaules nus en disent plus que les discours.—Dieu compare la nation corrompue à la femme qui élève son sein pour lui donner plus de grace.—Couvrez-vous donc, mais tout à fait, et ne couvrez pas ceci pour découvrir cela!
Deuxième partie.—On cherche d'honnêtes motifs ou des excuses pour découvrir sa gorge et ses épaules. De quoi ne s'excuse-t-on pas? Adam et Eve aussi s'excusaient.—L'abbé Rupert dit que ce qu'il y a de pis dans une faute, c'est l'excuse qu'on lui cherche.—Eh! quelles sont ces belles excuses?—La mode? la coutume? comme si la mode et la coutume étaient des marques de la justice ou en pouvaient dispenser!—Jésus-Christ, dit Tertullien, ne s'est pas nommé la coutume, mais la vérité.—Elles disent que cela n'est pas défendu. Ah! quelle ignorance ou quel mensonge!—Ne savent-elles pas d'ailleurs que qui veut leur plaire et les cajoler commence toujours par louer leur gorge ou leurs épaules?—Elles savent bien que cela donne des idées défendues, si cela n'est pas défendu; mais cela est défendu.—Nous n'y entendons pas malice, disent-elles encore.—Qu'en sait-on? et puis qu'importe, si nous autres hommes y entendons malice?—Quand vous n'agiriez en cela que par vanité, ce serait encore criminel.—Un beau sein est un glaive qui peut tuer un homme.—Vous agissez d'abord innocemment, je le veux croire, mais on vous cajolera si bien, que vous périrez par la cajolerie.—Vous êtes de vrais athlètes du démon avec ce corps demi-nu.—A cela, elles s'écrient: «Vous voulez donc que nous couvrions aussi notre visage?»—Quelle belle objection! Ne voyez-vous pas, si elle était fondée, qu'elle vous menerait à vous découvrir de pied en cap?—D'ailleurs, vous pouvez rendre vos yeux et votre visage modestes; mais pouvez-vous rendre votre gorge et vos épaules modestes?—Mais les filles prétendent qu'elles ont besoin de plaire pour se marier, et les femmes qu'elles en ont affaire pour conserver leurs maris!—Ici, le gentilhomme ou l'abbé Boileau a tant de bonnes réponses à faire et répond si bien, que nous y renvoyons le lecteur.
ORATIO
JACOBI GRONOVII.
De ratione studiorum suorum, recitata publice, quum græcæ linguæ et historiarum professioni auspicaretur, octavo decimo mensis martii. ↀ.ⅮC.LXXIX. 1 vol. in-8 de 60 pages. (Exempl. de Huet, évêque d'Avranches, légué par lui avec sa bibliothèque, aux jésuites de Paris.) Lugduni in Batavis, apud Jacobum Gaal.
(1679.)
Voici peut-être le chef-d'œuvre de ce pédantisme universitaire dont le docteur Mathanasius s'est moqué si agréablement. Profusion d'idées communes, déclamatoires ou quintessenciées, rapprochemens forcés, abus d'érudition, périodes interminables, style obscur et contourné comme à plaisir, recherche d'expressions bizarres et peu usitées, latin inintelligible à force de travail, rien n'y manque, et sans quelques sages conseils donnés à la jeunesse, sans un éloge de la république romaine qui présente parfois de la grandeur, ce serait, à rebours, une pièce achevée. Nous n'en citerons que l'exorde qui mérite d'être connu.
Jacques Gronovius, récemment nommé professeur de grec et d'histoire à l'Université de Leyde, à l'âge de 34 ans, commence ainsi son discours d'ouverture, le 18 mars 1679, en présence du magnifique recteur, des illustrissimes, splendides et prudentissimes curateurs, du préteur, des consuls et des juges de la Minerve batave, des très savans professeurs de l'honorable collége de Leyde, des internonces très fidèles de la parole de Dieu, enfin devant une très choisie jeunesse académique, vénustissime aurore de l'avenir hollandais.
«Très amples seigneurs, si j'avais rencontré un regard d'acquiescement dans les yeux du souverain maître, pour les souhaits de repos que, dans le parfait contentement où j'étais de mon sort, j'avais bien souvent formés, l'importunité d'ordonner et d'assembler de nouveaux comices ne vous eût pas été imposée, et la maladie qui afflige les corps humains eût différé de citer à son tribunal celui qui naguère encore était, dans la plénitude de ses forces, votre digne professeur. Quant à moi, livré à cette tendre paresse dans le sein de laquelle je m'étais doucement caché ou plutôt enfoui (aut verius defoderam), il me serait donné d'en prolonger la jouissance, et, par des promenades faites librement, en tenant à la main les livres que l'usage de mon père m'a rendus si chers, je marquerais, je nourrirais à l'aventure et comme en me jouant, des années qui ne laissent pas que de tressaillir de joie dans le commerce de l'adolescence. Bien que certainement il fût dû aux mérites du disciple d'Apollon, auquel je succède, de causer, par sa disparition, un fracas terrible, et de voir la fin de sa course signalée par un nouveau deuil assigné à la nature humaine, néanmoins je suis forcé de désirer que cette réunion, qui s'opère sous l'apparence d'une fête et sous l'image brillante et ornée d'une félicité solide, ne soit point, à mon occasion et par mon silence, dépouillée de son éclat. Les habitudes de ma vie antérieure ne sont, sans doute, pas telles qu'elles doivent, en cette circonstance, me contraindre à bégayer, et d'ailleurs, dans tous les yeux qui sont fixés sur cette chaire, j'aperçois une justice comme adoucie par un certain condiment de savoir, bien rassurante; toutefois la transition soudaine d'une retraite si obscure et si latébreuse au lustre si resplendissant et si répandu d'un tel siége me trouble, me tourmente, à ce point, qu'en dépit de l'expérience déjà faite de mes forces et de ma voix, la seule considération du devoir empêche ma bouche de défaillir. Une grande amertume saisit mon cœur à l'ouverture de cette chaire fameuse. Des mânes qui, depuis huit ans, m'étaient consanguins, retournés dans leur patrie céleste, après avoir fait résonner ces lieux des chants du cygne, non seulement frappent et obsèdent de tous côtés mes regards, mais encore s'insinuent dans mon ame, semblent me clore la gorge, et m'intimer commandement d'aller bien plutôt, dans quelque coin secret et solitaire, la voix comme partagée et coupée par les sanglots, accommoder mes plaintes et ma douleur à ce grand changement de ma fortune, que de venir tenter une irruption néfaste dans ce sanctuaire éclairé par tant de langues savantes qu'il en paraît frappé de la foudre. (In hoc tot eruditarum linguarum nitore velut fulmine illustratum bidental.) Ces empêchemens sont encore augmentés par mon défaut d'assurance, à la vérité quelque peu corrigé par un court séjour chez les Étrusques, et qui, sans qu'il s'est de nouveau montré par l'effet d'une solitude philoctétéenne, ne me donnerait aujourd'hui ni tant de remords, ni la crainte, soit d'encourir les redoutables sévérités des jugemens qu'il me faut subir, soit de perdre en un moment, par ma faute, le peu d'honneur que me donnent quelque ressemblance avec mon laborieux père, et quelque aptitude aux arts libéraux signalée dès ma jeunesse, soit d'imprimer des taches et des rides sur les travaux d'un atelier célèbre par le poli des hommes qui le composent. Mais, du moins, je l'espère, mes paroles traverseront, saines et sauves, en volant, le jugement de cet auditoire, ou, si quelques unes y demeurent arrêtées, le pardon m'est promis au nom de cette commune, affection qui favorise les plus médiocres talens de cette magnitude de bienveillance publique dont je me sens déjà tout réconforté par le temps qu'elle m'a donné pour réchauffer ma langue et pour me traîner jusqu'ici; et, trompant ainsi mon hésitation par un nouveau genre de fraude, je forme le vœu, que dis-je, j'ai la confiance, confiance marquée au coin de la sécurité, de pouvoir franchir le degré et de remplir mon obligation après avoir sauvé les auspices de ce beau jour où je crois renaître une seconde fois. Dans cette vue, mon esprit se tournant à la recherche de quelque sujet convenable et propre à la solennité de ce discours, que pouvait-il faire de mieux que de rendre grâce à l'honneur de la clepsydre de cette enceinte en pensant à son religieux murmure, et que de rendre témoignage de la doctrine sous la discipline de laquelle j'ai résolu de placer le tabernacle de ma vie, selon la tradition de nos aïeux? Car, je ne prétends pas moins faire ici qu'une profession publique de mes pensées, des raisons de mes études, des stimulans qui les ont excitées, soutenues, charmées, qui m'ont porté à divulguer toute l'économie de la république romaine[12]; et ma conduite, à défaut de mes paroles, confirmera cette vérité que ce n'est pas la vanité qui m'a dirigé, mais la nécessité, étant né dans un siècle d'orages où l'homme doit marcher couvert de peur de la pluie. C'est pourquoi, bien que mon discours, privé des secours que donne la lutte d'un esprit poli, procède uniment sans cette uberrine abondance et cette aptitude éminente qui prêtent tant d'effet aux paroles, je vous supplie, honorables auditeurs de tous ordres, comme il s'agit ici pour vous d'utilité, de même que j'apporte en ce jour l'ardeur joyeuse que d'honorables suffrages me commandent, d'y apporter, de votre côté, cette sainteté des mœurs antiques, cette humanité dont j'entrevois le germe sur vos visages, et d'infléchir vos esprits à parcourir avec moi le cercle de mon unique argument, etc. (Ad unius argumenti gyrum peragendum continuetis.)»
Nous pensons que le lecteur est satisfait comme cela, et qu'il n'en demande pas davantage, soit pour se convaincre à jamais que l'horreur de la simplicité, la manie de tourmenter ses pensées conduisent les plus grands esprits au parfait ridicule, soit pour ratifier la maxime du Clitandre des Femmes savantes, qu'un sot savant est sot plus qu'un sot ignorant.
[12] Jacques Gronovius Scoliaste, fils de Jean Gronovius Scoliaste, et père d'Abraham Gronovius Scoliaste, est auteur du Thesaurus Antiquitatum romanarum, et d'un autre ouvrage du même titre sur les antiquités grecques. Les Antiquités romaines de Rosin, et le petit ouvrage des Coutumes des Romains, par Niewpoort, peuvent dispenser du gros livre de Gronovius, sans parler de Denys d'Halicarnasse, d'Aulu-Gelle et de Macrobe, d'où tous ces messieurs ont tiré le meilleur de leur savoir.
JOSEPH,
OU
L'ESCLAVE FIDÈLE,
Poème, par dom Morillon, bénédictin, imprimé à Turin, chez Benoist Fleury, 1679. (1 vol. in-8 de 176 pages.)
(1679.)
Ce poème, qui fut supprimé lorsqu'il parut, est devenu très rare. Un exemplaire s'en est vendu jusqu'à 19 francs en 1797. M. Barbier dit qu'il y en a une autre édition in-12, portant la rubrique de Bréda, Pierre et Jacques, 1705, dont les bénédictins firent retirer tous les exemplaires. L'ouvrage est divisé en six livres qui commencent aux amours de Jacob et de Rachel et finissent à Joseph mourant plein de jours et de fortune, après avoir retrouvé ses frères. On voit que le sujet principal du poème, qui est la fidélité du chaste esclave Joseph envers son maître Putiphar, est ainsi réduit aux proportions d'un simple épisode, lequel se trouve au livre troisième. Rien de plus naïf que le tableau de la passion d'Osirie, femme de Putiphar, encore que le style en soit très recherché. Il a pu échauffer l'imagination du moine, mais les gens du monde ne feront qu'en sourire. Osirie, pour exciter Joseph à devenir entreprenant, lui adresse les vers suivans:
Joseph répond entre autres choses:
Osirie persiste, insiste et toujours discourant longuement, finit par le menacer:
Arrive la fête du dieu Sérapis. Osirie profite de l'occasion pour renouveler sa tentative, et cette fois
Que ferez-vous, hélas! Joseph, que ferez-vous? s'écrie alors le poète bénédictin. Ce que fera Joseph, ce sera un long sermon de chasteté qui mettra Osirie hors des gonds:,
C'est dans cet instant délicat pour le moine que Joseph fuit en abandonnant son malencontreux manteau. Le reste continue à peu près comme dans la Bible, mais non pas sur le ton de la Bible; il s'en faut de toute la distance qui sépare la sublime simplicité de l'afféterie ridicule.
RELATION
DE L'ACCROISSEMENT DE LA PAPAUTÉ
ET DU GOUVERNEMENT ABSOLU
EN ANGLETERRE;
Traduit de l'anglais. A Hambourg, chez Pierre Plats. (1 vol. pet. in-12, mar. vert, dor. s. tr.) M.DC.LXXX.
(1680.)
L'histoire d'Angleterre au XVIIe siècle, inépuisable sujet de méditations pour nous, servira, dans tous les temps, à prouver deux choses aux maîtres des hommes: la première, que l'obéissance est si nécessaire aux sujets que les gouvernemens ont toute facilité pour se maintenir et s'accroître aux dépens même des bornes tracées par la justice et la bonne foi; la seconde, que de certaines entreprises, légitimes en apparence, renversent infailliblement les pouvoirs les mieux établis qui les tentent; ce sont celles qui choquent les mœurs et les opinions contemporaines.
Un prince dissolu et absolu s'allie aux ennemis naturels de son pays, dans le but de se mettre, par leur secours, au dessus des lois qu'il a promis solennellement de respecter; il en reçoit des subsides cachés; il entreprend pour eux une guerre insensée et ruineuse; il proroge tour à tour et dissout arbitrairement son parlement; il ravit, par ordonnance, le dépôt sacré des banques publiques; il détourne à son usage les fonds de l'Etat; tout cela ne lui créera, tout au plus, que des difficultés passagères qui s'évanouiront aussitôt que, par une seule démarche adroite, il saura dissiper les soupçons que son peuple avait conçus d'un secret dessein de changer une religion nouvelle, mais régnante, contre une religion ancienne, mais détestée, et ce prince, effaçant ainsi, en un jour, tous les torts d'un long règne, mourra puissant et regretté: c'est Charles II.
Un prince, réglé dans ses mœurs, sincère, économe, courageux, laborieux, ami de son pays, arrivé au trône avec une prérogative exorbitante, s'obstinera, dans la tentative généreuse, de remettre en honneur sa religion proscrite; en deux ans il tombera de ce trône affermi et sera proscrit lui-même, trahi par ses meilleurs amis et par ses propres enfans: c'est Jacques II.
Si ce n'est pas là un enseignement de l'expérience, il n'en est point; et si cet enseignement est ailleurs méconnu un siècle et demi plus tard, il n'en est point d'utile.
Le petit livre d'où ces réflexions naissent naturellement, fort ignoré aujourd'hui, grossièrement composé, indignement traduit, est pourtant curieux par les détails qu'il donne sur la fatale entreprise des derniers Stuarts contre les constitutions britanniques. L'auteur, après un long préambule historique, prend, pour point de vue, la fameuse séance du parlement anglais du 15 février 1676, dans laquelle Charles II, après plusieurs prorogations, vint demander d'importans subsides pour soutenir la guerre antinationale qu'il faisait alors à la Hollande, par les suggestions, et au profit seulement de Louis XIV, comme le prouva bien, en 1678, le traité de Nimègue. Les deux Chambres, en dépit d'un instinct droit d'opposition, poussèrent la complaisance jusqu'à envoyer à la tour quatre pairs d'Angleterre, Buckingham, Salisbury, Schatesbury et Wharton, qui avaient réclamé la dissolution du parlement contre le vœu de la couronne. Ce récit mérite d'être lu, principalement dans l'endroit où sont exposées les différentes natures de corruptions ou de séductions qui assiègent les consciences dans les assemblées politiques. Premièrement, dit l'anglais, les scrupules. Les gentilshommes, ayant charges dans la maison ou dans l'État, sont facilement conduits à placer leurs premiers devoirs dans une reconnaissante déférence aux désirs du monarque. En tel cas, on peut dire que les scrupules surabondent. A entendre ces gens scrupuleux, voter contre en gardant sa charge, c'est se montrer ingrat; en se démettant de sa charge, c'est lâcheté aux yeux du roi; se démettre de son mandat pour garder sa charge, c'est manquer au peuple: il faut donc voter pour, quitte à faire de particulières remontrances. La belle chose que des scrupules bien placés! Secondement, la soif des affaires. Viennent donc les gentlemen qui, n'ayant point de charges, et sachant qu'on en obtient plus par la peur qu'on fait que par les services qu'on rend, se donnent consciencieusement à l'opposition jusqu'à ce que les ministres, en les nommant, rentrent dans la bonne voie des intérêts publics. Ces personnes-là ont tant de zèle qu'elles attirent à elles toutes les affaires du parlement, et ne souffrent point qu'un bon avis parte d'un autre côté que du leur. En troisième et dernier lieu, la faim, qui groupe les nécessiteux sans ambition, leur fait attendre et recevoir leurs alimens des mains du roi, les presse autour des ministres après chaque séance, comme autant de chouettes autour d'un fromage.
Notons que ceci s'écrivait près d'un siècle avant Robert Walpole. Faut-il conclure de ces honteuses pratiques, avec les ennemis du gouvernement délibératif, que c'est le pire des gouvernemens? non pas, à notre avis, au contraire. Le régime parlementaire ne fait pas la corruption; il la signale et la tempère en même temps par la publicité qui est de sa nature. Sans cette publicité, les hommes ne seraient pas moins corrompus, et le seraient plus librement. Ici les résultats parlent plus haut que la satire, et ils nous apprennent que, dans les pays de discussion et d'élection, les abus ont leurs limites, tandis que, dans les pays silencieusement asservis aux volontés d'un seul ou de plusieurs, ils n'en ont pas.
RÉFLEXIONS
SUR LA MISÉRICORDE DE DIEU,
Par une dame pénitente (la duchesse de la Vallière). A Paris, chez Antoine Dezallier, rue Saint-Jacques, à la Couronne d'or, avec privilége. (1 vol. pet. in-12 de 191 pages, quoique le chiffre porte 240. Le volume contient de plus un avertissement, la table et des approbations.) M.DCC.XII.
(1680—1712.)
La première édition de ces réflexions, à la suite desquelles se trouve la vie pénitente de la duchesse de la Vallière, porte la rubrique de 1680, in-12, chez Dezallier. Les ames pieuses et tendres peuvent puiser à pleine source dans ce petit livre, authentique on non, empreint d'un repentir sincère, rempli de sages pensées sur le néant de la vie mondaine, et d'ailleurs écrit avec une aimable et douce simplicité. «Faites, ô mon Dieu! que je ne me contente pas d'être dégoûtée de ce monde, et de m'en voir éloignée, peut-être plus par un esprit d'orgueil et un effet de ma raison, que par un pur motif de votre grâce!... Préservez-moi du doux penchant qui me porte à plaire à ce monde et à l'aimer.... Anéantissez surtout en moi, cette vivacité d'esprit qui ne sert qu'à me détourner des voies du salut!... O que les pensées des hommes sont vaines et trompeuses quand elles ne sont pas réglées par l'infaillible sagesse de Dieu!... Que je ne me flatte pas d'être morte à mes passions, pendant que je les sens revivre plus fortement que jamais dans ce que j'aime plus que moi-même... Vous savez, Seigneur, combien l'espérance d'un vain plaisir et d'une bagatelle me remplit et m'occupe encore. Vous savez combien les louanges et l'estime du monde me sont nuisibles...; s'il me faut encore demeurer au milieu du monde, paratum cor meum, Deus, paratum cor meum, mais soutenez-moi!...» (Ainsi madame de la Vallière écrivait ces réflexions dès avant sa retraite définitive de la cour.) «J'abandonnerai ces personnes flatteuses avec lesquelles j'ai perdu tant de temps... Oui, Seigneur, je confesse, après avoir parcouru toutes les vanités du monde, qu'il n'y a point de véritable joie ni de solides plaisirs ailleurs que dans votre service et dans votre amour... N'est-il pas bien juste que je pleure?... Oui, Seigneur, je reconnais vos grâces... Seigneur! exaucez ma prière! etc.»
A la suite de ces vingt-quatre réflexions, un récit abrégé de la vie de la pénitente aux Carmélites de la rue Saint-Jacques nous apprend qu'elle fut ramenée à Dieu par la charité. Un pauvre religieux, à qui elle fit une riche aumône, bien avant sa conversion, lui ayant prédit que Dieu ne la laisserait pas mourir dans le péché, elle conçut dès lors une vive pensée de religion et de repentir. L'instant venu, elle hésita d'abord entre les capucines et les carmélites, et se résolut pour ces dernières, on ne dit pas par quels motifs. Ses amis lui avaient annoncé que l'heure où elle verrait se refermer sur elle la grille du cloître serait terrible; point; elle n'éprouva que de la joie, montra une fermeté surprenante à frapper les religieuses mêmes, et se fit aussitôt couper les cheveux. Elle demanda, par anticipation, l'habit de carmélite, et s'y accoutuma sur-le-champ, excepté à la chaussure, dont elle a souffert jusqu'à la mort. Ah! tibi ne teneras glacies secet aspera plantas!
La grossièreté de la nourriture, la dureté du coucher, la veille, le silence, rien, du reste, ne lui fit, et cela dès le premier jour. Le spectacle de sa prise d'habit, où Bossuet prêcha, avait attiré un grand concours de monde; chacun était en larmes; elle réconfortait chacun, elle se montra si humble qu'elle voulait être simplement sœur converse; mais la mère Agnès de Jésus-Maria, supérieure du couvent, la refusa, et elle se soumit. On lui permit toutefois d'aider les sœurs du voile blanc au travail le plus bas et le plus pénible de la maison. Elle fit sa profession au chapitre le 3 juin 1675, et, le lendemain, prit en public, en présence de la reine, le voile blanc. Ses austérités allèrent toujours croissant. Un jour, en étendant du linge mouillé, par un grand froid d'hiver, elle souffrit tant qu'elle s'évanouit. Elle ne s'était pas occupée d'un douloureux érysipèle à la jambe qui lui survint; il fallut la forcer avec réprimande d'aller à l'infirmerie; elle se condamna d'elle-même au supplice de la soif, et demeura, une fois, plus de trois semaines sans boire. Cette vie cruelle finit par lui valoir de rudes infirmités; elle les souffrit toutes sans se plaindre. Enfin la mort arriva, elle la vit avec joie, reçut les sacremens de l'Eglise des mains de l'abbé Pirot, supérieur du couvent, puis tomba en faiblesse, et rendit sa belle ame à Dieu, le 6 juin à midi de l'année 1710. Elle était âgée de soixante-cinq ans et dix mois. Le grand roi pour lequel elle avait tant souffert était moins qu'elle alors un objet d'envie.
LA FOY DÉVOILEE PAR LA RAISON
Dans la connoissance de Dieu, de ses mystères et de la nature, par M. Parisot, conseiller du roy en ses conseils, maître ordinaire en sa chambre des comptes, première édition. Se trouve chez l'auteur, rue Simon-le-Franc. 1 vol. in-8 de 282 pages, plus 25 feuillets préliminaires. A Paris, M.DC.LXXXI. (Ouvrage brûlé, et conséquemment très rare.)
(1680-81.)
Jean-Patroche Parisot, qui fut poursuivi, condamné comme impie et dont le livre fut supprimé, ce qui rendit ce livre d'une extrême rareté sans le rendre meilleur, Jean-Patroche Parisot était tout bonnement un fou, avec cette circonstance commune à beaucoup de genres de folie qu'il croyait, en conscience, tenir dans sa main la vérité des vérités, ignorée jusqu'à lui, et qu'il la professait publiquement; en cela différent des sots qui, tout aussi tranchans pour la plupart, ne le sont, ordinairement du moins, qu'à domicile. Il prétendit donner à la foi l'appui de la raison, oubliant que les mystères du christianisme sont précisément institués pour soumettre la raison et la confondre dans son orgueilleuse ambition de tout connaître et de tout expliquer. Son zèle indiscret ne fut pas heureux. Il trouvait, dans la nature, les trois élémens de la Trinité, savoir: le Sel, générateur des choses, répondant à Dieu le père; le Mercure, dont l'extrême fluidité représente Dieu le fils répandu dans tout l'univers; et le Soufre qui, par sa propriété de joindre et d'unir le sel au mercure, figure évidemment le Saint-Esprit, lien sacré des deux premières personnes de la Divinité. Ces belles découvertes, il les voyait clairement annoncées dans la Genèse et l'Evangile de saint Jean, In principio erat verbum, etc., dont son ouvrage n'est que l'explication obscure et paraphrasée. Nous ne le suivrons pas dans ses divagations inintelligibles, nous bornant à rapporter un fait singulier. Parisot avait dédié son livre au Saint-Pere, dans une lettre respectueuse et soumise, en le lui envoyant manuscrit. Le quatrième jour des calendes d'août 1680, le cardinal Casanata lui répondit, au nom du pape, que la cour de Rome avait lu son ouvrage avec plaisir, qu'il était plein d'esprit et digne de louanges, et qu'elle en attendrait simplement l'impression pour l'approuver ex cathedra. Sur cela, Parisot imprima et fut condamné. Voilà de quoi doubler la défiance pour les manuscrits. M. Peignot dit qu'un exemplaire de cet ouvrage fut vendu 15 livres sterling à Londres, chez M. Pâris, en 1791.
MOYENS SURS ET HONNESTES
POUR LA CONVERSION DE TOUS LES HÉRÉTIQUES,
Et Avis et Expédiens salutaires pour la réformation de l'Eglise. A Cologne, chez Pierre Marteau. (2 tom. en 1 vol. in-12 de 582 pag. et 19 feuillets préliminaires.)
(1681.)
M. Barbier ne cite qu'une édition de ce livre, en deux tomes in-12, Cologne, 1683. Ne serait-ce pas la même que la nôtre avec un titre nouveau? Bayle, dans son pamphlet contre Jurieu, intitulé: Chimère de la cabale de Rotterdam[13], rapporte incidemment que, dix ans après l'impression des Moyens sûrs et honnestes, etc., on cherchait encore vainement le nom de l'écrivain auquel est dû cet ouvrage curieux qui prétend concilier la doctrine du catholicisme avec l'anéantissement de l'autorité du pape: car tel est le but du livre et le moyen sûr et honnête qu'il fournit pour la conversion des hérétiques. Il parle contre le pape comme Calvin, et, à ce prix, demande aux dissidens de penser sur le dogme comme saint Ambroise. Si les catholiques l'avaient cru, le catholicisme serait à vau-l'eau maintenant, aussi bien que tous les dogmes des réformés de toute secte. L'expédient proposé par l'anonyme est de l'hyper-gallicanisme, unique en son genre par la hardiesse du dessein, l'audace des expressions, la science et le ton de conviction qui règnent dans l'exécution du plan. L'auteur raconte, dans sa préface, que l'idée de son traité lui vint pendant un voyage qu'il fit à Rome[14], au sortir de ses classes, à la vue des mœurs et des opinions dissolues de la ville et de la cour pontificales. Il ne ressemblait donc guère au voyageur du Décaméron qui conclut, des mêmes désordres, que l'autorité de l'Eglise romaine était, en effet, divine, puisqu'elle se perpétuait malgré tant d'excès. Voilà comme, suivant le point de vue où l'on se place, les mêmes faits servent à des conclusions contraires. Trois longs chapitres composent le traité dont il s'agit et forment le premier des deux tomes. Dans le premier chapitre, on lit que la papauté n'a aucun titre divin, et que les appuis qu'elle tire de l'Evangile sont nuls et de toute vanité. Le second enseigne que l'ancienne Eglise n'a point connu la papauté, et réfute les raisons humaines par lesquelles, au défaut de l'écriture et des Pères, on veut l'établir. Le dernier chapitre essaie de prouver que l'autorité pontificale n'a fait aucun bien à la religion, et qu'au contraire elle est la cause de ses plus grands maux. De quelque opinion que l'on soit, on jugera que ceci, étant traité gravement, mérite analyse. Nous en donnerons donc une ici, selon notre méthode qui consiste à résumer les discours de l'auteur, et à peu discourir en notre nom, l'objet de ces analectes étant de retracer au lecteur les diverses pensées d'autrui et non de l'occuper avant tout des nôtres.
PREMIER TOME.
Premier chapitre.—Quiconque lira le Nouveau Testament trouvera que Jésus-Christ seul y est établi pour chef de l'Eglise. Les papes s'intitulent, à la fois, chef, époux et fils de l'Eglise; c'est de la folie. Pour soutenir cette folie, ils disent avec Bellarmin et autres savans ou subtils sophistes, qu'Aaron, chez les Juifs, avait seul la conduite du service divin, comme si le petit Etat de la Judée et le monde entier étaient une même chose. D'ailleurs, Aaron lui-même était soumis à la censure du grand Sanhédrin. L'Evangile ne dit pas une parole qui ait trait à l'institution d'un chef unique, et, dans mille endroits, il s'exprime d'une façon toute contraire. Saint Pierre stipule avec saint Paul que le dernier ira vers les gentils pendant que lui prendra soin des Juifs; c'est là un partage du monde et non une hiérarchie réglée. Ils disent que saint Pierre alla à Rome, qu'il y fut évêque, et qu'il y eut pour successeur Clément, ou Linus, ou Anaclet, sans en fournir la plus légère preuve. Saint Paul, en certaine occasion, réprimanda fortement saint Pierre. Est-ce là un témoignage de la suprématie de saint Pierre? Mais Jésus-Christ nomme souvent Pierre le premier dans l'ordre de ses apôtres. Qu'importe s'il ne le nomme pas toujours le premier? Les fameuses paroles, tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise, ne signifient rien s'adressant à tous les apôtres, et se trouvant d'ailleurs dans le même chapitre où Jésus-Christ appelle Pierre satan, ce qui ne veut pas plus dire que Pierre fut satan que le reste ne veut dire qu'il fut pape. Jésus-Christ n'a-t-il pas dit aussi que jamais les portes de l'enfer ne prévaudraient contre l'Eglise; or, il y eut un temps où les évêques de Rome étaient ariens: ils n'étaient donc pas alors ceux contre qui les portes de l'enfer ne prévaudraient jamais. Saint Cyprien[15], saint Augustin, etc., etc., n'entendent par ces mots: sur cette pierre, etc., que la foi de Jésus-Christ. Le jésuite Salmeron[16], qui n'est pas suspect, avoue que l'autorité papale n'a point de fondement dans l'Ecriture, et la met au rang des traditions orales. Origène, dans son Traité sur saint Mathieu, saint Hilaire, au livre 6 de la Trinité, saint Jérôme contre Jovinian, font la part égale entre les apôtres, toujours suivant l'anonyme, à qui nous oserons répondre que le passage qu'il cite de saint Jérôme n'est pas concluant pour son opinion. Le passage le plus remarquable en faveur de la thèse avancée est le suivant de saint Chrysostôme dans un sermon sur la Pentecôte. «Christus dixit super hanc petram, non super Petrum; non enim super hominem, sed super fidem ædificavit Ecclesiam suam.» Le pouvoir de lier et de délier n'a pu être donné qu'au sacerdoce en général; car il est, de sa nature, subordonné au repentir et à l'impénitence: or, le prêtre seul qui communique avec le coupable sait si ce dernier se repent ou non; le pape, comme pape, l'ignore; donc il ne peut lier et délier comme pape, mais seulement comme prêtre, et ses foudres, aussi bien que ses indulgences prises in globo, sont vaines. Pourquoi inférer de ces paroles de Jésus-Christ, répétées trois fois à Pierre, Paissez mes brebis, qu'il lui donnait le commandement de son Eglise? Est-ce parce que Pierre l'avait renié trois fois? Mais n'est-ce pas plutôt une réhabilitation de Pierre exprimée trois fois pour compenser sa triple faute? Au concile de Jérusalem, ce fut saint Jacques et non saint Pierre qui présida. C'est donc tout ensemble, poursuit l'anonyme, une grande fausseté, et une impiété insigne au cardinal Palavicini d'avancer, dans son Histoire du concile de Trente, chapitre XV, que la religion chrétienne n'a point d'autre certitude prochaine et immédiate que l'autorité du pape.
Chapitre second.—Les auteurs qui ont parlé de la venue et de la mort de saint Pierre à Rome l'ont fait sur de si misérables fondemens et ont dit des choses si contradictoires, qu'ils n'autoriseraient pas, avec de tels moyens, la croyance la plus légère, même en matière frivole. Tandis que les uns donnent, pour successeur à saint Pierre, Linus, les autres nomment Clément, ceux-ci Anaclet, ceux-là, comme Dorothée in synopsi, disent que ce fut Barnabé qui prêcha le premier à Rome. Saint Paul marque clairement que c'est lui qui a fondé cette Eglise. Linus, qui fait l'histoire du martyre de saint Paul à Rome, ne dit pas un mot de la mort de saint Pierre. Les savans reconnaissent que le combat de saint Pierre avec Simon le magicien est une fiction. Lors même que saint Pierre eût été évêque de Rome, que s'ensuivrait-il pour la primatie du siége? Saint Jacques et saint Jean ont survécu à saint Pierre. Comment croire qu'ils aient été soumis à Linus? et pourquoi l'auraient-ils été? Rome était alors la capitale de l'empire, mais non celle de la chrétienté. Les siéges de Syrie étaient bien autrement importans pour le christianisme que le siége de Rome à cette époque. L'Eglise primitive qui a dressé le canon des livres propres à régler la foi y a compris les livres de saint Jacques et de saint Jean, non pas ceux de Linus et de Clétus qui ont pourtant beaucoup écrit. Clément, ce prétendu chef de l'Eglise après saint Pierre, reçoit les ordres de saint Jacques, et, dans sa première lettre, lui écrit comme à l'évêque des évêques. Saint Denis l'aréopagite, qui a fait un traité de la hiérarchie, ne parle nullement d'un chef de l'Eglise. Saint Ambroise s'exprime ainsi dans son Traité de l'incarnation, chapitre XIV: «Primatus Petri, confessionis non honoris, fidei non ordinis.» «La primauté de Pierre est une primauté de confession non d'honneur, de foi non de rang.» Saint Cyprien, au concile de Carthage, ou dans son traité de sententiâ episcoporum, va plus loin: «Neque enim, dit-il, quisquam nostrum se episcoporum episcopum constituit, ut tyrannico terrore ad obsequendi necessitatem collegas suos adigat.» Il appelle Etienne, évêque de Rome, son collègue, dans sa XIe lettre du IIIe livre. Il dit textuellement, dans sa LVe lettre, qu'il faut être fou pour s'imaginer que l'autorité des évêques d'Afrique soit moindre que celle des évêques de Rome. Le concile de Nicée, au VIe canon, marquant les limites des siéges patriarcaux, assigne toute l'Egypte, la Libye et la Pentapole aux évêques d'Alexandrie, d'autres provinces à l'évêque de Rome, d'autres encore à l'évêque d'Antioche, sans faire aucune distinction de rang entre ces évêques. Sur quoi le cardinal Cusan, dans sa concordance catholique, livre II, chapitre XII, observe que l'évêque de Rome a beaucoup acquis contre les saintes constitutions, par le long usage de la soumission qu'on lui a rendue sans la lui devoir. Saint Grégoire de Naziance, dans sa XXIIe lettre, considère l'Eglise de Césarée comme le centre et la mère de presque toutes les Eglises. Dans le concile milévitain, où saint Augustin se trouva, il fut arrêté que ceux des évêques d'Afrique qui appelleraient à Rome seraient excommuniés. Saint Chrysostôme, dans sa XXXVe homélie sur saint Mathieu, dit que, si quelque évêque affecte la primauté sur terre, il trouvera sa confusion au ciel. Saint Hilaire résista de tout son pouvoir aux envahissemens du pape Léon sur le droit des évêques. Avant saint Cyprien, les évêques étaient égaux, et l'établissement des métropolitains même ne date que des temps qui ont suivi sa mort. Ce fut le concile de Chalcédoine qui établit les quatre grands patriarcats de Rome, d'Alexandrie, d'Antioche et de Constantinople (car celui de Jérusalem ne compte guère à cause de son peu de durée). Il est évident que l'importance ambitieuse des évêques de Rome et de Constantinople ne tient qu'au rang de capitales de l'empire qu'avaient ces deux villes. Au commencement du triomphe du christianisme, les empereurs convoquaient et présidaient les conciles, même en Occident. Au concile de Leptine, sous Chilpéric III, ce fut Carloman qui présida, quoique l'évêque de Rome y eût un député. Le premier évêque de Rome qui affecta la prétention d'être le chef de l'Eglise, prétention infirmée par mille exemples longtemps encore après, fut Boniface III, qui dut cette faveur à la protection de l'empereur Phocas. L'empereur Othon Ier déposa le pape Jean XII, vers 964. En l'an 1007, l'empereur Henri II déposa trois papes, Benoît IX, Silvestre III et Grégoire VI. En résumé, jusqu'au VIe siècle, point de chef unique de l'Eglise. Depuis, les prétentions du siége de Rome furent longtemps contestées. Enfin, dans le moyen-âge, entre 12 et 1400, ces prétentions furent admises avec des modifications diverses par les Etats d'occident seulement, et sur des considérations temporelles. La preuve que l'établissement de la papauté actuelle est une usurpation, c'est que la papauté a fait tomber l'usage des conciles œcuméniques, lequel est incontestablement inhérent à l'essence même, comme à l'histoire du christianisme. La cour de Rome est aujourd'hui en opposition manifeste aux conciles de Bâle et de Constance. Enfin, quand on opposerait mille témoignages à ceux précités, la réponse serait insuffisante, car il suffit d'un seul témoignage orthodoxe, en faveur de la non-institution divine de la papauté, pour que ce ne soit pas une condition rigoureuse d'orthodoxie, de croire que la papauté soit d'institution divine.
Chapitre troisième.—Mais, dit-on, la papauté a de grands avantages. Je demanderai alors pourquoi il n'y a point de pays moins peuplé de bons chrétiens que les Etats Romains, et point qui le soit plus que ceux où la papauté est bridée, tels que la France et l'Allemagne. Le cardinal du Perron la trouve utile en ce qu'elle est le centre et la racine de l'unité des chrétiens. Vaines paroles! Elle entretient la paix de l'indifférence en matière de foi, et favorise la politique temporelle du clergé; et voilà tout. Il y a moins d'hérésies condamnées avec elle qu'avec les conciles; moins d'agitation dans les esprits; mais il y a le calme des vices satisfaits et de la foi perdue. Avec la papauté, il n'y a qu'unité extérieure, et point d'unité intime, car il n'y a pas deux pays sur la terre chrétienne aujourd'hui où l'on pense de même sur les sujets importans, sans parler des discordes entre les ordres religieux. N'est-ce pas une chose fort consolante pour les gens de bien, de voir, en ce siége, depuis qu'il règne à peu près sans contrôle, des enfans, des magiciens, des athées, des sodomites, et non dix ou douze en tout, mais cinquante de suite, ainsi que Baronius en convient? Les papes ont perdu l'Eglise grecque, l'Eglise d'Angleterre et la moitié des autres Eglises par la réforme. Voilà de quel secours ils ont été au christianisme. Les désordres de leur cour sont un scandale permanent qui tue la piété, comme leurs pratiques idolâtres tuent la foi. Ils entretiennent la concorde entre les princes, dit-on encore; voyons de quelle façon. L'histoire est là pour attester qu'ils ont maintes fois mis le feu aux quatre coins de l'Europe. On va jusqu'à vanter les papes parce qu'ils ont établi l'inquisition; mais il n'y a rien au monde de si sot, de si horrible, de si diabolique, que ce directoire des inquisiteurs, fait en l'an 1585, où sont excommuniés ceux qui disent les conciles être au dessus du pape, où la délation secrète fait preuve, où l'intention présumée est imputée à crime capital, etc. Les ordres religieux, milice papale, sont une peste d'ignorance, de violences et de vices de toute espèce. Je n'en excepte que les trappistes, qui, eux, travaillent et ne confessent pas les gens du monde ni les grands, et ne chassent point aux codicilles. Bon nombre de ces moines, notamment dans l'ordre de Saint-Benoît, qu'on nomme pour cette raison des titriers, fabriquent de faux titres pour usurper les champs de leurs voisins, et donnent jusqu'à 200,000 francs par an aux officiers des parlemens pour juger en leur faveur. Les papes ont corrompu les pères du concile de Trente, et ont fait, des décrets de ce concile tout italien et tout romain, une œuvre plus nuisible à l'Eglise qu'utile, interdisant, par exemple, aux fidèles non autorisés la lecture de l'Ecriture sainte. Le plus beau titre des papes est d'avoir construit de belles églises, d'avoir eu des cérémonies magnifiques, bien de l'or, de l'argent, des pierreries. Sont-ce là des titres pour un vicaire de Jésus-Christ? Comment veut-on que les protestans se convertissent en présence d'un abus si énorme et si ridicule que la papauté? Il est temps que les princes s'accordent pour faire cesser ce scandale, et pour rendre, par le rétablissement des conciles, la foi au monde chrétien et sa véritable unité.
Ainsi se termine ce traité virulent, le plus violent écrit contre l'autorité du Saint-Siége qui soit assurément sorti d'une plume catholique. Nous engageons les lecteurs de nos Analectes, avant de se décider sur les questions qu'il soulève, à lire et relire le merveilleux sermon de Bossuet sur l'unité de l'Eglise prononcé à l'ouverture de l'assemblée du clergé de France en 1682: ils y trouveront presque toujours l'opposé de ce qui est dit ici, et l'y trouveront revêtu de formes bien autrement imposantes, resplendissant de l'éclat du génie oratoire.
DEUXIÈME TOME.
Cette seconde partie du volume est intitulée: Avis et expédiens salutaires, et contient six sections, savoir: des Cardinaux, des Evêques, des Ecclésiastiques, Réflexions sur divers points et pratiques de religion, Miscellanea, et un Avertissement final. En voici l'esquisse.
Les cardinaux ne sont bons à rien sous le rapport sacerdotal. Le concile de Constance demanda qu'on les abolît. Primitivement ils étaient soumis aux évêques; aujourd'hui les évêques italiens sont comme leurs valets; leur Evangile, c'est Machiavel. Si le roi de France supprimait les cardinaux français, cette dignité tomberait bientôt. Elle ne se soutient que par la rivalité de la France et de l'Autriche. Ce fut le pape Damase qui, en l'an 1048, créa le premier des cardinaux français; et de ce jour-là nos rois subirent les empiètements du pape. Les cardinaux n'élisent les papes que depuis Alexandre III (1160). Auparavant les papes étaient élus par le clergé et le peuple de Rome, et confirmés par les empereurs. Les évêques sont d'institution divine, étant les vrais successeurs des apôtres; mais on leur a laissé prendre un mauvais pied dans les affaires temporelles, à l'exemple des évêques de Rome, par toute sorte d'usurpations tolérées, notamment par le droit de juridiction et de prison. Ils ne devraient exercer aucune charge ni aucun emploi séculier. Ils sont trop riches; 10,000 livres de rente leur devraient suffire, et 15,000 livres aux archevêques (c'est précisément le taux fixé pour les siéges de France en 1830, et ce taux ne suffit pas à moitié près). Il y a trop de prêtres, même séculiers. On ne devrait ordonner que des personnes doctes et de bonne famille, et ne pas souffrir qu'ils tirassent le moindre écu, sous le nom de casuel, pour quelque office de leur ministère que ce fût (ils ne demandent pas mieux, mais il faut leur donner de quoi vivre, et ils ne l'ont pas). L'usage des messes payées est un abus monstrueux qui aurait soulevé l'Église primitive entière. Il faut pourvoir aux besoins des prêtres administrativement. Dans l'ancienne Eglise, la messe ou la cène était beaucoup plus rare qu'aujourd'hui, et le culte consistait principalement dans les prédications. C'est tout le contraire maintenant. Les curés de campagne devraient avoir chacun 1,000 fr. par an (ce n'est pas assez). Pour les ordres religieux, il n'en faut guère, et pour les jésuites, il n'en faut pas; on sait le mal que ces jésuites ont fait. Ils veulent régner sous le nom du pape, et pour cela se servent de la confession; aussi n'aiment-ils que les gouvernemens monarchiques, parce qu'ils peuvent confesser tous les rois, tandis qu'ils ne peuvent confesser tous les nobles et tous les citoyens. Les Anglais, les Hollandais et les dissidens des diverses nations ne sont réellement détournés de la foi catholique que par l'existence du pape, des jésuites et des moines. Supprimez ces abus, et la dissidence cessera facilement (il y aura bien d'autres choses qui cesseront alors que l'anonyme ne voit pas). Dissertation intéressante sur le serment d'allégeance et de suprématie, dit le test. Détails plus intéressans encore et raisonnemens ingénieux sur divers points de doctrine, où l'anonyme cherche à rapprocher les catholiques et les protestans. Il réussit assez bien pour tout ce qui n'est point la présence réelle; mais, dans ce redoutable mystère, il faiblit, et nous doutons que les dissidens se contentassent de ses concessions. Cette dernière moitié de la seconde partie est toute théologique et d'une théologie qui respire la bonne foi dans son orthodoxie. Les catholiques ébranlés par les argumens des calvinistes et surtout par ceux des luthériens pourront se raffermir en y recourant.
[13] Œuvres diverses, tom. II, pag. 780.
[14] C'était pendant le pontificat d'Innocent XI (Odescalchi), si rigide envers Louis XIV, au sujet de la régale, ou sous son prédécesseur Clément X (Altieri).
[15] Cyprianus, de Simplicitate prælatorum, St. Augustinus, de verbo Domini, Sermo 60.
[16] Salmero XIII, Comment. in epist. St. Pauli, tom. I.