Caen et Bayeux
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Photo Neurdein.
La cathédrale vue de Saint-Vigor.
CHAPITRE II
LA CATHÉDRALE
Son histoire; date de ses différentes parties. — Le portail, la nef et les écoinçons, le transept, le chœur, la crypte, l’extérieur. — Le trésor et le mobilier. — La salle capitulaire.
La cathédrale plane, brille au-dessus de Bayeux; on l’aperçoit de tout le Bessin, ses flèches même, dit-on, sont vues de la mer.
Photo des Monuments historiques.
La cathédrale. — Vue d’ensemble.
La cathédrale, le point est important à noter, n’est point située au sommet même du terrain assez peu accidenté d’ailleurs sur lequel la ville a été bâtie. C’est le château qui occupait ce point culminant rempli aujourd’hui par la place Saint-Sauveur. L’église dédiée à Notre-Dame fut assise sur les pentes de cette déclivité qui descend du château vers les bords de l’Aure; elle fut détruite au milieu du XIe siècle par un incendie, un nouvel édifice commencé par l’évêque Hugues fut continué par le fameux Odon, demi-frère du Bâtard, et consacré le 14 juillet 1077, en présence de Guillaume le Conquérant, de Mathilde, d’un grand nombre d’évêques et de barons; mais l’incendie de 1105 le détruisit en [p. 125] partie, sans toutefois que les termes trop vagues du poème de Serlon permettent de se prononcer sur l’étendue du désastre. Il est infiniment probable que la crypte, encore que certains archéologues lui attribuent une plus haute antiquité, et la nef actuelle, dans ses parties basses, appartiennent à l’église d’Odon. Dans sa chronique, à la date de 1160, Robert de Torigny, abbé du Mont Saint-Michel, dit que l’église ayant été incendiée, l’évêque Philippe de Harcourt donna tous ses soins à la [p. 126] reconstruction. Peut-être le chroniqueur a-t-il voulu noter ici les efforts de Philippe de Harcourt, évêque de 1142 à 1163, prouvés par de nombreux actes du cartulaire de Bayeux, pour reconstituer le domaine et les revenus de l’évêché compromis par une longue période de guerre; d’autre part, une lettre de l’évêque Arnoul de Lisieux, écrite vers 1150, montre la part considérable que Philippe de Harcourt avait eue à la réédification de son église avant cette date; il nous paraît donc bien douteux qu’il y ait eu un incendie en 1159 ou 1160. Le successeur de Philippe de Harcourt, Henri de Beaumont, que l’on appelle quelquefois Henri de Salisbury, parce qu’il avait été doyen de l’église de Salisbury avant son élection, continue ces travaux. Il engage les fidèles à visiter l’église cathédrale et à subvenir à l’achèvement de l’édifice, il rétablit une ancienne confrérie qui depuis quelques années avait perdu toute activité. Les nouveaux frères devaient donner chaque année, pendant cinq ans, six deniers pour les constructions: des indulgences leur étaient naturellement accordées. Les travaux n’étaient certainement pas terminés au milieu du XIIIe siècle; le 13 novembre 1243 et le 16 mai 1244, le pape Innocent IV, averti par l’évêque Guy et par le chapitre que l’on avait entrepris de réédifier de fond en comble l’église cathédrale, travail extrêmement coûteux, accordait une indulgence de quarante jours à tous ceux qui y collaboreraient. Dix ans après, en 1254, le même pape constatant encore les dépenses considérables que demandaient les travaux, renouvelait cet octroi d’indulgences. Les collatéraux des nefs ont reçu leur chapelle pendant la seconde moitié du XIIIe siècle, sous saint Louis et l’épiscopat d’Eudes de Lorris; celles de Saint-Jean l’Evangéliste et de l’Annonciation, côté nord, auraient été construites par l’évêque Pierre de Benais vers l’an 1289; celle de Saint-Martin en 1309; les autres chapelles du côté nord seraient antérieures à 1356. La tour du midi a été entreprise en 1421, sous la domination anglaise par Nicolas Habart, mais non, comme on l’a dit, en expiation de sa participation au jugement de Jeanne d’Arc qui n’eut lieu que dix ans plus tard. Cependant l’église restait encore inachevée; il y manquait un couronnement, la tour du transept n’avait plus, depuis l’incendie de 1105, que ses bases. Les ressources de l’évêque et du chapitre avaient été épuisées au XIIe et XIIIe siècle par la réfection de la nef et par la construction du chœur, au XIVe par la consolidation et l’achèvement des tours du portail, plus tard par les travaux du transept, Mais en 1459, Bayeux eut la bonne fortune de voir monter sur le trône épiscopal l’archevêque de Narbonne, Louis de Harcourt qui, l’année suivante, ajouta à ses titres celui de patriarche de Jérusalem. Ce [p. 127] grand seigneur, premier président de l’Echiquier, joua un rôle politique considérable; il avait aussi de grands revenus. C’était bien là le prélat qui convenait à une église dont les ressources médiocres n’avaient permis que des travaux assez lents. Ce petit-neveu de Philippe d’Harcourt voulut avoir la gloire d’achever la cathédrale de son prédécesseur. Dès le 1er juin 1470, on chantait une messe du Saint-Esprit à l’occasion de la pose de la première pierre de la tour carrée du transept. Le trésor donnait en 1470, 1471, 1472 une partie de ses revenus, notamment ceux qu’il tirait de la chapelle de Notre-Dame-d’Yvrande (lieu de pèlerinage encore célèbre sous le nom de la Délivrande); mais en 1477, le fabricier ayant été envoyé à Liré dont Louis d’Harcourt était abbé, revint en [p. 128] annonçant que le patriarche prenait à ses frais l’achèvement de la tour carrée; le chapitre reconnaissant lui vota des prières et lui offrit la sépulture au milieu du chœur entre l’aigle et les chandeliers. L’année suivante, il présidait le chapitre qui décidait que la tour serait construite en matériaux des plus légers par crainte d’accident. Les bases de cette tour, restée inachevée depuis quatre siècles, n’inspiraient évidemment pas toute confiance. En 1471, la partie octogonale de la tour de pierre était terminée; le 14 décembre, Louis d’Harcourt mourait. Il fut inhumé à la place que lui avait assignée le chapitre; mais la tour ne fut achevée qu’en 1480. Sur la coupole de plomb, les ouvriers plantèrent leur mai enguirlandé. On éleva à la fin même de cette année un ange d’airain doré, l’archange saint Michel, un des patrons de Louis d’Harcourt.
Photo Magron.
La cathédrale. — Le collatéral nord et les tours.
L’archange, bien qu’il en eût mission, ne put préserver la tour des ravages du feu. Cette tour — et son histoire est maintenant celle de la cathédrale qui dans son ensemble, ne subira plus guère de transformations —, on ne la connaît plus que par un tableau qui se trouve dans la salle capitulaire et par le plan de Jollain, ou par la description toujours amusante et vibrante d’enthousiasme du bon De Bras: « Il y a à Bayeux une belle église cathédrale, la plus magnifique de la province après celle de Rouen, et en l’église du dit lieu sont deux tours pyramides des plus hautes qu’on puisse voir, comme aussi la tour du mitan est bâtie d’un singulier ouvrage d’architecture d’arcs-boutants à claires voies et ouvertures de toutes parts sur moyens pilastres, tout au haut de laquelle est posée la plus grosse horloge de ce royaume, en amont de laquelle sont quatre clochettes ou chanterelles, lesquelles de bonne harmonie et accord, devant que l’heure sonne, font entendre le commencement de cette antienne: Regina cœli lætare. » Le dôme métallique qui tranchait par son éclat sur la blancheur de la pierre était l’orgueil des habitants. Il ne dura pas deux siècles; en 1676, un incendie que les moyens du temps ne permirent pas de combattre le détruisit. Un architecte bayeusain, Moussard, le reconstruisit de 1703 à 1715, mais naturellement sur un autre plan et dans le goût du temps. Une coupole surmontée d’une lanterne dorique remplaça le dôme du XVe siècle. La grande difficulté consistait toujours d’ailleurs à asseoir sur les bases peu solides des quatre piliers une œuvre assez légère pour ne pas les faire fléchir.
Sous l’épiscopat de Mgr de Nesmond qui avait vu la destruction et la reconstruction de la tour, on avait élevé entre 1698 et 1700, aux frais de ce prélat, un jubé dont le grand inconvénient était de couper la perspective [p. 129] de l’édifice et de masquer le chœur. En 1850, la démolition en fut ordonnée, mais on put alors constater aux piliers de profondes lézardes que ce jubé avait jusqu’alors cachées. Le mal s’aggrava rapidement et il fut un instant question d’abattre la coupole et la tour centrale jusqu’à la base carrée qui domine les combles du transept; les énergiques protestations des habitants et de l’évêque, Mgr Robin, empêchèrent seules cette destruction, grâce à un architecte génial, M. Flachat, on put reprendre en sous-œuvre et conserver la tour centrale. C’est une des pages de leur histoire artistique dont les bayeusains sont le plus justement fiers.
Photo Neurdein.
Le portail.
L’église Notre-Dame est remarquable par sa diversité; elle représente une histoire en raccourci de l’architecture en France avec la crypte romane d’Odon, la nef du XIe siècle achevée au XIIe et au XIIIe. Le chœur du XIIIe, les transepts avec leurs rosaces rayonnantes du XIVe jusqu’à sa tour en partie du style flamboyant, en partie moderne; et pourtant il y a presque toujours incontestable harmonie entre les travaux successifs.
[p. 130] Après avoir suivi son développement chronologique, considérons-la dans son ensemble. Elle n’offre point toutes ces vues si saisissantes que présente par exemple la cathédrale de Rouen aperçue à quelque tournant de rue. Quand on arrive sur la petite place, devant le grand portail, on éprouve quelque déception. La façade n’a pas beaucoup de caractère, les deux tours ne montrent plus leur arcature romane qu’aux deux derniers étages; au-dessous, elles ont dû être consolidées par d’épais contreforts aux ressauts successifs, formant un revêtement extérieur qui leur donne un aspect massif. Entre les deux tours une grande fenêtre en tiers-point égaie cette sombre façade; puis cinq arcs surmontés de gâbles abritent dix statues d’évêques; le pignon enfin est décoré d’une grande rosace. Les tours ayant reçu des contreforts, les portails ont été plaqués sur la base de ces contreforts à une époque postérieure, cinq grandes voussures pour trois portails seulement. Au centre, le grand portail surmonté d’une galerie de trèfles à quatre feuilles ne présente plus trace de décoration. Au tympan du nord est figurée la Passion, à celui du sud, le Jugement dernier; les voussures sont ornées de dais et de statuettes. Il faut que l’œil monte jusqu’aux flèches octogonales, munies de leurs huit fillettes, pour trouver quelque satisfaction.
Quand on pénètre dans l’intérieur de l’édifice, on oublie la déception éprouvée devant le portail. Du haut des degrés rendus nécessaires par la pente du terrain, le coup d’œil est saisissant; on admire la belle perspective de la nef dont la hauteur atteint 23 mètres sous la voûte. On descend ensuite vers les avant-nefs. A leur deuxième travée, dans des enfeux aujourd’hui privés de leurs statues se trouvaient les tombeaux de l’évêque Richard II et de Philippe d’Harcourt. Quant à la nef, elle surprend au premier abord: nous sommes en présence d’une nef romane et pourtant l’effet qui s’en dégage n’est, en quoi que ce soit, semblable à celui qu’on éprouve à la Trinité ou à Saint-Etienne de Caen. Autant la Trinité est sombre, autant Notre-Dame de Bayeux est claire; autant la nef de Saint-Etienne est sévère, grave dans sa majesté, autant celle de la cathédrale est riante et gaie. C’est que la nef de Bayeux n’est qu’à demi romane; elle est gothique non seulement par sa voûte comme Saint-Etienne, mais aussi par ses hautes fenêtres à double baie. La lumière vient baigner la nef, mettre en relief les mille détails d’une sculpture incomparable dans l’art roman.
L’archivolte extérieure dans chaque travée est décorée de frettes et de bâtons brisés. La disposition des archivoltes supérieures est des plus variées et des plus étranges. Ici, des chevrons, des zigzags; là des têtes [p. 131] plates qui rappellent les modillons de quantité d’églises de Normandie à l’époque romane: Saint-Contest, Thury-Harcourt, Fontaine-Henry; entre les archivoltes, tout une décoration d’entrelacs, d’écailles imbriquées, de vanneries, est dessinée avec une fermeté, exécutée avec une souplesse parfaites.
Dans chacun des écoinçons, un petit cadre terminé dans sa partie supérieure en forme de mitre, présente soit un personnage, soit une scène, soit des chimères, des monstres enlacés qui semblent venir, dit M. André Michel, de quelque brûle-parfum japonais. Il y a eu là, en effet, d’incontestables influences orientales. N’oublions pas non plus que l’église romane est l’œuvre d’Odon, comte de Kent, qui amena à Bayeux des ouvriers anglo-saxons pour broder la fameuse tapisserie, dite de la reine Mathilde. L’art du miniaturiste qui, dans les manuscrits irlandais, puis anglo-saxons, a tracé tant de chimères, tant d’entrelacs compliqués, n’a-t-il pas eu ici quelque action? Enfin n’a-t-on pas copié quelque bijou nordique et ne remarquons-nous pas encore dans les têtes plates des archivoltes le souvenir [p. 132] de la technique du bois que M. André Michel relève dans la sculpture normande?
Photo Neurdein.
Le chœur.
Quelques-unes des scènes retracées peuvent être facilement interprétées. Les deux écoinçons les plus proches du chœur nous représentent, au nord, Notre-Dame à qui l’église est dédiée, au sud, le serment d’Harold sur les reliques. Ces écoinçons ont été l’objet d’une restauration moderne. Plus intéressants sont sur le côté nord deux évêques en mitre, bénissant, les deux doigts levés. Ce sont sans doute deux des évêques qui ont eu le plus de part aux travaux. En partant des avant-nefs, et avant ces portraits, nous rencontrons une scène étrange, difficile à expliquer: un singe, a-t-on dit, jouant avec un bateleur. Le singe est juché sur une colonne et en face de lui un personnage casqué, revêtu d’une armure, le tient par une chaîne de fer; mais les bateleurs n’ont pas l’habitude de transporter dans les foires des colonnes antiques. On a vu là un bonhomme adorant une idole. Un historien bayeusain y reconnaît saint Vigor abattant au mont Phaunus la statue d’un faune ou d’une divinité antique. Sans affirmer l’explication, on remarquera qu’en face de cette scène se trouve un singulier personnage, aux énormes moustaches: il y a là sans doute une défiguration assez commune dans la statuaire normande du chapiteau à mascarons: mais n’a-t-on pas représenté ici quelque idole des Saxons que les missionnaires de la foi chrétienne dans le Bessin auraient eu à détruire?
Dans la partie supérieure de la nef, se trouvent les simples pierres tombales des évêques Robert des Ablèges (1206-1231) et Thomas de Fréauville (1233-1237). Sans doute, c’est sous leur épiscopat que fut élevé l’étage supérieur. Un bandeau composé de quatre feuilles réunies environne l’édifice comme une guirlande; de hautes fenêtres l’éclairent, de légères colonnettes séparent chaque fenêtre en deux lancettes avec oculus. Du côté nord, on remarque une petite plate-forme en encorbellement qui a dû servir à porter un orgue.
Le transept est en partie moderne; les quatre piliers du carré datent des grands travaux de consolidation de la tour centrale. Au-dessous des voûtes actuelles, des archéologues ont retrouvé les traces d’une voûte romane, une arcature à plein cintre ornée de zigzags et des colonnes surmontées de beaux chapiteaux à personnages déposés aujourd’hui au Musée. Les croisillons du transept sont divisés en deux étages séparés par un bandeau feuillagé. La décoration est différente dans les deux croisillons, le croisillon nord est éclairé par une rosace rayonnante du XIVe siècle. Au croisillon sud, remarquons dans la décoration des dispositions [p. 133] qui rappellent celles de l’étage supérieur de la nef: une grande lancette en renfermant deux petites et un oculus. La galerie qui règne entre les fenêtres et l’étage inférieur est interrompue au milieu de chaque travée par un trumeau flanqué d’une statue. Ces statues présentent des traces de polychromie. Le transept doit dater, pour une partie du moins, de la fin du XIIe siècle; on y trouve la dalle du tombeau de Henri de Salisbury, évêque de 1165 à 1205.
Photo Magron.
Le triforium.
Le chœur qui date du XIIIe siècle est, avec la nef, la partie la plus belle de l’édifice. Sa longueur est de 39 mètres, sa largeur de 12. Ici, il y a trois étages: au premier, un grand arc; dans les écoinçons entre les arcs, des rosaces variées, sculptées en creux; là encore, un bandeau de feuillage [p. 134] souligne l’étage du triforium remarquable par la large ouverture de ses baies: un grand arc renferme deux lancettes divisées elles-mêmes en deux lancettes secondaires, des rosaces ou des ornements végétaux, des dragons, des figures qui symbolisent peut-être encore la lutte de l’épiscopat contre le paganisme; enfin, deux personnages qui, de tout temps, ont joué un si grand rôle dans la décoration et renseignement des églises, Adam et Eve après la faute, décorent les écoinçons.
Photo des Monuments historiques.
Le porche du Sud.
Dans l’abside, le triforium n’a plus qu’une grande lancette par travée; dans les écoinçons, les rosaces ont cédé la place à des rameaux fleuris d’un très joli effet qui meublent chaque triangle.
Des deux côtés de la voûte des séries de fresques représentent les [p. 135] douze premiers évêques, avec indication de leurs noms en caractères gothiques.
Le déambulatoire qui est à un niveau sensiblement plus bas que le chœur renferme tout une série de chapelles; près du croisillon sud, une croisée le sépare d’une chapelle à deux travées, un peu plus large que les autres.
Photo des Monuments historiques.
Le portail méridional.
Quelques ouvertures pratiquées au-dessous du chœur éclairent la crypte qui fut retrouvée en 1412, comme le montre une inscription gravée dans le déambulatoire, lorsqu’on voulut inhumer noble homme et Révérend Père Jehan de Boissey. Chose étrange, et qui prouve que le passé, quoi qu’on dise, avait beaucoup moins que nous le souci de [p. 136] conserver les traditions des siècles antérieurs l’existence de cette primitive église était complètement oubliée. C’est bien là une église ancienne comme le révèle le chapiteau très fruste d’un de ses piliers. Depuis le XVe siècle, la crypte a servi de sépulture; des peintures murales y furent exécutées.
Photo Neurdein.
La tour centrale, vue de la rue Laitière.
L’église n’est pas moins remarquable à l’extérieur: le petit porche du sud est formé par un faisceau de colonnettes supportant deux arcs géminés; au-dessus se dessine la broderie de sa jolie décoration de quatre trèfles, de bandeaux de feuillages, d’arcs trilobés et de faux gâbles.
Plus loin s’ouvre le portail méridional; sa triple voussure est chargée de dais et de statues; aux trois registres de son tympan se déroule l’histoire de Thomas Becket, ce prélat normand pris par Augustin Thierry [p. 137] pour un anglo-saxon, si populaire en Normandie et fils d’une caennaise. Ce qui se distingue le mieux dans les scènes sculptées au portail de Bayeux, c’est la barque ramenant Thomas Becket en Angleterre, le meurtre de l’évêque, enfin son tombeau vénéré par les fidèles. Notons qu’à l’intérieur de l’église, dans la chapelle qui donne précisément sur le croisillon sud du transept correspondant au portail se trouvent également des peintures représentant l’une, la Trinité, l’autre, le meurtre de Thomas Becket.
Photo Neurdein.
Transept et tour centrale.
Jetons maintenant un coup d’œil sur la tour du transept. Les premiers étages sont du XVe siècle et portent bien dans le tracé de leurs fenêtres tous les caractères du style flamboyant; le dôme est d’un effet plus singulier que vraiment satisfaisant. C’est à distance seulement qu’il se fond dans l’ensemble [p. 138] semble de l’édifice. Des clochetons marquent les croisillons du transept; d’autres comme dans les églises romanes annoncent l’abside qui est à l’extérieur d’une grande simplicité de lignes et d’une grande sobriété dans la décoration.
Toute église cathédrale a un trésor; on se rend à celui de Bayeux en passant par le croisillon nord du transept. Là sont conservées quelques pièces curieuses et d’un grand intérêt pour l’histoire de l’art: la plus célèbre est la fameuse chasuble de saint Regnobert, travail byzantin en soie verte, puis vient un coffret d’ivoire oriental avec inscription en caractères koufiques, qui le fait remonter au delà du IVe siècle de l’hégire. Une partie de ces trésors est enfermée dans une grande armoire du XIIIe ou du XIVe siècle, aux panneaux peints et aux belles ferrures. On conserve également l’armure de l’homme d’armes qui accompagnait l’évêque dans les cérémonies; elle date de la fin du XVIe siècle. Enfin, dans une salle basse, on a relégué une partie des magnifiques stalles du chapitre, celles qui se trouvaient jadis dans le transept avant la suppression du jubé. Ces stalles sont l’œuvre d’un célèbre menuisier caennais Jacques Lefebvre auquel Jacques de Cahaignes a consacré l’un de ses Eloges; il fit marché avec le chapitre en 1588. C’est une œuvre fort jolie de la Renaissance. La stalle de l’évêque date de 1687. La chaire est une œuvre du XVIIIe siècle.
Il faut ajouter à la description de la cathédrale celle de la salle capitulaire qui est située dans le prolongement de la façade, à côté de la tour du Nord. On y a accès par la première chapelle du collatéral. En passant, on jette un coup d’œil curieux, mais non admiratif. sur un rétable de la fin du XVIe siècle ou du règne de Louis XIII, qui groupe autour de la Vierge toutes les comparaisons tirées de l’Écriture qu’on lui applique: tour, étoile de la mer, rose sans épine, etc. La salle capitulaire naturellement fort vaste, puisqu’elle était destinée aux délibérations d’un chapitre qui ne comptait pas moins de 61 dignitaires, mesure 15 mètres de longueur, sur 9 de largeur. Elle est éclairée par quatre fenêtres ogivales d’une grande hauteur. Au XIVe siècle, on la divisa en deux étages, les appuis primitifs reçurent des cariatides qui, suivant un type commun à cette époque, semblent gémir sous le poids quelles ont à supporter: chimères, corps d’animaux à tête d’homme. Les peintures qui décorent les murs de la salle capitulaire montrent la Vierge, la tête ceinte d’une auréole d’or et tenant dans ses bras son divin fils. Autour d’elle, des anges jouent du psalterium, des chérubins l’encensent. Ce qui est le plus [p. 139] remarquable dans la décoration de cette salle, c’est son pavage de briques émaillées. Il se compose de huit bandes de largeur inégale, séparées par des bordures de quatre feuilles ou de fleurs de lys. Toutes ces briques sont dessinées: elles représentent une chasse à courre, mais il y a là plutôt des détails qu’une composition suivie; cavaliers cornant de la trompe, valet menant les limiers, puis des cerfs, des sangliers, des arbres, des oiseaux. Trois couleurs: le jaune, le brun et le vert ont été seules employées. Au centre de l’appartement, une autre mosaïque forme labyrinthe.
Au point de vue artistique, Bayeux complète heureusement Caen, par un beau monument gothique, tel que Caen n’en a jamais connu, la cathédrale des d’Harcourt. D’autre part, Caen est avant tout la ville de Guillaume, par sa basilique, son château, son enceinte, mais nous avons ici la cathédrale commencée du temps de Guillaume par son frère Odon. Transportons-nous maintenant au Musée de la Tapisserie pour contempler une autre œuvre élevée à la gloire des deux frères, et où l’évêque ne s’est pas non plus oublié.
Photo Neurdein.
Un des écoinçons de la nef.