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Dans la Haute-Gambie : $b Voyage d'exploration scientifique, 1891-1892

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The Project Gutenberg eBook of Dans la Haute-Gambie

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Title: Dans la Haute-Gambie

Voyage d'exploration scientifique, 1891-1892

Author: A. Rançon

Release date: May 24, 2024 [eBook #73690]

Language: French

Original publication: Paris: Société d'Editions Scientifiques, 1894

Credits: Galo Flordelis (This file was produced from images generously made available by The Internet Archive/University of California Libraries and the bibliothèque numérique du Cirad (NumBA))

*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK DANS LA HAUTE-GAMBIE ***

On peut cliquer sur les cartes et certaines illustrations (croquis, plantes) pour les agrandir.

DANS LA HAUTE-GAMBIE


VOYAGE D’EXPLORATION SCIENTIFIQUE
1891-1892


DANS LA HAUTE-GAMBIE


VOYAGE D’EXPLORATION SCIENTIFIQUE

PAR

Le Docteur André RANÇON

MÉDECIN DE PREMIÈRE CLASSE DES COLONIES
CHEVALIER DE LA LÉGION D’HONNEUR


1891-1892

PARIS
SOCIÉTÉ D’ÉDITIONS SCIENTIFIQUES
PLACE DE L’ÉCOLE DE MÉDECINE
4, Rue Antoine-Dubois, 4


1894


A M. le professeur Edouard HECKEL,

Directeur du Musée et de l’institut colonial de Marseille,
Professeur à la Faculté des Sciences et à l’École de Médecine,
Directeur du Jardin botanique.

Mon cher Maître et Ami,

En m’autorisant à inscrire votre nom en tête de ce livre, vous m’avez fait un bien grand honneur, et je vous en garde au cœur, croyez-le bien, une profonde gratitude.

C’est vous qui l’avez inspiré. C’est d’après vos conseils qu’il a été rédigé. C’est enfin grâce à votre affectueux dévouement, qu’il a pu voir le jour. La reconnaissance sans bornes que je vous ai vouée depuis si longtemps déjà, m’imposait de vous en offrir la primeur. Aussi est-ce avec bonheur que je m’acquitte aujourd’hui de ce devoir.

Votre œuvre, mon cher Maître, a déjà rendu à la science d’inappréciables services. Elle sera dans l’avenir, n’en doutez pas, encore plus féconde. Vous avez su choisir le terrain où il fallait jeter la semence. Le grain a vigoureusement germé. La récolte ne se fera pas attendre.

Grâce à vous, nos produits exotiques sont maintenant méthodiquement étudiés. Notre commerce et notre industrie peuvent trouver dans vos études un guide sûr et infaillible. Vous avez puissamment contribué à mettre en valeur l’immense empire colonial que nous devons au courage et à la vaillance de nos soldats.

Avec une foi d’apôtre que rien n’a jamais pu abattre, vous marchez résolûment vers le but que vous vous êtes proposé. Votre honnêteté à toute épreuve, votre généreux désintéressement, votre patriotisme éclairé, sont pour tous ceux qui vous connaissent les garanties les plus solides de la haute valeur scientifique et morale de vos travaux. Aussi veuillez ne voir, je vous prie, dans cette dédicace, que le témoignage le plus sincère de toute mon admiration et de mon absolu dévouement.

Dr A. Rançon.

10 octobre 1894.



INTRODUCTION


En 1891, M. le ministre du Commerce, de l’Industrie et des Colonies, à la suite d’un article paru sous ma signature dans le Petit Marseillais, et traitant de la rareté croissante et de la disparition prochaine[1] de la Gutta percha des îles de la Sonde, voulut bien me faire appeler à Paris pour exposer devant le comité technique des ingénieurs électriciens de l’État, mes idées sur ce point et le remède à apporter à une situation menaçante pour une branche primordiale de l’industrie française.

Après avoir fait, dans une conférence privée, l’historique de ce sujet, je conclus à la possibilité de remplacer la gutta vraie des îles de la Sonde, par des produits végétaux similaires à trouver dans nos possessions africaines du Soudan ou du Congo. Au lieu de tenter (comme on s’est depuis inutilement efforcé de le faire) l’acclimatation du Palachium Gutta dans nos possessions équatoriales, ce qui, au cas de succès, eût exigé un temps très long, j’estimais qu’en raison de l’indispensabilité du produit, il valait mieux rechercher des arbres nouveaux et immédiatement exploitables. J’étais conduit à formuler ce conseil en me basant sur les résultats de certaines recherches faites dans ce sens par moi en 1885, et que j’ai publiées à cette époque dans le journal La Nature, de G. Tissandier ; elles avaient trait au latex solide d’une Sapotacée absolument spéciale à l’Afrique : le Butyrospermum Parkii de Kotschy. Cette gutta inconnue jusqu’à mes travaux, me paraissait donner quelques espérances. J’indiquai, au cours de cette conférence, qu’il y aurait peut-être là un succédané de la vraie Gutta, mais qu’une mission scientifique au Soudan pourrait seule nous éclairer sur le bien fondé de ces prévisions, tout en portant son attention sur d’autres végétaux à latex exploitable. Le comité, après m’avoir entendu, conclut, par l’organe de son président, à l’utilité de cette mission et voulut bien donner son appui moral à la demande que j’adressai immédiatement à M. Étienne, alors sous-secrétaire d’État aux Colonies, en vue d’obtenir l’organisation de ces recherches scientifiques. M. Étienne, dont l’esprit est largement ouvert à toutes les questions d’application scientifiques coloniales, répondit à mes propositions avec un empressement bienveillant dont je ne saurais trop le remercier. Sur-le-champ, d’après ses ordres et par mes soins, furent organisées deux missions scientifiques. La première, chargée d’aller à la Guyane étudier l’exploitation des Mimusops Balata, essence productrice d’une gutta appréciée, fut confiée à M. Geoffroy, pharmacien de la marine, licencié ès sciences : l’autre, appelée à la recherche et à l’étude des Guttas du Soudan français, eut pour chef M. le Dr Rançon, médecin de 1re classe des colonies. Le premier de ces deux explorateurs a succombé à la suite des fatigues de sa mission accomplie au Maroni avec le plus grand dévouement et le plus grand succès. La mort ne lui a pas laissé le temps de rédiger le rapport de son voyage d’exploration[2], mais il a cependant pu goûter la satisfaction suprême de voir son œuvre couronnée comme elle méritait de l’être. A la suite de ses recherches, en effet, un vrai mouvement s’est produit en vue de l’exploitation de ces richesses forestières, jusque-là méconnues, et la question du Balata est devenue un moment, avant la fièvre de l’or, la préoccupation dominante de la Guyane française : plusieurs sociétés se sont organisées en vue de cette industrie forestière pleine de promesses.

Plus heureux que son collègue E. Geoffroy, le Dr Rançon, après une longue et pénible maladie résultant d’un séjour trop prolongé au Soudan, a pu récupérer sa santé un moment compromise, et présenter sous forme de mémoire scientifique les résultats de sa mission laborieuse. C’est le détail de ce voyage d’exploration, mémorable et fructueux à tous égards, que M. le Dr Rançon relate dans le travail qui va suivre et qui forme, en grande partie, le deuxième volume des Annales du Musée et de l’Institut colonial de Marseille. Je suis heureux de l’insérer dans ce recueil ; mais, pour l’intelligence du sujet, il était nécessaire d’en donner ici brièvement la genèse. Le lecteur jugera lui-même à quel point M. le Dr Rançon, par les résultats de sa mission, a dépassé les espérances de ceux qui la lui confièrent et combien il a su élargir le cadre restreint du programme qui lui était tracé.

Qu’il me soit permis, en terminant, de remercier le Ministère des Colonies, celui de l’Instruction publique, la Municipalité de Marseille avec la Chambre de Commerce et la Société française du Sénégal et de la côte occidentale d’Afrique, la Chambre de Commerce de Bordeaux, qui, par leur généreux concours ou leurs souscriptions à des exemplaires, m’ont permis la publication du rapport de M. Rançon. J’ai l’assurance que leur libéralité portera ses fruits et ne sera pas perdue pour les intérêts des ports commerciaux de la France, dont les relations suivies avec la côte occidentale d’Afrique constituent un élément important de prospérité.

Marseille, le 15 juillet 1894.

Professeur Dr E. Heckel,
Directeur des Annales du Musée
et de l’Institut colonial de Marseille.



Chaland pour le transport du personnel européen dans le Haut-Sénégal.

CHAPITRE PREMIER

Comment je fus amené à visiter la Haute-Gambie. — Aperçu rapide de l’itinéraire que j’ai suivi pour m’y rendre. — Composition de ma caravane. — Mon interprète Almoudo Samba N’Diaye. — De Kayes à Nétéboulou (Ouli). — Séjour à Nétéboulou. — Maladie. — Manque de vivres. — Comment je fus ravitaillé par la Compagnie Française de la côte occidentale d’Afrique. — Extrême complaisance de M. le capitaine Roux, de l’infanterie de marine, commandant du cercle de Bakel. — Je puis quitter Nétéboulou. — Préparatifs de départ. — Projet d’itinéraire. — Nétéboulou. — Son histoire. — Sa population. — Son chef Sandia-Diamé. — Importance de sa situation au point de vue commercial. — Son avenir.

C’est au cours de la Mission scientifique que le département des Colonies avait bien voulu me confier au commencement de l’année 1891, qu’il me fut donné de visiter la Haute-Gambie et d’explorer, dans tous leurs détails, les régions qu’arrose, dans cette partie de son cours, ce grand fleuve africain. Avant moi, quelques rares voyageurs les avaient rapidement parcourues. Mes camarades Oberdorf, Levasseur, Briquelot, Liotard en avaient rapporté quelques vagues renseignements historiques et de précieux itinéraires qui, pendant mon voyage, m’ont été d’un puissant secours. Mon plus grand désir était de marcher sur leurs traces, et, si possible, de compléter leurs travaux et de faire de ces contrées, encore peu connues, une étude qui pût être de quelque utilité. Un séjour de plus de six années au Sénégal et au Soudan Français, les différentes missions dont j’avais été chargé, dans ces deux colonies, dans le Sine, le Saloum, le Bélédougou, le Bambouck, les études que j’y avais faites, et enfin l’attrait tout particulier qu’ont toujours eu pour moi les pays tropicaux, m’avaient préparé à ce travail. Il m’était permis d’espérer que je pourrais accomplir mon projet et atteindre le modeste résultat que je m’étais proposé.

Par décision de M. le sous-secrétaire d’État des colonies en date du 16 mars 1891, j’avais été chargé d’une mission scientifique dont le principal objet était de rechercher au Soudan Français les végétaux à gutta-percha et d’en faire une étude aussi complète et aussi consciencieuse que possible. Muni d’instructions détaillées, bien outillé, et après avoir reçu, à Paris, au Muséum d’histoire naturelle auprès de M. le professeur Cornu, et, à Marseille, à la Faculté des sciences, sous la savante direction de M. le professeur Heckel, l’éducation technique indispensable pour accomplir les travaux qui m’étaient confiés, je m’embarquai à Bordeaux, le 20 avril suivant, sur le paquebot « Congo » de la Compagnie des Messageries maritimes qui, le 29 du même mois, me déposa à Dakar. Quarante-huit heures après, j’étais à Saint-Louis et, le 4 mai, j’en partais à bord de la citerne à vapeur « l’Akba » pour Podor, où je devais rejoindre un nombreux convoi qui y était en partance pour Kayes. Faute de moyens de transport, ce ne fut que le 15 que nous pûmes nous mettre en route, et le 3 juin, après un long et pénible voyage en chaland, nous débarquions enfin à Kayes, chef-lieu des Etablissements Français au Soudan. Là, j’organisai en peu de jours ma caravane, et, grâce à l’obligeance de M. le lieutenant-colonel Archinard, alors commandant supérieur, qui voulut bien mettre à ma disposition un cheval de selle et un mulet de bât, ainsi que quelques porteurs qui devaient m’accompagner jusqu’à Sénoudébou seulement, je pus me mettre en route le 19 du même mois. Conformément aux instructions qui m’avaient été données, je visitai d’abord le Kaméra en entier, le traversai du Nord au Sud, puis me dirigeant vers l’Ouest, je franchis la Falémé en face de Sénoudébou et arrivai dans ce dernier village le 24 juin. Là, je congédiai les porteurs qui m’avaient été donnés à Kayes, visitai les environs minutieusement, prenant chaque jour de nombreuses notes sur tout ce qui pouvait intéresser la mission dont j’étais chargé, et réorganisai ma caravane. Il me fallait recruter de nouveaux porteurs pour remplacer ceux dont je m’étais séparé et refaire les caisses de provisions que je devais emporter. Sur ma route, ma caravane s’était augmentée, en passant à Takoutala, de mon interprète et de son frère que j’avais, selon conventions faites à Kayes, retrouvé dans ce village, où il habitait avec toute sa famille. C’était un brave garçon, métis Bambara et Peulh de la famille des Massassis du Kaarta. Je l’avais gagé autrefois pendant longtemps comme domestique et je n’avais jamais eu qu’à m’en louer. Il se nommait Almoudo Samba N’Diaye ; il parlait couramment le français et la plupart des langues du Soudan. Pendant toute la durée de mon voyage, il eut une conduite toujours irréprochable. D’une scrupuleuse honnêteté, il me rendit de grands services, et je suis heureux de le remercier publiquement ici du précieux concours qu’il n’a jamais cessé de me donner en toutes circonstances pendant les dix mois que nous avons vécu ensemble. A notre départ de Takoutala, son frère Oumar, jeune garçon de treize ans environ, voulut absolument accompagner son aîné. Almoudo me demanda la permission de l’emmener. Je me gardai bien de lui refuser cette petite satisfaction, et, dans la suite, je n’eus jamais qu’à me féliciter d’avoir accédé à son désir, car ce jeune enfant, véritable polyglotte, me rendit de réels services, et me donna souvent de précieux renseignements qui me facilitèrent, en maintes circonstances, mes études de linguistique et d’ethnologie.

Sénoudébou (Bondou), Femmes Toucouleurs.

Au départ de Sénoudébou, ma caravane se trouvait donc ainsi composée : un interprète Almoudo Samba N’Diaye, son frère Oumar, un cuisinier Samba Sisoko, Malinké de Badougou, dont la face réjouie et dodue me promettait pour l’avenir un ordinaire confortable, un domestique Gardigué Couloubaly, Bambara de Nyamina (Niger), deux palefreniers, Samba N’Diaye, ouolof de Saint-Louis, et Sory, bambara de Ségou, enfin onze porteurs et deux animaux, un cheval et un mulet. N’oublions pas non plus Fatouma, la femme du palefrenier Samba qu’il m’avait demandé l’autorisation d’emmener et qui, pendant toute la durée du voyage, fut la blanchisseuse de la caravane. Donc, en me comptant, nous n’étions en tout que dix-huit personnes. Fidèle à la façon dont j’avais déjà procédé en d’autres circonstances, j’avais absolument interdit les armes à tout mon monde. On verra dans la suite de ce récit que cette précaution me facilita beaucoup l’entrée dans le pays des Coniaguiés et à Damentan ; elle contribua, dans une large mesure, au succès de mon voyage dans ces pays inconnus. Nous ne saurions trop recommander à ceux qui voudraient visiter le Soudan français, ce mode de procéder. Il nous a toujours bien réussi et nous a souvent permis de nous tirer, tout à notre honneur, de situations critiques et dangereuses.

Donc, ma caravane étant formée, tout mon personnel étant bien dressé et chacun sachant ce qu’il avait à faire, nous quittâmes Sénoudébou le 3 juillet, à 4 heures du matin, dans l’ordre le plus parfait et fîmes route vers le Sud, vers la Gambie. Successivement nous visitâmes la partie Sud du Bondou, le Tiali, le Niéri, la partie Sud-Est du Ferlo-Bondou, le Nord du Ouli, et après vingt-trois jours de marche dans un pays pauvre et peu peuplé, où nous n’avons que difficilement trouvé ce qui nous était nécessaire pour nous nourrir, nous arrivions enfin à Nétéboulou, à 20 kilomètres de la Gambie. J’y fus reçu en grande pompe par le chef du village Sandia-Diamé, homme d’un grand dévouement, honnête, intelligent, et qui, dans ces contrées lointaines, a rendu de grands services à la cause Française. Il me manifesta toujours le plus profond respect, je dirai plus, la plus grande affection, et, pendant la maladie qui me retint dans son village, il me prodigua, avec Almoudo et mes domestiques, des soins dont je leur garde une profonde gratitude. Connaissant à fond tout le pays qu’il avait autrefois parcouru en tous sens comme dioula[3], il me donna toujours des renseignements absolument précis et qui, durant notre voyage, me furent d’un précieux secours.

Une rue à Sénoudébou (village Toucouleur du Bondou).

Avant de quitter Marseille, j’avais demandé à M. Bohn, directeur de la Compagnie Française, de vouloir bien donner des ordres à M. l’agent de la factorerie de Mac-Carthy, pour que celui-ci me fit parvenir, à Nétéboulou, ce dont je pourrais avoir besoin pour ravitailler ma caravane, pensant bien que je ne trouverais sur ma route que difficilement ce qui m’était nécessaire. J’étais loin cependant de supposer que toutes ces régions fussent aussi pauvres et que nous arriverions à Nétéboulou, après un voyage relativement court, absolument dénués de tout. D’après mes calculs, je devais y être le premier août au plus tard et je comptais bien y trouver, à cette date, ce dont je pourrais alors avoir besoin. Mon espoir ne fut pas déçu, à peine étais-je installé dans la case préparée à mon intention par les soins de Sandia, qu’on m’annonça l’arrivée du patron du chaland. M. l’agent de Mac-Carthy me l’expédiait avec des vivres pour mes hommes et pour moi. Il était arrivé, la veille, à Yabouteguenda, sur la Gambie, et ayant appris que je me trouvais à Nétéboulou, il venait se mettre à mes ordres. Nétéboulou n’étant éloigné de Yabouteguenda que d’une vingtaine de kilomètres et, de plus, le marigot étant navigable jusqu’à Genoto, il fut facile de faire remonter le chaland jusqu’à ce point et de faire transporter son chargement jusqu’au village. Genoto n’est éloigné de Nétéboulou que de cinq kilomètres environ. Ces provisions furent les bienvenues, on n’en doute pas. Elles me furent d’un grand secours pendant l’hivernage et me permirent de pourvoir aisément à la nourriture de mes hommes. Grâce à la diligence de M. l’agent de Mac-Carthy, je vécus là dans d’assez bonnes conditions. Je ne saurais trop le remercier de la confiance qu’il m’a toujours témoignée et de l’empressement qu’il a mis à me faire parvenir toutes les commandes que je lui ai faites pendant mon séjour en Gambie.

Mon intention était de visiter la rive droite de la Gambie, jusqu’à Mac-Carthy pendant l’hivernage. La maladie et aussi l’abondance et la précocité des pluies dans ces régions me forcèrent à renoncer à mettre mon projet à exécution et je me décidai, en conséquence, à attendre à Nétéboulou la fin de l’hivernage et le retour de la saison sèche. Je pris alors mes dispositions en prévision d’un long séjour. Tout d’abord, afin de réduire le plus possible mes dépenses, je congédiai tous mes porteurs et ne gardai avec moi que le personnel qui m’était strictement indispensable. Une écurie fut construite pour mes animaux par les soins de Sandia et de mes palefreniers, et j’aménageai ma case et celle de mes hommes le mieux possible.

Je n’entrerai ici dans aucun détail au sujet de mon séjour à Nétéboulou. Nous avons eu à supporter là toutes les fatigues et toutes les privations qu’entraîne l’hivernage dans les pays Soudaniens. Ma santé y fut fortement ébranlée, et, malgré les soins les plus attentifs, mes animaux succombèrent aux atteintes du climat.

Je ne pus quitter cet hospitalier village que le 27 octobre. Je fus obligé d’attendre jusqu’à cette époque pour pouvoir me mettre en route. L’inondation commençait alors à décroître, les chemins étaient plus praticables et j’avais reçu une nouvelle monture que m’avait envoyée mon bon ami, M. le capitaine Roux, de l’infanterie de marine, commandant du cercle de Bakel. Pendant les trois longs mois que je suis resté ainsi bloqué à Nétéboulou, je mis à profit les quelques jours de repos que me laissa la fièvre pour étudier l’ethnographie et les coutumes du pays. Je fis avec soin mes observations météorologiques et pris tous les renseignements possibles sur les contrées que j’allais visiter.

Ce fut également à Nétéboulou que je reçus la nouvelle que M. le Ministre de l’Instruction publique avait bien voulu me confier dans ces régions éloignées une mission scientifique et gratuite en plus de celle dont j’étais déjà chargé par le département des Colonies. J’en fus très heureux, car c’était, pour ainsi dire, la sanction scientifique donnée à mes travaux. La dépêche ministérielle qui me l’annonça me parvint quelques jours avant mon départ, grâce aux bons soins et à la complaisance de M. le capitaine Roux, qui, pendant mon séjour dans le Ouli, ne manqua jamais une occasion de me faire parvenir ma correspondance et de me tenir au courant de tout ce qui pouvait m’intéresser.

Vers le milieu d’octobre, ma santé étant enfin devenue meilleure, je pus songer à me remettre en route et à exécuter le projet de voyage que j’avais élaboré pendant les deux mois qui venaient de s’écouler et pour lequel j’avais recueilli tous les renseignements possibles afin de ne rien laisser au hasard. En conséquence, je décidai de visiter et étudier complètement le Ouli, le Sandougou et d’explorer les rives de la Gambie jusqu’à Mac-Carthy. Mon intention était, de ce point, de visiter, au Nord, le Kalonkadougou et de revenir à Nétéboulou, d’où je comptais me diriger vers le Sud-Est, visiter le pays de Damentan, la Haute-Gambie et revenir à Kayes par le Bambouck. Je pus aisément mettre ce plan à exécution. Même, je pus m’avancer plus au Sud que je ne me l’étais proposé et visiter le pays de Damentan et le pays des Coniaguiés et des Bassarés, pays absolument inconnus et où jamais Européen ne s’était aventuré. De plus, je pouvais, en suivant cet itinéraire, explorer complètement les vallées de la Haute-Gambie et visiter avantageusement tout le pays compris entre ce grand cours d’eau et la Haute-Falémé.

Sandia, qui m’était absolument dévoué, me demanda de m’accompagner dans la première partie de mon voyage. J’en fus très heureux ; car il connaissait à fond le pays que nous allions traverser, et, pendant toute la durée de son séjour avec moi, je n’eus jamais qu’à me louer des services qu’il m’a rendus.

Bien décidé à quitter Nétéboulou le plus tôt possible, je me mis donc, dès que mes forces me le permirent, à organiser ma caravane. Je confiai au frère de Sandia mes bagages les plus encombrants, mes caisses de collections, et n’emportai avec moi que ce qui m’était absolument nécessaire pour un voyage de trente jours, au plus. J’engageai sur place les porteurs qui m’étaient indispensables, et le 25 octobre nous étions tous prêts à partir. Une malencontreuse tornade nous força à rester à Nétéboulou quarante-huit heures de plus, et ce ne fut que le 27 que nous pûmes nous mettre en route.

Pendant les deux mois qui venaient de s’écouler, ma caravane s’était encore augmentée d’une nouvelle recrue. Je vis arriver un jour, dans ma case, avec le fils du chef du Ouli, un jeune noir que j’avais connu autrefois à Kayes et qui avait accompagné mon ami, le lieutenant Levasseur, de l’infanterie de marine, dans le beau voyage qu’il avait fait, en 1887-1888, de Kayes à Sedhiou par Labé. Ce noir, avec les quelques économies péniblement réalisées, avait entrepris un petit commerce de dioula (marchand ambulant) et n’avait pas réussi. Quand je le vis il était absolument à bout de ressources et vivait de la charité de Massara, fils du Massa-Ouli. Il me demanda alors de se joindre à ma caravane, de me servir à quelque titre que ce soit, n’exigeant pour tout salaire que sa nourriture et ses vêtements. C’était peu de chose. Je l’engageai et n’eus guère à me louer de ses services. Peu travailleur (la paresse était inconnue parmi mes hommes), il fut souvent l’objet de leurs quolibets. Malgré cela, je ne puis m’empêcher de reconnaître qu’il m’a rendu en quelques rares circonstances, de réels services que je lui ai d’ailleurs toujours grassement payés.

Avant de quitter Nétéboulou, ce village hospitalier où j’ai été reçu et hébergé pendant si longtemps avec tant de générosité et de sympathie, je ne puis m’empêcher de faire connaître son histoire et ses habitants. Je serais heureux que le lecteur trouvât quelque intérêt à lire ces lignes. Elles me sont dictées par la profonde reconnaissance que j’ai vouée à tous ceux qui, dans ce petit coin du vaste continent africain, m’ont prodigué leurs soins et m’ont toujours témoigné le plus grand respect. Aujourd’hui même, après plus d’une année de séparation, je ne puis m’empêcher, en me rappelant mes amis de là-bas et tout ce qu’ils ont fait pour moi, d’éprouver une émotion profonde et de reconnaître que, malgré tout, je suis encore leur débiteur. Je n’espère point que ces lignes leur tombent jamais sous les yeux, mais je serais bien heureux si quelque voyageur égaré dans ces contrées lointaines pouvait leur dire que je ne les ai pas oubliés, et que les quelques jours que j’ai passés au milieu d’eux sont, malgré les souffrances que j’y ai éprouvées, restés profondément gravés dans mon cœur et que j’en garde le souvenir le plus cher.

Nétéboulou, ainsi nommé parce qu’il est situé au milieu d’une véritable forêt de Nétés (légumineuse)[4] (en Malinké : Nété, et boulou, village : village des Nétés) est une agglomération d’environ 500 habitants. Il est propre, bien construit et les cases du chef sont entourées d’un joli petit tata Malinké à tourelles, tout neuf, dont la hauteur est d’environ quatre mètres et la largeur d’à peu près un mètre à la base et quarante centimètres au sommet. Ce tata est construit en argile fortement colorée en rouge par de l’oxyde de fer : vu de loin son aspect sombre impressionne tristement le voyageur ; à l’intérieur, se trouvent les cases du chef, celles de ses femmes et ses magasins. Sa circonférence est d’environ huit cents mètres, et ses murs sont crénelés pour, qu’en cas de siège, les défenseurs puissent aisément faire usage de leurs armes. Le village est entièrement situé sur une petite éminence à l’Ouest, et au Nord de laquelle se trouve le marigot qui porte son nom. Les cases sont, en général, vastes, construites à la mode Malinkée, en terre, rondes et surmontées d’un toit en chaume qui affecte la forme d’un chapeau pointu. Les cours qu’elles laissent entre elles sont, en général, assez propres ; mais la place principale du village est, comme dans tous les villages Malinkés, d’une malpropreté révoltante. C’est le dépotoir commun où chaque ménagère vient, chaque jour, jeter des détritus de toutes sortes.

Plan d’une habitation Malinkée
(Dessin de A. M. Marrot, d’après les documents de l’auteur).

A environ huit cents mètres du village actuel, dans le Nord, de l’autre côté du marigot, se voient les ruines de l’ancien village dont le tata du chef est encore debout. Ce village fut détruit par le marabout Mahmadou-Lamine Dramé, en 1887, dans les circonstances suivantes. Son chef était le frère de Sandia et grand ami des Français. Il fut un des commandants de la colonne du Ouli, qui battit le marabout après sa fuite de Dianna. Ce fut dans un but de vengeance que Mahmadou-Lamine vint l’attaquer au fort de l’hivernage. Son chef, Malamine, fut tué pendant le combat. La population fut emmenée en captivité par le vainqueur et le village détruit. C’était Malamine qui l’avait fondé vingt ans auparavant environ. C’est pourquoi Nétéboulou est souvent appelé dans le pays : « Village de Malamine. » Riche dioula Malinké musulman, c’était un homme fort honnête et qui avait dans tout le pays une grande renommée de justice. Aussi venait-on de partout le consulter. Après sa mort, son frère, Sandia, le chef du village actuel, lui succéda et reconstruisit Nétéboulou là où il est aujourd’hui. Il a hérité de la renommée de son frère et jouit dans les villages voisins d’une grande influence.

La population est uniquement formée de Malinkés musulmans de la famille des Niagatés-Sinatés, qui émigrèrent du pays de Guidioumé dans le Ouli, où ils s’établirent lorsque les Soninkés s’emparèrent du Kaarta et en chassèrent les Malinkés. Ils n’ont ni le type ni les mœurs des autres Malinkés que nous avons vus jusqu’à ce jour. Ils doivent être le produit d’un croisement quelconque. On rencontre dans le Ouli, le Niani et même le Diakka, quelques villages dont les habitants présentent les mêmes caractères. Je serais assez porté à leur attribuer la même origine qu’aux Diakankés et aux Déniankés. Ce serait alors une race de mélange dans laquelle il y aurait deux éléments Mandingues pour un élément Peulh.

Nétéboulou est un village relativement riche. Nous nous y sommes trouvé et y avons séjourné pendant toute la saison des cultures et nous avons pu constater avec plaisir qu’elles y sont faites avec plus de soin et en plus grande quantité que dans les pays voisins. Tout autour des cases se trouvent de vastes champs de mil, maïs, arachides, coton, etc., etc., et de petits jardinets où les femmes et les enfants cultivent des oignons, oseille, courges, tomates, tabac. Malgré cela, la misère y est grande pendant l’hivernage, car là, comme partout au Soudan, le noir est gaspilleur et peu prévoyant. Il consomme en peu de mois sa récolte, fait bombance et, pendant la saison des pluies, il en est souvent réduit à la portion congrue, en attendant la moisson prochaine.

Grâce à l’initiative de son chef, Sandia, il y existe un petit embryon de commerce. Et pourtant sa situation exceptionnelle devrait en faire un centre important de transactions. Nétéboulou est en effet situé au point de jonction des principales routes qui sillonnent la région. C’est le lieu de passage tout indiqué des caravanes qui se rendent de Bakel, du Bondou, du Bambouck, du Tenda à Mac-Carthy ou à Bathurst ou bien qui en reviennent. C’est là encore que font étape tous les dioulas qui se rendent sur la rive gauche de la Gambie dans le Fouladougou de Moussa-Molo ou qui regagnent Bakel et Médine. Pendant le séjour que nous y avons fait, nous avons pu assister fréquemment à ces arrivées et à ces départs de dioulas et de caravanes, et il ne s’est pour ainsi dire pas passé de jour que nous n’ayons reçu la visite de ces voyageurs. Si nous ajoutons enfin que Nétéboulou n’est distant de la Gambie que de vingt kilomètres et que son marigot est navigable toute l’année jusqu’à Genoto, à 5 kilom. du village, on comprendra aisément que peu d’efforts suffiraient pour en faire le débouché de tout le Ouli, le Tenda et le Diaka. Disons en terminant que la Gambie cesse d’être navigable pour les bâtiments de fort tonnage à quelques kilomètres au-dessus de l’embouchure du marigot de Nétéboulou. Elle est, en effet, en ce point traversée par un barrage rocheux qui s’étend d’une rive à l’autre.

C’est le barrage de Kokonko-Taloto. Ce détail est important à noter, et, de ce fait, nous estimons que Nétéboulou et Genoto sont appelés sous peu à devenir des centres commerciaux qui ne seront pas à dédaigner. Son chef fait, du reste, tout ce qu’il faut pour cela. Il entretient des relations suivies avec la factorerie Française de Mac-Carthy, et j’ai appris que, grâce aux renseignements que j’avais donnés à ce sujet à l’agent qui la dirige, il s’était fait, dans ces parages, sous la direction de Sandia lui-même, des échanges relativement fructueux. Ce n’était là qu’un essai qui a dû être recommencé, cette année, sur une plus grande échelle. Maintenant que la paix la plus profonde règne dans ces contrées, et, étant donné surtout les procédés que la Compagnie emploie vis-à-vis des indigènes, nous ne doutons pas que le succès le plus complet ne vienne couronner les efforts qu’elle n’a jamais cessé de faire pour développer en Gambie notre commerce et notre influence. La cire du Tenda, l’ivoire et surtout les arachides du Ouli suffiront amplement pour alimenter cette escale et seront pour les trafiquants une source de bénéfices sérieux.

Les habitants de Nétéboulou, paisibles agriculteurs, se livrent avec soin à l’élevage des bestiaux. Le village possède un beau troupeau d’une cinquantaine de têtes dont Sandia s’occupe régulièrement chaque jour et dont la plus grande partie lui appartient. J’ai été bien heureux, pendant les quelques semaines que j’y suis resté, d’y trouver, matin et soir, un peu de lait, et de temps en temps un peu de viande fraîche pour réparer mes forces épuisées par la maladie. C’est assurément à ces modestes ressources, qui furent toujours généreusement mises à ma disposition, que je dois de ne pas avoir succombé. Les moutons, chèvres et poulets y sont aussi relativement nombreux et permettent aux habitants de varier un peu leur alimentation. Quant aux chevaux, outre le mien, je n’y en ai jamais vu que deux : celui de Sandia et celui de son frère, Mody-Moussa. Cet animal domestique, est, du reste, assez rare dans toute cette région. Il y vit difficilement et a besoin de grands soins pour pouvoir y supporter les rigueurs du climat.

En résumé, nous estimons, d’après ce que nous y avons vu, qu’il serait facile d’augmenter dans une notable mesure les ressources de ce petit village, d’y attirer les produits des pays voisins, et enfin d’en faire le centre commercial le plus important de la contrée.


Vue prise de la Falémé.


CHAPITRE DEUXIÈME

Départ de Nétéboulou. — Témoignages de sympathie de la population. — En route pour Sini. — Ordre de marche de la caravane. — La plaine de Genoto. — Arrivée à Makadian-Counda. — De Makadian-Counda à Sini. — Arrivée à Sini. — Belle réception. — Le tam-tam. — Le Balafon. — Sérénade. — Le chef du Ouli, Massa-Ouli. — Sa famille. — Description de la route suivie. — Géologie. — Botanique. — Le Nété. — Le Téli. — Le N’taba. — Sini. — Sa population. — Belles cultures. — Départ de Sini. — Canapé. — Lait et beurre en abondance. — Soutoko. — La mosquée. — Villages Peulhs. — Fatigue de la route. — Arrivée à Barocounda. — Départ de Barocounda. — Arrivée à Toubacouta. — Épisode de la guerre du marabout Mahmadou-Lamine-Dramé. — Réception peu cordiale à Toubacouta. — Belle case. — Traces du passage de la mission de délimitation des possessions Françaises et Anglaises en Gambie. — Toubacouta. — L’ancien et le nouveau village. — L’envoyé de Guimmé-Mahmady, le chef du Sandougou. — Beaux lougans. — Belles rizières. — Le marigot de Maka-Doua, frontière du Ouli et du Sandougou. — Description de la route de Sini à Toubacouta. — Géologie. — Botanique. — Le dougoura.

Bien que je fusse encore très faible, je décidai de quitter Nétéboulou le jour que je m’étais fixé. Du reste, la saison des pluies touchait à sa fin, l’inondation diminuait rapidement et de jour en jour les chemins devenaient meilleurs et plus aisément praticables. Les préparatifs du départ étaient faits depuis plusieurs jours déjà et le personnel qui m’était nécessaire était bien dressé. Rien ne nous retenant plus à Nétéboulou, le 27 octobre 1891, à 6 h. 45 du matin, nous nous mettions en route. Tout mon monde était aussi heureux que moi de partir. L’oisiveté que nous menions à Nétéboulou commençait à nous peser et nous n’étions nullement fâchés de reprendre notre course.

Je pus, malgré mon extrême faiblesse, monter assez aisément à cheval sur la place principale du village. Toute la population du village est là qui nous accompagne de ses souhaits et qui vient nous saluer au départ. Tous les hommes viennent me serrer la main. Les femmes, les enfants eux-mêmes me font part des vœux qu’ils forment pour la bonne réussite de mon voyage. Jamais je ne compris mieux qu’en cette circonstance quels meilleurs résultats on peut obtenir en traitant avec douceur ces populations primitives. La sévérité excessive et la brutalité ont toujours été, pour moi, de mauvais procédés de colonisation et je me suis toujours très bien trouvé, dans mes différents voyages en Afrique, de ne pas les employer.

Le frère de Sandia, Mody-Moussa, et son fils Diamé nous accompagnent jusqu’aux dernières cases du village. Là on se serre de nouveau la main. Sandia fait mille recommandations à son frère qui le doit remplacer pendant son absence, serre la main à son fils, lui recommande d’avoir bien soin de sa case, et nous nous mettons en route pour Sini, où j’avais l’intention de faire étape. Sandia, qui connaît le pays à merveille, est en tête de la caravane. Derrière lui marche le palefrenier de son cheval. Je suis immédiatement. Viennent ensuite mon interprète, mon palefrenier, les porteurs. Samba-Sisoko et Gardigué-Couloubaly ferment enfin la marche et ont pour consigne de veiller au bon ordre de la caravane. C’est cette disposition que j’ai toujours adoptée pendant les étapes et je n’ai jamais eu à constater le moindre désordre, chacun sachant parfaitement ce qu’il avait à faire.

Avant de quitter Nétéboulou, je m’étais efforcé de bien connaître l’allure de mon cheval et j’étais arrivé à savoir à peu près exactement quelle était la distance qu’il parcourait au pas en une heure et même en une minute. Aussi, n’ayant aucune préoccupation à ce sujet, je pouvais, sans distraction, lever mon itinéraire. Ma boussole fonctionnait à merveille et ma montre étant bien réglée, je n’eus relativement que de faibles erreurs à enregistrer.

A peine avions-nous quitté le village que nous entrons immédiatement dans les lougans[5]. Ils s’étendent à perte de vue. Mil, maïs, arachides, etc., etc., on voit défiler toutes les plantes cultivées dans le pays. La route suit une direction Sud légèrement Ouest, longeant à deux kilomètres environ le marigot, et à quatre kilomètres du village nous le laissons sur notre gauche. Nous apercevons alors les rôniers[6] de Genoto, point extrême où puissent venir les chalands, et nous traversons une vaste plaine couverte d’herbes maigres et parsemée de larges flaques d’eau. C’est la plaine de Genoto que limitent, au Sud, la Gambie, à l’Ouest et au Nord, les collines du Ouli et à l’Est, le marigot de Nétéboulou. Absolument inculte, stérile, elle nous offre, avec ses rares bouquets d’arbres rabougris, l’aspect que doivent présenter, en Amérique, les solitudes de la Prairie. La route, à ce moment, est franchement Ouest. Il en sera de même jusqu’à Sini. Nous laissons sur notre gauche les ruines du petit village de Coussaié, et à 9 h. 42 nous arrivons à Makadian-Counda.

Makadian-Counda. — Petit village Malinké d’environ 350 habitants. Il ne présente rien de bien particulier. Il est mal entretenu, sale, nauséabond. En 1886, il fut pillé et détruit par les guerriers du marabout Mahmadou-Lamine. Actuellement, il est en partie reconstruit. Ses habitants sont des gens paisibles, qui se livrent tranquillement à la culture de leurs lougans. Aussi sont-ils riches en produits de toutes sortes. Nous faisons la halte sur la place principale du village, et, à peine étais-je descendu de cheval, que le chef, accompagné de ses principaux notables, vint me saluer. C’est un parent d’une des femmes de Sandia. Il me fait mille protestations d’amitié et m’offre quelques œufs frais qui sont les bienvenus. Après l’avoir remercié de son aimable réception et lui avoir serré la main, nous nous remettons en route pour Sini.

A quelques centaines de mètres du village, nous rencontrons le fils du chef du Ouli, Massara. Son père l’envoie à notre avance avec deux ou trois autres cavaliers. Ce jeune homme, âgé d’environ trente ans, est un ivrogne fieffé. Il monte un beau cheval noir dont lui a fait cadeau, me dit-il, le colonel Archinard, pour le récompenser de sa belle conduite pendant la campagne de Nioro, à laquelle il a pris part avec les meilleurs guerriers du Ouli. Encore trois kilomètres au milieu de beaux lougans et, à dix heures dix minutes, nous arrivons enfin à Sini, où nous allons passer la journée. Il fait une chaleur étouffante, et, cependant, malgré mon état maladif, je n’en suis pas trop incommodé.

Depuis mon arrivée dans la région, le village de Sini avait souvent manifesté le désir d’avoir ma visite. Aussi comprendra-t-on aisément que j’y fus reçu à bras ouverts. Déjà, en voyant arriver à mon avance le fils du chef, je m’étais fait une idée de la réception qui m’y attendait. A peine descendu de cheval, je fus conduit à la case qui avait été préparée à mon intention. Des cases avaient été également préparées pour Sandia, mon interprète et mes hommes. Nous y fûmes bien logés et y passâmes la journée sans trop y souffrir de la chaleur. Il y avait à peine quelques instants que nous étions installés que le chef, Massa-Ouli, vint me rendre visite. C’est un vieillard d’environ 70 ans, encore bien conservé, mais cependant fort rhumatisant. Son tam-tam, ses principaux notables l’accompagnaient et, pour la circonstance, il avait endossé le manteau de chef, rouge, bordé de galons d’or, qui lui avait été donné par Monsieur le commandant supérieur. Nous causâmes longuement des choses du pays, il me fit mille protestations d’amitié, et nous nous quittâmes les meilleurs amis du monde. A mon intention, il avait immolé un bœuf, et préparé tout ce qu’il fallait pour la nourriture de mes hommes et de mes animaux. Aussi la mission fit-elle grasse chère ce jour-là.

Le temps s’écoula rapidement dans cet hospitalier village et la soirée arriva sans que nous nous soyons ennuyés un seul instant. A quatre heures du soir, Massa-Ouli m’envoya son tam-tam et je fus obligé, pour lui être agréable, d’assister à la sérénade qu’il me donna devant notre logement. Très curieux ce tam-tam. Il se compose de tambourins et de balafons et les airs que jouent les artistes ne manquent pas d’un certain agrément. Quiconque a entendu le balafon ne peut oublier les sons harmonieux que rend ce primitif instrument, et la virtuosité, si je puis parler ainsi, dont font preuve ceux qui en jouent. Tout le monde connaît le tambourin des peuplades africaines. Il n’en est pas de même du balafon. Aussi croyons-nous devoir en donner ici une description détaillée. Je crois donc devoir rapporter textuellement ce que j’écrivais à ce sujet, sur les lieux mêmes, dans mes notes journalières.

Le balafon est un instrument assez rare au Soudan. Il est plutôt particulier aux peuples qui habitent les rivières du Sud et notamment la Gambie. On le trouve encore dans certains villages Malinkés du Sud du Bambouck et au Fouta-Diallon. C’est peut-être avec la guitare, que l’on désigne sous le nom de Cora, l’instrument de musique soudanien dont les sons impressionnent le moins désagréablement l’oreille. Il est assez compliqué et demande, pour sa construction, un ouvrier exercé. Aussi son prix est-il relativement élevé : quatre-vingt-dix à cent francs environ.

Le balafon se compose essentiellement : 1o du cadre ; 2o de l’appareil producteur du son ; 3o d’un appareil qui joue le rôle de résonateur.

1o Cadre. — Le cadre se compose d’un trapèze en bois ayant la forme que représente la figure ci-contre. Ce cadre est formé par des morceaux de bois de 0m80 environ de longueur sur 0m06 de largeur et 0m03 d’épaisseur pour les grands côtés. Des petits côtés, l’un a environ 0m25 de longueur et l’autre 0m15. Ils sont formés par des morceaux de bois de même largeur et épaisseur que les autres. L’intervalle compris entre les deux grands montants est comblé par des traverses qui vont de l’un à l’autre et qui en rendent la solidité plus grande. Une autre traverse réunit les deux petits côtés. Tout cela est uni au moyen de cordes de baobab et est d’une grande solidité.

[Illustration]
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Aux quatre angles de ce cadre A. B. C. D. se trouvent quatre montants en bois de même hauteur, solidement fixés au cadre et ayant environ 0m20 de hauteur. Ces montants sont unis entre eux par des cordes solides, généralement en cuir, qui forment ainsi un cadre E. F. H. O. parallèle à celui que nous venons de décrire et qui est inférieur. C’est sur ces cordes que va être posé l’appareil producteur du son.

2e Appareil producteur du son. — Cet appareil se compose simplement d’une série de lamelles de bois très dur disposées par ordre de longueur sur le cadre supérieur. Comme l’indique la figure ci-dessous, ces lamelles ont toutes la même largeur et la même épaisseur, mais non la même longueur. La plus longue a environ vingt-cinq centimètres de longueur et les autres vont en diminuant de longueur jusqu’à la dernière qui peut avoir huit centimètres environ. Leur nombre est variable ; mais il est rarement inférieur à 12 et supérieur à 20. Ces lamelles sont fixées sur les cordes supérieures du cadre à l’aide de petites cordes qui les maintiennent en place, en leur laissant toutefois une certaine mobilité.

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Les deux figures ci-dessus peuvent donner une idée de ce que sont ces lamelles. La figure A représente une lamelle entière et la figure B une coupe qui serait faite perpendiculairement à son axe.

3o Appareil résonateur. — L’appareil résonateur qui est destiné à renforcer les sons est bien simple. Il se compose d’une série de petites calebasses ayant la forme que représente la figure ci-dessous (no 1) et qui sont fixées au-dessous de chaque lamelle. C’est là le côté le plus délicat de la construction ; car, en effet, de la grosseur de la calebasse dépendra la nature du son, on comprendra qu’il faut apporter un certain choix dans la composition de cet appareil, afin de ne pas modifier l’accord et surtout d’obtenir une gamme à peu près exacte. Aussi voit-on des lamelles avoir deux calebasses et d’autres une seule. Tout cela dépend du volume.

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Les figures ci-dessus peuvent donner une idée de la façon dont sont disposées les calebasses au-dessous des lamelles. Ces calebasses sont maintenues en place par des liens qui les joignent aux différents côtés du cadre et qui les unissent entre elles. Tout cet ensemble, qui paraît devoir être très fragile, est, au contraire, excessivement solide.

Pour jouer du balafon, on s’asseoit par terre et on place l’instrument devant soi, de façon à avoir les lamelles les plus longues à sa gauche. On peut également en jouer en marchant ; alors, l’instrument est porté, suspendu au cou par des liens qui sont fixés à ses deux extrémités. L’instrument repose alors sur le ventre de l’exécutant, de façon à ce qu’il ait toujours à sa gauche les lamelles les plus longues, celles qui donnent les notes les plus graves.

Pour tirer des sons de ce bizarre mais ingénieux instrument, il suffit de frapper d’un coup sec la lamelle avec les baguettes représentées ci-dessous.

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Ces baguettes sont en bois. Il en est qui s’en servent à nu, d’autres, au contraire, qui entourent l’extrémité renflée à l’aide de chiffons excessivement serrés ou, mieux, de caoutchouc. Il nous a semblé que les sons obtenus avec ces dernières étaient plus harmonieux que ceux obtenus avec les autres.

Le balafon est construit, en ce qui concerne le bois, par les forgerons. Quant à l’agencement des différentes pièces, il est fait par l’artiste lui-même. Le bois qui doit servir à la construction doit être très dur, bien sec, et ne présentant aucun défaut. Plusieurs espèces peuvent être employées à cet usage. Citons : le Samboni (Cytharexylum quadrangulare Jacq.), le Vène (Pterocarpus erinaceus Poir.), le Kaki (Diospyros ebenum Retz.). De même, les calebasses doivent être bien sèches, ne présenter aucun défaut ni fissure, car le son pourrait en être profondément altéré. Enfin, les cordes elles-mêmes doivent être minutieusement construites et présenter toutes les garanties voulues de solidité et de bonne fabrication.

Le balafon peut être considéré, au Soudan, comme étant un instrument de luxe. Il n’y a guère que les chefs riches et influents qui en aient, et le griot (musicien de profession) qui en joue, jouit habituellement dans le village d’une considération que n’ont pas ses autres collègues. Seul, il est admis à l’honneur de jouer du balafon, et, tant est grande l’estime que l’on a pour cet instrument que, souvent, l’épithète de balafon est ajoutée au nom de l’artiste qui s’en sert. Ainsi, à Koundou (Fouladougou), par exemple, le joueur de balafon porte le nom de « Fodé-Balafon ». Il n’est connu que sous ce nom-là dans les villages environnants.

Les sons obtenus avec cet instrument sont relativement assez mélodieux et dans l’agencement des notes, il est facile d’y retrouver les éléments de la gamme. Les airs que jouent les griots présentent également une certaine harmonie et un rhythme appréciables, même pour une oreille peu musicale.

Après une heure de musique effrénée, et après avoir assisté aux danses les plus échevelées, exécutées cependant en mon honneur, je congédiai, par la voix de mon interprète, les artistes mâles et femelles qui m’entouraient, et orchestre en tête, je me rendis à la demeure du chef pour lui rendre la visite qu’il m’avait faite le matin. Cette façon de procéder m’a toujours réussi au Soudan, et, c’est en usant sans cesse de la plus grande politesse et de la plus grande douceur que je suis arrivé à me concilier partout le respect et l’amitié des chefs avec lesquels j’ai été en relations. Point ne sert de prendre avec ces gens-là des airs de matamores et de croquemitaines. Nous n’arriverions jamais qu’à nous aliéner leur sympathie. Il faut avoir le bon esprit de ne se considérer que comme leur hôte, et, si l’on sait conserver toutefois sa dignité d’homme et de Français, on peut être certain que d’eux-mêmes ils reconnaîtront notre supériorité.

Massa-Ouli attendait d’ailleurs ma visite. Je le trouvai dans sa case, entouré de toute sa famille. Il me présenta ses enfants, ses femmes et ses frères, et, après un entretien des plus aimables, nous nous quittâmes en nous serrant la main, à plusieurs reprises. Je fis à tous de petits cadeaux, dont ils me remercièrent vivement. Inutile de dire que les griots ne furent pas oubliés. C’est dans l’usage, et je n’aurais pas voulu laisser de moi une mauvaise impression. Tous, sauf le chef, me reconduisirent à mon campement, et chacun rentra chez soi, fatigué, mais satisfait, moi surtout.

L’habitation du chef du Ouli ne diffère guère de celles de ses sujets. Les cases sont absolument construites sur le même modèle. Elles sont plus vastes et plus nombreuses, et voilà tout. Celle où il se tient dans la journée est située au pied d’un superbe N’taba, bel arbre de la famille des Sterculiacées, sur lequel nous reviendrons plus loin. C’est un des plus beaux échantillons de cette espèce végétale que j’aie rencontré dans tout le cours de mes voyages au Sénégal et au Soudan.

La route de Nétéboulou à Sini présente d’intéressantes particularités ; Nétéboulou est construit sur un plateau dont le sous-sol est formé de quartz et de grès ferrugineux que recouvre une épaisse couche de latérite. Elle disparaît à deux kilomètres environ du village au-delà du marigot qui porte son nom, pour faire place à la plaine stérile de Genoto. Cette vaste plaine marécageuse est complètement inondée pendant l’hivernage. Elle mesure environ vingt kilomètres de longueur sur quinze de largeur dans ses plus grandes dimensions, et s’étend des collines du Ouli et de Nétéboulou jusqu’à la Gambie et au marigot de Nétéboulou. Le sol en est uniquement formé par une épaisse couche d’argiles anciennes et d’alluvions récentes. A peine y voit-on par-ci par-là quelques arbres peu vigoureux, rachitiques. Elle est couverte, dans toute son étendue, par une herbe mince et ténue parsemée de touffes de Joncées et de Cypéracées. Après avoir traversé de l’Est à l’Ouest ce morne désert, on arrive par une pente assez raide sur le plateau de Sini ; jusqu’à Makadian-Counda ce ne sont que des argiles compactes ; mais à peu de distance de ce village la latérite reparaît et l’on peut dire que la plus grande partie du plateau en est uniquement formée. Son sous-sol ne présente guère que des roches de nature ferrugineuse.

Au point de vue botanique, nous ne trouvons à signaler que trois espèces principales de végétaux.

1o Nété. — Le Nété ou Néré (Parkia biglobosa H. Benth.)[7], est une belle Légumineuse de la tribu des Parkiées. On la trouve en grande quantité dans le Bambouck, le Bélédougou, la Haute-Gambie. Il est facile de la reconnaître à ses feuilles profondément découpées qui ressemblent à s’y méprendre à celles de certaines de nos fougères, et à ses fleurs d’un beau rouge foncé et disposées en forme de boule à l’extrémité des jeunes rameaux. Son fruit est une gousse d’une belle dimension en tout semblable à nos plus beaux haricots. Il contient une douzaine de graines entourées d’une pulpe jaune relativement assez compacte et abondante. Cette pulpe est très parfumée. Sèche, elle forme une sorte de farine que les indigènes mangent volontiers pendant la disette. Les fruits poussent au nombre de huit ou dix au maximum, à l’extrémité des jeunes rameaux. Ce végétal fleurit de juin à août et ses fruits ne sont guère comestibles avant le mois de mars de l’année suivante. On le trouve en grand nombre aux environs de Nétéboulou. Son bois est généralement peu employé.

2o Téli. — Le Téli (Erythrophlæum Guineense Rich.)[8], est un végétal de haute stature. C’est encore une belle Légumineuse-Parkiée. Il croît, de préférence, sur les bords des marigots et j’en ai vu de beaux échantillons dans les environs de Nétéboulou. Il est facile à reconnaître à la couleur sombre de son feuillage, et à son fruit qui est une gousse rougeâtre quand elle est sèche et plus large que ne le sont, en général, celles des autres légumineuses. Son écorce est profondément fendillée, et, si on l’enlève, sa partie intérieure présente une belle couleur rouge foncée. Chaque gousse contient environ huit à dix graines, à deux faces bombées, ressemblant à s’y méprendre à celles de certains haricots. Ces graines, qui ont toujours à peu près le même poids, servent dans certaines régions, le Bouré, par exemple, pour peser l’or. Cinq de ces graines équivalent à peu près en poids à un gros, environ trois grammes quatre-vingt-deux centigrammes.

Le Téli ou Tali (Peulh, Bambara, Malinké) est la plante vénéneuse par excellence au Soudan français, au dire, du moins, des habitants. Il entrerait du Téli dans la composition du « Corté », le fameux poison que les habitants de Komboreah (Konkodougou) sont si habiles à préparer et qui est si connu dans le Baleya, l’Amana, le Dinguiray et même à Siguiri. Mais quelle est la partie de la plante qui est utilisée ? C’est ce que nous n’avons pas encore pu savoir. Toutefois nous avons appris que, dans certaines de nos rivières du Sud, le Rio-Nûnez, le Rio-Pongo particulièrement, et dans le pays de Loango, où le Téli est appelé Boudu ou Boudou, les indigènes fabriquent avec sa racine, par infusion, une liqueur d’une extrême amertume et qui sert de poison d’épreuve. Quand elle est trop chargée, elle cause la suffocation, la rétention d’urine, etc., etc., l’accusé tombe et est déclaré coupable ; à dose plus faible, elle n’amène pas d’accidents graves, alors l’accusé résiste et est déclaré innocent.

D’après les indigènes du Soudan, toutes les parties de la plante seraient excessivement vénéneuses. Voici ce que me disait à son sujet le chef de Gangali (Niéri) : « Une feuille de Téli dans le couscouss suffit pour empoisonner toute une famille. Un bœuf, un cheval, un mouton en mange-t-il, il meurt aussitôt. Un oiseau, un insecte mange-t-il une fleur de Téli, il tombe aussitôt foudroyé. » De plus, les poissons ne vivent pas dans les marigots dont les bords sont couverts de Télis, et il serait dangereux d’y faire boire les animaux. Je me souviens encore que, sur la route de Damentan, mon palefrenier refusa absolument de faire boire mon cheval à l’eau d’un marigot dont les bords étaient couverts de Télis. Fait singulier : cette eau, qui est toxique pour le cheval, paraît-il, ne le serait pas pour l’homme. Je ne sais ce qu’il peut y avoir de vrai pour le premier, mais, ce que nous pouvons assurer, c’est qu’il nous est arrivé souvent de faire usage d’eau puisée au pied d’un Téli et que nous n’en avons jamais été incommodé. Il en a toujours été de même pour nos hommes.

Tout cela est évidemment bien exagéré, mais il s’en dégage ce fait toutefois, c’est que toutes les parties de la plante sont nuisibles mais à des degrés différents. Celle qui est la plus active, et cela, au plus haut degré, c’est l’écorce. L’écorce fraîche l’est plus que l’écorce sèche, et celle des jeunes sujets plus que celle des vieux arbres. Après l’écorce la racine, puis la fleur et les graines. Les feuilles n’auraient que de faibles propriétés nocives, mais, cependant, encore assez fortes pour occasionner la mort, à une faible dose.

Jamais les animaux n’en mangent. On peut les laisser paître en toute sécurité dans la brousse. Ils ne mangeront jamais les feuilles du Téli, jamais ils n’en brouteront l’écorce. Cet arbre leur cause une répulsion qu’ils ne peuvent surmonter. Par instinct, ils s’en éloignent toujours. Ils ne peuvent en absorber que lorsqu’on en mélange les feuilles avec l’herbe qu’on leur donne en pâture. Et encore arrive-t-il fréquemment qu’ils mangent le bon fourrage et laissent le téli ?? La meilleure façon de leur en faire absorber est simplement de pulvériser l’écorce et de leur administrer avec leurs aliments la poudre ainsi obtenue.

D’après les renseignements que j’ai recueillis un peu partout à ce sujet, et que Sandia, le chef de Nétéboulou, m’a confirmés, car il avait vu le cheval de son père mourir empoisonné, par malveillance, avec du Téli, les animaux qui en absorbent à doses toxiques éprouveraient les premiers accidents environ deux heures après l’ingestion. Leur ventre deviendrait très volumineux. Ils présenteraient une écume abondante à la bouche, des convulsions qui dureraient une demi-heure environ et la mort surviendrait deux heures et demie ou trois heures après l’ingestion du poison.

Les noirs du Soudan utilisent les feuilles du Téli contre le ver de Guinée, et, voici comment : lorsque l’abcès qu’occasionne le ver s’est ouvert spontanément ou bien à la suite d’une manœuvre opératoire, et que le parasite commence à sortir, ils enveloppent la partie malade avec des feuilles de Téli. Deux ou trois suffisent pour la couvrir complètement. Un pansement fait avec des feuilles d’un autre végétal quelconque inoffensif et maintenu toujours humide est appliqué par-dessus. Le tout est fixé à l’aide de lacs. Ils prétendent que le ver est alors empoisonné et qu’il sort plus facilement. Ceci mérite confirmation, on le comprendra aisément. J’ai cependant vu des malades se bien trouver de ce traitement.

Le Téli ne sert en aucune autre circonstance. Il inspire aux indigènes une telle frayeur qu’ils ne l’utilisent ni dans la construction de leurs cases ni même pour faire cuire leurs aliments.

3o N’taba. — Le N’taba[9] est une Malvoïdée de la famille des Sterculiacées. C’est le « Sterculia cordifolia Cav. », ainsi nommé parce que ses feuilles sont en forme de cœur. C’est un des plus beaux végétaux des régions de l’Afrique tropicale. On le reconnaît aisément à son tronc énorme, à ses feuilles excessivement larges et à son fruit absolument caractéristique. Ce fruit, qui vient à l’extrémité des jeunes rameaux, a la forme d’une gousse volumineuse, dont les valves charnues s’ouvrent à la pression par son arête convexe. Son extrémité libre est munie d’une sorte d’appendice charnu en forme d’aiguillon de 0m06 environ de longueur. Quand il est mûr, il a une couleur rouge clair qui ne peut laisser aucun doute. Il renferme une douzaine de graines polyédriques noyées dans une pulpe jaunâtre, savoureuse, et excessivement parfumée. C’est un des meilleurs desserts que j’aie rencontrés au Soudan et souvent nous nous en sommes régalés. Les fruits sont accouplés au nombre de trois, cinq ou sept en faisceaux et adhèrent fortement au pédoncule et à la tige qui les porte. Ils tombent rarement et pour les cueillir on est obligé de sectionner le rameau qui les porte.

Cet arbre acquiert des proportions gigantesques. Nous en avons vu dans le Ouli, le Sandougou, le Kantora, à Mac-Carthy, etc., etc., des spécimens vraiment remarquables. Dans ces régions, c’est l’arbre à palabres préféré dans tous les villages et son épais feuillage est recherché pendant les heures chaudes de la journée.

Le N’taba habite de préférence, les terres riches en humus et les terrains à latérite. On ne le trouve, pour ainsi dire, jamais sur les bords des marigots. Et pourtant, il affectionne tout particulièrement les régions humides. Aussi est-il excessivement rare dans les régions sablonneuses et les steppes du Soudan. C’est surtout dans le Sud de nos possessions qu’on le rencontre, de préférence, dans le Sandougou, le Ouli, le Konkodougou, le Sud du Diébédougou, le Damentan, le Niocolo, le pays des Coniaguiés et des Bassarés, etc., etc. Il se prête cependant assez volontiers à la culture dans des régions plus septentrionales. Ainsi, à Bammako, notre excellent ami, M. le vétérinaire Körper, a obtenu à ce sujet des résultats surprenants et a pu acclimater absolument ce végétal sur cette partie des bords du Niger. Il ne faut pas oublier que le N’taba est le congénère du Kola. Il est donc permis d’espérer que l’on pourra arriver, un jour, à cultiver ce dernier végétal dans les régions où croît le premier.

Le N’taba est peu utilisé par les indigènes. Dès qu’ils sont mûrs, les fruits sont mangés avec avidité par les enfants. Dans certaines régions, à Missira (Sandougou) notamment, il m’a été dit que ces fruits étaient parfois employés avec succès contre certaines diarrhées rebelles. Je n’ai jamais eu à le constater.

Le N’taba, suivant les régions qu’il habite, fleurit du mois de janvier au mois de mars et les fruits arrivent à maturité du commencement de juin à la fin de juillet. Il porte des feuilles pendant toute l’année. Il a été introduit à la Guyane (Maroni).

Nous ne voulons pas quitter Sini sans le faire connaître plus complètement au lecteur. Sini, capitale de l’État Malinké du Ouli, est un village d’environ 600 habitants. Bien qu’il soit la résidence du Massa-Ouli ou chef du Ouli, il a absolument l’aspect du plus simple des villages. Ses cases sont construites en terre, rondes et couvertes d’un toit en chaume qui à la forme d’un chapeau pointu. Il est entouré d’un tata (fortification en terre) à tourelles qui tombe littéralement en ruines, mais qui, à en juger par ce qu’il en reste, devait être très fort. Le chef n’a pas de tata particulier, comme cela a lieu dans la plupart des villages Malinkés. — La population est formée uniquement de Malinkés, sales et grands ivrognes. Les membres de la famille royale, à part peut-être le chef actuel, ont à ce point de vue une réputation bien méritée. — Sini a été attaqué par le marabout Mahmadou-Lamine-Dramé en 1886, lorsque, chassé de Dianna par le colonel Galliéni, il s’enfuit vers le Ouli et se réfugia à Toubacouta. Les habitants avaient eu le temps de prendre toutes les mesures de défense nécessaires. Un fort sagné (fortification en bois) avait été construit autour du village. On en voit encore les restes. Les guerriers des villages voisins étaient venus se réfugier auprès du chef, et, de ce fait, en peu de jours, Massa-Ouli se trouva à la tête d’une colonne de six à huit cents hommes. Trop âgé pour la conduire au combat, il en confia le commandement à son jeune fils Massara et à Malamine, le chef de Nétéboulou, le frère de Sandia, le chef actuel. En vain, les bandes du marabout tentèrent-elles de s’emparer de vive force du village. Elles l’attaquèrent inutilement trois jours de suite. Voyant la place aussi bien défendue, le marabout se retira, mais attaqué par les guerriers du Ouli qui sortirent alors en masse du village et se mirent à sa poursuite, il fut complètement battu, et se réfugia avec les quelques guerriers qui lui restaient à Toubacouta, dont le chef lui ouvrit les portes et le reçut à bras ouverts. Sini avait cependant souffert de ce siège de trois jours. Un incendie allumé par l’ennemi avait dévoré les toits de la moitié des cases. Heureusement la population et les guerriers avaient pu se réfugier dans l’espace compris entre le tata et le sagné. C’en était fait autrement du village et l’on peut être certain que si le marabout s’en était emparé, il ne l’eût pas ménagé. On voit encore les traces de cet incendie, notamment dans le quartier qui est situé sur la route de Goundiourou.

La population de Sini est paisible, hospitalière et s’adonne surtout à la culture. Aussi le village est-il entouré de tous côtés de beaux lougans de mil, maïs, arachides. Autour des cases mêmes les femmes et les enfants font de petits jardinets où ils cultivent avec succès, oignons, courges, tomates, oseille. L’espace compris entre le tata et le sagné est également bien cultivé, et j’y ai remarqué de belles plantations de maïs et de manioc. Par contre, le troupeau du village est peu nombreux. Du reste les Malinkés, proprement dits, de cette région, élèvent peu de bétail. Ils laissent ce soin aux Peulhs qu’ils rançonnent d’une façon éhontée à ce point de vue.

Dans la soirée, Massa-Ouli et ses fils et ses frères vinrent me saluer de nouveau et me quittèrent en me promettant de venir le lendemain matin me serrer la main. Tout le monde dormit bien cette nuit-là, aussi les préparatifs du départ se firent-ils rapidement.

28 octobre. A cinq heures du matin, je réveille toute la caravane, mon interprète Almoudo et Sandia sont les premiers debout et organisent le convoi rapidement. Enfin, après un déjeuner sommaire, nous pouvons nous mettre en route à cinq heures quarante minutes. Malgré l’heure matinale, tout le monde est debout. Massa-Ouli lui-même est assis devant la porte de sa case et me serre la main avec effusion à plusieurs reprises et me souhaite un bon voyage. Son fils Massara est à cheval et va nous accompagner jusqu’au premier village. Je donne le signal du départ et bien à regret nous quittons Sini, non sans avoir promis à nos amis de revenir les voir à notre retour de Mac-Carthy.

Le jour commence à poindre quand nous franchissons les portes du sagné pour nous engager au milieu de beaux lougans de mil dont les tiges hautes de plus de quatre mètres se rejoignent et forment au-dessus de nos têtes un véritable dôme de feuilles et d’épis. La température est excessivement fraîche. Je constate 16 degrés. La rosée est de plus très abondante et nous sommes absolument inondés peu après le départ. Nous marchons d’une bonne allure pour nous réchauffer et dans le plus grand ordre. Il est 6 heures 15 quand nous arrivons à Canapé. C’est le premier village Peulh que nous rencontrons. Tout le monde est debout. Il faut mettre pied à terre.

Canapé. — Canapé est un village d’environ deux cent cinquante habitants. Il est entièrement construit en paille. C’est, du reste, le seul mode de construction employé par les Peulhs. Il est littéralement enfoui au milieu du mil et du maïs, et jusque devant les cases tout est cultivé. Pas un pouce de terrain n’est perdu. Ses habitants viennent du Fouladougou et le Ouli, le Sandougou et le Niani en sont très peuplés. C’est là qu’ils y cherchent un refuge contre les pillages et les exactions des souverains de leur pays d’origine. Ils construisent en paille de gentils petits villages proprets et se livrent avec passion à la culture et à l’élevage. Aussi sont-ils absolument pressurés par leurs nouveaux maîtres.

A peine étions-nous arrivés que sur l’ordre du chef on nous apporta de grandes et nombreuses calebasses de lait sûr et de couscouss pour les hommes et pour moi du lait frais et des œufs en quantité. Bon gré mal gré il fallut s’attabler et manger. Heureusement que le noir a l’estomac complaisant, aussi mes lascars firent-ils sérieusement honneur à ce petit apéritif, comme disait mon fidèle Almoudo. Pour moi, je me contentai d’avaler quelques œufs crus et de boire deux tasses environ d’un excellent lait fraîchement tiré. Ce qui me fit encore plus de plaisir ce fut le cadeau que me fit le chef de plusieurs bouteilles d’excellent beurre. Ce qui me promettait, grâce au modeste talent de mon cuisinier, Samba-Sisoko, une excellente cuisine pour l’avenir.

Après une halte de vingt minutes environ, nous nous remîmes en marche, non sans avoir serré vigoureusement la main à Massara, qui nous quittait là pour retourner à Sini, et sans l’avoir remercié de sa généreuse hospitalité. Le chef de Canapé et ses principaux notables m’accompagnèrent pendant plusieurs kilomètres et, chemin faisant, me firent part de la situation pénible qui leur était faite dans le Ouli. Je leur promis d’en informer le commandant de Bakel dont ils relevaient, et ils me quittèrent enchantés. J’ai appris depuis que tout avait été réglé au mieux de leurs intérêts et à la satisfaction générale.

En quittant Canapé, nous traversons d’abord les lougans du village qui, relativement, ont une superficie considérable. Peu après, nous entrons en pleine brousse. Elle se continue jusqu’aux lougans de Soutouko, où nous arrivons vers neuf heures du matin.

Soutouko. — Soutouko est un village d’environ 550 habitants. Sa population est formée uniquement de Malinkés musulmans. Ils différent absolument des autres Malinkés et se rapprochent beaucoup de la race Toucouleure dont beaucoup d’entre eux ont le type et les mœurs. Ce sont ces Malinkés que, dans les Rivières du Sud, on désigne sous le nom de Mandingues. Nous y reviendrons plus loin. Musulmans fanatiques, ils furent des premiers à embrasser la cause du marabout Mahmadou-Lamine.

Soutouko n’a nullement l’aspect des autres villages Malinkés. Bien qu’il soit construit de la même façon, il est propre et bien entretenu. Au centre du village règne une mosquée en paille et pisé bien comprise et dont les abords sont indemnes de tout immondice. Je n’ai pas besoin de dire qu’elle est assidûment fréquentée.

Là encore il fallut mettre pied à terre et accepter le lunch qui nous était préparé. Mes hommes s’en tirèrent à merveille. Pour moi, je ne pus absorber qu’une petite quantité de lait et quelques œufs frais. La fatigue commençait à se faire sentir et je ne pus que difficilement remonter à cheval. J’étais loin d’être complètement remis des assauts que j’avais eu à supporter à Nétéboulou.

La route entre Soutouko et Barocounda, où j’avais décidé que je ferais étape, est bordée à droite et à gauche par de superbes champs de mil et d’arachides. Elle ne présente rien de particulier et nous la fîmes sans aucun autre incident que les nombreuses haltes que ma faiblesse me força à faire, tous les deux ou trois kilomètres. Environ à mi-chemin de Barocounda se trouvent plusieurs villages Peulhs dont les habitants se livrent paisiblement à la culture. Ce sont : MarosoutoOurosaradadoTabandiSarè n’DougoSaré-Dialloubé. Nous fîmes halte à Tabandi et les habitants vinrent nous saluer et nous apporter des calebasses de lait et d’eau fraîche pour nous désaltérer, car la chaleur commençait à être insupportable. Ils nous autorisèrent également à arracher quelques pieds d’arachides. Nous nous régalâmes de leurs graines vertes. C’est un des meilleurs fruits du Soudan que je connaisse.

Enfin, à midi, nous apercevions les toits pointus de Barocounda, où nous allions pouvoir goûter quelque repos et nous mettre à l’abri des ardeurs de la canicule. J’étais absolument à bout de forces quand je pus prendre possession du logement qui avait été préparé à mon intention.

Je fus reçu à Barocounda avec autant d’empressement et de sympathie que dans les autres villages du Ouli que je venais de visiter. Nous eûmes à profusion de tout ce que l’on peut trouver au Soudan et j’estime encore aujourd’hui que les quelques cadeaux dont ma pauvre pacotille me permit la largesse à mes hôtes en reconnaissance de leur généreux accueil, furent bien au-dessous de ce qu’ils dépensèrent en mon honneur.

Barocounda. — Barocounda est un gros village de 750 habitants environ. Sa population est uniquement formée de Malinkés puants, sales et ivrognes. Ses cases sont construites sans aucun soin, sans aucun ordre, et la plupart d’entre elles tombent littéralement en ruines. Il est absolument ouvert et ne possède aucune défense. La place principale du village, où se trouvent deux superbes n’tabas, est absolument encombrée de détritus de toutes sortes. C’est, comme dans tous les villages Malinkés, du reste, le dépotoir commun où chacun vient jeter les ordures de son ménage. Il possède de beaux lougans et de belles rizières, mais peu de bestiaux. Par contre, les chèvres et les poulets y sont excessivement nombreux. Pendant la guerre du marabout, il fut relativement épargné et n’eut à supporter que les razzias des pillards qui l’accompagnaient.

Je passai là une assez bonne journée qui me remit des fatigues de la longue étape du matin. Dans la soirée, le ciel se couvrit brusquement. Eclairs, roulements de tonnerre se succédèrent sans interruption pendant plusieurs heures. La chaleur devint intolérable ; mais, contre notre attente, il ne tomba pas une goutte de pluie. Heureusement que vers minuit les nuages se dissipèrent. Le vent du Nord se leva, vint rafraîchir l’atmosphère, et nous permit de goûter, pendant quelques heures, un sommeil réparateur. Le lendemain, au réveil, il n’y avait plus trace de l’orage de la veille, et nous pûmes, sans crainte d’être trempés, nous mettre en route pour Toubacouta, où j’avais décidé de faire étape.

29 octobre. — Nous quittons Barocounda à 5 h. 15 du matin et nous nous rendons sans aucun incident à Toubacouta, où nous arrivons à 9 h. 15. La route de Barocounda à Toubacouta ne présente rien de bien particulier tant au point de vue botanique que géologique. Elle traverse une vaste plaine argileuse couverte de bambous à travers lesquels on n’avance que difficilement. Du haut du plateau qui domine la plaine où s’élevait jadis l’ancien village de Toubacouta, on découvre tout le champ de bataille où fut mise en déroute l’armée du marabout par la petite colonne que commanda et dirigea avec tant d’autorité mon excellent ami M. le capitaine Fortin, de l’artillerie de marine. Sandia, qui y assista et y paya de sa personne, me donna sur les lieux mêmes tous les détails de cette glorieuse campagne. L’intelligent chef de Koussan-Almamy, Abdoul-Séga, qui y remplissait les fonctions d’interprète de la colonne française, a bien voulu me renseigner à ce sujet aussi exactement que possible. C’est d’après leurs récits que j’ai rédigé ce qui suit :

Toubacouta était situé au bord d’une vallée qu’entourait au Sud, au Nord et à l’Ouest une ceinture de collines peu élevées. A l’Est il est défendu par le petit marigot de Maka-Doua qui sépare le Ouli du Sandougou. Ce marigot est peu profond et ne saurait constituer un obstacle difficile à surmonter. Toubacouta, au point de vue de la stratégie indigène, était fort bien situé, étant donné surtout qu’il n’aurait jamais affaire à des ennemis familiers avec les armes à longue portée. Attaqué, au contraire, par des troupes européennes, sa position devenait absolument mauvaise. Si, quand il avait à combattre contre des noirs, il voyait descendre leurs colonnes d’attaque sur les flancs des collines qui l’entourent, par contre il ne pouvait rien contre nos canons, qui, du haut de ces mêmes collines le pouvaient bombarder impunément. Son tata, à en juger par les ruines que nous y avons vues, devait être relativement fort. De plus, chaque demeure particulière était entourée d’un petit mur, comme cela a lieu dans la plupart des villages Malinkés. Ces petits ouvrages de défense intérieurs n’étaient pas à négliger, car il est évident qu’ils forment autant de réduits qu’il faut, dans un assaut régulier, emporter de vive force. Toubacouta devait être un fort village d’environ 800 habitants. Ses ruines sont maintenant pour ainsi dire inhabitées. Depuis la guerre du marabout, il ne s’y est élevé que quelques petites huttes où viennent se reposer les captifs qui cultivent les lougans environnants, et le maïs pousse haut et dru là où le faux prophète a prèché la guerre sainte. A deux kilomètres environ à l’ouest, de l’autre côté du marigot de Maka-Doua, sur le sommet d’une verdoyante colline, a été reconstruit Toubacouta. Ses habitants, que la guerre avait dispersés, sont à peu près tous revenus maintenant. L’ancien Toubacouta est donc situé dans le Ouli et le nouveau dans le Sandougou. La population est uniquement formée de Malinkés musulmans, fanatiques qui furent des premiers, on n’en doute pas, à se ranger sous la bannière du marabout. Ils avaient émigré de la rive gauche de la Gambie quelques années auparavant dans les circonstances suivantes :

Vers 1869 ou 1870, le marabout Simotto Moro (Moro, en mandingue du Sud, signifie marabout). On ajoute ce qualificatif au nom de tous les marabouts qui acquièrent quelque renommée, frère de Dimbo, le chef actuel de Toubacouta, habitait les bords du marigot de Simotto-Ouol, qui se jette dans la Gambie, tout près du village de Oualiba-Counda, dans le Fouladougou, à trois kilomètres environ au Sud-Ouest de Yabouteguenda. Ce marabout avait dans son village une grande influence et sa renommée lui avait attiré bon nombre de disciples qui lui étaient venus des autres villages du Ghabou. Le Ghabou est ce vaste pays Malinké situé sur la rive gauche de la Gambie dont s’empara Alpha-Molo et auquel on donne aujourd’hui le nom de Fouladougou. De nos jours, Moussa-Molo, fils du précédent, y a succédé à son père et y règne en véritable tyran. Les agissements de Simotto-Moro ne tardèrent pas à éveiller la défiance d’Alpha-Molo, qui résolut de se débarrasser d’un voisin qui menaçait de faire échec à son autorité naissante. Averti à temps et ne se voyant plus en sûreté dans son petit village du Ghabou, Simotto-Moro, à la tête de deux ou trois mille individus, traversa la Gambie à Yabouteguenda et vint demander au Massa-Ouli (chef du Ouli) de l’autoriser à s’établir dans son pays et de lui accorder dans ce but pour lui et ses compagnons une concession de terrain suffisante. Le Massa, enchanté de voir ainsi s’augmenter le nombre de ses sujets, lui répondit qu’il pouvait s’installer avec sa suite partout où il lui conviendrait dans son territoire. Le vieux marabout n’en demandait pas plus. Aussi son choix fut-il vite fait. Sur les bords du marigot de Maka-Doua, qui sépare le Ouli du Sandougou, il avait remarqué depuis longtemps des terres fertiles et une bonne position pour y construire un village. C’est là qu’il demanda à se fixer. Non-seulement le Massa y consentit, mais encore il lui envoya son frère Penda-Mahmady avec quatre cents hommes pour l’aider à construire un sagné et un tata. Sous la conduite du marabout, en peu de mois, le nouveau village fut élevé et solidement fortifié. Il ne se contenta pas d’entourer ses nouvelle demeures d’un fort sagné (palissade formée de pièces de bois jointives, plantées en terre et hautes d’environ trois mètres), et d’un épais tata, il fit en plus creuser autour de ces premières défenses deux larges et profonds fossés, l’un extérieur et l’autre intérieur au sagné. Le nom de Toubacouta fut donné au nouveau village.

A l’abri de ses murailles et n’ayant plus rien à redouter d’Alpha-Molo et de ses Peulhs, le vieux marabout continua ses prédications et sa renommée ne fit que croître dans tous les pays riverains de la Gambie. Pendant bon nombre d’années on ne parla que de lui dans toute la région, et son nom de Simotto-Moro (marabout du Simotto du nom du marigot sur les bords duquel il avait d’abord habité et commencé sa carrière religieuse) était dans la bouche de tous les bons Musulmans. Il ne tarda pas à essayer de profiter de la situation exceptionnelle qu’il s’était faite, et chercha maintes fois à faire naître les occasions d’en imposer à son généreux hôte. Massa-Ouli ne résista pas, et, tant est grande la crainte que les marabouts inspirent aux populations non musulmanes du Soudan, qu’il n’osa jamais contrecarrer les desseins du vieux marabout. Cela fut une grande faute comme on le verra plus loin. Les choses restèrent pourtant en état jusque vers 1875, époque à laquelle Ousman-Gassy, fils de Boubakar-Saada, almamy du Bondou, organisa une petite colonne dans le Ferlo-Bondou et marcha contre Toubacouta. En arrivant devant le village, il reconnut, mais trop tard, que ses forces étaient insuffisantes pour qu’il puisse s’en emparer. Il se contenta de faire caracoler ses cavaliers jusque sous les murs de la place, et, après avoir échangé une vive fusillade avec les défenseurs, il se retira avec une vingtaine de prisonniers. Il traversa alors la Gambie et se rendit auprès de Moussa-Molo pour l’aider à réprimer la révolte qui venait d’éclater dans toute la région ouest du Fouladougou.

Mais à l’instigation de Simotto-Moro, Massa-Ouli se plaignit à Boubakar-Saada de la conduite d’Ousman-Gassy. Ses récriminations n’eurent aucun effet, et, de ce fait, le marabout ne lui pardonna pas de ne pas avoir tiré vengeance de l’affront qui lui avait été fait. Son mépris et sa honte pour son hôte s’envenimèrent chaque jour et il ne songea plus qu’à lui faire payer cher sa lâcheté vis-à-vis de l’almamy du Bondou. Ses vœux ne tardèrent pas à être exaucés. Vers la fin de 1876 ou au commencement de 1877, les marabouts Mour-Seïny et Biram-Cissé, lieutenants de Mahmoudou-Dadi, roi du Saloum, qui venait de soumettre tout le Niani, levèrent une colonne de deux ou trois mille hommes et marchèrent contre le Ouli. Si Simotto-Moro ne leur donna pas de guerriers, il leur donna, du moins, tous les renseignements nécessaires pour faciliter leurs entreprises, et, en effet, Medina, qui était alors la capitale du pays, fut pris d’assaut et Massa-Ouli fut réduit à s’enfuir avec quelques cavaliers qui lui servirent d’escorte. Cependant, les guerriers du Ouli ne perdirent pas courage. Penda-Mahmady et Dally-Manoma, frères du Massa, réussirent à en rallier deux ou trois cents environ, avec lesquels ils allèrent s’embusquer au gué de Paqueba, sur la rivière Sandougou, afin de barrer la route à l’ennemi et lui couper toute retraite. Le surlendemain matin, Mour-Seïny et les siens se présentèrent pour traverser le gué. Les guerriers du Ouli les reçurent à coups de fusil. Le combat s’engagea et après deux heures d’une lutte acharnée, le Ouli lâcha pied et ses guerriers se débandèrent en laissant sur le champ de bataille bon nombre de morts et de blessés, qui furent presque tous achevés par les Ouolofs de Mour-Seïny. Dans cette journée, le Ouli avait perdu ses meilleurs guerriers, au nombre desquels se trouvaient six princes de la famille régnante, dix ou douze captifs de la couronne et cinquante à soixante hommes.

Mour-Seïny rentra triomphalement à Koussalan (Niani) après avoir mis à sac le Ouli et satisfait ainsi la vengeance de Simotto-Moro, qui ne crut même pas devoir cacher tout le plaisir que lui causait la défaite et la ruine de son hôte.

Jusqu’en 1881, époque à laquelle il mourut, la paix ne fut pas troublée. Son fils Dimbo, qui lui succéda, hérita de la haine que son père avait vouée aux Oualiabés (famille régnante du Ouli) et aux Sissibés (famille régnante du Bondou). Aussi, en 1886, lorsque le marabout Mahmadou-Lamine se sauva de Dianna devant la colonne du colonel Galliéni, ce fut à Toubacouta, auprès de Dimbo, qu’il alla se réfugier et reconstituer son armée. Dès lors, ce village devint le repaire de tous les brigands et de tous les rebelles du Niani, du Sandougou, en un mot, de tous les pays Mandingues riverains de la Gambie et du Saloum.

Cet état de choses ne pouvait durer longtemps ainsi sans exposer les pays alliés de la France à devenir encore la proie des colonnes de Mahmadou-Lamine. Le colonel Galliéni, alors commandant supérieur du Soudan Français, obligé de se rendre en toute hâte sur les bords du Niger où sa présence était urgente, résolut, pour tranquilliser les populations et pour surveiller les agissements du marabout pendant l’hivernage, d’établir un poste provisoire dans le pays. A cet effet, il chargea le lieutenant indigène Yoro-Coumba, des tirailleurs sénégalais, de se rendre dans le Bondou et dans les pays riverains de la Gambie, afin d’entamer des relations suivies avec les habitants et de ramener à nous ceux qui tenaient encore pour Mahmadou-Lamine.

Le lieutenant s’acquitta avec intelligence et succès de sa mission et put s’avancer jusqu’à Yabouteguenda sur la Gambie, à une journée de marche de Toubacouta. Dans ce périlleux voyage, il n’était accompagné que de dix tirailleurs sénégalais et d’une centaine de cavaliers du Bondou que commandait Ousman-Gassy. Notre ami Abdoul-Séga, chef de Koussan-Almamy, lui servait d’interprète et de secrétaire. Saada Ahmady, le nouvel almamy du Bondou, n’avait pu l’accompagner jusqu’à Yabouteguenda et était resté à Nétéboulou, village distant d’une étape de ce dernier.

Yoro-Coumba, revenu à Sini, la capitale du Ouli, dans la dernière quinzaine d’avril 1887, y reçut l’ordre de M. le colonel Galliéni de revenir dans le Bondou et d’y choisir un endroit convenable non loin du Niéri-Kô pour y établir le poste d’observation.

Il fit choix de Bani-Israïla, village du Diaka, province tributaire du Bondou. Tous les habitants de ce village, musulmans fanatiques, avaient suivi le marabout Mahmadou-Lamine dans sa fuite. Mais peu après que le lieutenant s’y fut établi ils commencèrent à revenir et peu à peu le village se repeupla. Du reste, depuis son arrivée dans le pays, il n’avait cessé d’envoyer des émissaires dans les États voisins pour annoncer à ceux qui s’y étaient réfugiés qu’ils pouvaient sans crainte retourner dans leurs villages respectifs.

Ce fut dans la première quinzaine de mai 1887 que le capitaine Fortin fut nommé, par M. le colonel Galliéni, commandant du poste de Bani-Israïla et de la colonne qui, au retour de la belle saison, devait opérer contre Toubacouta. Il s’établit à environ cinq ou six cents mètres au Sud-Est du village, en un endroit assez élevé d’où l’on domine toute la plaine environnante. Il construisit là un poste des mieux fortifiés et capable de résister à toutes les attaques du marabout. La garnison en était relativement peu nombreuse, mais suffisante cependant pour tenir la campagne sans crainte d’essuyer un échec. Fortin n’avait avec lui, en effet, qu’une compagnie de tirailleurs sénégalais que commandait le lieutenant Renard, ayant sous ses ordres le lieutenant indigène Yoro-Coumba, dont la mission était terminée. Monsieur le pharmacien de deuxième classe Liotard était chargé d’assurer le service de l’ambulance, et deux interprètes, dont l’un était notre ami Abdoul-Séga de Koussan-Almamy, étaient à la disposition du commandant. Le commandant du cercle de Bakel était chargé d’assurer le ravitaillement de la petite colonne.

Au milieu de ce pays dévasté, et malgré les privations de toutes sortes et les maladies qui l’assaillirent à cette époque si malsaine dans les pays chauds, la petite troupe que commandait notre ami ne se laissa jamais aller au découragement et traversa victorieusement ces pénibles épreuves. Tous, à l’exemple de leur chef, rivalisèrent de courage et de dévouement, et l’on peut dire que cette campagne fut une des plus glorieuses et des plus intelligemment conduites de toutes celles que nous avons entreprises au Soudan.

Mettant à profit l’inaction forcée à laquelle le condamnait la saison des pluies, le capitaine Fortin noua des relations très suivies avec les pays riverains de la Gambie et obtint de leurs chefs la promesse qu’ils arrêteraient le marabout s’il venait à se réfugier chez eux.

Vers la fin du mois de juillet, le Niéri-Kô n’était plus guéable et l’inondation était telle qu’il était devenu absolument impossible, en cas de besoin, de mobiliser la garnison de Bani. Fortin tourna la difficulté en envoyant dans le Ouli Ousman-Gassy avec une centaine de cavaliers et deux cents fantassins. Ousman-Gassy alla camper à Sini. Grâce à ses dispositions, Sini put repousser victorieusement les attaques du marabout et lui infliger même une cruelle défaite, mais Ousman-Gassy ne put arriver à temps pour secourir Nétéboulou, dont Mahmadou-Lamine réussit à s’emparer par surprise.

Entre temps, Fortin négocia activement avec le roi du Fouladougou, Moussa-Molo, et réussit à conclure avec lui un arrangement en vertu duquel notre nouvel allié franchit la Gambie et installa tout le long de ce fleuve, jusqu’à Mac-Carthy, sur la rive droite, des postes de guerriers destinés à barrer la route au marabout, dans le cas où Toubacouta pris, il voudrait fuir et chercher un refuge sur la rive droite. Dans le même but, il enjoignit aux Massa-Diambour et Massa-Coutia (Kalonkadougou) de marcher avec leurs guerriers contre Mahmadou-Lamine si, par hasard, il venait à s’enfuir vers le Nord. Les mêmes précautions étaient prises vers l’Ouest et Ousman-Celli, chef de Oualia (Sandougou), l’alcati (chef) de Koussalan et tous les autres chefs Ouolofs et Torodos du Niani s’étaient engagés à l’arrêter s’il fuyait vers leurs pays respectifs.

Tout était, comme on le voit, savamment combiné. Rien n’était laissé au hasard, à l’imprévu. La réussite était certaine, et c’en était fait de la puissance du marabout.

Toutes ces dispositions prises, Fortin n’attendit plus pour agir que les ordres du colonel et les renforts qui lui étaient annoncés. — Le 22 novembre 1887, ils arrivèrent. C’étaient deux compagnies de tirailleurs sénégalais commandées par le lieutenant Chaleil, ayant sous ses ordres les lieutenants Pichon et Poitout, une section d’artillerie commandée par le lieutenant Le Tanhouézet. En plus, le lieutenant Levasseur, de l’état-major du Soudan, et le docteur Fougère, médecin de deuxième classe de la marine, étaient mis à la disposition du commandant de la colonne expéditionnaire.

Enfin, le 28 novembre au soir, après avoir organisé ses troupes, Fortin quittait Bani et marchait contre Toubacouta. La colonne arriva rapidement à Sini, d’où une colonne volante fut expédiée à Passamassi pour couper la retraite à l’ennemi s’il tentait de fuir vers le Kantora. Le 5 décembre, la colonne campe à Soutouko, le 6 à Dalla-Bâ, à trois kilomètres de l’ennemi. Cette dernière marche se fit de nuit pour ne pas éveiller les soupçons des rebelles. Enfin, le 7, au point du jour, on arrive devant Toubacouta. Immédiatement, le feu est ouvert. Toubacouta est mitraillé et livré aux flammes. Mais le marabout, qui, par hasard, n’avait pas couché cette nuit-là dans le village, put échapper et s’enfuir vers le Sandougou. Sans perdre de temps, Fortin lança à sa poursuite Ousman-Gassy et Moussa-Molo avec leurs cavaliers. Ils l’atteignirent au village de N’goga-Soukouta. Moussa-Molo, l’ayant fait cerner et tuer par ses cavaliers, lui fit trancher la tête par un de ses griots, qui l’apporta au capitaine Fortin, à Toubacouta. Ainsi se termina cette glorieuse campagne, et tel fut, sauf erreurs, ce brillant fait d’armes, trop peu connu en France et qui fait le plus grand honneur au capitaine Fortin, aux courageux officiers et aux vaillantes troupes qui le secondèrent si bravement.

Après avoir laissé à l’Ouest les ruines de l’ancien village de Toubacouta et franchi le marigot de Maka-Doua, nous gravissons le versant peu incliné de la colline sur laquelle s’élève le nouveau village de Toubacouta. Comme nous l’avons dit plus haut, nous sommes là dans le Sandougou. Je fus, du moins en apparence, bien reçu par les habitants de ce village désormais célèbre. J’eus pour logement une case vaste, spacieuse, carrée, bien aérée et ne ressemblant en rien aux cases que j’avais habitées jusqu’à ce jour. Je me rappelle encore combien grand fut mon étonnement et ma satisfaction de me voir ainsi logé et j’en témoignai au chef tout mon contentement.

Je n’ai pas besoin de dire qu’il me fit mille protestations d’amitié et de dévouement. On verra par ce qui suit que ses actes furent loin d’être en accord avec ses paroles. D’abord, contrairement aux usages de tous les pays noirs, il ne m’envoya rien pour mes repas, et ce ne fut que lorsque Sandia lui eût fait part de mon étonnement qu’il se décida à faire préparer du couscouss pour mes hommes que je lui payai comptant, bien entendu. Je puis dire qu’à part les villages Coniaguiés, où nous en fûmes réduits à la portion congrue, ce fut à Toubacouta que je fus le plus mal hébergé : aussi ma surprise fût-elle extrême quand il me montra une attestation de la mission de délimitation des possessions anglaises et françaises en Gambie, qui avait séjourné dans son village quelques mois auparavant, par laquelle le plus grand éloge était fait de la généreuse hospitalité qu’il leur avait offerte. Ce ne fut que dans la soirée qu’il revint à de meilleurs sentiments et qu’il vint m’offrir un mouton que je refusai impitoyablement.

La journée se passa sans autre incident qu’un violent orage accompagné d’une pluie diluvienne, et l’arrivée d’un envoyé de Guimmé-Mahmady, chef du Sandougou, qu’il avait chargé de venir me chercher là pour me conduire à Missira, sa résidence.

Pendant toute la nuit, la pluie tomba à torrents. Elle ne cessa que vers deux heures du matin, et nous pûmes au point du jour partir pour Missira. J’aurais été désolé d’être forcé de rester un jour de plus à Toubacouta. La réception qui m’y avait été faite était loin de m’y engager.

Le nouveau village de Toubacouta est situé à environ vingt-et-un kilomètres de Barocounda et à neuf kilomètres de la Gambie. Sa population, formée uniquement de Malinkés musulmans, est environ de six cents habitants. Il est bien construit, bien entretenu et d’une propreté remarquable pour un village noir. J’en fus littéralement charmé. Il est absolument ouvert et ne possède ni tata, ni sagné. Ses environs sont bien cultivés et il est entouré des lougans les mieux entretenus et des plus belles rizières de la région. Son troupeau est relativement nombreux et chaque propriétaire possède en quantité moutons, chèvres et poulets.

Toubacouta appartient aujourd’hui à l’Angleterre. Il est compris dans la zone de terrain que nous lui avons cédé par le traité du 10 août 1889.

Le marigot de Maka-Doua, qui forme la limite du Ouli à l’Ouest et le sépare du Sandougou, se jette dans la Gambie à la hauteur de Fatatenda. Il est formé par deux branches dont l’une, le Maka-Doua, proprement dit, passe entre les deux villages de Toubacouta l’ancien et le nouveau, et l’autre, le Douga-Kô, passe à Dalésilamé. Ses bords sont couverts de magnifiques rizières et de beaux lougans de mil et d’arachides.

De Sini à Toubacouta, la nature du sol change progressivement au fur et à mesure que nous descendons vers le Sud et que nous approchons des rives de la Gambie. Nous trouvons bien encore les argiles compactes aux environs de Sini et de Canapé. Elles apparaissent encore aux environs de Toubacouta et de Barocounda ; mais d’une façon générale, c’est la latérite qui domine dans toute cette région, et aux environs de la Gambie, les marais et les alluvions récentes. Aussi le terrain est-il là d’une richesse et d’une fertilité étonnantes. Les collines elles-mêmes que nous avons traversées sont excessivement boisées et le sol en est encore recouvert par une épaisse couche d’humus qui les rendent supérieurement fertiles. Les plateaux ferrugineux et rocheux ont presque complètement disparu. Parfaitement arrosés par de nombreux marigots qui débordent, chaque année, les environs des villages sont couverts de belles rizières. Le mil, arachides, maïs et toutes les autres plantes cultivées par les indigènes y prospèrent à merveille.

La flore y est plus belle que dans les régions plus septentrionales et les grandes espèces botaniques s’y développent d’une façon remarquable. N’tabas, Fromagers, Baobabs, Rôniers, grandes Légumineuses, etc., etc., y atteignent des proportions énormes. La brousse elle-même y est si vivace et y acquiert une hauteur telle, que, dans les sentiers, qui, dans ces régions, servent de route, cavaliers et chevaux disparaissent complètement sous la verdure.

Le Dougoura. — C’est dans cette région que j’ai vu les derniers spécimens d’un beau végétal que j’avais rencontré en abondance dans le Bondou, le Tiali, le Niéri et la région Nord-Ouest du Ouli. Les indigènes lui donnent le nom de « Dougoura ». C’est un bel arbre qui atteint des proportions énormes, et, qu’à la forme de sa graine, j’ai cru reconnaître appartenir à la famille des Térébinthacées. Son tronc volumineux, droit, élancé, s’élève parfois à six ou huit mètres de hauteur. Il émet à ce niveau des branches maîtresses énormes qui donnent elles-mêmes un grand nombre de rameaux. Son écorce est épaisse, profondément fendillée, et si on y pratique une incision intéressant toute son épaisseur, il en découle un suc blanc laiteux, épais et poissant les doigts et exhalant une odeur prononcée de térébenthine. Son bois est blanc, dur, et parfois les indigènes s’en servent pour fabriquer des mortiers à couscouss. Ses feuilles peu épaisses et peu touffues sont d’un vert tendre, luisantes, et leur forme rappelle un peu celle de l’Acacia de nos jardins. Je n’en ai jamais vu la fleur. Le fruit est des plus caractéristiques et permet de reconnaître de loin l’arbre qui le porte. Il croît à l’extrémité des jeunes rameaux. Sa forme et sa couleur rappellent celles du citron. Sa grosseur est celle du poing à peu près. Quand il est vert, il adhère fortement à la tige qui le porte. Il tombe à maturité complète et, sous les arbres, le sol en est parfois couvert, car il est excessivement abondant. Son épicarpe relativement épais laisse couler à l’incision une notable quantité de suc blanc semblable à celui que l’on obtient en incisant le tronc, mais plus fluide. La membrane qui le recouvre est mince, luisante et de la couleur d’une peau de citron arrivé à maturité. Le sarcocarpe est formé par une pulpe abondante d’un jaune clair dans laquelle sont noyées les graines qu’entoure un spermoderme membraneux peu résistant. Cette pulpe, très savoureuse, est fort appréciée des indigènes et nous nous en sommes fréquemment régalés. Les graines sont volumineuses. Chaque fruit en contient dix ou douze au maximum. Elles ont la forme d’une grosse fève dont les cotylédons énormes se séparent aisément. Elles sont entourées d’une enveloppe brune qui se détache aisément lorsqu’elles sont restées quelques heures à l’air et au soleil. L’embryon volumineux est très apparent par les deux cotylédons. C’est une Burséracée dont il n’a pas été possible de faire la détermination exacte à cause de l’absence des fleurs.

Ce fruit est très rafraîchissant et constitue une précieuse ressource pour les indigènes de ces régions qui, dans les temps de disette, en font une abondante consommation.


Ruisseau de Koromadji, frontière commune du Ouli et du Ferlo-Bondou (route de Naoudé à Tamba-Counda)


CHAPITRE III

Le Ouli. — Situation. — Limites. — Aspect général du pays. — Hydrologie. — Orographie. — Constitution géologique du sol. — Flore. — Productions du sol. — Cultures. — Faune. — Animaux domestiques. — Populations. — Ethnologie. — Rapports du chef du pays avec les différents villages. — Rapports du Ouli avec les autorités françaises. — Conclusions.

Le Ouli.Situation.Limites. — Le Ouli, comme tous les États Noirs, n’a pas de limites bien déterminées et n’a, pour ainsi dire, pas de frontières naturelles. Il n’y a qu’au Sud et au Sud-Ouest qu’elles soient, depuis peu, du reste, définitivement fixées. Toutefois, nous pouvons dire qu’il est à peu près compris entre les 12° 25′ et 16° 27 minutes de longitude ouest et les 13° 16′ et 13° 46′ de latitude Nord. Au Nord, il confine au Kalonkadougou ; à l’Ouest, au Sandougou ; au Sud, il est borné par la Gambie qui le sépare du Kantora. Au Nord-Est, il confine au Ferlo-Bondou et au Diaka. Enfin, à l’Est, il touche au Tenda. Si nous prenons sa ligne frontière à la Gambie, au Sud de Toubacouta, nous verrons qu’elle se dirige d’abord, du Sud-Est au Nord-Ouest, jusqu’au marigot de Maka-Doua qui le sépare du Sandougou. De là, elle se dirige directement au Nord jusqu’aux environs de Paquira. Elle passe là entre ce dernier village, qui est du Ouli, et Diabaké, qui est du Kalonkadougou. De là, elle se dirige au Sud-Est jusqu’au marigot de Kokiara, qui sépare le Ouli du Ferlo-Bondou. Les ruines de l’ancien village de Kokiara appartiennent au Ouli. En quittant ce point, la ligne frontière se dirige au S.-S.-O. jusqu’aux environs des ruines de Moundoundou qui sont au Ferlo-Bondou. Des ruines de Moundoundou, sa direction est Sud-Est jusqu’au marigot de Touloufa près de la mare de Pireté. De ce point, sa direction est franchement S.-S.-E. jusqu’à la Gambie, où elle aboutit. De là, à l’embouchure du marigot de Maka-Doua, la Gambie forme la frontière Sud du Ouli. Les limites que nous venons de donner sont celles que avons pu obtenir par renseignements ; mais, nous le répétons, elles n’ont rien de certain et ne peuvent être qu’approximatives.

Le Ouli, comme on le voit, est un pays assez étendu. Il mesure dans ses plus grandes dimensions, de l’Est, à l’Ouest, 130 km. et du Nord au Sud, 70 km. Ces mensurations, bien entendu, sont faites à vol d’oiseau et d’après renseignements. Elles n’ont donc rien d’absolument exact. On comprendra aisément, d’après ce qui précède, qu’il soit impossible de lui assigner une forme quelconque.

Description géographique.Aspect général. — Si l’on visite le Ouli, ou pourra reconnaître facilement que l’aspect du pays change presque brusquement du Nord au Sud. La partie Nord, environ jusqu’à Konjour, Sini, Nétéboulou, appartient à cette sorte de zone intermédiaire entre les pays arides, les steppes de la Sénégambie et les pays de forêts des régions tropicales qu’arrosent les rivières du Sud. La partie Sud qui s’étendrait depuis la ligne mentionnée plus haut jusqu’à la Gambie appartient absolument à la région tropicale du Sud. Du reste, ces différences apparaîtront plus frappantes encore, lorsque nous traiterons de la géologie et de la flore du pays. Quoiqu’il en soit, l’aspect général du Ouli diffère absolument de celui des autres pays du Soudan français. On s’aperçoit rapidement que l’on parcourt une région fertile, et l’on n’éprouve pas cette pénible sensation que nous donnent les solitudes arides et désolées des environs de Badumbé et du Fouladougou, par exemple. Nulle part, dans le Ouli, on ne trouve de ces collines nues et stériles, comme on en voit aux environs de Kita, Koundou et même Bammako. En tout temps, celles du Ouli, surtout dans le Sud, sont couvertes d’une puissante végétation qui plaît à l’œil du voyageur et le repose. Tout autre est l’aspect du pays compris entre le Kokiara, Tambacounda, Nétéboulou, Dialakoto et la Gambie. Cette partie du Ouli, absolument déserte et inhabitée, rappelle les environs du Tankisso et de Siguiri. C’est la brousse absolue, dans toute l’acception du mot, et sur les bords de la Gambie le marais infect et pestilentiel. C’est la région des grandes solitudes Soudaniennes, le pays qu’habitent de préférence les éléphants et le sanglier. Ce sont les territoires des grandes chasses des gens du Tenda.

Bords de la Gambie (entre Dialacoto et Nétéboulou).

Hydrologie. — A ce point de vue, le Ouli tout entier appartient au bassin de la Gambie. Ce fleuve, qui forme la frontière sud, reçoit tous les marigots qui arrosent le Ouli. Presque tous ont de l’eau pendant l’année entière, plus ou moins croupissante, mais enfin, ils en ont. Pendant l’hivernage, le fleuve et les marigots débordent et l’inondation couvre de très grandes étendues de terrain. Les eaux, en se retirant, laissent déposer un limon très fertile où les indigènes, à la fin de la saison sèche, font leurs plus belles rizières. Quoiqu’il en soit, l’inondation n’atteint jamais une hauteur considérable, 20 à 30 centimètres au plus. Cela tient à ce que le fleuve et les marigots sont profondément encaissés.

De Dialacoto au marigot de Maka-Doua, la Gambie a un cours, excessivement sinueux. Elle se dirige d’abord d’une façon générale du Sud-Est au Nord-Ouest, jusqu’au marigot de Bira-Kô. Elle reçoit dans ce parcours deux marigots : le Niéri-Kô et le Bira-Kô.

Le Niéri-Kô est, après le Sandougou, le plus important de la région. C’est une véritable rivière. Dans le Ouli, il ne reçoit que le Touloufa-Kô non loin duquel se trouve le petit village de Dialacoto. A 25 kilomètres environ au Nord-Ouest du Niéri se jette le Bira-Kô, marigot de peu d’importance.

Du Bira-Kô, la Gambie se dirige au Sud-Ouest puis brusquement au Nord-Ouest jusqu’au Faraba-Kô, formant ainsi un vaste coude qui embrasse toute la partie Est du Ouli qui est inhabitée.

Durant ce parcours, elle reçoit, dans la partie ascendante du coude, deux petits marigots qui lui apportent les eaux d’un lac d’assez grande étendue qui se trouve non loin de là. Quelques kilomètres plus loin, elle reçoit le Niaoulé-Kô, enfin l’embouchure du Faraba-Kô se trouve dans la partie la plus septentrionale de la branche ascendante du coude. Cet important marigot reçoit dans le Ouli, le marigot de Faratatoto, qui passe a Tambacounda, le marigot de Kokiara et celui d’Idakoto. Ces deux derniers communiquent également avec le Sandougou ou Badiara-Kô. Le Faraba-Kô reçoit encore le Godjieil-Kô, dont un petit affluent, le marigot de Naoudé, passe à Naoudé dans le Ferlo-Bondou, et communique aussi avec le Sandougou.

Du Faraba-Kô au Maka-Doua, la direction générale de la Gambie, abstraction faite des nombreux méandres que présente son cours, est Est-Ouest. Depuis Dialacoto jusqu’au Faraba-Kô, aucun village ne s’élève ni sur l’une ni sur l’autre de ses rives. Après avoir reçu un petit marigot, le Coumba-Kondou-Kô, le fleuve est à quelques kilomètres en amont de Yabouteguenda absolument barré par un banc de roches d’environ une centaine de mètres de largeur. Ce banc s’étend presque d’une rive à l’autre, ne laissant le long de la rive gauche qu’un étroit chenal d’environ 15 mètres de largeur. L’eau coule avec fracas entre les roches. Pendant l’hivernage, il est recouvert par les eaux, et, pendant la saison sèche, les roches sont à nu, et, entre elles croissent des arbustes, comme il en croît dans les barrages du Sénégal. En tout temps, malgré la rapidité du courant, pirogues et chalands à fond plat peuvent le franchir ; mais la navigation y est de tout temps impossible pour les bateaux calant plus de 0 m. 50 c. Il se nomme le barrage de Kokonko-Taloto.

A environ un kilomètre du barrage de Kokonko-Taloto la Gambie reçoit le marigot de Nétéboulou, sur les bords duquel est construit le village de même nom. Ce marigot est navigable, en toute saison, jusqu’à Genoto, à 5 kilomètres de Nétéboulou, où se trouvait autrefois un petit village de traitants qui fut détruit pendant la guerre du marabout Mahmadou-Lamine. On en voit encore les ruines aujourd’hui. A 7 ou 8 kilomètres de là se jette le Bakanan-Kô dont une des branches passe à Sini et l’autre à Makadian-Counda.

A 15 kilomètres environ du barrage de Kokonko-Taloto, en aval, se trouve le petit village de traite de Yabouteguenda, non loin duquel s’élève celui de Fatoto. A 25 kilomètres en aval de ce dernier la Gambie reçoit le marigot de Bouboulalo, qui passe à Badia-Counda, et dont un des affluents, le Sinadiassa-Kô, passe à Bambako. Enfin, à la hauteur de Fatatenda, dans la direction de Toubacouta, se jette le marigot de Maka-Doua, qui sépare le Ouli du Sandougou et dont une des branches, le Douga-Kô, passe à Dalésilamé. Comme on le voit, la partie Sud du Ouli est abondamment arrosée, surtout à partir de Nétéboulou. Aussi est-elle excessivement fertile.

La partie Nord est bien moins arrosée. On n’y trouve que le Sandougou ou Badiara-Kô, qui est encore bien faible dans cette région. Sa branche principale passe à Koussanar et il reçoit un grand nombre de petits affluents insignifiants qui n’ont même pas reçu de noms particuliers.

Nous serions incomplets, si nous ne mentionnions pas les nombreuses mares qui se trouvent dans le Ouli et sur toutes les routes. Nous ne citerons que les plus, importantes : la mare de Sounkou et la mare de Diadala dans la partie Est, la mare de Bambi dans la partie Nord, les mares de Naumicoi et de Dalaba-Tiamoye dans la partie Sud. L’eau de ces mares peut être utilisée pendant la saison sèche, bien qu’elle ne soit pas d’une qualité supérieure.

Dans les villages situés sur les bords du fleuve, c’est son eau qui sert aux usages journaliers. Elle est absolument excellente. Il en est de même dans certains villages situés près des marigots, bien que souvent leur eau laisse beaucoup à désirer. Enfin, dans beaucoup de villages, et c’est la majorité, on se sert de l’eau de puits. Ces puits, excessivement profonds dans le Nord, le sont moins dans le Sud. L’eau en est très bonne. Nous traiterons plus longuement cette question dans le chapitre qui aura pour objet la constitution géologique du sol du Oubi.

Orographie. — Le Ouli ne possède pas, à proprement parler, de système orographique véritable et bien défini. On y rencontre, par-ci par-là, des reliefs de terrain peu accentués, des collines de peu d’élévation, mais rien de bien caractérisé, surtout au Nord. Aux environs de Koussanar, notamment, se trouvent des collines de peu d’étendue, huit à dix kilomètres au plus, renfermant de belles vallées. Cependant, pour mettre un peu de méthode dans la description orographique de ce pays, on peut admettre, à la rigueur, l’existence de trois plateaux bien distincts dont se détachent les collines principales qui sillonnent le Ouli.

1o Le plateau de Tamba-Counda, peu élevé, 100 à 150 mètres au maximum au-dessus de la plaine, et d’où se détachent : 1o deux rangées parallèles de collines se dirigeant vers Licounda et Barocounda. Le Sandougou coule dans la vallée qui les sépare ; 2o une colline plus élevée se dirigeant vers le Sud, d’une longueur de huit kilomètres environ ; 3o une série de collines plus élevées entre lesquelles coule le Godjieil-Kô et se dirigeant vers l’Est. Entre ces deux séries de collines, on trouve le marigot de Tambacounda ou de Faratatoto. Toutes ces collines sont peu élevées. Ce sont à peine de petits reliefs de terrain.

2o Le plateau de Nétéboulou, d’où partent deux rangées de collines se dirigeant vers le Sud et entre lesquelles on trouve le marigot de Nétéboulou. Au Sud, l’horizon est borné par les collines qui longent à peu de distance la Gambie. La plaine marécageuse du Genoto sépare le plateau de Nétéboulou de celui de Sini.

3o Le plateau de Sini, le plus important des trois, pourrait, à la rigueur, être considéré comme la clef du système orographique du Ouli. Ce plateau a environ 10 kilomètres de long sur 8 de large. Sa plus grande dimension est de l’Est à l’Ouest et sa plus petite du Nord au Sud. Il commence, à l’Ouest, à environ trois kilomètres du village et se termine, à l’Est, à la plaine de Genoto. De ce plateau, partent deux séries de collines : la première, qui se dirige vers le Sud-Est, vient se terminer au Bouboulalo-Kô, la seconde, qui se dirige au Sud d’abord jusqu’aux environs de Passamassi, se dirige ensuite vers l’Ouest en suivant la Gambie jusqu’aux environs de Sameteguenda (rive gauche). De là, elle remonte vers le Nord pour se terminer aux environs de Soutouko.

Outre ces trois grandes divisions orographiques, on trouve encore dans le Ouli bon nombre de petites collines de huit à dix kilomètres de longueur et qui ne font partie d’aucun de ces systèmes. Nous citerons celles qui s’étendent entre le Sina-Diassa-Kô et le Bouboulalo-Kô, et celles qui sont situées aux environs de Goundiourou, Boukari-Counda et sur la route de Tambacounda à Nétéboulou, au Nord de ce dernier village.

L’orographie de la partie Est du Ouli est des plus simples. Quelques collines isolées entourent Dialacoto. Une chaîne peu importante longe la Gambie dans le grand coude qu’elle fait entre le Bira-Kô et Faraba-Kô.

En résumé, le Ouli est plutôt un pays plat, de plaines, qu’un pays montagneux. Il n’y a guère que sa partie Sud-Ouest, comme nous l’avons vu, qui présente des reliefs de terrain de quelque importance. A l’Est, à part la chaîne qui longe la Gambie, nous ne trouvons qu’une immense plaine de plus de soixante kilomètres de longueur sur trente environ de largeur et qui n’est coupée par aucune hauteur qui mérite d’être signalée.

Ces collines sont, en général, peu élevées. Leurs plus grandes hauteurs n’atteignent pas 175 mètres. Elles sont excessivement boisées mais non cultivées. Leurs flancs présentent généralement une pente assez raide d’où toute terre végétale est entraînée dans la plaine par les pluies torrentielles de l’hivernage. Aussi le sol en est-il profondément raviné, et la roche se montre-t-elle à nu presque partout.

Constitution géologique du sol. — La constitution géologique du sol du Ouli diffère sensiblement dans la partie Nord, la partie Sud et la partie Est. Toute la partie Est est formée d’un sous-sol de terrain ardoisier dont les quartz et les schistes sont les roches principales. La croûte terrestre est formée d’argiles compactes et d’alluvions anciennes que recouvre un sable fin et blanc en certains endroits, sable qui est le résultat de la désagrégation des roches. Les collines y sont formées surtout de grès, quartz et conglomérats ferrugineux.

Les parties Nord et Nord-ouest présentent une constitution mixte. Là, on trouve, en effet, les argiles compactes alternant avec la latérite. Cette dernière, qui n’est qu’une argile durcie et dense d’une couleur rouge brique, renferme des cristaux de quartz et donne une terre d’une merveilleuse fertilité. Le sous-sol est formé de terrain ardoisier en certains endroits. En d’autres, ce sont les quartz et les terrains ferrugineux qui dominent. C’est surtout aux environs de Tambacounda, Nétéboulou, Sini, Goundiourou, Koussanar, qu’apparaît la latérite. Le plateau de Sini en est presque uniquement formé.

Les parties Sud et Sud-Ouest présentent une toute autre constitution. Là, en effet, nous ne trouvons plus que de rares ilots d’argiles compactes. C’est la latérite qui domine presque partout. Aux environs des marigots nous trouvons quelques marais dont le sol est formé d’argiles compactes que recouvre une couche relativement épaisse d’alluvions anciennes et récentes. Ces marais sont tous excessivement fertiles.

Dans tout le Ouli, enfin, la roche se montre à nu en certains endroits et constitue des plateaux plus ou moins étendus absolument nus et stériles. Par places, ces plateaux, en général formés de grès, quartz et roches ferrugineuses, constituent de véritables cuvettes, qui, remplies d’eau par les pluies d’hivernage, se transforment en mares dont quelques-unes sont encore relativement profondes.

Nous avons dit plus haut que les puits des villages du Ouli étaient très profonds dans la partie Nord et qu’ils l’étaient moins dans la partie Sud. Dans la partie Nord, à Koussanar et à Goundiourou notamment, nous en avons vu qui mesuraient jusqu’à quarante mètres de profondeur. Cela nous a permis de constater quels étaient les différents terrains qui formaient le sol de cette partie du Ouli. Nous avons pu ainsi constater la disposition suivante : 1o couche de sables très fins ; 2o couche de latérite (elle fait souvent défaut) ; 3o argiles compactes ; 4o terrain ardoisier (quartz, schistes, roches ferrugineuses) ; 5o couche de sables non constante et enfin la masse d’eau souterraine reposant sur la roche (rare) ou les argiles. L’eau de ces puits est d’excellente qualité. Cela tient à ce qu’elle a, en général, filtré entre les couches de sables profondes.

L’eau des puits de la région Sud et de la région Sud-Est est moins bonne. Disons tout d’abord qu’on la trouve à une profondeur moins grande, 12 à 15 mètres environ. Là, la disposition des couches varie un peu. Nous trouvons, en effet : 1o une première couche de latérite que recouvre parfois une couche assez épaisse d’humus ; 2o couche rocheuse formée de grès et de quartz, et, en quelques endroits très rares, de gneiss ; 3o couche d’argiles ; 4o couche de sables non constante et toujours peu épaisse ; 5o enfin une couche d’argiles limoneuses sur laquelle repose la masse d’eau souterraine. Il résulte de ces dispositions que l’eau de ces puits a souvent un aspect blanchâtre et un goût terreux très prononcé. Malgré cela, bouillie et filtrée, elle est encore potable. Comme on le voit par la description qui précède, le sol du Ouli appartient au système géologique du Ferlo et du Bondou dans le Nord. Au Sud, c’est le commencement des terrains que nous retrouverons dans le Sandougou et le Ouli.

Sol.Production du sol.Cultures. — La constitution géologique du sol nous apprend quelle doit être la flore du Ouli. En effet, au Nord, nous ne trouvons, ainsi qu’à l’Est, que des essences absolument rachitiques. Seuls, à l’Est, les bords de la Gambie sont couverts d’une belle végétation. Mais c’est à peine si elle s’étend à quelques centaines de mètres du fleuve. Pas de futaies, on dirait que le sol n’est pas assez fort pour nourrir ce qui vit à sa surface. Arbres tordus, aux formes bizarres, étranges, herbes maigres, minces, ténues, brûlées par le soleil avant d’être arrivées à leur complet développement, tel est l’aspect que présentent ces deux parties du Ouli. Au Nord, les Acacias, les Mimosées abondent. C’est avec quelques Ficus tout ce que nous trouvons de plus important à signaler. Nous retrouvons absolument la flore pauvre du Bondou.

A mesure que nous avançons dans le Sud, elle se modifie profondément, et, déjà, aux environs de Goundiourou et de Siouoro, nous voyons apparaître des végétaux d’une taille plus élevée. On rencontre quelques rares Caïl-Cédrats[10] et quelques belles Légumineuses ; mais il faut arriver jusqu’à Sini pour voir se développer la belle flore des tropiques. Déjà aux environs de ce village, nous trouvons quelques beaux Ficus, et à Sini même, dans la cour du chef, se dresse un superbe N’taba (Sterculiacée). A partir de Sini, la végétation devient de plus en plus puissante, Caïl-Cédrats, N’tabas, Ficus, Bambous gigantesques, Légumineuses énormes y viennent à merveille, et lorsque l’on arrive sur les bords de la Gambie, on est stupéfait en voyant les dimensions que prennent les végétaux qui y croissent. En résumé, la flore du Ouli tient à la fois de celle de la région des steppes Sénégambiennes et Soudaniennes et de celle des régions tropicales des rivières du Sud.

Les productions du sol, dans de semblables conditions, doivent varier considérablement. Dans les régions du Nord et de l’Est, à part Tambacounda, Licounda et Goundiourou, le reste du pays est peu cultivé. La région Est est absolument inhabitée, stérile et inculte. Les villages du Nord sont entourés de lougans de mil[11]. Les variétés qui ne demandent que des terres faibles y sont surtout cultivées. Outre le mil, nous y rencontrons encore le maïs, mais en petites quantités, enfin quelques rares lougans d’arachides, bordés par de nombreux pieds d’oseille indigène. Dans les petits jardins qui entourent les villages, se trouvent de belles plantations de tabac, de tomates indigènes. Mentionnons aussi quelques lougans de coton. — Autrement plus riches sont les cultures dans la région du Sud. Lougans immenses de mil, d’arachides[12] se rencontrent à chaque instant. Les variétés de mil les plus riches y sont cultivées surtout aux environs des villages Peulhs. Les arachides y abondent et sont très estimées dans le commerce. Le coton forme un des principaux produits du pays et on en récolte assez pour que les tisserands soient occupés, toute l’année, à fabriquer ces petites bandes d’étoffes qui, dans ces régions, servent de monnaie pour les transactions commerciales. Citons encore le maïs, en général peu cultivé, enfin le riz dont les plantations commencent à apparaître à Tambacounda et à Nétéboulou, mais qui n’a pas encore l’importance que nous lui verrons dans le Sandougou. Autour des villages, on cultive du tabac, tomates, gombos[13], oseille, et Cucurbitacées les plus variées, diabérés, oussos, indigo, etc., etc. Comme on le voit, les cultures sont assez variées dans le Sud du Ouli ; mais la production n’est pas encore ce qu’elle pourrait être. Cela tient à ce que là, comme partout ailleurs, au Soudan, le noir est esclave de la routine et des préjugés superstitieux de sa race. Aussi est-ce toujours, malgré tout ce que l’on peut dire, les mêmes procédés tout à fait primitifs et absolument insuffisants, qu’ils emploient.

Faune.Animaux domestiques. — La faune est moins riche que dans bien d’autres parties du Soudan. A l’Est, dans cette partie du Ouli déserte qui confine au Tenda, on trouve l’éléphant assez fréquent. Seules les populations du Tenda se livrent à sa chasse, qui est assez fructueuse. Ils mangent sa chair et échangent les défenses d’un ivoire très fin et d’excellente qualité, contre le sel, les kolas, étoffes, etc., etc., qu’ils trouvent soit à Mac-Carthy, soit à Bathurst. Le sanglier y est très abondant, mais on ne le chasse pas. Les habitants, étant musulmans pour la plupart, ne mangent pas sa chair. Dans le fleuve et les marigots, les hippopotames vivent en grand nombre. Ils sont également l’objet d’une chasse suivie. Les habitants en mangent la chair et vendent les défenses. Dans les autres parties du Ouli, on rencontre parmi les carnassiers : le guépard, le lynx, le chat-tigre. Parmi les animaux, nous citerons la gazelle, la biche, le singe vert, le rat Daman et quelques rares Hyrax. L’antilope fait absolument défaut. — Mentionnons enfin une grande variété d’oiseaux de toutes sortes aux plumages les plus variés et les plus colorés. La perdrix grise, l’outarde, la tourterelle, le pigeon, la caille de Barbarie sont les principaux oiseaux que l’on y peut chasser pour leur chair : elle est assez bonne.

Les animaux domestiques y sont relativement nombreux et l’objet de soins particuliers. Les Ouolofs et les Peulhs élèvent une grande quantité de bœufs, petits mais de bonne qualité. Le Malinké, proprement dit, n’en élève que fort peu. Je n’ai jamais pu savoir pourquoi. « Ils ne savent pas faire », disent-ils. Par contre, on trouve dans leurs villages, en grande quantité, chèvres, moutons etc., etc. Les poulets abondent dans toutes les régions et il est même quelques villages qui élèvent quelques canards de Barbarie. Les chiens sont très nombreux. Dans tous les villages, ce sont les agents les plus actifs de la voirie. Les chats sont en bien plus petit nombre. Le noir, en général, n’aime pas cet animal.

Populations.Ethnologie. — Le Ouli est loin d’être aussi peuplé que le voudrait son étendue. Cela tient à la fois aux guerres antérieures qu’il a eu à soutenir contre les Sissibes du Bondou, à sa mauvaise administration et à la passion qu’ont pour les captifs les Malinkés qui le gouvernent. Il est habité par des Malinkés proprement dits, des Malinkés Musulmans, des Ouolofs, des Peulhs et des Sarracolés. Le territoire appartient aux Malinkés. Sa population peut s’élever au grand maximum à dix mille habitants environ, soit deux habitants par kilomètre carré.

1o Malinkés proprement dits. — Si l’on en croit la légende, les premiers Malinkés qui habitèrent le Ouli y vinrent à la suite de Siré-Birama-Birété, l’un des lieutenants de Soun-Djatta, le grand héros du Manding. Cette première invasion se perd dans la nuit des temps, et il nous est impossible de lui assigner une date quelconque. Ils quittèrent les bords du Niger et vinrent se fixer dans cette partie du Soudan dont ils avaient entendu vanter la fertilité et la richesse en gibier. On ne trouve plus trace dans le pays de ces premiers colons et tout porte à croire qu’ils en ont été chassés par les Malinkés qui s’y trouvent maintenant et qu’ils franchirent la Gambie pour aller se fixer dans le Ghabou, aujourd’hui Fouladougou, d’où les chassèrent dans cette seconde partie du siècle les Peulhs de Moussa-Molo et de son père. La seconde migration Malinkée est de date plus récente. Elle eut lieu à la suite des guerres perpétuelles que leur faisaient les almamys du Bondou. Les Ouali ou Oualiabés, les chefs actuels du pays, habitaient autrefois le Bondou sur les deux rives de la Falémé aux environs des villages actuels de Tomboura et de Sansandig. Continuellement en butte aux attaques des Almamys, qui, sous prétexte de religion, les pillaient et les rançonnaient sans merci, ils émigrèrent en masse et un beau jour vinrent se fixer avec plusieurs autres familles dans le Ouli, d’où ils chassèrent les premiers habitants. Ils sont depuis restés les maîtres du pays. Autour d’eux, vinrent dans la suite se fixer d’autres familles qui émigrèrent du Bambouck. C’est ainsi que dans le Ouli, outre les Oualiabés, nous trouvons des Camaras, des Damfas, des Bamés, N’Dao, Nanki, Guilé, Néri, Diata. Ces derniers habitaient jadis les bords de la Falémé, au village de Kakoulou. Paté-gaye, fils de l’almamy Maka-Guiba du Bondou vint un beau jour sans aucun motif attaquer leur village et s’en empara. Ceux des habitants qui échappèrent au massacre ou ne furent pas faits captifs quittèrent le pays et vinrent fonder le village de Tambacounda. Quand ils arrivèrent dans le pays, ils ne trouvèrent là qu’une seule case, un seul captif qui y faisait ses lougans. Ils lui demandèrent l’hospitalité et ainsi s’éleva le village de Tambacounda du nom du captif qui les avait recueillis. Counda en Mandingue du sud signifie village : Donc, Tambacounda veut dire : « village de Tamba ». Ces Malinkés sont encore appelés Contoucobés ; mais leur nom véritable est Diata. La plupart des familles qui vinrent dans le Ouli, à la suite des Oualiabés, habitent actuellement les mêmes villages et se sont presque fondues entre elles. D’autres, au contraire, et c’est le petit nombre, ont formé des villages particuliers. Voici, du reste, les noms des villages Malinkés proprement dits du Ouli avec les noms des familles qui les habitent.

  • Sini (Oualiabés), résidence actuelle du chef du pays, est aussi appelé par les habitants Sansanto.
  • Siouoro (Oualiabés).
  • Makadian-Counda (Oualiabés).
  • Bokari-Counda (village de captifs appartenant au chef du Ouli, Massa-Ouli).
  • Licounda (Oualiabès).
  • Colondine (Oualiabès).
  • Tambacounda (Diata ou Contoucobès).
  • Kotiaré (N’Dao).
  • Coumbidian (Camara).
  • Koussanar (Camara).
  • Sané (Camara).

Plusieurs villages de Malinkés, proprement dits, sont actuellement en ruines et inhabités. Les habitants sont allés se fixer dans les autres villages. Ce sont :

  • Fafidgi, Bambako, Kankadi, Niani, Medina.

Les Malinkés du Ouli sont ce que nous les avons toujours vus partout : sales, puants, dégoûtants, fainéants et ivrognes. Ils n’ont qu’une pensée, qu’un but, ne rien faire et s’enivrer. Aussi, pour atteindre ce but, ne cherchent-ils qu’une chose, avoir, par tous les moyens possibles, assez de captifs pour faire cultiver leurs lougans. Je ne crois pas exagérer en disant, qu’à part les grandes familles, les autres sont plus ou moins captifs les unes les autres. Avant qu’ils soient soumis à notre autorité c’étaient des pillards de première classe. Tambacounda avait, sous ce rapport, une célèbre réputation. Le malheureux dioula qui s’y aventurait y était toujours dévalisé et souvent roué de coups. Depuis qu’ils nous obéissent, la sécurité règne dans le pays.

Les villages sont mal entretenus et tombent en ruines. Toujours, par paresse, les tatas ne sont plus que des décombres. Ils sont, du reste, devenus inutiles depuis notre occupation. Les rues des villages sont absolument dégoûtantes, et, si les chiens ne se chargeaient pas de les nettoyer, ce serait partout une véritable infection. Il y a sous ce rapport beaucoup à faire. En résumé, le Malinké est fort peu intéressant quand on l’étudie chez lui.

2o Malinkés musulmans. — Outre les Malinkés dont nous venons de parler, il en est d’autres que l’on désigne sous le nom de « Marabouts » parce qu’ils pratiquent la religion de l’Islam. Sont-ce bien des Malinkés convertis simplement à la religion du prophète ? nous en doutons ? Ils n’ont absolument rien du Malinké, ni les mœurs, ni les habitudes, ni même la saleté. Leurs traits sont fins et rappellent ceux du Peulh ou du Toucouleur. Ils n’ont rien du visage simiesque du Malinké. En outre, leurs villages sont plus propres, mieux entretenus et diffèrent absolument de ceux des Malinkés proprement dits. Sont-ce des Mandingues, des représentants de la race mère. Nous ne le croyons pas davantage. Nous serions plutôt portés à admettre que ce sont des métis Toucouleurs et Malinkés. Tout semblerait le prouver. Ce sont des musulmans fanatiques, comme le Toucouleur dont ils portent le costume. Ils sont fins et rusés et affectent dans leurs vêtements une grande propreté.

Nous ne faisons là, du reste, qu’une simple supposition. Ils ont des origines si diverses qu’il est bien difficile de préciser leur histoire. Ils forment, en effet, une population fort hétérogène, venue de différents pays du Soudan. D’après les renseignements que nous avons pu recueillir ce seraient des dioulas venus du Manding, du Bambouck ou d’ailleurs et qui, ayant fait fortune, se seraient fixés dans le pays, attirés par sa fertilité, et y auraient ainsi fondé les villages qu’ils habitent aujourd’hui. Voici les noms de ces villages avec indication des familles et pays d’origine :

Nétéboulou. (Sinatés-Niagatés) Guidioumé.
Passamassi (Baio) Bambouck.
Soutouko (Diabaio) Bambouck.
Badia-Counda (Badia) Manding.
Dalésilamé (Cammagatés) Manding.
Limbanboulou (Diakankés) Diaka.
Baro-Counda (Baro) Bambouck.
Medina-Couta (Camara) Bambouck.
Piraï (Camara) Bambouck.
Samé (Camara) Bambouck.
Kérouané (Baio) Bambouck.
Soutouko-Niacoué (Badia) Manding.
Biroufou (Dabo) Bambouck.
Fodé-Counda (Sinatés-Niagatés) Guidioumé.
Dassalam (Cammagatés) Manding.

Pendant la guerre contre le marabout Mahmadou-Lamine, beaucoup d’entre eux prirent parti pour lui, et, après sa défaite, ne revinrent pas dans le pays. D’autres, au contraire, s’enfuirent à son approche, et disparurent également. Il en est résulté que l’on rencontre surtout dans le Sud du Ouli quantité de villages en ruines qui même ne tarderont pas à disparaître complètement. Voici les noms des principaux de ces villages.

Mamacoto Mountogou Makadian-Counda.
Canapé Boutoundi Dougoutabassi.
Morecounda Soumacounda Dembaboulou.
Sabouciré Kouakan Fadiga-Counda.

Ces musulmans jouissent dans le Ouli d’une liberté absolue. Ils obéissent au chef Malinké, dont ils reconnaissent l’autorité qui ne se fait jamais beaucoup sentir, du reste. Ils cultivent en paix, et, entre temps, font du commerce.

Il existe aussi dans le Ouli deux villages de Diakankés. Ce sont : Dialacoto, le seul village de la partie Est, et Limbanboulou. Dialacoto, à vrai dire, vu son éloignement, ne fait partie que nominativement du Ouli. Ses affaires sont dans le Tenda, plutôt. Une partie de sa population se compose de Malinkés, proprement dits. Les Diakankés sont de fougueux musulmans. Ils vivent tranquilles dans leur village et un peu à l’écart de leurs voisins.

3o Ouolofs. — Ils sont désignés par les Malinkés sous le nom de Sourouaou. Venus du Saloum et du Bondou, ils ont fondé dans le Ouli plusieurs villages remarquables par les belles cultures qui les entourent. Ils sont musulmans, mais, en général, peu pratiquants. Chassés du Saloum par la guerre et du Bondou par les exactions des Almamys, ils vivent en paix dans le Ouli, nullement tracassés par les maîtres du pays. Ce sont avec les Peulhs, les grands agriculteurs de cette région. Ils n’ont que fort peu de captifs et font tout par eux-mêmes. Aussi leurs lougans sont-ils les plus beaux que nous ayons vus. Ils élèvent aussi beaucoup de bœufs, moutons et chèvres.

Leurs villages, comme ceux des Ouolofs des autres pays, sont construits en paille, tiges de mil ou bambous jointifs. Ils sont aussi sales et aussi mal entretenus que ceux des Malinkés. Je fais toutefois une exception pour Goundiourou, qui m’a paru propre et en bon état. Voici les noms des villages Ouolofs du Ouli.

Tatoto Goundiourou Ahmady-Faali-Counda
N’Dokkar Passi Diaecounda Diabaké.

Nous ne saurions trop les favoriser, car ce sont des gens paisibles et travailleurs, ce qui est rare dans ce pays, où la fainéantise est à l’ordre du jour.

4o Sarracolés. — Trois villages de Sarracolés venus du Bondou pour les mêmes motifs qui en ont fait partir les Ouolofs, s’élèvent non loin d’autres villages. Ce sont : Goundiourou, près des Ouolofs ; Dalésilamé, près d’un village Malinké musulman du même nom ; Badiaga-Counda, près du village Malinké qui se nomme ainsi. Musulmans, comme leurs voisins, les Sarracolés vivent en bonne intelligence avec eux et cultivent paisiblement leurs champs de mil et d’arachides. Ils ne font pas parler d’eux, ce qui est une bonne note pour un village noir ; car lorsqu’il fait parler de lui, ce ne peut être qu’en mal.

5o Peulhs. — Les Peulhs du Ouli sont relativement très nombreux. Ils y vivent depuis que les Malinkés s’y sont établis, et sous leur protection, qu’ils paient peut-être un peu cher, comme nous le verrons plus loin. Ils n’ont aucune religion et s’enivrent comme de véritables Malinkés. D’où sont-ils venus ? on n’en sait trop rien. Cependant voici une version qui m’a été donnée et qui pourrait bien être la bonne surtout en ce qui concerne les dernières migrations Peulhes dans le Ouli.

Lorsque le père de Moussa-Molo, le chef actuel du Fouladougou, Alpha-Molo, vint dans le pays pour en faire la conquête, son armée était presque uniquement composée de Peulhs venus de partout se joindre à lui. C’est avec eux qu’il conquit le Ghabou et en chassa les Malinkés qui se réfugièrent dans le Sandougou, le Niani, le Damentan, le Bassaré et le Coniaguié. A leur place, il installa ses Peulhs et donna au pays le nom de Fouladougou (Pays Peulh) qu’il a conservé depuis. Mais, peu après, n’ayant plus les Malinkés à piller, il pressura ses propres sujets. Alors commença vers le Niani, le Ouli et le Sandougou, cette émigration Peulhe qui n’a fait que continuer depuis que Moussa-Molo a succédé à son père et s’est livré aux mêmes rapines et aux mêmes exactions. Ce serait alors que les Peulhs de Fouladougou vinrent se fixer dans le Ouli, il y a une soixantaine d’années environ. Les Malinkés leur donnèrent l’hospitalité ; mais ils la leur font payer en les pressurant encore plus que Moussa-Molo.

Ils ont fondé dans le Ouli un grand nombre de villages de culture entourés de beaux lougans. Le Peulh est comme le Ouolof, il n’a pas ou peu de captifs et fait ses travaux lui-même. Leurs villages sont en paille, provisoires, car il aime le changement et ne construit jamais d’une façon définitive. Ils élèvent quantité de bœufs et sont une véritable richesse pour le pays. Le Peulh est aussi sale et aussi puant que le Malinké, mais il est excessivement travailleur, dans le Ouli, du moins, qualité qui manque absolument à ce dernier. Voici les noms des villages Peulhs du Ouli.

Canapé Saré n’dougo Tiamoye.
Passamassi Marosouto Saré-Dialloubé.
Suo-counda Koursacoto Sara-Dadoa.
Ilo-counda Demou-counda Collinkan.
Gelaio-counda Codiara-counda Farato.
Tabandi Coumbali Boro.
Candé-counda Ouro-Sara-dado

Situation et organisation politiques. — La famille des Oualiabés est, avons-nous dit, la famille régnante du Ouli. Le chef porte le titre de Massa et ses fils prennent le nom de Massara (fils du Massa). Le sol du pays est sa propriété et les habitants ne sont, pour ainsi dire, que des usufruitiers. Avant notre arrivée, il pouvait disposer de leurs biens à sa guise, et même les chasser, s’il le voulait.

Comme on le voit, c’était l’absolutisme dans toute l’acception du mot. Aujourd’hui, il n’en est pas ainsi. Malgré cette apparence de pouvoir, disons de suite que l’autorité du Massa est absolument nulle et que l’on ne trouverait pas dans tout le Ouli un seul captif qui lui obéisse.

L’ordre de succession se fait par ligne collatérale. Aussi les Massas sont-ils des vieillards abrutis, ivrognes et sans énergie. On comprend ce que doit être l’autorité entre pareilles mains. Les fils, les frères, les cousins, etc., etc., du chef en profitent pour commettre mille et mille exactions qu’ils savent parfaitement devoir rester impunies. En réalité, l’autorité du Massa se borne simplement à juger les affaires entre particuliers et entre villages. C’est un juge plutôt qu’un chef véritable. Mais il ne juge pas en dernier ressort, au dessus de lui se trouve le commandant du cercle et le gouverneur.

Chaque village s’administre lui-même et comme bon lui semble. Le chef est maître dans son village. Il n’existe aucun impôt et le Massa n’en peut exiger aucun. Il n’y a que les Peulhs qui soient absolument surchargés de redevances, non par le chef, mais par les membres de sa famille. Bœufs, mil, arachides, chaque jour on leur demande quelque chose, et de telle façon qu’on leur fait comprendre qu’on le prendra, s’ils ne le donnent pas. Je me suis toujours demandé pourquoi les habitants des pays Malinkés regardaient les Peulhs qui habitaient leur territoire comme de véritables serfs taillables et corvéables à merci. Ce sont pourtant des hommes libres. Je n’ai jamais mieux compris la situation faite aux Peulhs dans les pays où ils viennent demander l’hospitalité, qu’un jour, où Sandia, l’intelligent chef de Nétéboulou, me faisant ses doléances sur sa pauvreté (notez qu’il possède environ 150 captifs, ce qui est dans le pays une fortune énorme), me dit, entre autres choses qu’il n’avait pas : « Je n’ai pas ceci, je n’ai pas cela, je n’ai pas de Peulhs ». Il paraîtrait, d’après les renseignements que j’ai pris, que c’est un fait acquis. Le Peulh est l’homme du chef sur le territoire duquel il habite, et, comme tel, il peut être pressuré à gogo. Actuellement, les choses en étaient arrivés à un tel point dans le Ouli que les Peulhs étaient décidés à émigrer dans le Fouladougou, si nous n’améliorions pas leur situation. Il fallut que Monsieur le commandant du cercle de Bakel s’y rendit pour arranger sur les lieux les affaires. Il réussit à leur donner une organisation qui fut acceptée par les intéressés des deux partis.

Il n’en est pas de même pour les Ouolofs, les Marabouts Malinkés et des Sarracolés. Ils marchent absolument sur le même pied que les Malinkés du pays et y jouissent des mêmes droits et des mêmes privilèges.

Rapports du Ouli avec les autorités Françaises. — Ce n’est que depuis 1886, après la colonne de Dianna, que le Ouli s’est placé sous notre protectorat, et a conclu avec le colonel Galliéni, alors commandant supérieur du Soudan Français, le traité par lequel il reconnaît notre autorité : jusqu’à l’année dernière, il relevait du commandant du cercle de Bakel aux points de vue administratif, politique et judiciaire. Actuellement, depuis les nouvelles dispositions qui ont distrait du Soudan Français tous les pays situés à l’Ouest de la Falémé, sauf Bakel et son territoire, pour les placer sous l’autorité du Gouverneur du Sénégal, le Ouli fait partie de cette colonie, et j’ai appris depuis peu qu’un administrateur colonial devait être placé dans cette région afin d’y faire sentir plus efficacement l’action du pouvoir central. Cette mesure aura surtout pour effet d’augmenter considérablement notre influence dans ce pays qui, vu son éloignement, y échappait un peu. Jusqu’à ce jour, notre intervention dans ses affaires a eu un réel résultat. Cela a été d’en faire disparaître le brigandage et la chasse aux captifs qui y étaient fort en honneur. Mais notre rôle ne doit pas se borner là seulement et nous avons plus encore à y faire.

Conclusions. — Nous avons vu que le Ouli était un pays pauvre dans certaines de ses parties, mais riche et fertile dans d’autres, notamment dans le Sud. Il suffirait de peu d’efforts pour en faire un pays bien plus productif qu’il n’est. Pour cela il faudrait rendre aux Massas leur autorité et, pour cela, établir un impôt régulier qui leur serait payé par tout le pays, le dixième de la récolte, comme cela existe dans bien d’autres pays Noirs, leur faire comprendre en même temps qu’ils dépendent de nous entièrement et qu’ils ne sont rien que par nous. En second lieu, faire aux Peulhs une situation plus sortable, les y attirer le plus possible. Il faudrait y créer un courant commercial, soit vers Bakel, soit vers la Gambie, en favorisant la création d’escales sur les bords de ce fleuve. Enfin, il serait bon que chaque année, le commandant du cercle ou tout autre fonctionnaire délégué du gouverneur et muni des pouvoirs nécessaires, le visite en détail afin d’y régler les affaires en suspens. Nous sommes persuadés que ces quelques mesures sagement et prudemment mises en pratique auraient des résultats immédiats et donneraient au pays une prospérité inconnue jusqu’à ce jour.



CHAPITRE IV

Départ de Toubacouta. — Beaux lougans de mil. — Le Caïl-cédrat. — Arrivée à Dalésilamé. — Village Sarracolé et village Malinké Musulman. — Rencontre d’un dioula. — De l’hospitalité chez les Indigènes. — Souma-Counda. — De Souma-Counda à Missira. — Cordiale réception. — Guimmé-Mahmady, chef du Sandougou. — Séjour à Missira. — Visite des chefs des villages du Sandougou. — Beurre, lait, kolas en abondance. — Violente tornade. — Départ de Missira. — Vastes champs d’arachides. — Pioche spéciale pour les arracher. — Le Diabéré. — Diakaba. — Nombreux papayers. — Sidigui-Counda. — Saré-fodé. — Saré-Demba-Ouali. — Son chef Demba. — Visite du frère de Maka-Cissé, chef du Sandougou occidental. — Cordiale réception des Peulhs. — Puces et punaises. — Départ de Saré-Demba-Ouali. — Le village Ouolof de Tabandi. — Arrivée au village Toucouleur Torodo de Oualia. — Ousman-Celli, son chef. — Belle réception. — Belle case. — Excursion au Sandougou. — Saré-Demboubé. — Le Sandougou frontière du Niani et du Sandougou. — Le gué de Oualia. — Description de la route de Toubacouta au Sandougou. — Le Baobab. — Le Kinkélibah. — Violent accès de fièvre.

A cinq heures quarante minutes du matin, nous quittons Toubacouta. La pluie qui est tombée à torrents pendant toute la nuit a détrempé le chemin. Aussi est-il devenu excessivement glissant et n’avançons-nous qu’avec mille précautions. De plus, la brousse est excessivement haute et nous fouette à chaque instant le visage. En peu de temps les gouttes d’eau dont elle est couverte nous ont complètement inondés. Heureusement les nuages se sont dissipés au lever du jour et le soleil qui va paraître ne tardera pas à nous sécher.

L’envoyé de Guimmé-Mahmady, le chef du Sandougou, chevauche en tête de la caravane et nous montre le chemin. Aussi marchons-nous sans hésitation aucune. La route ne présente, du reste, aucune difficulté. Elle se déroule au milieu de vastes et beaux lougans de mil, bien cultivés.

Cette région est certes une des plus fertiles que j’aie visitées au Soudan. Toutes les plantes qui servent à l’alimentation des indigènes y croissent d’une façon remarquable. Le mil, entre autres, y donne un rendement considérable et bien supérieur à celui des mils des autres régions. Les variétés qui sont cultivées là ne sont pourtant pas différentes de celles des pays voisins. Le sol est plus riche et les cultivateurs plus soigneux et plus travailleurs, et voilà tout.

Depuis mon départ de Kayes, je n’avais vu, par-ci par-là, que quelques rares échantillons de Caïl-cédrat, ce beau végétal, si commun et si précieux dans certaines régions du Soudan Français. C’est là que je commençai à le retrouver en notable quantité et que j’en vis des spécimens vraiment remarquables.

Le Caïl-cédrat est un bel arbre qui atteint des proportions fort remarquables. Les indigènes du Soudan le désignent presque partout sous le nom de « Diala ». C’est le Khaya Senegalensis G. et Per. de la famille des Cédrélacées. Sa tige, droite, prend parfois de telles dimensions qu’on y peut creuser des pirogues de toutes pièces. Je me souviens avoir franchi la Gambie à Sillacounda (Niocolo) dans une embarcation de ce genre, qui n’avait pas moins de quatre mètres de longueur sur cinquante centimètres de largeur et trente-cinq de profondeur. Elle avait été creusée dans une seule bille de Caïl-cédrat, ce qui permet de supposer que l’arbre qui l’avait fournie devait être énorme.

Son écorce est large, cintrée, fendillée légèrement, rougeâtre et couverte d’un épiderme presque lisse et d’un gris blanchâtre. Sa cassure est grenue en dehors, puis un peu lamelleuse et formée en dedans par une série simple de fibres ligneuses aplaties et agglutinées. Elle est dure, cassante, fort lourde, amère et légèrement odorante. Si on y pratique une incision intéressant toute son épaisseur, il s’écoule par la blessure un liquide rougeâtre qui se coagule à l’air libre en une petite masse résineuse de couleur brune très foncée. Si, enfin, on fait brûler des morceaux de ce bois, la fumée qu’ils donnent exhale une odeur douce et caractéristique. Aussi est-il impossible de s’en servir pour faire cuire des aliments grillés ou rôtis, car ils s’en imprègnent tellement qu’ils sont, de ce fait, absolument exécrables à manger. Les cendres que l’on obtient en faisant brûler le Caïl-cédrat à l’air libre renferment une grande quantité de nitrate de potasse, et sont d’une blancheur immaculée. C’est, du reste, à la présence de ce sel, je crois, qu’il faut attribuer la propriété toute particulière que possède ce végétal de brûler rapidement, même lorsqu’il est vert. Je me souviens, étant à Koundou, avoir ainsi enflammé une planche de Caïl-cédrat, rien qu’en y posant mon cigare allumé. En quelques minutes, cinq centimètres carrés se consumèrent de ce fait.

Le bois est rouge foncé et rappelle celui de l’acajou par sa couleur et sa texture. C’est pourquoi ce végétal a été souvent appelé l’ « Acajou du Sénégal ». Il est dur et très cassant, même lorsqu’il est vert. Malgré cela, on en fait à Saint-Louis et au Soudan de beaux meubles et, en France, il pourrait servir pour les travaux d’ébénisterie les plus délicats.

Les feuilles composées sont d’un beau vert foncé et persistent toute l’année. La floraison a lieu de la fin d’avril à la fin de mai ou au commencement de juin. Les fleurs sont d’un blanc légèrement jaunâtre. — Calice à préfloraison imbriquée. — Etamines définies, régulières. — Styles soudés. — Fruit rond adhérent fortement au pédoncule, ne tombant pas à maturité. — Loges pluriovulées. — Graines ailées. — Embryon inclus dans le périsperme qu’il égale presque.

Les indigènes utilisent le Caïl-cédrat pour la construction de leurs cases et de leurs pirogues, et pour la fabrication de certains ustensiles de ménage, tabourets, pilons et mortiers à couscouss. Mais c’est surtout comme médicament qu’il est le plus souvent employé. On s’en sert surtout contre la fièvre intermittente, la blennorrhagie, les diarrhées rebelles, et comme topiques pour panser certaines plaies de mauvaise nature.

La même préparation plus ou moins concentrée sert contre les fièvres intermittentes, la blennorrhagie et les diarrhées rebelles. On prend environ trente à cinquante grammes d’écorce fraîche que l’on fait bouillir dans un litre d’eau jusqu’à ce que la liqueur soit réduite d’un tiers à peu près. On y ajoute environ dix ou 15 grammes de sel et on se l’administre en deux fois dans la journée. Cette liqueur est excessivement amère et nous l’avons vu réussir assez fréquemment, sur des noirs particulièrement. Dans les cas de blennorrhagie, on emploie de préférence la macération et je pourrais citer le nom d’un jeune métis de Saint-Louis qui s’en est très bien trouvé. L’action fébrifuge de l’écorce de Caïl-cédrat serait due à une matière colorante rouge qui y est très abondante et à un principe neutre, amer, qui a été isolé par Caventou, et auquel il a donné le nom de Caïl-cédrin. Quoiqu’il en soit, l’action de ce principe comme fébrifuge est bien inférieure à celle du sulfate de quinine.

En ce qui concerne le traitement des plaies de mauvaise nature, je crois devoir laisser ici la parole à mon excellent ami, le capitaine Binger, qui s’en est servi avec succès. Voici ce que dit, à ce sujet, le célèbre explorateur sur son mode d’emploi : « On fait cuire un morceau d’écorce du poids de un kilogramme environ dans deux litres d’eau et on laisse réduire à un litre. Cette préparation sert à laver et à nettoyer la plaie. Un autre morceau d’écorce fraîchement coupé est pilé dans un mortier à mil jusqu’à ce qu’on obtienne un morceau de pâte. Cette pâte est séchée au soleil, les gros résidus sont enlevés et la poudre qui reste est employée à saupoudrer la plaie après chaque lavage. La croûte qui ne tarde pas à se former est enlevée tous les jours jusqu’à ce que toute trace de suppuration ait disparu et que la plaie ait l’aspect sanguinolent. On cesse ensuite les lavages et l’on se contente de saupoudrer les parties non recouvertes de croûte. J’ai vu ce remède réussir sur un de nos mulets qui avait une plaie au côté. » Pour nous, nous l’avons vu également employer avec succès par un indigène de Koundou qui avait à la face externe de la jambe gauche une plaie qui suppurait depuis longtemps et qui lui était survenue à la suite de plusieurs furoncles mal soignés et de mauvaise nature. Nous ne saurions trop recommander ce remède à ceux qui se trouveraient dans le cas de l’expérimenter et d’en déterminer exactement les propriétés curatives.

Après une heure de marche nous arrivons à Dalésilamé, où nous faisons la halte sur la place principale du village, sous un magnifique ficus.

Dalésilamé. — Dalésilamé est un village d’environ 650 habitants. Sa population est formée à parties égales de Malinkés Musulmans et de Sarracolés. Il y a, à proprement parler, deux villages et deux chefs, un village et un chef Malinkés, un village et un chef Sarracolés. Les uns et les autres sont des Musulmans fanatiques. Les Sarracolés de Dalésilamé habitaient autrefois de l’autre côté de la Gambie, sur la rive gauche, dans le pays de Ghabou. Pillés et pressurés sans cesse par les Peulhs du Fouladougou, ils passèrent le fleuve et vinrent se fixer à Dalésilamé. On sera peut-être étonné de voir les Sarracolés si loin de leur pays d’origine ; mais on s’expliquera aisément ce fait, quand on saura qu’ils habitaient autrefois le Guidioumé près Nioro et qu’ils ont fui à l’approche d’El Hadj Oumar. Le Sarracolé est d’humeur très vagabonde, on comprendra dès lors qu’il ait pu venir jusqu’à la Gambie en fuyant devant l’envahisseur. Ceux de Dalésilamé appartiennent à la famille des Diawaras.

Les deux villages sont séparés par une large rue d’environ deux cents mètres de longueur sur six de largeur. Les Malinkés sont à l’Ouest et les Sarracolés à l’Est. Ni l’un ni l’autre ne sont fortifiés. Pas de tata, pas de sagné. Chaque habitation particulière est entourée d’une palissade (tapade) construite avec des tiges de mil et de bambous jointives et haute d’environ deux mètres à deux mètres cinquante centimètres. A cette époque de l’année, les toits des cases disparaissent complètement sous les cucurbitacées de toutes sortes. Ce qui donne au village un aspect vert sombre excessivement curieux. Il se confond absolument avec la campagne environnante, et, seule la fumée qui sort du toit en décèle au loin la présence. — A peine avions-nous mis pied à terre que les chefs vinrent me saluer et m’offrir un peu de lait pour me désaltérer. Sandia, qui y compte beaucoup d’amis, est l’objet d’une véritable ovation, car il leur a maintes fois rendu de réels services et son bon sens y est fort apprécié.

Je rencontrai dans ce village un dioula (marchand ambulant) qui y était arrivé depuis trois mois environ et qui y avait été surpris par l’hivernage. Ne pouvant continuer sa route vers le Sud, il y attendait le retour de la belle saison, et s’y était installé pour un long séjour. Une case lui avait été donnée et le village pourvoyait à sa nourriture de chaque jour et à celle de son petit âne. Ces exemples de généreuse hospitalité ne sont pas rares au Soudan. Dans chaque village, le voyageur est assuré, quelle que soit la race à laquelle il appartienne et celle de ses hôtes, de trouver une case pour s’abriter, une natte pour se reposer et du couscouss pour calmer sa faim. Pendant le long séjour que j’ai fait dans ces régions, il n’y a guère que chez les Coniaguiés que j’ai vu le voyageur négligé et que j’ai vu refuser quelques poignées de mil ou d’arachides. Cette peuplade, du reste, de même que sa congénère, les Bassarés, a, sous ce rapport, une triste réputation.

Nous quittons Dalésilamé après nous y être reposés pendant un quart d’heure environ et nous nous remettons en route après avoir remercié les chefs de leur bonne réception et leur avoir serré la main. C’est toujours au milieu des champs de mil que nous chevauchons et nous ne quittons ceux de Dalésilamé que pour entrer dans ceux de Souma-Counda, village distant du premier de trois kilomètres sept cents mètres, et auquel nous arrivons après quarante-cinq minutes de marche. Nous le traversons sans nous y arrêter.

Souma-Counda. — Souma-Counda est un village Peulh d’environ trois cents habitants. Il est littéralement enfoui au milieu de ses lougans qui sont immenses. Ses cases sont en paille. Quand nous y passons presque tous les habitants sont absents. Tout le monde est occupé aux travaux des champs.

A peine sommes-nous sortis des lougans du village que nous tombons en pleine brousse et que nous traversons une véritable forêt vierge de bambous, à travers lesquels nous avançons lentement et difficilement. Nous en sortons un instant pour traverser des champs de mil qui appartiennent à Missira et au milieu desquels s’élève un petit village de culture de deux ou trois cases. Enfin, une demi-heure après, nous entrons dans ceux de Missira. Ils sont immenses et ont plusieurs kilomètres d’étendue. Il est neuf heures et demie quand nous arrivons à Missira, que, de loin, nous ne voyons nullement, car les toits des cases disparaissent littéralement sous les cucurbitacées de toutes espèces.

Missira. — Missira est un gros village de neuf cents habitants environ. Sa population est uniquement formée de Malinkés musulmans. C’est la capitale du Sandougou oriental et la résidence de Guimmé-Mahmady, son chef. Le village est relativement propre et bien entretenu. On n’y voit que peu de ruines et ses rues sont assez bien alignées. La place principale est très vaste et on n’y voit pas les tas d’ordures que l’on trouve généralement dans la plupart des villages Malinkés. Au milieu s’élève un superbe N’taba, le plus beau de tous ceux que j’aie jamais vus. Il y en a plusieurs dans le village, et je me souviens qu’il y en avait un fort beau également en face de la case où j’étais logé. — Les cases du village sont construites à la mode Malinkée et chaque habitation, séparée de ses voisines par une palissade en tiges de mil et de maïs, forme une propriété absolument bien délimitée. — Missira ne possède pas de tata ; un simple sagné peu important l’entoure, mais ne saurait constituer un moyen sérieux de défense. Les habitants, musulmans assez tièdes, sont de paisibles agriculteurs qui cultivent en paix leurs vastes lougans et élèvent leurs bœufs, chèvres et moutons. Ce village est très dévoué à la cause française. Situé à cinq kilomètres de la Gambie, il est compris dans la zone que, par le traité du 10 août 1889, nous avons cédée à l’Angleterre. J’ai appris depuis quelque temps que, ne voulant pas devenir Anglais, il avait émigré en masse sur le territoire français, abandonnant ainsi sans hésiter des terrains d’une fertilité remarquable, pour venir se fixer dans une région moins favorisée. Il en a, du reste, été de même pour beaucoup d’autres villages du Sandougou, qui suivirent l’exemple de Missira et vinrent s’établir en pays français pour ne pas avoir à recevoir le mot d’ordre de Mac-Carthy.

On comprendra aisément, d’après ce que je viens de dire, que la réception qui me fut faite à Missira ait été des plus cordiales. Guimmé-Mahmady, le chef, vint à cheval à ma rencontre et me conduisit lui-même à la case qui m’avait été préparée. Je fus logé d’une façon confortable pour le pays, et mes hommes eux-mêmes n’eurent qu’à se louer de l’accueil qui leur fut fait. Un bœuf fut immolé à notre intention et l’on comprendra toute l’importance de ce fait quand on saura combien l’indigène aime ses bestiaux et qu’il faut une circonstance grave (mariage, circoncision, visite d’un chef, etc., etc.) pour qu’il consente à ce sacrifice. Nos chevaux eux-mêmes eurent leur part du festin, et se régalèrent de paille d’arachides et de mil.

Dès que j’eus terminé mon installation et procédé à une toilette indispensable après une longue étape, je reçus la visite de Guimmé-Mahmady, de sa famille et de ses notables. Mon hôte (Diatigué) les accompagnait. C’était le griot favori du chef, brave homme dans toute l’acception du mot et qui, durant les deux jours que je passai chez lui, fit toujours preuve de la plus grande obligeance et me manifesta le plus grand respect et la plus sincère amabilité. Aussi fus-je heureux en le quittant de lui offrir un beau cadeau pour le dédommager de tout l’embarras que je lui avais causé, cadeau auquel il fut très sensible.

Après les salutations d’usage, Guimmé-Mahmady me présenta toutes les personnes qui l’accompagnaient et me demanda de rester un jour de plus, afin que je puisse voir les chefs de ses village auxquels il avait annoncé mon arrivée et qui devaient venir me saluer. Je ne pouvais faire autrement qu’accéder à son désir et lui promis de ne le quitter que le surlendemain matin. Ce chef du Sandougou est loin de ressembler aux autres chefs que j’avais vus depuis longtemps. Il est jeune, intelligent, actif et fort tolérant pour un musulman. Aussi, aucun de ses administrés ne vint-il jamais se plaindre à moi, ce qui m’était arrivé dans tous les autres pays que j’avais visités. Tout le monde vit chez lui sur le même pied d’égalité, et, chose rare au Soudan, il sait bien se faire obéir. Pendant la guerre du marabout il prit parti pour nous, et comme nous le verrons plus loin, c’est à nous qu’il dut de reconquérir son autorité. Je fus heureux de constater qu’il nous en avait gardé une profonde reconnaissance. Ce fait mérite d’être signalé, car ce sentiment est rare chez les noirs et ceux qui en font preuve sont loin d’être nombreux.

La journée se passa sans autre incident à noter que les nombreuses visites que je reçus dès que j’eus terminé mon travail de chaque jour, rédigé mes notes et mon journal de marche et dessiné l’itinéraire parcouru le matin.

La température, qui avait été supportable la journée, devint le soir insupportable. Le ciel se couvrit d’épais nuages, mais malgré cela, il ne tomba pas une seule goutte d’eau. Aussi la nuit fut-elle excessivement pénible. Dévoré par les moustiques, je dormis mal et ce ne fut qu’au jour que je pus enfin goûter quelques heures d’un sommeil réparateur.

Le défilé des chefs commença dès le matin et dura toute la journée. Je les reçus tous du mieux que je pus. Chacun m’apportait un petit cadeau, celui-ci du beurre, celui-là du lait, les autres des kolas, preuve de tout leur respect. Aussi, quand tous furent partis, me trouvai-je fort riche et l’heureux possesseur de nombreuses bouteilles de beurre et de plusieurs centaines de beaux kolas. Ces derniers surtout nous firent à nos hommes et à moi le plus grand plaisir, car depuis longtemps nous étions privés de cette précieuse graine et plus que jamais, vu l’extrême délabrement de ma santé, j’en avais besoin pour pouvoir supporter les fatigues qui m’attendaient.

Dans la soirée de ce second jour, au moment où allait commencer le tam-tam organisé en mon honneur, éclata une violente tornade. Vent violent, éclairs, tonnerre, pluie torrentielle, rien ne manqua. La température baissa rapidement et je pus jusqu’au lendemain matin dormir profondément. J’en avais bien besoin, car j’étais littéralement exténué.

1er novembre 1891. — Le premier novembre 1891, je me levai frais et dispos au point du jour, et les préparatifs de départ rapidement faits, je me mis en route pour Saré-Demba-Ouali, village Peulh distant de 16 kilomètres environ de Missira, et où j’avais décidé de faire étape, désirant voir de près ce que les Peulhs étaient chez eux. Guimmé-Mahmady ne voulut pas me laisser partir seul ainsi. Il avait bien avant l’heure du départ fait seller son cheval et chausser ses grandes guêtres en peau de panthère. Il me demanda de m’accompagner jusqu’au village de Saré-Fodé, où il avait affaire. Je fus, on n’en doute pas, enchanté de l’avoir pour compagnon, et après avoir de nouveau remercié mes hôtes, je quittai Missara, avec la satisfaction d’y avoir constaté combien était grande l’influence de la France dans ces régions et combien était sincère l’attachement que nous ont voué les populations qui les habitent.

Missira est entouré de vastes champs d’arachides. Le terrain, qui est presque uniquement formé de latérite, est des plus propres à la culture de cette plante. Aussi cette graine y est-elle très abondante et y constitue-t-elle une véritable richesse pour les habitants.

L’arachide. — L’arachide (arachis hypogæa) est une légumineuse cæsalpinée. Elle est cultivée dans toute notre colonie du Sénégal et au Soudan Français. Celles de Gambie sont particulièrement recherchées et jouissent dans le commerce d’une faveur bien méritée. C’est une plante herbacée, radicante, annuelle, à tige et rameaux cylindriques, pubescents : feuilles engaînantes, composées de deux paires de folioles, inflorescence axillaire, en cyme unipare, biflore : fleurs hermaphrodites, parfois polygames, subsessiles ; calice gamosépale à 5 divisions et à préfloraison quinconciale ; corolle gamopétale, papilionacée ; 10 étamines monadelphes, l’antérieure stérile ; ovaire supère, 3-4 sperme ; style long, pubescent à l’extrémité ; pas de stigmate ; ovules anatropes, ascendants, fruit sec indéhiscent, testacé, porté à l’extrémité d’un long pédoncule porté à l’aisselle des feuilles ; embryon homotrope, à radicule infère ; cotylédons huileux.

Après la fécondation, le pédoncule floral s’allonge vers le sol et y fait pénétrer l’ovaire qui s’enfonce jusqu’à une profondeur de 5 à 8 centimètres, grossit et se transforme en une gousse un peu étranglée en son milieu ; cette gousse est longue de 25 à 30 millimètres, épaisse de 9 à 14 millimètres : Elle est composée d’une coque blanche, mince, réticulée, contenant 1-4 semences rouge vineux au dehors, blanches au dedans et d’un goût rappelant assez celui de la noisette.

Ces graines donnent une huile d’excellente qualité qui peut remplacer dans tous ses usages et sans inconvénient l’huile d’olives.

Depuis que le commerce des arachides a pris une extension considérable et telle que l’on peut dire qu’il est le plus important de la côte d’Afrique, les indigènes cultivent cette plante avec beaucoup plus de soin et sur une plus grande échelle. La production en augmente chaque année et elle serait bien plus considérable encore si les procédés de culture n’étaient pas aussi primitifs.

L’arachide est une plante excessivement épuisante. Pour la cultiver, les indigènes fertilisent le sol en brûlant simplement les mauvaises herbes qu’ils ont d’abord coupées et laissées sécher sur place ; les femmes et les enfants bêchent alors légèrement le terrain, sèment les graines et les recouvrent de terre. Les semis se font de la fin de juin au commencement d’août, et la récolte a lieu trois ou quatre mois après. Quand les gousses sont mûres, on arrache les pieds d’arachides qu’on laisse sécher au soleil, puis on sépare les gousses des feuilles et des tiges.

Dans la plupart des régions du Sénégal, où est cultivée l’arachide, on l’arrache à la main. Ce procédé a le grand désavantage d’occasionner une perte de graines considérable. Elles se détachent, en effet, à la traction, et restent dans la terre. J’ai vu employer dans le Sandougou, à Missira, pour la première fois, un moyen qui remédie à cet inconvénient et que je tiens à signaler ici. Les habitants de ce pays se servent pour cela d’une pioche spéciale et qui ne sert qu’à cet usage. La figure A en représente la coupe verticale et la figure B la représente en entier. Les indigènes la nomment comme les autres pioches dont ils se servent : « Daba ». Elle se compose essentiéllement : d’un manche en bois résistant a, et d’une pioche proprement dite, b. Ces deux parties sont unies entre elles par des liens solides comme le représente la partie c de la figure B, de telle façon que le manche forme avec la pioche un angle de 35 degrés au plus. La pioche est également en bois très dur et son extrémité d est garnie d’une armature de fer pour lui permettre de s’engager plus facilement dans le sol. Le travailleur saisit à deux mains le manche a et de gauche à droite ou de droite à gauche, selon ses dispositions, engage profondément la pioche b sous le pied d’arachide qu’il veut enlever. Comme cette pioche est très large, 0,15 centimètres environ, il lui suffit de la faire basculer pour arracher la plante entière. Cet instrument qui, au premier abord, ne semble pas très pratique, est cependant manœuvré avec grande adresse et rapidité par les indigènes. J’ai pu, grâce à la générosité de Guimmé-Mahmady, en rapporter un en France. Il est actuellement au musée colonial, à Marseille. Le prix de cette pioche est d’environ six francs dans le pays et il n’y a guère que les forgerons du Sandougou qui la sachent confectionner.

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