Dans la Haute-Gambie : $b Voyage d'exploration scientifique, 1891-1892
Les Noirs utilisent l’arachide en maintes circonstances et de toutes façons. La graine constitue pour eux un aliment de premier ordre, soit fraîche, soit sèche, soit crue, soit torréfiée. Ils en extraient l’huile qui sert à leur cuisine. Nous avons eu souvent recours à leur industrie pour en avoir et nous n’avons pas eu à nous en plaindre. Cette huile leur sert également à fabriquer avec les cendres de certains végétaux un savon dont nous nous sommes souvent servi et qui nous a été souvent très utile. L’arachide pilée ou écrasée entre deux pierres leur sert de condiment pour la plupart des sauces avec lesquelles ils assaisonnent leur couscouss. Ils font également des cataplasmes d’arachides en certaines circonstances et se frictionnent avec son huile dans les cas de douleurs rhumatismales. Enfin la poudre qu’ils obtiennent en les écrasant après les avoir fait brûler leur sert pour se tatouer les gencives et la lèvre inférieure. — Les feuilles vertes sont employées pour les sauces et en cataplasmes ; après la récolte, ils les font sécher avec leurs tiges et cela constitue une paille qui est à juste titre considérée comme le meilleur fourrage du Soudan. Les animaux qui en font usage engraissent rapidement et le lait des vaches qui en mangent est plus savoureux et plus riche en principes nutritifs que celui de celles qui n’en consomment pas.
Le commerce des arachides commence à prendre dans le Sandougou une réelle importance. La Compagnie française de la côte occidentale d’Afrique y en achète, chaque année, de notables quantités qu’elle transporte à Mac-Carthy, où elle les charge sur ses vapeurs. Il ne fera que croître, surtout si on peut arriver à améliorer les moyens de transport et à lui créer des débouchés sur le fleuve.
Peu après avoir quitté Missira, nous apercevons sur notre gauche un beau champ de diabérés. Cette plante, très commune dans ces régions, le Tenda, le sud du Bambouck, le Niani, etc., etc., et en général, dans les contrées les plus méridionales de notre colonie Soudanienne, mérite que nous en fassions une description détaillée.
La figure ci-contre peut donner une idée de cette disposition toute particulière. Ces feuilles sont très épaisses. Les trois nervures principales ne font jamais défaut. Les nervures secondaires sont en nombre variable suivant l’âge du végétal et surtout les dimensions des feuilles. Les nervures secondaires émettent elles-mêmes un grand nombre de filaments fort apparents et qui sillonnent le parenchyme de la feuille en venant aboutir presque en droite ligne aux bords. La face supérieure a une couleur verte foncée très prononcée. Elle est légèrement veloutée. La couleur de la face inférieure est verte très pâle. Elle est aussi légèrement veloutée. Enfin le pétiole d’un brun verdâtre à la base est d’un vert tendre à son sommet.
Les fleurs sont unisexuées, réunies sur un même spadice, les femelles à la base, les mâles au-dessus, non périanthées. Elles sont enveloppées dans une spathe peu ouverte, roulée en cornet et de couleur blanche légèrement jaunâtre. Le fruit est une baie globuleuse uniloculaire renfermant de deux à huit graines. Je dédie cette plante nouvelle à M. le professeur Heckel en la nommant Arum Heckeli.
Arum Heckeli Rançon.
Diabéré : Aroïdée comestible du genre Arum (feuille d’après
nature).
(Dessin de A. M. Marrot).
La racine est un tubercule de la grosseur du poing environ, d’un brun noirâtre et ayant un peu la forme d’un oignon légèrement allongé. Sur ce tubercule viennent, quand la plante arrive à maturité, douze ou quinze turions environ dont les plus volumineux atteignent tout au plus la grosseur d’un œuf. C’est la partie comestible, et qui sert à la reproduction. Leur forme est celle du tubercule auquel ils adhèrent fortement. Leur couleur est aussi la même. La chair de ces turions est blanche, fortement aqueuse et compacte, elle rappelle celle de la pomme de terre ou plutôt de la patate. Leur odeur est légèrement vireuse.
Les semis de diabéré se font en juin et en juillet. Il suffit pour cela de placer les turions dans un trou creusé dans la terre à une profondeur d’environ dix à quinze centimètres. La récolte se fait en décembre. Vers la fin d’octobre ou au commencement de novembre, les habitants du Sandougou ont l’habitude de couper les feuilles à une hauteur de dix centimètres du sol environ pour faire grossir davantage les turions.
Le diabéré est un légume qui n’est pas à dédaigner même pour le palais délicat des Européens. Bouilli ou frit à la poële, il constitue un aliment d’un goût agréable. Je me souviens en avoir mangé avec plaisir en ragoût avec du mouton. Les indigènes le préfèrent bouilli et dans certaines régions, le Diaka, le Sandougou, le Tenda par exemple, ils en font une grande consommation. Dans ces derniers pays surtout on en consomme beaucoup, et les indigènes des pays voisins attribuent à l’abus qu’ils en font la maladie de peau et les nombreux goîtres dont sont atteints les habitants du Tenda. Nous y reviendrons plus longuement plus loin quand nous parlerons de ce pays.
A sept heures quinze minutes, nous traversons sans nous y arrêter le village de Diakaba. Le soleil commence à devenir brûlant, et la température chaude et humide est absolument intolérable.
Diakaba. — Diakaba est un village d’environ 600 habitants. Sa population est uniquement formée de Malinkés musulmans. Il est littéralement couvert de verdure et à part une grande quantité de papayers[14] il ne présente rien de particulier à signaler. Ce végétal croît là en pleine terre et n’a pas besoin de soins spéciaux. On le rencontre dans presque tous les villages du Sandougou. Son fruit, que tout le monde connaît, est savoureux et délicat et l’un des meilleurs desserts que l’on puisse rencontrer dans les pays chauds.
A un kilomètre et demi environ de Diakaba, nous traversons un assez gros village Peulh, Sidigui-Counda, qui disparaît littéralement dans une épaisse forêt de mil et de maïs.
Sidigui-Counda. — Sidigui-Counda est un village de 400 habitants environ. Il est habité par des Peulhs récemment émigrés du Fouladougou. Ils se livrent là paisiblement à l’élevage et à la culture de leurs champs. Il est construit en paille et argile comme tous les villages Peulhs, du reste. Chaque chef de case a ses cases séparées de celles des autres et les intervalles sont semés de mil, arachides, tabac, oseille, etc., etc.
A quatre kilomètres de Sidigui-Counda nous arrivons au village de Saré-Fodé, où Guimmé-Mahmady me quitte en me souhaitant un bon voyage.
Saré-Fodé. — C’est un petit village Peulh de 350 habitants environ. Nous y faisons la halte et y prenons quelques minutes de repos sous un petit appentis que recouvrent de belles Cucurbitacées. La population en est uniquement formée de Peulhs. A peine avions-nous mis pied à terre que le chef vint me saluer et m’apporta pour me rafraîchir plusieurs calebasses d’un bon lait fraîchement tiré dont nous nous régalâmes mes hommes et moi. Nous nous remîmes en route par une chaleur torride.
A peu de distance nous traversons le petit village Peulh de Saré-Bourandio, le dernier du Sandougou oriental et, six kilomètres plus loin, nous trouvons enfin Saré-Demba-Ouali, le premier village du Sandougou oriental, où j’avais décidé de faire étape ce jour-là.
Saré-Demba-Ouali. — C’est un village Peulh d’environ 550 habitants. Il a absolument l’aspect des autres villages que nous venons de traverser et la route qui y conduit depuis Saré-Bourandio, traverse une forêt de bambous de trois à quatre kilomètres de largeur, et, de ce fait, est difficile à pratiquer.
Je fus bien reçu dans ce village de simples cultivateurs. Pas de tapage, pas d’ostentation, mais simplement une bonne hospitalité franche et généreuse. Par exemple, le logement laissait un peu à désirer et je pus là me convaincre que les cases Peulhs étaient bien loin d’être confortables. Rien cependant ne me manqua et mes animaux, mes hommes et moi, nous eûmes à foison de tout ce que l’on peut trouver dans un village noir. Le chef, Demba, est un homme jeune, actif et sachant faire respecter son autorité, chose rare chez les peuples Soudaniens. Je me souviens encore avec quel ton il intima à l’un de ses notables l’ordre de se taire parce qu’il s’était permis de l’interrompre pendant qu’il parlait. Almoudo, mon interprète, qui est cependant un autoritaire, en était absolument étonné.
Vers quatre heures de l’après-midi, je reçus la visite du frère de Maka-Cissé, le chef du Sandougou occidental, qui venait me faire part du chagrin que je lui avais fait en n’allant pas camper dans son village distant de quelques kilomètres seulement de Saré-Demba-Ouali, dans le Sud. Il craignait de m’avoir mécontenté. Je le rassurai complètement et achevai de calmer ses alarmes en lui faisant cadeau d’une douzaine de kolas blancs, pour lui bien prouver que j’étais son ami. On sait qu’au Soudan Français, pour prouver à quelqu’un toute l’estime que l’on a pour lui, il suffit de lui faire cadeau de quelques kolas blancs. Il comprit d’autant mieux que je ne pouvais aller chez lui, quand je lui eus dit que j’étais très pressé et que je ne pouvais ainsi m’écarter de ma route. Il partit tranquille et satisfait et, le lendemain, à Oualia, il vint de nouveau me voir et m’apporter un bœuf pour mon déjeuner et celui de mes hommes.
La nuit, malgré la chaleur étouffante, se serait bien passée, si je n’avais eu à repousser sans cesse les attaques multiples d’une véritable nuée de puces et de punaises qui vinrent m’assaillir et m’empêchèrent littéralement de fermer l’œil. Ces insectes pullulent littéralement dans tous les villages Peulhs, et leurs habitants, vrais nids à parasites de toutes sortes, n’en semblent nullement incommodés. Il n’en a pas été de même pour nous. Nous en avons fait, mes hommes et moi, la pénible expérience. Aussi, dès le point du jour, tout mon monde était-il debout et les préparatifs du départ rapidement faits.
2 novembre 1891. — A cinq heures cinquante minutes du matin, nous quittons Saré-Demba-Ouali. Une rosée abondante et fraîche inonde la brousse qui est fort haute dès que nous sommes sortis du village. Heureusement que le chef a eu la précaution de faire marcher devant nous quatre de ses hommes qui, armés de grands bambous, frappent à tour de bras sur les herbes et font ainsi tomber les gouttes d’eau. Sans cette prévenance nous n’aurions pas fait deux cents mètres sans être trempés jusqu’aux os. Quarante minutes après avoir quitté Saré-Demba-Ouali, nous arrivons au petit village Ouolof de Tabandi.
Tabandi. — C’est un village d’environ 500 habitants. La population en est entièrement Ouolove. Elle a émigré du Bondou pour fuir les exactions des Almamys Sissibés et de leur famille. Tabandi ne le cède en rien en malpropreté aux villages Peulhs et Malinkés. Il est tout aussi mal entretenu et ne possède aucun moyen de défense, ni tata, ni sagné. Il est entouré de lougans bien cultivés et jusque dans les cours des habitations on trouve de jolis jardins de diabérés, tomates, oseille et oignons. Les Ouolofs, du reste, cultivent beaucoup plus et mieux que les autres peuples du Soudan. Cela tient sans nul doute à ce qu’ils font tout par eux-mêmes et qu’ils n’ont pour ainsi dire que quelques rares captifs. Nous faisons la halte sous un superbe N’taba et les notables et le chef viennent me saluer. Ils me demandent de passer la journée dans leur village, et, à mon grand regret, je suis forcé de refuser leur invitation, étant attendu à Oualia et ne pouvant m’attarder ainsi dans chaque village. Ces braves gens voudraient après la récolte retourner dans le Bondou, leur pays natal, mais ils redoutent encore les exactions des Sissibés. Je les rassure du mieux que je puis, à ce sujet, et m’efforce de leur faire comprendre que, grâce à nous, leur situation dans le Bondou ne sera plus ce qu’elle était autrefois. Je leur serre la main et remonte à cheval. A sept heures quarante minutes nous arrivons enfin à Oualia, où nous allons passer la journée.
Oualia. — Oualia est un gros village d’environ 1200 habitants. Il est relativement propre et bien construit. Il est entouré d’un fort sagné de quatre mètres de hauteur environ qui l’enveloppe de toutes parts. Cinq portes qui y ont été ménagées permettent de pénétrer dans l’intérieur. Sa population est uniquement composée de Toucouleurs venus du Fouta-Toro, sous la conduite de leur chef. Ces Toucouleurs s’adonnent là à la culture de leurs vastes lougans et élèvent avec soin de nombreux bestiaux. Nous verrons dans le chapitre suivant quelle a été jusqu’à ce jour leur histoire et quel avenir leur est réservé dans le Sandougou. Oualia est situé à environ quatre kilomètres du Sandougou, sur une petite éminence qui domine une vaste plaine bien cultivée.
Je fus d’autant mieux reçu à Oualia que son chef Ousman-Celli avait fait avec nous la campagne de Toubacouta contre le marabout Mahmadou-Lamine et qu’il nous est absolument dévoué. C’est un homme fort intelligent, rusé comme un Toucouleur et en ayant, du reste, le type et tout l’aspect extérieur.
Il avait fait préparer, à mon intention, une belle case, la plus belle du village. Mais je fus obligé de renoncer à y loger, car elle était tellement obscure que je n’y aurais pas vu assez clair pour y travailler, et, de plus, elle était divisée en compartiments si petits que j’aurais pu à peine m’y retourner. Je me contentai, en conséquence, d’une habitation moins élégante, mais où je ne manquais ni d’air ni de lumière. Là, encore, je reçus de nombreuses visites, et c’est à peine si je pus trouver le temps nécessaire pour faire mon travail journalier. Vers quatre heures du soir, me sentant un peu indisposé, je montai à cheval et, pour me distraire un peu de l’énervement que j’avais éprouvé dans la journée, je fis une courte promenade jusqu’au Sandougou et revins à Oualia au soleil couchant. A deux kilomètres de Oualia, je traversai le petit village de Saré-Demboubé, dont la population, d’environ 250 habitants, est d’origine Toucouleure et a pour chef le frère lui-même d’Ousman-Celli. — A environ quinze cents mètres de ce village coule le Sandougou qui forme la séparation entre le Niani et le Sandougou. C’est le marigot le plus important de la région. Ses eaux coulent en toute saison. Sa largeur est là d’environ cinquante à soixante mètres, et Ousman-Celli y a toujours deux pirogues pour en faciliter le passage aux voyageurs. A six kilomètres en amont de cet endroit on le peut traverser à gué. Ce gué porte le nom de Gué de Oualia. Il n’est guère praticable que du mois de février au mois de juin. Je pus m’assurer que nous pourrions le franchir en face de Saré-Demboubé sans trop de difficultés.
A peine fus-je rentré à Oualia que l’accès de fièvre, qui me menaçait depuis quelques heures, se déclara violemment. Je fus obligé de me coucher sans souper. Frissons, chaleur, sueurs se succédèrent rapidement et au point du jour je me sentis assez vigoureux pour me remettre en route.
De Toubacouta à Saré-Demba-Ouali et au Sandougou la route change peu d’aspect. Nous pourrions répéter à ce sujet ce que nous avons dit pour la route de Sini à Toubacouta, mais en accentuant encore, si cela est possible. On suit une véritable vallée de latérite entrecoupée par deux endroits différents par deux plateaux assez élevés formés de quartz et de roches ferrugineuses. La latérite domine partout, mais si on s’écarte à droite ou à gauche de la vallée on retrouve immédiatement les argiles compactes et sur les bords de la Gambie des marais et des alluvions. — Le terrain compris dans le grand coude que forme au Sud la Gambie en cette région est uniquement formé d’argiles compactes et d’alluvions. Les collines qui viennent y mourir sont formées de quartz et de roches ferrugineuses. Elles sont excessivement boisées. — La végétation dans ces régions est absolument luxuriante et les cultures magnifiques. La flore varie peu. Toujours les mêmes essences : Nétés, N’tabas, Fromagers, Caïl-cédrats, Légumineuses les plus variées, quelques beaux Baobabs et quelques échantillons de belles Combrétacées ! Les mil, maïs, arachides, riz, etc., etc., y poussent à merveille et n’y ont besoin que de peu de soins pour donner une récolte abondante.
Le Baobab. — Dans presque toutes nos possessions Sénégambiennes et Soudaniennes, on trouve cet arbre, fantastique, étrange, aux formes bizarres, véritable Titan végétal, auquel on a donné le nom curieux de Baobab, comme si on voulait attirer sur lui l’attention rien qu’en le prononçant. C’est l’Adansonia digitata L.[15] de la famille des Malvoïdées. Il peut atteindre jusqu’à 12 mètres de diamètre. Cette plante est si diversement employée par les indigènes et peut rendre de tels services à l’Européen lui-même que nous aurions été incomplets si nous n’en avions pas fait l’histoire de façon à bien faire connaître ses propriétés et ses usages.
Le Baobab est facile à reconnaître. Quiconque l’a vu une fois n’oubliera jamais sa forme bizarre, ses dimensions gigantesques, l’aspect tout particulier de ce géant des solitudes Africaines qui le fait ressembler à quelque animal légendaire et préhistorique. On dirait une pieuvre de taille démesurée, dont le corps serait représenté par la tige courte et énorme et les tentacules par les rameaux tordus et noueux.
L’écorce est très épaisse. L’épiderme est assez mince et de couleur gris ardoisé. La couleur de celui du tronc est légèrement terne, celle de celui des rameaux est au contraire très brillante. Cette écorce est très épaisse, environ trois à quatre centimètres chez les adultes. Elle peut s’enlever aisément, et en larges plaques. Sa face interne est blanchâtre, luisante, gluante. Si, à l’époque de la floraison, on y pratique une incision intéressant toute son épaisseur, on voit s’écouler par la blessure un liquide mucilagineux, d’un gris sale qui, à l’air libre, ne tarde pas à prendre la consistance de la gélatine. D’après Heckel, de Marseille, ce mucilage serait donné par des lacunes mucilagineuses, dans un point très limité de l’écorce seulement. Ces lacunes proviendraient de la gélification non d’une cellule, mais d’un groupe de cellules. Dans la composition de l’écorce, entrent encore des fibres très résistantes, et en grande quantité, dont les indigènes se servent journellement pour fabriquer des cordes excessivement fortes qu’ils emploient à maints usages et avec lesquelles ils fabriquent des hamacs d’une remarquable solidité. Aussi, dans ce but, ils dépouillent l’arbre de son écorce sur une hauteur d’environ 1m50 ou 2 mètres à partir du sol. Ces blessures, même réparées, contribuent à donner à ce végétal un aspect encore plus saisissant.
Le bois de Baobab est peu utilisé par les indigènes. Difficile à travailler, ils ne l’emploient qu’à défaut d’autres dans la construction de leurs pirogues. Je n’ai point appris qu’ils s’en servent à aucun titre que ce soit dans leur thérapeutique.
Les feuilles sont d’un beau vert et très tendre, elles ressemblent à celles du marronnier d’Inde. Elles sont alternes et accompagnées de deux stipules à la base, le limbe en est lisse sans dentelures sur leur contour quand elles sont vieilles, dentelées au contraire quand elles sont jeunes, surtout vers leur sommet. Ces feuilles sont en général peu nombreuses. Il n’y a que les jeunes rameaux qui en soient pourvues. Elles poussent au commencement de la saison des pluies et tombent dès qu’elle cesse et dès que la température de la nuit se rafraîchit. On sait combien est funeste à l’Européen appelé à vivre sous les climats où croît le baobab la saison des pluies. De même la saison sèche, à cause du refroidissement nocturne, est fatale à l’indigène. Aussi existe-t-il au Sénégal et au Soudan un dicton fort connu de ceux qui habitent ces régions. Les indigènes disent, en effet, « que la pousse des feuilles de baobab est le signal de la mort du blanc et que leur chute est l’annonce de celle du noir ».
Les fleurs sont énormes, suspendues à l’extrémité des jeunes rameaux par un pédoncule de vingt-cinq à trente centimètres de longueur. Le calice en est coriace, caduc, gamophylle, pentamère, chargé en dehors de poils cotonneux. La corolle est blanche à cinq pétales très épais et très résistants. Étamines biloculaires, indéfinies, monadelphes ; ovaire à cinq carpelles, multiovulés. Cette fleur exhale une odeur assez douce qui rappelle assez celle de l’Althæa.
Le fruit a la forme d’un jeune melon vert, velu et allongé. Il est porté sur un long pédoncule et il pend à l’extrémité des jeunes rameaux au bout desquels il s’insère. C’est une capsule indéhiscente et il faut un choc assez violent pour la briser. Ce fruit renferme trente à quarante graines entières, réniformes, pourvues d’un épisperme dur et noirâtre, d’un embryon huileux, et de cotylédons plissés. Ces graines sont noyées dans une pulpe blanc-rougeâtre abondante et d’un goût légèrement acide. De nombreux filaments d’un rose tendre la traversent. La face interne de la capsule en est également absolument tapissée. Ce fruit, dont les singes sont très friands, est connu en France sous le nom de pain de singe.
Nous savons que le baobab est très employé non seulement par les indigènes, mais aussi par les Européens. Nous avons vu que les fibres que renferme son écorce servaient aux noirs pour fabriquer leurs cordes et qu’ils utilisaient parfois son bois pour la construction de leurs pirogues. Je me rappelle avoir lu, dans je ne sais trop quel livre, qu’ils l’employaient aussi pour fabriquer des cercueils. Jamais, de mémoire d’homme, dans n’importe quel village indigène du Sénégal ou du Soudan, le cadavre d’un noir n’a été enfermé dans un cercueil quelconque pour être inhumé. L’auteur faisait sans doute allusion à ce fait que, dans certaines régions, le Djolof, par exemple, on avait l’habitude de creuser dans le tronc des baobabs la sépulture des griots. Cette caste si méprisée y est, de ce fait, exclue des cimetières communs. On jugera par là combien sont grandes les dimensions que peut atteindre ce végétal.
C’est surtout dans l’alimentation et dans la thérapeutique que certaines parties du baobab, les feuilles et les fruits particulièrement, sont employées.
Les jeunes feuilles vertes et fraîches sont utilisées pour fabriquer les sauces destinées à assaisonner le couscouss. Desséchées et pulvérisées, elles donnent une poudre qui, sous le nom de Lalo, est mêlée aux aliments et sert de condiment. Cette poudre, légèrement astringente au goût, a, de plus, une odeur absolument nauséabonde. Bouillies, ces feuilles servent à confectionner des cataplasmes excessivement émollients. Les bains de feuilles de lalo jouissent également, à un haut degré, de cette propriété. Elle est évidemment due à la grande quantité de mucilage qu’elles contiennent ; je me suis très bien trouvé, en maintes circonstances, de m’en être servi.
Le fruit est de beaucoup le plus employé, et c’est la pulpe qui entoure ses graines qui est principalement active. En temps de disette, les indigènes en font une grande consommation, et il est pour eux une précieuse ressource. Le pain de singe est très commun dans tous les villages et on le trouve en abondance sur tous les marchés. Il est considéré par les indigènes comme le médicament antidysentérique par excellence. Il est mélangé aux aliments mêmes. Ainsi le noir se nourrit souvent de farine de mil et de lait caillé. On désigne ce mélange sous le nom de Sanglé. Lorsqu’il est atteint par la dysenterie, il mélange le pain de singe à cette bouillie. La pulpe, desséchée et réduite à l’état de farine, s’expédiait autrefois en Europe sous le nom de terre sigillée de Lemnos ou terra Lemnia. D’après Heckel et Schlagdenhauffen (de Nancy), l’action de cette pulpe serait due, dans la dysenterie, à l’abondance des corps gras, qui, suspendus par les matières gommeuses, peuvent constituer un léger laxatif et émollient. L’écorce pilée et les graines torréfiées sont aussi usitées contre cette affection, mais dans les cas graves. Elles sont également préconisées contre les hémorrhagies, les fièvres intermittentes et la lientérie. Leur action est alors due, vraisemblablement, au tannin spécial qu’elles renferment. Constatons en terminant que tous les médecins qui se sont servis du baobab sont unanimes à en reconnaître les bons effets et ne lui ont trouvé aucun inconvénient.
Les feuilles fraîches ou sèches sont particulièrement utilisées. Les indigènes des Rivières du Sud les emploient avec succès dans les cas de fièvres bilieuses simples ou inflammatoires, de rémittentes bilieuses et de bilieuses hématuriques. C’est au révérend père Raimbault, missionnaire apostolique à la côte occidentale d’Afrique, que l’on doit d’avoir attiré l’attention du monde scientifique sur ce précieux végétal, et ce sont les savants professeurs Heckel et Schlagdenhauffen qui l’ont les premiers étudié et analysé. Voici comment, d’après le père Raimbault qui l’a fréquemment utilisé et toujours avec succès, on le doit employer. « Le Kinkélibah est administré sous forme de tisane. Les feuilles sont employées en décoction. On les fait bouillir pendant un quart d’heure environ soit fraîches, soit desséchées. Sous ce dernier état, les feuilles pilées peuvent se conserver pendant plusieurs années avec les mêmes propriétés.
Pour se servir de la poudre de Kinkélibah, on met dans une bouilloire autant de cuillerées à café de cette poudre qu’il y a de verres d’eau (4 grammes pour 250 gr. d’eau, 16 gr. pour un litre). On couvre bien et on laisse bouillir 15 minutes, on décante, on filtre, ou bien on boit le liquide tel quel au choix du malade.
La tisane doit être amère et jaunâtre. Si elle prenait une couleur brune, c’est qu’elle serait trop forte et il faudrait ajouter de l’eau, si elle devient jaune clair, c’est qu’elle est trop faible, alors il faut faire bouillir plus longtemps et ajouter au besoin de la poudre.
On prend un verre (250 grammes) de Kinkélibah dans les cas de fièvre bilieuse hématurique, le plus tôt possible ; puis, après 10 minutes de repos, un demi-verre (125 grammes), ensuite repos de dix minutes et enfin un autre demi-verre. Les vomissements se produisent alors, mais ils ne tardent pas à s’arrêter et à cesser pour toujours. On doit, du reste, faire boire du Kinkélibah à la soif du malade, durant tout le cours de la maladie, et pendant quatre jours au moins, en ne dépassant guère, toutefois, un litre et demi par jour.
Aucune nourriture ne doit être prise pendant toute la durée de la teinte ictérique, c’est-à-dire pendant les trois premiers jours. Le 4e jour, nourriture très légère et peu à la fois. Le mieux même le 4e jour est de ne prendre que du Kinkélibah comme boisson. Le R. P. Raimbault nourrit ses malades avec des œufs crus battus dans du rhum et du cognac. Il donne avec succès un purgatif, dès le commencement de l’accès ; c’est nécessaire en tout cas, quand la constipation intervient.
Le 4e jour au matin, en même temps que le Kinkélibah, il donne 0 gr. 80 de sulfate de quinine ; il continue ce fébrifuge autant que dure la fièvre, en diminuant chaque jour la dose, tout en continuant le Kinkélibah.
Il conseille de prendre un verre de Kinkélibah chaque fois qu’il y a embarras gastrique de nature biliaire, et considère comme un moyen sûr d’acclimatement, pour l’Européen, de prendre, chaque matin à jeûn, un verre de cette décoction. » (De l’emploi des feuilles du Combretum Raimbaulti Heckel, contre la fièvre bilieuse hématurique des pays chauds, par le Dr Edouard Heckel, professeur à la Faculté des Sciences et à l’Ecole de Médecine de Marseille. — Extrait du Répertoire de Pharmacie, juin 1891).
Nous avons expérimenté le Kinkélibah deux fois sur nous-mêmes à Nétéboulou, alors que j’étais atteint de rémittente bilieuse, et à Oualia contre l’accès bilieux dont nous avons parlé plus haut. Je m’en suis également servi à Mac-Carthy pour soigner plusieurs de mes hommes qui y furent atteints de fièvres intermittentes compliquées d’embarras gastriques prononcés. Je m’en suis toujours très bien trouvé et n’ai eu à enregistrer que des succès. Je me suis toujours attaché à suivre à la lettre les indications formulées par le R. P. Raimbault et j’ai toujours vu le médicament agir comme il vient d’être dit. D’après ce que nous avons observé, nous croyons donc que les feuilles de Kinkélibah jouissent de précieuses propriétés. Il est à n’en pas douter, tonique, diurétique et légèrement cholagogue. Il est de plus émétique au début, et, par l’emploi répété, empêche le retour des vomissements. D’après Heckel, ses propriétés toniques et diurétiques seraient justifiées par la présence du tannin et du nitrate de potasse. Quant aux autres actions, la composition chimique n’en donne aucune explication plausible.
CHAPITRE V
Le Sandougou. — Description géographique. — Aspect général. — Hydrologie. — Orographie. — Constitution géologique du sol. — Flore. — Productions du sol. — Cultures. — Faune. — Animaux domestiques. — Populations. — Ethnologie. — Situation et organisation politiques. — Rapports avec les autorités françaises. — Conclusions.
Le Sandougou est peut-être, de tous les pays que nous avons visités dans le bassin de la Gambie, celui qui présente les frontières les mieux définies. Bien que cet Etat ait été mutilé par suite de ce que les Toucouleurs Torodos s’y sont taillés une petite principauté, nous n’en donnerons pas moins la description géographique, comme si cette mutilation n’avait pas eu lieu.
Ses limites extrêmes sont comprises entre les 13° 16′ et 13° 34′ de latitude Nord et les 15° 23′ et 16° 50′ de longitude Ouest. La Gambie forme sa frontière Sud et le sépare du Fouladougou, au Sud-Est le marigot de Maka-Doua le sépare du Ouli et à l’Est une ligne fictive serait frontière entre ces deux pays. Cette ligne, partant de Toubacouta, aboutirait à mi-chemin entre Diabaké et Koussanar. Enfin, à l’Ouest et au Nord, le Sandougou lui donne une frontière naturelle. Au Nord, c’est la branche septentrionale qui forme la séparation. Il conduit à l’Ouest au Niani et au Nord au Kalonkadougou. Comme on le voit, ce pays est assez important. Il est très peuplé dans la partie Sud. Sa partie Nord l’est fort peu. Du Nord au Sud, sa plus grande dimension est d’environ 53 kilom. et de l’Est à l’Ouest elle est de près de 18 kilom. Sa superficie est d’environ 2500 kilom.
Description géographique. — Aspect général. — De même que pour le Ouli, on peut considérer dans le Sandougou deux parties bien distinctes l’une de l’autre sous tous les rapports, une partie Nord et une partie Sud. Une ligne fictive allant de Paqueba dans le Sandougou à Goundiourou dans le Ouli indiquerait d’une façon à peu près exacte la séparation de ces deux régions.
La partie Nord appartient à la région des Steppes. C’est un pays plat, à peine vallonné et absolument stérile. Son sol ingrat ne se prête à aucune culture et il est à peu près inhabité. On n’y trouve, en effet, que trois villages, Colibentan, Sandougoumana et Lamen, encore sont-ils situés sur les bords du marigot où la terre est un peu plus fertile.
Si l’on descend vers le Sud, l’aspect du pays change rapidement, surtout à partir de Kouta-Counda. Les steppes disparaissent, la végétation devient plus riche, et la nature du sol se modifie complètement. Enfin, à vingt kilomètres environ de la Gambie, nous trouvons un pays qui présente absolument l’aspect d’une de nos rivières du Sud. C’est la végétation des tropiques dans toute sa splendeur. Le sol y est d’une fertilité étonnante et le pays présente un aspect qui repose la vue du voyageur. En résumé, au Nord région de steppes stérile et inhabitée, au Sud, région tropicale riche, fertile et excessivement peuplée. Peu de collines dans le Sandougou, et celles que l’on y rencontre dans le Sud particulièrement sont fort peu élevées. Elles sont, par contre, excessivement boisées, et, en tout temps, les végétaux qui les couvrent sont couverts de feuilles. A notre avis, la partie Sud du Sandougou est la plus fertile des régions que nous ayons visitées au Soudan.
Hydrologie. — A ce point de vue, le Sandougou appartient tout entier au bassin de la Gambie. C’est dans ce fleuve, en effet, que se jettent tous les marigots qui arrosent le pays, marigots, du reste peu nombreux et fort peu importants, à part le Sandougou. Si la Gambie ne reçoit que peu de marigots, par contre, elle forme un grand nombre de véritables criques qui donnent aux terres qui les avoisinent une étonnante fertilité.
La région Nord du Sandougou est fort peu arrosée. Nous n’y trouvons, en effet, que le Sandougou lui-même tout-à-fait à l’extrémité Nord. Il forme là deux branches dont l’une passe à Koussanar et l’autre non loin de Goundiourou dans le Ouli. Bien que toute l’année il y ait de l’eau, elle n’y coule cependant pas, pendant la saison sèche. Comme nous l’avons dit plus haut, cette région septentrionale est absolument un pays de steppes, et c’est à peine si de loin en loin on y rencontre quelques mares où croupit une eau absolument impropre aux usages domestiques.
La région du Sud est, au contraire, puissamment arrosée, non pas qu’il s’y trouve beaucoup de marigots, mais parce que le sol est, pour ainsi dire, imprégné par les eaux d’infiltration et cela à une distance assez considérable du cours du fleuve. Il en résulte de véritables marécages qui, pendant l’hivernage, sont transformés en magnifiques rizières et qui se dessèchent pendant la saison sèche, laissant à nu une couche assez épaisse de vases et d’argiles. Le pays est parsemé de mares peu profondes, à fonds d’argiles et de vases qui se dessèchent également pendant la saison sèche.
Le Sandougou, de son embouchure entre Paddy et Fory, jusqu’aux environs de Sandougoumana, où il se divise en deux branches, est un large marigot de 60 à 70 mètres environ de largeur et excessivement profond. Entre ces deux points extrêmes, en toute saison, l’eau y coule claire et limpide. Non loin de ses bords, sur les deux rives, s’élèvent des villages relativement nombreux. On a pu remarquer à ce propos que les rives de la Gambie étaient peu peuplées. Les villages que l’on y rencontre sont assez éloignés du fleuve. Il en est de même pour le Sandougou. Cela tient à ce que les bords du fleuve sont, pendant l’hivernage et pendant une bonne partie de la saison sèche, transformés en véritables marais absolument inhabitables.
En résumé, l’hydrologie du Sandougou est des plus simples : deux grands cours d’eau, la Gambie et le Sandougou. Pas de marigots proprement dits, mais de véritables criques que forment dans l’intérieur des terres les nombreux détours que présente le fleuve. La région Nord absolument aride, la région Sud, au contraire, couverte de mares et de marais produits par les infiltrations souterraines, transformées en rizières pendant l’hivernage et à sec pendant la saison sèche.
Orographie. — De ce que nous venons de dire de l’hydrologie du Sandougou, on peut facilement en déduire ce que peut être son orographie. Dans la région Nord, terrain absolument plat, quelques dunes de sables ou d’argiles compactes et voilà tout. Pays à peine vallonné. Dans la région Sud, nous ne trouvons à mentionner comme reliefs de terrain appréciables que la chaîne de petites collines qui longe la Gambie à environ 1500 mètres de sa rive et que nous retrouvons dans tout le cours de ce fleuve, sauf dans une certaine partie du Tenda. Ces collines sont peu élevées. Elles n’ont guère plus au maximum de trente à quarante mètres au-dessus du niveau du fleuve, et elles sont excessivement boisées. Par-ci par-là, on trouve, en outre, quelques petites collines d’un ou deux kilomètres de longueur sur 500 mètres ou un kilomètre de largeur et venues là on ne sait d’où ni comment. Elles semblent placées dans les plaines, comme de véritables buttes de tir et sont couvertes d’arbres. Leurs flancs sont assez à pic, et, de ce fait même, profondément ravinés par les pluies de l’hivernage.
De même que sur les bords de la Gambie, nous avons remarqué une petite chaîne de collines, de même il en existe une semblable le long du Sandougou, ces collines n’atteignent pas plus d’une dizaine de mètres de hauteur et sont formées d’argiles et non de roches, comme les précédentes. Ce sont plutôt de légères ondulations du sol que des collines véritables.
Constitution géologique du sol. — A ce point de vue, nous considérons dans le Sandougou deux régions bien distinctes : la région Nord et la région Sud. Nous avons indiqué plus haut la ligne qui pourrait les séparer.
Dans la région Nord région de steppes soudaniennes, nous trouvons à peu près les mêmes terrains que dans le Kalonkadougou et la partie Nord du Ouli auxquels, du reste, elle confine. Une couche épaisse de sables, soit alluvionnaires, soit produits par la désagrégation des roches par les pluies d’hivernage, recouvre par endroits une couche plus épaisse d’argiles compactes. En d’autres lieux, cette première couche fait absolument défaut et on trouve de suite les argiles. Le sous-sol est généralement formé de terrains ardoisiers, dont les schistes apparaissent à nu en certains endroits, schistes lamelleux et micacés surtout. Ailleurs, et le fait est assez rare, nous trouvons quelques grès et quelques quartz. La roche et le conglomérat ferrugineux font presque partout défaut. On n’en trouve que quelques rares échantillons semés par-ci par-là, on ne sait ni comment ni par qui, véritables cailloux roulés, blocs erratiques qui ont dû être entraînés dans ces régions désolées par les inondations. Il est facile de voir, du reste, qu’ils sont en voie rapide de désagrégation. La latérite fait absolument défaut.
Telle est la constitution géologique du sol de la région méridionale du Sandougou. A mesure que nous descendons dans le Sud, l’aspect du terrain change absolument. Les sables du Nord et les argiles disparaissent quand on approche de la Gambie. Elles font place à un tout autre terrain qui mérite une description toute particulière.
Tout d’abord le sous-sol n’est plus le même. Les schistes du terrain ardoisier ont disparu pour faire place aux quartz, grès et conglomérats ferrugineux. Par-ci, par-là, la roche émerge au-dessus de la croûte terrestre et forme ces collines isolées, rouges, dont nous avons parlé plus haut. Ailleurs ce sont de vastes plateaux rocheux, creusés parfois en cuvettes remplies d’eau pendant la saison des pluies. Plus on approche de la Gambie et plus le sous-sol rocheux est profondément enfoui sous une épaisse couche de terres fertiles et cultivées. Cette couche diffère suivant les endroits où on l’étudie. Au nord, au point où commence la région méridionale, elle est formée d’une couche peu épaisse de latérite que recouvre un sable excessivement fin, produit par la désagrégation des roches cristallines. Plus au sud, nous avons bien toujours la même couche de latérite ; mais les sables ont disparu et ont fait place en certains endroits à une couche relativement épaisse d’humus, et, en d’autres, dans les marais, à une couche vaseuse qui repose elle-même sur une couche épaisse d’argiles compactes.
Ainsi que nous l’avons dit plus haut, les rives de la Gambie à un kilomètre environ à l’intérieur des terres sont couvertes de marécages pendant l’hivernage, et, pendant la saison sèche, présentent une couche relativement épaisse d’alluvions récentes, séchées, durcies et profondément fendillées par l’action du soleil et du vent d’Est.
Les collines qui la bordent sont formées de terrains identiques au sous-sol que nous venons de décrire. En maints endroits, la roche s’y montre à nu. Cela est dû à ce que les flancs sont assez abrupts pour que les grandes pluies d’hivernage entraînent dans la plaine toute la terre qui peut s’y trouver. Aussi sont-elles profondément ravinées.
Flore. Productions du sol. Cultures. — La région nord est absolument stérile. Nous n’y trouvons que la flore des terrains pauvres en humus, quelques mimosées rachitiques aux dards acérés et autres végétaux aux formes bizarres, étranges, que le sol n’a pu faire se développer d’une façon normale. Dans le fond des vallons où croupit, pendant la saison des pluies, une eau absolument impropre à n’importe quel usage domestique que ce soit, on trouve une brousse maigre formée de quelques graminées minces et ténues et de quelques cypéracées.
On comprend aisément ce que peuvent être les cultures dans un pareil terrain et ce que peut produire le sol. Hâtons-nous de dire toutefois que cette région est à peu près inhabitée, sauf en deux ou trois endroits où la terre, étant plus fertile, se sont construits les villages de Colibentan, Sandougoumana et Lamen. Le mil est la principale culture, pour ne pas dire la seule. C’est surtout la variété baciba qui y est cultivée. Si nous citons, outre cela, le tabac, et quelques lougans d’arachides, nous aurons épuisé les cultures de la région Nord.
Autant la région Nord est pauvre, autant la région Sud est riche. La végétation y est d’une rare vigueur et rappelle celle de nos Rivières du Sud. Légumineuses gigantesques, N’tabas, fromagers, caïl-cédrats, ficus énormes et de toutes natures, baobabs, etc., etc., y abondent. Le sol y produit tout ce que les indigènes y veulent bien cultiver. Le mil, le maïs y atteignent des proportions énormes et y donnent un rendement considérable. Le riz y abonde et forme la plus grande partie de l’alimentation indigène. C’est surtout sur les bords du fleuve et du marigot, à deux ou trois kilomètres de leurs cours, que se trouvent les plus belles et les plus riches rizières du Sandougou. Mais de toutes les cultures, celle qui est la plus développée et qui donne le rendement le plus considérable est assurément celle de l’arachide. Tout, du reste, concourt, dans le Sandougou, à rendre cette culture excessivement productive : la nature du terrain et le zèle des travailleurs, qui s’y livrent sur une grande échelle ; car ils savent qu’ils en tireront profit. Les arachides du Sandougou sont très belles et sont fort recherchées des commerçants de la Gambie. Elles sont de beaucoup supérieures à celles du Cayor et du pays de Galam. Si l’on parcourt le Sandougou on pourra constater que toute la bande de terrain qui, des rives du fleuve, s’étend à environ quinze kilomètres à l’intérieur, est presque uniquement occupée par cette culture et, encore, que de terrains perdus et qui pourraient être utilisés. Outre les cultures mentionnées plus haut, nous citerons encore le tabac, l’oseille, les cucurbitacées de toutes sortes, le coton, etc., etc. Cette dernière culture est excessivement développée et avec le produit on fabrique dans le pays une étoffe qui sert de monnaie.
En résumé, le Sandougou, dans sa partie Sud, peut être considéré comme le pays le plus fertile de cette région. Il suffirait de peu d’efforts pour augmenter d’une façon notable sa production. Malheureusement, la plus grande partie des terres qui seraient susceptibles de culture ont été cédées par nous aux Anglais par le traité qui détermine nos possessions et les leurs en Gambie. Par contre, dans cette région, le commerce qui s’y fait est heureusement entre les mains de la Compagnie Française de la côte occidentale d’Afrique et du Sénégal.
Faune. Animaux domestiques. — La faune est peu riche. Les grands fauves y font complètement défaut, et c’est à peine si on y trouve quelques sangliers et quelques rares biches. Pas d’antilopes. Peu d’animaux nuisibles. Nous ne citerons que les chacals, hyènes, lynx et panthères, encore sont-ils très rares. Dans la Gambie et le Sandougou foisonnent les caïmans et les hippopotames.
Les animaux domestiques y sont les mêmes que dans les autres pays. Beaucoup, beaucoup de bœufs petits, mais de bonne qualité. Le lait que donnent les vaches est absolument de qualité supérieure et les Peulhs du pays en fabriquent un beurre qui n’est pas à dédaigner, surtout quand il a été battu à nouveau et nettoyé avec soin. Le commerce des peaux de bœufs qui se fait avec Mac-Carthy est assez important et il ne ferait que s’accroître si les habitants amélioraient leurs procédés d’élevage. Peu de chevaux, ceux que l’on y trouve viennent du Ouli, du Niani et même du Cayor. Par contre, tous les villages regorgent littéralement de moutons, chèvres, poulets, canards. Mentionnons pour mémoire les chiens très nombreux et qui sont les agents les plus actifs et les seuls, du reste, de la voirie. Peu de chats.
Population. Ethnologie. — Relativement à son étendue, le Sandougou est peu peuplé. Cela tient à ce que la région Sud est seule habitée. Il n’y a guère plus d’une douzaine de mille habitants, ce qui nous donne à peu près 4,5 habitants par kilomètre carré, ce qui est cependant au Soudan une proportion relativement élevée. On y trouve des peuples de plusieurs races différentes : Malinkés musulmans, Peulhs, Toucouleurs, Sarracolés, Ouolofs.
1o Malinkés musulmans. — Ce sont les maîtres du pays, les propriétaires du sol. Ce sont eux qui, venus les premiers dans le Sandougou après les migrations du Manding, le colonisèrent. Une seule famille occupa d’abord ce pays relativement étendu : celle des Dioulas. Ce sont encore les chefs du Sandougou. Quand, comment et à la suite de quels événements se convertirent-ils à l’Islamisme, nous ne saurions le dire. Tout ce que nous pourrions affirmer, c’est que, dans le Sandougou, tous les Malinkés, à quelque famille qu’ils appartiennent, sont musulmans et musulmans fanatiques. Aussi la plus grande partie de la population prit-elle fait et cause pour le marabout Mahmadou-Lamine.
Le Malinké du Sandougou est loin de présenter le type du parfait abruti que possède à un si haut degré le Malinké non musulman du Ouli et du Kalonkadougou, par exemple. Il est intelligent, a l’esprit fort éveillé et ses traits présentent une finesse que n’ont pas ceux des autres Malinkés. Il est travailleur (autant, bien entendu, qu’un nègre peut l’être) et propre. Les villages sont mieux construits, mieux entretenus. Dans chaque village se trouvent une ou plusieurs mosquées, bien faites, bien disposées et couvertes en paille. Les abords en sont toujours excessivement propres, et ce ne sont pas les endroits les moins fréquentés du village. Les usages, coutumes, etc., sont chez eux les mêmes que chez les autres peuples musulmans.
2o Peulhs. — Les Peulhs sont très nombreux dans le Sandougou. Ils s’y livrent avec ardeur à la culture et à l’élevage. Ils sont là aussi sales que partout ailleurs et leurs villages y sont les mêmes que dans les autres pays. Non loin d’être musulmans, ce sont, au contraire des ivrognes fieffés ; d’où sont-ils venus ? Tout porte à croire qu’ils ont suivi les premiers colons et qu’à ce petit noyau sont venues se joindre d’autres familles émigrées du Cayor, Fouta-Djallon et surtout du Fouladougou. Le Peulh est, nous le savons, une race excessivement nomade. Il vit presque partout dans une espèce de sujétion vis-à-vis des propriétaires du pays. De ce fait même qu’il est nomade, il est exposé, dans ses pérégrinations, à être, à chaque instant, pillé. Aussi cherche-t-il un coin où la terre soit bonne pour y fixer sa tente, et quand il l’a trouvé, il s’y installe avec sa famille et avec l’autorisation du chef du pays dont il est, pour ainsi dire, l’humble serf. Je ne saurais mieux comparer l’état de sujétion dans lequel vit le Peulh vis-à-vis de son protecteur. Celui-ci parfois le rançonne et le pressure à outrance, ce qui entraîne souvent de grandes émigrations. D’autres, plus intelligents, le laissent en paix dans ses lougans, comprenant qu’il est une véritable source de richesse et de bien-être pour son pays. Malgré tout cela, le Peulh jouit de sa liberté entière et dans le Sandougou plus que partout ailleurs. Il ne contribue pas peu à augmenter la richesse du pays. C’est ce qu’ont compris les maîtres du Sandougou.
3o Sarracolés. — Nous trouvons encore dans le Sandougou quelques Sarracolés. Ils y ont formé trois villages auprès de villages Malinkés sous la tutelle desquels ils semblent se trouver. Ces Sarracolés sont venus les uns du Guidioumé, lors de la conquête du Kaarta par El-Hadj Oumar, les autres du pays de Ghabou (aujourd’hui Fouladougou), lors de la conquête de ce pays par le père de Moussa-Molo, Alpha-Molo et par Moussa-Molo lui-même. Ils sont venus les uns et les autres, chassés par les conquérants, se réfugier là. Ils y vivent en paix en cultivant leurs lougans et faisant un peu de commerce, fort respectueux de l’autorité de ceux qui leur ont donné l’hospitalité et qui les ont protégés.
4o Ouolofs. — Quelques centaines de Ouolofs émigrés du Bondou sont également venu se fixer dans le Sandougou pour fuir les exactions des Almamys et surtout des membres de leur famille. Ils ont formé deux villages où ils vivent fort heureux, disent-ils, et où personne ne les tracasse et ne les empêche de cultiver leurs champs et d’élever leurs troupeaux. Ils reconnaissent l’autorité des maîtres du pays et ceux-ci ont le bon esprit de ne pas les pressurer. Ils sont, en résumé, absolument libres sur le sol du Sandougou.
5o Toucouleurs. — Ils forment, après les Peulhs, dans le Sandougou, la colonie la plus nombreuse et ont réussi à se rendre indispensables et indépendants. Ils forment un petit État. Ce sont des Torodos venus du Fouta-Toro. Ils sont grands cultivateurs de mil, arachides, etc., et leur situation toute particulière à l’embouchure du Sandougou, dans la partie la plus fertile du pays, leur permet d’avoir des cultures fort étendues et d’en retirer, chaque année, un profit certain en vendant leurs produits à Mac-Carthy qui est peu éloigné.
Situation et organisation politiques. — Il faut remonter à quelques années afin de bien comprendre quelle est la situation politique actuelle du Sandougou. Le Sandougou, tel que nous venons de le décrire et dans les limites naturelles que nous lui avons données a, de tout temps, appartenu à la famille des Malinkés musulmans des Dioulas à laquelle appartient encore aujourd’hui le chef de ce pays, Guimmé-Mahmady.
Il y a environ vingt ou vingt-cinq ans, le pouvoir était entre les mains du frère du chef actuel. De son vivant, quelques Toucouleurs Torodos, établis dans le Niani à Koussalan, vinrent, sous la conduite de leur chef Maka-Cissé, demander au chef du Sandougou l’autorisation de s’établir à Niankoui, non loin de l’embouchure du Sandougou. Non seulement l’autorisation leur fut accordée, mais encore on leur donna le terrain en nu-propriété. Les Toucouleurs s’établirent là, y construisirent le village de Niankoui qu’ils appelèrent Dinguiray et s’y retranchèrent fortement derrière un solide sagné qui leur permit de repousser les attaques incessantes de leurs voisins, les Malinkés musulmans de County (Niani). Mais là, comme partout ailleurs, du reste, les Toucouleurs firent la tache d’huile et continuèrent à agrandir leur territoire. Des Torodos vinrent du Fouta se ranger auprès de Maka-Cissé. D’où nouvelles demandes de terrains au chef du Sandougou qui accordait toujours, heureux de voir se peupler son pays et ne comprenant pas qu’un jour viendrait où les Toucouleurs seraient plus maîtres que lui. C’est ainsi que se fondèrent une demi douzaine de villages Torodos qui reconnurent Maka-Cissé pour chef.
Vers la même époque, un autre Toucouleur, Ousman-Celli, émigré lui-même du Fouta-Toro, vint s’établir avec sa famille et quelques amis non loin du Sandougou, à Oualia. Il y fonda un gros village et à quelques centaines de mètres du marigot établit son frère à Saré-Demboubé.
Je passe sous silence les faits antérieurs qui intéressent Maka-Cissé et Ousman-Celli et la vie toute d’aventures qu’ils menèrent jusqu’au jour où ils vinrent se fixer définitivement dans le Sandougou, avec l’assentiment du chef de ce pays, qui leur prodigua tous les terrains dont ils pouvaient avoir besoin.
Tant qu’il vécut, tout alla bien et les deux fractions s’entendirent à merveille, les Toucouleurs reconnaissant son autorité ; mais, à sa mort, le pouvoir devait échoir à son frère Guimmé-Mahmady, encore enfant. Profitant de cela, un ancien captif de la famille régnante, Mody-Fatouma, prit en main l’autorité, et, sans la guerre contre le marabout Mahmadou-Lamine, il règnerait peut-être encore dans le Sandougou. Je n’ai pas besoin de dire que dans tout le désordre qui accompagna cette transmission des pouvoirs, les Toucouleurs surent tirer parti de la situation et firent reconnaître leur indépendance absolue vis-à-vis du Sandougou. Mais la guerre contre Mahmadou-Lamine venait d’éclater, et, bien entendu, Mody-Fatouma, en sa qualité de musulman, alla se ranger sous la bannière du faux prophète avec tous ses guerriers. Les Toucouleurs, plus rusés et sentant quelle serait l’issue de la lutte, vinrent, sous la conduite de leurs chefs Maka-Cissé et Ousman-Celli, grossir la troupe des auxiliaires de la colonne qui opéra contre Toubacouta. Ce village pris, le marabout mort, le capitaine Fortin, pour remettre les choses en état dans le Sandougou, lança notre allié, Moussa-Molo et ses Peulhs, contre Mody-Fatouma, qui, fait prisonnier, eut la tête tranchée. Guimmé-Mahmady, le véritable chef du Sandougou, fut rétabli dans son autorité. L’indépendance des Toucouleurs fut de nouveau reconnue et, en 1889, le capitaine Briquelot fut chargé d’établir les limites des deux pays.
Il existe donc, à proprement parler, dans le Sandougou, deux parties, l’une, la véritable, celle de Guimmé-Mahmady, que nous désignerons sous le nom de Sandougou oriental, et l’autre commandée par Maka-Cissé, et que nous désignerons sous le nom de Sandougou occidental.
Dans toutes ces affaires, Ousman-Celli, ne voulant pas voir l’autorité Toucouleure divisée, se rangea sous les ordres de Maka-Cissé ; mais celui-ci conserva à son village toutes ses prérogatives et libertés.
Le Sandougou oriental (Guimmé-Mahmady) est bien plus vaste que son voisin. Sa population peut être estimée à environ 6 à 8.000 habitants, Malinkés, Peulhs, Sarracolés, Toucouleurs, dont voici les villages :
| 1o Villages Malinkés musulmans. | ||
| Dalésilamé. | Tiangali. | Couraho. |
| Toubacouta. | Diakaba. | Paqueba. |
| Kouongo. | Missira (résidence du chef). | Medina. |
| Koundansou. | Diabougou. | Sandougoumana. |
| Boulembou. | Tabadian. | |
| 2o Villages Peulhs. | ||
| Pilengui. | Saré-Demba-Laba. | Saré-Fodigué. |
| Saré-Dadé. | Diamkoulori. | Saré-Bourandio. |
| Souma-Counda. | Sara-Ouri. | Sidigui-Counda. |
| Ouali-Dembera. | Ahmadyciré. | Saré-Koli-Demou. |
| Tiangali-Foulbé. | ||
| 3o Villages Toucouleurs. | ||
| Alphagaia. | Dialloubé. | |
| 4o Villages Sarracolés. | ||
| Dalésilamé. | Diabougou. | Boulembou. |
Le Sandougou occidental (Maka-Cissé) est bien moins important que le précédent. Il ne compte guère plus de 4 à 5.000 habitants. Autour des villages Toucouleurs se sont élevés quelques villages Ouolofs et Peulhs. Du reste, les Toucouleurs font tout ce qu’ils peuvent pour attirer chez eux les émigrants, et nul doute que ce petit pays ne soit appelé à un avenir certain. Voici la liste de ses villages :
| 1o Villages Toucouleurs. | |||
| Naoudé. | Oualia. | Alimakaia. | |
| Saré-Demboubé. | Kamana-Counda. | Dinguiray ou Niankoui (résidence du chef). | |
| 2o Villages Ouolofs. | |||
| Tabandi. | Baia. | ||
| 3o Villages Peulhs. | |||
| M’Barani. | Saré-Demba-Ouali. | Saré-Guéda. | Saré-Dialo. |
D’après ce que nous venons de dire, on comprend que la situation ne soit pas des plus amicales entre les deux chefs du Sandougou. Sans doute, Guimmé-Mahmady ne peut faire autrement qu’accepter ou plutôt supporter une situation qu’ont créée ses prédécesseurs et que des traités ont sanctionnée. Mais il n’en existe pas moins une sourde hostilité entre les deux pays, et on en serait déjà venu aux mains si nous n’étions pas là. Guimmé-Mahmady voit bien où tendent les Toucouleurs, à s’agrandir sans cesse à ses dépens. Il n’est que temps qu’une solution intervienne et que des limites certaines soient assurées aux deux États, afin que chacun reste chez soi et pour éviter ainsi tout conflit. Un grand pas a déjà été fait dans ce sens, grâce à l’énergie de M. le capitaine Roux, commandant du cercle de Bakel, et à la connaissance approfondie qu’il a des affaires de ce pays. Mais il y a encore beaucoup à faire pour arriver à y étouffer tous les germes de discorde qui sont le plus grand obstacle à son développement.
Comme dans tous les pays noirs, le sol, dans le Sandougou, appartient aux maîtres du pays. Les habitants ne sont, pour ainsi dire, que des usufruitiers. Il n’existe aucun impôt et l’autorité du chef du pays vis-à-vis des autres chefs de villages est bien peu de chose. Elle se borne uniquement à un rôle de juge et à commander les guerriers pendant la guerre. J’ai cru cependant remarquer que Guimmé-Mahmady, de même que Maka-Cissé, du reste, étaient plus obéis que les autres chefs de pays que nous avions vus jusqu’à ce jour. Tous les deux ont le bon esprit de ne pas imiter leurs voisins du Ouli et de ne pas pressurer les populations qui viennent leur demander l’hospitalité. Peulhs, Toucouleurs, Malinkés musulmans, Sarracolés, Ouolofs jouissent partout des mêmes libertés et tous se trouvent fort heureux de leur sort. Il se fait, du reste, du Bondou, du Fouta-Toro, du Saloum et du Fouladougou un véritable courant d’émigration qui permet de rendre ce pays encore plus prospère dans un avenir plus ou moins éloigné : chaque année, les cultures y augmentent d’une façon notable et nous ne doutons pas que s’il s’y établissait une ou plusieurs factoreries, le commerce, déjà assez important, ne ferait que croître et se développer dans une notable proportions.
Rapports avec les autorités Françaises. — Conclusions. — Le Sandougou tout entier est placé sous le protectorat de la France, depuis 1887, après les événements de Toubacouta et la mort du marabout Mahmadou-Lamine. Depuis cette époque, nous n’avons eu qu’à nous louer des rapports que nous avons eu tant avec l’un qu’avec l’autre des deux chefs, et les clauses du traité ont toujours été scrupuleusement exécutées. L’ordre n’a pas cessé de régner dans le pays, et le commerce a pu s’y faire librement et en toute sécurité. Au point de vue politique, administratif et judiciaire, le Sandougou relevait autrefois du commandant du cercle de Bakel et du commandant supérieur du Soudan Français. Actuellement, d’après les dernières dispositions prises par le gouvernement, il a été rattaché à la colonie du Sénégal et relève de son gouverneur.
En résumé, le Sandougou est un pays riche, du moins dans sa partie Sud, et qui tend à se développer. Nous ne saurions trop faire pour le favoriser. Aussi notre premier soin doit-il être de faire cesser au plus tôt les discussions qui existent entre Guimmé-Mahmady et Maka-Cissé. Malheureusement, le pays était trop éloigné de notre centre d’action pour que notre protectorat s’y fît sentir d’une façon efficace et profitable. Monsieur le gouverneur du Sénégal a remédié à cet état de choses en établissant dans ces régions un administrateur colonial dont la présence suffira pour y ramener la bonne entente et qui pourra régler sur les lieux les questions qui divisent les deux chefs. Quand ce résultat aura été obtenu, nous devrons faire tous nos efforts pour y créer un véritable courant commercial à notre profit et, pour y arriver, il suffira de protéger le plus possible le commerce déjà existant et d’en favoriser le développement.
CHAPITRE VI
Départ de Oualia. — Passage du Sandougou. — Cissé-Counda-Teguenda. — Countiao. — Cissé-Counda. — Arrivée à Koussalan. — Grande fatigue éprouvée pendant la route. — Description de la route du Sandougou à Koussalan. — Koussalan, sa population, son chef. — Beaux lougans. — Le mil. — Le maïs. — Le tamarinier. — Départ de Koussalan. — Carantaba. — Beaux jardins d’oignons. — Calen-Foulbé. — Calen-Ouolof. — Description de la route de Koussalan à Calen-Ouolof. — Le Laré ou Saba, liane à caoutchouc. — Je reçois une lettre de M. l’Agent de la Compagnie française à Mac-Carthy. — Nuit sans sommeil. — Les moustiques. — Départ de Calen-Ouolof. — Rosée abondante. — Yola. — Couiaou. — Lamine-Sandi-Counda. — Medina-Canti-Countou. — Arrivée à Lamine-Coto. — J’y trouve M. Joannon, agent de la Compagnie française à Mac-Carthy. — Réception amicale. — Arrivée à Mac-Carthy. — Description de la route de Calen-Ouolof à Mac-Carthy. — Le riz et les rizières. — Le rônier. — Installation et séjour à Mac-Carthy. — Réception sympathique. — Arrivée de MM. Frey et Trouint, agents de la Compagnie. — Nombreux achats en prévision de mon voyage au Kantora, à Damentan et aux pays des Coniaguiés. — Nous sommes tous malades. — Départ retardé.
Malgré une nuit sans sommeil et une grande faiblesse, je pus quitter Oualia le 3 novembre à six heures du matin. Ousman-Celli avait tenu à m’accompagner et à assister en personne avec quelques-uns de ses hommes au passage du Sandougou, afin que tout se passât régulièrement ; à six heures trente nous traversons le petit village de Saré-Demboubé, qui dépend de Oualia, et, à six heures cinquante, nous sommes sur les bords du Sandougou. Le passage commence immédiatement. A l’aide des pirogues tout se fait rapidement et sans accident. Seul, le cheval de Sandia nous donna quelque ennui, car ne voulant pas entrer dans l’eau qui est très profonde, il fallut l’y précipiter. Tenu alors par la bride, par son palefrenier assis dans la pirogue, il nagea vigoureusement et atteignit sans encombre l’autre rive. Je passai le dernier quand tout eût été terminé et que j’eus bien constaté que rien ne manquait. Pendant toute la durée de l’opération je fus obligé de rester assis sur la berge tant était grande la lassitude que j’éprouvais. Ousman-Celli ne me quitta pas un instant et insista même encore pour que je restasse chez lui plus longtemps afin de me reposer et me rétablir complètement. Malgré le désir que j’en avais, je refusai et le remerciai de sa bonne hospitalité. Enfin, à 7 h. 45, je pus me remettre en route, bien que j’eusse encore des nausées et de fréquents vertiges.
Nous n’avions pas quitté la rive droite depuis dix minutes que nous traversions le petit village de Cissé-Counda-Teguenda. Il peut avoir environ cent cinquante habitants, tous Malinkés Musulmans, et il est entouré de beaux lougans de mil. Au moment où nous les avons traversés les travailleurs étaient occupés à en courber les tiges en deux, sans doute pour lui permettre de mieux mûrir. Elles sont si élevées, qu’ils sont obligés, pour en attirer à eux l’extrémité, de se servir d’un long bambou terminé par un crochet.
Deux kilomètres après avoir quitté Cissé-Counda-Teguenda, nous traversons le marigot de Countiao M’Bolo, transformé à cette époque de l’année en véritable rivière. Nous rencontrons à ce moment le fils du chef de Koussalan, que son père envoie à notre avance pour nous souhaiter la bienvenue. Je lui serre la main et le remercie de sa prévenance. Je fus d’autant plus satisfait de cette démarche qu’on m’avait dit à Oualia que je serais mal reçu à Koussalan. Le fait d’être venu au-devant de moi me prouva le contraire et je poursuivis la route complètement rassuré sur l’accueil qui m’attendait.
Dix minutes après avoir traversé le marigot de Countiao nous arrivons au village qui lui a donné son nom.
Countiao. — C’est un village de Malinkés musulmans dont la population peut s’élever à quatre cents habitants environ. Il tombe littéralement en ruines et on y voit encore les derniers vestiges d’un tata en pisé qui devait être assez sérieux. Bien que je ne fus à cheval que depuis trente-cinq minutes au plus, je suis forcé de mettre pied à terre. Je suis littéralement à bout de forces, à peine me suis-je installé sous un superbe N’taba pour y prendre un peu de repos que je suis pris de violents vomissements. A plusieurs reprises j’expectore une notable quantité de bile et, soulagé, je puis me remettre en route sans avoir pu goûter au lait que le chef du village était venu m’offrir pour me désaltérer.
Deux kilomètres plus loin nous laissons sur notre droite le gros village Malinké musulman de Cissé-Counda. Il s’élève au fond d’une petite vallée absolument couverte de lougans d’arachides et m’a paru bien construit, bien que le tata qui l’entoure tombe en ruines. Ce tata, à en juger par les pans de mur qui sont encore debout, devait avoir au minimum une hauteur de quatre mètres et une largeur de deux mètres à la base et un mètre vingt-cinq centimètres au sommet. D’après les renseignements qui m’ont été donnés, c’était un des plus importants de la région.
Enfin, à neuf heures trente-cinq minutes, exténué et mourant de soif, j’aperçois avec plaisir les toits pointus de Koussalan, but de l’étape, où nous mettons pied à terre peu après. Il était temps, je ne tenais plus à cheval. J’avais mis trois heures et demie pour faire les 12 kilom. qui séparent Oualia de ce dernier village. Je n’avais pu marcher avec l’allure qui m’était habituelle, obligé de me reposer fréquemment.
A peine installé dans la case qui avait été préparée à mon intention, je me fis faire aussitôt par Samba, mon cuisinier, une légère tisane de feuilles de Kinkélibah. J’en bus en quelques heures plusieurs verres, et dans l’après-midi, à quatre heure, une abondante débâcle bilieuse étant survenue, la fièvre qui durait depuis vingt-quatre heures tomba brusquement. Je fus immédiatement soulagé et pus travailler un peu et manger le soir avec assez d’appétit quelques œufs à la coque et un peu de cette crème que Samba savait si bien confectionner.
De Oualia à Koussalan la route est bornée à droite et à gauche par une suite ininterrompue de lougans et de rizières qui s’étendent à perte de vue. C’est surtout aux environs de Countiao, Cissé-Counda et même Koussalan que se trouvent les rizières. Car ces villages sont entourés de vastes marais à fonds argileux. Le terrain présente ailleurs la même constitution que le reste du pays, latérite, terrain ferrugineux et argiles compactes. La flore ne change pas. Les arbres sont plus volumineux, voilà tout. Beaucoup de N’tabas.
Koussalan. — Koussalan est un village d’environ 1,200 habitants. Sa population est uniquement composée de Toucouleurs-Torodos émigrés du Fouta. Il est mal entretenu et on y voit encore les ruines d’un tata qui devait être assez respectable. Aujourd’hui, c’est un village absolument ouvert. Seules les cases du chef sont entourées d’un mauvais sagné, fortification faite avec des billes de bois jointives d’environ deux mètres cinquante centimètres de hauteur. Il est construit mi-partie à la mode Malinkée (cases en terre et toit en paille) et mi-partie à la mode Toucouleure (cases entièrement en paille).
Son chef porte le titre d’Alcati. — L’Alcati, dans les pays Toucouleurs et Sérères, est à proprement parler plutôt un chef militaire qu’un chef de village. On donne toutefois assez généralement ce titre aux chefs de village qui ont quelque renommée guerrière et on ajoute ce qualificatif à leur nom. Ainsi on dira Demba-Alcati, Samba-Alcati, etc., etc. Souvent aussi on se contente pour le désigner d’ajouter au nom de son village le mot Alcati. On dira de même Koussalan-Alcati, Fatick-Alcati, etc., etc. L’Alcati actuel de Koussalan est un vieillard d’environ une soixantaine d’années, encore vert, actif et vigoureux. Il me reçut fort bien et ne laissa manquer de rien ma caravane pendant la journée que nous avons été ses hôtes. Par contre, la population, à part quelques notables, est assez indifférente. Elle s’adonne surtout à la culture et à l’élevage et chaque famille possède de nombreuses têtes de bétail et des greniers bien remplis de mil, maïs, riz, arachides, etc.
Koussalan soutint, dans le courant de l’année 1879, un siège fameux contre l’armée alliée de Boubakar-Saada, almamy du Bondou, Alpha-Ibrahima, chef de Labé (Fouta Djallon) et Moussa-Molo, fils du roi du Fouladougou, Alpha-Molo. Koussalan, quelques années auparavant, avait reçu bon nombre de captifs évadés de Naoudé, village du Ferlo-Bondou, appartenant à Boubakar-Saada. Malgré les demandes réitérées de ce dernier il avait toujours refusé de les rendre. Aussi, fatigué de réclamer sans cesse sans obtenir satisfaction, l’almamy du Bondou se décida-t-il à aller attaquer Koussalan pour rentrer dans son bien.
Dans le courant de mars 1879, l’armée alliée traversa la Gambie et les deux rois vinrent camper entre Sini et Makadian-Counda (Ouli). Alpha-Molo, malade, était rentré dans sa capitale, et son fils, Moussa-Molo, avait pris le commandement des guerriers de Fouladougou. Du Ouli, Alpha-Ibrahima et Boubakar envoyèrent des émissaires dans le Niani, à Koussalan, pour exhorter les habitants de ce village à revenir à de meilleurs sentiments et à laisser les captifs de Naoudé rentrer dans leur village. Mais, les Toucouleurs se fiant à la solidité de leurs sagnés et de leurs tatas, s’y refusèrent net et battirent le tam-tam de guerre. Ils réunirent dans leurs murs un grand nombre de guerriers de la région Ouest de Koussalan et attendirent patiemment. Les villages de la région Est avaient fait partir les femmes, les enfants et les vieillards. Seuls, les guerriers valides étaient restés pour pouvoir, en cas d’attaque, défendre leurs cases. Vers la fin de mai, Boubakar et ses alliés quittèrent le Ouli et se mirent en marche contre Koussalan. Arrivés dans le Sandougou, les alliés envoyèrent de nouveau des émissaires aux Toucouleurs pour leur réclamer encore ceux qu’ils détenaient injustement. Non seulement on ne les laissa pas parler mais encore deux d’entre eux furent mis à mort. A cette nouvelle, les alliés n’hésitèrent plus et marchèrent contre le village ennemi. Mais, dès leur arrivée devant la place, quand ils virent les formidables sagnés dont elle était entourée et les nombreux guerriers qui garnissaient ses murs, ils reconnurent qu’il leur serait difficile de l’emporter de vive force. Ils résolurent alors d’en faire le siège en règle et, pour cela, l’armée du Bondou prit position à l’Est, celle du Fouta-Djallon au Nord et celle du Fouladougou au Nord-Est. De forts sagnés furent construits à environ une portée de fusil de ceux du village afin d’abriter les hommes et, du matin au soir, ce ne fut plus, chaque jour, qu’un échange continuel de coups de fusil. Cependant les assiégeants parvinrent à franchir le fossé qui entoure le village et à faire évacuer les postes qui se trouvaient entre le fossé extérieur et le sagné. Ils réussirent même à ouvrir quelques portes du sagné en coupant les lianes qui les retenaient. Mais, malgré ces quelques succès, l’armée alliée se décimait sans obtenir de grands résultats, et elle se disposait à donner un assaut décisif lorsque tout à coup on entendit de grands cris du côté du campement du Fouladougou. C’était du secours qu’arrivait à l’ennemi, par la route de Carantaba. Ce fut une panique indescriptible dans les rangs de l’armée alliée. Tous ses guerriers s’enfuirent à la hâte. La déroute fut générale. Alpha-Ibrahima et Boubakar, abandonnés par leurs hommes, n’eurent que le temps de monter à cheval et de s’enfuir. Ils faillirent même être cernés par des cavaliers ennemis, dont quelques-uns arrivèrent jusqu’à eux, et ils eussent été faits prisonniers si Ousman-Gassy et Modi-Yaya ne s’étaient pas vivement portés à leur secours et n’avaient pas dispersé les assaillants. Toute la soirée, ils couvrirent la retraite des deux rois, et tous purent repasser le Sandougou, au gué de Paqueba. Ils rentrèrent alors à Sini, où ils se reposèrent deux jours, pour rallier leurs hommes, dispersés de tous côtés et que les guerriers du Niani et du Sandougou poursuivirent jusque dans le Kalonkadougou et sur les bords de la Gambie. Trois cents hommes environ furent tués, neuf cents faits prisonniers et cinq ou six cents avaient disparu. Trois jours après, Boubakar se sépara de ses alliés et reprit le chemin du Bondou. Alpha-Ibrahima rentra à Labé, après avoir traversé la Gambie à Passamassi, et Moussa-Molo regagna le Fouladougou par Oualiba-Counda. Boubakar-Saada ne revint plus attaquer Koussalan.
Dans la guerre contre le marabout Mahmadou-Lamine, Koussalan prit parti pour nous et ses guerriers combattirent à nos côtés à Toubacouta. Aujourd’hui que la paix de ces contrées n’est plus troublée, les Toucouleurs se livrent en toute sécurité à la culture de leurs lougans. Ils en ont grand soin et, chaque année, récoltent en abondance mil, maïs, arachides, etc., etc.
Le Mil. — Le mil (Sorghum vulgare) forme au Sénégal, au Soudan, en un mot dans la plupart des régions de l’Afrique tropicale, la base de l’alimentation des indigènes et de leurs bestiaux. C’est une graminée de haute stature dont la tige atteint parfois en certaines régions trois et quatre mètres de hauteur. Il croît, de préférence, dans les climats chauds, où les deux saisons, sèche et pluvieuse, sont parfaitement tranchées. Il demande un sol assez fertile et riche surtout en nitrate de potasse.
Son grain est petit, rond. Il est enveloppé de deux écailles coriaces, résistantes, difficiles à séparer, de couleur tantôt noirâtre, tantôt rouge foncé.
On le sème au commencement de la saison des pluies, vers la fin mai ou dans les premiers jours de juin, et la récolte se fait pendant la saison sèche, aux mois de novembre et décembre.
Les terrains destinés à sa culture demandent peu de préparation. Les indigènes se contentent d’enlever les mauvaises herbes et de les brûler sur place. Ils en répandent les cendres sur les terrains destinés à être ensemencés et placent environ 8 à 10 graines par trou. Ces trous, profonds de 8 à 10 centimètres au plus, sont distants les uns des autres de trente à quarante centimètres. La graine enfouie est ensuite légèrement recouverte de terre. Dans certaines régions, comme à Damentan, au Niocolo, etc., etc., les cultivateurs ne s’en tiennent pas à ces procédés primitifs et forment de véritables sillons sans doute dans un but d’irrigation afin de permettre à l’eau des pluies de séjourner plus longtemps aux pieds de la plante. J’ai remarqué, en effet, que ce mode de culture était surtout employé dans les régions sèches, pauvres en marigots, et dans lesquelles on ne peut compter que sur l’eau du ciel pour fertiliser le sol.
Le rendement donné par le mil est considérable. Il est d’environ une tonne et demie par hectare et sa valeur vénale est de dix francs à peu près les cent kilos. Dans la Haute-Gambie tout le mil récolté est consommé sur place.
Il y existe certaines régions, comme le Sandougou et le Niani, dans lesquels on en fait deux récoltes par an, la première dans les terrains élevés et la seconde sur les berges du fleuve et des marigots, lorsque l’inondation a cessé et que les eaux sont rentrées dans leur lit. Le sorgho croît alors, grâce à l’humidité que le sol a conservée. Mais, en tous cas, cette seconde récolte est bien moins fructueuse que la première.
En général, le mil n’a qu’une panicule ; mais il n’est pas rare de voir des tiges en porter trois ou quatre. Cela se produit surtout dans les années très pluvieuses. Mais alors ces pousses secondaires sont petites et produisent peu.
Les feuilles sont longues et assez larges. Vertes, elles forment un aliment précieux pour les animaux, et sèches elles sont surtout recherchées par les chèvres et les moutons. Les bœufs, animaux délicats, n’en mangent que fort peu, dans ce second cas. Il en est de même pour les chevaux.
Le diamètre d’une tige de mil, pris à partie moyenne, varie entre deux et trois centimètres et demi.
On distingue deux sortes de sorghos ou mils : le gros et le petit. Elles se subdivisent à leur tour en un nombre infini de variétés portant chacune un nom indigène particulier et qui se distinguent les unes à la forme et les autres à la couleur de leurs grains.
Les variétés de gros mil les plus communes dans la Haute-Gambie sont : le gadiaba, le guessékélé, le baciba, le hamariboubou, le madio.
Le gadiaba demande des terrains argileux comme, du reste, toutes les variétés de gros mil. Sa tige est très élevée. Les axes de ses panicules sont très longs et très nombreux. Ils portent à leur extrémité libre une graine de la grosseur d’un pois dont l’enveloppe est noirâtre.
Le guessékélé est cultivé un peu partout. Il ressemble beaucoup comme port au gadiaba ; mais il en diffère par ses panicules dont les axes sont peu fournis et beaucoup plus longs. Sa graine dépourvue de son enveloppe, moins noire que celle du précédent, est d’un beau blanc nacré. C’est le mil nacré très recherché pour les animaux. Il est tendre et se broie facilement.
Le baciba a le même aspect que les précédents, mais ses feuilles sont plus courtes et plus larges. Ses panicules sont relativement courtes et leurs axes moins longs que ceux des variétés dont nous venons de parler. La couleur de ses grains est rouge, ainsi, du reste, que les détritus que donnent la préparation de sa farine. Il est surtout employé par les indigènes pour la préparation de leur couscouss. Son grain très dur est difficilement broyé par les animaux. Aussi doit-on éviter de l’employer pour leur alimentation à l’exclusion des autres ; car il peut parfois déterminer de graves occlusions intestinales. Il importe de ne pas le confondre avec le mil rouge de Sierra-Leone, qui est une autre variété tout aussi mauvaise pour les chevaux.
Le hamariboubou diffère des précédents par sa panicule dont les axes sont excessivement courts, ce qui la fait ressembler à un véritable pain de sucre. La taille de la plante ne dépasse jamais 1m50 à deux mètres, et ses grains sont enveloppés par une pellicule de couleur roussâtre caractéristique. Le rendement de ce mil est considérable. C’est la plus productive de toutes les variétés.
Le madio, c’est la seule espèce de gros mil dont la panicule porte des axes si rapprochés et si courts qu’on pourrait la confondre avec un véritable épi. Il ressemble comme forme au millet que nous donnons en France aux oiseaux. Arrivé à maturité, les panicules ont une couleur brunâtre caractéristique. Leur longueur est d’environ trente à trente-cinq centimètres. Il n’en vient généralement qu’une seule à l’extrémité de la tige dont la hauteur ne dépasse pas deux mètres. Les feuilles sont longues et très étroites en forme de fer de lance. Une des enveloppes de la graine se termine à son extrémité libre par un filament de plusieurs centimètres, 5 ou 6, de longueur, qui tombe à la maturité. La graine, dépourvue de ses enveloppes, qui sont moitié blanches et noires, a une belle couleur d’un blanc mat. On le récolte un des premiers.
Les variétés de petit mil les plus communes dans la Haute-Gambie sont : le Souna, le Sanio, le N’guéné.
Le Souna est, de toutes les variétés de mil, celle qui arrive le plus rapidement à maturité. Semé en juillet, on peut le récolter en septembre et en octobre. Sa tige est de petite taille. Ses feuilles, très étroites et très longues, sont peu nombreuses, huit ou dix au maximum par pied. Sa panicule est relativement longue, trente à trente-cinq centimètres environ, et ses axes sont si courts que son diamètre à la partie moyenne ne dépasse pas un centimètre et demi. Contrairement au madio, l’enveloppe de sa graine ne se termine pas en filament. La graine, très petite, égale en grosseur la moitié de celle du gros mil. Elle est d’un blanc mat et est très difficile à décortiquer. Sa farine donne à la cuisson un couscouss fort apprécié.
Le Sanio. — Il ressemble beaucoup à ce dernier. Par exemple, il ne mûrit que longtemps après lui, vers le milieu de novembre. Quand il est mûr, ses panicules diffèrent de celles du Souna par leur couleur vert glauque qui permet de ne pas les confondre. L’enveloppe de ses graines est aussi légèrement verte. Il est de petite taille et ses feuilles, au lieu de retomber comme celles des autres mils, sont presque droites, fortement engaînantes à la base et presque appliquées contre la tige.
Le N’guéné pourrait presque être considéré comme une variété intermédiaire entre le gros mil et le petit mil. Il a l’aspect du sanio, mais ses graines sont plus volumineuses sans égaler toutefois la grosseur de celles du gros mil. Il arrive à maturité complète de fin octobre à fin novembre. Quand il est mûr, ses graines se détachent facilement. Aussi le cueille-t-on avant qu’il soit arrivé à complète maturité et le fait-on sécher en tas de forme cubique dressés sur des piquets qui soutiennent des nattes et qui sont fixés sur une aire bien battue et enduite au préalable de bouse de vache délayée dans une petite quantité d’eau.
Mentionnons encore une variété intermédiaire entre le gros et le petit mil. C’est le Tiokandé. Cette variété est très sucrée et peu cultivée. Elle est peu appréciée pour le couscouss. Mais je crois qu’il serait bon d’en favoriser le développement et la propagation ; car elle pourrait être utilisée avec profit pour la fabrication d’un alcool qui a été reconnu être de bonne nature. C’est avec de la farine de Tiokandé que, dans les pays mandingues, on confectionne, le dernier jour de l’année, pour la fête des captifs (Dionsali), les friandises, boulettes et galettes que l’on a l’habitude, en cette circonstance, de distribuer aux enfants du village.
Il existe enfin une dernière espèce de mil assez commune dans le Niani, le Nord du Ouli et du Sandougou, le Tenda et le pays de Gamon, c’est le Bakat, ou mil des oiseaux, qui croît à l’état sauvage et ressemble au millet de France. Les indigènes n’en font guère usage que lorsque, pour une cause quelconque, le mil cultivé vient à manquer.
Toutes ces variétés de mil servent à la nourriture des indigènes. Sauf le mil rouge, toutes pourraient être également employées dans l’alimentation des animaux. Mais nous croyons préférable de n’avoir recours qu’au gros mil. Il se broie, en effet, aisément et se digère bien. Il n’en est pas de même du petit mil. Ses grains sont parfois trop petits pour être saisis sous les arcades dentaires, ils glissent sans être broyés dans le pharynx et l’animal les avale, en majeure partie, entiers. De ce fait, ils se digèrent mal, et la bête se nourrit peu. Nous avons vu des animaux, chez lesquels l’usage exclusif du petit mil déterminait parfois des diarrhées qui disparaissaient dès qu’on en supprimait l’emploi. Pour se bien nourrir, un cheval doit, en temps ordinaire, consommer de quatre à cinq kilos de mil par jour.
La paille des panicules constitue également un excellent aliment dont les chevaux, bœufs, chèvres, moutons sont exclusivement friands. Mais elle est loin d’égaler en principes nutritifs la paille d’arachides.
Les indigènes consomment les grains de mil sous quatre formes différentes, en entier crus ou bouillis, concassé, c’est le Sankalé, ou transformés en farine.
Rarement ils les mangent crus. Ils n’en font guère usage sous cette forme que lorsqu’il est vert et pendant les longues routes quand ils sont pressés par la faim. De même, il est peu fréquent qu’ils les mangent simplement bouillis avec leur écorce. Ils préfèrent surtout le sankalé et la farine.
Pour préparer le sankalé, les grains de mil sont placés dans un mortier spécial que tout le monde connaît. On y ajoute un peu d’eau simplement pour les mouiller légèrement. Puis, à l’aide d’un pilon manié de haut en bas, on les écrase et on les réduit en fragments de la grosseur d’une grosse tête d’épingle environ. Cette opération terminée, le sankalé est vanné à l’air libre pour le débarrasser des parcelles de son écorce qui lui donneraient un goût astringent peu agréable. Il est ensuite mis à sécher au soleil pendant quelques heures et cuit ensuite soit à la vapeur d’eau, soit à l’étuvée. On le mange alors avec de la viande ou du poisson et une sauce relevée dans laquelle entre souvent une décoction mucilagineuse de feuilles de baobab destinée à en masquer l’astringence. Le sankalé se conserve peu de temps, il prend rapidement, au bout de trois jours à peu près, une odeur rance qui le rend impropre à la consommation.
La farine demande une préparation plus longue et plus délicate. Elle se prépare de la même façon que le sankalé, et l’appareil dont on se sert, un mortier et un pilon, est le même. Mais l’opération doit être continuée jusqu’à ce que les grains soient réduits en poudre absolument impalpable. Quand ce résultat a été obtenu, le produit est versé soit dans une calebasse, soit dans des corbeilles finement tressées. On leur imprime une sorte de mouvement circulaire qui a pour but de faire venir à la surface les résidus et les fragments mal pulvérisés. On les enlève à la main ; ces déchets sont donnés au bétail et à la volaille et souvent consommés par les indigènes eux-mêmes en temps de disette. La farine ainsi obtenue est de couleur café au lait clair, douce au toucher, hygrométrique, avec tendance à se pelotonner. Elle dégage rapidement une forte odeur d’huile rance. Cuite à l’étuvée ou à la vapeur, elle est mangée sous forme de bouillie, de galettes ou de boulettes avec de la viande ou du poisson, et une sauce très relevée. Séchée au soleil, elle constitue un couscouss précieux pendant les longues marches.
Le mil est relativement assez riche en matières azotées. Malgré cela, il ne constitue pas un aliment très nourrissant ; aussi les indigènes en consomment-ils de grandes quantités pour arriver à satisfaire leur faim.
Les Malinkés et les Bambaras confectionnent avec le mil une sorte de boisson fermentée, légèrement alcoolique, qu’ils nomment dolo et pour laquelle ils ont un penchant tout particulier. Cette bière a un petit goût aigrelet qui est loin d’être désagréable, et l’Européen, appelé à vivre dans ces régions, s’y habitue rapidement. Prise en petite quantité, elle est rafraîchissante, mais elle finit par occasionner des gastrites et des dyspepsies quand on en fait un usage prolongé. Ces affections disparaissent dès que l’on cesse d’en boire. Mélangé avec du miel, le dolo forme un hydromel très apprécié des Bambaras du Bélédougou.
Les cendres données par les tiges de mil sont remarquablement blanches et fines. Elles renferment une notable quantité de nitrate de potasse.
Des feuilles et des tiges de certaines variétés, le baciba et le guessékélé, par exemple, les forgerons retirent, je ne sais trop par quel procédé, une belle couleur rouge vineux, qui leur sert à teindre les pailles avec lesquelles ils tressent leurs corbeilles, leurs chapeaux et les paillassons destinés à couvrir les calebasses. Avec la farine on fait d’excellents barbottages pour les chevaux. Quand nous aurons dit enfin que les tiges servent dans la construction des cases et des palissades qui les entourent, on comprendra aisément que le mil, vu ses usages multiples, soit regardé, à juste titre, par les indigènes, comme la plante la plus précieuse.
Le Maïs[16]. Il existe dans cette région, comme dans les autres parties d’ailleurs du Soudan Français deux variétés de cette graminée : le maïs jaune à grains moyens et le maïs blanc. Elles sont cultivées en aussi grande quantité toutes les deux : mais les champs de maïs sont loin d’avoir l’étendue et l’importance des champs de mil. Le mil est l’aliment indispensable. C’est la manne quotidienne. Le maïs est, au contraire, un aliment de luxe, bien moins estimé que le mil et le riz. Il n’en est pas moins précieux ; car de toutes les céréales c’est celle qui arrive la première à maturité et qui, vers la fin de la saison des pluies, permet au noir imprévoyant d’attendre la récolte du mil.
Le maïs demande une terre bien plus riche que le mil. C’est pourquoi on ne le trouve qu’en quantité relativement peu considérable et on peut dire que la production de cette céréale est à celle du mil comme un est à cinquante. Les indigènes le sèment de préférence dans l’intérieur même des villages et aux alentours, surtout dans les ruines et partout où le terreau est assez abondant.
Les semis se font au commencement de la saison pluvieuse, vers la fin du mois de mai ou au commencement de juin. La récolte a lieu dans les premiers jours de septembre. Après la récolte, la terre est de nouveau travaillée et semée en arachides, mais ce fait est assez rare et je ne l’ai jamais observé que dans certaines régions du Fouta et sur les bords de la Gambie, dans le Ouli, le Sandougou et le Niani. Dans les terrains plus élevés et moins bien arrosés on ne fait qu’une seule récolte. Les semis sont faits absolument comme ceux du mil. Les graines toutefois sont enfouies dans la terre à des distances plus grandes que celles auxquelles on place le mil. Les intervalles sont comblés soit avec des arachides, soit avec des haricots.
La plante acquiert, surtout si la saison est bonne, ni trop sèche ni trop pluvieuse, un développement rapide et plus considérable que dans les pays tempérés. J’ai cru remarquer que les feuilles sont plus étroites et bien plus longues que celles de nos maïs européens. Le grain nous a semblé aussi plus petit et plus coriace. La tige, par contre, est bien plus élevée.
Les indigènes utilisent les jeunes tiges de maïs pour la nourriture des animaux, bœufs, chevaux, moutons, chèvres. C’est un des meilleurs fourrages du Soudan : mais il serait mauvais, je crois, d’en faire la nourriture exclusive des bestiaux. Car il peut parfois, surtout quand on en fait un usage trop copieux, déterminer des coliques funestes.
Le grain est également employé pour les animaux et dans l’alimentation des indigènes.
A peine mûr, et lorsqu’il vient d’être cueilli, il constitue un excellent aliment d’une très facile digestion. Mais lorsqu’il a été récolté depuis plusieurs semaines déjà, il durcit très rapidement et devient excessivement coriace. Aussi les animaux, les chevaux et les mulets particulièrement le broient-ils très difficilement et, par ce fait même, le digèrent-ils mal. Le mieux pour remédier à cet inconvénient est de le concasser avant de le leur donner. Ainsi préparé, il constitue un aliment précieux et rapidement assimilable.
Les indigènes le consomment sous plusieurs formes. Quand il est à peine mûr, ils en font griller légèrement au feu les épis et en mangent les grains tels quels en les détachant simplement avec les dents. Nous en avons fait souvent usage sous cette forme et nous lui avons toujours trouvé un goût fort agréable. C’est dans les villages un véritable régal pour les petits enfants et, dans les longs voyages, un élément précieux de ravitaillement par le fait même que la préparation en est rapide et très facile. Secs, les grains sont concassés dans le mortier à couscouss à l’aide du pilon, transformés en sankalé et mangés bouillis avec de la viande et du poisson et assaisonnés d’une sauce très relevée. Réduits en farine, ils sont consommés sous forme de bouillie cuite à la vapeur et préparés comme la farine de mil. Les propriétés rafraîchissantes de la farine de maïs la font rechercher pour l’alimentation des malades. Mélangée avec du lait, elle constitue la nourriture des convalescents et des jeunes enfants. Cette farine ne se conserve que peu de jours. Elle fermente rapidement et doit être immédiatement consommée. Il en est de même du maïs en grain quand il est enfermé dans les greniers avant d’être parfaitement sec.
Les résidus de sa préparation sont donnés en nourriture aux bestiaux et aux volailles, les tiges servent à confectionner les tapades (clôtures) des habitations, et les feuilles desséchées sont mangées avec avidité par les chèvres particulièrement. Elles seraient utilisées avec profit dans nos postes pour confectionner des paillasses pour la troupe. Nous nous en sommes très bien trouvé de nous en être ainsi servi à Koundou, quand nous y remplissions les fonctions de commandant de Cercle.
Les indigènes, les Bambaras et les Malinkés surtout, fabriquent encore avec le maïs une sorte de bière (dolo), qui est loin d’avoir les qualités de celle du mil. Son goût est un peu fade et sa digestion plus difficile. Aussi ne se sert-on du maïs que lorsque le mil vient à manquer.
Le rendement du maïs est un peu supérieur à celui du mil. Il est à peu près de deux tonnes à l’hectare, quand la culture en est faite dans de bonnes conditions et que la saison lui est favorable. Sa valeur est environ 10 fr. les 100 kilogrammes.
Le bois du tamarinier est dur, dense, solide, liant et bon pour le charronnage. On s’en sert beaucoup à Kayes pour faire les couples d’embarcations.
La pulpe est utilisée par les indigènes et les Européens dans la thérapeutique journalière. Elle a une saveur légèrement astringente et acidule. D’après Vauquelin, elle renfermerait des acides tartrique, citrique, malique, du bitartrate de potasse, du sucre, de la gomme, de la pectine. C’est un des meilleurs laxatifs et des plus inoffensifs. On trouve le tamarin sur la plupart des marchés du Sénégal et du Soudan sous forme de boules de la grosseur du poing environ. Ces boules sont de couleur rougeâtre quand elles sont fraîches et brunes presque noires quand elles ont été récoltées depuis quelque temps. Elles sont formées avec les graines et la pulpe qui, réduite en pâte, les agglutine solidement. On y trouve encore des fragments d’écorce, des morceaux de la coque du fruit et surtout, en grande quantité les fibres rouges qui, dans le fruit mûr, tapissent la face interne de la gousse.
La façon dont les noirs préparent le tamarin pour l’administrer est de beaucoup la meilleure. Elle a surtout pour résultat de donner une boisson d’un goût des plus agréables. Dans un litre et demi d’eau environ, on met à peu près à macérer à froid 50 à 60 grammes de pulpe telle qu’on la trouve au marché, avec ses graines, ses fragments d’écorce et ses fibres rouges. En trois heures au plus la pulpe a été complètement dissoute. On n’a plus qu’à décanter et l’on obtient aussi une liqueur d’un blanc roussâtre à odeur et saveur acide et légèrement astringente. Si on y ajoute un peu de sucre on peut en faire une excellente limonade qui nous a été souvent précieuse pendant les longues étapes. Trois ou quatre verres par jour de cette boisson suffisent pour maintenir la liberté du ventre si précieuse sous ces climats malsains.
L’usage prolongé et en abondance du tamarin finit par fatiguer l’estomac et détermine des gastrites et des dyspepsies qui disparaissent dès qu’on cesse d’en consommer. On peut également manger la pulpe sans la faire dissoudre en en débarrassant simplement les graines avec les dents ; mais on ne saurait trop s’en abstenir malgré tout le plaisir que procure, pendant les grandes chaleurs, sa saveur acide, car elle détermine en peu de temps une gingivite souvent très rebelle et très douloureuse.
Sur les marchés du Soudan, la valeur du tamarin est d’environ 0 fr. 30 cent. la boule de 250 grammes. Il est plus cher à Saint-Louis, Rufisque, Dakar et Gorée, où une boule de 150 grammes se vend couramment 0 fr. 50 cent.
4 novembre. — Je dormis pendant la nuit que je passai à Koussalan, comme cela ne m’était pas arrivé depuis bien longtemps. Aussi, au réveil, me sentis-je très bien, à part toutefois une grande faiblesse. A cinq heures quarante minutes, après avoir pris un déjeuner sommaire, nous nous mettons en route pour Calen-Ouolof, où j’ai décidé que nous irions camper ce jour-là. Le fils du chef m’accompagne et son père lui a donné l’ordre de ne me quitter que lorsque je n’aurais plus besoin de lui, c’est-à-dire à mon arrivée à Mac-Carthy. Nous marchons d’une bonne allure et aucun de mes hommes ne reste en arrière. On voit que c’est l’avant-dernière étape avant d’arriver à Mac-Carthy. La route ne présente aucune difficulté et si ce n’était l’abondante rosée qui nous inonde littéralement, elle eût été des plus agréables. Nous faisons la halte à Carantaba, village distant de 6 kilomètres environ de Koussalan et où nous arrivons à sept heures cinquante minutes. Le village est absolument désert. Tous les hommes ont pris la fuite et se sont cachés dans leurs lougans. Je me demande encore pourquoi. Je n’y ai trouvé que quelques femmes et les enfants. J’interrogeai à ce sujet la fille du chef qui me déclara que tout le village avait eu peur, mais qu’elle savait bien que je ne venais pas dans leur pays pour leur faire du mal et qu’elle était restée bien tranquille à préparer son couscouss. C’est bien encore là une preuve du peu de vaillance des noirs. A l’approche d’un danger, même imaginaire, les hommes fuient en laissant les cases à la garde des femmes et des enfants. Le même fait s’est passé à Ségou lorsque nous sommes allés l’attaquer, les hommes se sont enfuis à notre approche après avoir fermé les portes du Diomfoutou (sérail), où se trouvaient les femmes, et leur avoir jeté les clefs par-dessus la muraille. Je rassurai du mieux que je pus cette brave femme et me remis en route après lui avoir bien recommandé de dire à son père de venir me voir à Calen-Ouolof, où j’allais camper, ou bien à Mac-Carthy. J’eus sa visite quarante-huit heures après à Mac-Carthy, et après explication, nous rîmes beaucoup ensemble de la frayeur que je leur avais causée.
Quel ne fut pas mon étonnement, au moment où j’allais me remettre en route, de voir sortir d’une case, où il avait passé la nuit, Mahmady-Diallo, mon courrier que j’avais expédié la veille pour annoncer mon arrivée à Calen-Ouolof. Je lui demandai compte de sa mission et il me répondit qu’étant fatigué, il était resté à Carantaba pour se reposer ; mais qu’il avait expédié un homme du village au chef de Calen pour le prévenir, qu’il l’avait vu partir. Tout étant pour le mieux, du moins je le croyais, nous quittâmes Carantaba.
Carantaba. — Carantaba est un gros village de Malinkés musulmans d’environ neuf cents habitants. La population est absolument fanatique. Autour de lui sont groupés quatre autres villages qui portent le même nom. Trois de ces villages sont Malinkés musulmans et le quatrième est Toucouleur-Torodo. Ces quatre villages réunis peuvent former une population totale d’environ quinze cents habitants. En janvier 1872, Carantaba, qui s’était révolté contre l’autorité du Massa de Kataba (Niani) dont il relevait, fut pris et détruit par Boubakar-Saada, almamy du Bondou, que ce dernier avait appelé à son aide. Reconstruit, il fut de nouveau attaqué et brûlé par les troupes alliées du Bondou, du Fouladougou et du Fouta-Djallon. Mais ses habitants ne perdirent pas courage. Ils se remirent vaillamment à l’œuvre, reconstruisirent de nouveau leur village et l’entourèrent d’un fort sagné. Ce furent ses guerriers qui, en 1879, décidèrent de la défaite de l’armée alliée que commandaient devant Koussalan, Boubakar-Saada, Alpha-Ibrahima, et Moussa-Molo. Pendant la guerre du marabout, Mahmadou-Lamine-Dramé, beaucoup des guerriers de Carantaba se rangèrent sous sa bannière, mais la plus grande partie, les Toucouleurs surtout, combattirent à nos côtés sous les murs de Toubacouta. Depuis cette époque, la paix règne, dans cette région, et Toucouleurs et Malinkés musulmans se livrent avec ardeur à la culture de leurs vastes lougans de mil, arachides, maïs, et de leurs belles rizières. Autour des villages se trouvent de jolis petits jardins où l’oignon est cultivé avec succès.
Cette plante potagère est surtout cultivée par les peuples de race Mandingue. On n’en trouve que rarement et en très petite quantité dans les villages de race Peulhe. Autour des villages Bambaras et Malinkés, on trouve bon nombre de petits carrés de jardins ensemencés avec soin. On choisit, de préférence, une terre riche en humus. Elle est proprement préparée et on n’y voit jamais le moindre brin d’herbe. Les semis sont faits avec la plus grande régularité et chaque pied distant de son voisin de vingt-cinq-centimètres. Plantés vers la fin de l’hivernage, en octobre, la récolte se fait vers la fin de décembre. Chaque jour, les femmes et les enfants, à l’aide de calebasses, procèdent à l’arrosage. Ils se servent de ce légume pour assaisonner leur couscouss. L’oignon du Soudan est bien plus petit que celui de nos climats tempérés. La grosseur est à peu près celle d’une noix. La saveur est excessivement sucrée et il est très recherché par l’Européen qui s’égare dans ces contrées. Avec les queues on assaisonne les omelettes, les sauces, et les bulbes sont mangés en salade ou comme condiments. C’est pour nos estomacs délabrés par le climat et la mauvaise alimentation un des meilleurs excitants de l’appétit, et surtout le plus inoffensif.
Après avoir pris à Carantaba vingt minutes de repos, nous nous remettons en marche. A deux kilomètres environ du village, j’éprouvai une émotion. Nous traversions un marais, à fond vaseux et glissant, où nous enfoncions à peu près jusqu’au genou, lorsque, tout-à-coup, le porteur chargé de la cantine, où étaient enfermés mes instruments et mes notes, fit un faux pas et s’abattit tout son long dans l’eau avec son fardeau. La cantine disparut complètement et s’enfonça de quelques centimètres dans la vase. Retirée aussitôt, je constatai, avec plaisir, après l’avoir ouverte sur la terre ferme, que, grâce à son étanchéité parfaite, pas la moindre goutte d’eau n’y avait pénétré. Aussi ne puis-je m’empêcher, in petto, de rendre grâce au soin avec lequel elle avait été fabriquée par M. Flem, constructeur d’articles de voyage à Paris. S’il en avait été autrement, outre mes instruments, j’aurais perdu là le fruit de plusieurs années de travail.
A 9 h. 30 nous traversons un petit village de Peulhs de 250 habitants environ. C’est Calen-Foulbé. Il disparaît presque entièrement au milieu de ses lougans et cucurbitacées de toute sortes qui couvrent ses toits. Ses habitants ont dans tout le pays la renommée d’être d’excellents fabricants de mortiers et pilons à couscouss. Nous ne nous y arrêtons pas et trois kilomètres plus loin nous sommes à Calen-Ouolof, but de l’étape.
Calen-Ouolof est un village d’environ trois cents habitants. Sa population Ouolove, comme l’indique son nom, est venue du Bondou pour fuir les exactions des almamys Sissibés et de leur famille. J’y fus très bien reçu. Je fus étonné de voir à mon arrivée que rien n’était préparé pour me recevoir. J’en demandai le motif et il me fut répondu que l’on n’avait pas reçu le courrier que Mahmady prétendait avoir expédié de Carantaba. Je ne pus arriver à tirer cette affaire au clair. Toutefois, en voyant l’empressement que mettaient les habitants à m’être agréable, j’acquis la ferme conviction que mon courrier m’avait menti, ce qui est loin d’être rare chez les noirs, surtout quand ils sont pris en défaut. Quoiqu’il en soit nous fûmes bien hébergés à Calen-Ouolof et ni moi, ni mes animaux, ni mes hommes n’eûmes à nous plaindre de l’hospitalité qui nous fut généreusement donnée.
La route de Koussalan à Calen-Ouolof diffère sensiblement des chemins déjà parcourus. En quittant Koussalan, nous traversons d’abord les lougans du village, puis nous entrons dans une vaste plaine nue et marécageuse. Plus nous avançons et plus le terrain s’élève. Nous traversons alors un plateau ferrugineux couvert de bambous. Interrompu à mi-chemin par des lougans qui appartiennent à Koussalan, il se continue jusqu’aux lougans de Carantaba. Signalons à droite et à gauche de la route, sur le plateau mentionné plus haut, deux mares assez profondes et pleines d’eau en cette saison. De Carantaba à Calen-Ouolof ce n’est plus qu’une succession de marais, rizières, lougans, excepté toutefois un peu avant d’arriver à Calen-Ouolof, où nous traversons une colline ferrugineuse de deux kilomètres de longueur environ. La flore n’a pas varié, légumineuses, n’tabas, fromagers, baobabs, tamariniers, etc., etc. Nous remarquons aussi de beaux échantillons de Laré ou Saba, belle liane à caoutchouc.
Le Laré ou Saba, liane à caoutchouc. — Cette liane (Vahea Senegalensis A. D. C.) est nommée Laré par les peuples de race Peulhe et Saba par les noirs de race Mandingue. Elle atteint souvent des proportions gigantesques. Nous en avons vu fréquemment dont le tronc égalait la grosseur de la cuisse d’un homme vigoureux. C’est une Apocynée du genre Landolphia ou Vahea. Elle s’attache toujours aux grands végétaux et acquiert parfois un si grand développement que l’arbre qui la porte disparaît complètement. Elle est très facile à reconnaître à son port majestueux et au dôme de verdure qu’elle forme au-dessus des végétaux auxquels elle s’attache. Ses fleurs, blanches, qui ont la forme de celles du jasmin, exhalent une odeur des plus agréables qui permet d’en reconnaître au loin la présence. Ses fruits sont tout aussi caractéristiques. Ils sont volumineux et affectent la forme d’une orange, de celles que l’on désigne sous le nom de pamplemousses (Citrus decumana). Leur coloration est vert sombre quand ils ne sont pas mûrs. Arrivés à maturité, ils sont, au contraire, d’un jaune rouge qui ne permet de les confondre avec aucun autre. Ils poussent à l’extrémité des petits rameaux. Ils contiennent à l’intérieur une trentaine de graines de forme pyramidale qui sont noyées dans une pulpe jaune d’or d’un goût délicieux et excessivement rafraîchissante.
On trouve le Laré partout au Soudan français ; mais les contrées où il est en plus grande abondance sont le Niocolo, le Baleya, l’Amana, le Dinguiray, etc., etc. Il croît, de préférence, sur les bords des marigots, dans les terrains humides, marécageux surtout. Nous avons pu remarquer que les Larés qui poussent dans les argiles et sur les plateaux ferrugineux sont moins développés que ceux qui croissent sur les rives des marigots et présentent une vitalité bien moins grande. Plus on s’avance vers le sud et plus il devient commun. Nul doute qu’il ne croisse également sur le bord des rivières du Sud et de leurs affluents. Monsieur le Dr Crozat, dans son voyage au Fouta-Djallon, l’a trouvé partout dans ce pays et en abondance. Il existe de même en grande quantité dans toutes les régions situées dans la boucle du Niger, dans le pays de Ségou et dans le Macina au Nord.
Toutes les parties du Laré donnent un suc abondant. C’est le végétal qui, au Soudan, en donne le plus. En outre, ce suc donne un caoutchouc qui nous semble le meilleur de tous les produits similaires de Vahea d’Afrique ; il en donne surtout beaucoup plus. Pour l’extraction, point n’est besoin de procédés particuliers pour pratiquer les incisions. La simple incision longitudinale ou transversale laisse écouler de grandes quantités de suc. En toutes saisons, il en donne beaucoup et l’âge ou l’état des végétaux influe peu sur la production. Il se coagule rapidement par la simple évaporation. C’est assurément de tous les végétaux à caoutchouc celui qui donnera toujours en tous lieux et en tout temps les résultats les plus satisfaisants et surtout les plus rémunérateurs. Il nous souvient avoir entendu raconter par nos camarades ce fait, à savoir que, sur les bords du Tankisso, M. le lieutenant de vaisseau Hourst, commandant de la flottille du Niger, avait pu en un temps relativement court, par les moyens tout primitifs qu’il avait à sa disposition, en récolter des quantités relativement considérables. Cela permet d’augurer que l’exploitation en serait facile et fructueuse.
Le caoutchouc du laré présente, à s’y méprendre, les caractères macroscopiques de celui de l’Hevea. Jouit-il des mêmes propriétés ? Tout permet de l’espérer. Des échantillons ont été rapportés en France et sont soumis à l’analyse. Nous avons tout lieu de croire que les résultats en seront favorablement concluants. Nous ne saurions trop attirer l’attention sur ce précieux végétal, qui, à notre avis, est appelé à un avenir prochain et certain.
La journée que je passai à Calen-Ouolof s’écoula sans incidents. Je reçus de nombreux visiteurs, qui vinrent me saluer, et, ce qui me fit encore plus de plaisir, un courrier m’apporta vers cinq heures du soir une lettre fort aimable de M. l’agent de la factorerie française de Mac-Carthy, dans laquelle il me souhaitait la bienvenue et m’annonçait que j’étais attendu avec impatience. Je le fis immédiatement prévenir que j’arriverai le lendemain matin de bonne heure, et, en même temps, je fis annoncer au chef de Lamine-Coto que j’irais camper dans son village.
A la nuit tombante, tout le monde se coucha dans l’espoir de passer une bonne nuit. Notre espoir fut rapidement déçu, et, dès que les feux furent éteints, nous fûmes tous assaillis par des nuées de moustiques, qui nous tinrent éveillés. Depuis Bala, dans le Niéri, je n’en avais jamais été aussi incommodé. Toute la nuit s’écoula sans sommeil et je vis se lever le jour sans avoir pu fermer l’œil une seule minute. Mes hommes en souffrirent autant que moi. Je suis bien certain qu’ils ont conservé de Calen-Ouolof le même souvenir cuisant que j’en garde encore. Moustiques et maringouins nous attaquèrent avec la même fureur et nous firent payer cher l’hospitalité que nous avaient généreusement accordée les habitants. Impossible de se garantir contre leurs multiples piqûres. Leurs trompes acérées traversaient même les vêtements pour venir chercher sur notre figure, nos bras et nos jambes, leur nourriture quotidienne.
On comprendra sans peine combien nous fûmes heureux de voir se lever le jour. C’était la fin de nos tourments. Aussi les préparatifs du départ furent-ils rapidement faits et pûmes-nous nous mettre en route sans retard.
5 novembre. — A cinq heures du matin, nous quittons Calen-Ouolof en bon ordre. Il fait une température des plus agréables ; mais il règne une humidité considérable et le sol est couvert d’une rosée très abondante. Aussi sommes-nous littéralement trempés peu après le départ.
Yola. — A sept heures quinze minutes, nous arrivons à Yola, village de Malinkés musulmans, dont la population peut s’élever à environ 450 habitants. Le frère du chef, remplaçant son frère malade, vient me recevoir, et nous causons fort amicalement pendant un quart d’heure environ. Il me promet de m’envoyer à Lamine-Coto du riz pour nourrir mes hommes pendant mon séjour à Mac-Carthy. On n’est pas plus complaisant.
Couiaou. — A sept heures trente minutes, nous nous remettons en marche. A sept heures cinquante-cinq nous laissons sur notre droite le petit village de Couiaou, dont la population peut s’élever à une centaine d’habitants. Ce petit village, brûlé, il y a quelques années, par mon ami, le lieutenant Levasseur, de l’infanterie de marine, à la suite d’affaires de captifs, commence à peine à sortir de ses ruines. Il m’a paru fort mal entretenu, comme tous les villages Malinkés du reste.
Lamine-Sandi-Counda. — Non loin de Couiaou se trouve le village Malinké musulman de Lamine-Sandi-Counda, peuplé d’environ cent habitants, d’après les renseignements qui m’ont été donnés. De la route, on ne le voit pas, car il est absolument caché par les lougans de mil.
Medina. — Un peu plus loin nous laissons encore à droite le petit village de Medina devant lequel nous passons à huit heures trente-cinq. Il peut avoir environ cent cinquante habitants Malinkés musulmans et est entouré de belles rizières.
Canti-Countou. — A peu de distance de Medina, nous laissons sur la gauche, Canti-Countou, petit village Malinké musulman, dont la population s’élève à cent cinquante habitants environ. Il est situé à deux cents mètres à peu près de la route et possède de belles cultures de mil et de belles rizières.
Enfin, à neuf heures trente minutes, nous arrivons à Lamine-Coto, but de l’étape, où j’ai le plaisir de trouver M. Joannon, agent de la Compagnie Française, à Mac-Carthy, qui avait poussé l’amabilité jusqu’à venir à mon avance. Je suis tout heureux de voir enfin une figure blanche. En peu de temps nous avons fait complète connaissance : car nous étions loin d’être étrangers l’un à l’autre. Nous avions échangé une correspondance relativement active pendant mon séjour à Nétéboulou, et, en pays noir, les lettres sont d’excellents moyens de rapprochement. Seul Européen et seul Français à Mac-Carthy en cette saison où le commerce est peu actif, on comprendra aisément qu’il fit à un compatriote la plus cordiale des réceptions. Je suis obligé de me rendre à son invitation et d’aller déjeuner à Mac-Carthy, à la factorerie française, mais auparavant j’installe mes hommes et mes animaux. Je reçois le chef du village et je change de vêtements car je suis tout trempé.
Sandia prête son cheval à M. Joannon, et nous nous rendons au bord du fleuve où nous attend un canot. La Gambie est peu éloignée de Lamine-Coto (1 km. 079). Un peu avant d’y arriver nous apercevons les constructions de Mac-Carthy et en face de l’endroit où nous dépose le canot se détache en blanc, avec ses ouvertures vertes, la factorerie française, la construction la mieux comprise de l’île entière. Il est 10 heures 1/2 quand nous y arrivons. Immédiatement M. Joannon me met en possession de ma chambre. Je suis admirablement bien installé ; lit avec sommier et moustiquaire, toilette. Rien ne manque. Nous sommes à douze jours de mer de France, au cœur de l’Afrique, et nous retrouvons le même bien-être qu’en Europe. Je vais donc pouvoir me reposer un peu et goûter les charmes de la vie européenne. Je déjeune à merveille, je n’ai pas besoin de le dire. Ce repas, dans la vaste salle à manger de la factorerie où règne tout le confortable des demeures européennes dans les pays chauds, est un des meilleurs que j’ai fait de ma vie et celui dont le souvenir m’est le plus cher. C’est que, si les savantes préparations de nos laboratoires culinaires y faisaient défaut, il y avait deux condiments qu’on ne trouvera guère sur les tables de nos dîners officiels, un vigoureux appétit et la plus franche cordialité.
L’après-midi s’écoula rapidement et, à quatre heures, nous quittâmes la factorerie pour nous rendre à Lamine-Coto, où je voulais veiller à l’installation de mes hommes, arranger mes bagages et régler quelques affaires. J’avais donné l’ordre aux palefreniers, en partant le matin, de nous amener les chevaux au fleuve à cette heure-là. Ils ont été exacts et nous n’avons pas eu à les attendre. A la nuit tombante, après avoir fait à Lamine-Coto ce que j’avais à y faire, je retourne à Mac-Carthy. Sandia et Almoudo m’y accompagnent. Ils sont logés dans l’intérieur de la factorerie où M. Joannon leur a fait préparer une case. Je dîne aussi bien que j’ai déjeuné et, à neuf heures du soir, je me mets voluptueusement au lit. Il y a sept mois que cela ne m’était arrivé.
Lamine-Coto. — Lamine-Coto est un village de Malinkés musulmans de 250 habitants environ. Le chef en est jeune, intelligent et il me reçoit à merveille. Grâce à son obligeance mes hommes et mes chevaux n’y ont manqué de rien. Il a eu, en un mot, pour moi, toutes les prévenances qu’un noir peut avoir.
La route de Calen-Ouolof à Lamine et à Mac-Carthy ne présente rien de bien particulier. De Calen à Yola le terrain s’abaisse sensiblement, et à peu de distance de Calen nous traversons une vaste plaine marécageuse qui s’étend au-delà de Yola. A peine sommes-nous sortis des lougans de ce village que nous entrons en plein dans le marais. Nous ne le quittons guère qu’en arrivant à Couiaou. Là, le terrain s’élève un peu, nous traversons une petite colline ferrugineuse aux environs de Medina, et, de chaque côté de la route jusqu’à Lamine-Coto, nous remarquons de petites collines de même composition. De Lamine-Coto à la Gambie, ce ne sont plus que des argiles alluvionnaires entrecoupées de marécages non encore desséchés.
La flore est peu variée, Légumineuses gigantesques, N’tabas, Nétés resplendissants de verdure, etc., etc. Les rives de la Gambie sont couvertes de beaux arbres. On voit que nous avons quitté la région des steppes Soudaniennes pour la région des tropiques, proprement dite. Aussi la végétation devient-elle de plus en plus puissante et luxuriante.
Le riz et les rizières. — Le riz, dans toutes les régions que nous venons de parcourir de Nétéboulou à Mac-Carthy, est l’objet de grandes cultures et de soins attentifs. Les rives du fleuve, les bords des marigots et les marécages que laissent les eaux en se retirant sont, aux environs des villages, transformés en rizières de bon rapport. La production, déjà très considérable, pourrait encore être augmentée dans de notables proportions si les habitants voulaient utiliser tous les terrains propres à cette culture. Mais pour le riz ils procèdent absolument comme pour les autres céréales et ne sèment que ce qui leur est strictement nécessaire pour leur consommation. C’est toujours la même imprévoyance. Que la récolte, pour une cause quelconque, vienne à manquer, et c’est la famine.
Le riz ne demande que peu de soins, et le terrain ainsi que le climat sont si favorables à sa culture que le rendement qu’il donne est toujours considérable. Pour préparer le sol destiné aux semailles, on se contente simplement de le débroussailler. On choisit de préférence un terrain humide sur les bords du fleuve, des marais, et même dans le lit de certains marigots. A l’aide d’un bâton, on sème le riz en faisant un trou dans lequel on place trois ou quatre graines. Ces trous sont environ situés à 15 centimètres l’un de l’autre. Dans certaines régions on le sème simplement à la volée, et on recouvre les grains en piochant peu profondément le sol. Tout ce travail est peu pénible, aussi est-il généralement exécuté par les femmes et les enfants.
Les semis se font au commencement des pluies, quand il est tombé une certaine quantité d’eau, vers la fin de juillet. L’inondation qui survient en août fertilise la rizière et permet aux graines de bien se développer. La récolte se fait en octobre et en novembre. Un mois avant d’y procéder, on a bien soin d’enlever toutes les mauvaises herbes afin de lui permettre de bien mûrir. La cueillette est faite brin par brin et, de ce fait, demande un temps assez long et une grande patience. On sait que cette qualité ne manque pas aux Noirs. Coupés à dix centimètres au-dessus du sol, les épis, dont le chaume a une longueur d’environ vingt-cinq centimètres, sont réunis en paquets assez volumineux, liés fortement, et mis à sécher sur le toit des cases. Ils sont rentrés tous les soirs, afin de ne pas les exposer à la rosée de la nuit qui les altérerait sûrement et les ferait pourrir. Quand ils sont bien secs, ils sont battus, vannés, et le grain destiné à la consommation est enfermé dans des sortes de récipients en terre placés dans les cases elles-mêmes. Ces récipients qui servent également à renfermer les haricots, le coton, le fonio, etc., etc., ont à peu près la forme d’un grand tube. Ils sont faits en terre séchée au soleil tout simplement. Pour cela, on fabrique de véritables cylindres que l’on fait sécher, puis on les superpose les uns sur les autres et on les lute avec de l’argile. Cette sorte d’outre repose sur trois pieds également en terre qui sont, en général, fixés au sol. Il y en a de toutes les dimensions. Ils sont généralement placés dans les cases, aux pieds et à la tête du petit tertre qui sert de lit à l’habitant. L’ouverture en est fermée à l’aide d’un gâteau rond en terre, discoïde et fabriqué de la même façon que le récipient lui-même, c’est-à-dire en argile séchée au soleil. Les parois sont si épaisses qu’il est rare que ces sortes de barriques en terre s’effondrent. Sur les parties qui font face au lit sont généralement modelés des seins de femmes, ou bien encore des phallus de dimensions normales.
Les épis destinés aux semailles sont conservés avec leur chaume réunis et liés en paquets comme précédemment et suspendus aux bambous qui forment la charpente du toit de la case.
Le riz du Soudan, que l’on désigne généralement sur les marchés sous le nom de « riz Malinké », pour ne pas le confondre avec le riz Caroline ou de Chine que nous importons, est d’un blanc légèrement grisâtre. Il présente de petites stries brunes qui sont évidemment dues à ce qu’il est mal décortiqué. Il est plus dur que les autres riz, et son goût est moins fade. Quand il a été bouilli, ses grains sont poisseux et s’agglutinent aisément. Cela est vraisemblablement dû au mucilage abondant qu’ils contiennent. On le mange bouilli ou cuit à l’étuvée et mélangé avec de la viande ou du poisson. Les indigènes lui préfèrent cependant le couscouss de mil, car ils prétendent que le riz ne les nourrit pas autant.
La valeur commerciale du riz en Gambie est environ de 0 f. 15 le kilo, et le rendement moyen à peu près de 4,550 kilogrammes à l’hectare.
Sur les marchés on se sert pour mesurer le mil, le riz, les haricots, le sel, d’une mesure toute spéciale que l’on désigne sous le nom de « moule. » Sa contenance varie suivant les pays. Ainsi le moule Bambara vaut 2 kil. environ, le moule Malinké en Gambie 1 k. 800, et le moule Toucouleur dans le Bondou, 1 k. 500.
La paille de riz forme un excellent fourrage dont tous les bestiaux sont excessivement friands. Les indigènes s’en servent pour fabriquer des chapeaux, des couvercles de calebasses et de petites corbeilles plates assez originales.
Le Rônier. — Les rives de la Gambie sont couvertes de rôniers et il en existe des forêts d’une étendue relativement considérable où l’on peut remarquer des échantillons de ce végétal qui atteignent des dimensions vraiment gigantesques. C’est le plus grand des palmiers, le Borassus flabelliformis. Il est facilement reconnaissable à son port élevé et caractéristique. Sa tige est très grande et peut atteindre parfois jusqu’à vingt-cinq et trente mètres. Elle est renflée au milieu et ses parties inférieures et supérieures sont bien moins volumineuses et bien plus effilées. Son écorce est noirâtre et porte les cicatrices des blessures qu’y font les feuilles en tombant. Le bois, bien qu’il ait l’aspect spongieux est très dur et est difficilement attaquable par la scie. Les billes de rôniers sont plus lourdes que l’eau. C’est un des rares bois qui ne flotte pas. Les feuilles d’un rônier adulte sont groupées en un bouquet volumineux situé au faite de la tige, et présente de profondes découpures. Le tronc n’en porte jamais, sauf quand il est jeune. Leur couleur vert foncé et leur résistance rappelle de loin les feuilles artificielles en zinc de certains décors de théâtre ou de girouettes. Les plus jeunes, fortement imbriquées et engaînantes au sommet du végétal, sont d’un blanc d’ivoire. Très tendres, elles forment le chou palmiste. Les feuilles du rônier ne tombent qu’après dessiccation complète.
Les fruits, désignés sous le nom de rônes, sont disposés en grappes de quarante ou cinquante environ. Ils sont de la grosseur d’un melon de moyenne taille et très lourds. L’enveloppe en est verte quand ils sont jeunes ; à maturité, elle est jaune orange. Les graines volumineuses, noirâtres, discoïdes ou en forme de sphères aplaties aux deux pôles, sont enveloppées d’une pulpe jaune d’or filamenteuse, très aqueuse, très odorante, et d’un goût agréable mais légèrement térébenthiné. Les indigènes en font une grande consommation, surtout en temps de disette.
Le rônier est un bois plein, de longue durée et d’une solidité remarquable. Inattaquable par les insectes et par l’humidité, il est excellent pour les pilotis, et l’on s’en sert couramment dans la construction des ponts et des appontements. Les arbres mâles sont seuls employés ; les arbres femelles ne peuvent servir qu’à des palissades, car ils sont creux et peu résistants.
Les indigènes utilisent les feuilles pour couvrir les constructions provisoires qu’ils font dans leurs villages de cultures. Nous nous sommes très bien trouvés de les avoir employées pour nos campements. Avec les jeunes feuilles, ils fabriquent aussi, en les tressant, des liens très résistants. Nous avons été à même d’apprécier leur solidité quand nous avons traversé en radeau la Gambie au gué de Bady.
Outre le fruit, les Noirs mangent encore les racines des jeunes pousses. Elles ont un goût légèrement astringent et assez déplaisant. On les mange crues. Le bourgeon terminal est très tendre. C’est un chou palmiste moins savoureux assurément que celui de l’Oreodoxa oleracea, mais qui mérite cependant d’être apprécié. Coupé en petits fragments de deux centimètres carrés, et bien assaisonné d’huile, de vinaigre, sel et poivre, on en fait une très bonne salade, surtout si on a eu la précaution de la faire macérer pendant vingt-quatre heures. Ce plat est très apprécié des Européens appelés à résider au Soudan. Enfin, le rônier fournit une sève relativement abondante dont on pourrait extraire du sucre et qui donne, par fermentation, un vin de palme de qualité inférieure.
Je ne comptais rester à Mac-Carthy que trois ou quatre jours. Aussi m’étais-je installé en conséquence. Dès le lendemain de mon arrivée, je fis une visite à M. le gouverneur anglais de l’île. Je trouvai en M. Syrett, métis de Bathurst, ancien secrétaire du gouverneur général de la Gambie et tout récemment installé, un homme charmant, bien élevé et d’une remarquable obligeance. Pendant toute la durée de mon séjour à Mac-Carthy, je n’eus absolument qu’à me louer des rapports que j’ai eus avec lui. Peu de jours après mon arrivée, l’« Odette, » la petite chaloupe à vapeur de la Compagnie, amena M. Frey, l’agent en titre de la factorerie (M. Joannon n’était qu’intérimaire), et M. Trouint, l’agent de la petite factorerie de Nianimaro, située à un jour ou deux en aval de Mac-Carthy. Nous passâmes deux jours charmants après lesquels M. Trouint, ayant réglé ses affaires avec M. Frey, repartit pour rejoindre son poste.
Tous mes préparatifs étaient faits. Je m’étais ravitaillé et j’avais acheté et expédié à Nétéboulou une nombreuse pacotille dont j’avais besoin en prévision du voyage que j’allais entreprendre au Kantora, à Damentan et au pays des Coniaguiés. Un courrier, que M. le commandant de Bakel m’avait expédié pour me porter ma correspondance et qui était venu me rejoindre à Mac-Carthy après vingt jours de marche, se chargea de la transporter à Nétéboulou. J’organisai à cet effet un convoi de porteurs dont il eut la direction. Ces hommes étaient au nombre de quatorze. Je les avais recrutés sur place et ils arrivèrent sans encombre dans le Ouli avec leurs charges intactes. Et pourtant les marchandises qu’ils portaient étaient bien faites pour exciter leur cupidité. C’étaient des sacs de sel, des caisses de tafia, de genièvre, de verroterie, de tiges de laiton, des ballots d’étoffes, etc., etc. Il faut dire aussi que leur chef de convoi, Boubou-Cissé, était un homme dévoué et d’une scrupuleuse honnêteté.
J’étais prêt à partir et je me disposais à me mettre en route lorsque je fus de nouveau atteint de fièvres intermittentes si violentes que je dus garder le lit pendant plusieurs jours, et ce ne fut que le 27 novembre que je pus quitter Mac-Carthy. En même temps que moi, M. Joannon fut atteint d’un violent accès à forme bilieuse et M. Frey lui-même fut obligé de s’aliter pendant près d’une semaine. L’influence du climat se fit même sentir sur mes hommes, étrangers pour la plupart à ces régions. La température des nuits s’était beaucoup refroidie, et tous plus ou moins souffraient de la poitrine ou des bronches. Même le jeune frère de mon interprète eut une légère congestion pulmonaire avec fièvre intense qui, pendant deux ou trois jours, me causa de vives inquiétudes. Les animaux ne furent pas non plus épargnés. Je n’avais, en effet, à leur donner pour toute nourriture que ce gros mil rouge de Sierra-Leone, qui leur est si préjudiciable. En plus, le cheval de Sandia fut atteint de violents accès de fièvre et nous aurions peut-être eu un malheur à déplorer si je n’avais pas eu pour les soutenir et les alimenter quelques caisses de galettes à base de Kola que M. le Dr Heckel, de Marseille, avait eu la généreuse prévenance de m’expédier à Mac-Carthy par les soins de la Compagnie Française de la côte occidentale d’Afrique.
Retenu par la maladie à Mac-Carthy, je mis à profit l’inaction forcée à laquelle j’étais condamné pour faire de cette colonie anglaise une étude aussi approfondie que possible. C’est le résultat de mes observations que je vais essayer de faire connaître au lecteur dans le chapitre qui va suivre. Je n’ai point la prétention de me figurer que j’ai découvert sur Mac-Carthy quelque chose de nouveau, mais je suis intimement persuadé que ces quelques notes que j’ai recueillies seront de quelque intérêt, et, je dirai plus, de quelque utilité.