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Dans la Haute-Gambie : $b Voyage d'exploration scientifique, 1891-1892

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Femme Toucouleur (Sénoudébou).

L’appareil opératoire est des plus simples. Il se compose : 1o d’une poudre noire très fine contenue dans une corne de bœuf ou de chèvre, et obtenue par la calcination d’arachides pilées ensuite et réduites en poudre absolument impalpable ; 2o un ou plusieurs chiffons ; 3o de l’appareil qui sert à faire les piqûres. Cet instrument se compose d’une demi-douzaine environ de dards d’Accacia très acérés et fortement attachés ensemble.

Le patient couché, comme je l’ai dit plus haut, l’opérateur lui relève la lèvre supérieure de la main gauche, s’il s’agit de tatouer les gencives supérieures ; avec la droite et principalement à l’aide du pouce, il étend sur la gencive une petite couche de poudre d’arachides calcinées ; puis, à l’aide de l’instrument décrit plus haut, il pratique des piqûres multiples sur toute la gencive, de façon à ce que le sang jaillisse. Ceci fait, et lorsque la victime a craché tout le sang ainsi extrait, l’opérateur essuie avec le chiffon (lequel sert à tout le monde), en appuyant fortement, puis, à l’aide du pouce de la main droite, il applique sur la gencive une couche relativement épaisse de poudre d’arachides en appuyant fortement. L’opération est faite. Mais pour qu’elle réussisse, on comprend qu’il est nécessaire que la poudre reste en contact pendant plusieurs jours avec la partie intéressée. Pour cela, le patient est obligé de parler le moins possible ou, tout au moins en parlant, de s’efforcer de ne pas remuer la gencive tatouée. Il faut boire et manger avec mille précautions ; enfin, faire en sorte de ne pas enlever la couche de poudre qui doit produire le tatouage. Deux ou trois jours suffisent pour cela, et, alors, après s’être bien lavé, on constate que la gencive a cette belle couleur violacée si appréciée des élégantes.

Beaucoup de femmes se colorent aussi les gencives supérieures et inférieures, ainsi que la lèvre inférieure, ou bien seulement les gencives. Mais il est rare, lorsque la lèvre inférieure est tatouée, que les gencives ne le soient pas.

Le tatouage de la lèvre inférieure se fait absolument comme celui des gencives. Il est bien plus douloureux. Cela se comprend aisément. De plus, la grosseur de la lèvre est de beaucoup accrue, ce qui augmente en même temps considérablement le prognathisme, qui est, comme on le sait, considéré chez les noirs comme un des principaux attributs de la beauté.

Il est très rare que la lèvre supérieure soit tatouée.

En général, les hommes ne se livrent pas à ces pratiques. Quelques-uns, cependant, se font tatouer les gencives supérieures seulement. C’est encore peu fréquent, et cela ne se voit guère que chez les jeunes gommeux.

Parfois, lorsqu’à la suite d’une plaie, il est resté une cicatrice à la figure, dont le tissu est plus clair que la peau qui l’entoure, on procède, d’après la technique dont nous venons de parler plus haut, à un tatouage foncé de cette partie.

La coloration ainsi obtenue persiste pendant deux ou trois mois environ. Après quoi, il faut recommencer, car elle pâlit rapidement.

Femme Toucouleur (Bakel).

Les noirs trouvent ce tatouage, chez la femme, très beau. C’est ce qu’il y a de plus chic, me disait un ancien tirailleur. Aussi, n’y a-t-il guère que les femmes, filles de notables huppés ou les griotes qui se payent ce luxe. S’il n’est pas coûteux, il est du moins fort douloureux. Beaucoup d’élégantes reculent devant cette opération qui est, paraît-il, un véritable supplice, surtout lorsqu’il s’agit de tatouer la lèvre inférieure.


CHAPITRE XXII

Le Niocolo. — Limites, Frontières. — Aspect général du pays. — Hydrologie. — Orographie. — Constitution géologique du sol. — Climatologie. — Flore, productions du sol, cultures. — Faunes, animaux domestiques. — Populations, Ethnographie. — Situation et organisation politiques actuelles. — Rapports du Niocolo avec les pays voisins. — Rapports du Niocolo avec les autorités Françaises. — Le Niocolo au point de vue commercial. — Conclusions.

On désigne sous le nom de Niocolo tout ce vaste territoire compris dans ce grand coude que forme la Haute-Gambie entre le Tenda (embouchure du Niocolo-Koba et le massif montagneux du Sabé). Par sa constitution et son aspect général, le Niocolo peut être considéré comme le dernier contre-fort Nord du massif du Fouta-Diallon dont il forme, du reste, une des provinces tributaires. Il a été particulièrement visité par Bayol, Noirot et Levasseur, mais il n’en a jamais été fait une description méthodique. Les quelques notes que nous avons pu recueillir à son sujet permettront de se faire une idée, bien vague certainement, de ce qu’il est et de ce qu’il pourra devenir un jour. En tout cas, il sera facile de se convaincre que, par sa situation géographique, il sera, dans l’avenir, appelé à jouer un rôle important au point de vue de notre influence dans ces régions.

Limites, frontières. — Le Niocolo, d’après ce que nous avons dit plus haut, est à peu près compris entre les 12° 58′ et 12° 28′ de latitude Nord et les 14° 58′ et 14° 28′ de longitude à l’ouest du méridien de Paris. Comme on le voit, il est relativement étendu si on le compare aux autres pays Noirs que nous avons visités dans cette partie du Soudan. Il est peuplé en conséquence.

Les frontières sont assez bien déterminées pour qu’il n’y ait pas à ce sujet de contestation avec les pays voisins. Il est borné au Nord par la Gambie, au Nord-Est, à l’Est et au Sud par une ligne fictive assez bien définie. Cette ligne qui, partant du gué de la Gambie à Tamborocoto, se dirige directement à l’est, coupe le marigot de Fatafi-Kô et de là se dirige directement au Sud-Est, jusqu’au marigot de Koumountourou. De ce marigot, elle se dirige droit au Sud, coupe les marigots de Daguiri, Kobali, Colongué et aboutit au marigot de Saguiri qui forme la frontière Sud. La frontière Ouest est formée aussi par une ligne fictive qui, partant à peu près du marigot de Nomandi, aboutirait au sud au marigot de Saguiri. Ainsi limité, le Niocolo peut avoir à peu près dans ses dimensions les plus grandes en longueur du Nord-Ouest au Sud-Est, environ 110 kilomètres, en largeur de l’Est à l’Ouest 80 kilomètres. Sa superficie est d’environ 7,500 kilomètres carrés.

Il confine au Nord et au Nord-Est au pays de Badon, à l’Est au Dentilia, au Sud au Sabé et au Coniaguié et à l’Ouest au Coniaguié et au pays de Damentan. Il est séparé de ces deux pays par une large bande de terrain absolument inhabitée. Ce qui est une garantie pour la paix du pays.

Jeune fille malinkée (Badon).

Quoi qu’il en soit, et bien qu’il n’ait pas de frontières naturelles bien déterminées, les frontières fictives qui ont été établies par accord avec les pays voisins sont assez bien respectées et il n’y a, pour ainsi dire, jamais de contestation de territoire. Il faut dire aussi que la force et la puissance du Fouta-Diallon sont des garanties suffisantes pour que les différends, s’il y en avait toutefois, se règlent à l’amiable.

Aspect général. — L’aspect général du Niocolo diffère absolument de celui des régions que nous avons visitées jusqu’à ce jour. Il varie de plus selon les parties que l’on examine. On peut, à ce point de vue, en effet, y considérer deux régions bien distinctes que des caractères tout particuliers différencient l’une de l’autre d’une façon absolument indiscutable. En effet, la région Est est montagneuse et la région Ouest est, au contraire, un pays complètement plat. Une ligne partant au Nord du gué de la Gambie, près de Tamborocoto et venant aboutir perpendiculairement au Sud au marigot de Saguiri, formerait une démarcation assez exacte entre ces deux régions. Non seulement elles diffèrent d’aspect, mais encore leurs productions et leur flore sont tout autres. De plus, tandis que la région montagneuse est excessivement peuplée, la région des plaines l’est très peu. La région des montagnes qui confine à la Gambie, est excessivement arrosée ; la région des plaines l’est moins, bien qu’elle le soit elle-même beaucoup.

La région montagneuse est excessivement pittoresque et diffère absolument de tout ce que l’on est habitué à voir au Soudan. Partout, sur tous les sommets des collines, on a devant soi des horizons immenses qui reposent des plaines et des vastes étendues couvertes de brousse que l’on rencontre au Nord de la Gambie. Ici pas le moindre horizon. La vue est bornée par de minces rideaux d’arbres. C’est la monotonie la plus désespérante. Là, au contraire, l’œil du voyageur se plaît et se réjouit à contempler les vastes étendues qui s’ouvrent devant lui. On éprouve un soulagement délicieux, quand, après avoir franchi des centaines de kilomètres d’une tristesse inouïe, on arrive sur ces plateaux élevés où l’air est plus pur et du haut desquels on peut contempler un ravissant panorama. La poitrine se dilate délicieusement et l’impression que l’on éprouve fait oublier pendant quelques minutes l’aridité des terrains qui vous environnent. La région des steppes du Kalonkadougou et des pays situés au Nord du Sénégal n’a, dans le Niocolo, rien qui lui ressemble, et la région des plaines elle-même a un tout autre aspect. Elle est excessivement vallonée et les vallées des marigots qui l’arrosent sont couvertes d’une riche végétation. Nous verrons dans le cours de cette exposition quelles sont, au point de vue de l’agriculture, les conséquences de ces différences capitales entre ces deux régions. Nous verrons également quelle action la région montagneuse peut avoir sur le climat du pays entier.

Hydrologie. — A ce point de vue, le Niocolo tout entier appartient au bassin de la Gambie. Les marigots qui l’arrosent sont tous tributaires de ce grand fleuve. Ils lui amènent toutes les eaux qu’ils drainent dans les collines. Aussi leur cours pendant la saison des pluies est-il absolument rapide. Pendant la saison sèche, au contraire, ils sont presque complètement desséchés. Leurs berges sont à pic et leurs lits sont littéralement pavés de roches parfois volumineuses que leurs eaux entraînent au loin pendant l’hivernage. Les marigots qui arrosent la région des plaines sont connus. Ce pays, à peu près désert, n’a pas encore été, en effet, exploré et étudié. Mais, d’après les renseignements que nous avons pu nous procurer à ce sujet, tout porte à croire que les cours d’eau y sont nombreux. Au lieu d’être de véritables torrents comme ceux de la région montagneuse, ils sont, au contraire, transformés, en certaines parties de leur cours, en véritables marécages. Pendant l’hivernage ils coulent paisiblement vers la Gambie et lui apportent les eaux d’infiltration des vallées qu’ils arrosent. Pendant la saison sèche, au contraire, l’eau y croupit et leurs berges sont couvertes de vases. Ils suivent les variations et les fluctuations du cours de la Gambie. Ce sont, en un mot, de véritables marigots, apportant au fleuve, pendant un certain laps de temps, le tribut de leurs eaux et recevant ensuite son trop-plein.

Le cours de la Gambie elle-même, de l’embouchure du Niocolo-Koba au gué de Tamborocoto, est fort peu connu. Il serait fort important et intéressant à la fois qu’une étude sérieuse en fût faite par des hommes compétents. Pour nous, nous ne pouvons donner à ce sujet que des renseignements fort incomplets.

La Gambie coule environ pendant soixante-cinq kilomètres, dans le Niocolo, du gué de Tamborocoto au confluent du marigot de Saguiri, et environ pendant cinquante kilomètres du gué de Tamborocoto à la limite extrême, à l’Ouest, du Niocolo. Elle le sépare dans cette dernière partie de son cours du pays de Badon. Du gué de Tamborocoto au marigot de Saguiri, elle forme de nombreux détours. Son cours est interrompu par de nombreux rapides et le courant y est, de ce fait, excessivement violent en certains endroits. Elle y serait difficilement navigable. Elle peut être traversée à gué à Tamborocoto et à Sillacounda. Encore ces gués sont-ils peu praticables, car le courant y est très rapide et le lit du fleuve y est encombré de roches excessivement glissantes qui rendent l’opération difficile, surtout pour les animaux. Les bords du fleuve sont partout à pic et couverts d’une riche végétation. Pendant la saison sèche, le niveau des eaux y est très bas, et, pendant la saison des pluies, il monte parfois de quatorze à quinze mètres et cela en quelques semaines à peine. Enfin le fleuve est littéralement infecté de caïmans et on ne saurait, quand on le traverse, prendre contre eux trop de précautions, surtout pour le passage des animaux. Il en est qui atteignent des proportions colossales et leur voracité est telle qu’ils viennent parfois jusque sur les rives happer des moutons et même des bœufs.

A partir du gué de Tamborocoto, et sur la rive droite en procédant du nord au Sud, la Gambie reçoit dans le Niocolo les marigots suivants dont nous allons décrire brièvement le cours :

Le Fatafi-Kô, qui vient du désert de Coulicouna.

Le Bodian-Kô, qui se jette en face de Dikhoy.

Le Koumountourou-Kô. Il suit à peu près une direction Nord-Est-Sud-Ouest et est formé par deux branches principales dont l’une passe non loin des ruines de Mansakouko et l’autre dans les environs du village de Badioula. Dans son cours, qui peut avoir environ cinquante kilomètres, il passe non loin des ruines de Tasiliman, à environ huit kilomètres de Médina-Dentilia, et il coupe là la route de Laminia. Il se jette dans la Gambie à quatre ou cinq kilomètres environ en aval de Sillacounda. Il reçoit au Nord un grand nombre de branches qui viennent du désert de Coulicouna. Au Sud, il reçoit de le Samania-Kô, dont on traverse les deux branches en allant de Laminia à Médina-Dentilia ; le Bancoroti-Kô, qui passe à Médina-Dentilia et qui est presque à sec pendant la saison sèche ; enfin une dernière branche, moins importante que les autres, le Vandioulou-Kô, passe non loin des ruines de Oualia.

Le Daguiri-Kô se jette dans la Gambie à environ un kilomètre en aval de Laminia. On le traverse à peu de distance de ce village lorsqu’on va à Médina-Dentilia. Il passe à Daguiri et non loin de Samé. Il reçoit quelques affluents de peu d’importance.

Le Kobali-Kô vient du Gounianta, passe à Fodé-Counda, Kobali et se jette dans la Gambie à quelques kilomètres en amont de Samécouta. La direction de son cours est comme celle du Daguiri-Kô, Ouest-Nord-Ouest, Est-Sud-Est.

Le Colongué-Kô est le dernier marigot du Niocolo que la Gambie reçoive sur sa rive droite. Il est formé de plusieurs branches qui viennent du Gounianta et dont la principale passe à environ dix kilomètres des ruines de Diantoum et à Colongué qui lui a donné son nom. La direction de son cours est à peu près Est-Ouest. Dans le Niocolo, il ne reçoit aucun affluent. Il est presque à sec pendant la saison sèche et forme, pour ainsi dire, dans la première partie de son cours, un vaste marécage.

Sur la rive gauche, la Gambie reçoit un grand nombre de marigots dont le cours est, en général, assez restreint et qui, à sec pendant la belle saison, sont transformés en véritables torrents pendant l’hivernage. Cela tient à ce qu’ils coulent, pour la plupart, dans les étroites vallées qui existent entre les montagnes et que, pendant l’hivernage, ils reçoivent les eaux qui coulent sur le flanc des collines. Aussi leurs bords sont-ils à pic et leur lit est-il souvent encombré de roches ; ce qui en rend le passage très difficile. Nous allons en donner une très succincte description.

En procédant du Nord au Sud, nous trouvons à partir du gué de Tamborocoto : Le Niami-Kô, dont la branche principale passe non loin de Nassa.

Le Fangoli-Kô, dont le lit est encombré de roches qui en rendent le passage excessivement dangereux. Il reçoit plusieurs affluents peu importants. Un d’entre eux passe à Niantambouri et un autre à Sacoto.

Le Tian-Kô, qui passe non loin de Marougou.

Le Falagankoli-Kô, qui passe à Tacourou.

Le Sili, qui est formé par deux autres petits marigots peu importants.

Le Mallalivondia-Kô, qui passe à Ibeli.

Enfin le Saguiri-Kô, qui est formé par deux branches dont l’une passe à Iméré, et dont l’autre le fait communiquer avec le Mallalivondia-Kô. Le cours de tous ces marigots a absolument la même direction générale Est-Ouest. Outre les marigots que nous venons de citer, il en existe beaucoup d’autres qui ont la même direction et qui sont si peu importants qu’on ne leur a même pas donné de noms.

Orographie. — Au point de vue orographique, le pays de Niocolo change absolument d’aspect suivant que l’on étudie la région Est ou la région Ouest.

A l’Ouest, pays de plaines, de marécages, nous ne trouvons que quelques rares collines peu élevées, le sol est faiblement vallonné et ne présente, pour ainsi dire, pas de villages dignes d’être mentionnés. Nous ne citerons que la série de petites collines qui longent, à deux kilomètres environ, la rive gauche de la Gambie.

A l’Est, au contraire, nous sommes en plein pays de montagnes. Nous trouvons d’abord sur la rive droite de la Gambie une chaîne de collines assez élevées qui longe le fleuve à quelques centaines de mètres parfois, deux kilomètres au plus. Cette chaîne n’est interrompue que pour donner passage aux marigots qui arrosent cette partie du Niocolo. Ces collines sont relativement élevées et il en est qui atteignent jusqu’à 100 et 125 mètres de hauteur. Nous pourrions dire qu’elles forment la partie Ouest d’une ceinture de hauteurs qui, passant par le Dentilia, le désert de Coulicouna et le Bélédougou, entoure un pays inhabité, véritable plateau rocheux inculte où aucune culture ne peut être tentée. Ces collines émettent de petits contreforts qui longent les marigots qui se jettent dans cette partie de la Gambie et qui arrosent les plaines argileuses du Dentilia.

A l’Ouest de la Gambie, nous avons une série de collines disposées d’après un certain ordre, qui permet d’en donner une description méthodique. C’est d’abord au Nord, un massif assez important aux environs du village de Nana, d’où partent les séries de collines que l’on trouve aux environs de Tamborocoto, Maroucoto, Baïsso, Bantaco, Potaranké, Bantata et Sacoto. Ces collines sont assez élevées, 150m environ, et l’on peut dire qu’elles forment les derniers contreforts des montagnes du Fouta-Diallon qui viennent mourir ici sur la rive gauche de la Gambie, après avoir constitué cette sorte d’arête centrale qui traverse le Kolladé, le Tamgué et le Sabé.

Outre ce système orographique Nord, nous trouvons, en outre, dans cette partie du Niocolo, deux chaînes de collines qui, se rattachant au massif que nous venons de décrire, se dirigent l’une au Sud-Est, en longeant la rive gauche du fleuve, et l’autre directement au Sud en formant la ligne de démarcation véritable entre la région des plaines et la région montagneuse.

La première chaîne de collines dont nous venons de parler se détache du massif Nord aux environs de Tamborocoto et vient se terminer non loin de Kédougou. Elle est interrompue par endroits pour livrer passage aux marigots qui se jettent dans la Gambie. Le long de ces marigots, se trouvent de petits contreforts qui vont rejoindre la chaîne Ouest.

Cette chaîne naît du massif Nord aux environs de Baïsso et se dirige directement au Sud jusqu’à près de Landuni, où elle s’épanouit en un nombre assez grand de rameaux secondaires que l’on trouve aux environs de Saréfitari, Tiokitian et Pataschi.

Outre ces hauteurs principales dont nous venons de parler, on rencontre encore dans le Niocolo bon nombre de collines isolées et ne se rattachant à aucun système. En les voyant on se demande comment elles ont bien pu se former. Parmi celles-ci, nous citerons particulièrement les collines qui entourent Sacoto, celles d’Itato et enfin celles que l’on trouve sur la route du Dentilia à quelques kilomètres de la rive droite de la Gambie.

En résumé, d’après ce que nous venons de dire, il est facile de conclure que le système orographique du Niocolo forme un tout bien net et qu’il appartient au grand système du Fouta-Diallon dont il peut être considéré comme le rejeton ultime.

Constitution géologique du sol. — Le Niocolo tout entier appartient, nous pouvons dire, au point de vue géologique, à la période secondaire. Sans doute dans sa partie ouest et dans les vallées de certains marigots, nous trouvons des argiles, des alluvions de formation plus récente ; mais le sous-sol lui-même sur lequel elles reposent appartient à la période primaire de même que l’ossature, le squelette du pays, si nous pouvons nous exprimer ainsi. C’est à cette époque qu’ont dû émerger et le Niocolo tout entier et les massifs du Sabé et du Tamgué. Certes, il n’est guère facile de s’y tromper si on considère combien les roches sont usées et limées. Issu des soulèvements de la période secondaire, le Niocolo tout entier a dû être ensuite recouvert complètement par les eaux lorsque la croûte terrestre a été assez refroidie pour que les vapeurs contenues dans son atmosphère puissent se condenser à sa surface. Combien de temps dura ce déluge et combien de temps le Niocolo resta-t-il submergé, nul ne le pourrait dire. Mais ce que l’on peut affirmer, c’est que cette période fut très longue, à en juger par les traces qu’elle a laissées et qui sont encore évidentes, malgré les milliers d’années écoulées.

Si nous considérons le sous-sol dont est formé le Niocolo, nous y trouvons deux sortes de terrains, le terrain ardoisier caractérisé par des schistes de toutes sortes. C’est le terrain de la région Ouest et celui d’une partie de la contrée comprise entre les deux chaînes de collines parallèles dont nous avons parlé plus haut. C’est aussi le terrain d’une partie des rives et du lit de la Gambie. On le rencontre enfin aussi dans la plaine qui confine au Dentilia. En second lieu, nous avons cette sorte de terrain que nous désignons sous le nom de terrains secondaires et dont les roches principales et les plus communes sont : des quartz, des grès et des conglomérats ferrugineux. Les collines de la partie montagneuse en sont presque uniquement formées.

Si maintenant nous considérons, au contraire, la croûte terrestre, nous trouverons dans la région Ouest et dans la plaine qui confine au Dentilia des argiles compactes en couches épaisses, produites par la désagrégation par les eaux des roches du terrain ardoisier. Par ci par là à l’Ouest, quelques marécages où l’on peut trouver des vases et des dépôts alluvionnaires de récente formation.

Dans la partie Est et centrale, nous avons bien en maints endroits des argiles ; mais c’est la latérite qui domine. Elle est produite par la désagrégation des roches cristallines qui forment le sous-sol du terrain secondaire. Les versants des collines sont dépourvus absolument de terre ou sable quelconque. Tout est entraîné par les grandes pluies d’hivernage. Sur les plateaux, la roche se montre à nu partout.

La profondeur à laquelle se trouve la nappe d’eau souterraine varie considérablement. Très éloignée de la surface dans la région des montagnes, elle est à quelques mètres seulement dans la plaine orientale et dans la région Ouest. Dans toute la région montagneuse, on ne se sert que de l’eau de puits pour tous les usages domestiques. Cette eau est délicieuse, cela se comprendra facilement si on réfléchit qu’elle a filtré à travers une épaisseur considérable de terrains ne contenant aucuns principes nuisibles.

Climatologie. — D’après ce que nous venons de dire, on comprendra aisément que le climat du Niocolo soit modifié par les dispositions orographiques et la nature du terrain que nous avons décrites plus haut. Sans doute le Niocolo appartient aux climats tropicaux, par excellence ; mais nous croyons qu’il ne doit pas être aussi insalubre. Nous sommes restés trop peu de temps dans cet intéressant pays pour donner ici une appréciation sérieuse et fondée sur des observations minutieuses. Nous ne pouvons donc émettre que de simples hypothèses qui découlent des principes généraux mêmes de climatologie.

La direction des collines de la partie Est met la portion centrale du Niocolo à l’abri des vents brûlants qui viennent de cette région, de même que les collines de la région Ouest l’abritent pendant l’hivernage contre les vents humides du Sud-Ouest. Ces simples dispositions orographiques suffisent pour tempérer singulièrement l’insalubrité du pays et le climat sous lequel il se trouve. D’autre part, l’orientation des vallées leur permet de recevoir directement la brise de Nord et de Nord-Est, ainsi que celles de Sud et de Sud-Est. Il en résulte évidemment que la température doit y être relativement moins élevée que dans les autres régions qui sont directement exposées aux vents brûlants de l’Est.

Quant à l’action de la masse d’eau souterraine sur la salubrité du pays, nous croyons que, vu son extrême profondeur, elle est de peu d’importance. Sans doute, dans les plaines argileuses et sur les bords du fleuve et des marigots, nous trouvons des marécages et des eaux croupissantes, mais nous croyons que le desséchement se faisant très rapidement, leur action nocive est de peu de durée.

Tout autre est le climat de la région Ouest ; là nous avons le climat chaud, par excellence, et tout ce qu’il faut pour que le pays soit d’une insalubrité remarquable. L’altitude est peu élevée. Tous les vents s’y font sentir et particulièrement le vent de Sud-Ouest. Les marais y sont nombreux et le desséchement n’y est jamais complet. Enfin la croûte terrestre, presque uniquement formée d’argiles imperméables, laisse s’amonceler et croupir à sa surface les eaux de l’hivernage. De plus, la masse d’eau souterraine y est à une minime profondeur et il en résulte une humidité extrême. Chaleur et humidité sont, on le sait, les deux éléments climatériques qui favorisent le plus l’éclosion des miasmes palustres. En résumé, nous estimons qu’il serait bon de faire de ce pays, au point de vue climatologique, une étude complète. On pourrait s’assurer ainsi qu’il jouit peut-être d’un climat plus sain ou plutôt moins malsain que celui des autres régions de cette partie de l’Afrique. D’après ce que nous venons de dire, cette hypothèse paraît vraisemblable.

Flore.Productions du sol.Cultures. — La flore du Niocolo diffère peu de celle des autres parties du Soudan. Pauvre sur les collines, la végétation n’est réellement riche que sur les bords du fleuve et des marigots. Là nous trouvons les grands végétaux qui caractérisent les régions des rivières du Sud : caïl-cédrats, fromagers, baobabs, Légumineuses de toutes sortes et absolument gigantesques. Mais il existe dans le Niocolo tout entier, du moins dans les régions Est et centrales, deux végétaux qui méritent une mention particulière. Le Karité (Butyrospermum Parkii) y est partout excessivement commun et ses deux variétés, Shée et Mana, s’y rencontrent. La première y est cependant plus fréquente. Les habitants tirent de la noix une assez grande quantité de beurre qu’ils vont vendre à Yabouteguenda et à Mac-Carthy.

On trouve ce végétal partout, dans le Niocolo ; mais c’est surtout aux environs de Sillacounda, Diengui, Dikhoy qu’il est particulièrement abondant. Toute la plaine de Sillacounda en est littéralement couverte et nous y en avons vu des échantillons qui atteignaient des proportions fort respectables. Le karité, dans cette région du moins, ne pousse pas en forêts compactes. Les pieds sont distants les uns des autres d’environ soixante mètres. Nous croyons que, trop rapprochés, ils se développeraient moins vigoureusement. Il y aurait là matière à créer une véritable richesse agricole, forestière et commerciale pour le pays. Mais il faudrait que ceux qui s’en occuperaient fissent tout par eux-mêmes : car jamais on n’arrivera à faire cultiver par le noir aucun autre végétal que ceux qui sont susceptibles de lui donner un rendement immédiat. On n’arrivera jamais à lui faire semer une seule graine de karité.

Les lianes à caoutchouc Saba (Bambara), et Laré (Peulh), sont aussi excessivement communes dans le Niocolo. On les trouve un peu partout, mais c’est surtout sur les bords du fleuve et des marigots qu’elles sont réellement abondantes. Elles y atteignent des proportions énormes, mais je doute que jamais un noir quelconque récolte un gramme de latex de Laré, quels que soient les moyens que l’on emploie et les arguments qu’on fasse valoir pour leur conseiller ce léger travail. Ce végétal serait également très facile à multiplier dans d’énormes proportions, mais, je le répète, on n’obtiendra jamais rien de l’indigène en dehors de ce qui sort de la routine.

Les cultures sont très riches dans le Niocolo, surtout dans les pays habités par les Diakankés : Diengui, Sillacounda, Samécouta, Laminia. Sous ce rapport les Malinkés commencent à se remuer un peu. Quant aux Peulhs, ils sont loin de ressembler à leurs frères du Ouli et du Sandougou. Ils délaissent volontiers la pioche pour prendre le fusil et aller détrousser les caravanes ou voler des captifs aux alentours des villages Malinkés.

Le mil, maïs, coton, arachides, tabac, etc., etc., en un mot toutes les plantes que l’on cultive au Soudan se voient dans les lougans du Niocolo. Les habitants font de grands et beaux lougans et, pendant toute l’année, ils ne manquent jamais de mil. Leurs procédés de culture sont à peu de chose près les mêmes qu’ailleurs, mais les lougans sont plus soignés. J’ai remarqué que pour les champs de mil, ils ne se contentaient pas seulement de gratter la terre et d’y enfouir la semence à une petite profondeur. Ils font de véritables sillons. Ce qui permet aux eaux de séjourner plus longtemps autour du mil. Aussi celui-ci y atteint-il des proportions inconnues ailleurs. Autour des villages, surtout chez les Malinkés, se trouvent de petits jardinets où sont cultivés, avec grand soin, oignons, tabac, oseille, etc., etc. C’est surtout aux femmes qu’incombe cette besogne.

Faune. Animaux domestiques. — La faune est peu variée. Parmi les animaux nuisibles, citons le lion, assez rare, la panthère, le lynx, le chat-tigre, et, dans la Gambie, le caïman. L’hippopotame abonde surtout dans les marigots de la région Ouest. C’est là aussi la région qu’habite l’éléphant, qui est assez commun. Toutes les variétés d’antilopes, biches, gazelles y sont représentées en grand nombre. Le bœuf sauvage s’y rencontre aussi fréquemment. Tous les habitants du Niocolo se livrent à l’élevage des bœufs, moutons et chèvres. Mais ceux qui, de beaucoup, possèdent les plus beaux troupeaux, sont les Diakankés. Samécouta, Sillacounda, Laminia possèdent chacun plusieurs centaines de têtes de bétail. Les bœufs y sont assez gros et leur viande est excessivement savoureuse. Le lait des vaches, très riche en principes gras, est également excellent. Les moutons et les chèvres y prospèrent à merveille, et ils ne sont pas étiques comme cela se voit dans presque tout le reste du Soudan. Citons pour mémoire les poulets, très nombreux partout. C’est toujours la même volaille décharnée que l’on rencontre partout en Afrique, et qui n’a rien à envier à ses congénères de l’Opéra-Comique. Il y a peu de chevaux dans le Niocolo. D’après les renseignements que j’ai eus à ce sujet, le climat leur serait contraire et ils n’y vivraient pas. Les ânes, petits et vigoureux, y sont très communs, et les dioulas s’en servent pour le transport de leurs marchandises.

Populations. Ethnographie. — Le Niocolo est, relativement à son étendue, très peuplé, surtout dans sa partie centrale. Il n’y a qu’un seul village sur la rive droite de la Gambie, Laminia (village Diakanké). La partie Ouest est à peu près inhabitée. On n’y trouve que deux petits villages Malinkés de très peu d’importance. La population totale du pays peut être évaluée à environ 25 à 28,000 habitants. Ce qui, vu sa superficie, nous donne à peu près trois habitants par kilomètre carré. Il est habité par des Malinkés, des Diakankés, des Peulhs et des Sarracolés. Les Malinkés et les Peulhs sont de beaucoup les plus nombreux. Ils forment un grand nombre de villages situés : les Malinkés au Nord, et les Peulhs au Sud.

1o Malinkés. — Les Malinkés ont été les premiers habitants du Niocolo. Si l’on en croit la légende que racontent volontiers les griots et les vieillards, les premiers habitants de race Malinkée dont on retrouve la trace au Niocolo appartenaient à la famille des Sadiogos, venus du Manding lors de la première grande migration, celle de Koli-Tengrela. Cette famille des Sadiogos arriva on ne sait comment jusque sur les bords de la Gambie et là les uns franchirent le fleuve et se fixèrent dans le Niocolo et les autres se fixèrent à Sibikili, où ils sont encore. Peu après, lors de la seconde grande migration Mandingue dans le Bambouck, sous la direction des Sisokos, arrivèrent les Camaras qui chassèrent les Sadiogos et peuplèrent en partie toute la partie Nord du Niocolo. Les Sadiogos se retirèrent à Sibikili et c’est dans ce seul village que l’on peut encore trouver des représentants de cette ancienne famille Malinkée. Mais les Camaras ne devaient pas jouir longtemps en paix de leur victoire. Après la mort de Soun-Dyatta, un grand courant d’émigration Malinkée se fit de l’Est vers l’Ouest, et dans le Niocolo ne tardèrent pas à arriver deux des plus anciennes familles du Manding les Dabos et les Keitas. Dans le cours du voyage, un certain nombre de Dabos avait quitté la colonne et s’était fixé dans le Kouroudougou, près du Diébédougou, où sont encore leurs descendants. Les Keitas et les Dabos eurent facilement raison des Camaras et les soumirent à leur autorité. Ceux-ci préférèrent obéir que de quitter le pays. Les Keitas prirent alors le pouvoir en main et voulurent pressurer leurs alliés les Dabos comme ils le faisaient pour les Camaras. Les Dabos, irrités, quittèrent le pays et allèrent se fixer dans le Ouli. Il n’en reste plus que fort peu actuellement dans le Niocolo. Dernièrement encore plusieurs cases de Dabos allèrent rejoindre leurs frères du Ouli. Les Keitas sont encore les maîtres du Niocolo, de la partie Nord du moins. Leur chef réside à Dikhoy, chef sans aucune autorité, qui est absolument annihilé par les almamys du Fouta-Diallon.

Les Malinkés du Niocolo ne diffèrent en rien des Malinkés des autres pays. Ils sont aussi vantards, pillards, ivrognes, voleurs et menteurs. Leurs villages sont aussi sales. Ils sont là plus abrutis que partout ailleurs et la main de fer qui les opprime n’est pas capable de leur permettre de se relever tant au moral qu’à tout autre point de vue. Ils forment un grand nombre de villages ; mais Keitas et Camaras habitent à part, et depuis la conquête les unions entre ces deux familles ont été fort rares.

Villages Malinkés du Niocolo.

1o Villages Keitas :
Tomborocoto. Dikhoy (résidence du chef).
Marougoucoto. Bantaco.
2o Villages Camaras :
Bantata. Temansou.
Pataranké. Maniancanti.
Barabané. Vana.
Dapouta. Bala.
Médina. Lacanta.
Tigancali. Mariguilcia.
Baniou. Nientambouré.
Baïsso. Daria.

Les Malinkés habitent le Nord du Niocolo. Une ligne de démarcation bien nette les sépare des Peulhs du Sud. Ils n’ont jamais tenté de s’étendre lors même que le reste du pays était inhabité. Là où ils ont mis le pied pour la première fois, là ils sont restés. C’est là la preuve la plus manifeste du peu de vitalité de ce peuple, qui est appelé à disparaître un jour du Niocolo et à en être chassé par les Peulhs ou à être absorbé par eux.

2o Diakankés. — Les Diakankés du Niocolo sont relativement peu nombreux. Ils forment quatre villages dont la population totale peut être évaluée à environ trois mille habitants. Ces villages sont :

Diengui.Sillacounda.Laminia.Samécouta. — Les Diakankés sont établis là de très longue date. Ils ont quitté le Diaka dès les premiers jours de la conquête de ce pays par les almamys du Bondou. Pressurés par ces derniers, ils ont préféré se soumettre aux exigences du Fouta-Diallon que de supporter les exactions auxquelles ils étaient continuellement exposés dans le Diaka. Ils ont construit alors sur les bords de la Gambie ces quatre grands villages dans des situations hors ligne et au milieu d’un pays excessivement fertile. — Les Diakankés, musulmans fanatiques, sont des gens absolument paisibles pourvu qu’on leur laisse pratiquer en paix leur religion. Ils élèvent de nombreux troupeaux et les greniers de leurs villages regorgent de provisions de toutes sortes. Ce sont de beaucoup les plus riches du Niocolo. Ils sont soumis au Fouta-Diallon auquel ils payent tribut. Chaque année, les quatre villages doivent payer douze bœufs aux almamys. Mais, en dehors de cela, ils sont obligés de répondre aux demandes de leurs maîtres qui envoient chercher mil, arachides, etc., etc. Ils sont fatigués de cela et demandent que cet état de choses cesse au plus tôt.

N’étaient les bœufs qui les empestent littéralement, leurs villages seraient bien entretenus. Les cases y sont propres et en bon état. Chaque village possède une ou plusieurs mosquées qui y sont construites, en paille, avec le plus grand soin. Leurs immenses toits en forme de chapeaux pointus viennent jusqu’au ras du sol, aussi pour entrer dans ces temples, faut-il absolument se mettre à quatre pattes. Chaque jour, les enfants sont réunis dans une case spécialement affectée à leur instruction, et un marabout en renom dans le village, très versé dans la connaissance de l’Arabe et du Coran, les initie aux mystères de la langue sacrée, leur apprend et leur explique les versets du Saint Livre. Ces sortes d’écoles sont très assidûment fréquentées. En résumé, le Diakanké est un peuple fort intéressant, dont nous devrions nous occuper plus que nous l’avons fait jusqu’à ce jour.

3o Sarracolés. — Il eût été fort étonnant de ne pas trouver de village Sarracolé dans le Niocolo. On les rencontre partout où il y a un peu de commerce à faire, et, dans ce pays, ils jouissent, au point de vue commercial, d’une situation fort sortable. Ils n’ont formé qu’un seul village, Kédougou, fort peuplé de gens de toute espèce de races. C’est là que les Sarracolés tiennent, pour ainsi dire, entre leurs mains, la plus grande partie du commerce de la région.

Les Sarracolés du Niocolo sont venus d’un peu partout ; mais ce sont surtout ceux du Guidioumé et du Ghabou qui y sont en plus grand nombre. Les premiers y sont venus à la suite de la conquête de leur pays par El Hadj Oumar, et les seconds, à la suite de la conquête du Ghabou par Alpha-Molo. Ils vivent là en paix, payant au Fouta-Diallon un fort impôt, et vivant en bonne intelligence avec leurs voisins, car ceux-ci ont toujours besoin d’eux.

4o Peulhs. — Les Peulhs du Niocolo ne ressemblent en rien aux Peulhs du Ouli ou du Sandougou. Ils sont venus du Fouta-Diallon à la suite des envahisseurs, lorsque le Niocolo fut soumis à l’autorité de l’almamy. Ils forment un grand nombre de villages situés dans la partie Sud du pays, et là, ils se livrent plutôt au brigandage qu’aux travaux des champs.

Le Peulh de Fouta-Diallon est peut être la pire des races africaines. C’est le voleur de grand chemin et le pillard par excellence. Musulman enragé, et sous prétexte de religion, il se livre à toutes les rapines possibles, aussi bien sur ses coreligionnaires que sur les infidèles. Ils poussent leurs incursions jusque dans le Tenda, le pays de Gamon et même le Koukodougou. Il serait grandement temps de mettre fin à tout cela et de protéger enfin d’une façon plus efficace ceux que, par traités, nous avons promis de protéger.

Les Peulhs du Niocolo vivent en paix avec les autres populations du pays, mais, il n’y a pour ainsi dire aucun rapport entre eux. Chacun reste chez soi. Voici la liste de leurs villages :

Villages Peulhs du Niocolo :
Fadiga. Landé.
Marougou. Tiokitian.
Sakoto. Deloum.
Lacourou. Iméré.
Bandofassi. Etiessé.
Itato. Anrabol.
Pataschi. Bokari.
Koudio. Bandé.
Landieni. Saréfitari.
Niompaya.

Situation et organisation politiques actuelles. — Le Niocolo, avons-nous dit, est tributaire du Fouta-Diallon. La conquête de ce pays par les almamys s’est faite bien aisément et voici dans quelles circonstances. C’est à l’époque où il n’y avait encore dans le Niocolo que des Malinkés ; car les autres peuples sont venus bien après.

Lorsqu’après la mort de Boubou-Malick-Sy, fils de Malick-Sy, le fondateur de la dynastie Sissibé du Bondou, ce pays fut livré en proie aux Malinkés du Bambouck ; Maka-Guiba, héritier de son oncle, fit demander du secours aux almamys du Fouta-Diallon, ses cousins, pour reconquérir le royaume de Malick-Sy. On comprend que ceux-ci ne laissèrent pas échapper une si belle occasion de se livrer quelque peu au pillage. Ils réunirent donc une forte colonne et se mirent en route pour le Bondou, pillant et ravageant tout sur leur passage. Ils arrivèrent ainsi dans le Niocolo. Les guerriers Malinkés voulurent entrer en campagne contre eux, mais les vieillards calmèrent leur ardeur en leur faisant remarquer que le Fouta-Diallon était bien près et bien plus fort qu’eux et qu’ils finiraient toujours par succomber dans une lutte aussi inégale. Il valait donc mieux ne pas s’exposer à la colère de l’almamy et se soumettre à son autorité. Chose qui fut faite, et, depuis cette époque, le Niocolo est tributaire et vassal du Fouta-Diallon. Les populations qui vinrent s’y établir dans la suite acceptèrent une situation déjà existante et payèrent également l’impôt. C’est également à cette époque que des Peulhs du Fouta-Diallon vinrent s’établir dans le Sud du Niocolo et y fondèrent les villages dont nous avons donné plus haut la liste.

La véritable autorité dans le pays est donc celle du Fouta-Diallon et elle s’exerce spécialement pour recueillir l’impôt et pressurer les populations qui lui sont soumises.

Le chef des Malinkés, qui réside à Dikhoy, ne jouit absolument d’aucun pouvoir. C’est, du reste, la coutume dans les pays Malinkés. On vient parfois lui demander son avis dans certaines contestations entre villages ou entre particuliers ; mais il est rarement suivi. En résumé, c’est un chef qui n’en a que le nom.

Les autres villages, Peulhs, Sarracolés, Diakankés s’administrent comme bon leur semble. Chez les Diakankés, le chef de Sillacounda jouit d’une autorité assez respectée des autres villages ; car les quatre villages Diakankés sont tous habités par les membres de la même famille.

En résumé, au point de vue politique, il n’y a réellement qu’une autorité dans le Niocolo, la volonté de l’almamy de Timbo. Nous avons dit plus haut comment elle s’exerçait. Sauf la question de l’impôt, rien n’est réglé. C’est l’anarchie et le désordre par excellence.

Par suite du traité passé avec le Fouta-Diallon, le Niocolo se trouve également placé sous le protectorat de la France. Les habitants du pays voudraient bien nous voir intervenir en leur faveur contre leurs tyrans, mais il serait difficile de faire quoi que ce soit pour eux sans se heurter contre l’autorité de l’almamy. Malgré tout, il est temps qu’une solution intervienne, car nos caravanes et nos marchands sont littéralement dépouillés par les droits exorbitants que l’on exige d’eux.

Rapports du Niocolo avec les pays voisins. — Bien que le Niocolo soit tributaire du Fouta-Diallon, bien qu’il fasse partie du grand empire Peulh, ses habitants ne sont nullement protégés par les Peulhs, bien au contraire. Ils n’ont du protectorat que les charges sans en avoir les avantages, et ses villages, quand ils sont attaqués, ne sont jamais défendus. On ne vient jamais à leur secours. Aussi, leurs voisins ne se gênent ils guère avec eux et ils n’ont pas échappé aux attaques des almamys du Bondou. Aussi, en décembre 1869, sous prétexte que les gens de Marougoucoto avaient pillé une caravane du Bondou, ce qui pouvait bien être vrai, Boubakar-Saada, l’almamy, vint attaquer ce village et s’en empara aisément. La moitié de la population se sauva et le reste fut emmené en captivité. Quelque temps après, Boubakar autorisa ceux qui lui avaient échappé à reconstruire Marougoucoto. Mal lui en prit, car en 1875, ce village s’étant repeuplé et son tata ayant été solidement reconstruit, les habitants recommencèrent leurs brigandages et pillèrent sans merci tous les dioulas et toutes les caravanes venant du Bondou ou du Galam et qui s’aventuraient à leur portée. L’almamy Boubakar leur envoya deux de ses meilleurs guerriers pour leur enjoindre d’avoir à cesser d’harceler sans cesse ses sujets, et leur déclarer qu’en cas de refus il marcherait immédiatement contre eux. Le chef du village lui fit répondre que « s’il était le maître à Sénoudébou, lui il commandait à Marougoucoto, et que si les gens du Bondou voulaient passer par son village pour se rendre au Fouta-Diallon, sans payer l’impôt que toutes les autres caravanes acquittaient sans récriminer, il continuerait à le leur faire payer de force ». De plus ses émissaires ne furent même pas autorisés à se reposer dans le village. On ne leur donna même pas une calebasse d’eau pour se désaltérer et ils furent reconduits sous bonne escorte jusque sur la rive droite de la Gambie. Cette façon de procéder, si contraire à toutes les coutumes noires, équivalait à une déclaration de guerre. Boubakar, à bon droit, le comprit ainsi et se prépara à aller châtier ces insolents. Il fit alors appel à ses alliés du Gadiaga, du Kasso et du Logo, réunit une forte colonne et entra immédiatement en campagne. L’armée coalisée traversa la Gambie au gué de Tomborocoto et vint tomber sur Marougoucoto dans les premiers jours d’avril 1875. Mais les habitants étaient prévenus et se tenaient sur leur garde. Suivant une tactique assez commune chez les Malinkés, ils n’attendirent pas l’ennemi à l’abri de leurs murs et s’avancèrent contre Boubakar pour lui barrer la route. Du gué de Tomborocoto, la route suit un défilé que dominent de chaque côté des collines relativement élevées. Elle est de plus littéralement encombrée de roches qui la rendent difficilement praticable. Embusqués derrière les rochers et dans la forêt, ils attaquèrent à l’improviste l’armée coalisée. Malgré une vigoureuse défense, Boubakar fut obligé de battre en retraite, ses troupes se débandèrent et se précipitèrent en désordre vers le gué de Dina (c’est ainsi que les Toucouleurs appellent le gué de Tomborocoto). Poursuivies à outrance par les guerriers de Marougoucoto et leurs alliés, c’est à peine si elles purent franchir la Gambie sous le feu des ennemis embusqués derrière les rochers des collines environnantes. Boubakar et Ousman Gassy, son fils, ne purent, malgré leurs efforts, arriver à rallier leurs hommes et furent obligés de s’enfuir à bride abattue pour échapper aux balles des Malinkés.

Dans cette journée, Boubakar perdit environ deux cents hommes, parmi lesquels un de ses neveux, Sidy-Amady-Salif, de la branche des Sissibés de Koussan-Almamy, et un des captifs de la couronne qu’il affectionnait le plus, Saada-Samba-Yassa.

Depuis cette époque, aucune guerre n’a désolé le Niocolo. Les Malinkés qui l’habitent vivent en paix avec leurs voisins du Badon. Ils sont, du reste, de la même famille, ce qui cependant ne serait pas une raison. Il en est de même avec le Dentilia. D’ailleurs, ils ne se sentent plus assez forts pour essayer de brigander sur les routes comme ils le faisaient jadis. Opprimés comme ils le sont par le Fouta-Diallon, ils ne peuvent plus se permettre quoi que ce soit. Autrefois ils se livraient à un pillage en règle des caravanes qui passaient par leur pays. Tomborocoto et Marougoucoto avaient à ce sujet une réputation universelle au Soudan. Mais depuis quelques années, depuis que nous nous sommes occupés, bien peu pourtant, de leurs affaires, les vols ont cessé. Les autorités du Fouta-Diallon y ont mis bon ordre. Nous avons vu quelles étaient leurs relations avec les Peulhs du Sud. Je crois bien qu’ils préféreraient les voir ailleurs que là où ils sont ; mais ils ne peuvent rien dire, ce sont les maîtres.

Les Diankankés vivent absolument à part et n’ont avec les Malinkés que les relations qu’un peuple musulman peut avoir avec un peuple qui ne l’est pas.

Quant aux Sarracolés, ces juifs de l’Afrique, ils sont bien avec tout le monde, pourvu qu’ils en tirent profit et bénéfices, si petits qu’ils soient.

Nous avons vu ce que sont les Peulhs, voleurs, pillards, brigands dans toute l’acception du mot. Il serait temps de leur couper les ailes.

Rapports du Niocolo avec les autorités françaises. — Les rapports du Niocolo avec les autorités françaises sont nuls. Cela se comprend ; nous ne pouvons avoir avec ce pays que des relations absolument indirectes. Les Malinkés, Sarracolés, Diakankés nous verraient avec plaisir intervenir d’une façon plus efficace dans les affaires de leur pays. Aussi lorsqu’ils voient un représentant quelconque de l’autorité française, le traitent-ils avec les plus grands égards.

Quant aux Peulhs, il ne faut pas l’oublier, ce sont des émigrés du Fouta-Diallon et ils reçoivent le mot d’ordre de ce pays ; le fait suivant suffira amplement pour prouver quelles sont leurs façons de penser à notre égard. Me trouvant à Gamon, le chef vint se plaindre à moi de ce que les Peulhs du Niocolo et du Tamgué venaient jusque sous les murs du village voler leurs enfants, femmes, captifs et bœufs. Je lui exprimai mon étonnement de ce fait, car, lui dis-je, ils savent parfaitement que Gamon est Français. « Ah bien oui, me répondit-il, ils s’en moquent pas mal et si on les interroge à ce sujet, ils vous répondent qu’ils ne connaissent pas ce que c’est. Il n’y a pour eux que des villages Malinkés. Aussi ne se gênent-ils pas pour venir sur notre territoire continuellement piller, voler et brigander à outrance ». Pour être convaincu de la chose, il suffit d’interroger à ce sujet les gens du Tenda, du Gamon, du Dentilia et même du Koukodougou. Tous s’en sont plaints à moi et m’ont déclaré que, depuis quelque temps surtout, la présence de ces brigands-là dans le pays leur rendait la situation absolument intolérable.

Le Niocolo au point de vue commercial.Conclusions. — Le Niocolo, par sa situation géographique, a, au point de vue commercial, une importance énorme au Soudan. C’est, en effet, par le Niocolo que passent la plupart des routes qui mènent du Bambouck, du Bondou, du Tenda, du Ouli, etc., etc., au Fouta-Diallon, routes qui, par conséquent, font communiquer nos comptoirs du Sénégal avec ce grand pays. De plus, c’est dans le Niocolo à Kédougou surtout que les dioulas du Nord viennent faire leurs achats de kolas. On peut dire, à ce point de vue, que Kédougou est l’entrepôt de tout le commerce du Nord avec le Fouta-Diallon. Les almamys l’ont bien compris, aussi celui qui règne actuellement vient-il d’établir à Sakoto une sorte de douane à l’usage des dioulas spécialement. Qu’ils aillent au Fouta-Diallon ou qu’ils en reviennent, il faut payer à l’entrée comme à la sortie, et les droits ne sont pas minimes. Ainsi c’est une pièce de guinée par charge d’âne et une demi-pièce par charge d’homme, soit environ 20 francs et 10 francs. C’est le fils lui-même de l’almamy qui dirige ce service de trésorerie. Je n’ai pas besoin de dire qu’il en profite pour pressurer le pays d’une façon épouvantable.

Comme on le voit, l’importance commerciale du Niocolo est capitale. On devrait s’occuper un peu plus de cette question que nous ne l’avons fait jusqu’à ce jour. Ce qu’il importe surtout pour favoriser le commerce, c’est de supprimer toutes ces douanes et de réprimer le brigandage. Pour arriver à ce résultat, il n’y a qu’un moyen, je le répète, mettre définitivement la main sur le Fouta-Diallon.



Dentilia

CHAPITRE XXIII

Départ de Laminia. — Souhaits de bon voyage. — Pratique religieuse à ce sujet. — De Laminia à Médina. — Dentilia. — Route suivie. — Extraction du fer. — Hauts-fourneaux. — Description de la route. — Géologie. — Botanique. — Le Diabé. — La Fève de Calabar. — Arrivée à Médina. — Dentilia. — Le pavillon tricolore. — Belle réception. — Orchestre original. — Description du village. — En route pour Saraia. — Route suivie. — Bembou. — Badioula. — Description de la route. — Géologie. — Botanique. — Les ficus. — Le Séno. — Les Strophanthus. — Arrivée à Saraia. — Le village. — Un mariage chez les Malinkés. — Départ pour Dalafi. — Beaux lougans. — Le Caoutchouc. — Arrivée à Dalafi. — Mensonges des habitants. — Respect des Indigènes pour les bœufs blancs. — En route pour Diaka. — Médina. — Route suivie. — L’Anacarde. — Cordiale réception.

20 Janvier 1892. — La nuit que nous passâmes à Laminia fut relativement chaude. Le vent du Nord-Est n’a pas cessé de souffler. Ciel clair et étoilé. Au réveil pas le moindre nuage. Le soleil se lève brillant. Brise de Nord-Est. Température chaude. Pas de rosée. Nous avons une longue étape à faire. Aussi je réveille mon monde dès deux heures et demie du matin. Malgré l’heure matinale les préparatifs du départ se font très rapidement. Les porteurs sont réunis à l’heure dite, et, par un beau clair de lune, nous nous mettons en route à trois heures du matin.

Le chef et les principaux notables n’ont pas voulu me laisser partir sans venir me serrer la main et sans me souhaiter un bon voyage. Même ceux de Sillacounda sont restés passer la nuit à Lamina pour me saluer encore au moment où j’allais les quitter. Tous me remercièrent sincèrement du petit cadeau que je leur fis. J’aurais bien voulu leur donner davantage pour les défrayer un peu des dépenses qu’ils avaient faites pour me recevoir ; mais ma pacotille commençait singulièrement à s’épuiser et il me fallait songer aussi à la longue route qui me restait à faire avant d’arriver dans un de nos postes où je pourrais me ravitailler. Car, dans ce pays, pour être bien vu, il faut donner, toujours donner.

Ce n’est, en effet, que par la force ou par force cadeaux que l’on peut conserver son prestige dans ces régions. Un chef doit être puissant ou généreux. Voyageant sans escorte, il me fallait donc, pour me faire respecter, puiser sans cesse dans mes modestes provisions. « Les cadeaux entretiennent l’amitié », disons-nous en France. Nulle part, plus qu’au Soudan, ce proverbe n’a été plus vrai.

Au moment où nous allions nous mettre en route, je vis un des marabouts du village s’avancer vers Almoudo et lui adresser une question en lui prenant les deux mains. Mon interprète répondit affirmativement, et ce disant présenta au marabout ses deux mains ouvertes, la paume tournée en haut et se touchant par leur bord interne. Le marabout les prit dans les siennes et marmotta quelques paroles en crachant plusieurs fois et légèrement sur la paume. Quand il eut terminé, celui-ci se les passa sur la figure à plusieurs reprises en répétant : « merci, merci. » Je lui demandai ce que signifiait cette pratique. Il me répondit alors que ce marabout était renommé dans tout le pays pour sa sainteté et qu’il venait de faire une prière pour que nous fassions un bon voyage. « Nous pouvons être assurés, ajouta-t-il, maintenant qu’il ne nous arrivera rien de fâcheux pendant la route, car, lorsqu’un grand marabout donne une prière comme cela à un homme, tous les compagnons de celui-ci en profitent, car il est alors l’ami d’Allah. C’est ce qu’il y a de plus que le meilleur. » Je ferai remarquer que mon interprète était un Bambara qui, s’il ne faisait pas Salam, observait du moins toutes les autres prescriptions du Coran. C’est encore là une preuve indiscutable de la grande vénération que, même les peuples du Soudan qui ne la pratiquent pas, ont pour la religion du prophète.

Munis de ce précieux viatique, nous nous mîmes en route pleins de sécurité sur l’issue de notre voyage. Les porteurs marchent bien. A un quart d’heure du village, nous traversons le Daguiri-Kô. Les uns en pirogue et les autres à gué. Ce marigot est peu large et peu profond en cette saison. Les berges sont cependant à pic et, pendant l’hivernage quand ses eaux ont été gonflées par les pluies, sa largeur peut être d’environ de 50 à 60 mètres et sa profondeur de 10 à 12 mètres. L’endroit où il coupe la route de Laminia à Médina-Dentilia est situé à environ trois cents mètres de la Gambie que l’on peut apercevoir, du reste, du haut des berges du marigot. Nous traversons, à peu de distance du Daguiri-Kô, deux de ses affluents. Successivement, il nous faut franchir le Diguia-Kô, le Douta-Kô, affluents de Koumountourou-Kô. Nous laissons sur la droite la route de Dioulafoundou et, à six kilomètres de là, nous arrivons aux ruines de Tasiliman, où nous faisons la halte.

Tasiliman devait être un village qui, à en juger par ses ruines, devait avoir environ 450 ou 500 habitants. Il était situé sur un petit monticule qui s’élève à un kilomètre du Koumountourou-Kô. Sa population l’abandonna à la suite d’un incendie qui dévora toutes ses cases, et alla habiter à Médina-Dentilia et à Dioulafoundou. Le sol est cependant très fertile aux alentours. Les habitants des villages voisins y ont fait de beaux lougans de mil, et toute la plaine qui l’entoure est parsemée de superbes karités. Il existe encore au milieu des ruines du village plusieurs puits qui donnent une eau délicieuse et qui, pendant la saison des cultures, sont bien entretenus par les cultivateurs qui viennent s’installer là pour surveiller leurs champs. Non loin de l’ancien village existent, en effet, quelques cases et quelques greniers à mil que gardent une ou deux familles de captifs.

La traversée du Koumountourou-Kô est assez difficile, bien que ce marigot ne soit pas très large et qu’à cette époque de l’année il soit presque complètement à sec. Mais ses berges sont excessivement élevées et à pic. Aussi faut-il prendre mille précautions pour descendre dans le lit et remonter sur la berge opposée. De plus, le fond est couvert de débris végétaux et encombré de racines qu’il faut avoir soin de faire éviter aux animaux.

A quelques kilomètres du Koumountourou-Kô, nous traversons successivement le plus important de ses affluents, le Samania-Kô, et non loin de ce dernier le Bancoroti-Kô, qu’il reçoit et qui coule au pied du petit monticule sur lequel s’élève le village de Médina-Dentilia.

A peu de distance de là nous laissons sur la gauche huit ou dix fours à extraire le fer, et qui étaient éteints quand nous y sommes passés.

Le minerai de fer est excessivement commun au Soudan. On peut dire d’une façon générale qu’il n’y existe pas de roche qui n’en contienne en plus ou moins grande quantité. Mais ce sont surtout les quartz et les grès qui sont les plus riches. Le fer magnétique est assez rare. On ne le trouve guère que dans le pays de Ségou. Ce métal existe plutôt à l’état d’oxydes unis à de la silice et à de l’argile. Les quartz et les grès ferrugineux forment des conglomérats parfois énormes qui sont agglutinés entre eux par de l’argile. Enfin on trouve encore parfois de petits cailloux roulés qui contiennent une si grande quantité de ce métal que les indigènes s’en servent parfois comme balles de fusil. Certains minerais des environs de Dioulafoundou dans le Bambouck contiennent à peu près 35 % de fer absolument pur. Malgré leurs richesses, il sera de longtemps impossible de les exploiter, vu le bas prix de ce métal en Europe. Il ne sera jamais l’objet d’un commerce d’importation et, pour l’utiliser, il faudrait l’extraire sur place et l’écouler dans le pays. Encore l’exploitation ne sera-t-elle jamais rémunératrice, vu le prix élevé de la main d’œuvre. Il sera toujours moins onéreux de faire venir d’Europe la quantité de métal dont nous pourrons avoir besoin dans nos ateliers.

Les indigènes extraient eux-mêmes le métal dont ils ont besoin pour fabriquer leurs couteaux, sabres et leurs instruments de culture. Toutefois depuis notre installation au Soudan, ils préfèrent de beaucoup s’approvisionner sur nos marchés et il faut aller assez loin dans l’intérieur pour y voir encore fonctionner leurs hauts-fourneaux. Nous avons pu en voir de nombreux échantillons dans les différents voyages que nous avons faits au Soudan dans le Bélédougou, le Niocolo, le Bambouck, le Konkodougou, etc., etc.

Les fourneaux sont généralement construits non loin de la mine d’où on extrait le minerai. Ce minerai est cassé en petits fragments d’environ quatre à cinq centimètres cubes et amoncelé en tas auprès des fours.

Ces fours sont construits en argiles compactes. Leur hauteur est environ de trois mètres et leur circonférence d’un mètre cinquante. Leur forme est à peu près cylindrique ; à fleur de terre trois ou quatre ouvertures ou évents sont ménagées avec soin et sont munies de tuyaux auxquels s’adaptent des soufflets que les ouvriers manœuvrent à la main. Une ouverture plus grande que les autres, et fermée pendant que dure la fonte, communique par un conduit en argile à une sorte de réservoir en pisé destiné à recevoir le fer quand l’opération est terminée. Pour l’obtenir on empile dans le fourneau par couches superposées le minerai et le charbon. Ce dernier est excellent et donne une chaleur suffisante. On le fabrique surtout avec le bois du caïl-cédrat, du vène et du gonakié. Quand le four est chargé, on l’allume par la base et on souffle vigoureusement de façon à accélérer le plus possible la combustion. La cheminée est, de plus, construite pour donner un vigoureux tirage. Aussi l’opération se fait-elle en peu de temps quand le feu est bien allumé. Lorsqu’on juge que la fusion est complète, on débouche l’ouverture dont nous avons parlé plus haut et le métal coule dans le réservoir ménagé à cet effet, et où on le laisse refroidir. Le fer ainsi obtenu n’est pas de la fonte et il a toutes les qualités du fer absolument pur. Les forgerons seuls pratiquent ce métier avec leur famille, et c’est à eux qu’incombe le soin de fabriquer tous les objets dont les noirs se servent pour leurs travaux agricoles. Couteaux, haches, pioches, ainsi que sabres et poignards sont fabriqués avec ce fer qu’ils travaillent au marteau et à l’enclume après l’avoir fait rougir au charbon de bois dont ils entretiennent la combustion avec des soufflets en peaux de boucs et qui sont manœuvrés par leurs aides. Chaque habitant du village qui a besoin de leurs services leur paye une certaine redevance proportionnée à l’importance des commandes.

A dix heures vingt minutes, nous arrivâmes enfin à Médina-Dentilia, par une chaleur très supportable tempérée par une bonne brise de Nord-Est.

De Laminia à Médina-Dentilia, la route suit à peu près une direction générale Est, et la distance parcourue est environ de 32 kil. 500 m. Elle ne présente, pour ainsi dire, pas de grandes difficultés. Seul, le passage du Daguiri-Kô et du Koumountourou-Kô nous a un peu retardé.

Au point de vue géologique, nous avons toujours les mêmes terrains. En quittant Laminia, nous traversons le monticule de latérite sur lequel est construit le village. Il s’étend environ jusqu’au marigot de Daguiri. A partir de là, la route traverse une vaste plaine de trois kilomètres de largeur environ et uniquement formée d’argiles compactes. Elle est bornée, à l’Est, par de petites collines que l’on franchit, et où abondent les quartz et les roches et conglomérats ferrugineux. A l’Est de ces collines, nous retrouvons les argiles, et nous les avons jusqu’aux ruines de Tasiliman où apparaît la latérite, sur une étendue d’environ trois kilomètres, puis nouvelles argiles et de nouveau la latérite jusqu’à Médina. La petite élévation de terrain sur laquelle s’élève le village est formée de ce terrain. A peu de distance de Médina, on peut remarquer, de chaque côté de la route, d’énormes blocs de beau granit gris. Nous reviendrons plus loin sur ce sujet et tâcherons de donner une explication plausible de la présence de ces roches au milieu de terrains où on n’est pas habitué à les rencontrer.

Au point de vue botanique, rien de bien particulier à signaler. Les lianes Saba ont complètement disparu. Les Karités, peu nombreux dans les plaines argileuses, sont plus abondants dans les terrains à latérite. C’est la variété Shée que l’on trouve particulièrement. Les Manas font complètement défaut. Ce végétal est très commun aux environs des ruines de Tasiliman et dans la plaine, au centre de laquelle s’élève Médina-Dentilia. Nous en avons vu dont les dimensions étaient absolument énormes. Deux autres végétaux ont surtout attiré notre attention pendant cette étape, le Diabé et la Fève de Calabar.

Le Diabé n’est autre chose que le Henné (Lawsonia inermis L.) de la famille des Lythrariées. Ce végétal est assez commun au Soudan ; mais on le trouve surtout dans le Bambouck, le Dentilia et le Manding. Les indigènes en utilisent les feuilles pour teindre, en jaune très foncé, leurs cuirs ; mais elles sont surtout estimées des femmes qui s’en servent pour se colorer, en rouge acajou, les ongles et souvent aussi la paume des mains. Voici comment on procède pour obtenir cette coloration si appréciée des élégantes. On récolte les plus jeunes feuilles de Diabé. On les pile de façon à en faire une pâte bien homogène. Puis, on enduit de cette pâte chaque ongle. La main tout entière est ensuite enveloppée de feuilles et on a soin de maintenir très humide ce pansement pendant trois ou quatre jours. Puis on l’enlève, et, les mains lavées, on trouve les ongles teints en jaune rougeâtre acajou. Cette coloration persiste pendant trois ou quatre mois ; après ce temps il faut recommencer l’opération.

Cette teinture des ongles est considérée par les négresses comme un attribut essentiel de l’élégance. Filles, femmes de chefs et de notables ne manquent pas de la faire avec soin. Les griotes s’offrent parfois aussi ce luxe.

Cette pratique est surtout en honneur chez les Peulhs et chez les peuples qui appartiennent à cette race. Elle est plus rare chez les peuples de race Mandingue. Quelques jeunes gens adoptent aussi cette mode, mais ce fait est peu fréquent.

Le Henné est appelé Diabé par les peuples de la race Mandingue et Pouddi par les Peulhs et leurs congénères.

La Fève de Calabar est la graine du Physostigma venenosum Balf. de la famille des Légumineuses papilionacées. C’est une plante vivace, ligneuse, grimpante, atteignant jusqu’à douze mètres de long. Elle croît, de préférence, sur les bords des marigots. Relativement rare au Soudan, nous ne l’avons rencontrée que dans le Diébédougou, non loin de Mouralia, et dans le Dentilia, sur les bords du Daguiri-Kô et du Koumountourou-Kô. Ses feuilles sont larges et ses fleurs disposées en grappes pendantes sont roses ou rouges pourpre. Le fruit est une gousse de couleur brun foncé, longue de 15 à 20 centimètres et contenant environ 5 à 7 semences ovales, de couleur brun-chocolat à épisperme dur, cassant, chagriné. Les cotylédons sont volumineux, durs, friables, rétractés et laissent entre eux une sorte de cavité.

Les indigènes du Soudan n’utilisent pas la Fève de Calabar. J’ai pourtant entendu dire que dans certaines de nos rivières du Sud, ils s’en servaient comme poison d’épreuve.

Notre entrée à Médina-Dentilia fit sensation. Dès que l’on aperçut de loin ma caravane, le chef, accompagné de ses principaux notables, vint à mon avance pour me souhaiter la bienvenue. Il était précédé par un orchestre des plus bizarres composé d’une douzaine d’individus armés des instruments les plus étranges. En débouchant dans la plaine au milieu de laquelle s’élève Médina-Dentilia, la première chose qui frappa mes regards fut un beau pavillon tricolore qui flottait à l’extrémité d’un haut bambou au centre du village. J’avouerai franchement, dût-on rire de ma sensibilité, que je ressentis alors une violente émotion. C’est que depuis huit mois que je vivais dans la brousse, c’était la première fois que quelque chose venait ainsi me rappeler vivement la patrie, et ce quelque chose était le pavillon national. On ne saurait s’imaginer tout le plaisir que l’on éprouve à voir flotter les trois chères couleurs, au centre de l’Afrique, à des milliers de kilomètres de la mère-patrie. Mes hommes eux-mêmes ne cachèrent pas toute la joie qu’ils ressentaient, et Almoudo, à cette vue, crut devoir traduire ses impressions par un vigoureux « ya bon » ; exclamation qui a son prix dans la bouche d’un noir. Tous ceux qui connaissent leur caractère en conviendront avec moi.

A peine avions-nous échangé avec le chef et les notables les salutations d’usage, que nous nous remîmes en route pour le village au milieu d’un vacarme assourdissant. L’orchestre qui nous précédait s’en donnait à cœur joie. Les uns frappaient à tour de bras sur d’énormes tam-tams ; les autres soufflaient à pleins poumons dans les instruments à vent les plus étranges. Des femmes enfin chantaient à tue-tête. Je crois que tous les instruments à vent connus des Malinkés étaient représentés dans cet épouvantable charivari, depuis la simple flûte jusqu’à la corne d’antilope et à la corne de bois. Nous allons, du reste, les décrire.

D’une façon générale, on peut dire que les instruments à vent sont peu nombreux au Soudan et on ne les trouve guère que chez les peuples de race Mandingue, Bambaras et Malinkés. Les Bambaras affectionnent tout particulièrement une espèce de trompe faite avec une corne d’antilope. Nous avons vu dans le Bélédougou, à Tiésamébougou et à Déorébougou notamment, des orchestres d’une quinzaine de musiciens ainsi composés. La construction de ces sortes de trompes est bien simple : A l’extrémité effilée de la corne, on perce un trou qui, bien entendu, ne la traverse pas de part en part. L’extrémité ouverte à l’air libre est recouverte d’une peau mince de jeune chevreau ou de jeune mouton, tendue de façon à vibrer mais aussi à laisser échapper l’air. Cette sorte de trompe ne donne jamais qu’un son rauque et qui impressionne fort désagréablement l’oreille un peu civilisée. Il en est cependant qui trouvent cette musique fort agréable. Il n’y a pas à s’en étonner. Tous les goûts ne sont-ils pas dans la nature ? Chaque trompe de dimension différente donne un son différend. Nous n’osons pas appeler note le bruit étrange qui en sort. Il en résulte que chaque exécutant produisant son bruit particulier l’un après l’autre, on a comme un espèce d’air. Oh ! il suffit de ne pas être trop difficile en musique, voilà tout. Cet instrument serait excellent pour chasser les oiseaux qui, à l’époque de la maturité, viennent manger le mil dans les lougans.

Les Bambaras nomment cette sorte de trompe Bourou, de même que ces Malinkés de Médina-Dentilia, auxquels elle ne m’a pas semblé trop déplaire. Cet instrument est particulièrement animé par le souffle puissant des captifs.

Sa congénère, la trompe en bois du Bambouck, du Manding, du Konkodougou, du Dentilia et autres pays Malinkés amateurs d’harmonie, est aussi appelée Bourou. Kayes a le bonheur d’en posséder un orchestre, qui, chaque dimanche et jours de fêtes, se fait entendre de cinq à six heures sous les fenêtres du commandant supérieur, avec accompagnement de toutes sortes de tam-tams et au son duquel les négresses exécutent leurs pas les plus gracieux.

Cet instrument, qui est bien le plus désagréable que je connaisse, a la forme d’une clarinette, mais non la même disposition ni le même son. Il se compose d’un tube long d’environ 0m70 et taillé tout d’une pièce dans un morceau de bois, de caïl-cédrat en général. L’extrémité est libre et n’est pas, comme dans la trompe précédente, recouverte par une peau. A l’extrémité la plus effilée se trouve l’embouchure. Elle fait saillie sur le corps de l’instrument et est creusée en cupule, de façon à ce qu’elle s’adapte parfaitement à la bouche. La difficulté pour jouer de cet instrument est d’arriver à en tirer un son. On comprendra facilement, en effet, d’après la description que nous venons d’en faire, qu’il faut des poumons énergiques et un souffle puissant pour faire vibrer ces parois de bois. Eh bien ! nous sommes heureux de constater que nous avons rencontré des artistes qui s’en tiraient à merveille. Cette vigueur pulmonaire est peut-être ce qu’il y a de meilleur à l’actif de la race Malinkée.

Cet instrument est encore la propriété exclusive des captifs. Heureux captifs ! Ils ne sont pas à plaindre.

Les sons arrachés péniblement à cette trompe sont loin de payer en mélodie l’énorme travail qu’ils nécessitent. Rien de plus rauque, de plus assourdissant, de plus effrayant. De loin ils ressemblent, à s’y méprendre, aux braiments de l’âne, et il nous est arrivé de les confondre. Et dire que j’ai connu des officiers qui trouvaient quelque chose d’agréable dans ces fanfares inimaginables, que je qualifierai volontiers de terribles pour nos oreilles européennes.

Autre chose est la flûte de bambou que l’on peut entendre dans tous les pays soudaniens. Elle est des plus simples. Elle est formée d’un morceau de bambou creux d’environ quarante centimètres de longueur. Une de ses extrémités est bouchée et l’autre ouverte. Ce cylindre, d’environ trois à quatre centimètres de diamètre, est percé : 1o d’un trou au voisinage de l’extrémité fermée. C’est que là s’adaptent les lèvres de l’artiste ; 2o de quatre ou six trous pratiqués à l’autre extrémité de l’instrument. Ces trous sont distants entre eux de deux centimètres à deux centimètres et demi et le plus rapproché de l’embouchure est situé à environ dix centimètres de celle-ci. Ce sont ces trous qui, comme dans notre flûte, servent à varier les sons, selon qu’ils sont ouverts ou fermés.

Les sons que donne cet instrument, appelé Fléni par les Bambaras, sont assez agréables, et, n’était le rhythme monotome des airs que jouent les exécutants, l’instrument ne serait pas déplaisant. Tout le monde en joue plus ou moins au Soudan. Mais il est surtout réservé aux forgerons. C’est principalement le soir, ou bien le jour en gardant leurs lougans contre les ravages des oiseaux qu’ils en jouent. Le Fléni fait rarement partie des orchestres, des tam-tams. Les airs que les musiciens exécutent avec cette flûte sont, en général, très tristes et portent à la mélancolie celui qui les écoute. On trouve beaucoup de joueurs de flûte à bord des chalands de la flotille du Soudan. Le soir, au mouillage, les laptots se reposent en en jouant au grand plaisir de leurs camarades.

Je fus ainsi conduit en musique jusqu’à la case qui avait été préparée à mon intention, dans l’intérieur même du tata du chef. Je fus très bien logé et, prévenance qui me fut bien agréable, le chef avait fait installer un bon hamac dans lequel, après avoir procédé à ma toilette, je fus bien aise de me bercer un peu en attendant l’heure du déjeuner. Devant ma porte d’entrée se dressait le bambou à l’extremité duquel flottait le pavillon tricolore. Avant de congédier le chef, je le remerciai chaleureusement de cette délicate attention et lui donnai l’assurance qu’il m’avait fait un sensible plaisir.

Médina-Dentilia est un gros village d’environ douze cents habitants. La population est formée de Malinkés uniquement dont la bonne moitié est musulmane. C’est la résidence du chef le plus influent du Dentilia. Il s’élève sur un petit monticule peu élevé au-dessus d’une immense plaine bien cultivée et qu’entourent de toutes parts des collines d’une hauteur d’environ trente ou quarante mètres et qui de loin nous ont parues exclusivement boisées. Médina-Dentilia est entouré d’un tata peu élevé et peu épais, mais très bien entretenu. Du reste, le village tout entier est beaucoup plus propre que la plupart de ceux que nous avons visités jusqu’à ce jour. On y voit que peu de cases en ruines et les habitants apportent un soin tout particulier à refaire les chapeaux, chaque année, pendant la saison sèche. Les cases du chef, situées au centre même du village, sont entourées d’un solide tata dont la hauteur est de quatre ou cinq mètres et l’épaisseur de deux mètres à la base et quatre-vingt centimètres au sommet. C’est là la partie la plus sérieuse des fortifications du village et cet ouvrage est, à mon avis, absolument imprenable de vive force par une armée noire. Chaque année, le chef le fait réparer par ses captifs, et, de ce fait, son épaisseur en est également augmentée. Si le tata du village était relativement aussi bien entretenu, Médina-Dentilia serait, de toute la région, le village le mieux défendu. L’enceinte du village a deux kilomètres et demi de développement et celle qui entoure les cases du chef, le réduit central, pourrions-nous dire, trois cent cinquante mètres. On accède dans l’enceinte extérieure par trois portes, dont l’une regarde l’Ouest, l’autre le Nord, et la troisième le Sud-Est. Chaque nuit, elles sont fermées et solidement barricadées. Deux portes seulement permettent de pénétrer dans le tata central. L’une est au Sud et l’autre au Nord. Elles sont peu larges et ne peuvent livrer passage qu’à un seul homme à la fois. A chaque porte succède une sorte de corps de garde solidement construit en terre, et, pour pénétrer dans l’intérieur du tata, il faut franchir une seconde porte qui n’est pas plus large que la première. Chaque habitation particulière forme en plus un ouvrage de défense, comme cela existe dans la plupart des villages Malinkés. Mais ce qui distingue Médina des autres villages dont nous avons déjà parlé, c’est que toutes ces fortifications domestiques y sont en très bon état. Les rues sont excessivement étroites. Elles s’enchevêtrent d’une façon inextricable et il n’est pas difficile de s’égarer dans tout ce dédale.

Je fus reçu par la population de Médina-Dentilia aussi bien que par le chef. Mes hommes furent littéralement gavés de nourriture. Un bœuf fut mis à mort aussitôt après mon arrivée et la viande en fut distribuée entre ma caravane et le village. Des calebasses de couscouss, de riz, de fonio nous furent apportées en grand nombre, et Samba, le cuisinier lui-même, qui était cependant une rude fourchette, avoua qu’il ne pouvait plus manger, « y a plein », répétait-il, en se frappant sur le ventre à chaque invitation nouvelle qu’on lui faisait de s’asseoir autour de la calebasse.

Médina est, en effet, un village très riche, qui possède un joli troupeau de bœufs d’une centaine de têtes, et un grand nombre de chèvres, moutons et poulets. De plus, ses greniers à mil sont toujours bien approvisionnés, car ses lougans sont très fertiles et les bras ne manquent pas pour les bien cultiver.

J’y passai une excellente journée et pus m’y reposer des fatigues de la longue étape de la matinée. Dans l’après-midi, j’expédiai un courrier à Saraia pour annoncer au chef de ce village que j’irais camper chez lui le lendemain.

21 janvier 1892. — La nuit a été excessivement fraîche. La brise a soufflé du Nord toute la nuit. Ciel clair et étoilé. Au réveil, température très froide. Brise du Nord. Ciel clair et sans nuages. Le soleil se lève brillant. Je fais lever tous mes hommes à deux heures et demie. Les préparatifs du départ se font rapidement, mais nous sommes retardés par les porteurs qu’on ne peut arriver à rassembler. A 3 heures 45, seulement, nous pouvons nous mettre en route.

Malgré l’heure matinale, le chef du village et ses notables viennent m’accompagner jusqu’à la sortie du village et, après m’avoir mis dans la route, ils me demandent à rentrer dans leurs cases. Je les remercie de nouveau de leur cordiale réception et monte à cheval après leur avoir serré la main et fait un cadeau peu en rapport, je l’avoue franchement, avec l’accueil que j’avais reçu.

Il n’y avait pas un quart d’heure que nous avions quitté Médina, que je vis accourir vers moi un homme chargé d’un gros paquet de ces petites bandes d’étoffes de coton que fabriquent les tisserands Malinkés et qui, dans toutes ces régions, servent de monnaie courante. Je m’arrêtai aussitôt. Après m’avoir salué, il me dit que son maître, le chef de Dioulafoundou, ayant appris mon arrivée dans le pays, l’avait envoyé à Médina pour me saluer et pour m’offrir des étoffes comme don de bienvenue. Mais il faisait nuit noire quand il était entré dans le village, et comme on lui avait dit que je dormais, il n’avait pas voulu me réveiller, car il savait que j’étais très fatigué. Je le remerciai, le chargeai de faire tous nos compliments à son chef et le priai de lui donner l’assurance que son cadeau m’avait fait le plus grand plaisir. Je lui remis en même temps un petit présent pour son maître et continuai ma route, après lui avoir serré la main. Avec ces bandes d’étoffes, je me fis faire, à Saraia, une couverture qui me fut précieuse pendant le reste de mon voyage, par les nuits fraîches de janvier et de février.

La route se fit rapidement et sans aucun incident. Les porteurs marchent bien. Ils veulent se réchauffer. A un kilomètre environ de Médina, nous franchissons le marigot de Bancoroti, dont les bords à pic offrent pour les animaux une réelle difficulté. A quatre heures quarante-cinq minutes, au jour levant, nous passons, sans nous y arrêter, devant le village de Bembou.

Bembou est un énorme village, très étendu, dont la population peu s’élever à environ mille habitants. Il n’est pas circulaire comme la plupart des autres villages Malinkés. Son tata a plutôt la forme d’un double rectangle. Il est composé de deux rectangles, un grand et un petit, accolés l’un à l’autre. C’est le premier village que je vois ainsi construit. Ce tata est peu élevé, trois mètres au plus et peu épais. Mais il est excessivement bien entretenu. Il est flanqué de tours dont les murs sont percés de trous par lesquels, en cas de siège, les défenseurs peuvent passer le canon du fusil et tirer sur l’ennemi sans s’exposer à ses balles. Quatre portes permettent de pénétrer dans l’intérieur du village. La première, située à l’angle Nord-Est, fait face à la seconde située à l’angle Nord-Ouest. La troisième est percée au milieu de la face Sud du tata et la dernière est située dans l’angle rentrant que forment en se rejoignant deux des côtés des deux rectangles. Nous faisons au clair de la lune le tour du village. Toutes les portes sont fermées. Personne ne se montre sur la muraille, seuls, quelques chiens font entendre de furieux aboiements. Ce tata a environ un développement de deux kilomètres. A l’intérieur, les cases du chef sont défendues par une enceinte qui nous a paru bien plus sérieuse que l’enceinte extérieure. Ce tata peut avoir environ quatre mètres cinquante centimètres de hauteur. Il domine de beaucoup les cases qui l’entourent et il est également flanqué de tours. De la route, au clair de la lune, il m’a apparu comme un véritable donjon féodal.

Bembou est situé au milieu d’une vaste plaine bien cultivée, sur un petit plateau qui la domine de quelques mètres à peine. Tout autour se voient à l’horizon de petites élévations de terrain. Sa population est uniquement formée de Malinkés, dont quelques familles seulement ne pratiquent pas la religion du prophète.

En quittant Bembou, la route traverse de beaux lougans, puis un vaste plateau formé de roches et de conglomérats ferrugineux, puis de nouveau des lougans.

A 6 h. 45 nous passons, sans nous arrêter, devant le petit village de Badioula. Quelques habitants nous regardent par-dessus les murs, tout étonnés de ce que nous ne nous arrêtions pas dans leur village. Peu avant d’y arriver et à quelques centaines de mètres du village, nous laissons sur notre gauche un joli petit jardinet bien cultivé et où sont plantés de nombreux pieds de tabac que des femmes et des enfants sont occupés à arroser.

Badioula est un village malinké musulman dont la population peut s’élever à 350 habitants environ. Il est entouré d’un petit tata circulaire, flanqué de tours, et qui nous a paru en bon état, de même que le tata du chef que l’on aperçoit de la route et qui domine de beaucoup les cases du village. Les habitations de loin ne nous ont pas cependant parues être aussi bien entretenues que celles de Médina. Badioula est construit sur un petit monticule qui domine de vastes et beaux lougans.

Jusqu’à Saraia, où nous arrivons à huit heures vingt-cinq minutes, rien de bien particulier à signaler.

De Médina à Saraia, la route suit une direction générale Est et la distance qui sépare ces deux villages est d’environ vingt kilomètres cinq cents. Elle n’offre qu’une seule difficulté, encore facilement surmontable ; c’est le passage du marigot de Bancoroti-Kô. A partir de ce point, on traverse un pays absolument plat, où on ne trouve aucun marigot, et la route est très belle.

Au point de vue géologique, nous trouvons les mêmes terrains et les mêmes roches. En quittant Médina, on traverse une bande de latérite qui s’étend environ jusqu’au marigot de Bancoroti, puis on rencontre quelques argiles compactes et enfin la latérite réapparaît à deux kilomètres environ du village de Bembou et jusqu’à Saraia, elle alterne avec le terrain ferrugineux. Saraia est construit sur un monticule de terrain uniquement formé de latérite et richement cultivé.

Au point de vue botanique, les karités sont toujours excessivement abondants. Quelques-uns sont en fleur. Voici un fait important à signaler. La floraison de ce précieux végétal a lieu en janvier et février. C’est l’espèce Shée qui domine ici. Très peu de Manas. Les lianes Sabas ont réapparu et nous en avons vu de beaux échantillons, moins beaux toutefois que ceux qui viennent sur le bord des marigots. Remarqué aussi de nombreux spécimens de cantacoula, quelques beaux baobabs, ainsi que quelques fromagers, peu de Légumineuses. Enfin nous citerons en terminant les ficus très abondants, les sénos, et de beaux pieds de strophanthus.

Les Ficus sont très communs au Soudan. On y trouve les variétés les plus nombreuses de ce beau végétal. Les plus fréquentes sont : le Ficus sycomorus L., le Ficus Afzelii L., le Ficus rugosa L., le Ficus macrophylla Desf. Ce dernier est très commun, surtout dans le Bondou. C’est, pour ainsi dire, le seul arbre de toute cette région qui donne un beau feuillage. Le Ficus elastica Roxb., qui donne du caoutchouc, est malheureusement assez rare au Soudan, on ne le trouve guère que dans la Haute-Gambie, la Haute-Falémé et dans le haut cours du Bakhoy et du Bafing. Nous en avons trouvé quelques rares échantillons dans le Dentilia, le Konkodougou et le Bambouck. Quant au Banyan (Ficus religiosa W.), il est très commun dans tout le bassin de la Haute-Gambie, où il atteint des proportions gigantesques. Le Niocolo, le Badon, le Dentilia et le Gounianta notamment en possèdent de superbes échantillons. A l’incision, il donne également du caoutchouc ; mais il paraîtrait qu’il est de plus mauvaise qualité que celui qui est extrait du Ficus elastica.

Le Séno (Bambara et Malinké) est un végétal sur lequel je ne saurais trop attirer l’attention de ceux qui sont appelés à voyager au Soudan français. C’est un arbuste de taille moyenne qui, par son port, son feuillage, ses fruits et ses fleurs, rappelle absolument une rosacée du genre Prunus. Jusqu’à ce jour je l’avais considéré comme tel, n’ayant pu constater que ses caractères macroscopiques. Mais après un examen attentif, M. Cornu, professeur au Museum d’Histoire naturelle de Paris, est arrivé à le déterminer exactement. C’est une Olacinée du genre Ximenia[30]. Ce végétal est assez commun au Soudan, surtout dans le Fouladougou, le pays de Kita, le Manding, le Bambouck, le Dentilia et le Kuokodougou. Il croît, de préférence, dans les terrains pauvres en humus et dans l’interstice des rochers. Très rare sur les bords des marigots, il fait également défaut dans les terrains argileux. Cet arbuste atteint au plus trois mètres de hauteur. Sa tige, rarement droite, est difforme et son diamètre ne dépasse pas dix centimètres. A sa partie supérieure, elle émet un grand nombre de rameaux qui portent, en général, quelques dards acérés d’environ trois centimètres au plus de longueur. Ce caractère n’est pas constant. Ces rameaux ne sont pas parfaitement cylindriques, ils sont plutôt polyédriques et leur écorce, au bout de peu de temps, prend une teinte grisâtre caractéristique. Les feuilles sont simples, entières, généralement stipulées. Leur face supérieure est d’un beau vert foncé et leur face inférieure est blanchâtre. Elles sont peu abondantes. La fleur est blanche, régulière, à cinq divisions, et croît à l’extrémité des jeunes rameaux. Les fruits ressemblent, à s’y méprendre, à la prune mirabelle. Ils sont moins allongés cependant et parfaitement sphériques. Ils sont presque toujours très abondants. Leur grosseur est celle d’une grosse noisette. Verts quand ils sont jeunes, ils sont d’un beau jaune doré quand ils sont arrivés à maturité. Tous ceux qui ont voyagé au Soudan les connaissent parfaitement. Ils possèdent une pulpe peu abondante, rafraîchissante, d’un goût aigrelet, légèrement aromatique et très agréable. Le noyau, très volumineux relativement à le grosseur du fruit, est d’un blanc bleuâtre ou jaunâtre. Il se laisse facilement broyer sous les dents et est complètement rempli par une amande d’un beau blanc nacré. Cette amande a un goût très agréable de laurier-cerise. Mais il faut bien se garder de la manger. Elle contient, en effet, une proportion considérable d’acide cyanhydrique. L’ingestion de sept ou huit d’entre elles suffit pour provoquer de graves accidents toxiques. J’en ai eu un jour un exemple frappant sous les yeux. Dans le courant du mois d’avril 1888, je faisais route de Koundou à Kita, avec M. le sous-lieutenant Fournier, décédé l’année suivante à Bammako ; à peu près à mi-chemin de Koundou au village de Siguiféri où nous devions faire étape, nous trouvâmes un magnifique Séno absolument chargé de fruits arrivés à maturité complète. Nous en fîmes chacun une ample provision. J’en mangeai environ une quinzaine, mais sans absorber une seule amande. Mon compagnon, au contraire, que, par mégarde, je n’avais pas songé à avertir, en croqua une dizaine à peu près. Tout se passa bien jusqu’à Siguiféri, où nous arrivâmes deux heures après. Mais à peine étions-nous installés à notre campement qu’il se plaignit de nausées et de violentes coliques. Peu après, quatre heures environ après l’ingestion des fruits, diarrhée abondante, vomissements fréquents, pâleur du visage, sueurs profuses et froides, légère stupeur, grande fatigue générale. J’eus de suite l’explication de tous ces symptômes quand, sur ma demande, il m’eût avoué avoir mangé une dizaine d’amandes de Séno. Vers cinq heures du soir, il se sentit un peu mieux et nous pûmes nous remettre en route. Mais ce ne fut que deux jours après qu’il fut complètement rétabli. Pendant tout ce laps de temps il éprouva fréquemment de désagréables nausées et surtout une saveur persistante d’amandes amères qui l’écœurait et l’empêchait absolument de manger.

Les Strophanthus sont relativement communs au Soudan. Il en existe à ma connaissance trois variétés, le Strophanthus hispidus D. C., le Strophanthus gratus Franchet, et une troisième variété qui diffère sensiblement de ces deux dernières par les feuilles et le fruit surtout. Cette dernière n’est pas encore déterminée, mais elle se rencontre assez fréquemment, surtout au Sénégal et dans les Rivières du Sud. Le Strophanthus croît de préférence sur les bords des marigots. On le trouve en notable quantité dans les environs de Thiès, à environ deux kilomètres de la ligne du chemin de fer de Dakar à Saint-Louis, dans cette partie du pays sérère que l’on désigne sous le nom de « Ravin des Voleurs ». Assez commun également aux environs de Mérinaghen et sur les bords du lac de Guier, il est très rare dans le Fouta, le Ferlo et le Bondou. Nous n’en avons également trouvé que de rares échantillons dans la Haute-Gambie, le Bambouck et le Bélédougou. Mais là où il croît vigoureusement c’est dans le Manding, le long des rives du Tankisso et dans tous les pays compris dans la boucle du Niger. Il croît généralement en bouquets épais. Les individus isolés sont rares. C’est une belle Apocynée vivace dont la feuille est simple et entière. Elle est d’un vert sombre et ses deux faces, surtout l’inférieure, sont légèrement velues. La tige peu volumineuse a une couleur grisâtre quand la plante est arrivée à complet développement, verte quand elle est jeune. La grosseur est à peu près celle du pouce et elle est légèrement rugueuse. Elle porte des dards peu résistants. Ce caractère n’est pas absolument constant et j’ai vu des individus chez lesquels il faisait absolument défaut. Le fruit tout spécial et qui ne permet pas de se tromper est un follicule sec long d’environ 20 à 30 centimètres. Il s’ouvre spontanément à maturité complète et laisse échapper une soie blanche très fine qui brûle sans laisser de résidu. C’est dans cette soie que sont noyées les graines. Ces graines, qui ont à peu près la grosseur de celles du café, sont plus comprimées et sont munies d’une longue aigrette plumeuse. Graines et aigrette renferment les principes actifs de la plante.

Les Bambaras de la boucle du Niger s’en servent pour empoisonner leurs flèches, ainsi que les Pahouins du Gabon. Le poison qu’ils confectionnent ainsi porte le nom de Kouno en Bambara. Les Malinkés disent également Kouno. Ils n’en font généralement pas usage, du moins dans la partie du Soudan que nous avons visitée. Voici comment, d’après Binger, se fait cette préparation : « Après la cueillette, qui a lieu en décembre et en janvier, les cosses sont ficelées par petites bottes et suspendues aux solives des cases afin d’être séchées. Pour préparer le poison, on pile les graines quand elles sont bien sèches et on les laisse macérer dans l’urine pendant plusieurs jours ; le tout est ensuite cuit avec du mil et du maïs, jusqu’à ce que la préparation ait la consistance d’une pâte ressemblant au goudron, dans laquelle on trempe ensuite les pointes des flèches, des lances et même les balles.

Quand la préparation est fraîche, les blessures occasionnées par des armes enduites de Kouno sont toutes mortelles ; mais quand il y a longtemps que celle-ci n’a pas été renouvelée, on peut en guérir en prenant une boisson qui sert d’antidote. La formule de ce contre-poison n’est connue que de peu d’individus. Ils se font payer très cher les doses qu’ils administrent aux blessés. Quelques forgerons et kéniélala (diseurs de bonne aventure) seuls en possèdent le secret ; il ne m’a pas été possible d’obtenir la moindre information à ce sujet. »

Comme Binger, je n’ai donc pu arriver à connaître la composition de ce précieux antidote. Je ne serais cependant pas éloigné de croire qu’il y entrerait dans une notable proportion de la fève de calabar et voici ce qui me le ferait supposer. Un jour, non loin de Mouralia, dans le Diébédougou, pendant une halte que nous fîmes sur les bords d’un marigot, je m’amusais à regarder les graines d’un superbe Physostigma venenosum qui croissait tout près. Je demandai alors à un de nos hommes, Bambara du pays de Ségou, à quoi cela servait. Il me répondit seulement : « Y a bon pour Kouno, quand y a boire ça, y a toujours gagné guéri. » Je ne pus lui en faire dire davantage. La fève de calabar entre-t-elle réellement dans la composition de l’antidote du Kouno et sous quelle forme ? Nous ne saurions le dire.

Quoi qu’il en soit, ce poison agit sur le cœur d’une façon analogue à la digitaline. Il en paralyse les mouvements et on meurt par arrêt du cœur. Lors même que l’on n’en meurt pas, son effet se fait sentir longtemps encore après que l’on a été blessé.

Un de mes meilleurs amis, le capitaine Sansarric, de l’infanterie de marine[31] qui, à l’assaut de Dienna, reçut, je ne me rappelle plus à quel doigt, une légère blessure faite avec une flèche empoisonnée, me racontait à ce sujet ce qu’il avait ressenti dans la suite. Aussitôt après la blessure il n’éprouva, pour ainsi dire, pas de douleurs ; mais dès le lendemain il fut sujet à de fréquentes syncopes. En peu de jours, il s’affaiblit sensiblement. Il lui semblait parfois que pendant quelques secondes son cœur cessait de battre et éprouvait une sorte d’angoisse. Ces symptômes durèrent pendant près d’un mois, et ce ne fut qu’au bout de quarante-cinq jours qu’il fut complètement remis et qu’il eut recouvré toutes ses forces.

Saraia est un gros village d’environ onze cents habitants. La population est uniquement composée de Malinkés. Marabouts ou non, ils sont là mélangés à peu près par moitié comme cela a lieu dans la plupart des villages du Dentilia. Saraia est construit sur un plateau assez élevé au-dessus de la plaine qui l’environne et on le voit de loin, trois kilomètres au moins en venant de Médina-Dentilia. Toute cette plaine est très bien cultivée et on y voit de nombreux échantillons de beaux ficus et de superbes karités. Elle peut avoir environ 8 kilomètres du Nord au Sud et cinq de l’Est à l’Ouest. On accède par une pente douce au plateau sur lequel est construit le village. De là on aperçoit toute la plaine environnante et à l’horizon une série de petites collines peu élevées qui l’entourent comme d’une ceinture. Le village est entouré d’un tata absolument insignifiant. Il n’a guère plus d’un mètre quatre-vingts centimètres de hauteur. En aucun endroit il ne dépasse en hauteur celle des murs des cases. Son épaisseur n’est pas de plus de quarante centimètres. Il est presque circulaire et construit en zig-zags de façon à ce que les défenseurs puissent croiser leurs feux. Comme tous les tatas de cette région, il est complètement fait en argiles fortement colorée en rouge par des oxydes de fer. Malgré son peu d’épaisseur, et grâce à sa disposition en crémaillère et aussi aux matériaux qui entrent dans sa construction, il résiste parfaitement aux grandes pluies de l’hivernage. Il est muni de tours rondes relativement élevées pour la défense et est percé de quatre portes qui donnent accès dans l’intérieur du village. Ces portes sont du reste ce qu’il y a de plus remarquable dans tout ce système de fortification. Au lieu d’être rondes, comme elles le sont généralement, elles sont carrées. Elles font saillie d’environ trois mètres en dedans et en dehors du mur d’enceinte. Leur longueur dans le sens de la muraille a à peu près huit mètres, et leur largeur perpendiculairement au tata est de six mètres cinquante. Leur hauteur, sans y comprendre le toit, dépasse quatre mètres. Un homme à cheval peut y passer aisément. Le toit en paille, bien construit, a la forme d’une pyramide rectangulaire. En cas de siège, ce toit est enlevé, afin que les assiégeants n’y puissent pas mettre le feu. A environ quarante centimètres du bord supérieur de la tour se trouve un plancher fait avec des morceaux de bois jointifs et sur lesquels s’embusquent des tireurs en cas d’attaque. Les portes, au nombre de deux, sont en bois et très solidement construites. Une, située à l’extérieur et s’ouvrant en dedans, bien entendu, donne accès en dehors du village. L’autre, située à l’intérieur et s’ouvrant dans le même sens que la première, permet enfin de pénétrer dans le village. Pendant la nuit, ces deux portes sont solidement fermées et étayées avec de fortes pièces de bois. Ces constructions, qui ont certes dû demander beaucoup de travail, ne servent absolument à rien au point de vue de la défense de Saraia, car le tata, trop peu important, peut être facilement escaladé. Le tata qui entoure les cases du chef est beaucoup plus sérieux. Il peut avoir environ quatre mètres de hauteur sur quatre-vingts centimètres d’épaisseur. Il est également flanqué de tours pour la défense et, entre chaque tour, se trouve des contreforts, à l’intérieur comme à l’extérieur, pour en augmenter la solidité. Il peut avoir environ cent cinquante mètres de diamètre et deux cent cinquante mètres de développement. Comme le tata extérieur, il est circulaire. Le développement de ce dernier est de deux mille mètres au maximum. Les cases du village sont en assez bon état ; mais il en est beaucoup qui sont inhabitées et qui ne tarderont pas à tomber en ruines.

Saraia est un village relativement riche. Il possède de grands et beaux lougans, de nombreux moutons, beaucoup de chèvres et de poulets et un troupeau d’environ cent cinquante bœufs. J’y fus très bien reçu et n’eus rien à demander. Dès mon arrivée, le chef m’envoya à profusion tout ce dont je pouvais avoir besoin : du mil pour mon cheval, du couscouss et du riz pour mes hommes, et, pour moi, du lait, des œufs, des poulets. Un bœuf fut occis à mon intention et distribué entre mes hommes et les gens du village, selon la façon de procéder que j’avais adoptée en pareille circonstance. La journée se passa sans aucun incident. J’expédiai un courrier à Dalafi pour y annoncer mon arrivée pour le lendemain. La température fut très douce et j’aurais passé une bonne nuit, si le tamtam qui fit fureur jusqu’au matin ne m’avait tenu éveillé. C’est qu’on célébrait ce jour-là un mariage. Les deux conjoints étaient fils et fille de notables influents du village. Dans la journée, le chef était venu me faire part de cette cérémonie et m’avertir qu’on ferait grand tamtam, si toutefois cela ne me dérangeait pas. En lui répondant que je n’en serais pas incommodé, je ne savais que trop à quoi m’en tenir, car je n’ignorais pas que le charivari allait durer toute la nuit. Bien que les deux mariés et leur famille ne fussent pas musulmans, tout le village indistinctement prit part à la fête. Je pus y assister également et me rendre un compte exact de ce qu’est cette cérémonie chez des Malinkés non musulmans. Qu’on me pardonne, dans le cours de la description que je vais en faire, d’entrer dans des détails qui paraîtront peut-être scabreux pour certains esprits enclins à voir le mal là où il n’y a rien que de très naturel. L’ethnologie, à mon avis, n’admet pas de réticence, ne souffre pas de sous-entendus. C’est une science absolument exacte qui ne s’appuie que sur des faits ; quels qu’ils soient, on ne saurait les passer sous silence. Honni soit qui mal y pense, comme dit notre vieux proverbe.

Lorsque tout est arrangé, c’est-à-dire lorsque fiancé et père de la jeune fille sont d’accord sur la dot à payer par le premier et que cette dot est versée en totalité ou en partie, on fixe le jour où la jeune fille sera livrée à son époux, où le mariage sera consommé. L’époux fait alors construire dans sa concession la case où devra habiter désormais sa jeune femme. S’il ne possède pas assez de captifs pour ce travail, il l’exécute lui-même avec l’aide de ses amis. Je n’ai point besoin de dire que la fiancée n’est jamais consultée sur le choix de son époux. Dans tout cela, elle n’est qu’une marchandise et rien de plus, marchandise qui a sa plus ou moins grande valeur. La journée qui précède le mariage est occupée tout entière à lui faire, pour la dernière fois, sa coiffure de jeune fille et à la parer. Ce sont toujours les femmes de cordonniers et de forgerons qui, moyennant une modique redevance, se chargent de ce soin. Les amies de la jeune fille se rendent, dès l’aurore, dans sa case et ne la quittent plus que lorsqu’elle entrera dans la maison de son mari. Cette coiffure est, comparée à celle des femmes mariées, d’une remarquable simplicité. Les cheveux sont divisés en trois masses à peu près égales, deux pariétales et une occipitale. Ces masses sont disposées chacune en quatre ou cinq tresses à l’extrémité desquelles on attache une boule d’ambre, ou quelques grains de verroterie, ou bien encore une pièce de monnaie. Généralement il existe au sommet de la tête une tresse plus longue que les autres, au bout de laquelle est fixée également un ornement quelconque. Le tout est fortement enduit de beurre ordinaire ou de beurre de karité.

Quand la fiancée a été ainsi coiffée, le tam-tam commence alors sur la place principale. Le fiancé y doit assister et y doit danser. Il est accompagné par ses amis et ses parents. Sa future femme n’y paraît pas. Vers neuf heures du soir, tam-tam en tête, tous se dirigent vers la case de la jeune fille, qui, à l’approche du cortège, sort de sa demeure et prend place avec ses amies derrière les musiciens. La noce, si je puis parler ainsi, est alors disposée dans l’ordre suivant : En tête le tam-tam, immédiatement derrière les jeunes filles qui chantent à tue-tête en frappant des mains pendant que tam-tam fait fureur. Enfin le marié vient le dernier entouré de ses amis. On se rend ainsi à la case nuptiale dans laquelle l’épouse pénètre la première ; le lit nuptial est préparé, une natte et par-dessus un pagne blanc. Dans la case, outre les époux, se trouve une troisième personne, une vieille captive, en général, de celles devant lesquelles on n’a pas besoin de se gêner, qui, comme me le disait Almoudo « n’ont honte de rien ». Elle est là pour constater que chacun des conjoints fait bien son devoir. Dès que les deux époux sont entrés dans la case, les chants et le tam-tam se taisent complètement, chacun fait silence. Quand tout est consommé et que les traces sanglantes du sacrifice sont bien marquées sur la pagne blanc, le mari le remet à la vieille captive, et celle-ci va le montrer aussitôt aux amis et parents du marié qui attendent devant la case. Alors, les chants reprennent immédiatement, le tam-tam retentit avec fureur et on brûle beaucoup de poudre. Tout ce vacarme continue pendant la nuit entière jusqu’au lever du soleil. Le marié et la mariée pendant ce temps restent dans leur case. Le lendemain, grand festin, on mange force calebasses de couscouss, on tue un bœuf, des moutons, on fait de véritables hécatombes de poulets. Dans les villages non musulmans on s’enivre de dolo. Le marié seul prend part à ces agapes. La mariée doit, pendant huit jours, ne pas sortir de la case nuptiale que la nuit, pour satisfaire ses besoins, et encore doit-elle être toujours accompagnée par une femme mariée. Elle peut cependant recevoir les visites de ses amies. Le marié est libre de rester dans la case ou d’aller et venir comme bon lui semble ; mais, en général, il ne se montre pas. Quand les huit jours sont écoulés, on fait alors à l’épousée sa coiffure de femme, et elle peut alors sortir. C’est encore l’occasion de réjouissances, de tam-tams, de festins et de soûleries pantagruéliques.

Cette coiffure est bien plus compliquée que la précédente et est longue à édifier. Elle varie selon les races et souvent de village à village. Mais, en ce qui concerne les Malinkés, elle se rattache à un type constant que nous allons décrire aussi exactement possible.

Les cheveux sont partagés en cinq parties, deux pariétales, deux occipitales et une supérieure. Les parties pariétales et occipitales sont tressées et les tresses sont ramenées en avant, trois pariétales de chaque côté et deux occipitales. Ces tresses sont maintenues en place par une bandelette d’étoffe que les femmes portent souvent autour du front et qui vient s’attacher à la nuque. Mais voici en quoi surtout cette coiffure se fait particulièrement remarquer. La masse supérieure des cheveux qui est la plus considérable est divisée en deux parties égales du front à la nuque, et chaque partie est tressée avec sa voisine de l’autre côté, de façon à former une sorte de cimier de casque qui a parfois jusqu’à huit centimètres de hauteur en son point le plus élevé. Afin qu’il soit bien résistant et ne s’affaisse point, chose qui ne manquerait pas de se produire avec les seuls cheveux, l’entrelacement est fait par-dessus une masse compacte de chiffons ou de crins. En arrière, ce cimier se termine par une tresse d’environ quinze centimètres de longueur, véritable queue sur laquelle on fixe toutes sortes de petits gris-gris, d’ornements en verroterie et à l’extrémité de laquelle sont attachées des pièces de monnaie ou des boules d’ambre.

Cette coiffure est excessivement solide et dure plusieurs mois sans se déformer. On la refait cependant tous les trois mois environ. Afin que les cheveux aient la souplesse voulue pour se prêter à toutes les combinaisons artistiques, ils sont fortement enduits de beurre. De là une odeur épouvantable qui décèle de loin la présence d’une négresse. Les intervalles qui sont laissés entre les tresses et le cimier sont noircis avec de la poudre d’arachides grillées et mieux avec de la pierre de Djenné (Kalé), finement broyée et que l’on étend soit avec le pouce nu, soit à l’aide d’un chiffon. Pour ne pas déranger cet édifice auquel les négresses tiennent beaucoup, elles ne se lavent jamais. Aussi possède-t-il toujours une nombreuse garnison.

D’une façon générale, on peut dire que la coiffure est une des plus grandes préoccupations des négresses du Soudan, à quelque race qu’elles appartiennent. Aussi il faut voir avec quelle patience, elles se soumettent aux exigences des coiffeuses. Etendues sur une natte, la tête reposant sur les genoux de l’artiste, il lui faut prendre les postures les plus bizarres et les plus anormales pour lui faciliter sa tâche. Il faut environ deux jours pour confectionner un pareil édifice. Le premier jour est consacré à défaire l’ancienne coiffure et à démêler les cheveux. On se sert pour cela d’un simple poinçon en bois dur, généralement, et d’un peigne également en bois, et qui n’a pas plus de sept à huit dents. Il ressemble à ces peignes que certains noirs, les Bambaras particulièrement, fixent, par coquetterie, dans leur chevelure, sur les côtés de la tête. Quand les cheveux sont ainsi bien démêlés, leur volume a, pour ainsi dire, quadruplé, les négresses ont alors une tête hirsute et ébouriffée qui ressemble à ces têtes de loup dont nous nous servons en France pour enlever les toiles d’araignées de nos plafonds. Pour passer la nuit elles s’enveloppent alors la tête dans un mouchoir qui emprisonne complètement les cheveux. Il faut toute la journée du lendemain pour exécuter le chef-d’œuvre capillaire que nous venons de décrire. Il faut voir alors, quand tout est terminé, avec quelle complaisance les élégantes se regardent dans ces petits miroirs que les dioulas leur vendent à des prix exorbitants.

La façon d’une semblable coiffure se paye couramment quatre à cinq moules de mil, soit environ six à huit kilogrammes.

22 janvier. — Pendant la nuit que nous passâmes à Saraia, personne de nous ne ferma l’œil. Cela se comprend aisément. La température fut excessivement agréable. Le ciel resta clair et étoilé et il souffla une légère brise du Nord assez fraîche. Au réveil, le ciel est pur, sans nuage. Pas de rosée, le soleil se lève brillant. Comme l’étape doit être relativement courte d’après les renseignements qui m’ont été donnés, je ne réunis mon monde qu’à cinq heures du matin. Les préparatifs du départ se font assez rapidement, mais comme toujours ce sont les porteurs qui nous retardent. Il faut que tout mon monde s’en mêle et aille les cueillir littéralement dans les cases où ils ont passé la nuit. La plupart d’entre eux, du reste, a assisté au tam-tam, et y a dansé. Aussi dormaient-ils profondément quand il fallut partir. Enfin, grâce à Almoudo et à mon petit Gardigué, qui fut réellement impayable en cette circonstance et qui, à lui seul, me ramena plus de la moitié des hommes, la caravane put s’organiser et à six heures nous quittions Saraia. Une heure et demie après nous étions à Dalafi, où je comptais bien me reposer ce jour-là. J’avais compté, comme on le verra plus loin, sans la malice et les mensonges des Malinkés de ce village.

De Saraia à Dalafi, la route suit une direction générale Est-Nord-Est et ces deux villages ne sont distants l’un de l’autre que de sept kilomètres et demi. Elle ne présente aucune difficulté. Il n’y a aucun marigot important à signaler ni aucune colline. Elle traverse un pays absolument plat. De plus, elle est un peu débroussaillée et a environ deux mètres de largeur. De chaque côté se trouvent sans interruption de beaux lougans qui appartiennent les uns à Saraia et les autres à Dalafi. Par ci par là quelques cases s’élèvent au milieu des champs de mil. Elles sont destinées à servir d’abri aux travailleurs, pendant les grandes pluies de l’hivernage. Elles sont inhabitées pendant la saison sèche alors qu’on ne peut faire aucune culture.

Au point de vue géologique, nous ne trouvons absolument partout que de la latérite, sauf un petit ilot d’argiles compactes situé à peu près à mi-route.

Au point de vue botanique, beaucoup, beaucoup de karités, dont quelques-uns sont en fleur. Les lianes Sabas sont également assez abondantes. Notons encore quelques beaux ficus, quelques caïl-cédrats, de belles Légumineuses et, enfin, en arrivant à Dalafi, sur les bords d’un petit marigot à fond vaseux, quelques échantillons de Fafetone.

Le Fafetone n’est autre chose que le Calotropis procera R. Br. de la famille des Asclépiadées, qui donne par incision le caoutchouc. Fafetone est le nom ouolof de cette plante. Les Malinkés l’appellent N’goyo, les Bambaras N’gei et les Peulhs Poré. C’est une liane qui atteint parfois des dimensions considérables. Elle croît partout dans les rivières du Sud, au Gabon, au Fouta-Djallon, sur les bords du Tankisso et dans la majeure partie des régions situées dans la boucle du Niger. Elle aime un terrain humide ; aussi est-elle très commune dans les pays où l’hivernage se prolonge. Au Soudan, au contraire, où la saison des pluies ne dure guère plus de quatre mois au maximum, on ne la trouve que sur les bords des marigots. Elle fait absolument défaut dans le Bondou, le Ferlo, le Kaméra, le Fouladougou, le Bambouck et le Manding. Elle est, par contre, très abondante dans le bassin de la Gambie et de la Haute-Falémé. Elle sécrète un suc laiteux qui, par évaporation, donne du caoutchouc d’excellente qualité.

Les Noirs du Soudan ignorent absolument tout procédé pour recueillir le caoutchouc. Ce n’est guère qu’à partir de la Gambie qu’on commence à le récolter et la production augmente sensiblement, au fur et à mesure qu’on s’avance dans le Sud. Mac-Carthy est le point le plus septentrional où l’on commence à voir apparaître ce précieux produit. Les indigènes du Sud de la Gambie en apportent chaque année davantage aux comptoirs de la Compagnie Française de la côte occidentale d’Afrique et de la Bathurst trading Compagny limited. En 1890, il en a été acheté environ 4,500 kilog. et, d’après les renseignements qui m’ont été donnés, cette quantité n’était qu’un minimum comparé aux achats faits depuis. Le caoutchouc que les indigènes apportent aux factoreries de Gambie est en boule de la grosseur du poing environ. Sa couleur est brune foncée à la surface ; mais, à l’intérieur, il est blanc grisâtre. Quand on les fend par le milieu, on constate à l’intérieur des lacunes assez grandes remplies d’un liquide parfois abondant, surtout quand la récolte a été récemment faite. Ce liquide est absolument nauséabond. Aussi les commerçants, avant d’acheter, ont-ils l’habitude de les fendre pour le faire écouler et aussi pour s’assurer qu’il n’est pas fraudé ; car les indigènes ont l’habitude, dans certaines contrées, d’introduire des cailloux à l’intérieur des boules. A Mac-Carthy, le caoutchouc se vend à peu près un franc vingt-cinq centimes le kilogramme. Les noirs mélangent parfois à leur stock de boules, des boules de gutta. Les traitants les refusaient toujours comme du caoutchouc de mauvaise qualité ; il n’en est plus de même aujourd’hui.

Les dioulas emploient, paraît-il, l’écorce du Fafetone comme stimulant. Il lui attribuent des vertus aphrodisiaques[32]. Les feuilles de ce végétal ont, de plus, disent les Malinkés du Ghabou et les Peulhs du Fouladougou, la propriété de clarifier l’eau. Les Pahouins du Gabon, les Soussous et les Balantes fabriquent, avec ses fibres, des fils très résistants. Enfin les graines sont entourées d’une soie courte qui sert à faire des fils qui, colorés en jaune ou en rouge, servent à coudre les boubous des élégants du Fouta-Djallon. On dit que cette soie serait dangereuse à manier et à travailler, car elle est très-cassante et les petits fragments que l’on peut absorber par la voie respiratoire détermineraient de graves affections pulmonaires.

Dalafi est un village Malinké qui peut avoir environ six cents habitants. Il est construit dans une sorte de cuvette au milieu d’une jolie petite plaine bien cultivée. Il est entouré d’un faible tata assez mal entretenu. Il en est de même, du reste, du tata qui entoure les cases du chef. D’ailleurs, d’une façon générale, le village est sale et beaucoup de cases tombent en ruines. La population est entièrement musulmane.

Quand nous arrivons à sept heures et demie, la moitié du village est encore endormie. Il faut dire que beaucoup de ses habitants étaient allés la veille à Saraia pour assister au mariage et n’étaient rentrés chez eux que fort avant dans la nuit. Ils faisaient la grasse matinée. Nous sommes installés aussitôt dans de bonnes cases, et, le chef du village prévenu de mon arrivée, vint me saluer en toute hâte. Je fus bien reçu à Dalafi et ne manquai de rien absolument. Un beau bœuf blanc fut immolé à mon intention, au grand chagrin d’Almoudo, qui aurait voulu l’acheter et l’emmener chez lui. Je lui demandai les raisons de cette préférence, il me répondit alors que, dans tous les pays noirs, tout le monde savait bien que lorsqu’on avait dans sa maison un bœuf blanc, on était sûr de voir réussir tout ce que l’on pourrait entreprendre. C’est le génie bienfaisant de la famille, le porte-bonheur infaillible. Aussi un bœuf blanc se paie-t-il toujours plus cher que les autres. Après cela, je me demandais comment alors mes hôtes avaient pu sacrifier ce précieux animal. Je fis interroger à ce sujet le fils du chef par Almoudo et il lui apprit qu’on ne s’était décidé à tuer ce bœuf que parce qu’il était vieux et qu’on venait d’en acheter un autre qui était meilleur. Ces paroles calmèrent un peu les regrets de mon superstitieux interprète.

Je n’aurais eu qu’à me louer des habitants de Dalafi, s’ils ne m’avaient pas effrontément menti, uniquement dans le seul but de ne pas m’accompagner à Faraba sur la Falémé. La longueur de l’étape les effrayait sans doute, et il leur en coûtait d’être obligés de secouer un peu leur paresse. A Médina-Dentilia et à Saraia, les hommes que j’avais interrogés sur la route à prendre pour me rendre à la Falémé, m’avaient tous déclaré que le plus court était de passer par Dalafi. En causant avec le chef, je lui déclarai, en conséquence, que je comptais partir le lendemain matin pour Faraba et lui demandai de me donner des guides et les hommes nécessaires pour soulager mes porteurs, car je savais pertinemment que l’étape était excessivement longue. Il ne répondit rien, mais son frère me dit alors qu’il n’y avait pas de route de Dalafi à la Falémé, que personne dans le village n’en connaissait et que lorsqu’ils y allaient ils étaient obligés de passer par Diaka-Médina. On juge de mon étonnement, après surtout ce que j’avais appris les jours précédents. Almoudo interrogea bon nombre d’habitants du village et tous lui dirent la même chose. Un dioula lui-même, qui se trouvait de passage à Dalafi, me confirma l’exactitude de ce que le frère du chef venait de me dire. Ce dioula était venu me trouver pour me prier de lui faire rendre une charge de kolas que les gens du village lui avaient dernièrement volée. Il n’avait donc aucun motif pour mentir comme eux, aussi ses paroles levèrent-elles tous mes doutes. Je décidai, en conséquence, de partir le soir même pour Diaka-Médina afin de ne pas perdre un jour et je fis part de ma détermination au chef qui me dit alors qu’à l’heure précise à laquelle je voudrais partir, il me donnerait autant d’hommes que je voudrais pour me conduire « dans la bonne route », jusqu’à ce village. Je le remerciai et lui fis même un petit cadeau. Malgré cela mes soupçons ne s’étaient pas complètement dissipés.

Donc, à deux heures trente minutes, nous nous mîmes en route. Les préparatifs du départ se firent rapidement. Les hommes du village qui devaient m’accompagner ne se firent pas attendre. Malgré l’heure, il faisait une chaleur fort supportable et surtout une brise de Nord qui tempérait considérablement l’ardeur du soleil. Ciel pur et sans nuages.

La route se fit rapidement et à 4 h. 30 nous étions à Diaka-Médina. Dès notre arrivée, les hommes de Dalafi vinrent me demander l’autorisation de retourner chez eux afin d’y arriver avant la nuit. N’en ayant nullement besoin, je les congédiai en leur recommandant bien de remercier encore leur chef de ma part pour toute sa complaisance.

La route de Dalafi à Diaka-Médina ne présente absolument aucune difficulté. Elle traverse un pays absolument plat et qui n’offre aucun relief de terrain appréciable. Sa direction générale est Sud, et la distance qui sépare ces deux villages est environ de dix kilomètres. Elle traverse plusieurs petits marigots de peu d’importance, qui sont tous affluents du Séniébouli-Kô qui, lui-même, se jette dans la Falémé. C’est d’abord à trois kilomètres de Dalafi le Fao-Fao-Kô où coule une eau claire et limpide, puis, à quatre kilomètres de Diaka-Médina, le Badanbali-Kô, et enfin, un kilomètre environ avant d’arriver au village, la branche principale du Séniébouli-Kô, qui est peu important en cet endroit, et dont les bords sont couverts d’une riche végétation. Tous ces marigots sont très faciles à franchir.

Au point de vue géologique : aussitôt après avoir quitté Dalafi, nous entrons dans une vaste plaine argileuse interrompue, à mi-chemin environ, par un plateau de roches ferrugineuses de peu d’étendue. La latérite a complètement disparu. Elle ne reparaît qu’à deux kilomètres environ avant d’arriver au village de Diaka-Médina. La plaine qui entoure ce village est formée de ce terrain.

La végétation est excessivement pauvre de Dalafi à Diaka-Médina. Ce n’est que peu avant d’arriver à ce village que nous voyons réapparaître les grands végétaux. Les karités, qui ont manqué tout le long de la route, se montrent de nouveau ; la plaine au milieu de laquelle est construit le village en possède de nombreux spécimens. Peu de lianes à caoutchouc et à gutta ; quelques strophanthus sur les bords du Badanbali-Kô et, enfin, quelques rares pieds d’anacarde aux environs du Fao-Fao-Kô. Ce végétal est, du reste, très rare dans toute cette région.

L’anacarde ou acajou à pommes (Anacardium occidentale L.), famille des Térébinthacées, est relativement rare au Soudan. Pendant les différentes campagnes que nous avons faites dans cette colonie, nous n’en avons guère rencontré que quelques échantillons sur les bords du Baoulé, dans le Konkodougou et dans le Niocolo. C’est un arbre de taille moyenne, qui croît généralement dans les terrains humides. Ses feuilles sont simples, ovales, obtuses au sommet. Ses fleurs sont disposées en panicules terminales ; leur corolle, plus longue que le calice, est à cinq divisions. Le fruit, qui est connu sous le nom de Noix d’acajou, est réniforme, à péricarpe coriace, creusé d’alvéoles remplies d’une huile visqueuse, noirâtre et caustique. Amande blanche, réniforme, huileuse, de saveur douce et agréable. La noix d’acajou est suspendue, par sa base plus renflée, à l’extrémité supérieure d’un corps charnu, piriforme, dû au développement anormal du réceptacle. Ce corps, nommé pomme d’acajou, est sucré, acidulé, un peu âcre.

L’écorce de l’anacarde donne à l’incision une résine jaune et dure que l’on désigne sous le nom de « gomme d’anacarde ». Les feuilles de ce végétal sont riches en tannin et pourraient être utilisées avec avantage pour préparer les peaux d’animaux.

Diaka-Médina est un village Diakanké d’environ 450 habitants. La population est entièrement musulmane. Il est absolument ouvert et ne possède aucun moyen de défense, ni tata, ni sagné : on voit encore les ruines d’un ancien tata qui devait être assez sérieux. Ce village m’a paru assez propre et assez bien entretenu. Il est construit au milieu d’une vaste plaine où se trouve tous les lougans. Comme tous les villages Diakankés, il est relativement riche. Les habitants possèdent de nombreux greniers de mil, riz, fonio, arachides, etc., etc., et un beau troupeau d’une cinquantaine de bœufs et d’une centaine de chèvres et moutons.

J’y reçus l’accueil le plus franc et le plus cordial, comme cela m’est arrivé dans tous les villages Diakankés où je suis passé : on me donne à profusion tout ce dont j’ai besoin, et cela, sans que j’aie la peine de demander quoique ce soit. Le chef est un homme jeune encore et qui sait se faire obéir. Très intelligent, il est souvent consulté pour leurs affaires par les villages environnants. Dès que je fus installé dans une jolie case il vint me saluer avec les principaux habitants du village. Je ne manquai pas de lui demander si réellement il n’y avait pas de route de Dalafi à Faraba, il me répondit qu’il y en avait une fort belle, pas plus longue que celle de Diaka-Médina et que si les hommes de ce village m’avaient aussi mal renseigné c’est uniquement parce qu’ils ne voulaient pas se donner la peine de me conduire. Du reste, ils agissaient toujours ainsi et quant il y avait une caravane à héberger ou à guider c’était toujours à Diaka-Médina qu’ils l’envoyaient. Dans la circonstance présente il en était enchanté : car cela lui permettait de connaître un blanc et de causer avec un officier français. Je m’expliquai alors pourquoi les hommes de Dalafi, à peine arrivés à Diaka-Médina, s’étaient tant hâtés de retourner chez eux. Le fait est que si un seul m’était tombé sous la main, il aurait payé pour tous.

Je conversai avec le chef jusqu’à la nuit tombante ; il ne me quitta que lorsqu’il vit que j’allais dîner. Je le remerciai de sa cordiale réception et lui recommandai de faire en sorte que les hommes qu’il devait me donner pour me conduire à la Falémé, fussent prêts au premier signal ; car l’étape étant fort longue, j’avais l’intention de me mettre en route vers deux heures du matin, dès que la lune serait levée. Il me donna l’assurance que tout serait prêt à l’heure dite et qu’il viendrait lui-même me mettre dans la bonne route. Il insista longuement pour me faire rester un jour de plus dans son village. Malgré tout le désir que j’avais d’être agréable à ce brave homme, et bien que ma santé fût toujours chancelante, je ne me rendis pas à sa généreuse invitation, j’avais hâte d’arriver au plus tôt dans un centre Européen où je pourrais me soigner plus efficacement et me reposer un peu.

Diaka-Médina est le dernier village du Dentilia à l’Est. C’est un lieu de passage très fréquenté par les caravanes qui se rendent du Bambouck au Niocolo et au Fouta-Djallon ou qui en reviennent. Il ne se passe pas de jours, me disait le chef, qu’il n’en arrive deux ou trois, surtout pendant la saison sèche. Elles traversent de préférence ce village, parce que les dioulas savent très bien qu’ils seront bien reçus et qu’ils ne courront aucun risque d’être pillés. Les Diakankés sont, en effet, très hospitaliers et, contrairement aux Malinkés, ne dévalisent jamais ceux qu’ils hébergent dans leurs villages.



CHAPITRE XXIV

Le Dentilia. — Frontières, limites. — Aspect général. — Hydrologie. — Orographie. — Constitution géologique du sol. — Flore, production du sol, cultures. — Faune, animaux domestiques. — Populations, Ethnographie. — Situation et organisation politiques. — Rapport du Dentilia avec les pays voisins. — Rapport du Dentilia avec les autorités Françaises. — Le Dentilia au point de vue commercial. — Conclusions.

Les Malinkés désignent sous le nom de Dentilia toute cette région assez vaste, du reste, qui est située entre le Niocolo à l’Ouest et le Konkodougou-Sintédougou à l’Est. Elle comprend, pour ainsi dire, toutes ces vastes plaines qui s’étendent dans la région septentrionale de l’immense quadrilatère dont la Gambie et la Falémé forment les deux grands côtés Ouest et Est et qui comprend le Dentilia, le Gounianta, le Sangala et le Gadaoundou. Le Niocolo et le Konkodougou, en effet, ne possèdent qu’une petite bande de terrain de quelques kilomètres seulement de profondeur dans toute cette région. La partie du Konkodougou qui se trouve ainsi située à l’ouest de la Falémé est, du reste, absolument stérile et inhabitée. Le Niocolo possède, au contraire, à l’Est de la Gambie, un beau village, Laminia, et de riches terrains de culture.

Limites. Frontières. — Comme tous les pays que nous avons déjà décrits, le Dentilia n’a pas de limites naturelles et ses frontières sont mal déterminées. Toutefois nous pouvons dire, d’une façon approximative, qu’il est compris entre les 12° 29′ et 12° 55′ de latitude Nord et les 13° 50′ et 14° 40′ de longitude à l’Ouest du méridien de Paris. Mesuré dans ses plus grandes dimensions, il a environ 85 kilomètres du Sud-Est au Nord-Ouest et 60 kilomètres du Nord au Sud. Sa superficie est d’environ 4.500 kilomètres carrés. Au Nord, sa ligne frontière commence à environ cinq kilomètres de Gondoko, au point où elle coupe le marigot de Sandoundou-Kô. De là elle se dirige au Sud-Est en coupant le Séniébouli-Kô, à environ douze kilomètres de Dalafi. Du Séniébouli-Kô, elle se dirige directement au Sud-Est jusqu’à Daléma-Kô, qu’elle coupe à environ quinze kilomètres de la Falémé. Elle suit le cours de ce marigot pendant environ vingt kilomètres, jusqu’à trois kilomètres au Nord du petit village de Candaina, qui appartient au Gounianta. De là, elle se dirige droit à l’Ouest en suivant le cours du Kobali-Kô et en passant à environ trois kilomètres au Nord de Kobali. Elle abandonne ce marigot à vingt-deux kilomètres de la Gambie pour se diriger brusquement au Nord. Elle suit cette direction jusqu’à la mare de Temodalla, dans le désert de Coulicouna. Elle oblique alors vers l’Est pour venir se terminer au marigot de Sandoundou. Ainsi délimité, le Dentilia a à peu près la forme d’une ellipse dont le grand axe serait orienté Nord-Ouest Sud-Est. Ses villages frontières sont, au Nord, Gondoko, au Nord-Ouest, Barbri-Médina, Sakoto et Bembou, à l’Ouest, Médina-Dentilia et Mansakouko, au Sud, Daguiri, Samé et Nafadji, à l’Est, Dalafi et Diaka-Médina.

Le Dentilia confine au Nord au désert de Coulicouna qui le sépare de Bélédougou et du Sirimana, à l’Ouest, au pays de Badon et au Niocolo, au Sud, au Gounianta et à l’Est au pays de Satadougou, au Konkodougou-Sintédougou et au Bafé.

Bien que ce pays n’ait pas de limites naturelles et que ses frontières soient absolument conventionnelles, il ne surgit jamais aucune difficulté de territoire avec les pays voisins. Cela tient à deux causes principales. D’abord il est absolument isolé et séparé des centres habités appartenant aux Etats auxquels il confine par de vastes territoires absolument déserts. Il n’y a qu’au Sud que ses villages frontières soient situés non loin de ceux du Gounianta. Mais la communauté d’intérêts, la parenté de race et une situation analogue absolument isolée en font, pour ainsi dire, son allié naturel. La seconde raison de cette bonne intelligence qui règne dans ces contrées est en ce que les Noirs, habitués à vivre dans la brousse, ont des points de repère certains qui nous échappent à nous autres blancs. Ils savent, en pleine forêt, reconnaître aisément dans quel pays ils se trouvent, chose absolument impossible pour un voyageur qui ne fait que visiter la contrée en passant. Aussi, est-ce en connaissance de cause qu’ils s’aventurent chez leurs voisins, et il est excessivement rare qu’ils se permettent de faire des lougans ou de construire leurs cases sur un territoire étranger. Ils ne manquent jamais, dans ce cas-là, d’en solliciter l’autorisation du chef auquel il appartient, autorisation qui n’est jamais refusée. Ils font alors partie du pays où ils viennent de se fixer, et le fait d’y avoir établi leur demeure est regardé, dans tous ces pays Noirs, comme une véritable naturalisation d’office, et ils doivent se soumettre aux coutumes et aux lois qui régissent leurs nouveaux compatriotes.

Aspect général du Dentilia. — La description géographique du Dentilia sera des plus simples, car nous sommes là dans un pays de plaines, où les reliefs du terrain sont peu nombreux et surtout peu appréciables, et où les cours d’eau sont, en général, de peu d’importance. On éprouve une impression pénible quand on parcourt les régions Est et Ouest de ce pays. Le paysage est absolument plat. Pas d’horizon. Rien qui vous repose la vue. Partout une stérilité et une monotonie désespérantes. Pas la moindre éclaircie. Toujours l’horizon est borné par cet éternel rideau d’arbres rabougris qui semble fuir devant vous au fur et à mesure que l’on en approche. Pendant des kilomètres et des kilomètres, les plaines argileuses arides, les plateaux stériles formés de roches et de conglomérats ferrugineux et absolument dénudés, les marécages au bord de certains marigots, se succèdent sans interruption. C’est la terre de la désolation, par excellence. Aussi, éprouve-t-on un véritable soulagement quand, après une longue étape dans un semblable désert, on aperçoit tout à coup, sans que rien ne vous y ait préparé pendant la route, un village situé sur un petit monticule dominant une plaine parfois assez étendue, bien cultivée et où s’étalent de beaux lougans de mil, de maïs et d’arachides. L’œil du voyageur, fatigué de n’avoir jamais vu, pendant tout le voyage, que cette couleur grisâtre qui est propre aux argiles, se plaît à contempler les tons rouges des terrains à latérite au milieu desquels sont presque toujours construits les villages. Malgré leurs sombres tatas et leur tristesse infinie, les villages prennent pendant quelques instants, à vos yeux, un air de fête et de gaieté qui ne frappe et réjouit malheureusement que de loin et qui disparaît dès que l’on a franchi la porte et que l’on est obligé de parcourir ses rues étroites. Il vous semble, qu’après un pénible voyage, vous êtes enfin arrivé au port si ardemment souhaité et où vous allez enfin pouvoir vous reposer un peu. Et pourtant, malgré tous ces désavantages, les habitants du Dentilia sont fort attachés à leur pays.

Il faut dire aussi qu’ils ont supérieurement choisi les endroits où ils ont construit leurs villages, et que tout autour la terre y est d’une fertilité remarquable. D’une façon générale, on peut dire que tout ce qui est cultivable au Dentilia est ensemencé chaque année, et que partout où se sont installés les habitants, la terre leur donne abondamment tout ce dont ils peuvent avoir besoin. En résumé le Dentilia appartient, dans sa plus grande partie, à ces pays de steppes soudaniennes dont nous avons eu si souvent l’occasion de parler. Mais là, ces steppes sont parsemées d’ilots nombreux de terres cultivables, véritables oasis qui rendent le pays habitable et lui donnent, dans sa région centrale du moins, un aspect relativement agréable.

Hydrologie. — Le Dentilia est faiblement arrosé. On n’y trouve aucun grand cours d’eau, pas de fleuve, pas de rivière. Nulle part on ne trouve d’eau courante pendant la saison sèche. Seuls, quelques marigots forment tout son système hydrologique. A ce point de vue, on peut le diviser en deux régions bien distinctes, une région Ouest qui appartient au bassin de la Gambie et une région Est qui fait partie de celui de la Falémé. La ligne de partage des eaux qui sépare les bassins de ces deux grands cours d’eau est peu marquée dans le Dentilia. Elle est à peine indiquée par une petite série de collines peu élevées et l’on peut dire qu’en certaines régions les marigots dépendant d’un bassin empiètent sur l’autre. Je ne serais même pas éloigné de croire qu’en certains endroits de petits marigots les font communiquer l’un avec l’autre. Toutefois la ligne de démarcation pourrait être à peu près déterminée comme il suit. Elle suit une direction générale Nord-Ouest-Sud-Est et est à peu près dirigée dans le sens du grand axe de l’ellipse dont le Dentilia a la forme. Au Nord, elle commence à la mare de Temodalla et se dirige directement au Sud jusqu’aux environs de Médina-Dentilia. Elle est indiquée là par une chaîne de hauteurs assez élevées qui se prolonge au Nord dans le désert de Coulicouna ; à environ cinq kilomètres au Nord de Médina-Dentilia, elle oblique brusquement vers l’Est et suit cette orientation pendant environ douze kilomètres. Là, les collines s’affaissent sensiblement et nous ne trouvons plus que de légères ondulations du sol. Le Vandioulou-Kô, qui dépend du bassin de la Gambie, est parallèle à cette ligne pendant quarante kilomètres. De ce point, elle se dirige au Nord-Est jusqu’aux environs de Oualia. Elle oblique alors directement au Sud jusqu’à Bandiciraïla, d’où elle se dirige au Sud-Est pendant trente kilomètres pour obliquer ensuite vers le Sud et le Sud-Ouest en passant non loin de Samé entre le Daguiri-Kô, qui appartient à la Gambie, et le Samakoto-Kô, qui est de la Falémé. Dans tout ce trajet cette ligne a environ 120 à 130 kilomètres de développement.

Dans la région Est, nous trouvons, dans sa partie Nord, un grand marigot, le Séniébouli-Kô. Sa direction est à peu près Sud-Nord. Il naît dans les environs de Bandiciraïla, dans le Dentilia, où, dans la partie ultime de son cours, il s’étale en un vaste marais. De là, il passe non loin de Diaka-Médina, et, après avoir traversé la région Ouest du Bafé et le Sirimana dans toute sa largeur, il se jette dans la Falémé. Il reçoit dans le Dentilia, à l’ouest, le Marigot de Sandoundou, qui reçoit lui-même le Sacodofi-Kô, lequel est formé par les eaux d’un grand nombre de marigots de peu d’importance, qui arrosent la région Nord-Ouest de ce pays. Plus au Sud nous trouvons le Fao-Fao-Kô, qui passe à quatre kilomètres au Sud de Dalafi. Dans la même direction et à trois kilomètres de ce dernier, se trouve le Badanbali-Kô. La route de Dalafi à Diaka-Médina coupe ces deux marigots. A l’est le Seniébouli-Kô ne reçoit dans le Dentilia qu’un seul marigot de peu d’importance, le Sama-Kô, que l’on trouve à un kilomètre et demi de Diaka-Médina, sur la route de Faraba.

On trouve encore dans le Dentilia un marigot important qui appartient au bassin de la Falémé ; c’est le Daléma-Kô. Il forme, dans une partie de son cours, la séparation entre le Dentilia et le Koukodougou-Sintédougou, et se jette dans la Falémé, un peu en aval de Faraba. Il reçoit un grand nombre de branches que l’on traverse en allant de Diaka-Médina à Faraba. Elles n’ont pas reçu de noms particuliers. Mentionnons enfin, tout-à-fait au Sud-Est, le Samakoto-Kô, qui passe à Samécouta, un peu au nord du Daléma-Kô, et qui se jette dans la Falémé, non loin du gué de Komba-N’-Soukou.

La région Ouest du Dentilia est beaucoup plus arrosée. Nous trouvons, en procédant du Sud au Nord, les marigots suivants :

Le Kobali-Kô, qui passe non loin de Kobali dans le Gounianta et qui, dans la partie moyenne de son cours, forme la limite entre le Dentilia et le Gounianta.

Le Daguiri-Kô, qui passe à Daguiri et naît entre Samé et Balori, où il n’est qu’un vaste marécage. Il reçoit plusieurs branches, dont la plus importante passe à Sanela.

Enfin le Koumountourou-Kô, le plus important de tous. Il se forme non loin de Badioula, se dirige d’abord du Sud-Est au Nord-Ouest jusqu’aux environs des ruines de Soutouto, puis son cours s’infléchit vers l’Ouest-Sud-Ouest jusqu’à la Gambie, dans laquelle il se jette à cinq kilomètres en aval de Sillacounda. Il passe à peu de distance des ruines de Tasiliman. Dans ce trajet il reçoit, en procédant de l’Ouest à l’Est, au Sud, le Niguia-Kô, qui reçoit lui-même le Douta-Kô, et enfin le Noukou-Kô. Au Nord, nous trouvons une branche importante dont la direction est franchement Nord-Est et qui reçoit le Faraba-Kô et le Vandioulou-Kô.

Ce dernier reçoit le Samania-Kô et le Bancoroti-Kô, qui passe à quelques centaines de mètres à l’Ouest de Médina-Dentilia, qu’il contourne du Nord-Est au Nord-Ouest en passant par le Sud du village. Le Vandioulou, dans la partie la plus Est de son cours, passe à Oualia. Tous ces marigots reçoivent, en outre, un grand nombre d’autres petits cours d’eau insignifiants qui sont à sec pendant la belle saison et auxquels les habitants n’ont pas donné de noms spéciaux.

Dans tous les villages du Dentilia, on ne fait usage que de l’eau des puits. Elle est très bonne. La nappe d’eau souterraine se trouve très profondément, à 20 ou 25 mètres suivant les régions. Les eaux des puits peuvent donc être considérées comme des eaux d’infiltration, et comme les couches de terrain qu’elles traversent ne renferment aucun principe nuisible, il en résulte qu’elles sont excellentes pour tous les usages domestiques.

La plupart des marigots sont complètement desséchés pendant la belle saison. Seules, les branches principales contiennent un peu d’eau croupissante. Ils sont rares ceux dans lesquels on trouve de l’eau courante. Cela se comprend aisément, car ils sont tous fort éloignés de la source qui les alimente. Mais, pendant la saison des pluies, ils se remplissent rapidement, débordent et envahissent les plaines qu’ils arrosent. Dès que les pluies, ont cessé, ils se vident aussi vite qu’ils s’étaient remplis. Ils suivent en cela le régime des eaux du fleuve ou de la rivière dont ils sont tributaires.

Orographie. — L’orographie du Dentilia est des plus sommaires. Nous n’avons là aucun système bien défini. A peine quelques collines sillonnent-elles ces plaines arides et incultes pour la plupart, reliefs peu importants, du reste. A l’Ouest, cependant, nous trouvons la chaîne de collines qui forme la limite Est du désert de Caulicouna. Cette chaîne émet des contre-forts qui longent les marigots qui vont se jeter dans le Koumountourou-Kô. L’un de ces contre-forts passe même non loin de Médina-Dentilia, au Nord, et se termine dans la plaine qui s’étend à l’Est de ce village.

Si le Dentilia n’a pas de système orographique bien déterminé, il est un fait pourtant constant qu’il est bon de signaler. C’est le suivant, à savoir que les marigots coulent tous dans des vallées que bordent de petites collines peu élevées (huit à dix mètres, au plus) et qui sont parallèles à leur cours. Des villages sont construits sur de petits monticules et l’on rencontre dans ce pays comme partout ailleurs dans cette partie de l’Afrique de ces collines isolées au milieu des plaines, de peu d’étendue et de peu d’élévation et qui sont absolument indépendantes de tout système.

La région Ouest est de beaucoup la plus accidentée. Dans les autres régions, le pays est absolument plat ou ne présente que des reliefs de terrains sans aucune importance. Ce ne sont, pour ainsi dire, que de légères ondulations à peine sensibles.

Constitution géologique du sol. — Au point de vue géologique, on peut rattacher à la période secondaire, la formation du sol du Dentilia tout entier. Les collines que l’on y rencontre dans la région Ouest ont dû émerger au commencement de cette période. Nul doute, en effet, que toute cette région n’ait été couverte par les eaux. Car les roches que l’on y rencontre partout sont usées, limées et tout indique qu’elles ont été pendant de longues années submergées et battues par les flots. Quant aux plaines de la partie centrale ce ne doit être que longtemps, fort longtemps après qu’elles se sont découvertes. Quant aux rares alluvions que l’on y rencontre par ci par là, elles sont généralement peu épaisses et sont surtout formées par le limon que, chaque année, en se retirant, les eaux déposent sur les bords des marigots. Elles recouvrent, presque partout, un sous-sol de terrain argileux ou de terrain ardoisier. Quant à l’humus il fait absolument défaut.

Le sous-sol du Dentilia est formé des mêmes éléments que celui des pays voisins. Ici du terrain ardoisier, là du terrain ferrugineux. Les roches que l’on y rencontre sont, du reste, absolument caractéristiques. Dans les terrains ardoisiers, ce sont des schistes, ardoisiers et lamelleux surtout, dans les terrains ferrugineux ce sont des quartz, des grès soit simples, soit ferrugineux et alors fortement colorés en rouge, et enfin des conglomérats à gangue silico-argileuse. Ces collines sont généralement formées de ces deux dernières roches.

La croûte terrestre ne s’est pas non plus sensiblement modifiée. Les argiles compactes, imperméables, alternent avec la latérite, mais cette dernière est de beaucoup la moins fréquente. On ne la trouve qu’autour des villages.

Quant à la distribution des deux sortes de terrain, elle est des plus simples. Au centre du pays la latérite, c’est la partie fertile. Tout autour les argiles compactes recouvrant un sous-sol de terrain ardoisier ou bien un sous-sol formé de grès, quartz et conglomérats ferrugineux. En maints endroits, la roche émerge du sol et forme de vastes plateaux absolument arides. La couche d’argiles est beaucoup plus épaisse au Sud et à l’Est que dans les autres parties.

Le fond des marigots, vaseux dans la région Ouest, est plutôt rocheux dans la région Est. Leurs bords sont, en général, argileux ou couverts de limon, taillés à pic et difficiles à franchir.

De la surface du sol à la nappe d’eau souterraine, les couches des différents terrains sont ainsi disposées : 1o une couche d’argiles ou de latérite plus au moins épaisse ; 2o Schistes ou grès, quartz et conglomérats ferrugineux ; 3o Sable quartzeux et siliceux ; 4o Argiles ; 5o Nappe d’eau souterraine reposant en général soit sur le sable qui est rare, soit sur des argiles. Il résulte de cela que les puits dont le fond est de sable donnent, en toutes saisons, une eau limpide et claire et, au contraire, ceux dont le fond est argileux ont une eau de couleur blanchâtre fortement chargée de matières terreuses, pendant la saison des pluies principalement. Il est facile de les en débarrasser en les laissant reposer en décantant et, enfin, en filtrant, si toutefois on a ce qu’il faut à sa disposition.

Du fait que, dans certaines régions, on a trouvé, en certains endroits, quelques échantillons de roches granitiques, on a cru devoir en conclure que certaines parties du Soudan appartenaient à la période primitive. On pourrait le dire du Dentilia également, car nous avons vu plus haut que nous avions trouvé aux environs de Médina-Dentilia d’énormes blocs de beau granit gris. La présence de ces roches dans des terrains qui appartiennent à une période de formation géologique tout différente de celle à laquelle elles sont généralement rattachées peut s’expliquer aisément. Il n’y a pour cela qu’à les examiner attentivement. Elles ne forment pas, en effet, de bancs réguliers inhérents au sol environnant. Ce ne sont pas de ces couches rocheuses caractéristiques des terrains de la période primitive qui s’étendent au loin sous la croûte terrestre et forment parfois de véritables montagnes. Ce sont des blocs isolés, plus ou moins volumineux, noyés dans des argiles, comme nous l’avons remarqué à Irimalo sur la Falémé, ou bien entourés de toutes parts de grès ou de quartz ou même de terrain ardoisier, comme cela existe à Médina-Dentilia. De plus, pas la moindre arête, par la plus petite rugosité. Elles sont, au contraire, lisses et polies comme si elles sortaient des mains d’un bon ouvrier. Très glissantes, les chevaux n’y marchent qu’avec mille précautions. Tout cela nous permet de conclure qu’elles ont été déposées là par les flots alors que le pays était encore complètement couvert par les eaux. Ce sont de véritables blocs erratiques sur lesquels la mer immense qui les a recouverts pendant des milliers d’années a laissé son empreinte ineffaçable.

Climatologie. — Nous n’aurons que quelques mots à ajouter à ce que nous venons de dire sur l’hydrologie, l’orographie et la constitution géologique du sol du Dentilia, pour faire connaître quel doit être son climat. Par sa latitude et sa longitude, ce pays se place naturellement dans les climats chauds. Le régime de ses eaux, le peu de profondeur de la nappe souterraine en font un foyer de paludisme. Et si nous ajoutons que, vu la presque imperméabilité de son sol, les eaux qui tombent à sa surface n’étant pas absorbées, finissent par croupir et ne disparaissent que lentement, par évaporation due à la chaleur solaire, on sera convaincu que ce pays est peu habitable pour une race humaine autre que celle qui le possède. Le blanc ne s’y pourrait pas acclimater. Disons, en plus, que rien ne le protège contre l’action des vents. Son système orographique est presque nul, aussi est-il exposé, sans aucune défense, aux vents brûlants d’Est et de Nord-Est pendant la saison sèche, et, pendant l’hivernage, aux vents humides et malsains du Sud et du Sud-Ouest. Son climat ne diffère, en un mot, de celui des autres parties du Soudan qu’en ce que la saison des pluies y est plus longue que dans les régions septentrionales.

Flore.Productions du sol.Cultures. — La Flore du Dentilia est peu riche, surtout dans les plaines argileuses de l’Ouest et de l’extrême Est. Ce n’est que dans les terrains à latérite que la végétation est un peu plus active. Les bords des marigots sont également très favorisés sous ce rapport.

Le karité, qui est très rare dans les plaines de terrain argileux, est, au contraire, très abondant dans les terrains ferrugineux et à latérite. Nous en avons vu dans la plaine de Médina-Dentilia qui atteignaient des dimensions fort respectables. Beaucoup étaient en fleurs. Il y aurait là une source énorme de richesse pour le pays ; mais il faudrait avoir affaire à d’autres gens qu’à des Noirs et surtout à des Malinkés. D’une façon générale, on peut dire que ce végétal est très abondant dans les régions qu’il habite.

Les lianes à caoutchouc (Vahea), qui manquent absolument dans la région Ouest, sont très abondantes dans le reste du pays et surtout le long des marigots. On les trouve également sur les plateaux rocheux et ferrugineux. Mais elles sont moins développées dans ces sortes de terrains que dans le limon qui couvre les bords des marigots.

Mentionnons encore quelques palmiers le long des cours d’eau, quelques caïl-cédrats et surtout une énorme quantité de fromagers un peu partout. Quand nous y sommes passés, au mois de janvier, ils étaient en fleurs. Les Légumineuses sont assez rares. Nous avons remarqué cependant quelques nétés et quelques mimosées. Ces dernières se rencontrent surtout dans les plaines désertes et incultes de l’Est et de l’Ouest. Le gommier y est inconnu.

On peut dire que, dans le Dentilia, tout ce qui était cultivable est cultivé. Partout où le sol a permis de faire un lougan, le noir l’a fait. Mais c’est surtout autour des villages qu’ils sont nombreux et bien entretenus. Tout ce qui entre dans l’alimentation du noir y est cultivé, mil, arachides, maïs, etc., etc. Peu de riz, le terrain n’étant pas propice à la culture de ce végétal, mais, par contre, de beaux champs de coton et d’indigo. Autour des villages se trouvent de nombreux jardinets entretenus avec soin et où les femmes et les enfants cultivent des oignons et du tabac, dont les Malinkés sont, nous le savons, très friands.

Les lougans sont cultivés en sillons quand la quantité de terre végétale le permet ou bien en petits monticules d’environ 40 centimètres de diamètre. Toutes ces précautions sont prises pour permettre aux eaux de séjourner plus longtemps autour des semis. Ils sont parfaitement entretenus et on n’y voit aucune mauvaise herbe. Aussi les récoltes sont-elles toujours fort abondantes.

Faune. Animaux domestiques. — La Faune du Dentilia diffère peu de celle des autres pays du Soudan. Ce sont toujours les mêmes animaux. Parmi les carnassiers, le lion, la panthère, la hyène, le lynx, le chat-tigre. Les animaux non nuisibles sont représentés par les antilopes de toutes variétés, biches, gazelles, bœufs sauvages, etc., etc. Enfin, dans les régions de l’Est et de l’Ouest, on rencontre encore l’hippopotame et l’éléphant. Ce dernier commence à y devenir fort rare. Le sanglier, par contre, y est très commun. Les pintades et les perdrix grises y sont très nombreuses et leur chair est excessivement savoureuse.

Les Malinkés du Dentilia sont de grands éleveurs de bestiaux et chaque village possède un troupeau de bœufs fort nombreux. On y trouve les deux espèces, la grande et la petite ; mais la première y est plus commune que la seconde. Citons encore les moutons, chèvres et poulets, qui abondent dans tous les villages.

Populations. Ethnographie. — La population du Dentilia, sauf trois villages, est uniquement formée de Malinkés : les Diakankés y sont peu nombreux. D’après la tradition, il a été colonisé par une seule famille, les Damfakas. Venus du Manding dans le Bambouck, lors de la seconde grande migration Malinkée, avec Noïa-Moussa-Sisoko, ils se fixèrent d’abord dans le Bambougou et de là émigrèrent dans le Dentilia qu’ils peuplèrent peu à peu. La légende dit qu’étant allés un jour à la chasse aux bœufs et aux éléphants, plusieurs guerriers de cette famille avaient poursuivi à travers le Diébédougou, le Bafé et le Sirimana, un troupeau de ces gros animaux. Ils avaient traversé la Falémé aux environs du petit village de Kolia et étaient arrivés ainsi au centre du Dentilia alors complètement inhabité. Captivés par la fertilité relative du terrain et surtout par sa situation isolée qui leur permettrait d’échapper aux envahisseurs qui continuaient à venir de l’Est, ils étaient revenus par le Konkodougou dans leur pays et avaient entraîné à leur suite toute leur famille, malgré tout ce qu’avait pu faire Moussa-Sisoko pour les retenir. On dit même que celui-ci, voulant les retenir de force, avait saisi par l’oreille le chef des Damfakas, mais que ce dernier, ne voulant plus habiter le Bambougou et désirant à toutes forces s’affranchir de toute domination, fit un mouvement si brusque pour se délivrer des mains de Moussa, que son oreille resta entre les doigts de ce dernier. Ce que voyant, tous les membres de la famille s’enfuirent avec leur chef, et, guidés par leurs chasseurs, arrivèrent dans ce Dentilia, sans encombre, où ils se fixèrent. Depuis cette époque, on chante dans presque tous les tam-tams, pour perpétuer le souvenir de ce fait, une sorte de complainte dont les premiers mots sont : « Tu ne t’en iras pas, je te tiens par l’oreille ». Je n’ai jamais pu obtenir la traduction du reste. Cette légende m’a été racontée dans le Bambouck par un vieux griot de Nanifara (Bambougou).

Du jour où ils sont venus l’habiter, les Damfakas n’ont pas quitté le Dentilia. Il leur a toujours appartenu et ils l’ont toujours dirigé. Les uns sont musulmans et les autres non. Mais il est facile de constater combien la religion du prophète y fait chaque année de rapides progrès. Aujourd’hui, buveurs de dolo et marabouts sont à peu près en nombre égal ; mais ce jour n’est pas éloigné où tous feront salam.

Peu après leur installation, on ne tarda pas à apprendre dans le Bambouck combien la nouvelle colonie était prospère et quelle sécurité y régnait. Aussi, bon nombre de familles malinkées quittèrent elles le Bambouck pour venir habiter avec les Damfakas ; c’est ainsi que nous trouvons dans le Dentilia des Cissés et des Camaras qui sont musulmans, des Dabos et même des Sisokos qui ne le sont pas. Ils n’ont pas formé de villages spéciaux, et habitent avec les Damfakas avec lesquels, par des unions fréquentes, ils finiront par se confondre.

A quelle époque l’islamisme fit-il sa première apparition dans ce pays, nous ne saurions le dire ? Tout porte à croire cependant que cette date est encore très récente, car leur religion est encore mélangée de pratiques et de superstitions que nous retrouvons vivaces chez les Malinkés qui ne se sont pas encore convertis.

La population entière du Dentilia est d’environ neuf mille habitants. Ce pays, comme on le voit, est relativement peu habité, mais si l’on ne tient compte que de la partie où s’élèvent les villages, la population y est au contraire très dense. Relativement à sa superficie totale, il n’y aurait que deux habitants par kilomètre carré. Mais la partie habitée n’ayant, à peu près, que 1,200 kilomètres carrés de superficie, la population y aurait une densité de 7 habitants par kilomètre. Voici la liste des villages Malinkés du Dentilia :

Villages Malinkés du Dentilia.
Médina-Dentilia. Dioulafoundou.
Badioula. Nafadgi.
Sekoto. Sita-counda.
Sekoto-Kokaba. Dalafi.
Saraïa. Diacorea.
Bandiciraïla. Barbri-Médina.
Sanela. Gondoko.
Barocoumbaïa. Baïtillaë.
Binéa. Diabérécoto.
Bembou. Bani-Bani.
Samé. Daloto.

Outre ces village Malinkés, il existe encore dans le Dentilia trois autres villages qui sont habités par des Diakankés venus du Bondou, chassés par les exactions des Almamys. Ce sont :

Samécouta.Balalori.Diaka-Médina.

Les villages Malinkés du Dentilia n’ont pas l’aspect que présentent les autres villages de cette race. Ils sont plus propres et mieux entretenus. Le mode de construction des habitations et des tatas est le même. Nous l’avons décrit plus haut. Nous n’y reviendrons pas. Quant à l’intérieur des villages, il est toujours et dans tous d’une saleté repoussante. Les rues sont couvertes d’immondices de toute nature et, seuls, les chiens sont chargés du service de la voirie.

Le Malinké, buveur de dolo, est là ce qu’il est partout ailleurs, sale, puant, dégoûtant, suant la vermine, vantard, pillard, paresseux et ivrogne fieffé.

Tout autre est le Malinké musulman ; il est un peu plus policé. Il est plus propre et ne boit jamais, du moins en public. Il ne vaut certes pas mieux que ses congénères. Il est comme lui vantard et paresseux. Par contre, il est beaucoup plus brave. Mais il est supérieurement hypocrite et sait cacher ses défauts sous des dehors plus séduisants et moins repoussants.

Les villages Diakankés sont tous ouverts et démunis de tatas. Ils sont un peu plus propres que les villages Malinkés et les cases en ruines y sont moins communes. Leurs habitants y vivent tranquilles, cultivant leurs lougans, élevant leurs troupeaux et pratiquant en paix leur religion. Les Diakankés sont tous musulmans fanatiques. Ils sont excessivement hospitaliers, comme tous les noirs, du reste, en général. Contrairement aux Malinkés, ils se livrent rarement au pillage des dioulas et des caravanes qui viennent se reposer chez eux.

Situation et organisation politiques. — Il n’y a pas dans le Dentilia de chef du pays, de Massa, comme dans les autres Etats Malinkés dont nous avons fait l’histoire plus haut. Chaque village règle ses affaires comme bon lui semble, sans que personne ait à s’en occuper en quoi que ce soit. Le chef du village est, en principe, omnipotent, mais, en fait, il ne jouit absolument d’aucune autorité, comme cela a lieu dans tous les villages Malinkés. Les vieillards et les chefs de case forment auprès de lui une sorte de conseil, dont il peut parfaitement ne pas suivre les avis. Mais de tous les habitants du village, celui qui a le plus d’influence auprès du chef est son griot. Le forgeron jouit bien de quelques prérogatives aussi, mais moins que le griot. Celui-ci donne son avis dans toutes les affaires publiques et souvent même dans les affaires privées du chef, et il est rare qu’il ne soit pas suivi. Il peut tout dire et tout faire, certain d’avance d’être pardonné.

Malgré ce désordre apparent, il n’y a guère de contestations de village à village. Cela tient à ce que les chefs sont tous de la même famille, et que tout se règle à l’amiable. Lorsqu’il s’agit de faire une expédition de guerre quelconque, ce qui est excessivement rare, je me hâte de le reconnaître, chaque village fournit son contingent qui est commandé par son chef ou par un guerrier que celui-ci a désigné. Nous n’avons pas besoin de dire que c’est la confusion à son plus haut degré.

Lorsqu’en 1888, nous avons signé avec le Dentilia le traité qui place ce pays sous le protectorat de la France, c’est avec le chef de Médina-Dentilia, agissant en son nom et au nom des autres chefs, que les signatures ont été échangées. Par analogie sans doute avec les autres pays, nous avons voulu en faire le chef de tout le Dentilia. L’article Ier du traité est, en effet, ainsi conçu : « La France reconnaît pour chef du pays de Dentilia Ansoumané, fils de Sokona-Ahmadi ». C’est le nom du chef de Médina. Or, veut-on savoir quel a été le résultat de cette reconnaissance. Lorsque je suis passé à Médina-Dentilia, je fus très bien reçu par Ansoumané lui-même. En causant, je lui demandai quel était le chef du pays ; il me répondit qu’il n’y en avait pas, et c’est lui-même qui nous a donné les renseignements politiques que nous venons de relater.

Cependant, au point de vue de la justice, il est d’usage d’en appeler au chef de village le plus âgé du pays. Ses jugements sont presque toujours exécutés. Actuellement, c’est le chef de Dioulafoundou qui jouit de cette prérogative.

En résumé, il y a dans le Dentilia comme un embryon d’organisation politique, malgré le désordre apparent. C’est une sorte de république fédérale.

Les Diakankés vivent absolument à part et leurs affaires sont réglées par leurs chefs et leurs marabouts. Vis-à-vis des Malinkés, ils ne sont que les locataires de la terre qu’ils habitent, le sol appartenant aux Damfakas, qui sont les premiers occupants.

Les habitants du Dentilia ne payent aucun impôt comme redevance de quelque nature que ce soit, à qui que ce soit.

Rapports du Dentilia avec les pays voisins. — Malgré le voisinage du Niocolo et du Gounianta, qui sont tributaires de Fouta-Djallon, le Dentilia n’a jamais eu affaire aux colonnes de guerre de ce puissant empire Peulh. Il s’est rarement mêlé des affaires des Etats qui l’avoisinent. Depuis quarante ans il n’a pris part qu’à deux expéditions. En 1861, il prêta main-forte aux gens de Marougou (Sirimana), que Boubakar-Saada, almamy du Bondou, était venu attaquer. Marougou se défendit vigoureusement et l’arrivée du contingent du Dentilia décida de la victoire. Boubakar-Saada fut complètement battu et obligé de battre en retraite. Il laissa bon nombre des siens sur le carreau et fut obligé d’abandonner ses blessés et, parmi eux, un de ses cousins, Ahmady-Sôma, qui n’échappa aux bandes du Dentilia que grâce aux ténèbres. En 1868, il s’unit de nouveau à Marougou pour tomber sur Mamakono, dont les guerriers s’étaient joints aux troupes de Boubakar-Saada dans la précédente campagne. Cette fois-ci, l’almamy du Bondou remporta une victoire complète sur ses alliés, mais le Dentilia eut le bon esprit de se retirer à temps de la lutte et de s’entendre avec le vainqueur. Aussi ne fut-il pas inquiété. Depuis cette époque, aucune guerre n’est venue troubler ce pays. Aujourd’hui il vit en bonne intelligence avec la Badon, le Niocolo, le Gounianta et le Konkodougou. Il n’a jamais de contestations avec eux. Mais il n’en est pas de même avec le Bélédougou et le Sirimana, au Nord. Les habitants de ces deux pays, pillards et voleurs fieffés, mettent souvent à contribution les villages du Dentilia. Ils vont jusqu’à enlever sous les murs mêmes des tatas des femmes, des enfants, des captifs et des bœufs. De plus, ils infestent les routes pendant toute l’année, à tel point qu’un homme qui s’aventurerait seul dans la brousse, courrait grand risque d’être fait captif. La situation est telle que les gens du Dentilia ne peuvent cultiver leurs lougans que le fusil auprès d’eux.

Les Peulhs du Tamgué font aussi de fréquentes apparitions dans le pays et s’y livrent aux mêmes rapines que les Malinkés du Bélédougou et du Sirimana.

Rapports du Dentilia avec les autorités Françaises. — Le Dentilia tout entier est placé sous le protectorat de la France depuis le 10 janvier 1888, à la suite d’un traité conclu entre M. le sous-lieutenant d’infanterie de marine, Levasseur, représentant le lieutenant-colonel d’infanterie de marine Galliéni, commandant supérieur du Soudan Français, et Ansoumané, chef de Médina-Dentilia, agissant au nom de tous les chefs du pays. Les clauses principales en sont fidèlement observées. Mais le Dentilia est trop éloigné pour que notre protectorat s’y fasse sentir d’une façon efficace. De plus, il est rare que les habitants viennent soumettre leurs affaires aux autorités françaises dont relève leur pays. Au point de vue politique, administratif et judiciaire, il relève actuellement du commandant du cercle de Kayes. Vu son éloignement, il échappe au contrôle de cet officier. Quoi qu’il en soit, ce que nous pouvons affirmer, pour en avoir fait l’expérience, c’est que tous les officiers français y sont bien reçus.

Le Dentilia au point de vue commercial. Conclusions. — Le Dentilia avait autrefois une triste réputation, c’était un véritable coupe-gorge et les dioulas ne pouvaient s’y aventurer sans être pillés jusqu’au dernier kola et étaient, de plus, souvent même roués de coups. Depuis le traité, la situation a changé, et le commerce s’y fait plus sûrement. Il y a bien encore quelques vols, mais plus de pillage en règle. Par sa situation, ce pays a une réelle importance au point de vue commercial. C’est par là que passent tous les dioulas qui se rendent du Bambouck, en Gambie, au Niocolo et au Fouta-Djallon. Pour en augmenter la prospérité, il serait bon de mettre un terme aux pillages des Malinkés du Bélédougou et du Sirimana, et d’en chasser les Peulhs du Tamgué. Sans doute, on n’en fera jamais une colonie de rapport, mais il pourra, à la longue, s’y créer un commerce d’échange assez important.



CHAPITRE XXV

Départ de Diaka-Médina. — Marche de nuit. — Fuite d’un porteur. — Rencontre d’une nombreuse caravane. — Le commerce du sel au Soudan. — Passage de la Falémé. — Description de la route suivie. — Géologie. — Botanique. — Le Kaki. — Arrivée à Faraba. — Nous sommes en pays de connaissance. — Le village, le chef. — Recherche de l’or. — Départ de Faraba. — A travers le Sintédougou et le Bambouck. — Sansando. — Dioulafoundoundi. — Soukoutola. — Notes sur le Sintédougou. — La vallée de Batama. — Mouralia. — Les mines d’or. — Sékonomata. — Batama. — Ascension de la chaîne du Tambaoura. — Yatéra. — Malaoulé. — Koudoréah. — Difficultés de la route. — Guibourya. — Le Diébédougou. — Kéniéti. — Guénobanta. — Le Diabeli. — Yérala. — Dialafara. — Le Tambaoura. — Les circoncis et la circoncision au Soudan. — Orokoto. — Panique des habitants. — Nouvelle ascension du Tambaoura. — Téba. — Malembou. — Le Natiaga. — Arrivée à Faidherbe-sur-Galougo. — Le chemin de fer. — Mauvaises nouvelles. — Arrivée à Boufoulabé. — Cordiale réception.

23 janvier. — Nuit relativement chaude. Ciel clair et étoilé. Brise de Nord-Est. Au point du jour, ciel un peu couvert dans l’Est. Le soleil est un peu voilé à son lever. Température chaude. Brise de Nord-Est assez forte. Vers huit heures, le ciel est complètement dégagé. Je réveille mes hommes à une heure quarante-cinq minutes du matin, car nous allons avoir une grande étape à faire. Malgré l’heure matinale, les préparatifs du départ se font rapidement et les porteurs sont réunis à l’heure dite. Le chef vient me serrer une dernière fois la main et m’accompagne pendant environ un kilomètre. Il me quitte quand il voit que je suis dans la bonne route. Il était deux heures trente minutes quand nous quittâmes Diaka-Médina. La lune se levait et la température était excessivement fraîche. Aussi marchons-nous d’une bonne allure pour nous réchauffer. A 2 h. 50, nous traversons, à environ deux kilomètres du village, le marigot de Sama-Kô, affluent du Séniébouli-Kô, et quand nous faisons la première halte, il fait encore une nuit profonde. Un porteur en profite pour se sauver. Malgré nos recherches, nous ne pouvons le retrouver. J’aurais été fort embarrassé si je n’en avais pas eu deux haut le pied. Je puis donc le remplacer sans difficulté et me remettre en route sans retard. A sept heures, nous traversons le marigot de Daléma-Kô, qui forme la frontière entre le Dentilia et le Koukodougou-Sintédougou. Le passage de cet important cours d’eau est assez délicat, non pas parce qu’il est profond, mais parce que son lit est encombré de roches excessivement glissantes. De plus, ses berges sont absolument défoncées par les nombreux passages d’hippopotames qui sont très nombreux dans cette région, d’après le dire des hommes de Diaka-Médina qui m’accompagnent. Nous faisons halte sur les bords de ce marigot et je puis m’assurer en explorant ses rives pendant un kilomètre environ en aval du point où nous nous trouvions que, dans cette région, ses berges sont escarpées et qu’il coule entre deux rangées d’énormes rochers. Après avoir pris un quart d’heure de repos nous nous remettons en route, et à onze heures nous sommes sur les bords de la Falémé, en face de Faraba, où j’ai décidé que nous allions passer la journée. Un peu avant d’y arriver nous avions laissé sur notre gauche la route de Dalafi. Le chef de Diaka-Médina ne m’avait donc pas trompé.

A mi-route environ, j’avais rencontré une caravane de 93 hommes et femmes dont 79 étaient chargés de pains de beurre de karité. Ils venaient du Koukodougou et allaient vendre leur karité et leur or à Mac-Carthy. Les griots marchaient en tête, frappant sur leurs tam-tams, pinçant de la guitare. Les femmes chantaient à tue-tête et tout ce monde faisait un vacarme étourdissant. Je remarquai qu’ils avaient eu la précaution de se munir de leurs marmites pour pouvoir faire leur cuisine en route. A mon aspect, la caravane entière s’arrêta et le chef vint me saluer. Entre autres choses, je lui demandai pourquoi ils n’allaient pas, de préférence, vendre leurs produits à Bakel, Khayes ou Médine, qui étaient bien plus rapprochés que Mac-Carthy, il me répondit tout simplement parce que : « à Mac-Carthy, on nous donne un meilleur prix de nos marchandises et que les dioulas français essaient toujours de nous tromper » (sic). Ceci n’a pas besoin de commentaires.

En parlant ainsi, mon interlocuteur faisait sans doute allusion à la déplorable habitude qu’ont ces dioulas du Sénégal et du Soudan de mélanger le sel avec du sable. Cette fraude est pratiquée sur une si grande échelle depuis Podor jusqu’au Niger que le sel qui est ainsi vendu aux indigènes contient parfois 75 % de sable. Ces procédés sont absolument inconnus en Gambie. A Mac-Carthy notamment, la Compagnie Française et la Bathurst trading Company, ainsi que leurs agents de l’intérieur, ne livrent aux indigènes que du sel de première qualité. Nous pouvons en parler en connaissance de cause ; car nous nous en sommes servis, pendant la plus grande partie de notre voyage, aussi bien pour notre cuisine que pour nos échanges. Nous avons cru devoir insister, un peu longuement peut-être, sur cette question du sel. Elle est, en effet, capitale au Soudan qui, sous ce rapport, est fort deshérité. C’est peut-être la matière d’échange qui, avec les étoffes, donne lieu aux transactions les plus importantes. Nous estimons qu’il serait bon d’enrayer ces manœuvres frauduleuses, tout au moins dans nos centres commerciaux, si nous ne voulons pas voir réduit à néant notre commerce du sel, et cela à brève échéance. Ce sera le seul moyen de ramener à nos escales les caravanes de l’intérieur qui s’en écartent de jour en jour davantage.

Le passage de la Falémé se fit sans aucun accident. Je la traversai en pirogue, et les porteurs et les animaux la passèrent à gué un peu plus bas.

La route de Diaka-Médina à Faraba présente deux grosses difficultés ; le passage du Daléma-Kô et celui de la Falémé. Le Daléma-Kô, au point où on le traverse, est à sec à cette époque de l’année ; mais son passage n’en est pas moins rendu difficile par les roches glissantes qui obstruent son lit. Il peut avoir environ vingt mètres de largeur. Le passage de la Falémé au gué est assez facile, mais ce gué n’existe que pendant la saison sèche, de janvier à juin. Le passage en pirogue offre plus de difficultés, surtout pour embarquer ; car les bords sont absolument à pic, et je n’ai pas besoin de dire que les noirs ne font rien pour améliorer l’embarcadère. Aussi faut-il se livrer à une véritable gymnastique, peu facile pour ceux qui n’y sont pas habitués.

La nature du terrain de Diaka-Médina à Faraba est peu variée. A quelques centaines de mètres du premier village, la latérite cesse brusquement, et, à partir de ce point jusqu’à environ trois kilomètres de la Falémé, nous ne trouvons plus que des argiles compactes qui recouvrent un sous-sol de quartz, grès et conglomérats ferrugineux. A trois kilomètres de la Falémé, la latérite réapparaît et se continue jusqu’à la rivière. La rive droite est, au contraire, formée de terrain ardoisier que recouvre une épaisse couche de sables et d’argiles qui s’avance fort peu dans les terres. Les sables des rives de la Falémé à Faraba, et particulièrement ceux de la rive droite, contiennent une assez forte proportion d’or en paillettes, qui fait l’objet d’une exploitation dont nous parlerons plus loin.

La végétation est, dans toute cette région, d’une pauvreté rare, sauf sur les bords de la Falémé. Jamais je n’ai trouvé pays plus deshérité sous ce rapport. C’est la brousse des steppes Soudaniennes dans toute l’acception du mot. Les Karités disparaissent à peu de distance de Diaka-Médina. Nous ne les retrouvons plus et encore très rares qu’à environ 6 kilom. de la Falémé. Les lianes à caoutchouc ont également disparu, et dans tout ce trajet je n’ai rencontré d’intéressant à mentionner que quelques rares échantillons de ce végétal que les indigènes désignent sous le nom de Kaki.

Le Kaki (Diospyros mespiliformis Hochst), de la famille des Ebénacées, est un arbre de taille moyenne à feuilles alternes, fleurs axillaires, fruits charnus comestibles. Il croît de préférence sur le sommet des collines et est assez rare dans tout le Soudan. C’est ce végétal que nous désignons généralement sous le nom de « faux ébénier ». Son bois est compact, excessivement serré. Lorsqu’il est poli, il est impossible d’y découvrir traces de fibres. Le cœur est noir, le plus souvent marqué de lignes fauves. C’est ce qui lui a fait donner le nom d’Ébène. Mais il est rare de rencontrer des échantillons sans défaut, et fréquemment, il est veiné de blanc. Très cassant, surtout quand il est sec, les indigènes ne s’en servent guère qu’aux environs de nos postes. Ils en fabriquent des cannes qu’ils vendent aux Européens. En certains cas, il pourrait remplacer l’ébène dont il est loin toutefois d’avoir le brillant.

J’arrivai à Faraba vers onze heures et demie, quand je me fus bien assuré que tout mon personnel avait franchi sans accident la Falémé. Nous étions là en plein pays de connaissance, j’avais déjà visité ce village en 1889, et bien des habitants dès notre arrivée nous reconnurent Almoudo et moi et vinrent me saluer. Je n’ai pas besoin de dire que je fus excessivement bien reçu. Dès que je fus installé dans une case bien propre, le chef vint me faire visite avec ses principaux notables. C’était le même qu’en 1889. Il me souhaite la bienvenue, me dit que dans son village je suis chez moi et que je puis rester me reposer chez lui tant je voudrai, qu’il ne nous laissera manquer de rien, ni mes hommes ni moi. Immédiatement après qu’il m’eût quitté, ce vieux brave homme m’envoya du lait, des œufs, du couscouss, en un mot, tout ce dont je pouvais avoir besoin. De plus, il fit abattre un beau bœuf dont il m’envoya la viande pour « mon déjeûner ». Je la fis distribuer entre mes hommes et les gens du village au grand étonnement des habitants, qui n’étaient pas habitués à pareille aubaine. Naturellement je fis porter au chef ce qui lui revenait, un quartier de devant.

La journée se passa sans incidents. Tout le monde se reposa des fatigues de la longue étape du matin. Dans la soirée, j’envoyai un courrier à Sansando, où réside le chef du Sintédougou, pour lui annoncer ma visite pour le lendemain. Au moment où, la nuit tombante, j’allais me mettre au lit, un homme du village vint me saluer et me demanda à me servir de guide le lendemain pour me rendre à Sansando. Je ne refusai pas son offre, surtout quand il m’eut dit que c’était lui qui nous avait servi de guide deux ans avant pour aller de Faraba à Irimalo, et que nous lui avions donné un boubou blanc. Je compris son empressement et tout le désir qu’il avait de m’être utile. Le contraire m’eût étonné, car je savais depuis longtemps qu’au Soudan, on ne fait rien pour rien, surtout quand c’est pour nous. Je lui promis, en conséquence, que je ne serais pas moins généreux que ne l’avait été, dans la circonstance qu’il venait si adroitement de me rappeler, mon ami le capitaine Quiquandon, chef de notre mission.

Faraba est un village Malinké dont la population peut s’élever à environ 650 habitants. Lorsque nous l’avons visité en 1889, il était complètement en ruines et n’avait pas plus d’une centaine d’habitants. Il a réellement prospéré depuis cette époque. Les cases ainsi que le tata du chef ont été reconstruits. De même du reste que l’enceinte extérieure qui, de loin, nous a parue bien entretenue. Intérieurement, c’est le village Malinké, par excellence, sale, dégoûtant, puant. Sa population est presque uniquement formée de Sisokos. Il est situé à environ deux cents mètres en amont du gué de la Falémé qui porte son nom, et sur la rive droite de cette rivière. Son chef nous est absolument dévoué. Ses habitants cultivent pendant l’hivernage leurs lougans, et, pendant la saison sèche, se livrent à la récolte de l’or en lavant les sables de la Falémé, qui en contiennent en quantité relativement considérable. C’est peut-être, après Mouralia, dans le Diébédougou, le point où l’on en extrait le plus. Faraba est, en outre, un lieu de passage très fréquenté par les dioulas qui viennent du Koukodougou, du Bambouck et se rendent dans le Dentilia, le Niocolo et le Fouta-Diallon. Il y en avait plusieurs dans le village qui sont venus me saluer dès qu’ils eurent appris mon arrivée. Dans cette saison ils y séjournent toujours pendant plusieurs semaines, afin de pouvoir acheter sur place l’or qui se récolte et vont ensuite le revendre à Khayes, Bakel et Médine.

21 janvier. — En 1889, nous étions passés, pour nous rendre à Faraba, par Kéniéba et Sanougou ; connaissant donc cette route, je me résolus cette fois à prendre celle de Sansando, Dioulafoundoundi et Soukoutola. J’aurais ainsi visité tout le Sintédougou. Donc, à 4 h. 15 du matin, nous nous mîmes en route pour Sansando. Mon guide d’hier soir n’a eu garde d’être en retard. Je crois même qu’il a couché non loin de la case où je suis logé pour ne pas manquer l’heure du départ. Il est debout le premier et organise lui-même le convoi. A environ un kilomètre et demi de Faraba nous traversons le marigot de Senkouli-Kô, sur les bords duquel se terminent les lougans du village. A six heures, nous franchissons celui de Bokkolongo-Kô. A sept heures cinquante minutes celui de Kelengo-Kô, à huit heures vingt-cinq celui de Doudé-Kô et enfin à huit heures cinquante nous sommes à Sansando, but de l’étape. La route s’est faite rapidement et les porteurs ont très bien marché.

L’aspect du pays que nous traversons a complètement changé, nous sommes en plein pays de montagnes, et de temps en temps nous voyons enfin de larges horizons qui nous changent des mornes plaines du Dentilia.

La route de Faraba à Sansando est loin d’être belle. Elle présente de réels obstacles. C’est tout d’abord le Senkouli-Kô que l’on a à traverser à un kilomètre et demi du village environ. L’endroit où on le passe est absolument impraticable pour les animaux et il nous faut aller plus loin pour trouver un meilleur gué. A partir de ce point, la route traverse une plaine qui ne présente aucun obstacle ; mais peu après, il faut franchir des collines relativement élevées, par de véritables sentiers de chèvres encombrés de roches qui rendent la route pénible pour les hommes et les animaux. Le passage du marigot de Bokkolengo-Kô ne présente pas de difficultés sérieuses. Il n’en est pas de même de celui de Kelengo-Kô, dont le lit est profondément vaseux et les bords à pic, couverts de roches ferrugineuses qui y forment de véritables escaliers. Enfin, malgré ses bords glissants, le Doudé-Kô se franchit assez facilement. En résumé, route plutôt mauvaise que bonne. Au point de vue géologique, toujours les mêmes terrains. La latérite cesse brusquement au marigot de Senkouli-Kô, et à partir de là nous n’avons que des argiles dans les plaines et des conglomérats ferrugineux sur les collines. La latérite reparaît à environ un kilomètre du village de Sansando et le monticule sur lequel il est construit n’est formé que de ce terrain. — Au point de vue botanique, végétation d’une pauvreté rare. Quelques karités rachitiques par ci par là, quelques fromagers et de rares échantillons de lianes à gutta le long des marigots, partout ailleurs la brousse dans tout ce qu’elle a de triste et de désespérant.

Sansando, où nous faisons étape, est un petit village de 250 habitants environ. Sa population est uniquement formée de Malinkés de la famille des Sisokos. C’est la résidence de Diourouba-Sisoko, le chef du Sintédougou. Il habitait autrefois Dioulafoundoundi, mais il quitta dernièrement ce village pour se fixer à Sansando, où le sol est plus fertile.

Sansando est un village de peu d’importance. Il est presque uniquement formé par les cases de la famille du chef et par celles de ses captifs. Il est situé sur un petit monticule qui domine une plaine de peu d’étendue, qui s’étend au pied d’un des contreforts de la chaîne du Tambaoura qui traverse le Bambouck du Nord au Sud, et que l’on aperçoit à l’horizon. Ce village est complètement ouvert. Seules, les cases du chef sont entourées d’un tata élevé et bien entretenu. Sansando est assez propre.

Le chef, Diourouba-Sisoko, est un vieillard d’environ 70 ans. Il me reçut à merveille et me logea très bien dans une belle case située au centre du village. Je m’y trouvai si bien que je décidai de rester un jour de plus à Sansando ; car, après les fatigues que nous avions éprouvées depuis Badon, nous avions tous besoin de repos.

De Faraba à Sansando la route suit une direction Est-Nord-Est, et la distance qui sépare ces deux villages est d’environ dix-neuf kilomètres.

Notes sur le Sintédougou. — C’est à tort que l’on regarde le Sintédougou comme faisant partie, absolument intégrante, du Koukodougou. Certes, ces deux pays ont bien des points communs, mais ils sont absolument indépendants l’un de l’autre au point de vue politique. Il s’étend sur les deux rives de la Falémé ; mais la partie située à l’Est de cette rivière est seule habitée. Il a environ, dans ses plus grandes dimensions, cinquante kilomètres de l’Est à l’Ouest et trente du Nord au Sud. Sa superficie atteint douze cents kilomètres carrés, et sa population ne dépasse pas 2,500 habitants. Ce qui nous donne à peu près 2,3 habitants par kilomètre carré. Dans sa région Ouest, c’est un pays de steppes, et dans sa région Est, un pays de montagnes. Il confine, à l’Ouest, au Dentilia ; au Nord, au Diébédougou et au Bafé ; à l’Est, au Koukodougou ; au Sud, au pays de Satadougou et au Koukodougou. Il est supérieurement arrosé par la Falémé qui coule sur son territoire pendant vingt-cinq kilomètres et par les marigots qui s’y jettent. Sur sa rive gauche, nous ne trouvons que le Daléma-Kô, et sur sa rive droite nous avons, du Sud au Nord, le Senkouli-Kô, le Kelougo-Kô qui reçoit le Bokkolengo-Kô ; le Dandé-Kô, qui reçoit le Koukokolendi-Kô, et enfin le Diombokho-Kô, qui borne sa frontière Nord. Ce dernier marigot reçoit deux affluents importants : le Soroukoloukilé-Kô, qui passe à peu de distance de Dioulafoundoundi, et le Yaranbouré-Kô, qui passe à un kilomètre et demi environ de Soukoutola au Nord de ce village et dans les environs de Galassi. Tous ces marigots sont alimentés, surtout pendant l’hivernage, par les eaux qui coulent le long des versants des nombreuses montagnes que l’on trouve dans cette région. Au point de vue orographique, le Sintédougou fait partie du système général du Koukodougou, que l’on peut considérer comme un véritable épanouissement de la chaîne du Tambaoura.

La constitution géologique de son sol est la même que celle des autres parties du Soudan. Le terrain ardoisier et le terrain ferrugineux sont les seuls que l’on y rencontre. Ils sont recouverts soit par des argiles, soit par une mince couche de latérite. Les roches que l’on y trouve sont caractéristiques de ces terrains. Dans le premier ce sont des schistes, dans le second des grès, des quartz simples, ferrugineux ou aurifères. La flore est horriblement pauvre. Seuls les terrains à latérite sont cultivés. La faune, par contre, est riche. On y trouve tous les animaux nuisibles ou non que l’on rencontre au Soudan et les animaux domestiques y sont représentés surtout par les bœufs, les chèvres et les moutons. Pas de chevaux, mais beaucoup de poulets.

La population du Sintédougou est uniquement formée de Malinkés de la famille des Sisokos. Venus du Manding, dit la légende, sous la conduite de Kilia-Moussa-Sisoko, frère de Noïa-Moussa-Sisoko, le grand colonisateur du Bambouck, ils se fixèrent d’abord dans le Konkodougou, d’où ils chassèrent les Dabos. Mais, chassés à leur tour par les Tarawarés et les Couloubalys venus également du Manding sous la conduite de Sambou-Senouman-Couloubaly, ils se réfugièrent sur les bords de la Falémé où ils formèrent le Sintédougou. La majorité d’entre eux gagna le Bambougou et se fixa auprès des descendants de Noïa-Moussa-Sisoko à Kama, Kourba et dans le Diébédougou. Les Sisokos forment dans le Sintédougou douze villages qui sont :

Soukoutola. Dialafara. Naréna.
Dioulafoundoundi. Mokaiafara. Sanangau.
Sansando. Fombiné. Linguékoto.
Kéniéba. Goléa. Faraba.

Le chef du pays est un peu mieux obéi que dans les autres Etats Malinkés ; cela tient à ce que les chefs de villages appartiennent tous à sa famille et lui touchent de près.

Les Sisokos du Sintédougou vivent en bonne intelligence avec le Dentilia et le Diébédougou. Ils n’ont que peu de relations avec les Malinkés du Sintédougou. Les Peulhs du Tamgué viennent, d’après ce qu’ils m’ont dit, souvent les piller. Ils s’avancent jusque là après avoir traversé le Gounianta et le Dentilia. Peu nombreux, en général, car ils sont excessivement redoutés, ils parcourent le pays par groupes de huit ou dix au plus, volent les bœufs dans la brousse, les captifs, les enfants et les femmes dans les lougans et jusque sous les murs des villages. Nous n’avons pas besoin de dire qu’ils peuvent, sans courir aucun danger, se livrer à leurs incursions, car la frayeur qu’ils inspirent aux Malinkés est telle que dix Peulhs suffiraient pour faire fuir deux cents des leurs, alors même qu’ils seraient sans armes et les autres armés.

Le Sintédougou est placé depuis 1887 sous le protectorat de la France. Il dépend du cercle de Bafoulabé. La situation y est excellente et il est absolument inféodé à notre cause. Il paye, sans récrimination aucune, le faible impôt que nous lui demandons.

La récolte de l’or est, pendant la saison sèche, la principale occupation de ses habitants. C’est à Kénieba, Saougou et Mokaiabana que se trouvent les principaux gisements. Là, le rendement est relativement faible, car l’eau vient souvent à manquer et l’on ne peut plus alors laver les sables. A Faraba, au contraire, on en récolte des quantités relativement considérables. Lorsque la Falémé, en se retirant, à la fin de l’hivernage, a laissé à découvert une assez grande étendue de terrains, les habitants creusent des puits sur les bords et en lavent la vase et les sables. Ces puits ont tout au plus deux mètres de profondeur. Un homme travaillant toute la journée gagne environ deux francs par jour, tandis que, dans les mines de l’intérieur, il ne gagnerait pas plus de soixante centimes. C’est la principale, pour ne pas dire l’unique ressource du pays.

26 janvier. — Je passai deux bonnes journées à Sansando et quittai cet hospitalier village le 26 janvier, à quatre heures et demie du matin, par une température des plus agréables. La route se fit rapidement. A un kilomètre et demi du village nous traversons le marigot de Koukokolendi-Kô : un peu plus loin, celui de Soroncolenkilé et, enfin, à cinq heures quarante-cinq, nous traversons, sans nous y arrêter, le village de Dioulafoundoundi. Le jour commence à poindre. Le soleil se lève brillant derrière la cîme du Tambaoura.

Dioulafoundoundi est un village qui n’a pas plus aujourd’hui de trois cents habitants. Son nom veut dire : « le petit Dioulafoundou », sans doute pour ne pas le confondre avec le village de Dioulafoundou, qui est situé dans le Konkodougou. Il fut construit par les premiers Sisokos qui quittèrent le Konkodougou après la conquête de ce pays par les Couloubalys et les Tarawarés. Ancienne résidence du chef, ce pays, depuis le départ de ce dernier, a vu sa population diminuer considérablement, et la plus grande partie de ses cases tomber littéralement en ruines. Il n’existe plus que quelques vestiges de l’ancien tata, qui devait être assez fort. Le chef actuel est le propre frère de Diourouba-Sisoko, le chef du Sintédougou. Il était déjà venu me saluer à Sansando.

A environ un kilomètre et demi du village, nous traversons le marigot de Diombokho et, à six heures trente, nous faisons halte dans le petit village de Soukoutola.

Soukoutola est un village d’environ deux cent cinquante habitants. C’est le dernier village du Sintédougou au Nord. Jamais je n’ai rien vu de plus sale, de plus mal entretenu, de plus Malinké, en un mot, que ce village, dont les cases et le tata tombent littéralement en ruines. Les habitants ne se donnent même pas la peine de reconstruire les toits en paille qui recouvrent leurs habitations. Ils sont d’une malpropreté repoussante et complètement abrutis, dans le sens exact du mot.

Pendant que je me reposais sous un magnifique fromager, l’arbre à palabres du village, un marabout vint me saluer et me rappela les circonstances dans lesquelles il m’avait connu. Je l’avais rencontré, en 1889, à Guénou-Goré, où il assistait de ses conseils le chef de ce village Foali qui nous avait rendu de réels services et nous était très dévoué. Je ne manquai pas de lui demander des nouvelles de son ami et il me répondit qu’il avait été bien éprouvé cette année. Il avait perdu trois de ses femmes, et la moitié de son village était morte d’une maladie qu’aucun médicament ne pouvait guérir. Lorsqu’en arrivant à Bafoulabé, j’appris combien nos troupes avaient été décimées, dès le début de la campagne, par une épidémie terrible dont la nature n’est pas encore établie d’une façon définitive, j’ai bien regretté de ne pas l’avoir su plus tôt, car je n’aurais pas manqué de me rendre à Guénou-Goré afin de constater s’il n’y avait pas quelque lien de parenté entre ces deux épidémies.

A 6 h. 45 nous nous remîmes en route ; dix minutes après, à un kilomètre du village, nous traversons le marigot de Yaranbouré qui, en cette région, forme la limite entre le Sintédougou et le Diébédougou. Peu après, nous franchissons une petite colline du haut de laquelle nous voyons se dérouler devant nous le plus splendide des panoramas. C’est la vallée de Batama. Le coup d’œil est féérique : à notre droite, toute la chaîne du Tambaoura ; à gauche, la plaine immense qui s’étend jusqu’à la rive droite de la Falémé ; en face, enfin, barrant la vallée dans le nord, le contrefort de la chaîne centrale qu’il nous faudra gravir pour arriver à Yatéra. Par une pente douce nous arrivons dans l’immense plaine. La route longe, à un kilomètre à peine, le Tambaoura, et, à huit heures dix minutes, nous arrivons enfin à Mouralia, où nous allons passer la journée.

De Sansando à Mouralia, la route suit une direction générale Nord et la longueur de l’étape est d’environ dix-sept kilomètres. On rencontre pour la parcourir de réelles difficultés. Citons d’abord les marigots dont la traversée demande de grandes précautions. Celui de Yaranbouré avec ses bords à pic et son lit de vase n’est pas d’un accès facile et demande une grande prudence. Ailleurs, la route est profondément ravinée et peu praticable pour les animaux.

Au point de vue géologique, toujours les mêmes terrains. De Sansando à Dioulafoundoundi, les argiles et la latérite alternent ; mais c’est cette dernière qui domine. A partir de Dioulafoundoundi et jusqu’à Soukoutola, nous rencontrons des argiles et du terrain ferrugineux. En quittant Soukoutola, et, après avoir traversé un vaste marécage, on arrive sur un plateau de latérite de plusieurs kilomètres de longueur où se trouvent de beaux lougans. De ce point à Mouralia, quand on est descendu dans la vallée du Batama, nous n’avons plus que de l’argile dans la plaine et des roches ferrugineuses au pied du Tambaoura. Enfin, autour de Mouralia, nous retrouvons la latérite et les sables aurifères apparaissent ; mais c’est surtout à l’Ouest du village que se trouvent les mines les plus importantes. — La végétation est peu riche et peu variée. Toute cette contrée est excessivement riche en karités de la variété Shée surtout. Citons encore quelques rares fromagers et quelques lianes à caoutchouc sur les bords des marigots. Les lougans sont, en général, maigres et mal entretenus.

Mouralia est un village Malinké de 450 habitants environ. La population sédentaire est uniquement formée de Sisokos. Quant à la population flottante ou y trouve des représentants de toutes les races qui habitent les contrées voisines. Ce sont surtout des dioulas qui s’y rendent en grand nombre pendant la saison sèche pour y acheter de l’or. Je l’avais déjà visité en 1889. Il a peu changé d’aspect depuis cette époque. J’ai constaté toutefois avec plaisir que le chef avait fait reconstruire ses cases et son tata. Quelques habitants semblent vouloir en faire autant pour leurs demeures particulières. Du tata qui entourait autrefois le village il ne reste plus que quelques vestiges. Le village est toujours aussi sale et ses habitants sont toujours aussi malpropres. Mouralia fait partie du Diébédougou. C’est, dans cette région, le village le plus septentrional.

Aux environs de Mouralia et surtout au Sud et à l’Ouest du village, se trouvent les fameuses mines d’or du Bambouck. A cette époque de l’année, on commence à peine à y travailler. Ce n’est guère qu’en février que l’exploitation bat son plein. Elle dure jusqu’au mois de Juin, époque à laquelle l’eau vient à manquer : car là encore on ne connaît pour découvrir le métal précieux que le lavage des sables. Pendant l’hivernage, on ne se livre pas à ce travail, et cela pour deux raisons : la première est que les Noirs sont alors occupés aux travaux des champs, la seconde, qui est capitale, c’est que pendant la saison des pluies l’or que l’on trouve est en très petite quantité. Les indigènes prétendent, pour expliquer ce fait, que, pendant la saison des pluies, l’or se promène et qu’on ne peut l’attraper. Cette explication fantaisiste du manque d’or dans les puits, pendant l’hivernage, a cependant sa raison d’être. Voici quelles en sont les causes, à notre avis. Tout l’or que l’on trouve dans les marigots et les sables du Diébédougou provient des montagnes environnantes. Les quartz aurifères qui sont si abondants dans le Tambaoura, se désagrégent par les grandes pluies, et les paillettes de métal sont entraînées. A la baisse des eaux, elles se déposent dans le fond des marigots et sur les sables des vallées où on les récolte. Ce qui pourrait justifier ce que nous venons d’avancer, c’est ce fait, à savoir que là où l’on en trouve le plus, c’est précisément dans les racines, le chevelu des bambous où il est plus facilement arrêté.

L’or que l’on récolte à Mouralia se présente en paillettes. Les forgerons en confectionnent de gros anneaux de 12 à 15 grammes, et c’est ainsi qu’il se trouve dans le commerce. Les pépites sont excessivement rares, et la quantité qu’en contiennent certaines roches, comme les quartz, par exemple, est absolument infime.

Quand les récoltes sont terminées et que l’on estime que l’or « ne se promène plus », de tous les coins du Diébédougou on accourt à Mouralia. Le nombre des chercheurs peut être évalué à environ un millier, et en peu de temps, sur le terrain même que l’on exploite, s’élève un village en paille beaucoup plus considérable que Mouralia lui-même. Point n’est besoin de dire que ce sont les femmes et les enfants que ce travail regarde. Du reste, dans cet étrange pays, les hommes faits sont créés et mis au monde pour ne rien faire. Le procédé d’extraction employé est des plus primitifs : on se contente, comme je le disais plus haut, de laver les sables dans des calebasses. On comprend aisément combien doit être grand le déchet. A l’Ouest de Mouralia surtout, le sol est absolument bouleversé, creusé d’un grand nombre de puits d’où l’on extrait le sable aurifère, et fouillé dans toutes les directions. Le rendement est très peu lucratif, et un bon travailleur ne gagne pas plus, en moyenne, de 1 fr. à 1 fr. 30 par jour. Ils auraient plus de bénéfice à cultiver leurs lougans avec plus de soin et à en augmenter la superficie.

La chaîne de collines du Tambaoura qui traverse tout le Bambouck du Nord-Ouest au Sud-Est, peut être comparée, dans son ensemble, à une véritable arête de poisson dont le corps serait formé par la partie centrale, la queue par la partie Nord, et la tête par le massif du Koukodougou. Dans sa partie centrale, en effet, le Tambaoura émet, à l’Ouest et à l’Est, de nombreux contreforts qui forment les systèmes orographiques du Bambougou, du Kouroudougou, du Diébédougou et du Kamana. Elle traverse le Tambaoura, le Diabeli et le Diébédougou. Au Sud, elle s’épanouit en un massif, un nœud que l’on peut regarder comme une véritable dilatation du Tambaoura. Cette partie du système orographique du Bambouck porte le nom de Kouroudougou. De ce massif se dirige, vers le Sud, une série de collines, d’arêtes qui viennent mourir dans le Dialloungala. Ce sont ces collines, ces arêtes qui forment le système orographique du Koukodougou. La direction de ces collines est en éventail, de l’Est à l’Ouest et tournée vers le Sud. En certains points, elles se rejoignent, se confondent pour former de véritables massifs secondaires, dont les principaux seraient ceux de Dumbia à l’Est, de Tombé au Sud-Est, et de Kéniéba au Sud-Ouest. Ces massifs secondaires sont réunis entre eux par une chaîne ininterrompue de collines relativement élevées et absolument à pic.

Véritable falaise de 150 à 200 mètres de hauteur, elle forme de Tombé à Kéniéba une muraille d’où naissent, au Sud, les vallées que laissent entre elles les collines émanées du Kouroudougou. Deux trouées seulement permettent, au Sud, de franchir cette gigantesque barrière. Ce sont les trouées de Tombé et de Linguékoto. La route y est très mauvaise pour les piétons, comme pour les animaux. Au Nord, nous trouvons également deux passages : l’un à l’Ouest, par la vallée de Batama et le col de Dioulafoundoudi, l’autre à l’Est par Kobato et Dioulafoundou. Cette dernière route est exécrable et présente de grandes difficultés.

Dans sa partie Nord, la chaîne centrale du Tambaoura se divise en deux branches principales dont l’une, dirigée à l’Est, traverse le Niambia et le Natiaga et vient se rejoindre aux collines qui longent la rive gauche du Sénégal. La seconde, la plus importante, continue la chaîne origine et vient se terminer après avoir traversé le Niagala au plateau du Félou non loin de Médine. Elle émet de nombreux contre-forts à l’Est et à l’Ouest dans le Niambia, le Natiaga, le Kamana et le Niagala ; un de ces contre-forts se termine non loin de Khayes par la montagne de Paparaha. Le plateau sur lequel est construit Médine fait aussi partie de ce système orographique auquel se rattachent, du reste, les collines de toute cette partie du Soudan.

Le Tambaoura a dans toute sa longueur l’aspect d’une véritable falaise à pic, absolument abrupte, stérile et inhabitée. Son plateau est absolument dénudé, et ses flancs profondément ravinés. Les grandes pluies d’hivernage entraînent, en effet, dans les plaines, le peu de terre végétale qui pourrait s’y former. En certains endroits, les roches qui le forment sont disposées en assises régulières, en d’autres, au contraire, c’est un chaos absolument indescriptible. Les éléments géologiques que l’on y trouve sont des plus variés ; mais ce sont les grès, les quartz et les schistes qui y dominent. Les conglomérats ferrugineux se rencontrent de préférence au pied de cette immense falaise. Toutes ces roches contiennent plus ou moins de fer. Le granit y est peu abondant. On ne l’y trouve jamais en bancs prolongés, mais simplement sous forme de blocs erratiques, isolés au milieu des grès ou des quartz. La plupart des roches du Tambaoura sont usées, limées par les eaux et souvent affectent les formes les plus étranges et les plus fantastiques.

Je fus très bien reçu à Mouralia, et le chef, qui m’avait de suite reconnu, me fit mille prévenances et ne nous laissa manquer de rien. Je passai dans son village une excellente journée. Tous les dioulas qui s’y trouvaient vinrent me saluer et parmi eux il s’en trouvait quelques-uns que je connaissais depuis longtemps déjà pour les avoir rencontrés à Khayes, Bakel ou Médine. Dans la soirée, j’envoyai un courrier à Yatéra pour y annoncer mon arrivée pour le lendemain.

27 janvier. — Nuit très chaude. Brise de Nord-Est. Ciel bas et couvert. Chaleur lourde. Au lever du soleil, ciel couvert. Quelques gouttes de pluie. Chaleur étouffante. C’est le petit hivernage qui commence. Ma santé est toujours aussi précaire et j’ai presque tous les jours des accès de fièvre que la quinine n’arrive même plus à combattre. Il est temps que j’arrive dans un centre européen. Je n’en puis plus.

Nous quittons Mouralia à quatre heures vingt du matin, par une nuit noire. La route se fait rapidement. A cinq heures dix nous traversons le village de Sekonomata.

Sekonomata est un village Malinké d’environ six cents habitants. Depuis 1889, époque à laquelle je l’avais déjà visité, il s’est beaucoup accru et, actuellement, on y construit de nouveau. Cela tient à ce que l’on a recommencé à chercher de l’or dans ses environs. Le tata du chef et celui du village nous ont parus en assez bon état. Nous le traversons sans nous y arrêter. Il y avait, il y a environ vingt ans, à Sokonomata, une mine d’or qui, d’après les renseignements que j’ai pu me procurer, était beaucoup plus riche que celles de Mouralia. Mais l’or y disparut en peu d’années. Aussi fut-elle abandonnée pendant douze ou quinze ans. Quand nous y sommes passés en 1889, elle n’était pas exploitée. Il paraîtrait que le métal précieux y a reparu en grande abondance et, depuis deux années, on y travaille même pendant l’hivernage.

Aucun incident à noter pendant le trajet de Sekonomata à Batama, où nous arrivons à six heures trente, après avoir traversé un peu avant le village le marigot de Sagouia-Kô.

Batama est un village Malinké de quatre cent cinquante habitants environ. Nous l’avions déjà visité en 1889 et il est loin d’avoir prospéré depuis cette époque. La plupart de ses cases tombent en ruines et les habitants ne font rien pour réparer ces désastres du temps. Il est d’une saleté repoussante, de même que ses habitants, du reste. Son tata est en ruines dans sa plus grande partie et le tata du chef n’est même pas en bon état. Nous faisons la halte sous l’arbre où nous avions campé, il y a trois ans. Les notables et le fils du chef viennent me saluer. Après un repos d’un quart d’heure, nous nous remettons en route. A un kilomètre et demi du village nous traversons le Diati-Kô, sur les bords duquel nous constatons la présence d’une dizaine de fours servant à extraire le fer. A 7 heures 30 nous arrivons au pied d’un contrefort du Tambaoura, qu’il va falloir gravir. Les porteurs l’enlèvent pour ainsi dire au pas de course ; quant à moi, ne pouvant l’escalader à cheval, il me faut une demi-heure pour arriver au sommet. Mais aussi quand on est sur le plateau qui couronne ce mamelon, quel spectacle enchanteur se déroule aux yeux. On se trouve là sur un des points les plus élevés du Tambaoura. Devant nous s’étale toute la vallée de Batama et nous pouvons même découvrir au Sud les premières collines de Konkodougou. C’est un des plus beaux points de vue que j’aie jamais admirés.

La route se fait sans encombre jusqu’à Yatéra, but de l’étape, où nous arrivons, exténués, vers neuf heures. — De Mouralia à Yatéra on suit à peu près une direction générale Nord et l’étape n’a pas moins de vingt kilomètres. Elle présente deux grosses difficultés. D’abord le passage du Sagouia-Kô, un peu avant d’arriver à Batama, et, en second lieu, l’ascension du Tambaoura. Le passage du Sagouia-Kô est rendu difficile par la vase qui obstrue son lit et par l’argile qui rend ses bords excessivement glissants. L’ascension du Tambaoura présente des difficultés bien plus grandes. C’est par un sentier de chèvres, à pic et transformé par les roches en véritables escaliers, dans sa partie supérieure, que l’on arrive au sommet. Dans cette moitié, le sentier longe le flanc de la montagne. Au-dessous de nous, la falaise est à pic, ce qui rend l’ascension fort dangereuse, pour les animaux surtout. Sur le plateau, on a environ un kilomètre à faire au milieu des roches ; ce qui demande de grandes précautions. Partout ailleurs, la route est excellente.

La nature du terrain de Mouralia au Tambaoura est absolument argileuse partout, sauf en deux ou trois endroits où l’on trouve la latérite. Aux environs de Sekonomata et de Batama se trouvent encore des bancs de sables aurifères. Le sous-sol du Tambaoura au point où on le traverse est formé de schistes, de quartz et de rares conglomérats ferrugineux. Le pente est si raide qu’il n’y a pas trace de terre végétale. Le sol est profondément raviné et la roche se montre à nu partout. Mentionnons, à son sommet, un vaste ilot de latérite auquel succèdent des argiles qui nous conduisent jusqu’aux environs de Yatéra, où reparaît la latérite.

La végétation est peu riche partout. Signalons toutefois dans la vallée de nombreux karités et quelques palmiers sur les bords des marigots. Sur le plateau de Yatéra, les karités abondent ainsi que les palmiers et les lianes à caoutchouc, le long du Faracoumba-Kô, qui passe à quelques centaines de mètres au Sud-Est du village. Mentionnons encore de splendides caïl-cédrats.

Yatéra est un village malinké dont la population, entièrement formée de Sisokos, peut s’élever à environ 600 habitants. Comme Batama, il est loin d’avoir prospéré. Il tombe littéralement en ruines et sa population a considérablement diminué. Yatéra est entouré de toutes parts par la chaîne principale et les contre-forts du Tambaoura, et est construit, au milieu de cette gorge, sur un petit monticule qui domine de fort peu la plaine enserrée par les montagnes. Au pied du village se trouve un petit marigot, à sec pendant la belle saison, le Faracoumba-Kô. Dans son lit se trouve actuellement bon nombre de petits jardinets plantés avec soin de tabac et d’oignons. Il n’existe plus que des vestiges sans importance de l’ancien tata du village. Le tata du chef lui-même commence à tomber en ruines.

Cané-Mady-Sisoko, le chef actuel de Yatéra, avait fait construire, il y a une vingtaine d’années, une véritable maison européenne à à un étage, surmonté d’une terrasse. D’après ce qu’il me disait, cela lui avait coûté plus de 3,500 gros d’or, soit environ trente mille francs. Cet édifice, élevé sans chaux et maçonné uniquement avec de l’argile, ne devait pas durer longtemps. Déjà, en 1889, quand nous l’avions visité, il menaçait ruine. Il s’est écroulé complètement pendant l’hivernage de 1891. Il n’en reste plus aujourd’hui que les décombres.

Je suis à Yatéra en pays de connaissance, car en 1889 nous y avions passé quelques jours, et beaucoup de guerriers du village, sous la conduite du frère du chef, Cané-Moussa-Sisoko, avaient fait campagne avec nous dans le Konkodougou et avaient pris part au combat de Dumbia. Aussi y suis-je très-bien reçu. Il me faut subir des visites, pendant toute la journée, auxquelles je ne puis me soustraire, malgré la lassitude extrême qui m’accable. Dans la soirée, j’expédie un courrier à Guibourya pour y annoncer mon arrivée pour le lendemain.

28 janvier. — La nuit a été très fraîche, il a fait une forte brise d’ouest. Légère pluie vers quatre heures du matin. Au lever du jour, ciel couvert et bas. Soleil voilé pendant deux heures environ, il tombe de temps en temps quelques gouttes de pluie. Température assez bonne, buée épaisse à l’horizon. Les préparatifs du départ sont lestement faits et, à six heures précises, nous nous mettons en route, il fait à peine jour, tant le ciel est couvert. Nous marchons rapidement ; à 6 h. 30, nous franchissons un premier contre-fort du Tambaoura et, à 6 h. 50, nous traversons le marigot de Sansan-Kô, dont le lit est formé de quartz et de sables aurifères. La même roche se trouve sur ses rives, et quand nous y passâmes, il commençait à s’y élever quelques huttes de chercheurs. Ce placer est surtout exploité par les habitants de Yatéra. Dix minutes plus loin et nous sommes au petit village de Malaoulé.

Malaoulé est un village d’environ 150 habitants. Il est uniquement habité par les captifs de Cané-Mady, chef de Yatéra : ils cultivent là ses lougans pendant la saison des pluies et extraient l’or du Sansan-Kô pendant la saison sèche. Il est situé dans une petite vallée, comprise entre deux contreforts du Tambaoura.

A 7 h. 30 nous franchissons le contrefort qui limite au Nord cette petite vallée, et à 8 h. nous sommes à Koudoréah, où nous faisons une halte d’un quart d’heure.

Koudoréah est un village Malinké de 350 habitants. Inutile de dire que c’est la quintessence de la malpropreté. Il ne possède pas de tata extérieur. Les cases du chef sont entourées d’un petit tata fort mal entretenu, comme tout le village du reste. Koudoréah est situé sur un plateau rocheux où l’on rencontre par ci par là quelques ilots de terre végétale. A quelques centaines de mètres du village, nous arrivons sur la crête du versant Nord de ce plateau qu’il va falloir descendre. Ce passage nous prend environ trois quarts d’heure, pendant lesquels nous n’avons marché qu’à travers les rochers les plus escarpés. Enfin tout se passe sans incidents et à 9 h. 15 nous sommes à Guibourya.

La route de Yatéra à Guibourya suit une direction Nord et la distance qui sépare ces deux villages est environ de 13 kilom. 500. Elle est littéralement hérissée d’obstacles et de difficultés. Je n’en ai jamais rencontré de plus mauvaise. Le passage du marigot de Sansan-Kô est très facile. Il n’en est pas de même des contreforts du Tambaoura que l’on a à franchir. A 2 kilom. 1/2 de Yatéra, il faut descendre dans un profond ravin, par un sentier abrupt, absolument transformé en escaliers. Ce passage a environ 800 mètres de longueur. A trois kilomètres de Malaoulé, nous trouvons un second passage aussi difficile. Il mesure à peu près un kilomètre de longueur. Mais celui qui, de tous, offre le plus de dangers, surtout pour les animaux, c’est celui de Koudoréah. Ce n’est qu’une succession de véritables falaises qu’il faut escalader, des sentiers hérissés de roches glissantes où on n’avance qu’à grand peine et en prenant mille précautions. Tout cela est absolument à pic.

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