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Histoire de l'Afrique Septentrionale (Berbérie) depuis les temps les plus reculés jusqu'à la conquête française (1830) ( Volume I)

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The Project Gutenberg eBook of Histoire de l'Afrique Septentrionale (Berbérie) depuis les temps les plus reculés jusqu'à la conquête française (1830) ( Volume I)

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Title: Histoire de l'Afrique Septentrionale (Berbérie) depuis les temps les plus reculés jusqu'à la conquête française (1830) ( Volume I)

Author: Ernest Mercier

Release date: February 2, 2009 [eBook #27970]
Most recently updated: June 28, 2020

Language: French

Credits: Produced by Mireille Harmelin, Rénald Lévesque and the
Online Distributed Proofreaders Europe at
http://dp.rastko.net. This file was produced from images
generously made available by the Bibliothèque nationale
de France (BnF/Gallica)

*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK HISTOIRE DE L'AFRIQUE SEPTENTRIONALE (BERBÉRIE) DEPUIS LES TEMPS LES PLUS RECULÉS JUSQU'À LA CONQUÊTE FRANÇAISE (1830) ( VOLUME I) ***





HISTOIRE

DE

L'AFRIQUE SEPTENTRIONALE

(BERBÉRIE)

DEPUIS LES TEMPS LES PLUS RECULÉS

JUSQU'À LA CONQUÊTE FRANÇAISE (1830)
PAR

Ernest MERCIER

TOME PREMIER



PARIS
ERNEST LEROUX, ÉDITEUR
28, RUE BONAPARTE, 28

1888


DU MÊME AUTEUR


Histoire de l'établissement des Arabes dans l'Afrique septentrionale, selon les auteurs arabes. 1 vol. grand in-8, avec deux cartes.--Marle (Constantine).--Challamel (Paris), 1875.

Le cinquantenaire de l'Algérie.--L'Algérie en 1880. l vol. in-8,--Challamel (Paris), 1880.

L'Algérie et les questions algériennes. 1 vol. in-8.--Challamel, 1883.

Comment l'Afrique septentrionale a été arabisée. Brochure in-8.--Marle, 1874.

La bataille de Poitiers et les vraies causes du recul de l'invasion arabe. Mémoire publié par la Revue historique.--Paris, 1878.

Constantine, avant la conquête française (1837). Notice sur cette ville à l'époque du dernier bey (avec une carte).--Mémoire publié par la Société archéologique de Constantine, 1878.--Braham, éditeur.

Constantine au XVIe siècle. Elévation de la famille El Feggoun.--Société archéologique de Constantine. 1878.--Braham, éditeur.

Notice sur la confrérie des Khouan Abd-el Kader-el Djilani, publiée par la Société archéologique de Constantine, 1868.

Les Arabes d'Afrique jugés par les auteurs musulmans. (Revue africaine, nº 98, 1873.)

Examen des causes de la croisade de saint Louis contre Tunis (1270). (Revue africaine, nº 94.)

Episodes de la conquête de l'Afrique par les Arabes. Kocéïla. La Kahena.--Mémoire publié par la Société archéologique de Constantine, 1883.

Les Indigènes de l'Algérie. Leur situation dans le passé et dans le présent. Revue libérale, 1884.

Le Cinquantenaire de la prise de Constantine (13 octobre 1837). Brochure in-8.--Braham, éditeur à Constantine (Octobre 1887).

Commune de Constantine. Trois années d'administration municipale. Brochure in-8.--Braham, éditeur à Constantine (Octobre 1887).


_____________________________________________
CHARTRES. IMPRIMERIE DURAND, RUE FULBERT.




TABLE DES MATIÈRES


Préface.

Système adopté pour la transcription des noms arabes.

Introduction: Description physique et géographique de l'Afrique septentrionale. Divisions géographiques adoptées par les anciens. Divisions géographiques adoptées par les Arabes.

Ethnographie.--Origine et formation du peuple berbère.


PREMIÈRE PARTIE

PÉRIODE ANTIQUE
(Jusqu'en 642 de l'ère chrétienne)

Chapitre I.--Période phénicienne (1100-268 av. J.-C).

Sommaire:

Temps primitifs.
Les Phéniciens s'établissent en Afrique.
Fondation de Cyrène par les Grecs.
Données géographiques d'Hérodote.
Prépondérance de Karthage.
Découvertes de l'amiral Hannon.
Organisation politique de Karthage.
Conquête de Karthage dans les îles et sur le littoral de la Méditerranée.
Guerres de Sicile.
Révolte des Berbères.
Suite des guerres de Sicile.
Agathocle, tyran de Syracuse.--Il porte la guerre en Afrique.
Agathocle évacue l'Afrique.
Pyrrhus, roi de Sicile.--Nouvelles guerres dans cette contrée.
Anarchie en Sicile.

Chapitre II.--Première guerre punique (268-220).

Sommaire :

Causes de la première guerre punique.
Rupture de Rome avec Karthage.
Première guerre punique.
Succès des Romains en Sicile.
Les Romains portent la guerre en Afrique.
Victoire des Karthaginois à Tunis.--Les Romains évacuent l'Afrique.
Reprise de la guerre en Sicile.
Grand siège de Lylibée.
Bataille des îles Égates.--Fin de la première guerre punique.
Divisions géographiques de l'Afrique adoptées par les Romains.
Guerre des Mercenaires.
Karthage, après avoir rétabli son autorité en Afrique, porte la guerre en Espagne.
Succès des Karthaginois en Espagne.

Chapitre III.--Deuxième guerre punique (220-201).

Sommaire :

Hannibal commence la guerre d'Espagne. Prise de Sagonte.
Hannibal marche sur l'Italie.
Combat du Tessin; batailles de la Trébie et de Trasimène.
Hannibal au centre et dans le midi de l'Italie; bataille de Cannes.
Conséquences de la bataille de Cannes.--Énergique résistance de Rome.
La guerre en Sicile.
Les Berbères prennent part à la lutte. Syphax et Massinissa.
Guerre d'Espagne.
Campagne de Hannibal en Italie.
Succès des Romains en Espagne et en Italie; bataille du Mètaure.
Evénements d'Afrique; rivalité de Syphax et de Massinissa.
Massinissa, roi de Numidie.
Massinissa est vaincu par Syphax. Evénements d'Italie; l'invasion de l'Afrique est résolue.
Campagne de Scipion en Afrique.
Syphax est fait prisonnier par Massinissa.
Bataille de Zama.
Fin de la deuxième guerre punique; traité avec Rome.

Chapitre IV.--Troisième guerre punique (201-146).

Sommaire:

Situation des Berbères en l'an 201.
Hannibal, dictateur de Karthage; il est contraint de fuir. Sa mort.
Empiétements de Massinissa.
Prépondérance de Massinissa.
Situation de Karthage.
Karthage se prépare à la guerre contre Massinissa.
Défaite des Karthaginois par Massinissa.
Troisième guerre punique.
Héroïque résistance de Karthage.
Mort de Massinissa.
Suite du siège de Karthage.
Scipion prend le commandement des opérations.
Chute de Karthage.
L'Afrique province romaine.

Chapitre V.--Les rois berbères vassaux de Rome (146-89).

Sommaire:

L'élément latin s'établit en Afrique.
Règne de Micipsa.
Première usurpation de Jugurtha.
Défaite et mort d'Adherbal.
Guerre de Jugurtha contre les Romains.
Première campagne de Métellus contre Jugurtha.
Deuxième campagne de Métellus.
Marius prend la direction des opérations. Chute de Jugurtha.
Partage de la Numidie.
Coup d'œil sur l'histoire de la Cyrénaïque; cette province est léguée à Rome.

Chapitre VI.--L'Afrique pendant les guerres civiles (89-46).

Sommaire:

Guerre entre Hiemsal II et Yarbas.
Défaite des partisans de Marius en Afrique; mort de Yarbas.
Expéditions de Sertorius en Maurétanie.
Les pirates africains châtiés par Pompée.
Juba I successeur de Hiemsal II.--Il se prononce pour le parti de Pompée.
Défaite de Curion et des Césariens par Juba.
Les Pompéiens se concentrent en Afrique après la bataille de Pharsale.
César débarque en Afrique.
Diversion de Sittius et des rois de Maurétanie.
Bataille de Thapsus, défaite des Pompéiens.
Mort de Juba.--La Numidie orientale est réduite en province romaine.
Chronologie des rois de Numidie.

Chapitre VII.--Les derniers rois berbères (46 avant J.-C.--43 après J.-C.).

Sommaire:

Les rois maurétaniens prennent parti dans les guerres civiles.
Arabion rentre en possession de la Sétifienne.
Lutte entre les partisans d'Antoine et ceux d'Octave.
Arabion se prononce pour Octave.
Arabion s'allie à Sextius, lieutenant d'Antoine; sa mort.
L'Afrique sous Lépide.
Bogud II est dépossédé de la Tingitane. Bokkus III réunit toute la Maurétanie sous son autorité.
La Berbérie rentre sous l'autorité d'Octave.
Organisation de l'Afrique par Auguste.
Juba II roi de Numidie.
Juba roi de Maurétanie.
Révolte des Berbères.
Mort de Juba II; Ptolémée lui succède.
Révolte des Tacfarinas.
Assassinat de Ptolémée.
Révolte d'Ædémon. La Maurétanie est réduite en province romaine.
Division et organisation administrative de l'Afrique romaine.
Chronologie des rois de Maurétanie.

Chapitre VIII.--L'Afrique sous l'autorité romaine (43-297).

Sommaire:

Etat de l'Afrique au Ier siècle; productions, commerce, relations.
Etat des populations.
Les gouverneurs d'Afrique prennent part aux guerres civiles.
L'Afrique sous Vespasien.
Insurrection des Juifs de la Cyrénaïque.
Expéditions en Tripolitaine et dans l'extrême sud.
L'Afrique sous Trajan.
Nouvelle révolte des Juifs.
L'Afrique sous Hadrien; insurrection des Maures.
Nouvelles révoltes sous Antonin, Mare-Aurèle et Commode, 138-190.
Les empereurs africains: Septime Sévère.
Progrès de la religion chrétienne en Afrique; premières persécutions.
Caracalla, son édit d'émancipation.
Macrin et Elagabal.
Alexandre Sévère.
Les Gordiens; révolte de Capellien et de Sabinianus.
Période d'anarchie; révoltes en Afrique.
Persécutions contre les chrétiens.
Période des trente tyrans.
Dioclétien; révolte des Quinquégentiens.
Nouvelles divisions géographiques de l'Afrique.

Chapitre IX.--L'Afrique sous l'autorité romaine, suite (297-415).

Sommaire:

Etat de l'Afrique à la fin du IIIe siècle.
Grandes persécutions contre les chrétiens.
Tyrannie de Galère en Afrique.
Constantin et Maxence, usurpation d'Alexandre.
Triomphe de Maxence en Afrique; ses dévastations.
Triomphe de Constantin.
Cessation des persécutions contre les chrétiens; les Donatistes; schisme d'Arius.
Organisation administrative et militaire de l'Afrique par Constantin.
Puissance des Donatistes. Les Circoncellions.
Les fils de Constantin; persécution des Donatistes par Constant.
Constance et Julien; excès des Donatistes.
Exactions du comte Romanus.
Révolte de Firmus.
Pacification générale.
L'Afrique sous Gratien, Valentinien II et Théodose.
Révolte de Gildon.
Chute de Gildon.
L'Afrique sous Honorius.

Chapitre X.--Période vandale (415-531).

Sommaire:

Le christianisme en Afrique au commencement du Ve siècle.
Boniface gouverneur d'Afrique; il traite avec les Vandales.
Les Vandales envahissent l'Afrique.
Lutte de Boniface contre les Vandales.
Fondation de l'empire vandale.
Nouveau traité de Genséric avec l'empire; organisation de l'Afrique Vandale.
Mort de Valentinien III; pillage de Rome par Genséric.
Suite des guerres des Vandales.
Apogée de la puissance de Genséric; sa mort.
Règne de Hunéric; persécutions contre les catholiques.
Révolte des Berbères.
Cruautés de Hunéric.
Concile de Karthage; mort de Hunéric.
Règne de Gondamond.
Règne de Trasamond.
Règne de Hildéric.
Révoltes des Berbères; usurpation de Gélimer.

Chapitre XI.--Période byzantine (531-642).

Sommaire:

Justinien prépare l'expédition d'Afrique.
Départ de l'expédition. Bélisaire débarque à Caput-Vada.
Première phase de la campagne.
Défaite des Vandales conduits par Animatas et Gibamund.
Succès de Bélisaire. Il arrive à Karthage.
Bélisaire à Karthage.
Retour des Vandales de Sardaigne. Gélimer marche sur Karthage.
Bataille de Tricamara.
Fuite de Gélimer.
Conquêtes de Bélisaire.
Gélimer se rend aux Grecs.
Disparition des Vandales d'Afrique.
Organisation de l'Afrique byzantine; état des Berbères.
Luttes de Salomon contre les Berbères.
Révolte de Stozas.
Expéditions de Salomon.
Révolte des Levathes; mort de Salomon.
Période d'anarchie.
Jean Troglita, gouverneur d'Afrique; il rétablit la paix.
État de l'Afrique au milieu du VIe siècle.
L'Afrique pendant la deuxième moitié du VIe siècle.
Derniers jours de la domination byzantine.
Appendice: Chronologie des rois Vandales.

FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE.

DEUXIÈME PARTIE

PÉRIODE ARABE ET BERBÈRE

641--1043

Chapitre I.--Les Berbères et les Arabes.

Sommaire:

Le peuple berbère; mœurs et religion.
Organisation politique.
Groupement des familles de la race.
Divisions des tribus berbères.
Position de ces tribus.
Les Arabes; notice sur ce peuple.
Mœurs et religions des Arabes anté-islamiques.
Mahomet; fondation de l'islamisme.
Abou Beker, deuxième khalife; ses conquêtes.
Khalifat d'Omar: conquête de l'Egypte.

Chapitre II.--Conquête arabe (641-709).

Sommaire:

Campagnes de Amer en Cyrénaïque et en Tripolitaine.
Le khalife Othmane prépare l'expédition d'Ifrikiya.
Usurpation du patrice Grégoire; il se prépare à la lutte.
Défaite et mort de Grégoire.
Les Arabes traitent avec les Grecs et évacuent l'Ifrikiya.
Guerres civiles en Arabie.
Les Kharedjites. Origine de ce schisme.
Mort de Ali; triomphe des Omèïades.
Etat de la Berbérie. Nouvelles courses des Arabes.
Suite des expéditions arabes en Mag'reb.
Okba, gouverneur de l'Ifrikiya. Fondation de Kaïrouan.
Gouvernement de Dinar Abou-el-Mohadjer.
Deuxième gouvernement d'Okba. Sa grande expédition en Mag'reb.
Défaite de Tehouda. Mort d'Okba.
La Berbérie libre sous l'autorité de Kocéïla.
Nouvelles guerres civiles en Arabie.
Les Kharedjites et les Chiaïtes.
Victoire de Zohéïr sur les Berbères, Mort de Kocéïla.
Zohéïr évacue l'Ifrikiya.
Mort du fils de Zobéïr. Triomphe d'Abd-el-Malek.
Situation de l'Afrique. La Kahéna.
Expédition de Haçane en Mag'reb. Victoire de La Kahéna.
La Kahéna reine des Berbères. Ses destructions.
Défaite et mort de la Kahéna.
Conquête et organisation de l'Ifrikiya par Haçane.
Mouça-ben-Nocéïr achève la conquête de la Berbérie.

Chapitre III.--Conquête de l'Espagne. Révolte kharedjite (709-750).

Sommaire:

Le comte Julien pousse les Arabes à la conquête de l'Espagne.
Conquête de l'Espagne par Tarik et Mouça.
Destitution de Mouça.
Situation de l'Afrique et de l'Espagne.
Gouvernement de Mohammed-ben-Yezid.
Gouvernement d'Ismaïl-ben-Abd-Allah.
Gouvernement de Yezid-ben-Abou-Moslem; il est assassiné.
Gouvernement de Bichr-ben-Safouane.
Gouvernement de Obéïda-ben-Abd-er-Rahman.
Incursions des Musulmans en Gaule; bataille de Poitiers.
Gouvernement d'Obéïd-Allah-ben-el-Habhab.
Despotisme et exactions des Arabes.
Révolte de Meïcera, soulèvement général des Berbères.
Défaite de Koltoum à l'Ouad-Sebou.
Victoires de Handhala sur les Kharedjites de l'Ifrikiya.
Révolte de l'Espagne; les Syriens y sont transportés.
Abd-er-Rahman-ben-Habib usurpe le gouvernement de l'Ifrikiya.
Chute de la dynastie oméïade: établissement de la dynastie abbasside.

Chapitre IV.--Révolte kharedjite. Fondations de royaumes indépendants (750-772).

Sommaire:

Situation des Berbères du Mag'reb au milieu du VIIIe siècle.
Victoires de Abd-er-Rahman; il se déclare indépendant.
Assassinat de Abd-er-Rahman.
Lutte entre El-Yas et El-Habib.
Prise et pillage de Kaïrouan par les Ourfeddjouma.
Les Miknaca fondent un royaume à Sidjilmassa.
Guerres civiles en Espagne.
L'oméïade Abd-er-Rahman débarque en Espagne.
Fondation de l'empire oméïade d'Espagne.
Les Ourfeddjouma sont vaincus par les Eïbadites de l'Ifrikiya.
Défaites des Kharedjites par Ibn-Achath.
Ibn-Achath rétablit à Kaïrouan le siège du gouvernement.
Fondation de la dynastie rostemide à Tiharet.
Gouvernement d'El-Ar'leb-ben-Salem.
Gouvernement d'Omar-ben-Hafs dit Hazarmed.
Mort d'Omar. Prise de Kaïrouan par les kharedjites.

Chapitre V.--Derniers gouverneurs arabes (772-800).

Sommaire:

Yezid-ben Hatem rétablit l'autorité arabe en Ifrikiya.
Gouvernement de Yezid-ben-Hatem.
Les petits royaumes berbères indépendants.
L'Espagne sous le premier khalife oméïade; expédition de Charmelagne.
Intérim de Daoud-ben-Yezid; gouvernement de Rouh-ben-Hatem.
Edris-ben-Abd-Allah fonde à Oulili la dynastie edriside.
Conquêtes d'Edris; sa mort.
Gouvernements d'En-Nasr-ben-el-Habib et d'El-Fadel-ben-Rouh.
Anarchie en Ifrikiya.
Gouvernement de Hertema-ben-Aïan.
Gouvernement de Mohammed-ben-Mokatel.
Ibrahim-ben-el-Ar'leb apaise la révolte de la milice.
Ibrahim-ben-el-Ar'leb, nommé gouverneur indépendant, fonde la dynastie ar'lebite.
Naissance d'Edris II.
L'Espagne sous Hicham et El-Hakem.
Chronologie des gouverneurs de l'Afrique.

Chapitre VI--L'Ifrikiya sous les Ar'lebites. Conquête de la Sicile(800-838).

Sommaire:

Ibrahim établit solidement son autorité en Ifrikiya.
Edris II est proclamé par les Berbères.
Fondation de Fès par Edris II.
Révoltes en Ifrikiya. Mort d'Ibrahim.
Abou-l'Abbas-Abd-Allah succède à son père Ibrahim.
Conquêtes d'Edris II.
Mort de Abd-Allah. Son frère Ziadet-Allah le remplace.
Espagne: Révolte du faubourg. Mort d'El-Hakem.
Luttes de Ziadet-Allah contre les révoltes.
Mort d'Edris II; partage de son empire.
Etat de la Sicile au commencement du IXe siècle.
Euphémius appelle les Arabes en Sicile. Expédition du cadi Aced.
Conquête de la Sicile.
Mort de Ziadet-Allah. Son frère Abou-Eïkal-el-Ar'leb lui succède.
Guerres entre les descendants d'Edris II.
Les Midrarides à Sidjilmassa.
L'Espagne sous Abd-er-Rahman II.

Chapitre VII.--Les derniers Ar'lebites (838-902).

Sommaire:

Gouvernement d'Abou-Eïkal.
Gouvernement d'Abou-l'Abbas-Mohammed.
Gouvernement d'Abou-Ibrahim-Ahmed.
Événements d'Espagne.
Gouvernement de Ziadet-Allah, dit le jeune, et d'Abou-el-R'aranik.
Guerre de Sicile.
Mort d'Abou-el-R'aranik. Gouvernement d'Ibrahim-ben-Ahmed.
Les souverains edrisides de Fez.
Succès des Musulmans en Sicile.
Ibrahim repousse l'invasion d'El-Albras-ben-Touloun.
Révoltes en Ifrikiya. Cruautés d'Ibrahim.
Progrès de la secte chïaïte en Berbérie. Arrivée d'Abou-Abd-Allah.
Nouvelles luttes d'Ibrahim contre les révoltes.
Expédition d'Ibrahim contre les Toulounides d'Égypte.
Abdication d'Ibrahim.
Événements de Sicile.
Événements d'Espagne.

Chapitre VIII.--Établissement de l'empire obéïdite. Chute de l'autorité arabe en Ifrikiya (902-909).

Sommaire:

Coup d'oeil sur les événements antérieurs et la situation de l'Italie méridionale.
Ibrahim porte la guerre en Italie. Sa mort.
Progrès des Chiaïtes. Victoires d'Abou-Abd-Allah chez les Ketama.
Court règne d'Abou-l'Abbas. Son fils Ziadet-Allah lui succède.
Le mehdi Obéïd-Allah passe en Mag'reb.
Campagnes d'Abou-Abd-Allah contre les Ar'lebites. Ses succès.
Les Chiaïtes marchent sur la Tunisie. Fuite de Ziadet-Allah III.
Abou-Abd-Allah prend possession de la Tunisie.
Les Chiaïtes vont délivrer le mehdi à Sidjilmassa.
Retour du mehdi Obéïd-Allah en Tunisie. Fondation de l'empire obéïdite.
Chronologie des gouverneurs ar'lebites.

Chapitre IX.--L'Afrique sous les Fatemides (910-934).

Sommaire:

Situation du Mag'reb en 910.
Conquête des Fatemides dans le Mag'reb central. Chute des Rostemides.
Le mehdi fait périr Abou-Abd-Allah et écrase les germes de rébellion.
Événements de Sicile.
Événements d'Espagne.
Révoltes contre Obéïd-Allah.
Fondation d'El-Mehdia par Obéïd-Allah.
Expédition des Fatemides en Égyple, son insuccès.
L'autorité du Mehdi est rétablie en Sicile.
Première campagne de Messala dans le Mag'reb pour les Fatemides.
Nouvelle expédition fatemide contre l'Égypte.
Conquêtes de Messala en Mag'reb.
Expéditions fatemides on Sicile, en Tripolilaine et en Égypte.
Succès des Mag'raoua. Mort de Messaia.
El-Haçan relève, à Fès, le trône edriside. Sa mort.
Expédition d'Abou-l'Kacem dans le Mag'reb central.
Succès d'Ibn-Abon-l'Afia.
Mouça se prononce pour les Oméïades. Il est vaincu par les troupes fatemides.
Mort d'Obéïd-Allah, le mehdi.
Expéditions des Fatemides en Italie.

Chapitre X.--Suite des Fatemides. Révolte de l'Homme à l'âne (934-947).

Sommaire:

Règne d'El-Kaïm; premières révoltes.
Succès de Meïçour, général fatemide, en Mag'reb. Mouça, vaincu, se réfugie dans le désert.
Expéditions fatemides en Italie et en Égypte.
Puissance des Sanhadja. Ziri-ben-Menad.
Succès des Edrisides; mort de Mouça-ben-Abou-l'Afia.
Révolte d'Abou-Yezid, l'Homme à l'âne.
Succès d'Abou-Yezid. Il marche sur l'Ifrikiya.
Prise de Kaïrouan par Abou-Yezid.
Nouvelle victoire d'Abou-Yezid suivie d'inaction.
Siège d'El-Mehdïa par Abou-Yezid.
Levée du siège d'El-Mehdia.
Mort d'El-Kaïm. Règne d'Ismaïl-el-Mansour.
Défaites d'Abou-Yezid.
Poursuite d'Abou-Yezid par Ismaïl.
Chute d'Abou-Yezid.

Chapitre XI--Fin de la domination fatemide (947-973).

Sommaire:

État du Mag'reb et de l'Espagne.
Expédition d'El-Mansour à Tiharet.
Retour d'El-Mansour en Ifrikiya.
Situation de la Sicile; victoires de l'Ouali Hassan-el-Kelbi en Italie.
Mort d'El-Mansour. Avènement d'El-Moëzz.
Les deux Mag'reb reconnaissent la suprématie omèïade.
Les Mag'raoua appellent à leur aide le khalife fatemide.
Rupture entre les Oméïades et les Fatemides.
Campagne de Djouher dans le Mag'reb; il soumet ce pays à l'autorité fatemide.
Guerre d'Italie et de Sicile.
Événements d'Espagne; Mort d'Abd-er-Rahman III (en Nâcer).
Son fils El-Hakem II lui succède.
Succès des Musulmans en Sicile et en Italie.
Progrès de l'influence oméïade en Mag'reb.
État de l'Orient. El-Moëzz prépare son expédition.
Conquête de l'Égypte par Djouher.
Révoltes en Afrique. Ziri-ben-Menad écrase les Zenètes.
Mort de Ziri-ben-Menad. Succès de son fils Bologguine dans le Mag'reb.
El-Moëzz se prépare à quitter l'Ifrikiya.
El-Moëzz transporte le siège de la dynastie fatemide en Égypte.
Chronologie des Fatemides d'Afrique.

Chapitre XII.--L'Ifrikiya sous les Zirides (Sanhadja). Le Mag'reb sous les Oméïades (973-997).

Sommaire:

Modifications ethnographiques dans le Mag'reb central.
Succès des Oméïades en Mag'reb; chute des Edrisides; mort d'El-Hakem.
Expéditions des Mag'raoua contre Sidjilmassa et contre les Berg'ouata.
Expédition de Bologguine dans le Mag'reb: ses succès.
Bologguine, arrêté à Ceuta par les Oméïades, envahit le pays des Berg'ouata.
Mort de Bologguine. Son fils El-Mansour lui succède.
Guerre d'Italie.
Les Oméïades d'Espagne étendent de nouveau leur autorité sur le Mag'reb.
Révoltes des Ketama réprimées par El-Mansour.
Les deux Mag'reb soumis à l'autorité oméïade; luttes entre les Mag'raoua et les Beni-Ifrene.
Puissance de Ziri-ben-Atiya; abaissement des Beni-Ifrene.
Mort du gouverneur El-Mansour. Avènement de son fils Badis.
Puissance des gouverneurs kelbites en Sicile.
Rupture de Ziri avec les Oméïades d'Espagne.

Chapitre XIII.--Affaiblissement des empires musulmans en Afrique, en Espagne et en Sicile (997-1045).

Sommaire:

Ziri-ben-Atiya est défait par l'oméïade El-Modaffer.
Victoires de Ziri-ben-Atiya dans le Mag'reb central.
Guerres de Badis contre ses oncles et contre Felfoul-ben-Khazroun.
Mort de Ziri-ben-Atiya. Fondation de la Kalâa par Hammad.
Espagne: Mort du vizir Ben-Abou-Amer. El-Moëzz, fils de Ziri, est nommé gouverneur du Mag'reb.
Guerres civiles en Espagne. Les Berbères et les Chrétiens y prennent part.
Triomphe des Berbères et d'El-Mostaïn en Espagne.
Luttes de Badis contre les Beni-Khazroun. Hammad se déclare indépendant à la Kalâa.
Guerre entre Badis et Hammad. Mort de Badis. Avènement d'El-Moëzz.
Conclusion de la paix entre El-Moëzz et Hammad.
Espagne: Chute des Oméïades. L'edriside Ali-ben-Hammoud monte sur le trône.
Anarchie en Espagne. Fractionnement de l'empire musulman.
Guerres entre les Mag'raoua et les Beni-Ifrene.
Luttes du Sanhadjien El-Moëzz contre les Beni-Khazroun de Tripoli.
Préludes de sa rupture avec les Fatemides.
Guerre entre les Mag'raoua et les Beni-Ifrene.
Événements de Sicile et d'Italie. Chute des Kelbites.
Exploits des Normands en Italie et en Sicile. Robert Wiscard.
Rupture entre El-Moëzz et le Hammadile Kl-Kaïd.

FIN DE LA DEUXIÈME PARTIE.



Carte de l'Afrique septentrionale au IIe siècle.

Carte de l'Espagne.

FIN DU PREMIER VOLUME




PRÉFACE


Arrivé en Algérie il y a trente-quatre ans; lancé alors au milieu d'une population que tout le monde considérait comme arabe, ce ne fut pas sans étonnement que je reconnus les éléments divers la composant: Berbères, Arabes et Berbères arabisés. Frappé du problème ethnographique et historique qui s'offrait à ma vue, je commençai, tout en étudiant la langue du pays, à réunir les éléments du travail que j'offre aujourd'hui au public.

Si l'on se reporte à l'époque dont je parle, on reconnaîtra que les moyens d'étude, les ouvrages spéciaux se réduisaient à bien peu de chose. Cependant M. de Slane commençait alors la publication du texte et de la traduction d'Ibn-Khaldoun et de divers autres écrivains arabes. La Société archéologique de Constantine, la Société historique d'Alger venaient d'être fondées, et elles devaient rendre les plus grands services aux travailleurs locaux, tout en conservant et vulgarisant les découvertes. Enfin, la maison Didot publiait, dans sa collection de l'Univers pittoresque, deux gros volumes descriptifs et historiques sur l'Afrique, dus à la collaboration de MM. d'Avezac, Dureau de la Malle, Yanosky, Carette, Marcel.

Un des premiers résultats de mes études, portant sur les ouvrages des auteurs arabes, me permit de séparer deux grands faits distincts qui dominent l'histoire et l'ethnographie de l'Afrique septentrionale et que l'on avait à peu près confondus, en attribuant au premier les effets du second. Je veux parler de la conquête arabe du viie siècle, qui ne fut qu'une conquête militaire, suivie d'une occupation de plus en plus restreinte et précaire, laissant, au xe siècle, le champ libre à la race berbère, affranchie et retrempée dans son propre sang, et de l'immigration hilalienne du xie siècle, qui ne fut pas une conquête, mais dont le résultat, obtenu par une action lente qui se continue encore de nos jours, a été l'arabisation de l'Afrique et la destruction de la nationalité berbère.

Je publiai alors l'Histoire de l'établissement des Arabes dans l'Afrique septentrionale (1 vol. in-8, avec deux cartes, Marle-Challamel, 1875), ouvrage dans lequel je m'efforçai de démontrer ce que je demanderai la permission d'appeler cette découverte historique.

Mais je n'avais traité qu'un point, important, il est vrai, de l'histoire africaine, et il me restait à présenter un travail d'ensemble. Dans ces trente-quatre années, que de documents, que d'ouvrages précieux avaient été mis au jour! En France, la conquête de l'Algérie avait naturellement appelé l'attention des savants sur ce pays. Nos membres de l'Institut, orientalistes, historiens, archéologues, trouvaient en Afrique une mine inépuisable, et il suffit, pour s'en convaincre, de citer les noms de MM. de Slane, Reynaud, Quatremère, Hase, Walcknaer, d'Avezac, Dureau de la Malle, Marcel, Carette, Yanosky, Fournel, de Mas-Latrie, Vivien de Saint-Martin, Léon Rénier, Tissot, H. de Villefosse.

En Hollande, le regretté Dozy publiait ses beaux travaux sur l'Espagne musulmane. En Italie, M. Michele Amari nous donnait l'histoire des Musulmans de Sicile, travail complet où le sujet a été entièrement épuisé. Enfin l'Allemagne, l'Angleterre, l'Espagne fournissaient aussi leur contingent.

Pendant ce temps, l'Algérie ne restait pas inactive. Un nombre considérable de travaux originaux était produit par un groupe d'érudits qui ont formé ici une véritable école historique. Je citerai parmi eux: MM. Berbrugger, F. Lacroix enlevé par la mort avant d'avoir achevé son œuvre, Poulle, le savant président de la Société archéologique de Constantine, Reboud, Cherbonneau, général Creuly, Mac-Carthy, l'abbé Godard, l'abbé Bargès, Brosselard, A. Rousseau, Féraud, de Voulx, Gorguos, Vayssettes, Tauxier, Aucapitaine, Guin, Robin, Moll, Ragot, Elie de la Primaudaie, de Grammont, président actuel de la Société d'Alger, et bien d'autres, auxquels sont venus s'ajouter plus récemment MM. Boissière, Masqueray, de la Blanchère, Basset, Houdas, Pallu de Lessert, Poinssot, Cagnat.....

Grâce aux efforts de ces érudits dont nous citerons souvent les ouvrages, un grand nombre de points, autrefois obscurs, dans l'histoire de l'Afrique, ont été éclairés, et s'il reste encore des lacunes, particulièrement pour l'époque byzantine, le xve siècle et les siècles suivants, surtout en ce qui a trait au Maroc, elles se comblent peu à peu. Je ne parle pas de l'époque phénicienne: là, il n'y a à peu près rien à espérer.

Comme sources, notre bibliothèque des auteurs anciens est aussi complète qu'elle peut l'être. Quant aux écrivains arabes, elle est également à peu près complète, mais il faudrait, pour le public, que deux traductions importantes fussent entreprises,--et elles ne peuvent l'être qu'avec l'appui de l'Etat.--Je veux parler du grand ouvrage d'Ibn-el-Athir 1, qui renferme beaucoup de documents relatifs à l'Occident, et du Baïane, d'Ibn-Adhari, dont Dozy a publié le texte arabe, enrichi de notes.

Note 1: (retour) Kamil-et-Touarikh.

Il est donc possible, maintenant, d'entreprendre une histoire d'ensemble. Je l'ai essayé, voulant d'abord me borner aux annales de l'Algérie; mais il est bien difficile de séparer l'histoire du peuple indigène qui couvre le nord de l'Afrique, en nous conformant à nos divisions arbitraires, et j'ai été amené à m'occuper en même temps du Maroc, à l'ouest, et de la Tunisie et de la Tripolitaine, à l'est. Cette fatalité s'imposera à quiconque voudra faire ici des travaux de ce genre, car l'histoire d'un pays, c'est celle de son peuple, et ce peuple, dans l'Afrique du Nord, c'est le Berbère, dont l'aire s'étend de l'Egypte à l'Océan, de la Méditerranée au Soudan.

Fournel, qui a passé une partie de sa longue carrière à amasser des matériaux sur cette question, a subi la fatalité dont je parle, et lorsqu'il a publié le résultat de ses recherches, monument d'érudition qui s'arrête malheureusement au xie siècle, il n'a pu lui donner d'autre titre que celui d'histoire des «Berbers».

Mes intentions sont beaucoup plus modestes, car je n'ai pas écrit uniquement pour les érudits, mais pour la masse des lecteurs français et algériens. Je me suis appliqué à donner à mon livre la forme d'un manuel pratique; mais, ne voulant pas étendre outre mesure ses proportions, je me suis heurté à une difficulté inévitable, celle de suivre en même temps l'histoire de divers pays, histoire qui est quelquefois confondue, mais le plus souvent distincte.

Dans ces conditions, je me suis vu forcé de renoncer à la forme suivie et coulante de la grande histoire, pour adopter celle du manuel, divisé par paragraphes distincts, dont chacun est indépendant de celui qui le précède. Ce procédé s'oppose naturellement à tout développement d'ordre littéraire: la sécheresse est sa condition d'être; mais il permet de mener de front, sans interrompre l'ordre chronologique, l'exposé des faits qui se sont produits simultanément dans divers lieux. De plus, il facilite les recherches dans un fouillis de lieux et de noms, fait pour rebuter le lecteur le plus résolu.

Ecartant toutes les traditions douteuses transmises par les auteurs anciens et les Musulmans, car elles auraient allongé inutilement le récit ou nécessité des dissertations oiseuses, je n'ai retenu que les faits certains ou présentant les plus grands caractères de probabilité. Je me suis attaché surtout à suivre, le plus exactement possible, le mouvement ethnographique qui a fait de la population de la Berbérie ce qu'elle est maintenant.

Deux cartes de l'Afrique septentrionale à différentes époques, et une de l'Espagne, faciliteront les recherches. Enfin une table géographique complète terminera l'ouvrage et chaque volume aura son index des noms propres.

Constantine, le 1er Janvier 1888.

Ernest Mercier.



SYSTÈME ADOPTÉ

POUR LA TRANSCRIPTION DES NOMS ARABES

Dans un ouvrage comme celui-ci, ne s'adressant pas particulièrement aux orientalistes, le système de transcription du nombre considérable de vocables arabes et berbères qu'il contient doit être, autant que possible, simple et pratique.

La difficulté, l'impossibilité même, de reproduire, avec nos caractères, certaines articulations sémitiques, a eu pour conséquence de donner lieu à un grand nombre de systèmes plus ou moins ingénieux. Divers signes conventionnels, ajoutés à nos lettres, ont eu pour but de les modifier théoriquement, en leur donnant une prononciation qu'elles n'ont pas; pour d'autres, on a formé des groupes où l'h, cette lettre sans valeur phonétique en français, joue un grand rôle. Chaque pays, chaque académie a, pour ainsi dire, son système de transcription. Mais, pour le public en général, tout cela ne signifie rien, et si l'on a, par exemple, surmonté ou souscrit un a d'un point, d'un esprit ou de tout autre signe (ạ a˙ ả à΄), l'immense majorité des lecteurs ne le prononcera pas autrement que le plus ordinaire de nos a.

De même, ajoutez un h à un t, à un g ou à un k, vous aurez augmenté, pour le profane, la difficulté matérielle de lecture, mais sans donner la moindre idée de ce que peut être la prononciation arabe des lettres que l'on veut reproduire.

Enfin, on se bornant à rendre, d'une manière absolue, une lettre arabe par celle que l'on a adoptée en français comme équivalente, on arrive souvent à former de ces syllabes qui, dans notre langue, se prononcent d'une manière sourde ein, in, an, on et ne répondent nullement à l'articulation arabe. C'est ainsi qu'un Français prononcera toujours les mots Amin, Mengoub, Hassein, comme s'ils étaient écrits: Amain, Maingoub, Hassain.

En présence de ces difficultés, je n'ai pas adopté de système absolu, ne souffrant pas d'exception, m'efforçant au contraire, même aux dépens de l'orthographe arabe, de retrancher toute lettre mutile et de rendre, sous sa forme la plus simple pour des Français, les sons, tels qu'ils frappent notre oreille en Algérie. N'oublions pas, en effet, qu'il s'agit des hommes et des choses de ce pays, et non de ceux d'Egypte, de Damas ou de Djedda.

Quiconque a entendu prononcer ici le nom مسوک, ne s'avisera jamais de le transcrire par Masoud, ainsi que l'exigeraient nos professeurs, mais bien par Meçaoud. Il en est de même de سى, qui vient de la même racine. La meilleure reproduction consistera à le rendre par Saad, en ajoutant un a, et non par Sad, quels que soient les signes dont on affectera ce seul a.

J'ajouterai souvent un e muet aux noms terminés par in, eïn, an, on, et j'écrirai Slimane au lieu de Souleïman (ou Soliman), Houcéïne, Yar'moracene, etc.

Quant aux articulations qui manquent dans notre langue, voici comment je les rendrai:

Le ث, par th, t ou ts.

Le ح, par un h; ce qui, du reste, ne reproduit nullement la prononciation de cette consonne forte, et comme je ne figurerai jamais le ة par un h, le lecteur saura qu'il doit toujours s'efforcer de prononcer cette lettre par une expiration s'appuyant sur la voyelle suivante.

Le خ, par le kh, groupe bizarre encore plus imparfait que l'h seul pour la précédente lettre.

Le ع, généralement par un a lié à une des voyelles a, i, o; quelquefois par une de ces lettres seules ou par la diphthongue eu ou par l'ë. Cette lettre, dont la prononciation est impossible à reproduire en français, conserve presque toujours, dans la pratique, un premier son rapprochant de l'a et provenant de la contraction du gosier; ce son s'appuie ensuite sur la voyelle dont cette consonne, car c'en est une, est affectée. C'est pourquoi j'écrirai Chiaïte au lieu de Chïïte, Saad au lieu de Sad, etc.

Le غ, généralement par un r'. Si tout le monde grasseyait l'r, il n'y aurait pas de meilleure manière de rendre cette lettre arabe; malheureusement, il y a en arabe l'r non grasseyé, et il faut bien les différencier. Dans le cas où ces deux lettres se rencontrent, la prononciation de chacune s'accentue en sens inverse, et alors je rends le غ par un g' Exemples: Mag'reb, Berg'ouata.

Le ۊ, par un k, comme dans Kassem, ou par un g, comme dans Gabès. Cette lettre possède encore une intonation gutturale que l'on ne peut figurer en français.

Le ذ, par un h. Quant au ڈ (ta lié), dont la prononciation est celle de notre syllabe muette at dans contrat, je le rends par un simple a et j'écris: Louata, Djerba, Médéa.

Je ne parle que pour mémoire des lettres ص, ض,ظ,ط, dont il est impossible de reproduire, en français, le son emphatique, et je les rends simplement par t, d, s, d.






INTRODUCTION


DESCRIPTION PHYSIQUE ET GÉOGRAPHIQUE
DE L'AFRIQUE SEPTENTRIONALE

Description et limites 2.--Le pays dont nous allons retracer l'histoire est la partie du continent africain qui s'étend depuis la limite occidentale de l'Egypte jusqu'à l'Océan Atlantique, et depuis la rive méridionale de la Méditerranée jusqu'au Soudan. Cette vaste contrée est désignée généralement sous le nom d'Afrique septentrionale, sans y comprendre l'Egypte, qui a, pour ainsi dire, une situation à part. Les Grecs l'ont appelée Libye; les Romains ont donné le nom d'Afrique à la Tunisie actuelle, et ce vocable s'est étendu à tout le continent. Les Arabes ont appliqué à cette région la dénomination de Mag'reb, c'est-à-dire Occident, par rapport à leur pays. Nous emploierons successivement ces appellations, auxquelles nous ajouterons celle de Berbérie, ou pays des Berbères.

Note 2: (retour) Suivre sur la carte de l'Afrique septentrional au xve siècle (vol II).

Nous avons indiqué les grandes limites de l'Afrique septentrionale. Sa situation géographique est comprise entre les 24° et 37° de latitude nord et les 25° de longitude orientale et 19° de longitude occidentale; ainsi le méridien de Paris, qui passe à quelques lieues à l'ouest d'Alger, en marque à peu près le centre.

Les côtes de l'Afrique septentrionale se projettent d'une façon irrégulière sur la Méditerranée. Du 31° de latitude, en partant de l'Egypte, elles atteignent, au sommet de la Cyrénaïque, le 33°, puis s'infléchissent brusquement, au fond de la grande Syrte, jusqu'au 30°.

De là, la côte se prolonge assez régulièrement, en s'élevant vers le nord-ouest jusqu'au fond de la petite Syrte (34°). Puis elle s'élève perpendiculairement au nord et dépasse, au sommet de la Tunisie, le 37°. Elle suit alors une direction ouest-sud-ouest assez régulière, en s'abaissant jusqu'à la limite de la province d'Oran, pour, de là, se relever encore et atteindre le 36°, au détroit de Gibraltar.

Le littoral de l'Océan se prolonge au sud-sud-ouest, en s'abaissant du 8° de longitude occidentale jusqu'au 19°.

La partie septentrionale de la Berbérie se rapproche en deux endroits de l'Europe. C'est, au nord-est de la Tunisie, la Sicile, distante de cent cinquante kilomètres environ, et, à l'ouest, l'Espagne, séparée de la pointe du Mag'reb par le détroit de Gibraltar. Cette partie de l'Afrique offre, du reste, beaucoup d'analogie avec les dites régions européennes, tant sous le rapport de l'aspect et des productions que sous celui du climat.

Les écarts considérables de latitude que nous avons signalés en décrivant les côtes influent sur les conditions physiques et climatériques; aussi le littoral des Syrtes diffère-t-il sensiblement de la région occidentale.

Orographie.--La région comprise entre la petite Syrte et l'Océan est couverte d'un réseau montagneux se reliant au grand Atlas marocain, qui pénètre dans le sud jusqu'au 30° et dont les plus hauts sommets atteignent 3,500 mètres d'altitude. Toute cette contrée montagneuse jouit d'un climat tempéré et d'une fertilité proverbiale. Les indigènes, peut-être d'après les Romains, lui ont donné le nom de Tel. Ce Tel, en Algérie et en Tunisie, ne dépasse guère, au midi, le 35° de latitude.

Dans la partie moyenne de la Barbarie, c'est-à-dire ce qui forme actuellement l'Afrique française, la région telienne aboutit au sud à une ligne de hauts plateaux, dont l'altitude varie entre 600 et 1,200 mètres. Le Djebel-Amour en marque le sommet; au delà, le pays s'abaisse graduellement vers le sud et rapidement vers l'est, ce qui donne lieu, dans cette dernière direction, à une série de bas-fonds reliés par des cours d'eau aboutissant aux lacs Melr'ir et du Djerid, près du golfe de la petite Syrte. Cette ligne de bas-fonds est parsemée d'oasis produisant le palmier; c'est la région dactylifère.

Des montagnes dont nous venons de parler descendent des cours d'eau, au nord dans la Méditerranée, à l'ouest dans l'Océan. Ceux du versant nord sont généralement peu importants, en raison du peu d'étendue de leur cours: ce sont des torrents en hiver, presque à sec en été. Les rivières du versant océanien, venant de montagnes plus élevées et ayant un cours moins bref, ont en général une importance plus grande.

Au delà des hauts plateaux et de la première ligne des oasis, s'étend le grand désert ou Sahara jusqu'au Soudan. C'est une vaste contrée généralement aride, entrecoupée de chaînes montagneuses, de vallées, de plateaux desséchés et pierreux et de dunes de sable. Des régions d'oasis s'y rencontrent. Le tout est traversé par des dépressions formant vallées, dont les unes s'abaissent vers le Soudan et les autres se dirigent vers le nord pour rejoindre les lacs Melr'ir et du Djerid. Les vallées, les oasis et certaines parties montagneuses sont seules habitées.

Dans la Tripolitaine, la région telienne est moins élevée et a moins de profondeur; en un mot, le désert est plus près. Cependant, derrière Tripoli se trouve un massif montagneux assez étendu, donnant accès au Hammada (plateau) tripolitain.

Le littoral de la Cyrénaïque est bordé de collines qui forment les pentes d'un plateau semblable à celui de Tripoli, mais moins étendu. Quelques oasis se trouvent au sud de ce plateau. Au delà commence le grand désert de Libye.

MONTAGNES PRINCIPALES

De l'est à l'ouest, les principales montagnes de l'Afrique septentrionale sont:

Cyrénaïque.--Le Djebel-el-Akhdar, dans la partie supérieure.

Tripolitaine.--Le Djebel-R'arïane et le Djebel-Nefouça, au sud de Tripoli.

Algérie.--Le Djebel-Aourès, s'élevant jusqu'à 2,300 mètres au midi de Constantine et s'abaissant au sud, brusquement, sur la région des oasis.

Le Djebel-Amour (2,000 mètres), au midi de la province d'Alger formant le sommet des hauts plateaux.

Le Djebel-Ouarensenis (2,000 mètres), au nord du Djebel-Amour, près de la ligne du méridien de Paris.

Le Djebel-Djerdjera ou grande Kabilie (2,300 mètres), près du littoral, entre l'Ouad-Sahel et l'Isser.

Maroc.--Les montagnes du Grand Atlas ou Deren, notamment le Djebel-Hentata, d'une altitude de 3,500 mètres et dont les sommets sont couverts de neiges éternelles.

PRINCIPALES RIVIÈRES

Versant méditerranéen.--L'Ouad-Souf-Djine et l'Ouad-Zemzem, descendant du Djebel-R'arïane et du plateau de Hammada et venant former le marais situé au-dessous de Mesrata, sur le littoral de la grande Syrte.

L'Ouad-Medjerda, qui recueille les eaux du versant nord-est de l'Aourès et du plateau tunisien et vient déboucher dans le golfe de Karthage, au sommet de la Tunisie.

L'Ouad-Seybous, recueillant les eaux de la partie orientale de la province de Constantine et débouchant à Bône.

L'Ouad-el-Kebir, formé de l'Ouad-Remel et de l'Ouad-Bou-Merzoug, dont le confluent est à Constantine et l'embouchure au nord de cette ville.

L'Ouad-Sahel, venant, d'un côté, du Djebel-Dira, près d'Aumale, et, de l'autre, des plateaux situés à l'ouest de Sétif, et débouchant, sous le nom de Soumam, dans le golfe de Bougie, à l'est du Djerdjera.

L'Ouad-Isser, à l'ouest du Djerdjera, et ayant son embouchure près de Dellis.

Le Chelif, descendant du versant nord du Djebel-Amour et du Ouarensenis, recevant le Nehar-Ouacel, venu du plateau de Seressou, au sud de cette montagne, et après avoir décrit un coude à la hauteur de Miliana, courant parallèlement à la côte de l'est à l'ouest, pour se jeter dans la mer à l'extrémité orientale du golfe d'Arzeu.

L'Habra et le Sig, appelé dans son cours supérieur Mekerra, se réunissant pour former le marais de la Makta, au fond du golfe d'Arzeu. La plus grande partie des eaux de la province d'Oran est recueillie par ces deux rivières.

La Tafna, descendant des montagnes situées au midi de Tlemcen et qui se jette dans la mer au nord de cette ville, après avoir recueilli L'Isli, venant de la région d'Oudjda (Maroc).

La Moulouïa, qui recueille les eaux du versant oriental et septentrional de l'Atlas marocain et dont l'embouchure se trouve à l'ouest de la limite algérienne.

Versant océanien.--L'Ouad-el-Kous, qui se jette dans la mer près d'El-Araïche, au sommet du Maroc.

Le Sebou, descendant du versant nord-ouest de l'Atlas.

Le Bou-Regreg, au midi du précédent et ayant son embouchure non loin de lui, à Salé.

L'Ouad-Oum-er-Rebïa, grande rivière recueillant les eaux du versant occidental de l'Atlas et traversant de vastes plaines avant de déboucher à Azemmor.

Le Tensift, voisin du précédent, au midi.

L'Ouad-Sous, qui coule entre les deux chaînes principales du grand Atlas méridional et traverse la province de ce nom.

L'Ouad-Nouri, débouchant près du cap du même nom.

Et enfin l'Ouad-Deraa, descendant du grand Atlas au midi et formant, dans la direction de l'ouest, une large vallée. Ce fleuve se jette dans l'Océan vis-à-vis l'archipel des Canaries.

Versant intérieur.--L'Ouad-Djedi, qui prend naissance au midi du Djebel-Amour, court ensuite vers l'est, parallèlement au Tel, et va se perdre aux environs du lac Melr'ir.

L'Ouad-Mïa et l'Ouad-Ir'ar'ar, venant tous deux de l'extrême sud et concourant à former la vallée de l'Ouad-Rir', qui se termine au chott (lac) Melr'ir.

L'Ouad-Guir, descendant des hauts plateaux, pour se perdre au sud non loin de l'oasis de Touat.

Enfin l'Ouad-Ziz, qui vient de l'Atlas marocain et disparaît aux environs de l'oasis de Tafilala.

LACS

Les lacs de l'Afrique septentrionale sont peu nombreux. Voici les principaux:

Le chott du Djerid, au sud de la Tunisie.

Le Melr'ir, à l'ouest du précédent; entre eux se trouve la dépression de R'arça.

La sebkha du Gourara, à l'est du cours inférieur de l'Ouad-Guir.

La sebhka de Daoura, près de Tafilala.

On compte, en outre, un certain nombre de marais, parmi lesquels nous citerons la sebkha de Zar'ez, dans le Hodna, et les chott Chergui (oriental) et R'arbi (occidental), dans les hauts plateaux. Ce sont souvent de vastes dépressions, avec des berges à pic, et dont le fond est plus ou moins marécageux, selon l'époque de l'année.

CAPS

Voici les principaux caps de l'Afrique, en suivant le littoral de l'est à l'ouest.

Ras-Tourba et cap Rozat, au sommet de la Cyrénaïque.

Cap Mesurata, près de la ville de Mesrata, à l'angle occidental du golfe de la grande Syrte.

Ras-Capoudïa (l'ancien Caput Vada), au sommet de la petite Syrte.

Ras-Dimas (l'antique Thapsus), à l'angle méridional du golfe de Hammamet.

Ras-Adar, ou cap Bon, au sommet de la presqu'île de Cherik, angle nord-est de la Tunisie.

Promontoire d'Apollon ou cap Farina, à l'angle occidental du golfe de Tunis.

Ras-el-Abiod, cap Blanc, à l'angle occidental du golfe de Bizerte.

Cap de Garde, à l'angle occidental du golfe de Bône.

Cap de Fer, à l'angle oriental du golfe de Philippeville.

Cap Bougarone ou Sebà-Rous (les sept caps), à l'angle occidental du même golfe.

Cap Cavallo, à l'angle oriental du golfe de Bougie.

Cap Sigli, à l'angle opposé, c'est-à-dire au pied occidental de la grande Kabylie (Djerdjera).

Cap Matifou (régulièrement Thaman'tafoust), à l'angle oriental du golfe d'Alger.

Cap Tenès, à l'est et auprès de la ville de ce nom.

Cap Carbon, à l'angle occidental du golfe d'Arzeu, entre cette ville et Oran.

Cap Falcon, à l'angle occidental du golfe d'Oran.

Cap Tres-Forcas, à l'ouest du golfe formé par l'embouchure de la Moulouïa, dominant Melila, qui est bâtie sur le versant oriental de ce cap.

Cap de Ceuta, à la pointe orientale du détroit de Gibraltar.

Cap Spartel, sur l'Océan, à l'ouest de cette pointe.

Cap Blanc, au sud de l'embouchure de l'Oum-el-Rebïa et d'Azemmor.

Cap Cantin, un peu plus bas, au-dessus du Tensift.

Cap Guir, au-dessus de l'embouchure du Sebou et d'Agadir.

Cap Noun, à l'embouchure de la rivière de ce nom.

Cap Bojador, au-dessous de l'embouchure de l'Ouad-Deraa.

Cap Blanc, un peu au-dessus du 20° de longitude.

DIVISIONS GÉOGRAPHIQUES ADOPTÉES PAR LES ANCIENS

L'Algérie septentrionale, Libye des Grecs, a formé les divisions suivantes:

Région littorale

Cyrénaïque (comprenant la Marmarique); depuis la frontière occidentale de l'Égypte jusqu'au golfe de la grande Syrte.

Tripolitaine; de cette limite jusqu'au golfe de la petite Syrte. Byzacène, région au-dessus du lac Triton. Zeugitane, littoral oriental de la Tunisie actuelle, et Afrique propre, comprenant d'abord le territoire de Karthage (nord de la Tunisie), puis toute la région entre la Numidie à l'ouest et la Tripolitaine à l'est. La Tripolitaine, la Byzacène, la Zeugitane et l'Afrique propre ont été réunis, à l'époque romaine, sous le nom de province proconsulaire d'Afrique.

Numidie; depuis la limite occidentale de l'Afrique propre, qui a été formée généralement par le cours supérieur de la Medjerda, avec une ligne partant du coude de cette rivière pour rejoindre le littoral, et de là jusqu'au golfe de Bougie, c'est-à-dire environ le 3° de longitude est. La Numidie a été elle-même divisée en orientale et occidentale, avec l'Amsaga (Ouad-Remel) comme limite séparative.

Mauritanie orientale; depuis la Numidie jusqu'au Molochat (Moulouïa). À la fin du iiie siècle de l'ère chrétienne, elle a été divisée en Sétifienne, comprenant la partie orientale avec Sétif, et Césarienne, formée de la partie occidentale, avec Yol-Cesarée (Cherchel) comme capitales.

Maurétanie occidentale ou Tingitane, comprenant le reste de l'Afrique jusqu'à l'Océan.

Région intérieure

Libye déserte, comprenant la Phazanie (Fezzan), au sud de la Tripolitaine et de la Cyrénaïque.

Gétulie, au sud de la Numidie et des Maurétanies, sur les hauts plateaux et dans le désert.

Ethiopie, comprenant la Troglodytique, au sud des deux précédents.

Populations anciennes

Cyrénaïque et Tripolitaine.--Libyens, nom générique se transformant en Lebataï dans Procope, Ilanguanten dans Corippus, et que l'on peut identifier aux Berbères Louata des auteurs arabes.

Barcites, Asbystes, Adyrmakhides, Ghiligammes, etc., occupant le nord de la Cyrénaïque.

Nasammons, dans l'intérieur, sur la ligne des oasis et le golfe de la grande Syrte, dont ils occupent en partie les rivages.

Psylles, habitant en premier lieu la grande Syrte et refoulés ensuite vers l'est.

Makes, sur le littoral occidental de la grande Syrte.

Zaouekes (Arzugues de Corrippus), établis sur le littoral, entre les deux Syrtes. Ils ont donné leur nom plus tard à la Zeugitane. On les identifie aux Zouar'a.

Troglodytes, dans les montagnes voisines de Tripoli.

Lotophages, dans l'île de Djerba et sur le littoral voisin.

Afrique propre.--Les Maxyes et les Ghyzantes ou Byzantes. Ces tribus, sous ces noms divers, y compris les Zaouèkes, paraissent être un seul et même peuple, qui a donné son nom à la Byzacène.

Libo-Phéniciens, peuplade mixte de la province de Karthage.

Numidie.--Numides, nom générique.

Nabathres, dans la région du nord-est.

Masséssyliens, puis Massyles; occupaient le centre de la province. Ont été remplacés par les peuplades suivantes, qu'ils ont peut-être contribué à former:

Kedamousiens, sur la rive gauche de l'Amsaga (Ouad-Remel) et, de là, jusqu'à l'Aourès.

Babares ou Sababares, dans les montagnes, au nord des précédents, jusqu'à la mer.

Maurétanie orientale.--Maures, nom générique, auquel on a associé plus tard celui de Maziques.

Quinquegentiens, divisés en Isaflenses, Massinissenses et Nababes, occupant le massif du Mons-Ferratus (Djerdjera).

Masséssyliens, puis Massyles, au sud-est du Mons-Ferratus. Remplacés de bonne heure par d'autres populations.

Makhourèbes et Banioures, à l'ouest du Mons-Ferratus.

Makhrusiens, sur le littoral montagneux, à l'ouest des précédents.

Nacmusïï, dans la région des hauts plateaux, au midi des précédents.

Masséssyliens, sur la rive droite du Molochath.

Maurétanie occidentale.--Maures, nom générique.

Masséssyliens, établis dans le bassin de la Moulouïa.

Maziques, sur le littoral nord et ouest.

Bacuates, établis dans le bassin du Sebou et étendant leur domination vers l'est (identifiés aux Berg'ouata).

Makenites, cours supérieur du Sebou (identifiés aux Meknaça).

Autotoles, Banuires, etc., dans le bassin de l'Oum-er-Rebïa.

Daradæ, bassin du Derâa.

Région intérieure

Libye déserte.--Garamantes, appelés aussi Gamphazantes, oasis de Garama (Djerma) et Phazanie (Fezzan).

Blemyes, au sud-est des précédents, vers le désert de Libye (peuplade donnant lieu à des récits fabuleux).

Gétulie.--Gétules, nom générique. Sur toute la ligne des hauts plateaux et dans la partie septentrionale du désert.

Mélano-Gétules (Gétules noirs), au midi des précédents.

Perorses, Pharusiens, sur la rive gauche du Darat (Ouad-Derâa).

Ethiopie.--Ethiopiens, terme générique, divisés en Ethiopiens blancs et Ethiopiens noirs.

Quant aux Ethiopiens rouges ou Ganges, que les auteurs placent au midi de la Gétulie, sur les bords de l'Océan, nous ne pouvons nous empêcher de les rapprocher des Iznagen (Sanhaga des Arabes), qui ont donné leur nom au Sénégal. Nous trouverons du reste, dans l'histoire des Sanhaga au voile (Mouletthemine), le nom de Ouaggag, porté encore par des chefs de ces peuplades.


DIVISIONS GÉOGRAPHIQUES ADOPTÉES PAR LES ARABES


Les Arabes, arrivant d'Orient au viie siècle, donnèrent, ainsi que nous l'avons dit, à l'Afrique le nom générique de Mag'reb, qui s'étendit même à l'Espagne musulmane. Mais, dans la pratique, une désignation ne pouvait demeurer aussi vague, et les conquérants divisèrent le pays comme suit:

Pays de Barka, la Cyrénaïque (moins la Marmarique).

Ifrikiya, la Tunisie proprement dite, à laquelle on a ajouté la Tripolitaine à l'est, et la province de Constantine, jusqu'au méridien de Bougie, à l'ouest.

El-Mag'reb-el-Aouçot (ou Mag'reb central), depuis le méridien de Bougie jusqu'à la rivière Moulouïa.

El-Mag'reb-el-Akça (ou Mag'reb extrême). Tout le reste de l'Afrique, jusqu'à l'Océan à l'ouest et à l'Ouad-Derâa au sud.

Sahara, toute la région désertique.

Population

Là où les anciens n'avaient vu qu'une série de peuplades indigènes, sans lien entre elles, les Arabes ont reconnu un peuple, une même race qui a couvert tout le nord de l'Afrique. Ils lui ont donné le nom de Berbère, que nous lui conserverons dans ce livre. Cette race se subdivisait en plusieurs grandes familles, dont nous présentons les tableaux complets au chapitre Ier de la deuxième partie.





ETHNOGRAPHIE


ORIGINE ET FORMATION DU PEUPLE BERBÈRE

La question de l'origine et de la formation du peuple berbère n'a pas fait un grand pas depuis une vingtaine d'années. Nous avons donc peu de chose à ajouter au mémoire publié par nous en 1871, sous le titre: Notes sur l'origine du peuple berbère 3. De nouvelles hypothèses ont été émises, mais, on peut l'affirmer, le fond solide, sur lequel doivent s'appuyer les données véritablement historiques, ne s'est augmenté en rien, malgré les découvertes de l'anthropologie.

En résumé, que possédons-nous, comme traditions historiques, sur ce sujet? Diodore, Hérodote, Strabon, Pline, Ptolémée, ne disent rien sur l'origine des peuplades dont ils parlent; ils voient là des agglomérations de sauvages, dont ils nous transmettent les noms altérés et dont ils retracent les mœurs primitives, sinon fantastiques.

Un seul, Salluste, s'inquiète de la formation des peuples africains et il reproduit, à cet égard, les traditions qu'il prétend avoir recueillies dans les livres du roi Hiemsal, «écrits en langue punique». On connaît son système: L'Hercule tyrien aurait entraîné jusqu'au détroit qui a reçu son nom 4 des guerriers mèdes, perses et arméniens. Ces étrangers, restés dans le pays, auraient formé la souche des Maures et des Numides. Ces nouveaux noms leur auraient été donnés par les Libyens dans leur jargon barbare 5. Les colonies phéniciennes établies sur le littoral auraient achevé de constituer la population de l'Afrique, en lui ajoutant un élément nouveau.

Note 3: (retour) Revue africaine, 1871. Ce mémoire a été donné en appendice à la fin de notre Histoire de l'établissement des Arabes dans l'Afrique septentrionale.
Note 4: (retour) Colonnes d'Hercule.
Note 5: (retour) «..... barbara lingua Mauros, pro Medis appellantes» (Salluste).

Voilà, en quelques mots, le système de Salluste.

Procope, reproduisant à cet égard les données de l'historien Josèphe, dit que l'Afrique a été peuplée par des nations chassées de la Palestine par les Hébreux 6. Le rabbin Maïmounide, un des plus célèbres commentateurs du Talmud, nous apprend que les Gergéséens, expulsés du pays de Canaan par Josué, emigrèrent en Afrique.

Enfin, l'historien arabe Ibn-Khaldoun, après avoir examiné diverses hypothèses sur la question, s'exprime comme suit: «Les Berbères sont les enfants de Canaan, fils de Cham, fils de Noë; leur aïeul se nommait Mazir'; ils avaient pour frères les Gergéséens et étaient parents des Philistins. Le roi, chez eux, portait le titre de Goliath (Galout). Il y eut en Syrie, entre les Philistins et les Israélites, des guerres, etc. Vers ce temps-là, les Berbères passèrent en Afrique 7

Note 6: (retour) Procope. De bello Vandalico.
Note 7: (retour) Histoire des Berbères (trad. de Slane), t. I. p. 184.

Ainsi, voilà toute une série de traditions d'origines diverses, rappelant le souvenir d'invasions de peuples asiatiques dans le nord de l'Afrique.

Nous n'avons pas parlé des Hycsos, ces conquérants sémites, plus ou moins mélangés de Mongols, qui, après avoir conquis l'Egypte, renversé la XIIIe dynastie et occupé en maîtres le pays durant plusieurs siècles, furent chassés par le Pharaon Ahmés I, de la XVIIIe dynastie.

En effet, l'histoire de l'Egypte nous démontre péremptoirement qu'autrefois sa vie a été intimement mêlée à celle de la Berbérie, et c'est ce qui a été très bien caractérisé par M. Zaborowski 8 dans les termes suivants: «L'action réciproque de l'Egypte et de l'Afrique l'une sur l'autre est si ancienne, elle a été si longue et si profonde, qu'il est impossible de démêler ce que la première a emprunté à la seconde, et réciproquement.»

Note 8: (retour) Peuples primitifs de l'Afrique. (Nouvelle revue, 1er mars 1883.)

Il est donc possible que les Hycsos, vaincus, soient passés en partie dans le Mag'reb. Mais, en revanche, cette même histoire nous apprend que, vers le xve siècle avant J.-C., sous la XIXe dynastie, une invasion de nomades, aux yeux bleus et aux cheveux blonds, vint de l'ouest s'abattre sur l'Egypte.

Ces populations, que les Egyptiens confondaient avec les Libyens et qu'ils nommaient Tamahou (hommes blonds), d'où venaient-elles? Arrivaient-elles d'Europe ou étaient-elles depuis longtemps établies dans la Berbérie? Cette question est insoluble; mais, quand on examine la quantité innombrable de dolmens qui couvrent l'Afrique septentrionale, on ne peut s'empêcher d'y voir les sépultures de ces hommes blonds ou un usage laissé par eux. Il faut, en outre, reconnaître la parenté étroite qui existe entre les dolmens de l'Afrique et ceux de l'Espagne, de l'ouest de la France et du Danemarck.

Berbères, Ibères, Celtibères, voilà des peuples frères et dont l'action réciproque des uns sur les autres est incontestable, sans même qu'il soit besoin d'appeler à son aide l'identité de conformation physique ou les rapprochements linguistiques, car ce sont des arguments d'une valeur relative et dont il est facile de tirer parti en sens divers.

A quelle époque, par quels moyens se sont établies ces relations de races entre le midi de l'Europe et l'Afrique septentrionale? Les invasions ont-elles eu lieu de celle-ci en celui-là, ou de celui-là en celle-ci? Autant de questions sur lesquelles les érudits ne parviendront jamais à s'entendre, en l'absence de tout document précis. Pourquoi, du reste, les deux faits ne se seraient-ils pas produits à des époques différentes?

Mais ne nous arrêtons pas à ces détails.

Du rapide exposé qui précède résultent deux faits que l'on peut admettre comme incontestables:

1° Des invasions importantes de peuples asiatiques ont eu lieu, à différentes époques, dans l'Afrique septentrionale;

2° Cette région a été habitée anciennement par une race blonde, ayant de grands traits de ressemblance, comme caractères physiologiques et comme mœurs, avec certaines peuplades européennes.

Quelle conclusion tirerons-nous maintenant de cette constatation?

Dirons-nous, comme certains, que la race berbère est d'origine purement sémitique, ou, comme d'autres, purement aryenne?

Nullement. La race berbère, en effet, peut avoir subi, à différents degrés, cette double influence, et il peut exister parmi elle des branches qu'il est possible de rattacher à l'une et à l'autre de ces origines. Mais il n'en est pas moins vrai que, comme ensemble, elle a persisté avec son type spécial de race africaine, type bien connu en Egypte dans les temps anciens, et que l'on retrouve encore maintenant dans toute l'Afrique septentrionale.

Sans vouloir discuter la question de l'unité ou de la pluralité de la famille humaine, il est certain qu'à une époque très reculée, la race libyenne ou berbère s'est trouvée formée et a occupé l'aire qui lui est propre, toute l'Afrique du nord.

Sur ce substratum sont venues, à des époques relativement récentes, s'étendre des invasions dont l'histoire a conservé de vagues souvenirs, et ce contact a laissé son empreinte dans la langue, dans les mœurs et dans les caractères physiologiques. Les peuples cananéens, les Phéniciens ont eu une action indiscutable sur la langue berbère; et les blonds, qui, peut-être, étaient en grande minorité, ont imposé pendant un certain temps leur mode de sépulture aux Libyens du Tell. Malgré l'adoption de la religion musulmane et la modification profonde subie par les populations du nord de l'Afrique, du fait de l'introduction de l'élément arabe, il existe encore en Algérie, notamment aux environs de la Kalàa des Beni-Hammad, dans les montagnes au nord de Mecila, des tribus qui construisent de véritables dolmens.

Mais cette action des étrangers, que nous reconnaissons, a eu des effets plus apparents que profonds, et il s'est passé en Afrique ce qui a eu lieu presque partout et toujours, avec une régularité qui permettrait de faire une loi de ce phénomène: la race vaincue, dominée, asservie, a, peu à peu, par une action lente, imperceptible, absorbé son vainqueur en l'incorporant dans son sein.

Le même fait s'est produit au moyen âge à l'occasion de l'invasion hilalienne, et cependant le nombre des Arabes était relativement considérable et leur mélange avec la race indigène avait été favorisé d'une manière toute particulière, par l'anarchie qui divisait les Berbères et annihilait leurs forces. L'élément arabe a néanmoins été absorbé; mais, en se fondant au milieu de la race autochthone disjointe, il lui a fait adopter, en beaucoup d'endroits, sa langue et ses mœurs.

N'est-ce pas, du reste, ce qui s'est passé en Gaule: l'occupation romaine a romanisé pour de longs siècles les provinces méridionales, sans modifier, d'une manière sensible, l'ensemble de la race. Dans le nord, les conquérants francks se sont rapidement fondus dans la race conquise, sans laisser d'autre souvenir que leur nom substitué à celui des vaincus. Ces effets différents s'expliquent par le degré de civilisation des conquérants, supérieur aux vaincus dans le premier cas, inférieur dans le second. En résumé, ces conquêtes, ces changements dans les dénominations, les lois et les mœurs, n'ont pas empêché la race gauloise de rester, comme fond, celtique.

De même, malgré les influences étrangères qu'elle a subies, la race autochthone du nord de l'Afrique est restée libyque, c'est-à-dire berbère.



PRÉCIS DE L'HISTOIRE

DE L'AFRIQUE SEPTENTRIONALE

(BERBÉRIE)


PREMIÈRE PARTIE

PÉRIODE ANTIQUE

Jusqu'à 642 de l'Ère Chrétienne


CHAPITRE Ier

PÉRIODE PHÉNICIENNE

1100-268 avant J.-C.

Temps primitifs.--Les Phéniciens s'établissent en Afrique.--Fondation de Cyrène par les Grecs.--Données géographiques d'Hérodote.--Prépondérance de Karthage.--Découvertes de l'amiral Hannon.--Organisation politique de Karthage.--Conquêtes de Karthage dans les îles et sur le littoral de la Méditerranée.--Guerres de Sicile.--Révolte des Berbères.--Suite des guerres de Sicile.--Agathocle, tyran de Syracuse.--Il porte la guerre en Afrique.--Agathocle évacue l'Afrique.--Pyrrhus, roi de Sicile.--Nouvelles guerres dans cette île.--Anarchie en Sicile.

Temps primitifs.--L'incertitude la plus grande règne sur les temps primitifs de l'histoire de la Berbérie. Le nom de l'Afrique est à peine prononcé dans la Bible, et si, dans les récits légendaires tels que ceux d'Homère, la notion de ce pays se trouve plusieurs fois répétée, les détails qui l'accompagnent sont trop vagues pour que l'histoire positive puisse s'en servir. Sur la façon dont s'est formée la race aborigène de l'Afrique septentrionale, on ne peut émettre que des conjectures, et l'hypothèse la plus généralement admise est qu'à un peuple véritablement autochtone que l'on peut appeler chamitique, s'est adjoint un double élément arian (blond) et sémitique (brun), dont le mélange intime a formé la race berbère, déjà constituée bien avant les temps historiques.

L'antiquité grecque n'a commencé à avoir de détails précis sur la partie occidentale de l'Afrique du nord que par ses navigateurs, lors de ses tentatives de colonisation en Egypte et sur les rivages de la Méditerranée. Hérodote est le premier auteur ancien qui ait écrit sérieusement sur ce pays (ve siècle av. J.-C.); nous examinerons plus loin son système géographique.

Selon cet historien, les Libyens étaient des nomades se nourrissant de la chair et du lait de leurs brebis. «Leurs habitations sont des cabanes tressées d'asphodèles et de joncs, qu'ils transportent à volonté.» Plus tard, Diodore les représentera comme menant une existence abrutie, couchant en plein air, n'ayant qu'une nourriture sauvage; sans maisons, sans habits, se couvrant seulement le corps de peaux de chèvres.» Ils obéissent à des rois qui n'ont aucune notion de la justice et ne vivent que de brigandage. «Ils vont au combat, dit-il encore, avec trois javelots et des pierres dans un sac de cuir..... n'ayant pour but que de gagner de vitesse l'ennemi, dans la poursuite comme dans la retraite..... En général, ils n'observent, à l'égard des étrangers, ni foi ni loi.» Ce tableau de Diodore s'applique évidemment aux Africains nomades. Dans les pays de montagne et de petite culture, les mœurs devaient se modifier suivant les lieux.

Les Phéniciens s'établissent en Afrique.--Dès le xiie siècle avant notre ère, les Phéniciens qui, selon Diodore, avaient déjà des colonies, non seulement sur le littoral européen de la Méditerranée, mais encore sur la rive océanienne de l'Ibérie, explorèrent les côtes de l'Afrique et les reconnurent, sans doute, jusqu'aux Colonnes d'Hercule. Les relations commerciales avec les indigènes étaient le but de ces courses aventureuses et, pour assurer la régularité des échanges, des comptoirs ne tardèrent pas à se former. Les Berbères ne firent probablement aucune opposition à l'établissement de ces étrangers, qui, sous l'égide du commerce, venaient les initier à une civilisation supérieure, et dans lesquels ils ne pouvaient entrevoir de futurs dominateurs. Il résulte même de divers passages des auteurs anciens que les indigènes étaient très empressés à retenir chez eux les Tyriens. Quant à ceux-ci, ils se présentaient humblement, se reconnaissaient sans peine les hôtes des aborigènes et se soumettaient à l'obligation de leur payer un tribut 9.

Ainsi les colonies de Leptis (Lebida), Hadrumet (Souça), Utique, Tunès (Tunis), Karthage 10, Hippo-Zarytos (Benzert), etc., furent successivement établies sur le continent africain, et le littoral sud de la Méditerranée fut ouvert au commerce par les Phéniciens, comme le rivage nord et les îles l'avaient été par les Grecs.

Note 9: (retour) Mommsen, Histoire romaine, trad. de Guerle, t. II, p. 206 et suiv. Voir la tradition recueillie par Trogue-Pompée et Virgile, sur la fondation de Karthage par Didon.
Note 10: (retour) En phénicien «la ville neuve» (Kart-hadatch) par opposition à Utique (Outik) «la vieille».

Fondation de Cyrène par les Grecs.--Les rivaux des Phéniciens dans la colonisation du littoral méditerranéen furent les Grecs. Depuis longtemps, ils tournaient leurs regards vers l'Afrique, lorsque Psammetik Ier combla leurs vœux en leur ouvrant les ports de l'Egypte. Après avoir exploré cette contrée jusqu'à l'extrême sud, ils firent un pas vers l'Occident, et dans le viie siècle 11, une colonie de Grecs de l'île de Théra vint, sous la conduite de son chef Aristée, surnommé Battos, s'établir à Cyrène. Les peuplades indigènes que les Théréens y rencontrèrent leur ayant dit qu'elles s'appelaient Loub ou Loubim, ils donnèrent à leur pays le nom de Libye (Λιßύε), que l'antiquité conserva à l'Afrique. La tradition a gardé le souvenir des luttes qui éclatèrent entre les Grecs de Cyrène et leurs voisins de l'Ouest, les Phéniciens, au sujet de la limite commune de leurs possessions, et l'histoire retrace le dévouement des deux frères Karthaginois qui consentirent à se laisser enterrer vivants pour étendre le territoire de leur patrie jusqu'à l'endroit que l'on a appelé en leur honneur «Autel des Philènes» 12.

Note 11: (retour) On n'est pas d'accord sur la date de la fondation de Cyrène. Selon Théophraste et Pline, il faudrait adopter 611. Solin donne une date antérieure qui varie entre 758 et 631.
Note 12: (retour) A l'est de Leptis, au fond de la Grande Syrte. Salluste, Bell. Jug., XIX, LXXVIII.

Données géographiques d'Hérodote.--Vers 420, Hérodote, qui avait lui-même visité l'Egypte, écrivit sur l'Afrique des détails précis que ses successeurs ont répétés à l'envi. Ses données, très étendues sur l'Egypte, sont assez exactes relativement à la Libye, jusqu'au territoire de Karthage; pour le pays situé au delà, il reproduit les récits plus ou moins vagues des voyageurs grecs.

Pour Hérodote, la Libye comprend le «territoire situé entre l'Egypte et le promontoire de Soleïs (sans doute le cap Cantin). Elle est habitée par les Libyens et un grand nombre de peuples libyques et aussi par des colonies grecques et phéniciennes établies sur le littoral. Ce qui s'étend au-dessus de la côte est rempli de bêtes féroces; puis, après cette région sauvage, ce n'est plus qu'un désert de sable prodigieusement aride et tout à fait désert» 13.

Après avoir décrit le littoral de la Cyrénaïque et des Syrtes, Hérodote s'arrête au lac Triton (le Chot du Djerid). Il ne sait rien, ou du moins ne parle pas spécialement de Karthage. «Au delà du lac Triton,--dit-il,--on rencontre des montagnes boisées, habitées par des populations de cultivateurs nommés Maxyes.» Enfin, il a entendu dire que, bien loin, dans la même direction, était une montagne fabuleuse nommée Atlas et dont les habitants se nommaient Atlantes ou Atarantes. Au midi de ces régions, au delà des déserts, se trouve la noire Ethiopie.

Parmi les principaux noms de peuplades donnés par Hérodote, nous citerons:

Les Adyrmakhides, les Ghiligammes, les Asbystes, les Auskhises, etc., habitant la Cyrénaïque.

Les Nasamons et les Psylles établis sur le littoral de la Grande Syrte.

Les Garamantes divisés en Garamantes du nord, habitant les montagnes de Tripoli, et Garamantes du sud, établis dans l'oasis de Garama (actuellement Djerma dans le Fezzan), dont ils ont pris le nom.

Les Troglodytes, voisins des précédents et en guerre avec eux.

Les Lotophages, établis dans l'île de Méninx (Djerba) et sur le littoral voisin.

Les Makhlyes, habitant le littoral jusqu'au lac Triton.

Les Maxyes, les Aœses, les Zaouekès et les Ghyzantes au nord du lac Triton et sur le littoral en face des îles Cercina (Kerkinna) 14.

Tels sont les traits principaux de la Libye d'Hérodote. Comme détail des mœurs de ces indigènes, il cite la vie nomade, l'absence de toute loi, la promiscuité des femmes, etc. Il parle encore de peuplades fabuleuses habitant l'extrême sud 15.

Note 14: (retour) Hérodote, 1. IV, ch. 143.
Note 15: (retour) Vivien de Saint-Martin, Le Nord de l'Afrique dans l'Antiquité, passim.

Prépondérance de Karthage.--La prospérité des comptoirs phéniciens, augmentant de jour en jour, attira de nouveaux immigrants, et Karthage, dont la fondation date du commencement du xe siècle (av. J.-C.), devint la principale des colonies de Tyr et de Sidon en Afrique. Ces métropoles envoyaient à leurs possessions de la Méditerranée des troupes qui, chargées d'abord de les protéger contre les indigènes, servirent ensuite à dompter ceux-ci. Bientôt les villages agricoles avoisinant les colonies phéniciennes furent soumis, et les cultivateurs berbères durent donner à leurs anciens locataires, devenus leurs maîtres, le quart du revenu de leurs terres, tant il est vrai que deux peuples ne peuvent vivre côte à côte sans que le plus civilisé, fût-il de beaucoup le moins nombreux, arrive à imposer sa domination à l'autre.

La puissance de Karthage devint donc plus grande et s'étendit sur les tribus du tel de la Tunisie et de la Tripolitaine. Les Berbères du sud, maintenus dans une sorte de vasselage, servaient d'intermédiaires pour le commerce de l'intérieur de l'Afrique 16. Non seulement Karthage, après avoir cessé de payer tribut aux indigènes, en exigea un de ceux-ci, mais elle devint la capitale des autres colonies phéniciennes, qui durent lui servir une redevance. De plus, elle s'était peu à peu débarrassée des liens qui l'unissaient à la mère patrie et avait conquis son autonomie à mesure que la puissance du royaume phénicien déclinait 17.

Note 16: (retour) Ragot. Sahara, de la province de Constantine, IIe partie, p. 147 (Recueil des notices de la Société arch. de Constantine, 1875).
Note 17: (retour) Justin, XIX, 1, 2.

En même temps les navigateurs puniques fondaient à l'ouest de nouvelles colonies: Djidjel (Djidjeli), Salde (Bougie), Kartenna (Ténès), Yol (Cherchel), Tingis (Tanger), etc. Les Karthaginois conclurent avec les rois ou chefs de tribus de ces contrées éloignées, des traités de commerce et d'alliance.

Découvertes de l'amiral Hannon.--Mais cette extension ne suffisait pas à l'ambition des Phéniciens; il leur fallait de nouvelles conquêtes. Entre le vie et le ve siècle, le gouvernement de Karthage chargea l'amiral Hannon de reconnaître le littoral de l'Atlantique et d'y établir des colonies. Le hardi marin partit avec une flotte de soixante navires portant trente mille colons phéniciens et libyens, et les provisions nécessaires pour le voyage et les premiers temps de l'établissement. Il franchit le détroit de Gadès, répartit son monde sur la côte africaine de l'Océan et s'avança jusqu'au golfe formé par la pointe qu'il appelle Corne du Midi et que M. Vivien de Saint-Martin identifie à la pointe du golfe de Guinée. Seule, la crainte de manquer de vivres l'obligea à s'arrêter. Il retourna sur ses pas après avoir accompli un voyage qui ne devait être renouvelé que deux mille ans plus tard 18.

Note 18: (retour) Par les Portugais en 1462.

Le succès de l'entreprise de Hannon frappa tellement ses concitoyens que les principales circonstances de son voyage furent relatées en une inscription qu'on plaça dans le temple de Karthage. Cette inscription, traduite plus tard par un voyageur grec, nous est parvenue sous le nom de Périple de Hannon; malheureusement la date manque. L'on sait seulement, d'après Pline, que c'était à l'époque de la plus grande puissance de Karthage, alors que, selon Erathosthène, cité par Strabon, on comptait plus de trois cents colonies phéniciennes au delà du détroit 19.

Organisation politique de Karthage.--La puissance acquise par Karthage au milieu des populations berbères était le fruit de l'esprit d'initiative, du courage et de l'adresse dont les Phéniciens avaient sans cesse donné des preuves pendant de longs siècles. Chacun avait coopéré à cette conquête; le gouvernement avait donc été d'abord une république où le rang de chacun était égal. Puis, les fortunes commerciales et militaires s'étant faites, les grandes familles avaient conservé le pouvoir entre leurs mains, et il en était résulté une oligarchie assez compliquée. Le pouvoir exécutif était dévolu à deux rois 20, assistés d'un conseil dit des anciens, composé de vingt-huit membres, tous paraissant avoir été élus par le peuple et pour un temps assez court. L'exécutif nommait les généraux en chef, mais leur déléguait une partie de ses pouvoirs, ce qui tendait à en faire de véritables dictateurs, tout en offrant l'avantage de rétablir une unité nécessaire dans le commandement. Pour compléter la machine gouvernementale, un autre conseil, dit des Cent-Quatre, composé de l'aristocratie, exerçait les fonctions judiciaires et contrôlait les actes de tous 21. Ce gouvernement impersonnel n'avait pas les avantages d'une démocratie et en avait tous les inconvénients; il manquait d'unité et, par suite, de force, et ouvrait la porte à toutes les intrigues et à toutes les compétitions.

Note 19: (retour) Vivien de Saint-Martin.--Voir également: «Navigation d'Hannon capitaine carthaginois aux parties d'Afrique, delà les colonnes d'Hercule,» par Léon l'Africain (trad. Temporal), t. I, p. xxv et suiv.
Note 20: (retour) Suffètes (Chofetim) ou juges. Les auteurs anciens leur donnent le nom de rois. Tite-Live les compare aux consuls (XXX).
Note 21: (retour) Mommsen, Histoire romaine, t. II, p. 217 et suiv.--Aristote, Polit., 1.[caractère peu lisible] II.--Polybe, VI et pass.

Conquête de Karthage dans les îles et sur le littoral de la Méditerranée.--Dès le sixième siècle avant notre ère, les Karthaginois firent des expéditions guerrières dans les îles et sur le rivage continental de la Méditerranée. En 543, à la suite d'une guerre contre les Phocéens, ils restèrent maîtres de l'île de Corse. Quelques années plus tard, eut lieu leur premier débarquement en Sicile (536).

Les relations amicales de Karthage avec l'Italie remontent à cette époque; déjà les Etrusques l'avaient aidée dans sa guerre contre les Phocéens; en 509 fut conclu son premier traité d'alliance avec les Romains 22.

Sous l'habile direction de Magon, la puissance punique s'étendit sur la Méditerranée, dont tous les rivages reçurent la visite des vaisseaux de Karthage se présentant, non plus comme de simples trafiquants, mais comme les maîtres de la mer. Les Berbères de l'Afrique propre sont ses vassaux; ceux du sud et de l'ouest ses alliés: tous lui fournissent des mercenaires pour ses campagnes lointaines. La civilisation Karthaginoise se répandit au loin et exerça la plus grande influence, particulièrement sur la Grèce et le midi de l'Italie.

Guerres de Sicile.--Mais ce fut contre la Sicile que Karthage concentra ses plus grands efforts; elle était attirée vers cette conquête par la richesse et la proximité de l'île, et aussi par le désir d'abattre la puissance des Grecs en Occident. Alors commença ce duel séculaire, qui devait avoir pour résultat d'arrêter la colonisation grecque dans la Méditerranée, mais dont Rome devait recueillir tous les fruits.

Alliés à Xerxès par un traité fait dans le but d'opérer simultanément contre les Grecs, les Karthaginois firent passer en Sicile une armée considérable sous la conduite d'Amilcar 23, fils de Magon; mais cette alliance ne leur fut pas favorable et, tandis que les Perses étaient écrasés à Salamine, les Phéniciens éprouvaient un véritable désastre en Sicile (vers 480).

La guerre continua pendant de longues années en Sicile, sans que les Karthaginois y obtinssent de grands succès: les revers, la peste, les calamités de toute sorte semblaient stimuler leur ardeur. Néanmoins, vers la fin du ve siècle, Hannibal et Himilcon, de la famille de Hannon, remportèrent de grandes victoires et conquirent aux Karthaginois près d'un tiers de l'île, avec des villes telles que Selinonte, Hymère, Agrigente, etc. 24.

Note 23: (retour) C'est à tort que M. Mommsen et les Allemands orthographient ce nom par un H. La première lettre est un Aïn () et non un Heth ().

Denys, tyran de Syracuse, les arrêta dans leurs succès et les força à signer un traité, ou plutôt une trêve, pendant laquelle les deux adversaires se préparèrent à une lutte plus sérieuse (404).

En 399 Denys envahit les possessions Karthaginoises; Himilcon, nommé suffète, arrive avec une flotte nombreuse devant Syracuse, force l'entrée du port et coule les vaisseaux ennemis (396). L'année suivante, il revient en force, s'empare de Motya, de Messine, de Catane, de presque toute l'île, vient mettre le siège devant Syracuse et porte le ravage dans la contrée environnante. Au moment où il est sur le point de triompher de son ennemi, la peste éclate dans son armée. Denys profite de cette circonstance pour attaquer les Karthaginois démoralisés, les bat sur terre et sur mer et force le suffète à souscrire à une capitulation qui consacre la perte de toutes ses conquêtes. Ainsi finit cette campagne si brillamment commencée 25.

Note 25: (retour) Diodore, 1. XXIV.

Révolte des Berbères.--À la nouvelle de ce désastre, les indigènes de l'Afrique croient que le moment est venu de reconquérir leur indépendance. Ils se réunissent en grandes masses et viennent tumultueusement attaquer Karthage (395). Tunis tombe en leur pouvoir et la métropole punique se trouve exposée au plus grand danger. Mais bientôt la discorde se met parmi ces hordes sans chefs, qui ne veulent obéir à aucune règle, et ce rassemblement se fond et se désagrège. Ainsi nous verrons constamment les Berbères profiter des malheurs dont leurs dominateurs sont victimes pour se lever contre eux: la révolte éclate comme la foudre; mais bientôt la désunion et l'indiscipline font leur œuvre, la réunion se dissout en quelques jours et les indigènes retombent sous le joug de l'étranger 26.

Note 26: (retour) Diodore, 1. XIV, ch. lxxii.

Suite des guerres de Sicile.--À peine Karthage avait-elle triomphé des Berbères qu'elle envoya Magon en Sicile avec de nouvelles forces. La guerre recommença aussitôt entre Denys et les Karthaginois, et se prolongea avec des chances diverses pendant plusieurs années. Magon, ayant péri dans une bataille, fut remplacé par son fils portant le même nom. En 368, Denys cessa de vivre et eut pour successeur son fils Denys le jeune. Malgré ces changements, la guerre continuait avec acharnement de part et d'autre: c'était comme un héritage que les pères transmettaient en mourant à leurs enfants.

Mais si les Grecs de Sicile avaient recouvré une certaine puissance sous la ferme main de Denys, le règne de son successeur ne leur procura pas les mêmes avantages. Poussés à bout par les vices de Denys le jeune, les Syracusains l'expulsèrent de leur ville; mais comme un tyran a toujours des partisans, la guerre civile divisa les Grecs. Karthage saisit avec empressement cette occasion pour envoyer de nouvelles troupes en Sicile avec Magon, en chargeant ce général de reprendre avec vigueur les opérations militaires. Vers le même temps elle concluait avec Rome un nouveau traité d'alliance tout en sa faveur, car elle imposait à celle-ci de ne pas naviguer au delà du détroit de Gadès, à l'Ouest, et du cap Bon, à l'Est, et lui interdisait même de faire du commerce en Afrique (348).

A l'arrivée de Magon en Sicile, un groupe de citoyens de Syracuse, car la ville elle-même était divisée en plusieurs camps, fit appel aux Corinthiens fondateurs de leur cité, en implorant leur secours. Ceux-ci envoyèrent Timoléon avec une petite armée d'un millier d'hommes. Syracuse était alors sur le point de tomber: un parti avait livré le port aux Karthaginois; Denys occupait le château; Icetas le reste de la ville. Timoléon obtint la soumission de Denys et la remise de la citadelle et força les Karthaginois à une trêve pendant laquelle il détacha de Magon ses auxiliaires grecs. Celui-ci, se croyant perdu, s'embarqua précipitamment et vint chercher un refuge à Karthage, où, pour échapper à un supplice ignominieux, il se donna la mort.

Karthage, brûlant du désir de tirer vengeance de ces échecs, fit passer, en 340, de nouvelles troupes en Sicile sous le commandement de Hannibal et de Amilcar; mais ce ne fut que pour essuyer un nouveau et plus complet désastre. Timoléon, bien qu'il disposât d'un nombre beaucoup moins grand de soldats, réussit, après une lutte acharnée dans laquelle les Karthaginois déployèrent le plus grand courage, à triompher d'eux. En 338 un traité fut conclu entre les Syracusains et les Karthaginois. Timoléon fit ainsi reconnaître l'intégrité de Syracuse et de son territoire et recula les bornes des possessions puniques, en imposant aux Karthaginois la défense de soutenir à l'avenir les tyrans.

Agathocle, tyran de Syracuse.--Il porte la guerre en Afrique.--Quelques années plus tard, un homme de la plus basse extraction, sans mœurs, mais d'un caractère énergique et ambitieux, parvint, avec l'appui d'Amilcar, à s'emparer par un coup de force de l'autorité à Syracuse; il mit à mort les citoyens les plus honorables et se proclama roi des Grecs (319). Bien qu'il eût juré à Amilcar, pour obtenir son appui, une fidélité éternelle à Karthage, il se considéra comme dégagé de son serment par la mort de son ancien protecteur et envahit les possessions puniques. Aussitôt, Karthage fit passer en Sicile une armée nombreuse sous la conduite de Amilcar, fils de Giscon, et ses troupes remportèrent sur Agathocle une victoire décisive et vinrent mettre le siège devant Syracuse.

Agathocle, réduit à la dernière extrémité, ne possédant plus que la ville dans laquelle il est bloqué, repoussé par les Grecs auxquels il s'est rendu odieux par sa tyrannie, conçoit le dessein hardi de se débarrasser de ses ennemis en allant porter la guerre chez eux. Il supplie les Syracusains de résister encore quelques jours, parvient, au moyen d'un stratagème, à attirer les vaisseaux Karthaginois en dehors du port, profite de ce moment pour en sortir lui-même avec quelques navires, et fait voile vers l'Afrique. Poursuivi par la flotte de ses ennemis, il parvient à lui échapper et, après six jours d'une traversée des plus périlleuses, aborde dans le golfe même de Tunis et se retranche dans les carrières, après avoir brûlé ses vaisseaux afin d'enlever à ses troupes toute pensée de retour (310).

Revenus de la stupeur que leur a causée cette attaque imprévue, les Karthaginois appellent tous les hommes aux armes et chargent les généraux Hannon et Bomilcar de repousser l'usurpateur qui s'est déjà emparé de plusieurs villes. Mais le sort des armes est funeste aux Phéniciens; leurs troupes sont écrasées par Agathocle qui vient mettre le siège devant Karthage (309).

Pendant que les Phéniciens démoralisés multiplient les offrandes à leurs dieux pour apaiser leur courroux, en sacrifiant même leurs propres enfants, la renommée porte de tous côtés, en Berbérie, la nouvelle des succès de l'envahisseur et de la destruction de l'armée Karthaginoise. Les indigènes, tributaires ou alliés, accourent en foule au camp d'Agathocle pour l'aider à écraser leurs maîtres ou leurs amis.

En Sicile, Amilcar a continué le siège de Syracuse: mais bientôt le bruit des victoires des Grecs parvient aux assiégés et, par un puissant effort, ils obligent les Karthaginois à lever le blocus (309). L'année suivante, Amilcar essaie en vain d'enlever Syracuse; il est vaincu, fait prisonnier et expire dans les supplices.

Cependant Agathocle, solidement établi à Tunis, continuait de menacer Karthage et en même temps parcourait en vainqueur le pays, au sud et à l'est, faisant reconnaître son autorité par les Berbères; dans une seule campagne, plus de deux cents villes lui ont fait leur soumission. Après avoir, avec une audacieuse habileté, réprimé une révolte qui avait éclaté contre lui au milieu de ses soldats, Agathocle entra en pourparlers avec Ophellas, roi de la Cyrénaïque, ancien lieutenant d'Alexandre, et lui demanda son alliance. Séduit par ses promesses, Ophellas n'hésita pas à amener son armée au tyran; mais Agathocle le fit assassiner et s'attacha ses troupes. Karthage se trouvait alors dans une situation des plus critiques, et pour comble de malheur, la trahison et la guerre civile paralysaient ses forces.

Agathocle, après avoir enlevé Utique et Hippo-Zarytos 27, laissa le commandement de son armée à son fils Archagate, et rentra en Sicile, où il tenait aussi à assurer son autorité (306); aussitôt après son départ, les Karthaginois reprirent vigoureusement l'offensive et réduisirent les Grecs à l'état d'assiégés. Agathocle s'empressa de venir au secours de son fils; mais la victoire n'est pas toujours fidèle aux conquérants et il éprouva à son tour les revers de la fortune.

Agathocle évacue l'Afrique.--Trahi par ses alliés berbères, n'ayant plus autour de lui que quelques soldats épuisés et démoralisés, Agathocle se décida à évacuer sa conquête; il retourna suivi de quelques officiers en Sicile, laissant à Tunis ses enfants, avec l'armée; mais les soldats, se voyant abandonnés, mirent à mort la famille de leur prince et traitèrent avec les Karthaginois auxquels ils abandonnèrent toutes les villes conquises par Agathocle.

Ainsi cette guerre qui avait mis Karthage à deux doigts de sa perte se terminait subitement au grand avantage de la métropole punique (306). Un traité de paix ayant été conclu entre les deux puissances, les Karthaginois purent s'appliquer à réparer leurs désastres et à reprendre de nouvelles forces, tandis qu'Agathocle établissait solidement son autorité à Syracuse, devenait un véritable roi, et s'unissait à Pyrrhus d'Epire en lui donnant sa fille en mariage.

Pyrrhus, roi de Sicile.--Nouvelles guerres dans cette contrée--Mais la paix entre la Sicile et Karthage ne pouvait être de longue durée. Après la mort d'Agathocle, survenue en 289, l'île devint de nouveau la proie des factions et durant près de dix années l'anarchie y régna seule. Enfin, en 279, les Syracusains menacés de l'attaque imminente de Karthage appelèrent à leur secours Pyrrhus, auquel ils avaient déjà fourni leur appui dans ses guerres contre Rome. Malgré les victoires d'Héraclée et d'Asculum si chèrement achetées, le roi d'Epire se trouvait dans la plus grande indécision, car il avait dû, pour vaincre les Romains, mettre en ligne toutes ses forces et il jugeait qu'avec les éléments hétérogènes composant son armée il ne pourrait obtenir une seconde fois ce résultat. La discorde avait éclaté parmi ses alliés et les Tarentins, mêmes, qui l'avaient appelé, étaient sur le point de se tourner contre lui. La proposition des Syracusains lui ouvrit de nouvelles perspectives: la royauté de la Sicile était, à défaut de Rome, une riche proie; Pyrrhus passa donc le détroit et arriva à Syracuse, où il fut accueilli avec le plus grand empressement.

Les Karthaginois avaient, deux ans auparavant, renouvelé leur alliance avec les Romains et fourni à ceux-ci l'appui de leur flotte dans la dernière guerre, car c'était un véritable traité d'alliance offensive et défensive qu'ils avaient conclu ensemble contre Pyrrhus. Pendant ce temps ils avaient redoublé d'efforts pour s'emparer de la Sicile et recommencé le blocus de Syracuse. L'arrivée de Pyrrhus, amenant des troupes nombreuses et aguerries, arrêta net leurs progrès; bientôt même ils se virent assiégés dans leur quartier général de Lilybée. Mais le temps des succès de Pyrrhus était passé; ses troupes furent vaincues dans plusieurs rencontres et le roi, voyant la fidélité des populations chanceler autour de lui, voulut se la conserver par la violence; il fit gémir l'île sous le poids de sa tyrannie, ce qui acheva de détacher de lui les Grecs. Dans cette conjoncture Pyrrhus, qui, du reste, était rappelé sur le continent par les Tarentins, se décida à laisser le champ libre aux Karthaginois et, passant de nouveau la mer, rentra en Italie (276), où le sort ne devait pas lui être plus favorable.

Anarchie en Sicile.--Le départ du roi laissait la Sicile en proie aux factions. Un grand nombre de mercenaires de toutes races avaient été appelés dans l'île par Agathocle ou y avaient été amenés par Pyrrhus. Abandonnés par leurs chefs, ils s'étaient d'abord livrés au brigandage, puis avaient formé de petites colonies indépendantes. La principale était celle des Mamertins ou soldats de Mars, nom que s'était donné un groupe d'aventuriers campaniens établis à Messine. Les Syracusains, après le départ de Pyrrhus, avaient élu comme chef un officier de fortune nommé Hiéron qui avait pris en main la direction de la résistance contre les Karthaginois et, pendant sept années, avait lutté contre eux, non sans succès. Pendant ce temps les Mamertins, alliés à des brigands de leur espèce établis à Rhige, sur la côte italienne, en face de Messine, avaient vu leur puissance s'accroître et étaient devenus un véritable danger pour les Grecs de Sicile, pour les Karthaginois et même pour les Romains. Cette situation allait donner naissance aux plus graves événements et déterminer une rupture, depuis quelque temps imminente, entre Rome et Karthage.


CHAPITRE II

PREMIÈRE GUERRE PUNIQUE

268-220

Causes de la première guerre punique.--Rupture de Rome avec Karthage.--Première guerre punique.--Succès des Romains en Sicile.--Les Romains portent la guerre en Afrique.--Victoire des Karthaginois à Tunis; les Romains évacuent l'Afrique.--Reprise de la guerre en Sicile.--Grand siège de Lilybèe.--Bataille des îles Egates; fin de la première guerre punique.--Divisions géographiques adoptées par les Romains.--Guerre des mercenaires.--Karthage, après avoir établi son autorité en Afrique, porte la guerre en Espagne.--Succès des Karthaginois en Espagne.

Causes de la première guerre punique.--Les échecs éprouvés par Pyrrhus dans l'Italie méridionale, son retour en Epire, sa mort (272), avaient délivré Rome d'un des plus grands dangers qu'elle eût courus. Sa puissance s'était augmentée d'autant, car elle avait hérité de presque toutes les conquêtes du roi d'Epire. Si donc les Romains avaient, dans le moment du danger, recherché l'alliance des Karthaginois contre l'ennemi commun, cette union momentanée de deux peuples ayant des intérêts absolument opposés ne pouvait subsister après la disparition des causes spéciales qui l'avaient amenée. Maîtresse de l'Italie méridionale, Rome jetait les yeux sur la Sicile, que Karthage considérait comme sa conquête, car depuis plusieurs siècles elle se consumait en efforts pour achever de s'en approprier la possession; c'est sur ce champ que la lutte de la race sémitique contre la race ariane allait commencer.

Un des premiers actes des Romains, après le départ de Pyrrhus, avait été de détruire le nid de brigands campaniens établis à Rhige. Les Mamertins de Messine, réduits ainsi à leurs seules forces, avaient alors été en butte aux attaques des Syracusains, habilement dirigés par Hiéron. Vers 268, leur situation n'étant plus tenable, ils se virent dans la nécessité de se rendre soit aux Grecs, leurs plus grands ennemis, soit aux Karthaginois. Un certain nombre d'entre eus entrèrent en pourparlers avec ceux-ci; mais les autres se décidèrent à faire hommage de leur cité aux Romains. Le Sénat de Rome, après quelque hésitation, admit les brigands campaniens dans la confédération italique et, dès lors, la rupture avec Karthage ne fut plus qu'une question de jours. Les prétextes, comme cela arrive dans de tels cas, ne manquaient pas; les Romains, notamment, reprochaient à Karthage d'avoir violé plus d'une clause de leurs précédents traités et d'avoir profité des embarras que leur causait la guerre de Pyrrhus, pour tenter de s'emparer de Tarente et de prendre pied sur le continent.

Rupture de Rome avec Karthage.--Tandis que Rome adressait à Hiéron l'ordre de cesser toute agression contre ses alliés les Mamertins, et se préparait à faire passer des troupes à Messine (265), elle envoyait à Karthage une députation chargée de demander des explications sur l'affaire de Tarente survenue sept ans auparavant 28. C'était, en réalité, un ultimatum, et Karthage parut essayer d'éviter la guerre en désavouant les actes de son amiral. En même temps elle entrait en pourparlers avec Hiéron; le groupe de Mamertins dissidents amenait un rapprochement entre ces ennemis et obtenait que Messine fût livrée aux Syracusains, leurs nouveaux alliés. Au moment donc où les troupes romaines réunies à Rhège se disposaient à traverser le détroit, on apprit que la flotte phénicienne commandée par Hiéron se trouvait dans le port de Messine et que la forteresse de cette ville était occupée par les Karthaginois (264). Sans se laisser arrêter par cette surprise, les Romains mirent à la voile et parvinrent à s'emparer, plutôt par la ruse que par la force, de Messine, car les chefs Karthaginois, liés par des instructions leur recommandant la plus grande prudence afin d'éviter une rupture, n'osèrent pas repousser les Italiens par l'emploi de toutes leurs forces. Maintenant la rupture était consommée et la guerre allait commencer avec la plus grande énergie de part et d'autre.

Note 28: (retour) En vertu du traité d'alliance les unissant aux Romains, les Karthaginois avaient envoyé à ceux-ci pour les aider dans leur guerre contre Pyrrhus une flotte de 120 navires. Mais on avait pris ombrage à Rome de cet empressement et l'amiral punique avait dû reprendre la mer. C'est alors qu'il était allé à Tarente offrir sa médiation ou peut-être ses services à Pyrrhus. (Justin, XVIII).

Première guerre punique.--Dès qu'on eut appris à Karthage l'occupation de Messine par les Italiens, la guerre fut décidée. Une flotte nombreuse vint, sous la conduite de Hannon, bloquer la ville par mer, tandis que les troupes puniques, d'un côté, et Hiéron, avec les Syracusains, de l'autre, l'assiégeaient par terre. Mais les Romains n'étaient pas disposés à se laisser enlever leur nouvelle colonie. Le consul Appius Claudius étant parvenu à passer le détroit contraignit bientôt les alliés à lever le siège et vint même faire une démonstration contre Syracuse. L'année suivante les Romains remportèrent de grands succès, dont la conséquence fut de détacher Hiéron du parti des Karthaginois et d'obtenir son alliance contre ceux-ci (263) 29; les colonies grecques de l'île suivirent son exemple et dès lors Karthage se trouva isolée, sur un sol étranger, et obligée de faire face à des ennemis s'appuyant sur des forteresses telles que Messine et Syracuse. Bientôt les Phéniciens en furent réduits à se retrancher derrière leurs places fortes.

Note 29: (retour) Diodore, XXIII.--Polybe, 1.

Dans ces conjonctures, les Karthaginois jugèrent qu'il y avait lieu de tenter un grand effort: ils réunirent une armée imposante de mercenaires liguriens, espagnols et gaulois et, l'ayant fait passer en Sicile, la répartirent dans leurs places fortes et s'établirent solidement à Agrigente (Akragas), afin de faire de cette ville le nœud de leur résistance. Bientôt les consuls vinrent attaquer ce camp retranché, mais, n'ayant pu l'enlever d'un coup de main, ils durent en faire le siège régulier. Hannibal, fils de Giscon, défendait avec habileté la ville et était aidé par Hiéron qui avait contracté une nouvelle alliance avec les Karthaginois. Quant aux Romains, ils recevaient constamment d'Italie des vivres et des renforts et resserraient chaque jour le blocus.

Succès des Romains en Sicile.--Sur ces entrefaites, le général Hannon, envoyé de Karthage avec une nouvelle et puissante armée, débarque en Sicile et vient attaquer les Romains dans leur camp. Mais le sort des armes est favorable à ceux-ci; les Karthaginois, écrasés, laissent leur camp aux mains des vainqueurs; Hannon parvient, non sans peine, à se réfugier dans Héraclée avec une poignée de soldats. Cette bataille décida du sort d'Agrigente: Hannibal s'ouvrit un passage à la pointe de l'épée, au milieu des ennemis, et abandonna la ville aux Romains (262). Les habitants de la cité furent vendus comme esclaves 30.

Note 30: (retour) Polybe, 1. I, ch. 19, 20.

Malgré les succès des Italiens, la situation en Sicile n'était pas désespérée pour les Karthaginois, car ils tenaient encore une grande partie de l'île et avaient souvent l'appui des colonies grecques. Une guerre incessante, guerre d'escarmouches et de surprises, sur mer et sur terre, remplaça les grandes batailles. La flotte punique, beaucoup plus puissante que celle des Romains, causa de grands dommages sur les côtes italiennes et fit un tort considérable au commerce. Force fut aux latins de se construire des navires et de remplacer leurs barques par des quinquirèmes 31, en état de lutter avec celles de leurs ennemis. Après avoir créé les vaisseaux, il fallut improviser les marins, mais l'ardeur des Italiens pourvut à tout, et, en 280, une flotte imposante était prête à tenir la mer. Le début ne fut pas heureux; une partie des navires, avec le consul, tomba aux mains des Karthaginois, dans le port de Lipari; mais bientôt les marins italiens prirent leur revanche dans plusieurs combats et enfin le consul Duilius remporta la grande victoire navale de Miloe, dans laquelle la flotte karthaginoise fut capturée ou détruite. Duilius ayant débarqué en Sicile obtint sur les ennemis de nouveaux et importants avantages (260).

Note 31: (retour) La quinquirème avait jusqu'à 300 rameurs et portait le même nombre de soldats.

Encouragés par les succès de leur flotte, les Romains exécutèrent, pendant les années suivantes, des descentes en Sardaigne et en Corse et réussirent à arracher aux Karthaginois une partie des postes qu'ils occupaient dans ces deux îles. En même temps la guerre de Sicile suivait son cours avec des chances diverses, mais sans amener de résultat décisif. Néanmoins, dans la campagne de 258, les consuls A. Calatinus et S. Paterculus s'emparèrent de villes importantes; Hippane, Canarine, Enna, Erbesse, etc.

Les Romains portent la guerre en Afrique.--La guerre durait depuis huit ans, absorbant toutes les forces des Italiens et menaçant de s'éterniser. Le plus sûr moyen de la terminer était d'attaquer les ennemis chez eux, et de transporter le théâtre de la lutte dans leur propre pays. En 256, les Romains résolurent d'exécuter ce hardi projet. Ils réunirent une flotte de trois cents galères et firent voile vers l'Afrique sous la conduite des consuls Manlius et Régulus. Ils rencontrèrent à Eknome les vaisseaux Karthaginois et leur livrèrent une mémorable bataille navale qui se termina par la victoire des Romains. Dès lors l'Afrique était ouverte. Les consuls abordèrent à l'est de Karthage et allèrent s'établir solidement à Clypée (Iclibïa), pour y grouper toutes les forces, hors de la portée de leurs ennemis. De là ils lancèrent dans l'intérieur des expéditions qui portèrent au loin le ravage et la terreur, et ramenèrent un grand nombre de prisonniers. Sur ces entrefaites arriva l'ordre du Sénat de Rome, rappelant en Italie le consul Manlius avec une grande partie des troupes et prescrivant à Régulus de presser les opérations, au moyen de son armée réduite à 15,000 hommes d'infanterie et 500 cavaliers.

Après le premier moment de stupeur qui avait suivi à Karthage la nouvelle du désastre d'Eknome, on s'était préparé avec ardeur à la résistance; des mercenaires avaient été enrôlés et Amilcar, rappelé de Sicile, avait ramené des forces importantes. Mais le sort des armes fut encore défavorable aux Karthaginois: vaincus à Adis (Radès), ils ne purent empêcher Régulus d'occuper Tunès (Tunis) (255).

Menacée d'un siège immédiat, Karthage proposa la paix aux envahisseurs; mais les conditions qui lui furent faites étaient si dures qu'elle renonça à toute pensée de transaction et se prépara à lutter avec la dernière énergie, préférant mourir en combattant que consommer elle-même sa ruine. Sur ces entrefaites arrivèrent des vaisseaux chargés de mercenaires grecs, parmi lesquels se trouvait le lacédémonien Xanthippe, officier de mérite, formé à l'école des grands capitaines de son pays. Les Karthaginois ayant eu l'heureuse inspiration de lui confier la direction de la défense, le nouveau général changea complètement le système qui avait été suivi jusque-là. Au lieu de tenir les troupes derrière les murailles ou sur des hauteurs inaccessibles, il les fit sortir dans la plaine et les tint constamment en haleine, les exerçant à l'art de la guerre et leur donnant confiance en elles-mêmes et en leurs chefs, ce qui est le gage de la victoire. Pendant ce temps Régulus restait inactif à Tunès, n'ayant pas assez de monde pour entreprendre le siège de Karthage et ne pouvant se résoudre à abandonner sa conquête pour se replier derrière ses retranchements de Clypée.

Victoire des Karthaginois à Tunis.--Les Romains évacuent l'Afrique.--Bientôt les Karthaginois sont en état de marcher contre leurs agresseurs; ils les attaquent en avant de Tunis et, grâce aux habiles dispositions prises par Xanthippe, remportent sur eux une victoire décisive. Régulus est fait prisonnier avec ses meilleurs soldats, tandis que les débris de son armée, deux mille hommes à peine, se réfugient à Clypée.

C'était la perte de la campagne; en vain les Romains envoyèrent contre l'Afrique une nouvelle flotte qui remporta une nouvelle victoire; la situation n'était plus tenable; on embarqua sur les vaisseaux la garnison de Clypée et l'on fit voile vers la Sicile en abandonnant à la vengeance des Karthaginois, non seulement les prisonniers, mais les alliés indigènes qui avaient soutenu Régulus dans sa campagne. Cette vengeance fut terrible: les tribus durent payer des contributions écrasantes; quant aux chefs, ils périrent dans les tortures. Xanthippe avait sauvé Karthage. Il fut largement récompensé et put quitter l'Afrique avant d'avoir éprouvé les effets de l'ingratitude et de l'envie des Karthaginois 32.

Reprise de la guerre en Sicile.--Après ce succès, Karthage se trouvait en état de reprendre l'offensive en Sicile: elle le fit avec énergie. Agrigente et plusieurs autres places tombèrent tout d'abord en son pouvoir. Mais la puissance de Rome et surtout son ardeur étaient loin d'être abattues; de nouveaux vaisseaux furent construits et, l'année suivante (254), la flotte romaine se réunit à Messine. De là, les consuls allèrent attaquer par mer Panorme (Palerme) et s'en rendirent maîtres, après un siège vigoureusement mené. Ils s'emparèrent en outre de presque tout le littoral septentrional de l'île, mais n'osèrent se mesurer avec l'armée karthaginoise qui tenait le pays à l'intérieur. L'année suivante, les Romains, ayant voulu tenter une nouvelle descente en Afrique, virent la tempête disperser leur flotte, ce qui les força à renoncer à ce projet.

Pendant plusieurs années la guerre continua avec des chances diverses, mais sans aucun résultat décisif; les ressources, de part et d'autre, s'épuisaient et l'on pouvait prévoir, sinon la fin de ce grand duel, au moins l'imminence d'une trêve. Les Karthaginois, voulant tenter un effort décisif, s'adressèrent même, pour obtenir de l'argent, à leur allié Ptolémée Philadelphe, roi d'Egypte, qui leur refusa tout secours. Les Romains, non moins gênés, se virent contraints de réduire le nombre de vaisseaux qu'ils avaient créés et de renoncer à la guerre maritime.

Cependant en 250, Metellus s'étant trouvé assez fort pour lutter contre l'armée karthaginoise, que les Romains n'avaient plus voulu affronter depuis la défaite de Tunis, remporta une importante victoire sur Asdrubal 33, qui s'était audacieusement avancé jusqu'aux portes de Palerme. Les éléphants, qui avaient puissamment contribué aux succès de Xanthippe, tombèrent aux mains des vainqueurs.

Note 33: (retour) C'est encore une erreur d'écrire Asdrubal, en phénicien Azrou-Baâl «le secours de Baal», par un H.

A la suite de ce nouvel échec, Karthage, après avoir mis en croix son général, se décida à faire encore une tentative pour obtenir la paix, et c'est à cette occasion que l'histoire a placé le récit du dévouement de Régulus. De même que la première fois, les conditions faites par les Romains furent jugées inacceptables, et la guerre recommença (249).

Grand siège de Lilybée.--Les Romains, qui avaient achevé la conquête du littoral nord de la Sicile, voulurent profiter de leur succès pour expulser définitivement leurs ennemis de l'île. Ils vinrent en conséquence les attaquer dans leur place forte de Lilybée et commencèrent le siège de cette ville, siège aussi mémorable par l'ardeur et le génie des assiégeants que par le courage et l'obstination des assiégés, commandés par le général Himilcon. Pendant plusieurs mois les machines de guerre battirent les remparts, tandis que la flotte romaine bloquait étroitement le port; mais Himilcon triompha par son habileté de tous les efforts des assiégeants, renversant par des sorties soudaines les travaux par eux faits au prix des plus grandes difficultés, incendiant leurs machines, déjouant tous leurs plans; en même temps, de hardis marins parvenaient à faire entrer dans la ville, en passant au milieu des vaisseaux ennemis, des vivres et même des renforts. Sur ces entrefaites le consul P. Claudius Pulcher, désespérant d'enlever la ville de vive force, se contenta de la bloquer et partit subitement avec une flotte nombreuse pour écraser les navires karthaginois à l'ancre dans le port de Drépane. Cette fois la victoire fut pour les Karthaginois qui prirent leur revanche de leurs précédentes défaites maritimes en infligeant aux Romains un véritable désastre. Une tempête, qui suivit de près cette bataille, coûta encore aux Italiens un grand nombre de vaisseaux.

Ces nouvelles portèrent à Rome le découragement; si Karthage avait profité de ce moment pour pousser vigoureusement les opérations, nul doute que la guerre n'eût été promptement terminée à son avantage. Mais, soit par l'effet de la vicieuse organisation gouvernementale, soit en raison du caractère propre aux races sémitiques, qui ne s'inclinent que devant la nécessité immédiate, on ne voit Karthage tenter d'efforts décisifs que quand l'ennemi est aux portes et le danger imminent. On resta donc sur cette victoire et la guerre continua pendant plusieurs années, consistant en de petits combats sur terre et des courses de piraterie sur mer. En 247, Amilcar-Barka avait pris le commandement des troupes de Karthage en Sicile, troupes assez peu dévouées et composées en partie de mercenaires de tous les pays. Mais Amilcar était un général de grande valeur; il sut tirer parti de ces éléments mauvais et, sans remporter de succès décisifs, empêcher tout progrès de la part des Romains. Pour contenter ses soldats, il leur fit exécuter une razia dans le Bruttium, puis il vint occuper le mont Ereté 34 qui domine Palerme, et de là, surveillant les routes, ne manqua aucune occasion de tomber sur ses ennemis et de couper les convois 35. De leur côté les Romains déployaient la plus grande ténacité, si bien que les deux armées rivales en arrivèrent à reconnaître mutuellement l'impossibilité de se vaincre.

Note 34: (retour) Monte Pellegrino.
Note 35: (retour) Polybe, 1. I, p. 57.

Bataille des îles Égates.--Fin de la première guerre punique.--La guerre durait depuis vingt-deux ans et les deux puissances rivales donnaient des signes non équivoques de lassitude, quand Rome, décidée à en finir, eut l'heureuse inspiration de se refaire une marine et d'essayer encore des luttes navales. Au commencement, de l'année 242, trois cents galères, plus un grand nombre de bâtiments de transport, firent voile vers la Sicile. Le consul Lutatius Catulus, qui commandait, s'empara sans difficulté de Drépane et de Lilybée, car les vaisseaux karthaginois étaient absents, soit qu'ils fussent rentrés en Afrique, soit qu'ils se trouvassent retenus dans de lointains voyages. A cette nouvelle, Karthage se prépara à envoyer des troupes en Sicile à son général, dont la situation devenait critique. Quatre cents vaisseaux chargés de vivres, de munitions et d'argent partirent bientôt d'Afrique sous la conduite de Hannon, avec mission d'éviter à tout prix le combat et de débarquer subrepticement les secours dans l'île; mais la vigilance de Lutatius ne put être déjouée. Avec autant d'audace que de courage, il attaqua la flotte punique en face d'Egusa (Favignano), une des Égates, et remporta sur les ennemis une victoire décisive. Cinquante galères karthaginoises furent coulées, soixante-dix capturées, et le reste se dispersa. Ce beau succès allait mettre fin à la campagne.

Démoralisée par sa défaite, Karthage autorisa Amilcar à traiter comme il l'entendrait avec l'ennemi; mais un traité dans ces conditions ne pouvait être que désastreux, c'est-à-dire entraîner la perte de la Sicile, pour la possession de laquelle les Phéniciens luttaient depuis si longtemps. Voici quelles furent les principales conditions imposées à Karthage:

Restitution de tous les prisonniers romains et des transfuges, sans rançon.

Abandon définitif de la Sicile, avec engagement de ne pas attaquer Hiéron ni ses alliés.

Et paiement d'une contribution considérable, dont partie sur-le-champ, et partie en dix annuités 36.

Note 36: (retour) En tout 3200 talents euboïques d'argent.

De son côté, Rome reconnaissait l'intégrité du territoire de Karthage.

Les conséquences de la première guerre punique furent considérables, et permirent de mesurer la puissance acquise par Rome depuis un demi-siècle. Suzeraine de l'Italie méridionale et de la Sicile et maîtresse de la mer, voilà dans quelles conditions la laissait la conclusion de la paix, ou plutôt de la trêve. Quant à Karthage, sa situation était tout autre: son prestige maritime compromis, ses finances ruinées, son autorité sur les Berbères ébranlée, tels étaient pour elle les fruits de cette fatale guerre. Certes, elle était encore capable de grands efforts et devait le prouver avant peu; néanmoins ses jours de grandeur étaient passés et son déclin approchait.

Divisions géographiques de l'Afrique adoptées par les Romains.--La guerre des Romains contre Karthage et surtout leur descente en Afrique leur donnèrent des connaissances précises sur le continent que les Grecs avaient nommé Libye. Ils donnèrent, les premiers, le nom d'Afrique au territoire de Karthage, en conservant celui de Libye pour l'ensemble du pays, mais, peu à peu, l'appellation d'Afrique devint générale. Ils surent dès lors que cette vaste contrée était habitée par un grand nombre de peuplades indigènes, dont les Phéniciens n'étaient pas partout les maîtres, mais souvent les alliés ou les hôtes.

Voici quelles furent les divisions adoptées par les Romains pour la géographie africaine:

Cyrénaïque ou Libye pentapole, bornée à l'est par la Marmarique et, à l'ouest, par la Grande-Syrte, et habitée par différentes peuplades parmi lesquelles les Nasamons et les Psylles.

Région Syrtique, comprenant les deux Syrtes, et habitée par les Troglodytes, Lothophages, Makes, etc.

Afrique propre ou Territoire de Karthage, correspondant à peu près à la Tunisie actuelle, sous la domination directe des Karthaginois. Dans la partie méridionale se trouve la grande tribu des Musulames et, près du Triton, celle des Zouèkes.

Numidie, s'étendant de l'Afrique propre à la Molochath ou Mouloeuia. Elle est divisée en deux royaumes: celui des Massiliens à l'est avec Hippo-Regius (Bône), ou Zama, pour capitale, et celui des Massèssyliens à l'ouest, capitale Siga 37. La ville de Kirta (ou Cirta) sur l'Amsaga était, en quelque sorte, la capitale de la Numidie occidentale.

Note 37: (retour) Auprès de l'embouchure de la Tafna. Il est à remarquer, du reste, que la Massœssylie, c'est à dire le pays situé à l'ouest de l'Amsaga, constituait en réalité la partie orientale de la Maurétanie. Nous lui verrons prendre ce nom, aussitôt que les conquêtes des Romains leur auront mieux fait connaître le pays.

Maurétanie ou Maurusie, s'étendant, à l'ouest de la Numidie jusqu'à l'Océan. Elle est habitée par un grand nombre de peuplades maures.

Gétulie, région située au sud de la Numidie et de la Maurétanie, et formant la ligne du Sahara qui rejoint les Hauts-Plateaux. Elle est habitée par les Gétules nomades.

Libye intérieure, comprenant les déserts africains. Habitée par les Garamantes, Mélano-Gétules, Leucœthiopiens et des peuplades fantastiques, telles que les Blemmyes, ayant le visage au milieu de la poitrine, et les Egypans aux jambes de boue. Strabon et Pline ne tarderont pas à reproduire ces fables.

Les peuplades berbères obéissent à des chefs, véritables rois, dont le pouvoir se transmet à leurs enfants par hérédité et que nous allons voir entrer en scène.

Guerre des Mercenaires.--Au moment de la conclusion de la paix, vingt mille mercenaires se trouvaient en Sicile, et il fallut, tout d'abord, évacuer cette armée composée des éléments les plus divers: Gaulois, Ligures, Baléares, Macédoniens et surtout Libyens. Giscon, successeur de Amilcar, les expédia par fractions à Karthage, où ils ne tardèrent pas à créer une situation périlleuse, car non seulement il fallut les nourrir, mais encore payer leur solde arriérée. Les désordres commis par cette soldatesque devinrent si intolérables que le gouvernement de Karthage se décida à donner à chaque homme une pièce d'or à la condition qu'il irait s'établir à Sicca 38, sur la frontière de la Numidie. Les Phéniciens, qui avaient espéré s'en débarrasser par ce moyen, jugèrent le moment favorable pour proposer aux mercenaires une réduction considérable sur leur solde. Aussitôt la révolte éclate: en vain Karthage essaie de parlementer et dépêche aux stipendiés plusieurs parlementaires, et enfin le général Giscon avec lequel ceux-ci avaient demandé à traiter; les soldats redoublent d'exigences. Au milieu d'un tumulte effroyable, ils élisent pour chefs deux des leurs, le campanien Spendius et le berbère Mathos. Giscon, abreuvé d'outrages, est arrêté par les rebelles qui adressent un appel aux indigènes. Aussitôt la révolte se propage et l'armée des mercenaires devient formidable 39; elle se divise en deux troupes dont l'une vient attaquer Hippo-Zarytos (Benzert) et l'autre met le siège devant Utique (239).

Note 38: (retour) Actuellement le Kef.
Note 39: (retour) Polybe, LI, ch. lxvii et suiv.

Dans cette circonstance critique Karthage, au lieu de remettre la direction de la guerre à Amilcar, le seul homme capable de la mener à bien, préféra donner le commandement de ses troupes à Hannon, qui avait déjà fourni la mesure de son incapacité en Sicile. De grands efforts furent faits pour résister à l'attaque des rebelles; mais deux échecs successifs essuyés par le général décidèrent les Karthaginois à le remplacer par Amilcar. Il était temps, car la levée de boucliers des Berbères était générale et les jours de Karthage semblaient comptes. L'histoire de l'Afrique fournit de nombreux exemples de ces tumultes des indigènes, feux de paille qui semblent devoir tout embraser et qui s'éteignent d'eux-mêmes, si la résistance est entre des mains fermes et expérimentées.

En 238, Amilcar avait pris la direction des affaires; bientôt les rebelles furent contraints de lever le siège d'Utique; le général karthaginois, continuant une vigoureuse offensive, infligea aux mercenaires une défaite sérieuse près du fleuve Bagradas (Medjerda) et s'empara d'un certain nombre de villes. Cependant Tunès était toujours aux mains des stipendiés et Mathos continuait le siège de Hippo-Zarytos. Spendius et Antarite, chefs des Gaulois, se détachèrent de ce blocus pour marcher contre les Karthaginois et les mirent en grand péril; mais l'habile Amilcar, qui connaissait les indigènes, était parvenu à détacher de la cause des rebelles un Berbère nommé Naravase. Soutenu par les forces de son nouvel allié, il attaqua résolument les mercenaires et, grâce à sa stratégie et au courage de ses soldats, parvint encore à les vaincre; ils laissèrent un grand nombre de morts sur le champ de bataille et quatre mille prisonniers entre les mains des vainqueurs.

Une des premières conséquences de cette défaite fut la mise à mort de Giscon et de sept cents prisonniers karthaginois que les mercenaires firent périr dans les tortures. Dès lors, la lutte fut, de part et d'autre, suivie de cruautés atroces, ce qui lui valut dans l'histoire le nom de guerre inexpiable. En même temps, Karthage perdait la Sardaigne qu'elle avait laissée à la garde d'une troupe de mercenaires; ceux-ci, suivant l'exemple de leurs collègues d'Afrique, massacrèrent les Phéniciens qui se trouvaient dans l'île et, après avoir commis mille excès, l'offrirent aux Romains. Pour comble de malheur, Utique et Hippo-Zarytos, las de résister, ouvrirent leurs portes aux rebelles. Mathos et Spendius, encouragés par ces succès, vinrent alors, à la tête d'une grande multitude, mettre le siège devant Karthage. La métropole punique réduite de nouveau à la dernière extrémité se vit contrainte d'implorer le secours de Hiéron de Syracuse et des Romains, qui s'empressèrent de l'aider à résister à l'attaque des mercenaires; en même temps Amilcar, soutenu par Naravase, inquiétait les rebelles sur leurs derrières et les attirait à des combats en plaine, où il avait presque toujours l'avantage (237). Contraints de lever le siège de Karthage, les stipendiés se laissèrent pousser par Amilcar dans une sorte de défilé que les historiens appellent défilé de la Hache, où ils se trouvèrent étroitement bloqués, et, comme ils ne voulaient pas se rendre, ils furent bientôt en proie à la plus affreuse famine et contraints, dit l'histoire, de s'entre-dévorer. Ne pouvant plus résister à leurs souffrances, les chefs Spendius, Antarite, un Berbère du nom de Zarzas et quelques autres, se présentèrent, pour traiter, à Amilcar, qui stipula que dix rebelles à son choix seraient laissés à sa disposition et les retint prisonniers. Puis il fit avancer ses troupes et ses éléphants contre les rebelles et les extermina sans faire de quartier. Il en périt, dit-on, quarante mille.

La révolte semblait domptée; mais Tunès tenait encore. Mathos s'y était retranché avec des forces importantes. Amilcar, étant venu l'y assiéger, fut défait, ce qui ajourna pour quelque temps encore l'issue de la campagne. Enfin Karthage, s'étant résolue à un suprême effort, adjoignit Hannon à Amilcar en chargeant les deux généraux d'en finir. Bientôt, en effet, les Karthaginois amenèrent Mathos à tenter le sort d'une bataille en rase campagne et parvinrent à l'écraser. Cette fois, c'en était fait des mercenaires; la révolte était domptée et Karthage échappait à un des plus grands dangers qu'elle eût courus. L'attitude des Berbères pendant cette guerre put lui prouver combien sa domination en Afrique était précaire, car, sans leur appui et leur coopération, les mercenaires n'auraient jamais pu tenir la campagne pendant si longtemps et avec tant de succès 40.

Note 40: (retour) V. pour la guerre des mercenaires: Polybe, 1. I, Corn. Nepos, Amilcar, Tite-Live 1. XX, Justin, XXVII.

Karthage, après avoir rétabli son autorité en Afrique, porte la guerre en Espagne.--Après avoir fait rentrer sous leur obéissance les villes compromises par l'appui donné aux rebelles, et notamment Utique et Hippo-Zarytos, qui opposèrent une résistance désespérée, les Karthaginois firent plusieurs expéditions dans l'intérieur, tant pour châtier les Berbères que pour garantir la limite méridionale par une ligne de postes. Ils occupèrent notamment, alors, la ville de Theveste (Tébessa).

Dès qu'elle ne fut plus absorbée par le soin de son salut, Karthage songea aussi à réoccuper la Sardaigne; mais Rome, apprenant qu'elle préparait une flotte expéditionnaire, imposa son veto absolu et, comme on ne tenait pas compte de sa défense, elle se disposa à recommencer la guerre contre sa rivale. Mais la métropole punique était encore trop meurtrie de la lutte qu'elle venait de soutenir pour se résoudre à entreprendre une nouvelle guerre. Force lui fut de plier devant les exigences romaines et de renoncer à toute prétention sur la Sardaigne (237).

Karthage tourna alors ses regards vers l'Espagne où il semblait que Rome devait lui laisser le champ libre. Amilcar, autant pour échapper à l'envie de ses concitoyens qui, comme récompense de ses services, l'avaient décrété d'accusation, que pour continuer à servir sa patrie, accepta le commandement de l'expédition dont le prétexte était de secourir Gadès (Cadix), colonie punique alors attaquée par ses voisins. Pour mieux surprendre ses ennemis, il quitta Karthage en simulant une expédition contre les Maures. Il emmenait avec lui ses fils, parmi lesquels le jeune Hannibal 41, auquel il fit jurer, sur l'autel du Dieu suprême, la haine du nom romain. Il marcha le long de la côte en emmenant un grand nombre d'éléphants; la flotte le suivait, au large, à sa hauteur. Parvenu à Tanger, il traversa le détroit. La victoire couronna les efforts d'Amilcar; pendant neuf ans, il ne cessa de conquérir des provinces à Karthage; mais en 228 il trouva la mort du guerrier dans un combat contre les Lusitaniens 42.

Note 41: (retour) Henn-baal, ou Baal Henna, don de Dieu, en punique.
Note 42: (retour) Cornelius Nepos, Amilcar, III.

Succès des Karthaginois en Espagne.--Asdrubal, gendre de Amilcar, remplaça celui-ci dans la direction des affaires d'Espagne. Doué d'un esprit politique supérieur, il consolida, par des alliances et des traités avec les populations indigènes, les succès de son beau-père, fonda la cité de Karthagène et réalisa en Espagne de grands progrès. Tout le pays jusqu'à l'Ebre fut administré au nom du gouvernement karthaginois, par Asdrubal, chef de la famille des Barcides 43, dont le pouvoir fut, en réalité, celui d'un vice-roi à peu près indépendant. Karthage, recevant de riches tributs et voyant dans les conquêtes de son général une compensation à ses pertes dans la Méditerranée, lui laissa le champ libre.

Note 43: (retour) De Barka ou Barca (surnom de Amilcar).

Cependant les Romains, qui avaient cru leurs ennemis écrasés, ne virent pas sans la plus grande jalousie les progrès des Karthaginois en Espagne. Ils jugèrent bientôt qu'il était de la dernière importance de les arrêter, et, à cet effet, ils conclurent un traité d'alliance avec deux colonies grecques d'Espagne, Sagonte 44 et Amporia (Ampurias). Après s'être assuré ces points d'appui, ils forcèrent Asdrubal à signer un traité par lequel il s'obligeait à respecter ces colonies et à ne pas franchir l'Ebre. Malgré l'engagement auquel Asdrubal avait été forcé de souscrire, la puissance punique avait continué à s'étendre dans la péninsule; mais le poignard d'un esclave gaulois vint arrêter l'exécution des projets de ce grand homme (220). Le jeune Hannibal, qui s'était fait remarquer à l'armée par ses brillantes et solides qualités et qui avait en outre hérité de la popularité du nom de son père, fut appelé, par le vœu de tous les officiers, à remplacer son beau-frère Asdrubal, et, bien qu'il ne fût âgé que de vingt-neuf 45 ans, reçut le commandement des possessions et de l'armée d'Espagne. Le Sénat de Karthage se vit forcé de ratifier ce choix, malgré l'opposition de la famille de Hannon opposée à celle des Barcides. Hannon voyait dans cette nomination la certitude de la reprise de la guerre avec les Romains. L'événement n'allait pas tarder à lui donner raison.

Note 44: (retour) Actuellement Murviedes dans la province de Valence.
Note 45: (retour) Vingt-six selon Cliton (Fasti).
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