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Histoire de l'Afrique Septentrionale (Berbérie) depuis les temps les plus reculés jusqu'à la conquête française (1830) ( Volume I)

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CHAPITRE XI

FIN DE LA DOMINATION FATEMIDE

947-973

État du Mag'reb et de l'Espagne.--Expédition d'El-Mansour à Tiharei.--Retour d'El-Mansour en Ifrikiya.--Situation de la Sicile; victoires de l'Ouali Hassan-ben-Ali en Italie.--Mort d'El-Mansour, avènement d'El-Moëzz.--Les deux Mag'reb reconnaissent la suprématie oméïade.--Les Mag'raoua appellent à leur aide le khalife fatemide.--Rupture entre les Oméïades et les Fatemides.--Campagne de Djouher dans le Mag'reb; il soumet ce pays à l'autorité fatemide.--Guerre d'Italie et de Sicile.--Evénements d'Espagne; mort d'Abd-er-Rahman-cn-Nacer; son fils El-Hakem II lui succède.--Succès des Musulmans en Italie et en Sicile.--Progrès de l'influence oméïade en Mag'reb.--État de l'Orient; El-Moëzz prépare son expédition.--Conquête de l'Egypte par Djouher.--Révoltes en Afrique; Ziri-ben-Menad écrase les Zenètes.--Mort de Ziri-ben-Menad; succès de son fils Bologguine dans le Mag'reb.--El-Moëzz se dispose à quitter l'Ifrikiya.--El-Moëzz transporte le siège de la dynastie fatemide en Egypte.--Appendice. Chronologie des Fatemides d'Afrique.

État du Mag'reb et de l'Espagne.--Il n'avait pas fallu à Ismaïl moins de deux années de luttes incessantes pour triompher de la terrible révolte de l'Homme à l'âne. C'était un grand résultat, obtenu grâce à l'énergie du khalife, et le surnom d'El-Mansour qui lui fut donné, il faut le reconnaître, était mérité. Mais, si le principal ennemi était abattu, il restait bien des plaies à fermer. Pendant cette crise, l'autorité fatemide avait perdu tout son prestige dans l'ouest, au profit des Oméïades d'Espagne. Le Mag'reb et Akça, en entier, leur obéissait déjà. Les fils de Ben-Abou-l'-Afia, nommés El-Bouri, Medien et Abou-el-Monkad, y gouvernaient en leur nom. Les Edricides, toujours cantonnés dans le pays des R'omara et obéissant à leur chef Kennoun, se tenaient seuls éloignés du khalife espagnol, mais en se gardant bien de témoigner contre lui la moindre hostilité.

Auprès de Tlemcen, les Beni-Ifrene avaient peu à peu étendu leur domination sur leurs voisins; ayant pris une part active à la révolte d'Abou-Yezid, ils avaient profité de la période de succès de cet agitateur pour augmenter leur empire. Le khalife En-Nacer, par une habile politique, avait nommé leur chef, Yala-ben-Mohammed, gouverneur du Mag'reb central. Enfin, à Tiharet, commandait Hamid-ben-Habbous pour les Oméïades.

En Espagne, Abd-er-Rahman-en-Nacer avait obtenu, dans le nord, de non moins grands succès, en profitant de la discorde qui paralysait les forces des chrétiens; Castille et Léon étaient en guerre. Les Castillans, sous le commandement de Ferdinand Gonzalez, surnommé l'excellent Comte, avaient cherché à s'affranchir du joug un peu lourd de Ramire II, prince de Léon; mais la fortune avait trahi Ferdinand: fait prisonnier par son ennemi, il avait été tenu dans une dure captivité et n'avait obtenu la liberté qu'en renonçant à exercer aucun commandement. Les Musulmans, pendant ces luttes fratricides, avaient reporté leur frontière jusqu'au delà de Medina-Céli 553.

Note 553: (retour) Dozy, Musulmans d'Espagne, t. III, p. 64 et suiv. Kartas, p. 417. Ibn-Khaldoun, Berbères, t. I, p. 270, t. II, p. 148-569, t. III, p. 213 et suiv. El Bekri, trad., art. Idricides. Ibn-Hammad, loc. cit. El Marracki, éd. Dozy, p. 27 et suiv.

Expédition d'El-Mansour à Tiharet.--Le khalife Ismaïl voulut profiter de son séjour dans l'ouest pour lâcher d'y rétablir son autorité. Ayant convoqué ses alliés à Souk-Hamza 554, il fut rejoint dans cette localité par Ziri-ben-Menad avec ses Sanhadja. Dans le mois de septembre 917, l'armée s'ébranla et marcha directement sur Tiharet; Hâmid prit la fuite à son approche et gagna Ténès, d'où il s'embarqua pour l'Espagne.

Note 554: (retour) Actuellement Bouïra, au N.-E. d'Aumale.

Une fois maître de Tiharet, le souverain fatemide ne jugea pas à propos de s'enfoncer davantage dans l'ouest, il préféra entrer en pourparlers avec Yala, le puissant chef des Beni-Ifren. Afin de le détacher de la cause oméïade, il lui offrit de le reconnaître comme son représentant dans le Mag'reb central, avec la suprématie sur toutes les tribus zenètes. Yala accueillit ces ouvertures et adressa à El-Mansour un hommage plus ou moins sincère de soumission. Tranquille de ce côté, le khalife alla châtier les tribus louatiennes de la vallée de la Mina, lesquelles étaient infectées de kharedjisme. Après les avoir contraintes à la soumission, il se disposa à rentrer en Ifrikiya; mais, auparavant, il renouvela l'octroi de ses faveurs à Ziri-ben-Menad, dont le secours lui avait été si utile, et lui confirma l'investiture de chef des tribus sanhadjiennes et de tout le territoire occupé par elles jusqu'à Tiharet. Cette vaste région comprenait, en outre des villes d'Achir et de Hamza, celles de Lemdia (Médéa), Miliana, et enfin une bourgade à peine connue auparavant, mais qui avait pris, depuis peu, un grand développement et était destinée au plus brillant avenir, nous avons nommé Djezaïr-beni-Mezr'anna (Alger). Bologguine, fils de Ziri, fut investi par son père du commandement de ces trois dernières places 555.

Retour d'El-Mansour en Ifrikiya.--Avant de reprendre le chemin de l'est, le khalife adressa en Ifrikiya des lettres par lesquelles il annonçait la mort de son père et son avènement sous le titre d'El-Mansour-bi-Amer-Allah (le vainqueur par l'ordre de Dieu). Le 18 janvier 918, il faisait son entrée triomphale à Kaïrouan, précédé par un chameau sur lequel était placé le mannequin d'Abou-Yezid, soutenu par un homme. De chaque côté, deux singes, qui avaient été dressés à cet office, lui donnaient des soufflets et le tiraient par la barbe 556. Les plus grands honneurs furent prodigués au souverain victorieux.

Note 555: (retour) Ibn-Khaldoun, t. II, p. 6.
Note 556: (retour) Ibn-Hammad, loc. cit.

Peu de temps après, on reçut la nouvelle que Fadel, fils d'Abou-Yezid, était sorti du Sahara à la tête d'une bande de pillards, qu'il ravageait l'Aourès et était venu mettre le siège devant Bar'aï. Mais bientôt il fut mis à mort par un chef zenatien, qui envoya sa tête au kalife. Celui-ci fit expédier en Sicile la peau d'Abou-Yezid et la tête de son fils, mais le vaisseau qui portait ces tristes restes fit naufrage et tout le monde périt. Seul le mannequin de l'Homme à l'âne fut rejeté sur le rivage; on l'attacha à une potence, où il resta jusqu'à ce qu'il eût été mis en lambeaux par les éléments. Aioub, l'autre fils de l'apôtre nekkarien, fut également assassiné par un chef zenète, et ainsi la famille de l'agitateur se trouva entièrement détruite; ses cendres mêmes furent dispersées.

Situation de la Sicile; victoires de l'Ouali Hassan-el-Kelbi en Italie.--Pendant les années d'anarchie qui avaient été la conséquence de la révolte d'Abou-Yezid, la Sicile était demeurée abandonnée aux aventuriers berbères amenés par Khalil. Personne n'y exerçait effectivement l'autorité, et les chrétiens en avaient profité pour cesser de payer le tribut. Ceux-ci tenaient, en réalité, la partie méridionale de l'île, mais ils étaient misérables et vivaient dans un état de luttes permanentes, incertains du lendemain. Beaucoup de villes, tributaires des Musulmans, avaient rompu tout lien avec l'empire. A Palerme, la famille des Beni-Tabari, d'origine persane, avait usurpé peu à peu l'autorité.

Un des premiers soins d'El-Mansour fut de placer à la tête de l'île un de ses plus fidèles soutiens, dont la famille s'était distinguée en Mag'reb et en Espagne, l'arabe kelbite Hassan-ben-Ali. Il lui conféra le titre d'Ouali (gouverneur), qui devint ensuite héréditaire dans sa famille (948). Hassan trouva Palerme en état de révolte, mais il parvint à y pénétrer par ruse, et, s'étant saisi des Tabari, les fit mettre à mort.

Hassan entreprit alors de châtier les chrétiens qui avaient secoué le joug. Sur ces entrefaites, Constantin Porphyrogénète, qui occupait le trône de l'empire, las de payer un tribut aux Musulmans, envoya des troupes en Calabre pour reconquérir l'indépendance. Hassan, de son côté, ayant reçu des renforts d'El-Mansour, alla attaquer Reggio avec une armée nombreuse (950), puis mettre le siège devant Gerace. Les Grecs étant arrivés, l'ouali les battit et les força de se réfugier à Otrante et à Bari; puis il rentra à Palerme. Deux ans plus tard, Hassan passa de nouveau en Italie, où des troupes nombreuses avaient été amenées, et y remporta de grandes victoires. Les têtes des vaincus furent expédiées dans les villes de Sicile et d'Afrique (mai 852).

Dans l'été de la même année, l'ouali de Sicile signa avec l'envoyé de l'empereur une trèvi reconnaissant aux Musulmans le droit de percevoir le tribut. Hassan établit une mosquée à Reggio 557.

Note 557: (retour) Amari, Musulmans de Sicile, t. II, p. 203-248. Ibn-Khaldoun, t. II, p. 540-541.

Mort d'El-Mansour. Avènement d'El-Moezz.--Le khalife avait transporté sa demeure à Sabra, vaste château situé près de Kaïrouan, qu'on appelait El Mansouria, du nom de son fondateur. De là, il dirigeait la guerre d'Italie et suivait les événements de Mag'reb, où l'influence fatemide avait entièrement cessé pour faire place à la suprématie oméïade.

Au commencement de l'année 953, El-Mansour tomba malade, à la suite d'une partie de plaisir où il avait pris un refroidissement. Dans le mois de mars 558, il rendait le dernier soupir. Il n'était âgé que de trente-neuf ans, sur lesquels il en avait régné sept.

Son fils Maâd (Abou-Temim), qui avait été désigné par lui comme héritier présomptif parmi ses dix enfants, lui succéda et prit le nom d'El-Moëzz li dine Allah (celui qui exalte la religion de Dieu). C'était un jeune homme de vingt-deux ans, doué d'un esprit mûr et ferme. Le 25 avril, il reçut le serment de ses officiers, et s'appliqua immédiatement à la direction des affaires de l'état. Il alla ensuite faire une tournée dans ses provinces, afin de s'assurer de la fidélité de ses gouverneurs et de l'état de défense des frontières 559.

Note 558: (retour) Le 27 janvier, selon Ibn-Khaldoun, en désaccord sur ce point avec tous les autres auteurs.
Note 559: (retour) Ibn-Khaldoun, Berbères, t. II, p. 142.

Les deux Mag'reb reconnaissent la suprématie oméïade.--De graves événements s'étaient accomplis en Mag'reb, ainsi que nous l'avons dit.

Le chef de la famille edricide, Kacem-Kennoun, étant mort en 949, avait été remplacé par son fils Abou-l'Aïch-Ahmed, surnommé El-Fâdel (l'homme de mérite). Ce prince, qui entretenait des relations avec la cour oméïade, s'empressa de faire hommage de vassalité à En-Nacer et de rompre avec les fatemides. Les autres branches de la famille edricide envoyèrent également des députations au souverain de l'Espagne musulmane, et ainsi toute la région septentrionale du Mag'reb extrême se trouva placée sous sa suzeraineté. Mais il ne suffisait pas à En-Nacer que l'on y prononçât la prière en son nom; il lui fallait des gages plus sérieux et il demanda bientôt à l'imprudent El-Fâdel de lui céder les places de Tanger et de Ceuta 560.

Dans le Mag'reb central, Yâla-ben-Mohammed, chef des Beni-Ifrene, et Mohammed-ben-Khazer, émir des Mag'raoua, avaient été complètement détachés, par les agents d'En-Nacer, de la cause fatemide, et avaient reçu l'investiture du gouvernement oméïade. Ils s'étaient alors partagé le pays: Ibn-Khazer avait eu pour son lot la région orientale; il était venu s'installer à Tiharet, et, sur cette frontière, s'était rencontré avec les Sanhadja, ennemis héréditaires des Mag'raoua. Aussi, les luttes n'avaient pas tardé à recommencer entre ces deux tribus. Quant à Yâla, il avait conservé la région de l'ouest et étendu sa suprématie sur les populations du nord jusqu'à Oran; pour se créer un refuge et un point d'appui, il se construisit, dans les hauts plateaux, à une journée à l'ouest de Maskara, une capitale qui reçut le nom d'Ifgane; les villes environnantes en fournirent les premiers habitants 561.

Note 560: (retour) Kartas, p. 117, 118. Ibn-Khaldoun, t. II, p. 147, 569. El-Bekri, Idricides.
Note 561: (retour) Ibn-Khaldoun, Berbères, t. II, p. 148, t. III, p. 213, t. IV, p. 2. El-Bekri, passim.

Ainsi, les deux Mag'reb reconnaissaient la suprématie oméïade. Fès, même, avait reçu un gouverneur envoyé au nom du khalife.

Seule, l'oasis de Sidjilmassa, où régnait un descendant de la famille miknacienne des Beni-Ouaçoul, nommé Mohammed-ben-el-Fetah, refusa de suivre l'exemple du reste du pays. Ce prince répudia même les doctrines Kharedjites et se déclara indépendant en prenant le nom d'Ech-Chaker-l'Illah (le reconnaissant envers Dieu) 562.

Note 562: (retour) Ibn-Khaldoun, Berbères, t. I, p. 264.

La grande tribu des Miknaça, qui avait toujours à sa tête des descendants de Ben-Abou-l'Afia, était restée fidèle à la cause oméïade, malgré les revers qu'elle avait éprouvés.

Les Mag'raoua appellent à leur aide le khalife fatemide.--Nous avons vu qu'En-Nacer avait réclamé aux Edricides la possession de Tanger et de Ceuta, les clefs du détroit. Ayant essuyé un refus, il profita des dissensions survenues parmi les membres de cette famille pour intervenir en Mag'reb. Un corps d'armée envoyé dans le Rif, sous le commandement de cet Homéïd qui avait été précédemment expulsé de Tiharet par les Fatemides, remporta de grandes victoires, s'empara de Tanger et força El-Fâdel à la soumission (951). Chassé de Hadjar-en-Necer, il ne resta à celui-ci que la ville d'Azila sur le littoral.

Homeïd reçut ensuite le commandement de Tlemcen et le khalife omeïade envoya à Yâla, chef des Beni-Ifrene, de nouveaux témoignages de son amitié. Il n'en fallut pas davantage pour exciter la jalousie d'Ibn-Khazer, auquel le gouvernement fatemide venait de donner un gage en faisant mettre à mort ce Mâbed qui avait soutenu autrefois tes fils d'Abou-Yezid, et qui visait ouvertement à l'usurpation de l'autorité sur les Mag'raoua. Bientôt Yala poussa l'audace jusqu'à venir enlever Tiharet aux Mag'raoua, puis Oran, à Ben-Abou-Aoun. Mohammed-ben-Khazer, rompant alors d'une manière définitive avec les Oméïades, alla, de sa personne, en Ifrikiya porter ses doléances. Le khalife El-Moëzz le reçut avec les plus grands honneurs, accepta son hommage de vassalité et se fit donner par lui les renseignement les plus précis sur l'état du Mag'reb (954).

Dans le cours de la même année, El-Moëzz appela à Kaïrouan le chef des Sanhadja, et renouvela avec lui les traités d'alliance qui le liaient à son père. De grandes réjouissances furent données en l'honneur de ce chef qui rentra, comblé de présents, dans son pays, avec l'ordre de se tenir prêt à accompagner et soutenir les troupes qui seraient envoyées dans le Mag'reb.

Rupture entre les Oméiades et les Fatemides.--En 955, le khalife oméïade, ayant conclu une trêve avec Ordoño III, fils et successeur de Ramire, et une autre avec Gonzalez, pour la Castille, se décida à intervenir plus activement en Afrique et commença les hostilités contre la dynastie fatemide, en faisant, sans aucun autre préambule, saisir un courrier allant de Sicile en Ifrikiya. Comme représailles, El-Moëzz donna à El-Hacen-le-Kelbi, gouverneur de Sicile, l'ordre de tenter, avec la flotte, une descente en Espagne. Ce chef, ayant pu aborder auprès d'Alméria, porta le ravage dans la contrée et rentra chargé de butin.

Pour tirer, à son tour, vengeance de cet affront, En-Nacer lança, peu après, sa flotte, commandée par son affranchi R'aleb, contre l'Ifrikya. Mais, des mauvais temps et l'inhospitalité des côtes africaines ne lui ayant pas permis de débarquer, il dut rentrer dans les ports d'Espagne. L'année suivante, il revint, avec une flotte de soixante-dix navires, opéra son débarquement à Merça-El-Kharez (La Calle), et, de ce point, alla ravager le pays jusqu'aux environs de Tabarka. Cela fait, il rentra en Espagne.

Mais ces escarmouches n'étaient que des préludes d'action: plus sérieuses. Le khalife En-Nacer voulait attaquer l'empire fatemide au cœur de sa puissance et préparait une grande expédition, lorsqu'il apprit la mort d'Ordoño III (957) et son remplacement par son frère Sancho, dont le premier acte avait été la rupture du traité conclu avec les Oméïades. Forcé de voler au secours de la frontière septentrionale, En-Nacer dut ajourner ses projets sur l'Afrique 563.

Note 563: (retour) Dozy, Musulmans d'Espagne, t. III, p. 73 et suiv. Amari. Musulmans de Sicile, t. II, p. 249. Ibn-Khaldoun, t. II, p. 542.

Campagne de Djouher dans le Mag'reb; il soumet ce pays à l'autorité fatemide.--El-Moëzz jugea alors le moment opportun pour réaliser l'expédition en Mag'reb qu'il méditait depuis longtemps. Ayant donc réuni une armée imposante, il en confia le commandement à son secrétaire (kateb), l'affranchi chrétien Djouher dont la renommée, comme général, n'était pas à faire. En 958, Djouher partit à la tête des troupes. Parvenu à Mecila, il y prit un contingent commandé par Djâfer, fils de Ali-ben-Hamdoun, et fut rejoint par Ziri-ben-Menad, amenant ses guerriers. Mohanimed-ben-Khazer se joignit également à la colonne, avec quelques Mag'raoua.

C'est à la tête de ces forces considérables que Djouher pénétra dans le Mag'reb. Yâla s'avança à sa rencontre avec les Beni-Ifrene et il est possible, comme le dit Ibn-Khaldoun, que les deux chefs entrèrent en pourparlers et qu'Ibn-Khazer essaya encore de se sauver par une soumission plus ou moins sincère. Selon la version du Kartas, il y eut de sanglants combats livrés auprès de Tiharet. Quoi qu'il en soit, Yâla fut tué par les Ketama et Sanhadja, qui voulaient gagner la prime promise par le général fatemide. Sa tête fut expédiée au khalife en Ifrikiya.

Djouher s'attacha ensuite à poursuivre les Beni-Ifrene; il écrasa leur puissance et dévasta Ifgane leur capitale. De là, il marcha sur Fès où commandait Ahmed-ben-Beker el-Djodami, pour les Oméïades. Il dut entreprendre le siège de cette ville qui était bien fortifiée et pourvue d'un grand nombre de défenseurs. Après quelques efforts, voyant que les assiégés tenaient avec avantage, il se décida à décamper et à marcher sur Sidjilmassa, où le prince Mohammed-Chaker-l'-Illah s'était déclaré indépendant, sous la suprématie abasside et avait frappé des monnaies à son nom. Ce roitelet lui ayant été livré, Djouher le chargea de chaînes; puis, après avoir rétabli dans ces contrées lointaines l'autorité fatemide, il conduisit son armée vers l'ouest et s'avança jusqu'à l'Océan, en soumettant sur son passage les populations sahariennes. On dit que, des bords de l'Océan, il envoya à son maître des plantes marines et des poissons de mer dans des urnes.

De là, Djouher revint devant Fès et, à force de persévérance et de courage, réussit à enlever d'assaut cette ville, où Ziri-ben-Menad pénétra un des premiers par la brèche. Ahmed-ben-Beker fut fait prisonnier et la ville livrée au pillage. Après y avoir passé quelques jours, Djouher y laissa un gouverneur, et partit pour le Rif afin de soumettre les Edrisides. Abou-l'Aïch-el-Fadel était mort et c'était El-Hassan-ben-Kennoun qui l'avait remplacé. Pour conjurer le danger, ce prince se réfugia dans le château de Hadjar-en-Necer et, de là, envoya sa soumission au général fatemide, en protestant que l'alliance de sa famille avec les Oméïades avait été une nécessité de circonstance. Djouher accepta cette soumission et confirma Hassan dans son commandement du Rif et du pays des R'omara, en lui assignant comme capitale la ville de Basra.

Après avoir soumis toute cette partie du Mag'reb et expulsé, ou réduit au silence, les partisans des Oméïades, Djouher laissa, comme représentant de son maître dans cette région, les affranchis Kaïcer et Modaffer, puis il reprit la route de l'est. En passant à Tiharet, il donna cette ville comme limite de ses états à Ziri-ben-Menad, en récompense de sa fidélité.

A son arrivée à Kaïrouan, le général fatemide fit une entrée triomphale et reçut les plus grands honneurs. Il traînait à sa suite, enfermés dans des cages de fer, Mohammed-ben-Ouaçoul, le souverain détrôné Sidjilmassa et Ahmed-ben-Beker, l'ancien gouverneur de Fès (959) 564.

Note 564: (retour) Ibn-Khaldoun, Berbères, t. I, p. 265, t. II, p. 8, 543, 555, t. III, p. 233 et suiv. Le Kartas, p. 121, 122. El-Bekri, passim. El-Kaïrouani, p. 106, 107.

Guerre d'Italie et de Sicile.--Pendant que l'autorité fatemide obtenait en Mag'reb ces succès inespérés, la guerre avait recommencé en Italie entre les Byzantins et les Arabes. L'empereur Constantin ayant rompu la trêve en 956, avait envoyé, contre les Musulmans d'Italie, des troupes thraces et macédoniennes. Le patrice Argirius était alors venu mettre le siège devant Naples, pour punir cette ville de son alliance avec les infidèles. Ammar, frère de Hassan, opéra une diversion en Calabre.

Mais, l'année suivante, Reggio est surpris par un capitaine byzantin nommé Basile, la colonie anéantie et la mosquée détruite. De là, Basile va attaquer Mazara en Sicile et défait Hassan qui était accouru avec ses troupes, puis il se retire.

En 958, Hassan, ayant rejoint Ammar en Calabre, alla, avec toutes ses forces navales, attaquer à Otrante la flotte byzantine. Un coup de vent favorisa la fuite des navires impériaux et poussa ceux des Musulmans sur les côtes de Sicile, où plusieurs firent naufrage. En 960, une trêve fut conclue avec l'empire et dura jusqu'à l'élévation de Nicéphore Phocas 565.

Note 565: (retour) Amari, Musulmans de Sicile, t. II, p. 250 et suiv.

Événements d'Espagne. Mort d'Abd-er-Rahman III (en Nacer). Son fils El-Hakem II lui succède.--En Espagne le roi Sancho avait été détrôné et remplacé par Ordoño IV, qui devait être surnommé le Mauvais (958). La grand-mère de Sancho, Tota, reine de Navarre, se rendit elle-même à Cordoue, pour déterminer le khalife oméïade à rétablir son fils sur le trône. En-Nacer accepta, à la condition que dix forteresses lui fussent livrées, et bientôt l'armée musulmane marcha contre le royaume de Léon. Au mois d'avril 859, Sancho était maître de la plus grande partie de son royaume; l'année suivante, le comte Ferdinand tombait aux mains des Navarrais; la révolte était vaincue et Ordoño IV cherchait un refuge à Burgos.

Les avantages obtenus dans le nord étaient pour le khalife une bien faible compensation de ses pertes en Afrique. Il avait vu en quelques mois disparaître les résultats de longues années d'efforts persévérants. Dominé par le chagrin qu'il en ressentit, affaibli par l'âge, Abd-er-Rahman-en-Nacer tomba malade et rendit le dernier soupir le 16 octobre 961, à l'âge de soixante-dix ans. Ce prince avait régné pendant quarante-neuf ans et, sauf en Mag'reb, la fortune lui avait presque toujours été favorable. Après avoir pris un pouvoir disputé, un royaume réduit presque à rien, il laissait l'empire musulman d'Espagne dans l'état le plus florissant, le trésor rempli, les frontières respectées. Cordoue, sa brillante capitale, avait alors un demi-million d'habitants, trois mille mosquées, de superbes palais, cent treize mille maisons, trois cents maisons de bain, vingt-huit faubourgs 566.

El-Hakem II, fils d'Abd-er-Rahman, lui succéda. Aussitôt, le roi de Léon, qui était humilié de la protection des Musulmans, commença à relever la tête et il fut facile de prévoir que la paix ne serait plus de longue durée 567.

Note 566: (retour) Dozy, Musulmans d'Espagne, t. III, p. 91, 92.
Note 567: (retour) Ibid., p. 95. El-Marrakchi (éd. Dozy), p. 28 et suiv.

Succès des Musulmans, en Sicile et en Italie.--En Sicile, le gouverneur kelbite avait entrepris d'arracher aux chrétiens les places qu'ils tenaient, encore. Vers la fin de 962, son fils Ahmed se rendit maître de Taormina, qui avait opposé une héroïque résistance de six mois. Un grand nombre de captifs furent envoyés en Afrique et la ville reçut le nom d'El-Moëzzïa en l'honneur du khalife. Dans toute l'île, la seule place de Rametta restait aux chrétiens. En 963, Hassan-ben-Ammar vint l'assiéger et la pressa en vain, pendant de longs mois. Sur le point de succomber, les chrétiens purent faire parvenir un appel désespéré à Byzance.

De graves événements venaient de se produire dans la métropole chrétienne de l'Orient. L'empereur Romain II, faible souverain, qui ne régnait que de nom, était mort, le 15 mars 963, et avait été remplacé par deux enfants en bas âge, sous la tutelle de leur mère et d'un eunuque. Quelques mois après, le général Nicéphore Phocas, qui avait acquis un grand renom par la conquête de l'île de Crète (en mai 961), et qui disposait de l'armée, s'empara du pouvoir.

Le nouvel empereur répondit à l'appel des Siciliens en leur envoyant une armée de 40,000 hommes, tous vétérans de la campagne de Crète, sous le commandement de Nicétas et de son neveu Manuel Phocas. De son côté, El-Moëzz renvoya Hassan en Sicile avec des renforts berbères (septembre-octobre 964). La flotte byzantine ayant occupé Messine, l'armée s'y retrancha, et de cette base les généraux rayonnèrent dans l'intérieur. Manuel Phocas alla lui-même au secours de Rametta et livra, près de cette ville, une grande bataille aux Musulmans (24 octobre). L'action fut longtemps indécise, mais la victoire se décida enfin pour ces derniers. Manuel Phocas et dix mille de ses guerriers y trouvèrent la mort. Le butin fait dans cette journée fut considérable. Hassan mourut dans le mois de novembre suivant.

Rametta continua à se défendre avec héroïsme pendant une année entière. Enfin, en novembre 955, les assiégés, réduits à la dernière extrémité, ne purent empêcher les Musulmans de pénétrer par la brèche. Les hommes furent massacrés, les femmes et les enfants réduits en esclavage, et la ville pillée. Vers le même temps, Ahmed atteignait la flotte byzantine à Reggio, l'incendiait et faisait prisonnier l'amiral Nicétas et un grand nombre de personnages de marque qui furent envoyés à El-Mehdïa.

Ahmed attaqua ensuite les villes grecques de la Calabre, les soumit au tribut et les contraignit à signer une trêve 568.

Note 568: (retour) Amari, Musulmans de Sicile, t. II, p. 259 et suiv.

Progrès de l'influence oméiade en Mag'reb.--Pendant que le khalife fatemide était absorbé par la guerre de Sicile et d'Italie, le Mag'reb, à peine reconquis, demeurait livré à lui-même, et les Oméïades cherchaient par tous les moyens à y reprendre de l'influence. Les généraux Kaïcer et Modaffer, qui, nous l'avons vu, avaient été laissés comme représentants du khalife dans ces régions, prêtèrent-ils l'oreille aux émissaires d'Espagne, ou furent-ils victimes de calomnies? Nous l'ignorons. Toujours est-il qu'El-Moëzz les fit mettre à mort comme traîtres (961).

Peu après, Sidjilmassa répudiait encore une fois la suprématie fatemide et ouvrait ses portes à un fils d'Ech-Chaker, qui se faisait reconnaître sous le nom d'El-Mostancer-l'Illah. Ainsi la dynastie des Beni-Ouaçoul reprenait le commandement des régions du sud. En 964, le nouveau souverain était mis à mort par son frère Abou-Mohammed. Ce prince, qui s'était donné le titre d'El-Moâtezz-l'Illah, proclama de nouveau l'autorité oméïade, dans le sud du Mag'reb, et la fit reconnaître par les tribus du haut Moulouïa.

Dans le Rif, les Edrisides étaient comblés de cadeaux par le souverain d'Espagne, qui ne négligeait rien pour les rattacher à sa cause. En même temps, El-Hakem faisait réparer et compléter les fortifications de Ceuta, où il entretenait une forte garnison 569.

Note 569: (retour) El-Bekri, passim. Ibn-Khaldoun, t. I, p. 265, t. II, p. 544, 569. Kartas, p. 125, 126.

État de l'Orient. El-Moezz prépare son expédition.--Les souverains de la dynastie fatemide, suivant l'exemple donné par son fondateur, n'avaient cessé d'avoir les yeux tournés vers l'Orient; C'est sur l'Arabie qu'ils devaient régner, et il avait fallu des motifs aussi graves que la révolte d'Abou-Yezid et la nécessité de défendre le Mag'reb contre les entreprises des Oméïades, pour faire ajourner ces projets. El-Moëzz les avait à cœur, au moins autant que ses devanciers, et il faut reconnaître que, depuis longtemps, le moment d'agir n'avait paru aussi favorable.

L'empereur d'Orient, dégoûté par l'insuccès de ses tentatives en Sicile et en Italie, menacé dans la péninsule par Othon de Saxe et occupé, du reste, par ses conquêtes en Asie, tendait à se rapprocher d'El-Moëzz, et même à s'unir avec lui dans un intérêt commun. Le khalife abbasside, ayant perdu presque toutes ses provinces, était réduit à la possession de Bagdad et d'un faible rayon alentour. Les Bouïdes tenaient la Perse: les Byzantins étaient maîtres de l'Asie Mineure. Enfin, les Karmates, ces terribles sectaires 570 qui avaient ravagé la Mekke parcouraient les provinces de l'Arabie et commençaient à en déborder. La Syrie et l'Egypte obéissaient aux Ikhchidites.

Note 570: (retour) Les Karmates admettaient l'usage du vin, réduisaient les jours de jeûne à deux par an, prescrivaient cinquante prières par jour au lieu de cinq, et enfin avaient modifié à leur guise presque toutes les prescriptions de la religion musulmane.

Rapprochés par un intérêt commun, El-Moëzz et Phocas conclurent, en 967, une paix qu'ils estimaient devoir être avantageuse pour chacun d'eux. Le khalife fatemide intima alors à l'émir de Sicile l'ordre de cesser toute hostilité et d'appliquer ses soins à la colonisation et à l'administration de l'île.

Libre de ce côté, l'empereur envoya toutes ses troupes en Asie. Il enleva aux Ikhchidites les places du nord de la Syrie, tandis que les Karmates envahissaient cette province par le midi. Sur ces entrefaites, Ikhchid vint à mourir (968), en laissant comme successeur un enfant de onze ans, sous la tutelle de l'affranchi Kafour. La révolte, cette compagne des défaites, éclatait partout. Les événements, on le voit, favorisaient à souhait les projets d'El-Moëzz.

Le khalife, voulant à tout prix éviter les échecs que ses aïeux avaient éprouvés dans l'est, résolut de ne se mettre en route qu'après avoir assuré, par ses précautions, la réussite de l'entreprise. Par son ordre, des puits furent creusés et des approvisionnements amassés sur le trajet que devait suivre l'armée. En même temps, comme il voulait assurer ses derrières, Djouher fut envoyé avec une armée dans le Mag'reb. En outre des intrigues oméïades dont nous avons parlé, et qu'il fallait réduire à néant, le général fatemide avait pour mission de rétablir la paix entre les Sanhadja et les Mag'raoua, toujours rivaux. Mohammed-ben-Khazer était mort depuis quelques années, et le système des razias avait recommencé. Djouher passa, dit-on, deux ans dans le Mag'reb et ne revint en Ifrikiya qu'après avoir tout rétabli dans l'ordre, fait rentrer les impôts et recruté une nombreuse et solide armée 571 (968).

Note 571: (retour) Amari, Musulmans de Sicile, t. II, p. 274 et suiv. Ibn-Khaldoun, Berbères, t. II, p. 344 et suiv., t. III, p. 233 et suiv., El-Kaïrouani, p. 107 et suiv.

Conquête de l'Egypte par Djouuer.--Au moment où tout était prêt pour le départ, un événement imprévu vint encore favoriser les projets d'El-Moezz. Kafour, qui, en réalité, gouvernait depuis deux ans l'empire ikhchidite, mourut (968), et le pays demeura en proie aux factions et à l'anarchie. De pressants appels furent adressés d'Egypte au khalife. Au commencement de février 969, l'immense armée, qui ne comptait, dit-on, pas moins de cent mille cavaliers, partit pour l'Orient sous le commandement de Djouher. Le khalife, entouré de sa maison et de ses principaux officiers, vint à Rakkada faire ses adieux à l'armée et à son brave chef.

Parvenu sans encombre en Egypte, Djouher reçut, auprès d'Alexandrie, une députation de notables venus du vieux Caire pour lui offrir la soumission de la ville. Les troupes restées fidèles se trouvaient alors en Syrie (juin 967). Mais, après le départ des envoyés, un mouvement populaire s'était produit au Caire et chacun se prétendait prêt à combattre. Djouher reprit donc sa marche et, ayant rencontré l'ennemi en avant de la capitale, il le culbuta sans peine et fit son entrée au Caire le 6 juillet 969. La souveraineté des fatemides fut alors proclamée dans toute l'Egypte, en même temps que la déchéance des Ikhchidites. Ce fut en très peu de temps, et pour ainsi dire sans combattre, que le descendant du mehdi devint maître de ce beau royaume, depuis si longtemps convoité, et pour lequel ses ancêtres avaient fait tant d'efforts stériles.

Après avoir tracé, à son camp de Fostat, le plan d'une vaste citadelle qu'il appela El-Kahera (la Triomphante) 572, Djouher jugea indispensable d'agir en Syrie, où les partisans de la dynastie déchue s'étaient réunis en forces assez considérables. Il y envoya un de ses généraux, le ketamien Djafer-ben-Falah, avec une partie de l'armée. Ramla, puis Damas tombèrent au pouvoir de l'armée fatemide (novembre-décembre 969).

Note 572: (retour) C'est de ce nom qu'on a fait Le Caire.

Djouher s'était présenté en Egypte comme un pacificateur: Il continua ce rôle après la victoire, rétablit la marche régulière de l'administration, en plaçant partout des fonctionnaires pris parmi les Ketama et Sanhadja, et s'appliqua surtout à ne pas froisser les convictions religieuses et à maintenir les usages qui n'étaient pas contraires à la Sonna et au Koran. Il jeta, dit-on, les fondations de la fameuse mosquée El-Azhar 573.

Note 573: (retour) Amari, Musulmans de Sicile, t. II, p. 284 et suiv.

Révoltes en Afrique. Ziri-ben-Menad écrase les Zenètes.--Dans le Mag'reb, la cause fatemide était loin d'obtenir d'aussi brillants succès. Aussitôt après le départ de Djouher, le feu de la révolte y avait de nouveau éclaté. La rivalité qui existait entre les Mag'raoua, commandés par Mohammed-ben-el-Kheïr, petit-fils d'Ibn-Khazer, et Ziri-ben-Menad, avait été habilement exploitée par le khalife El-Hakem. Les agents oméïades avaient également réussi à exciter Djâfer-ben-Hamdoun contre Ziri, en lui faisant remarquer combien il était humiliant pour lui de voir les faveurs du souverain fatemide être toutes pour le chef des Sanhadja. Bientôt la révolte éclatait sur un autre point et, tandis que Djouher partait pour l'Egypte, un certain Abou-Djâfer se jetait dans l'Aourès, en appelant à lui les mécontents et en ralliant les débris des Nekkariens. El-Moëzz, en personne, marcha contre le rebelle, mais, à son approche, les Nekkariens se débandèrent, et Abou-Djâfer n'eut d'autre salut que dans la fuite. Le khalife, qui s'était avancé jusqu'à Bar'aï, chargea Bologguine, fils de Ziri, de poursuivre les révoltés et rentra dans sa capitale. Peu après, Abou-Djâfer faisait sa soumission.

La rivalité entre les Sanhadja et les Mag'raoua s'était transformée en un état d'hostilité permanente. Sur ces entrefaites, Mohammed-ben-el-Kheïr, chef de ces derniers, contracta alliance avec les autres tribus zenètes, toutes dévouées aux Oméïades, et leva l'étendard de la révolte.

Les partisans avérés des Fatemides furent massacrés et on proclama, dans tout le Mag'reb, l'autorité d'El-Hakem. Tandis que les Mag'raoua et Zenata se préparaient à prendre l'offensive, Ziri-ben-Menad fondit sur eux à l'improviste à la tête de ses meilleurs guerriers sanhadja. Sou fils Bologguine commandait l'avànt-garde. Le premier moment de surprise passé, les Zenètes confédérés essayèrent de reformer leurs lignes, et un combat acharné s'engagea. Enfin les Beni-Ifrene lâchèrent pied en abandonnant les Mag'raoua. Ceux-ci, enflammés par l'exemple de leur chef, se firent tuer jusqu'au dernier. Mohammed-ben-el-Kheïr, après avoir vu tomber tous ses guerriers, se perça lui-même de son épée. Les pertes des Zenètes, et surtout des Mag'raoua, furent considérables. On expédia à Kaïrouan les têtes des principaux chefs (970). Le résultat de cette victoire fut de rétablir, pour un instant, l'autorité fatemide dans le Mag'reb 574.

Note 574: (retour) Ibn-Khaldoun, Berbères, t. II, p. 7, 149, 549, t. III, p. 234 et suiv. El-Kaïrouani, p. 125. El-Bekri, passim.

Mort de Ziri-ben-Menad. Succès de son fils Bologguine dans le Mag'reb.--El-Moëzz n'était pas sans inquiétude sur les intentions de Djâfer-ben-Hamdoun, dont la jalousie venait d'être excitée par les derniers succès de Ziri. Il le manda amicalement à sa cour; mais le gouverneur de Mecila, craignant quelque piège, leva le masque et alla rejoindre les Zenètes, qui avaient été ralliés par El-Kheïr, fils de Mohammed-ben-Khazer 575, brûlant du désir de tirer vengeance de la mort de son père. Bientôt ces deux chefs envahirent le pays des Sanhadja, à la tête d'une armée considérable. Ziri-ben-Menad, pris à son tour au dépourvu et séparé de son fils Bologguine, rassembla à la hâte ses guerriers et marcha contre l'ennemi avec sa bravoure habituelle. Cette fois la victoire se déclara contre lui. Après un engagement sanglant, les Sanhadja commencèrent à prendre la fuite. En vain Ziri tenta de les rallier: son cheval s'étant abattu, il fut aussitôt percé de coups par ses adversaires, qui se précipitèrent sur son corps et le décapitèrent (juillet 971). Yahïa, frère de Djâfer-ben-Hamdoun, fut chargé de porter à Cordoue la tête de Ziri. On l'exposa sur le marché de la ville.

Note 575: (retour) Nous suivons ici l'usage indigène consistant à donner le nom de l'aïeul, devenu patronymique, en supprimant celui du père.

A la nouvelle de ce désastre, Bologguine accourut pour venger son père et préserver ses provinces. Il atteignit bientôt les Zenètes et leur infligea une entière défaite. Il reçut alors du khalife le diplôme d'investiture, en remplacement de son père, et l'ordre de continuer la campagne si bien commencée. A la tête d'une armée composée de guerriers choisis, Bologguine se porta d'abord dans le Zab, pour en expulser les partisans d'Ibn-Hamdoun, et s'avança jusqu'à Tobna et Biskra; puis, reprenant la direction de l'ouest, il chassa devant lui tous les Zenètes dissidents. Après un séjour à Tiharet, il se lança résolument dans le désert, où El-Kheïr et ses Zenètes avaient cherché un refuge, et les poursuivit jusqu'auprès de Sidjilmassa. Les ayant atteints, il les mit de nouveau en déroute; El-Kheïr, fait prisonnier, fut mis à mort.

Quant à Djâfer, il alla demander un asile en Espagne, auprès d'El-Hakem.

Traversant alors le Mag'reb extrême, Bologguine revint vers le Rif, où les Edrisides s'étaient de nouveau déclarés les champions de la cause oméïade. El-Hacen-ben-Kennoun dut, encore une fois, changer de drapeau et jurer fidélité au khalife fatemide. Après cette courte et brillante campagne, dans laquelle les Mag'raoua et Beni-Ifrene avaient été en partie dispersés, au point qu'un certain nombre d'entre eux étaient allés chercher un refuge en Espagne, Bologguine se disposa à revenir vers l'est; auparavant, il défendit aux Berbères du Mag'reb de se livrer à l'élève des chevaux, et, pour compléter l'effet de cette mesure, ramena avec lui toutes les montures qu'on put saisir 576.

En passant à Tlemcen, il déporta une partie de la population de cette ville et la fit conduire à Achir 577.

Note 576: (retour) El-Kaïrouani, p. 127.
Note 577: (retour) Ibn-Khaldoun, t. II, p. 8, 150, 548, t. III, p. 234, 235, 255. Kartas, p. 125. El-Bekri, Idricides, passim.

El-Moezz se prépare à quitter l'Ifrikiya.--Pendant que la cause fatemide obtenait ces succès en Mag'reb, ses armées, habilement conduites, achevaient de détruire en Syrie la résistance des derniers partisans de la dynastie ikhchidite. Le fils de Djouher conduisit lui-même à Kaïrouan les membres de cette famille faits prisonniers. Le khalife les reçut avec une grande pompe, couronne en tête, et leur rendit la liberté.

Mais les Fatemides trouvèrent bientôt devant eux, en Syrie, des adversaires autrement redoutables; les Karmates, sous le commandement d'El-Hassan-ben-Ahmed, avaient conquis une partie de ce pays et s'avançaient menaçants. Le général ketamien Djâfer-ben-Felah, envoyé contre eux, fut entièrement défait et perdit la vie dans la rencontre. Damas tomba aux mains des Karmates, qui marchèrent ensuite contre l'Egypte.

Les brillantes victoires remportées par les Fatemides risquaient d'être annihilées, comme effet, si une main puissante ne venait prendre le commandement dans la nouvelle conquête. Djouher pressait depuis longtemps le khalife de transporter en Egypte le siège de l'empire; mais El-Moëzz, au moment de réaliser le rêve de sa famille, hésitait à quitter cette Ifrikiya, berceau de la puissance fondée par le mehdi. En présence des complications survenues en Syrie Djouher redoubla d'instances, et comme, en même temps, arriva à Kaïrouan la nouvelle de la pacification du Mag'reb par Bologguine, El-Moëzz se décida à partir pour l'Orient. Il établit son camp à Sardenia, entre Kaïrouan et Djeloula, y réunit les troupes qu'il devait emmener, et s'occupa de prendre toutes les dispositions nécessaires en vue de l'abandon définitif du pays.

La grande difficulté était de pouvoir laisser l'Ifrikiya dans des mains sûres. Afin de ne pas donner trop de puissance à son représentant, il divisa le pouvoir entre plusieurs fonctionnaires. Le Ketamien Abd-Allah-ben-Ikhelef fut nommé gouverneur de la province de Tripoli. En Sicile, la famille des Ben-el-Kelbi avait conservé le commandement; El-Moëzz craignit que l'influence énorme dont elle jouissait la poussât à se déclarer indépendante. Il rappela de l'île le gouverneur Abmed-ben-el-Kelbi, et chargea un affranchi, du nom de Iaïch, de la direction des affaires. Mais, à peine celui-ci était-il arrivé, que la révolte éclatait et que le prince s'empressait d'envoyer dans l'île, comme gouverneur, Bel-Kassem-el-Kelbi. Quant au poste quasi-royal de gouverneur de l'Ifrikiya et du Mag'reb résidant à Kaïrouan, le khalife le réserva à Bologguine, fils de Ziri, dont l'intelligence et le dévouement lui étaient connus. La perception de l'impôt fut confiée à deux fonctionnaires, sous les ordres directs du khalife; le cadi et quelques chefs de la milice furent également réservés à sa nomination; enfin, un conseil de grands officiers fut chargé d'assister Bologguine 578.

Note 578: (retour) Ibn-Khaldoun, t. II, p. 9, 10, 549, 550. El-Kaïrouani, p. 110. Ibn-El-Athir, passim. De Quatremère, Vie d'El-Moez. Amari, Musulmans de Sicile, p. 287 et suiv.

El-Moezz transporte le siège de la dynastie fatemide en Egypte.--Au commencement de l'automne de l'année 972, Bologguine rentra de son heureuse expédition. Le khalife l'accueillit avec les plus grands honneurs et lui accorda les titres honorifiques de Sifed-Daoula (l'épée de l'empire) et d'Abou-el-Fetouh (l'homme aux victoires); il voulut en outre qu'il prît le nom de Youçof. Lui ayant annoncé son intention de le nommer gouverneur de l'Afrique, il lui traça sa ligne de conduite, et lui recommanda surtout de ne cesser de faire sentir aux Berbères une main ferme, de ne pas exempter les nomades d'impôts, et de ne jamais donner de commandement important à une personne de sa famille, qui serait amenée à vouloir partager l'autorité avec lui. Il lui prescrivit encore de combattre sans cesse l'influence des Oméïades dans le Mag'reb et de faire son possible pour expulser définitivement leurs adhérents du pays.

Dans le mois de novembre 972, El-Moëzz se mit en route et fut accompagné jusqu'à Sfaks par Bologguine. Le khalife emportait avec lui les cendres de ses ancêtres et tous ses trésors fondus en lingots. C'était bien l'abandon définitif d'un pays que les Fatemides avaient toujours considéré comme lieu de séjour temporaire.

El-Moëzz arriva à Alexandrie dans le mois de mai 973. Le 10 juin suivant, il fit son entrée triomphale au vieux Caire (Misr) et alla fixer sa résidence au nouveau Caire (El-Kahera-el-Moëzzïa). Nous perdrons de vue, maintenant, les faits particuliers à sa dynastie en Egypte, pour ne suivre que le cours des événements accomplis en Mag'reb 579.

Note 579: (retour) Ibn-Khaldoun, t. II, p. 10, 550, 551. El-Kaïrouani, p. 111, 124. El-Bekri, passim. Amari, Musulmans de Sicile, p. 287 et suiv.

Ainsi les derniers souverains de race arabe ont quitté la Berbérie, car nous ne comptons plus les Edrisides dispersés et sans forces et dont la dynastie est sur le point de disparaître de l'Afrique. Partout le peuple berbère a repris son autonomie; il n'obéit plus à des étrangers; il va fonder de puissants empires et avoir ses jours de grandeur.


APPENDICE


   CHRONOLOGIE DES FATEMIDES D'AFRIQUE

   Date de l'avènement
   Obéïd-Allah-el-Mehdi............. Janvier 910.
   Abou-l'-Kacem-el-Kaïm............ 3 mars 934.
   Ismaïl-el-Mansour................ 18 mai 946.
   Maad-el-Moëzz.................... Mars 953.
   Son départ pour l'Egypte......... Décembre 972.

CHAPITRE XII

L'IFRIKIYA SOUS LES ZIRIDES (SANHADJA).--LE MAG'REB
SOUS LES OMEIADES

973-997

Modifications ethnographiques dans le Mag'reb central.--Succès des Oméïades dans le Mag'reb; chute des Edrisides; mort d'El-Hakem.--Expéditions des Mag'raoua contre Sidjilmassa et contre les Berg'ouata.--Expédition de Bologguine dans le Mag'reb; ses succès.--Bologguine, arrêté à Ceuta par les Oméïades, envahit le pays des Berg'ouata.--Mort de Bologguine; son fils El-Mansour lui succède.--Guerre d'Italie.--Les Oméïades d'Espagne étendent de nouveau leur autorité sur le Mag'reb.--Révoltes des Ketama réprimées par El-Mansour.--Les deux Mag'reb soumis à l'autorité oméïade; luttes entre les Mag'raoua et les Beni-Ifrene.--Puissance de Ziri-ben-Atiya; abaissement des Beni-Ifrene.--Mort du gouverneur El-Mansour; avènement de son fils Badis.--Puissance des gouverneurs kelbites en Sicile.--Rupture de Ziri-ben-Atiya avec les Oméïades d'Espagne.

Modifications ethnographiques dans le Mag'reb central.--Les résultats des dernières campagnes de Djouher et de Bologguine en Mag'reb avaient été très importants pour l'ethnographie de cette contrée. Les Mag'rabua et Beni-Ifrene vaincus, dispersés, rejetés vers l'ouest, durent céder la place, dans les plaines du Mag'reb central, à leurs cousins les Ouemannou et Iloumi, qui, jusque-là, n'avaient guère fait parler d'eux. Sur les Zenétes expulsés, un grand nombre, et, parmi eux, les Beni-Berzal, allèrent se réfugier en Espagne et fournirent d'excellents soldats au khalife oméïade. D'autres se placèrent sous les remparts de Ceuta 580.

Les Sanhadja, au comble de la puissance, étendirent leurs limites et leur influence jusque dans la province d'Oran.

Un autre mouvement s'était produit dans les régions sahariennes. La grande tribu zenète des Beni-Ouacine s'avança dans le désert de la province d'Oran et se massa entre le mont Rached 581, ainsi nommé d'une de ses fractions, et le haut Moulouïa jusqu'à Sidjilmassa, prête à pénétrer, à son tour, dans le Tell 582.

Les débris des Mag'raoua, ralliés autour de la famille d'Ibn-Khazer, passèrent le Moulouïa et s'avancèrent du côté de Fès, en usurpant peu à peu les conquêtes des Miknaça 583.

Note 580: (retour) Ibn-Khaldoun, Berbères, t. III, p. 236, 294.
Note 581: (retour) Actuellement Djebel-Amour.
Note 582: (retour) Ibn-Khaldoun, Berbères, t. III, p. 327, t. IV, p. 2, 5, 25.
Note 583: (retour) Loc. cit., t. I, p. 265, t, III, p. 235.

Succès des Oméïades en Mag'reb; chute des Edrisides; mort d'El-Hakem.--El-Hakem voulut profité du départ d'El-Moëzz pour regagner le terrain perdu en Mag'reb, et, tandis que le khalife fatemide s'éloignait vers l'est, une armée oméïade, commandée par le vizir Mohammed-ben-Tamlès, débarquait à Ceuta, avec la mission de châtier le prince edriside pour sa défection. Cette fois, El-Hassan, décidé à combattre, s'avança à la rencontre de ses ennemis et les défit complètement en avant de Tanger. Les débris de ces troupes, Africains et Maures d'Espagne, se réfugièrent à Ceuta et demandèrent du secours à El-Hakem. Le khalife, plein du désir de tirer une éclatante vengeance de cet affront, réunit une nouvelle et formidable armée, en confia le commandement à son célèbre général R'aleb et l'envoya en Mag'reb. Il lui recommanda, s'il ne pouvait vaincre, de savoir mourir en combattant, et lui déclara qu'il ne voulait le revoir que victorieux. Des sommes d'argent considérables furent mises à sa disposition. La campagne devait commencer par la destruction du royaume edriside.

Cependant l'edriside El-Hassan, tenu au courant de ces préparatifs, s'empressa de renfermer ce qu'il possédait de plus précieux dans sa forteresse imprenable de Hadjar-en-Necer, puis il évacua Basra, sa capitale, et se retrancha à Kçar-Masmouda, place forte située entre Ceuta et Tanger. R'aleb ne tarda pas à venir l'attaquer et, durant plusieurs jours, on escarmoucha sans grand avantage de part ni d'autre. Le général oméïade parvint alors à corrompre, à force d'or, les principaux adhérents d'El-Hassan, et celui-ci se vit tout à coup abandonné par ses meilleurs officiers et contraint de se réfugier à Hadjar-en-Necer.

R'aleb l'y suivit et entreprit le siège du nid d'aigle. La position défiait toute attaque et ce n'était que par un blocus rigoureux qu'on pouvait la réduire. Pour cela, du reste, des renforts étaient nécessaires, et bientôt arriva dans le Rif une nouvelle armée oméïade, commandée par Yahïa-ben-Mohammed-et-Todjibi, général qui était investi précédemment du commandement de la frontière supérieure en Espagne. Avec de telles forces, le siège fut mené vigoureusement et il ne resta à El-Hassan d'autre parti que de se rendre à la condition d'avoir la vie sauve (octobre 973). Ainsi disparut ce qui restait du royaume edriside.

Après la chute de Hadjar-en-Necer, R'aleb rechercha partout les derniers descendants et partisans de la dynastie d'Edris, dans le Rif et le pays des R'omara. De là, il pénétra dans l'intérieur du Mag'reb. Arrivé à Fès, il y rétablit l'autorité oméïade et laissa deux gouverneurs: l'un dans le quartier des Kaïrouanides et l'autre dans celui des Andalous. R'aleb parcourut ainsi le Mag'reb septentrional et laissa partout des représentants de l'autorité oméïade.

Après avoir rempli si bien son mandat, R'aleb nomma gouverneur général du Mag'reb Yahïa-et-Todjibi, et rentra en Espagne, traînant à sa suite les membres de la famille edriside, des prisonniers de distinction et une foule de Berbères qui avaient suivi ses drapeaux. Le khalife El-Hakem, suivi de tous les notables de Cordoue, vint au devant du général victorieux, le combla d'honneurs, et reçut avec distinction El-Hassan-ben-Kennoun et ses parents. Il fit des cadeaux à ces princes et leur assigna des pensions (septembre 974).

Peu de jours après, El-Hakem, atteint d'une grave maladie, remettait la direction des affaires de l'état à son vizir, Moushafi. Presque aussitôt, ce ministre se débarrassa des Edrisides, dont l'entretien était ruineux pour le trésor, en les expédiant vers l'Orient. On les débarqua à Alexandrie, où ils furent bien accueillis par le souverain fatemide. La maladie d'El-Hakem avait eu, en outre, pour conséquence, de redonner de l'espoir aux chrétiens du nord, et, comme la frontière avait été dégarnie de troupes, ils l'attaquèrent en différents endroits. Dans cette conjecture, le vizir n'hésita pas à rappeler d'Afrique le brave Yahïa-et-Todjibi pour l'envoyer reprendre son commandement dans le nord. Djafer-ben-Hamdoun, chargé de le remplacer en Mag'reb, emmena avec lui pour l'assister son frère Yahïa.

El-Hakem, sentant sa fin prochaine, réunit, le 5 février 976, tous les grands du royaume et leur fit signer un acte par lequel son jeune fils Hicham était reconnu pour son successeur. Le premier octobre suivant, le khalife mourait et l'empire passait aux mains d'un mineur: c'était la porte ouverte à toutes les compétitions et, par voie de conséquence, le salut du Mag'reb 584.

Vers la même époque (975), Guillaume de Provence mettait fin à la petite république musulmane du Fraxinet. Depuis cinquante ans ces brigands répandaient la terreur en Provence, dans le Dauphiné, en Suisse, dans le nord de l'Italie et sur mer 585.

Note 584: (retour) Dozy, Musulmans d'Espagne, t. III, p. 124 et suiv. Ibn-Khaldoun, t. II, p. 151, 556, 559, 570. Kartas, p. 125 et suiv., 140 et suiv. El-Bekri, passim. El-Marrakchi (éd. Dozy), p. 29 et suiv.
Note 585: (retour) Voir Raynaud, Expéditions des Sarrasins dans le midi de la France, pass. et Élie de la Primaudaie, Arabes et Normands, passim.

Expéditions des Mag'raoua contre Sidjilmassa et contre les Berg'ouata.--Arrivé en Mag'reb, à la fin de l'année 975, Djâfer-ben-Hamdoun s'appliqua à apaiser les discussions qui avaient éclaté entre les Mag'raoua, Beni-Ifrene et Miknaça, et qui étaient la conséquence de la récente immigration des tribus zenètes. Pour les occuper, il permit aux Mag'raoua de tenter une expédition contre Sidjilmassa, où régnait toujours le Midraride Abou-Mohammed-el-Moatezz.

L'année suivante, un grand nombre de Mag'raoua et de Beni-Ifrene, sous la conduite d'un prince de la famille de Khazer, nommé Khazroun-ben-Felfoul, se portèrent sur Sidjilmassa, et, après avoir défait les troupes d'El-Moatezz, qui s'était avancé en personne contre ses ennemis, s'emparèrent de l'oasis: El-Moatezz ayant été mis à mort, sa tête fut envoyée à Cordoue. Khazroun, qui s'était emparé de tous ses trésors, fut nommé chef du pays pour le compte du khalife d'Espagne, dont la suprématie fut proclamée dans ces contrées éloignées. Ainsi à Sidjilmassa, comme sur le cours du bas-Moulouïa, les Miknaça durent céder la place aux Zenètes-Mag'raoua, qui s'installèrent définitivement dans le Mag'reb extrême.

Quelque temps après, une querelle s'éleva entre Djâfer-ben-Hamdoun et son frère Yahïa. Ce dernier vint alors, avec un certain nombre de Zenètes, se retrancher dans la ville de Basra, non loin de Ceuta, où résidait un commandant oméïade. Djâfer voulait marcher contre lui; mais, voyant ses troupes peu disposées à entreprendre une campagne dans le Rif et, en partie, sur le point de l'abandonner, il les entraîna vers l'ouest, contre les Berg'ouata. Cette grande tribu masmoudienne, cantonnée au pied des versants occidentaux de l'Atlas et sur les bords de l'Océan, était devenue le centre d'un schisme religieux, qui y avait pris naissance environ un siècle et demi auparavant, à la voix d'un réformateur nommé El-Yas. Après la mort de ce marabout, son fils Younos avait réuni tous ses adhérents et contraint par la force ses compatriotes à accepter la nouvelle doctrine 586. De grandes guerres avaient désolé alors le sud du Mag'reb; deux cent quatre-vingt-sept villes avaient été ruinées. La puissance des Berg'ouata était devenue redoutable, et, plusieurs fois, les Edrisides et les descendants de Ben-Abou-l'Afia avaient tenté, mais en vain, de réduire ces hérétiques587.

Note 586: (retour) Voir ci-devant, p. 238, 255.
Note 587: (retour) Ibn-Khaldoun, t. II, p. 125 et suiv. El-Bekri, Berghouata. Ibn-Haukal, passim.

Ce fut du nom de guerre sainte que Djâfer colora son expédition contre les Berg'ouata. Il s'avança jusqu'au cœur de leur pays, mais alors, ces indigènes, s'étant rassemblés en grand nombre, écrasèrent son armée composée de Mag'raoua et autres Zenètes; les débris de ces troupes se réfugièrent à Basra, et Djâfer rentra en Espagne. Le Vizir, qui craignait l'influence de ce général en Mag'reb, confirma, pour l'affaiblir, son frère Yahïa dans le commandement de la ville de Basra et du Rif, et n'inquiéta pas celui-ci, au sujet de sa défection qui avait été si préjudiciable à Djâfer 588.

Note 588: (retour) Ibn-Khaldoun, t. I, p. 265, t. II, p. 156, 556, 557, t. III, p. 218, 235 et suiv. Kartas, p. 140. El-Bekri, passim.

Expédition de Bologguine dans le Mag'reb; ses succès.--Bologguine, en Ifrikiya, suivait avec attention les événements dont le Mag'reb était le théâtre et attendait le moment favorable pour intervenir; mais il devait au préalable assurer sa position à Kaïrouan, et l'on ne saurait trop admirer la prudence et l'esprit politique dont le chef berbère fit preuve en cette circonstance. Son protecteur, le khalife El-Moëzz, était mort peu de temps après son arrivée au Caire (975) et avait été remplacé par son fils El-Aziz-Nizar. Bologguine obtint de lui, en 977, la suppression du gouvernement isolé de la Tripolitaine, tel qu'il avait été établi par El-Moëzz, lors de son départ. Ainsi, le prince berbère étendit son autorité jusqu'à l'Egypte et, tranquille du côté de l'est, il put se préparer à intervenir activement en Mag'reb.

En 979, Bologguine, à la tête d'une armée considérable, partit pour les régions de l'Occident. Il traversa sans difficulté le Mag'reb central, et, ayant franchi la Moulouïa, trouva déserts les pays occupés alors par les tribus zenètes, celles-ci s'étant réfugiées, à son approche, soit dans le sud, soit sous les murs de Ceuta. Il s'avança ainsi, sans coup férir jusqu'à Fès, entra en maître dans cette ville et, de là, se porta vers le sud. Ayant remonté le cours de la Moulouïa, il parvint, en chassant devant lui les Mag'raoua, jusqu'à Sidjilmassa. Cette oasis lui ouvrit ses portes. El-Kheïr-ben-Khazer, ayant été pris, fut mis à mort. Les familles de Yâla l'ifremide, d'Atiya-ben-Khazer et des Beni-Khazroun trouvèrent un refuge à Ceuta. Bologguine, laissant des officiers dans les provinces qu'il venait de conquérir, reprit la route du nord, pour y relancer les Zenètes, ses ennemis et les soutiens de la cause oméïade. La province de Hebet étant tombée en son pouvoir, il se disposa à marcher sur Ceuta.

Bologguine, arrêté à Ceuta par les Oméïades, envahit le pays des Berg'ouata.--Mais, pendant que ces succès couronnaient les armes du lieutenant des Fatemides, les Oméïades d'Espagne ne restaient pas inactifs. Le vizir El-Mansour-ben-Abou-Amer, qui avait supplanté, quelque temps auparavant El-Meshafi, dirigeait habilement les affaires du royaume et tenait dans une tutelle absolue le souverain Hicham II. Décidé à disputer à Bologguine la domination du Mag'reb, El-Mansour ne vit, autour de lui, aucun chef plus digne de lui être opposé que Djâfer-ben-Hamdoun, son mortel ennemi. L'ayant placé à la tête d'une armée considérable, il mit, dit-on, à sa disposition cent charges d'or et l'envoya en Afrique. Aussitôt après son débarquement, ce général rallia autour de lui les principaux chefs zenètes avec leurs contingents, et les fit camper aux environs de Ceuta. Bientôt, d'autres renforts, arrivés d'Espagne, portèrent l'effectif de l'armée oméïade à un chiffre considérable.

Pendant ce temps, Bologguine continuait sa marche sur Ceuta. Il s'était jeté dans les montagnes de Tétouan et y avait rencontré les plus grandes difficultés pour la marche de ses troupes. Enfin, à force de courage et de persévérance, la dernière montagne fut gravie et le gouverneur sanhadjien put voir à ses pieds la ville de Ceuta. Cet aspect, loin de le récompenser de ses peines par l'espoir d'un facile succès, le jeta dans le découragement. Un immense rassemblement était concentré sous la ville, et des convois arrivaient de toutes les directions pour ravitailler ces camps.

Attaquer à ce moment eût été insensé. Bologguine y renonça sur-le-champ; ramenant son armée sur ses pas, il alla détruire la ville de Basra et, de là, envahit le pays des Berg'ouata, qu'il avait déjà rencontrés dans sa précédente campagne. Ces schismatiques s'avancèrent bravement à sa rencontre, sous la conduite de leur roi Abou-Mansour-Aïça. Mais les Sanhadja se lancèrent contre eux avec tant d'impétuosité qu'ils les mirent en pleine déroute après avoir tué leur chef 589.

Note 589: (retour) Ibn-Khaldoun, Berbères, t. II, p. 12, 131, 557, t. III, p. 218, 236, 237. El-Bekri, Berghouata. Dozy, Musulmans d'Espagne, t. III, p. 183.

Mort de Bologguine. Son fils El-Mansour lui succède.--L'éloignement de Bologguine avait renversé tous les plans de Djâfer. Bientôt les Berbères, entassés à Ceuta, manquèrent de vivres et, avec la disette, la mésintelligence entra dans le camp. Le vizir El-Mansour, qui avait besoin, en Espagne, de troupes déterminées afin d'écraser les factions adverses, en profita pour attirer dans la péninsule un grand nombre d'Africains.

Pendant ce temps, Bologguine continuait ses expéditions dans le pays des Berg'ouata. Ces farouches sectaires qui, depuis des siècles, vivaient indépendants, avaient dû se soumettre et leurs principaux chefs, chargés de fers, avaient été expédiés en Ifrikiya. Dans le cours de Tannée 983, Bologguine se décida à rentrer à Kaïrouan, mais comme Ouanoudine, de la famille mag'raouienne des Beni-Khazroun, avait réussi à s'emparer de l'autorité à Sidjilmassa, il résolut de pousser d'abord une pointe dans le sud. A son approche, Ouanoudine prit la fuite. Peut-être Bologguine n'alla-t-il pas jusqu'à Sidjilmassa; sautant sans doute les atteintes du mal qui allait l'emporter, il ordonna le retour vers le nord, par la route de Tlemcen. Mais, parvenu au lieu dit Ouarekcen, au sud de cette ville, Bologguine, fils de Ziri, cessa de vivre (mai 984). Son affranchi Abou-Yor'bel envoya aussitôt la nouvelle de cette mort à El-Mansour, fils de Bologguine et son héritier présomptif, qui commandait et résidait à Achir, puis l'armée continua sa route vers l'est.

El-Mansour se rendit à Kaïrouan et reçut en route une députation des habitants de cette ville, venus pour le saluer. Il leur donna l'assurance qu'il continuerait à employer pour gouverner la voie de la douceur et de la justice. A Sabra il reçut le diplôme du khalife El-Aziz lui conférant le commandement exercé avec tant de fidélité par son père. El-Mansour répondit par l'envoi d'un million de dinars (pièces d'or) à son suzerain. Il confia le commandement de Tiharet à son oncle Abou-l'Behar et celui d'Achir à son frère Itoueft 590.

Note 590: (retour) El-Kaïrouani, p. 131, 132. Ibn-Khaldoun, Berbères, t. II, p. 11, 12, 130, t. III, p. 218, 235. Kartas, p. 140. El-Bekri, passim.

Guerre d'Italie.--Pendant que le Mag'reb était le théâtre des luttes que nous venons de retracer, les émirs kelbites de Sicile, maîtres incontestés de l'île, avaient reporté tous leurs efforts sur la terre ferme. L'empereur Othon I était mort, en 973, et avait été remplacé par son fils Othon II. Ce prince, guerrier et sanguinaire, profita de l'affaiblissement de l'autorité de ses deux cousins de Constantinople, pour envahir l'Italie méridionale. Benevent et Salerne tombèrent en son pouvoir, et les empereurs ne virent d'autre chance de salut, dans cette conjoncture, que d'appeler les Musulmans.

Au printemps de l'année 982, Othon, ayant reçu de nombreux renforts, entra dans les possessions byzantines à l'a tête d'une armée composée de Saxons, Bavarois et autres Allemands, d'Italiens des provinces supérieures et de Longobards, conduits par les grands vassaux de l'empire. Tarente, mal défendue par les Grecs, fut enlevée, ainsi que Brindes. Mais le gouverneur kelbite Abou-l'Kacem, accouru avec son armée, vient offrir le combat aux envahisseurs. Après une rude bataille dans laquelle Abou-l'Kacem trouve la mort du guerrier, l'armée allemande est en pleine déroute, laissant quatre mille morts sur le terrain. Othon, presque seul, peut à grand peine s'enfuir sur une galère grecque. Il regagne le nord de l'Italie et meurt à Rome le 7 décembre 983.

Djaber, fils d'Abou-l'Kacem, rentra en Sicile avec un riche butin, sans poursuivre la campagne. Son élévation fut ratifiée par le khalife El-Aziz 591.

Note 591: (retour) Ibn-El-Athir, passim. Amari, Musulmans de Sicile, t. II, p. 322 et suiv. Elie de la Primaudaie, Arabes et Normands en Sicile et en Italie, p. 154 et suiv.

Les Omeïades d'Espagne étendent de nouveau leur autorité sur le Mag'reb.--Revenons en Mag'reb. A peine Bologguine avait-il quitté les régions du sud, que Ouanoudine, chef des Mag'raoua du sud, était rentré en maître à Sidjilmassa.

En Espagne, la révolte qui se préparait depuis longtemps contre l'omnipotence du vizir El-Mansour-ben-Abou-Amer, avait éclaté. Le célèbre général R'aleb se mit à la tête de ceux qui voulaient rendre au souverain ses prérogatives, mais il succomba dans une émeute et Ibn-Abou-Amer resta seul maître de l'autorité (981). Djâfer-ben-Hamdoun le gênait encore par son influence: il le fit assassiner (janvier 983).

Pendant ce temps, l'edriside El-Hassan-ben-Kennoun quittait l'Egypte et rentrait en Ifrikiya, avec une recommandation du khalife pour son lieutenant. Celui-ci lui donna une escorte de guerriers sanhadjiens avec lesquels il atteignit le Mag'reb (mai 984). Il entra aussitôt en relations avec les chefs des Beni-Ifrene, dont Yeddou-ben-Yâla était le prince, et conclut avec eux un traité d'alliance contre les Oméïades. Dès lors, la guerre de partisans recommença dans le Mag'reb.

Le vizir Ibn-Abou-Amer, qui venait de remporter de grands avantages dans le nord de l'Espagne, voulut mettre un terme aux succès des Edrisides, et, à cet effet, envoya en Afrique un certain nombre de troupes sous le commandement de son cousin Abou-el-Hakem, surnommé Azkeladja. Ce général, après avoir reçu le contingent des Magr'aoua, s'avança contre l'edriside. Aussitôt les Beni-Ifrene abandonnèrent El-Hassan, qui n'eut d'autre parti à prendre que de s'en remettre à la générosité de son vainqueur.

Azkeladja promit la vie au prince edriside et l'envoya au vizir en Espagne; mais celui-ci, au mépris de la promesse donnée, le fit mettre aussitôt à mort, et, comme il avait appris que son cousin Azkeladja avait ouvertement blâmé cet acte, il le rappela de Mag'reb et lui fit subir le même sort (oct.-nov. 985). Une sentence d'exil frappa en outre les derniers descendants de la famille d'Edris 592.

Note 592: (retour) Dozy, Musulmans d'Espagne, t. III, p. 201 et suiv.

Dans la même année, Itoueft, frère d'El-Mansour, fut envoyé en expédition par celui-ci dans le Mag'reb. Il se heurta contre Ziri-ben-Atiya, chef des Mag'raoua, qui le défit complètement et le força à rétrograder au plus vite.

Le vizir Ibn-Abou-Amer nomma au gouvernement du Mag'reb Hassen-ben-Ahmed-es-Selmi, et l'envoya à Fès avec ordre de protéger les princes mag'raouiens de la famille d'Ibn-Khazer, et de les opposer aux Ifrenides qui manifestaient de plus en plus d'éloignement à l'égard de la dynastie oméïade. Le nouveau gouverneur arriva à Fès en 986 et, par son habileté et sa fermeté dans l'exécution des instructions reçues, ne tarda pas à rétablir la paix dans le Mag'reb. Ziri-ben-Atiya fut comblé d'honneurs, ce qui acheva d'indisposer Yeddou-ben-Yâla, chef des Beni-Ifrene, et le décida à lever le masque dès qu'une occasion favorable se présenterait.

Révoltes des Ketama réprimées par El-Mansour.--Tandis que l'influence fatemide s'affaiblissait de plus en plus dans le Mag'reb, les séditions intestines retenaient El-Mansour à Kaïrouan et absorbaient toutes ses forces. La grande tribu des Ketama, si honorée sous le gouvernement fatemide, en raison des immenses services par elle rendus à cette dynastie, voyait, avec la plus vive jalousie, celle des Sanhadja se substituer à elle et absorber successivement tous les emplois. Déjà un grand nombre de Ketamiens étaient, partis pour l'Egypte avec El-Moëzz et s'y étaient fixés; des rapports constants s'établirent entre ces émigrés et leurs frères du Mag'reb, et ils se firent les intermédiaires de ces derniers pour présenter leurs doléances au khalife. Fatigué de leurs récriminations, El-Aziz-Nizar envoya à Kaïrouan un agent secret du nom d'Abou-l'Fahm-ben-Nasrouïa, avec mission de tout étudier par lui-même. Cet émissaire fut adressé par le khalife à Youçof, fils d'Abd-Allah-el-Kateb, ancien officier de Bologguine, personnage très influent, qui avait acquis, dans ses divers emplois, une fortune scandaleuse, et dont El-Mansour n'avait osé se défaire à cause de sa puissance.

Ainsi protégé dans l'entourage même du gouverneur, Abou-l'Fahm, après avoir séjourné quelque temps à Kaïrouan, gagna le pays des Ketama, où il commença à prêcher la révolte à ces Berbères. Cependant El-Mansour, ayant été instruit de toutes ces intrigues, fit tomber Abd-Allah-el-Kateb et son fils Youçof dans un guet-apens où ils trouvèrent la mort (987). Il les frappa, dit-on, de sa propre main. Débarrassé de ces dangereux ennemis, il se disposa à combattre l'agitateur, qui avait pleinement réussi à soulever les Ketama et déjà battait monnaie en son nom.

Sur ces entrefaites, arrivèrent d'Egypte deux envoyés, apportant, de la part du khalife El-Aziz, un message par lequel il défendait à El-Mansour de s'opposer aux actes d'Abou-l'Fahm et le menaçait du poids de sa colère s'il transgressait cet ordre; les messagers déclarèrent même que, dans ce cas, ils devraient le conduire, la corde au cou, à leur maître. Ces menaces causèrent au fils de Bologguine la plus violente indignation et eurent un effet tout opposé à celui qu'on en attendait. Au lieu de se conformer aux ordres d'un suzerain qui reconnaissait si mal les services de sa famille, El-Mansour commença par séquestrer les deux officiers, puis il pressa de toutes ses forces les préparatifs de la campagne. Bientôt, il se mit en marche et vint directement enlever Mila, qu'il livra au pillage. Les Ketama avaient fui: il porta la destruction dans tous leurs villages, atteignit Abou-l'Fahm non loin de Sétif et le mit en déroute. L'agitateur chercha un refuge dans une montagne escarpée, mais il fut pris et conduit au gouverneur. El-Mansour ordonna de le mettre en pièces devant les envoyés du khalife El-Aziz, qu'il avait traînés à sa suite dans la campagne; des esclaves nègres, après avoir dépecé le corps d'Abou-l'Fahm, le firent cuire et en mangèrent les morceaux en leur présence. Les envoyés reçurent alors licence de retourner au Caire; ils y arrivèrent terrifiés et racontèrent à leur maître ce dont ils avaient été témoins, déclarant qu' «ils revenaient de chez des démons mangeurs d'hommes et non d'un pays habité par des humains 593».

Note 593: (retour) En-Nouéïri, apud Ibn-Khaldoun, t. II, p. 14, 15.

Au mois de mai 988, El-Mansour rentra à Kaïrouan.

L'année suivante, un Juif, du nom d'Abou-l'Feredj, réussit encore, en se faisant passer pour un petit-fils d'El-Kaïm, à soulever les Ketama. Mais cette révolte fut bientôt étouffée par El-Mansour lui-même, qui fit mettre à mort l'imposteur et infligea de nouvelles punitions à la tribu où ce dernier avait trouvé asile. De là, il se porta à Tiharet en poursuivant son oncle Abou-l'Behar, qui venait de se déclarer contre lui; celui-ci n'eut alors d'autre ressource que de se jeter dans les bras des Mag'raoua. El-Mansour, après être resté quelque temps à Tiharet, y laissa comme gouverneur son frère Itoueft, puis il alla à Achir recevoir la soumission de Saïd-ben-Khazroun, auquel il donna le commandement de Tobna. Il rentra ensuite à Kaïrouan (989) 594.

Note 594: (retour) Ibn-Khaldoun, t. II, p. 15, t. III, p. 238, 259. El-Kaïrouani, p. 133.

Les deux Mag'reb soumis à l'autorité oméïade; luttes entre les Mag'raoua et les Beni-Ifrene.--Dans le Mag'reb, Ziri-ben-Atiya, resté seul chef des Mag'raoua, avait vu s'accroître son autorité et son influence aux dépens de Yeddou-ben-Yâla. En 987, il fut appelé à Cordoue par le vizir Ibn-Abou-Amer, qui venait de remporter sur les chrétiens de grandes victoires. Bermude, roi de Léon, avait vu jusqu'à sa capitale tomber aux mains des Musulmans et n'avait conservé que quelques cantons voisins de la mer. Le vizir fit à Ziri une réception princière.

Yeddou aurait, paraît-il, été également invité à se rendre en Espagne, mais il ne jugea pas prudent d'aller se livrer aux mains de ses rivaux. Selon Ibn-Khaldoun, il se serait même écrié: «Le Vizir croit-il que l'onagre se laisse mener chez le dompteur de chevaux?» C'était la rupture définitive. Il leva l'étendard de la révolte (991) et débuta en attaquant et dépouillant les tribus fidèles aux Oméïades. Le gouverneur, Hassen-ben-Ahmed, réunit alors une armée à laquelle se joignirent les contingents de Ziri, rentré d'Espagne, puis il marcha contre le rebelle; mais ce dernier avait eu le temps de rassembler un grand nombre d'adhérents, avec lesquels il vint courageusement à la rencontre de l'armée oméïade. L'ayant attaquée, il la mit en déroute. Hassen et une masse de guerriers mag'raoua restèrent sur le champ de bataille. Yeddou, marchant alors sur Fès, enleva cette ville d'assaut et étendit son autorité sur une partie des deux Mag'reb.

A l'annonce de la défaite et de la mort de son lieutenant, le vizir Ibn-Abou-Amer nomma Ziri-ben-Atiya gouverneur du Mag'reb, avec ordre de reprendre Fès et d'en faire sa capitale. Ziri s'occupa d'abord de rallier les débris de la milice oméïade, puis il appela de nouveau ses Mag'raoua à la guerre. Sur ces entrefaites, Abou-l'Behar, oncle d'El-Mansour, qui, nous l'avons vu, avait échappé à la poursuite de son neveu, vint avec un assez grand nombre d'adhérents se joindre à Ziri. Ces deux chefs attaquèrent aussitôt Yeddou-ben-Yâla et, après une campagne sanglante, dans laquelle ils prirent et perdirent deux fois Fès, ils finirent par rester maîtres du terrain, après avoir réduit Yeddou au silence.

Pendant cette guerre, Khalouf-ben-Abou-Beker, ancien gouverneur de Tiharet pour les Fatemides, et son frère Atiya, avaient achevé de détacher de l'autorité d'El-Mansour la région comprise entre les monts Ouarensenis et Oran, et y avaient fait prononcer la prière au nom du khalife oméïade. Comme ils avaient agi sous l'impulsion d'Abou-l'Behar, le vizir espagnol, pour récompenser celui-ci de ces importants résultats, dont il lui attribuait le mérite, le nomma chef des contrées du Magreb central et laissa à Ziri le commandement du Mag'reb extrême.

Mais, peu de temps après, Khalouf, irrité de voir que la récompense qu'il avait méritée avait été recueillie par un autre, abandonna le parti des Oméïades pour rentrer dans celui d'El-Mansour. Ziri-ben-Atiya pressa en vain Aboul-l'Behar de marcher contre le transfuge. N'ayant pu l'y décider, il se mit lui-même à sa poursuite, l'atteignit, mit ses adhérents en déroute et le tua; Atiya put s'échapper et se réfugier, suivi de quelques cavaliers, dans le désert (novembre 991) 595.

Note 595: (retour) Ibn-Khaldoun, t. II, p. 15 et suiv., t. III, p. 220, 221, 240, 241. Kartas, p. 141, 142. El-Bekri, passim.

Puissance de Ziri-ben-Atiya; abaissement des Beni-Ifrene.--Débarrassé de cet ennemi, Ziri, qui avait reçu à sa solde une partie de ses adhérents, expulsa tous les Beni-Ifrene de ses provinces et s'installa fortement à Fès avec ses Mag'raoua, auxquels il donna les contrées environnantes. Le refus d'Abou-l'Behar de concourir à la dernière campagne amena entre les deux chefs une mésintelligence qui se transforma bientôt en conflit. Ils en vinrent aux mains, et Abou-l'Behar, battu, se vit contraint de chercher un refuge auprès de la garnison oméïade de Ceuta. Il écrivit, de là, à la cour d'Espagne, pour demander réparation; en même temps, il envoyait un émissaire à Kaïrouan afin d'offrir sa soumission à son neveu El-Mansour. Aussi, lorsque le vizir oméïade, qui considérait ce personnage comme un homme très influent qu'il tenait à ménager, lui eut envoyé à Ceuta son propre secrétaire pour recevoir ses explications et ses plaintes, Abou-l'Behar évita de le rencontrer et, peu après, gagna le chemin de l'est.

Aussitôt, le vizir Ibn-Abou-Amer accorda à Ziri le gouvernement des deux Mag'reb, avec ordre de combattre cet ennemi. Ziri vint alors attaquer Abou-l'Behar, lui prit Tlemcen et toute la contrée jusqu'à Tiharet, et le contraignit à la fuite. Ce chef, s'étant rendu à Kaïrouan, fut bien accueilli par son neveu El-Mansour, qui lui confia de nouveau le commandement de Tiharet.

Maître enfin, sans conteste, des deux Mag'reb, Ziri-ben-Atiya y régna plutôt en prince indépendant, qu'en représentant des khalifes de Cordoue. Après la mort de Yeddou, les Beni-Ifrene s'étaient ralliés autour de son neveu Habbous, mais bientôt ce chef avait été, à son tour, assassiné, et le commandement avait été pris par Ham-mama, petit-fils de Yâla, qui avait emmené les débris de la tribu dans le territoire de Salé et était venu s'implanter entre cette ville et Tedla.

En l'an 994, Ziri, qui avait pu juger par lui-même de l'inconvénient qu'offrait la ville de Fès, comme capitale, en cas d'attaque, fonda, près de l'Oued-Isli, la ville d'Oudjda, où il s'établit avec sa famille et ses trésors. En outre de la force de la position, il comptait sur les montagnes voisines pour lui servir de refuge, s'il était vaincu.

Mort du gouverneur El-Mansour. Avènement de son fils Badis.--Quelque temps après, El-Mansour mourut à Kaïrouan (fin mars 996), et fut inhumé dans le grand château de Sabra; il avait régné treize ans. Son fils Badis, qu'il avait précédemment désigné comme héritier présomptif, lui succéda en prenant le nom d'Abou-Menad-Nacir-ed-Daoula. Il confia à ses deux oncles, Hammad et Itoueft, les charges et les commandements les plus importants. Ayant reçu du Caire un diplôme confirmant son élévation, Badis se serait écrié: «Je liens ce royaume de mon père et de mon grand-père: un diplôme ne peut me le donner, ni un rescrit me le retirer 596». Six mois après la mort d'El-Mansour, eut lieu celle du khalife fatemide El-Aziz. Son fils El-Hakem-bi-Amer-Allah lui succéda. C'était un enfant en bas âge, que les Ketama proclamèrent sous la tutelle de l'un des leurs, Hassan-ben-Ammar, qui prit le titre d'Ouacita, ou de Amin-ed-Daoula (intermédiaire ou intendant de l'empire).

Dans les dernières années, la cour du Caire, loin de tenir rigueur au vassal de Kaïrouan, avait tout fait pour resserrer les liens l'unissant à elle et empêcher une rupture trop facile à prévoir. Parmi les présents envoyés du Caire en 983 par le khalife à El-Mansour, se trouvait un éléphant qui excita, à Kaïrouan, la curiosité publique au plus haut degré et que le gouverneur eut soin de faire figurer dans les fêtes 597.

Note 597: (retour) El-Kaïrouani, p. 115, 133, 134, 135. Ibn-Khaldoun, t. II, p. 15 et suiv.

Puissance des gouverneurs kelbites en Sicile.--Pendant que l'Afrique était le théâtre de tous ces événements, la Sicile devenait florissante sous le commandement des émirs kelbites. Djaber, se livrant à la débauche et ayant laissé péricliter l'état, avait été bientôt déposé par le khalife du Caire et remplacé par Djâfer-ben-Abd-Allah. Celui-ci, après avoir gouverné avec intelligence et équité, mourut en 986. Son frère et successeur, Abd-Allah, qui suivit sa voie, eut également un règne très court. Après sa mort, survenue en décembre 989, il fut remplacé par son fils Abou-l'Fetouh-Youssof. Sous l'égide de ce prince, la Sicile, soumise et tranquille, fleurit et devint le séjour favori des poètes et des lettrés.

Vers la fin du xe siècle, les Byzantins reconquirent sans peine la Calabre et la Pouille, et placèrent le siège de leur commandement à Bari; le gouverneur prit le titre de Katapan. Mais bientôt, les exactions des Grecs indisposèrent les populations qui appelèrent souvent à leur aide les Musulmans. Ainsi, les gouverneurs de Sicile se trouvaient ramenés, pour ainsi dire, malgré eux, sur cette terre d'Italie, où ils avaient combattu depuis près de deux siècles sans conserver de leurs victoires de réels avantages matériels 598.

Note 598: (retour) Amari, Musulmans de Sicile, t. II, p. 330 et suiv. Elie de la Primaudaie, Arabes et Normands de Sicile, p. 158.

Rupture de Ziri avec les Oméïades d'Espagne.--Dans ces dernières années, l'Espagne avait vu une tentative du souverain légitime Hicham II, agissant sous l'impulsion de sa mère Aurore, pour reprendre le pouvoir des mains du vizir Ibn-Abou-Amer. Cette femme ambitieuse et énergique avait compté sur l'émir des Mag'raoua, le berbère Ziri-ben-Atiya, pour l'appuyer dans son dessein, au milieu d'une cour efféminée et courbée sous le despotisme. Ziri avait, en effet, soutenu les revendications du prince légitime dont il avait proclamé le nom en Afrique, en même temps que la déchéance du Vizir.

Mais le chef berbère avait compté sans la hardiesse d'Ibn-Abou-Amer et l'influence qu'il exerçait sur son souverain. Celui-ci n'avait pas tardé à regretter son éclair d'énergie, et, de lui-même, s'était replacé sous le joug. Le Vizir était sorti de cette épreuve plus fort que jamais; pour en donner la preuve, il commença par supprimer à Ziri tous ses subsides, puis il appela aux armes les Berbères dépossédés: Beni-Khazer, Miknaça, Azdadja, Beni-Berzal, etc.; il en forma une armée, destinée à opérer en Mag'reb, et en confia le commandement à l'affranchi Ouadah. En même temps, il prépara une expédition contre Bermude et tous ses ennemis de la Péninsule. Cette fois, c'était la basilique de saint Jacques de Compostelle, célèbre dans toute la chrétienté, qui devait lui servir d'objectif (fin 996) 599.

Note 599: (retour) Dozy, Musulmans d'Espagne, t. III, p. 222 et suiv. Ibn-Khaldoun, t. III, p. 243, 244. El-Bekri, passim.

CHAPITRE XIII

AFFAIBLISSEMENT DES EMPIRES MUSULMANS EN AFRIQUE, EN ESPAGNE
ET EN SICILE.

997-1045.

Ziri-ben-Atiya est défait par l'oméïade El-ModalTer.--Victoires de Ziri-ben-Atiya dans le Mag'reb central.--Guerres de Badis contre ses oncles et contre Felfoul.--Mort de Ziri-ben-Atiya; fondation de la Kalaa par Hammad.--Espagne: Mort du vizir Ben-Abou-Amer. El-Moëzz, fils de Ziri, est nommé gouverneur du Mag'reb.--Guerres civiles en Espagne; les Berbères et les chrétiens y prennent part.--Triomphe des Berbères et d'El-Mostaïn en Espagne.--Luttes de Badis contre les Beni-Khazroun; Hammad se déclare indépendant à la Kalaa.--Guerre entre Badis et Hammad.--Mort de Badis, avènement d'El-Moëzz.--Conclusion de la paix entre El-Moëzz et Hammad.--Espagne: Chute des Oméïades; l'edriside Ali-ben-Hammoud monte sur le trône.--Anarchie en Espagne; fractionnement de l'empire musulman.--Guerres entre les Mag'raoua et les Beni-Ifrene.--Luttes du sanhadjen El-Moëzz contre les Beni-Khazroun de Tripoli; préludes de sa rupture avec les Fatemides.--Guerres entre les Mag'raoua et les Beni-Ifrene.--Événements de Sicile et d'Italie; chute des Kelbites.--Exploits des Normands en Italie et en Sicile; Robert Wiscard.--Rup-tureture entre El-Moëzz et le hammadite El-Kaïd.

Ziri-ben-Atiya est défait par l'oméïade El-Modaffer.--En rompant courageusement avec le vizir oméïade, Ziri avait peut-être beaucoup présumé de ses forces; il se prépara néanmoins, de son mieux, à lutter contre lui. Débarqué à Tanger, le général Ouadah entra aussitôt en campagne (997). Pendant trois ou quatre mois ce fut une série d'escarmouches sans action décisive; Ouadah parvint alors à surprendre de nuit le camp de Ziri, près d'Azila, et à s'en emparer. Le chef berbère dut opérer su retraite vers l'intérieur, tandis que Nokour et Azila tombaient au pouvoir des troupes oméïades.

Ces succès étaient bien insignifiants aux yeux d'Ibn-Abou-Amer, et, comme Ziri avait repris l'offensive et forcé Ouadah à la retraite, le vizir se décida à envoyer dans le Mag'reb de nouvelles troupes, sous le commandement de son fils Abd-el-Malek-el-Modaffer, et vint lui-même s'établir à Algésiras, afin de surveiller de plus près le départ des renforts. L'arrivée du fils du puissant vizir en Afrique produisit le plus grand effet sur l'esprit si versatile des Berbères. De toutes parts, les chefs des tribus, entraînant une partie de leurs gens, désertèrent la cause de Ziri, pour se ranger sous les étendards oméïades.

Malgré ces défections, Ziri, dont l'âme ne se laissait pas facilement abattre, attendit l'ennemi dans la province de Tanger et se prépara, avec une armée fort nombreuse, à soutenir son choc. Quand El-Modaffer eut réuni toutes les ressources dont il pouvait disposer, il se mit en marche pour attaquer son adversaire. Celui-ci s'avança bravement à sa rencontre, et, en octobre 998, les deux armées se heurtèrent au sud de Tanger. La bataille s'engagea aussitôt, acharnée et meurtrière; longtemps, l'issue en demeura indécise; enfin les troupes oméïades commençaient à plier, lorsque Ziri, qui se trouvait au plus fort de l'action, fut frappé de trois coups de lance par un de ses propres serviteurs, un nègre dont il avait fait tuer le frère. Le meurtrier accourut aussitôt dans les rangs ennemis porter la nouvelle de la mort de l'émir des Mag'raoua. Cependant Ziri, bien que grièvement blessé au cou, n'était pas tombé et son étendard tenait encore debout, de sorte qu'El-Modaffer ne savait ce qu'il devait croire des rapports du transfuge ou du témoignage de ses yeux. Ayant alors remarqué un certain désordre parmi les Mag'raoua, il entraîna une dernière fois ses guerriers dans une charge furieuse, et parvint à mettre en déroute l'ennemi.

Les Mag'raoua et leurs alliés se dispersèrent dans tous les sens; quant à Ziri, on le transporta tout sanglant à Fès, où se trouvait alors sa famille; mais les habitants refusèrent de le recevoir, et ce fut avec beaucoup de peine qu'on put obtenir d'eux la remise de son harem. Ziri ne trouva de sécurité pour lui et les siens qu'en se réfugiant dans les profondeurs du désert.

Cette seule victoire rendit le Mag'reb aux Oméïades. Aussi, lorsque la nouvelle en parvint à Cordoue, le Vizir ordonna-t-il des réjouissances publiques. Il envoya ensuite à son fils El-Modaffer le diplôme de gouverneur du Mag'reb. Ce prince confia le commandement des provinces à ses principaux officiers, puis il s'occupa de faire rentrer les contributions qu'il avait frappées sur les populations rebelles. Sidjilmassa avait été évacuée par les Beni-Khazroun; le gouverneur oméïade y envoya, pour le représenter, un officier du nom de Hamid-ben-Yezel 600.

Note 600: (retour) Ibn-Khaldoun, Berbères, t. III, p. 244 et suiv., 257. Kartas, p. 147 et suiv. Dozy, Musulmans d'Espagne, t. III, p. 235 et suiv. El-Bekri, passim.

Victoires de Ziri-ben-Atiya dans le Mag'reb central.--Lorsque Ziri-ben-Atiya fut à peu près guéri de ses blessures, il rallia autour de lui les Beni-Khazroun et autres tribus dépossédées et repartit en guerre; mais, n'osant s'attaquer aux Oméïades, ce fut contre les Sanhadja qu'il tourna ses armes. Il envahit leur pays et mit en déroute Itoueft et Hammad, qui avaient voulu lui barrer le passage. Il vint alors assiéger Tiharet, où Itoueft s'était réfugié.

Sur ces entrefaites, les oncles de Badis, ayant à leur tête Makcen et Zaoui, deux d'entre eux, se mirent en état de révolte, et leur exemple fut suivi par leur parent Felfoul-ben-Khazroun, fils et successeur du commandant de Tobna. Itoueft, Hammad et Abou-l'Behar restèrent fidèles au gouverneur. Ces graves événements décidèrent Badis à marcher en personne contre les ennemis. En 999, il se porta sur Tiharet, débloqua cette ville et força Ziri à la retraite; mais, en même temps, Felfoul-ben-Khazroun s'avançait vers l'est et entrait en Ifrikiya. Force fut à Badis de revenir sur ses pas pour garantir le siège de son commandement, sans avoir pu compléter sa victoire. Ziri reprit alors l'offensive, et après avoir de nouveau défait Itoueft et Hammad, s'empara de Tiharet et de Mecila, puis, se portant vers le nord, il conquit Chelif, Ténès et Oran. Dans toutes ces villes, de même qu'à Tlemcen qu'il avait conservée, il fit célébrer la prière au nom de Hicham II et de son vizir.

Encouragé par ses succès, Ziri pénétra au cœur du pays des Sanhadja et vint mettre le siège devant Achir. En même temps, il écrivit au vizir de Cordoue pour lui rendre compte de ses victoires et lui demander pardon de sa rébellion. Ceux des oncles de Badis que Ziri avait recueillis furent chargés de porter le message en Espagne. Ils y arrivèrent en l'an 1000 et furent bien reçus par Ibn-Abou-Amer; le vizir parut oublier les fautes de Ziri; il rappela son fils El-Modaffer, permit aux Beni-Ouanoudine de rentrer à Sidjilmassa et nomma le général Ouadah gouverneur résidant à Fès. Quant à Ziri, il lui abandonna le commandement des provinces conquises dans le Mag'reb central 601.

Note 601: (retour) Ibn-Khaldoun, t. II, p. 16, 17, t. III, p. 246, 247, 260, 261. Kartas, p. 147, 148. Dozy, Musulmans d'Espagne, t. III, p. 237. Baïane, passim.

Guerres de Badis contre ses oncles et contre Felfoul-ben-Khazroun.--En Ifrikiya, Felfoul-ben-Khazroun était venu mettre le siège devant Bar'aï. De là il avait, dit-on, demandé des secours en Orient au khalife fatemide, alors en froid avec le gouverneur de Kaïrouan. Celui-ci lui aurait expédié Yahïa-ben-Hamdoun, réfugié en Egypte depuis l'assassinat de son frère; mais ce chef, accompagné de quelques troupes, n'aurait pu traverser le pays de Barka, occupé par la tribu hilalienne des Beni-Korra, récemment transportée de Syrie, et ainsi Felfoul serait demeuré réduit à ses propres forces.

Cependant, la panique était grande à Kaïrouan, et déjà l'on barricadait les rues pour se défendre, mais Badis, arrivant à marches forcées, obligea Felfoul à lever le siège de Bar'aï et à rétrograder vers l'ouest. Makcen, oncle de Badis, et ses adhérents, se joignirent alors à Felfoul, et les confédérés firent une nouvelle expédition contre Tebessa, mais ils furent repoussés. Makcen resta seul avec Felfoul, ses autres frères étant allés rejoindre Ziri-ben-Atiya.

En 1001, Hammad marcha contre les rebelles, les attaqua vigoureusement et les mit en pleine déroute. Makcen et ses enfants, étant tombés aux mains du vainqueur, furent livrés par lui à des chiens affamés qui les mirent en pièces. Hammad poursuivit les fuyards jusque dans le mont Chenoua, près de Cherchel, où ils s'étaient réfugiés, et les obligea à se rendre, à la condition qu'on leur permît de passer en Espagne.

Mort de Ziri-ben-Atiya. Fondation de la Kalaa par Hammad.--Au moment où Hammad obtenait ces succès, Ziri-ben-Atiya rendait le dernier soupir sous les murs de la ville d'Achir, qu'il assiégeait depuis longtemps sans succès. On dit que sa mort fut causée par les blessures que lui avait faites le nègre et qui s'étaient incomplètement guéries. Son fils El-Moëzz prit alors le commandement et offrit au gouvernement de Cordoue une forte somme d'argent, avec son fils Moannecer comme otage, pour se faire nommer gouverneur du Mag'reb.

Mais Hammad s'avançait à marches forcées, et El-Moëzz ne jugea pas prudent de l'attendre, car son ennemi culbutait tout devant lui et semblait précédé par la victoire. Achir délivrée, Hamza et Mecila rentrèrent aussi au pouvoir du général sanhadjien, qui rendit à l'empire ses anciennes limites. Il rasa un grand nombre de villes infidèles ou difficiles à défendre et vint fonder, dans les montagnes abruptes de Kiana, au nord de Mecila 602, une ville forte qu'il appela la Kalâa (le château), et qu'il peupla avec les habitants des cités détruites.

Note 602: (retour) Les ruines de la Kalâa (Galâa, selon la prononciation locale) se voient encore dans le Djebel-Nechar, qui ferme, au nord, le bassin du Hodna.

Badis, de son côté, n'était pas resté inactif; sans laisser de répit à Felfoul, il l'avait contraint à se jeter dans le désert. Voyant sa route coupée, le chef mag'raouien chercha un refuge dans la province de Tripoli, alors en proie à l'anarchie, car le khalife du Caire y envoyait des gouverneurs que son représentant de Kaïrouan refusait de reconnaître. Il entra en maître à Tripoli, dont les habitants l'accueillirent en libérateur. Un certain nombre de Mag'raoua le rejoignirent dans cette localité 603.

La peste et la famine ravageaient alors l'Afrique et faisaient des milliers de victimes 604.

Note 603: (retour) Ibn-Khaldoun, t. II, p. 16, 17, t. III, p. 248, 263. Kartas, p. 148. El-Bekri, passim. Ibn-el-Athir, année 386.
Note 604: (retour) Ibn-er-Rakik, cité par les auteurs musulmans.

Espagne: Mort du vizir Ibn-Abou-Amer. El-Moezz, fils de Ziri, est nommé gouverneur du Mag'reb.--Dans le mois d'août 1002, le vizir El-Mansour-ben-Abou-Amer, qui venait de rentrer d'une dernière expédition en Castille, mourut à Medina-Céli. Le rôle qu'il a joué dans l'histoire des Musulmans d'Espagne est considérable; par son indomptable énergie, il a retardé le démembrement de l'empire oméïade, et, par son audacieuse activité, étendu ses frontières jusqu'au cœur des pays chrétiens. Les Musulmans avaient maintenant trois capitales: Léon, Pampelune et Barcelone; les basiliques les plus célèbres avaient été pillées ou détruites, le culte du Christ aboli. Aussi les populations chrétiennes accueillirent-elles avec un soupir de soulagement la nouvelle de la mort du terrible vizir.

Avant de mourir, Ibn-Abou-Amer avait fait venir son fils, Abd-el-Malek, et lui avait fait les plus minutieuses recommandations, car il sentait bien que, malgré l'apparence de la force, son pouvoir était précaire et résultait surtout de la manière dont il l'exerçait. A son arrivée à Cordoue, El-Modaffer trouva le peuple soulevé et réclamant à grands cris son souverain. Or, Hicham II ne tenait nullement à se charger des soucis du gouvernement, et, grâce à ces dispositions, le vizir parvint assez rapidement à faire reconnaître son autorité. Suivant alors l'exemple de son père, il donna tous ses soins à la guerre sainte 605.

El-Modaffer avait trouvé dans sa capitale l'ambassade envoyée du Mag'reb par El-Moëzz, fils de Ziri, il accueillit avec empressement ses propositions, qui lui laissaient plus de liberté d'action pour ses entreprises contre les chrétiens. Le général Ouadah fut rappelé par lui de Fès, et il envoya à El-Moëzz un diplôme daté d'août 1006, lui conférant le titre de gouverneur du Mag'reb pour la dynastie oméïade 606. Sidjilmassa resta sous l'autorité particulière de Ouanoudine-ben-Kazroun.

El-Moëzz, fils de Ziri-ben-Atiya, s'établit alors à Fès et prit en main la direction des affaires.

Note 605: (retour) Dozy, Musulmans d'Espagne, t. III, p. 238 et suiv.
Note 606: (retour) Voir le texte de ce diplôme. Ibn-Khaldoun, Berbères, t. III, p. 248, 249, 250.

Guerres civiles en Espagne. Les Berbères et les chrétiens y prennent part.--El-Modaffer était parvenu à rétablir la paix en Espagne, et, sous sa direction, les affaires de l'empire musulman continuaient à être florissantes, lorsqu'il mourut subitement (octobre 1008). Il laissait un frère du nom d'Abd-er-Rahman, issu de l'union de son père avec une chrétienne, fille d'un Sancho de Navarre ou de Castille. Ce jeune homme était détesté, et on lui donnait par dérision le nom de Sanchol (le petit Sancho). Plein de présomption, il prétendait néanmoins se faire décerner le titre d'héritier présomptif, que son père et son frère n'avaient osé prendre; aussitôt la guerre civile éclata dans la péninsule. Des ambitieux firent passer pour mort le khalife Hicham II, proclamèrent, comme son successeur, un arrière-petit-fils d'Abd-er-Rahman III, nommé Mohammed, et ayant réuni une bande d'hommes déterminés, vinrent attaquer le palais du khalife. Ils arrachèrent facilement à ce prince son acte d'abdication; le château de Zahira tomba ensuite au pouvoir de Mohammed, qui se fit proclamer khalife sous le nom d'El-Mehdi-b'Illah (le dirigé par Dieu).

Sanchol (Abd-er-Rahman), qui se trouvait à Tolède, voulut marcher à la tête de ses troupes, composées en grande partie de Berbères, contre celui qu'il appelait l'usurpateur; mais ses soldats l'abandonnèrent. Peu après, il tombait aux mains de ses ennemis et était massacré. Son cadavre fut mis en croix à Cordoue (1009).

On croyait qu'après cette crise la tranquillité allait renaître; malheureusement, le nouveau khalife n'avait pas les qualités nécessaires pour conserver le pouvoir dans un tel moment. Bientôt Une nouvelle révolte éclata; un petit-fils d'Abd-er-Rahman III, nommé Hicham, se fit proclamer khalife, et, soutenu, principalement par les Berbères, vint attaquer El-Mehdi; mais celui-ci, avec l'aide de la population de Cordoue, triompha de son compétiteur et le fit décapiter. Un grand massacre des familles berbères suivit cette victoire.

Zaoui, oncle du gouverneur sanhadjien de Kaïrouan, qui s'était précédemment réfugié en Espagne, rallia les Berbères, brûlant du désir de tirer vengeance des Cordouans, et leur fit proclamer un nouveau khalife, Soleïman, neveu du malheureux Hicham, sous le nom d'El-Mostaïn-l'Illah (qui implore le secours de Dieu).

Puis les Africains, conduits par ces chefs, allèrent s'emparer de Medina-Céli; mais bientôt ils y furent bloqués et se virent réduits à implorer l'assistance de Sancho, comte de Castille. Une ambassade lui avait été envoyée par El-Mehdi dans le même but, avec l'offre de lui abandonner de nombreuses places s'il l'aidait à écraser son compétiteur. Ainsi, il avait suffi de quelques années de guerre civile pour faire perdre aux Musulmans tous les avantages qu'ils avaient obtenu sur les chrétiens par de longues années de luttes.

Le comte de Castille se prononça pour les Berbères, leur envoya un ravitaillement et vint, en personne, se joindre à eux avec ses guerriers. Les confédérés marchèrent alors sur Cordoue (juillet 1009), défirent le général Ouadah, qui avait voulu les prendre à revers, et furent bientôt en vue de la capitale. El-Mehdi sortit bravement à leur rencontre et leur offrit le combat. Il fut entièrement défait; ses soldats furent massacrés par milliers, tandis que Ouadah regagnait la frontière du nord et que le khalife cherchait un refuge dans son palais. Voyant sa situation désespérée, El-Medhi se décida à rendre le trône à Hicham II, qu'il avait fait passer pour mort quelque temps auparavant. Mais les Berbères, victorieux, n'étaient pas gens à tomber dans ce piège; ils entrèrent en vainqueurs à Cordoue et, aidés des Castillans, mirent cette ville au pillage. Zaoui put alors enlever le crâne de son père Ziri-ben-Menad du crochet où il avait été ignominieusement suspendu, le long de la muraille du château.

El-Mehdi avait pu fuir et gagner Tolède; ses partisans étaient encore nombreux; Ouadah, dans le nord, était en pourparlers avec les comtes de Barcelone et d'Urgel. El-Mostaïn, ne pouvant retenir les Castillans en les récompensant, comme il s'y était engagé, par des cessions de territoire, ceux-ci regagnèrent, chargés de butin, leur province. Sur ces entrefaites, Ouadah, accompagné d'une armée catalane, commandée par les comtes Raymond et Ermengaud, opéra sa jonction avec le Mehdi à Tolède. Puis, le khalife, à la tête de toutes ses forces, marcha sur Cordoue, défit l'armée d'El-Mostaïn et rentra en maître dans sa capitale, qui fut de nouveau livrée au pillage par les Catalans (juin 1010).

Les Berbères s'étaient mis en retraite vers le sud. El-Mehdi les poursuivit, et, les ayant atteints près du confluent du Guadaira avec le Guadalquivir, leur offrit le combat. Cette fois, les Africains prirent une éclatante revanche. L'armée d'El-Mehdi fut mise en déroute et plus de trois mille Catalans restèrent sur le champ de bataille. Les survivants de l'armée chrétienne, rentrés à Cordoue, s'y conduisirent avec une cruauté inouïe. Enfin les Catalans s'éloignèrent; peu après, El-Mehdi tombait sous les coups des officiers slaves à son service, qui rétablirent sur le trône Hicham II, ce fantôme de khalife. Ouadah, un des chefs de la conspiration, s'adjugea le poste de premier ministre 607.

Note 607: (retour) Dozy, Musulmans d'Espagne, t. III, p. 268 et suiv. Le même, Recherches sur l'hist. de l'Espagne, t. I, p. 205 et suiv. Ibn-Khaldoun, t. II, p. 60 et suiv., 153 et suiv. El-Marrakchi (éd. Dozy), p. 29 et suiv.

Triomphe des Berbères et d'El-Mostaïn en Espagne.--Cette révolution à Cordoue ne résolvait rien, car les Berbères, victorieux, restaient dans le midi avec El-Mostaïn, et n'étaient nullement disposés à se soumettre au slave Ouadah. Celui-ci, dans cette conjoncture, se tourna de nouveau vers le comte de Castille, en implorant son secours; mais Sancho voulut au préalable des gages, c'est-à-dire la remise entre ses mains des places conquises par Ibn-Abou-Amer, menaçant, en cas de refus, de se joindre aux Berbères. Ces conditions étaient dures; cependant Ouadah, ayant perdu tout autre espoir de salut, se décida à les accepter. Dans le mois de septembre 1010, fut signé le traité qui rendait aux chrétiens presque toutes les conquêtes des règnes précédents.

Cependant les Berbères avaient repris la campagne; durant l'automne et l'hiver suivants, ils répandirent dans toutes les provinces musulmanes la dévastation et la mort. Cordoue fut bloquée, et la peste vint bientôt joindre ses ravages à ceux de la guerre. Dans le mois d'octobre 1011, Ouadah fut mis à mort par les soldats révoltés. Cependant Cordoue resta encore aux mains des soldats slaves jusqu'au mois d'avril 1013. Quant aux Castillans, ils étaient rentrés, sans coup férir, en possession de leurs provinces, et ne paraissent pas s'être souciés de tenir strictement leurs promesses.

Le 29 avril, Cordoue tomba aux mains des Berbères; la plus horrible boucherie, le viol, le pillage et enfin l'incendie furent les conséquences de leur succès. Soleïman-el-Mostaïn restait enfin maître du pouvoir et obtenait du malheureux Hicham II une nouvelle abdication. «Le triomphe des Berbères, dit M. Dozy, porta le dernier coup à l'unité de l'empire. Les généraux slaves s'emparèrent des grandes villes de l'est; les chefs berbères, auxquels les Amirides (vizirs) avaient donné des fiefs et des provinces à gouverner, jouissaient aussi d'une indépendance complète, et le peu de familles arabes qui étaient encore assez puissantes pour se faire valoir n'obéissaient pas davantage au nouveau khalife 608

En Espagne comme en Afrique, l'élément berbère reprenait la prépondérance, au détriment des petits-fils des conquérants arabes.

Note 608: (retour) Musulmans d'Espagne, t. III, p. 212.

Luttes de Badis contre les Beni-Khazroun. Hammad se déclare indépendant à la Kalaa.--Pendant que l'Espagne était le théâtre de ces événements, sur lesquels nous nous sommes étendus en raison de leur importance pour l'histoire de la domination musulmane dans la Péninsule, les Berbères d'Afrique voyaient leur puissance s'affaiblir par l'anarchie, au moment où l'union leur aurait été si nécessaire pour résister à l'invasion hilalienne près de s'abattre sur eux.

Badis avait lutté en vain pour anéantir le royaume mag'raouien fondé à Tripoli par Felfoul-ben-Kazroun. Ce chef avait résisté avec avantage et était parvenu à conserver le pays conquis. Abandonné par le khalife fatemide du Caire, il avait proclamé la suzeraineté des Oméïades et était mort en l'an 1010. Son frère Ouerrou avait recueilli son héritage et offert sa soumission à Badis, mais bientôt la guerre avait recommencé dans la Tripolitaine et le Djerid entre lui, plusieurs de ses parents et les officiers sanhadjiens. En vain le gouverneur essaya de s'interposer et de rétablir la paix, Ouerrou conserva Tripoli et y commanda en chef indépendant.

Dans le Mag'reb central, la situation était autrement grave. Hammad, après avoir soumis la partie occidentale de l'empire sanhadjien, s'était occupé activement de la construction de sa capitale; bientôt la Kalâa, peuplée des meilleurs artisans et ornée des richesses enlevées aux villes voisines, était devenue une cité de premier ordre. Son fondateur y commandait en roi, exerçant une autorité indépendante sur le Zab, Constantine et le pays propre des Sanhadja, avec Achir, l'ancienne capitale. D'après M. de Mas-Latrie 609, un groupe important de Berbères chrétiens contribua à former la population de la Kalâa. Des privilèges leur furent accordés pour le libre exercice de leur culte et un évêque leur fut donné plus tard par le pape Grégoire VII. Les historiens musulmans sont muets sur ce point.

Note 609: (retour) Traités de paix et de commerce concernant les relations des Chrétiens avec les Arabes de l'Afrique septentrionale au Moyen-Age t. I, p. 52 et suiv.

La jalousie de Badis, excitée par les ennemis de son oncle, qui présentaient le fondateur de la Kalâa comme visant à l'indépendance, ne tarda pas à amener entre eux une rupture. El-Moëzz, fils de Badis, venait d'être reconnu par le khalife comme héritier présomptif de son père; celui-ci invita alors son oncle Hammad à remettre au jeune prince le commandement de la région de Constantine.

Cette décision, qui cachait peu les sentiments de défiance de Badis, fut très mal accueillie par Hammad. Il y répondit par un refus formel. En même temps, il se déclara indépendant, répudia hautement la suzeraineté des Fatemides, massacra leurs partisans et fit proclamer dans les mosquées la suprématie des Abbassides. La doctrine chiaïte fut proscrite de ses états et le culte sonnite déclaré seul orthodoxe (1014) 610. La réaction des Sonnites contre les Chiaïtes commença à se manifester dans les villes habitées par des populations d'origine arabe. L'entourage même du jeune El-Moëzz ressentit les effets de ce mouvement des esprits, le précepteur du prince étant orthodoxe. Bientôt un massacre général des Chiaïtes eut lieu en Ifrikiya 611.

Note 610: (retour) Ibn-Khaldoun, t. II, p. 18, 44, t. III, p. 263, 264. El-Kaïrouani, p. 136, 137.
Note 611: (retour) Ibn-el-Athir, année 407.

Guerre entre Badis et Hammad. Mort de Badis. Avènement d'El-Moezz.--Prenant alors l'offensive, Hammad fit irruption en Ifrikiya, à la tête de nombreux contingents des tribus sanhadjiennes et de quelques Zenètes (Ouadjidjen, Ouar'mert), et vint enlever la ville de Badja, à l'ouest de Tunis. Badis envoya contre lui son oncle Brahim; mais celui-ci passa du côté de son frère, et le gouverneur n'eut d'autre ressource que de se mettre lui-même à la tête de ses troupes. A son approche, l'armée envahissante se débanda et Hammad se vit contraint de fuir. Il se réfugia d'une traite derrière le Chelif.

Badis le poursuivit l'épée dans les reins, entra en vainqueur à Achir, pénétra dans les hauts plateaux, reçut la soumission des tribus zenètes, telles que les Beni-Toudjine, et s'avança jusqu'au plateau de Seressou. Renforcé par un contingent de trois mille Beni-Toudjine, commandés par Yedder, fils de leur chef Lokmane, le gouverneur descendit dans la plaine, passa le Chelif et attaqua son oncle Hammad qui l'attendait dans une position retranchée. Cette fois encore, la victoire se prononça pour Badis, une partie des adhérents de son compétiteur l'ayant abandonné et le reste ayant été facilement dispersé.

Hammad se réfugia, non sans peine, dans sa Kalâa, mais Badis ne tarda pas à venir camper dans la plaine de Mecila, et, de là, fit commencer le blocus de la capitale de son oncle. Pendant les opérations de ce siège; Badis mourut subitement dans sa tente (juin 1016). Comme la peste avait reparu en Afrique, il est possible qu'il succomba au fléau. Cet événement porta le désordre dans l'armée assiégeante composée d'éléments hétérogènes; les auxiliaires s'étant débandés, la Kalâa fut débloquée. Les officiers proclamèrent le jeune El-Moëzz, fils de Badis, âgé seulement de huit ans, et le conduisirent à Kaïrouan pendant que son oncle Kerama essayait de couvrir Achir. Les restes de Badis furent rapportés à Kaïrouan, puis on procéda à l'inauguration de son successeur dont l'extrême jeunesse allait favoriser si bien les projets ambitieux de son grand-oncle. El-Moëzz reçut d'Orient un diplôme où le titre de Cherf-ed-Daoula (noblesse de l'empire) lui était donné 612.

Note 612: (retour) Ibn-el-Athir, année 403.

Conclusion de la paix entre El-Moezz et Hammad.--Hammad avait repris vigoureusement l'offensive; après être rentré en possession de son ancien territoire, il vint mettre le siège devant Bar'aï. Mais il avait trop présumé de ses forces; son neveu ayant marché contre lui le mit en déroute et le réduisit encore à la dernière extrémité (1017). Hammad s'était réfugié derrière les remparts de sa Kalâa, tandis que le vainqueur s'avançait jusqu'à Sétif; il fit proposer à celui-ci un arrangement que le jeune El-Moëzz, bien conseillé, refusa.

Le gouverneur était rentré à Kaïrouan, mais la situation de son grand-oncle ne restait pas moins critique; abandonné de tous, sans argent, il se décida à faire une nouvelle démarche auprès de son petit-neveu et lui dépêcha en Ifrikiya son propre fils El-Kaïd, porteur de riches présents. L'ambassade fut accueillie avec de grands honneurs et, enfin, on arriva à conclure un traité de paix par lequel Hammad reçut le gouvernement du Zab et du pays des Sanhadja, avec les villes de Tobna, Mecila, Achir, Tiharet et tout ce qu'il pourrait conquérir à l'ouest. C'était la consécration du démembrement de l'empire fondé par Bologguine. El-Kaïd reçut aussi un commandement et revint à la Kalâa avec des cadeaux somptueux pour son père (1017).

Espagne, chute des Oméïades: l'édriside Ali-ben-Hammoud monte sur le trône.--Pendant que ces événements se passaient en Afrique, l'Espagne était le théâtre d'une nouvelle révolution. El-Mostaïn, parvenu au trône avec l'appui des Berbères et des chrétiens, n'avait aucune sympathie parmi la population musulmane espagnole; quant aux Berbères, ils ne lui accordaient qu'une confiance relative et ne reconnaissaient, en réalité, que leurs propres chefs, parmi lesquels le sanhadjien Zaoui, gouverneur de Grenade, et l'edriside Ali-ben-Hammoud, commandant de Tanger, avaient la plus grande influence. Les Slaves, qui constituaient un élément important dans l'armée, conservaient toute leur fidélité à Hicham II, bien qu'en réalité personne ne sût s'il était encore vivant.

Khéïrane, chef des Slaves, ayant conclu une alliance avec Ali-ben-Hammoud, celui-ci traversa le détroit, à la tête de ses partisans, avec l'aide de son frère Kacem, gouverneur d'Algésiras; après avoir rejoint les Slaves, il marcha directement sur la capitale. Zaoui se prononça aussitôt pour lui. Le 1er juillet 1016, Ali-ben-Hammoud entra en maître à Cordoue. El-Mostaïn et ses parents furent mis à mort, et, quand on eut acquis la certitude que Hicham n'existait plus, tout le monde se rallia à Ali, qui fut proclamé khalife, sous le nom d'El-Metaoukkel-li-Dïne-Allah (celui qui s'appuie sur la religion de Dieu). Ainsi finit la dynastie oméïade, qui régnait sur l'Espagne depuis près de trois siècles et qui avait donné à l'empire musulman de si beaux jours de gloire. Un Arabe de race, dont la famille, bien que d'origine cherifienne, était devenue berbère, et qui lui-même ne parlait que très mal l'arabe, monta sur le trône de Cordoue.

Ali avait espéré, paraît-il, rendre à l'Espagne la paix et le bonheur, mais il comptait sans les factions. Khéïrane, le chef des Slaves, voulut jouer le rôle de premier ministre tout-puissant; mais le prince edriside n'entendait nullement partager son autorité. Déçu dans ses espérances, le chef des Slaves se mit à conspirer et entraîna dans son parti ses compatriotes et les Andalous. Il fallait un khalife: on trouva un petit-fils d'Abd-er-Rhaman III, que l'on para de ce titre. Moundir, ouali de Saragosse, soutenu par son allié Raymond, comte de Barcelone, se joignit aux rebelles et, au printemps de l'année 1017, tous marchèrent contre le souverain. Ali, qui jusque là avait écarté les Berbères et résisté à leurs prétentions, se jeta dans leurs bras et, avec leur appui, triompha sans peine de ses ennemis. Dès lors, il renonça à faire le bonheur des Andalous, qui reconnaissaient si mal ses bonnes intentions; le pays fut livré de nouveau à la tyrannie des Berbères, et le khalife donna lui-même l'exemple de l'avidité et de la cruauté. Peu de temps après, il fut assassiné par trois Slaves, au moment où il préparait une grande expédition (17 avril 1018) 613.

Note 613: (retour) Dozy, Musulmans d'Espagne, t. III, p. 313 et suiv. Ibn-Khaldoun, t. II, p. 61, 153, 154. El-Bekri, trad. art. Idricides. El-Marrakchi (éd. Dozy), p. 42 et suiv.

Anarchie en Espagne. Fractionnement de l'empire musulman.--Ali laissa deux fils, dont l'aîné, Yahïa, était gouverneur de Ceuta, mais Kacem, frère d'Ali, avait une plus grande notoriété et ce fut lui que les Berbères proclamèrent. De leur côté, Kheïrane et Moundir élirent le petit-fils d'En-Nacer, sous le nom d'Abd-er-Rahman IV, avec le titre d'El-Mortada (l'agréé de Dieu). Zaoui, le sanhadjien, dont la puissance était grande, restait dans l'expectative. Les adhérents du prétendant oméïade essayèrent de l'entraîner dans leur parti et, n'ayant pu y parvenir, marchèrent contre lui, mais ils furent défaits et, peu après, El-Mortada était assassiné par ses partisans. Kacem, resté ainsi seul maître du pouvoir, essaya de rendre un peu de tranquillité à la malheureuse Espagne. Pour cela, il fit la paix avec Kheïrane et les principaux chefs slaves et andalous et leur donna le commandement de villes ou de provinces, où ils s'établirent en maîtres. Ainsi la paix ne s'obtenait que par le morcellement de l'empire musulman.

Vers cette époque (1020), Zaoui abandonna le commandement de la province de Grenade à son fils et rentra à Kaïrouan, après une absence de vingt années; il y fut reçu avec de grands honneurs par son neveu El-Moëzz 614.

Note 614: (retour) Ibn-Khaldoun, t. II. p. 61, 62.

Mais bientôt, Yahïa, fils d'Ali, leva l'étendard de la révolte et, soutenu par les Berbères et les Slaves, marcha sur la capitale. Abandonné de tous, Kacem dut céder la place (août 1021). Yahïa ne tarda pas à éprouver à son tour le même revers de fortune, et Kacem remonta sur le trône (février 1023). Dès lors, la guerre devint incessante entre les Edrisides, et s'étendit jusqu'au Mag'reb où un de leurs parents, du nom d'Edris, allié à Yahïa, parvint à s'emparer de Tanger. L'Espagne se trouva encore livrée aux fureurs de la guerre civile. Yahïa, ayant triomphé une dernière fois de son oncle, le tint dans une étroite captivité; mais alors, les Cordouans, profitant de ce que Yahïa avait choisi Malaga comme résidence, proclamèrent un prince oméïade, Abd-er-Rahman V, sous le nom d'El-Mostad'hir: c'était la réaction de la noblesse arabe contre l'élément berbère. Mais cette société caduque et corrompue était incapable de se gouverner; bientôt une nouvelle sédition renversa El-Mostad'hir et le remplaça par El-Moktafa, sans pour cela ramener la paix, si bien que les Cordouans se décidèrent à appeler chez eux Yahïa, afin de mettre un terme à cette anarchie. Yahïa leur envoya un de ses généraux (novembre 1025). Quelques mois après, une nouvelle émeute plaçait sur le trône de Cordoue un souverain éphémère du nom de Hicham III, appartenant à la famille oméïade 615.

Note 615: (retour) Ibn-Khaldoun, t. II, p. 19, 62, 154. Dozy, Musulmans d'Espagne, t. III, p. 351 et suiv. El-Bekri, Idricides.

Guerres entre les Mag'raoua et les Beni-Ifrene.--Dans le Mag'reb, El-Moëzz, fils de Ziri-ben-Atiya, chef des Mag'raoua, ayant voulu arracher Sidjilmassa des mains des Beni-Khazroun, qui s'étaient déclarés indépendants, avait été entièrement défait et contraint de rentrer dans Fès, après avoir perdu presque toute son armée (1016). Dès lors la puissance des Mag'raoua de Fès fut contrebalancée par celle de leurs cousins du sud. Ils se firent une guerre incessante, dont le résultat fut préjudiciable à El-Moëzz. Son adversaire, Ouanoudine, s'empara de la vallée de la Moulouïa, mit des officiers dans toutes les places fortes et vint même enlever Sofraoua, une des dépendances de Fès. En 1026, El-Moëzz cessa de vivre et fut remplacé par son cousin Hammama. Sous l'énergique direction de ce chef, les Mag'raoua se relevèrent de leurs humiliations en faisant subir de nombreuses défaites aux Beni-Khazroun de Sidjilmassa.

Les Beni-Ifrene étaient, en partie, passés en Espagne; mais un groupe important, resté dans le Mag'reb, se réunit à Tlemcen, autour des descendants de Yeddou-ben-Yâla. Après avoir étendu de nouveau leur autorité sur le Mag'reb central, ils attaquèrent les Mag'raoua de Fès, mais sans réussir à les vaincre; conduits par leur chef Temim, petit-fils de Yâla, ils se portèrent alors sur Salé, enlevèrent cette ville et, de là, allèrent guerroyer contre les Berg'ouata hérétiques 616.

Note 616: (retour) Ibn-Khaldoun, t. II, p. 131, t. III, p. 215, 224, 235, 257, 271. El-Bekri, passim.

Luttes du Sanhadjien El-Moezz contre les Beni-Khazroun de Tripoli. Préludes de sa rupture avec les Fatemides.--En Ifrikiya, la puissance du gouverneur sanhadjien continuait à décliner. Renonçant, pour ainsi dire, aux régions de l'ouest, abandonnées de fait à Hammad, El-Moëzz ne s'occupait guère que des Beni-Khazroun de la province de Tripoli. L'anarchie y était en permanence. Ouerrou, frère de Felfoul, étant mort en 1015, son fils Khalifa voulut prendre le commandement des Zenètes, mais ces Berbères se divisèrent, et une partie suivit les étendards de Khazroun, frère de Ouerrou.

Après une courte lutte, celui-ci resta maître de l'autorité et entraîna ses adhérents à des incursions sur les territoires de Gabès et de Tripoli, où un gouverneur, du nom d'Abd-Allah-ben-Hacen, commandait pour El-Moëzz. En 1026, cet Abd-Allah, dont le frère venait d'être mis à mort à Kaïrouan, par l'ordre du gouverneur, livra, pour se venger, Tripoli à Khalifa, chef des Zenètes, et celui-ci, étant ainsi devenu maître de cette place, en expulsa Abd-Allah et fit massacrer tous les Sanhadja qui s'y trouvaient.

El-Moëzz, bien qu'ayant été élevé dans les principes de la doctrine chiaïte, s'était rattaché à la secte de Malek et n'avait pas tardé à persécuter ses anciens coreligionnaires. A El-Mehdïa, à Kaïrouan, les Chiaïtes étaient poursuivis, molestés, torturés même. Leur sang avait coulé à flots et ces mauvais traitements les avaient forcés, en maints endroits, à l'exil volontaire. La Sicile et l'Orient avaient vu arriver ces malheureux dans le plus triste état. Cette attitude n'était rien moins que la révolte contre les khalifes d'Egypte. En vain El-Hakem, qui régnait alors, essaya de ramener à l'obéissance son représentant de Kaïrouan, en le comblant de cadeaux; il ne réussit qu'à retarder une rupture inévitable.

Khalifa, de Tripoli, exploitant la situation, entra en rapports avec la cour du Caire et reçut du khalife un diplôme lui conférant le commandement de la Tripolitaine. C'était, entre les deux cours, un échange d'hostilités indirectes, prélude d'actes plus décisifs.

En 1028, Hammad mourut à la Kalâa, et fut remplacé par son fils El-Kaïd, qui confia à ses frères les grands commandements de son empire. Les bons rapports continuèrent pendant quelque temps entre lui et son cousin de Kaïrouan, mais, de ce côté aussi, une rupture était imminente 617.

Note 617: (retour) Ibn-Khaldoun, t. I, p. 30, t. II, p. 20, 21, 45, 131, t. III, p. 266, 267. El-Kairouani, p. 140, 141. El-Bekri, passim. Amari, Musulmans de Sicile, t. II, p. 357 et suiv.

Guerre entre les Mag'raoua et les Beni-Ifrene.--A Fès, Ham-mama, roi des Mag'raoua, continuait à régner au milieu d'une cour brillante, et, pendant ce temps, les Beni-Ifrene, commandés par Temim, guerroyaient contre les Berg'ouata et devenaient redoutables. En 1033, ils vinrent, avec l'aide d'autres tribus zenètes, mettre le siège devant Fès. Le chef des Mag'raoua leur livra une grande bataille sous les murs de la ville; mais, après une lutte acharnée où tombèrent ses meilleurs guerriers, il fut entièrement défait. Les Beni-Ifrene entrèrent victorieux à Fès, qu'ils mirent au pillage. Le quartier des juifs, surtout, attira leur convoitise, car il était rempli de richesses; les vainqueurs massacrèrent les hommes et réduisirent les femmes en esclavage.

Temim s'installa en souverain dans Fès, tandis que Hammama se réfugiait à Oudjda et s'occupait avec activité à réunir ses adhérents, afin de prendre sa revanche. Peu de temps après, il fut en mesure de commencer les hostilités et, en 1038, il arrachait sa capitale des mains des Beni-Ifrene. Ceux-ci rentrèrent dans leurs anciens territoires; Temim se retrancha à Chella 618.

Note 618: (retour) Le Kartas donne pour date à cet événement l'année 1041. Nous adoptons la date et la leçon d'Ibn-Khaldoun qui paraissent plus probables.

Après cette victoire, Hammama se crut assez fort pour entreprendre d'autres conquêtes. A la tête d'une armée zenatienne, il se mit en marche vers l'est et envahit le territoire sanhadjien. El-Kaïd, seigneur de la Kalâa, s'avança à sa rencontre; mais, se sentant moins fort, il n'osa pas engager le combat, et préféra employer l'intrigue et la corruption pour détourner les adhérents de son adversaire. Abandonné par son armée, Hammama n'eut bientôt d'autre parti à prendre que d'accepter la paix et de rentrer chez lui. Il mourut l'année suivante (1040), laissant le pouvoir à son fils; mais la guerre civile divisa alors les Mag'raoua; et Fès fut, pendant de longues années, le théâtre de luttes et de compétitions dans lesquelles les forces des Mag'raoua s'épuisèrent.

Événements de Sicile et d'Italie. Chute des Kelbites.--Absorbés par l'histoire de l'Afrique et de l'Espagne, nous avons perdu de vue la Sicile et l'Italie, et il convient de revenir sur nos pas afin de passer une rapide revue des événements survenus dans ces contrées.

La Sicile, indépendante de fait sous les émirs kelbites, qui reconnaissaient pour la forme l'autorité des khalifes fatemides, profita d'une période de paix, pendant laquelle fleurirent les lettres et les arts. Toutes les forces vives des Musulmans s'étaient reportées sur l'Italie. Les villes de Cagliari et de Pise avaient été pillées par les Sarrasins (1002). En 1004, le doge de Venise, P. Orseolo, vint au secours de Bari, assiégée par le renégat Safi, et força les Musulmans à la retraite. En 1005, les Pisans remportèrent l'importante bataille navale de Reggio. En 1009, les Musulmans, prenant leur revanche, s'emparèrent de Cosenza.

En 1015, une expédition musulmane assiégeait Salerne, et cette ville, pour éviter de plus grands maux, se disposait à accepter les exigences des Arabes, lorsque quarante chevaliers normands revenant de Terre sainte, qui se trouvaient de passage dans la localité, scandalisés de voir des chrétiens ainsi malmenés par des infidèles, entraînèrent à leur suite quelques hommes de cœur et forcèrent les Musulmans à se rembarquer, après avoir pillé leur camp. Refusant ensuite toutes les offres qui leur étaient faites, ils continuèrent leur chemin. Mais le prince de Salerne les fit accompagner par un envoyé chargé de ramener des champions de leur pays, en les attirant par les promesses les plus séduisantes.

Le caïd de Sicile, Youssof-el-Kelbi, ayant été frappé d'hémiplégie, avait résigné quelque temps auparavant le pouvoir entre les mains de son fils Djâfer, qui avait reçu d'El-Hakem l'investiture, avec le titre de Seïf-ed-Daoula. En 1015, Ali, frère de Djâfer, appuyé par les Berbères, se mit en état de révolte, mais il fut vaincu et tué par son frère, qui expulsa une masse de Berbères de l'île. Djâfer, vivant dans le luxe, abandonna la direction des affaires à l'Africain Hassan, de Bar'aï, et ce ministre, pour subvenir aux dépenses de son maître, ne trouva rien de mieux que d'augmenter les impôts, en percevant le cinquième sur les fruits, alors que les terres étaient déjà grevées d'une taxe foncière. Il en résulta une révolte générale (mai 1019). Djâfer fut déposé, transporté en Egypte et remplacé par son frère Ahmed-ben-el-Akehal.

Le nouveau gouverneur, après avoir rétabli la paix en Sicile, entreprit des expéditions en Italie. L'empereur Basile, qui avait tenu sous le joug les Musulmans d'Orient, les Russes et les Bulgares, se prépara, malgré ses soixante-huit ans, à faire une descente en Sicile. Son aide de camp Oreste le précéda avec une nombreuse armée et chassa de Calabre tous les Musulmans; il attendait l'empereur pour passer en Sicile lorsque celui-ci mourut (décembre 1025).

Averti du péril qui menaçait la Sicile, El-Moëzz offrit son aide à El-Akehal, qui l'accepta. Mais la flotte envoyée d'Afrique fut détruite par une tempête (1026). Oreste, débarqué en Sicile, ne sut pas tirer parti des circonstances; il laissa affaiblir son armée par la maladie et, lorsque les Musulmans attaquèrent, il se trouva hors d'état de leur résister.

Toutes les tentatives tournaient au profit des Musulmans. Les flottes combinées d'El-Moëzz et d'El-Akehal sillonnèrent alors les mers du Levant et allèrent porter le ravage sur les côtes d'Illyrie, des îles de la Grèce, des Cyclades et de la Thrace. Mais, dans la Méditerranée, les chrétiens, oubliant leurs dissensions particulières, s'unissaient partout pour combattre l'influence musulmane. C'est ainsi que les Pisans, aidés sans doute des Génois, armèrent en 1034 une flotte imposante et effectuèrent une descente en Afrique. Bône, objectif de l'expédition, fut prise et pillée par les chrétiens. En 1035, la cour de Byzance envoya des ambassadeurs à El-Moëzz pour traiter de la paix. Sur ces entrefaites, une révolte éclata en Sicile contre El-Akehal, qui avait voulu encore augmenter les impôts pour subvenir aux frais de la guerre. La situation devenant périlleuse, ce prince se hâta de faire la paix avec l'empire et d'accepter le titre de maître, qui impliquait une sorte de vasselage; il demanda alors des secours aux Byzantins, tandis que les rebelles appelaient à leur aide El-Moëzz.

Le gouverneur de Kaïrouan leur envoya son propre fils Abd-Allah, avec trois mille cavaliers et autant de fantassins. En 1036, Léon Opus, qui commandait en Calabre, passa en Sicile pour secourir le nouveau vassal de l'empire et défit l'armée berbère; mais, craignant des embûches, il ne profita pas de sa victoire et rentra en Italie, accompagné de quinze mille chrétiens qui avaient suivi sa fortune. Bientôt El-Akehal fut assassiné, et Abd-Allah resta seul maître de l'autorité 619.

Note 619: (retour) Amari, Musulmans de Sicile, t. II, p. 341 et suiv. Élie de la Primaudaie, Arabes et Normands, p. 159 et suiv.

Exploits des Normands en Italie et en Sicile. Robert Wiscard.--Nous avons vu que le prince de Salerne, enthousiasmé des exploits des Normands, avait député une ambassade pour décider leurs compatriotes à lui prêter l'appui de leurs bras. Son appel fut entendu, et bientôt une petite compagnie d'aventuriers normands arriva en Italie, sous la conduite d'un certain Drengot (1017). Présentés au pape Benoît VIII, ils furent encouragés par le pontife à lutter contre les Byzantins, qui se rendaient odieux par leur tyrannie et dont l'ambition portait ombrage à tous les souverains de l'Italie centrale. Après avoir, tout d'abord, infligé aux Grecs des pertes sensibles, les Normands ressentirent à leur tour les effets de la fortune adverse et furent cruellement éprouvés par le fer de l'ennemi. Le katapan Boïannès les expulsa de toutes leurs conquêtes et rétablit l'autorité de l'empire jusque sur l'Apulie.

Le pape Benoît VIII appela alors à son aide l'empereur Henri II, qui envahit l'Italie à la tête d'une nombreuse armée; les Normands se joignirent à lui et l'aidèrent à triompher des Grecs. Mais bientôt l'armée allemande reprit la route de son pays, et les Normands demeurèrent livrés à eux-mêmes sans ressources, et se virent forcés de vivre de brigandage et d'offrir leurs bras aux princes ou aux républiques qui voudraient bien les employer.

Sur ces entrefaites, arriva de Normandie une nouvelle troupe commandée par de braves chevaliers, fils d'un homme noble des environs de Coutances, nommé Tancrède de Hauteville, qui, à défaut d'autre patrimoine, avait donné à ses douze fils l'éducation militaire de son temps. C'était un puissant renfort que de tels hommes, et, comme la guerre venait d'éclater entre le prince de Salerne et celui de Capoue, ils trouvèrent immédiatement à s'employer. Plus tard, ils s'attachèrent aux uns et aux autres avec des chances diverses.

Vers 1036, le général Georges Maniakès débarqua en Italie à la tête d'une armée byzantine considérable; il réussit à s'adjoindre les Normands du comté de Salerne et passa en Sicile (1038). Débarqués à Messine, les chrétiens ne tardèrent pas à rencontrer les Musulmans; ils les mirent en déroute, après un rude combat, dans lequel Guillaume Bras de fer, un des fils de Tancrède, fit des prodiges de valeur à la tête des Normands. Messine capitule; puis on assiège Rametta, où les Musulmans ont concentré leurs forces. Maniakès triomphe sur tous les points. Les chrétiens mettent alors le siège devant Syracuse; mais cette ville résiste avec énergie. Abd-Allah reçoit des renforts d'Afrique et porte son camp sur les plateaux de Traïana, au nord de l'Etna. Mais l'habile Maniakès, secondé par les Normands, met encore une fois en déroute les Musulmans.

Sur ces entrefaites, une brouille étant survenue entre Maniakès et le Lombard Ardoin, qui avait le commandement de la compagnie normande, ce chef ramena ses hommes en Italie et appela le peuple aux armes contre les Byzantins. Cependant Syracuse était tombée aux mains du général grec, et bientôt il allait achever la conquête de toute l'île, lorsque, par suite d'intrigues, il fut rappelé en Orient et jeté dans les fers. La révolte éclata dans la Pouille sous l'impulsion des Normands; une partie des troupes impériales furent rappelées de Sicile et les Musulmans respirèrent.

En 1040, les Musulmans se lancent également dans la rébellion, et Abd-Allah, après avoir vu tomber la plupart de ses adhérents, est contraint de rentrer à Kaïrouan, en abandonnant la Sicile à son compétiteur Simsam, frère d'El-Akehal. Les Byzantins sont bientôt expulsés de l'île (1042). Mais la Sicile se divise en un grand nombre de principautés indépendantes, obéissant à des officiers d'origine diverse, souvent obscure.

En Italie, les Normands avaient obtenu de grands succès et conquis un vaste territoire dont ils s'étaient partagé les villes. Amalfi, neutralisée, devint la capitale de ce petit royaume, et Guillaume en fut nommé chef, sous le nom de comte de la Pouille. Mais en 1042, Maniakès, qui avait recouvré la liberté, reparut en Italie, et, comme toujours, la victoire couronna ses armes. Par bonheur pour les Normands, il se fit proclamer empereur et passa en Grèce, où il fut tué par surprise. La ligue normande acquit dès lors une grande puissance. A la mort de Guillaume, survenue en 1046, les frères de Hauteville se disputèrent sa succession, et la ligue fut rompue. Le plus jeune d'entre eux, nommé Robert, arrivé depuis peu en Italie, ayant trouvé tous les bons postes occupés, se distingua par sa hardiesse et les ressources de son esprit; il reçut pour cela le surnom de Wiscard ou Guiscard (fort et prudent). Après avoir guerroyé avec succès en Calabre, il se forma un groupe de compagnons dévoués et courageux. Nous verrons avant peu quel parti il en tira.

Quelques années plus tard, les forces combinées de Gènes, de Pise et du Saint-Siège parviennent à expulser les Musulmans de la Sardaigne (1050). Cette île obéissait aux émirs espagnols et la lutte avait duré de longues années 620.

Note 620: (retour) Amari, Musulmans de Sicile, t. II, p. 367 et suiv. Élie de la Primaudaie, Arabes et Normands, p. 166 et suiv. De Mas Latrie, Traités de paix, etc., p. 21 et suiv.

Rupture entre El-Moezz et le Hammadite El-Kaïd.--Pendant que l'Italie et la Sicile étaient le théâtre de ces événements, une rupture, depuis longtemps imminente, éclatait entre El-Moëzz et son parent El-Kaïd, de la Kalâa, qui s'était rendu entièrement indépendant du gouverneur de Kaïrouan. Par esprit d'opposition, El-Kaïd refusait en outre de suivre El-Moëzz dans son hostilité contre les khalifes du Caire.

Le gouverneur, s'étant mis à la tête de ses troupes, vint lui-même assiéger la Kalâa; mais cette place, par sa forte position, défiait toute surprise. Aussi, après l'avoir tenue longtemps bloqués, El-Moëzz se décida-t-il à signer avec El-Kaïd une sorte de trêve. Il leva le siège, mais au lieu de rentrer en Ifrikiya, il alla guerroyer du côté d'Achir (1042-43).

Comme en Sicile, comme en Espagne, la désunion des Musulmans d'Afrique, en paralysant leurs forces, allait avoir les conséquences les plus graves et favoriser l'arrivée d'un nouvel élément ethnographique 621.

Note 621: (retour) Ibn-Khaldoun, t. II, p. 20 et 46.
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