Histoire de l'Afrique Septentrionale (Berbérie) depuis les temps les plus reculés jusqu'à la conquête française (1830) ( Volume I)
CHAPITRE X
PÉRIODE VANDALE
415-531
Le christianisme en Afrique au commencement du ve siècle.--Boniface gouverneur d'Afrique; il traite avec les Vandales.--Les Vandales envahissent l'Afrique.--Lutte de Boniface contre les Vandales.--Fondation de l'empire vandale.--Nouveau traité de Genséric avec l'empire; organisation de l'Afrique Vandale.--Mort de Valenthinien III; pillage de Rome par Genséric--Suite des guerres des Vandales.--Apogée de la puissance de Genséric; sa mort.--Règne de Hunéric; persécutions contre les catholiques.--Révolte des Berbères.--Cruautés de Hunéric.--Concile de Karthage; mort de Hunéric.--Règne de Goudamond.--Règne de Trasamond.--Règne de Hildéric.--Révoltes des Berbères; usurpation de Gélimer.
Le christianisme en Afrique au commencement du ve siècle.--Avant d'entreprendre le récit des événements qui vont faire entrer l'histoire de la Berbérie dans une nouvelle phase, il convient de jeter un coup d'œil sur la situation du christianisme en Afrique au commencement du ve siècle. Si nous sommes entrés dans des détails un peu plus complets que ne semble le comporter le cadre de ce récit, sur cette question, c'est que l'établissement de la religion chrétienne fut une des principales causes du désastre de l'Afrique 223. Les premières persécutions commencèrent à porter un grand trouble dans la population coloniale et à diminuer sa force en présence de l'élément berbère en reconstitution. Et cependant cette période est la plus belle, car les chrétiens unis dans un malheur commun donnent l'exemple de l'union et de la concorde. Aussitôt que la cause pour laquelle ils ont tant souffert vient à triompher, une scission radicale, irrémédiable, se produit dans leur sein et ils se traitent avec la haine la plus féroce. «Il n'y a pas de bêtes si cruelles aux hommes que la plupart des chrétiens le sont les uns aux autres.» Ainsi s'exprime Ammien Marcellin 224, qui les a vus de près. Mais ce n'est pas tout: avec le succès, leurs mœurs deviennent moins pures et leurs assemblées servent de prétexte aux orgies, si bien que saint Augustin, qui avait failli être lapidé à Karthage pour avoir prêché contre l'ivrognerie, s'écrie: «Les martyrs ont horreur de vos bouteilles, de vos poêles à frire et de vos ivrogneries! 225.» Il faut ajouter à cela les schismes qui divisent l'église orthodoxe, en outre du donatisme et de l'arianisme, car tous les jours il paraît quelque novateur: Pélage fonde l'hérésie qui porte son nom; Célestius, son compagnon, la propage en Afrique; les nouveaux sectaires se subdivisent eux-mêmes en Pélagiens et semi-Pélagiens. En Cyrénaïque et dans l'est de la Berbérie, c'est l'hérésie de Nestorius qui est en faveur; ailleurs les Manichéens ont la majorité.
Note 223: (retour) C'est l'opinion d'un homme dont on ne contestera ni la compétence ni le catholicisme, M. Lacroix. «Il ne faut pas se dissimuler, dit-il dans son ouvrage inédit, que le christianisme eut une large part à revendiquer dans le désastre de l'Afrique.... Nul doute que les déplorables dissensions dont la population créole offrit alors le triste spectacle n'ait hâté la chute du colosse,» (Revue africaine, n° 72 et suivants.)
Nous avons vu à quels excès s'étaient portés les Donatistes et les orthodoxes les uns contre les autres, suivant leurs alternatives de succès ou de revers. La rage des Circoncellions fut surtout funeste à la colonisation romaine, car elle détruisit cette forte occupation des campagnes qui était le plus grand obstacle à l'expansion des indigènes; les fermes étant brûlées et les colons assassinés, les campagnes furent toutes prêtes à recevoir de nouveaux occupants. L'histoire n'offre peut-être pas d'autre exemple de l'esprit de destruction animant ces sectaires, véritables nihilistes qui se tuaient les uns les autres, quand ils avaient fait le vide autour d'eux et qu'il ne restait personne à frapper.
Quelques nobles figures nous reposent dans ce sombre tableau. La plus belle est celle de saint Augustin, né à Thagaste 226; il étudia d'abord à Madaure 227, puis à Karthage. Nous n'avons pas à faire ici l'histoire de ce grand moraliste. Disons seulement qu'après un long séjour en Italie, il revint en Afrique en 388 et y écrivit un certain nombre de ses ouvrages. Il s'appliqua alors, de toutes ses forces, à combattre, par sa parole et par ses écrits, les Manichéens, et surtout les Donatistes. Il fut secondé dans cette tâche par saint Optat, évêque de Mileu, qui a laissé des écrits estimés et notamment une histoire des Donatistes.
En 410, Honorius, cédant à la pression des prêtres qui l'entouraient, rendit un nouvel édit contre les Donatistes. Mais leur nombre était trop grand en Afrique et l'empereur n'avait pas la force matérielle nécessaire pour faire exécuter ses ordres. Il voulut alors essayer de la conviction et réunit le 16 mai 411, à Karthage, un concile auquel prirent part deux cent quatre-vingt-six évêques dont la moitié étaient schismatiques, sous la présidence du tribun et notaire Flavius Marcellin. Les Donatistes furent encore vaincus dans ce combat. Ils en appelèrent de la sentence, mais l'empereur leur répondit par un nouvel édit leur retirant toutes les faveurs qu'ils avaient pu obtenir précédemment, et prescrivant contre eux les mesures les plus sévères. Contraints encore une fois de rentrer dans l'ombre, ils attendirent l'occasion de se venger.
Boniface gouverneur d'Afrique. Il traite avec les Vandales.--Le 14 août 423, Honorius cessait de vivre, en laissant comme héritier au trône un jeune neveu, alors en exil à Constantinople, avec sa mère la docte Placidie. Aussitôt, celle-ci le fit reconnaître comme empereur d'Occident par les troupes; mais ce ne fut qu'après bien des vicissitudes qu'il fut proclamé à Ravenne sous le nom de Valentinien III. Comme il n'était âgé que de six ans, Placidie s'attribua, avec la régence, le titre d'Augusta et prit en main la direction des affaires.
Le général Boniface, qui s'était distingué dans une longue carrière militaire, dont une partie passée en Maurétanie comme préposé des limites à Tubuna 228, avait été nommé en 422, par Honorius, comte d'Afrique. Il avait su, par une administration habile et une juste sévérité, ramener ou maintenir dans le devoir les populations latines, depuis si longtemps divisées par l'anarchie, et repousser les indigènes qui, de toutes parts, envahissaient le pays colonisé. Nommé gouverneur de toute l'Afrique par Placidie, il l'aida puissamment, grâce à ses conseils et à l'envoi de secours de toute nature, à triompher de l'usurpateur Jean. Ces éminents services avaient donné à Boniface un des premiers rangs dans l'empire.
Mais la cour de Valentinien, dirigée par une femme partageant son temps entre les lettres et la religion, était un terrain propice aux intrigues de toute sorte. Aétius, autre général, jaloux des faveurs dont jouissait Boniface, prétendit que le comte d'Afrique visait à l'indépendance et, comme l'impératrice refusait de le croire, il l'engagea pour l'éprouver à lui donner l'ordre de venir immédiatement se justifier en personne. Ce conseil ayant été suivi, il fit dire indirectement à Boniface qu'on voulait attenter à ses jours. Cette odieuse machination réussit à merveille. Boniface refusa de venir se justifier. Dès lors sa rébellion fut certaine pour Placidie et comme on apprit, sur ces entrefaites, que le comte d'Afrique venait d'épouser une princesse arienne de la famille du roi des Vandales d'Espagne 229, on ne douta plus de sa trahison.
Aussitôt l'impératrice nomma à sa place Sigiswulde, et fit marcher contre lui trois corps d'armée (427); mais Boniface les repoussa sans peine. Pour cela, il avait été obligé de rappeler toutes les garnisons de l'intérieur et les Berbères en avaient profité pour se lancer dans la révolte. L'année suivante Placidie envoya en Afrique une nouvelle armée qui ne tarda pas à s'emparer de Karthage. La situation devenait critique pour Boniface; attaqué par les forces de sa souveraine, menacé sur ses derrières par les indigènes, le comte prit un parti désespéré qui allait avoir pour l'Afrique les plus graves conséquences. Il s'adressa au roi des Vandales et conclut avec lui un traité, aux termes duquel il lui cédait les trois Maurétanies, jusqu'à l'Amsaga, à la condition qu'il conserverait pour lui la souveraineté du reste de l'Afrique 230.
Les Vandales envahissent l'Afrique.--Les Vandales, après avoir été écrasés par les Goths et rejetés dans les montagnes de la Galice (416-8), avaient, à la suite du départ de leurs ennemis, reconquis l'Andalousie, battu les Alains, et établi leur prépondérance sur l'Espagne, malgré les efforts des Romains, aidés des Goths (422). Au moyen de vaisseaux, trouvés, dit-on, à Carthagène, ils n'avaient pas tardé à sillonner la Méditerranée et ils avaient pu jeter des regards sur cette Afrique, objet de convoitise pour les Barbares. C'est ce qui explique la facilité avec laquelle la proposition de Boniface avait été acceptée.
Dans le mois de mai 429 231, les Vandales avec leurs alliés Alains, Suèves, Goths et autres barbares, au nombre de quatre-vingt mille personnes, dont cinquante mille combattants 232, traversèrent le détroit et débarquèrent dans la Tingitane. Boniface leur fournit ses vaisseaux et l'on dit que les Espagnols, heureux de se débarrasser d'eux, leur facilitèrent de tout leur pouvoir ce passage.
Aussitôt débarqués, les envahisseurs se mirent en marche vers l'est, s'avançant en masse comme une trombe qui détruit tout sur son passage. Ils étaient conduits par Genseric (ou Gizeric) leur roi, qui venait d'usurper le pouvoir en faisant assassiner son frère Gunderic, souverain légitime. Les Vandales étaient ariens et grands ennemis des orthodoxes. Les Donatistes les accueillirent comme des libérateurs et facilitèrent leur marche. Il est très probable que les Maures, s'ils ne s'allièrent pas à eux, s'avancèrent à leur suite pour profiter de leurs conquêtes.
Sur ces entrefaites, Placidie, ayant reconnu les calomnies dont Boniface avait été victime, se réconcilia avec lui et lui rendit ses faveurs. Saint Augustin, ami du comte d'Afrique et qui avait fait tous ses efforts pour l'amener à abandonner son dessein, servit de médiateur entre le rebelle et sa souveraine. Boniface, qui avait enfin mesuré les conséquences de la faute par lui commise en appelant les Vandales en Afrique, essaya d'obtenir la rupture du traité conclu avec eux et leur rentrée en Espagne; mais il était trop tard, car il est souvent plus facile de déchaîner certaines calamités que de les arrêter. Encouragés par leurs succès et par l'appui qu'ils rencontraient dans la population, les Vandales repoussèrent dédaigneusement ses propositions, et, pour braver ses menaces, franchirent l'Amsaga et envahirent la Numidie.
Lutte de Boniface contre les Vandales.--Le comte d'Afrique ayant marché à la tête de ses troupes contre les envahisseurs, leur livra bataille en avant de Calama 233; mais il fut entièrement défait et se vit contraint de chercher un refuge derrière les murailles d'Hippône 234. Les Barbares l'y suivirent (430) et, ayant employé une partie de leurs forces pour investir cette ville, lancèrent le reste dans le cœur de la Numidie, où ils mirent tout à feu et à sang. Guidés sans doute par les Donatistes, ils s'acharnèrent particulièrement à détruire les églises des orthodoxes. Constantine résista à leurs efforts 235. Le siège d'Hippône durait depuis longtemps et l'on dit que les Vandales, pour démoraliser les assiégés et leur rendre le séjour de la ville intolérable, amassaient les cadavres dans les fossés et au pied des murs et mettaient à mort leurs prisonniers sur ces charniers qu'ils laissaient se décomposer en plein air. Saint Augustin, qui aurait pu fuir, avait préféré rester dans son évêché et soutenir l'honneur de cette église d'Afrique pour laquelle il avait tant lutté. Mais il ne put résister aux souffrances et à la fatigue du siège et mourut le 28 août 430.
Enfin, dans l'été de 431, des secours commandés par Aspar, général de l'empereur d'Orient, furent envoyés par Placidie à Hippône. Boniface crut alors pouvoir prendre l'offensive et chasser ses ennemis qui avaient, à peu près, levé le siège. Il leur livra bataille dans les plaines voisines; mais le sort des armes lui fut encore funeste. Aspar se réfugia sur ses vaisseaux avec les débris de ses troupes, et Hippône ne fut plus en état de résister. Les Vandales mirent cette ville au pillage et l'incendièrent.
Boniface se décida alors à abandonner l'Afrique. Il alla se présenter devant sa souveraine qui l'accueillit avec honneur et évita les récriminations inutiles: tous deux, en effet, étaient également responsables de la perte de l'Afrique.
Fondation de l'empire Vandale.--Ainsi la Numidie et les Maurétanies restaient aux mains des Vandales. L'empereur, absorbé par d'autres guerres, ne pouvait songer pour le moment à reconquérir ces provinces; il pensa, dans l'espoir de conserver ce qui lui restait, qu'il était préférable de traiter avec Genséric et lui envoya un négociateur du nom de Trigétius. Le 11 février 435, un traité de paix fut signé entre eux à Hippône. Bien que les conditions particulières de cet acte ne soient pas connues, on sait que Genséric consentit à payer un tribut annuel à l'empereur, lui livra son fils Hunéric en otage, et s'engagea par serment à ne pas franchir la limite orientale de la contrée qu'il occupait en Afrique 236.
C'était la consécration du fait accompli. Genséric donna d'abord de grands témoignages d'amitié aux Romains, et ceux-ci en furent tellement touchés, qu'ils lui renvoyèrent son fils. Mais l'ambitieux barbare sut employer ce répit pour préparer de nouvelles conquêtes. Il avait, du reste, à assurer sa propre sécurité menacée par les partisans de son frère Gundéric. Dans ce but il fit massacrer la veuve et les enfants de celui-ci qu'il détenait dans une étroite captivité et réduisit à néant les derniers adhérents de son frère. Il s'était depuis longtemps déclaré le protecteur des Donatistes et des Ariens; les orthodoxes furent cruellement persécutés. En 137, les évêques catholiques avaient été sommés par lui de se convertir à l'arianisme; ceux qui s'y refusèrent furent poursuivis et exilés et leurs églises fermées. Enfin, il tâcha de s'assurer le concours des Berbères et il est plus que probable qu'il leur abandonna sans conteste les frontières de l'ouest et du sud, que les Romains défendaient depuis si longtemps contre leurs invasions.
En même temps, Genséric suivait avec attention les événements d'Europe, car il avait comme auxiliaires contre l'empire, à l'est les Huns, avec Attila, dont l'attaque était imminente, et à l'ouest et au nord, les Vizigoths et les Suèves. Dans l'automne de l'année 439, le roi vandale, profitant de l'éloignement d'Aétius retenu dans les Gaules par la guerre contre les Vizigoths, marcha inopinément sur Karthage et se rendit facilement maître de cette belle cité, alors métropole de l'Afrique (19 oct.). Les Vandales y trouvèrent de grandes richesses, notamment dans les églises catholiques qu'ils mirent au pillage. L'évêque Quodvultdéus ayant été arrêté avec un certain nombre de prêtres, on les accabla de mauvais traitements, puis on les dépouilla de leurs vêtements et on les plaça sur des vaisseaux à moitié brisés qu'on abandonna au gré des flots. Ils échappèrent néanmoins au trépas et abordèrent sur le rivage de Naples. La conquête de la Byzacène suivit celle de Karthage. Ainsi cette province échappa aux Romains qui l'occupaient depuis près de six siècles.
Après ce succès, Genséric, qui avait des visées plus hautes, donna tous ses soins à l'organisation d'une flotte, et bientôt les corsaires vandales sillonnèrent la Méditerranée; ils poussèrent même l'audace jusqu'à attaquer Palerme (440). Se voyant menacé chez lui, Valentinien envoya des troupes pour garder les côtes, autorisa les habitants à s'armer et leur abandonna d'avance tout le butin qu'ils pourraient faire sur les Vandales. En 442, l'empereur Théodose envoya à son secours une flotte; mais les navires furent rappelés avant d'avoir pu combattre, par suite d'une invasion des Huns.
Nouveau traité de Genséric avec l'empire.--Organisation de l'Afrique vandale.--Valentinien, dans l'espoir de préserver son trône, se décida à traiter, de nouveau, avec le roi des Vandales. Il céda à Genséric la Byzacène jusqu'aux Syrtes et la partie orientale de la Numidie, la limite passant à l'ouest de Theveste, Sicca-Veneria et Vacca 237. De son côté, le roi abandonna à l'empereur le reste de la Numidie et les Maurétanies. Le traité fut signé à Karthage en 442 238. Ainsi les Vandales s'emparaient du territoire le plus riche, le mieux colonisé et le moins dévasté, et ils rendaient aux Romains des pays ruinés, livrés à eux-mêmes, et où ils n'avaient plus aucune action. En 445, Valentinien promulguait une loi par laquelle il faisait remise aux habitants de la Numidie et de la Maurétanie des sept huitièmes de leurs impôts. Cela donne la mesure de la destruction de la richesse publique. Quelque temps après, il prescrivait d'attribuer dans ces provinces des emplois aux fonctionnaires destitués par les Vandales.
Genséric divisa son empire en cinq provinces: la Byzacène, la Numidie, l'Abaritane (territoire situé sur le haut Bagrada, à l'est de Tebessa), la Gétulie, comprenant le Djerid et les pays méridionaux, et la Zeugitane ou Consulaire. Il fit raser les fortifications de toutes les villes, à l'exception de Karthage, et se forma avec l'aide des indigènes une armée de quatre-vingts cohortes. «Il partagea les terres en trois lots. Les biens meubles et immeubles des plus nobles et des plus riches, ainsi que leurs personnes, furent attribués à ses deux fils Hunéric et Genson 239. Le deuxième, se composant particulièrement des terres de la Byzacène et de la Zeugitane, fut donné aux soldats, en leur imposant l'obligation du service militaire. Enfin le troisième lot, le rebut, fut laissé aux colons.» De sévères persécutions contre les catholiques achevèrent de consommer la ruine d'un grand nombre de cités et de colonies latines.
En même temps, Genséric donna une nouvelle impulsion à la course, et les indigènes y prirent une part active. Le butin était partagé entre le prince et les corsaires 240 absolument comme nous le verrons plus tard sous le gouvernement turc. Enfin il entretint des relations d'alliance, quelquefois troublées il est vrai, avec les Huns, les Vizigoths et autres barbares, qu'il s'efforçait d'exciter contre l'empire.
Mort de Valentinien III. Pillage de Rome par Genséric.--Genséric se préparait à retirer tout le fruit des attaques incessantes des barbares, et l'occasion n'allait pas tarder à se présenter, pour lui, d'exercer ses talents sur un autre théâtre. En 450, Théodose II mourut et fut remplacé par Marcien; quelques mois après (27 novembre 450), Placidie cessait de vivre, et Valentinien III, débarrassé de sa tutelle, prenait en main un pouvoir pour lequel il avait été si mal préparé par son éducation. Après avoir commis de nombreuses folies, il tua, dans un acte de rage, Aétius son dernier soutien (454); mais peu après il fut à son tour massacré par les sicaires du sénateur Petrone Maxime, qui avait à venger son honneur: sa femme, objet des violences de Valentinien, s'était donné la mort. Maxime prit ensuite la pourpre et contraignit Eudoxie, veuve de l'empereur, à devenir son épouse 241.
Le roi des Vandales ne laissa pas échapper cette occasion, patiemment attendue, et il est inutile de savoir si, comme les auteurs du temps l'affirment, il répondit à l'appel d'Eudoxie. Après avoir équipé de nombreux vaisseaux, il débarqua en Italie une armée dans laquelle les Berbères avaient fourni un nombreux contingent. A son approche, Maxime se disposait à fuir, lorsqu'il fut massacré par ses troupes et par le peuple (12 juin 455).
Trois jours après, Genséric se présenta devant Rome et, bien qu'il n'eût éprouvé aucune résistance, la ville éternelle demeura livrée pendant quatorze jours à la fureur des Vandales et des Maures. Le vainqueur fit charger sur ses vaisseaux toutes les richesses enlevées aux monuments publics et aux habitations privées, et un grand nombre de prisonniers, membres des principales familles, qui furent réduits à l'état d'esclaves. Le tout fut amené à Karthage et partagé entre le prince et les soldats. Genséric eut notamment pour sa part le trésor de Jérusalem qui avait été rapporté de Rome par Titus. Il ramena en outre à Karthage Eudoxie et ses deux filles, et donna l'une de celles-ci en mariage à son fils Hunéric 242.
Suite des guerres des Vandales.--La conquête de Rome avait non seulement donné aux Vandales de grandes richesses, elle leur avait acquis la souveraineté de toute l'Afrique. Il y a lieu de remarquer à cette occasion combien le roi barbare fut prudent en ne restant pas en Italie, après sa victoire. Rentré dans sa capitale, il compléta l'organisation de son empire et s'appliqua à entretenir chez ses sujets le goût des courses sur mer, qui avaient ce double résultat de tenir les guerriers en haleine et de remplir le trésor. Les rivages baignés par la Méditerranée furent alors en butte aux incursions continuelles des corsaires vandales. Malte et les petites îles voisines du littoral africain durent reconnaître leur autorité; ils occupèrent même une partie de la Corse. Mais Récimer, général de l'empire d'Occident, ayant, été chargé de purger la Méditerranée de ces corsaires, fit subir aux Vandales de sérieuses défaites navales et les expulsa de la Corse.
En avril 457, l'empereur Majorien monta sur le trône. C'était un homme actif et énergique, et les Vandales ne tardèrent pas à s'en apercevoir, car il s'attacha à les combattre. Après leur avoir infligé de sérieux échecs, il se crut assez fort pour leur arracher l'Afrique. A cet effet, il réunit à Carthagène une flotte de trois cents galères et dirigea sur cette ville une armée considérable destinée à l'expédition (458).
A l'annonce de ces préparatifs, Genséric, qui avait en vain essayé, par des propositions de paix, de conjurer l'orage, se crut perdu. Pour retarder ou rendre impossible la marche de l'armée romaine, il donna l'ordre de ravager les Maurétanies. Mais ces dévastations étaient bien inutiles, et la trahison allait faire triompher sans danger l'heureux chef des Vandales. Des divisions habilement fomentées par ses émissaires dans le camp romain, amenèrent les auxiliaires Goths à lui livrer la flotte qui fut entièrement détruite. Majorien se vit forcé d'ajourner ses projets; mais en 462 il périt assassiné et, dès lors, Genséric put recommencer ses courses.
Il se rendit maître de la Corse et de la Sardaigne et poussa même l'audace jusqu'à porter le ravage sur les côtes de la Grèce. Pour venger cet affront, l'empereur d'Orient, qui se considérait encore comme suzerain de l'Afrique, fit marcher par l'Egypte une armée contre les Vandales, tandis qu'il envoyait d'autres forces par mer sous le commandement de Basiliscus.
L'armée de terre, conduite par Héraclius, ayant traversé la Cyrénaïque, tomba à l'improviste sur Tripoli et s'en empara, puis elle marcha sur Karthage. Pendant ce temps, Basiliscus avait expulsé les Vandales de Sardaigne, puis était venu débarquer non loin de Karthage. La situation de Genseric devenait critique, mais son esprit était assez fertile en intrigues pour lui permettre encore de se tirer de ce mauvais pas: profitant habilement des tergiversations de ses ennemis, semant parmi eux la défiance, corrompant ceux qu'il pouvait acheter, il parvint à annuler leurs efforts, et, les ayant attaqués en détail, à les mettre en déroute. Basiliscus se sauva avec quelques navires en Sicile, tandis qu'Héraclius gagnait par terre l'Egypte 243 (470).
Apogée de la puissance de Genséric; sa mort.--Ainsi, tous les efforts tentés pour abattre la puissance vandale n'amenaient d'autre résultat que de l'affermir. Après ses récentes victoires, Genséric, plus audacieux que jamais, avait de nouveau lancé ses corsaires dans la Méditerranée et reconquis la Sardaigne et la Sicile. Allié avec les Ostrogoths, il les poussait à attaquer l'empereur d'Orient, ce qui forçait celui-ci à lui laisser le champ libre. Au mois d'août 476, il eut la satisfaction de voir la chute de l'empire d'Occident, qui tomba avec Romulus Augustule. Odoacre, roi des Hérules, recueillit son héritage.
Cependant, soit que sentant sa fin prochaine, il voulût assurer à ses enfants l'empire qu'il avait fondé, soit qu'il fût las de guerres et de combats, Genséric signa des traités de paix perpétuelle avec Zenon, empereur d'Orient, et avec Odoacre. Il céda même au roi des Hérules une partie de la Sicile, à charge par celui-ci de lui servir un tribut annuel. Ces souverains consacraient les succès de Genséric en lui reconnaissant la souveraineté de l'Afrique et des îles de la Méditerranée occidentale (476).
Peu de temps après, c'est-à-dire au mois de janvier 477, Genséric mourut, dans toute sa gloire, après une longue vie qui n'avait été qu'une suite non interrompue de succès. Ce prince est une des grandes figures de l'histoire d'Afrique et, s'il est permis de ne pas admirer la nature de son génie, on ne peut en méconnaître, la puissance. Si nous nous en rapportons au portrait qui nous a été laissé de lui par Jornandès 244, «Giseric était de taille moyenne, et une chute de cheval l'avait rendu boiteux. Profond dans ses desseins, parlant peu, méprisant le luxe, colère à en perdre la raison, avide de richesses, plein d'art et de prévoyance pour solliciter les peuples, il était infatigable à semer les germes de division». Les historiens catholiques se sont plu à entasser les accusations contre le roi des Vandales, et il est certain qu'il ne fut pas doux pour eux; mais en faisant la part de la dureté des mœurs de l'époque, il ne paraît pas que l'Afrique eût été malheureuse sous son autorité. Après l'anarchie des périodes précédentes, c'était presque le repos.
Les conséquences de la conquête vandale furent considérables pour la colonisation latine qui reçut un coup dont elle ne se releva pas; mais sa ruine profita immédiatement à la population indigène; elle fit un pas énorme vers la reconstitution de sa nationalité, et si une main comme celle de Genséric était capable de contenir les Berbères en les maintenant au rôle de sujets, il était facile de prévoir qu'au premier acte de faiblesse ils se présenteraient en maîtres 245.
Règne de Hunéric.--Persécution contre les Catholiques.--La succession du roi des Vandales échut à son fils Hunéric. Ce prince n'avait aucune des qualités qui distinguaient son père, et l'on n'allait pas tarder à s'en apercevoir. A peine était-il monté sur le trône que des difficultés s'élevèrent entre lui et la cour de Byzance au sujet de diverses réclamations dont Genséric avait toujours su ajourner l'examen. Hunéric céda sur tous les points, car il voulait la paix, pour s'occuper des affaires religieuses et surtout de l'intérêt de l'arianisme.
Il avait paru, d'abord, vouloir diminuer les rigueurs édictées par son père contre les catholiques; mais les persécutions auxquelles les Ariens étaient en butte dans d'autres contrées l'irritèrent profondément et lui servirent de prétexte pour se lancer dans la voie opposée. Il prescrivit des mesures d'une cruauté jusqu'alors inconnue; quiconque persista dans la foi catholique fut mis hors la loi, spolié, martyrisé; les femmes de la plus noble naissance ne trouvèrent pas grâce devant lui: on les suspendait nues et on les frappait de verges ou on les brûlait par tout le corps au fer rouge. Les hommes étaient soumis à des mutilations horribles et conduits ensuite au bûcher 246. En 483, des évêques, prêtres et diacres catholiques au nombre de quatre mille neuf cent soixante-seize furent réunis à Sicca 247 et de là conduits au désert, dans le pays des Maures, c'est-à-dire au trépas.
Révolte des Berbères.--Le résultat d'une telle politique fut une insurrection générale des Berbères. Des déserts de la Tripolitaine, de la frontière méridionale de la Byzacène, des montagnes de l'Aourès et des hauts plateaux qui s'étendent de ce massif au Djebel-Amour, les indigènes se précipitèrent sur les pays colonisés. Ce fut une suite ininterrompue de courses et de razias. Après quelques tentatives pour s'opposer à ce mouvement, Hunéric se convainquit de son impuissance. Tout le massif de l'Aourès échappa dès lors à l'autorité vandale, et les tribus indépendantes se donnèrent la main depuis cette montagne jusqu'au Djerdjera, de sorte que l'empire vandale se trouva réduit aux régions littorales de la Numidie et de la Proconsulaire et à quelques parties de l'intérieur de ces provinces. Dressés à la guerre par Genséric, les indigènes étaient devenus des adversaires redoutables et, du reste, il ne manquait pas, parmi les colons ruinés ou les officiers persécutés pour leur religion, de chefs habiles capables de les conduire.
Cruautés de Hunéric.--Mais Hunéric se préoccupait peu de faire respecter les limites de son empire: le soin de satisfaire ses passions sanguinaires l'absorbait uniquement et, après avoir persécuté les catholiques, il persécutait ses proches et ses amis. Genséric avait institué comme règle pour la succession au trône vandale, que le pouvoir appartiendrait toujours à l'homme le plus âgé de la famille, au décès du prince régnant, même au détriment de ses fils. Soit pour modifier les effets de cette clause, soit par crainte des compétitions, Hunéric s'attacha à diminuer le nombre des membres de sa famille. La femme et le fils aîné de son frère Théodoric, accusés d'un crime imaginaire, furent décapités par son ordre. Un autre fils et deux filles de Théodoric furent livrés aux bêtes. Ce n'était pas assez; Théodoric, lui-même, Genzon, autre frère du roi, et un de ses neveux, furent exilés et maltraités avec une dureté inouïe. Si les proches parents du prince étaient traités de cette façon, on peut deviner comment il agissait envers ses serviteurs ou ses officiers: pour un soupçon, pour un caprice, il les faisait périr dans les tourments. Jocundus, évêque arien de Karthage, ayant essayé de rappeler le roi à des sentiments d'humanité fut, par son ordre, brûlé en présence de la population 248.
Concile de Karthage. Mort de Hunéric.--Zenon, empereur d'Orient, ayant adressé à Hunéric des représentations au sujet des souffrances de la religion catholique, le roi convoqua, en 584, à Karthage, un concile où tous les évêques orthodoxes, donatistes et ariens de l'Afrique furent appelés. Il est inutile de dire qu'ils ne purent s'entendre, et comme les Ariens étaient en majorité, les catholiques furent condamnés. Hunéric, s'appuyant sur cette décision, rendit alors un édit longuement motivé, où la main des prêtres se reconnaît, car il contient comme préambule une longue controverse sur des questions de dogme et la condamnation officielle du principe de la consubstantialité du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Comme sanction, il édicté de nouvelles mesures de coercition contre les catholiques. Cet édit fut exécuté avec la plus grande rigueur. Les églises catholiques furent remises aux prêtres ariens.
Enfin, le 13 décembre 484, le régime de terreur, qui durait depuis huit années, prit fin par la mort de Hunéric. Les écrivains catholiques prétendent qu'il mourut rongé par les vers.
Règne de Gondamond.--Gondamond ou Gunthamund, fils de Genzon, succéda à son oncle Hunéric, en vertu des règles posées par Genséric. Il se trouva aussitôt aux prises avec les révoltes des Berbères et ne put empêcher les indigènes de recouvrer entièrement leur indépendance sur toute la ligne des frontières du Sud et de l'Ouest. Les Gétules s'avancèrent même jusqu'auprès de Kapça 249.
Après avoir continué, pendant quelque temps, les persécutions contre les catholiques, Gondamond se départit de sa rigueur et finit, vers 487, par les laisser entièrement libres. Les orthodoxes rentrèrent d'exil et reprirent peu à peu possession de leurs biens et de leurs églises. La lutte contre les Berbères absorbait presque tout son temps et ses forces; aussi, pour être tranquille du côté de l'Europe, se décida-t-il à conclure avec Théodoric, souverain de l'Italie, un traité par lequel il lui abandonna le reste de la Sicile.
Au mois de septembre 496, la mort termina brusquement sa carrière.
Règne de Trasamond.--Après la mort de Gondamond, son frère Trasamond hérita de la royauté vandale. Ce prince continua l'œuvre d'apaisement commencée par son prédécesseur, et, bien qu'il fût ennemi du catholicisme, il ne persécuta plus les sectateurs de cette religion par la violence, et se borna à chercher à les en détacher en offrant des avantages matériels à ceux qui étaient disposés à entrer dans le giron de l'arianisme et en refusant tout emploi aux autres. Mais il ne permit pas la réorganisation de l'église orthodoxe et il exila en Sardaigne des évêques qui s'étaient permis de faire des nominations.
Il resserra, dans le cours de son règne assez paisible, les liens qui unissaient la cour vandale à celle des Ostrogoths, et leurs bonnes relations furent scellées par son mariage avec Amalafrid, propre sœur de Théodoric. Cela ne l'empêcha pas en 510 de prêter son appui à Gesalic.
Cependant l'attitude des Berbères devenait de plus en plus menaçante: ce n'étaient plus des sujets rebelles, c'étaient des ennemis de la domination vandale qu'il fallait combattre. Dans la Tripolitaine, la situation était devenue fort critique. Vers 520, un indigène de cette contrée, nommé Gabaon, s'était mis à la tête des Berbères et attaquait incessamment la frontière méridionale de la Byzacène.
Trasamond fit marcher contre eux un corps de troupes composé en grande partie de cavalerie, et la rencontre eut lieu en avant de Tripoli; mais Gabaon employa contre eux une stratégie dont nous verrons les tribus arabes se servir fréquemment plus tard. Il couvrit son front, auquel il donna la forme d'un demi-cercle, d'une décuple rangée de chameaux et fit placer ses archers entre les jambes de ces animaux, tandis que le gros de ses guerriers et ses bagages étaient abrités au milieu de cette forteresse vivante. Lorsque les Vandales voulurent charger l'ennemi, ils ne surent où frapper, et leurs chevaux, effrayés par l'odeur des chameaux, portèrent le désordre dans leurs propres lignes. Pendant ce temps, les archers les criblaient de traits. Les guerriers de Gabaon, sortant de leur retraite, achevèrent de mettre en déroute leurs ennemis. De toute l'armée vandale, il ne rentra à Karthage que quelques fuyards isolés 250.
En 523, Trasamond cessa de vivre. On dit que, sur le point de mourir, il recommanda à son successeur Hildéric d'user de tolérance envers les catholiques.
Règne de Hildéric.--Hildéric, fils d'Hunéric, succéda à Trasamond. Son premier soin fut de rendre aux catholiques les faveurs du pouvoir et de s'attacher à les réconcilier avec les ariens. Dans ce but, il convoqua, en 524, à Karthage, un nouveau concile; mais, comme dans les précédents, il fui impossible aux évêques d'arriver à une entente, et la controverse à laquelle ils se livrèrent démontra une fois de plus l'impossibilité d'une réconciliation.
Amalafrid, veuve de Trasamond, était l'ennemie du roi; avec l'appui des Goths qui se trouvaient à la cour, elle tenta de susciter une révolte qui fut promptement apaisée. Arrêtée, tandis qu'elle cherchait, avec ses adhérents, un refuge chez les Maures, elle fut jetée en prison; les Goths furent exécutés, et elle-même périt quelque temps après de la main du bourreau. Il en résulta une rupture avec les Ostrogoths d'Italie; mais ceux-ci étaient trop occupés chez eux pour qu'on eût lieu de les craindre.
Hildéric se rapprocha alors de la cour d'Orient. Justinien, avec lequel il s'était lié pendant son séjour à Constantinople, venait de monter sur le trône. Il sollicita son appui et ne craignit pas de faire envers lui hommage de vassalité. Pour lui prouver son zèle, il voulut que ses propres monnaies portassent l'effigie de l'empereur.
Révoltes des Berbères. Usurpation de Gélimer.--Hildéric, doué d'un caractère timide, était ennemi de la guerre et laissait d'une manière absolue la direction des affaires militaires à son général Oamer, appelé l'Achille vandale. Les indigènes de la Byzacène s'étant mis en état de révolte, Oamer marcha contre eux, mais il fut défait en bataille rangée par ces Berbères commandés par leur chef Antallas. Toute la Byzacène recouvra son indépendance, et les villes du nord, menacées par les rebelles, durent improviser des retranchements pour résister à leurs attaques imminentes.
Cet échec acheva de porter à son comble le mécontentement général, déjà provoqué par la protection accordée aux catholiques, par la rupture avec les Ostrogoths et par l'hommage de soumission fait à l'empire: Gélimer, petit-fils de Genzon, profitait de ces circonstances pour se créer un parti. Chargé de combattre les Maures, il remporta sur eux quelques avantages qui augmentèrent son ascendant sur l'armée. Il saisit cette occasion pour faire proclamer par les soldats la déchéance d'Hildéric et obtenir la royauté à sa place. Ayant marché sur Karthage, il s'en empara. Hildéric fut jeté en prison (531).
Lorsque Justinien apprit cette nouvelle, il était absorbé par sa guerre contre les Perses et ne pouvait s'occuper efficacement de porter secours à son ami et vassal. Il dut se contenter d'envoyer une ambassade à Gélimer pour l'engager à restituer la liberté et le trône au prince captif. Le seul résultat qu'obtinrent les envoyés fut de rendre plus dure la captivité d'Hildéric. Puis, par une sorte de bravade, Gélimer fit crever les yeux à Oamer.
L'empereur d'Orient écrivit alors à Gélimer une lettre dans laquelle il l'invitait à laisser Hildéric et ses parents se réfugier en Orient, à sa cour, le menaçant d'intervenir par les armes, s'il refusait de le faire. Gélimer lui répondit dans des termes hautains que Procope nous a transmis: «Je ne dois point ma royauté à la violence... Hildéric complotait contre sa propre famille: c'est la haine de tous les Vandales qui l'a renversé. Le trône était vacant; je m'y suis assis en vertu de mon âge et de la loi de succession.» Après cette déclaration, il ajoutait comme réponse aux menaces: «Un prince agit sagement lorsque, livré tout entier à l'administration de son royaume, il ne porte pas ses regards au dehors et ne cherche pas à s'immiscer dans les affaires des autres états. Si tu romps les traités qui nous unissent, j'opposerai la force à la force...».
Cette fière déclaration allait avoir pour conséquence la chute de la royauté vandale et la soumission de l'Afrique à de nouveaux maîtres.
CHAPITRE XI
PÉRIODE BYZANTINE
531-642
Justinien prépare l'expédition d'Afrique.--Départ de l'expédition. Bélisaire débarque à Caput-Vada.--Première phase de la campagne.--Défaite des Vandales conduits par Ammatas et Gibamond.--Succès de Bélisaire. Il arrive à Karthage.--Bélisaire à Karthage.--Retour des Vandales de Sardaigne. Gélimer marche sur Karthage.--Bataille de Tricamara.--Fuite de Gélimer.--Conquêtes de Bélisaire.--Gélimer se rend aux Grecs.--Disparition des Vandales d'Afrique.--Organisation de l'Afrique byzantine; état des Berbères.--Luttes de Salomon contre les Berbères.--Révolte de Stozas.--Expéditions de Salomon.--Révolte des Levathes; mort de Salomon.--Période d'anarchie.--Jean Troglita gouverneur d'Afrique; il rétablit la paix.--État de l'Afrique au milieu du vie siècle.--L'Afrique pendant la deuxième moitié du vie siècle.--Derniers jours de la domination byzantine.--Appendice: Chronologie des rois Vandales.
Justinien prépare l'expédition d'Afrique.--Seul héritier de l'empire romain, Justinien nourrissait l'ambition de le rétablir dans son intégrité et d'arracher aux barbares leurs conquêtes de l'Occident. C'est pourquoi l'hommage d'Hildéric avait été accueilli à la cour de Byzance avec la plus grande faveur: la chute du royaume vandale, en livrant à l'empereur la belle et fertile Afrique, était aussi une première étape vers la reconstitution de l'empire. La nouvelle de l'usurpation de Gélimer, arrivant sur ces entrefaites, émut Justinien «comme si on lui avait arraché une de ses provinces» 251. Renonçant à poursuivre la guerre dispendieuse qu'il soutenait contre les Perses depuis cinq ans, il leur acheta la paix moyennant un tribut évalué à onze millions de francs, et s'appliqua à préparer l'expédition d'Afrique malgré l'opposition qu'il rencontra chez ses ministres, effrayés de la grandeur de l'entreprise. On dit même qu'il fut un instant sur le point d'y renoncer et que c'est la prédiction d'un évêque d'Orient, saint Sabas, lui promettant le succès, qui le décida à réaliser son projet. Il apprit alors qu'un Africain, du nom de Pudentius, venait de s'emparer de Tripoli et lui offrait d'entreprendre pour lui des conquêtes, s'il recevait l'appui de quelques troupes. En même temps un certain Godas, chef goth, qui commandait en Sardaigne pour les Vandales, se mettait en état de révolte et offrait aussi son concours à l'empire.
Tous ces symptômes indiquaient que le moment d'agir était arrivé. Justinien le comprit et organisa immédiatement l'expédition dont le commandement fut confié à Bélisaire, habile général, jouissant d'une grande autorité sur les troupes et d'une réelle influence à la cour par sa femme Antonina, amie de l'impératrice. Des soldats réguliers, des volontaires de divers pays, et même des barbares, Hérules et Huns, accoururent avec enthousiasme au camp du général, où bientôt une quinzaine de mille hommes, dont un tiers de cavaliers, se trouvèrent réunis. On s'arrêta à ce chiffre, jugeant, avec raison, qu'une petite armée solide et bien dirigée était préférable à un grand rassemblement sans cohésion. Les officiers furent choisis avec soin par le général, parmi eux se trouvaient Jean l'Arménien, préfet du prétoire, et Salomon, dont les noms reviendront sous notre plume; presque tous les autres officiers étaient originaires de la Thrace. Le patrice Archelaüs fut adjoint à l'expédition comme questeur ou trésorier. Cinq cents vaisseaux de toute grandeur furent rassemblés pour le transport de l'expédition; vingt mille marins les montaient.
Départ de l'expédition. Bélisaire débarque à Caput-Vada.--En 533, «vers le solstice d'été» 252, on donna l'ordre de l'embarquement et ce fut l'occasion d'une imposante cérémonie à laquelle présida l'empereur. L'archevêque Epiphanius, en présence du peuple et de l'armée bénit le vaisseau où s'embarqua Bélisaire, accompagné de sa femme et de Procope, son secrétaire, qui nous a retracé l'histoire si complète de cette expédition. L'immense flotte se mit en route et voyagea lentement, troublée quelquefois dans sa marche par la tempête, et faisant souvent escale dans les ports situés sur son chemin, pour se remettre de ces secousses, ou se ravitailler. Bélisaire montra dans ce voyage autant d'habileté que de fermeté; comme tous les hommes de guerre, il savait qu'il n'y a pas d'armée sans discipline et réprimait avec la dernière rigueur toute infraction aux règles, sans s'arrêter aux murmures ou aux menaces des auxiliaires.
Enfin on atteignit le port de Zacinthe en Sicile, où l'armée, qui souffrait cruellement de la mauvaise qualité des vivres et de l'eau, put se refaire. Bélisaire manquait de nouvelles sur la situation et les dispositions des Vandales et était fort incertain sur le choix du point de débarquement. Il chargea Procope de se rendre à Syracuse pour tâcher d'obtenir des renseignements et en même temps passer un marché avec les Ostrogoths pour l'approvisionnement de la flotte et de l'armée. L'envoyé fut assez heureux pour apprendre d'une manière sûre que les Vandales, ne s'attendant nullement à une attaque de l'empire, avaient envoyé presque toutes leurs forces en Sardaigne à l'effet de réduire Godas. Quant à Gélimer, il s'était retiré à Hermione, ville de la Byzacène, et ne songeait nullement à défendre Karthage.
Ainsi renseigné, Bélisaire donna l'ordre de mettre à la voile en se dirigeant à l'ouest de Malte. Parvenue à la hauteur de cette île, la flotte fut poussée par le vent vers la côte d'Afrique, en face du sommet du golfe de Gabès; elle était partie depuis trois mois. Avant de procéder au débarquement, le général en chef fit mettre en panne et convoqua un conseil de guerre des principaux officiers à son bord. Archélaüs, effrayé de l'éloignement de la localité et du manque de ports pour abriter les navires, voulait que l'on remît à la voile et qu'on allât directement à Karthage. Mais Bélisaire n'était pas de cet avis; il redoutait la rencontre de la flotte vandale, et craignait que son armée ne perdît ses avantages dans un combat naval. Son opinion ayant prévalu, il ordonna aussitôt le débarquement, qui s'opéra sans encombre au lieu dit Caput-Vada 253. Des soldats furent laissés à la garde des navires qui furent en outre disposés dans un ordre permettant la résistance à une attaque de l'ennemi. A terre, le général s'attacha à couvrir son camp de retranchements et à se garder soigneusement par des avant-postes; toute tentative de pillage ou de maraudage fut sévèrement réprimée. Cette prudence, cette observation constante des règles de la guerre, allaient assurer le succès de l'expédition.
Première phase de la campagne.--Cependant Gélimer, toujours à Hermione, ignorait encore le danger qui le menaçait. Les nouvelles données par Procope étaient exactes. Après la double perte de la Tripolitaine et de la Sardaigne, le prince vandale, remettant à plus tard le soin de faire rentrer sous son autorité la province orientale, réunit cinq mille soldats et les envoya en Sardaigne sous le commandement de son frère Tzazon, un des meilleurs officiers vandales. Une flotte de cent vingt vaisseaux les conduisit dans cette île, et aussitôt les opérations commencèrent contre Godas.
Le roi vandale suivait attentivement les phases de l'expédition de Sicile, lorsqu'il apprit enfin le débarquement de l'armée byzantine en Afrique, et sa marche sur ses derrières. Bélisaire, en effet, après s'être emparé sans coup férir de la petite place de Sylectum 254 avait marché, dans un bel ordre, vers le nord, accompagné au large par la flotte, et avait pris successivement possession de Leptis parva et d'Hadrumète 255, accueilli comme un libérateur par les populations. Il paraît même que les Berbères de la Numidie et de la Maurétanie lui envoyèrent des députations, offrant leur soumission à l'empereur et donnant comme otages les enfants de leurs chefs. En même temps, le général byzantin adressait aux principales familles vandales un manifeste de Justinien protestant qu'il ne faisait pas la guerre à leur nation, mais qu'il combattait seulement l'usurpateur Gélimer.
Bientôt l'on apprit que l'armée envahissante n'était plus qu'à quatre journées de Karthage. Gélimer écrivit à son frère Ammatas, resté dans cette ville, en lui donnant l'ordre de mettre à mort Hildéric et ses partisans, et d'appeler aux armes tous les hommes valides. Oamer était mort. Hildéric fut massacré avec tous les gens soupçonnés d'être ses amis. Puis Ammatas conduisit ses troupes en avant de Karthage, dans les gorges de Décimum, à une quinzaine de kilomètres de cette ville. Gélimer, qui opérait sur son flanc avec une autre armée, devait tenter de tourner l'ennemi, tandis que Gibamund, neveu du roi, avait pour mission d'attaquer le flanc gauche des envahisseurs à la tête de deux mille Vandales. Ce plan était assez bien combiné et aurait pu avoir des suites fâcheuses pour l'armée de Bélisaire, si l'on avait su le réaliser.
Défaites des Vandales conduits par Ammatas et Gibamund.--Ammatas avait donné à ses troupes l'ordre du départ, mais, comme il était d'un caractère ardent et téméraire, il se porta à l'avant-garde et hâta la marche de la tête de colonne, sans s'inquiéter s'il était suivi par le reste de l'armée. Il arriva vers midi à Décimum, à la tête de peu de monde et y rencontra l'avant-garde des Byzantins, commandée par Jean l'Arménien. Aussitôt, on en vint aux mains: malgré le courage d'Ammatas. qui combattit comme un lion et tomba percé de coups, les Vandales ne tardèrent pas à tourner le dos. Jean les poursuivit l'épée dans les reins et rencontra bientôt le reste des soldats, qui arrivaient par groupes isolés. Il en fit un grand carnage et s'avança jusqu'aux portes de Karthage.
Pendant ce temps, Gibamund s'approchait avec ses deux mille hommes pour attaquer le flanc gauche, lorsqu'il rencontra, dans la plaine qui avoisine la Saline (Sebkha de Soukkara), le corps des Huns envoyé en reconnaissance. A la vue de ces farouches guerriers, les Vandales sentirent leur courage faiblir; ils rompirent leurs rangs et furent bientôt en déroute, en laissant la plupart des leurs sur le champ de bataille.
Succès de Bélisaire. Il arrive à Karthage.--Bélisaire, ignorant le double succès de son avant-garde et de ses flanqueurs, s'arrêta en arrière de Décimum et plaça son camp dans une position avantageuse où il se fortifia. Le lendemain, laissant dans le camp son infanterie, ses impedimenta et sa femme Antonina, il se mit à la tête d'une forte colonne de cavalerie et alla pousser une reconnaissance sur Décimum. Les cadavres des Vandales lui firent deviner la victoire de son avant-garde et les informations qu'il prit sur place confirmèrent cette présomption, mais il ne put avoir aucune nouvelle précise de Jean l'Arménien.
Au même moment Gélimer débouchait dans la plaine où il espérait retrouver son frère. Il était à la tête d'un corps nombreux de cavalerie. Ayant rencontré les coureurs de Bélisaire, disséminés par petits groupes, il les attaqua avec vigueur et les mit en déroute. Puis, parvenu à Décimum, il trouva, lui aussi, les preuves de la défaite de son frère et le corps de celui-ci. Rempli de douleur, ne sachant ce qui se passait à Karthage, il demeura dans l'inaction, au lieu de compléter son succès en écrasant les ennemis peu nombreux qu'il avait devant lui et qui étaient démoralisés par leur premier échec.
Tandis que Gélimer s'occupait des funérailles de son frère, le général byzantin, voyant le grand danger auquel il était exposé, ralliait ses fuyards, relevait leur courage en leur annonçant les succès déjà remportés sur lesquels il était enfin renseigné, et, tentant un effort désespéré, les entraînait dans une charge furieuse contre les Vandales. Gélimer, surpris par cette attaque imprévue, n'eut pas le temps de former ses lignes et vit bientôt toute son armée en déroute. Il alla se réfugier à Bulla. Le lendemain, toute l'armée byzantine campa à Décimum, y compris l'avant-garde et le corps des Huns. Le manque de décision de Gélimer avait consommé sa perte au moment où il tenait la victoire 256. Bélisaire marcha aussitôt sur Karthage.
Note 256: (retour) M. Marcus (Hist. des Vandales, p. 378), cherche à excuser Gélimer de la grande faute par lui commise en laissant à Bélisaire le temps de rallier ses fuyards, au lieu de l'écraser et de rentrer ensuite à Karthage. Il estime que le roi vandale était trop peu sûr de la population de cette ville pour venir ainsi se mettre à sa discrétion; et cependant il était certain qu'en l'abandonnant, il la livrait à ses ennemis.
Bélisaire à Karthage.--L'arrivée des fuyards de Décimum avait apporté à Karthage la nouvelle des succès de l'armée d'Orient. Aussitôt le vieux parti romain avait relevé la tête et, aidé des ennemis de Gélimer, s'était emparé du pouvoir en forçant à la fuite les adhérents de l'usurpateur. Sur ces entrefaites la flotte grecque, doublant le cap de Mercure, parut au large. Le questeur Archélaüs, ignorant les succès du général et les dispositions bienveillantes de la population de Karthage, fit entrer tous ses navires dans le golfe de Tunis. Un seul vaisseau, commandé par Calonyme, s'écarta, au mépris des ordres donnés, du gros de la flotte, et alla se présenter devant le Mandracium, premier port de Karthage, qu'il trouva ouvert. Le capitaine y ayant pénétré mit ses hommes à terre et employa toute la nuit au pillage des marchands, étrangers pour la plupart, établis aux alentours du port.
Le lendemain, Bélisaire, averti de l'arrivée de sa flotte, entra dans Karthage sans rencontrer de résistance et, ayant traversé la ville, monta sur la colline de Byrsa où se trouvait le palais royal. «Comme représentant de Justinien, il s'assit sur le trône de Gélimer 257» et prononça sa déchéance. Fidèle au principe suivi dans cette remarquable campagne, Bélisaire veilla avec le plus grand soin à ce qu'aucun pillage ne fût commis, et il fit restituer aux marchands ce qui leur avait été pris par Calonyme et ses hommes (septembre 533). Un grand nombre de Vandales avaient cherché un refuge dans les églises. Le général leur permit de sortir sans être inquiétés; puis il s'appliqua à relever les fortifications de Karthage, qui étaient fort délabrées et à mettre cette ville en état de défense.
Bien que les Vandales tinssent encore la campagne et qu'il y eût lieu de craindre le retour de Tzazon avec l'armée de Sardaigne, on pouvait, dès lors, considérer le succès de l'expédition comme assuré. La province d'Afrique rentrait dans le giron de l'empire et sa belle capitale allait refleurir sous la protection de Justinien, dont elle devait prendre le nom. Les églises catholiques que les Ariens occupaient rentrèrent aussitôt en la possession des orthodoxes, qui célébrèrent avec éclat les victoires de Bélisaire «si manifestement secondé par la protection divine.» Les chefs indigènes qui, nous l'avons vu, avaient d'abord envoyé leur hommage au représentant de l'empereur, s'étaient ensuite tenus dans l'expectative afin de ne pas se compromettre. Après l'entrée de Bélisaire à Karthage, ils ouvrirent auprès de lui de nouvelles négociations, à l'effet d'obtenir une investiture officielle. Le général accueillit avec faveur ces ouvertures et envoya pour chacun d'eux: «une baguette d'argent doré, un bonnet d'argent en forme de couronne, un manteau blanc qu'une agrafe d'or attachait sur l'épaule droite, une tunique qui, sur un fond blanc, offrait des dessins variés, et des chaussures travaillées avec un tissu d'or. Il joignit à ces ornements de grosses sommes d'argent 258.»
Retour des Vandales de Sardaigne. Gélimer marche sur Karthage.--Cependant Gélimer ne restait pas inactif, bien qu'il continuât à se tenir à distance. Il reformait son armée et encourageait les pillards indigènes à harceler sans cesse les environs de Karthage; il alla même jusqu'à leur payer chaque tête de soldat grec qui lui serait apportée.
En même temps, il adressait à son frère Tzazon une lettre pressante, dans laquelle il lui rendait compte des événements survenus en Afrique et l'invitait à revenir au plus vite. Ce général, avec ses cinq mille guerriers choisis, avait obtenu de brillants succès en Sardaigne, vaincu et mis à mort Godas et replacé l'île sous l'autorité vandale. Il avait bien entendu dire qu'une flotte grecque avait tenté une expédition en Afrique, mais il était persuadé que cette attaque avait été facilement repoussée. Aussi avait-il envoyé à Karthage même, au «roi des Vandales et des Alains», un député chargé de rendre compte de ses victoires, et c'est Bélisaire qui avait reçu sa lettre!
Sans se laisser abattre par la nouvelle des prodigieux événements qui avaient mis Karthage aux mains des Grecs, ni rien cacher à ses soldats, Tzazon fit embarquer aussitôt son armée et vint prendre terre sur un point de la côte «où se rencontrent les frontières de la Numidie et de la Maurétanie 259», puis il se porta rapidement sur Bulla, où les deux frères opérèrent leur jonction.
Les forces vandales, grâce à ce renfort, devenaient respectables. Peu après Gélimer fit un mouvement en avant, coupa l'aqueduc de Karthage et opéra diverses reconnaissances offensives dans le but d'attirer Bélisaire sur un terrain choisi. En même temps, il chercha à fomenter des trahisons à Tunis et entra en pourparlers avec les Huns, afin de les détacher de leurs alliés.
Mais Bélisaire était au courant de tout, et ne se laissait pas prendre aux feintes des Vandales, Il tâcha de ramener à lui les Huns, mais ne put obtenir d'eux que la promesse de rester neutres.
Bataille de Tricamara.--Vers le milieu de décembre, Bélisaire se décida à marcher à l'ennemi. Les deux armées se trouvèrent en présence au lieu dit Tricamara, à environ sept lieues de Karthage, et prirent position, chacune sur une des rives d'un petit ruisseau. Bélisaire plaça au centre de son front Jean l'Arménien avec les cavaliers d'élite et le drapeau. Les Huns se tenaient à l'écart, afin de voir quelle tournure allait prendre la bataille, pour se joindre au vainqueur. Les Vandales, de leur côté, présentaient un front au centre duquel étaient le roi, Tzazon et les soldats d'élite. En arrière se tenait un corps de cavaliers maures dans les mêmes dispositions que les Huns. Les femmes, les impedimenta et toutes les richesses avaient été laissées dans le camp par les Vandales.
Les ennemis s'observèrent pendant un certain temps; puis Jean l'Arménien entama l'action en faisant passer le ruisseau à sa division: deux fois il fut contraint à la retraite, mais ayant enflammé le courage de ses troupes, il les ramena à l'assaut une troisième fois et on lutta de part et d'autre avec le plus grand courage, jusqu'au moment où, Tzazon ayant été tué, les Vandales commencèrent à faiblir. Bélisaire saisit avec habileté cet avantage pour faire donner sa cavalerie. Alors les ailes se replièrent en désordre; ce que voyant, les Huns chargèrent à leur tour et déterminèrent la retraite de l'armée vandale, qui se réfugia dans son camp, en laissant huit cents cadavres sur le terrain.
Sur ces entrefaites, comme l'infanterie grecque était arrivée, Bélisaire donna l'ordre de marcher sur le camp vandale. Gélimer occupant une position fortifiée et ayant encore un grand nombre d'adhérents était en état de résister. Mais les malheurs qu'il venait d'éprouver l'avaient complètement démoralisé, car son âme n'était pas de la trempe de celles dont l'énergie est doublée par les revers; à l'approche de l'ennemi, il abandonna lâchement ses adhérents et s'enfuit à cheval, comme un malfaiteur, suivi à peine de quelques serviteurs dévoués. Lorsque cette nouvelle fut connue dans son camp, ce fut une explosion d'imprécations et de cris de désespoir; les femmes, les enfants se répandirent en tous sens en pleurant, et bientôt chacun chercha son salut dans la fuite, sans s'occuper de son voisin.
L'armée grecque, survenant alors, s'empara, sans coup férir, du camp et fit un massacre horrible des fuyards. Les vainqueurs se portèrent aux plus grands excès que Bélisaire ne put absolument empêcher (15 décembre 533). Le camp vandale renfermait un butin considérable: c'était le produit de cinquante années de pillage. L'armée victorieuse resta débandée toute la nuit et ce ne fut qu'au jour que le général put commencer à rallier ses soldats. Si un homme courageux, réunissant les Vandales, avait tenté un retour offensif, c'en était fait de l'armée de l'empire.
Fuite de Gélimer.--Quand Bélisaire fut parvenu à calmer l'effervescence de ses troupes, il montra une grande bienveillance aux vaincus, et empêcha qu'on n'exerçât des représailles inutiles.
Jean l'Arménien avait été lancé, à la tête d'une troupe de deux cents cavaliers, à la poursuite de Gélimer. Pendant cinq jours il suivit ses traces et était sur le point de l'atteindre, lorsqu'un événement imprévu permit au roi détrôné d'échapper à ses ennemis. Un officier grec du nom d'Uliaris, qui, pendant la station à l'étape, avait trouvé le loisir de s'enivrer, voulut, au moment de partir, tirer une flèche sur un oiseau; mais le projectile, mal dirigé, alla frapper à la tête Jean l'Arménien et causa sa mort. La poursuite fut suspendue. Les cavaliers, qui aimaient beaucoup leur chef, s'arrêtèrent pour lui rendre les devoirs funéraires et firent porter la triste nouvelle au général en chef. Bélisaire arriva bientôt et témoigna, au nom de l'armée, les plus vifs regrets de la perte de son lieutenant. Il voulait faire périr Uliaris, mais les cavaliers l'assurèrent que les dernières paroles de Jean avaient été pour implorer le pardon de son meurtrier, et il se décida à lui accorder sa grâce.
Conquêtes de Bélisaire.--Le roi s'était réfugié dans le mont Pappua, montagne escarpée, située sur les confins de la Numidie et de la Maurétanie 260. Il avait obtenu l'appui des indigènes de cette contrée qui lui avaient ouvert leur ville principale, nommée Midènos. Bélisaire renonça pour le moment à le poursuivre. Il marcha sur Hippône et s'empara de cette ville. Un grand nombre de Vandales s'y trouvaient et, pour échapper au trépas qu'ils redoutaient, s'étaient réfugiés dans les églises. Bélisaire les fit conduire à Karthage où ils furent réunis aux autres prisonniers. Au moment où les affaires semblaient prendre une mauvaise tournure pour lui, Gélimer avait envoyé à Hippône tous ses trésors, en les confiant à un serviteur fidèle du nom de Boniface. Celui-ci voulut les soustraire au vainqueur en fuyant sur mer, mais les vents contraires le rejetèrent à Hippone et tout ce qu'il portait devint la proie des Grecs.
Note 260: (retour) La situation du Pappua a donné lieu à de nombreuses controverses. La commission de l'Académie avait d'abord identifié cette montagne à l'Edough, près de Bône. Berbrugger (Rev. afr., vol. 6, p. 475), puis M. Papier (Recueil de la Soc. arch. de Constantine, 1879-80, pp. 83 et suiv.), ont démontré l'impossibilité de cette synonymie. Il est plus difficile de dire où était réellement le Pappua. M. Papier, se fondant sur une inscription, penche pour le Nador; mais, en vérité, nous ne sommes pas là sur les confins de la Numidie et de la Maurétanie.
Après ces succès, Bélisaire, rentré à Karthage, envoya par mer des officiers prendre possession de Césarée et de Ceuta, points importants sous le double rapport politique et commercial. Un autre s'empara des Baléares; enfin des secours furent envoyés à Pudentius qui, à Tripoli, était pressé par les indigènes en révolte. Une forte division alla, sous les ordres de Cyrille, reconquérir la Sardaigne. Enfin une autre expédition partit pour la Sicile, afin de revendiquer par les armes la partie de cette île qui avait appartenu aux Vandales; mais les Goths la repoussèrent et ne laissèrent pas entamer le domaine d'Atalaric.
Gélimer se rend aux Grecs.--Bélisaire ayant appris le lieu où s'était réfugié Gélimer, de la bouche de son serviteur Boniface, envoya pour le réduire un Hérule, du nom de Fara, avec une troupe de cavaliers de sa nation. Après avoir en vain essayé d'enlever Midènos de vive force, Fara dut se borner à entourer cette ville d'un blocus rigoureux. Gélimer, qui avait avec lui quelques membres de sa famille et ses derniers adhérents fidèles, manquait de tout et ne pouvait se faire à la dure vie des indigènes dans un pays élevé, où le froid se faisait cruellement sentir. Néanmoins, il résista durant trois mois à toutes les privations, et ce ne fut qu'à la fin de l'hiver qu'il se décida à se rendre, à la condition que Bélisaire lui garantît la vie sauve.
Cette proposition, transmise par Fara au général, fut accueillie avec empressement. Bélisaire dépêcha à Midènos des officiers chargés de lui donner sa promesse et de le ramener sain et sauf. Gélimer fut reçu à l'entrée de Karthage par son vainqueur (534). Peu après, Bélisaire s'embarquait pour Byzance, afin de remettre lui-même son prisonnier à l'empereur. Son but était non seulement de recevoir des honneurs bien mérités, mais encore de se justifier des accusations que les envieux avaient produites contre lui. En quittant l'Afrique, il laissa le commandement suprême à Salomon avec une partie de ses vétérans.
Justinien, plein de reconnaissance pour celui qui avait rendu l'Afrique à l'empire, lui décerna le triomphe, honneur qui n'avait été donné à aucun général depuis cinq siècles. Gélimer, revêtu d'un manteau de pourpre, fut placé dans le cortège et dut, arrivé devant l'empereur, se dépouiller de cet insigne, se prosterner et adorer son maître. Bélisaire reçut le titre de consul. Quant à Gélimer, on lui assigna un riche domaine en Galatie, dans l'Asie Mineure, et le dernier roi vandale y finit tranquillement et obscurément sa vie.
Disparition des Vandales d'Afrique.--En moins de six mois l'Afrique avait cessé d'être vandale, ce qui prouve combien peu de racines cette occupation avait poussées dans le pays. Après la brillante conquête qui leur avait livré la Berbérie, les Vandales s'étaient concentrés dans le nord de l'Afrique propre et de là s'étaient lancés dans des courses aventureuses qui les avaient conduits en Italie et dans toutes les îles de la Méditerranée. Ainsi, malgré le partage des terres qu'ils avaient opéré, ils n'avaient pas fait, en réalité, de colonisation. Ils s'étaient prodigués dans des guerres qui n'avaient d'autre but que le pillage et, tandis qu'ils augmentaient leurs richesses et leur puissance d'un jour, ils diminuaient, en réalité, leur force comme nation. Aucune assimilation ne s'était faite entre eux et les colons romains; quant aux indigènes, ils continuaient à se reformer et l'on peut dire qu'il n'y avait plus rien de commun entre eux et les étrangers établis sur leur sol.
Cela explique comment, après une occupation qui avait duré un siècle, l'élément vandale disparut subitement de l'Afrique. Un assez grand nombre de guerriers étaient morts dans la dernière guerre; d'autres avaient été emmenés comme prisonniers en Orient par Bélisaire et entrèrent au service de l'empire 261. Or, les Vandales étaient essentiellement un peuple militaire et ainsi l'élément actif se trouva absorbé, car, nous le répétons, il s'était trop prodigué pour avoir augmenté en nombre, quoi qu'en aient dit certains auteurs. Quant au reste de la nation, une partie demeura en Afrique et se fondit bientôt dans la population coloniale ou s'unit aux Byzantins, tandis que les autres, émigrant isolément, allèrent chercher un asile ailleurs.
Les Vandales d'Afrique ne laissèrent d'autre souvenir dans le pays que celui de leurs dévastations. Cela démontre une fois de plus combien est fragile une conquête qui ne se complète pas par une forte colonisation et se borne à une simple occupation, quelque solide qu'elle paraisse.
Organisation de l'Afrique Byzantine. État des Berbères.--Salomon 262, premier gouverneur de l'Afrique, avait reçu la lourde charge d'achever la conquête et d'organiser l'administration du pays. Par l'ordre de l'empereur on forma sept provinces: la Consulaire, la Byzacène, la Tripolitaine, la Tingitane gouvernées par des consuls, et la Numidie, la Maurétanie et la Sardaigne commandées par des præses. Mais cette organisation était plus théorique que réelle. Sur bien des points le pays restait absolument livré à lui-même. Ainsi, dans la Tingitane et même dans la plus grande partie de la Césarienne, l'occupation se réduisait à quelques points du littoral. Des garnisons furent envoyées dans l'intérieur de la Numidie. Elles trouvèrent les villes en ruines et s'appliquèrent à élever des retranchements, au moyen des pierres éparses provenant des anciens édifices 263. Quelques colons se hasardèrent à la suite des soldats. «Que nos officiers s'efforcent avant tout de préserver nos sujets des incursions de l'ennemi et d'étendre nos provinces jusqu'au point où la république romaine, avant les invasions des Maures et des Vandales, avait fixé ses frontières.....» telles étaient les instructions données par l'empereur 264.
En même temps, la religion catholique fut rétablie dans tous ses privilèges; par un édit de 535 les Ariens furent mis hors la loi, dépouillés de leurs biens et exclus de toute fonction. La pratique de leur culte fut sévèrement interdite. Les Donatistes et autres dissidents et les Juifs furent également l'objet de mesures de proscription. C'était encore semer des germes de mécontentement et de haine qui ne devaient pas contribuer à asseoir solidement l'autorité byzantine.
Justinien voulait rendre aux provinces d'Afrique leurs anciennes limites; mais la situation du pays était profondément modifiée et, si les Vandales avaient disparu, il restait la population berbère qui avait reconquis peu à peu une partie des territoires abandonnés par les colons, à la suite de longs siècles de guerres et d'anarchie, et qui, réunie maintenant en corps de nation, n'était nullement disposée à laisser la colonisation reprendre son domaine. Bien au contraire, l'élément indigène se resserrait de toute part, autour de l'occupation étrangère.
Les Berbères, groupés par confédérations de tribus, avaient maintenant des rois prêts à les conduire au combat et au pillage. Antalas était chef des Maures de la Byzacène. Yabdas était roi indépendant du massif de l'Aourès, ayant à l'est Cutzinas et à l'ouest Orthaïas, dont l'autorité s'étendait jusqu'au Hodna. Enfin les tribus de la Maurétanie obéissaient à Massinas. Voilà les chefs de la natioïî indigène contre lesquels les troupes de l'empereur allaient avoir à lutter.
Cette reconstitution de la nationalité berbère a été très bien caractérisée par M. Lacroix auteur que nous ne saurions trop citer: «Les Romains, dit-il, ce peuple si puissant, si habile, si formidable par sa civilisation et sa force conquérante ne s'étaient jamais assimilé les indigènes, dans le sens qu'on attache à ce mot. Le Berbère des villes, des plaines et des vallées voisines des centres de population, fut absorbé par les conquérants, cela va sans dire; mais l'indigène du Sahara et des montagnes ne fut jamais pénétré par l'influence romaine. Après sept siècles de domination italienne, je retrouve la race autochtone ce qu'elle était avant l'occupation. Les insurgés qui, au vie siècle, se firent châtier par Salomon et Jean, dans l'Aurès, dans l'Edough et dans la Byzacène, étaient les mêmes hommes qui combattaient six cents ans auparavant sous la bannière de Jugurtha. Mêmes mœurs, mêmes usages, même haine de l'étranger, même amour de l'indépendance, même manière de combattre... Cette population était restée intacte, imperméable à toute action extérieure... Le nombre immense des insurgés qui tinrent en échec la puissance de Justinien, après l'expulsion des Vandales, et l'impossibilité, pour les Romains, de rétablir leur autorité dans les parties occidentales de leurs anciennes possessions, prouvent clairement que ce fut, non point une faible partie, mais la grande masse des indigènes qui resta impénétrable 265.»
Luttes de Salomon contre les Berbères.--Ce fut la Byzacène qui donna le signal de la révolte. Deux officiers grecs Rufin et Aigan furent envoyés contre les rebelles. Ils avaient obtenu quelques succès partiels, lorsqu'ils se virent entourés par des masses de guerriers berbères commandés par Cutzinas. Les Byzantins se mirent en retraite jusque sur un massif rocheux, d'où ils se défendirent avec la plus grande opiniâtreté; mais leurs flèches étant épuisées, ils finirent par être tous massacrés.
Salomon, ayant reçu des renforts, marcha en personne contre les rebelles et leur infligea une sanglante défaite, dans la plaine de Mamma (535), où les indigènes l'avaient attendu derrière leurs chameaux, forteresse vivante de douze rangs d'épaisseur. Il fit un butin considérable et croyait avoir triomphé de la révolte; mais à peine était-il rentré à Karthage qu'il apprenait que les Berbères avaient de nouveau envahi et pillé la Byzacène. C'était une campagne à recommencer. Cette fois le gouverneur s'avança vers le sud jusqu'à une montagne appelée par Procope le mont Burgaon 266, où les ennemis s'étaient retranchés, et obtint sur eux un nouveau et décisif succès, dans lequel il fut fait un grand carnage de Maures 267.
Pendant ce temps, Yabdas, roi de l'Aourès, allié à Massinas, portait le ravage dans la Numidie. L'histoire rapporte que Yabdas, revenant d'une razia et poussant devant lui un butin considérable, s'arrêta devant la petite place de Ticisi 268, où s'était porté un officier byzantin du nom d'Athias, qui commandait le poste de Centuria, à la tête de soixante-dix cavaliers huns, pour lui disputer l'accès de l'eau. Yabdas lui offrit, dit-on, le tiers de son butin; mais Athias refusa et proposa au roi berbère un combat singulier qui fut accepté et eut lieu en présence des troupes. Yabdas vaincu abandonna tout son butin et regagna ses montagnes 269.
Après la défaite du mont Burgaon, les fuyards et les tribus compromises vinrent chercher asile auprès d'Yabdas, et lui offrirent leurs services. Vers le même temps, Orthaias, qui avait à se plaindre du roi de l'Aourès, et d'autres chefs indigènes mécontents offraient à Salomon leur appui contre Yabdas, et lui proposaient de le guider dans l'expédition qu'il préparait. Le général byzantin s'avança jusque sur l'Abigas 270 et ayant pénétré dans les montagnes parvint jusqu'au mont Aspidis 271, sans rencontrer l'ennemi qui s'était retranché au cœur du pays. Manquant de vivres et voyant l'hiver approcher, Salomon n'osa pas s'engager davantage et rentra à Karthage sans avoir obtenu le moindre succès.
Révolte de Stozas.--Au printemps de l'année 536, Salomon préparait une grande expédition contre l'Aourès, lorsqu'il faillit tomber sous le poignard de ses soldats révoltés. La sévérité des mesures prises contre les Ariens paraît avoir été la cause de cette rébellion à la tête de laquelle était un simple garde nommé Stozas.
Salomon, après avoir échappé aux révoltés, parvint à s'embarquer et à passer en Sicile, où Bélisaire avait été envoyé depuis l'année précédente par l'empereur. La soldatesque, qui s'était livrée à tous les excès, fut réunie par Stozas dans un camp, non loin de Karthage. Les Vandales, des aventuriers de toute origine y accoururent et bientôt Stozas se trouva à la tête de huit mille hommes, avec lesquels il marcha sur Karthage. Mais en même temps, Bélisaire débarquait en Afrique, avec un corps de cent hommes choisis. La présence du grand général ranima le courage de tous et fit rentrer les hésitants dans le devoir. Ayant formé un corps de deux mille hommes, il marcha contre les rebelles qui rétrogradèrent jusqu'à Membresa, sur la Medjerda 272, et leur livra bataille. Mais les soldats de Stozas se dispersèrent dans toutes les directions, après un simulacre de résistance.
Bélisaire voulait s'appliquer à tout remettre en ordre dans sa conquête, lorsqu'il apprit que son armée venait de se révolter en Sicile. Contraint de retourner dans cette île, il laissa le commandement de l'Afrique à deux officiers: Ildiger et Théodore. Aussitôt Stozas qui se tenait à Gazauphyla, à deux journées de Constantine, dans la Numidie, où les fuyards l'avaient rejoint, releva la tête. Le gouverneur de cette province marcha contre lui, à la tête de forces importantes, mais Stozas sut entraîner sous ses étendards la plus grande partie des soldats byzantins. Les officiers furent massacrés et le pays demeura livré à l'anarchie (536).
Germain, neveu de l'empereur, fut chargé de rétablir son autorité en Afrique. Étant arrivé, il s'appliqua à relever la discipline et à reconstituer son armée. Il en était temps, car Stozas marchait sur Karthage et ne se trouvait plus qu'à une vingtaine de kilomètres. Germain sortit bravement à sa rencontre et, comme Stozas avait en vain essayé de débaucher ses soldats, il n'osa pas soutenir leur choc et se mit en retraite poursuivi par Germain jusqu'au lieu dit Cellas-Vatari 273. Là, se tenaient Yabdas et Orthaias avec leurs contingents, et, comme Stozas croyait pouvoir compter sur leur appui, il offrit la bataille à Germain; mais ses soldats, sans cohésion, ne tardèrent pas à plier, ce que voyant, les deux rois maures se jetèrent sur son camp pour le livrer au pillage et achevèrent la déroute de son armée. Stozas se réfugia dans la Maurétanie et Germain put s'appliquera rétablir l'ordre en Afrique.
Expéditions de Salomon.--En 539 Germain fut rappelé par l'empereur et remplacé par Salomon élevé, pour la seconde fois, aux fonctions de gouverneur. Son premier soin, dès son arrivée en Afrique, fut de reprendre l'organisation de l'expédition de l'Aourès, que la révolte avait interrompue trois ans auparavant. Pour s'assurer la neutralité des Maures de la Byzacène, il aurait, paraît-il 274, attribué à Antalas, le commandement de tous les Berbères de l'est, en lui assignant une solde et le titre de fédéré. Au printemps de l'année suivante, il se mit en marche. La campagne débuta mal. Un officier du nom de Gontharis, ayant poussé une reconnaissance jusque sur l'Ouad-Abigas, se heurta à un fort rassemblement et fut contraint de chercher un refuge derrière les murailles de la ville déserte de Baghaï. Les indigènes, se servant des canaux d'irrigation, purent inonder son camp et rendre sa situation intolérable. Il fallut que Salomon lui-même vînt le délivrer. Puis les troupes byzantines, pénétrant dans la montagne, mirent en déroute Yabdas et ses Berbères, malgré leur grand nombre et la force des positions qu'ils occupaient.
Le roi maure s'était réfugié à Zerbula. Salomon vint l'y bloquer, après avoir ravagé Thamugas. Forcé de fuir encore, Yabdas gagna Thumar, «position défendue de tous côtés par des précipices et des rochers taillés à pic». Le général byzantin l'y relança et, ne pouvant songer à l'escalade, dut se contenter de bloquer étroitement l'ennemi. Ce siège se prolongea et les troupes souffraient beaucoup du manque d'eau et de provisions, lorsque des soldats réussirent à s'emparer d'un passage mal gardé par les Maures: secondés par un assaut de l'armée, ils parvinrent à enlever la position. Yabdas blessé put néanmoins s'échapper et se réfugier en Maurétanie.
Cette fois les Byzantins étaient maîtres de l'Aourès; ils y trouvèrent les trésors du prince berbère. Après avoir fait occuper deux points stratégiques dans ces montagnes, Salomon se porta dans le Zab et de là dans le Hodna et la région de Sitifis, forçant partout les indigènes à la soumission et relevant les ruines des cités et des forteresses. Le souvenir de ses travaux dans la région sitifienne a été conservé par les inscriptions. Zabi 275, la métropole du Hodna, fut réédifiée par lui et reçut le nom de Justiniana 276 De là, Salomon s'avança sans doute, vers l'ouest, jusque dans la région du haut Mina, car le récit de cette expédition se trouve retracé sur une pierre, dont l'inscription est relatée par les auteurs arabes 277 et a été retrouvée près de Frenda.
Ainsi Salomon acheva la conquête de l'Afrique que Bélisaire avait enlevée aux Vandales, mais qu'il fallait reprendre aux indigènes. Une tradition berbère qui annonçait la conquête de l'Afrique par un homme sans barbe se trouva réalisée, car on sait que Salomon était eunuque et avait le visage glabre. Après avoir terminé les opérations militaires, le gouverneur s'appliqua à régulariser la marche de l'administration et mérita par sa justice la reconnaissance des populations depuis si longtemps opprimées.
Révolte des Levathes. Mort de Salomon.--En 543, l'empereur détacha la Pentapole et la Tripolitaine de l'Afrique; il, s'était appliqué à relever les villes de la Cyrénaïque de leurs ruines et plaça à la tête de cette province, comme gouverneur de la Pentapole, Cyrus, neveu de Salomon. Sergius, autre neveu de Salomon, reçut le commandement de la Tripolitaine, où se trouvait toujours Pudentius.
Peu de temps après, quatre-vingts cheikhs de la grande tribu des Levathes 278 étant venus à Leptis magna, où se trouvait Sergius, pour recevoir selon l'usage l'investiture de leur commandement et présenter leurs doléances, ces malheureux furent massacrés dans la salle où ils étaient réunis, parce que, dit-on, ils étaient soupçonnés d'un complot. Un seul d'entre eux s'échappa et appela aux armes les guerriers de la tribu qui s'étaient rapprochés. Sergius marcha contre eux, les mit en déroute et s'empara de tout leur butin, ainsi que de leurs femmes et de leurs enfants. Pudentius avait trouvé la mort dans le combat.
Ce fut l'occasion d'une levée générale de boucliers chez les Berbères de la Tripolitaine. Antalas, auquel, selon M. Tauxier, Salomon avait retiré sa solde et ses avantages, se joignit à eux, avec ses guerriers, et tous marchèrent vers le nord. Salomon se rendit à Tébessa pour les arrêter dans leur marche. Il devait s'y rencontrer avec Coutzinas et les Maures alliés et Pelagius, duc de Tripolitaine. Mais ces deux chefs furent vaincus isolément; le dernier périt même dans la bataille et il en résulta que Salomon se trouva seul avec un faible corps de troupes. Il proposa aux rebelles de traiter, mais les Berbères, qui se sentaient en forces, entamèrent le combat et ne tardèrent pas à mettre en fuite les Byzantins. Salomon entraîné dans la déroute, ayant été désarçonné, fut massacré parles indigènes.
Les Levathes et leurs alliés s'avancèrent alors jusqu'à Laribus; mais ils se retirèrent après avoir reçu des habitants de cette ville une rançon de trois mille écus d'or (545).
Période d'anarchie.--Sergius, l'auteur de ces désastres, fut nommé par Justinien gouverneur de l'Afrique. On ne pouvait faire un plus mauvais choix. Bientôt il sut tourner tout le monde contre lui et l'anarchie devint générale.
Stozas, qui avait quitté la Maurétanie et s'était joint à Antalas portait le ravage et la désolation dans les malheureuses campagnes de la Byzacène et de la Numidie, sans que Sergius prît les moindres mesures pour protéger les colons. Il en résulta une véritable émigration: les populations quittèrent non seulement les campagnes, mais l'Afrique, et allèrent se réfugier dans les îles de la Méditerranée et même en Orient. Ce fut une des périodes les plus funestes à la colonisation africaine. Stozas poussa l'audace jusqu'à proposer à Justinien de rétablir la paix, si Sergius était rappelé. L'empereur, sans daigner répondre à cette proposition, envoya en Afrique un sénateur du nom d'Aréobinde, absolument étranger au métier des armes, en le chargeant de combattre les Maures de la Numidie, tandis que Sergius réduirait ceux de la Byzacène.
Stozas, qui avait augmenté son armée d'un grand nombre d'aventuriers et de transfuges, se tenait, avec Antalas et les Maures, aux environs de Sicca-Veneria 279. Aréobinde fit marcher contre lui un de ses meilleurs officiers, du nom de Jean. Les deux troupes en vinrent aux mains et, dans le combat, Jean et Stozas trouvèrent la mort. Les Byzantins se retirèrent en désordre, tandis que les rebelles élisaient un autre chef.
Ce nouvel échec décida Justinien à rappeler Sergius (546). Aréobinde restait seul et il n'était pas de taille à tenir tête aux difficultés du moment, car l'anarchie était à son comble et la révolte partout. Gontharis, ancien officier de Salomon, entra alors en pourparlers avec les principaux chefs berbères: Yabdas, Cutzinas et Antalas, et les poussa à exécuter une attaque générale, de concert avec les bandes de Stozas. A l'approche de l'ennemi, Aréobinde fit rentrer toutes ses garnisons et confia le commandement des troupes à Gontharis lui-même. Peu de jours après, le traître, ayant fomenté une sédition parmi les soldats, en profita pour assassiner le gouverneur et s'emparer du pouvoir.
Gontharis avait promis à Antalas la moitié de l'Afrique, mais, une fois maître de l'autorité, il refusa de tenir ses promesses, et il en résulta une rupture entre lui et le chef maure. Par haine de celui-ci, Cutzinas vint se joindre à Gontharis en lui amenant les soldats de Stozas, Vandales, Romains et Massagètes. Antalas fut battu par un officier arménien du nom d'Artabane qui, peu après, assassina Gontharis dans un festin (546); trente-six jours s'étaient écoulés depuis le meurtre d'Aréobinde.
Jean Troglita gouverneur d'Afrique. Il rétablit la paix.--Justinien voulut récompenser Artabane en le nommant gouverneur de l'Afrique, mais cet officier, ayant d'autres projets, déclina l'honneur qui lui était offert 280. L'empereur choisit alors un autre officier du nom de Jean Troglita, qui se trouvait à la guerre de Mésopotamie et auquel il donna le commandement de toute l'Afrique. Jean avait servi avec distinction en Berbérie, sous les ordres de Bélisaire et de Germain; il connaissait donc les hommes et les choses du pays et, comme il était doué de remarquables qualités militaires, le choix de l'empereur était fort heureux; l'on n'allait pas tarder à s'en apercevoir.
Débarqué à Caput-Vada, avec une très faible armée, Jean se porta en trois jours jusqu'auprès de Karthage et recueillit dans son camp tous les soldats dispersés, capables de rendre quelques services. Puis il alla attaquer Antalas et ses bandes qui bloquaient la ville. «Les Berbères s'étaient rangés en bataille et, de plus, selon une tactique qui leur était familière, ils s'étaient, en cas d'insuccès, ménagé un réduit dans une enceinte carrée formée de plusieurs rangs de chameaux et de bêtes de somme. Ces précautions, pourtant, ne les sauvèrent pas d'une défaite complète. Jerna, grand-prêtre de Louata, en essayant de sauver du pillage l'idole adorée par ces peuples, s'attarda dans la déroute et fut tué par un cavalier romain 281.» Antalas chercha un refuge dans le désert.
Karthage était débloquée et la Byzacène reconquise; mais les Berbères étaient loin d'avoir été abattus. Bientôt Jean apprit que les Louata (Levathes), alliés aux Nasamons et aux Garamantes, accouraient vers le nord sous le commandement d'un nouveau et terrible chef, dont Corrippus nous a transmis le nom sous la forme de Carcasan 282. On était alors au cœur de l'été de l'année 547. Jean se porta contre les envahisseurs, mais il essuya une défaite et dut se réfugier derrière les remparts de Laribus. La situation était critique. Jean n'hésita pas à faire appel aux indigènes, en tirant parti de l'esprit de rivalité qui a toujours été si fatal aux Berbères. Cutzinas, Ifisdias, chefs d'une partie de l'Aourès, et Yabdas lui-même lui promirent leur appui.
Cependant les hordes d'Antalas dévastaient la Byzacène et arrivaient jusqu'aux portes de Karthage. Troglita, assuré sur ses derrières et ayant reçu d'importants renforts, quitta sa position fortifiée et alla chercher Antalas dans la plaine. Les deux armées se rencontrèrent au lieu dit le champ de Caton, et la victoire des Byzantins fut complète. Un grand nombre d'indigènes restèrent sur le champ de bataille. Dix-sept chefs de tribus, parmi lesquels le terrible Carcasan, furent tués et l'on promena leurs dépouilles dans les rues de Karthage. Antalas fit sa soumission (548).
État de l'Afrique au milieu du vie siècle.--La nation berbère se trouvait encore une fois vaincue et, grâce aux succès de Troglita, l'empire conservait sa province d'Afrique; mais combien était précaire la situation de cette colonie, réduite à une partie de la Tunisie et de la province de Constantine actuelles. Partout l'élément indigène avait repris son indépendance et ce n'était que grâce à l'appui des principicules berbères, véritables rois tributaires, que les Byzantins se maintenaient en Afrique. Les campagnes étaient absolument ruinées: «Lorsque Procope débarqua en Afrique pour la première fois, il admira la population des villes et des campagnes et l'activité du commerce et de l'agriculture. En moins de vingt ans, ce pays n'offrit plus qu'une immense solitude; les citoyens opulents se réfugièrent en Sicile et à Constantinople et Procope assure que les guerres et le gouvernement de Justinien coûtèrent cinq millions d'hommes à l'Afrique 283.»
Selon Procope, les Maures, après les victoires de Troglita, semblaient de véritables esclaves 284, et l'on vit un grand nombre d'entre eux, qui étaient redevenus païens, se convertir au christianisme. Mais nous pensons qu'il parle d'une manière trop générale, et que ces faits ne peuvent s'appliquer qu'aux indigènes voisins des postes de l'Afrique propre et de la Numidie. La race berbère prise dans son ensemble avait trop bien reconquis son indépendance pour qu'on puisse croire que l'action du gouverneur byzantin s'exerçât à ce point sur elle, et ce serait une grave erreur de ranger dans cette catégorie les Louata de la Tripolitaine, les Berbères de l'Aourès et les Maures de l'Ouest.
Troglita fit tous ses efforts pour assurer son occupation et se garantir des incursions indigènes par des postes fortifiés: avec les ruines des cités détruites, on construisit des retranchements et des forteresses derrière lesquels les garnisons byzantines s'abritèrent, et quelques colons cherchèrent sous leur protection à rentrer en possession de leurs champs dévastés.
L'Afrique pendant la deuxième moitié du vie siècle.--Privés des documents si précis laissés par Procope, nous ne possédons, sur la phase de l'histoire africaine par nous atteinte, que des détails épars et sans suite. C'est ainsi qu'on ignore l'époque du départ de Jean Troglita.
En 563, Rogathinus, préfet du prétoire d'Afrique, fit traîtreusement assassiner Cutzinas, chef de la région orientale de l'Aourès, qui était venu à Karthage réclamer au sujet d'immunités dont on l'avait frustré. Les services rendus par ce chef eussent dû lui épargner un semblable traitement; aussi la nouvelle de sa mort fut-elle le signal d'une levée de boucliers des Berbères, appelés aux armes par ses fils. Justinien dut envoyer en Afrique son neveu Marcien, maître de la milice 285, qui contraignit les rebelles à la soumission.
Justinien termina sa longue carrière le 14 novembre 565, sans avoir pu réaliser le vaste projet qu'il avait conçu. Sa mort paraît avoir été le signal de nouvelles révoltes en Berbérie. Un certain Gasmul, roi des Maures, entre en scène et, se fait remarquer par son ardeur à combattre l'étranger. Dans ces luttes périssent successivement: Théodore, préfet d'Afrique (568), Théoctiste, maître de la milice (569), et Amabilis, successeur du précédent (570).
C'est Gasmul qui obtient ces succès. «Devenu tout puissant par ses victoires, Gasmul, en 574, donne à ses tribus errantes des établissements fixes, et s'empare peut-être de Césarée. L'année suivante (575), il marche contre les Francs et tente l'invasion des Gaules, mais il échoue dans cette entreprise 286.» Si ces faits sont exacts, on ne saurait trop regretter l'absence de documents historiques précis à cet égard.
Cet état de rébellion permanente durait toujours lorsque l'empereur Tibère II, qui venait de succéder à Justin II, nomma comme exarque de l'Afrique un officier du nom de Gennadius, militaire d'une réelle valeur. Dès lors la situation changea. En 580, ce général attaqua Gasmul, le tua de sa propre main, massacra un grand nombre de Maures, et leur reprit toutes les conquêtes qu'ils avaient faites.
Gennadius fut nommé préfet du prétoire d'Afrique, et il est probable que, sous sa main ferme, le pays retrouva quelques jours de tranquillité. Cependant, selon le rapport de Théophane, un soulèvement général des Berbères aurait eu lieu en 588; mais nous ne possédons aucun détail sur ce fait. Il est probable, en raison de l'état d'affaiblissement où était tombé l'empire, que les gouverneurs byzantins de l'Afrique étaient à peu près abandonnés à eux-mêmes, et que les Berbères, réellement maîtres du pays, continuaient leur mouvement d'expansion et de reconstitution.
En 597, nouvelle révolte des Berbères: ils viennent tumultueusement assiéger Karthage, ce qui indique suffisamment qu'ils sont à peu près maîtres du reste du pays. Gennadius, manquant de soldats pour entreprendre une lutte ouverte, feint d'être disposé à traiter avec les indigènes, et à accepter leurs exigences. Il leur envoie des vivres et du vin et, profitant du moment où les Berbères se livrent à la joie et font bombance, il les attaque à l'improviste et les massacre sans peine 287.
Voilà quelle était la situation de l'Afrique à la fin du vie siècle.
Derniers jours de la domination byzantine.--Le 16 novembre 602, le centurion Phocas avait assassiné l'empereur Maurice et s'était emparé du pouvoir. Il en résulta des révoltes et de longues luttes dans les provinces.
L'exarque Héraclius, qui commandait en Afrique avec le patrice Grégoire, comme légat, se mit en état de révolte (608) et retint les blés destinés à l'Orient. Deux ans plus tard, le fils d'Héraclius, portant le même nom que son père, partait par mer pour Constantinople, en même temps que le fils de Grégoire s'y rendait par terre, en passant par l'Egypte et la Syrie. Arrivé le premier, Héraclius mettait fin à la tyrannie de Phocas et s'emparait de l'autorité souveraine. En 618, il fut sur le point d'abandonner son empire, alors ravagé par la famine et par la peste, et de retourner dans cette Afrique qu'il regrettait et que la conquête arabe allait bientôt arracher de sa couronne. On dit qu'il ne se décida à rester qu'en cédant aux supplications et aux larmes de ses sujets.
Héraclius ne tarda pas à entreprendre une longue série de guerres dans lesquelles les Africains lui fournirent des contingents importants. En 641, l'empereur mourait après avoir eu la douleur de voir la Syrie et la Palestine, et enfin l'Egypte, tomber aux mains des conquérants arabes.
Les premières courses des Arabes en Afrique datent de cette époque. L'histoire de la Berbérie va entrer dans une autre phase.
APPENDICE
CHRONOLOGIE DES ROIS VANDALES
Genséric.... 11 février 435... janvier 477. Hunéric..... Janvier 477...... 13 décembre 484. Gondamond. 13 décembre 484.. septembre 496. Trasamond.. Septembre 496.... 523. Hildéric.... 523............. 531. Gélimer.... 531.............. 534.
FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE
DEUXIÈME PARTIE
PÉRIODE ARABE ET BERBÈRE
641--1045
CHAPITRE Ier
LES BERBÈRES ET LES ARABES
Le peuple berbère; mœurs et religion.--Organisation politique.--Groupement des familles de la race.--Division des tribus berbères.--Position de ces tribus.--Les Arabes; notice sur ce peuple.--Mœurs et religions des Arabes anté-islamiques.--Mahomet; fondation de l'islamisme.--Abou Beker, deuxième khalife; ses conquêtes.--Khalifat d'Omar; conquête de l'Egypte.
Le peuple berbère. Mœurs et religion.--Nous nous sommes efforcé, dans la première partie, de suivre les vicissitudes traversées par la race indigène et d'indiquer les transformations survenues dans ses éléments constitutifs, de façon à relier la chaîne de son histoire, si négligée par les historiens de l'antiquité, avec la période qui va suivre. Grâce aux auteurs arabes, tout ce qui se rapporte à la nation qu'ils ont nommée eux-mêmes Berbère, en lui restituant son unité, va devenir précis, et il convient, avant de reprendre le récit des faits, d'entrer dans quelques détails sur ce peuple et d'indiquer sa division en tribus, et les positions respectives occupées par les groupes. Ainsi, aux désignations vagues de Numides, de Maures et de Gétules, vont succéder des appellations précises. Les noms appliqués aux localités vont changer également 288, et c'est bien dans une nouvelle phase qu'entre l'histoire de l'Afrique septentrionale.
Les Berbères formaient un grand nombre de groupes que les Arabes appelèrent tribus, par analogie avec les peuplades de l'Orient. Ils avaient des mœurs et des habitudes diverses, selon les lieux que les vicissitudes de leur histoire leur avaient assignés comme demeure: cultivateurs sur le littoral et dans les montagnes, ils vivaient attachés au sol, habitant des cabanes de branchages ou de pierres couvertes en chaume; pasteurs dans l'intérieur, ils menaient la vie semi-nomade, couchant sous la tente et parcourant avec leurs troupeaux les hauts plateaux du Tel jusqu'à la limite du désert, selon la saison; enfin, dans le Sahara, leurs conditions normales d'existence étaient, en outre de l'accompagnement des caravanes, la guerre et le pillage, tant aux dépens de leurs frères les Berbères pasteurs du nord que des populations nègres du sud. «La classe des Berbères qui vit en nomade, dit Ibn-Khaldoun 289, parcourt le pays avec ses chameaux et, toujours la lance en main, elle s'occupe également à multiplier ses troupeaux et à dévaliser les voyageurs.» Telle est encore, de nos jours, la manière d'être des habitants du désert.
Le costume des Berbères se composait d'un vêtement de dessous rayé, dont ils rejetaient un pan sur l'épaule gauche, et d'un burnous noir mis par-dessus. Ils se faisaient raser la tête et ne portaient souvent aucune coiffure 290. Dans le Sahara, ils se cachaient la figure au moyen d'un voile, le litham, encore usité par les Touareg et autres Berbères de l'extrême sud. Quant à leur langue, elle se composait de plusieurs dialectes aux racines non sémitiques, se rattachant à la même souche. C'est celle qui se parle de nos jours dans le désert sous le nom de Tamacher't et dont les différents idiomes, plus ou moins arabisés, s'appellent en Algérie, en Tunisie, au Maroc et jusqu'au Sénégal: Chelha, Zenatïya, Chaouïa, Kebaïlïya, Zenaga, Tifinar', etc.
Comme religion, ils professaient généralement l'idolâtrie et le culte du feu; cependant dans les plaines avoisinant les pays autrefois romanises, et où la religion chrétienne avait régné, deux siècles auparavant, sans conteste, il restait encore un grand nombre d'indigènes chrétiens. Ailleurs, des tribus entières étaient juives. Enfin des peuplades avaient conservé le souvenir des rites importés par les Phéniciens, et s'il faut en croire Corippus, elles offraient encore, au sixième siècle, des sacrifices humains à Gurzil, Mastiman et autres divinités barbares. Nous avons vu que certaines tribus avaient une idole spéciale confiée au soin d'un grand-prêtre.
Organisation politique.--Chaque tribu nommait un roi, ou chef, et souvent plusieurs tribus formaient une confédération soumise au commandement suprême du même prince. Ce droit de commandement était spécial à certaines tribus qui exerçaient une sorte de suprématie sur les autres. Il est probable que chaque groupe de la nation possédait, à défaut de lois fixes, des coutumes dont le souvenir s'est perpétué en Algérie dans les Kanouns de nos Kabiles 261. Au septième siècle, n'ayant pas encore profité de la civilisation arabe, les Berbères étaient, en maints endroits, fort sauvages, mais leurs qualités ne devaient pas tarder à se développer et c'est avec raison qu'Ibn-Khaldoun a pu dire d'eux: «Les Berbères ont toujours été un peuple puissant, redoutable, brave et nombreux; un vrai peuple comme tant d'autres, dans ce monde, tels que les Arabes, les Persans, les Grecs et les Romains 292....» «On a vu, des Berbères, des choses tellement hors du commun, des faits tellement admirables--ajoute-t-il--qu'il est impossible de méconnaître le grand soin que Dieu a eu de cette nation.»
Groupement et situation des familles de la race.--Les auteurs arabes ont divisé les Berbères en deux familles principales: les Botr, descendants de Madghis-El-Abter, et les Branès, descendants de Bernès. Les Zenata, qui sont quelquefois placés à part, sont compris en général dans les Botr. Mais ces distinctions, qui ont pu avoir leur raison d'être à une époque reculée, sont devenues bien arbitraires, par suite du mélange intime des divers éléments et de la constitution d'une race unique. A peine peut-on placer à part les tribus de race Zénète, qui semblent présenter des différences de traits et de mœurs avec les vieux Berbères, et paraissent d'origine plus récente. Nous admettrions volontiers qu'elles sont le produit d'une invasion venue de l'Orient, car elles se sont insinuées comme un coin au milieu de la vieille race, et se tiennent sur la limite du désert, prêtes à pénétrer dans le Tel, comme le feront les Arabes Hilaliens quatre siècles plus tard.
Renonçant à reproduire les généalogies plus ou moins ingénieuses des auteurs arabes, nous ne tiendrons compte que de la situation générale de la race au moment que nous avons atteint, et, à défaut d'autre classification, nous proposerons de diviser les Berbères en trois groupes principaux de la manière suivante:
1° Berbères de l'est ou Race de Loua 293, représentant les anciens Libyens, les Ilasguas et Ilanguanten de Procope et de Corippus. Elle couvre le pays de Barka, la Tripolitaine et ses déserts, et le midi de la Tunisie.
2° Berbères de l'ouest ou Race Sanhaga 294, répondant aux Gétules et aux Maures. Elle s'étend sur les deux Mag'reb, et leur désert jusqu'au Soudan.
3° Race Zenète. Elle est établie dans le désert, depuis l'ouest de la Tripolitaine jusque vers le méridien d'Alger, en couvrant partie de l'Aourès, l'Ouad Rir', le Zab méridional et les hauts plateaux du Rached (Djebel Amour) 295.
Divisions des tribus berbères.--Voici comment se divisaient les tribus berbères. Nous en donnons le tableau complet, bien qu'au viie siècle la plupart des subdivisions n'existassent pas encore, mais afin de ne pas avoir à y revenir et pour que le lecteur, dans ses recherches, les trouve toutes groupées.
I.--Berbères de l'Est.
_
| Sedrata
| Atrouza
Louata -| Agoura
| Djermana
| Mar'ar'a
|_Zenara
_ _
| Ouergha | Beni-Kici
| Kemlan -| Ourtagot
| Melila |_Heiouara
Houara -| R'arian(
Issus des Aourir'a) | Zeggaoua
| Mecellata
|_Medjeris
_
| Maouès
| Azemmor
| Keba
| Mesraï
| Ouridjen (Ouriguen)
| Mendaça
| Kerkouda
Aourir'a -| Kosmana
| Ourstif
| Biata
| Bel
| Melila
| Satate
| Ourfel
| Ouacil
|_ Mesrata
_
| Beni-Azemmor
Nefouça -| Beni-Meskour
|_Metouça
_
_ | Beni-Ouriagol
| R'assaça | Gueznaïa
| Meklata -| Beni-Isliten
| Merniça | Beni-Dinar ou Rihoun.
| Zehila |_B. Seraïne
Nefzaoua -| Soumata _
| Zatima | Ourtedin _
| Oulhaça |_Zeggoula | Ourfedjouma
| Medjera |_ou Zeddjala
|_Ourcif
_
| Ledjaïa (ou Legaïa)
| Anfaça
| Nidja
Aoureba -| Zehkoudja
| Meziata
| Reghioua
|_Dikouça
II.--Berbères de l'Ouest
_
| Felaça
| Denhadja
| Matouça
| Latana
| Ouricen
| Messala _
| Kalden | Inaou
| Maad -| Intacen
Ketama -| Lehiça |_Aïan
| Djemila
| R'asman
| Messalta
| Iddjana (Oudjana ou Addjana)
| Beni-Zeldoui
| Hechtioua
| Beni-Istiten
|_Beni-Kancila
_ _ Anciennes _ Nouvelles
| | Siline |
| | Tarsoun (Darsoun) | O. Mohammed
| | Torghian |
| | Moulit |
| | Kacha | O. Mehdi
| | Elmaï |
| | Gaïaza |
Ketama -| Sedouikech -| B. Zalan -| O. Aziz
(_suite_)| | El-Bouéïra |
| | B. Merouan |
| | Ouarmekcen | O. Brahim
| | B. Eïad |
| | Meklata |
|_ |_Righa |_B. Thabet
_ Anciennes _ Nouvelles
| | B. Idjer
| Medjesta | B. Menguellat
| Mellikch | B. Itroun
| Beni-Koufi | B. Yenni
| Mecheddala | B. Bou-R'ardan
| B. Zerikof | B. Itrour'
Zouaoua -| B. Gouzit -| B. Bou-Youçof
| Keresfina | B. Chaïb
| Ouzeldja | B. Eïci
| Moudja | B. Sedka
| Zeglaoua | B. R'obrin
|_B. Merana |_B. Guechtoula
_
| Metennane
| Ouennoura'a
| B. Othman
| B. Mezr'anna
Senhadja-| B. Djâad
| Telkata
| Botouïa
| B. Aïfaoun
|_B. Kkalil
_
| Azdadja (ou Ouzdaga) | B. Mesguen
Dariça -| Mecettaça
|_Adjiça
_
| Matr'ara
| Lemaïa
| Sadina
| Koumïa
B. Faten-| Mediouna
| Mar'ila
| Matmata
| Melzouza
| Kechana (ou Kechata)
|_Douna
_ _
| Botouïa | B. Ouriagol
| Medjekça | Fechtala
Zanaga -| B. Ouartin -| Mechta
| Lokaï | B. Hamid
|_ |_B. Amran, etc....
_ _
| | Moualat
| | B. Houat (ou Harat)
| | B. Ourflas
| Miknaça -| B. Ouridous (ou Ourtedous)
| | Kansara
| | Ourifleta
| |_Ourtifa
| _
Oursettif -| | Sederdja
| -| Mekceta
|Ourtandja | Betâlça
| |_Kernita
| _
| | B. Isliten
|Augma ou -| B. Toulalin
| Megma | B. Terin
|_ |_B. Idjerten
_
| B. Hamid
| Metiona
R'omara ou -| Beni-Nal
Ghomara | Ar'saoua
| B. Ou-Zeroual
|_Medjekça
Berg'ouata.--Formant diverses fractions qui ont toutes disparu de
bonne heure.
_
| Hergha
| Hentata
| Tinemellal
| Guedmioua
| Guenfiça |Sekçioua
| Ourika
| Regraga
Masmouda -| Hezmira _
| Dokkala _ | Dor'ar'a
| Haha | Mesfaoua -|_Youtanan
| Assaden -|_Mar'ous
| B. Ouazguit
| B. Maguer
|_Héïlana
_
| Mestaoua
| R'odjdama
| Fetouaka
Heskoura -| Zemraoua
| Aïntift
| Aïnoultal
|_B. Sekour
Guezoula (Forme de nombreuses branches)
_
| Zegguen
Lamta |_ Lakhès
_
| Guedala
| Lemtouna
| Messoufa
| Outzila
| Targa (Touareg)
| Zegaoua
| Lamta
Sanhadja au Litham -| Telkata
(Voile) | Mesrata
| B. Aoureth
| B. Mecheli
| B. Dekhir
| B. Ziyad
| B. Moussa
| B. Lemas
|_B. Fechtal
III.--Race Zenète.
_
| Merendjica
Ifrene |_Ouarghou
_
| B. Berzal
_ | B. Isdourine
| B. Ournid -| B. Sar'mar
| |_B. Itoueft
| B. Ourtantine
Demmer -| B. R'arzoul
| B. Toufourt
| Ourgma
|_Zouar'a
_
| B. Ilent
| B. Zeddjak ou Zendak
| B. Ourak
Mag'raoua (anciens) -| Ourtezmar
| B. Bou-Saïd
| B. Ourcifen
| Lar'ouate
| B. Righa
| Sindjas
| B. Ouerra
|_B. Ourtadjen
Irnïane
Djeraoua
Ouagdjidjen
Ouar'mert ou R'omert (Ghomra)
Ouargla--B. Zendak
Ouemannou
Iloumene (ou Iloumi)
_ _ _
| | | B. Idleten
| | | B. Nemzi
| | | B. Madoun
| | B. Meden -| B. Zendak
| _ | | B. Oucil
| | Abd-El-Ouad | | B. Kadi
| | Toudjine -| |_B. Mamet
|B. Badine.-| B. Mezab |
| | B. Azerdane | _
| |_ou Zerdal | | B. Tigherine
Ouacine -| B. Rached | B. Rour'enç -| B. Irnaten
(Magr'aoua) | |_ |_B. Mengouch
|
| _
| | B. Ourtadjen
|B. Merine -|
|_ |_B. Ouattas
Position de ces tribus.--Voici maintenant, la situation générale de ces tribus, par provinces, au viie siècle.
Barka et Tripolitaine.
Houara et Aourir'a.--Pays de Barka, midi de la Tripolitaine, Fezzan: s'avancent jusque vers le Djerid.
Louata.--Région syrtique, environs de Tripoli et de là jusque vers Gabès.
Nefouça.--Région montagneuse de ce nom, au midi de Tripoli.
Zouar'a et Ourgma (Zenèles Demmer), à l'ouest de Tripoli.
Ifrikiya proprement dite.;
(Tunisie.)
Nefzaona.--Djerid et intérieur de la Tunisie. Merendjica et Ouargou (Ifrene), régions méridionales.
Ifrikya occidentale.;
(Province de Constantine.)
Nefzaoua.--Plaines de l'est de la province.
Djeraoua.--Djebel-Aourès.
Aoureba.--Région au nord du Zab.
Ifrene. Magraoua.--Hodna, Zab et région méridionale de l'Aourès.
Ouargla, Ouacine.--Ouad-Rir' et Sahara.
Ketâma.--Cette grande tribu occupe toute la région littorale, depuis Bône jusqu'à l'embouchure de l'Ouad-Sahel et s'avance dans l'intérieur, jusqu'à Constantine et Sétif.
Mag'reb central.;
Zouaoua.--Massif de la grande Kabilie.
Sanhadja.--Se rencontrent à l'ouest et au nord avec les Zouaoua et s'étendent jusqu'à l'embouchure du Chelif, occupant ainsi le littoral et une partie du centre.
B. Faten.--Font suite aux Sanhadja, à l'ouest, jusqu'à la Moulouïa, couvrant le littoral et le centre de la province d'Oran.
Lemaïa et Matmata, aux environs du Guezoul et du Ouarensenis.
Mar'ila, sur la rive droite du Chelif.
Azdadja, (des Dariça), aux environs d'Oran.
Koumïa et Mediouna, au nord et à l'ouesl de Tlemcen.
Adjiça (Dariça), au sud des Zouaoua.
Les tribus Zenètes anciennes couvrent les hauts plateaux.
Ouemannou et Iloumi, à l'ouest du Hodna.
Ouar'mert, dans le Rached (Djebel-Amour).
Ournid, à l'ouest de cette montagne.
Irniane, au sud de Tlemcen.
Mag'reb extrême.;
R'omara.--Occupent la région littorale du Rif, de l'embouchure de la Moulaïa à Tanger.
Miknaça, Ourtandja et Augma, région centrale.
Zanaga.--Se rencontrent avec les précédents et occupent les premiers contreforts de l'Atlas.
Matr'ara.--Vers la limite du Mag'reb central, où ils se rejoignent aux autres Fatene.
Berghouata.--Sur le littoral de l'Océan, depuis Tanger jusqu'à l'embouchure du Sebou.
Masmouda.--Tout le versant occidental de l'Atlas, les plaines et le littoral de l'Océan, du Sebou à l'Ouad-Sous.
Heskoura.--Les montagnes du Grand-Atlas.
Guezoula et Lamta.--La rive gauche de l'Ouad-Sous jusqu'à l'Ouad-Deraa.
Aucune tribu zénète n'a encore pénétré dans le Mag'reb extrême.
Grand-Désert.
Sanhadja au Litham (Messoufa Guedala, Lemtouna, Lamta, etc.), occupant toute la région saharienne jusqu'au Niger.
Ainsi était répartie la race berbère dans l'Afrique septentrionale.
Il restait en outre quelques débris de la population coloniale dans le nord de l'Ifrikiya et aux alentours des postes occupés par les Byzantins.
Les Arabes. Notice sur ce peuple.--Le peuple arabe devant désormais mêler son histoire à celle de là Berbérie, il convient encore, avant de reprendre notre récit, d'entrer dans quelques détails sur cette nation.
La population de l'Arabie était divisée en deux groupes distincts:
1° Les Arabes de race pure ou ancienne, descendant, selon les généalogistes, de Kahtan, le Yectan de la Bible. Établis depuis une haute antiquité dans la partie méridionale du pays, l'Arabie heureuse, l'Iémen, ils formèrent deux grandes tribus, celles de Kehlan et de Himyer. On les désignait sous le terme général d'Iéménites;
2° Et les Arabes de race mélangée, descendants de Adnan, et beaucoup plus nombreux que les précédents. Ils ont formé les tribus de Moder, Rebïa, Maad, etc.... Nous les désignerons sous le nom de Maadites. Ils occupaient les vastes solitudes qui s'étendent de la Palestine à l'Iémen, ayant au centre le plateau du Nedjd et le Hedjaz sur le littoral 296.
Une rivalité implacable divisait ces deux races et nous verrons ces traditions de haine les suivre en Afrique et en Espagne. C'est que la première, habitant des régions fertiles, établie en partie dans des villes, se livrait à la culture et au commerce et vivait dans l'abondance; tandis que l'autre, réduite à l'existence précaire du nomade, dans des régions désertes, n'avait d'autre ressource, en dehors du produit de maigres troupeaux, que la guerre et le brigandage. Cette rivalité n'avait au fond d'autre mobile que le combat pour la vie.
En outre de ces deux grandes divisions, chaque groupe se partage en citadins et gens des steppes (bédouins).
Mœurs et religion des Arabes anté-islamiques.--La condition propre de l'Arabe, c'est la vie en tribu, la famille agrandie, à la tête de laquelle est le cheikh, vieillard renommé par sa sagesse dans le conseil, sa bravoure dans le combat. Une grande solidarité règne entre les gens d'une même tribu, mais aucun lien ne réunit les tribus entre elles. Bien au contraire, elles ont toutes des sujets de haine particulière les unes contre les autres, car la vengeance est un culte pour ces âmes ardentes. «Une infinité de tribus, les unes sédentaires, le plus grand nombre constamment nomades, sans communauté d'intérêts, sans centre commun, ordinairement en guerre les unes contre les autres, voilà l'Arabie au temps de Mahomet 297.» Les Arabes ne vivent que pour la guerre, car sans cela «pas de butin, et c'est le butin surtout qui fait vivre les Bédouins.» Aussi la bravoure est-elle estimée au-dessus de tout. Les femmes suivent les guerriers dans les combats pour les encourager, faire honte aux fuyards et même les marquer d'un signe d'ignominie. «Les braves qui font face à l'ennemi, disent-elles, nous les pressons dans nos bras; les lâches qui fuient nous les délaissons et nous leur refusons notre amour 298.» L'éloquence et la poésie sont honorées après la bravoure.
Les habitants des villes du littoral, ainsi que nous l'avons dit, s'adonnaient avec succès au commerce, et conservaient des relations avec les Bédouins, leurs parents ou leurs alliés.
La Mekke, ville située près du littoral du golfe arabique, était un grand centre commercial et religieux. Les Koréichites, famille de la race d'Adnan, y dominaient. C'étaient des marchands fort entendus aux affaires. Ils gouvernaient la cité par un conseil dit des Sadate (pluriel de Sid) qui avait entre ses mains tous les pouvoirs 299.
Les Arabes pratiquaient différents cultes: certaines tribus adoraient les astres, d'autres se faisaient des idoles de pierre ou de bois. Les Juifs avaient, en Arabie, de très nombreux sectateurs; enfin, le chiffre des chrétiens établis, surtout dans les villes, était assez considérable. Mais la religion nationale était une sorte d'idolâtrie. La Mekke était déjà la ville sainte: on y conservait, dans le temple de la Kaaba, une pierre noire, sans doute un aérolithe, et la construction du temple était attribuée à Abraham par une ancienne tradition. Un grand nombre d'idoles y étaient en outre enfermées. La tribu de Koréich avait le privilège de fournir le grand-prêtre.
«Le naturel farouche des Arabes--a dit Ibn-Khaldoun 300,--en a fait une race de pillards et de brigands. Toutes les fois qu'ils peuvent enlever un butin, sans courir un danger ou soutenir une lutte, ils n'hésitent pas à s'en emparer et à rentrer au plus vite dans le Désert.» C'est la razia, le mode de combattre particulier à l'Arabe. «Les habitudes et les usages de la vie nomade,--ajoute notre auteur,--ont fait des Arabes un peuple rude et farouche. La grossièreté des mœurs est devenue pour eux une seconde nature.....Si les Arabes ont besoin de pierres pour servir d'appuis à leurs marmites, ils dégradent les bâtiments afin de se les procurer; s'il leur faut du bois pour en faire des piquets ou des soutiens de tente, ils détruisent les toits des maisons pour en avoir. Par la nature même de leur vie, ils sont hostiles à tout ce qui est édifice.... Ajoutons que, par leur disposition naturelle, ils sont toujours prêts à enlever de force le bien d'autrui, à chercher les richesses les armes à la main, et à piller sans mesure et sans retenue.»
Tels sont, dépeints par un de leurs compatriotes, les hommes qui vont prendre une part prépondérante à l'histoire de l'Afrique.
Mahomet.--Fondation de l'Islamisme.--En 570 naquit Mahomet (Mohammed), de la tribu de Koreich. Resté orphelin de bonne heure, il fut élevé par son oncle, Abou-Taleb, et envoyé par lui dans une tribu bédouine selon l'usage. C'était un jeune homme faible de corps, sujet à des attaques nerveuses, parlant peu et restant de longues heures plongé dans la méditation. A l'inverse de ses compatriotes, il avait peu de goût pour la poésie, bien qu'il eût l'imagination assez développée. Il se vantait de ne pas savoir écrire.
Mahomet avait quarante ans lorsqu'il commença à prophétiser et à prétendre qu'il recevait des révélations de Dieu, par l'intermédiaire de l'ange Gabriel: ses concitoyens l'accueillirent par des moqueries et tournèrent en dérision ses prédications. Rien ne l'arrêta, ni les injures, ni les violences, et il finit par gagner à sa cause quelques prosélytes. Mais si, après onze années d'apostolat, Mahomet avait obtenu un si mince succès chez ses concitoyens, il avait rencontré à Yatrib, ville rivale, habitée par des gens de race yéménite, des esprits mieux disposés à accueillir la nouvelle religion, et s'y était créé des adhérents dévoués. Menacé dans son existence par les Mekkois, le prophète se décida à fuir et alla, en 622, chercher un refuge chez ses amis les Aous et les Khazradj, de Yatrib, qui reçut le nom de Médine (la ville par excellence). De cette fuite (Hégire) date l'ère musulmane. Les adhérents de Mahomet lui prêtèrent à Médine un solennel serment et furent appelés ses défenseurs (Ansar). On nommait émigrés les Mekkois qui l'avaient suivi dans sa fuite. Aussitôt la lutte commença entre eux et les Mekkois, et après différentes péripéties, Mahomet entra en vainqueur à la Mekke. Cette fois, c'était le triomphe. Par la persuasion ou par la force, les Arabes durent adopter le nouveau culte. L'islamisme était fondé. Nous croyons inutile d'analyser ici cette religion dont chacun connaît les dogmes et qui a pour code le Koran. L'Iman, chef de la religion, était en même temps souverain politique de tous les musulmans. La Guerre sainte imposée aux vrais croyants, comme une obligation étroite, allait ouvrir la voie aux conquêtes 301.
Abou-Beker, deuxième khalife.--Ses conquêtes.--En 632, Mahomet cessa de vivre. Les Arabes n'avaient pas attendu sa mort pour apostasier et se lancer dans la révolte. Le Nedjd, l'Iémen, même, étaient au pouvoir d'un rival Aïhala le Noir; l'insurrection devint alors générale.
Mahomet, comme Charlemagne et peut-être à dessein, n'avait pas fixé les règles de la succession au khalifat 302. Son oncle Abou-Beker qui, par son dévouement à toute épreuve, avait été le plus ferme soutien du prophète, fut appelé à lui succéder. C'était un homme d'une rare énergie et dont la violence se traduisait par d'implacables cruautés. Faisant énergiquement tête aux ennemis, il sut ramener la confiance parmi les siens et put ainsi battre les insurgés les uns après les autres. Ses victoires furent suivies d'horribles massacres. Quiconque apostasiait ou refusait de se convertir était aussitôt mis à mort. Les nouveaux musulmans trouvaient au contraire toutes les satisfactions de leurs passions: la guerre et le pillage. Il n'est donc pas surprenant que sous la direction d'Abou-Beker l'islamisme eût fait de si grands progrès. Les compagnons de Mahomet, les défenseurs et les émigrés étaient comblés d'honneurs et investis de commandements; ils formaient en quelque sorte une nouvelle noblesse. Tout en luttant contre les révoltés, Abou-Beker entreprenait la guerre de conquête; dès la fin de 633, ses généraux enlevaient l'Irak aux Perses et une partie de la Syrie aux Byzantins.
Khalifat d'Omar. Conquête de l'Égypte.--Dans le mois d'août 634, Abou-Beker mourut au milieu de toute sa gloire. Il désigna pour son successeur Omar-ben-el-Khattab, qui prit le titre d'Emir-el-Moumenin (Prince des croyants). Peu après, Damas et le reste de la Syrie tombaient au pouvoir des Arabes. La Mésopotamie et la Palestine subissaient bientôt le même sort (638-40).
En 640, le général Amer-ben-el-Aci enleva l'Égypte au représentant d'Héraclius. L'incendie de la bibliothèque d'Alexandrie éclaira les vertigineux succès des Arabes. En quelques années une peuplade à peine connue avait fondé un vaste royaume. Nous allons voir les Arabes transporter au Mag'reb, le théâtre de leurs exploits.