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Histoire de l'Afrique Septentrionale (Berbérie) depuis les temps les plus reculés jusqu'à la conquête française (1830) ( Volume I)

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CHAPITRE V

DERNIERS GOUVERNEURS ARABES

772-800

Yezid-ben-Hatem rétablit l'autorité arabe en Ifrikiya.--Gouvernement de Yezid-ben-Hatem.--Les petits royaumes berbères indépendants.--L'Espagne sous le premier khalife oméïade; expédition de Charlemagne.--Intérim de Daoud-ben-Yezid; gouvernement de Rouh-ben-Hatem.--Edris-ben-Abd-Allah fonde à Oulili la dynastie édricide.--Conquêtes d'Edris; sa mort.--Gouvernements d'En-Nasr-ben-el-Habib et d'El-Fadel-ben-Rouh.--Anarchie en Ifrikiya.--Gouvernement de Hertema-ben-Aïan.--Gouvernement de Mohammed-ben-Mokatel.--Ibrahim-ben-el-Ar'leb apaise la révolte de la milice.--Ibrahim-ben-el-Ar'leb, nommé gouverneur indépendant, fonde la dynastie ar'lebite.--Naissance d'Edris II.--L'Espagne sous Hicham et El-Hakem.--Chronologie des gouverneurs de l'Afrique.

Yezid-ben-Hatem rétablit l'autorité arabe en Ifrikiya.--Lorsque la nouvelle des désastres dont l'Ifrikiya avait été le théâtre parvint en Orient, elle y excita la plus violente indignation. Le khalife El-Mansour réunit aussitôt une armée considérable, formée de troupes prises dans les colonies militaires du Khorassan, de l'Irak et de Syrie, en donna le commandement à Yezid-ben-Hatem et le fit partir pour l'Occident. (772).

Abou-Hatem, de son côté, réunit ses contingents et, laissant le commandement de Kaïrouan à Abd-el-Aziz-el-Moafri, il se mit en marche sur Tripoli. Mais, à peine avait-il quitté sa capitale, que les miliciens se révoltèrent, chassèrent Abd-el-Aziz et placèrent à leur tête Omar-ben-Othman. Abou-Hatem revint sur ses pas, défit les rebelles et lança à leur poursuite un de ses lieutenants nommé Djerid. Omar, avec une partie de ses miliciens, avait cherché un refuge près de Djidjel, dans le pays des Ketama. Djerid voulut l'y poursuivre, mais il tomba dans une embuscade et fut défait et tué. Quant aux autres miliciens, ils avaient rejoint l'armée arabe à Sort.

Cependant Abou-Hatem s'était avancé jusque vers Tripoli, mais, lorsqu'il connut la force de l'armée de Yezid, il renonça à lutter contre elle en bataille rangée et alla se retrancher dans les montagnes de Nefouça. Il occupait une position très forte et ne craignit pas d'attaquer l'avant-garde des Arabes. Les Kharedjites la rejetèrent sur le corps principal, puis ils regagnèrent leurs montagnes. Yezid marcha alors contre les rebelles avec toutes ses troupes, attaqua de front leurs retranchements et les enleva l'un après l'autre. Une dernière et sanglante bataille dans laquelle Abou-Hatem trouva la mort, consacra le triomphe des Arabes (mars 772). Les débris des contingents berbères tâchèrent de regagner leurs tribus, mais la cavalerie arabe, lancée à leur poursuite dans toutes les directions, fit un grand carnage des karedjites. Abou-Korra put cependant rentrer à Tlemcen. En même temps, Abd-er-Rahman, fils d'El-Habib, le seul officier arabe resté fidèle à la cause d'Abou-Hatem, se réfugia avec un certain nombre d'adhérents dans les montagnes de Ketama 396.

Note 396: (retour) Ibn-Khaldoun, t. I, p. 222, t. III, p. 200. En-Nouéïri, p. 384.

Gouvernement de Yezid-ben-Hatem.--Vers la fin de mai, Yezid, qui avait assuré la pacification des provinces méridionales en noyant la révolte dans le sang, fil son entrée à Kaïrouan. Il s'appliqua à rendre à la ville toute sa splendeur et à faire oublier la domination des Kharedjites.

Abd-er-Rahman tint encore la campagne pendant huit mois, dans le pays des Ketama; mais il finit par succomber avec ses partisans, sous les efforts combinés des généraux arabes. La révolte kharedjite qui, en réalité, était le réveil de l'esprit national berbère, semblait domptée; plus de trois cents combats avaient été livrés et les indigènes avaient toujours supporté le poids de la défaite et la sanglante vengeance de leurs vainqueurs. Cependant, les Houara se soulevèrent encore, à la voix d'un de leurs chefs, nommé Abou-Yahïa-ben-Afounas. Le commandant de Tripoli, ayant marché contre eux, les défit non loin de cette ville. L'année suivante (773), un certain Abou-Zerhouna parvint à entraîner les turbulents Ourfeddjouma à la révolte contre l'autorité arabe. Une armée envoyée contre eux par Yezid fut d'abord défaite. Alors Mohelleb, fils du gouverneur qui commandait le poste de Tobna, sollicita l'honneur de réduire les rebelles. Ayant reçu de son père les délogea de toutes leurs positions et en fit «un massacre épouvantable.»

Cette fois, les révoltés kharedjites étaient, sinon domptés, du moins réduits à l'impuissance. L'Ifrikiya put profiter de quelques années de paix que le gouverneur employa aux embellissement de Kaïrouan. «En 774, dit En-Nouéïri, il fit rebâtir la grande mosquée de Kaïrouan et construire des bazars pour chaque métier. Ainsi, on pourrait dire, sans trop s'écarter de la vérité, qu'il en fut le fondateur.» En même temps il rétablissait, par son esprit de justice, la sécurité des transactions. El-Kaïrouani rapporte, d'après l'historien Sahnoun, que Yezid se plaisait à dire: «Je ne crains rien tant sur la terre que d'avoir été injuste envers quelqu'un de mes administrés, quoique je sache cependant que Dieu seul est infaillible 397

Note 397: (retour) El-Kaïrouani, p. 79. En-Nouéïri, p. 385.

Les petits royaumes berbères indépendants.--Nous n'avons pas voulu interrompre le cours des événements importants dont l'Ifrikiya était le théâtre; mais il convient de retourner de quelques années en arrière, pour reprendre l'historique des petites royautés du Mag'reb.

A Sidjilmassa, le premier roi que la communauté des Miknaça s'était donné, Aïca-ben-Yezid, fut déposé, en 772, après quinze années de règne, et mis à mort par la populace. Abou-l'Kassem-Semgou-ben-Ouaçoul, véritable fondateur du royaume, fut élu à sa place. Il forma la souche des Beni-Ouaçoul, souverains de Sidjilmassa. Cette oasis continua à être le centre d'une secte kharedjite tenant de l'éïbadisme et du sofrisme. Ces hérétiques prononçaient la prière au nom du khalife abbasside, dont ils se déclaraient les vassaux 398.

Les Berg'ouata, dirigés par leur prophète, le mehdi 399 Salah, continuaient à vivre indépendants, dans le Mag'reb extrême, et à propager leurs doctrines hérétiques. Après un long règne de près d'un demi-siècle, Salah mourut (vers 792), en laissant le pouvoir à son fils El-Yas 400.

Dans le Rif marocain, à Nokour, Saïd, petit-fils d'un autre Salah, était en possession de l'autorité et maintenait l'exercice du culte orthodoxe sur le littoral de la Méditerranée 401.

Note 398: (retour) Ibn-Khaldoun, t. I, p. 262. El-Bekri, p. 149 du texte arabe.
Note 399: (retour) Ce titre, que nous reverrons souvent apparaître, a été pris par un grand nombre d'agitateurs musulmans: on peut le rendre par: Messie.
Note 400: (retour) Ibn-Khaldonn, t. II, p. 125 et suiv. El-Bekri, passim.
Note 401: (retour) Ibid., t. II, p. 138, 139.

A Tlemcen et dans le sud du Mag'reb central, les Beni-Ifrene régnaient en maîtres et étendaient chaque jour leur influence. Leurs cousins, les Mag'raoua, commençaient à envahir les plaines de cette région et à devenir redoutables par leur nombre et leur puissance.

Enfin, Abd-er-Rahman-ben-Rostem, à Tiharet, avait continué à recueillir les réfugiés de toutes les tribus appartenant à la secte éïbadite, dont il était le chef reconnu.

Partout ailleurs, dans les deux Mag'reb, les tribus berbères vivaient dans l'indépendance la plus complète. Mais on voit, par ce qui précède, que cette race tendait à abandonner l'état démocratique pour grouper ses forces en formant de petites royautés autonomes.

L'Espagne sous le premier khalife oméaïde. Expédition de Charlemagne.--Nous avons laissé l'oméïade Abd-er-Rahman seul maître du pouvoir à Cordoue, après avoir triomphé de Youçof. Il n'eut pas le loisir de jouir longtemps de son succès, car l'anarchie était devenue un état normal pour les Musulmans d'Espagne et ils avaient perdu l'habitude d'obéir à un seul maître. Ce ne fut, durant des années, qu'une suite de révoltes: Yéménites, Berbères, Fihrites (descendants d'Okba), s'évertuèrent il renverser le trône oméïade à peine assis.

En 763, El-Ala-ben-Moghit, nommé gouverneur de l'Espagne par le khalife El-Mansour, débarqua dans la province de Béja et arbora le drapeau noir des abbassides. Aussitôt, yéménites et fihrites accourent se ranger autour du représentant de l'autorité légitime, et tous viennent assiéger Abd-er-Rahman qui s'était retranché dans la place forte de Carmona. Le siège durait depuis deux mois et la situation des assiégés était des plus critiques, lorsque le prince oméïade, prenant une résolution désespérée, se mit à la tête de ses meilleurs guerriers, sortit de la ville et, se jetant avec impétuosité sur le camp des assiégeants, s'en rendit maître et tailla en pièces ses ennemis. On dit qu'ayant coupé les têtes des principaux chefs, parmi lesquels El-Ala, il les fit saler, après avoir attaché à l'oreille une étiquette indiquant le nom de chacun, et expédia le tout, roulé dans les débris du drapeau noir et enveloppé d'un sac, au khalife abbasside. En recevant le funèbre envoi, El-Mansour se serait écrié: «Je rends grâce à Dieu de ce qu'il y a une mer entre moi et un tel ennemi! 402» Abd-er-Rahman triompha ensuite de cette révolte et traita avec la dernière rigueur ceux qui s'y étaient compromis.

Note 402: (retour) Dozy, Hist. des Musulmans d'Espagne, p. 367.

En 766, une grande insurrection éclata parmi les Berbères à la voix d'un illuminé du nom de Chakia, qui se faisait passer pour un descendant du prophète et avait pris le nom de Abd-Allah-ben-Mohammed. Il était originaire d'une fraction des Miknaça, passée en Espagne lors de la première invasion et devenue très puissante.

Il proclama l'autorité abbasside, obtint de grands succès et, durant neuf années, tint en échec la puissance d'Abd-er-Rahman. Ce prince parvint enfin à écraser ses adhérents et à le faire assassiner.

Sur ces entrefaites, trois chefs arabes formèrent un nouveau complot, c'étaient: le kelbite el-Arbi, gouverneur de Barcelone, le fihrite Abd-er-Rahman-ben-Habib, surnommé le Slave, gendre de Youçof, et un fils de Youçof, appelé Abou-el-Asouad. La gloire de Charlemagne étant parvenue jusqu'à eux, ils résolurent de solliciter son concours et, à cet effet, se rendirent, en 777, à Paderborn et proposèrent au grand conquérant de lui ouvrir l'Espagne. Charles accueillit leurs ouvertures et leur promit de conduire une armée dans la péninsule. El-Arbi devait l'appuyer avec tous ses adhérents, au nord de l'Ebre, et le faire reconnaître comme souverain de cette région, tandis que le Slave irait chercher des Berbères en Afrique et occuperait avec eux la province de Murcie.

Ce plan, si bien combiné, pécha dans l'exécution: le Slave arriva le premier, avec un certain nombre de Berbères, et demanda des secours à El-Arbi; mais celui-ci lui objecta que, selon leur traité, il ne devait pas franchir l'Ebre. Irrité de ce qu'il appelait une trahison, le Slave marcha contre El-Arbi, fut battu et forcé de rentrer dans la province de Murcie, où il périt assassiné.

Lorsque Charlemagne eut franchi les Pyrénées, il ne trouva, pour l'appuyer, qu'El-Arbi et quelques officiers, tels qu'Abou-Thaur, Abou-l'Asouad et le comte de Cerdagne. Au lieu de voir, comme on le lui avait promis, toutes les places lui ouvrir leurs portes, il dut commencer par entreprendre le siège de Saragosse, où commandait un fanatique, ne voulant aucune alliance avec les chrétiens. Tandis qu'il était devant cette place, il reçut la nouvelle que Witekind et les Saxons avaient repris les armes et menaçaient Cologne. Force lui fut de lever le siège et de reprendre au plus vite la route du Nord; il passa par la vallée de Roncevaux, où son arrière-garde tomba dans une embuscade tendue par les Basques.

Ainsi Abd-er-Rahman avait échappé au plus grave danger qu'il eût encore couru, et cela sans faire aucun effort personnel. Après le départ des Franks, il s'appliqua à combattre isolément tous ses adversaires et, par sa persévérance et son implacable cruauté, arriva enfin à briser toutes les résistances. Ne pouvant compter sur les Musulmans d'Espagne, il appela d'Afrique un grand nombre de Berbères et même de nègres et en forma une armée dévouée, sans aucun lien avec les gens du pays 403.

Note 403: (retour) Dozy, Musulmans d'Espagne, t. I, p. 370 et suiv.

Pendant que le khalife oméïade était absorbé par ces luttes, Alphonse, roi des Asturies, étendait les limites de ses provinces et arrachait la Galice aux Musulmans. Ce prince termina son glorieux règne en 759, et fut remplacé par son fils Froïla. Lugo, Porto, Zamora, Salamanque et une partie de la Castille étaient en son pouvoir. Il mourut en 769, léguant la couronne à son fils Aurélio 404.

Note 404: (retour) Dozy, Recherches sur l'hist. de l'Espagne, p. 101.

Intérim de Daoud-ben-Yezid.--Gouvernement de Rouh-ben-Hatem.--En 787, Yezid-Ben-Hatem cessa de vivre, après avoir exercé le pouvoir durant près de quinze années. L'Afrique avait joui d'une période de tranquillité bien nécessaire après tant de luttes. Aussitôt après la mort du gouverneur, les Nefzaoua se révoltèrent et, conduits par l'un des leurs, nommé Salah-ben-Nacir, attaquèrent leurs voisins et les contraignirent à adopter la doctrine éïbadite, puis ils envahirent le Tel et s'avancèrent jusqu'à Badja. Le commandant de Tobna ayant marché contre eux fut défait près de cette ville.

Daoud, fils de Yezid, qui avait pris la direction des affaires après la mort de son père, envoya alors contre les insurgés le général Soléïman avec dix mille cavaliers. Les Kharedjites, vaincus dans une première rencontre, se reformèrent à Sikka (le Kef); mais Soléïman les y poursuivit et les dispersa, après en avoir tué un grand nombre. Ainsi la révolte se trouva encore une fois apaisée. Daoud administrait depuis plus de neuf mois l'Ifrikiya, lorsque le khalife Haroun-er-Rachid le remplaça par son oncle Rouh-ben-Hatem, et, pour le récompenser de ses services, lui conféra le gouvernement de l'Egypte.

Au commencement de l'année 788, Rouh arriva à Kaïrouan et prit en main l'autorité. C'était un homme prudent et expérimenté qui, au lieu de pousser les indigènes à la révolte par de durs traitements, jugea préférable de composer avec eux. Abd-er-Rahman-ben-Rostem était mort à Tiharet, quelque temps auparavant, et avait été remplacé par son fils Abd-el-Ouahab. Ce chef adressa au gouverneur de Kaïrouan des propositions d'alliance qui furent acceptées, et un traité de paix fut signé entre le représentant du khalife et le chef du kharedjisme éïbadite 405.

Note 405: (retour) Ibn-Khaldoun, t. I, p. 224. En-Nouéïri, p. 387, 388.

Edris-bex-Abdallah fonde à Oulili la dynastie edriside.--Ainsi l'autorité arabe s'affaiblissait chaque jour en Afrique; une nouvelle dynastie allait s'établir dans le Mag'reb et consacrer la perte définitive de cette contrée pour le khalifat.

Nous avons vu précédemment qu'après l'assassinat du khalife Ali, gendre de Mahomet, ses partisans avaient en vain essayé de faire obtenir le trône à ses enfants. Vaincus, les Alides n'avaient pu empêcher l'établissement de la dynastie oméïade; mais ils avaient formé une vaste société secrète et s'étaient donné le nom de Chiaïtes (co-ayants-droit). Ils avaient continué à compter en secret le règne des descendants d'Ali, seuls khalifes légitimes, et n'avaient cessé d'attendre le moment de reconquérir le pouvoir. Sous le règne de l'abbasside El-Mansour, deux des descendants d'Ali, croyant l'heure arrivée, avaient levé les armes; mais la victoire s'était prononcée pour leur adversaire et la révolte avait été étouffée dans le sang. Après la mort d'El-Mansour, un alide du nom de Hocéïne, petit-fils de Haçan II, se mit en révolte contre le khalife El-Mehdi; mais il fut vaincu et tué à la bataille de Fekh, près de La Mekke, et presque tous ses adhérents périrent massacrés (787).

Un oncle de Hocéïn, nommé Edris-ben-Abd-Allah, avait échappé au désastre de Fekh; il se tint soigneusement caché et put se soustraire aux minutieuses recherches ordonnées par le khalife. Son signalement avait été envoyé à tous les commandants militaires, et des postes furent établis sur les routes afin de l'arrêter s'il tentait de sortir de l'Arabie. En dépit de ces précautions, Edris parvint, grâce au dévouement de son affranchi Rached, à gagner l'Egypte; de là, il partit pour l'ouest, vêtu d'une robe de laine et coiffé d'un turban grossier. Pour mieux tromper les agents du khalife, Rached lui donnait des ordres comme à un domestique, et il put sous ce déguisement atteindre le fond du Mag'reb. Après avoir séjourné à Tanger, il gagna Oulili 406, près d'une des sources du Sebou, dans les montagnes des Aoureba, et fut bien accueilli par ces Berbères, dont le chef Abou-Léïla-Ishak lui jura fidélité. Ainsi, c'était loin de sa patrie, et au milieu de populations sauvages, que le descendant de Mahomet trouvait la sécurité et pouvait faire reconnaître ses droits. Vers la fin de l'année 788, Edris se proclama indépendant et obtint l'appui des Zouar'a, Louata, Seddrata, Riatha, Nefza, Mar'ila, Miknaca et même d'une partie des R'omara 407.

Note 406: (retour) L'antique Volubilis, où fut ensuite construite la ville de Fès.
Note 407: (retour) Ibn-Khaldoun, t. I, p. 209, 239, 290, t. II, p. 559 et suiv. Roudh-El-Kartas, trad. Beaumier, p. 12 et suiv. El-Bekri, trad. de Slane, art. Idricides.

Ayant reçu des contingents de ces tribus, Edris étendit son autorité sur les régions du Mag'reb. Quelques populations d'origine ancienne, débris de vieilles tribus, les Fendelaoua, Behloula, Fazaz, etc., avaient trouvé un refuge dans ces montagnes reculées, et y avaient conservé le culte israélite ou chrétien. Le descendant du prophète les força à professer l'islamisme. Il alla ensuite réduire les populations de Mediouna, au delà de la Moulouïa, puis passa dans le Temesna et en fit la conquête, ainsi que de Tedla et de la ville de Chella, régions dans lesquelles le paganisme avait encore des adeptes.

Conquêtes d'Edris; sa mort.--Devenu ainsi maître d'un vaste territoire, Edris s'y fit proclamer khalife, et imam ou chef de la religion orthodoxe. L'année suivante, il marcha vers l'est, contre les Beni-Ifren et Mag'raoua hérétiques et, par conséquent, ennemis. Parvenu auprès de Tlemcen, il reçut la soumission du chef de ces Zenètes, Mohammed-ben-Khazer, qui avait remplacé Abou-Korra. Edris entra dans Tlemcen sans coup férir et séjourna un certain nombre de mois dans cette ville, où il construisit la mosquée qui porta son nom. Après avoir fait une tentative infructueuse pour abattre la puissance des Rostemides de Tiharet, il reprit le chemin d'Oulili, laissant à Tlemcen, pour le représenter, son frère Soleïman (790).

Mais, tandis que le nouveau souverain de Mag'reb se disposait à poursuivre ses conquêtes, sa perte se tramait en Orient. Le khalife Haroun-er-Rachid ne pouvant le combattre par les armes, dans ce pays éloigné, résolut de s'en débarrasser par un moyen qui lui était familier, l'assassinat. Un certain Soléïman-ben-Horéïz, surnommé Ech-Chemmakh, affilié à la secte des Zaïdiya, fut envoyé par lui, dans ce but, en Mag'reb. Il se présenta à la cour d'Edris comme médecin et comme déserteur du parti abbasside; ayant, au moyen de ce double titre, capté la confiance d'Edris, il parvint un jour à éloigner le fidèle Rached, et en profita pour empoisonner son maître. Lorsqu'il fut certain de sa mort, il monta à cheval et reprit en toute hâte la route de l'est; mais Rached fut bientôt sur ses traces et, l'ayant atteint près de la Moulouïa, engagea avec lui un combat dans lequel chacun des adversaires reçut plusieurs blessures. Ech-Chemmakh put néanmoins traverser la rivière et, tout sanglant, continuer sa route.

Edris fut enterré à Oulili (793). Il ne laissait pas d'enfants, et le khalife pouvait croire cette dynastie éteinte. Mais nous verrons plus tard qu'une de ses concubines, la Berbère Kenza, était enceinte et que, grâce à l'adresse et à la prudence de Rached, le royaume edricide fut conservé à l'enfant posthume de son fondateur.

Gouvernements d'En-Nasr-ben-el-Habib et d'El-Fadel-ben-Rouh.--En Ifrikiya, le vieux gouverneur Rouh-ben-Hatem était mort. (791), et avait désigné pour lui succéder son fils Kabiça. Mais Haroun-er-Rachid n'entendait pas que la fonction de gouverneur se transmît par hérédité dans son empire; prévenu de la fin prochains de Rouh, il envoya, pour le remplacer en Ifrikiya, Nasr-ben-el-Habib. Cet officier arriva à Kaïrouan au moment où Kabiça venait de se faire reconnaître comme émir; ayant montré son diplôme, il reçut le serment de la population et des troupes. Il exerça, pendant deux ans, le pouvoir avec équité; mais, en 793, El-Fadel, autre fils de Rouh, obtint du khalife sa nomination au poste qui avait été occupé par son père, et vint prendre possession du commandement à Kaïrouan (mai 793).

Peu de temps après, la milice syrienne en garnison à Tunis se révolta contre le gouverneur de cette ville, El-Moréïra-ben-Bachir, neveu d'El-Fadel, dont la conduite imprudente et les exactions avaient soulevé l'opinion publique. Le chef de cette sédition, Abd-Allah-ben-Djaroud, écrivit à El-Fadel pour faire connaître les griefs de la population, et aussitôt un autre commandant fut envoyé à Tunis; mais les gens qui s'étaient portés à sa rencontre le mirent à mort et cette sédition se changea en révolte ouverte. Les commandants des places voisines, gagnés par les promesses ou par l'argent, firent cause commune avec les rebelles. El-Fadel, ayant marché avec ses troupes contre Abd-Allah, fut défait par celui-ci et ne put l'empêcher de s'emparer de Kaïrouan. Ayant été lui-même fait prisonnier, il fut massacré par ies soldats, malgré l'opposition d'Ibn-el-Djaroud (794).

Anarchie en Ifrikiya.--Cependant le commandant d'El-Orbos, nommé Chemdoun, se déclara hautement contre les rebelles, fit alliance avec plusieurs autres chefs, parmi lesquels son collègue de Mila, et recueillit Moréïra et tous les adhérents de la cause légitime. Ayant marché contre l'usurpateur, il éprouva une première défaite; mais, bientôt, El-Ala-ben-Saïd, gouverneur du Zab, vint le rejoindre avec de nouveaux contingents, et fous marchèrent sur Kaïrouan.

Sur ces entrefaites, Ibn-Djaroud, ayant appris que le khalife avait nommé comme gouverneur de l'Ifrikiya Hertema-ben-Aïan, et qu'en attendant son arrivée, un officier du nom de Yaktin allait venir avec la mission de pacifier la milice, se porta au devant de l'envoyé pour tâcher de transiger avec lui ou de détourner le coup qui le menaçait. En vain, Yaktin pressa le rebelle de déposer les armes: Ibn-Djaroud refusa sous le prétexte que, s'il abandonnait Kaïrouan, cette ville serait livrée au pillage par les Berbères au service de ses ennemis. Ne pouvant rien obtenir de lui, Yaktin s'appliqua à détacher de sa cause un certain nombre d'adhérents.

Peu après, Yahia-ben-Moussa, lieutenant de Hertema, se mit en marche vers l'ouest à la tête d'un corps d'armée et s'empara de Tripoli. Quant au gouverneur, il était resté en observation à Barka. En même temps, El-Ala, gouverneur du Zab, revint, avec ses Berbères, mettre le siège devant Kaïrouan. Ibn-Djaroud, se voyant perdu, écrivit en hâte à Yahïa pour lui offrir sa soumission; puis il sortit de la capitale, où il avait commandé pendant sept mois, et vint se remettre entre ses mains. Aussitôt El-Ala fit son entrée à Kaïrouan et massacra tous les partisans du chef révolté. Yahia-ben-Moussa arriva à son tour (mars-avril 795) et obtint, non sans peine, qu'El-Ala renvoyât ses troupes, dont les excès allaient croissant. Le chef qui se prétendait le sauveur de l'autorité du khalife se retira à Tripoli et, de là, écrivit à Hertema pour réclamer le prix de ses services. Il est à supposer que sa puissance était fort à craindre, car le khalife Er-Rachid lui écrivit lui-même, en le félicitant, et en lui envoyant une forte gratification. On put ainsi le décider à partir pour i Orient 408.

Note 408: (retour) En-Nouéïri, p. 389 et suiv.

Gouvernement de Hertema-ben-Aïan.--Dans le mois de juin 795, Hertema fit son entrée à Kaïrouan. Il proclama une amnistie générale et s'occupa de mettre en état de défense les fortifications de plusieurs villes de la côte, notamment Monastir et Tripoli. Mais l'esprit de révolte agitait partout les populations indigènes et le gouverneur ne pouvait compter sur sa milice, pour laquelle l'indiscipline était devenue une habitude. Se sentant trop faible et trop isolé pour mener à bien la rude tâche qu'on lui avait confiée, il sollicita lui-même du khalife son rappel. Haroun-er-Rachid désigna alors son propre frère de lait Mohammed-ben-Mokatel pour occuper le poste important de gouverneur de l'Ifrikiya. L'on s'explique difficilement pourquoi le choix du khalife tomba sur un homme aussi incapable, dans un moment où la situation réclamait un esprit particulièrement habile et expérimenté.

Gouvernement de Mohammed-ben-Mokatel.--Arrivé à Kaïrouan dans le mois de ramadan 181 (octobre 797), le gouverneur donna aussitôt la mesure de son incapacité, ne comprenant rien à la situation, et se livrant à toutes les fantaisies d'un despote grisé par son pouvoir. Un an s'était à peine écoulé depuis son arrivée, que les miliciens syriens et khoraçanites se mettaient en état de révolte et plaçaient à leur tête Morra-ben-Makhled. Un corps de troupes envoyé contre les rebelles les réduisit au silence; leur chef fut mis à mort.

Peu de temps après, Temmam-ben-Temim, commandant de Tunis, releva l'étendard de la révolte et, ayant réuni tous les mécontents, marcha sur Kaïrouan (octobre 799).

Ibn-Mokatel sortit à sa rencontre et lui livra bataille à Moniat-el-Kheïl; mais il fut complètement défait et n'obtint la vie sauve qu'en promettant de quitter la place. Il se réfugia en effet avec sa famille à Tripoli, tandis que Temmam faisait son entrée à Kaïrouan.

Ibrahim-ben-el-Ar'leb apaise la révolte de la milice.--A ce moment, le commandement du Zab était confié à un fils de l'ancien gouverneur El-Ar'leb, nommé Ibrahim, qui avait acquis une grande autorité dans cette situation. Dès qu'il eut appris les événements d'Ifrikiya, Ibrahim se mit en marche, à la tête de ses contingents, pour combattre l'usurpateur. Mais Temmam ne l'attendit pas; il évacua la ville, et le fils d'El-Ar'leb, ayant pris possession de Kaïrouan, annonça en chaire qu'Ibn-Mokatel était toujours le seul gouverneur de l'Ifrikiya. Ce dernier rentra en toute hâte dans sa capitale.

Quant à Temmam, qui s'était réfugié à Tunis, il tenta de semer la désunion parmi les troupes fidèles et même d'indisposer le gouverneur contre Ibrahim; mais toutes ses manœuvres échouèrent et il apprit bientôt que celui-ci marchait contre lui.

Au commencement de février 800, Ibn-el-Ar'leb infligea à Temmam une défaite qui le força à rentrer à Tunis; il se disposait à entreprendre le siège de cette ville, lorsque Temmam lui offrit sa soumission, à condition que lui et ses frères auraient la vie sauve. Cette demande lui ayant été accordée, il se rendit à discrétion et fut conduit à Kaïrouan, d'où on l'expédia en Orient comme prisonnier d'état avec les chefs les plus compromis 409.

Note 409: (retour) En-Nouéïri, p. 397.

Ibrahim-ben-el-Ar'leb, nommé gouverneur indépendant, fonde la dynastie ar'lébite.--Cependant, le khalife Haroun-er-Rachid, ayant appris les tristes exploits de son frère de lait, se convainquit de la nécessité de le remplacer en Ifrikiya. Dans l'état des choses, Ibrahim était l'homme de la situation et son choix s'imposait. Le khalife ayant consulté à ce sujet Hertema-ben-Aïan, dont il appréciait fort l'expérience, obtint cette réponse: «Vous n'avez personne de plus aimé, de plus dévoué et de plus digne d'exercer le pouvoir qu'Ibrahim-ben-el-Ar'leb, dont la conduite passée est garante de l'avenir.» Ces paroles achevèrent de décider le khalife qui avait reçu d'Ibn-el-Ar'leb une lettre par laquelle il sollicitait pour lui le gouvernement de l'Ifrikiya, offrant non seulement de renoncer à la subvention de cent mille dinars fournie par le gouvernement de l'Egypte, mais encore de payer au souverain un tribut de quarante mille dinars.

Cette solution, qui allait débarrasser le khalifat d'ennuis toujours renaissants et retarder de plus d'un siècle la chute de l'autorité arabe en Afrique, permettait néanmoins de mesurer tout le terrain perdu dans le Mag'reb. Dès lors, en effet, le gouvernement central n'aurait plus à intervenir dans l'administration du pays qu'il consentait à abandonner, moyennant fermage, à des vice-rois formant une dynastie vassale, et chez lesquels le pouvoir se transmettrait par voie d'hérédité. Ainsi, cette brillante conquête qui avait coûté si cher aux Arabes s'était détachée d'eux, province par province, dans l'espace de moins d'un siècle, et il ne restait au khalifat qu'une suzeraineté presque nominale sur l'Ifrikiya.

Ibrahim apprit officieusement sa nomination; mais, lorsque le courrier porteur des brevets arriva en Afrique, Ibn-Mokatel, qui se trouvait à Tripoli, les intercepta au passage et fit parvenir à Kaïrouan une fausse lettre le maintenant au poste de gouverneur. En recevant cette missive, l'Ar'lebite devina la supercherie; néanmoins il céda la place et reprit avec ses troupes le chemin du Zab. Mais le khalife, à l'annonce de cette incartade de son frère de lait, entra dans une violente colère et intima à Ibn-Mokatel, qui se disposait à revenir à Kaïrouan, l'ordre formel de résigner ses fonctions entre les mains d'Ibrahim. Celui-ci revint aussitôt du Zab et, dans les premiers jours de juillet 800, il prit définitivement la direction des affaires 410.

Note 410: (retour) En-Nouéïri, p. 395 et suiv.

Naissance d'Edris II.--Pendant que l'Ifrikiya était le théâtre de ces événements importants, la dynastie edricide, que le khalife Haroun avait cru écraser dans son germe, renaissait pour ainsi dire de ses cendres.

Nous avons vu qu'Edris, en mourant, avait laissé une de ses concubines, nommée Kenza, enceinte. Après les funérailles du prince, le fidèle Rached réunit les principaux chefs des tribus berbères et leur dit: «L'imam Edris est mort sans enfants, mais Kenza, sa femme, est enceinte de sept mois, et, si vous le voulez bien, nous attendrons jusqu'au jour de son accouchement pour prendre un parti: s'il naît un garçon, nous l'élèverons, et quand il sera homme, nous le proclamerons souverain; car, descendant du prophète de Dieu, il apportera avec lui la bénédiction de la famille sacrée 411

Note 411: (retour) Kartas, p. 23. Ibn-Khaldoun, Berbères, p. 561. El-Bekri, Idricides.

Cette proposition fut acceptée avec acclamation par les Berbères, et en septembre 793, Kenza donna le jour à un enfant mâle d'une ressemblance frappante avec son père». Rached le présenta aux cheiks indigènes qui s'écrièrent en le voyant: «C'est Edris lui-même, l'imam n'a pas cessé de vivre!»

On laissa à Rached le soin de l'élever et de gouverner en son nom, jusqu'à sa majorité, et les chroniques rapportent que ce tuteur ne négligea rien pour donner à Edris II une brillante instruction et faire de lui un redoutable guerrier.

L'Espagne sous Hicham et el-Hakem.--En Espagne, le khalife oméïde Abd-er-Rahman était mort en septembre 788, après un règne de plus de trente-trois années employées presque entièrement à l'affermissement de son pouvoir. Il laissa trois fils; Soleïman, Abd-Allah et Hicham. Ce dernier, bien que le plus jeune, lui succéda après une courte lutte avec son aîné Soleïman. Pour assurer sa tranquillité, il acheta à ses deux frères leur renonciation au trône et, en vertu de leur convention, ceux-ci se retirèrent au Mag'reb.

Après un règne de près de huit années, Hicham cessa de vivre et fut remplacé par son fils El-Hakem (avril 796). Soleïman et Abd-Allah, ses oncles, ne tardèrent pas à quitter le Mag'reb en amenant une armée de Berbères pour lui disputer le pouvoir. Après deux années de luttes, Soleïman ayant été tué, la victoire resta définitivement à El-Hakem (800).

Pendant le règne de Hicham, des expéditions heureuses avaient été faites par les Musulmans en Galice, et les chrétiens avaient été humiliés par des défaites qui leur avaient arraché une partie de leurs conquêtes 412. Plusieurs souverains avaient succédé à Alphonse Ier. A la fin du viiie siècle, Alphonse II, dit le Chaste, roi des Asturies, ne put empêcher les Musulmans de pénétrer jusque dans les montagnes de son royaume.

Note 412: (retour) Dozy, Recherches sur l'hist. de l'Espagne, p. 101-139 et suiv. El Marrakchi (Dozy), p. 17 et suiv.

                    Chronologie des gouverneurs de l'Afrique.

                              Date de la nomination.

   Okba-ben-Nafa vers.................   669
   Dinar-Abou-el-Mohadjeri vers.......   675
   Okba-ben-Nafa......................   681
   Zoheïr-ben-Kais vers...............   688
   Haçane-ben-Nomane vers.............   697
   Mouça-ben-Noceïr...................   705
   Mohammed-ben-Yezid.................   715
   Ismaïl-ben-Abd-Allah...............   718
   Yezid-ben-Abou-Moslem..............   720
   Bichr-ben-Safouane.................   721
   Obeïda-ben-Abd-er-Rahman...........   728
   Okba-ben-Kodama....................   732
   Obeïd-Allah-ben-el-Habhab..........   734
   Koltoum-ben-Aïad...................   741
   Hendhala-ben-Sofiane...............   742
   Abd-er-Rahman-ben-Habib............   744
   El-Yas-ben-Habib...................   755
   El-Habib-ben-Abd-er-Rahman.........   756
   Mohammed-ben-Achath................   761
   El-Ar'leb-ben-Salem................   765
   Omar-ben-Hafs-Hazarmed.............   768
   Yezid-ben-Hatem....................   772
   Daoud-ben-Yezid....................   787
   Rouh-ben-Hatem.....................   788
   En-Nasr-ben-el-Habib..............    791
   El-Fadel-ben-Rouh..................   793
   Hertema-ben-Aïan...................   795
   Mohammed-ben-Mokatel...............   797
   Ibrahim-ben-el-Ar'leb..............   800



CHAPITRE VI

L'IFRIKIYA SOUS LES AR'LEBITES. CONQUÊTE DE LA SICILE

800-838

Ibrahim établit solidement son autorité en Ifrikiya.--Edris II est proclamé par les Berbères.--Fondation de Fez par Edris II.--Révoltes en Ifrikiya.--Mort d'Ibrahim.--Abou-l'Abbas-Abd-Allah succède à son père Ibrahim.--Conquêtes d'Edris II.--Mort de Abd-Allah; son frère Ziadet-Allah le remplace.--Espagne: Révolte du faubourg. Mort d'El-Hakem.--Luttes de Ziadet-Allah contre les révoltes.--Mort d'Edris II; partage de son empiré.--Etat de la Sicile au commencement du ixe siècle.--Euphémius appelle les Arabes en Sicile; expédition du cadi Aced.--Conquête de la Sicile.--Mort de Ziadet-Allah; son frère, Abou-Eïkal-el-Ar'leb, lui succède.--Guerres entre les descendants d'Edris II.--Les Midrarides à Sidjilmassa.--L'Espagne sous Abd-er-Rahman II.

Ibrahim établit solidement son autorité en Ifrikiya.--Le choix d'Ibrahim-ben-el-Ar'leb, comme vice-roi de l'Ifrikiya, était le meilleur que le khalife pût faire; lui seul, par son habileté et la pratique qu'il possédait des affaires du pays, était capable d'étouffer les germes de révolte, et de contenir les Berbères sans se soumettre aux caprices de la milice. L'anarchie des dernières années provenait surtout de ce que le gouverneur n'avait aucune force sur laquelle il put compter, en dehors des miliciens d'Orient. Ceux-ci, se sentant nécessaires, devenaient intraitables. Pour remédier à cet inconvénient, il ne fallait pas penser à former des corps berbères; ce fut aux nègres qu'il eut recours pour contrebalancer la force des Syriens. Ayant acheté un grand nombre d'esclaves noirs, il les habitua à porter les armes, en laissant croire aux miliciens qu'il destinait ces nègres à être employés dans les postes les plus périlleux.

En même temps, pour s'assurer une retraite sûre, en cas de révolte, il fit construire, à trois milles de Kaïrouan, la place forte d'El-Abbassïa où il déposa ses trésors et une grande quantité d'armes. Puis il se disposa à aller s'établir dans cette résidence, qu'on appela, plus tard, El-Kasr-el-Kedim (le vieux château). Ce fut là qu'il reçut les envoyés de Charlemagne qui avaient été chargés de prendre à Karthage, à leur retour d'Orient, les reliques de plusieurs martyrs chrétiens. En même temps, Ibrahim envoyait une ambassade à l'empereur, alors à Pavie (801) 413.

Note 413: (retour) Fournel, Berbers, p. 453.

L'année suivante (802), Ibrahim eut à lutter contre son représentant à Tunis, Hamdis-ben-Abd-er-Rahman-el-Kindi, qui se révolta en appelant à lui les mécontents arabes et berbères. Amran-ben-Mokhaled, général du gouverneur ar'lebite, ayant marché contre les rebelles, leur livra une sanglante bataille, dans laquelle leur chef fut tué, et les mit en déroute. Ibrahim s'appliqua alors à rétablir la paix en Ifrikiya, puis il tourna ses regards vers le Mag'reb, où le souvenir de l'autorité arabe disparaissait de jour en jour.

Edris II est proclamé par les Berbères.--A Oulili, le fils d'Edris I grandissait sous la tutelle éclairée de Rached et la protection des Aoureba, tandis qu'à Tlemcen, son oncle Soleïman exerçait le pouvoir en son nom. Ibrahim, considérant avec raison que l'empire edricide était le plus grand obstacle à la réalisation de ses vues ambitieuses sur le Mag'reb, espéra l'anéantir en faisant assassiner Rached. Mais ce crime tardif fut inutile et eut pour conséquence de resserrer les Berbères autour du jeune prince (802); l'un d'eux, Abou-Khaled-Yezid, se chargea de remplacer Rached, comme tuteur d'Edris, alors âgé de neuf ans. En mars 803, les Aoureba et les représentants des tribus voisines, réunis à Oulili, dans la mosquée de cette ville, prêtèrent serment solennel de fidélité à Edris II.

Ce prince, qui avait alors onze ans et montrait une intelligence très précoce, commença à gouverner sous la tutelle d'Abou-Khaled. Ainsi se consolidait l'empire edricide, malgré les intrigues, entretenues en Mag'reb par le vice-roi ar'lebite. L'attitude énergique et dévouée des Berbères, plus que la supplique adressée par Edris à Ibrahim, décida ce dernier à ajourner la réalisation de ses plans sur l'Occident 414. Du reste, Ibn-el-Ar'leb fut bientôt absorbé par d'autres soins. En 805, la garnison de Tripoli se révolta, chassa son commandant et se donna comme chef Ibrahim-ben-Sofian, Arabe de la tribu de Temim. Ibrahim dut employer toutes ses forces pour apaiser cette sédition qui ne fut domptée qu'au commencement de 806.

Note 414: (retour) Ibn-Khaldoun, Berbères, t. II, p. 563. En-Nouéïri, p. 401. Kartas, p. 18. El-Bekri,. Idricides.

Fondation de Fès par Edris II.--A Oulili, le jeune Edris grandissait au milieu des intrigues encouragées par son jeune âge et son inexpérience. Un certain nombre d'Arabes étaient venus, tant de l'Espagne que de l'Ifrikiya, lui offrir leurs services et avaient été bien accueillis par lui; l'un d'eux, Omaïr-ben-Moçaab, avait même reçu le titre de vizir en remplacement d'Abou-Yezid 415.

Ainsi l'influence arabe dominait à Oulili et allait pousser Edris à un acte autrement grave. En 808, il fit mourir Abou-Leïla-Ishak, chef des Aoureba, qui avait été le protecteur de son père et le sien. Il est probable que ce chef avait laissé entrevoir son ressentiment de la protection accordée aux Arabes. Ibn-Khaldoun, pour excuser l'ingratitude d'Edris, prétend qu'il avait découvert que ce chef entretenait des intelligences avec l'ar'lebite Ibrahim 416. Les Berbères, froissés dans leurs sentiments les plus intimes, supportèrent cependant ces injustices sans protestation.

Edris II, voyant chaque jour sa puissance s'accroître, jugea que sa résidence d'Oulili ne lui suffisait plus et résolut de construire une capitale digne de son empire. Après avoir cherché longtemps, il se décida pour un emplacement traversé par un des affluents du Sebou, et occupé par des Berbères de la tribu de Zouar'a. La nouvelle ville se trouvait ainsi divisée naturellement en deux quartiers. Edris jeta en 808 les fondements de celui qui devait être appelé «des Andalous», et, l'année suivante, il fit construire l'autre, nommé plus tard «des Kaïrouanites». Il dota sa capitale de nombreux édifices et notamment de la mosquée dite «des Chérifs».

Lorsqu'Edris eut atteint sa majorité, c'est-à-dire vers 810, les tribus berbères lui renouvelèrent leur serment de fidélité, et il reçut la soumission des principales contrées du Mag'reb 417.

Note 416: (retour) Berbères, t. III, p. 561.
Note 417: (retour) Bekri, Idricides.

Révoltes en Ifrikiya. Mort d'Ibrahim.--Pendant ce temps, Ibrahim-ben-el-Ar'leb était encore aux prises avec la révolte. Les miliciens arabes avaient vu, avec beaucoup de jalousie, les précautions prises contre eux par le vice-roi; lorsqu'il se fut établi définitivement à El-Abbassïa, sous la protection de sa garde noire, leur irritation ne connut plus de bornes, et bientôt le général Amrane donna le signal de la révolte (811). Maître de Kaïrouan, il appela à lui tous les mécontents et vint assiéger Ibrahim dans sa forteresse.

Pendant un an, on combattit sans grand avantage de part et d'autre. Enfin Ibrahim, ayant appris qu'on lui envoyait d'Egypte un secours en argent, dépêcha son fils, Abd-Allah, vers Tripoli pour arrêter la somme au passage. Puis il fit répandre la nouvelle de la prochaine arrivée des fonds. Aussitôt la milice, qui n'avait pas touché de solde depuis qu'elle avait embrassé la cause de la révolte, commença à s'agiter dans Kaïrouan, et Amrane, dépourvu de ressources, se convainquit qu'il ne pouvait plus lutter contre ce nouvel ennemi. Il sortit nuitamment de la ville et courut se réfugier dans le Zab.

Ibrahim venait de triompher de cette longue révolte et était occupé à démanteler les fortifications de Kaïrouan, lorsqu'il apprit que son fils Abd-Allah avait été chassé de Tripoli par les troupes occupant cette place. Il lui envoya des fonds au moyen desquels Abd-Allah put enrôler un grand nombre de Berbères et rentrer en possession de Tripoli. Ce furent alors ces mêmes indigènes, appartenant à la tribu des Houara, qui se lancèrent dans la révolte. Conduits par leur chef, Aïad-ben-Ouahb, ils vinrent attaquer Tripoli qui était défendu par le général Sofiane, se rendirent maîtres de cette ville et la renversèrent presque entièrement. Abd-Allah, envoyé en toute hâte par son père, à la tête d'une armée de treize mille hommes, défit les Berbères et, étant rentré à Tripoli, s'occupa à relever les fortifications de cette ville (811) 418.

Note 418: (retour) Les détails donnés par les auteurs arabes sur les différentes phases de cette révolte sont assez embrouillés, et il est possible qu'Abd-Allah n'ait repris qu'une seule fois Tripoli.

Sur ces entrefaites, Abd-el-Ouahab-ben-Rostem, roi de Tiharet, arrivé de l'Ouest avec de nombreux contingents, rallia les Houara et Nefouça et vint mettre le siège devant Tripoli. Il fit, avec soin, garder une des issues de la place et pressa l'autre avec la plus grande vigueur. Abd-Allah était sur le point de succomber, lorsqu'on reçut la nouvelle de la mort d'Ibrahim qui était décédé à l'âge de 56 ans (juillet 812), dans son château d'El-Abbassïa.

Abou-l'Abbas-Abd-Allah succède à son père Ibrahim.--Aussitôt que la mort d'Ibrahim fut connue, Abd-Allah, qui avait été désigné par lui pour lui succéder, se hâta de proposer à Ibn-Rostem de conclure le paix. Il fut convenu entre eux que le prince de Tiharet se retirerait dans les montagnes des Nefouça et que Tripoli resterait aux Ar'lebites: mais toutes les plaines de la Tripolitaine furent abandonnées aux Kharedjites.

Pendant que cette paix boiteuse se signait à Tripoli, Ziadet-Allah, second fils d'Ibrahim, recevait, selon les dispositions prises par son père, le serment des principaux citoyens de Kaïrouan.

Dans le mois d'octobre 812, Abou-l'Abbas-Abd-Allah arriva dans sa capitale. Son frère, Ziadet-Allah, s'était porté au devant de lui pour le saluer comme souverain, mais il fut reçu avec la plus grande dureté. Pour la première fois, le fils d'un gouverneur de l'Ifrikiya succédait à son père sans l'intervention du khalifat 419.

Haroun-er-Rachid était mort en 809, laissant le trône à son fils El-Mamoun. Le nouveau khalife se borna à ratifier l'élévation du vice-roi de Kaïrouan.

Note 419: (retour) Ibn-Khaldoun, t. I, p. 243, 277. En-Nouéïri, p. 403.

Conquêtes d'Edris II.--Dans le Mag'reb, Edris II continuait à affermir son trône. Voulant sans doute faire oublier aux Aoureba l'ingratitude qu'il avait montrée à leur chef, il leur confia des commandements importants; puis, s'enfonçant dans les montagnes du sud-ouest, il attaqua les tribus masmoudiennes, les vainquit et soumit l'Atlas à son autorité. Après s'être avancé en vainqueur jusqu'à Nefis, près de la montagne de Tine-Mellal dans le Sous, il rentra à Fès (812). C'est sans doute vers cette époque qu'Edris commença à combattre le kharedjisme, dont il décréta l'abolition dans ses états; mais ce schisme avait pénétré trop profondément la nation berbère, pour pouvoir être supprimé d'un trait de plume; aussi ne devait-il disparaître de l'Afrique, où il avait déjà fait couler tant de sang, qu'après de longues et nouvelles convulsions.

Quelque temps après 420 Edris marcha sur Tlemcen, qui s'était affranchie de son autorité. Il y entra en vainqueur et reçut l'hommage des Beni-Ifrene et Mag'raoua qui y dominaient. Il séjourna quelque temps à Tlemcen et de là dirigea quelques expéditions heureuses contre les peuplades zenatienes et autres berbères. Ses troupes s'avancèrent ainsi jusqu'au Chelif. Cependant, il ne paraît pas qu'il eût osé se mesurer contre les Rostemides de Tiharet. Selon Ibn-Khaldoun, il passa à Tlemcen trois années, pendant lesquelles il s'appliqua à embellir cette ville et à orner la mosquée construite par son père. En partant, il laissa le commandement de la province, avec suprématie sur les tribus des Beni-Ifrene et Mag'raoua, à son cousin Mohammed, fils de Soleïman, qu'Edris I avait préposé au commandement de Tlemcen.

Note 420: (retour) Soit dans la même année, soit en 814, les auteurs n'étant pas d'accord sur cette date.

Rentré à Fès, il recueillit huit mille Musulmans d'Espagne, expulsés de Cordoue par El-Hakem à la suite de la révolte dite du faubourg (Ribad'), et les établit dans sa capitale, où ils formèrent le quartier des Andalous. Les émigrés de Cordoue étaient presque tous des gens d'origine celto-romaine, qui avaient été contraints d'embrasser l'islamisme après la conquête de l'Espagne par les Arabes. L'arrivée de cette population très civilisée fut une bonne fortune pour la nouvelle capitale, et contribua à la faire briller d'une réelle splendeur dans les arts, les lettres et les sciences 421.

Note 421: (retour) Dozy, Hist. des Musulmans d'Espagne, t. II, p. 70 et suiv. El-Bekri, Idricides. Ibn-Khaldoun, t. II, p. 560, t. III, p. 229.

Mort de Abd-Allah.--Son frère Ziadet-Allah le remplace.--A Kaïrouan, Aboul'-Abbas-Abd-Allah, fils d'Ibrahim, loin d'imiter la prudence de son père et de chercher à arrêter les progrès du prince de Fès, n'avait réussi qu'à indisposer les esprits contre lui. Violent et cruel, même envers les membres de sa famille, sacrifiant tout à la milice, accablant le peuple de charges, il combla la mesure des fautes en frappant la culture faite par chaque charrue d'une taxe uniforme de huit dinars (pièces d'or). Cet impôt, énorme pour l'époque, remplaça la dîme (achour), qui précédemment se payait en nature et était proportionnée à l'abondance de la récolte. De toutes parts s'élevèrent des réclamations; mais le prince resta sourd aux prières et le peuple continua à gémir sous son oppression.

Enfin, par un bonheur inespéré, Abd-Allah mourut presque subitement, d'une affection charbonneuse (juin 817). Ce prince, «le plus bel homme de son temps», avait exercé le pouvoir pendant un peu plus de cinq ans.

Abou-Mohammed-Ziadet-Allah succéda à son frère, et, employant des procédés de gouvernement tout différents, s'attacha à réduire les prérogatives de la milice et à maltraiter et abaisser de toutes les façons les miliciens 422.

Note 422: (retour) En-Nouéïri, p. 404, 405.

Espagne:--Révolte du faubourg. Mort d'El-Hakem.--En Espagne, le khalife El-Hakem, avait entrepris, avec des chances diverses, plusieurs campagnes au delà des Pyrénées. L'alliance de ses oncles avec Charlemagne et Alphonse II, roi des Asturies, l'avait contraint à déployer toutes ses forces contre la coalition. Quelques-unes de ses razias furent couronnées de succès. Alphonse, de son côté, poussa une pointe jusqu'à Lisbonne et mit cette ville au pillage. Pour rendre compte à son allié Charlemagne du succès de cette expédition, il lui envoya «sept Musulmans de distinction, avec leurs armes et leurs mulets 423».

Note 423: (retour) Dozy, Recherches sur l'hist. de l'Espagne, p. 149.

Après avoir conclu un traité de paix avec les princes chrétiens, El-Hakem se renferma dans Cordoue et y vécut de la vie des despotes musulmans de cette époque, jusqu'à la grande révolte dite du faubourg (Ribad'), qui mit sa vie en danger et dont il triompha par son indomptable énergie. Sa victoire fut suivie de trois jours de massacres, et quand ses soldats furent las de tuer, sa vengeance n'était pas encore satisfaite; il ordonna aux survivants de quitter l'Espagne sans délai. On vit alors cette malheureuse population, décimée, ruinée, se diriger à pied, par groupes, vers les ports du littoral. Quinze mille Gordouans firent voile pour l'Egypte; ils abordèrent à Alexandrie et s'y maintinrent, avec l'appui d'une tribu arabe, jusqu'en 826. Le khalife El-Mamoun les ayant alors forcés à capituler, leur chef les conduisit à la conquête de l'île de Crète, qu'ils arrachèrent aux Byzantins et où ils fondèrent une république indépendante. Les autres réfugiés, au nombre de huit mille, passèrent au Mag'reb et furent bien accueillis par Edris II, qui les établit, ainsi que nous l'avons vu, dans sa nouvelle capitale. A Fès, ils furent groupés dans le quartier des Andalous 424. El-Hakem mourut le 22 mai 822 et fut remplacé par son fils Abd-er-Rahman II.

Note 424: (retour) Dozy, Hist. des Musulmans d'Espagne, t. II, p. 76 et suiv. Ibn-Khaldoun, t. II, p. 562. El-Bekri, Idricides. Nous n'indiquons aucune date pour la révolte du faubourg, en raison de l'incertitude à laquelle les chroniques donnent lieu à ce sujet. Il faut la placer entre 814 et 817.

Luttes de Ziadet-Allah contre les révoltes.--Pendant que l'Espagne était le théâtre de ces événements, l'ar'lebite Ziadet-Allah se livrait à Kaïrouan à tous les caprices de son caractère bizarre et cruel. Adonné au vin, comme le furent presque tous les princes de sa famille, il prescrivait dans ses moments d'ivresse les mesures les plus sanguinaires, qui retombaient presque toujours sur la milice. Dès le début de son règne il avait failli rompre, sans raison plausible, avec le khalife El-Mamoun et avait même poussé l'insolence jusqu'à adresser à son suzerain des dinars edrisides, pour lui faire entendre qu'il était disposé à se rallier à cette dynastie.

De tels procédés de gouvernement ne pouvaient aboutir qu'à des révoltes. En 822, une première sédition fut assez facilement apaisée; l'année suivante, le commandant de Kasreïne 425, place forte du Sud, nommé Omar-ben-Moaouïa, de la tribu de Kaïs, leva de nouveau l'étendard de la révolte. Ayant été fait prisonnier après une courte campagne, il fut mis à mort ainsi que ses deux fils par ordre du vice-roi: on fit endurer à ces malheureux les plus atroces souffrances. Cette cruauté envers un personnage des plus respectés par la colonie arabe excita la colère de la milice.

Note 425: (retour) Au sud-ouest de Sebaïtla.

Mançour-ben-Nacer-et-Tonbodi, gouverneur de Tripoli, ayant laissé publiquement éclater son indignation et manifesté devant ses troupes l'intention de se révolter, fut bientôt arrêté et conduit à Kaïrouan. Mis en liberté, grâce à l'intercession de son ami R'alboun, cousin de Ziadet-Allah, Mansour se réfugia dans son château de Tonboda, non loin de Tunis, et une fois à l'abri de ses murailles, il renoua les intrigues qu'il avait entretenues avec les officiers de la milice et ne cessa de les pousser à la révolte, en leur retraçant tous leurs griefs contre le prince. Mais Ziadet-Allah, ayant encore une fois mis la main sur la trame, dépêcha vers Tunis son général Mohammed-ben-Hamza, à la tête de cinq cents cavaliers, avec l'ordre d'arrêter inopinément Mansour.

De Tunis, le général envoya au rebelle une députation conduite par le cadi de la ville pour l'engager à venir se remettre entre ses mains. Mansour reçut la députation avec honneur, se montra disposé à obéir aux ordres du vice-roi et, en attendant, fit porter aux soldats de Mohammed-ben-Hamza des vivres et du vin. Lorsque la nuit fut venue, il garrotta le cadi et ses compagnons, s'empara de leurs chevaux, et, réunissant tous ses cavaliers, se porta rapidement sur Tunis. Les soldats de Mohammed étaient occupés à faire bonne chère avec les vivres de Mansour; plusieurs même étaient déjà plongés dans l'ivresse. Attaqués à l'improviste par les rebelles, ils furent bientôt massacrés ou dispersés.

A l'annonce de ces événements, tous les miliciens se trouvant dans cette région accoururent se ranger sous la bannière de Mansour. Le rebelle fit mettre à mort le gouverneur de Tunis et s'installa dans cette ville. Presque aussitôt Ziadet-Allah envoya contre les rebelles l'élite de ses troupes, sous la conduite de son cousin R'alboun, le chef le plus aimé des miliciens. A leur départ, le vice-roi leur adressa des menaces humiliantes et intempestives, annonçant que quiconque oserait fuir serait puni de mort. R'alboun eut beaucoup de peine à calmer l'irritation de ses hommes; mais les paroles imprudentes du maître avaient produit leur effet et il ne put empêcher les miliciens d'entrer secrètement en relation avec le rebelle. Lorsque, dans le mois de juillet 824, les deux troupes furent en présence, près de la Sebkha de Tunis, R'alboun vit ses soldats prendre la fuite et se trouva bientôt seul avec ses officiers. Ceux-ci étaient restés fidèles, mais on ne put les décider à rentrer à Kaïrouan, car ils connaissaient trop bien la violence de Ziadet-Allah pour aller s'exposer à ses coups. Ils se retirèrent dans diverses localités, semant l'anarchie et l'indécision, tandis que l'armée d'El-Mansour recevait sans cesse des transfuges.

Ziadet-Allah, mis au courant de la gravité de la situation, envoya partout des courriers pour annoncer qu'il ne songeait pas à punir les miliciens; mais il était trop tard; l'impulsion était donnée et la défection de la milice devint générale. Retranché dans son palais d'El-Abbassia, tandis que les rebelles marchaient sur Kaïrouan, le gouverneur put encore former une troupe nombreuse, composée de sa garde nègre et des gens de sa maison; il en confia le commandement à son neveu Mohammed et la lança contre l'armée d'El-Mansour. Mais la fortune le trahit encore: son armée fut anéantie, après avoir perdu ses principaux chefs. Cette victoire fit entrer dans le parti de Mansour les habitants de Kaïrouan, qui lui ouvrirent leur ville et lui envoyèrent des secours de toute sorte.

Ne pouvant plus compter que sur lui seul, Ziadet-Allah réunit ses derniers soldats fidèles et, s'étant mis bravement à leur tête, vint prendre position entre son château et Kaïrouan. Durant une quarantaine de jours, ce ne fut qu'une série de combats qui se terminèrent, en général, à l'avantage du vice-roi. L'armée de Mansour se débanda après une dernière défaite, et Ziadet-Allah put rentrer en possession de Kaïrouan. Contre son habitude, il accorda l'amnistie aux habitants et se contenta de raser les fortifications de la ville (septembre-octobre 824).

El-Mansour avait gagné le sud; il rallia ses partisans et infligea, auprès de Sebiba, une nouvelle défaite aux troupes du gouverneur. La route du nord lui étant ouverte, il se rapprocha de Kaïrouan afin de faciliter la sortie de cette ville aux familles des miliciens révoltés; puis il retourna à Tunis et s'y installa en maître (825).

Ziadet-Allah se trouvait dans une position très critique, car tout son royaume était en insurrection; fort abattu, il se disposait même à capituler, lorsque la désunion éclata entre les rebelles et vint à son aide.

Ameur-ben-Nafa, le meilleur officier de Mansour, ayant rompu avec lui, accourut l'assiéger dans son château de Tonboda. Mansour n'avait pas le moyen de résister; il prit la fuite vers El-Orbos; mais, ayant été rejoint par ses ennemis, il fut forcé de se rendre. Ameur, au mépris de sa promesse de lui laisser la vie sauve et de lui faciliter le moyen de se retirer en Orient, lui fit trancher la tête. En même temps, une troupe de cavalerie envoyée dans le sud par Ziadet-Allah obtenait, avec l'appui des populations, quelques succès contre les rebelles et rétablissait son autorité dans le pays de Kastiliya.

La cause de la révolte perdit dès lors, de jour en jour, des partisans et Ameur eut à lutter, à son tour, contre son lieutenant Abd-es-Selam-ben-Feredj, qui le força à se réfugier à Karna, dans le voisinage de Badja. Ameur étant mort sur ces entrefaites, ses fils et ses derniers adhérents allèrent, selon sa recommandation, faire leur soumission à Ziadet-Allah, qui les accueillit avec bonté (828). Abd-es-Selam continua à tenir la campagne, mais il cessa bientôt d'être dangereux, et Ziadet-Allah put s'occuper de l'expédition de Sicile, dont nous allons parler plus loin 426.

Note 426: (retour) Ibn-Khaldoun, Hist. de l'Ifrikiya et de la Sicile, I. 11, 12 et 13. En-Nouéïri, p. 406 et suiv. El-Kaïrouani, p. 83. Baïan, t. I, passim.

Mort d'Edris II; partage de son empire.--En 828, Edris II mourut subitement à Fès. Il s'étouffa, dit-on, en avalant un grain de raisin. Ce prince n'avait que trente-trois ans, et si la mort n'était venue prématurément arrêter sa carrière, on ne peut prévoir où se seraient arrêtées ses conquêtes. Son royaume comprenait alors tout le Mag'reb extrême et s'étendait, dans le Mag'reb central, jusqu'à la Mina. Il avait combattu avec ardeur le kharedjisme, dans les dernières années de sa vie, et abattu l'orgueil des Beni-Ifrene et Mag'raoua. Mais, dans la vallée du haut Moulouïa, les Miknaça régnaient toujours en maîtres, et la dynastie des Beni-Ouaçoul à Sidjilmassa protégeait ouvertement le schisme. Fès était devenue une brillante capitale où les savants et les artistes étaient certains de rencontrer un accueil empressé.

Ainsi, au fond de la Berbérie, florissait un centre de pure civilisation arabe, tout entouré de sauvages indigènes.

Edris laissa douze fils. L'aîné d'entre eux, Mohammed, lui succéda à Fès. Peu après, ce prince, suivant le conseil de son aïeule Kenza, partagea son empire avec sept de ses frères, en âge de régner. Ayant conservé pour lui Fès et son territoire, il donna:

A El-Kassem: les villes de Tanger, Basra, Ceuta, Tetouane et les contrées maritimes qui en dépendaient;

A Omar: la région maritime du Rif, avec Tikiça et Tergha, contrée habitée par les R'omara;

A Daoud: Taza, Teçoul, Meknas et toutes les possessions edrisides de l'est, jusqu'à la Mina, pays comprenant les Riatha, Houara, etc.;

A Abdallah: les régions du sud, comprenant le Sous et les montagnes de l'Atlas, avec les villes d'Ar'mat et d'Anfis, pays habité par les Masmouda et Lamta;

A Yahïa: les villes d'Azila et d'El-Araïch, avec la région maritime environnant ces ports, sur l'Océan, et habitée par les Ouergha;

A Aïça: les villes de Salé et Azemmor, sur l'Océan, et le pays de Tamesna, avec les tribus qui en dépendaient;

Enfin Hamza eut Oulili et la contrée environnante.

Tlemcen, avec son territoire, fut placée sous l'autorité de Aïça, fils de Soleïman, son oncle.

Ainsi l'empire edriside se trouvait fractionné en neuf commandements; ce démembrement ne pouvait que lui être fatal, car c'est en vain que Mohammed avait espéré conserver une suprématie sur le royaume et prévenir toute tentative d'usurpation de la part de ses frères. La jalousie et l'ambition de ces princes allaient bientôt être fatales à la dynastie edriside 427.

Note 427: (retour) Ibn-Khaldoun, Berbères, t. II, p. 563. El-Bekri, Idricides. Kartas, p. 61 et suiv.

État de la Sicile au commencement du ixe siècle.--Nous allons quitter un instant la terre d'Afrique pour nous transporter en Sicile, où les armes musulmanes vont cueillir de nouveaux lauriers; mais il convient, avant de commencer ce récit, d'examiner quelle était la situation de cette île au ixe siècle.

Depuis longtemps, nous l'avons vu, les Musulmans convoitaient la Sicile et avaient exécuté contre cette grande île diverses expéditions; l'une d'elles se serait certainement terminée par la conquête du pays, si la révolte kharedjite n'avait forcé le gouverneur arabe à rappeler toutes ses forces pour les conduire en Mag'reb 428. En présence de cette menace, les empereurs byzantins s'étaient efforcés de mettre la Sicile en état de défense et d'y envoyer des troupes, car ils tenaient à conserver ce boulevard de leur puissance en Occident. Mais la période d'anarchie que traversa l'empire d'Orient pendant le viiie siècle, les guerres qu'il eut à soutenir, les révoltes qu'il dut réprimer, son déplorable système administratif qui consistait à pressurer les populations et à les livrer à la rapacité de leurs patrices, les persécutions religieuses, à la suite des hérésies des Monothélites et des Iconoclastes, et enfin les conséquences de l'hostilité du pape, qui s'était déclaré en quelque sorte souverain indépendant, en posant les bases de son pouvoir temporel; toutes ces conditions avaient eu pour résultat de rendre la situation de la Sicile très critique, au commencement du ixe siècle. La haine des populations contre l'Empire était portée à son comble et, comme les souverains de Byzance avaient pris l'habitude d'exiler en Sicile les personnages disgraciés, il en résultait des rébellions continuelles, affaiblissant de jour en jour l'autorité byzantine 429. Plusieurs fois, les rebelles avaient cherché un appui ou un refuge auprès des princes arabes de Kaïrouan. Du reste, les courses des Musulmans d'Afrique et d'Espagne contre les îles de la Méditerranée étaient pour ainsi dire incessantes, et répandaient la terreur parmi les populations de ces rivages, au mépris des traités particuliers, souscrits de temps à autre, dans l'intérêt du commerce, entre les gouvernements oméïade, edriside ou ar'lebite et le patrice de Sicile, le pape ou les républiques maritimes.

Note 428: (retour) V. ci-devant, ch. iii (Révolte de Meïcera).
Note 429: (retour) Amari, Storia dei Musulmani di Sicilia, t. I, p. 76 et suiv., 178 et suiv., 194 et suiv.

Euphémius appelle les Arabes en Sicile.--Expédition du cadi Aced.--A la fin de l'année 820, Michel le Bègue, qui allait être livré au bourreau, est porté par une révolution de palais au trône de l'empire. A cette nouvelle, les Syracusains, ayant à leur tête un certain Euphémius, mettent à mort le patrice Grégoire qui gouvernait l'île et se déclarent indépendants; mais l'empereur envoie en Sicile une armée qui défait les Syracusains et écrase cette révolte. Euphémius se réfugie en Afrique, avec sa famille, et offre à Ziadet-Allah la suzeraineté de la Sicile, s'il veut l'aider à y reprendre le pouvoir, assurant qu'il a de nombreux partisans dans l'armée et la population et que la conquête sera facile (826).

Ziadet-Allah était alors absorbé par ses luttes contre les rebelles. Cependant, après la mort d'El-Mansour, sa sécurité étant assurée, il s'occupa des propositions d'Euphémius et, comme il avait reçu de Platha, gouverneur de Sicile, des communications destinées à le détourner de cette entreprise, il convoqua une assemblée de notables et lui soumit la question. Plusieurs membres répugnaient à cette expédition, ne voulant pas rompre une trêve conclue en 813; mais Euphémius fit ressortir que ce traité était détruit, ipso facto, puisque des Musulmans étaient détenus en Sicile, et le cadi Aced, prenant la parole, insista avec tant de force pour que l'aventure fût tentée, qu'il finit par décider l'assemblée à autoriser l'expédition, comme une opération isolée, et non dans un but de conquête. Aced, s'étant proposé pour diriger cette entreprise, fut nommé, par Ziadet-Allah, cadi-émir chef de l'expédition.

La guerre sainte fut proclamée et l'expédition se prépara à Souça, sous les yeux d'Euphémius et d'Aced. Un grand nombre de Berbères, particulièrement de la tribu de Houara, des réfugiés espagnols, des miliciens, accoururent à Souça, et bientôt une armée de mille cavaliers et de cinq cents fantassins s'y trouva réunie 430. On ne saurait trop remarquer l'analogie de cette expédition avec celle qui livra, un peu plus d'un siècle auparavant, l'Espagne aux Musulmans: ce sont les mêmes causes et les mêmes procédés d'exécution; jusqu'à l'effectif de l'armée qui est sensiblement le même; enfin, la guerre de Sicile va absorber les forces actives des Musulmans de l'Ifrikiya et consolider la puissance des Ar'lebites en arrêtant l'ère des révoltes.

Note 430: (retour) Ibn-Khaldoun, t. I, p. 277. Amari, Storia, t. 1, p. 258 et suiv.

Conquête de la Sicile.--Le 13 juin 827, selon En-Nouéïri, la flotte, composée d'une centaine de barques portant l'armée expéditionnaire, leva l'ancre et le lendemain aborda à Mazara. Dès lors, Aced écarta Euphémius et se réserva pour lui seul la direction des opérations; un rameau placé sur le heaume des Musulmans leur servit de signe de ralliement.

Bientôt Platha s'avança contre les envahisseurs à la tête de toutes les forces chrétiennes, que les auteurs arabes portent, avec leur exagération habituelle, à cent cinquante mille hommes. Le 15 juillet, l'action fut engagée par Aced, qui attaqua bravement les Grecs en avant de Mazara. Entraînes par l'exemple de leurs chefs, les Musulmans traversent les lignes ennemies, culbutent partout les chrétiens et remportent une grande victoire. La Sicile était ouverte.

Tandis que Platha cherchait un refuge en Calabre, Aced, après avoir assuré sa base d'opérations, marcha contre la capitale, en recevant sur sa route l'hommage des populations. A la fin du mois de juillet, il commença le siège de Syracuse; mais cette ville se défendit avec vigueur et reçut des secours d'Orient et de Venise. Dans l'été de 828, Syracuse était sur le point de tomber aux mains des Musulmans et avait déjà fait des offres de reddition, d'ailleurs repoussées, lorsque Aced mourut. Dès lors la fortune abandonna les Musulmans. Mohammed-ben-el-Djouari, successeur d'Aced, eut à lutter contre des séditions et vit partout la résistance s'organiser. En même temps, le comte de Lucques faisait une descente sur les côtes de Tunisie et empêchait le gouverneur ar'lebite d'envoyer des secours à l'expédition. Forcés de lever le siège de Syracuse, les Musulmans tentèrent d'abord de fuir par mer; mais, la flotte ennemie leur ayant coupé le chemin, ils descendirent à terre, incendièrent leurs vaisseaux et se réfugièrent dans des montagnes escarpées, avec Euphémius qui avait pris le litre d'empereur. Reprenant ensuite l'offensive, ils s'emparèrent de Minée, de Girgenti et de Castro-Giovanni (Enna), où ils mirent à mort Euphémius, soupçonné d'être entré en pourparlers avec l'ennemi. Mohammed-el-Djouari fit alors battre monnaie à son nom; il mourut en 829 et fut remplacé par Zoheïr-ben-R'aouth.

La situation des Musulmans, réduits à la possession de Mazara et de Minée, était assez précaire, lorsque, dans l'été de 830, une flotte arriva d'Afrique avec trente mille hommes: Berbères, Arabes, aventuriers espagnols et autres, envoyés par Ziadet-Allah, pour reconquérir le terrain perdu. Les Musulmans reprirent une vigoureuse offensive et vinrent assiéger Palerme. Après une héroïque résistance de plus d'un an, cette ville capitula dans l'automne de 831 431, et les habitants qui avaient échappé aux dangers et aux privations du siège furent réduits en esclavage. Ainsi les Musulmans étaient maîtres d'une grande partie de la Sicile. Ils s'établirent solidement à Palerme et fondèrent une colonie où accoururent Africains et Espagnols. Ziadet-Allah nomma de ses parents comme gouverneurs de l'île, et la guerre suivit son cours entre les musulmans et les chrétiens, avec les alternatives ordinaires de succès et de revers 432.

Note 431: (retour) Ibn-el-Athir donne à cet événement la date de 832. En-Nouéïri et Elie de la Primaudaie, (Arabes et Normands en Sicile et en Italie), 835. Nous adoptons la date donnée par M. Amari, t. I, p. 290.
Note 432: (retour) Amari, t. I, p. 294 et suiv.

Mort de Ziadet-Allah.--Son frère Abou-Eïkal-el-Ar'leb lui succède.--Pendant que la Sicile était le théâtre de ces événements, le rebelle Abd-es-Selam continuait à tenir la campagne en Ifrikiya. Un certain Fadel ayant, en 833, levé l'étendard de la révolte, dans la péninsule de Cherik, Abd-es-Selam opéra avec lui sa jonction; mais les troupes du gouverneur les mirent en déroute, et la paix se trouva enfin rétablie d'une manière définitive (836).

Le vice-roi put alors se consacrer entièrement à la direction de la guerre sainte et aux travaux d'embellissement qu'il avait entrepris à Kaïrouan. Selon En-Nouéïri, il rebâtit la mosquée qui avait été construite par Yezid-ben-Hatem, fit établir un pont à la porte d'Abou-Rebia et compléta les fortifications de Souça. Le 10 juin 838, la mort vint le surprendre au milieu de ces travaux. Il était âgé de cinquante et un ans et avait exercé le pouvoir pendant vingt et un ans, sept mois et huit jours. Malgré les difficultés toujours renaissantes contre lesquelles il avait eu à lutter, son règne, illustré par la conquête de la Sicile, fut un des plus glorieux de sa dynastie. Ce prince, après s'être montré cruel et injuste, donna, sur la fin de son règne, de beaux exemples de générosité et de grandeur de caractère; seule, la milice ne pouvait trouver grâce devant lui. Il était doué d'un esprit cultivé et faisait assez bien les vers, mais sa passion pour le vin le poussait trop souvent à commettre des excentricités. C'est ainsi que, se trouvant un jour en état d'ivresse, il adressa au khalife El-Mamoun des vers inconvenants et menaçants qu'il s'empressa de désavouer quand il eut repris son bon sens. Son frère Abou-Eïkal-el-Ar'leb, surnommé Khazer, lui succéda 433. Il était depuis longtemps son premier ministre.

Note 433: (retour) En-Nouéïri, p. 412. El-Kaïrouani, p. 84. Ibn-Khaldoun, Histoire de l'ifr. et de la Sic., p. 110.

Guerres entre les descendants d'Edris II.--Dans le Mag'reb, la guerre n'avait pas tardé à éclater entre les fils d'Edris II. Aïça, à Azemmor, s'était d'abord mis en état de révolte. Mohammed, usant de son droit de suzeraineté, chargea alors ses frères El-Kassem et Omar de le combattre; mais ce dernier seul y consentit. Ayant marché contre le rebelle, il le mit en déroute, le força à se réfugier à Salé et s'empara de ses états. Il reçut ensuite de Mohammed l'ordre de réduire son autre frère El-Kassem qui persistait dans sa désobéissance et, lui ayant fait subir le même sort, adjoignit encore sa province à la sienne, de sorte qu'il se trouva en possession de toutes les régions maritimes de l'Océan. El-Kassem se réfugia dans un couvent auprès d'Azila et se consacra entièrement à la dévotion.

Omar, qui paraissait avoir hérité des qualités guerrières de son père, mourut prématurément en 835. Ce prince est l'aïeul de la dynastie des Edrisides-Hammoudites,, dont nous aurons à parler plus tard; son fils Ali lui succéda.

L'année suivante (836), Mohammed cessa de vivre, à Fès, laissant un fils nommé Ali, âgé seulement de onze ans, auquel les Aoureba prêtèrent serment de fidélité 434. Ainsi disparaissaient, l'un après l'autre, les chefs de cette brillante famille et se fractionnait l'empire fondé par Edris. Les survivants régnèrent obscurément dans leurs provinces, et comme les événements de leur histoire ne présentèrent rien de saillant pendant quelques années, nous cesserons pour le moment de nous occuper des Edrisides.

Note 434: (retour) Ibn-Khaldoun, Berbères, t. II, p. 564. El-Bekri, Idricides.

Les Midrarides à Sidjilmassa.--A Sidjilmassa, les Beni-Ouaçoul continuaient à exercer le pouvoir; El-Montaçar-el-Yaçâa, surnommé Midrar, qui avait succédé à Abou-l'Kacem, subjugua les Berbères du Sahara, rebelles à son autorité, et conquit les mines de Deraa, dont il se fit attribuer le cinquième. Ce prince donna un véritable lustre à sa dynastie qui fui désignée sous le nom de Beni-Midrar. Il rechercha l'alliance des Rostemides de Tiharet et obtint une de leurs filles en mariage. Les Kharedjites persécutés par les Edrisides trouvèrent, à Sidjilmassa, un refuge assuré. El-Montaçar était occupé à entourer sa capitale de retranchements, lorsqu'il mourut (824). Son fils, nommé aussi El-Montaçar, lui succéda et vit son règne troublé par la révolte de ses fils. L'un d'eux, nommé Meïmoun, s'empara du pouvoir ou l'exerça simultanément avec son père 435.

Note 435: (retour) Ibn-Khaldoun, t. I, p. 262. El-Beki-i, passim.

L'Espagne sous Abd-er-Rahman II.--En Espagne, Abd-er-Rahman II continuait à régner. Il avait rétabli la paix dans son royaume et vivait somptueusement dans sa capitale. «Jamais--dit Dozy 436--, la cour des sultans d'Espagne n'avait été aussi brillante qu'elle le devint sous le règne d'Abd-er-Rahman II. Amoureux de la superbe prodigalité des khalifes de Bagdad, de leur vie de pompe et d'apparat, ce monarque s'entoura d'une nombreuse domesticité, embellit sa capitale, fit construire à grands frais des ponts, des mosquées, des palais et créa de vastes et magnifiques jardins, sur lesquels des canaux répartissaient les torrents des montagnes. Il aimait la poésie, et si les vers qu'il faisait passer pour les siens n'étaient pas toujours de lui, du moins il récompensait généreusement les poètes qui lui venaient en aide. Au reste, il était doux, facile et bon jusqu'à la faiblesse.»

En 828, les habitants de Mérida s'étant, révoltés, le khalife fit marcher contre eux une armée. Ils se soumirent alors et livrèrent des otages; mais quand ils virent qu'on démolissait les remparts de leur cité, ils se soulevèrent de nouveau et restèrent indépendants jusqu'en 833 437.

Note 436: (retour) Musulmans d'Espagne, t. II, p. 87.
Note 437: (retour) Dozy, Recherches sur l'histoire de l'Espagne, p. 158. El-Marrakchi (Dozy), p. 14 et suiv.

CHAPITRE VII

LES DERNIERS AR'LEBITES

838-902

Gouvernement d'Abou-Eikal.--Gouvernement d'Abou-l'Abbas-Mohammed.--Gouvernement d'Abou-Ibrahim-Ahmed.--Événements d'Espagne.--Gouvernements de Ziadet-Allah le jeune et d'Abou-el-R'aranik.--Guerre de Sicile.--Mort d'Abou-el-R'aranik.--Gouvernement d'Ibrahim-ben-Ahmed.--Les souverains edrisides de Fès.--Succès des Musulmans en Sicile.--Ibrahim repousse l'invasion d'El-Abbas-ben-Touloun.--Révoltes en Ifrikiya; cruautés d'Ibrahim.--Progrès de la secte chiaïte en Berbérie; arrivée d'Abou-Abd-Allah.--Nouvelles luttes d'Ibrahim contre les révoltés.--Expédition d'Ibrahim contre les Toulounides.--Abdication d'Ibrahim.--Evénements de Sicile.--Événements d'Espagne.

Gouvernement d'Abou-Eïkal.--Le règne d'Abou-Eïkal, frère et successeur de Ziadet-Allah, fut fort court. Ce prince, que les historiens comparent à son aïeul El-Ar'leb, s'attacha à faire fleurir dans son gouvernement la paix et la justice. Il abolit les impôts qui n'étaient pas conformes à la loi religieuse et une foule de taxes particulières établies, dans diverses localités, par les gouverneurs, qui reçurent alors un traitement fixe, et auxquels il fut défendu sévèrement de se créer aucune autre source de revenus. Il proscrivit à Kaïrouan l'usage du vin, afin d'éviter les abus dont son frère avait donné de si tristes exemples. Il aurait également, selon Cardonne, assigné une paie régulière à la milice qui, jusque-là, avait vécu surtout des ressources qu'elle se procurait en campagne. La milice, bien traitée par lui, se tint tranquille et oublia pour quelque temps ses traditions d'indiscipline 438.

Note 438: (retour) En-Nouéïri, p. 414, 415.

Abou-Eïkal ne négligea pas la guerre de Sicile et, grâce aux renforts qu'il expédia dans cette île, les Musulmans reprirent activement la campagne et s'emparèrent d'un grand nombre de places. Sur ces entrefaites, le prince longobard de Bénévent ayant attaqué la république de Naples, le consul de cette ville, Sicard, demanda des secours aux Arabes de cette ville, qui lui envoyèrent une petite armée, avec laquelle il repoussa les agresseurs. Il en résulta une ligue entre Naples et les émirs de Sicile, ligue qui dura cinquante ans 439.

Après un règne paisible de deux ans et neuf mois, Abou-Eïkal cessa de vivre (février 841).

Note 439: (retour) Amari, t. I, p. 309 et suiv.

Gouvernement d'Abou-l'Abbas-Mohammed.--Abou-l'Abbas-Mohammed succéda à Abou-Eïkal, son père, sans hériter de sa sagesse. Négligeant le soin des affaires publiques pour se livrer à ses plaisirs, il choisit comme ministres les deux frères Abou-Abd-Allah et Abou-Homéïd, et les laissa diriger le gouvernement selon leur bon plaisir. Abou-Djafer, frère du vice-roi, fut profondément blessé de cette préférence qui le reléguait au second plan, et résolut de s'emparer du pouvoir. Lorsque le complot, ourdi en secret, eut été préparé, les conjurés montèrent à cheval à midi, au moment où tout le monde se reposait, et pénétrèrent dans le palais du gouvernement, après avoir culbuté la garde. Ils se saisirent d'abord du vizir Abou-Abdallah et le mirent à mort.

Cependant quelques serviteurs, étant revenus de leur surprise, se jetèrent au devant des agresseurs et leur tinrent tête un moment, ce qui permit à Abou-l'Abbas de se retrancher dans le réduit. Le chef des révoltés protesta alors qu'il n'en voulait qu'aux ministres, et, devant ces assurances, le gouverneur consentit à se rendre dans la salle d'audience. S'étant assis sur son trône, il donna l'ordre d'introduire le peuple, en feignant d'ignorer ce qui s'était passé. Abou-Djafer entra le premier à la tête des mutins et reprocha à son frère, en termes assez violents, de se laisser conduire par les fils de Homéïd, et de fermer les yeux sur leurs actes. Abou-l'Abbas était dans une situation trop critique pour se montrer arrogant. Il consentit à livrer Abou-Homéïd à son frère, après avoir reçu de lui la promesse qu'on n'attenterait pas à sa vie.

Moyennant cette concession, Abou-Djafer jura de ne faire aucune tentative pour renverser son frère, mais il profita de cette occasion pour s'emparer de la direction des affaires de l'état; il devint donc le véritable gouverneur, tandis que Mohammed n'en conservait que le titre. Durant quelque temps, Abou-Djafer tint d'une main ferme les rênes du gouvernement; puis, lorsqu'il fut rassasié du pouvoir, il commença à se relâcher de son active surveillance pour se lancer dans les mêmes écarts que son frère et s'adonner particulièrement au vin. Par une bizarre coïncidence, Abou-l'Abbas, faisant alors un retour sur lui-même, se trouva las du rôle secondaire auquel il était réduit et prit la virile résolution de ressaisir l'autorité.

Après avoir noué des relations avec quelques chefs mécontents, Mohammed fit entrer dans son parti un certain Ahmed-ben-Sofiane, cheikh très influent à Kaïrouan, qui devint son principal agent. Bientôt la conjuration fut organisée. Abou-Djafer, en ayant été prévenu par un traître, refusa d'y croire, car Abou-l'Abbas paraissait de plus en plus absorbé par ses débauches. Au jour fixé pour l'exécution du complot, un grand nombre de conjurés déguisés en esclaves s'introduisirent dans la forteresse. Ahmed-ben-Sofiane leur distribua des armes, ainsi qu'aux esclaves et aux affranchis dont il était sûr, et les fit cacher. Averti une deuxième et une troisième fois, Abou-Djafer envoya une patrouille faire une reconnaissance au dehors; mais les soldats n'ayant rien trouvé d'extraordinaire, il reprit sa tranquillité.

Au coucher du soleil, un groupe de conjurés se précipita sur les gardes de la porte qu'on avait pris le soin d'enivrer et les massacra. Ayant ensuite placé sur le toit du réduit un feu devant servir de signal aux gens de la ville, les partisans du gouverneur légitime attaquèrent ceux d'Abou-Djafer. On se battit pendant une partie de la nuit, jusqu'à l'arrivée des habitants de Kaïrouan, dont le grand nombre assura la victoire. Abou-Djafer, réfugié dans son palais, fit demander sa grâce à Abou-l'Abbas qui lui pardonna généreusement. Il se contenta de lui reprocher en public sa conduite et de l'exiler du pays, après lui avoir confisqué ses trésors (846). Abou-Djafer se réfugia en Orient, où il mourut.

Délivré de la tyrannie de son frère, le gouverneur Mohammed eut bientôt à lutter contre d'autres révoltes. En 848, Amer, fils de Selim-ben-R'alboun, voulant venger son père qui avait été mis à mort par l'ordre du prince, à la suite d'une tentative de révolte, répudia l'autorité de son maître et se proclama indépendant à Tunis. Durant deux ans, le gouverneur essaya en vain de le réduire; enfin, le 20 septembre 850, Tunis fut enlevée d'assaut, et Amer ayant été pris fut décapité. La révolte était domptée 440.

Abou-l'Abbas paraît ensuite avoir tourné ses regards vers l'ouest et essayé de s'opposer aux empiètements des Rostemides de Tiharet, en faisant construire non loin de cette ville une place forte qu'il nomma El-Abbassïa, s'appuyant sur une ligne de postes avancés; mais il était trop tard pour pouvoir ressaisir une autorité à jamais perdue; avant peu la nouvelle ville devait être brûlée par Afia, fils d'Abd-el-Ouahab-ben-Rostem, poussé à cela par le khalife d'Espagne 441.

Le 11 mai 856, Abou-l'Abbas mourut à Kaïrouan 442. Quelque temps auparavant, avait eu lieu le décès de Sahnoun, un des plus grands docteurs selon le rite malekite.

Note 440: (retour) En-Nouéïri, p. 417.
Note 441: (retour) Ibn-Khaldoun, t. I, p. 419. Ibn-El-Athir, passim.
Note 442: (retour) El-Kaïrouani donne la date de 854.

Gouvernement d'Abou-Ibrahim-Ahmed.--Abou-Ibrahim-Ahmed succéda à son frère Abou-l'Abbas. Il régna paisiblement pendant trois ans. Vers 859, les Berbères des environs de Tripoli s'étant refusés d'acquitter l'impôt, Abd-Allah, gouverneur de cette ville, marcha contre eux. Mais, après avoir essuyé plusieurs défaites, il dut se renfermer derrière les remparts de Tripoli et demander du secours au gouverneur de Kaïrouan. Ziadet-Allah, frère d'Abou-Ibrahim, accouru en toute hâte à la tête d'une armée, fit rentrer les rebelles dans le devoir, après leur avoir infligé une sévère punition.

Abou-Ibrahim continua à s'occuper de travaux d'utilité publique pour lesquels il avait un grand goût, et en fit profiter non seulement sa capitale, mais encore Souça et plusieurs autres localités. Il s'attacha surtout aux travaux hydrauliques et dota Kaïrouan de plusieurs citernes, notamment de celle appelée El-Madjel-el-Kebir établie près de la porte de Tunis 443.

Ces soins ne l'empêchaient pas de continuer la guerre de Sicile. Abou-l'Abbas-Ibn-Abou-Fezara avait succédé comme commandant militaire à Abou-l'Ar'leb, mort en 851. Ce général poussa activement les opérations militaires et remporta de réels succès qui furent accompagnés des plus grandes cruautés. En 858, il s'empara de Céfalu. Le 24 janvier de l'année suivante, il se rendit maître de la forteresse de Castrogiovanni, qui résistait depuis trente ans et où les Siciliens avaient réuni de grandes richesses. Cette perte causa dans l'île une véritable stupeur, dont profitèrent les Musulmans.

Vers 860, l'empereur Michel III, l'ivrogne, envoya une nouvelle expédition en Sicile. A l'approche des Byzantins, plusieurs cantons se soulevèrent, mais Abbas, ayant écrasé l'armée impériale et forcé ses débris à reprendre la mer, ne tarda pas, grâce à son énergie, à rétablir la paix dans son territoire. Il mourut le 18 août 861 444.

Note 443: (retour) En-Nouéïri, p. 420.
Note 444: (retour) Michele Amari, Storia, t, I, p. 320 et suiv.

En décembre 863, Abou-Ibrahim, qui avait su par sa justice et sa bonté, s'attirer l'affection de ses sujets, tomba malade et mourut le 28 dudit mois, après avoir régné huit ans. On rapporte que, pendant sa maladie, on achevait la citerne du vieux château et qu'il s'informait chaque jour, avec intérêt, de l'état des travaux. Enfin on lui apporta une coupe pleine de l'eau de la citerne: il la but avec empressement et mourut presque aussitôt. Il n'était âgé que de vingt-neuf ans.

Événements d'Espagne.--En Espagne, Ahd-er-Rahman II était mort subitement le 22 septembre 852. Il laissait deux fils: Mohammed et Abdallah qui aspiraient l'un et l'autre à lui succéder, car leur père n'avait pris aucune disposition précise à ce sujet. Appuyé par les eunuques, Mohammed parvint à s'emparer du pouvoir. C'était un homme médiocre, entièrement livré à la débauche. Il ne tarda pas à éloigner de lui la masse de ses sujets et ne sut plaire qu'à la caste des clercs, ou fakihs, dont il flatta le fanatisme en persécutant les chrétiens.

Les habitants de Tolède s'étant mis en état de révolte appelèrent à leur secours les chrétiens du royaume de Léon, et Ordoño Ier envoya une armée pour les soutenir. Mais Mohammed ayant, en personne, marché contre eux, attira les confédérés dans une embuscade, les vainquit et en fit un carnage épouvantable: huit mille têtes furent coupées et envoyées dans les principales villes d'Espagne et même d'Afrique. Cependant Tolède continua à rester en état de révolte, et, comme les Musulmans accusaient les chrétiens d'être les fauteurs de cette rébellion, les persécutions redoublèrent contre eux. Bientôt, du reste, une levée de boucliers des chrétiens et des renégats se produisit dans les montagnes de Regio.

Sur ces entrefaites, un chef d'origine wisigothe, Moussa II, qui avait formé dans le nord un état indépendant, appelé la frontière supérieure, et dont la puissance avait contrebalancé celle de l'émir de Cordoue, vint à mourir (862). Mohammed rentra alors en possession de Tudèle et de Sarragosse, ainsi que d'une partie de la frontière supérieure; mais le reste, de même que Tolède, demeura dans l'indépendance sous la protection du roi de Léon 445.

Vers cette époque, les Normands, qui avaient déjà pillé et brûlé Séville, en 844, firent de nouvelles incursions dans la péninsule en remontant les fleuves. Le fameux Hasting parcourut, avec une flotte de cent voiles, la Méditerranée et ravagea le littoral de la Mauritanie, de l'Espagne et des îles, vers 860. La ville de Nokour eut particulièrement à souffrir de leurs excès 446.

Note 445: (retour) Dozy, Musulmans d'Espagne, t. II, p. 158 et suiv.
Note 446: (retour) El-Bekri, p. 92 du texte arabe. Ibn-Khaldoun, t. II, p. 159. Baïan, t. II, p. 44. Dozy, Recherches sur l'histoire de l'Espagne, t. I et II, passim.

Gouvernement de Ziadet-Allah, dit le jeune, et d'Abou-el-R'aranik.--A Kaïrouan, Abou-Mohammed-Ziadet-Allah, le jeune, avait succédé à son frère Ahmed (décembre 863). Ce prince paraissait bien doué, mais la mort le surprit le 22 décembre 864, après un an de règne. Son neveu Abou-Abd-Allah-Mohammed, surnommé Abou-el-R'aranik (l'homme aux grues) lui succéda. Le goût de ce prince pour la chasse aux grues lui avait valu ce surnom.

Une révolte des Berbères signala les premiers jours de son règne. Biskra, Tehouda, les Houara, voisins du territoire des Rostemides, toutes les populations du Zab et du Hodna, régions qui formaient alors la limite du sud-ouest, se lancèrent dans la rébellion. Le général Abou-Khafadja-ben-Ahmed, envoyé par le prince contre les révoltés, leur infligea de nombreuses défaites et les contraignit à la soumission. Seuls, les Houara résistaient encore. Abou-Khafadja ayant opéré sa jonction avec le général Haï-ben-Malek, qui commandait un autre corps d'armée, pénétra dans le Hodna et atteignit les Houara. Les indigènes essayèrent en vain d'obtenir leur pardon en se soumettant aux conditions qu'on voudrait leur imposer, Abou-Khafadja, inflexible, donna le signal de l'attaque. Les Houara, sans espoir de salut, combattirent avec le dernier acharnement et, contre toute attente, les guerriers arabes commencèrent à plier; bientôt, Haï-ben-Malek prit la fuite, en entraînant la cavalerie. Abou-Khafadja, voyant la victoire lui échapper, se fit bravement tuer avec presque toute son escorte. Les débris de ses troupes se réfugièrent à Tobna. Il ne paraît pas qu'Abou-l'R'aranik ait cherché à tirer vengeance de cet échec 447.

Note 447: (retour) En-Nouéïri, p. 422.

Guerre de Sicile.--Pendant que l'Afrique était le théâtre de ces événements, les armes arabes obtenaient de nouveaux succès en Sicile. En 867, Basile le Macédonien, étant monté sur le trône impérial, s'appliqua à réorganiser l'armée et, dans la même année, envoya une expédition en Sicile. Une certaine anarchie divisait les Musulmans, depuis la mort de Abbas; les Berbères étaient jaloux des Arabes, et ceux-ci étaient toujours divisés par les rivalités des Yéménites et des Modhérites. Les troupes impériales obtinrent quelques succès et paraissent s'être emparées de Castrogiovanni; mais bientôt les Musulmans reprirent l'avantage et portèrent le ravage dans les environs de Syracuse. En 868, Khafadja-ben-Sofian qui avait pris le commandement, défit une nouvelle armée byzantine envoyée par Basile; mais il tomba peu après sous le poignard d'un Berbère houari.

L'année suivante (869), Ahmed-ben-Omar-ben-El-Ar'leb s'empara de l'île de Malte. Les Byzantins, accourus en toute hâte, arrachèrent aux Ar'lebites leur nouvelle conquête. Mais, au mois de juin 870, la flotte musulmane envoyée de Sicile débarqua à Malte une nouvelle armée qui reprit l'île aux chrétiens 448.

Note 448: (retour) Amari, Storia, p. 341 et suiv.

Mort d'Abou-el-R'aranik.--Gouvernement d'Ibrahim-ben-Ahmed.--Abou-El-R'aranik mourut le 16 février 875, après avoir régné une dizaine d'années. Il n'était âgé que de vingt-quatre ans, et avait une si mauvaise santé qu'il avait passé plusieurs fois pour mort, ce qui lui avait valu le surnom d'El-Mïït. Comme la plupart des membres de la famille ar'lebite, ce prince se distinguait par la bonté et la générosité; mais aussi il avait les défauts de ses devanciers, qui tous mouraient si jeunes; esclave de ses passions, il était dominé par le goût des plaisirs, de la chasse et surtout de la débauche et du vin. Sa prodigalité était si grande qu'il laissa le trésor complètement à sec. Son frère, Abou-Ishak-Ibrahim, qui dirigeait les affaires comme premier ministre, était impuissant à le modérer dans ses dépenses.

Avant de mourir, Abou-el-R'aranik avait désigné, pour lui succéder, son fils Ahmed-Abou-L'Eïkal, et, comme il redoutait l'influence de son frère Ibrahim et ses visées ambitieuses, il l'avait contraint à jurer solennellement, cinquante fois de suite, dans la grande mosquée, qu'il ne tenterait pas de s'emparer du pouvoir. Mais cette précaution fut absolument inutile: aussitôt que la mort du gouverneur fut connue, le peuple se porta en foule auprès d'Ibrahim et le força à se rendre au château et à prendre en main les rênes du gouvernement.

Ibrahim essaya de résister en représentant qu'il était lié envers son frère par un engagement solennel. Mais, quand il vit le peuple décidé à n'accepter en aucune manière le règne d'un enfant, il se décida à prendre le pouvoir. Étant monté à cheval, il pénétra de force dans le vieux château et y reçut l'hommage des principaux citoyens.

Le nouveau gouverneur s'occupa ensuite de l'édification d'un vaste château au lieu dit Rakkada, à quatre milles de Kaïrouan, dans une localité privilégiée comme climat. Son but était d'en faire sa demeure et d'abandonner le vieux château. Il employa les premières années de son règne à diverses autres constructions, tout en dirigeant la guerre de Sicile et d'Italie, sur laquelle nous allons entrer plus loin dans des détails. En 878, les affranchis, descendants des troupes nègres formées par El-Ar'leb, se révoltèrent dans le vieux château et osèrent même interrompre les communications avec Rakkada; mais ils furent bientôt forcés de se rendre, et Ibrahim les fit périr sous le fouet, ou crucifier, donnant ainsi le premier exemple de l'incroyable férocité qu'il devait montrer plus tard. Il fit ensuite acheter d'autres esclaves au Soudan et forma une nouvelle garde nègre qui se distingua, plus tard, par sa bravoure et son aveugle fidélité 449.

Note 449: (retour) En-Nouéïri, p. 424 et suiv.

Les Souverains edrisides de Fez.--C'est sans doute vers cette époque que l'edriside Yahïa mourut à Fès et fut remplacé par son fils nommé, comme lui, Yahïa. Ce prince, par sa conduite dissolue, indisposa contre lui la population de la capitale; à la suite d'un dernier scandale, la révolte éclata, à la voix d'un nommé Abder-Rahman-el-Djadami. Expulsé du quartier des Kaïrouanides, Yahïa se réfugia dans celui des Andalous, où il mourut la même nuit. Ali, fils d'Edris-ben-Omar, souverain du Rif, cédant aux sollicitations des partisans de sa famille qui étaient venus lui porter une adresse, se rendit à Fès, y prit en main le pouvoir et reçut le serment de fidélité des chefs du Mag'reb extrême.

Mais, peu de temps après, un kharedjite sofrite nommé Abd-er-Rezzak, natif d'Espagne, parvint à soulever les indigènes des montagnes de Mediouna, au sud de Fès. Après plusieurs combats, il remporta sur Ali une victoire décisive qui lui donna la possession du quartier des Andalous; il força ensuite Ali à se réfugier dans le territoire des Aoureba, ces fidèles amis de sa famille. Les habitants du quartier des Kaïrouanides ayant alors proclamé roi Yahïa, fils de Kacem-ben-Edris, ce prince réunit une armée et, étant parvenu à renverser l'usurpateur, conserva seul le pouvoir 450.

Note 450: (retour) El-Bekri, trad. art. Idricides. Ibn-Khaldoun, t. II, p. 566-567. Le Kartas, p. 103 et suiv.

Succès des Musulmans en Sicile.--Tandis que le Mag'reb était le théâtre de ces événements, le gouverneur Ibrahim se trouvait absorbé par d'autres soins et surtout par la guerre de Sicile. Aussitôt après son avènement, il y avait envoyé de nouvelles troupes et les Musulmans avaient repris, contre les Grecs, une vigoureuse offensive. Sous le commandement de Djafer-ben-Mohammed, ils vinrent, dans l'été 877, mettre le siège devant Syracuse, et déployèrent pour réduire cette place autant d'habileté stratégique que d'ardeur. La flotte grecque, ayant été envoyée au secours de la ville, fut vaincue par celle des Ar'lebites qui purent ensuite compléter le blocus par mer. Syracuse endura avec la plus grande fermeté les tortures d'une épouvantable famine et pendant ce temps Basile, occupé à construire une église à Constantinople, restait impassible. Étant enfin sorti de son inertie, il envoya une nouvelle flotte qui fut retenue par son chef dans un port du Péloponnèse pour y attendre le vent. Le 2 mai 878, Syracuse fut emportée d'assaut, malgré l'héroïque défense des assiégés. Les chrétiens furent massacrés ou réduits en esclavage, et la ville subit le plus complet pillage. Après quoi, les Musulmans l'incendièrent et se retirèrent, ne laissant à la place de cette riche cité qu'un monceau de ruines fumantes. Peu après les Grecs reprirent l'offensive et obtinrent un succès près de Taormina (879) 451.

Mais en 881, les Musulmans furent vainqueurs à leur tour et en 882 ils s'emparèrent de Polizzi «la ville du roi». Il ne resta alors aux chrétiens en Sicile que les monts Peloriade, l'Etna et la vallée intermédiaire.

Note 451: (retour) Amari, Storia, t. I, p. 393 et suiv.

Ibrahim repousse l'invasion d'El-Abbas-ben-Touloun.--Les événements dont l'Afrique, l'Espagne et la Sicile étaient le théâtre, nous ont depuis longtemps fait perdre de vue l'Orient. Cela prouve, entre autres choses, que l'influence du khalifat disparaissait de plus en plus en Occident. La dynastie abbasside penchait déjà vers son déclin, et son vaste empire était en proie à l'anarchie. Pendant que les khalifes se succédaient après de courts règnes terminés par l'assassinat, pendant que leur capitale demeurait abandonnée aux factions, leurs provinces se détachaient. Depuis quelques années, l'Egypte, un des plus beaux fleurons de la couronne, était aux mains d'un chef indépendant de fait, Ahmed-ben-Touloun.--En 878, Ibn-Touloun entreprit la conquête de la Syrie et laissa l'Egypte sous le commandement de son fils El-Abbas. Mais celui-ci profita de son absence pour se mettre en état de révolte et s'approprier les réserves du trésor. Puis il réunit une armée et partit vers l'ouest, à la conquête de l'Ifrikiya. A cette nouvelle, le gouverneur ar'lebite fît marcher contre lui un corps de troupes sous la conduite de son général Ibn-Korhob (879). Les deux armées en vinrent aux mains près de l'Ouad-Ourdaça, non loin de Lebida, et la journée se termina par la déroute d'Ibn-Korhob. El-Abbas, soutenu sans doute par les indigènes, poursuivit ses ennemis jusqu'à Lebida, s'empara de cette ville, puis vint entreprendre le siège de Tripoli. Il était urgent d'arrêter les succès de ce conquérant. Ibrahim se mit aussitôt en marche contre lui; mais, parvenu à Gabès, il apprit qu'El-Abbas avait été entièrement défait et réduit à la fuite. Voici ce qui s'était passé: les gens de Lebida, irrités des excès commis par les vainqueurs, avaient appelé à leur aide El-Yas-ben-Mansour, chef des Kharedjites des monts Nefouça, et ce cheikh était descendu de ses montagnes à la tête de 12,000 Berbères. El-Abbas avait essayé en vain de leur tenir tête; il avait dû prendre la fuite et avait été poursuivi par Ibn-Korhob. Réfugié à Barka, El-Abbas fut arrêté par les troupes de son père et ramené en Egypte (881).

Révoltes en Ifrikiya.--Cruautés d'Ibrahim.--Diverses révoltes partielles des Berbères suivirent cette échauffourée. Ce furent d'abord les Ouzdadja de l'Aourès qui chassèrent leur gouverneur et refusèrent l'impôt. Ibn-Korhob, envoyé contre eux par le gouverneur, les força à la soumission après plusieurs combats. De là, le général ar'lebite se porta contre les Houara qui s'étaient aussi lancés dans la rébellion. Après les avoir en vain sommés de se rendre, il se mit à ravager et à incendier leur pays et les contraignit par ce moyen à demander la paix.

C'est à partir de cette époque que le caractère d'Ibrahim changea. Naturellement soupçonneux, irrité par les résistances qu'il rencontrait autour de lui, ou peut-être perverti par l'exercice du pouvoir, il devint d'une cruauté inouïe et se mit, à verser le sang comme par plaisir, disposition qui le porta plus tard à commettre tant de crimes, même sur ses proches. En même temps, son amour des richesses se manifesta, et, par une étrange contradiction, après avoir, dans le commencement de son règne, cherché à alléger les impôts, il devait avant peu employer tous les moyens pour s'approprier le bien d'autrui.

En 882, les Louata se lancèrent à leur tour dans la révolte, s'emparèrent de la ville de Karna, la mirent au pillage et vinrent attaquer Badja et Ksar-el-Ifriki, près de Tifech. Le général Ibn-Korhob ayant marché contre eux essuya une défaite, et, dans sa fuite, tomba au pouvoir des rebelles, qui le mirent à mort (juillet). Irrité au plus haut point de cet échec, Ibrahim chargea son fils, Abou-l'Abbas, de châtier les rebelles et lui confia à cet effet sa milice, la garde nègre et des contingents de tribus alliées. Mais les Louata ne l'attendirent pas; Abou-l'Abbas les poursuivit jusque dans le sud, en leur tuant du monde et les forçant d'abandonner leurs prises. Dans le cours de cette année, 882, une affreuse disette désola l'Afrique. Le blé avait atteint des prix excessifs, et les malheureuses populations s'étaient vues, en maints endroits, réduites à manger de la chair humaine 452.

A la suite des sanglantes luttes que nous avons retracées, une tranquillité apparente, sinon réelle, régna durant quelques années, et Ibrahim put donner libre carrière à ses cruels instincts. En-Noueïri retrace longuement les cruautés raffinées qu'il savait inventer et qu'il exerçait autour de lui au moindre soupçon 453.

Note 452: (retour) Comme dans un récent exemple dont nous avons été témoins, la famine de 1867-1868.
Note 453: (retour) En-Nouéïri, p. 427, 436.

Progrès de la secte chiaïte en Berbérie.--Arrivée d'Abou-Abd-Allah.--Tandis qu'Ibrahim se livrait aux écarts de son étrange caractère, donnant tour à tour l'exemple d'une certaine grandeur d'âme ou d'une basse cruauté, un nouvel élément de discorde s'introduisait en Afrique. Nous avons indiqué ci-devant 454 de quelle façon se forma la secte des chiaïtes, après la mort d'Ali. Écrasés en 787 à la bataille de Fekh, ils durent rentrer dans l'ombre. Ils se formèrent alors en société secrète et envoyèrent des émissaires dans toutes les directions, même en Berbérie, malgré la surveillance exercée par les Abbassides.

Le schisme chiaïte se divisait en plusieurs sectes, parmi lesquelles nous ne nous occuperons que des Imamïa, formant les Ethna-Acheria (Duodécémains) elles Ismaïlia (Ismaïliens).

Les Duodécémains comptaient douze imam ayant régné après Ali, et enseignaient que le douzième, ayant disparu mystérieusement, devait reparaître plus tard pour faire renaître la justice sur la terre et qu'il serait le Mehdi, ou être dirigé, prédit par Mahomet 455. Les Ismaïliens ne comptaient que six imam; le septième, Ismaïl, désigné pour succéder à son père, était, selon eux, mort avant lui. A partir de ce septième, leurs imam étaient dits cachés (Mektoum), ne transmettant leurs ordres au monde que par l'intermédiaire des daï (missionnaires) 456.

Note 454: (retour) Chapitre ii, Mort d'Ali, et Kharedjites et Chiaïtes.
Note 455: (retour) Telle est la tradition sur laquelle s'appuient tous les Mehdi que nous verrons paraître dans l'histoire et qui se produisent encore de nos jours.
Note 456: (retour) Ibn-Khaldoun, t. II, append. ii.

Le troisième imam caché, nommé Mohammed-el-Habib, vivait à Salemïa, ville du territoire d'Emesse, en Syrie, dans les premières années du règne d'Ibrahim. De là il lançait des daï, dont les uns s'avancèrent en guerriers jusque dans l'Inde, d'autres gagnèrent l'Afrique. L'un d'eux s'établit à Mermadjenna, au nord-est de Tebessa; un autre dans le pays des Ketama, non loin de l'Oued-Remel, appelé alors, en langue indigène, Souf-Djimar. Ils firent de nombreux prosélytes et décidèrent plusieurs de leurs adeptes à effectuer le pèlerinage de Salemia.

En présence de ces résultats, Mohammed-el-Habib résolut d'envoyer en Mag'reb un de ses plus fidèles adhérents, nommé Abou-Abd-Allah-el-Hocéin. Cet homme de mérite, qui devait rendre de si grands services à la cause fatemide, avait été d'abord mohtacib ou receveur d'impôts à Basra, puis il avait enseigné publiquement les doctrines des Imamiens, ce qui lui avait valu le surnom d'El-Maallem (le maître) 457. Il partit pour le Mag'reb, en compagnie des chefs ketamiens; pour éviter les postes placés par les Abbassides sur toutes les routes, ils passèrent par les déserts et, grâce à leur prudence, parvinrent à atteindre les chaînes des Ketama, et s'établirent à Guédjal, dans le territoire occupé actuellement par les Djimela, près de Sétif. Le chef de ces indigènes, Mouça-ben-Horeïth, un de ceux qui revenaient d'Orient, protégea l'établissement du missionnaire dans cette localité qui fut appelée par lui: Le col des gens de bien (Fedj-el-Akhiar). Ce nom n'avait pas été pris au hasard; Abou-Abd-Allah annonça, en effet, que le Mehdi lui avait révélé qu'il serait forcé de fuir son pays et, de même que le prophète, d'avoir une hégire, et qu'il serait soutenu par des gens de bien (ses Ansars), dont le nom serait un dérivé du verbe katama (cacher).

Ces moyens, habilement choisis, devaient réussir auprès de gens ignorants tels que les montagnards du Mag'reb. Aussi les Ketama, flattés d'être choisis pour le rôle d'Ansars du nouveau prophète, vinrent-ils en foule se ranger sous la bannière du daï chiaïte. Ces faits se passèrent sans doute entre les années 890 et 893, car la date de l'arrivée d'Abou-Abd-Allah en Afrique est incertaine.

Note 457: (retour) Ibn-Khaldoun, t. II, p. 509, et Ibn-Hammad, trad. Cherbonneau, Rev. afr., nos 72-78.

Nouvelles luttes d'Ibrahim contre les révoltes.--Vers le même temps, le gouverneur ar'lebite Ibrahim, qui venait de faire périr ses propres filles, ses favorites et un grand nombre de serviteurs, attira par ses promesses les principaux chefs du Zab et de Bellezma, à Rakkada; puis il les fit massacrer et s'empara de leurs richesses. Un millier d'indigènes périrent, dit-on, dans ce guet-à-pens, qui eut pour effet de jeter un grand nombre de Berbères, et particulièrement des Ketama, dans les bras du chiaïte, car les gens de Bellezma étaient leurs suzerains 458.

Cependant Ibrahim, apprenant la propagande que faisait Abou-Abd-Allah, lui écrivit pour lui enjoindre d'avoir à cesser toute prédication. Le chiaïte répondit par une lettre injurieuse. Le prince ar'lebite donna aussitôt aux commandants des contrées voisines l'ordre de marcher contre les rebelles. A l'approche du danger, les Ketama commencèrent à se repentir de leur audace, et plusieurs chefs émirent l'avis d'expulser le chiaïte; mais les Djimela prirent sa défense, et, soutenu par eux, Abou-Abd-Allah vint se retrancher à Tazrout, non loin de Mila où habitait la tribu ketamienne de R'asman 459.

Tandis que ces événements s'accomplissaient dans les montagnes des Ketama, une révolte importante éclatait aux environs de Tunis. La péninsule de Cherik, la ville de Tunis, celles de Badja et d'El-Orbos, enfin la ville et la montagne de Gammouda, au sud de Kaïrouan, s'étaient lancés dans la rébellion. Inquiet des proportions que prenait ce soulèvement, Ibrahim fit renforcer d'abord les retranchements de Rakkada, afin d'y trouver un refuge contre toute éventualité, puis il envoya dans la péninsule de Cherik une armée qui dispersa les insurgés; leur chef fut mis en croix. En même temps, deux généraux, l'eunuque Meïmoun et le général Ibn-Naked commençaient le siège de Tunis, pendant que l'eunuque Salah allait faire rentrer dans le devoir la province de Gammouda.

Bientôt, les troupes ar'lebites entrèrent victorieuses à Tunis et mirent cette ville au pillage. Douze cents des principaux citoyens furent réduits en esclavage et envoyés à Kaïrouan. Quand, à Tunis, on fut las de tuer, les cadavres furent, par l'ordre d'Ibrahim, chargés sur des charrettes pour être promenés dans les rues de la capitale, aux yeux des habitants (mars 894) 460.

Note 458: (retour) Selon le Baïan, les habitants de Bellezma étaient de race arabe et descendaient des miliciens qui y avaient été placés en garnison.
Note 459: (retour) Ibn-Khaldoun, t. II, p. 512 et suiv.
Note 460: (retour) En-Nouéïri, p. 429.

Expédition d'Ibrahim contre les Toulounides d'Egypte.--Peu de temps après, Ibrahim transporta le siège de son gouvernement à Tunis et construisit, à cette occasion, plusieurs châteaux dans cette ville. Deux ans plus tard, il résolut de mettre à exécution un projet qu'il méditait depuis longtemps et qui n'était rien moins que l'invasion de l'Egypte. Cette province était alors gouvernée par Djaïch, petit-fils d'Ahmed-ben-Touloun, et l'on se demande si le prince ar'lebite voulait tirer une vengeance tardive de l'agression d'El-Abbas, ou s'il avait réellement la pensée de conquérir l'Egypte.

Ayant rassemblé une armée nombreuse, il se mit à sa tête et prit la route de l'est (896). Parvenu dans la province de Tripoli, il se heurta contre les Nefouça en armes et disposés à lui barrer le passage. Un combat sanglant s'ensuivit, et, comme les hérétiques berbères avaient l'avantage de la position, les troupes ar'lebites plièrent, après avoir vu tomber leur chef Meïmoun. Mais Ibrahim, ayant lui-même rallié ses soldats, attaqua les rebelles avec impétuosité et les mit en déroute. Le plus grand carnage suivit cette victoire; le gouverneur se fit amener les principaux chefs prisonniers et s'amusa à les percer lui-même de son javelot; il ne s'arrêta, dit-on, qu'au chiffre de cinq cents selon En-Noueïri 461, et de trois cents d'après le Baïan.

Note 461: (retour) En-Nouéïri, p. 430.

Ibrahim fit alors son entrée à Tripoli. Celte ville était commandée par son cousin Abou-l'Abbas-Mohammed, fils de Ziadet-Allah II, homme instruit, d'un esprit élevé et qui jouissait d'une certaine influence. Sans aucun autre motif que la jalousie, Ibrahim le fit mettre en croix. On dit cependant qu'il avait reçu du khalife El-Motadhed une missive lui reprochant ses cruautés et lui ordonnant de remettre le pouvoir à son cousin et qu'il aurait répondu à cette injonction par le meurtre du malheureux Abou-l'Abbas et de sa famille. Mais ces faits, rapportés par le Baïan, seul, ne semblent pas probables et l'on doit croire plutôt que le prince ar'lebite a cédé, une fois de plus, à un de ses caprices sanguinaires.

Continuant sa route vers l'est, Ibrahim parvint jusqu'à Aïn-Taourgha, au fond du golfe de la grande Syrte. Son armée irritée et effrayée des cruautés qu'elle lui avait vu commettre à Tripoli ne le suivait qu'à contre-cœur. De nouvelles violences achevèrent de détacher de lui ses soldats et il se vit abandonné par la plus grande partie de l'armée. Force lui fut alors de rebrousser chemin et de rentrer à Tunis. Son fils, Abou-l'Abbas-Abd-Allah resta en Tripolitaine pour achever la soumission des Nefouça.

Abdication d'Ibrahim.--En l'année 901, les habitants de Tunis, qui avaient tant souffert de la tyrannie d'Ibrahim, réussirent à faire entendre leurs légitimes réclamations par le khalife. La supplique qu'ils lui adressèrent à cette occasion était si éloquente qu'El-Motadhed envoya aussitôt un officier en Ifrikiya, pour enjoindre à Ibrahim de déposer le pouvoir et le transmettre à son fils Abou-l'Abbas, après quoi il aurait à se rendre à Bagdad pour expliquer sa conduite. Le gouverneur ar'lebite reçut ces ordres à Tunis, vers la fin de l'année 901; il fit au délégué le plus brillant accueil et rappela de Sicile son fils pour lui remettre le pouvoir. Il prétendit alors avoir été touché de la grâce divine, se revêtit de vêtements grossiers, fit mettre en liberté les malheureux qui remplissaient les prisons, et se prépara à effectuer le pèlerinage imposé à tout musulman. Ayant abdiqué au profit d'Abou-l'Abbas (février-mars 902), il prit la route de l'Orient; mais, parvenu à Souça, il suspendit sa marche, séjourna dans une petite localité voisine, nommée Nouba, incertain sans doute sur le parti qu'il prendrait; puis, dans le mois de juin, il s'embarqua pour la Sicile et aborda heureusement à Trapani 462.

Note 462: (retour) En-Nouéïri, p. 431 et suiv. Amari, Storia, t. II, p. 76 et suiv.

Événements de Sicile.--Les révoltes dont l'Ifrikiya était le théâtre avaient entravé, dans les dernières années, les succès des Musulmans en Sicile, et les rivalités qui divisaient les Berbères et les Arabes avaient causé le salut des chrétiens, car, sans cela, ils se seraient vus expulsés de leurs derniers refuges. Vers l'an 895, une sorte de trêve fut conclue entre eux et les Musulmans, puis, tous unis dans le même sentiment, se mirent en révolte contre l'autorité ar'lebite. Ibrahim était alors trop occupé en Afrique pour avoir le loisir de combattre les rebelles de Sicile; aussi, durant trois années, restèrent-ils dans l'indépendance. Mais, en 898, des discussions s'élevèrent entre eux et eurent pour résultat de les pousser à livrer leurs chefs au gouverneur ar'lebite qui les fit périr. Ibrahim envoya comme gouverneur, en Sicile, un de ses parents, nommé Abou-Malek, homme de nulle valeur; aussitôt la guerre civile recommença et désola lîle pendant toute l'année 899. Abou-l'Abbas, fils d'Ibrahim, nommé gouverneur, arriva en Sicile, dans le courant de l'été 900, à la tête d'une puissante armée. Au mois de septembre suivant, il entrait en triomphateur à Palerme, après une campagne brillamment conduite.

Pour occuper les Musulmans, Abbou-l'Abbas attaque les chrétiens de Taormina et assiège Gatane, mais sans succès. En 901, il porte son camp à Demona, d'où il est bientôt délogé par une armée byzantine arrivée d'Orient. Il va alors surprendre et enlever Messine, où il fait 17,000 prisonniers, et s'empare d'un butin considérable. Au mois de juillet suivant, il fait une expédition en Italie et revient à la fin de l'année dans l'île. Sous la main ferme de ce prince, la Sicile avait recouvré un peu de tranquillité, lorsqu'en 902, il fut appelé en Afrique pour prendre le fardeau de l'autorité suprême 463.

Note 463: (retour) Amari, Storia dei Mus., t. II, p. 52 et suiv.

Événements d'Espagne.--En Espagne, le sultan Mohammed avait continué à régner sans gloire, occupé à lutter contre les chefs indépendants qui, de tous côtés, profitaient de l'affaiblissement de l'autorité centrale, pour se créer de petites royautés, le plus souvent avec l'appui des chrétiens. Le midi restait soumis à l'autorité des oméïades, lorsque, vers 881, un certain Omar-ben-Hafçoun, d'une famille d'origine wisigothe, réunit une armée de partisans presque tous renégats, las du joug musulman, et tint la campagne contre le sultan. Dans le courant de l'été 886, Moundhir, héritier présomptif du trône oméïade, dirigea une expédition heureuse contre ces aventuriers et était sur le point de les forcer dans leur dernière retraite, lorsqu'il apprit la mort de son père (4 août). Forcé de lever le siège pour aller prendre possession du trône, il dut laisser le champ libre à Omar, qui se fit reconnaître comme souverain par la plus grande partie des populations du midi. Une guerre acharnée contre ce compétiteur occupa tout le règne de Moundhir, qui mourut le 29 juin 888, pendant qu'il assiégeait encore Omar. Aussitôt, l'armée prit, en désordre, la route de Cordoue.

Abd-Allah succéda à son frère Moundhir. Il prenait le pouvoir dans des circonstances très critiques, car, non seulement les provinces, les cantons, les villes tendaient à se déclarer indépendants, mais encore l'aristocratie arabe relevait la tête dans la capitale même.

Pour être entièrement à l'abri des entreprises d'Ibn-Hafçoun, le sultan lui offrit le gouvernement de Regio, à la condition qu'il reconnaîtrait le prince oméïade comme son suzerain. Cette tendance au fractionnement, qui devait être si préjudiciable à la domination musulmane, n'était que l'effet de la réaction des indigènes, devenus sectateurs de l'Islam, et des Berbères, contre la domination des Arabes d'Orient.

A chaque instant, des massacres, comme ceux d'Elvira et de Séville 464, manifestaient le sentiment général et la persistance de la rivalité des maadites et des yéménites empêchait les Arabes de s'unir pour résister à l'ennemi commun. Bientôt la lutte prit un caractère d'extermination féroce; Espagnols et Arabes s'entretuèrent et Ibn-Hafçoun, comme on peut le deviner, prit une part active à la guerre civile. «A cette époque--(891) dit Dozy 465--presque toute l'Espagne musulmane (moins Séville), s'était affranchie de la sujétion. Chaque seigneur arabe, berbère ou espagnol, s'était approprié sa part de l'héritage des Oméïades. Celle des Arabes avait été la plus petite. Ils n'étaient puissants qu'à Séville, partout ailleurs ils avaient beaucoup du peine à se maintenir contre les deux autres races». Telle était la situation de l'Espagne à la fin du ixe siècle.

Note 464: (retour) Dozy, Musulmans d'Espagne, t. II, p. 210 et suiv., 243 et suiv.
Note 465: (retour) Dozy, l. c., p. 259.

En 870, Ibn-Hafçoun, après être entré en pourparlers avec le gouverneur ar'lebite et le khalife lui-même, leur offrant de rétablir l'autorité abbasside en Espagne, attaqua le prince oméïade, mais il fut vaincu dans une sanglante bataille (avril 891). Cette victoire avait rendu à Abd-Allah quelques places. Cependant Ibn-Hafçoun, qui avait en vain réclamé des secours des ar'lebites, ne tarda pas à reprendre l'offensive et le succès couronna de nouveau ses armes. Pendant de longues années on lutta de part et d'autre avec des chances diverses et enfin, dans les premières années du xe siècle, le prince oméïade finit par triompher de ses ennemis et raffermir son trône 466.

Note 466: (retour) Dozy, Musulmans d'Espagne, t. II, p. 311 et suiv. El-Marrakchi, Dozy, p. 17 et suiv.
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