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Histoire du Bas-Empire. Tome 02

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LIVRE XI.

I. Conduite impénétrable de Julien dans la révolution qui l'élève à l'empire. II. Ursicin disgracié. III. Constance rappelle de la Gaule une partie des troupes. IV. Expédition de Lupicinus contre les Scots. V. Julien se dispose à obéir. VI. Murmures des soldats et des habitants. VII. Julien reçoit les troupes à Paris. VIII. Julien proclamé Auguste. IX. Il résiste, et se rend enfin aux désirs des soldats. X. Péril de Julien. XI. Il harangue les soldats. XII. Clémence de Julien envers les officiers de Constance. XIII. Lettres de Julien à Constance. XIV. Constance refuse tout accommodement. XV. Les soldats s'opposent à l'exécution des ordres de Constance. XVI. Lettres et députations inutiles de part et d'autre. XVII. Expédition de Julien contre les Attuariens. XVIII. Mort d'Hélène, femme de Julien. XIX. Singara prise par Sapor. XX. Prise de Bézabde. XXI. Retraite de Sapor. XXII. Dédicace de Sainte-Sophie. XXIII. Constance en Mésopotamie. XXIV. Siége de Bézabde. XXV. Vigoureuse résistance. XXVI. Constance lève le siége. XXVII. Fin malheureuse d'Amphilochius. XXVIII. Mort d'Eusébia, et mariage de Faustine. XXIX. Constance se dispose à retourner contre les Perses. XXX. Il s'assure de l'Afrique. XXXI. Il passe en Mésopotamie. XXXII. Julien se détermine à faire la guerre à Constance. XXXIII. Les Allemans reprennent les armes. XXXIV. Prise de Vadomaire. XXXV. Julien fait prêter le serment à ses troupes. XXXVI. Dispositions de Julien. XXXVII. Marche de Julien jusqu'à Sirmium. XXXVIII. Il s'empare de cette ville. XXXIX. Il se rend maître du Pas de Sucques. XL. L'Italie et la Grèce se déclarent pour lui. XLI. Il fait profession ouverte d'idolâtrie. XLII. Bienfaits qu'il répand sur les provinces. XLIII. Il prend soin de la ville de Rome. XLIV. Révolte de deux légions. XLV. Siége d'Aquilée. XLVI. Inquiétudes de Julien. XLVII. Constance revient à Antioche. XLVIII. Mort de Constance. XLIX. Ses bonnes et ses mauvaises qualités. L. Dernières lois de Constance.

An 360.

I. Conduite impénétrable de Julien, dans la révolution qui l'élève à l'empire.

La conduite de Julien dans la Gaule avait été jusqu'alors irréprochable. Chéri des peuples, redouté des Barbares, il avait délivré la province des vexations domestiques et des incursions étrangères. La révolution qui va suivre répand sur sa vertu un violent soupçon d'hypocrisie. Il est difficile de sonder la profondeur de cet esprit dissimulé. Le glaive qui avait brillé à ses yeux dès son enfance, et qu'il voyait sans cesse suspendu sur sa tête, l'avait trop bien instruit à se contrefaire. Entre les auteurs anciens les uns s'étudient à le justifier; ils prétendent qu'il n'accepta qu'à regret le titre d'Auguste: les autres l'accusent de rébellion. Ceux-là sont adorateurs de Julien, ainsi que de ses divinités; ceux-ci, dont le témoignage est d'ailleurs très-respectable, ne voient jamais en lui que l'ennemi du vrai Dieu. Les ressorts qui produisirent ce changement de scène, sont inconnus. Si Julien fut criminel, il sut si bien s'envelopper, que l'œil critique et impartial de la postérité ne peut du moins avec évidence démêler l'artifice. Il paraît cependant que s'il ne fit rien pour se procurer le diadème, il ne fit pas tout ce qu'il aurait pu pour se défendre de l'accepter. Un esprit tel que le sien était bien capable de trouver des moyens plus efficaces. De plus, les manifestes qu'il répandit ensuite contre Constance, décèlent une haine invétérée, qu'il avait su déguiser jusqu'à composer en l'honneur de ce prince les panégyriques les plus outrés. Cette fausseté de caractère le rend légitimement suspect; le flatteur déja perfide n'a qu'un pas à faire pour devenir rebelle. Je vais exposer les circonstances de ce fameux événement: c'est au lecteur à juger, et à donner aux faits les qualifications qu'ils méritent.

II. Ursicin disgracié.

Amm. l. 20, c. 2.

Constance étant pour la dixième fois consul, et Julien pour la troisième, les préparatifs de Sapor alarmaient l'empire. Ce prince, toujours animé par Antonin et par Craugasius, menaçait de nouveau la frontière. L'empereur, comme s'il eût été d'intelligence avec les Perses, laissait échapper ses ressources, à mesure qu'il voyait croître le péril. Il commença par éloigner pour toujours Ursicin, le seul guerrier capable de résister aux Perses. Dès que ce général fut revenu à la cour, ses anciens ennemis l'attaquèrent, d'abord par des censures qu'ils hasardaient sourdement, ensuite par des calomnies qu'ils débitaient avec hardiesse. L'empereur crédule et accoutumé à ne voir que par les yeux d'autrui, nomma commissaires pour informer de sa conduite, Arbétion, l'auteur secret de ces intrigues, et Florentius, maître des offices et différent du préfet de la Gaule. Ils avaient ordre de l'interroger sur les causes de la prise d'Amid. Ursicin n'avait pas de peine à prouver qu'on ne devait attribuer cette disgrace qu'à la lâcheté de Sabinianus; mais ses raisons n'étaient pas même écoutées. Les commissaires, de crainte d'offenser le grand-chambellan, dont Sabinianus était la créature, n'évitaient rien tant que de découvrir la vérité; et à dessein de s'en écarter comme d'un écueil dangereux, ils se jetaient dans des discussions frivoles et étrangères. Ursicin, naturellement vif et impatient, fatigué de cet indigne manége, ne put se contenir: Quoique l'empereur me méprise, dit-il, au point de ne daigner m'entendre, l'affaire est assez importante pour n'être pas abandonnée à la discrétion de ses eunuques: c'est à lui seul qu'il appartient d'en connaître et de punir les coupables. En attendant qu'il s'y détermine, faites-lui savoir que, tandis qu'il déplore la perte d'Amid, il se forme sur la Mésopotamie un nouvel orage, qu'il ne pourra lui-même conjurer à la tête de toutes ses troupes. Ces paroles hardies, envenimées encore par la malignité des délateurs, excitèrent la colère de Constance: il fit cesser l'information; et sans vouloir s'instruire de ce qu'on affectait de lui cacher, il chassa Ursicin de la cour, et le relégua dans ses terres. Agilon, qui n'était alors que commandant d'une des compagnies de la garde, fut revêtu de la charge importante de général de l'infanterie; et Ursicin passa le reste de ses jours dans une obscurité plus fâcheuse pour l'état que pour lui-même.

III. Constance rappelle de la Gaule une partie des troupes.

Amm. l. 20, c. 4.

Jul. ad Ath. p. 282.

Liban. or. 8, t. 2, p. 240 et or. 10, p. 282 et 283.

Zos. l. 3, c. 8.

Les intrigues de cour venaient d'enlever à l'empereur le plus habile et le plus fidèle de ses généraux; sa propre imprudence lui enleva la moitié de l'empire. Lucien avait été envoyé en Gaule pour y tenir la place de Salluste; mais il n'était pas capable de le remplacer dans le cœur de Julien. Ennemi secret de ce prince, il se joignit à Florentius et à la cabale de la cour pour déterminer l'empereur à rappeler le César, ou du moins à le désarmer, en lui retirant ses meilleures troupes. La jalousie de Constance appuya ses conseils pernicieux. Il fit partir Décentius secrétaire d'état[269], avec ordre de lui amener les Hérules, les Bataves, et deux légions gauloises[270], renommées pour leur bravoure, avec trois cents hommes choisis dans chacun des autres corps. C'était toute la force de l'armée de Julien. Ces troupes devaient se rendre en diligence à Constantinople, pour marcher contre les Perses au commencement du printemps. Les ordres étaient adressés à Lupicinus. Constance en envoyait d'autres à Gintonius Sintula, grand-écuyer[271] de Julien; il le chargeait de choisir les plus braves des soldats de la garde[272], et de les lui amener lui-même. Il n'écrivit à Julien que pour lui enjoindre de presser l'exécution de ses volontés.

[269] Il était en même temps tribun, tribunum et notarium.—S.-M.

[270] C'étaient les légions nommées Pétulante et Celtique: cumque Petulantibus Celtas.—S.-M.

[271] Stabuli tribunus. Cet officier est appelé simplement Sintula dans Ammien Marcellin; c'est Julien lui-même qui nous apprend qu'il portait aussi le nom de Gintonius (ad Athen. l. 282, ed. Spanh.)—S.-M.

[272] Dans les corps des Scutaires et des Gentils ou des étrangers, de Scutariis et Gentilibus.—S.-M.

IV. Expédition de Lupicinus contre les Scots.

Amm. l. 10, c. 1.

Cellar. Geog. l. 2, c. 4, art. 23.

Lupicinus n'était pas alors en Gaule; Julien l'avait fait passer avec quelques troupes dans la Grande-Bretagne[273], pour arrêter les incursions des Scots et des Pictes, qui, s'étant tenus tranquilles pendant dix-sept ans depuis l'expédition de Constant, recommençaient leurs ravages. Lupicinus partit de Boulogne [Bononia] au milieu de l'hiver[274], aborda à Rutupias, aujourd'hui le port de Richborow, et se rendit à Londres [Lundinium]. Ce général savait la guerre; mais c'était un homme hautain, fanfaron, aussi avare que cruel.

[273] Julien n'osait passer la mer en personne, parce qu'il craignait de laisser la Gaule exposée sans défenseur, aux attaques des Allemans, qui la menaçaient toujours. Verebatur ire subsidio transmarinis, dit Ammien Marcellin, l. 20, c. 1, ne rectore vacuas relinqueret Gallias, Alamannis ad sævitiam etiamtum incitatis et bella.—S.-M.

[274] Lupicinus avait avec lui des troupes légères, Hérules et Bataves, et deux légions ou plutôt deux bataillons de la Mœsie (les légions n'étaient alors fortes que de mille à douze cents hommes). Moto velitari auxilio, Ærulis scilicet et Batavis, numerisque Mœsiacorum duobus. Amm. Marc. l. 20, c. 1.)—S.-M.

V. Julien se dispose à obéir.

Amm. l. 20, c. 4.

Jul. ad Ath. p. 282, et seq.

Liban. or. 8, t. 2, p. 240. et or. 10. p. 283, 284 et 285.

Zos. l. 3, c. 8 et 9.

Décentius en l'absence de Lupicinus se mit en devoir d'exécuter les ordres de Constance. Sintula qui ne cherchait qu'à signaler son zèle pour avancer sa fortune, s'acquitta d'abord de sa commission à la rigueur. Après avoir choisi l'élite des troupes qui gardaient la personne de Julien, il se mit en marche à leur tête. Il s'agissait de faire partir le reste, dispersé en différents quartiers d'hiver. On était alors à la fin du mois de mars. Julien, après avoir protesté qu'il était parfaitement soumis aux volontés de l'empereur, représenta seulement qu'on ne pouvait sans injustice, ni même sans péril entreprendre de faire partir les Hérules et les Bataves, qui ne s'étaient donnés à lui qu'à condition qu'on ne leur ferait jamais passer les Alpes[275]: il ajouta qu'en leur manquant de parole, on se privait à jamais du secours des étrangers, qui ne viendraient plus offrir leurs services. Ses raisons n'étant pas écoutées, il se trouvait dans un grand embarras: s'il obéissait, il dégarnissait la province qui restait presque sans défense exposée aux insultes des Barbares; s'il refusait d'obéir, il s'attirait l'indignation de l'empereur. C'était là le moment critique, qui devait amener la révolution. On ne voit pas que Julien ait fait à l'empereur aucune remontrance, ni qu'il ait pris aucune mesure pour disposer les esprits à obéir. Du moins il ne mit en œuvre que de faibles expédients, qui ne pouvaient produire d'autre effet que de le garantir de toute imputation. Il envoya ordre à Lupicinus de revenir; il invita Florentius à se rendre auprès de lui pour l'aider de ses conseils. Celui-ci était le premier auteur de tous ces troubles; et pour se mettre à couvert des suites, il s'était retiré à Vienne sous prétexte d'y amasser des vivres[276]. Il refusa constamment de quitter cette ville. En vain le César lui écrivit des lettres pressantes; en vain il protesta que si Florentius s'obstinait dans son refus, il allait renoncer à la qualité de César: qu'il aimait mieux s'abandonner à la merci de ses ennemis, que d'encourir le reproche d'avoir laissé perdre une si belle province. Dans le manifeste qu'il adressa quelque temps après aux Athéniens, il prend les Dieux à témoins qu'il pensait en effet sérieusement alors à se dépouiller de sa dignité et à s'éloigner entièrement des affaires.

[275] Qui relictis laribus Transrhenanis, sub hoc venerant pacto, ne ducerentur ad partes unquam Transalpinas. Amm. Marc. l. 20, c. 4.—S.-M.

[276] C'était lui, dit Ammien Marcellin, qui avait le premier conseillé à Constance de retirer de la Gaule les troupes qui l'avaient défendue et qui étaient redoutées des Barbares.—S.-M.

VI. Murmures des soldats et des habitants.

Pendant ces délais une main inconnue fit courir dans le quartier des deux légions gauloises un libelle rempli d'invectives contre Constance[277], et de plaintes sur le déplorable sort des soldats, qu'on exilait, disait-on, comme des criminels, aux extrémités de la terre: Nous allons donc abandonner à une nouvelle captivité nos enfants et nos femmes, que nous avons rachetés au prix de tant de sang. Ce libelle séditieux effraya les officiers attachés à l'empereur: les principaux étaient Nébridius, Pentadius, Décentius. Ils pressèrent plus vivement Julien de faire partir les troupes, pour ne pas donner à ces murmures le temps de s'accroître et d'éclater par une révolte. Julien persistait dans la résolution d'attendre Florentius et Lupicinus. On lui représenta que c'était le moyen de fortifier les soupçons de l'empereur; que s'il attendait ces deux officiers, Constance leur attribuerait tout le mérite de l'obéissance. Il se rendit à ces instances. Il n'était plus question que de la route qu'on ferait tenir aux soldats. Julien n'était pas d'avis[278] qu'on les fît passer par la ville de Paris[279], où il était alors: on devait craindre que la vue d'un prince qu'ils chérissaient et dont on les forçait de s'éloigner, n'échauffât leurs esprits. Décentius prétendait au contraire que Julien seul était capable de les calmer et de les porter à la soumission. Julien céda encore sur ce point important, dont il paraît cependant qu'il était le maître. On envoya donc aux divers corps de troupes l'ordre de se rassembler à Paris. Au premier mouvement qu'elles firent, toute la Gaule s'ébranla: l'air retentissait de cris confus; c'était une désolation générale. On croyait déja voir les Barbares rentrer dans la province, et y rapporter tous les désastres, dont elle venait d'être délivrée. Les femmes des soldats éperdues et éplorées, leur présentant leurs enfants à la mamelle, les conjuraient à grands cris de ne les pas abandonner: les chemins étaient bordés d'une multitude de tout âge et de tout sexe, qui les suppliait de rester, et de conserver le fruit de leurs travaux. Au milieu de ces gémissements et de ces larmes, les soldats à la fois attendris et pleins d'une indignation secrète arrivèrent à Paris.

[277] On le trouva auprès des enseignes des Pétulants: Hocque comperto, dit Ammien Marcellin, apud Petulantium signa famosum quidam libellum humi projecit occultè, l. 20, c. 4. C'étaient, dit Zosime, l. 3, c. 9, des lettres anonymes, ἀνώνυμα γραμμάτια. Julien dit quelque chose d'à peu près semblable (ad Athen. p. 283), γράφει τις ανώνυμον.—S.-M.

[278] Julien l'assure dans sa lettre aux Athéniens (p. 284).—S.-M.

[279] Per Parisios. Zosime, l. 3, c. 9, appelle Paris une petite ville de Germanie, Γερμανίας πολίχνη.—S.-M.

VII. Julien reçoit les troupes, à Paris.

A leur approche, Julien alla au-devant d'eux. C'était un honneur que les empereurs mêmes avaient coutume de faire aux légions, quand elles se rendaient auprès de leur personne. Il les reçut dans une plaine aux portes de la ville[280]. Là, étant monté sur un tribunal, il donna des éloges à ceux qu'il connaissait; il leur rappela les belles actions qu'il leur avait vu faire: Ce n'est pas à nous, leur disait-il, à délibérer sur l'obéissance que nous devons aux ordres de l'empereur: vous allez combattre sous ses yeux; c'est là que vos services trouveront des récompenses proportionnées à votre valeur et au pouvoir du souverain: préparez-vous à ce voyage, qui vous conduit à la gloire. Les soldats l'écoutèrent en silence, et sans donner aucune des marques ordinaires de leur approbation. Il traita magnifiquement les officiers, et les combla de présents. Ils se retirèrent sous leurs tentes, sensiblement affligés de quitter leur patrie et un chef si bienfaisant. Ils séjournèrent le lendemain, comme pour se disposer à partir; mais ils passèrent le jour à concerter ensemble tant officiers que soldats. Julien, s'il en faut croire ses protestations et ses serments, n'avait aucune connaissance de leur dessein.

[280] Dans les fauxbourgs selon Ammien Marcellin, l. 20, c. 4. Iisdemque adventantibus, in suburbanis princeps occurrit.—S.-M.

VIII. Julien proclamé Auguste.

Au commencement de la nuit les soldats prennent les armes: ils environnent le palais; c'était celui qu'on a nommé depuis le palais des Thermes[281]. Ils se rendent maîtres de toutes les issues; ils proclament Julien Auguste, et demandent par des cris redoublés, qu'il sorte, qu'il se montre. Julien reposait dans un appartement voisin de celui de sa femme: selon le récit qu'il fait de cet événement, il s'éveille en sursaut; il apprend avec étonnement le sujet de cette émeute: incertain de ce qu'il doit faire, il s'adresse à Jupiter. Comme le tumulte au-dehors, la frayeur au-dedans du palais croissaient à tous les moments, il prie ce Dieu de lui manifester sa volonté par quelque signe; et Jupiter lui fit, dit-il, connaître aussitôt qu'il ne devait pas résister au désir des soldats. A l'entendre, il ne fut pas aussi facile que Jupiter; il s'obstina à se tenir renfermé le reste de la nuit. Au point du jour les soldats enfoncent les portes; ils entrent l'épée à la main, et le forcent de sortir. Dès qu'il paraît, tous de concert, le saluent du titre d'Auguste avec des acclamations réitérées.

[281] On sait qu'il existe encore à Paris quelques restes de ce palais, qui occupait autrefois un très-vaste emplacement, sur la rive méridionale de la Seine.—S. M.

IX. Il résiste et se rend enfin au désir des soldats.

Julien par ses paroles, par ses mouvements, par toutes les marques d'un refus opiniâtre se défendait de l'empressement des soldats. Tantôt il témoignait de l'indignation, tantôt il leur tendait les bras et les conjurait avec larmes de ne pas déshonorer par une rébellion tant de glorieuses victoires: Calmez vos esprits, s'écriait-il; sans allumer les feux d'une guerre civile, sans changer la face de l'état, vous obtiendrez ce que vous désirez. Puisque vous ne pouvez vous résoudre à quitter votre patrie, retournez dans vos quartiers: je vous suis garant que vous ne passerez pas les Alpes; je me charge de justifier vos alarmes auprès de l'empereur, dont la bonté écoutera vos remontrances. Ces paroles, loin de ralentir leur ardeur, semblent l'embraser davantage. Tous redoublent leurs cris: déja une si longue résistance excite leur colère; les menaces se mêlent aux acclamations; enfin Julien se laisse vaincre. On l'élève sur un pavois; on le prie de ceindre le diadème. Comme il protestait qu'il n'en avait point, on s'écrie qu'il peut employer à cet usage le collier ou l'ornement de tête de sa femme; quelques-uns même s'empressent à lui former un diadème avec les courroies d'un cheval[282]. Julien rejetant des parures si indécentes, un officier nommé Maurus[283] lui présenta son collier, qu'il fut obligé d'accepter et de mettre sur sa tête. Aussitôt, pour se conformer à la coutume observée par les Augustes à leur avénement à l'empire, il promit cinq pièces d'or et une livre d'argent pour chaque soldat. C'est ainsi que Julien fut revêtu de la puissance souveraine. Quoiqu'il ne manquât ni d'éloquence ni de vigueur, sa résistance ne fut pas aussi efficace que l'avait été celle du généreux Germanicus, dont la fermeté inébranlable dans son devoir avait bien su repousser les efforts d'une armée, qui s'obstinait avec fureur à lui faire accepter le titre d'Auguste. Julien racontait depuis à ses amis, que cette nuit même il avait vu en songe le génie de l'empire, qui lui avait dit d'un ton de reproche: Julien, il y a long-temps que je me tiens à l'entrée de ta maison, dans l'intention d'accroître ta dignité et ta fortune; tu m'as plusieurs fois rebuté: si tu ne me reçois pas aujourd'hui que je suis appuyé de tant de suffrages, je m'éloignerai à regret; mais n'oublie pas que je ne dois demeurer auprès de toi que peu de temps.

[282] Equi phaleræ.—S.-M.

[283] Il était alors hastaire dans les Pétulants, Petulantium hastatus, où il remplissait les fonctions de porte-enseigne, draconarius. Il fut ensuite créé comte. Il se conduisit mal quelque temps après, lors de l'attaque du pas de Sucques. (Amm. Marc. l. 20, c. 4.).—S.-M.

X. Péril de Julien.

Julien se renferma dans le palais, sans vouloir ni porter le diadème, ni recevoir aucune visite, ni s'occuper d'aucune affaire. Il était, dit-il, accablé de douleur et de confusion; il se reprochait en soupirant de n'être pas demeuré jusqu'à la fin fidèle à Constance. Tandis qu'un morne silence régnait autour de lui, les amis de Constance profitent de ce moment pour tramer un complot; ils distribuent de l'argent aux soldats, à dessein de les soulever contre le nouvel empereur, ou du moins de les diviser. Ils avaient déja gagné un eunuque de la chambre[284], lorsqu'un officier du palais vient avec effroi en donner avis; et comme Julien ne paraissait pas l'écouter, cet officier va jeter l'alarme parmi les troupes, en criant de toutes ses forces: Au secours, soldats, citoyens, étrangers; ne trahissez pas celui que vous venez de nommer Auguste. Ammien Marcellin ajoute, que pour émouvoir plus vivement les esprits, il s'écria qu'on venait d'assassiner l'empereur. Aussitôt les soldats accourent au palais; ils s'y jettent en foule, les armes à la main: les gardes et les officiers de Julien croyant que cette irruption soudaine était l'effet d'une seconde révolution, se dispersent saisis d'effroi, et ne pensent qu'à se sauver. Les soldats pénètrent jusqu'à l'appartement du prince[285]; ravis de le trouver plein de vie, ils ne peuvent retenir les transports de leur joie; ils s'empressent à l'envi de lui baiser la main, de le serrer entre leurs bras; et passant rapidement de ces mouvements de tendresse à ceux de la fureur et de la vengeance, ils demandent la mort des conjurés, ils les cherchent pour les massacrer. Le premier usage que Julien fit de son autorité, fut de déclarer qu'il prenait sous sa sauvegarde ceux qu'on regardait comme ses ennemis, qu'il ne permettrait pas qu'on leur fît aucun mal, ni qu'on les outrageât, même de paroles: Songez, disait-il, qu'ils sont mes sujets, que je suis leur empereur; ménagez mon honneur et le vôtre: vous deviendriez des rebelles, et je ne serais moi-même qu'un tyran et un usurpateur, si votre zèle pour moi se signalait par des meurtres, et s'il en coûtait une goutte de sang pour m'élever à l'empire. Ces paroles prononcées d'un ton ferme et absolu désarmèrent les soldats. Julien donna la vie à l'eunuque qui s'était chargé de le faire périr. Les amis de Constance, rassurés par ces marques de clémence, mais tremblants encore de l'idée du péril dont ils étaient à peine échappés, viennent se jeter à ses pieds; ils l'environnent; ils ne peuvent exprimer que par leur silence et par leurs larmes la reconnaissance dont ils sont pénétrés à l'égard d'un prince si bon et si généreux.

[284] Un décurion du palais, fonctionnaire d'un rang distingué selon ce que rapporte Ammien Marcellin, l. 20, c. 4, Palatii decurio, qui ordo est dignitatis. Les officiers de cet ordre portaient le titre de Clarissimes.—S.-M.

[285] Jusque dans la salle du conseil, selon Ammien Marcellin, où ils le trouvèrent revêtu des marques de sa dignité. In consistorium fulgentem eum augusto habitu conspexissent, l. 20, c. 4.—S.-M.

XI. Il harangue les soldats.

Amm. l. 20, c. 5.

Les troupes que conduisait Sintula, ne s'éloignaient qu'à regret. Au premier moment qu'elles apprirent ce qui se passait à Paris, elles retournèrent sur leurs pas, et vinrent rejoindre leurs camarades. Leur chef fut obligé de les suivre. Le lendemain de leur arrivée, au point du jour, le prince fit assembler toute l'armée dans le champ de Mars[286]; c'était une plaine destinée aux exercices, vers l'endroit où fut depuis bâtie la porte de Saint-Victor. S'étant rendu en ce lieu avec toute la pompe de sa nouvelle dignité, environné des aigles romaines et d'une garde nombreuse, il monta sur un tribunal. Après un silence de quelques moments, pendant lesquels il considérait leur contenance, où il voyait éclater l'ardeur et la joie, il leur parla en ces termes: «Braves et fidèles défenseurs de l'état et de ma personne, après vous être tant de fois exposés avec moi pour le salut de ces provinces, vous avez couronné mon zèle en m'élevant au comble des grandeurs; je dois à mon tour récompenser le vôtre. Presque au sortir de l'enfance, revêtu de la pourpre qui ne m'était donnée que comme une vaine parure, la providence des Dieux, vous le savez, me mit entre vos mains. Depuis ce moment jamais je ne me suis écarté des lois étroites que je m'étais imposées; et mon exemple vous a dicté vos devoirs. Toujours à votre tête, dans une province désolée, sur une terre teinte du sang de ses habitants, couverte des ruines et des cendres de ses villes, lorsque tant de nations féroces, le fer et le feu à la main, nous enveloppaient de toutes parts, j'ai partagé tous vos travaux, tous vos périls. Combien de fois dans la saison même où la rigueur du froid suspend les opérations de la guerre sur terre et sur mer, avons-nous relancé jusque dans leurs affreuses retraites les Allemans auparavant indomptés! Souvenez-vous de ce jour glorieux qui éclaira votre victoire dans les plaines de Strasbourg [Argentoratum], et qui rendit pour toujours à la Gaule son ancienne liberté. Vous me vîtes alors braver mille fois la mort; et je vous vis pleins de force et de courage terrasser des ennemis désespérés. Je les vis tomber sous vos coups ou se précipiter dans le fleuve; et nous ne laissâmes sur le champ de bataille qu'un petit nombre des nôtres, plus dignes de nos éloges que de nos larmes, et que nous honorâmes par des funérailles plus glorieuses pour eux que la pompe d'un triomphe. Après tant d'actions célèbres ne craignez pas que votre mémoire périsse jamais. Il ne nous reste plus à vous et à moi qu'une chose à faire: à vous de maintenir votre ouvrage, et de défendre contre ses ennemis celui que vous avez élevé; à moi, de payer vos services, et d'écarter les intrigues qui pourraient vous frustrer des récompenses qui vous sont dues. Je déclare donc aujourd'hui, comme une loi irrévocable, et je vous en prends à témoin, que désormais personne ne pourra sur aucune autre recommandation que celle de ses services, obtenir aucun office civil ni militaire; et que quiconque osera solliciter pour un autre une pareille faveur, ne remportera que la honte d'un refus». Ce discours anima le courage des simples soldats, qui se voyaient depuis long-temps exclus des emplois militaires et des récompenses: tous unanimement applaudirent par des cris de joie, en frappant de leurs piques sur leurs boucliers. Mais cette loi nouvelle gênait l'ambition des officiers; et pour essayer de la détruire dès sa naissance, les chefs des deux légions gauloises[287] qui venaient de se signaler en faveur de Julien lui demandèrent sur-le-champ même des gouvernements pour leurs commissaires des vivres[288]. Julien de son côté saisit cette première occasion d'affermir sa loi par un exemple: leur demande fut rejetée, et ils furent assez raisonnables pour ne pas s'en offenser.

[286] Cuncti convenirent in Campo. Rien n'indique précisément qu'il ait jamais existé auprès de Paris, un lieu appelé Champ-de-Mars. Le nom de campus peut s'appliquer à tout endroit employé aux exercices militaires et voisin d'une station militaire. Le campus ou lieu destiné à cet usage auprès de Paris, paraît avoir été situé dans l'emplacement où se trouve actuellement le jardin du Luxembourg. Les débris de poteries romaines qui y ont été trouvées en grand nombre, et d'autres objets antiques qui y ont été recueillis, semblent le prouver. Cette opinion paraît au reste plus vraisemblable, que le système adopté par Lebeau, et selon lequel, on mettrait cet emplacement sur le lieu, où fut l'ancienne porte St.-Victor, dans une situation élevée et difficile, nullement propre aux exercices militaires. Voyez l'Histoire de Paris, par M. Dulaure, c. 3, § 4.—S.-M.

[287] Il n'est pas dit dans Ammien Marcellin que ce fussent les chefs, mais bien les légions des Pétulants et des Celtes, qui demandèrent elles-mêmes cette faveur. Pro Actuariis obsecravere Petulantes et Celtæ, recturi quas placuisset provincias mitterentur, l. 20, c. 5.—S.-M.

[288] Actuariis.—S.-M.

XXI. Clémence de Julien envers les officiers de Constance.

Amm. l. 20, c. 8 et 9.

Jul. ad Ath. p. 281.

Dès le commencement des troubles, Décentius[289] avait repris la route de Constantinople. Florentius qui jusqu'alors était resté à Vienne, craignant le juste ressentiment de Julien, laissa sa famille en Gaule, et se rendit auprès de Constance à petites journées. Dès qu'il fut arrivé à la cour, il affecta de rendre Julien très-criminel, autant pour se disculper lui-même, que pour flatter la colère de l'empereur. Julien, voulant lui faire connaître qu'il aurait été disposé à lui pardonner, lui renvoya tout ce qui lui appartenait: il donna ordre de fournir à sa famille des voitures publiques avec une escorte jusqu'aux frontières de la Gaule. Lupicinus n'était pas encore revenu de la Grande-Bretagne. Dans la crainte que ce caractère hautain et turbulent ne suscitât de nouveaux troubles, s'il apprenait ce qui s'était passé en Gaule, Julien fit garder le port de Boulogne [Bononia], avec défense de permettre à personne de s'embarquer. Lupicinus fut arrêté à son retour[290]: on se contenta de le garder à vue, sans lui faire d'ailleurs aucun mauvais traitement.

[289] Il était parti avec tous les officiers du palais, cubicularii.—S.-M.

[290] Un certain Notarius, ou peut-être un secrétaire d'état, fut chargé de cette commission: Notarius Bononiam mittitur, observaturus sollicitè, ne quisquam fretum Oceani transire permitteretur. Amm. Marc. l. 20, c. 9.—S.-M.

XIII. Lettres de Julien à Constance.

Amm. l. 20, c. 8.

Jul. ad Ath. p. 282 et 283.

Vict. epit. p. 227.

Zos. l. 3, c. 9.

Zon. l. 13, t. 2, p. 21.

Le nouvel empereur n'était pas sans inquiétude. Il souhaitait d'épargner à l'empire les horreurs d'une guerre civile; mais il n'espérait aucun accommodement de la part d'un prince jaloux, et accoutumé à le mépriser. Cependant pour n'avoir rien à se reprocher, il prit le parti de lui envoyer des députés chargés d'une lettre, dans laquelle il ne prenait que le titre de César. Il lui exposait avec une modeste assurance ses services, ses travaux, ses succès passés; la violence que les soldats lui avaient faite; sa résistance qu'il avait portée jusqu'à se voir au péril de sa vie: qu'il ne s'était enfin rendu que dans la crainte que les soldats ne se donnassent un autre empereur moins capable de ménagement, et dans l'espérance de les ramener à leur devoir. Il les excusait eux-mêmes de ce qu'ils s'étaient lassés de n'avoir à leur tête qu'un César, ou plutôt un fantôme qui n'avait le pouvoir ni de récompenser leurs services, ni même de leur faire payer leur solde, dont ils étaient privés; que l'ordre qu'on leur avait signifié de se séparer de leurs femmes et de leurs enfants pour marcher aux extrémités de l'Orient, avait achevé de révolter des hommes accoutumés à des climats froids, et qui manquaient des choses les plus nécessaires pour un si long voyage. Il prévenait ensuite Constance contre les rapports calomnieux de ses ennemis; promettant de lui rester toujours intérieurement soumis, il lui représentait qu'il était d'une nécessité indispensable qu'ils partageassent ensemble le titre de la puissance souveraine. Il s'engageait à lui fournir tous les ans des chevaux d'Espagne, à lui envoyer des Germains[291] de grande taille pour composer sa garde, et à recevoir de sa main les préfets du prétoire; mais il voulait être le maître de choisir les autres officiers tant civils que militaires, et les gardes de sa personne. Il l'avertissait qu'en vain voudrait-il arracher de leurs pays les troupes Gauloises, pour les traîner sur les frontières de la Perse; qu'il serait impossible de les déterminer à quitter la défense de leur patrie tant de fois ravagée et exposée plus que tout le reste de l'empire aux invasions des Barbares. Il finissait par lui faire sentir en peu de mots, quels malheurs la discorde des princes était capable de produire. Ammien Marcellin ajoute, ce que Julien n'a garde d'exprimer dans ses écrits, qu'à ces lettres qui devaient être publiques, il en avait joint de secrètes, pleines de reproches et d'aigreur. Pentadius, grand-maître des offices[292], affidé à Julien, et différent de cet autre Pentadius son ennemi, dont nous avons parlé plusieurs fois, et Euthérius grand-chambellan[293], furent chargés de ces dépêches, avec un plein pouvoir de traiter des conditions de l'accommodement. Julien rapporte qu'il engagea ses troupes à promettre avec serment de se contenir dans les bornes de la soumission, si Constance approuvait le passé, et s'il leur permettait de rester tranquilles dans la Gaule; et que toute l'armée en corps écrivit à ce prince pour le supplier de maintenir la paix et la bonne intelligence avec son nouveau collègue.

[291] Ce ne sont pas proprement des Germains que Julien proposait d'envoyer à Constance, mais des Lètes. On appelait ainsi à cette époque des Barbares Germains, Francs ou Sarmates, qui avaient obtenu dans l'empire des concessions de terres à la charge du service militaire. Il en est souvent question dans la Notice de l'empire. Le texte d'Ammien Marcellin est formel, il parle de jeunes gens d'origine Barbare, nés en-deçà du Rhin. Equos præbebo curules Hispanos, et miscendos Gentilibus atque Scutariis adolescentes Letos quosdam, cis Rhenum editam Barbarorum progeniem, vel certè ex dedititiis, qui ad nostra desciscunt. Amm. Marc. l. 20, c. 9.—S.-M.

[292] Officiorum magister.—S.-M.

[293] Cubiculi prœpositus.—S.-M.

XIV. Constance refuse tout accommodement.

Amm. l. 20, c. 9.

Jul. ad Ath. p. 286.

Liban. or. 10, t. 2, p. 286.

Vict. epit. p. 227.

Zos. l. 3, c. 9.

Zon. l. 13, t. 2, p. 21.

Les députés de Julien rencontrèrent de grandes difficultés dans leur voyage. Les magistrats de l'Italie et de l'Illyrie, instruits du soulèvement de la Gaule, les arrêtaient à tous les passages. Enfin, après avoir surmonté ces obstacles, ils passèrent le Bosphore et se rendirent auprès de Constance à Césarée de Cappadoce. Ce prince marchait vers la Perse, et il était déja arrivé dans cette ville. En recevant la nouvelle de la révolte, il avait d'abord balancé sur le parti qu'il devait prendre; mais, de l'avis de son conseil, il s'était déterminé à se débarrasser premièrement de la guerre des Perses, pour venir ensuite tomber sur Julien avec toutes ses forces. La vue des députés et la lecture de leurs dépêches rallumèrent tout son courroux; et lançant sur eux des regards terribles et qui semblaient leur annoncer la mort, il les chassa de sa présence, leur défendit de reparaître devant lui, et ne tarda pas à les congédier. Il les fit accompagner de Léonas, questeur du palais, qu'il chargea de sa réponse. C'était un politique prudent et circonspect, le même qui l'année précédente avait assisté de la part de l'empereur au concile de Séleucie. Julien lui fit à Paris un accueil très-honorable: il lut avec empressement la lettre de Constance; elle contenait des reproches de ce que, sans attendre son consentement, il avait commencé par avilir le nom d'Auguste, en le recevant d'une troupe de séditieux. Constance lui conseillait de déposer une dignité dont le titre était si vicieux et si mal fondé, et de reprendre celle qu'il tenait de son empereur: il ajoutait que Julien ne devait pas avoir oublié ce qu'il devait à Constance, qui, après l'avoir nourri et élevé dans son enfance, lorsqu'il était dépourvu de toute autre ressource, l'avait ensuite honoré de la qualité de César. A ces mots Julien ne put retenir son indignation: Eh! quel est celui, s'écria-t-il, qui m'avait enlevé toutes mes ressources? Quel est celui qui m'avait rendu orphelin? N'est-il pas lui-même le meurtrier de mon père? Ignore-t-il qu'en rappelant ce funeste souvenir, il rouvre une plaie cruelle dont il est l'auteur? Léonas le pria de vouloir bien entendre les ordres de Constance sur la nomination des nouveaux officiers. Ce prince, comme s'il eût encore été le maître, nommait préfet du prétoire le questeur Nébridius, en la place de Florentius; il donnait la charge de maître des offices au secrétaire Félix; il disposait à son gré des autres emplois. Avant qu'il eût reçu la nouvelle du soulèvement, il avait déja nommé Gumoaire lieutenant-général pour remplacer Lupicinus qu'il rappelait. Julien renvoya au lendemain la décision de tous ces articles: Je renoncerai de bon cœur au titre d'Auguste, ajouta-t-il, si c'est la volonté des légions: rendez-vous demain à l'assemblée et rapportez-y votre lettre. Le questeur, craignant pour sa vie, le suppliait de ne point communiquer aux troupes la lettre de l'empereur: Je ne veux prendre aucun parti, répondit Julien, sans consulter mes soldats; mais je vous promets sûreté pour votre personne.

XV. Les soldats s'opposent à l'exécution des ordres de Constance.

Le lendemain, Julien se rendit au champ de Mars à la tête de ses troupes. Pour rendre son cortége plus nombreux, il avait assemblé tout le peuple de la ville. Il monta sur un tribunal élevé, et ordonna à Léonas de produire la lettre de l'empereur et d'en faire la lecture. Dès qu'il en fut venu à l'endroit où Constance réduisait Julien au simple titre de César, on l'interrompit par mille cris; on répétait de toutes parts: Julien Auguste: c'est le vœu de la province, de l'armée, de l'état même, qu'il a relevé, mais qui craint encore les insultes des Barbares. Léonas restait tremblant et glacé d'effroi. Julien l'ayant rassuré le congédia après lui avoir fait expédier une réponse, dans laquelle il ne ménageait plus l'empereur; il lui reprochait le massacre de sa famille, et le menaçait de venger la mort de tant d'innocentes victimes. Cependant, pour exécuter une des conditions qu'il avait lui-même proposées, entre les officiers nommés par Constance, il accepta Nébridius en qualité de préfet du prétoire: il conféra les autres emplois à des personnes dont l'attachement lui était connu: il avait déja nommé grand-maître des offices Anatolius, auparavant maître des requêtes[294].

[294] Libellis antea respondentem. Amm. Marc. l. 20, c. 9. Il avait donc été magister libellorum.—S.-M.

XVI. Lettres et députations inutiles de part et d'autres.

Il y eut encore de part et d'autre plusieurs lettres et plusieurs députations. Zosime dit que Julien offrait à Constance de quitter le diadème, s'il l'exigeait ainsi, et de se contenter de la qualité de César: mais que Constance, n'écoutant que sa colère, répondit aux envoyés, que si Julien voulait sauver sa vie, il fallait que, renonçant au titre même de César, et se réduisant au rang de simple particulier, il s'abandonnât à la clémence de l'empereur; que c'était l'unique moyen d'éviter le châtiment que méritait son attentat. Ce même auteur dit que Julien, ayant reçu cette réponse en présence de son armée, s'écria qu'il aimait mieux remettre sa cause entre les mains des dieux, que dans celles de Constance. Ce récit est démenti par Julien lui-même, qui rapporte que Constance continua de lui donner dans ses lettres le titre de César; il en paraît même offensé; il ajoute que l'empereur lui envoya Épictète qu'il appelle évêque des Gaules[295], mais, qui, selon l'apparence, était cet Arien dont nous avons parlé, évêque de Centumcelles en Italie[296]: ce député lui promettait la vie de la part de l'empereur, sans s'expliquer sur le rang qu'il tiendrait dans la suite. Julien répondit qu'il ne comptait nullement sur les paroles de Constance, et qu'il était résolu de conserver le titre d'Auguste, tant pour ne point compromettre son honneur, que pour ne pas abandonner ses amis à la vengeance d'un prince sanguinaire, dont tout l'univers, disait-il, avait ressenti la cruauté.

[295] Ἐπίκτητόν τινα τῶν Γαλλιῶν ἐπίσκοπον. (Jul. ad Athen. p. 286.)—S.-M.

[296] Telle est l'opinion du P. Petau dans ses notes sur les écrits de Julien (p. 302, édit. de 1630). Rien ne s'oppose cependant à ce qu'il ait existé réellement un évêque des Gaules du même nom que l'évêque arien de Centumcellæ.—S.-M.

XVII. Expédition de Julien contre les Attuariens.

Amm. l. 20. c. 10; l. 21, c. 1.

Jul. ad Ath. p. 280, et epist. 38, p. 414.

Till. art. 57 et note 47.

Cæs. de bel. Gal. l. 1, c. 38.

Ce nouveau député ne trouva plus Julien à Paris. Il en était parti après avoir congédié Léonas; et pour tenir ses soldats en haleine, autant que pour maintenir sa réputation, il marchait à la tête de toutes ses forces vers la seconde Germanie, et s'approchait du pays de Clèves[297]. Ayant pour la quatrième fois passé le Rhin, il tomba tout à coup sur le pays des Attuariens, nation de Francs, naturellement inquiète, et qui ravageait alors plus hardiment que jamais les frontières de la Gaule. Ce peuple habitait les bords de la Lippe, vers les pays de Clèves et de Munster[298]. Comme ils n'étaient pas sur leurs gardes, parce qu'ils croyaient les chemins impraticables, et qu'ils ne se souvenaient pas qu'aucun prince eût jamais pénétré dans leur pays, ils ne firent pas longue résistance. On en massacra, on en prit un grand nombre: les autres demandèrent la paix. Julien, pour la procurer aux Gaulois voisins, l'accorda à ces Barbares aux conditions qu'il voulut. Cette expédition dura trois mois. Le vainqueur revint le long du Rhin jusqu'à Bâle [Rauracos], visitant avec soin toutes les places de la frontière et les mettant en état de défense. Il en reprit plusieurs dont les Barbares étaient encore les maîtres, en sorte qu'il ne leur resta pas un pouce de terrain dans toute l'étendue de la Gaule. Julien passa par Besançon [Vesuntio[299]]. Ce n'était en ce temps-là qu'une petite ville, nouvellement rebâtie sur la pointe d'un rocher presque inaccessible, défendue d'une bonne muraille, et environnée de la rivière du Doubs [Dubis]. Au temps de César c'était une ville considérable; elle avait subsisté dans sa splendeur jusqu'au règne d'Aurélien, après lequel elle avait été détruite par les Allemans. De Besançon, Julien vint passer l'hiver à Vienne. Il y prit le diadème orné de pierreries, s'étant contenté jusqu'alors d'une simple couronne, ou plutôt d'un bandeau sans aucun ornement. Il célébra par des actes publics la fin de la cinquième année depuis qu'il avait été nommé César.

[297] Tricensimæ oppido propinquabat. La position de cette ville est inconnue; on prétend qu'elle fut d'abord appelée Colonia Trajana et Castra Ulpia. Tel est au moins le sentiment d'Hadrien Valois (Not. Gall. p. 150). Selon lui, elle aurait dû son troisième nom à ce qu'elle était le cantonnement ordinaire de la 30e légion. Il paraît qu'elle était vers le pays de Clèves; mais on varie beaucoup sur le lieu moderne qu'il faut lui assigner.—S.-M.

[298] Les Attuariens occupaient alors la partie de la Westphalie comprise entre le Rhin et la Lippe, c'est-à-dire le duché de Berg. Leur nom s'y conservait encore long-temps après cette époque. Plusieurs branches de cette nation étaient établies en-deçà du Rhin, dans la Gaule, où les empereurs leur avaient accordé des concessions de terre. On peut voir le curieux article que le savant Hadrien Valois leur a consacré dans la Notitia Galliarum.—S.-M.

[299] Ἐπεὶ δὲ περὶ τὸν Βικεντίωνα· πολίχνιον δὲ νῦν.... πάλαι δὲ μεγάλη, ἦν. Jul. ep. 38. C'est sans doute par une faute de copiste que dans cette lettre le Doubs est appelé le Danube, Δάνουβις.—S.-M.

XVIII. Mort d'Hélène, femme de Julien.

Amm. l. 21, c. 1, et ibi Vales. et l. 25. c. 4.

Jul. ep. 40, p. 417·

Mamert. pan. c. 13.

Liban. or. 10, t. 2, p. 292.

Greg. Naz. or. 4, t. 1, p. 110.

Zon. l. 13. t. 2, p. 22.

Du Cange, famil. Byz. p. 51.

La Bleterie, vie de Julien, l. 3, p. 153, et 154. Voy. aussi ses remarques sur le Misopogon, p. 103.

Ce fut dans ce séjour qu'il perdit sa femme Hélène. Selon quelques auteurs, elle mourut dans le palais. D'autres disent qu'il l'avait répudiée; quelques-uns même prétendent qu'il s'en défit par le poison. Ces deux dernières opinions n'ont rien de vraisemblable. Le corps d'Hélène fut porté à Rome, et enterré sur le chemin de Nomente, dans la même sépulture où l'on avait déposé sa sœur Constantine, femme de Gallus. Elle ne laissa point d'enfants à Julien. Un passage d'une lettre de ce prince, dans lequel il parle du nourricier de ses enfants[300], n'est pas assez précis pour prouver qu'il eût des enfants légitimes, ni pour le faire accuser d'en avoir eu de naturels. Il est possible que par un effet de bienveillance particulière, il ait honoré de ce nom des enfants qui ne lui appartenaient que par sa tendresse, et par le soin qu'il en prenait. Les païens lui attribuent une chasteté sans reproche[301]; et saint Grégoire de Nazianze, qui ne l'épargne pas, ne jette sur cet article que des soupçons. Il disait lui-même, d'après un ancien poète, que la chasteté est dans les mœurs ce que la tête est dans une belle statue, et que l'incontinence suffit pour déparer la plus belle vie. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'étant à la fleur de l'âge lorsqu'il perdit Hélène, il résista aux instances de ses amis, qui le pressaient de se remarier pour se donner des successeurs dignes de lui et de l'empire: Et c'est, repartit Julien, cette raison même qui m'empêche de suivre votre conseil; je crains trop de laisser des héritiers indignes de l'empire et de moi.

[300] Τοῦ τροφέως τῶν έμαυτοῦ παιδίων. Jul. ep. 40.—S.-M.

[301] Son lit était plus pur que celui d'une vestale dit, le panégyriste Mamertinus: Toto in orbe terrarum nullius virginis fama violetur, sit lectulus etiam sine concessis, sed legitimis voluptatibus: Vestalium toris purior. Ammien Marcellin ne parle pas avec moins d'éloge de la chasteté de Julien. Et primùm ita inviolatâ castitate enituit, ut post amissam conjugem nihil umquàm venerium agitaret (l. 25, c. 4).—S.-M.

XIX. Singara prise par Sapor.

Amm. l. 20, c. 6.

Cellar. Geog. l. 3, c. 15, art. 20.

Pendant que les provinces d'Occident se détachaient de Constance par l'élection de Julien, Sapor lui enlevait deux places importantes dans la Mésopotamie. Le roi de Perse, ayant passé le Tigre à la tête d'une nombreuse armée, vint mettre le siége devant Singara. Cette ville, voisine du Tigre, à quarante milles de Nisibe[302], était défendue par deux légions[303] et par un grand nombre d'habitants aguerris. A la nouvelle de la marche des Perses, un corps considérable de cavalerie vint encore s'y renfermer. Elle était fournie de toutes les provisions nécessaires pour soutenir un long siége. Dès qu'on eut avis de l'approche de l'armée ennemie, on fit sur les remparts des amas de pierres, on mit les machines en batterie. Les soldats et les habitants garnirent les tours et les murailles, bien déterminés à se défendre contre les plus rudes assauts. Le roi, leur ayant d'abord offert, mais sans succès, une capitulation honorable, fit reposer ses troupes le reste du jour. Le lendemain au lever du soleil, il donna le signal de l'attaque par un drapeau de couleur de feu élevé sur sa tente. Aussitôt toute l'armée se mit en mouvement: les uns, portant des échelles, environnent la ville; les autres dressent les machines; d'autres couverts de claies et de madriers s'approchent pour battre les murs. Les assiégés les reçoivent avec courage; les pierres, les javelots, les balles de plomb lancées avec la fronde, les torches ardentes, ne cessent de pleuvoir du haut des murailles. L'attaque et la résistance s'opiniâtraient de jour en jour. Les plus grands efforts des assiégeants se portèrent contre une tour ronde, nouvellement rebâtie: c'était par là que les Romains avaient depuis peu repris la ville. Un énorme bélier battait cette tour avec furie; et le ciment qui n'avait pas encore eu le temps de se durcir, ni de prendre une consistance solide, rendait les pierres plus faciles à déjoindre et à ébranler. Les assiégés, de leur côté, avaient réuni en cet endroit leurs principales forces; ils n'épargnaient ni le fer, ni le feu, ni leur propre vie. Enfin après plusieurs jours d'attaque, la tour tombe avec un horrible fracas: elle ensevelit sous ses ruines une partie de ses défenseurs; les autres prennent la fuite. Les Perses se jettent dans la ville par cette brèche en poussant des cris affreux: le soldat dans sa fureur égorge les premiers qu'il rencontre. Mais Sapor arrête le carnage; il fait prisonniers les habitants avec la garnison, et détruit la ville: elle fut rebâtie dans la suite[304]. Conquise autrefois par Trajan, devenue colonie romaine[305], toujours disputée entre les Romains et les Perses, auxquels elle servait alternativement de barrière, elle coûtait plus de sang à ses possesseurs qu'elle ne leur procurait d'avantages; aussi difficile à secourir qu'à prendre, parce qu'elle était située sur un terrain stérile. Elle subsiste encore aujourd'hui sous le nom de Sindjar, dans le pays de Djézirah qui est l'ancienne Mésopotamie. Les prisonniers chargés de chaînes furent conduits aux extrémités de la Perse.

[302] Cette distance est donnée par la table de Peutinger.—S.-M.

[303] La première Flavienne, et la première Parthique.—S.-M.

[304] Il en est question dans Théophylacte Simocatta, qui écrivit l'histoire de l'empereur Maurice. Il regardait cette ville comme inexpugnable. Il la qualifie de φρούριον, c'est-à-dire château.—S.-M.

[305] Les médailles nous apprennent qu'elle portait alors les noms d'Auréliana et de Septimiana. Voy. Eckhel, t. 3, p. 519.—S.-M.

XX. Prise de Bézabde.

Amm. l. 20, c. 7, et ibi Vales.

[Acta martyr. Syr. ed. Assemani, t. 1, p. 134-140.

Soz. l. 2, c. 13.]

Lequien, Oriens Christ. t. 2, p. 1003.

Sapor s'éloigna de Nisibe. Il se souvenait des pertes qu'il avait faites devant cette ville, trois fois attaquée sans succès. Il avait d'autant moins d'espérance d'y réussir, qu'elle était alors défendue par un corps d'armée considérable, qui campait sous ses murailles. S'étant donc détourné sur la droite, il marcha vers Bézabde. C'était une place forte dans le pays nommé Zabdicène, située sur une hauteur au bord du Tigre, et munie d'un double mur dans les endroits les plus accessibles. Les Macédoniens lui avaient autrefois donné le nom de Phénica[306]; et les Romains l'avaient décorée du titre de ville municipale. La garnison était composée de trois légions[307], et d'un grand nombre d'archers du pays[308]. Sapor l'ayant environnée de son camp, vint en personne la reconnaître au milieu d'un gros de cavalerie, et s'avança jusqu'au bord du fossé. Une décharge de pierres et de flèches qui partirent des remparts, l'obligea bientôt à regagner son camp. Les hérauts qu'il envoya ensuite pour sommer la ville de se rendre, n'auraient pas été mieux reçus, s'ils n'avaient eu la précaution d'amener avec eux plusieurs prisonniers de Singara: dans la crainte de tuer ceux-ci, on n'osa tirer sur les hérauts; mais on ne leur rendit aucune réponse. Après vingt-quatre heures de repos, l'attaque commença. Elle fut dans toutes les circonstances semblable à celle de Singara; la ville fut prise de la même manière par la chute d'une tour abattue à coups de bélier. Ce qu'il y eut de singulier, c'est que le troisième jour du siége, pendant que Sapor faisait reposer ses troupes, l'évêque, nommé Héliodore[309], se montrant sur la muraille, fit signe qu'il voulait parler au roi. On lui promit sûreté; on le conduisit à la tente de Sapor. Le prélat essaya de le fléchir par la vue des pertes qu'il venait de recevoir, et des suites qui seraient peut-être encore plus funestes. Sapor, obstiné dans sa colère, jura qu'il ne lèverait le siége qu'après avoir vu périr le dernier de ses soldats. Cette entrevue donna lieu de soupçonner l'évêque d'avoir, par une indigne trahison, fourni à Sapor des éclaircissements sur l'état de la place; mais, selon Ammien Marcellin, ce soupçon était injuste. Ce qui le fit naître, c'est qu'on observa que, depuis l'entrevue, les Perses ne s'attachèrent qu'aux endroits les plus faibles. Le massacre y fut plus cruel qu'à Singara, parce que les habitants ne cessèrent pas de combattre lors même qu'ils virent l'ennemi dans la ville: ils ne cédèrent qu'à la multitude des Perses. On n'épargna ni les femmes, ni les enfants. La ville fut saccagée, et les Perses chargés de butin retournèrent dans leur camp en poussant des cris de joie. Neuf mille prisonniers, qui échappèrent au carnage, furent transplantés en Perse avec l'évêque et tout son clergé. On croit qu'ils continuèrent d'y former un corps d'église sous Héliodore et sous Dausas, son successeur, qui reçut la couronne du martyre[310]. Sapor, qui désirait depuis long-temps de se rendre maître de Bézabde, en fit réparer et fortifier les murailles; il y établit des magasins, et y laissa une garnison choisie entre les plus nobles et les plus braves de ses guerriers[311]. Il prévoyait que les Romains feraient bientôt les plus grands efforts pour recouvrer une place si importante.

[306] Rien n'indique que ce nom ait été donné à cette ville par les Macédoniens et qu'ils en aient été les fondateurs. Lebeau a été trompé par une note de Henri Valois sur Ammien Marcellin, dans laquelle cette opinion est émise, mais sans preuve. Cette phrase d'Ammien Marcellin, l. 20, c. 7, quam Phœnicam institutores veteres appellarunt, ne peut s'appliquer aux Macédoniens; elle indique bien plutôt les anciens habitants du pays. Cette ville, située au milieu du territoire occupé par une tribu de Curdes, appelée Zabdeni, dut à cette circonstance son nom de Bezabde, contraction syriaque des mots beit-Zabda, (maison ou demeure des Zabdeni). Le pays tout entier s'appelait Zabdicène. Les auteurs syriens le nomment ordinairement Bazabda ou Bakerda (le pays de Zabda ou des Curdes). La ville est sur la rive occidentale du Tigre, dans une presqu'île formée par ce fleuve, c'est à cette situation qu'elle doit son nom actuel de Djézirah-ibn-Omar, c'est-à-dire l'île du fils d'Omar. On la nomme encore Djézirah ou l'île tout simplement, et l'île des Curdes, ou l'île de Zabdita.—S.-M

[307] La seconde Flavienne, la seconde Parthique et la seconde Arménienne.—S.-M.

[308] Il est question dans la Notice de l'empire (p. 230), des cohortes de Zabdéniens, cohors Zabdenorum, qui étaient en garnison à Maiocariri, ville voisine d'Amid, dont nous avons déja parlé ci-devant, p. 283, liv. X, § 55, sous le nom de Meïacarire.—S.-M.

[309] Cet évêque n'est pas nommé dans Ammien Marcellin. C'est seulement dans les Actes des martyrs syriens, publiés par Assemani, que l'on trouve son nom et ceux des prêtres Dausas et Mariab, qui le suivirent dans sa captivité en Perse.—S.-M.

[310] Héliodore, selon les Actes syriens déja cités, mourut de maladie à Stakarta, dans le pays des Houzites ou d'Ahwaz, où il avait été déporté avec les siens. Il nomma Dausas pour son successeur. Celui-ci continua d'être évêque des Zabdéniens exilés. Il fut ensuite martyrisé en l'an 364 avec tout son clergé et une grande quantité de chrétiens.—S.-M.

[311] Armatos ibi locaret insignes origine, bellique artibus claros, dit Ammien Marc. l. 20, c. 7.—S.-M.

XXI. Retraite de Sapor.

Amm. l. 20, c. 7.

Cellar. Geog. l. 3, c. 14. art. 45 et c. 15, art. 23.

Fier de ces succès, il s'empara de plusieurs châteaux, et vint assiéger Virtha ou Birtha, ancienne forteresse sur le Tigre. On disait qu'elle avait été bâtie par Alexandre-le-Grand. Elle était différente d'une ville du même nom placée à l'occident de l'Euphrate[312]. En lisant la description qu'Ammien Marcellin fait des murailles de cette ville, on croit voir une de nos places modernes flanquée de bastions. Un grand nombre de machines en défendait les approches. Ce fut le terme des conquêtes de Sapor. En vain mit-il en œuvre les promesses, les menaces, toute la force et toute l'ardeur de ses troupes; il fut contraint de se retirer avec plus de perte pour lui que pour les assiégés, et il repassa le Tigre.

[312] Les géographes modernes ne connaissent que deux villes de ce nom; celle dont parle Ammien Marcellin, placée par Ptolémée sur les bords du Tigre, et une autre, que le même géographe met dans l'Arabie Déserte, sur la rive gauche de l'Euphrate, au sud de Thapsaque. Celle-ci se retrouve dans Zosime (l. 3, c. 19). Il faut y en joindre une troisième mentionnée dans le Synecdemus d'Hiéroclès (ad calc. itin. Anton. p. 715). Cette dernière est le fort de Birah, sur la rive droite de l'Euphrate, à l'endroit où maintenant on passe ce fleuve pour aller dans la Haute Asie, en venant de Syrie. D'Anville croit (Géogr. abrég. t. 2, p. 201) que la Virta d'Ammien, est la ville actuelle de Tekrit. Je doute beaucoup qu'elle ait été autant au midi. Gibbon (t. IV, p. 50) adopte sans difficulté cette synonymie très peu probable. Le nom de Birtha signifie en syriaque château, forteresse. Il peut ainsi s'appliquer à beaucoup de localités, et l'on voit par ce que j'ai dit qu'il en fut effectivement ainsi.—S.-M.

XXII. Dédicace de Ste-Sophie.

Amm. l. 20, c. 8.

Hier. chron.

Idat. chron.

Socr. l. 2. c. 16 et 43.

[Soz. l. 4, c. 26.]

Chron. Alex. vel Pasch. p. 293.

Ducange in Const. Christ. l. 3, c. 2.

Dès que Constance avait appris les premiers mouvements de Sapor, il avait levé des recrues et assemblé ses troupes; il demanda même du secours aux Goths, en leur offrant une grosse solde[313]. Maximien Galérius avait déja employé contre les Perses les troupes de cette nation. Avant que de sortir de Constantinople, l'empereur célébra, le 15 de février, la dédicace de la grande église, qu'il avait fait bâtir auprès de celle de la Paix: il les renferma toutes deux dans la même enceinte, et n'en fit qu'une seule église, consacrée à la sagesse divine sous le nom de Sainte-Sophie. Elle fut depuis rebâtie par Justinien avec magnificence. L'Arien Eudoxe nouvellement élevé sur le siége de Constantinople, qui présidait à cette solennité, la déshonora par les impiétés qu'il eut la hardiesse de débiter devant le peuple dans la chaire de vérité; et l'empereur se rendit plus coupable en tolérant ces blasphèmes, qu'il n'eut de mérite à enrichir cette église d'ornements précieux, et à répandre à cette occasion des libéralités sur le clergé, sur les vierges, sur les veuves consacrées à Dieu, et sur les hôpitaux.

[313] Auxilia Scytharum poscebat mercede vel gratiâ, dit Ammien Marcellin, l. 20, c. 8. Beaucoup d'auteurs donnaient encore, à cette époque, le nom de Scythes aux Goths.—S.-M.

XXIII. Constance en Mésopotamie.

Amm. l. 20, c. 11.

Ath. ad monach. t. 1, p. 385.

Cod. Th. l. 11, tit. 1, leg. 1.

Il prit ensuite sa route par la Cappadoce, où les députés de Julien vinrent le trouver à Césarée, comme nous l'avons raconté. Il y fit venir Arsace, roi d'Arménie. L'empereur informé que les Perses s'efforçaient par toutes sortes d'artifices, et même de menaces, de détacher ce prince de l'alliance des Romains, lui rendit de grands honneurs; pour l'attacher par des nœuds plus étroits [à l'empire, il lui avait fait] épouser Olympias, fille d'Ablabius, autrefois fiancée à Constant, et qui avait porté en mariage à Arsace de grands domaines, qu'elle possédait dans l'empire[314]. Ce mariage fut assez généralement désapprouvé[315]. On pensait que Constance avait manqué à la mémoire de son frère; on le blâmait d'avoir livré entre les mains d'un prince barbare, une épouse que Constant s'était destinée. Arsace, après avoir plusieurs fois protesté avec serment qu'il perdrait la vie plutôt que de renoncer à l'alliance des Romains, retourna dans ses états, comblé de présents pour lui et pour toute sa suite. Constance continua sa route par Mélitène, ville de la petite Arménie[316]. Ayant passé l'Euphrate à Samosate, il vint à Édesse: il y resta long-temps pour attendre les divers corps de troupes qui s'y rendaient, et les provisions de vivres dont il faisait de grands amas. Il n'en partit qu'après l'équinoxe d'automne, et il prit le chemin d'Amid. A la vue de cette ville malheureuse, qui n'était plus qu'un monceau de pierres et de cendres, il ne put retenir ses larmes. Le trésorier de l'épargne[317], nommé Ursule, qui se trouvait à ses côtés, attendri d'un si triste spectacle, s'écria: Voilà donc avec quel courage nos soldats défendent nos villes, tandis que l'empire s'épuise pour payer leurs services. Cette parole piqua vivement les soldats: elle fut dans la suite, sinon la vraie cause, du moins le prétexte du massacre d'Ursule.

[314] Lebeau s'était trompé en plaçant à cette époque le mariage du roi d'Arménie avec Olympias. J'ai dû faire disparaître cette erreur. Ammien parle, il est vrai, de ce mariage sous cette année, mais il ne dit pas qu'il fut conclu alors. J'ai déja fait voir p. 242, liv. X, § 23, que les reproches adressés à Constance par S. Athanase, en l'an 358, reportent nécessairement cette alliance à une époque antérieure. Tout ce qu'on doit conclure du passage d'Ammien Marcellin, c'est qu'Olympias vivait encore lorsque le roi d'Arménie vint visiter Constance. Cette erreur avait déja été commise par Tillemont (Hist. des Emp., t. 4. Constantin, art. 60); mais si Lebeau avait lu avec plus d'attention un autre endroit du même auteur (t. V, Valens, art. 12 et not. 12.), il y aurait vu un changement d'opinion qui portait le mariage d'Arsace en 350. C'est peut-être trop tôt. Quoi qu'il en soit, il est facile de voir que les expressions employées par Ammien Marcellin indiquent qu'il regardait la chose comme passée. Nihil ausus temerare posteà promissorum, obligatus gratiarum multiplici nexu Constantio: inter quas illud potiùs excellebat, quòd Olympiada Ablabii filiam præfecti quondam prætorio, ei copulaverat conjugem, sponsam fratris sui Constantis. Gibbon, t. IV, p. 476 a commis une plus grande erreur encore, en rapportant qu'Olympias avait épousé le roi Diran, qu'il appelle Arsace Tiranus, père du roi Arsace, et mort depuis long-temps à l'époque dont il s'agit. C'est là une des nombreuses fautes qui ont été commises par Gibbon en voulant combiner l'histoire d'Arménie avec celle des Empereurs.—S.-M.

[315] Voyez ci-devant, p. 242, l. X, § 23.—S.-M.

[316] Ammien Marcellin ajoute qu'il passa ensuite par la Lacotène; c'est un canton de la petite Arménie entre Mélitène et Samosate.—S.-M.

[317] Qui ærarium tuebatur.—S.-M.

XXIV. Siége de Bézabde.

Amm. l. 20, c. II.

L'empereur arrivé près de Bézabde, entoura son camp d'une palissade et d'un fossé profond. Il trouva les brèches réparées et la place en état de défense. Il fit d'abord proposer à la garnison le choix d'être renvoyée en Perse, ou de prendre parti dans ses troupes. Comme elle était composée de noblesse qui se piquait de valeur, ces conditions furent rejetées avec mépris. Les Romains, partagés en différents corps, investirent la place, et s'avancèrent à petits pas. Mais les pierres dont les assiégés les accablaient, brisèrent leurs boucliers, rompirent leur ordonnance, et les obligèrent à s'éloigner. Après un jour de repos, ils se rapprochent avec précaution et tentent un assaut général. Les assiégés ayant tendu sur les murailles de grands rideaux de poil de chèvre qui les dérobaient à la vue de l'ennemi, ne se montraient que pour lancer des pierres et des javelots. Ils jettaient sur les mantelets établis au pied du mur des tonneaux remplis de cailloux, des meules de moulin, des fragments de colonnes, qui écrasaient de leur poids et les machines et les soldats. D'autre part, les assiégeants abattaient à coups de traits, à coups de fronde tous ceux qui se présentaient à la défense des remparts: ils travaillaient sans cesse à élever leurs terrasses; le siége devenait de jour en jour plus meurtrier. L'ardeur des soldats romains multipliait leurs pertes. Pour se faire remarquer de l'empereur, dont ils espéraient récompense, ils quittaient leurs casques et s'exposaient la tête nue aux coups des ennemis. Ce qui alarmait le plus les assiégés, c'était un bélier d'une énorme grosseur. Les Perses s'en étaient servis plus de cent ans auparavant pour battre les murailles d'Antioche, lorsqu'ils s'en étaient rendus maîtres du temps de Valérien: à leur retour ils l'avaient laissé dans la ville de Carrhes. Constance, l'ayant fait démonter pour en faciliter le transport, le remit en batterie au pied d'une tour. Chaque coup qu'il portait, ébranlait la tour jusqu'aux fondements, et glaçait d'effroi les habitants. On s'efforçait d'y mettre le feu; on lançait pour cet effet des traits enflammés; mais les Romains ayant eu la précaution d'enduire d'alun, ou d'envelopper de peaux et de haillons imbibés d'eau le bois de leurs batteries, le feu n'y trouvait aucune prise. Les Perses, ne pouvant détruire cette terrible machine, réussirent à la rendre inutile. Dans le moment que le bélier venait frapper la tour, ils en saisirent la tête avec de longs cordages, et le tinrent si fortement assujetti, qu'il était impossible de le retirer en arrière et de le mettre en branle. En même temps ils versaient dessus à grands flots le bitume et la poix ardente.

XXV. Vigoureuse résistance.

Déja les terrasses s'élevaient à la hauteur des murs. Les assiégés voyant leur perte assurée, s'ils ne redoublaient leurs efforts, font une furieuse sortie: ils chargent avec vigueur les premiers bataillons, et lancent sur les machines des torches et des matières enflammées. Après un combat opiniâtre, on les repousse dans la place. Les flèches et les pierres volent sans cesse des terrasses sur les murs: on s'empresse d'une part à mettre le feu aux tours, de l'autre à l'éteindre. Les Perses et les Romains également désespérés de leurs pertes, sortent en grand nombre les uns de la ville, les autres de leur camp: ceux-là, armés de fer et de feu réduisent en cendres toutes les machines. On ne put sauver que le gros bélier à demi brûlé: une troupe de braves soldats vint à bout de le dégager en rompant par des secousses redoublées les cordages qui le tenaient attaché à la muraille. Les deux partis enveloppés de flamme et de fumée se battaient en aveugles et confondaient leurs coups; la nuit les sépara. Les Romains après quelques moments de repos reculèrent leur camp, pour n'être plus exposés à des attaques si précipitées. Leurs terrasses étaient achevées, et surmontaient les murs. Ils y établirent deux balistes, en état de foudroyer la ville. Avant le point du jour, s'étant partagés en trois corps, ils s'avancent au son des trompettes, portant des échelles et tous les instruments alors en usage pour saper et démolir les murs. On fait en même temps de part et d'autre des décharges de flèches. Mais ce qui incommodait le plus les assiégés, c'étaient les deux balistes placées sur la terrasse. Résolus de périr ou de détruire ces machines meurtrières, ils ne laissent dans la place que le nombre nécessaire pour la défense; les autres sortent secrètement par une poterne éloignée de la vue de l'ennemi, et fondent tout à coup les armes à la main, suivis d'une seconde troupe qui portait des torches allumées. Ceux-ci pendant l'ardeur du combat se coulent derrière leurs camarades et vont appliquer le feu à la terrasse, construite en grande partie de branches d'arbres, de joncs et de roseaux. La flamme s'élève, la terrasse n'est bientôt qu'un grand bûcher: les soldats romains l'abandonnent, et sauvent avec peine leurs balistes.

XXVI. Constance lève le siége.

Amm. l. 20, c. 11.

Liban. pro templis, p. 24, ed. Goth.

Jul. ad Ath. p. 271.

Philost. l. 3, c. 4.

Cod. Th. l. 7, tit. 4, leg. 6.

Baron. ad ann. 359.

Till. not. 46.

Le combat dura tout le jour. Sur le soir les deux partis s'étant retirés, Constance passa la nuit dans de violentes agitations. D'une part il sentait l'importance de ne pas laisser les Perses maîtres d'une place qui faisait de ce côté-là le plus fort boulevard de l'empire: de l'autre tous les ouvrages étaient ruinés, et la saison avancée. Il se détermina à tenir la place bloquée, espérant de la prendre par famine. C'était s'exposer à souffrir lui-même plus de maux qu'il n'en pouvait faire aux assiégés: son armée aurait été détruite avant qu'elle eût pu réduire la place. Bientôt de violents orages, la terre détrempée par des pluies continuelles, le froid de l'hiver qui se faisait sentir de plus en plus, les partis ennemis qui lui enlevaient ses convois, les murmures des soldats rebutés de tant de fatigues, l'obligèrent à lever le siége. Couvert de honte, il revint passer le reste de l'hiver à Antioche. Il était le 17 de décembre à Hiérapolis en Syrie[318]. Les Ariens attribuaient ces mauvais succès à l'exil de plusieurs de leurs évêques; les catholiques, à la persécution suscitée contre les orthodoxes; les païens, à la destruction de leurs temples: et, si l'on en croit Julien, Constance les regarda lui-même comme une punition du meurtre de ses proches, et surtout de Gallus, dont la fin tragique commençait à lui causer des remords. Étrange condition de ce prince, que tous les partis et sa propre conscience elle-même trouvassent dans sa conduite de quoi l'accuser d'avoir mérité ses malheurs!

[318] C'est ce que nous apprenons d'une loi donnée dans cette ville, et datée du 16 des calendes de janvier (17 décembre), decimo sexto kal. jan., au lieu de decimo sexto kal. jun., le 16 des kalendes de juin (le 17 mai) qu'on y lit par erreur. Cette remarque est de Tillemont, Histoire des Empereurs, t. IV, Constance, note 46.—S.-M.

XXVII. Fin malheureuse d'Amphilochius.

Amm. l. 21, c. 6.

Le jour de son arrivée, les principaux officiers de la ville et de la cour s'empressèrent, selon la coutume, à lui rendre leurs hommages. L'histoire qui se plaît à rapporter la ruine des favoris qui ont abusé de la confiance des princes, nous instruit à cette occasion de l'affront qu'essuya Amphilochius, et de sa fin funeste. Il avait été cause de la mort du jeune Constantin, par la haine mortelle qu'il avait inspirée contre lui à Constant, son frère. Comme il s'avançait avec assurance pour se présenter à l'empereur, il fut reconnu et repoussé: on murmurait de sa hardiesse; on disait hautement que ce fléau de la famille impériale ne méritait pas de voir le jour: Laissez-le approcher, dit Constance, je le crois coupable, mais il n'est pas convaincu: s'il est criminel, mes regards réveilleront les reproches de sa conscience; il saura bien se punir lui-même. Le lendemain dans les jeux du Cirque, Amphilochius était assis vis-à-vis de l'empereur. Au cri qui s'éleva à la vue d'un cocher célèbre, comme il se penchait sur la balustrade, elle se rompit tout à coup; et ce malheureux étant tombé dans l'arène avec plusieurs des spectateurs, fut trouvé mort sous les autres, qui tous n'étaient que légèrement blessés. Sur la foi de cet événement et sur celle des flatteurs, Constance se crut un grand prophète.

XXVIII. Mort d'Eusébia et mariage de Faustine.

Amm. l. 21, c. 6 et 16.

Chrisost. ad Phil. hom. 25, t. 11, p. 317.

Zon. l. 13, t. 2, p. 23.

Cedren. t. 1, p. 302.

Ducange, Fam. Byz. p. 48.

L'impératrice Eusébia était morte quelque temps auparavant[319]. Sa mort est diversement racontée[320]. Saint Jean-Chrysostôme rapporte que cette princesse fière et hautaine, désolée de se voir stérile, s'adressa à une femme, dont elle reçut des remèdes qui la conduisirent au tombeau. Constance, quoique faible et malsain, se maria une troisième fois. Il épousa Faustine[321], dont la famille est ignorée.

[319] Amissâ jampridem Eusebiâ, dit Ammien Marcellin, l. 21, c. 6.—S.-M.

[320] Zonaras et Cédrénus semblent attribuer à la mauvaise santé et à la faiblesse corporelle de Constance les causes de la mort d'Eusébia; elle succomba à des douleurs utérines qu'ils qualifient de μητρομανία.—S.-M.

[321] Eodem tempore Faustinam nomine sortitus est conjugem, Amm. Marc. l. 21, c. 6. Constance la laissa enceinte, en mourant, d'une fille qui fut mariée dans la suite avec Gratien, fils de Valentinien.—S.-M.

An 361.

XXIX. Constance se dispose à retourner contre les Perses.

Idat. chron.

Amm. l. 21, c. 6, et ibi Vales.

[Liban. Epist. 1301, ed. Wolf.]

Hier. in vita Hilarionis, t. 2, p. 18.

Baron. an. 362.

God. in Prosop. Cod. Th. t. 6, p. 365.

L'année suivante le consulat fut d'abord la récompense et enfin l'écueil de deux ambitieux, qui ne méritaient que des châtiments. Cette dignité avait été promise à Taurus, s'il venait à bout de corrompre les évêques assemblés à Rimini. Constance lui tint parole; il lui donna pour collègue Florentius, qui avait acheté les bonnes graces de l'empereur en traversant les desseins que Julien avait formés pour le soulagement de la Gaule. Taurus était déja préfet du prétoire d'Italie: Florentius venait d'être revêtu de la même charge en Illyrie, où il avait succédé à Anatolius. Leur fortune tomba, avant la fin de leur consulat, comme on le verra dans la suite. Constance qui se proposait de combattre cette année Sapor et Julien, faisait de très-grands préparatifs: il levait des milices dans toutes les provinces; il obligeait tous les ordres, toutes les conditions de contribuer pour la solde des troupes, et pour les fournitures d'habits, d'armes, de machines, de vivres et de chevaux. Il prodigua l'or et l'argent aux rois et aux satrapes d'au-delà du Tigre[322] pour les gagner. Arsace roi d'Arménie, et Méribanès roi d'Ibérie[323], étaient les plus à craindre, s'ils se fussent déclarés pour les Perses. Constance leur envoya des ambassadeurs chargés de riches présents. Hermogène, préfet d'Orient, étant mort, il nomma Helpidius en sa place. Celui-ci était de Paphlagonie: son extérieur n'avait rien d'avantageux; il s'énonçait mal, mais il était digne de sa fortune par sa droiture, par sa fermeté à rendre la justice, et par sa douceur. On dit qu'ayant reçu de la bouche même de Constance l'ordre de mettre à la torture un homme qu'il savait être innocent, il supplia instamment l'empereur d'accepter la démission de sa charge, et d'en revêtir quelqu'un qui fût plus propre que lui à exécuter des ordres de cette nature. Il paraît que cette généreuse franchise arrêta le cours de l'injustice. Helpidius fut ensuite dépouillé de sa dignité par Julien, qui ne put l'engager à renoncer au christianisme. Sa femme Aristénète ne fut pas moins illustre. Saint Jérôme en fait un grand éloge; et Libanius, trop ennemi des chrétiens pour rendre toujours justice à Helpidius, n'a pu refuser des louanges à cette épouse vertueuse.

[322] Transtigritanos reges et satrapas. Amm. Marc. l. 21, c. 6.—S.-M.

[323] On ne retrouve point ce roi dans les divers extraits que nous possédons des chroniques géorgiennes. Il se pourrait que les compilateurs modernes de ces histoires l'eussent confondu avec l'un de ses prédécesseurs appelé Mihran, celui qui établit en Ibérie le culte de J.-C. (Voyez l. IV, § 65.). Leur nom est en effet le même. Méribanès ne diffère réellement pas de Mirvan, dénomination fort commune chez les Géorgiens, et qui n'est qu'une corruption de Mirian, qui n'est guère moins usitée. Celle-ci n'est elle-même qu'une altération du nom arménien et persan Mihran, qui se présente dans les auteurs byzantins sous la forme Mirranès, et dans les anciens sous celle de Mithrinès. Ils dérivent tous du nom du dieu Mithra, qui est en persan et en arménien Mihr ou Mihir.—S.-M.

XXX. Il s'assure de l'Afrique.

Amm. l. 21, c. 7.

Après une longue délibération, Constance s'en tint à son premier plan: c'était de terminer d'abord la guerre contre les Perses pour ne laisser derrière lui aucun sujet d'inquiétude. Il devait ensuite revenir sur ses pas, traverser rapidement l'Illyrie et l'Italie, et fondre tout à coup sur Julien. Tels étaient les projets dont il se faisait illusion et dont il amusait ses officiers. Cependant pour s'assurer de l'Afrique, province importante dans une guerre civile, il y envoya Gaudentius[324], qui lui avait servi d'espion dans la Gaule. Gaudentius, timide et intéressé, avait sujet de craindre le ressentiment de Julien; et persuadé que Constance resterait victorieux, comme personne n'en doutait alors, il ne pouvait manquer de zèle pour le servir. Aussi s'acquitta-t-il parfaitement de sa commission. Dès qu'il fut arrivé, il instruisit des ordres de l'empereur le comte Crétion et les autres commandants; il leva de bons soldats; il fit venir des coureurs de la Mauritanie; il garnit de camps volants les côtes opposées à la Gaule et à l'Italie, et tant que Constance vécut, il ferma aux ennemis l'entrée du pays, quoique la côte de Sicile, depuis le Cap de Lilybée jusqu'à celui de Pachyn, fût bordée des troupes de Julien, qui ne cherchaient que l'occasion de débarquer en Afrique.

[324] Il était notarius ou secrétaire-d'état. Per mare notarium misit Gaudentium, quem exploratorem actuum Juliani per Gallias aliquamdiu fuisse præstrinximus. Amm. Marc. l. 21, c. 7.—S.-M.

XXXI. Il passe en Mésopotamie.

Amm. l. 21, c. 7 et c. 13.

Pendant que Constance s'occupait de ces dispositions, il apprit que l'armée des Perses s'approchait des bords du Tigre. Aussitôt il se mit en campagne au commencement de mai[325], et ayant passé l'Euphrate sur un pont de bateaux[326], il se rendit à Edesse, où il avait formé ses magasins[327]. De là, il envoya des coureurs pour observer la marche des ennemis. On ne savait encore en quel endroit ils passeraient le Tigre; et Constance ne pouvait se fixer dans aucune résolution. Tantôt il voulait partager son armée en divers corps pour s'étendre dans le pays, tantôt il songeait à la conduire toute entière devant Bézabde pour attaquer de nouveau cette place. Mais s'attacher ainsi à l'extrémité de la Mésopotamie, c'était ouvrir les passages à Sapor et lui donner moyen de pénétrer sans résistance jusqu'à l'Euphrate. D'ailleurs, voulant conserver son armée pour l'employer contre Julien, il craignait de la consumer dans un siége dont il avait déja éprouvé la difficulté. Cependant pour avoir des nouvelles plus sûres, il fit partir à la tête d'un grand corps de troupes Arbétion et Agilon[328], avec ordre de s'étendre sur les bords du Tigre et d'observer l'ennemi: il leur recommanda de ne point hasarder de combat, mais de se retirer dès qu'ils verraient les Perses entrer dans le fleuve, et de lui en donner avis aussitôt. Sapor, arrêté par des présages peu favorables, différait toujours le passage, et tenait les Romains en échec. Les espions et les transfuges qui se rendaient au camp, ne faisaient qu'accroître l'incertitude par la diversité de leurs rapports. Chez les Perses le secret du roi ne courait jamais risque d'être éventé: il n'était connu que d'un petit nombre de seigneurs d'une fidélité éprouvée et d'une profonde discrétion: le silence était même chez eux une divinité adorée[329]. D'ailleurs les Perses étaient rusés et trompeurs. Les deux généraux inquiétés par de fréquentes alarmes, dépêchaient sans cesse à l'empereur pour le prier de les venir joindre; ils lui représentaient que, malgré leur vigilance, ils risquaient à tout moment d'être surpris; et que si toutes les troupes n'étaient pas réunies, ils seraient infailliblement accablés. Telle était la situation de Constance, quand il apprit que Julien, ayant rapidement traversé l'Italie et l'Illyrie, était déja maître du pas de Sucques.

[325] Il existe plusieurs lois de Constance relatives au sénat de Constantinople, qui sont datées de Gephyræ (c'est-à-dire les ponts), endroit situé, selon les anciens itinéraires, à 22 milles au nord d'Antioche.—S.-M.

[326] Il passa dans un lieu nommé Capessane, per Capessanam Euphrate navali ponte transcurso (Ammien Marc. l. 21, c. 7). Sa position est inconnue.—S.-M.

[327] Edessam petit uberem commeatibus et munitam. Amm. Marc. l. 21, c. 7.—S.-M.

[328] L'un général de l'infanterie, et l'autre de la cavalerie, pedestris equestrisque militiæ magistros.—S.-M.

[329] Apud Persas silentii colitur numen. Je ne crois pas qu'il faille prendre à la lettre ces paroles d'Ammien Marcellin. On trouve dans les auteurs anciens plusieurs exemples du secret scrupuleux que gardaient les anciens Perses. Vetus disciplina regum, dit Quinte-Curce, silentium vitæ periculo sanxerat.—S.-M.

XXXII. Julien se détermine à faire la guerre à Constance.

Amm. l. 21, c. 1 et 2.

Greg. Naz. or. 3, t. 1, p. 68.

Liban. or. 10, t. 2, p. 286.

Soz. l. 5, c. 1.

Zos. l. 3, c. 9.

Zon. l. 13, t. 2, p. 22.

Nous avons laissé Julien à Vienne en Gaule, où il passa une partie de l'hiver dans de profondes réflexions. Devait-il tenter toutes les voies de douceur pour se réconcilier avec Constance, ou forcer ce prince par les armes à le reconnaître pour collègue? L'un et l'autre parti paraissait également dangereux. D'un côté l'exemple de Gallus lui apprenait quel fond il devait faire sur la foi d'un prince qui n'épargnait ni la séduction ni le parjure, et qui plongeait le poignard dans le sein de ses proches au moment qu'il feignait de les embrasser: de l'autre, il craignait cette fortune qui partout ailleurs abandonnant Constance, l'avait toujours fidèlement suivi dans les guerres civiles. Ce dernier péril lui sembla pourtant préférable, parce qu'une guerre déclarée lui laissait toutes les ressources de la prudence et de la valeur, et que d'ailleurs la fortune l'avait lui-même jusqu'alors assez bien servi, pour mériter qu'il se mît entre ses mains plutôt qu'en celles de Constance. La superstition aida encore, dit-on, à le déterminer. Il crut voir en songe le Soleil, sa divinité favorite, qui lui annonçait que Constance mourrait avant la fin de l'année. La prédiction telle qu'elle est rapportée par plus d'un auteur, est trop claire et trop précise pour laisser occasion de douter qu'elle ait été composée après coup[330]. Saint Grégoire, sur la foi d'un bruit qui courait alors, prétend qu'il était facile à Julien de prédire cette mort, parce qu'il avait pris des mesures pour la procurer par le ministère d'un domestique de Constance. Il est plus sûr de dire que tout le détail de ce songe n'est qu'une fable inventée après l'événement. Julien, qui se vantait si volontiers de la protection des Dieux, n'en fait aucune mention expresse dans ses écrits. Ayant donc résolu de prendre les armes, il ne fit rien avec précipitation: il songea moins à forcer les circonstances, qu'à profiter des incidents; il se donna le temps d'affermir sa puissance et de dresser son plan avec maturité et tranquillité d'esprit. Il publiait qu'il ne voulait aller trouver Constance que pour se justifier, et qu'il s'en remettrait au jugement des deux armées. Les soldats de Magnence s'étaient répandus de toutes parts et subsistaient de brigandages. Julien fit proclamer une amnistie en leur faveur, il les rappela à leurs drapeaux, et rétablit la sûreté sur les grands chemins. Apostat depuis long-temps, il observait dans le particulier toutes les pratiques du paganisme; mais ce secret n'était connu que du petit nombre de ses plus intimes confidents. Comme son armée était composée de chrétiens et de païens, il déclara qu'il laissait à chacun la liberté de servir Dieu à sa manière; mais il continua de faire à l'extérieur profession de christianisme. Il assista même aux prières publiques dans l'église de Vienne le jour de l'Epiphanie[331].

[330] Cette prédiction, composée de quatre vers grecs, se retrouve dans Ammien Marcellin, dans Zosime et dans Zonaras. Elle est ainsi conçue:

Ζεὺς ὅταν εἰς πλατὺ τέρμα μόλῃ κλυτοῦ ὑδροχόοιο,
Παρθενικῆς δὲ Κρόνος μοίρῃ βαίνῃ ἐπὶ πέμπτῃ,
Εἰκοστῇ, βασιλεὺς Κωνστάντιος Ἀσίδος αἴης
Τέρμα φίλου βιοτοῦ ϛυγερὸν καὶ ἑπώδυνον ἕξει.

C'est-à-dire: «Quand Jupiter aura parcouru tout le signe du Verseau, et que Saturne sera dans le vingt-cinquième degré de la Vierge, Constance, monarque de l'Asie, terminera sa vie dans de grands tourments».—S.-M.

[331] Et ut hæc interim celarentur, feriarum die, quem celebrantes mense januario Christiani Epiphania dictitant, progressus in eorum ecclesiam, solemniter numine orato discessit. Amm. Marcel., l. 21, c. 2.—S.-M.

XXXIII. Les Allemans reprennent les armes.

Amm. l. 21, c. 3.

Jul. ad Ath. p. 286.

Liban. or. 5, t. 2, p. 180; et 10, p. 286 et 287.

Cellar. Geog. l. 2, c. 7, art. 13.

Il ne s'occupait que de l'entreprise qu'il méditait contre Constance, lorsqu'aux approches du printemps il apprit que les Allemans recommençaient à faire des courses[332]. Les sujets de Vadomaire allié des Romains avaient été les premiers à prendre les armes. Le bruit se répandit que cette infraction des traités était l'effet des intrigues de Constance: que ce prince avait à force d'argent engagé Vadomaire à se jeter dans la Gaule, afin d'y retenir Julien. Celui-ci n'oublia pas d'accréditer ces discours: il prétendit même avoir intercepté des lettres de Constance à Vadomaire et à d'autres rois allemands. On surprit un courrier de Vadomaire chargé d'une lettre à Constance, dans laquelle le prince allemand traitait Julien avec assez de mépris. Julien, pour se débarrasser de ce nouvel ennemi, envoya en diligence le comte Libinon à la tête des deux légions gauloises qui s'étaient le plus distinguées dans la nouvelle révolution. Libinon passa le Rhin auprès de Bâle, et arriva près d'une ville qu'on croit être Seckingen[333] [Sanctio]. A l'approche des Romains, les Barbares en beaucoup plus grand nombre s'étaient cachés dans des vallons. Le comte les attaqua sans précaution, et fut tué le premier. La victoire fut quelque temps disputée; mais il fallut céder au nombre, et les Romains se retirèrent avec perte.

[332] Ils ravageaient les frontières de la Rhétie, confines Rhætiis tractus.—S.-M.

[333] C'est l'opinion de Cluvier adoptée par Henri Valois, dans son Commentaire sur Ammien Marcellin, l. 21, c. 3. L'historien latin n'indique pas le lien du passage; mais on sait que les états de Vadomaire étaient voisins de Bâle (Augusta Rauracum), où l'on traversait le Rhin.—S.-M.

XXXIV. Prise de Vadomaire.

Amm. l. 21, c. 3 et 4.

Liban. or. 10, t. 2, p. 286.

Vadomaire, naturellement fourbe et artificieux, feignait de ne prendre aucune part à cette guerre. Il tâchait d'amuser Julien par des protestations d'un attachement inviolable: il lui prodiguait dans ses lettres les noms les plus flatteurs; il lui donnait même le titre de Dieu. Il entretenait des liaisons avec les officiers romains, qui gardaient la frontière, et passait souvent le Rhin pour venir se divertir avec eux. Julien, qui n'était pas dupe de ses artifices, résolut de le faire enlever. Il dépêcha le secrétaire Philagrius, qui fut depuis comte d'Orient, et dont il connaissait l'habileté: il le chargea d'un ordre cacheté qui ne devait être ouvert que quand Vadomaire se trouverait en-deçà du Rhin. L'occasion se présenta bientôt. Le prince allemand, affectant toujours beaucoup de sincérité et de franchise, vint à son ordinaire souper chez le commandant, qui invita aussi Philagrius. A la fin du repas Philagrius, ayant arrêté Vadomaire, fit voir sa commission, le mit sous la garde du commandant, et comme il n'avait point d'ordre pour retenir les gens de ce prince, il leur laissa la liberté de s'en retourner. Le roi fut conduit au camp de Julien. Il se crut perdu quand il apprit que ses lettres adressées à Constance avaient été interceptées; mais Julien sans entrer avec lui dans aucun éclaircissement, le fit conduire en Espagne. Il ne voulait pas laisser cet esprit dangereux et perfide à portée de troubler la Gaule en son absence. Vadomaire rentra en faveur sous le règne de Valentinien et de Valens, et fut fait duc de la Phénicie. Julien marcha aussitôt pour abattre par un dernier coup la témérité des Barbares; et de peur que le bruit de sa marche ne leur fît prendre l'épouvante, et ne l'obligeât de les poursuivre trop loin, il passa le Rhin pendant la nuit avec un gros de troupes légères, et les chargea au dépourvu. Ils se virent enveloppés avant que d'avoir eu le temps de se mettre en défense; plusieurs furent tués: les autres abandonnant leur butin et demandant grace, se rendirent prisonniers. Les princes voisins, qui n'étaient point entrés dans la révolte, vinrent protester de leur soumission, et renouvelèrent leurs serments. Julien se retira après les avoir menacés d'une prompte vengeance, s'ils se départaient de la fidélité qu'ils avaient jurée.

XXXV. Julien fait prêter serment à ses troupes.

Amm. l. 21, c. 5.

Jul. ad Ath. p. 286. et epist. 13, p. 382.

Liban. or. 10, t. 2, p. 287 et 288.

Eunap. in Max, t. 1, p. 54, ed. Boiss.

Revenu à Bâle [Rauracos], et persuadé que la diligence est le principal ressort des entreprises hardies, et que dans un péril inévitable le plus sûr est de l'affronter sans délibérer, il résolut de se mettre en marche pour aller au-devant de Constance. Il commença par consulter ses oracles. Il avait fait venir en Gaule le grand-prêtre d'Éleusis: ce fut avec lui qu'il fit des sacrifices secrets à Bellone; son médecin Oribasius et un autre fanatique Africain, nommé Évhémère, confidents de son apostasie, furent seuls admis à ces mystères. Tous les présages lui promettaient la sûreté et la gloire s'il marchait, et le menaçaient de sa perte s'il restait dans la Gaule. Il se félicita de cet heureux concert entre les conseils de ses dieux et ceux de son ambition. Car ce prince n'était pas tellement esclave de la superstition, qu'il ne sût bien s'en affranchir quand elle ne s'accordait pas avec ses intérêts. Il avait, ainsi que Jules César, l'esprit assez présent pour donner un tour avantageux aux plus sinistres présages. Un jour qu'il s'exerçait à Paris dans le Champ-de-Mars, son bouclier s'étant rompu en éclats, l'anse lui resta seule dans la main: c'était là un des plus fâcheux pronostics, et tous les spectateurs en paraissaient alarmés: Ne craignez rien, leur cria Julien, ce que je tenais ne m'a pas échappé. Se croyant assuré de la protection du ciel, il voulut éprouver l'attachement de ses soldats. Les ayant donc fait assembler, il monta sur le tribunal, et portant sur son front une noble confiance, après leur avoir rappelé de nouveau ses travaux et leurs exploits, il leur déclara qu'il allait les conduire aux extrémités de la Dacie; qu'ils ne rencontreraient aucun obstacle dans leur passage par l'Illyrie; que les premiers avantages leur en prépareraient de nouveaux, et régleraient leurs démarches: «Je me charge, ajouta-t-il, de veiller selon ma coutume à votre sûreté et de vous ménager les succès; et si j'étais obligé de rendre compte de ma conduite à d'autres qu'à ma conscience, juge souverain et incorruptible de mes actions, je serai toujours prêt à justifier mes intentions et à prouver que je n'aurai rien entrepris que ce qui peut vous être utile à tous. Assurez-moi par serment de votre fidélité; et soit en quittant ce pays, soit dans le voyage que nous allons faire, gardez-vous de donner sujet de plainte à aucun particulier. Souvenez-vous que ce qui fait votre gloire, ce n'est pas seulement d'avoir abattu tant d'ennemis, mais plus encore d'avoir rendu à ces provinces la paix, la sûreté et l'abondance.» L'armée reçut ses paroles comme celles d'un oracle: l'ardeur étincelle dans les yeux: tous de concert, frappant leurs boucliers, s'écrient qu'ils sont prêts à marcher sous les auspices d'un si grand capitaine; ils le nomment le favori des Dieux, le vainqueur des rois et des nations. Pour donner à leur serment la forme la plus solennelle, ils lèvent leurs épées sur leurs têtes, et prononçant les plus terribles imprécations ils jurent en termes formels qu'ils s'exposeront pour lui à tous les hasards, et à la mort même. Les officiers prêtent tous en particulier le même serment. Ces Hérules, ces Bataves, ces Gaulois, qui l'année précédente avaient refusé de passer les Alpes pour le service de Constance, sont prêts à suivre Julien jusqu'au bout du monde. Le seul Nébridius, préfet du prétoire, fut assez hardi pour représenter, qu'étant comblé des bienfaits de Constance, il ne pouvait engager sa foi contre le service de ce prince; et comme les soldats, irrités de sa résistance, menaçaient de l'égorger, il alla se jeter aux pieds de Julien qui le couvrit de sa robe. Les soldats respectèrent cet asyle. Nébridius étant retourné au palais avec Julien, se prosterna devant lui, demandant humblement, comme un gage de sûreté, la permission de lui baiser la main: Eh! quel honneur réserverions-nous donc à nos amis? repartit Julien; retire-toi où tu jugeras à propos, on ne te fera aucun mal. Nébridius se retira en Toscane sur ses terres.

XXXVI. Disposition de Julien.

Amm. l. 21, c. 8.

Zos. l. 3, c. 10.

Cellar. Geog. l. 2, c. 5, art. 36.

Salluste, cet ami fidèle, qui avait été enlevé à Julien trois ans auparavant, était venu le rejoindre. Le nouvel empereur le laissa en Gaule avec la qualité de préfet du prétoire: il le crut nécessaire dans cette province, dont il était obligé de s'éloigner; et comme une des fonctions du préfet était de payer les troupes, et de pourvoir au soin des vivres, Julien emmena Germanianus qu'il chargea de ce détail. Il déclara Névitta général de la cavalerie, sans avoir égard à Gumoaire que Constance avait nommé, mais que Julien regardait comme un traître qui avait manqué de foi à Vétranion son maître. Il donna la questure à Jovius, l'intendance du trésor à Mamertinus, le commandement de sa garde à Dagalaïphe[334]. Dans la distribution des emplois militaires il ne considéra que les services et la fidélité. Ses troupes ne montaient qu'à vingt-trois mille hommes; et comme il appréhendait qu'elles ne parussent méprisables s'il les faisait marcher en un seul corps d'armée, il les partagea en trois divisions dans la vue d'en augmenter l'apparence, et de répandre plus de terreur. Le premier détachement partit sous la conduite de Jovinus et de Jovius, avec ordre de traverser les contrées septentrionales de l'Italie; Névitta à la tête de l'autre division devait passer par la Rhétie. Le rendez-vous fut marqué à Sirmium. Il leur recommanda de marcher avec diligence et circonspection. Pour lui il ne se réserva que trois mille hommes, avec lesquels il prit sa route par la forêt Noire, nommée alors la forêt Marciane [Marcianas Sylvas], et par les bords du Danube.

[334] Jovio quæsturam..... et Mamertino largitiones curandas; et Dagalaiphum præfecit domesticis. Amm. Marcel. l. 21, c. 8.—S.-M.

XXXVII. Marche de Julien jusqu'à Sirmium.

Amm. l. 21, c. 9.

Jul. ad Ath. p. 286.

Mamert. pan. c. 6, 7, 8 et 13.

Liban. or. 8, t. 2, p. 242, or. 9, p. 254; et or. 10, p. 287, et 288.

Greg. Naz. or. 3, t. 1, p. 68.

[Zos. l. 3, c. 10.]

Ces dispositions étant faites, Julien prit le chemin de la Pannonie. Constance avait ordonné aux commandants des villes d'Italie, situées au voisinage de la Gaule, de garder tous les passages. Résolu de passer lui-même les Alpes pour aller chercher Julien, il avait amassé sur la frontière une quantité immense de provisions[335]. Les généraux de Julien se rendirent maîtres de ces magasins. Julien, étant arrivé au Danube, fit le reste du voyage partie sur le fleuve, partie en le côtoyant, tantôt sur les terres de l'empire, tantôt sur celles des Barbares[336], par des chemins rudes et difficiles, évitant les grandes routes, de crainte d'y rencontrer des forces supérieures aux siennes. Le secret, la diligence, l'esprit de ressource et l'habitude qu'il s'était faite de surmonter les plus grandes fatigues, le sauvèrent de tous les périls. Il s'assurait de tous les passages du fleuve; il enlevait les postes des ennemis pendant la nuit; il leur donnait le change par de fausses alarmes: dans le temps qu'on l'attendait aux défilés des montagnes, il traversait la plaine; il se faisait ouvrir les portes des villes par persuasion, par force, par ruse. On parle d'un stratagème qui le rendit maître d'une place forte que l'histoire ne nomme pas. Ayant surpris un corps d'ennemis, il fit revêtir de leurs armes et marcher sous leurs enseignes plusieurs des siens, qui furent reçus dans la place et s'en emparèrent. Dans une autre occasion six de ses soldats dans un défilé en mirent en fuite deux mille. Il marchait lui-même à la tête de ses troupes, à pied, la tête nue, chargé de ses armes, couvert de sueur et de poussière. Sa marche était rapide; il n'avait pas besoin d'envoyer dans les villes qui se trouvaient sur sa route, pour y chercher de quoi fournir à la délicatesse de sa table; il vivait de pain et d'eau comme le moindre soldat. Il traversa ainsi toute la Pannonie. Quelque diligence qu'il fît, la renommée le devançait: les peuples accouraient en foule sur son passage; il ne s'arrêtait que pour faire lire de temps en temps à haute voix les lettres que Constance avait écrites aux Barbares: il en tira un très-grand avantage pour gagner les cœurs en sa faveur, et les soulever contre un maître cruel qui sacrifiait ses peuples à sa haine et à sa jalousie personnelle. En même temps il prodiguait l'argent; il accordait aux villes des exemptions et des priviléges. Il ne lui fallut que se montrer pour faire la conquête de la province. A la première nouvelle de cette invasion, Taurus avait abandonné l'Italie; et en passant par l'Illyrie, il avait entraîné avec lui Florentius[337]. Tous deux remplis d'épouvante fuyaient avec précipitation vers Constantinople.

[335] L'empereur avait placé des magasins dans toutes les villes voisines de la Gaule, et particulièrement à Brigantium, actuellement Bregentz, au sud du lac de Constance. Selon Julien lui-même (Ad Athen., p. 286), Constance avait réuni dans cette place trois millions de médimnes de blé, τριακοσίας μυριάδας μεδίμνων πυροῦ κατειργασμένου ἐν τῇ Βριγαντίᾳ. Il avait ordonné de faire la même chose sur toutes les routes qui conduisaient aux Alpes Cottiennes.—S.-M.

[336] Per ultima ferarum gentium regna, calcata regum capita supervolans, in medio Illyrici sinu improvisus apparuit. Mamertinus, Paneg. cap. 6.—Καὶ τῆς βαρβαρικῆς ὄχθης ἔστιν ἥν διαδραμὼν. Greg. Naz., Or. 3, t. 1, p. 68.—S.-M.

[337] C'est par cette raison que Julien, selon Zosime, avait ordonné de les appeler consuls fuyards, φυγάδας ὑπάτους, dans les actes publics.—S.-M.

XXXVIII. Il s'empare de cette ville.

Amm. l. 21, c. 9 et 10.

Zos. l. 3, c. 10 et 11.

Julien le onzième jour de sa marche approchait de Sirmium. Le comte Lucillianus, qui commandait dans la Pannonie, était alors campé près de cette ville. Il rassemblait les troupes des quartiers les plus voisins, et se préparait à s'opposer à Julien. Ce prince ne lui en laissa pas le temps. Etant arrivé par le fleuve à Bononia[338], qui n'était qu'à dix-neuf milles de Sirmium, il débarqua sur le soir, et dépêcha aussitôt Dagalaïphe à la tête d'une troupe de cavalerie légère, avec ordre de lui amener Lucillianus de gré ou de force. Celui-ci qui le croyait encore bien loin, dormait tranquillement. A son réveil, il se voit environné de gens inconnus et armés, qui lui signifient les ordres de l'empereur. Plein de surprise et d'effroi, il prend le parti d'obéir. On le fait monter sur un méchant cheval, et ce général naturellement fier fut présenté à Julien comme un prisonnier du dernier ordre. Cependant le prince lui ayant permis de baiser sa robe, il revint peu à peu de sa frayeur, et s'enhardit jusqu'à lui représenter la témérité de son entreprise. Gardez pour Constance vos sages avis, lui répondit Julien avec un sourire amer; ce n'est pas pour vous autoriser à me faire des leçons, c'est pour calmer vos craintes que je vous donne des marques de clémence. Sur-le-champ Julien marche à Sirmium. C'était une capitale grande et peuplée, dont la possession lui répondait de toute la province. Il y était si peu attendu, que la plupart des habitants, apprenant que l'empereur arrivait, s'imaginèrent que c'était Constance. Il entra avant le jour dans les faubourgs qui étaient fort étendus. La vue de Julien parut un prodige: on se rassure; l'allégresse succède à la surprise; les soldats de la garnison, les habitants courent au-devant de lui avec des flambeaux; ils sèment de fleurs son passage; ils le suivent au palais avec des cris de joie, et le nomment hautement leur empereur, leur maître. Le lendemain Julien donna des courses de chars, où toute la ville fit éclater sa joie. Les troupes commandées par Névitta qui avaient traversé la Rhétie, arrivèrent ce jour-là à Sirmium.

[338] On croit que ce lieu se nomme actuellement Bonmunster. Il était aussi appelé Malatæ; au moins telle était l'opinion de Cellarius (t. 1, p. 448), et de Wesseling (ad Itin. Anton., p. 243). Bononia aurait été alors le nom latin de Malatæ. C'est au reste celui-ci qui se voit sur la table de Peutinger et sur les inscriptions antiques qui se trouvent dans le pays.—S.-M.

XXXIX. Il se rend maître du pas de Sucques.

Le jour suivant Julien alla se saisir du pas de Sucques. C'est une gorge étroite entre le mont Hœmus et le mont Rhodope, dont les deux chaînes, après avoir embrassé la plus grande partie de la Thrace, viennent se rapprocher en cet endroit. Quoique les Romains eussent élargi ce passage, qui faisait la communication de la Thrace et de l'Illyrie, il était encore très-aisé de le fermer et d'y arrêter les plus fortes armées. La pente du côté de l'Illyrie est douce et facile; mais du côté de la Thrace ce sont des précipices et des chemins impraticables. Du pied de ces montagnes s'étendent deux plaines immenses; d'une part jusqu'aux Alpes Juliennes, de l'autre jusqu'au détroit de Constantinople et à la Propontide. Julien s'empara de ce passage important; il y laissa un corps de troupes sous le commandement de Névitta, et se retira à Naïssus[339] pour y prendre des arrangements conformes à l'état de ses affaires.

[339] Ville peuplée, copiosum oppidum, fondée par Constantin. On l'appelle actuellement Nissa; elle est dans la Servie.—S.-M

XL. L'Italie et la Grèce se déclarent pour lui.

Amm. l. 21, c. 10.

Jul. ad Ath. p. 286 et 287.

Liban. or. 8, t. 2, p. 242, et or. 10, p. 287 et 288.

Zos. l. 3, c. 11.

Il appela auprès de lui l'historien Aurélius Victor, celui même dont nous avons un abrégé d'histoire, qui n'est pas sans quelque mérite. Il l'avait vu à Sirmium et il estimait sa probité. Il lui donna le gouvernement de la seconde Pannonie[340], et lui fit ériger une statue de bronze. Cet Aurélius fut dans la suite préfet de Rome. Depuis la fuite de Taurus et de Florentius, Rome et toute l'Italie, la Macédoine et toute la Grèce, s'étaient déclarées en faveur de Julien. Persuadé qu'il n'avait plus de réconciliation à espérer, il ne ménagea plus Constance. Il s'empara des trésors du prince et des mines d'or et d'argent qui étaient ouvertes en Illyrie. Il écrivit au sénat de Rome une lettre remplie d'invectives si atroces contre Constance, que les sénateurs n'en purent entendre la lecture sans s'écrier que Julien devait plus de respect à celui à qui il était redevable de son élévation. La mémoire de Constantin n'y était pas épargnée: Julien le traitait de novateur, de destructeur des lois anciennes et des usages les mieux établis; il l'accusait d'avoir le premier avili les charges les plus éminentes et le consulat même, en le prodiguant à des Barbares: reproche absurde, qui devait retomber sur son auteur, comme le remarque Ammien Marcellin; puisque dès l'année suivante il éleva au consulat Névitta, Goth de naissance, homme grossier, cruel, sans expérience, sans autre mérite que de s'être attaché à la fortune de Julien, et fort inférieur en toute manière à ceux que Constantin avait honorés de cette dignité. Il écrivit en même temps aux armées d'Italie, pour leur recommander la garde des villes: il fit assembler sur les côtes de Sicile un grand nombre de troupes, qui devaient passer en Afrique à la première occasion. Il dépêcha des courriers dans toute la Grèce. Corinthe, Lacédémone, Athènes reçurent des manifestes de sa part. Nous avons celui qu'il adressa aux Athéniens; c'est une longue apologie[341], dans laquelle il développe dès l'origine toutes les injustices de Constance à son égard: il y proteste qu'il est encore disposé à se contenter de ce qu'il possède, si Constance veut entendre à un accommodement; mais que, plutôt que de se livrer à la discrétion d'un ennemi implacable, il est déterminé à périr les armes à la main, si c'est la volonté des Dieux.

[340] Avec les honneurs consulaires. Victorem.... scriptorem historicum, Pannoniæ secundæ consularem præfecit, et honoravit æneâ statuâ. Amm. Marc. l. 21, c. 10.—S.-M.

[341] Τοὺς Ἐρεχθείδας ὁ βασιλεὺς ἐποίει δικαστὰς, πέμπων ἀπολογίαν ἐν γράμμασι. Liban. or. 10. t. 2, p. 288.—S.-M.

XLI. Il fait profession ouverte d'idolâtrie.

[Jul. ad Athen. p. 277 et 286.

Greg. Naz. or. 3, t. 1, p. 68 et 69.]

Liban. or. 10, t. 2, p. 288.

[Zos. l. 3, c. 11.

Soz. l. 5, c. 1.]

Till. Julien, note 4.

Le paganisme se montre à découvert dans cette pièce. Julien avait enfin levé le masque en entrant dans l'Illyrie. Il ouvrait les temples que Constantin et Constance avaient fermés; il les ornait d'offrandes; il immolait des victimes, et exhortait les peuples à reprendre le culte des Dieux de leurs pères. Les Athéniens furent les premiers à signaler leur attachement à l'idolâtrie: ils s'empressèrent de rouvrir le fameux temple de Minerve et ceux des autres divinités; ils firent couler le sang des victimes, dont leur terre paraissait altérée. Une contestation survenue entre les familles sacerdotales partageait toute la ville. Le nouvel Auguste, idolâtre dévot, qui s'était follement proposé d'épurer le paganisme, en y appliquant les maximes vraiment divines de la religion chrétienne, écrivit aux Athéniens pour faire cesser cette division; il leur manda que la paix et la concorde étaient le plus agréable sacrifice qu'ils pouvaient offrir aux Dieux.

XLII. Bienfaits qu'il répand sur les provinces.

Amm. l. 21, c. 12.

Mamert. pan. c. 9.

Zos. l. 3, c. 11.

Naïssus fut bientôt remplie d'une multitude de députés: bientôt les provinces et les villes se ressentirent des libéralités de leur nouveau maître. Les Dalmates et les Epirotes furent déchargés des impositions excessives dont ils étaient accablés. Nicopolis, bâtie autrefois par Auguste, comme un monument de la victoire qu'il avait remportée près d'Actium, se releva de ses ruines; les jeux qu'on y avait célébrés tous les cinq ans, mais qui étaient depuis long-temps interrompus, furent renouvelés. Athènes et Éleusis recouvrèrent leur ancienne splendeur[342]. Les ordres de Julien semblaient répandre de toutes parts le mouvement et la vie; on voyait réparer les murailles des villes, les aquéducs, les places, les gymnases. On instituait de nouvelles fêtes en l'honneur de celui qui rétablissait les anciennes. Tant d'affaires publiques ne l'empêchaient pas de vaquer à celles des particuliers: il écoutait leurs plaintes; il jugeait leurs différends, surtout ceux où il s'agissait de priviléges contestés par les communautés des villes à quelqu'un des citoyens. On remarqua qu'il poussait trop loin le système de réduire tout au droit commun, et qu'il favorisait l'ordre municipal, souvent même aux dépens de la justice.

[342] Ipsæ illæ bonarum artium magistræ et inventrices Athenæ, omnem cultum publicè privatimque perdiderant. In miserandam ruinam conciderat Eleusina. Sed universas urbes ope imperatoris refotas enumerare perlongum est. Mamert. Pan. c. 9.—S.-M.

XLIII. Il prend soin de la ville de Rome.

Amm. l. 21, c. 22, et ibi Vales.

Mamert. pan. c. 14, et 15.

Till. Constance art. 60.

Rome manquait de vivres. Gaudentius, qui tenait l'Afrique au nom de Constance, avait envoyé à Constantinople la flotte de Carthage chargée du blé destiné à la provision de Rome. Les Romains s'en plaignirent à Julien; ils accusaient les commandants des côtes, d'avoir par leur négligence laissé perdre un convoi si important: Il n'est pas perdu pour nous, dit Julien en souriant, puisqu'il est à Constantinople; il se flattait d'être incessamment maître de cette ville. En même temps, il fit acheter à ses dépens et transporter à Rome une grande quantité de grains. Quatre sénateurs romains, des plus considérables, entre lesquels étaient Symmaque et Maxime, avaient été députés à Constance par le sénat; ils revenaient d'Antioche, où Symmaque s'était acquis une estime générale par sa vertu et par son éloquence: ils trouvèrent Julien en Illyrie. Ce prince les combla d'honneurs; et pour donner une marque de distinction à Maxime, neveu de Vulcatius Rufinus qui avait été oncle de Gallus, il le nomma préfet de Rome en la place de Tertullus. Sous ce préfet on vit renaître l'abondance, et le peuple de cette ville tumultueuse n'eut plus d'occasion de se livrer à son impatience naturelle. Le nouvel empereur, pour augmenter la confiance de son parti en faisant paraître la sienne, se comporta en maître de l'empire: il désigna consuls pour l'année suivante Mamertinus et Névitta. Le premier venait de remplacer Florentius dans la dignité de préfet du prétoire d'Illyrie.

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