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Histoire du Bas-Empire. Tome 02

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LIV. Il est nommé César.

Jul. ad Ath. p. 275. ad Them. p. 259, et or. 3, p. 121.

Amm. l. 15, c. 8.

Zos. l. 3, c. 1 et 2.

Socr. l. 2, c. 34.

[Idat. chron.

Chron. Alex. vel Pasch. p. 293.

Theoph. p. 38.]

Zon. l. 13, t. 2, p. 20.

Enfin le 6 novembre, Constance, ayant fait assembler toutes les troupes qui se trouvaient à Milan, monta sur un tribunal élevé. Là, environné des aigles et des autres enseignes des légions, tenant Julien par la main, il le présenta aux soldats; et après avoir exposé en peu de mots l'état de la Gaule, et les espérances que donnait le jeune prince, il déclara qu'il avait résolu de le nommer César, si l'armée approuvait son choix. Les soldats applaudirent. Alors Constance ayant revêtu Julien du manteau de pourpre, le fit proclamer César. Se tournant ensuite vers ce prince qui paraissait morne et rêveur: «Mon frère, lui dit-il, je partage avec vous l'honneur de cette journée: vous recevez la pourpre de vos pères, et je fais une action de justice en vous communiquant ma puissance. Partagez aussi mes travaux et mes dangers. Chargez-vous de la défense de la Gaule: guérissez les plaies dont cette province est affligée. S'il est besoin de combattre, combattez à la tête de vos troupes, les animant par votre exemple, les ménageant par votre prudence, étant à la fois leur chef, leur ressource, le témoin et le juge de leur valeur. Elle secondera la vôtre. Ma tendresse ne vous perdra jamais de vue; et quand avec le secours du ciel nous aurons rendu la paix à l'empire, nous le gouvernerons ensemble sur les mêmes principes de douceur et d'équité. Quelque séparés que nous soyons, je vous croirai toujours ainsi assis avec moi sur mon trône, et vous aurez lieu de me croire toujours à côté de vous dans les périls. Partez, César; vous portez l'espérance et les vœux de tous les Romains: défendez avec vigilance le poste important que l'état vous confie.» Ces paroles furent suivies d'une acclamation universelle. Tous les yeux se fixèrent sur le nouveau César, qui montrait un visage plus serein et plus animé. On lisait dans ses regards mêlés de douceur et de fierté, qu'il allait être l'amour des siens et la terreur des ennemis. On lui donnait des louanges, mais avec mesure, de peur de blesser la délicatesse du souverain. Constance le fit asseoir à côté de lui dans son char; et Julien, en rentrant dans le palais, s'appliquant intérieurement un vers d'Homère[63], se regardait sous la pourpre comme entre les bras de la mort. Peu de jours après il épousa Hélène, sœur de l'empereur; ce fut encore un effet de la bienveillance d'Eusébia, qui le combla de présents: le plus conforme à son goût fut une belle et nombreuse bibliothèque, dont il fit grand usage dans son expédition de Gaule.

[63] Ἔλλαβε πορφύρεος θάνατος καὶ μοῖρα κραταιή. «La mort couleur de pourpre et son puissant destin l'enleva.» Ιliad., l. 5, v. 83.—S.-M.

LV. Captivité de Julien dans le palais.

Jul. ad Ath. p. 274, et ad Them. p. 259. et or. 3, p. 120.

Liban. or. 10, t. 2, p. 240.

Eunap. in Max. t. 2, p. 54 et in Orib. p. 104, et 105. ed. Boiss.

Julien, placé dans un si grand jour, songea à mettre en œuvre ce qu'il avait recueilli de tant d'études et de lectures. Son ame s'éleva et s'étendit. Il se considéra comme un homme qui, s'étant jusqu'alors exercé seulement dans son domestique, sans autre dessein que de conserver sa santé, se trouverait tout à coup transporté dans le stade olympique, en spectacle à tout l'univers, à ses citoyens dont il aurait l'honneur à soutenir, aux Barbares qu'il faudrait intimider par des miracles de force et de vigueur. Non-seulement il se proposa de faire assaut de vertu et de courage avec ses contemporains; mais, comme il le dit lui-même, il prit pour modèles Alexandre dans la guerre, Marc-Aurèle dans la conduite des mœurs. Cependant Constance n'eut pas plutôt approché Julien de sa personne que, par un effet de sa légèreté et de sa défiance naturelle, il parut s'en repentir. Le César était prisonnier à la cour; sa porte était gardée; on visitait ceux qui entraient chez lui, de peur qu'ils ne fussent chargés de lettres. Julien lui-même, pour ne pas attirer sur ses amis les soupçons de l'empereur, les empêchait de le venir voir. Sous prétexte de lui former une maison plus conforme à sa nouvelle dignité, on lui enleva ses domestiques; on les remplaça par des gens inconnus, qui étaient autant d'espions. A peine lui permit-on de conserver quatre de ses anciens serviteurs: l'un d'eux était son médecin Oribasius[64], qu'on lui laissa, parce qu'on ignorait qu'il était en même temps son ami. Celui-ci, païen dans le cœur, ainsi que Julien, avait le secret de sa religion, et l'aidait à en pratiquer les cérémonies.

[64] Ce médecin est célèbre par sa science et par les ouvrages qu'il a composés; ils n'ont pas encore été tous publiés. Il naquit à Pergame, patrie de Galien, et accompagna Julien dans son expédition contre les Perses. il survécut long-temps à son souverain, et prolongea son existence jusqu'à la fin du quatrième siècle.—S.-M.

LVI. Il part pour la Gaule.

Jul. ad Ath. p. 277 et 278.

Amm. l. 15, c. 8.

Liban. or. 10, t. 2, p. 271 et 280.

Zos. l. 3, c. 2.

Eunap. in Max. t. 1, p. 54 et 55. ed. Boiss.

Socr. l. 3, c. 1.

Soz. l. 5, c. 2.

Zon. l. 13, t. 2, p. 20.

Till. art. 38.

Constance avait donné à Julien le gouvernement de la Gaule, de l'Espagne, et de la Grande-Bretagne: il l'avait créé César pour l'opposer aux Barbares: mais son aveugle jalousie semblait s'entendre avec eux. Il fit tout ce qu'il fallait pour empêcher Julien de réussir. On soupçonna même, car on prête volontiers des crimes aux princes qui ne sont pas aimés, on soupçonna qu'il ne l'envoyait en Gaule que pour le perdre. Il est plus vraisemblable que son dessein était seulement de le tenir comme en tutelle, et de lui ôter tous les moyens de se rendre trop puissant. Il ne restait en Gaule que peu de troupes, accoutumées à fuir devant les Barbares: l'empereur ne donna à Julien qu'une faible escorte de trois cents soixante soldats; les généraux avaient ordre d'observer ses démarches avec plus de soin que les mouvements des ennemis. On laissait Ursicin dans la province, mais il ne conservait que le titre de général sans emploi. Le secret de la cour et tout le pouvoir était entre les mains de Marcellus, qui partait avec Julien. Les officiers dont on composa son conseil, étaient plus propres à l'arrêter dans le chemin de la gloire, qu'à l'exciter aux grandes entreprises. On mit à son autorité les bornes les plus étroites; et selon l'expression d'un auteur contemporain, Julien ne pouvait disposer que de sa casaque. On ne le laissa maître d'aucune grace, d'aucune libéralité. Loin d'accorder aux troupes quelque gratification extraordinaire, comme c'était la coutume à la promotion des nouveaux Césars, on ne leur paya pas même les montres qui leur étaient dues; et l'on eut lieu de prendre à la lettre ces expressions de Constance, que c'était son image qu'il envoyait en Gaule, plutôt qu'un nouveau prince. Julien partit avec sa petite escorte le 1er de décembre: le temps fut si beau pendant son voyage, que ses admirateurs n'ont pas oublié d'en faire un miracle. Constance l'accompagna jusqu'au-delà de Pavie [Ticinum][65], et reçut en chemin la nouvelle de la prise et du saccagement de Cologne. Craignant que cet événement ne rompît ses mesures, il en fit un secret à Julien, qui n'en fut informé qu'à son arrivée à Turin. Un si triste commencement affligea fort le prince; on lui entendit plusieurs fois dire, en soupirant, qu'en devenant César il n'avait gagné que de périr avec moins de tranquillité. Un présage, quoique frivole, fut toutefois suffisant pour rassurer les soldats. Comme il traversait une petite ville de Gaule, c'était la première qu'il rencontrait sur sa route, une des couronnes qu'on avait suspendues sur son passage, se détacha et se posa sur sa tête: on poussa des cris de joie, comme sur un pronostic assuré de la victoire. Julien s'arrêta à Vienne, où il fut reçu au milieu des acclamations d'un grand peuple. On célébra son entrée comme celle d'un génie salutaire, et du libérateur de la Gaule. On dit qu'une vieille femme aveugle et idolâtre, bien instruite apparemment des secrètes dispositions de Julien, ayant demandé qui était celui qui entrait dans la ville, comme on lui eut répondu que c'était le César Julien, s'écria d'un ton de prophétesse, que ce prince rétablirait le culte des dieux. Nous raconterons ses exploits, quand nous aurons repris depuis la mort de Constant les affaires de l'église, que l'empereur troublait de plus en plus.

[65] Jusqu'à un lieu où se trouvaient deux colonnes entre Lumello dans le Piémont et Pavie. Ad usque locum duabus columnis insignem, qui Laumellum interjacet et Ticinum, dit Ammien, l. 15, c. 8.—S.-M.

LVII. Nouvelles cabales des Ariens.

Ath. ad monach. t. 1, p. 360 et 375. et apol. ad Constant. p. 299 et 301.

Socr. l. 2, c. 26.

Sulp. Sev. l. 2, c. 53.

Constant, inviolablement attaché à la vérité dans le sein même du désordre, avait enchaîné la fureur de l'hérésie, et forcé son frère de rendre la paix aux fidèles, et les vrais pasteurs à leur troupeau. Sa mort ouvrit une libre carrière à la malignité des Ariens. La haine de Constance contre les orthodoxes n'avait été que plus aigrie par la contrainte. Cependant ce prince, ayant honte de se dédire si promptement, garda encore quelques mesures. On accusait Athanase d'avoir animé Constant contre son frère; d'entretenir de secrètes intelligences avec Magnence; d'avoir porté le mépris qu'il faisait de l'empereur, jusqu'à célébrer sans sa permission la dédicace de la grande église, nommée la Césarée, que Constance venait de faire bâtir à Alexandrie; d'exciter des mouvements en Egypte et en Libye, et de se former une monarchie ecclésiastique, en établissant des évêques dans des provinces qui n'étaient pas soumises à sa jurisdiction. Il était aisé au saint prélat de détruire ces calomnies; il le fit pleinement six ans après par une véhémente apologie qu'il adressa du fond des déserts à l'empereur. Mais dans ces commencements il n'en eut pas même besoin. L'empereur occupé de la guerre contre Magnence, craignant de révolter l'Egypte en maltraitant le métropolitain, lui écrivit pour le rassurer. Il envoya même par le comte Astérius et Palladius, maître des offices, des lettres adressées à Felicissimus duc d'Egypte, et au préfet Nestorius, les chargeant tous deux de veiller à la conservation d'Athanase. Les Ariens ne se rebutèrent pas. Ils avaient regagné Ursacius et Valens, qui n'eurent pas honte de se déshonorer, en révoquant la rétractation authentique qu'ils avaient donnée de leurs erreurs et de leurs calomnies en présence de deux conciles. Ces deux évêques prétendirent faussement que Constant les avait forcés à cette démarche; et Constance se trouva très-disposé à les en croire sur leur parole. De concert avec plusieurs autres évêques ariens, ces imposteurs tournaient à leur gré l'esprit de l'empereur; et Valens surtout, depuis la bataille de Mursa, en était écouté comme un prophète. Ils lui répétaient sans cesse que leur parti se décréditait, et qu'il allait lui-même passer pour un hérétique: ils lui représentaient l'union des évêques avec Athanase, comme une cabale dangereuse.

LVIII. Exil et mort de Paul de C. P.

Ath. ad monach. t. 1, p. 348, et de fuga sua, p. 322.

Zos. l. 2, c. 46.

Socr. l. 2, c. 26.

Theod. l. 2, c. 5.

Soz. l. 4, c. 2.

Theoph. p. 36.

Till. art. 11.

Le premier effet de leur crédit fut la mort de Paul, évêque de Constantinople. L'empereur manda à Philippe préfet d'Orient de le chasser, et de rétablir Macédonius. Le peuple chérissait son évêque, et le préfet se souvenait du massacre d'Hermogène. Pour se mettre à l'abri de la sédition, il s'enferme dans les thermes de Zeuxippe; il fait prier Paul de l'y venir trouver pour une affaire importante. Dès qu'il est arrivé, il lui montre l'ordre du prince. Le prélat s'y soumet sans répugnance: mais le préfet n'était pas sans alarmes. Le peuple, inquiet pour son pasteur, s'était assemblé autour des thermes et faisait grand bruit. Le saint prélat se prêta volontiers aux mesures qu'il fallait prendre pour le dérober à l'amour de son peuple. On le fit passer par une fenêtre dans le palais voisin, qui donnait sur la mer; et de là on le descendit dans une barque prête à faire voile, et qui s'éloigna sur-le-champ. Aussitôt Philippe monte sur son char, il fait asseoir à côté de lui Macédonius, et va droit à l'église. La garde qui marchait l'épée nue intimide les habitants. On accourt de toutes parts à l'église. La foule y était si grande, que le préfet n'y pouvant entrer, les soldats s'imaginèrent que le peuple faisait résistance, et fondirent à grands coups d'épée sur cette innocente multitude. Plus de trois mille y périrent, les uns tués par les soldats, les autres écrasés par la foule; et Macédonius alla au travers de ces corps morts prendre possession de la chaire épiscopale. Paul chargé de chaînes fut d'abord conduit à Emèse, de là transféré à Cucusus en Cappadoce, dans les déserts du mont Taurus, où il fut étranglé. Les Ariens publièrent qu'il était mort de maladie. Mais le vicaire Philagrius, déja connu par ses méchancetés, jaloux peut-être de n'avoir pas été choisi pour bourreau, fit savoir aux catholiques que Paul renfermé dans un cachot étroit et ténébreux y avait été laissé sans nourriture, et que six jours après, comme il respirait encore, le préfet Philippe l'avait étranglé de ses propres mains. Ce Philippe avait été consul en 348. Il est différent de celui qui fut député à Magnence, et retenu prisonnier. Peu de temps après la mort de Paul, arrivée vers le commencement de 351, ce ministre d'iniquité encourut la disgrace de Constance: l'histoire n'en dit pas la cause. Il fut dépouillé de sa dignité et mourut, dit-on, de désespoir et de crainte, tremblant sans cesse, et attendant à chaque moment son arrêt de mort.

LIX. Concile d'Arles.

Ath. apol. 1; de fuga, t. 1, p. 322.

Hilar. fragm. p. 1331.

Sulp. Sev. l. 2, c. 52 et 55.

[Socr. l. 2, c. 29.

Soz. l. 4, c. 5.]

Baronius.

Hermant, vie de S. Ath. l. 6, c. 27, 28, et 29.

Fleury, Hist. eccl. l. 13, c. 10.

Till. Arian. art. 49, 50.

Pendant que Magnence passait les Alpes pour entrer en Pannonie, Constance tenait à Sirmium un concile où Photinus nouvel hérésiarque fut condamné et déposé. Mais les plus grands efforts des Ariens portaient contre Athanase; ils ne le perdaient jamais de vue. Ils obtinrent de l'empereur un édit de bannissement contre tous ceux qui ne souscriraient pas à la condamnation de l'évêque d'Alexandrie. Le pape Jules mourut le 12 avril 352, après avoir tenu le saint siége un peu plus de quinze ans. Libérius lui succéda. Il sollicita l'empereur d'assembler un concile à Aquilée, pour examiner la question de la foi, et l'affaire d'Athanase. Constance, qui depuis la mort de Magnence séjournait dans la ville d'Arles, s'offensa de cette demande. Il écrivit au peuple romain une lettre pleine d'invectives atroces contre Libérius, et fit assembler dans Arles un concile, où les évêques ariens qui suivaient la cour, se trouvèrent les plus forts. Vincent légat du pape, intimidé par l'empereur et par les Ariens, consentit à abandonner Athanase, pourvu qu'on voulût aussi condamner la doctrine d'Arius. Les Ariens rejetèrent la condition, et ce vénérable vieillard, qui avait assisté au concile de Nicée et à tant de jugements rendus depuis en faveur du saint évêque, déshonora ses cheveux blancs en souscrivant à une injuste condamnation. Les menaces et les mauvais traitements de l'empereur firent succomber avec lui plusieurs évêques d'Occident: les autres demeurèrent fermes. Paulinus évêque de Trèves fut exilé en Phrygie où il mourut. Vincent se releva bientôt de sa chute. Libérius désavoua par plusieurs lettres la souscription de son légat; il demanda de nouveau un concile, et il obtint qu'il serait convoqué à Milan l'année suivante.

LX. Fourberies des Ariens.

Lorsque la cour fut établie à Milan, les Ariens contrefirent des lettres, par lesquelles Athanase demandait à l'empereur la permission de venir en Italie. Constance y fut trompé; il envoya à l'évêque son consentement par un officier du palais, nommé Montanus. Le dessein des Ariens était de faire sortir Athanase de son église, dont ils voulaient se rendre maîtres; ou d'irriter l'empereur, si le prélat, refusait de venir, en le dépeignant comme un insolent qui se jouait de la majesté impériale, ou comme un ennemi caché qui n'avait changé d'avis que par une défiance injurieuse au prince. Athanase sentit l'artifice; et comme les lettres de Constance ne portaient pas un ordre, mais une permission, il resta dans son église, protestant qu'il n'avait rien demandé, et que cependant il était prêt à partir au premier ordre de l'empereur. Il envoya cette réponse par des députés, dont les raisons furent moins écoutées que les mensonges des Ariens.

LXI. Concile de Milan.

Ath. ad monach. t. 1, p. 363, et apol. 1, de fug. p. 322.

Ruf. l. 10, c. 20.

Socr. l. 2, c. 36.

Theod. l. 2, c. 15.

Soz. l. 4, c. 9.

Sulp. Sev. l. 2, c. 55.

Hermant, vie de S. Ath. l. 7, c. 1 et suiv.

Till. vie d'Eusèbe de Verc. art. 8, 9, et vie de S. Hilaire, art. 5 et Arian. art. 51.

Au commencement de l'année 355, le concile s'assembla à Milan. Il s'y rendit peu d'évêques orientaux; mais ceux de l'Occident s'y trouvèrent au nombre de plus de trois cents. L'empereur y présida: toute liberté fut accordée aux sectateurs d'Arius; nulle aux catholiques. Le pape y envoya trois députés, dont le premier et le plus célèbre était Lucifer, évêque de Cagliari en Sardaigne[66]. Le concile se tint d'abord dans l'église. Il s'agissait de deux points, que chaque parti s'efforçait d'emporter: les Ariens voulaient qu'Athanase fût condamné, les catholiques demandaient la condamnation de la doctrine d'Arius; et à cette condition quelques-uns se relâchaient jusqu'à sacrifier Athanase. Comme le peuple favorisait les catholiques, Constance, pour se rendre maître du concile, le transféra dans le palais. Là ce prince, faisant l'inspiré, déclara que son dessein était de rétablir la paix dans ses états; que Dieu lui-même l'avait instruit en songe, et que les succès dont le ciel l'avait comblé, étaient un gage infaillible de la pureté de sa foi. En conséquence, il proposait un formulaire rempli du venin de l'arianisme. Les catholiques, et surtout les députés du saint siége s'y opposèrent avec force; et dans un lieu où l'empereur n'était séparé d'eux que par un rideau, ils s'échappèrent jusqu'à le nommer hérétique, et précurseur de l'Ante-christ. On peut juger de la colère de Constance; il les traite d'insolents; il s'écrie que si c'est sa volonté d'être arien, ce n'est pas à eux de l'en empêcher: il s'adoucit cependant jusqu'à en venir aux prières. Comme elles étaient inutiles, les évêques ariens voulant sonder la disposition du peuple, firent lire publiquement le formulaire dans l'église; il fut rejeté avec horreur. Alors Constance, ne ménageant plus rien, prend ouvertement le parti des Ariens; il dépose le personnage de juge qu'il avait prétendu faire jusqu'alors; il seconde les accusateurs, il impose silence aux défenseurs d'Athanase; et sur ce que les orthodoxes objectaient qu'on ne devait plus écouter Ursacius et Valens, depuis qu'ils avaient eux-mêmes démenti leur accusation, il se lève brusquement et s'écrie: C'est moi qui suis accusateur d'Athanase; croyez ceux-ci comme moi-même. En vain on lui représente qu'Athanase est absent; qu'il faut l'entendre; que cette nouvelle forme de jugement est contraire aux canons: Eh bien, dit-il, ce que je veux, ce sont là les canons: les évêques de Syrie m'obéissent quand je leur parle; obéissez, ou vous serez exilés. Ces évêques levant tous les mains au ciel, l'avertissent que l'autorité souveraine n'est qu'un dépôt entre ses mains; ils le conjurent de ne pas violer les règles de l'église, et de ne pas confondre le pouvoir spirituel avec la puissance temporelle. Offensé de ces remontrances, il les interrompt avec menaces; il s'emporte jusqu'à tirer l'épée; il ordonne qu'on les mène au supplice. Ils partent pour mourir, sans demander grace; mais il les rappelle aussitôt, et il prononce la sentence d'exil contre Lucifer, Eusèbe de Verceil et Denys de Milan: il déclare qu'Athanase mérite d'être puni, et que les églises d'Alexandrie doivent être livrées à ses adversaires. Ursacius et Valens joints aux eunuques font battre de verges le diacre Hilaire, l'un des légats du saint siége. Quelques évêques intimidés, croyant procurer la paix à l'église, consentent à la condamnation d'Athanase: cette lâche complaisance fut aussi inutile qu'elle était injuste: les Ariens exigeaient encore qu'on se joignît de communion avec eux.

[66] Les deux autres étaient le prêtre Pancratius, appelé Eutrope par saint Athanase (ad monach., t. 1, p. 314), et Hilaire, diacre de Rome.—S.-M.

LXII. Exil des évêques catholiques.

Après la séance, Eusèbe grand-chambellan entre à main armée dans l'église de Milan. Il frappe le peuple à coups d'épées; il fait enlever jusque dans le sanctuaire près de cent cinquante personnes, évêques, ecclésiastiques, laïcs. On les enferme dans les thermes de Maximien. Le lendemain on traîne Denys au palais. Comme il y demeurait long-temps, tous les habitants, hommes et femmes, y accourent en foule; ils demandent à grands cris qu'on chasse les Ariens, et qu'on leur rende leur évêque. Denys se montre et les apaise. Il va à l'église célébrer les saints mystères: comme il en sortait, on l'enlève, on l'enferme, et la nuit suivante on le fait partir avec Lucifer et Eusèbe. Ces prélats secouant la poussière de leurs pieds s'en vont au lieu de leur exil, comme à un poste que la Providence leur assignait. Ils y souffrirent tous les mauvais traitements dont leurs ennemis purent s'aviser. Denys y perdit la vie. Dès qu'il fut sorti de Milan, l'empereur plaça sur son siége Auxentius, à peine chrétien, qu'il avait fait venir de Cappadoce, et qui n'entendait pas même la langue de son nouveau diocèse; il avait été ordonné prêtre par Grégoire faux évêque d'Alexandrie. Un autre évêque aussi méchant qu'Auxentius, mais encore plus hardi et plus violent, se signala dans ce concile, et servit en zélé courtisan la passion du prince. C'était Epictète, fort jeune, très-ignorant, baptisé depuis peu, et déja évêque de Centumcellæ en Italie, aujourd'hui Civita Vecchia. Il était Grec et étranger dans son diocèse; mais il connaissait la cour, et c'en était assez. On choisit les villes de l'Orient, dont les églises étaient gouvernées par les plus furieux ariens, pour y reléguer les prélats catholiques. On les séparait pour les affaiblir; mais cette dispersion ne servit qu'à répandre plus au loin la foi de Nicée, et la honte de l'hérésie.

LXIII. Liberté des évêques contre Constance.

Hilar. ad Const. p. 1217-1224.

Pagi, ad Baron.

Horn. ad Sulp. Sev. l. 2, c. 55.

Till. vie de Lucif. art. 2.

Ath. ad Lucif. t. 1, p. 965.

Hier. vir. illust. c. 95. t. 2, p. 915. Baronius.

Les emportements pleins d'indécence, auxquels Constance s'abandonna dans ce concile, le rendirent tout-à-fait méprisable. On oublia ce qu'on devait à l'empereur, après qu'il eut oublié ce qu'il se devait à lui-même; et quoique les divins oracles ne recommandent pas moins le respect pour les souverains que le zèle pour la vérité, cependant les prélats les plus saints, et dont la mémoire sera à jamais en vénération dans l'église, ne virent plus en l'empereur que la personne de Constance, c'est-à-dire, l'égarement, l'injustice et la faiblesse. C'est sans doute à ce sentiment qu'il faut attribuer l'extrême liberté avec laquelle saint Hilaire de Poitiers invectiva quelque temps après contre l'empereur dans un écrit qu'il lui adressa à lui-même. On croit à la vérité que cette requête composée du vivant de Constance, ne fut publiée qu'après sa mort. La hardiesse de Lucifer est moins étonnante: c'était un homme dur, chagrin, incapable de ménagement. Pendant son exil il envoya au prince cinq livres remplis des reproches les plus atroces, et il trouva un homme assez hardi pour les présenter de sa part à l'empereur. Constance inégal et bizarre se piquait quelquefois d'une patience philosophique: on rapporte qu'un de ses courtisans qui voulait exciter sa colère, lui ayant dit un jour: Rien n'est plus doux que l'abeille; vous voyez cependant qu'elle n'épargne pas ceux qui viennent piller ses rayons; ce prince lui répliqua: Mais vous voyez aussi qu'il lui en coûte la vie pour un coup d'aiguillon. Il se trouva dans cette heureuse disposition à l'égard de Lucifer. Il chargea Florentius, grand-maître du palais, de savoir du prélat même, s'il était l'auteur de ces écrits. Lucifer avoua l'ouvrage, le renvoya avec un sixième livre encore plus outrageant, et protesta qu'il était prêt à mourir avec joie. L'empereur se contenta de le reléguer en Thébaïde. Le schisme auquel Lucifer se porta dans la suite par un effet de son caractère inflexible, nous dispense de chercher à le justifier. Mais ce qui est embarrassant, c'est que saint Athanase, qui était en ce temps-là le modèle de la vertu, ainsi que le défenseur de la foi chrétienne, approuve ces livres audacieux, qu'il en loue l'auteur comme un homme embrasé de l'esprit de Dieu, et que dans sa lettre aux solitaires il n'épargne pas lui-même l'empereur. Nous pardonnera-t-on de dire ici, avec le respect dû à la mémoire de ces saints prélats, que l'humanité, même dans sa plus grande perfection, manque quelquefois de justesse pour concilier des devoirs qui semblent se combattre, ou d'étendue pour les embrasser tous; et que les grands saints, pour être des héros, ne cessent pas d'être des hommes?

LXIV. Exil de Libérius.

Ath. ad monach. t. 1, p. 364-368.

Amm. l. 15, c. 7.

Hier. chron. Theod. l. 2, c. 16, 17.

[Socr. l. 2, c. 37.]

Soz. l. 4, c. 11.

Theoph. p. 33.

Pagi, in Baron.

Hermant, vie de S. Ath. l. 7, c. 10, 11, et 12.

L'empereur désirait ardemment que la condamnation d'Athanase fût confirmée par l'évêque de Rome, dont le suffrage est d'un plus grand poids que celui des autres évêques[67], dit un auteur païen de ce temps-là. Il envoie donc à Libérius son chambellan Eusèbe, qui portait à la fois des présents et des menaces. Les présents ne purent éblouir le pontife; il tint ferme contre les menaces, protestant qu'il ne déshonorerait pas l'église romaine en condamnant celui qu'elle avait reconnu innocent. L'eunuque, rebuté, va déposer les présents de l'empereur dans l'église de Saint-Pierre. Le pape vient à l'église, et fait jeter dehors cette offrande, comme le prix d'une trahison impie. Eusèbe de retour irrite les autres eunuques, et tous se réunissent pour aigrir l'esprit de l'empereur. Constance envoie ordre à Léontius préfet de Rome de surprendre Libérius, ou de s'en saisir par force, et de le faire conduire à Milan. La commission était dangereuse; la vertu du pontife lui attachait tous les cœurs. L'alarme se répand dans la ville. En vain Léontius met en œuvre les promesses, les menaces, la persécution même pour détacher le troupeau des intérêts de son pasteur. La maison de Libérius était doublement gardée; les soldats en défendaient l'entrée; le peuple fermait toutes les issues. Enfin pendant toute une nuit on vint à bout de tromper la vigilance du peuple. Libérius fut enlevé et transporté à Milan. Constance fit de vains efforts pour l'ébranler: le pontife dans une conférence fort pressante sut mieux que l'empereur soutenir sa dignité; il lui ferma la bouche par la sagesse de ses réponses: et comme le prince lui donnait trois jours pour décider entre le séjour de Rome et l'exil: J'ai déja dit adieu à mes frères de Rome, répondit-il; trois jours non plus que trois mois ne changeront rien à ma résolution: envoyez-moi tout à l'heure où il vous plaira. Il fut exilé à Bérhée en Thrace, dont l'Arien Démophile était évêque. Comme il était sur le point de partir, Constance lui fit porter cinq cents pièces d'or pour aider à sa subsistance: Reportez cet argent à l'empereur, dit-il; il lui est nécessaire pour payer ses soldats. L'impératrice Eusébia lui envoya la même somme; il la refusa encore en disant: Qu'on donne cet argent à Auxentius et à Epictète; ils en ont besoin. Enfin l'eunuque Eusèbe osa lui en offrir: Tu as pillé les églises, lui dit Libérius, et tu m'offres une aumône comme à un criminel! va, avant que de faire des présents aux chrétiens, deviens chrétien toi-même. Tout le clergé de Rome jura en présence du peuple de ne point recevoir d'autre évêque, tant que Libérius vivrait. Cependant Félix diacre de l'église romaine, élu par la faction des Ariens, osa accepter cette dignité. Le peuple ayant fermé toutes les églises, l'ordination fut célébrée dans le palais par trois évêques ariens, sans autres témoins que les eunuques. L'intrusion de Félix causa une sanglante émeute; plusieurs y perdirent la vie. Le peuple refusa toujours de reconnaître le nouveau pontife: mais un assez grand nombre d'ecclésiastiques, quoiqu'ils fussent liés par leur serment, ne montrèrent pas la même constance. Selon la plupart des auteurs, Félix conserva la foi de Nicée; ils ne lui reprochent que son élection et sa condescendance pour les Ariens dont il ne se sépara pas de communion. Quelques-uns même ont prétendu qu'il fut élu de l'avis de Libérius par les prêtres catholiques, et qu'il doit être compté entre les papes légitimes.

[67] Tamen auctoritate quoque, qua potiores æternæ urbis episcopi. C'est ainsi que s'exprime Ammien Marcellin, et c'est une preuve assez évidente que la suprématie du siége de Rome était alors reconnue par les autres évêques.—S.-M.

FIN DU HUITIÈME LIVRE.

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