Histoire du Bas-Empire. Tome 02
LIVRE XII.
I. Julien arrive à Constantinople. II. Caractère de Julien, III. Funérailles de Constance. IV. Punition des courtisans de Constance. V. Réforme du palais. VI. Rétablissement de la discipline militaire. VII. Modération de Julien. VIII. Il soulage les provinces. IX. Sa manière de rendre la justice. X. Il donne audience aux ambassadeurs. XI. Nouveaux consuls. XII. Occupations de Julien à Constantinople. XIII. Il ajoute à Constantinople de nouveaux embellissements. XIV. Requête de plusieurs Égyptiens rejetée. XV. Ambassades des nations étrangères. XVI. Julien environné de sophistes. XVII. Plan de Julien pour détruire la religion chrétienne. XVIII. Il travaille à rétablir le paganisme. XIX. Il veut imiter le christianisme. XX. Perfection qu'il exigeait des prêtres païens. XXI. Feinte douceur de Julien. XXII. Rappel des chrétiens exilés. XXIII. Nouveaux excès des Donatistes. XXIV. Julien défend aux chrétiens d'enseigner ni d'étudier les lettres humaines. XXV. Exécution de cet édit. XXVI. Douleur de l'église. XXVII. Conduite de Julien à l'égard des médecins. XXVIII. Il accable les chrétiens. XXIX. Il tâche de surprendre les soldats. XXX. Constance de Jovien, de Valentinien et de Valens. XXXI. Persécution dans les provinces. XXXII. Julien part de Constantinople. XXXIII. Il va à Pessinunte. XXXIV. Julien à Ancyre. XXXV. A Césarée de Cappadoce. XXXVI. Il arrive à Antioche.
JULIEN.
An 361.
I. Julien arrive à Constantinople.
Amm. l. 22, c. 2.
Liban, or. 10, t. 2, p. 289.
Mamert. pan. c. 27.
Idatius, chron.
Zos. l. 3, c. 11.
Socr. l. 3, c. 1.
Zon. l. 13, t. 2, p. 24.
La mort de Constance était un événement si imprévu et si heureux, pour le nouvel empereur, que la plupart des amis de Julien n'osaient la croire. C'était, à leur avis, une fausse nouvelle, par laquelle on voulait endormir sa vigilance, et l'attirer dans un piége. Pour vaincre leur défiance, Julien leur mit sous les yeux une prédiction plus ancienne, qui lui promettait la victoire sans tirer l'épée. Cette prétendue prophétie, qui pour des esprits raisonnables aurait eu besoin d'être confirmée par le fait, y servit de preuve. Julien, exercé depuis long-temps à prendre toutes les formes convenables aux circonstances, n'oublia pas de se faire honneur en versant quelques larmes, que ses panégyristes ont soigneusement recueillies: il recommanda qu'on rendît au corps de Constance tous les honneurs dus aux empereurs; il prit l'habit de deuil; il reçut avec un chagrin affecté les témoignages de joie de toutes ses légions, qui le saluèrent de nouveau du titre d'Auguste. Il marcha aussitôt, traversa sans obstacle le défilé de Sucques, passa par Philippopolis, et vint à Héraclée[353]. Tous les corps de troupes envoyés pour lui disputer les passages, se rangeaient sous ses enseignes; toutes les villes ouvraient leurs portes et reconnaissaient leur nouveau souverain. Les habitants de Constantinople vinrent en foule à sa rencontre. Il y entra le 11 de décembre, au milieu des acclamations du peuple, qui se mêlant parmi ses soldats le considérait avec des transports d'admiration et de tendresse. On se rappelait qu'il avait reçu dans cette ville la naissance et la première nourriture: on comparait avec sa jeunesse, avec son extérieur qui n'annonçait rien de grand, tout ce qu'avait publié de lui la renommée, tout ce qu'on voyait exécuté; tant de batailles et de victoires; la rapidité d'une marche pénible, semée de périls et d'obstacles qui n'avaient fait qu'accroître ses forces; la protection divine qui le mettait en possession de l'empire sans qu'il en coûtât une goutte de sang. Le concours de tant de circonstances extraordinaires frappait tous les esprits[354]: on formait les plus heureux présages d'un règne qui s'était annoncé par tant de merveilles.
[353] Cette ville, située sur la Propontide, actuellement mer de Marmara, était à une vingtaine de lieues à l'ouest de Constantinople. Elle avait porté antérieurement le nom de Périnthe. On trouve souvent les deux noms réunis dans les auteurs. Elle avait été long-temps la métropole de la portion de la Thrace, qui se nommait Europe. Du temps de Procope (de ædif. L. 4, c. 9), elle tenait le premier rang après Constantinople.—S.-M.
[354] Paulò ante in laceratis Galliæ provinciis lapsus, inimicorum capitalium apertis armis, et occultis insidiis petebatur; in pauculis mensibus, divino munere, Libyæ, Europæ, Asiæque regnator est. Mamert. Pan. c. 27.—S.-M.
II. Caractère de Julien.
Amm. l. 25, c. 4.
Ses officiers et ses soldats, témoins de la conduite qu'il avait tenue dans la Gaule, confirmaient ces belles espérances: ils promettaient un empereur égal aux Titus, aux Trajans, aux Antonins: ils ne cessaient de louer sa tempérance, sa justice, sa prudence et son courage: ils le représentaient sobre, chaste, vigilant, infatigable, affable sans bassesse, gardant sa dignité sans orgueil, montrant dans la plus vive jeunesse toute la maturité d'un vieillard consommé dans les affaires; plein d'équité et de douceur, même à l'égard de ses ennemis; sachant allier la sévérité du commandement avec une bonté paternelle; détaché des richesses, des plaisirs, de lui-même; ne vivant, ne respirant que dans ses sujets, dont il partageait tous les maux, pour leur communiquer tous ses biens. Ils racontaient ses combats; combien de fois l'avaient-ils vu, soldat en même temps que capitaine, tantôt attaquer l'épée à la main les plus redoutables ennemis, tantôt arrêter la fuite des siens en leur opposant sa personne, et toujours déterminer la victoire autant par ses actions que par ses ordres? Ils relevaient son habileté dans les campements, dans les siéges, dans la disposition des batailles; la force de ses paroles et plus encore de ses exemples capables d'adoucir les plus extrêmes fatigues, et d'inspirer le courage dans les plus grands périls; sa libéralité qui ne lui laissait de trésors que ceux qu'il avait placés entre les mains de ses peuples. Quel bonheur pour l'empire, où il allait répandre les mêmes biens qu'il avait procurés à la Gaule! Ces éloges étaient véritables; et il faut avouer que si l'on retranche la superstition et la bizarre affectation de philosophie, Julien César fut le modèle des empereurs les plus accomplis. Mais il paraît que tant de qualités brillantes étaient accommodées au théâtre, et quelles n'avaient pour la plupart d'autre source que la vanité et peut-être la haine qu'il portait à Constance; et je ne sais si l'on ne peut pas dire qu'il doit à ce prince presque toutes ses vertus, comme tous ses malheurs. Son antipathie pour le meurtrier de sa famille, l'éloigna de tous les vices de Constance: il n'en fallait guère davantage pour faire un grand prince. Les faits justifient ce que j'avance. Sa conduite équivoque dans la rébellion, le rend d'abord suspect: la guerre ouverte qu'il entreprit ensuite contre son empereur, démasque son infidélité et son ambition: celle qu'il déclara au christianisme montre une malice réfléchie, qui se portait à la cruauté, quand elle en pouvait éviter le reproche: enfin, son expédition contre les Perses, en lui laissant la gloire du courage, lui enlève entièrement le mérite de la prudence.
III. Funérailles de Constance.
Amm. l. 21, c. 16.
Liban. or. 10, t. 2, p. 289.
Greg. Naz. or. 4, p. 115.
Mamert. pan. c. 3 et 27.
Socr. l. 3, c. 1.
Philost. l. 6, c. 6.
Zon. l. 13, t. 2, p. 24.
Cedr. t. 1, p. 303.
Le premier soin de Julien fut de rendre à son prédécesseur les devoirs funèbres. Le corps de Constance embaumé et enfermé dans un cercueil était parti de Cilicie, suivi de toute l'armée. Jovien, capitaine des gardes, assis dans le char funèbre, représentait l'empereur. On lui adressait les honneurs qu'on avait coutume de rendre au souverain, quand il traversait les provinces. Les députés des villes se rendaient sur le passage: on lui offrait l'essai du blé déposé dans les magasins pour la subsistance des troupes; on lui présentait les animaux entretenus pour le service des postes et des voitures publiques. On remarqua après l'événement, que ces honneurs passagers avaient été en même temps pour Jovien un présage de son élévation à l'empire et celui d'une mort prochaine. Le char étant arrivé au bord du Bosphore, fut placé sur un vaisseau. Julien sans diadème, revêtu de la pourpre, mais dépouillé de tous les ornements impériaux, l'attendait sur le rivage, à la tête de ses soldats sous les armes et rangés en ordre de bataille. Il le reçut avec respect; il toucha le cercueil, et le conduisit en versant des larmes à l'église des Saints-Apôtres, où Constance fut déposé dans le tombeau de son père à côté de sa femme Eusébia. Saint Grégoire, dans le détail de cette pompe funèbre, parle de prières, de chants nocturnes et de cierges portés par les assistants, comme de choses dès lors en usage dans les funérailles des chrétiens. Mamertinus, panégyriste de Julien, et païen comme lui, donne à Constance le titre de Divus. Ce nom, consacré par le paganisme à l'apothéose des empereurs, se trouve quelquefois employé par les chrétiens mêmes. Ce n'était plus qu'un terme de respect, qui avait perdu sa signification primitive.
IV. Punition de courtisans de Constance.
Amm. l. 22, c. 3 et 7.
Jul. ep. 23, p. 389.
Liban. or. 10, t. 2, p. 298.
[Greg. Naz. or. 3, t. 1, p. 91.
Soz. l. 5, c. 10.
Theoph. p. 39.]
Cod. Th. l. 9, t. 42, leg. 5.
Till. Julien, note 5.
La faveur de ceux qui avaient abusé de la faiblesse de Constance, ne devait pas lui survivre. Julien forma une chambre de justice à Chalcédoine, établissement souvent utile après un mauvais gouvernement, mais toujours dangereux, et qui exige de la part du prince beaucoup de sagesse pour ne rien donner à la passion, de lumières pour bien choisir les juges, et de vigilance pour éclairer par lui-même leur conduite et contrôler leurs jugements. Il paraît que ces qualités manquèrent à Julien dans cette occasion. Il nomma pour président Salluste Second [Sallustius Secundus], différent de l'autre Salluste qu'il avait laissé dans la Gaule. Il ne pouvait faire un meilleur choix: c'était un homme sage et modéré qu'il venait d'élever à la dignité de préfet du prétoire d'Orient en la place d'Helpidius. Mais il lui donna pour assesseur Arbétion, qui aurait dû des premiers éprouver la sévérité de ce tribunal. Ce politique corrompu, auteur de tant de sourdes intrigues, autrefois ennemi de Gallus et de Julien même, avait déja su par sa souplesse surprendre la confiance du nouvel empereur. Il était l'ame de la commission[355]; les autres n'agissaient qu'en sous-ordre: c'étaient Mamertinus, Agilon, Névitta, Jovinus, depuis peu général de la cavalerie en Illyrie[356], et les principaux officiers des deux légions qui portaient le nom de Joviens et d'Herculiens. Ces commissaires, s'étant transportés à Chalcédoine, montrèrent plus de rigueur que de justice. Entre un assez grand nombre de coupables, ils confondirent plusieurs innocents. Les deux consuls furent les premiers sacrifiés à la haine de Julien. Florentius l'avait bien méritée: il fut condamné à mort; mais il avait pris la précaution de se sauver avec sa femme dès la première nouvelle de la mort de Constance, et il ne reparut jamais[357]. Quelque temps après, deux délateurs[358] étant venus offrir à Julien de lui découvrir le lieu où Florentius était caché, il les rebuta avec mépris, en leur disant qu'il était indigne d'un empereur de profiter de leur malice pour découvrir l'asyle d'un misérable, que la crainte de la mort punissait assez. Taurus fut exilé à Verceil [Vercellum]. On lui fit un crime d'avoir été fidèle à son maître, en quittant l'Italie lorsqu'elle s'était déclarée pour Julien. C'était la première fois qu'on voyait une sentence de condamnation datée du consulat de ceux même qui en étaient l'objet[359], et ce contraste faisait horreur. On exila Palladius dans la Grande-Bretagne, sur le simple soupçon qu'il avait envoyé à Constance des mémoires contre Gallus. Pentadius fut accusé d'avoir prêté son ministère pour faire périr Gallus: il prouva qu'il n'avait fait qu'obéir, et fut renvoyé absous. Florentius maître des offices, fils de Nigrinianus, fut relégué dans l'île de Boa[360], sur les côtes de Dalmatie. Evagrius, receveur du domaine[361]; Saturninus, qui avait été maître du palais[362], et Cyrinus, secrétaire[363] du défunt empereur, éprouvèrent le même sort: on les accusa d'avoir tenu des discours injurieux au prince régnant, et d'avoir tramé des complots contre lui après la mort de Constance: ils furent condamnés sans avoir été convaincus. La vengeance publique triompha par la punition de trois fameux scélérats: l'agent[364] Apodémius, le délateur Paul surnommé la Chaîne, et le grand-chambellan Eusèbe, cet esclave impérieux qui s'était rendu le maître de l'empereur, et le tyran de l'état, furent brûlés vifs; et l'on regretta, dit un auteur[365], de ne pouvoir leur faire subir cet horrible supplice autant de fois qu'ils l'avaient mérité. Mais la justice elle-même pleura[366] la mort d'Ursule, trésorier de l'épargne[367], envers lequel Julien se rendit coupable de la plus noire ingratitude. Lorsque Constance l'avait envoyé dans la Gaule sans argent, et sans aucun pouvoir d'en toucher, afin de lui ôter le moyen de s'attacher le cœur des soldats, Ursule avait secrètement donné ordre au trésorier[368] de la province de fournir au César toutes les sommes qu'il demanderait. Julien s'apercevant que cette mort injuste révoltait tous les esprits, prétendit s'en disculper en faisant courir le bruit, qu'il n'y avait aucune part, et qu'Ursule avait été à son insu la victime du ressentiment des soldats, qu'il avait offensés l'année précédente à l'occasion des ruines d'Amid. Il crut accréditer ce prétexte en laissant à la fille d'Ursule une partie de l'héritage de son père. Mais n'était-ce pas se démentir, que de n'en laisser qu'une partie? Les biens des autres furent confisqués; et peu de temps après, comme plusieurs personnes tâchaient par des fraudes charitables de mettre à couvert les débris de la fortune de tant de malheureux, il condamna par une loi les receleurs à la confiscation de leurs propres biens, s'ils en avaient, et à la peine capitale, s'ils étaient pauvres.
[355] Le choix de cet homme peu estimé faisait imputer à Julien un défaut de vigueur ou de lumières. Ideoque timidus videbatur, vel parùm intelligens quid conveniret, dit Ammien Marcellin, l. 22, c. 3.—S.-M.
[356] Magister equitum per Illyricum. Amm. Marc. l. 22, c. 3.—S.-M.
[357] Pendant la vie de Julien, diu delituit, dit Ammien Marcellin, l. 22, c. 3, nec redire ante mortem (Juliani) potuit.—S-.M.
[358] C'étaient deux officiers du palais, agentes in rebus.—S.-M.
[359] Elle débutait ainsi: Consulatu Tauri et Florentii, inducto sub præconibus Tauro.—S.-M.
[360] Actuellement Bua, l'une des plus petites îles de la mer Adriatique, vis-à-vis de Spalatro, en Dalmatie. C'était un lieu ordinaire d'exil pour les condamnés.—S.-M.
[361] Comes rei privatæ.—S.-M.
[362] Ex cura palatii.—S.-M.
[363] Ex notario.—S.-M.
[364] Ex agente in rebus.—S.-M.
[365] C'est Libanius qui s'exprime ainsi. Or. 10, t. 2, p. 298.—S.-M.
[366] Ursuli verò necem..... ipsa mihi videtur flesse justitia. Amm. Marc. l. 22, c. 3.—S.-M.
[367] Largitionum Comes.—S.-M.
[368] Ad eum qui Gallicanos tuebatur thesauros. Amm. Marc. l. 22, c. 3.—S.-M.
V. Réforme du palais.
Amm. l. 22, c. 4.
Liban. or. 10, t. 2, p. 292 et 293.
Mamert. pan. c. 11.
Socr. l. 3, c. 1.
Soz. l. 5, c. 5.
Zon. l. 13, t. 2, p. 24.
Vales. ad Amm. l. 22, c. 7.
Cod. Th. l. 6, tit. 27, leg. 2.
Résolu de rétablir le bon ordre dans toutes les parties de l'état, il commença par la réforme de la maison du prince. Les officiers s'y étaient multipliés à l'infini. Il y trouva mille cuisiniers, autant de barbiers, un plus grand nombre d'échansons et de maîtres d'hôtel, une multitude innombrable d'eunuques[369]. Tous les fainéants de l'empire accouraient au service du palais; et après s'être ruinés à se procurer des offices que les favoris vendaient fort cher, ils s'enrichissaient bientôt aux dépens du prince qu'ils pillaient, et de la patrie qu'ils traitaient comme un pays de conquête. Leur luxe, quelque excessif qu'il fût, trouvait des ressources inépuisables dans le trafic des emplois et des grâces, dans les usurpations, dans les injustices toujours impunies. Julien ayant demandé un barbier, fut fort étonné de voir entrer un homme superbement vêtu: C'est un barbier, dit-il, que je demandais, et non pas un sénateur[370]. Mais il fut plus surpris encore, quand, par les questions qu'il fit à ce domestique, il apprit que l'état lui fournissait tous les jours la nourriture de vingt hommes et de vingt chevaux, indépendamment des gages considérables et des gratifications qui montaient encore plus haut[371]. Un autre jour, voyant passer un des cuisiniers de Constance, habillé magnifiquement, il l'arrêta; et ayant fait paraître le sien, vêtu selon son état, il donna aux assistants à deviner qui des deux était officier de cuisine: on décida en faveur de celui de Julien qui congédia l'autre et tous ses camarades, en leur disant qu'ils perdraient à son service tous leurs talents. Il ne garda qu'un seul barbier: C'en est encore trop, disait-il, pour un homme qui laisse croître sa barbe. Il chassa tous les eunuques, dont il déclara qu'il n'avait pas besoin, puisqu'il n'avait plus de femme. Nous avons déja dit qu'il abolit cette sorte d'officiers, qu'on appelait les curieux: il réduisit à dix-sept les agents du prince, qui sous ses successeurs se multiplièrent jusqu'à dix mille. Il ne choisit pour cet emploi que des hommes incorruptibles, et il augmenta leurs priviléges. Il purgea aussi la cour d'une multitude de commis et de secrétaires, plus connus par leurs concussions que par leurs services. Ces suppressions d'offices ne pouvaient manquer d'exciter des murmures passagers: on reprochait à Julien une austérité cynique; on le blâmait de dépouiller le trône de cet éclat qui, tout emprunté qu'il est, sert à le rendre plus respectable. Mais les gens sensés trouvaient dans cette réforme plus de bien que de mal; et sans approuver ce qu'elle avait d'outré et de bizarre, ils pensaient que l'excès en ce genre est moins fâcheux pour les peuples, et moins contagieux pour les successeurs.
[369] Μαγείρους μὲν χιλίους· κουρέας δὲ οὐκ ἐλάττους, οἰνοχόους δὲ πλείους, σμήνη τραπεζοποιῶν, εὐνούχους ὑπερ τάς μυίας παρά τοῖς ποιμέσιν ἐν ᾖρι. Liban., or. 10, t. 2, p. 292.—S.-M.
[370] Ammien Marcellin, l. 22, c. 4: Ego non rationalem jussi, sed tonsorem acciri. Un rationalis était un intendant des finances. Dans Zonare, Julien s'exprime ainsi: κουρέα ζητεῖν άλλ' οὐ συγκλητίκον.—S.-M.
[371] Vicenas diurnas respondit annonas, totidemque pabula jumentorum (quæ vulgo dictitant capita), et annuum stipendium grave, absque fructuosis petitionibus multis. Ammien Marcell. l. 22, c. 4. Nous appelons rations ce que les Latins nommaient capita.—S.-M.
VI. Rétablissement de la discipline militaire.
Amm. l. 22, c. 4 et 7.
Cod. Th. l. 7, tit. 4, leg. 7, 8, et ibi God.
Le luxe qui régnait à la cour, s'était introduit dans les armées. Ce n'étaient plus ces soldats sobres et infatigables, qui couchaient tout armés sur la terre nue ou sur la paille, et dont toute la vaisselle consistait en un vase de terre: c'étaient des hommes délicats et voluptueux, corrompus par l'oisiveté, qui regardaient leurs lits comme une partie de leur équipage plus nécessaire que leurs armes, qui portaient des coupes d'argent plus pesantes que leurs épées. Leurs officiers, parvenus par l'intrigue, ne pouvaient loger que dans des palais; ils s'enrichissaient aux dépens des soldats, et les soldats aux dépens des provinces, à qui seules ils faisaient la guerre par leurs pillages, ne sachant que fuir devant l'ennemi. Plus de subordination ni d'obéissance; plus d'honneur ni de courage. Julien rétablit la discipline: il ne mit en place que des officiers éprouvés par de longs services: il prit soin que les soldats ne manquassent ni de bonnes armes, ni d'habillements, ni de paie, ni de nourriture; mais il retrancha sévèrement tout ce qui tendait au luxe. Il leur fit reprendre l'habitude du travail: une de ses lois ordonne que le fourrage, qui est fourni par les provinces, ne sera apporté que jusqu'à vingt milles du camp, ou du lieu dans lequel les soldats font leur séjour, et qu'ils seront obligés de l'aller chercher à cette distance: c'était la marche ordinaire d'une journée.
VII. Modération de Julien.
Jul. misop. p. 343, 365, et 367.
Liban. or. 4, t. 2, p. 161 et 162.
Mamert. pan. c. 27, Eunap. excerpt. hist. Byz. p. 17 et 18.
Cod. Th. l. 12, tit. 13, leg. 1, et ibi God.
L'exemple du prince était une loi de frugalité et de tempérance. La puissance souveraine ne changea rien dans les mœurs de Julien, non plus que dans sa dépense personnelle. Modeste sur le trône, comme il l'avait été dans l'oppression, il rejeta le titre de seigneur, que l'usage avait attaché aux empereurs: c'était l'offenser que de l'appeler de ce nom. Nulle recherche dans ses habits. La pourpre impériale était d'une teinture distinguée et beaucoup plus éclatante; il se contenta de la plus commune. Il voulut même plusieurs fois quitter le diadème, et ne le retint que par bienséance. Selon une ancienne coutume, les provinces envoyaient par leurs députés des couronnes d'or à l'empereur, soit lorsqu'il parvenait à l'empire, soit à l'occasion d'un événement heureux, ou pour le remercier d'un bienfait; et cet usage était devenu une obligation[372]. Les bons princes en avaient quelquefois dispensé; les autres exigeaient ce présent comme un droit de la souveraineté. Les préfets du prétoire imposaient à cet effet une taxe arbitraire, sans en exempter ceux mêmes qui étaient privilégiés à l'égard des autres contributions. L'avarice des empereurs et la flatterie des préfets avaient fait monter ces couronnes à un prix excessif; il y en avait de mille onces, quelquefois de deux mille. Julien rendit à ce présent sa liberté primitive, et par conséquent son mérite: il voulut qu'il fût purement volontaire; il défendit même d'excéder dans ces couronnes le poids de soixante-dix onces. C'était, à son avis, dénaturer un hommage que de le tourner en profit; et tout ce que saisissait l'avarice était perdu pour l'honneur.
[372] Julien se plaint dans son Misopogon de ce que les habitants d'Antioche avaient été les derniers à lui envoyer des députés, et de ce qu'ils avaient été prévenus par les Alexandrins, bien plus éloignés qu'eux.—S.-M.
VIII. Il soulage les provinces.
Amm. l. 25, c. 4.
Mamert. pan. c. 25.
Liban. or. 4, t. 2, p. 161. et or. 10, p. 306.
Jul. misop. p. 365, epist. 47, p. 428.
Eutr. l. 10.
[Greg. Naz. or. 3, t. 1, p. 80.]
Ambros. or. de obitu Valent. t. 2, p. 1173.
Cod. Th. l. 5, t. 12, leg. unic. L. 8, tit. 1, leg. 6, 7, 8; tit. 5, l. 12, 13, 14, 15, 16; l. 10, tit. 3, leg. 1. L. 11, tit. 3, leg. 3, 4; tit. 12, leg. 2; tit. 16, leg. 10; tit. 19. leg. 2; tit. 28. leg. 1. L. 12, tit. 1, leg. 50. et seq. L. 15, tit. 1, leg. 8, 9, 10, tit. 3, leg. 2.
Cod. Just. l. 11, t. 69, leg. 1 et 2.
La réforme du palais et les bornes étroites qu'il prescrivit à sa dépense, le mirent en état de soulager les provinces. Il s'attachait à n'y envoyer que des gouverneurs désintéressés et incorruptibles. Il modéra les taxes autant que le permirent les besoins de l'état; et l'on dit que dans le cours de son expédition en Perse, on l'entendit plusieurs fois au milieu des plus grands périls, demander à ses Dieux la grâce de terminer promptement la guerre, afin de pouvoir réduire les tributs. Il défendit aux préfets de rien imposer de nouveau, ni de rien relâcher des impositions ordinaires, sans un ordre exprès de sa part. Tous ceux qui jouissaient du revenu actuel des terres, sans en excepter ceux qui possédaient les fonds patrimoniaux du prince cédés à des particuliers, payaient leur part des tailles. Ce n'était pas pour l'intérêt de son trésor, c'était pour celui des peuples, qu'il se rendait difficile sur les exemptions et sur les remises: il ne croyait pas que les princes fussent en droit de faire payer par leurs sujets leurs faveurs particulières; et comme les priviléges retombaient à la charge du public, il pensait qu'ils n'étaient dus qu'à ceux auxquels le public était redevable. En ce cas, il donnait à ces priviléges toute l'étendue qu'ils pouvaient avoir sans restriction ni épargne; aimant mieux, disait-il, accorder le bienfait tout entier, que de l'affaiblir en le divisant et en le faisant demander à diverses reprises. Mais si la faveur ne procurait jamais de remises, la nécessité les obtenait aisément: ce fut par ce motif qu'il en fit de considérables aux Africains, aux Thraces, à la ville d'Antioche. Il fit éclairer de près la conduite des officiers des rôles, qui, étant chargés de répartir les tributs et les fonctions onéreuses, pouvaient commettre beaucoup d'injustices. Les bienfaits mêmes du souverain avaient été auparavant à charge aux provinces, par les présents qu'il fallait prodiguer aux porteurs des ordonnances. Ceux-ci, loin de rien exiger sous le règne de Julien, n'osaient même rien accepter, persuadés que ces gratifications illicites ne pouvaient ni échapper à sa vigilance, ni se déguiser sous aucun titre. Il rétablit l'ancien usage pour la réparation et l'entretien des chemins publics; chaque propriétaire était tenu d'en faire la dépense à proportion de l'étendue de ses possessions. Le mauvais état des postes que Constance avait ruinées, causait un grand dommage aux provinces obligées de les entretenir; Julien ne négligea pas cette partie: il réforma dans le plus grand détail tous les abus qui s'y étaient introduits. On voit, par plusieurs de ses lois, qu'il n'eut rien plus à cœur que de rétablir les finances des villes, et de leur rendre leur ancienne splendeur. Il encouragea l'ordre municipal par des exemptions modérées; il y rappela ceux qui tâchaient de s'y soustraire; il y fit entrer des gens qui jusqu'alors n'y avaient pas été engagés. Les deux empereurs précédents avaient concédé ou laissé envahir des terres, des édifices, des places qui appartenaient aux communes des villes: Julien ordonna que ces terres seraient restituées et affermées, et que le revenu en serait appliqué aux réparations des ouvrages publics; que les édifices, dont on avait changé l'usage, seraient rendus à leur ancienne destination: il accorda cependant que les bâtiments élevés par des particuliers sur un terrain public, leur demeurassent à condition d'une redevance. On croit que ces dernières lois attaquaient principalement les chrétiens, auxquels Constantin et Constance avaient accordé des fonds, des temples, et d'autres édifices pour les églises et pour l'entretien du culte et des ministres de la religion. Il paraît encore qu'il en voulait au christianisme en établissant dans une de ses lois un principe d'ailleurs très-sensé et avoué des chrétiens eux-mêmes: C'est que les siècles précédents sont l'école de la postérité, et qu'il faut s'en tenir aux lois et aux coutumes anciennes, à moins qu'une grande utilité publique n'oblige d'y déroger. C'était le langage de Julien et des autres païens de son temps, d'accuser de nouveauté la religion chrétienne, dont ils voulaient ignorer l'ancienneté.
IX. Sa manière de rendre la justice.
Amm. l. 22, c. 10, et l. 25, c. 4.
Liban. or. 10, t. 2, p. 304.
Greg. Naz. or. 4, t. 1, p. 120.
Suidas.
Cod. Th. l. 1, tit. 7, quædam, L. 11. tit. 30. leg. 29, 30, 51.
Il aimait à rendre la justice, il se piquait d'en suivre scrupuleusement les règles dans sa conduite, et ne s'en écartait jamais dans les jugements, si ce n'est à l'égard des chrétiens. Sévère sans être cruel, il usait plus souvent de menaces que de punitions. Très-instruit des lois et des usages, il balançait sans aucune faveur le droit des parties. Le premier de ses officiers n'avait nul avantage sur le dernier de ses sujets. Il abrégeait la longueur des procédures, et les regardait comme une fièvre lente qui mine et consume le bon droit. Dès que l'injustice lui était dénoncée, il s'en croyait chargé tant qu'il la laisserait subsister. Nous avons de lui plusieurs lois claires et précises, qui ont pour but d'accélérer les jugements, de faciliter les appels et d'en rendre l'expédition plus prompte. L'iniquité murmurait de la dureté d'un gouvernement où elle ne pouvait espérer l'impunité, ni même une longue jouissance; et ce qui achevait de la désoler, c'est que l'opprimé trouvait auprès de Julien l'accès le plus facile. Comme il paraissait souvent en public pour des fêtes et pour des sacrifices, rien n'était si aisé que de l'aborder; il était toujours prêt à recevoir les requêtes et à écouter les plaintes. Il laissait toute liberté aux avocats, et il ne tenait qu'à eux d'épargner la flatterie; mais le règne précédent les y avait trop accoutumés. Un jour qu'ils applaudissaient avec une sorte d'enthousiasme à une sentence qu'il venait de prononcer: Je serais, dit-il, flatté de ces éloges, si je croyais que ceux qui me les adressent osassent me censurer en face dans le cas où j'aurais jugé le contraire. On le blâme cependant d'avoir quelquefois interrompu l'audience par des questions hors de saison; pour demander, par exemple, de quelle religion étaient les plaideurs: s'il en faut croire Ammien Marcellin, ce n'était qu'une curiosité déplacée[373]; ni le motif de la religion, ni aucune autre considération étrangère à la justice, n'influait sur ses jugements; mais il est démenti en ce point par tous les historiens ecclésiastiques. Ce qui l'entretenait dans cet esprit de droiture, ajoute le même auteur, c'est que connaissant sa légèreté naturelle[374], il permettait à ses conseillers de le rappeler de ses écarts, et les remerciait de leurs avis. Saint Grégoire de Nazianze nous donne cependant des idées bien différentes: il reproche à Julien, comme un fait connu de tout l'empire, que dans ses audiences publiques il criait, il s'agitait avec violence, comme s'il eût été l'offensé; et que quand des gens grossiers s'approchaient de lui pour lui présenter une requête, il les recevait à coups de poings et à coups de pieds, et les renvoyait sans autre réponse. Je serais tenté de croire que ceux que Julien rebutait ainsi, étaient des délateurs; et que l'indignation publique contre ces misérables excusait ces emportements, quelque indécents qu'ils fussent dans la personne d'un prince. Mais comment accorder les idées avantageuses que les auteurs païens nous donnent de Julien, avec le portrait affreux qu'en ont fait des écrivains qu'on ne peut sans témérité soupçonner de mensonge? Je pense que l'unique moyen de concilier des témoignages si opposés, c'est de dire que la haine dont ce prince était animé contre le christianisme, le faisait sortir de la route qu'il s'était tracée; qu'étant par choix déterminé à la douceur et à la justice, il devenait par passion à l'égard des chrétiens, inhumain, injuste, ravisseur.
[373] Et quamquam in disceptando aliquoties erat intempestivus, quid quisque jurgantium coleret, tempore alieno interrogans: tamen nulla ejus definitio litis à vero dissonans reperitur: nec argui umquam potuit ob religionem vel quodcumque aliud, ab æquitatis recto tramite deviasse. Amm. Marc. l. 22, c. 10.—S.-M.
[374] Levitatem agnoscens commotioris ingenii sui, præfectis proximisque permittebat, ut fidenter impetus suos aliorsùs tendentes, ad quæ decebat monitu opportuno frenarent. Amm. Marc. l. 22, c. 10.—S.-M.
X. Il donne audience aux ambassadeurs.
Amm. l. 22, c. 7.
Liban. or. 8. t. 2, p. 245.
Zon. l. 13, t. 2, p. 24.
Après avoir tracé ce plan général du gouvernement de Julien, nous allons entrer dans le détail des événements de son règne. Il trouva à Constantinople plusieurs ambassadeurs que les nations étrangères avaient envoyés à Constance. Il leur donna audience et les congédia honorablement, à l'exception des Goths qui contestaient sur les termes du traité fait avec eux. Julien les renvoya en les menaçant de la guerre. Plusieurs de ses officiers lui conseillaient d'effectuer cette menace: il répondit qu'il cherchait des ennemis plus redoutables, et que les pirates de Galatie[375] suffiraient pour lui faire raison de la perfidie de cette nation. Ces corsaires courant alors les côtes du Pont-Euxin enlevaient les Goths et les allaient vendre comme esclaves. Il se contenta de réparer les fortifications des villes de Thrace, et de poster des corps de troupes le long des bords du Danube.
[375] Lebeau se trompe en disant que les Galates couraient les côtes de l'Euxin pour y faire des esclaves. La Galatie, située au centre de l'Asie-Mineure, n'avait point de port; et quand même elle eût été dans une position maritime, il est difficile de croire que les principes de gouvernement admis par l'administration romaine eussent toléré de telles entreprises. Il n'était pas nécessaire que les Galates fussent pirates pour faire le commerce d'esclaves; cette sorte de trafic a toujours eu lieu dans les régions limitrophes de la mer Noire. Il est encore en usage parmi les nations du Caucase. Il suffisait que les Galates se rendissent dans les villes où se vendaient des esclaves, qu'ils plaçaient ensuite dans l'empire. Les choses se passaient ainsi. Ammien Marcellin, le seul auteur qui ait fait mention de la réponse de Julien rapportée dans le texte de Lebeau, ne parle que de marchands et non de pirates Galates. Illis sufficere, dit-il, mercatores Galatas, per quos ubique sine conditionis discrimine venumdantur. Amm. Marc. l. 22, c. 7. Il est clair que les Galates faisaient métier de marchands d'esclaves; ce qui est encore attesté par ce vers de Claudien (l. I. contr. Eutrop. v. 59):
Hinc fora venalis Galata ductore frequentat.—S.-M.
An 362.
XI. Nouveaux consuls.
Amm. l. 22, c. 7, et ibi Vales.
Idat. chron. Mamert. pan. c. 15, 17, 19, 28, 29 et 30.
Dans la cour de Constance le consulat avait été le prix de l'intrigue. Il fallait l'acheter par des bassesses et par des sommes d'argent prodiguées aux favoris, aux femmes, aux eunuques. Sous Julien cette magistrature, plus importante par son ancien éclat que par ses fonctions actuelles, recouvra son premier lustre. Mamertinus et Névitta, désignés consuls depuis deux mois, n'étaient peut-être pas les plus dignes de cet honneur, mais du moins ils n'en furent redevables qu'au choix de leur maître. Julien toujours excessif compromit sa propre dignité pour honorer celles des consuls. Le jour que ces magistrats entraient en charge, le prince avait coutume de les accompagner au sénat. Le premier de janvier, au point du jour, Mamertinus et Névitta se rendirent au palais pour prévenir l'empereur. Dès qu'il les aperçut, il courut fort loin au-devant d'eux: il les salua, les embrassa, fit entrer leur litière jusque dans ses appartements, leur demanda l'ordre pour partir; et comme ils refusaient de s'asseoir sur leurs chaises curules pendant que l'empereur restait debout, il les y plaça de ses propres mains, et marcha devant eux à pied et confondu dans la foule du cortége. Le peuple suivait avec de grandes acclamations. Mamertinus distingué par son éloquence rendit sur-le-champ à la vanité de l'empereur, ce que l'empereur venait de prêter à la sienne: il prononça en sa présence son panégyrique. Nous avons encore cette pièce pleine de flatterie, mais spirituelle et fort élégante. Julien était bien peu philosophe, si ces éloges outrés se trouvaient être de son goût; et quelque ressentiment qu'il conservât des injustices de Constance, les traits satiriques lancés sans ménagement contre ce prince devaient au moins par leur indécence révolter le successeur. Deux jours après, Mamertinus donnant les jeux du cirque, on fit venir plusieurs esclaves qui devaient recevoir la liberté. Julien, peu instruit de cette coutume, se mettait déja en devoir de les affranchir; mais averti que cette fonction ne lui appartenait pas en cette occasion, il se condamna lui-même à une amende de dix livres d'or, pour avoir entrepris sur la juridiction des consuls.
XII. Occupations de Julien à Constantinople.
Amm. l. 22, c. 7, 9 et ibi Vales.
Liban. or. 10, t. 2, p. 298 et 299.
Jul. ep. 11, p. 380.
Mamert. pan. c. 24.
Socr. l. 3, c. 1.
Cod. Th. l. 9, tit. 2, leg. 1; L. 11, tit. 23. leg. 2.
Grut. inscr. p. 1102, n. 2.
Pendant six mois qu'il resta à Constantinople, il assista fréquemment aux assemblées du sénat. L'usage de Constance avait été de mander au palais les sénateurs, qui se tenaient debout, tandis qu'il leur donnait ses ordres en peu de mots. Mais Julien, jaloux de la réputation d'éloquence, et qui estimait ses discours autant que ses victoires, passait les nuits à composer des harangues; il allait ensuite les débiter aux sénateurs qu'il faisait asseoir avec lui: c'étaient des éloges, des censures, des avertissements. Il assistait au jugement des procès. Un jour pendant qu'il haranguait, on vint l'avertir que le philosophe Maxime arrivait d'Ionie. Aussitôt oubliant et les sénateurs, et ce qu'il était lui-même, il descend brusquement de son siége, court au-devant de Maxime, l'embrasse avec empressement, l'introduit dans l'assemblée; et après avoir raconté avec beaucoup de vivacité quelles obligations il avait à Maxime, en quel état ce grand homme l'avait trouvé, à quel degré de perfection ses leçons l'avaient conduit, il sort avec lui, le tenant toujours par la main. Une scène si bizarre inspirait aux uns du respect pour Maxime, aux autres du mépris pour Julien; mais tous se conformaient au caractère et au goût du prince: et comme il affectait de se nommer sénateur de Byzance, par une sorte d'échange, les sénateurs prenaient un extérieur philosophique. Julien augmenta leurs priviléges. Prétextatus[376], un des plus distingués du sénat de Rome, qui avait été gouverneur de Toscane, d'Ombrie, de Lusitanie, et que Julien venait de faire proconsul d'Achaïe, se trouvait alors à Constantinople pour une affaire particulière. Les auteurs païens s'accordent tous à louer en lui l'intégrité, la sagesse, et une sévérité de mœurs digne de l'ancienne république. Son attachement à l'idolâtrie relevait encore aux yeux de Julien tant de belles qualités. Le prince ne faisait rien sans prendre ses conseils. Nous aurons plusieurs fois occasion de parler de ce célèbre personnage, qui ne mourut que sous le règne de Théodose.
[376] Une inscription, de l'an 387, nous apprend qu'il s'appelait Vettius Agorius Prætextatus, et nous fait connaître toutes les dignités qu'il avait obtenues.—S.-M.
XIII. Il ajoute à Constantinople de nouveaux embellissements.
Jul. ep. 58, p. 443.
Zos. l. 3, c. 11.
Ducange, in Const. Christ. l. 1, c. 19, et l. 2, c. 1 et 3.
Banduri, imp. or. t. 2, p. 593, 677, 678.
Spon, voyag. t. 1, p. 137.
La Bleterie, notes sur les lettres de Julien, p. 247.
Le séjour de l'empereur procura plusieurs embellissements à Constantinople, qu'il aimait, disait-il, comme sa mère[377]. Il fit faire ou plutôt élargir un port sur la Propontide, afin de mettre les vaisseaux à l'abri du vent du midi. Ce port s'appelait auparavant le port d'Hormisdas, à cause du palais de ce prince[378], qui en était voisin; il prit alors le nom de Julien. Justin le jeune lui donna celui de sa femme Sophie. On l'appela dans les siècles suivants le Port neuf, le Port du palais, le Bucoléon. Il est comblé aujourd'hui. En face de ce port, Julien éleva un portique semi-circulaire, qu'on appela le Sigma, et qui communiqua ce nom à un quartier voisin. Il avait amassé un grand nombre de livres: il les plaça dans une bibliothèque qu'il fit construire sous un portique de l'Augustéon. Les libraires vinrent établir leurs boutiques à l'entour; et comme la salle du Sénat était près de là, les plaideurs, les avocats, les praticiens se rassemblaient dans ce lieu, pour y traiter de leurs affaires. Les Alexandrins avaient dans leur ville un obélisque couché sur le rivage: on allait y dormir pour se procurer des songes prophétiques, et la débauche se mêlait à la superstition. Julien, pour sauver au paganisme un ridicule et un sujet de reproche, exécuta le dessein qu'avait formé Constance, de transporter cet obélisque à Constantinople. Il n'eut pas le temps de le mettre en place, s'il est vrai, comme on a lieu de le croire, que ce soit le même que Théodose fit dresser au milieu du grand Cirque[379]. Spon l'y vit encore en 1675. Il est de granit, d'une seule pièce, haut d'environ cinquante pieds: chaque face a six pieds de largeur vers la base. Julien pour dédommager les Alexandrins leur permit de dresser dans leur ville une statue colossale qui venait d'être achevée. C'était, selon l'apparence, la statue de Julien même.
[377] Natus illic, dit Ammien Marcellin (l. 22, c. 9.), diligebat eam ut genitatem patriam, et colebat.—S.-M.
[378] Frère du roi de Perse qui s'était retiré dans l'empire romain. Voyez ci-devant, liv. IV, § 1, 2 et 3; t. 1, p. 223 et suiv.—S.-M.
[379] Pour avoir de plus amples détails sur cet obélisque et sur son érection, voyez les notes qui seront ajoutées ci-après l. XXIV, § 42.—S.-M.
XIV. Requête de plusieurs Égyptiens rejetée.
Amm. l. 22, c. 6.
Liban, pro Aristoph. t. 2, p. 222 et 223.
Cod. Th. l. 2, tit. 29, leg. 1. Till. Julien, art. 11.
Il était occupé de ces soins, lorsqu'il se vit environné d'une foule importune qui demandait justice. C'étaient des Égyptiens, qui, ayant appris quelle attention le nouveau prince apportait à réformer les abus du règne précédent, étaient venus en diligence à Constantinople, pour tirer quelque avantage de cette heureuse disposition. Les Égyptiens de ce temps-là étaient intéressés, chicaneurs, toujours mécontents, toujours prêts à accuser les officiers publics de rapines et de concussions, soit pour se dispenser de payer les taxes, soit pour avoir leur part des confiscations. Ceux-ci attroupés en grand nombre obsédaient et poursuivaient partout et le prince et les préfets du prétoire: ils ne cessaient de les fatiguer de leurs plaintes. Tous ces cris se réunissaient, quoique pour des objets différents: les uns prétendaient qu'on avait exigé d'eux plus qu'ils ne devaient, les autres ce qu'ils ne devaient pas; d'autres, qu'on leur avait vendu bien cher des recommandations pour obtenir des grâces et des emplois: tous demandaient la restitution de leur argent; et ils faisaient même remonter leurs prétentions plus haut que la date de leur naissance. Julien se débarrassa de leurs importunités par une ruse peu séante à un prince. Il leur commanda par un édit de passer tous à Chalcédoine, leur promettant de s'y rendre incessamment pour les entendre et les satisfaire. Dès qu'ils eurent obéi, il défendit aux patrons des barques employées à ce trajet d'en ramener aucun à Constantinople. Ils s'ennuyèrent d'attendre, et prirent enfin le parti de retourner dans leur pays. A cette occasion, l'empereur publia une loi qui défendait de poursuivre la restitution des sommes données sous les règnes précédents pour acheter des charges ou des grâces. Ammien Marcellin applaudit à cette loi; et M. de Tillemont remarque fort sensément, qu'il aurait eu autant de raison de la louer, si elle eût ordonné tout le contraire.
XV. Ambassade des nations étrangères.
Amm. l. 22, c. 7, et ibi Vales.
Les victoires de Julien dans la Gaule avaient étendu sa renommée au-delà des bornes de l'empire. La nouvelle de la mort de Constance ne fut pas plutôt répandue, que les peuples les plus éloignés firent partir leurs ambassadeurs. On en vit arriver à Constantinople, de l'Arménie, des contrées septentrionales au-delà du Tigre[380], des Indes et de l'île de Ceylan[381], de la Mauritanie voisine du mont Atlas[382], des bords du Phasis, du Bosphore Cimmérien, et de plusieurs régions auparavant inconnues[383]. Toutes ces nations redoutant son courage se hâtèrent de lui envoyer des présents[384]; elles se soumettaient à un tribut annuel, et ne demandaient d'autre grâce que la paix et la sûreté[385]. Les Perses furent les seuls qui se dispensèrent d'envoyer des députés.
[380] Transtigritanis et Armeniis. C'est plutôt des contrées orientales que septentrionales, qu'il fallait dire au sujet des régions transtigritaines, à moins que la dernière de ces expressions ne soit relative à leur position par rapport au cours du Tigre; ces provinces étaient en effet au nord de ce fleuve, qui les embrassait en partie du côté du midi.—S.-M.
[381] Inde nationibus Indicis.... abusque Divis et Serendivis. Voyez ce que j'ai dit au sujet des Dives et des Serendives, liv. 36, § VI, t. 1, p. 438, note 7.—S.-M.
[382] Il existait encore à cette époque un grand nombre de tribus maures ou gétules, qui s'étaient conservées indépendantes de l'empire, au milieu ou au-delà du mont Atlas.—S.-M.
[383] Ab aquilone et regionibus solis per quas in mare Phasis accipitur, Bosporanis aliisque antehac ignotis legationes. Amm. Marc. l. 22, c. 7.—S.-M.
[384] Toutes ces nations étaient dans l'usage d'apporter des présents. Ammien Marcellin assure que les Indiens vinrent avant l'époque ordinaire. Indicis certatim cum donis optimates mittentibus ante tempus.—S.-M.
[385] Ut annua complentes solemnia intra terrarum genitalium terminos otiosè vivere sinerentur.—S.-M.
XVI. Julien environné de sophistes.
Jul. epist. 4, p. 375, epist. 15, p. 383 et ep. 38, p. 414.
Eunap. in Maxim. t. 1, p. 46-64, et in Chrysanth. 107-120, ed. Boiss.
Suid. in Max. et Chrysanth.
Liban. Orib.
Himer.
Basil. ep. 39, 40, 41, t. 3, p. 122-125.
Greg. Naz. or. 4, t. 1, p. 110.
Mamert. pan. c. 23, et 26.
Joann. Antioch. expert. p. 841.
Socr. l. 3, c. 1.
Till. vie de S. Basile, art. 28.
Vita Basil. edit. Benedict. c. 8.
La Bleterie, vie de Julien, l. 4, p. 218 et suiv.
Les hommages des peuples étrangers avaient de quoi satisfaire la vanité d'un souverain. Mais Julien plus philosophe qu'empereur, était bien plus flatté de voir se rassembler autour de lui un essaim de sophistes qui accouraient de toutes les provinces. Il les attirait, il mendiait, pour ainsi dire, leur amitié par ses lettres; il les recevait comme députés de ses Dieux; c'étaient ses plus intimes confidents et ses ministres; c'est aussi à leurs pernicieux conseils qu'on doit principalement attribuer les efforts qu'il fit pour détruire le christianisme. Nous avons déja exposé l'accueil dont il honora le philosophe Maxime, le maître et le chef de toute cette cabale. Julien avait une si haute opinion de son goût et de son savoir, qu'il l'avait choisi pour censeur de ses ouvrages. Cet imposteur vint à Constantinople sur les instances réitérées de l'empereur: c'est une chose plaisante que le sérieux avec lequel Eunapius, le panégyriste de tous ces prétendus sages, raconte les hommages qui furent rendus à Maxime sur toute la route par les peuples, par les sénateurs, par les magistrats mêmes; et tandis que les hommes le comblaient d'honneurs, les femmes faisaient humblement leur cour à la sienne, qui portait encore plus haut que son mari l'orgueil de la profession. La philosophie de Maxime ne tint pas contre l'air contagieux de la cour: les déférences de Julien et les adorations des courtisans altérèrent sa morale; il donna dans le luxe et devint insolent; ce qu'il eut pourtant l'adresse de cacher aux yeux de Julien. Nymphidianus, frère de Maxime, déclamateur médiocre, fut honoré de l'emploi de secrétaire pour les lettres grecques; et, selon Eunapius même, il s'en acquitta assez mal. Priscus d'Épire, Himérius de Bithynie, Libanius d'Antioche, jouèrent aussi un rôle considérable dans la cour de Julien. Mais personne n'égalait le crédit du fidèle Oribasius, médecin du prince, très-expert dans son art, et aussi habile dans la pratique des affaires. Eunapius prétend même, que Julien lui était redevable de l'empire. Ne pourrait-on pas sur cette parole d'Eunapius soupçonner Oribasius d'avoir sous main excité les troupes à donner à Julien le titre d'Auguste; et cette lettre anonyme, qui fut la première étincelle de la révolte, ne serait-elle pas de la façon d'Oribasius? Chrysanthus, un des héros de la cabale, fut plus avisé que son ami Maxime: il le laissa partir pour la cour après avoir fait quelques efforts pour le retenir. Pour lui, il résista à toutes les instances de l'empereur, qui voulut bien s'abaisser jusqu'à écrire de sa propre main à la femme de ce philosophe. Julien, rempli d'estime pour Chrysanthus, malgré ses refus, lui conféra à lui et à sa femme[386] la souveraine sacrificature de la Lydie. Le nouveau pontife fit connaître dans cet emploi qu'il devinait mieux que ses confrères, qui tous étaient d'excellents magiciens. Prévoyant que l'orage qui tombait sur les Chrétiens, ne serait pas de longue durée, il les traita avec amitié; il n'imita point ses semblables dans leur zèle à ruiner les églises, à rebâtir les temples des idoles, à tourmenter ceux qui refusaient de sacrifier: et la Lydie ne se ressentit pas des fureurs de l'idolâtrie. Il dut à cette modération la tranquillité de sa vieillesse. On dit que Julien ayant conservé beaucoup d'estime pour saint Basile, dont il avait connu le mérite dans les écoles d'Athènes, l'invita inutilement à venir se joindre à une compagnie si mal assortie au caractère de ce grand et religieux personnage. Mais il est démontré que la lettre de Julien qui fait le fondement de cette opinion, s'adressait à un autre Basile. Nous avons encore une lettre menaçante de Julien, écrite à saint Basile, et une réponse du saint remplie des reproches les plus hardis. M. de Tillemont n'ose rejeter ces deux pièces: d'autres critiques les soutiennent fausses et également indignes et du prince et du saint docteur. Saint Grégoire accuse Julien d'avoir pris plaisir à se jouer de plusieurs de ceux avec lesquels il avait autrefois contracté des liaisons dans le cours de ses études: Il les attirait, dit-il, à la cour par de belles promesses; il les caressait d'abord; il se familiarisait avec eux, et les renvoyait ensuite avec mépris. Mais ce trait pourrait bien ne tomber que sur ces amis intéressés dont parle Libanius, qui accouraient auprès de Julien avec une soif de richesses que nul bienfait ne pouvait éteindre. D'ailleurs, loin de blâmer Julien de légèreté dans ses attachements, on lui reproche plutôt de s'être piqué de constance au point de ne pas retirer son amitié à ceux mêmes qu'il en reconnaissait indignes.
[386] Elle se nommait Mélita, et était cousine du sophiste Eunapius.—S.-M.
XVII. Plan de Julien pour détruire la religion chrétienne.
Liban. or. 10, t. 2. p. 290.
Greg. Naz. or. 3, t. 1, p. 79.
Chrysost. de Sto. Babyla, contra Julianum et gentiles, t. 2, p. 575.
Tant de fanatiques sombres et austères, que l'éclat de la religion chrétienne avait obligés à se tenir long-temps cachés dans l'ombre des écoles, sortant enfin au grand jour, remplis de venin et de rage, se préparaient à se venger du silence auquel ils avaient été condamnés: ils ne méditaient que proscriptions et que supplices. Les chrétiens, de leur côté, craignaient des traitements plus rigoureux que n'en avaient éprouvé leurs pères. En effet Julien les haïssait mortellement; il avait beaucoup plus à cœur de les détruire que de vaincre les Perses; il regardait cet ouvrage comme le chef-d'œuvre de son règne. Mais plus habile que ces malheureux sophistes qui ne lui donnaient que des conseils inhumains, il préféra la séduction à la cruauté déclarée: Il pensait, dit Libanius, que ce n'est ni le fer ni le feu qui changent la croyance des hommes; que le cœur désavoue la main que la crainte force à sacrifier; et que les supplices ne produisent que des hypocrites, toujours infidèles pendant leur vie, ou des martyrs honorés après leur mort. Il faisait encore réflexion que dans l'état de force et de vigueur où se trouvait alors la religion chrétienne, c'était risquer d'ébranler tout l'empire, que d'entreprendre de la déraciner par une violence ouverte. Il dressa donc un plan tout nouveau, qui eût sans doute été plus heureux que la barbarie de Dioclétien et de Galérius, si la garde qui veille sur Israël n'eût renversé ce projet infernal, en détruisant l'auteur même par un souffle de sa bouche. Julien commença par montrer dans sa personne un zèle ardent pour le culte des dieux; il gagnait dès ce premier pas tous ceux dont la religion se conforme toujours à celle du prince. Il s'attacha à relever et à purifier le paganisme, en s'efforçant d'y transporter ce qui rendait le christianisme plus vénérable. Il affecta ensuite de traiter les chrétiens avec douceur, et de les plaindre plutôt que de les persécuter; mais en même temps il imagina mille moyens pour les diviser et les armer les uns contre les autres, pour étouffer le germe de leur foi en leur interdisant l'instruction publique, pour appesantir leur joug et pour les couvrir de ridicules et de mépris. Les tyrans qui l'avaient précédé n'avaient sévi que sur les corps; Julien attaqua les cœurs: il mit en œuvre son propre exemple, les apparences de bonté, la malice, l'ignorance, l'intérêt, l'amour-propre, ressorts plus lents mais plus efficaces que les édits et les supplices. Cependant s'il ne versait pas de ses propres mains le sang des chrétiens, il le laissait répandre par les mains des autres; et sa feinte douceur était souvent démentie par les cruautés qu'il encourageait en ne les punissant pas. Après avoir affaibli la religion chrétienne, son dessein était de l'écraser par un dernier coup: il promettait à ses dieux d'exterminer les chrétiens à son retour de la guerre des Perses. Sans entrer dans le détail de ce qui appartient proprement à l'histoire de l'église, nous allons suivre la trace d'une persécution cachée sous tant d'artifices. La comparaison de ce que firent Constantin et Julien pour établir les deux cultes opposés, peut faire connaître combien l'esprit de la véritable religion est éloigné et de la basse malignité et de la fureur sanguinaire de l'idolâtrie.
XVIII. Il travaille à rétablir le paganisme.
Jul. epist. 63, p. 452.
Greg. Naz. or. 3, t. 1, p. 70, et or. 4, p. 121.
Liban, or. 8, t. 2, p. 245, et or. 10, p. 292, et de vita, p. 41.
Eunap. in Max. t. 1, p. 52, ed. Boiss.
Mamert. pan. c. 23.
Prud. in apotheosi, v. 456.
Amm. l. 25, c. 4.
[Eckhel. Doct. num. vet. t. 8, p. 236-240.]
Acta Ruinart. p. 664.
Athan. vit. apud Phot. cod. 258.
Soz. l. 5, c. 3 et 16.
Zon. l. 13, t. 2, p. 24 et 25.
Cedren. t. 1, p. 306.
Quoique Julien fût dès sa première jeunesse idolâtre dans le cœur, et qu'il se fût ouvertement déclaré en Illyrie, il voulut cependant se consacrer à ses dieux par une abdication formelle du christianisme. Ayant fait assembler en secret les ministres de ses affreux mystères, il s'imagina effacer le caractère de son baptême en se baignant dans le sang des victimes. Se croyant ainsi régénéré, il fit bâtir de nouveaux temples, et réparer les anciens aux dépens des particuliers qui en avaient enlevé les démolitions. Partout on élevait des idoles, on dressait des autels, on égorgeait des victimes; l'air était rempli de la fumée des sacrifices. Il avait ajouté à la dignité de souverain pontife attachée à la personne des empereurs, celle de grand-prêtre d'Éleusis[387]. Il se piquait de la plus scrupuleuse exactitude dans la pratique des cérémonies. Confondu avec une troupe de sacrificateurs, on le voyait s'empresser de partager avec eux les dernières fonctions du ministère. C'était dans les entrailles des animaux immolés qu'il prétendait lire la volonté des dieux, et il ne prenait guère d'autre conseil. Son palais était devenu un temple; ses jardins étaient remplis d'autels: il sacrifiait le matin et le soir; il se relevait pendant la nuit pour honorer les génies nocturnes. Cet excès de superstition le rendait ridicule, aux païens mêmes[388], et l'on disait de lui, comme on l'avait dit autrefois de Marc-Aurèle, que s'il revenait victorieux, c'en était fait des bœufs et des génisses dans tout l'empire[389]. On vit renaître toutes les folies du paganisme; ces fêtes extravagantes appelées orgies, portaient l'ivresse et le tumulte dans les campagnes; l'astrologie, dont le prince était surtout entêté, se remit en honneur; tout se gouvernait par l'aspect des astres, par les présages. Julien croyait tout, excepté l'Évangile: il mettait une confiance aveugle dans les paroles mystérieuses et cabalistiques, qui sans être entendues, dit-il dans un de ses ouvrages, guérissent les ames et les corps. Les monnaies prirent l'empreinte de l'idolâtrie. On y gravait la tête de Julien sous le symbole de Sérapis: on y joignait la figure d'Isis. Il fit disparaître du Labarum le monogramme de Christ; et pour faire part à ses dieux des honneurs qu'on rendait à sa personne, il voulait être représenté dans ses images tantôt avec Jupiter qui le couronnait, tantôt avec Mercure et Mars qui semblaient lui inspirer l'éloquence et la science militaire. La mesure, qui servait à marquer les différents accroissements du Nil, transportée par Constantin dans la grande église d'Alexandrie, fut reportée dans le temple de Sérapis.
[387] Lebeau renouvelle ici une erreur de Baronius (an 361, § 5) déja relevée par Tillemont (Mém. sur l'hist. ecclés. t. VII, Perséc. de Julien, art. 2). Julien était sans doute trop zélé pour le rétablissement du paganisme, pour commettre un aussi grand sacrilége que celui d'usurper la dignité de grand-prêtre d'Éleusis qui était réservée aux seuls Eumolpides. On voit par Eunapius, dont le style embrouillé a trompé Baronius et Lebeau, qu'il fit venir auprès de lui dans les Gaules, le grand prêtre d'Éleusis, τὸν ἱεροφάντην μετακαλέσας ἐκ τῆς Ἑλλάδος. Il l'y renvoya après la mort du tyran Constance; car c'est ainsi qu'Eunapius appelle l'empereur: ὡς δ'οὖν καθεῖλε τὴν τυραννίδα Κωνσταντίου, καὶ τὸν ἱεροφάντην ἀπέπεμψεν ἐπὶ τὴν Ἑλλάδα. Il lui donna des présents dignes d'un roi, βασιλικὰ δῶρα. Eunapius parle avec de grands éloges de ce pontife, dont il ne lui est point, dit-il, permis de proférer le nom, τοῦ δὲ ἱεροφάντου, κατ' ἐκεῖνον τὸν χρόνον ὅστις ἦν, τοὔνομα οὔ μοι θέμις λέγειν, parce qu'il avait été initié par lui aux saints mystères, ἐτέλει γὰρ τὸν ταῦτα γράφοντα. On voit par l'inscription de la grande prêtresse d'Éleusis qui avait initié Hadrien, qu'il était d'usage de ne pas rappeler le nom des personnages revêtus d'un sacerdoce supérieur. Cette belle inscription a été souvent publiée et commentée. Voyez la préface de l'édition d'Homère, par Villoison, p. 55; Schow, Charta papyracea Musæi Borgiani, p. 78; Visconti, Museo Pio Clementino, t. IV, p. 43; Mém. de l'Acad. des Ins. t. 47, p. 330, etc., etc.—S.-M.
[388] Superstitiosus magis quàm sacrorum legitimus observator, dit Ammien Marcellin, l. 25. c. 4.—S.-M.
[389] Innumeros sine parcimonia mactans: ut æstimaretur, si revertisset de Parthis, boves jam defuturos. Ammien Marcellin, l. 25, c. 4, rapporte ensuite la plaisanterie faite contre Marc-Aurèle; c'est une requête en grec adressée par les bœufs blancs à l'empereur. Oἱ λευκοὶ βόες Μάρκῳ τῷ Καίσαρι. Ἀν σὺ νικήσῃς, ἡμεῖς ἀπωλόμεθα.—S.-M.
XIX. Il veut imiter le christianisme.
Jul. epist. 49, p. 429 et 56, p. 442, et fragm. p. 288-305.
Greg. Naz. or. 3. t. 1, p. 93 et 94.
Soz. l. 5, c. 16.
Theod. l. 2, c. 4.
La Bleterie, notes sur les lettres de Julien, p. 325.
Dans le temps même qu'il tâchait d'anéantir le christianisme, il fut forcé de lui rendre le témoignage le plus honorable et le moins suspect: Les païens avaient une morale, dit un auteur sensé et ingénieux, mais le paganisme n'en avait point. Julien lui voulut prêter celle de la religion chrétienne. Il n'en pouvait copier que l'extérieur; et c'est avec beaucoup de justesse que saint Grégoire de Nazianze l'appelle le singe du christianisme. Il forma le dessein de fonder des écoles dans toutes les villes, d'établir dans les temples des catéchistes, des docteurs, des prédicateurs; de marquer les prières qui devaient être récitées à certaines heures et en certains jours; de les faire chanter à deux chœurs, usage qui avait depuis peu commencé dans l'église d'Antioche. Il chargea, par une de ses lettres Ecdicius, gouverneur de l'Égypte, de choisir dans Alexandrie des jeunes gens bien nés, qui eussent la voix belle: il leur assigna un entretien honnête; il lui ordonna de leur faire apprendre la musique et de veiller à leurs progrès; il les destinait au service des dieux; il prétendait que la musique sert à élever l'ame et à la purifier. Il exigeait dans les lieux consacrés au culte de la religion beaucoup de silence et de modestie; ne permettant pas même les acclamations dont on avait coutume d'honorer l'empereur, quand il y entrait. Il projetait d'imiter la discipline de l'église dans la correction des pécheurs, et de prescrire divers degrés de pénitence; de fonder des monastères d'hommes et de femmes, des maisons de retraite, des hôpitaux pour les voyageurs et pour les pauvres. Il aurait souhaité faire passer dans le paganisme l'usage des lettres ecclésiastiques, avec lesquelles les chrétiens étaient reçus par toute la terre comme des frères et des amis. En un mot, il était jaloux de cet esprit de lumière, de sagesse et de charité, qu'il était forcé d'admirer dans l'église chrétienne.
XX.
Perfection qu'il exigeait des prêtres païens.
Jul. ep. 49, p. 429, ep. 63, p. 451, et in fragm. p. 288-305.
Un pontife supérieur fut établi dans chaque province, avec une pleine autorité sur tous les prêtres des villes et des campagnes. Julien exige, comme des vertus essentielles à cette place, la modération, la douceur, la hardiesse à reprendre, et la vigueur à punir. Ses écrits fournissent un modèle d'instruction pour ceux qui sont honorés du sacerdoce, et une copie fidèle de la sainteté qu'il voyait alors éclater dans les ministres de l'église. Il attribue la décadence de l'idolâtrie aux vices de ceux qui la professent; il reconnaît que c'est par la régularité dans les mœurs et par la charité envers les hommes, que le christianisme s'est accrédité. Il recommande au pontife la vigilance sur les inférieurs: Privez-les, dit-il, des fonctions du sacerdoce, s'ils ne sont fidèles à servir les dieux, s'ils n'y obligent leurs domestiques, s'ils mènent une vie indécente. Il lui conseille de voir rarement les magistrats et les grands seigneurs, si ce n'est pour l'intérêt de la veuve et de l'orphelin, et de se contenter de leur écrire. Il veut qu'on reçoive dans les hôpitaux les pauvres étrangers, de quelque religion qu'ils soient. Il impose une contribution dans chaque province pour fournir à la subsistance des indigents. Il défend aux gouverneurs de se faire suivre de leurs gardes quand ils entrent dans les temples: Dès qu'ils y mettent le pied, dit-il, ils deviennent simples particuliers; les prêtres seuls ont droit d'y commander sous les auspices des dieux; les autres, qui portent leur faste jusqu'au pied des autels, ne sont que des hommes vains et superbes. Il exige qu'on respecte les prêtres, lors même qu'ils sont indignes de leur ministère, jusqu'à ce qu'ils en aient été dépouillés; mais il veut aussi qu'ils se rendent respectables: Ils sont, dit-il, les interprètes des dieux auprès des hommes, et les cautions des hommes auprès des dieux. Il leur prescrit de conserver leurs oreilles chastes aussi-bien que leur langue; il leur interdit la lecture des poésies trop libres et des histoires amoureuses, qui allument peu à peu le feu des passions; ce sont ses termes. Il ne leur permet pas même de lire les ouvrages d'Épicure et de Pyrrhon, et il rend grâces aux dieux d'avoir fait périr la plupart des écrits de ces philosophes. Il aurait bien voulu épurer le théâtre; mais regardant la chose comme impossible, il en défend l'entrée aux prêtres. Il veut qu'ils prient trois fois le jour; qu'ils se montrent rarement aux promenades; qu'ils ne se trouvent à des festins que chez des personnes vertueuses; qu'ils s'abstiennent des spectacles où assistent les femmes; qu'ils soient magnifiques dans les cérémonies de religion, simples dans leur habillement ordinaire; qu'ils prennent sur leur nécessaire de quoi faire l'aumône. Enfin il demande dans ceux qu'on élève à la prêtrise deux qualités, l'amour des dieux et celui des hommes: Avec ces deux caractères, ajoute-t-il, n'importe qu'ils soient riches ou pauvres, illustres ou inconnus. Ces maximes s'accordent avec la profession solennelle qu'il fait en cent endroits de ses ouvrages, de croire l'existence des dieux, l'immortalité de l'ame, les récompenses et les punitions d'une autre vie. C'est ainsi qu'il s'efforçait de dérober à la religion chrétienne la sainteté de sa discipline et de sa morale. Il ignorait que c'est une tige qui meurt dès qu'elle est transplantée, et qu'elle ne peut porter de fruits mûrs et durables que dans le terrain où elle est née, et où elle est arrosée de la main de Dieu même. Julien ne vécut pas assez long-temps pour reconnaître que sa réforme n'était qu'un projet chimérique.
XXI. Feinte douceur de Julien à l'égard des chrétiens.
Jul. ep. 7, p. 376, ep. 43, p. 424, et ep. 52, p. 435.
Greg. Naz. or. 3, t. 1, p. 72, et or. 10, p. 167.
Liban. or. 10, t. 2, p. 290.
Chrysost. de Sto. Babyla et in Jul. et Gent. t. 2, p. 574 et in Juvent. et Max. p. 579.
Socr. l. 3, c. 11 et 12.
Soz. l. 5, c. 4 et 17.
[Theoph. p. 40.]
Cedr. t. 1, p. 306.
Zon. l. 13, t. 2, p. 25.
Vita Athan. apud Phot. cod. 258.
Suid. in Μίλιον.
Selon le plan qu'il avait formé, il défendit de mettre à mort les Galiléens (c'est ainsi qu'il nommait les chrétiens), ni de leur faire aucun mauvais traitement pour cause de religion: Ils sont, disait-il, plus dignes de compassion que de haine; ils ne se punissent que trop eux-mêmes; ce sont des aveugles qui s'égarent sur le point le plus essentiel de la vie, qui abandonnent le culte des dieux immortels, pour honorer des restes de cadavres et des ossements de morts. Il désignait ainsi les reliques des martyrs. Il blâmait hautement Constance d'avoir employé la rigueur contre ceux qui ne s'accordaient pas avec lui en fait de croyance. Il n'ôtait point aux chrétiens l'exercice public de leur religion; mais il leur enlevait sous divers prétextes leurs évêques et leurs prêtres, afin de ruiner peu à peu la doctrine et la pratique du christianisme, par le défaut d'instruction et de ministres. Pour relever le prix de l'idolâtrie, il déclara que, loin de traîner les Galiléens devant les autels et de les contraindre à sacrifier, il ne permettait d'admettre ces impies à la participation des mystères, qu'après des prières, des expiations, de longues épreuves capables de purifier leur ame et leur corps. Il était habile à profiter des imprudences où tombaient quelquefois les chrétiens, et il ne manquait pas d'affecter une patience philosophique dans les occasions où la chaleur d'un zèle inconsidéré n'attaquait que sa personne. Constantin avait placé à Constantinople une statue de la Fortune de la ville, qui portait une croix gravée sur le front. Julien l'ayant fait abattre et enfouir, en fit placer une autre dans un temple avec les symboles de l'idolâtrie. Un jour qu'il lui offrait un sacrifice public, Maris, cet évêque de Chalcédoine si connu par son attachement à l'Arianisme, aveugle et cassé de vieillesse, se fit conduire devant l'empereur; et l'insultant en face, il lui reprocha dans les termes les plus amers son impiété et son apostasie: Tais-toi, malheureux aveugle, lui répondit Julien, le Galiléen ton dieu ne te rendra pas la vue. Je lui rends grace, repartit Maris, de m'avoir épargné la douleur de voir un apostat tel que toi. Julien ne répliqua pas, et continua le sacrifice. Cette modération semble ne mériter que des louanges: mais selon les chrétiens de ce temps-là, qui pénétraient mieux que nous les intentions de Julien, ce n'était que l'effet d'une maligne politique: il refusait aux chrétiens la gloire du martyre; il savait que les supplices sont un germe de prosélytes.
XXII. Rappel des chrétiens exilés.
Jul. ep. 26, p. 398, ep. 31, p. 404 et ep. 52, p. 435.
Amm. l. 22, c. 5.
[Socr. l. 2, c. 38.]
Theod. l. 3, c. 4.
Soz. l. 5, c. 5 et 15.
Philost. l. 6, c. 7 et l. 9, c. 4.
[Facund. l. 4, c. 2]
Chron. Alex. p. 296.
Fleury, hist. ecclés. l. 15, c. 4.
Ce fut encore par la même apparence de douceur, qu'il rappela indistinctement et les orthodoxes et les hérétiques, que Constance avait exilés et qu'il leur fit rendre leurs biens confisqués: sans s'expliquer au sujet des évêques, qu'il voulait se réserver la liberté de chasser dans la suite, il les laissa rentrer dans leurs églises. Les Ariens, qui avaient été les favoris de Constance, lui étaient par cette raison encore plus odieux que les catholiques. Mais son dessein était de détruire, les unes par les autres, les diverses communions qui partageaient le christianisme. Sous prétexte d'apaiser leurs querelles, mais en effet pour les aigrir davantage, il appelait quelquefois devant lui les chefs des partis contraires; il les mettait aux prises; et après les avoir échauffés par la dispute, prenant le ton de conciliateur, il les exhortait à la paix: Ecoutez-moi, leur disait-il, les Allemands et les Francs m'ont bien écouté[390]. Il les congédiait ensuite en leur déclarant qu'il entendait qu'ils demeurassent unis ensemble, malgré la contrariété des dogmes que chaque parti aurait la liberté de soutenir. C'était renfermer comme dans un champ clos des ennemis armés et irréconciliables. Il avait été témoin des persécutions suscitées par les Ariens contre les catholiques: il savait qu'il y a des chrétiens qui ne se pardonnent pas la diversité de croyance, et que ce motif, qui ne devrait agir que dans l'ordre surnaturel, suffit seul dans leur esprit pour rompre tous les liens de l'humanité et de la nature. Il rassembla de toute la terre dans le sein de l'église comme autant de serpents les hérétiques les plus dangereux. Il écrivit à Photinus pour le féliciter de sa constance à nier la divinité de Jésus-Christ; il caressa surtout Aëtius, qui avait été le confident et le théologien de Gallus: l'ayant rappelé d'exil par une lettre pleine de bienveillance[391], il lui fit présent d'une terre près de Mytilène, dans l'île de Lesbos. Il ordonna, sous peine d'une grosse amende, à Eleusius, évêque de Cyzique, de rebâtir à ses dépens dans l'espace de deux mois l'église des Novatiens qu'il avait abattue du vivant de Constance. Quelque temps après, ce même évêque, étant accusé d'avoir sous le règne précédent détruit des temples et converti quelques païens, il le chassa de la ville, lui et tout son clergé, avec défense d'y rentrer, de crainte, disait-il, qu'ils n'y excitassent quelque sédition.
[390] Audite me, quem Alamanni audierunt et Franci. Amm. Marc. l. 22, c. 5.—S.-M.
[391] Il lui parle de leur vieille amitié; παλαιᾶς γνώσεώς τε καὶ συνηθείας μεμνημένος, ep. 31.—S.-M.
XXIII. Nouveaux excès des Donatistes.
Optat. l. 2, c. 17, 18, 19, 20 et 21, p. 36-42.
S. Aug. contra Petil. l. 2, c. 92, 97, t. 9, p. 275 et 286.
Idem, contra Parm. l. 1, c. 12, t. 9, p. 23.
Cod. Th. l. 16, tit. 5, leg. 37, et ibi God.
Till. hist. des Donat. art. 53, 54 et 55.
Les Donatistes n'osaient lever la tête, depuis que Constant avait châtié leur insolence. Aussitôt que Julien fut monté sur le trône, ils s'empressèrent de se concilier la faveur du nouveau prince. Ils lui députèrent pour demander la restitution de leurs basiliques. Leurs envoyés n'épargnèrent pas la flatterie: on leur a reproché dans tous les siècles d'avoir dit à Julien qu'il était le seul prince qui sût écouter la justice. Cet éloge fut regardé comme une trahison faite au christianisme; et leur requête devint si odieuse, que, quarante ans après, Honorius, pour les couvrir d'ignominie, ordonna qu'elle serait publiquement affichée avec le rescrit de Julien, qui les rétablissait dans toutes leurs anciennes possessions. Julien se persuadait que cette secte forcenée serait plus propre que toute autre à ruiner le christianisme en Afrique. Rien n'égale en effet la fureur, à laquelle ces fanatiques s'abandonnèrent. Ils s'emparaient des églises à main armée, ils en chassaient les évêques, brisaient les autels et les vases sacrés, massacraient les prêtres et les diacres, violaient les vierges consacrées à Dieu, mettaient les hommes en pièces, outrageaient les femmes, tuaient les enfants dans les entrailles de leurs mères, profanaient les saints mystères. Leurs évêques prétendaient se sanctifier par tant d'horreurs, et les peuples juraient par le nom de ces prélats sacriléges, comme par celui de Dieu même.
XXIV. Julien défend aux chrétiens d'enseigner et d'étudier les lettres humaines.
Jul. ep. 42, p. 422.
Greg. Naz. or. 3, t. 1, p. 51, 96 et 97.
Amm. l. 22, c. 10, et l. 25, c. 4, et ibi Vales.
Chron. Hier.
Socr. l. 3, c. 16.
Theod. l. 3, c. 8.
Soz. l. 5, c. 18.
Joann. Antioch. p.842 et ibi Vales.
Zon. l. 13, t. 2, p. 25.
Cedr. t. 1, p. 305.
Oros. l. 7, c. 30.
[Theoph. p. 40.]
La Bleterie, vie de Julien l. 4, p. 228, et lettres de Julien, p. 26.
L'esprit de révolte et de schisme que les hérétiques rapportaient de leur exil, menaçait l'église des attaques les plus meurtrières. Pour la désarmer, Julien imagina un moyen qui pouvait suppléer à la rigueur des persécutions: c'était de réduire les chrétiens à l'ignorance, en leur défendant d'enseigner et d'étudier les lettres. Il savait qu'il est aisé de conduire les hommes à la superstition par le défaut de connaissances; que de les priver d'instruction, c'est un moyen sûr pour tyranniser leurs esprits; que l'ignorance fut la mère du paganisme; et que pour le faire renaître, il fallait ramener les chrétiens à l'état où s'étaient trouvés leurs pères à la naissance de l'idolâtrie. Il avait assez de lumières pour sentir que les auteurs païens, réunissant à la fois toutes les forces et toutes les faiblesses de la raison humaine, avec le plus grand art à mettre en œuvre les unes et les autres, fournissaient en même temps et les chimères à combattre et les armes pour les vaincre: il voyait que les défenseurs les plus formidables que le christianisme eût alors à lui opposer étaient les hommes les plus lettrés de l'empire, Athanase, Grégoire de Nazianze, Basile de Césarée, Hilaire de Poitiers, Diodore de Tarse, Apollinaire. Voulant donc enlever aux chrétiens cette puissante ressource, il publia un édit que nous avons encore, par lequel il les déclare incapables d'enseigner la grammaire, l'éloquence, la philosophie. Il en apporte pour raison que les livres où l'on puise les principes et les exemples de ces connaissance, étant l'ouvrage des adorateurs des Dieux, et remplis des maximes de l'Hellénisme, c'est dans les maîtres chrétiens une imposture, et une duplicité honteuse de proposer des modèles qu'ils désavouent, et d'enseigner aux autres ce qu'ils ne croient pas eux-mêmes. Il paraît s'applaudir beaucoup de ce sophisme. Il ajoute néanmoins qu'en défendant aux chrétiens de donner des leçons, il ne leur défend pas d'en recevoir, et qu'il permet aux jeunes gens de fréquenter les écoles sans les contraindre à quitter leur religion. Ce n'est pas, dit-il, qu'il y eût de l'injustice à les guérir malgré eux comme des phrénétiques; mais je permets d'être malades à ceux qui le voudront être: je pense qu'il faut instruire les ignorants et non les punir. Le témoignage clair et précis des historiens ecclésiastiques nous apprend que la permission de s'instruire, accordée aux chrétiens à la fin de cet édit, fut bientôt révoquée par un édit postérieur qui ne s'est pas conservé jusqu'à nous. Ammien Marcellin, tout païen qu'il est, blâme cette défense comme inhumaine, et digne d'être ensevelie dans un oubli éternel[392].
[392] Illud autem erat inclemens, obruendum perenni silentio, quòd arcebat docere magistros rhetoricos et grammaticos, ritûs christiani cultores. Amm. Marc. l. 22, c. 10.—S.-M.
XXV. Exécution de cet édit.
Jul. ep. 2, p. 373 et ep. 19, p. 386.
Eunap. in Prohæres. t. 1, p. 92 ed. Boiss.
Chron. Hier. Socr. l. 3, c. 13.
Aug. confess. l. 8, c. 5, t. 1, p. 148.
Oros. l. 7, c. 30.
Suid. in Προαιρέσιος.
Till. persec. art. 9, et note 4.
Les professeurs chrétiens étaient encore en petit nombre. Ecébolus, qui avait été un des maîtres de Julien, et que l'intérêt et la vanité avaient toujours tenu attaché à la cour, homme de petit génie, dépourvu de talents, et jaloux de ceux des autres, sacrifia sans balancer sa religion à sa chaire. Après la mort de Julien, il revint au christianisme; et toujours déclamateur jusque dans sa pénitence, couché par terre devant la porte de l'église, il criait aux fidèles: Foulez-moi aux pieds; je suis un sel affadi. Les autres montrèrent plus de fermeté. L'histoire nomme Marius Victorinus qui professait l'éloquence à Rome avec éclat, et le célèbre Prohérésius, que Constant avait comblé d'honneurs. Quoiqu'il n'eût paru à Rome qu'en passant, cette ville lui avait érigé une statue de bronze avec cette inscription: Rome reine du monde au roi de l'éloquence. Étant retourné à Athènes, il soutint la réputation du plus habile maître de la Grèce. Julien faisait de lui une haute estime; il voulait même l'engager à écrire son histoire; et par une exemption qu'il croyait honorable, il lui permit de continuer ses leçons, sans être obligé de changer de religion. Prohérésius refusa cette distinction qui aurait pu rendre sa foi suspecte; il renonça généreusement à sa profession et aux bonnes graces du prince, qui dès ce moment, par une bizarrerie très-ordinaire, rabattit beaucoup de l'opinion qu'il avait eue de l'habileté de ce rhéteur.
XXVI. Douleur de l'église.
Greg. Naz. or. 3, t. 1, p. 51 et 99.
Basil. de libris Gentilium, t. 2, p. 173.
Socr. l. 3, c. 16.
Soz. l. 5, c. 17.
Cet édit de Julien alarma tous les fidèles. Les livres saints étaient leur nourriture; mais les lettres profanes, dit saint Basile, étaient les feuilles qui servaient aux fruits d'ornement et de défense. Aussi ces hommes éclairés, loin d'embrasser avec joie cette ignorance, qu'une fausse politique ou une singularité bizarre prêchent quelquefois, et qu'une pieuse imbécillité canonise, regardèrent cet artifice de Julien, comme l'attentat le plus noir et le plus dangereux qu'il eût formé contre le christianisme: ce sont les termes de saint Grégoire de Nazianze; et de tous les reproches dont il accable Julien, il n'en est point qui prête à son zèle plus de force et plus de vivacité. On travailla aussitôt à réparer cette perte. Saint Grégoire et Apollinaire, tous deux féconds et éloquents, tous deux hommes de génie, riches de leur propre fonds et enrichis encore par l'étude des lettres, composèrent en prose et en vers un grand nombre d'écrits. Ils avaient dessein d'y transporter les beautés des auteurs profanes, et de les y conserver comme dans un dépôt sacré, en les appliquant aux matières propres de la religion. Mais quelque habiles que fussent ces deux illustres écrivains, leurs ouvrages trop hâtés ne pouvaient remplacer des chefs-d'œuvres de tant de siècles: la mort de Julien rendit bientôt à l'église le libre usage des trésors dont il avait voulu la dépouiller.
XXVII. Conduite de Julien à l'égard des médecins.
Jul. ep. 45, p. 426, et lex de medicis, p. 154.
Greg. Naz. or. 10, t. 1, p. 167 et 168, et ep. 17, p. 779.
Chrysost. in Juvent. et Max. t. 2, p. 579.
Cod. Th. l. 13, tit. 3, leg. 4, 5.
Till. persec. art. 9.
Pour s'assurer de l'exécution de cet édit, il défendit par une loi expresse à tout particulier d'entreprendre de tenir école, de quelque science que ce fût, sans avoir été autorisé par le conseil de la ville et par les suffrages des principaux habitants: il ordonna que le décret lui serait envoyé pour l'examiner et le ratifier. Il témoignait de grands égards aux médecins: il fit revivre en faveur de ceux de la cour et des deux capitales de l'empire, Rome et Constantinople, tous les priviléges qui leur avaient été accordés par les anciens empereurs, et les déclara exempts de toute fonction onéreuse. Rien n'est plus honorable que la lettre par laquelle il rétablit le médecin Zénon, que la faction de l'évêque George avait chassé d'Alexandrie. Mais en même temps il défendit aux chrétiens d'enseigner et peut-être même de pratiquer la médecine. Saint Jean Chrysostôme comprend cette profession dans le nombre de celles dont les chrétiens furent exclus. Césaire, frère de saint Grégoire de Nazianze, avait exercé la médecine auprès de Constance avec une grande réputation. Son savoir et son désintéressement, qui en rehaussait le prix, lui avaient mérité l'estime de toute la ville de Constantinople, et les plus honorables distinctions de la part du prince. Il demeura auprès de Julien. Le danger auquel il exposait sa foi, fit trembler son frère: celui-ci s'efforça de le rappeler par une lettre touchante, trempée de ses larmes et de celles de leur père. Césaire ne se rendit point à ces instances; mais il ne dégénéra pas de cet esprit de lumière et de force qui faisait le caractère de sa famille. En vain Julien, qui s'était fait un point d'honneur de le pervertir, mit en œuvre les caresses et les menaces. Ce prince entra même en controverse avec lui devant un grand nombre de témoins, les uns déja séduits, les autres fidèles, qui, partagés de désirs comme de sentiments, s'intéressaient tous vivement à la victoire. Dans un combat en apparence si inégal, Césaire sut si bien démêler les sophismes de Julien, il se tira avec tant d'adresse de ses subtilités, il protesta avec tant de fermeté qu'il vivrait et qu'il mourrait chrétien, que l'empereur confus et déconcerté perdit l'espérance de le séduire, sans perdre cependant l'estime qu'il avait pour lui. Il voulait le retenir; mais Césaire se retira de la cour, et alla mettre sa foi à couvert dans le sein de sa famille.
XXVIII. Il accable les chrétiens.
Jul. ep. 43, p. 424.
Greg. Naz. or. 3, t. 1, p. 81.
Socr. l. 3, c. 13 et 14.
Soz. l. 5, c. 3, 5 et 17.
Cod. Th. l. 12, tit. 1, leg. 50, l. 3, tit. 1, leg. 4.
God. ad Cod. Theod. t. 2, p. 303.
La Bleterie, lettres de Julien, p. 360 et suiv.
La liberté de religion que Julien laissait en apparence aux chrétiens, n'était en effet qu'un dur esclavage. Toute la clémence de ce prince se bornait à ne les pas condamner à mort par un édit général. Il prenait d'ailleurs les voies les plus sûres pour les accabler. Toutes les faveurs étaient prodiguées aux païens: les chrétiens n'éprouvaient que vexations, que mépris, que disgraces. Il dépouilla les ecclésiastiques de leurs priviléges: il les priva ainsi que les veuves et les vierges des distributions fondées par Constantin: il entreprit même de les forcer à rendre au trésor ce qu'ils avaient reçu depuis cette fondation, et ces poursuites ne furent arrêtées que par sa mort. Il exigeait des chrétiens des sommes considérables pour la réparation des temples: il y faisait transporter les vases sacrés et les ornements des églises; ce n'était à son avis que restituer aux dieux des biens qui leur appartenaient. Ces recherches donnaient lieu à une infinité de violences: on emprisonnait les clercs; on les appliquait à la torture. Pour multiplier les apostasies, il facilita les divorces dont Constantin avait restreint la licence, et il déclara que la diversité de culte serait une cause légitime de séparation. Il n'admettait les chrétiens dans aucune magistrature, sous prétexte que leur loi leur défend de faire usage du glaive. Il les privait de tous les droits qu'on osait leur disputer; il ne leur permettait pas même de se défendre devant les tribunaux: Votre religion, leur disait-il, vous interdit les procès et les querelles. A l'occasion des préparatifs qu'il fallait faire pour la guerre contre les Perses, il imposa une taxe sur tous ceux qui refusaient de sacrifier. Les gouverneurs des provinces trouvant une conjoncture si favorable pour s'enrichir, exigeaient beaucoup au-delà des sommes imposées; ils employaient les contraintes les plus rigoureuses; et lorsque les chrétiens portaient leurs plaintes à l'empereur: Retirez-vous, Galiléens infidèles, leur répondait-il: votre Dieu ne vous a-t-il pas appris à mépriser les biens de ce monde, et à souffrir avec patience les afflictions et les injustices? La plupart des habitants d'Édesse étaient attachés à la foi catholique[393]; mais cette ville renfermait encore deux sectes d'hérétiques, les Valentiniens et les Ariens. Ceux-ci, fiers de la puissance qu'ils avaient acquise sous le règne de Constance, attaquèrent les Valentiniens et commirent de grands désordres. Julien saisit cette occasion pour dépouiller l'église d'Édesse, qui était fort riche; et sans faire distinction des catholiques qui n'avaient aucune part à la querelle, il ordonna que les biens de cette église seraient confisqués. La lettre qu'il écrit à ce sujet au premier magistrat de la ville joint aux plus terribles menaces une froide et maligne plaisanterie: L'admirable loi des Galiléens, dit-il, leur prescrivant de se débarrasser des biens de la terre, pour arriver plus aisément au royaume des cieux, nous voulons, autant qu'il est en nous, leur faciliter le voyage. Les villes qui se signalaient en faveur de l'idolâtrie, étaient assurées de sa bienveillance: il les prévenait lui-même et les exhortait par ses lettres à lui demander des graces. Les villes chrétiennes au contraire n'obtenaient pas justice; il évitait d'y entrer; il refusait audience à leurs députés; il rejetait leurs requêtes. La ville de Nisibe demanda du secours contre les Perses, dont elle craignait les insultes: il répondit aux envoyés qu'ils obtiendraient tout de lui, quand ils auraient commencé par invoquer les Dieux.
[393] La religion chrétienne était professée dans cette ville long-temps avant d'avoir été adoptée dans l'empire romain, lorsque Édesse formait un état particulier sous la domination des rois nommés Abgares. L'histoire de cette dynastie et les relations qui ont pu exister entre Abgare et J.-C. ont été pour moi l'objet d'un travail particulier.—S.-M.
XXIX. Il tâche de surprendre les soldats.
Greg. Naz. or. 3, t. 1, p. 84-86.
Socr. l. 3, c. 13.
Theod. l. 3, c. 7, 15 et 16.
Soz. l. 3, c. 16.
L. unius. ff. de quæstionibus.
Il s'attachait surtout à pervertir les soldats. L'ignorance, le désir d'avancer dans le service, l'habitude de ne connaître d'autre loi que la volonté du prince, lui faisaient espérer de leur part une soumission aveugle. Le changement du Labarum et le mélange des images des Dieux avec celles de Julien, aidaient à la séduction. Instruits de tout temps à révérer leurs enseignes et les portraits de leurs empereurs, la plupart ne s'aperçurent pas du piége; ils s'accoutumèrent à honorer les divinités de leur prince, et devinrent païens, presque sans le savoir. Il y en eut cependant, qui, plus éclairés et plus fidèles, évitèrent de rendre cet hommage idolâtre. Pour surprendre leur foi, Julien s'avisa d'un stratagème. Un jour qu'il devait distribuer aux troupes une gratification, il feignit de vouloir rappeler une coutume pratiquée, disait-il, par les anciens empereurs. A côté de son tribunal, il fit dresser un autel et une table chargée d'encens. Sur l'autel s'élevait une enseigne qui portait l'image de Julien et de ses Dieux. Il prit ensuite séance avec tout l'appareil de la majesté impériale. Les soldats approchant à la file passaient d'abord devant l'autel; on les avertissait de jeter un grain d'encens dans le feu qu'on y avait allumé. La crainte, la surprise, la persuasion que ce n'était qu'un ancien usage, et surtout l'or qu'ils voyaient briller dans la main du prince, étouffaient les scrupules. Il ne s'en trouva que fort peu, qui, refusant de payer ce tribut à l'idolâtrie, se retirèrent sans se présenter à l'empereur. Après cette cérémonie, quelques soldats chrétiens buvant ensemble, l'un d'eux fit, selon la coutume, le signe de la croix. Un de ses camarades s'étant mis à rire, comme il lui en demandait la raison: Eh quoi! répondit l'autre, avez-vous déja oublié ce que vous venez de faire? Depuis que vous avez jeté l'encens sur l'autel, vous n'êtes plus chrétien. A cette parole tous se réveillant comme d'une léthargie, poussent de grands cris, fondent en larmes, s'arrachent les cheveux, courent à la place publique, en criant: Nous sommes chrétiens; l'empereur nous a trompés; il s'est trompé lui-même; nous n'avons pas renoncé à notre foi. Ils se rendent au palais: ils se plaignent de la supercherie; et jetant aux pieds de l'empereur l'or qu'ils avaient reçu, ils demandent la mort en expiation de leur crime. Julien irrité commande qu'on leur tranche la tête. On les conduit au supplice hors de la ville, suivis d'une foule de peuple qui admire leur courage. Selon un usage établi par les lois romaines, lorsqu'il s'agissait de punir ensemble plusieurs criminels, dans l'interrogatoire on commençait par appliquer à la question le plus jeune, et dans l'exécution le plus âgé était le premier mis à mort. Mais le plus vieux de ces soldats obtint du bourreau qu'il commençât par le moins avancé en âge, de peur que sa constance ne s'ébranlât à la vue du supplice de ses camarades. L'épée était déja levée, lorsqu'on entendit un cri qui annonçait leur grace. Alors le jeune homme, qui attendait à genoux le coup mortel, se releva en soupirant: Hélas, dit-il, Romain (c'était son nom) ne méritait pas l'honneur de mourir pour Jésus-Christ! Julien se contenta de les casser et de les reléguer dans des provinces éloignées.
XXX. Constance de Jovien, de Valentinien et de Valens.
Socr. l. 3, c. 13, et l. 4, c. 1.
Theod. l. 3, c. 16.
Soz. l. 6, c. 6.
Philost. l. 7, c. 7.
Zos. l. 4, c. 2.
Theoph. p. 43.
Chron. Alex. vel Paschal. p. 297.
Oros. l. 7, c. 32.
Hist. misc. l. 12, apud Muratori, t. 1, p. 81.
Suid. in Ἰοβ. ανός.
Till. note 2, sur Valentinien.
Jovien, Valentinien et Valens, qui tous trois parvinrent à l'empire, méritèrent dès lors la récompense que Dieu destinait à leur fermeté. Les deux premiers étaient tribuns de la garde du prince[394]: le troisième tenait dans le même corps un rang inférieur. Julien ayant déclaré qu'il entendait que les soldats, et surtout ceux de sa garde, renonçassent au christianisme ou au service, Jovien offrit de remettre son épée; ce que Julien n'accepta pas, pour ne pas perdre un officier de ce mérite. Il ne voulut pas non plus pousser à bout la constance de Valens. Mais celle de Valentinien parut avec trop d'éclat, pour laisser à l'empereur la liberté de dissimuler. Julien entrait avec pompe dans le temple de la Fortune, pour y célébrer un sacrifice. Les ministres du temple, rangés à droite et à gauche dans le vestibule, aspergeaient d'eau lustrale le prince et son cortége. Valentinien en qualité de commandant de la garde marchait devant l'empereur. S'étant aperçu qu'une goutte de cette eau profane était tombée sur son habit, il s'échappa jusqu'à frapper rudement le ministre, et coupant la pièce il la jeta par terre avec horreur. Le philosophe Maxime qui marchait à côté de Julien, lui fit remarquer cette brusquerie qu'il traitait de sacrilége. Au retour, l'empereur bannit Valentinien et le relégua à Mélitène[395]. Mais afin de ne paraître jamais punir personne précisément pour raison de religion, il prétexta des négligences dans le service. M. de Tillemont place la scène de cet événement dans Antioche; il se fonde sur un mot de Théodoret, qui ne me paraît pas conclure nécessairement en faveur de cette opinion; et nous savons que Julien avait consacré dans Constantinople un temple à la Fortune.
[394] Selon Philostorge, l. 7, c. 7, Valentinien était alors comte et chef du corps de cavalerie dont les soldats étaient appelés Cornuti. La même indication se trouve dans la chronique Paschale, p. 297, et dans celle de Théophanes.—S.-M.
[395] Selon Philostorge, ce fut à Thèbes en Égypte, et, selon Théodoret, dans un château situé près du désert, εἰς φρούριον παρὰ τὸν ἔρημον κείμενον. Jean Malala place (part. 2, p. 29) l'exil de Valentinien dans une ville de Salabria dont la position est inconnue.—S.-M.
XXXI. Persécution dans les provinces.
Greg. Naz. or. 3, t. 1, p. 86 et 92. et ep. 194, p. 891.
Chron. Hier.
Socr. l. 3, c. 13.
Theod. l. 3, c. 6 et 7.
Chron. Alex. vel Paschal. p. 297.
Martyrolog. Rom. et Menol. 22 oct.
Baron. ad an. 362.
Julien, en défendant de mettre à mort les chrétiens, ne voulait sauver que l'honneur de sa philosophie. Sa fausse clémence se renfermait dans les bornes de sa résidence. Leur sang coulait dans le reste de l'empire. On savait que c'était lui offrir les plus agréables victimes; et la volonté du prince une fois connue, ou même soupçonnée, est, sans être écrite, la plus forte des lois: la défense même devient une amorce, quand on sent qu'on lui fait la cour en contrevenant à ses ordres. Les païens, qui depuis le règne du christianisme frémissaient de rage, enivrés alors de la fumée de leurs sacrifices, entraient en fureur: ils accablaient les chrétiens d'outrages; et ceux-ci, ayant perdu l'habitude de souffrir, donnaient souvent par leur impatience occasion aux traitements les plus rigoureux. Julien fermait les yeux sur ces désordres. Émilien fut brûlé vif à Dorostole dans la Mésie inférieure[396], et l'évêque Philippe[397] avec plusieurs autres chrétiens souffrirent le même supplice à Andrinople [Hadrianopolis]. Dans cette contradiction entre les ordres et la passion de Julien, les gouverneurs se crurent libres de suivre leur propre penchant. Quelques-uns, par un effet de leur bonté naturelle, mirent les chrétiens à couvert, et coururent le risque de déplaire en obéissant. Candidianus, quoique païen, mérita par cette humanité les éloges de saint Grégoire, et mérite encore les nôtres. On ne sait de quelle province il était gouverneur. Salluste Second [Sallustius Secundus], préfet d'Orient, tempéra autant qu'il put les rigueurs auxquelles il fut quelquefois forcé par des ordres précis. L'autre Salluste préfet de la Gaule, estimable d'ailleurs par sa probité, mais idolâtre jusqu'au fanatisme, et inhumain par religion, fut un violent persécuteur. Comme il était le plus intime confident de Julien, sa cruauté fait grand tort à la prétendue douceur de ce prince.
[396] Il fut condamné à mort par Capitolinus, vicaire de Thrace. Il paraît qu'il fut exécuté le 18 juillet 362. Voyez Tillem., t. VII, Mémoires pour l'histoire ecclés. pers. de Julien, art. 12.—S.-M.
[397] Il était évêque d'Héraclée ou Périnthe. Le savant Tillemont pense que ce saint ne fut pas martyrisé sous Julien, mais sous Dioclétien. Ses raisons me paraissent tout-à-fait concluantes.—S.-M.
XXXII. Julien part de Constantinople.
Amm. l. 22, c. 9.
Liban. or. 8, t. 2, p. 247, et or. 10, p. 300.
Zos. l. 3, c. 11.
Till. Pers. art. 24.
Julien ne perdait pas de vue la résolution qu'il avait prise de venger l'honneur de l'empire, en attaquant Sapor dans ses états. S'étant donc assuré des fonds nécessaires par la réforme de sa cour, par l'économie de sa dépense, et par le bon ordre qu'il sut mettre dans ses finances, il assembla ses soldats, anima leur courage, les harangua plusieurs fois, et, ce qui sans doute n'était pas moins efficace, il augmenta leur paie. Au commencement de juin[398] il partit de Constantinople, suivi des vœux de tout le peuple, après un séjour de six mois[399]; et prit la route d'Antioche. Son dessein était de passer dans cette ville le reste de l'année pour y achever ses préparatifs, et se mettre en état d'entrer en campagne dès le printemps de l'année suivante. Hormisdas et Victor furent chargés de la conduite des troupes. Ils firent observer une exacte discipline; et l'Asie, qui sous le règne de Constance ne distinguait plus ses défenseurs d'avec ses ennemis, n'eut rien à souffrir de leur passage. Julien lui-même, au lieu des présents que les gouverneurs avaient coutume de faire aux empereurs, n'accepta que des compliments. Il tenait de son éducation le goût des harangues; et comme dans la distribution des emplois, il avait préféré les gens de lettres, il trouva de quoi se satisfaire dans ce voyage. La superstition le suivait partout; et il laissa en plusieurs lieux des traces sanglantes de sa haine contre les chrétiens. On observe qu'il avait mis un si bon ordre dans les provinces occidentales, que son éloignement n'y produisit aucun trouble: sa réputation suppléait à sa présence; et ces nations turbulentes qui bordaient le Rhin et le Danube respectèrent, tant qu'il vécut, les limites de l'empire, comme si le bras de Julien eût toujours été suspendu sur leurs têtes.
[398] Une loi nous apprend qu'il était encore à Constantinople le 12 mai de cette année. Sa lettre adressée aux habitants de Bostra en Arabie fait voir qu'il était à Antioche le 1er août.—S.-M.
[399] Selon Zosime (l. 3, c. 11), Julien serait resté dix mois à Constantinople, δέκα διατρίψας ἐν τῷ Βυζαντίῳ μῆνας. Il est évident qu'il se trompe. Julien entra dans cette ville le 11 décembre 361; et le 29 juin, selon les actes de S. Basile d'Ancyre, il sortit de la capitale de la Galatie, pour se rendre à Antioche. On a des lois datées de cette ville depuis le 28 juillet 362. Il est donc presque impossible que le séjour de Julien à Constantinople se soit prolongé beaucoup au-delà de six mois.—S.-M.
XXXIII. Il arrive à Pessinunte.
Amm. l. 22, c. 9.
Liban. or. 8, t. 2, p. 247 et 254, et or. 10, p. 300.
Jul. or. 5, p. 158 et or. 6, p. 181, et ep. 21, p. 388.
Greg. Naz. or. 4, t. 1, p. 133.
Till. persec. art. 10 et 24.
Ayant traversé le détroit, il passa sans s'arrêter, à Chalcédoine et à Libyssa, petite bourgade, célèbre par la sépulture d'Annibal, et il vint à Nicomédie. La vue de cette grande cité, alors presque détruite, et le triste état d'un peuple autrefois florissant lui firent verser des larmes[400]. Il avait passé ses premières années à Nicomédie auprès de l'évêque Eusèbe; il y reconnut encore plusieurs de ceux qu'il y avait vus dans son enfance. Pour donner à cette malheureuse ville quelque marque de bienveillance, il y fit placer sa statue et celle de sa femme Hélène sous les symboles d'Apollon et de Diane; ce qui fut pour les habitants une occasion d'idolâtrie. Après avoir donné ses ordres pour relever les ruines de Nicomédie, il continua sa route par Nicée. Arrivé sur les frontières de la Galatie, il se détourna sur la droite pour aller voir à Pessinunte l'ancien temple de la mère des Dieux[401], si fameux par la statue de cette Déesse qu'on disait être tombée du ciel, et qui par l'ordre d'un oracle avait été transportée à Rome pendant la seconde guerre punique. Julien séjourna dans cette ville: il y ranima le culte de Cybèle[402], qui avait été fort négligé sous le règne de ses deux prédécesseurs. Il perdit une nuit à composer un discours en l'honneur de cette déesse: c'est un chef-d'œuvre de rêverie. On y voit sensiblement que les Hellènes de ce temps-là, confondus par les chrétiens, donnaient la torture à leur imagination, pour sauver par des allégories bizarres et forcées le ridicule et l'obscénité de leurs fables[403]. La déesse à son tour régala Julien d'un oracle qu'elle rendit en sa faveur. Ce fut vers le même temps qu'il passa deux jours à mettre par écrit une apologie de Diogène et de la philosophie cynique. Il s'y rencontre des choses bien pensées; mais la singularité de l'auteur s'y développe toute entière: il fait son héros de ce cynique effronté; il prétend que lorsqu'on a pris l'essor philosophique, on peut se mettre au-dessus des bienséances et des usages les plus sensés.
[400] Cujus mœnia cum vidisset in favillas miserabiles consedisse, angorem animi tacitis fletibus indicans, pigriore gradu pergebat ad regiam, dit Ammien Marcellin, l. 22, c. 9.—S.-M.
[401] Vetusta Matris Magnæ delubra. Amm. Marc. l. 22, c. 9.—S.-M.
[402] Il y nomma prêtresse de cette déesse une femme appelée Callixène, à laquelle est adressée sa vingt-et-unième lettre.—S.-M.
[403] Elle est presque toute consacrée à l'explication de la fable de Cybèle et d'Attis.—S.-M.
XXXIV.
Julien à Ancyre.
Amm. l. 22, c. 9.
Soz. l. 5, c. 10.
Acta Basil. apud Ruinart. p. 650.
Avant que de quitter Pessinunte, il voulut venger la Déesse des insultes de deux chrétiens, qui avaient renversé son autel. Il les fit amener devant lui, et tenta d'abord de les pervertir par ses discours. Emportés par la vivacité de leur zèle et de leur jeunesse, ils se moquèrent et de l'empereur et de ses sophismes. Julien les condamna à mort, non pas comme chrétiens, c'eût été démentir son système, mais comme perturbateurs de l'ordre public. Il reprit ensuite la route d'Ancyre. Comme il en approchait, les sacrificateurs vinrent au-devant de lui, portant l'idole de Proserpine. Il leur distribua une somme d'argent, et fit célébrer des jeux le lendemain de son arrivée. Il y avait dans cette ville un prêtre chrétien nommé Basile, qui du temps de Constance avait fortement combattu l'arianisme. Sous le nouveau règne il avait tourné ses armes contre l'idolâtrie. C'était un missionnaire zélé et véhément, qui allait de ville en ville, exhortant publiquement les chrétiens, et leur inspirant de l'horreur pour les idoles et les sacrifices. Le proconsul Saturninus éprouva son courage par les plus cruelles tortures, mais sans l'ébranler. Il le fit mettre en prison, et en informa l'empereur qui était encore à Constantinople. Julien pensa qu'un homme de ce caractère pourrait servir efficacement l'idolâtrie, s'il réussissait à le gagner. Il envoya pour le séduire deux apostats, Helpidius, intendant du domaine, et un certain Pégasius. Leur mission ne fut pas heureuse. Julien arrivé à Ancyre se fit amener Basile; mais il n'eut pas plus de succès; il n'en put tirer que des reproches de son apostasie, et des menaces d'une mort funeste et prochaine. Il le mit entre les mains du comte Frumentinus, capitaine d'une compagnie de la garde, avec ordre de lui faire souffrir des tourments douloureux, qui pussent lasser sa patience, sans lui ôter promptement la vie. Pendant le séjour de Julien, Basile, dont on déchirait le corps tous les jours, se fit une fois conduire devant lui: Julien s'en félicitait, il le croyait vaincu; mais il n'en reçut que de nouveaux reproches, et il en sut fort mauvais gré à Frumentinus qu'il ne voulut pas voir à son départ[404]. Le comte se vengea de cette disgrace sur la personne de Basile, qu'il fit mourir dans les plus horribles tourments.
[404] On prétend que Julien fit périr beaucoup d'autres chrétiens dans cette ville. On compte parmi eux S. Malasippus et sa femme Ste Casina. On livra aussi aux tortures un chrétien de la secte des Encratites, nommé Busiris. Macédonius, Théodule, Tatianus, et plusieurs autres encore, furent mis à mort sous divers prétextes dans la Phrygie. Il est bon de remarquer cependant que tous ces martyres ne sont attestés que par des actes assez modernes.—S-M.
XXXV. A Césarée de Cappadoce.
Amm. l. 22, c. 9.
Greg. Naz. or. 3, t. 1, p. 91, et or. 19, p. 308.
Soz. l. 5, c. 4 et 11.
Sur la route d'Ancyre à Césarée, Julien fut souvent arrêté par des plaintes et des requêtes. Les uns redemandaient leurs biens injustement usurpés; les autres se plaignaient qu'on voulût contre toute raison les assujettir à des charges onéreuses; d'autres lui dénonçaient des crimes de lèse-majesté. L'empereur rendait prompte justice aux premiers: mais toujours trop favorable à l'ordre municipal, il avait rarement égard aux priviléges et aux dispenses les plus légitimes; en sorte que ceux qu'on inquiétait à ce sujet prenaient le parti de se rédimer par argent de ces injustes poursuites. Pour les délateurs, dont il avait lui-même tant de fois ressenti la malice, il les rejetait avec indignation et avec mépris: on en rapporte un exemple mémorable. Un de ces calomniateurs, pour se venger d'un ennemi, le dénonça à l'empereur comme aspirant à la souveraineté. Julien le rebuta plusieurs fois. Enfin importuné de son opiniâtreté, il lui demanda quel était cet homme qu'il accusait, et quelles preuves il avait de son crime: C'est, répondit l'accusateur, un riche habitant d'une telle ville; et je suis en état de prouver qu'il se fait faire un manteau de soie, teint en pourpre. Le prince, sans en vouloir entendre davantage, lui imposa silence, en disant: Vous êtes bien heureux que je ne punisse pas un misérable tel que vous, qui ose accuser son pareil d'une si haute entreprise. Et comme le délateur continuait d'insister, Julien appela un de ses officiers: Faites donner, lui dit-il, à ce dangereux babillard une de mes chaussures de couleur de pourpre, et qu'il la porte de ma part à ce bourgeois qui s'est déja fait faire le manteau. En traversant la Cappadoce, il détachait des soldats pour livrer les églises aux idolâtres, ou pour les abattre. Ceux qui furent chargés de cette expédition pour Nazianze, rencontrèrent une si vigoureuse résistance de la part de l'évêque, qu'ils furent contraints de se retirer avec confusion. Ce prélat, cassé de vieillesse, mais plein de feu et de vivacité, était Grégoire, père de l'illustre docteur de l'église, si connu par sa sainteté et par ses admirables écrits. Césarée, capitale de la province, éprouva toute la colère de l'empereur. Comme elle était peuplée de chrétiens, et qu'on y avait ruiné les temples de Jupiter et d'Apollon, anciennes divinités tutélaires de la ville, elle lui était depuis long-temps odieuse; et cette haine venait de s'accroître par la destruction du temple de la Fortune, le seul qui eût subsisté à Césarée jusqu'à la mort de Constance. Julien punit tout à la fois les chrétiens d'avoir ruiné cet édifice, et les païens de l'avoir souffert, et de n'avoir pas, quoiqu'ils fussent en petit nombre, défendu jusqu'à la mort le culte de leur déesse. Il ôta à la ville le nom de Césarée, qui lui avait été donné par Tibère, et lui fit reprendre son ancien nom de Mazaca[405]: il imposa aux habitants une amende de trois cents livres d'or. Tous ceux qui avaient prêté leurs mains à ce prétendu sacrilége furent condamnés à la mort ou à l'exil. Eupsychius, un des plus nobles citoyens[406], expira dans de cruels supplices. Les biens meubles et immeubles des églises de la ville et du territoire furent confisqués. On enrôla les ecclésiastiques dans la milice destinée au service des gouverneurs[407]: c'était en même temps la plus méprisée et la plus onéreuse. Les chrétiens furent assujettis à la taille[408], comme dans les moindres bourgades. Julien protesta avec serment que, si on ne relevait au plus tôt les temples abattus, il ne laisserait à aucun Galiléen la tête sur les épaules[409]. Ce fut ainsi qu'il s'exprima; et cette menace aurait été suivie de l'exécution, s'il eût vécu plus long-temps. L'église de Césarée était alors partagée au sujet de l'élection de son évêque. Julien voulut connaître de ce différend, qu'il traitait de désordre et de sédition: il fit écrire aux prélats divisés une lettre menaçante; mais l'évêque de Nazianze répondit avec tant de force et de hardiesse, que Julien ne jugea pas à propos de se commettre avec ce vieillard intrépide.
[405] Ce nom lui venait, selon l'historien arménien Moïse de Khoren (l. 1, c. 12), de son fondateur Méschag, parent du roi d'Arménie Aram, qui lui avait donné la souveraineté de ce territoire. Les Arméniens appelaient cette ville Majak.—S.-M.
[406] Καππαδόκης τῶν εὐπατριδῶν, dit Sozomène. C'est le 3 ou le 5 septembre qu'il mourut.—S.-M.
[407] Κληρικοὺς δὲ πάντας ἐγγραφῆναι τῷ καταλόγῳ τῶν ὑπὸ τὸν ἄρχοντα τοῦ ἔθνους ϛρατιωτῶν (Soz. l. 5, c. 4); c'est-à-dire qu'on fit inscrire tous les clercs sur les registres des soldats du commandant de la province. C'étaient des soldats ou plutôt des bourgeois armés qui faisaient un service de police.—S.-M.
[408] Φόρους τελεῖν, dit Sozomène (l. 5, c. 4), à acquitter les charges ou à payer le tribut.—S.-M.
[409] Οὐ δὲ τὰς κεφαλὰς συγχωρήσει τοὺς Γαλιλαίους ἔχειν.—S.-M.
XXXVI. Il arrive à Antioche.
Amm. l. 22, c. 9.
Liban. or. 10, t. 2, p. 300.
Till. note 6.
Celsus[410], gouverneur de Cilicie, vint le recevoir au passage du mont Taurus[411]. Julien l'aimait depuis qu'ils s'étaient trouvés ensemble dans les écoles d'Athènes. Il l'embrassa tendrement, et l'ayant fait asseoir à côté de lui dans son char, il entra dans la ville de Tarse. A l'issue d'un sacrifice, Celsus, qui avait été disciple de Libanius, prononça en présence de Julien un long panégyrique qui fatigua beaucoup et le héros et l'orateur. Le prince était debout devant l'autel, et l'on était alors dans les grandes chaleurs du mois de juillet. De Tarse Julien alla droit à Antioche, où il arriva près de deux mois après son départ de Constantinople. Tout le peuple de cette capitale de l'Orient sortit au-devant de lui: les païens le reçurent avec toute la pompe dont on honorait l'entrée des divinités[412]. Quoique le christianisme, qui avait autrefois commencé à prendre son nom dans cette ville, y fût très-florissant, il s'y trouvait cependant un grand nombre d'idolâtres. Ceux-ci célébraient dans ce temps-là les fêtes d'Adonis[413]; et les acclamations de joie étaient interrompues par les cris lugubres des femmes, qui, selon l'ancien usage, pleuraient la mort de ce héros de la volupté. Ce mélange de deuil fut regardé comme un sinistre présage, et la superstition ne manqua pas de s'en alarmer dans le moment, et de le rappeler après la mort du prince.
[410] Ce Celsus était Cilicien, fils d'un certain Hésychius.—S.-M.
[411] Dans un lieu nommé Pylæ, c'est-à-dire les Portes, qui sépare la Cappadoce de la Cilicie, qui Cappadocas discernit et Cilicas, Amm. Marc. l. 22, c. 9. Ce lieu est mentionné dans l'itinéraire de Bordeaux à Jérusalem, qui le place à douze milles de Podandus.—S.-M.
[412] Urbique propinquans in speciem alicujus numinis votis excipitur publicis. Amm. Marc. l. 22, c. 9.—S.-M.
[413] Evenerat iisdem diebus annuo cursu completo Adonia ritu veteri celebrari. Amm. Marc. l. 22, c. 9.—S.-M.