Histoire du Bas-Empire. Tome 02
XLIV. Révolte de deux légions.
Amm. l. 21, c. 11, 12, et l. 22, c. 8.
Zos. l. 3, c. 11.
Julien travaillait à réunir autour de lui les garnisons de Pannonie, d'Illyrie et de Mésie, lorsqu'il apprit une révolte capable de traverser ses projets. Il avait trouvé à Sirmium deux légions de Constance et une cohorte de sagittaires. Comme il ne comptait pas assez sur leur fidélité pour les incorporer à son armée, il les envoya en Gaule sous prétexte que cette province avait besoin de leur secours. Ces troupes ne s'éloignaient qu'à regret; elles se rebutaient de la longueur du voyage, et redoutaient les Germains contre lesquels on allait les employer. Un commandant de cavalerie[343], nommé Nigrinus, né en Mésopotamie, esprit remuant et séditieux, acheva de les aigrir. Lorsqu'elles furent arrivées à Aquilée, elles s'emparèrent de la ville, forte par son assiette et par ses murailles; et de concert avec les habitants encore attachés au nom de Constance, elles fermèrent les portes, mirent en état de défense les tours et les remparts, et firent toutes les dispositions nécessaires pour soutenir leur révolte. Un pareil exemple pouvait devenir contagieux pour toute l'Italie. D'ailleurs, la perte d'Aquilée fermait à Julien le passage des Alpes Juliennes, et le privait des secours qu'il attendait de ce côté-là; il résolut donc de reprendre au plus tôt cette place. Il envoya ordre à Jovinus, qui venait de passer les Alpes avec sa division, et qui n'était encore que dans le Norique[344], de retourner sur ses pas et d'attaquer Aquilée. Il lui commanda aussi d'arrêter et d'employer avec ses troupes, les divers détachements qui venaient successivement de la Gaule pour joindre l'armée. Le siége fut long, et la ville ne se rendit que deux mois après la mort de Constance. Mais pour ne pas diviser un événement de cette espèce, je vais en raconter toute la suite.
[343] Equitum turmæ tribunus.—S.-M.
[344] Le Noricum répond à la Carinthie, la Styrie et la partie de l'archiduché d'Autriche située au sud du Danube.—S.-M.
XLV. Siége d'Aquilée.
L'armée s'étant campée sur deux lignes, autour de la ville, on tenta d'abord dans une conférence de ramener les assiégés à l'obéissance. Les deux partis se séparèrent avec plus d'aigreur qu'auparavant. Le lendemain au point du jour, l'armée sort du camp; les assiégés paraissent sur les murs en bonne contenance, et les deux partis se défient par de grands cris. Les assiégeants s'approchent couverts de madriers et de claies, et portant des échelles. Ils sapent les murs; ils montent à l'escalade: mais les pierres et les javelots écrasent, renversent, percent les premiers; les autres fuyent, et entraînent ceux qui les suivent. Ce succès encourage les assiégés: ils préviennent tous les dangers avec une vigilance infatigable. Le terrain ne permettait ni de faire avancer des béliers, ni d'établir des machines, ni de creuser des souterrains. Le Natison baignait la ville à l'orient. Jovinus crut pouvoir en profiter. Il joignait ensemble trois grosses barques, y élevait des tours de bois plus hautes que celles de la ville, et les faisait ensuite approcher du mur. Alors les soldats postés sur le haut de ces tours accablaient de traits et de javelots les défenseurs des murailles, tandis que d'autres soldats placés aux étages inférieurs s'efforçaient, à l'aide de leurs ponts volants, les uns de sauter sur le mur, les autres de percer les tours de la ville et de s'y ouvrir un passage. Cette tentative fut encore inutile. Les traits enflammés qu'on lançait sur les tours des assiégeants y mettaient le feu; le poids des soldats dont elles étaient chargées, et qui pour éviter les flammes se portaient tous en arrière, les faisant pencher, elles se renversaient dans le fleuve; et les pierres et les dards achevaient de tuer ceux qui échappaient des flammes et des eaux. Les attaques continuèrent avec aussi peu de succès. Le fossé était bordé d'une fausse-braie: c'était une palissade appuyée d'un mur de gazon, qui servait de retraite aux assiégés dans leurs fréquentes sorties. Les assiégeants, rebutés d'une si opiniâtre résistance, changèrent le siége en blocus. Ils en vinrent même à ne laisser dans le camp que les soldats nécessaires à la garde; les autres allaient piller les campagnes voisines, et devenaient de jour en jour plus paresseux et plus indisciplinés. Julien avait rappelé Jovinus, pour l'employer ailleurs. Le comte Immon, qu'il avait chargé de la conduite du siége, l'avertit de ce désordre. Pour ne pas perdre tout à la fois les légions qui assiégeaient et celles qui étaient assiégées, Julien envoya le général Agilon, alors en grande réputation de probité et de valeur, afin de déterminer les assiégés à se rendre, en leur apprenant la mort de Constance. Avant son arrivée, Immon tenta encore de réduire les habitants par la soif: il fit couper les canaux des aquéducs, et détourner le cours du fleuve. Les assiégés pourvurent à cette incommodité: ils eurent recours à quelques puits qu'ils avaient dans la ville, et dont on distribuait l'eau par mesure. Enfin Agilon arriva. S'étant approché des murailles, il annonça aux habitants que Constance était mort, et que Julien était paisible possesseur de tout l'empire. On refusa d'abord de le croire, et on ne lui répondit que par des injures; mais quand il eut obtenu d'être introduit dans la ville avec promesse qu'il ne lui serait fait aucune insulte, et qu'il eût confirmé par serment ce qu'il annonçait, alors les habitants ouvrent leurs portes, ils protestent qu'ils sont soumis à Julien; ils se disculpent en chargeant Nigrinus et quelques autres qu'ils livrent entre les mains du comte. Ils demandent même leur supplice, comme une réparation de tant de maux que ces esprits séditieux avaient attirés sur leur ville. Quelques jours après, la cause ayant été mûrement examinée, Nigrinus fut condamné par la sentence de Mamertinus à être brûlé vif, comme le premier auteur de la rébellion. Deux sénateurs nommés Romulus et Sabostius eurent la tête tranchée. On fit grace aux autres, et Julien fut bien aise d'adoucir par cet exemple de clémence le spectacle des rigueurs qu'il exerçait, dans le même temps, sur les ministres de Constance.
XLVI. Inquiétudes de Julien.
Amm. l. 21, c. 12, 15, et l. 22, c. 1 et 2.
Liban. or. 10, t. 2, p. 289.
Zos. l. 3, c. 11.
Pendant que la révolte d'Aquilée lui faisait craindre la perte de l'Occident, les nouvelles qu'il recevait de l'Orient ne lui causaient pas de moindres alarmes. Constance était en marche; et le comte Marcianus, ayant rassemblé les divers corps de troupes répandus dans la Thrace, approchait du pas de Sucques avec des forces capables de disputer le passage. Julien dans cet embarras consultait les augures et les aruspices; mais leurs pronostics, toujours équivoques, le laissaient dans une cruelle incertitude. Un orateur gaulois nommé Aprunculus[345], qui fut depuis gouverneur de la province Narbonnaise[346], vint lui annoncer la mort de Constance; il en avait vu, disait-il, des signes certains dans les entrailles d'une victime. Cette prédiction ne rassura pas Julien; il se défiait de la flatterie. On rapporte un trait plus frappant, s'il est véritable: on dit que dans le même moment que Constance expirait en Cilicie, l'écuyer qui donnait la main à Julien pour monter à cheval, étant tombé par terre, le prince s'écria: Voilà celui qui m'aidait à monter, renversé lui-même. Mais ce présage avait encore besoin d'être réalisé par l'événement, et toutes ces conjectures balançaient ses inquiétudes, sans être capables de les dissiper. Enfin il vit accourir à lui une troupe de cavaliers, à la tête desquels étaient deux comtes, Théolaïphe et Aligilde; on les avait dépêchés de Constantinople pour lui faire savoir que Constance n'était plus, et que tout l'Orient reconnaissait Julien pour seul empereur. Voici de quelle manière ce prince avait fini ses jours.
[345] Ou plutôt Aprunculus Gallus. Il était habile augure, haruspicinæ peritus.—S.-M.
[346] Rector postea Narbonensis. Amm. Marc. l. 22, c. 1.—S.-M.
XLVII. Constance revient à Antioche.
[Amm. l. 21, c. 13.]
La présence de Sapor, qui menaçait à tous moments de passer le Tigre, retenait Constance en Mésopotamie, lorsqu'il reçut la nouvelle de la marche de Julien. Il en fut d'abord alarmé, mais il ne perdit pas courage; il se détermina, de l'avis de son conseil, à détacher une partie de ses troupes et à les faire transporter en Thrace sur les voitures publiques, pour arrêter les progrès du rebelle. Elles étaient sur le point du départ, lorsqu'on vint l'avertir que le roi de Perse avait enfin pris le parti de retourner dans ses états[347]. Constance, à cette nouvelle, reprend le chemin d'Antioche. Etant arrivé à Hiérapolis, il assemble ses soldats, et faisant un effort sur lui-même pour prendre un air d'assurance, il leur parle en ces termes: «Depuis que je tiens le gouvernail de l'empire, j'ai sacrifié tout, jusqu'à mon autorité même, à l'intérêt public, et je me suis fait une étude de me plier aux circonstances. Le succès n'a pas répondu à la droiture de mes intentions, et je me vois aujourd'hui obligé de vous faire l'aveu de mes fautes: elles ne sont, à vrai dire, que les effets d'une bonté qui méritait bien d'être plus heureuse. Dans le temps que l'Occident était troublé par la révolte de Magnence, qui a succombé sous votre valeur, j'ai conféré la puissance de César à mon cousin Gallus, et je l'ai chargé de la défense de l'Orient. Je ne rappelle point ici ses excès; les lois qu'il avait violées, ont été forcées de le punir. C'était pour nous un souvenir affligeant; et plût au ciel que la fortune, jalouse de notre repos, se fût contentée de cette épreuve: elle nous porte aujourd'hui une atteinte encore plus fâcheuse, mais dont la providence divine et votre bravoure sauront bien nous défendre. Julien à qui j'ai confié le soin de la Gaule, tandis que vous étiez occupés avec moi à couvrir l'Illyrie, enorgueilli de quelques avantages remportés sur des Barbares sans discipline et presque sans armes, et soutenu d'une poignée de troupes étrangères, dont la brutalité et l'aveugle audace font toute la valeur, a juré la perte de l'état. Mais la majesté de l'empire et la justice qui en est le plus ferme appui, toujours prête à punir de si noirs forfaits, détruiront bientôt ces projets d'une ambition criminelle. C'est la confiance que m'inspirent et ma propre expérience et les exemples des siècles passés. Prêtons nos bras à la vengeance divine: courons étouffer le monstre de la guerre civile, avant qu'il ait eu le temps de s'accroître. Ne doutez pas que l'Être souverain, toujours ennemi des ingrats, ne combatte à votre tête, et qu'il ne fasse retomber sur ces séditieux tous les maux dont ils osent menacer leurs bienfaiteurs. Déja vaincus par leur propre conscience, ils ne pourront soutenir vos regards, ni le cri de bataille, qui leur reprochera leur perfidie.» Ce discours animé par la colère, la fit passer dans tous les cœurs[348]. Tous s'écrient qu'ils sont prêts à sacrifier leur vie; qu'on les conduise promptement contre les rebelles. L'empereur fit aussitôt partir Gumoaire avec une troupe d'auxiliaires[349], pour se joindre à Marcianus, et fermer le passage de Sucques du côté de la Thrace. Il choisissait cet officier par préférence, parce qu'il était ennemi personnel de Julien, qui l'avait traité avec mépris. Il continua sa marche vers Antioche avec le reste de son armée.
[347] Sapor ne s'était décidé à se retirer que parce que les augures qu'il consultait depuis long-temps continuaient de lui être contraires. Eique hæc disponenti luce posterâ nuntiatur, Regem cum omni manu quam duxerat, ad propria revertisse, auspiciis dirimentibus, dit Ammien Marcellin, l. 21, c. 13.—S.-M.
[348] Un certain Théodote, qu'Ammien Marcellin qualifie de præsidalis d'Hiérapolis, et d'autres notables (Honorati) de la ville, supplièrent Constance de leur envoyer la tête du rebelle Julien, pour qu'elle fût donnée en spectacle, comme l'avait été celle de Magnence. Julien pardonna dans la suite à ce misérable (Amm. Marc., l. 22, c. 14). Voyez ci-après, dans le tome III, liv. XIII, § 4.—S.-M.
[349] Avec des Lètes, cum Lætis. Voyez ce que j'ai dit de ces peuples ci-devant, l. XI, § 13, p. 332, note 1.—S.-M.
XLVIII. Mort de Constance.
Amm. l. 21, c. 13, 14 et 15.
Ath. de syn. t. 1, p. 748.
Greg. Naz. or. 21, t. 1, p. 389.
Vict. epit. p. 227.
Eutr. l. 10.
Hier. chron. et epist. 60, t. 1, p. 341.
Idat. chron.
Socr. l. 2, c. 7.
Theod. l. 2, c. 32.
Soz. l. 5, c. 1.
Philost. l. 6, c. 5.
Zon. l. 13, t. 2, p. 22.
Chron. Alex. vel Pasch. p. 294.
Theoph. p. 39.
Cedren. t. 1, p. 303.
Cellar. geog. l. 3, c. 8, art. 122.
Till. Constance, not. 52.
Quelque assurance que témoignât Constance, il n'était pas sans alarmes: un pressentiment secret semblait l'avertir que sa fin était prochaine. Il confia, dit-on, à ses amis les plus intimes, qu'il ne voyait plus auprès de lui, je ne sais quel fantôme, qui avait coutume de l'accompagner. C'était, selon Ammien Marcellin, son génie tutélaire, qui avait pris congé de lui, ou plutôt, c'était la chimère d'un esprit naturellement faible, et troublé alors par de sombres inquiétudes. A peine était-il rentré dans Antioche, qu'ayant fait à la hâte les préparatifs de son expédition, il se pressa d'en sortir. L'automne était fort avancé[350]; les officiers n'obéissaient qu'en murmurant. Il donna ordre à Arbétion de prendre les devants avec les troupes légères[351]. A trois milles d'Antioche, près d'un bourg nommé Hippocéphale, il trouva sur son chemin au point du jour le cadavre d'un homme qu'on avait égorgé la nuit précédente. Ce présage l'effraya. Etant arrivé à Tarse, il sentit les premiers accès d'une fièvre légère qu'il crut pouvoir dissiper par le mouvement du voyage, et il gagna par des chemins montueux et difficiles une bourgade nommée Mopsucrènes, au pied du mont Taurus, sur les confins de la Cilicie et de la Cappadoce. Le lendemain, il se trouva trop faible pour continuer sa marche. La fièvre devint si ardente, que tout son corps en était embrasé. Destitué de secours et de remèdes, il s'abandonna aux larmes et au désespoir. Ammien Marcellin prétend qu'ayant encore toute sa raison, il désigna Julien pour son successeur. Quelques auteurs chrétiens rapportent que, dans ses derniers moments, tremblant à la vue du jugement de Dieu, il se repentit de trois choses: d'avoir versé le sang de ses proches, d'avoir donné à Julien la qualité de César, et de s'être livré à l'hérésie. Ces faits sont fort incertains; on sait que la renommée se plaît à charger la mort des princes de circonstances extraordinaires. Saint Athanase dit qu'il mourut dans l'impénitence, et que se voyant près de sa fin il se fit baptiser par Euzoïus, fameux Arien, alors évêque d'Antioche. Selon d'autres auteurs, il reçut le baptême à Antioche avant son départ. Après avoir rendu par la bouche une grande quantité de bile noire, il tomba dans une longue et douloureuse agonie, dans laquelle il expira le 3 de novembre[352], ayant vécu quarante-quatre ans, deux mois et vingt-deux jours, et régné depuis la mort de son père, vingt-quatre ans, cinq mois et douze jours. Il laissait enceinte sa femme Faustine: elle accoucha d'une fille qui fut nommée Constantia, et mariée à l'empereur Gratien.
[350] Autumno jam senescente, dit Ammien Marcellin, l. 21, c. 15.—S.-M.
[351] Avec les lanciers et les mattiaires, cum lanceariis et mattiariis. Ces derniers tiraient leur nom d'une sorte de javelot ou dard nommé mattium ou mattiobarbulum. Voyez à ce sujet la note de Henri Valois sur Ammien Marcellin, l. 21, c. 13.—S.-M.
[352] Selon Ammien Marcellin, cet événement arriva le 3 octobre (III non. octob., le 3 des nones d'octobre); mais il paraît que c'est une erreur produite par une inadvertance de copiste; car Idatius, Socrate, la chronique Paschale et Cédrénus s'accordent tous à mettre la mort de Constance au 3 novembre (III non. novemb.).—S.-M.
XLIX. Ses bonnes et mauvaises qualités.
Amm. l. 21, c. 16.
Liban. or. 12, t. 2, p. 399 et 400.
Themist. or. 4, p. 60.
Vict. epit. p. 227 et 228.
Eutr. l. 10.
Zon. l. 13, t. 2, p. 22.
Ce prince n'est mémorable que par la qualité de fils de Constantin. S'il est vrai qu'il ait été l'auteur du massacre de ses proches, cette action horrible est le seul trait de vigueur qui se rencontre dans toute sa vie. Tout le reste n'est que faiblesse. On n'y voit que vanité, jalousie, et une légèreté qui le rendait l'esclave de ses femmes, de ses flatteurs, de ses eunuques et le jouet des Ariens: indifférence pour le mérite, insensibilité à l'égard des provinces accablées, dont les plaintes ne le réveillèrent jamais; une timidité et une défiance qui le portèrent souvent à la cruauté. Au travers de tant de défauts on aperçoit quelques-unes de ces vertus qui peuvent s'assortir avec la médiocrité du génie: il était sobre; aussi fut-il rarement malade; mais toutes ses maladies furent dangereuses. Il dormait peu; sa chasteté fut irréprochable. Il maintenait avec soin la subordination entre les officiers, et la distinction entre les dignités civiles et militaires, dont il voulait que les fonctions fussent exactement séparées. Il se faisait une loi de ne donner les premières charges du palais qu'à ceux qui avaient passé par les grades inférieurs. Il récompensait assez libéralement les services, et se ressentait peu des injures personnelles. On dit que les habitants d'Édesse ayant, dans une sédition, abattu et traité avec outrage une de ses statues, en criant que celui dont la statue méritait un tel affront, n'était pas digne de régner, il ne tira aucune vengeance de cette insolence criminelle. Naturellement porté à rendre justice, il commit des injustices sans nombre, toujours trompé par ses courtisans, ou aveuglé par ses soupçons. Il avait quelque teinture des belles-lettres, et on l'y aurait cru plus habile, s'il n'eût pas succombé à la tentation de faire de mauvais vers. Il établit à Constantinople une bibliothèque, dont il donna le soin à un intendant. Il acheva les murailles de cette grande ville; il rebâtit plusieurs édifices qui commençaient à tomber en ruine. Il décorait les églises avec magnificence; il y attachait des revenus considérables, et traitait les évêques Ariens avec beaucoup de respect: mais les prélats catholiques n'éprouvaient de sa part que des rigueurs.
L. Dernières lois de Constance.
Cod. Th. l. 1, tit. 2, leg. 5.
L. 2, tit. 21.
leg. 1, 2 et ibi God.
L. 3, tit. 18. leg. unic. et ff. l. 25, tit. 6, leg. 2.
L. 6, tit. 29; tit. 1, 2, 3. 4, 5, et ibi God.
L. 8, tit. 1, leg. 5.
L. 9, tit. 23. leg. 1, et tit. 42, leg. 2, 3. 4, et ibi God.
L. 10, tit. 20. leg. 2, 6, 7, 8, 9 et ibi God.
L. 11, tit. 24, leg. 1, et tit. 34, leg. 2.
L. 13, tit. 5, leg. 9.
L. 14, tit. 1, leg. 1, et ibi God.
L. 15, tit. 12, leg. 2.
Cod. Just. l. 6, tit. 22, leg. 6.
L. 12, tit. 1, leg. 6.
Liban. or. 10, t. 2, p. 293-295.
Aurel. Vict. in Gallien. p. 158; et Dioclet. p. 166.
La Bleterie, vie de Julien, l. 2, p. 140.
Comme il est plus aisé d'établir des lois pour les autres, que de s'en imposer à soi-même, il fit plusieurs lois utiles pendant les sept dernières années de son règne. Nous allons rassembler ici les plus importantes de celles dont nous n'avons pas encore eu l'occasion de parler. Il déclara qu'il prendrait connaissance des jugements rendus par le préfet de Rome et par les proconsuls, quand il serait averti que les parties n'auraient osé en appeler. Il menaça de punition les juges qui négligeraient ou différeraient d'exécuter les rescrits du prince. La jurisprudence avait souvent varié au sujet des biens de ceux qui étaient condamnés à mort: tantôt on les avait laissés aux héritiers, tantôt ils avaient été saisis au profit du fisc. Constance ordonna d'abord qu'ils passeraient aux parents jusqu'au troisième degré: deux ans après, son caractère s'aigrissant de plus en plus par la malignité des délateurs, il décida par une loi contraire, que ces biens seraient confisqués. Il permit de révoquer les donations faites au prince par testament: jusqu'alors la flatterie dictait ces testaments, et une crainte servile les avait rendus irrévocables. L'empereur Sévère avait ordonné que les mères veuves, qui négligeraient de faire nommer des tuteurs à leurs enfants, seraient privées de leur héritage: Constance renouvela cette loi. Souvent les pères, en mariant leurs filles, les avantageaient au préjudice des autres enfants; et les veuves qui se remariaient, frustraient les enfants du premier lit: il remédia par deux lois à ces injustices. Ce prince estimait les lettres: il veut qu'on lui fasse connaître les officiers subalternes qui se distinguent par leurs connaissances ou par leur éloquence, afin de les avancer. Il défendit sous peine capitale de refondre la monnaie, ni d'en faire commerce en la changeant contre la monnaie étrangère: Elle ne doit pas être, dit-il, une marchandise, mais le prix des marchandises. Pour empêcher toute fraude sur cet article, il fixa la somme qu'il serait permis aux marchands de porter pour les frais de leurs voyages. Tout commerce étranger ne devait se faire que par échange, afin que les espèces marquées au coin du prince ne sortissent pas de l'empire. Il condamna à une amende de dix livres d'or ceux qui oseraient troubler en aucune manière la navigation des vaisseaux qui apportaient à Rome le blé de Carthage. Les terres de l'Afrique et de l'Égypte étaient taxées à une certaine quantité de blé, qu'elles devaient fournir pour la provision de Rome et de Constantinople: les propriétaires cherchaient à s'attacher à des personnes constituées en dignité, qui avaient le privilége d'affranchir leurs biens de cette obligation; par ce moyen ils s'en exemptaient, et tout le poids de cette charge retombait sur les autres habitants. Constance, instruit de cet abus, ordonna que ces patrons frauduleux seraient forcés à contribuer en la place de leurs prétendus clients. Il y avait des manufactures établies pour fabriquer les étoffes qui servaient à l'habillement des soldats, auxquels on délivrait les habits à l'entrée de l'hiver: on choisissait pour ce travail les ouvriers les plus habiles, qui étaient attachés à ces manufactures à titre de servitude; les particuliers les débauchaient souvent pour les employer à leur service; Constance défendit sur peine de cinq livres d'or d'en receler aucun: cette fraude ne laissa pas de subsister, comme on le voit par plusieurs lois des empereurs suivants. Les commis chargés de la subsistance des troupes s'enrichissaient aux dépens des soldats: cette fonction était depuis long-temps décriée et toujours recherchée; ils étaient comptables et même assujettis à la question, si leurs comptes n'étaient pas en règle; mais ils obtenaient par argent et par intrigues des dignités qui les exemptaient de la torture: Constance leur enleva cette ressource d'impunité, en les déclarant incapables de posséder aucune charge jusqu'à l'apurement de leurs comptes. Constantin n'avait pu abolir à Rome les spectacles de gladiateurs; les soldats et les gardes mêmes du prince, accoutumés à manier les armes, se louaient volontiers pour ces combats cruels: Constance leur défendit cet infâme trafic de leur propre sang; il condamna à six livres d'or ceux qui les y engageraient; et s'ils se présentaient d'eux-mêmes, il ordonna de les charger de chaînes et de les remettre entre les mains de leurs officiers. Pour maintenir l'honneur des dignités, et les sauver de l'avilissement où elles ne manquent pas de tomber, quand l'argent seul y donne entrée, il en interdit l'accès aux marchands, aux monétaires, aux commis, aux stationnaires (c'étaient de bas-officiers destinés à observer les délinquants dans les provinces et à les dénoncer aux juges), en un mot à tous ceux qui exercent ces professions, ces emplois, qu'on ne recherche que pour le profit: il ordonna d'écarter des charges ces sortes de gens et de les renvoyer à leur premier état. Les empereurs précédents avaient établi une sorte d'officiers publics pour avoir soin de faire transporter les blés nécessaires à la nourriture des armées, ou de recueillir les sommes d'argent qu'on exigeait quelquefois au lieu de blé. Ces officiers portaient pour cette raison le nom de frumentaires. Comme leur fonction les obligeait de parcourir les provinces, les princes se servirent d'eux comme d'autant de couriers et d'espions, pour porter et exécuter leurs ordres, rechercher, arrêter, et quelquefois même punir les criminels, et pour donner avis à l'empereur de tout ce qui se passait contre son service dans toute l'étendue de l'empire. Il leur arriva ce qui ne manque jamais d'arriver à des hommes de néant honorés de la confiance de leur maître; ils en abusèrent: leurs calomnies et leurs rapines les rendirent si odieux, que Dioclétien fut obligé de les supprimer. Il est difficile à ceux qui gouvernent de se détacher tout-à-fait d'un usage même dangereux, quand il paraît propre à les soulager dans les soins du gouvernement; les bons princes se flattent d'en écarter les abus; les méchants ne considèrent que leur propre commodité. Ces délateurs en titre d'office reparurent bientôt sous un autre nom qui exprimait mieux leur destination: on les appela les curieux; ils se nommaient eux-mêmes les yeux du prince, titre qui avait été honorable en Perse dès le temps de Cyrus. Ceux-ci n'avaient pas le pouvoir d'exécuter ni même d'arrêter les criminels; ils ne pouvaient que les dénoncer aux magistrats; ce qui leur était commun avec les stationnaires: ils furent de plus chargés d'empêcher l'exportation des marchandises qu'il n'était pas permis de faire sortir de l'empire, et de veiller à la conservation des postes et des voitures publiques. Constance les choisissait entre ceux qu'on appelait les agents de l'empereur. Sous un règne aussi faible, ils s'érigèrent bientôt en tyrans, surtout dans les provinces éloignées: ils mettaient à contribution le crime et l'innocence; point de coupable qui ne pût à force d'argent se procurer l'impunité; point d'innocent qui ne fût réduit à se racheter de leurs calomnies. Constance fit plusieurs lois pour retenir dans de justes bornes cette inquisition d'état. La facilité de s'enrichir les avait multipliés; il les réduisit à deux pour chaque province. Julien fit mieux; il abolit entièrement cet office. Mais on le vit renaître sous ses successeurs.