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Histoire du Consulat et de l'Empire, (Vol. 06 / 20): faisant suite à l'Histoire de la Révolution Française

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Arrivée de M. de Giulay à Lintz pour proposer un armistice.

Au moment où on allait quitter Lintz, il arriva au quartier général un émissaire de l'empereur d'Allemagne. C'était le général Giulay, l'un des officiers pris à Ulm, relâché depuis, et qui, ayant entendu Napoléon parler de ses dispositions pacifiques, en avait informé son maître de manière à lui faire quelque impression. En conséquence l'empereur François l'envoyait pour proposer un armistice. Napoléon refuse d'écouter toute proposition d'armistice qui ne serait pas suivie d'une sérieuse négociation de paix. Le général Giulay ne s'expliquait pas clairement, mais il était évident qu'il voulait que Napoléon s'arrêtât avant d'entrer à Vienne, et néanmoins il n'offrait en retour aucune garantie d'une paix prochaine et acceptable. Napoléon consentait bien à traiter de la paix sur-le-champ, avec un plénipotentiaire suffisamment accrédité, et autorisé à consentir les sacrifices nécessaires; mais accorder un armistice sans garantie d'obtenir ce qui lui était dû pour dédommagement de la guerre, c'était donner à la seconde armée russe le temps de rejoindre la première, et aux archiducs le temps de se réunir aux Russes sous les murs de Vienne. Napoléon n'était pas homme à commettre une telle faute. Il déclara donc qu'il s'arrêterait aux portes mêmes de Vienne, et ne les franchirait pas, si on venait à lui avec des propositions de paix sincères, mais qu'autrement il marcherait droit à son but, qui était la capitale de l'empire. M. de Giulay alléguait la nécessité de s'entendre avec l'empereur Alexandre, avant de fixer des conditions acceptables par toutes les puissances belligérantes. Napoléon répondit que l'empereur François, qui était en péril, aurait tort de subordonner ses résolutions à l'empereur Alexandre, qui n'y était pas; qu'il devait songer au salut de sa monarchie, et pour cela s'arranger avec la France, en laissant à l'armée française le soin de ramener les Russes chez eux. Napoléon ne s'était pas expliqué sur les conditions propres à le satisfaire, néanmoins tout le monde savait qu'il désirait les États vénitiens. Ces États formaient le complément de l'Italie; il n'aurait pas provoqué la guerre pour les acquérir; mais la guerre ayant été suscitée par l'Autriche, il était naturel qu'il prétendît à ce légitime prix de ses victoires. Il remit du reste à M. de Giulay une lettre, douce et polie, pour l'empereur François, suffisamment claire toutefois quant aux conditions de la paix.

Visite de l'électeur de Bavière à Napoléon.

Avant de partir, Napoléon reçut aussi l'électeur de Bavière, qui, n ayant pu le joindre à Munich, venait lui exprimer à Lintz sa reconnaissance, son admiration, sa joie, et surtout ses espérances d'agrandissement.

Napoléon n'était resté à Lintz que trois jours, c'est-à-dire le temps exactement nécessaire pour donner ses ordres. Mais ses corps n'avaient pas cessé de marcher, car, après avoir passé l'Inn les 28 et 29 octobre, la Traun le 31, l'Ens les 4 et 5 novembre, ils s'avançaient ce même jour sur Amstetten et Saint-Polten. Combat d'Amstetten. À Amstetten les Russes voulurent livrer un combat d'arrière-garde, pour se ménager le temps de sauver leurs bagages. La grande route de Vienne traversait une forêt de sapins. Les Russes prirent position dans une éclaircie de la forêt, qui laissait un certain espace libre à droite et à gauche de la route. Au milieu de cet espace, et en avant, se trouvait l'artillerie des Russes appuyée par leur cavalerie: en arrière et adossée au bois, leur meilleure infanterie. Murat et Lannes, en débouchant avec les dragons et les grenadiers Oudinot, aperçurent ces dispositions. C'était la première fois qu'ils rencontraient les Russes, et ils étaient pressés de leur apprendre comment se battaient les Français. Ils lancèrent les dragons et les chasseurs au galop sur la grande route, pour enlever l'artillerie et la cavalerie ennemies. Nos braves cavaliers, malgré la mitraille, eurent bientôt pris les pièces, sabré la cavalerie russe, et nettoyé le terrain. Mais il fallait enfoncer l'infanterie adossée aux bois de sapins. Les grenadiers Oudinot se chargèrent de cette tâche. Après un feu de mousqueterie extrêmement vif, ils marchèrent la baïonnette en avant sur les Russes. Ceux-ci, déployant une rare bravoure, se battirent corps à corps, et profitèrent longtemps de l'épaisseur du bois pour résister. Enfin nos grenadiers les forcèrent dans cette position, et les mirent en fuite, après leur avoir tué, blessé ou pris un millier d'hommes.

Murat et Lannes, cheminant ensemble, le premier avec sa cavalerie toujours en haleine, quoique accablée de fatigue, le second avec ses redoutables grenadiers, continuèrent la poursuite de l'ennemi les 6, 7 et 8 novembre, sans pouvoir le joindre nulle part. Lannes et Murat arrivés à Saint-Polten y trouvent l'ennemi en bataille. Les Russes, écrivait Lannes à Napoléon, fuient encore plus vite que nous ne les poursuivons; ces misérables ne s'arrêteront pas une fois pour combattre.—Arrivés le 8 devant Saint-Polten, Lannes et Murat les trouvèrent en bataille, faisant bonne contenance, comme s'ils avaient voulu engager une affaire sérieuse. Malgré leur ardeur, les deux chefs de notre avant-garde n'osèrent se permettre de hasarder une bataille sans l'Empereur. Ils se décident à attendre l'Empereur avant de rien entreprendre. D'ailleurs ils n'avaient pas de moyens suffisants pour la livrer. On resta en présence toute la journée du 8. On était près de la belle abbaye de Mölk. Cette riche abbaye, placée sur la rive escarpée du Danube, et dominant le large lit du fleuve de ses dômes magnifiques, présente l'un des plus beaux aspects du monde. On la réservait pour en faire le quartier général de l'Empereur. Elle renfermait d'abondantes ressources, surtout pour les malades et les blessés.

Murat fut logé au château de Mittrau, chez un comte de Montecuculli. Là divers avis lui apprirent que les Russes n'avaient pas l'intention de tenir à Saint-Polten. Effectivement, ils venaient de prendre une résolution importante. Après avoir ralenti la marche des Français, soit en coupant les ponts, soit en livrant des combats d'arrière-garde, et avoir accédé aux désirs de l'empereur d'Autriche, qui voulait que l'on disputât le plus longtemps possible la grande route de Vienne, les Russes crurent en avoir fait assez, et songèrent à leur propre sûreté. Ils repassèrent le Danube à Krems, à l'endroit où ce fleuve, terminant son coude au nord, reprend sa direction à l'est. (Voir la carte no 32.) Le motif qui les décida surtout à prendre cette détermination fut la nouvelle qu'une partie de l'armée française avait passé sur la rive gauche du Danube. Ils pouvaient craindre, en effet, que Napoléon, par une manœuvre imprévue, portant le gros de ses forces sur la rive gauche, ne les coupât de la Bohême et de la Moravie. Les Russes passent le Danube à Krems pour se retirer par la rive gauche vers leur grande armée. En conséquence, ils franchirent le Danube à Krems, et en brûlèrent le pont après l'avoir passé. Les ouvrages qui auraient permis de le défendre, et de s'en assurer la possession exclusive, étant à peine ébauchés, il n'y avait d'autre ressource que de le détruire. Ils opérèrent leur passage dans la journée du 9, laissant dans tout l'archiduché d'Autriche d'horribles traces de leur présence. Ils pillaient, ravageaient, tuaient même, se conduisaient enfin en vrais barbares, à tel point que les Français étaient presque considérés comme des libérateurs par les gens du pays. Leur conduite surtout envers les troupes autrichiennes n'était rien moins qu'amicale. Ils les traitaient avec une extrême arrogance, affectant de leur imputer les revers de cette campagne. Le langage des officiers et des généraux russes était à cet égard d'une hauteur blessante, et nullement méritée, car si les Autrichiens montraient moins de fermeté que les fantassins russes, ils leur étaient supérieurs sous tous les autres rapports.

Les Autrichiens, vivant fort mal avec les Russes, s'en séparèrent, pour aller concourir à la défense des ponts de Vienne, et M. de Meerfeld, avec son corps, se retira par la route de Steyer sur Léoben. Il marcha suivi par le général Marmont sur la route de Waidhofen à Léoben, et par le maréchal Davout sur celle de Saint-Gaming à Lilienfeld. Le chemin direct de Vienne se trouvait donc ouvert aux Français, et ils n'avaient que deux marches à faire pour se trouver aux portes de cette capitale, sans avoir devant eux aucun ennemi qui pût leur en disputer l'entrée.

La tentation devait être grande pour Murat. Il était difficile qu'il résistât au désir de se jeter en avant, et d'aller montrer à la capitale de l'Autriche sa personne, toujours la plus apparente dans les revues comme dans les dangers. Marche précipitée de Murat sur Vienne. Jamais une armée venue de l'Occident n'avait pénétré dans cette métropole de l'empire germanique. Moreau en 1800, le général Bonaparte en 1797, avaient signé des armistices au moment d'y arriver. Les Turcs seuls étaient parvenus au pied de ses murs sans les franchir. Murat ne résista pas à cette tentation, et le 10 et le 11 marcha sur Vienne, en pressant les maréchaux Soult et Lannes de le suivre. Toutefois il se garda d'y entrer, et s'arrêta à Burkersdorf, dans le défilé montagneux du Kahlenberg, à deux lieues de Vienne.

C'était une précipitation inutile, et même dangereuse. Un changement aussi imprévu que celui qui venait de se révéler dans la marche de l'ennemi valait la peine qu'on s'arrêtât pour attendre les ordres de l'Empereur. D'ailleurs on devançait trop le corps du maréchal Mortier, ainsi que la flottille destinée à tenir ce corps en communication avec l'armée, et on courait à l'aveugle, entre les Russes passés de l'autre côté du Danube, et les Autrichiens rejetés dans les montagnes.

Danger du corps de Mortier sur la rive gauche du Danube.

Dans cet instant, en effet, une échauffourée menaçait le maréchal Mortier, placé sur la rive gauche du Danube, en arrivant près de Stein, en présence des Russes qui avaient franchi le fleuve à Krems. Le danger du maréchal Mortier n'était pas précisément imputable à Murat, bien que celui-ci eût contribué à l'amener et à l'aggraver par son mouvement précipité sur Vienne, mais à une négligence qu'on ne rencontre presque jamais dans les opérations dirigées par Napoléon, et qui pourtant se rencontra cette fois, car il y a des lacunes même dans la vigilance la plus soutenue et la plus infatigable.

Partagé entre mille soins, Napoléon avait manqué à l'une de ses habitudes les plus invariables, qui consistait à s'assurer toujours de l'exécution de ses ordres après les avoir donnés. Il avait prescrit d'une manière générale la réunion en un seul corps des divisions Gazan, Dupont et Dumonceau, la formation d'une flottille sous le capitaine Lostanges, pour lier les colonnes qui marchaient sur la rive gauche avec celles qui marchaient sur la rive droite, et il avait trop compté sur ses lieutenants pour faire concorder toutes ces choses. Murat s'était avancé trop vite; Mortier, soit qu'il fût entraîné par le mouvement de Murat, soit qu'il n'eût pas tracé des instructions assez précises au général Dupont, avait laissé l'intervalle d'une marche entre la division Gazan qu'il avait avec lui, et les divisions Dupont et Dumonceau qui devaient le joindre. La flottille, difficile à réunir, était restée fort en arrière.

Napoléon cependant, prompt à remarquer ces inexactitudes, courut à Mölk, et devinant, sans le connaître encore, le danger du maréchal Mortier, arrêta le corps du maréchal Soult, que Murat avait voulu attirer à sa suite, et envoya des aides de camp à Murat et à Lannes pour ralentir leur mouvement. Il craignait non-seulement ce qui pouvait arriver au corps jeté sur la rive gauche du Danube, mais ce qui pouvait arriver à l'avant-garde elle-même imprudemment engagée dans les défilés du Kahlenberg.

LE MARÉCHAL MORTIER AU COMBAT DE DIRNSTEIN.

Nulle part les fautes ne sont aussitôt punies qu'à la guerre, car nulle part les causes et les effets ne s'enchaînent aussi rapidement. Les Russes, guidés sur le sol de l'Autriche par un officier d'état-major autrichien du premier mérite, le général Schmidt, s'aperçurent bien vite de l'existence d'une division française isolée sur la rive gauche du Danube, et résolurent de l'accabler. Les Russes forment le projet d'accabler Mortier. Rassurés par la destruction du pont de Krems, qui empêchait l'armée française de venir au secours de la division compromise, ne découvrant pas une masse de bateaux qui pût suppléer au pont, ils s'arrêtèrent pour se procurer un triomphe qui leur semblait facile. La division Gazan comptait à peine 5 mille hommes; les Russes étaient encore près de 40 mille depuis la séparation des Autrichiens. Le sol se prêtait à leurs projets. Le Danube sur ce point coule entre des rives escarpées, resserré par les montagnes de la Bohême, d'une part, et par les Alpes de Styrie, de l'autre. De Dirnstein à Stein et à Krems, la route de la rive gauche, étroite, taillée souvent dans le roc, est enfermée entre le fleuve et les montagnes qui la dominent. Les charrois y sont difficiles. Aussi le maréchal Mortier, qui la parcourait avec la division Gazan, avait-il placé sur des bateaux la seule batterie dont il pût disposer. Les chevaux, conduits à la main, suivaient la division haut le pied.

Le 11 novembre, pendant que Murat sur la rive droite courait jusqu'aux portes de Vienne, Mortier sur la rive gauche avait franchi Dirnstein, lieu où se trouvent les ruines du château dans lequel Richard Cœur de Lion fut retenu prisonnier. À ce point de Dirnstein, les hauteurs s'éloignent un peu, et laissent un espace entre leur pied et le fleuve. La route traverse cet espace, tantôt encaissée dans le sol, tantôt élevée au-dessus par une chaussée. La division française, engagée sur cette route, aperçut la fumée du pont de Krems qui brûlait encore. Bientôt elle reconnut les Russes, et se douta qu'ils avaient passé le Danube sur ce pont. Combat de Dirnstein. Sans trop se rendre compte de ce qu'elle avait devant elle, par l'ardeur commune qui entraînait toute l'armée, elle ne songea qu'à pousser en avant, et à combattre. Mortier en donna l'ordre, qui fut exécuté sur-le-champ. Un officier d'artillerie, depuis général Fabvier, qui commandait la batterie attachée à la division Gazan, fit débarquer ses pièces, et les mit en position. Les Russes se portèrent en masse serrée sur la division française. Le feu de l'artillerie causa dans leurs rangs de cruels ravages. Ils se jetèrent sur les canons pour les enlever. L'infanterie des 100e et 103e régiments de ligne les défendit avec une extrême vigueur. Il s'engagea, dans cette route étroite, un combat corps à corps des plus acharnés. Les canons furent pris, et repris immédiatement. À peine arrachés aux Russes, on les tira sur eux presque à bout portant, avec un effet horriblement meurtrier. Les Français, postés sur les moindres accidents de terrain, faisaient un feu de tirailleurs qui n'était pas moins redoutable que celui de leur artillerie. On se battit sur ce point une demi-journée, et à en juger d'après les blessés trouvés le lendemain, l'ennemi essuya de grandes pertes. On lui enleva 1,500 prisonniers. Enfin on resta maître du terrain, et on crut pouvoir s'y reposer.

On s'était avancé en combattant jusqu'à Stein. Le 4e léger, répandu sur les hauteurs qui dominent le lit du fleuve, y entretenait un feu de tirailleurs très-nourri, et qui d'instant en instant devenait plus vif. Bientôt on s'en expliqua la cause, qu'on avait d'abord peine à saisir. Les Russes avaient tourné les hauteurs. Avec deux colonnes formant une masse de 12 à 15 mille hommes, ils étaient descendus sur les derrières de la division Gazan, et ils étaient entrés à Dirnstein, que cette division avait traversé le matin. On était donc enveloppé, et séparé de la division Dupont, qui avait été laissée à une marche en arrière. Extrême péril de la division Gazan; noble conduite de cette division et du maréchal Mortier qui la commande. Il ne paraissait aucune portion de la flottille sur le Danube, et par conséquent il restait bien peu d'espérance de se sauver. La nuit approchait; la situation était affreuse, et on ne doutait pas d'avoir sur les bras une armée entière. Dans cette extrémité évidente à tous les yeux, il ne vint à l'esprit de personne, officiers ou soldats, de capituler. Mourir tous jusqu'au dernier, plutôt que de se rendre, fut la seule alternative qui se présenta à ces braves gens, tant était héroïque l'esprit qui animait cette armée! Le maréchal Mortier pensait comme ses soldats, et, comme eux, il était résolu à mourir plutôt qu'à livrer aux Russes son épée de maréchal. Il ordonna donc de marcher en colonne serrée, et de se faire jour à la baïonnette, en rétrogradant sur Dirnstein, où l'on devait être rejoint par la division Dupont. Il était nuit. On recommença dans l'obscurité le combat qu'on avait livré le matin contre les Russes, mais en sens contraire. On lutta encore corps à corps sur cette route étroite, les hommes étant tellement rapprochés qu'ils se prenaient souvent à la gorge. On gagna du terrain vers Dirnstein en combattant de la sorte. Cependant, après avoir enfoncé plusieurs masses d'ennemis, on désespérait d'arriver au but, et de se rouvrir une route qui se refermait sans cesse. Quelques officiers de Mortier n'entrevoyant plus de salut, lui proposaient de s'embarquer seul, et de soustraire au moins sa personne aux Russes, pour ne pas leur laisser un aussi beau trophée qu'un maréchal de France.—Non, répondit l'illustre maréchal, on ne se sépare pas d'aussi braves gens. On se sauve ou on périt avec eux.—Il était là l'épée à la main, combattant à la tête de ses grenadiers, et livrant des assauts répétés pour rentrer à Dirnstein, lorsque tout à coup on entendit sur les derrières de Dirnstein un feu des plus violents. La division Dupont, arrivée en toute hâte, sauve la division Gazan. L'espérance renaquit aussitôt, car, d'après toutes les probabilités, ce devait être la division Dupont qui arrivait. En effet, cette brave division, qui avait marché toute la journée, avait appris en avançant la dangereuse position du maréchal Mortier, et elle accourait à son secours. Le général Marchand, avec le 9e léger, soutenu des 96e et 32e régiments de ligne, les mêmes qui avaient figuré à Haslach, s'enfonça dans cette gorge. Les uns poussaient directement vers Dirnstein en suivant la grande route, les autres remontaient les ravins qui descendaient des montagnes, pour y refouler les Russes. Un combat, tout aussi acharné que celui que livraient en cet instant les soldats de la division Gazan, s'engagea dans ces défilés. Enfin le 9e léger pénétra jusqu'à Dirnstein, tandis que le maréchal Mortier y entrait par le côté opposé. Les deux colonnes se rejoignirent, et se reconnurent à la lueur du feu. Les soldats s'embrassèrent, pleins de joie d'échapper à un tel désastre.

Les pertes étaient cruelles des deux côtés, mais la gloire n'était pas égale, car 5 mille Français avaient résisté à plus de trente mille Russes, et avaient sauvé leur drapeau en se faisant jour. Ce sont là des exemples qu'il faut à jamais recommander à une nation. Des soldats qui sont résolus à mourir peuvent toujours sauver leur honneur, et réussissent souvent à sauver leur liberté et leur vie.

Le maréchal Mortier retrouva dans Dirnstein les 1500 prisonniers qu'il avait faits le matin. Les Russes perdirent, en morts, blessés ou prisonniers, 4 mille hommes environ. Dans le nombre était le colonel Schmidt. Les ennemis ne pouvaient pas éprouver une perte plus sensible, et ils eurent bientôt à la regretter amèrement. Les Français comptèrent 3 mille hommes hors de combat, tant morts que blessés. La division Gazan avait vu succomber la moitié de son effectif.

Quand Napoléon, qui était à Mölk, apprit l'issue de cette rencontre, il fut rassuré, car il avait craint la destruction entière de la division Gazan. Il fut ravi de la conduite du maréchal Mortier et de ses soldats, et envoya les plus éclatantes récompenses aux deux divisions Gazan et Dupont. Il les rappela sur la rive droite du Danube, afin de leur donner le temps de panser leurs plaies, et destina Bernadotte à les remplacer sur la rive gauche. Mais il s'en prit à Murat du décousu qui avait régné dans la marche générale des diverses colonnes de l'armée. Dure réprimande adressée par Napoléon à Murat, à l'occasion du danger couru par Mortier. Le caractère de Napoléon était indulgent, son esprit sévère. Il préférait à la bravoure brillante la bravoure simple, solide, réfléchie, quoiqu'il les employât toutes, telles que la nature les lui présentait dans ses armées. Il était ordinairement rigoureux pour Murat, dont il n'aimait pas la légèreté, l'ostentation, l'ambition inquiète, tout en rendant justice à son excellent cœur et à son éclatant courage. Il lui adressa une lettre cruelle, et pas assez méritée.—«Mon cousin, lui écrivait-il, je ne puis approuver votre manière de marcher. Vous allez comme un étourdi, et vous ne pesez pas les ordres que je vous fais donner. Les Russes, au lieu de couvrir Vienne, ont repassé le Danube à Krems. Cette circonstance extraordinaire aurait dû vous faire comprendre que vous ne pouviez agir sans de nouvelles instructions... Sans savoir quels projets peut avoir l'ennemi, ni connaître quelles étaient mes volontés dans ce nouvel ordre de choses, vous allez enfourner mon armée sur Vienne... Vous n'avez consulté que la gloriole d'entrer à Vienne... Il n'y a de gloire que là où il y a du danger. Il n'y en a pas à entrer dans une capitale sans défense.» (Mölk, le 11 novembre.)

Murat expiait ici les fautes de tout le monde. Il avait marché trop vite sans doute; mais quand il serait resté devant Krems, sans ponts et sans bateaux, il n'aurait pas été d'un grand secours pour Mortier, qui avait été surtout, compromis par la distance laissée entre les divisions Dupont et Gazan, et par l'éloignement de la flottille. Murat fut très-affligé. Napoléon, averti par son aide de camp Bertrand du chagrin de son beau-frère, corrigea par d'aimables paroles l'effet de cette dure réprimande.

Napoléon met à profit la marche précipitée de Murat, en lui ordonnant d'enlever les ponts de Vienne sur le Danube.

Napoléon, voulant à l'instant tirer parti de la faute même de Murat, lui enjoignit, puisqu'il était en vue de Vienne, non d'y entrer, mais de longer les murs de la ville, et d'enlever le grand pont du Danube, qui est jeté sur ce fleuve en dehors des faubourgs. Ce pont occupé, Napoléon ordonnait en outre de s'avancer en toute hâte sur le chemin de la Moravie, afin d'arriver avant les Russes au point où la route de Krems vient rejoindre la grande route d'Olmütz. Si on enlevait le pont, et si on marchait rapidement, il était possible d'intercepter la retraite du général Kutusof vers la Moravie, et de lui faire subir un désastre presque égal à celui du général Mack. Murat avait ici de quoi réparer ses torts, et il se pressa d'en saisir l'occasion.

Cependant il était peu croyable que les Autrichiens eussent commis la faute de laisser subsister les ponts de Vienne, qui devaient rendre les Français maîtres des deux rives du fleuve, ou que, s'ils les avaient laissés subsister, ils n'eussent pas tout préparé pour les détruire au premier signal. Rien n'était donc plus douteux que l'opération souhaitée plutôt qu'ordonnée par Napoléon.

Les Autrichiens avaient renoncé à défendre Vienne. Cette belle et grande capitale a une enceinte régulière, celle qui résista aux Turcs en 1683, et comme avec le temps elle n'a pu demeurer enfermée dans cette enceinte, et que de vastes faubourgs se sont élevés tout autour d'elle, on l'a enveloppée d'une muraille de peu de relief, en forme de redans, embrassant la totalité des terrains bâtis. Tout cela était de médiocre défense, car la muraille qui couvre les faubourgs était facile à forcer; et une fois maître des faubourgs, on pouvait, avec quelques obusiers, obliger le corps de place à se rendre. L'empereur François avait chargé le comte de Würbna, homme sage et conciliant, de recevoir les français, et de se concerter avec eux pour la paisible occupation de la capitale. Mais il était décidé qu'on leur disputerait le passage du fleuve.

Vienne est située à une certaine distance du Danube, qui coule à gauche de cette ville, et à travers des îles boisées. Un grand pont en bois, traversant les divers bras du fleuve, sert de communication d'une rive à l'autre. Les Autrichiens avaient disposé des matières incendiaires sous le tablier du pont, et étaient prêts à le faire sauter dès que les Français se montreraient. Ils se tenaient sur la rive gauche avec leur artillerie braquée, et un corps de 7 à 8 mille hommes, commandés par le comte d'Auersberg.

Murat s'était fort approché du pont sans entrer dans la ville, ce que les lieux rendaient facile. En ce moment le bruit d'un armistice se répandait de toutes parts. Napoléon arrivé au château de Schœnbrunn, qui, sur cette grande route, se présente avant Vienne, avait reçu une députation des habitants de cette capitale, accourus pour invoquer sa bienveillance. Il les avait accueillis avec tous les égards qui étaient dus à un peuple excellent, et que se doivent entre elles les nations civilisées. Il avait reçu aussi et paru écouter M. de Giulay, qui était venu pour réitérer les ouvertures déjà faites à Lintz. Surprise des ponts de Vienne. L'idée d'un armistice pouvant conduire à la paix, s'était ainsi rapidement propagée. Napoléon avait en même temps envoyé le général Bertrand, pour renouveler à Murat et à Lannes l'ordre d'enlever les ponts, s'il était possible. Murat et Lannes n'avaient pas besoin d'être aiguillonnés. Ils avaient placé les grenadiers Oudinot derrière les plantations touffues qui bordent le Danube, et s'étaient avancés eux-mêmes avec quelques aides de camp jusqu'à la tête de pont. Le général Bertrand et un officier du génie, le colonel Dode de la Brunerie, s'y étaient transportés de leur côté.

Une barrière en bois fermait cette tête de pont. On la fait abattre. Derrière, à quelque distance, se trouvait un hussard en vedette, qui tire son coup de carabine, et s'enfuit au galop. On le suit, on parcourt la ligne longue et sinueuse des petits ponts jetés sur les divers bras du fleuve, et on arrive au grand pont jeté sur le bras principal. Au lieu de madriers on ne voyait qu'un lit de fascines étendu sur le tablier. Au même instant un sous-officier d'artillerie autrichien se présente une mèche à la main. Le colonel Dode le saisit, et l'arrête, au moment où il allait mettre le feu aux artifices disposés sous les arches. On parvient ainsi jusqu'à l'autre bord; on s'adresse aux canonniers autrichiens, on leur dit qu'un armistice est signé ou va l'être, que la paix se négocie, et on demande à parler au général qui commande les troupes.

Les Autrichiens surpris hésitent, et conduisent le général Bertrand au comte d'Auersberg. Pendant ce temps une colonne de grenadiers s'avançait par ordre de Murat. On ne pouvait l'apercevoir, grâce aux grands arbres du fleuve, et aux sinuosités de cette route, qui tour à tour traversait des ponts et des îles boisées. En attendant leur arrivée on ne cessait pas de s'entretenir avec les Autrichiens, sous la bouche de leurs canons. Tout à coup la colonne de grenadiers longtemps cachée apparaît. À cette vue les Autrichiens, commençant à se croire trompés, se préparent à faire feu. Lannes et Murat, avec les officiers qui les accompagnent, se jettent sur les canonniers, leur parlent, les font hésiter de nouveau, et donnent ainsi à la colonne le temps d'accourir. Les grenadiers se précipitent enfin sur les canons, s'en saisissent, et désarment les artilleurs autrichiens.

Sur ces entrefaites le comte d'Auersberg survenait accompagné du général Bertrand et du colonel Dode. Il fut cruellement surpris en voyant le pont tombé aux mains des Français, et ceux-ci réunis en grand nombre sur la rive gauche du Danube. Il lui restait quelques mille hommes d'infanterie pour disputer ce qu'on lui avait enlevé. Mais on lui répéta tous les récits à l'aide desquels on avait déjà contenu les gardiens du pont, et on lui persuada qu'il devait avec ses soldats se retirer à quelque distance du fleuve. À chaque instant d'ailleurs de nouvelles troupes françaises arrivaient, et il n'était plus temps de recourir à la force. M. d'Auersberg s'éloigna donc, troublé, confondu, paraissant comprendre à peine ce qui venait de se passer.

C'est au moyen de cette ruse audacieuse, relevée par le courage inouï de ceux qui la tentèrent et la firent réussir, que tombèrent en notre pouvoir les ponts de Vienne. Quatre ans plus tard, faute de ces ponts, le passage du Danube nous coûta des batailles sanglantes, et qui faillirent être funestes.

La joie de Napoléon fut extrême en apprenant ce succès. Il ne songea plus à gourmander Murat, et le fit partir sur-le-champ avec la réserve de cavalerie, le corps de Lannes, et celui du maréchal Soult, pour aller, par la route de Stockerau et d'Hollabrunn, couper la retraite du général Kutusof.

Ces ordres expédiés, il donna tous ses soins à la police de Vienne et à l'occupation militaire de cette capitale. C'était un beau triomphe que d'entrer dans cette vieille métropole de l'empire germanique, au sein de laquelle l'ennemi n'avait jamais paru en maître. On avait dans les deux derniers siècles soutenu des guerres considérables, gagné, perdu de mémorables batailles; mais on n'avait pas encore vu un général victorieux planter ses drapeaux dans les capitales des grands États. Il fallait remonter au temps des conquérants pour trouver des exemples de résultats aussi vastes.

Police établie à Vienne.

Napoléon demeura de sa personne au château impérial de Schœnbrunn. Il confia le commandement de la ville de Vienne au général Clarke, et laissa le soin d'en faire la police aux milices bourgeoises. Il ordonna et fit observer la discipline la plus rigoureuse, et ne permit de toucher qu'aux propriétés publiques, telles que les caisses du gouvernement et les arsenaux. Le grand arsenal de Vienne contenait des richesses immenses: cent mille fusils, deux mille pièces de canon, des munitions de toute espèce. On avait lieu de s'étonner que l'empereur François ne l'eût pas fait évacuer au moyen du Danube. On s'empara de tout ce qu'il renfermait pour le compte de l'armée.

Napoléon distribua ensuite ses forces de manière à bien garder la capitale, et à observer la route des Alpes par laquelle les archiducs pouvaient arriver prochainement, celle de Hongrie par laquelle ils pouvaient arriver plus tard, celle enfin de Moravie sur laquelle les Russes étaient en force.

Arrivée du général Marmont à Léoben, et combat du maréchal Davout à Mariazell.

On a vu qu'il avait dirigé sur la grande route de Léoben le général Marmont, pour occuper le passage des Alpes, et sur le chemin de Saint-Gaming le maréchal Davout, pour tourner la position de Saint-Polten. M. de Meerfeld, avec le principal détachement autrichien, avait pris la grande route de Léoben. Se sentant poursuivi par le général Marmont, il s'était jeté par un col élevé sur le chemin de Saint-Gaming, que suivait le maréchal Davout. Celui-ci gravissait péniblement, à travers les neiges et les glaces d'un hiver précoce, les montagnes les plus escarpées, et grâce au dévouement des soldats, à l'énergie des officiers, il était parvenu à vaincre tous les obstacles, lorsque près de Mariazell, sur la grande route de Léoben à Saint-Polten par Lilienfeld, il rencontra le corps du général Meerfeld, fuyant le général Marmont. Un combat, du genre de ceux que Masséna avait autrefois livrés dans les Alpes, s'engagea aussitôt entre les Français et les Autrichiens. Le maréchal Davout culbuta ces derniers, leur prit 4 mille hommes, et rejeta le reste en désordre dans les montagnes. Il descendit ensuite sur Vienne. Le général Marmont, après avoir atteint Léoben presque sans coup férir, s'y arrêta, et attendit de nouvelles instructions de la part de l'Empereur.

Conquête du Tyrol par le maréchal Ney.

Les événements n'étaient pas moins favorables dans le Tyrol et l'Italie. Le maréchal Ney, chargé d'envahir le Tyrol après l'occupation d'Ulm, avait heureusement choisi le débouché de Scharnitz, la porta Claudia des anciens, pour y pénétrer. C'était l'un des accès les plus difficiles de cette contrée, mais il avait l'avantage de conduire droit sur Inspruck, au milieu des troupes disséminées des Autrichiens, qui, s'attendant peu à cette attaque, étaient répandus depuis le lac de Constance jusqu'aux sources de la Drave. Le maréchal Ney avait à peine 9 ou 10 mille hommes, soldats intrépides comme leur chef, et avec lesquels on pouvait tout entreprendre. Il leur fit escalader dans le mois de novembre les cols les plus élevés des Alpes, malgré les rochers que les habitants précipitaient sur leurs têtes, car les Tyroliens, fort dévoués à la maison d'Autriche, ne voulaient pas, ainsi qu'on les en menaçait, passer sous la domination de la Bavière. Il franchit les retranchements de Scharnitz, entra dans Inspruck, dispersa devant lui les Autrichiens surpris, et rejeta les uns sur le Vorarlberg, les autres sur le Tyrol italien. Le général Jellachich et le prince de Rohan se trouvèrent refoulés vers le Vorarlberg, et du Vorarlberg vers le lac de Constance, sur la route même par laquelle arrivait Augereau. Comme s'il avait été décidé par le destin qu'aucun des débris de l'armée d'Ulm n'échapperait aux Français, le général Jellachich, celui qui, lors de la reddition de Memmingen, s'était dérobé à la poursuite du maréchal Soult, vint donner sur le corps d'Augereau. Ne voyant aucune chance de se sauver, il mit bas les armes avec un détachement de 6 mille hommes. Le prince de Rohan, moins avancé vers le Vorarlberg, eut le temps de rétrograder. Il exécuta une marche audacieuse à travers les cantonnements de nos troupes, qui, après la prise d'Inspruck, gardaient négligemment le Brenner, trompa la surveillance de Loison, l'un des généraux divisionnaires du maréchal Ney, passa près de Botzen presque sous ses yeux, vint tomber sur Vérone et Venise, pendant que Masséna suivait en queue l'archiduc Charles. Masséna avait chargé le général Saint-Cyr, avec les troupes ramenées de Naples, de bloquer Venise, dans laquelle l'archiduc Charles avait laissé une forte garnison. Le général Saint-Cyr, étonné de la présence d'un corps ennemi sur les derrières de Masséna, lorsque celui-ci était déjà au pied des Alpes Juliennes, accourut en toute hâte, enveloppa le prince de Rohan, qui fut obligé, comme le général Jellachich, de mettre bas les armes. Le général Saint-Cyr en cette occasion prit environ 5 mille hommes.

Les deux archiducs abandonnent le Tyrol et l'Italie pour se rendre en Hongrie.

Pendant ce temps l'archiduc Charles continuait sa laborieuse retraite le long du Frioul, et au delà des Alpes Juliennes. Son frère, l'archiduc Jean, passant du Tyrol italien dans la Carinthie, suivait dans l'intérieur des Alpes une ligne tout à fait parallèle à la sienne. Les deux archiducs, désespérant avec raison d'arriver en temps utile sur l'une des positions défensives du Danube, et jugeant trop téméraire de se jeter dans le flanc de Napoléon, s'étaient décidés à se réunir à Laybach, l'un par Villach, l'autre par Udine, pour se diriger ensuite sur la Hongrie. Là ils pouvaient en toute sûreté se joindre aux Russes, qui occupaient la Moravie, et, leur jonction opérée avec ces derniers, reprendre l'offensive, si aucune faute n'avait compromis les armées coalisées, et s'il restait encore aux deux souverains d'Autriche et de Russie le courage de prolonger cette lutte.

Le général Marmont, placé en avant de Léoben, sur les crêtes qui séparent la vallée du Danube de celle de la Drave, voyait avec dépit défiler presque sous ses yeux les troupes de l'archiduc Jean, et brûlait d'impatience de les combattre. Mais un ordre précis enchaînait son ardeur, et lui enjoignait de se borner à la garde des défilés des Alpes.

Masséna, après avoir poursuivi l'archiduc Charles jusqu'aux Alpes Juliennes, s'était arrêté à leur pied, et n'avait pas cru devoir s'engager en Hongrie à la suite des archiducs. Il donnait la main au général Marmont, et attendait les ordres de l'Empereur.

Caractère des opérations que venait d'exécuter Napoléon en deux mois.

Tous ces mouvements s'étaient achevés vers le milieu de novembre, à peu près en même temps que la grande armée exécutait sa marche sur Vienne. Certes, on aurait imaginé un plan dans le calme du cabinet, avec les facilités qui abondent en traçant des projets sur la carte, qu'on n'aurait pas plus aisément disposé toutes choses. En six semaines, cette armée, passant le Rhin et le Danube, s'interposant entre les Autrichiens postés en Souabe, et les Russes arrivant sur l'Inn, avait enveloppé les uns, refoulé les autres vers le bas Danube, surpris le Tyrol par un détachement, puis occupé Vienne, et débordé la position des archiducs en Italie, ce qui avait réduit ces derniers à chercher un refuge en Hongrie! L'histoire n'offre nulle part un tel spectacle: en vingt jours de l'Océan sur le Rhin, en quarante du Rhin à Vienne! Et, tandis que la dissémination des forces si dangereuse à la guerre, n'amène le plus souvent que des revers, on avait vu ici des corps détachés au loin, qui, sans courir de danger, avaient atteint leur but, parce qu'au centre une masse puissante, frappant à propos des coups décisifs sur les principaux rassemblements de l'ennemi, avait imprimé une impulsion à laquelle tout cédait, et n'avait plus laissé sur ses derrières ou sur ses ailes que des conséquences faciles à recueillir: en sorte que cette dispersion apparente n'était en réalité qu'une habile distribution d'accessoires à côté de l'action principale, ordonnée avec une merveilleuse justesse! Mais, après avoir admiré cet art profond, incomparable, qui étonne par sa simplicité même, il faut admirer aussi dans cette manière d'opérer, une autre condition, sans laquelle toute combinaison, même la plus habile, peut devenir un péril, c'est une vigueur telle chez les soldats et les lieutenants, que, lorsqu'ils étaient surpris par un accident imprévu, ils savaient par leur énergie, comme les soldats du général Dupont à Haslach, du maréchal Mortier à Dirnstein, du maréchal Ney à Elchingen, donner à la pensée suprême qui les dirigeait le temps de venir à leur secours, et de réparer les erreurs inévitables dans les opérations même les mieux conduites. Répétons ce que nous avons dit plus haut, c'est qu'il faut un grand capitaine à de vaillants soldats, et de vaillants soldats aussi à un grand capitaine. La gloire leur doit être commune, aussi bien que le mérite des grandes choses qu'ils accomplissent.

Napoléon à Vienne ne voulait pas s'y repaître de la vaine gloire d'occuper la capitale de l'empire germanique. Il voulait terminer la guerre. On pourra lui reprocher dans sa carrière d'avoir abusé de la fortune, on ne lui reprochera jamais, comme à Annibal, de n'avoir pas su en profiter et de s'être endormi dans les délices de Capoue. Il se prépara donc à courir sur les Russes, afin de les battre en Moravie, avant qu'ils eussent le temps d'opérer leur jonction avec les archiducs. Ceux-ci, d'ailleurs, n'étaient le 15 novembre qu'à Laybach. Il leur fallait faire un bien grand circuit pour atteindre la Hongrie, la traverser ensuite, et gagner la Moravie vers Olmütz. C'était un trajet de plus de 150 lieues à exécuter. Vingt jours n'y auraient pas suffi. Napoléon à cette époque se trouvait à Vienne, et n'avait que quarante lieues à parcourir pour être à Brünn, capitale de la Moravie.

Distribution des divers corps de l'armée française autour de Vienne et sur la route de Moravie.

Il rapprocha le général Marmont qui était trop éloigné à Léoben, et lui assigna une position un peu en arrière, sur le faîte même des Alpes de Styrie, pour garder la grande route d'Italie à Vienne. Il lui enjoignit, au cas où les archiducs voudraient reprendre cette voie, de rompre les ponts et les routes, ce qui dans les montagnes permet, avec un corps peu nombreux, d'arrêter quelque temps un ennemi supérieur. Il lui défendit de se laisser aller au désir de combattre, à moins d'y être contraint. Il rapprocha Masséna du général Marmont, et les mit l'un et l'autre en communication immédiate. Les troupes conduites par Masséna prirent dès lors le titre de huitième corps de la grande armée. Napoléon disposa le corps du maréchal Davout tout autour de Vienne, une division, celle du général Gudin, en arrière de Vienne vers Neustadt (voir la carte no 32), pouvant en peu de temps donner la main à Marmont, une autre, celle du général Friant, dans la direction de Presbourg, observant les débouchés de la Hongrie; la troisième, celle du général Bisson (devenue division Caffarelli), en avant de Vienne, sur la route de la Moravie. Les divisions Dupont et Gazan furent établies dans Vienne même, pour s'y refaire de leurs fatigues et de leurs blessures. Enfin les maréchaux Soult, Lannes, Murat, marchèrent vers la Moravie, tandis que le maréchal Bernadotte, ayant passé le Danube à Krems, suivait les pas du général Kutusof, et s'apprêtait à rejoindre, par la route même qu'avait prise ce général, les trois corps français qui allaient se battre avec les Russes.

Ainsi Napoléon à Vienne, placé au milieu d'un tissu habilement tendu autour de lui, pouvait accourir partout où la moindre agitation signalerait la présence de l'ennemi. Si les archiducs tentaient quelque chose vers l'Italie, Masséna et Marmont, liés l'un à l'autre, s'adossaient aux Alpes de Styrie (voir la carte no 32), et Napoléon, portant le corps de Davout vers Neustadt, était en force pour les soutenir. Si les archiducs se montraient par Presbourg et la Hongrie, Napoléon pouvait y porter le corps de Davout tout entier, un peu après Marmont, qui, à Neustadt, n'en était pas loin, et au besoin accourir lui-même avec le gros de l'armée. Enfin, s'il fallait faire tête aux Russes en Moravie, il pouvait, en trois jours, réunir aux corps de Soult, de Lannes, de Murat, qui s'y trouvaient déjà, celui de Davout, facile à retirer de Vienne, celui de Bernadotte, tout aussi facile à ramener de la Bohême. Il était donc en mesure partout, et remplissait au plus haut degré les conditions de cet art de la guerre, qu'un jour s'entretenant avec ses lieutenants, il définissait en ces termes: l'ART DE SE DIVISER POUR VIVRE, ET DE SE CONCENTRER POUR COMBATTRE. On n'a jamais mieux défini ni mieux pratiqué les préceptes de cet art redoutable, qui détruit ou fonde les empires.

Napoléon s'était hâté de profiter de la conquête des ponts de Vienne pour porter au delà du Danube les maréchaux Soult, Lannes et Murat, dans l'espérance de couper la retraite au général Kutusof, et d'arriver avant lui à Hollabrunn, où ce général, qui avait passé le Danube à Krems, devait rejoindre la route de Moravie. Le général Kutusof prenait sa direction vers la Moravie et non vers la Bohême, parce que c'était sur Olmütz, frontière de la Moravie et de la Gallicie, que la seconde armée russe avait elle-même tourné ses pas. Tandis qu'il s'avançait sur Hollabrunn, ayant le prince Bagration en tête, il fut tout à coup surpris et consterné en apprenant la présence des Français sur la grande route qu'il voulait suivre, et en acquérant ainsi la certitude d'être coupé. Faux armistice d'Hollabrunn. Il tendit alors à Murat le piége que Murat avait tendu aux Autrichiens pour leur enlever les ponts du Danube. Il avait auprès de lui le général Wintzingerode, le même qui avait négocié toutes les conditions du plan de campagne. Il le dépêcha auprès de Murat pour débiter à celui-ci les inventions au moyen desquelles on avait trompé le comte d'Auersberg, et qui consistaient à dire qu'il y avait à Schœnbrunn des négociateurs prêts à signer la paix. En conséquence, il lui fit proposer un armistice, dont la condition principale serait de s'arrêter les uns et les autres sur le terrain qu'on occupait, de manière que rien ne fût changé par la suspension des opérations. On devait, si elles étaient reprises, s'avertir six heures à l'avance. Murat trompé par ce faux armistice, comme le comte d'Auersberg au pont de Vienne. Murat, adroitement flatté par M. de Wintzingerode, sensible d'ailleurs à l'honneur d'être le premier intermédiaire de la paix, accepta l'armistice, sauf l'approbation de l'Empereur. Il faut ajouter, pour être juste, qu'une considération, qui n'était pas sans valeur, contribua beaucoup à l'engager dans cette fausse démarche. Le corps du maréchal Soult n'était pas encore sur le terrain, et il craignait, avec sa cavalerie et les grenadiers d'Oudinot, de n'avoir pas assez de forces pour barrer le chemin aux Russes. Il envoya donc un aide de camp au quartier général avec le projet d'armistice.

Le lendemain on se visita. Le prince Bagration vint voir Murat, montra beaucoup d'empressement et de curiosité pour les généraux français, et surtout pour l'illustre maréchal Lannes. Celui-ci, très-simple en ses allures, sans avoir pour cela moins de courtoisie militaire, dit au prince Bagration que s'il avait été seul, ils seraient actuellement occupés à se battre, au lieu de l'être à échanger des compliments. Dans le moment, en effet, l'armée russe, se couvrant de l'arrière-garde de Bagration, qui affectait de demeurer immobile, marchait rapidement derrière ce rideau, et regagnait la route de Moravie. Ainsi Murat, devenu dupe à son tour, laissait prendre à l'ennemi la revanche du pont de Vienne.

Bientôt arriva un aide de camp de l'Empereur, le général Lemarrois, qui apporta une sévère réprimande à Murat, pour la faute qu'il avait commise[5], et qui lui donna, tant à lui qu'au maréchal Lannes, l'ordre d'attaquer immédiatement, quelle que fût l'heure à laquelle leur parviendrait cette communication. Lannes, toutefois, eut soin d'envoyer un officier au prince Bagration pour le prévenir des ordres qu'il venait de recevoir. Combat d'Hollabrunn. On fit sur-le-champ les dispositions d'attaque. Le prince Bagration avait 7 à 8 mille hommes. Voulant achever de couvrir le mouvement de Kutusof, il prit la noble résolution de se faire écraser plutôt que de céder le terrain. Lannes poussa sur lui ses grenadiers. La seule disposition qui fût possible était celle de deux lignes d'infanterie, déployées en face l'une de l'autre, et s'attaquant sur un terrain peu accidenté. On échangea pendant quelque temps un feu de mousqueterie fort vif et fort meurtrier, puis on se chargea à la baïonnette, et, ce qui est rare à la guerre, les deux masses d'infanterie marchèrent résolument l'une contre l'autre, sans qu'aucune des deux cédât avant d'être abordée. On se joignit, puis après un combat corps à corps, les grenadiers d'Oudinot enfoncèrent les fantassins de Bagration, et les taillèrent en pièces. On se disputa ensuite, au milieu de la nuit, à la lueur des flammes, le village incendié de Schœngraben, qui finit par rester aux mains des Français. Les Russes se conduisirent vaillamment. Ils perdirent en cette occasion près de la moitié de leur arrière-garde, 3 mille hommes environ, dont plus de 15 cents restèrent étendus sur le champ de bataille. Le prince Bagration s'était montré par sa résolution le digne émule du maréchal Mortier à Dirnstein. Ce sanglant combat fut livré le 16 novembre.

Entrée de l'armée à Brünn.

On s'avança les jours suivants en faisant des prisonniers à chaque pas, et le 19 on entra enfin dans la ville de Brünn, capitale de la Moravie. On trouva la place armée et pourvue d'abondantes ressources. Les ennemis n'avaient pas même songé à la défendre. Ils laissaient ainsi à Napoléon une position importante, d'où il commandait la Moravie, et pouvait à son aise observer et attendre les mouvements des Russes.

Napoléon, en apprenant le dernier combat, voulut se rendre à Brünn, car les nouvelles d'Italie lui annonçant la retraite allongée qu'exécutaient les archiducs en Hongrie, il devinait bien que c'était aux Russes qu'il aurait principalement affaire. Il apporta quelques légers changements dans la distribution du corps du maréchal Davout autour de Vienne. Il dirigea sur Presbourg la division Gudin, qui ne semblait plus nécessaire sur la route de Styrie, depuis la retraite des archiducs. Il établit la division Friant, du même corps, en avant de Vienne, sur la route de Moravie. La division Bisson (devenue un moment division Caffarelli) fut détachée du corps de Davout, et portée sur Brünn, pour remplacer dans le corps de Lannes la division Gazan, restée à Vienne.

Napoléon porte son quartier général à Brünn, capitale de la Moravie.

Napoléon, arrivé à Brünn, y fixa son quartier général le 20 novembre. Le générale Giulay, accompagné cette fois de M. de Stadion, vint le visiter de nouveau, et parler de paix plus sérieusement que dans ses missions précédentes. Nouvelle mission de M. de Giulay au quartier général pour y parler de paix. Il est accompagné de M. de Stadion. Napoléon leur exprima à l'un et à l'autre le désir de poser les armes et de rentrer en France, mais ne leur laissa point ignorer à quelles conditions il y consentirait. Il n'admettrait plus, disait-il, que l'Italie, partagée entre la France et l'Autriche, continuât d'être entre elles un sujet de défiance et de guerre. Il la voulait tout entière jusqu'à l'Isonzo, c'est-à-dire qu'il exigeait les États vénitiens, seule partie de l'Italie qui lui restât à conquérir. Il ne s'expliqua pas sur ce qu'il aurait à demander pour ses alliés, les électeurs de Bavière, de Wurtemberg et de Baden; mais il déclara en termes généraux qu'il fallait assurer leur situation en Allemagne, et mettre fin à toutes les questions demeurées pendantes entre eux et l'empereur, depuis la nouvelle constitution germanique de 1803. MM. de Stadion et de Giulay se récrièrent fort contre la dureté de ces conditions. Mais Napoléon ne montra aucune disposition à s'en départir, et il leur donna à entendre que, livré sans partage aux soins de la guerre, il ne désirait pas garder auprès de lui des négociateurs, qui n'étaient au fond que des espions militaires, chargés de surveiller ses mouvements. Napoléon renvoie M. de Giulay et M. de Stadion à Vienne, auprès de M. de Talleyrand. Il les invita donc à se rendre à Vienne, auprès de M. de Talleyrand, qui venait d'y arriver. Napoléon, tenant peu de compte des goûts de son ministre, qui n'aimait ni le travail, ni les fatigues des quartiers généraux, l'avait appelé d'abord à Strasbourg, puis à Munich, et maintenant à Vienne. Il le chargeait de ces interminables pourparlers, qui, dans les négociations, précèdent toujours les résultats sérieux.

Durant les conférences que Napoléon avait eues avec les deux négociateurs autrichiens, l'un d'eux, se contenant mal, avait laissé échapper une parole imprudente, de laquelle il résultait évidemment que la Prusse était liée par un traité avec la Russie et l'Autriche. On lui avait bien mandé quelque chose de pareil de Berlin, mais rien d'aussi précis que ce qu'il venait d'apprendre. Cette découverte lui inspira de nouvelles réflexions, et le disposa davantage à la paix, sans le porter toutefois à se désister de ses prétentions essentielles. Suivre les Russes au delà de la Moravie, c'est-à-dire en Pologne, ne pouvait lui convenir, car c'était s'exposer à voir les archiducs couper ses communications avec Vienne. En conséquence il résolut d'attendre l'arrivée de M. d'Haugwitz, et le développement ultérieur des projets militaires des Russes. Il était également prêt ou à traiter, si les conditions proposées lui semblaient acceptables, ou à trancher dans une grande bataille le nœud gordien de la coalition, si ses ennemis lui en offraient une occasion favorable. Il laissa donc passer quelques jours, employant son temps à étudier avec un soin extrême, et à faire étudier par ses généraux le terrain sur lequel il se trouvait, et sur lequel un secret pressentiment lui disait qu'il serait peut-être appelé à livrer une bataille décisive. En même temps il laissait reposer ses troupes, accablées de fatigue, souffrant du froid, quelquefois de la faim, et ayant parcouru, en trois mois, près de cinq cents lieues. Aussi les rangs de ses soldats étaient-ils fort éclaircis, bien qu'on vît parmi eux moins de traînards qu'à la suite d'aucune armée. Un cinquième à peu près manquait à l'effectif, depuis l'entrée en campagne. Tous les militaires reconnaîtront que c'était bien peu après de telles fatigues. Du reste, dès qu'on s'arrêtait quelque part, les rangs se complétaient bientôt, grâce au zèle que les hommes restés en arrière montraient pour rejoindre leurs corps.

Réunion à Olmütz des empereurs d'Allemagne et de Russie.

De leur côté les deux empereurs de Russie et d'Allemagne, réunis à Olmütz, employaient leur temps à délibérer sur la conduite qu'ils devaient tenir. Le général Kutusof, après une retraite dans laquelle il n'avait essuyé que des défaites d'arrière-garde, ne ramenait cependant que 30 et quelques mille hommes, déjà habitués à combattre, mais épuisés de fatigue. Il en avait donc perdu 12 ou 15 mille, en morts, blessés, prisonniers ou écloppés. Alexandre, avec le corps de Buxhoewden et la garde impériale russe, en conduisait 40 mille, ce qui faisait environ 75 mille Russes. Quinze mille Autrichiens, formés des débris des corps de Kienmayer et de Meerfeld, et d'une belle division de cavalerie, complétaient l'armée austro-russe sous Olmütz, et la portaient à une force totale de 90 mille hommes[6].

Force de l'armée austro-russe réunie à Olmütz.

C'est le cas de remarquer combien étaient exagérées alors les prétentions de la Russie en Europe, en les comparant à l'état réel de ses forces. Elle voulait tenir la balance entre les puissances, et voici ce qu'elle présentait de soldats sur les champs de bataille où se décidaient les destinées du monde. Elle avait acheminé 45 à 50 mille hommes sous Kutusof; elle en amenait 40 mille sous Buxhoewden et le grand-duc Constantin, 10 mille sous le général Essen. Si on élève à 15 mille ceux qui agissaient dans le Nord de concert avec les Suédois et les Anglais, à 10 mille ceux qui se préparaient à agir vers Naples, on aura un chiffre total de 125 mille hommes, figurant en réalité dans cette guerre, et 100 mille tout au plus, si on en croyait les récits des Russes après leur défaite. L'Autriche en avait réuni plus de 200 mille, la Prusse en pouvait présenter 150 mille en ligne, la France 300 mille à elle seule. Nous parlons non pas de soldats portés sur les effectifs (ce qui fait une différence de près de moitié), mais de soldats présents au feu le jour des batailles. Bien que les Russes fussent des fantassins solides, ce n'est cependant pas avec cent mille hommes, braves et ignorants, qu'on devait alors prétendre à dominer l'Europe.

Les Russes, toujours fort méprisants pour leurs alliés les Autrichiens, qu'ils accusaient d'être de lâches soldats, de malhabiles officiers, continuaient à exercer sur le pays d'horribles ravages. Disette des provinces orientales de l'Autriche, et privations de l'armée austro-russe à Olmütz. La disette affligeait les provinces orientales de la monarchie autrichienne. On manquait du nécessaire à Olmütz, et les Russes se procuraient des vivres, non pas avec l'adresse du soldat français, maraudeur intelligent, rarement cruel, mais avec la brutalité d'une horde sauvage. Ils étendaient leurs pillages à plusieurs lieues à la ronde, et dévastaient complétement la contrée qu'ils occupaient. La discipline, ordinairement si dure chez eux, s'en ressentait visiblement, et ils se montraient peu satisfaits de leur empereur.

On n'était donc pas, dans le camp austro-russe, convenablement disposé pour prendre de sages déterminations. La légèreté de la jeunesse s'ajoutait au sentiment d'un grand malaise pour pousser à agir, n'importe de quelle manière, à changer de place, ne fût-ce que pour en changer. L'empereur Alexandre tombe sous de nouvelles influences. Nous avons dit que l'empereur Alexandre commençait à tomber sous des influences nouvelles. Il n'était pas content de la direction imprimée à ses affaires, car cette guerre malgré les flatteries dont une coterie l'avait entouré à Berlin, ne semblait pas tourner à bien, et, suivant l'usage des princes, il rejetait volontiers sur ses ministres les résultats d'une politique qu'il avait voulue, mais qu'il ne savait pas soutenir avec la persévérance qui pouvait seule en corriger le vice. Ce qui s'était passé à Berlin l'avait confirmé davantage encore dans ses dispositions. Il aurait commis bien d'autres fautes, disait-il, s'il avait écouté ses amis. En persistant à violenter la Prusse, il l'aurait jetée dans les bras de Napoléon, tandis qu'il venait au contraire par son habileté personnelle d'amener cette cour à prendre des engagements qui étaient l'équivalent d'une déclaration de guerre à la France. Aussi le jeune empereur ne voulait-il plus écouter de conseils, car il se croyait plus habile que tous ses conseillers. Le prince Adam Czartoryski, honnête, grave, passionné sous des dehors froids, devenu, comme on l'a vu, le censeur incommode des faiblesses et de la mobilité de son maître, soutenait une opinion qui devait le lui aliéner complétement. Selon ce ministre, l'empereur n'avait que faire à l'armée. Le prince Czartoryski conseille en vain à l'empereur Alexandre de ne pas se montrer à l'armée. Ce n'était pas là sa place. Il n'avait jamais servi, il ne pouvait pas savoir commander. Sa présence au quartier général, au milieu d'un entourage de jeunes gens légers, ignorants, présomptueux, annulerait l'autorité des généraux, et en même temps leur responsabilité. Dans une guerre qu'ils faisaient tous avec une certaine appréhension, ils ne demandaient pas mieux que de n'avoir pas d'avis, de ne rien prendre sur eux, et de laisser commander une jeunesse étourdie, pour n'être pas responsables des défaites auxquelles ils s'attendaient. Il n'y aurait plus ainsi que le pire des commandements à l'armée, celui d'une cour. Cette guerre au surplus serait féconde en batailles perdues. Pour la soutenir il fallait la constance, et la constance dépendait de la grandeur des moyens qu'on saurait préparer. Il fallait donc laisser les généraux remplir le rôle qui leur appartenait à la tête des troupes, et aller soi-même remplir le sien au centre du gouvernement, en soutenant l'esprit public, en administrant avec énergie et application, de manière à fournir aux armées les ressources nécessaires pour prolonger la lutte, seul moyen, sinon de vaincre, au moins de balancer la fortune.

On ne pouvait exprimer un sentiment ni plus sensé, ni plus désagréable à l'empereur Alexandre. Il avait essayé de jouer un rôle politique en Europe, et n'y avait pas encore réussi à son gré. Il se voyait entraîné dans une lutte qui l'aurait rempli d'effroi, si l'éloignement de son empire ne l'avait rassuré. Il avait besoin de s'étourdir par le tumulte des camps; il avait besoin, pour faire taire les murmures de sa raison, de s'entendre appeler à Berlin, à Dresde, à Weimar, à Vienne, le sauveur des rois. Ce monarque se demandait d'ailleurs s'il ne pourrait pas à son tour briller sur les champs de bataille; si, avec son esprit, il n'y serait pas mieux inspiré que ces vieux généraux, dont une jeunesse imprudente l'encourageait trop à dédaigner l'expérience; s'il ne pourrait pas enfin avoir sa part de cette gloire des armes, si chère aux princes, et alors exclusivement décernée par la fortune à un seul homme et à une seule nation.

Le prince Dolgorouki cherche à persuader à Alexandre qu'il doit se mettre à la tête de l'armée.

Il était confirmé dans ces idées par la coterie militaire qui l'entourait déjà, et à la tête de laquelle se trouvait le prince Dolgorouki. Celle-ci, pour mieux s'emparer de l'empereur, voulait l'entraîner à l'armée. Elle cherchait à lui persuader qu'il avait les qualités du commandement, et qu'il n'avait qu'à se montrer pour changer le destin de la guerre; que sa présence doublerait la valeur des soldats en les remplissant d'enthousiasme; que ses généraux étaient des routiniers, sans caractère; que Napoléon avait triomphé de leur timidité, de leur savoir usé, mais qu'il ne triompherait pas si aisément d'une jeune noblesse, intelligente et dévouée, conduite par un empereur adoré. Ces guerriers, si nouveaux dans le métier des armes, osaient soutenir qu'à Dirnstein, qu'à Hollabrunn, on avait vaincu les Français, que les Autrichiens étaient des lâches, qu'il n'y avait de braves que les Russes, et que si Alexandre venait les animer de sa présence, on arrêterait la prospérité arrogante et peu méritée de Napoléon.

Faiblesse de Kutusof qui n'a pas la force de combattre les mauvais conseils qu'on donne à Alexandre.

Le rusé Kutusof se hasardait timidement à dire qu'il n'en était pas tout à fait ainsi; mais, trop servile pour soutenir courageusement son avis, il se gardait de contrarier les nouveaux possesseurs de la faveur impériale, et avait la bassesse de laisser insulter sa vieille expérience. L'intrépide Bagration, le vicieux, mais brave Miloradovitch, le sage Doctoroff, étaient des officiers dont l'avis méritait quelque attention. Aucun de ces hommes n'était compté. Un Allemand, conseiller de l'archiduc Jean à Hohenlinden, le général Weirother, avait seul une véritable autorité sur la jeunesse militaire qui entourait Alexandre.

Dans le dernier siècle, depuis que Frédéric, à la bataille de Leuthen, avait battu l'armée autrichienne, en l'abordant par l'une de ses ailes, on avait inventé la théorie de l'ordre oblique, à laquelle Frédéric n'avait jamais pensé, et on avait attribué à cette théorie tous les succès de ce grand homme. Depuis que le général Bonaparte s'était montré si supérieur dans les hautes combinaisons de la guerre, depuis qu'on l'avait vu tant de fois surprendre, envelopper les généraux qui lui étaient opposés, d'autres commentateurs faisaient consister tout l'art de la guerre dans une certaine manœuvre, et ils ne parlaient plus que de tourner l'ennemi. Ils avaient inventé, à les en croire, une science nouvelle, et pour cette science un mot nouveau alors, celui de stratégie; et ils couraient l'offrir aux princes qui voulaient se laisser diriger par eux. Influence du chef d'état-major Weirother. L'Allemand Weirother avait persuadé aux amis d'Alexandre qu'il avait un plan des plus beaux, des plus sûrs pour détruire Napoléon. Il s'agissait d'une grande manœuvre, au moyen de laquelle on devait tourner l'empereur des Français, le couper de la route de Vienne, le jeter en Bohême, battu, et séparé pour jamais des forces qu'il avait en Autriche et en Italie.

L'esprit impressionnable d'Alexandre était tout à ces idées, tout à l'influence des Dolgorouki, et ne se montrait guère enclin à écouter le prince Czartoryski, lorsque ce dernier lui conseillait de retourner à Saint-Pétersbourg, pour aller gouverner, au lieu de venir livrer des batailles en Moravie.

Situation de l'empereur d'Allemagne au camp d'Olmütz.

Au milieu de cette agitation d'esprit de la jeune cour de Russie, on ne s'occupait guère de l'empereur d'Allemagne. On ne semblait faire cas ni de son armée, ni de sa personne. Son armée, disait-on, avait compromis à Ulm le sort de cette guerre. Quant à lui, on venait à son secours, il devait s'estimer heureux d'être secouru, et ne se mêler de rien. Il ne se mêlait pas en effet de beaucoup de choses, et ne faisait aucun effort pour résister à ce torrent de présomption. Il s'attendait à de nouvelles batailles perdues, ne comptait que sur le temps, s'il comptait alors sur quelque chose, et appréciait, sans le dire, ce que valait le fol orgueil de ses alliés. Ce prince, simple et de peu d'apparence, avait les deux grandes qualités de son gouvernement, la finesse et la constance.

On devine de quelle manière devait être traitée, parmi tant d'esprits vains, la grave question qu'il s'agissait de résoudre, celle de savoir s'il fallait ou ne fallait pas livrer bataille à Napoléon. Ces tableaux immortels que nous a légués l'antiquité, et qui nous représentent la jeune aristocratie romaine violentant par sa folle présomption la sagesse de Pompée, et l'obligeant à livrer la bataille de Pharsale, ces tableaux n'ont rien de plus grand, de plus instructif, que ce qui se passait à Olmütz, en 1805, autour de l'empereur Alexandre. Opinions diverses sur la convenance de livrer bataille. Tout le monde avait un avis sur la question de la bataille à chercher ou à éviter, tout le monde l'exprimait. La coterie dont les Dolgorouki étaient les chefs n'hésitait pas. Ne pas livrer bataille, à l'entendre, était une lâcheté et une faute insigne. D'abord on ne pouvait plus vivre à Olmütz; l'armée y expirait de misère, elle se démoralisait. En restant à Olmütz, on abandonnait à Napoléon, outre l'honneur des armes, les trois quarts de la monarchie autrichienne, et toutes les ressources dont elle abondait. En avançant, au contraire, on allait recouvrer d'un seul coup les moyens de vivre, la confiance, et l'ascendant toujours si puissant de l'offensive. Et puis, ne voyait-on pas que le moment de changer de rôle était venu; que Napoléon, ordinairement si prompt, si pressant, quand il poursuivait ses ennemis, s'était arrêté tout à coup, qu'il hésitait, qu'il était intimidé, car fixé à Brünn, il n'osait pas venir à Olmütz, à la rencontre de l'armée russe? C'est qu'il pensait à Dirnstein, à Hollabrunn; c'est que son armée était comme lui ébranlée. On savait, à n'en pas douter, qu'elle était abîmée de fatigue, réduite de moitié, en proie au mécontentement, livrée au murmure!

Objections de quelques hommes sages contre l'idée de livrer bataille.

C'étaient là les propos que cette jeunesse débitait avec une incroyable assurance. Quelques hommes sages, le prince Czartoryski notamment, tout aussi jeune, mais beaucoup plus réfléchi que les Dolgorouki, leur opposaient un petit nombre de raisons simples, qui auraient dû être décisives sur des esprits que le plus étrange aveuglement n'aurait pas complétement égarés. En ne tenant aucun compte, disaient-ils, de ces soldats, qui après tout étaient restés maîtres du terrain à Dirnstein comme à Hollabrunn, devant lesquels on avait toujours reculé depuis Munich jusqu'à Olmütz, en ne tenant aucun compte de ce général vainqueur de tous les généraux de l'Europe, le plus expérimenté du moins de tous les capitaines vivants, s'il n'était le plus grand, car il avait commandé en cent batailles, et ses adversaires actuels n'avaient jamais commandé dans une seule, en ne tenant compte ni de ces soldats ni de ce général, il y avait pour ne pas se hâter deux raisons péremptoires. La première, et la plus frappante, c'est qu'en attendant quelques jours encore, le mois stipulé avec la Prusse serait écoulé, et qu'elle serait obligée de se déclarer. Qui sait, en effet, si, en perdant une grande bataille auparavant, on ne lui fournirait pas l'occasion de se délier? En laissant, au contraire, expirer le délai d'un mois, 150 mille Prussiens entreraient en Bohême, Napoléon serait obligé de rétrograder, sans qu'on eût à courir avec lui la chance d'une bataille. La seconde raison pour différer, c'est qu'en donnant un peu de temps aux archiducs, ils arriveraient avec quatre-vingt mille Autrichiens de la Hongrie, et on pourrait alors se battre contre Napoléon, dans la proportion de deux, peut-être de trois contre un. Il était difficile sans doute de vivre à Olmütz; mais, s'il était vrai qu'on ne pût pas y passer encore quelques jours, il n'y avait qu'à se rendre en Hongrie, à la rencontre des archiducs. On trouverait là du pain, et quatre-vingt mille hommes de renfort. En ajoutant ainsi aux distances que Napoléon avait à parcourir, on lui opposerait le plus redoutable de tous les obstacles. On avait la preuve de cette vérité dans son immobilité même, depuis qu'il occupait Brünn. S'il n'avançait pas, ce n'était pas qu'il eût peur. Des militaires sans expérience pouvaient seuls prétendre qu'un tel homme avait peur. S'il n'avançait pas, c'est qu'il trouvait la distance déjà bien grande. Il était, effectivement, à 40 lieues au delà, non pas de sa capitale, mais de celle qu'il avait conquise, et en s'éloignant il la sentait frémir sous sa main.

On se décide à combattre, et on quitte Olmütz pour marcher sur Brünn.

Que répondre à de telles raisons? Assurément rien. Mais sur les esprits prévenus la qualité des raisons n'est d'aucun effet. L'évidence les irrite au lieu de les persuader. On décida donc autour d'Alexandre qu'il fallait livrer bataille. L'empereur François s'y prêta pour sa part. Il avait tout à gagner à ce que la question se décidât promptement, car son pays souffrait horriblement de la guerre, et il n'était pas fâché de voir les Russes s'essayer contre les Français, et se faire juger à leur tour. On prit le parti de quitter la position d'Olmütz, qui était fort bonne, sur laquelle on aurait pu facilement repousser une armée assaillante, quelque supérieure qu'elle fût en nombre, pour venir attaquer Napoléon dans la position de Brünn, qu'il étudiait avec soin depuis plusieurs jours.

Surprise d'un détachement français à Wischau.

On marcha sur cinq colonnes, par la route d'Olmütz à Brünn, pour se rapprocher de l'armée française. Arrivé à Wischau, le 18 novembre, à une journée de Brünn, on surprit une avant-garde de cavalerie et un faible détachement d'infanterie, placés dans ce bourg par le maréchal Soult. On employa trois mille chevaux à les envelopper, et puis, avec un bataillon d'infanterie, on pénétra dans Wischau même. On y ramassa une centaine de prisonniers français. L'aide de camp Dolgorouki eut la plus grande part à cet exploit. On y avait fait assister l'empereur Alexandre, auquel on persuada que cette escarmouche était la guerre, et que sa présence avait doublé la valeur de ses soldats. Ce léger avantage achève de troubler les jeunes têtes qui entourent Alexandre. Ce léger avantage acheva de bouleverser les jeunes têtes de l'état-major russe, et la résolution de combattre devint dès lors irrévocable. De nouvelles observations du prince Czartoryski furent fort mal reçues. Le général Kutusof, sous le nom duquel la bataille allait se livrer, ne commandait plus, et avait la coupable faiblesse d'accepter des résolutions qu'il désapprouvait. Il fut donc convenu qu'on attaquerait Napoléon dans sa position de Brünn, en suivant le plan que tracerait le général Weirother. On fit une marche de plus, et on vint s'établir en avant du château d'Austerlitz.

Napoléon pénètre les vues de l'état-major russe, et devine le projet qu'on a de lui livrer bataille.

Napoléon, qui avait pour deviner les projets de l'ennemi une rare sagacité, vit bien que les coalisés cherchaient une rencontre décisive avec lui, et il en fut fort satisfait. Il était préoccupé cependant des projets de la Prusse, que des nouvelles récentes de Berlin lui présentaient comme définitivement hostiles, et des mouvements de l'armée prussienne qui s'avançait vers la Bohême. Il n'avait pas de temps à perdre, il lui fallait ou une bataille foudroyante, ou la paix. Il doutait peu du résultat de la bataille, toutefois la paix offrait plus de sûreté. Les Autrichiens la proposaient avec une certaine apparence de sincérité, mais en se référant toujours, quant aux conditions, à ce que voudrait la Russie. Napoléon, avant de commettre le sort de la guerre à une bataille décisive, envoie le général Savary auprès de l'empereur Alexandre. Napoléon désira savoir ce qui se passait dans la tête d'Alexandre, et envoya au quartier général russe son aide de camp le général Savary, pour complimenter ce prince, lier conversation avec lui, et connaître au juste ce qu'il voulait.

Déc. 1805.

Le général Savary partit immédiatement, se présenta en parlementaire aux avant-postes, et eut quelque peine à parvenir jusqu'à l'empereur Alexandre. Pendant qu'il attendait le moment d'être introduit, il put juger des dispositions de cette jeune aristocratie moscovite, de son fol aveuglement, de son désir d'assister à une grande bataille. Elle ne prétendait à rien moins qu'à battre les Français, et à les ramener battus jusqu'aux frontières de France. Le général Savary écouta ces propos avec beaucoup de sang-froid, pénétra enfin auprès de l'empereur, lui porta les paroles de son maître, le trouva doux et poli, mais évasif, et peu en état d'apprécier les chances de la guerre actuelle. Sur l'assurance réitérée que Napoléon était animé de dispositions fort pacifiques, Alexandre s'informa des conditions auxquelles la paix serait possible. Le général Savary n'était pas en mesure de répondre, et il engagea l'empereur Alexandre à dépêcher un de ses aides de camp au quartier général français, pour conférer avec Napoléon. Il affirmait que le résultat de cette démarche serait des plus satisfaisants. Après bien des pourparlers, dans lesquels le général Savary, par excès de zèle, en dit plus qu'il n'avait mission d'en dire, Alexandre lui donna pour l'accompagner le prince Dolgorouki lui-même, le principal personnage de la nouvelle coterie, qui disputait à MM. de Czartoryski, de Strogonoff, de Nowosiltzoff, la faveur du czar. Ce prince Dolgorouki, quoique l'un des plus ardents déclamateurs de l'état-major russe, n'en fut pas moins extraordinairement flatté d'avoir une commission à remplir auprès de l'empereur des Français. Mission du jeune Dolgorouki auprès de Napoléon, et fâcheux résultat de cette mission. Il partit avec le général Savary, et fut présenté à Napoléon dans un moment où celui-ci, achevant la visite de ses avant-postes, n'avait dans son costume et son entourage rien d'imposant pour un esprit vulgaire. Napoléon écouta ce jeune homme, dépourvu de tact et de mesure, qui, ayant recueilli çà et là quelques-unes des idées dont se nourrissait le cabinet russe, et que nous avons fait connaître en exposant le projet du nouvel équilibre européen, les exprima sans convenance et sans à-propos. Il fallait, assurait-il, que la France abandonnât l'Italie, si elle voulait avoir la paix tout de suite; et si elle continuait la guerre, et qu'elle n'y fût pas heureuse, il faudrait qu'elle rendît la Belgique, la Savoie, le Piémont, pour constituer, autour d'elle et contre elle, des barrières défensives. Ces idées, très-maladroitement débitées, parurent à Napoléon la demande formelle de restituer immédiatement la Belgique, cédée à la France par tant de traités, et provoquèrent chez lui une irritation profonde, qu'il contint cependant, ne croyant pas que sa dignité lui permît de la laisser éclater en présence d'un tel négociateur. Il le congédia sèchement, en lui disant qu'on viderait ailleurs que dans des conférences diplomatiques les différends qui divisaient la politique des deux empires. Napoléon était exaspéré, et il n'eut plus qu'une pensée, celle de livrer une bataille à outrance.

Depuis la surprise de Wischau, il avait ramené son armée en arrière, dans une position merveilleusement choisie pour combattre. Il laissait voir dans ses mouvements une certaine hésitation qui contrastait avec la hardiesse accoutumée de ses allures. Cette circonstance, jointe à la démarche du général Savary, contribua encore à exalter les faibles intelligences qui dominaient l'état-major russe. Ce ne fut bientôt qu'un cri de guerre autour d'Alexandre. Napoléon reculait, disait-on; il était en pleine retraite; il fallait fondre sur lui, et l'accabler.

De part et d'autre on se prépare à une action décisive.

De leur côté, les soldats français, chez lesquels l'esprit abondait, virent bien qu'ils allaient avoir affaire aux Russes, et ils en conçurent une joie extrême. Des deux parts, on se prépara à une action décisive.

Napoléon, avec ce tact militaire qu'il avait reçu de la nature, et qu'il avait tant perfectionné par l'expérience, avait adopté, entre toutes les positions qu'il aurait pu prendre autour de Brünn, celle qui devait lui assurer les plus grands résultats, dans l'hypothèse où il serait attaqué, hypothèse qui était devenue une certitude.

Position choisie par Napoléon pour livrer bataille entre Brünn et Austerlitz.

Les montagnes de la Moravie, qui lient les montagnes de la Bohême à celles de la Hongrie (voir la carte no 32), vont s'abaissant successivement vers le Danube, à tel point que près de ce fleuve la Moravie n'offre plus qu'une large plaine. Aux environs de Brünn, capitale de la province, ces montagnes n'ont que la hauteur de fortes collines, et sont couvertes de sombres sapins. Leurs eaux, retenues par le défaut d'écoulement, forment de nombreux étangs, et se jettent par divers affluents dans la Morava (ou March), et par la Morava dans le Danube.

Ces caractères se trouvent tous réunis dans la position entre Brünn et Austerlitz, que Napoléon a rendue à jamais célèbre. (Voir la carte no 33.) La grande route de Moravie, en se dirigeant de Vienne à Brünn, s'élève en ligne droite vers le nord, puis, pour aller de Brünn à Olmütz, se rabat brusquement à droite, c'est-à-dire à l'est, décrivant ainsi un angle droit avec sa première direction. C'est dans cet angle que se trouve comprise la position indiquée. Elle commence à gauche, vers la route d'Olmütz, à des hauteurs hérissées de sapins; elle se prolonge ensuite à droite, en obliquant vers la route de Vienne, et, après s'être abaissée peu à peu, elle se termine à des étangs remplis d'eaux profondes en hiver. Le long de cette position, et en avant, coule un ruisseau, qui n'a aucun nom connu en géographie, mais qui, dans une partie de son cours, est appelé Goldbach par les gens du pays. Il traverse les petits villages de Girzikowitz, Puntowitz, Kobelnitz, Sokolnitz et Telnitz, et tantôt formant des marécages, tantôt encaissé dans des canaux, s'en va finir dans les étangs dont nous venons de parler, et qu'on appelle étangs de Satschan et de Menitz.

Concentré avec toutes ses forces sur ce terrain, appuyé d'un côté aux collines boisées de la Moravie, et particulièrement à un mamelon arrondi que les soldats d'Égypte avaient nommé le Santon, s'appuyant de l'autre aux étangs de Satschan et de Menitz, couvrant ainsi par sa gauche la route d'Olmütz, par sa droite la route de Vienne, Napoléon était en mesure de recevoir avec avantage une bataille défensive. Cependant il ne voulait pas se borner à se défendre, car il avait l'habitude de prétendre à de plus grands résultats. Il avait pénétré, comme s'il les avait lus, les projets longuement rédigés du général Weirother. Les Austro-Russes, n'ayant aucune chance de lui enlever le point d'appui qu'il trouvait à gauche dans de hautes collines boisées, devaient être tentés de tourner sa droite, qui ne joignait pas exactement les étangs, et de lui enlever la route de Vienne. Il y avait là de quoi les séduire, car, cette route perdue, Napoléon ne conservait d'autre ressource que celle de se retirer en Bohême. Le reste de ses forces, aventuré du côté de Vienne, était réduit à remonter isolément la vallée du Danube. L'armée française, ainsi fractionnée, se voyait condamnée à une retraite excentrique, périlleuse, désastreuse même, si elle rencontrait les Prussiens sur son chemin.

Napoléon comprit très-bien que tel devait être le plan de l'ennemi. Aussi, après avoir concentré son armée vers sa gauche et les hauteurs, laissa-t-il vers sa droite, c'est-à-dire vers Sokolnitz, Telnitz et les étangs, un espace qui fut à peine gardé. Il invitait ainsi les Russes à abonder dans leurs idées. Mais ce n'était pas là précisément qu'il leur préparait le coup mortel. En face de lui, le sol offrait un accident dont il espérait tirer un parti décisif.

Au delà du ruisseau qui parcourait le front de notre position, le terrain présentait d'abord, vis-à-vis de notre gauche, une plaine légèrement ondulée, que traversait la route d'Olmütz, puis, vis-à-vis de notre centre, il s'élevait successivement, et allait former en face de notre droite un plateau, appelé plateau de Pratzen, du nom d'un village qui se trouve situé à mi-côte, dans le creux d'un ravin. Ce plateau se terminait à droite en pentes rapides vers les étangs, et sur le revers il s'abaissait doucement du côté d'Austerlitz, dont le château se montrait à quelque distance.

Projet inspiré à Napoléon par la nature du terrain sur lequel il est appelé à combattre.

On apercevait là des forces considérables. La nuit, on voyait briller une multitude de feux; le jour, on découvrait un grand mouvement d'hommes et de chevaux. Napoléon ne douta plus, à cet aspect, des projets des Austro-Russes[7]. Ils voulaient, évidemment, descendre de la position qu'ils occupaient, et, traversant le ruisseau de Goldbach, entre les étangs et notre droite, nous séparer de la route de Vienne. Mais, pour ce cas, il était résolu à prendre l'offensive à son tour, à franchir le ruisseau par les villages de Girzikowitz et de Puntowitz, à gravir le plateau de Pratzen pendant que les Russes le quitteraient, et à s'en emparer lui-même. S'il réussissait, l'armée ennemie était coupée en deux, une partie était rejetée à gauche dans la plaine traversée par la route d'Olmütz, une partie à droite dans les étangs. La bataille ne pouvait manquer dès lors d'être désastreuse pour les Austro-Russes. Mais pour cela il fallait qu'ils ne commissent pas la faute à demi. L'attitude prudente, timide même de Napoléon, excitant leur folle confiance, devait les engager à commettre cette faute tout entière.

Ordres que donne Napoléon pour amener sur le champ de bataille toutes les troupes dont il peut disposer.

Napoléon arrêta ses dispositions d'après ces idées. (Voir la carte no 32.) S'attendant depuis deux jours à être attaqué, il avait ordonné à Bernadotte de quitter Iglau sur la frontière de la Bohême, d'y laisser la division bavaroise qu'il avait emmenée avec lui, et de se diriger à marches forcées sur Brünn. Marche rapide de la division Friant. Il avait ordonné au maréchal Davout de porter la division Friant, et, s'il était possible, la division Gudin, vers l'abbaye de Gross-Raigern, placée sur la route de Vienne à Brünn, à la hauteur des étangs. En conséquence de ces ordres, Bernadotte s'était mis en marche, et était arrivé dans la journée du 1er décembre. Le général Friant, seul averti à temps, parce que le général Gudin se trouvait plus loin vers Presbourg, était parti sur-le-champ, et en quarante-huit heures avait parcouru les trente-six lieues qui séparent Vienne de Gross-Raigern. Les soldats tombaient quelquefois sur la route, épuisés de fatigue; mais au moindre bruit, croyant entendre le canon, ils se relevaient avec ardeur, pour accourir au soutien de leurs camarades engagés, disait-on, dans une bataille sanglante. Le 1er décembre au soir, ils bivouaquaient, par un froid rigoureux, à Gross-Raigern, à une lieue et demie du champ de bataille. Jamais troupe à pied n'a exécuté une marche aussi étonnante, car c'est une marche de dix-huit lieues par journée, pendant deux jours de suite.

Le 1er décembre, Napoléon, renforcé du corps de Bernadotte et de la division Friant, pouvait compter 65 ou 70 mille hommes présents sous les armes, contre 90 mille hommes, Russes et Autrichiens, présents aussi sous les armes.

Distribution des divers corps d'armée sur le champ de bataille d'Austerlitz.

À sa gauche, il plaça Lannes, dans le corps duquel la division Caffarelli remplaçait la division Gazan. Lannes, avec les deux divisions Suchet et Caffarelli, devait occuper la route d'Olmütz, et combattre dans la plaine ondulée qui s'étend sur l'un et l'autre côté de la chaussée. (Voir la carte no 33.) Napoléon lui donna en outre la cavalerie de Murat, comprenant les cuirassiers des généraux d'Hautpoul et Nansouty, les dragons des généraux Walther et Beaumont, les chasseurs des généraux Milhaud et Kellermann. La forme plane du terrain lui faisait prévoir en cet endroit un vaste engagement de cavalerie. Sur le mamelon ou Santon qui domine cette partie du terrain, et que surmonte une chapelle dite de Bosenitz, il établit le 17e léger, commandé par le général Claparède, avec 18 pièces de canon, et lui fit prêter serment de défendre cette position jusqu'à la mort. Ce mamelon était, en effet, le point d'appui de la gauche.

Au centre, derrière le ruisseau de Goldbach, il rangea les divisions Vandamme et Saint-Hilaire, qui appartenaient au corps du maréchal Soult. Il les destinait à franchir ce ruisseau par les villages de Girzikowitz et de Puntowitz, et à s'emparer du plateau de Pratzen, quand le moment en serait venu. Un peu plus loin, derrière le marécage de Kobelnitz et le château de Sokolnitz, il plaça la troisième division du maréchal Soult, celle du général Legrand. Il la renforça de deux bataillons de tirailleurs, connus sous le nom de chasseurs du Pô et de chasseurs corses, et d'un détachement de cavalerie légère sous le général Margaron. Cette division ne dut avoir que le 3e de ligne et les chasseurs corses à Telnitz, point le plus rapproché des étangs, là même où Napoléon souhaitait attirer les Russes. Fort en arrière, à une lieue et demie, se trouvait la division Friant, à Gross-Raigern.

Ayant dix divisions d'infanterie, Napoléon n'en présenta donc que six en ligne. Derrière les maréchaux Lannes et Soult, il garda en réserve les grenadiers Oudinot, séparés pour cette fois du corps de Lannes, le corps de Bernadotte composé des divisions Drouet et Rivaud, et enfin la garde impériale. Il conservait ainsi sous sa main une masse de 25 mille hommes, pour la porter partout où besoin serait, et particulièrement sur les hauteurs de Pratzen, afin d'enlever ces hauteurs à tout prix, si les Russes ne les avaient pas assez dégarnies. Il bivouaqua lui-même au milieu de cette réserve.

Ces dispositions terminées, il poussa la confiance jusqu'à les annoncer à son armée, dans une proclamation toute pleine de la grandeur des événements qui se préparaient. La voici telle qu'elle fut lue aux troupes, dans la soirée qui précéda la bataille:

Proclamation de Napoléon à ses soldats la veille de la bataille d'Austerlitz.

«Soldats,

»L'armée russe se présente devant vous pour venger l'armée autrichienne d'Ulm. Ce sont ces mêmes bataillons que vous avez battus à Hollabrunn, et que depuis vous avez constamment poursuivis jusqu'ici.

»Les positions que nous occupons sont formidables; et, pendant qu'ils marcheront pour tourner ma droite, ils me présenteront le flanc.

»Soldats, je dirigerai moi-même vos bataillons. Je me tiendrai loin du feu, si, avec votre bravoure accoutumée, vous portez le désordre et la confusion dans les rangs ennemis. Mais si la victoire était un moment incertaine, vous verriez votre empereur s'exposer aux premiers coups; car la victoire ne saurait hésiter, dans cette journée surtout où il s'agit de l'honneur de l'infanterie française, qui importe tant à l'honneur de toute la nation.

»Que, sous prétexte d'emmener les blessés, on ne dégarnisse pas les rangs, et que chacun soit bien pénétré de cette pensée, qu'il faut vaincre ces stipendiés de l'Angleterre, qui sont animés d'une si grande haine contre notre nation.

»Cette victoire finira la campagne, et nous pourrons reprendre nos quartiers d'hiver, où nous serons joints par les nouvelles armées qui se forment en France, et alors la paix que je ferai sera digne de mon peuple, de vous et de moi.

»Napoléon.»

Dans cette même journée, il reçut M. d'Haugwitz, arrivé enfin au quartier général français, entrevit dans sa conversation caressante toute la fausseté de la cour de Prusse, et sentit plus que jamais le besoin de remporter une victoire éclatante. Il accueillit très-gracieusement l'envoyé prussien, lui dit qu'il allait se battre le lendemain, qu'il le reverrait après s'il n'était pas emporté par un boulet de canon, et qu'alors il serait temps de s'entendre avec le cabinet de Berlin. Il l'invita à partir dans la nuit même pour Vienne, et il l'adressa à M. de Talleyrand, en ayant soin de le faire conduire à travers le champ de bataille d'Hollabrunn, qui présentait un spectacle horrible.—Il est bon, écrivait-il à M. de Talleyrand, que ce Prussien apprenne par ses yeux de quelle manière nous faisons la guerre.—

Napoléon visite ses bivouacs dans la nuit qui précède la bataille. Accueil que lui font ses soldats.

Après avoir passé la soirée au bivouac avec ses maréchaux, il voulut visiter ses soldats, et juger par lui-même de leur disposition morale. C'était le 1er décembre au soir, veille de l'anniversaire du couronnement. La rencontre de ces dates était singulière, et Napoléon ne l'avait pas recherchée, car il recevait la bataille, et ne l'offrait pas. La nuit était froide et sombre.

Les premiers soldats qui l'aperçurent, voulant éclairer ses pas, ramassèrent la paille de leur bivouac, et en formèrent des torches enflammées, qu'ils placèrent au bout de leurs fusils. En quelques minutes, cet exemple fut imité par toute l'armée, et sur le vaste front de notre position on vit briller cette illumination singulière. Les soldats suivaient les pas de Napoléon aux cris de Vive l'Empereur! lui promettant de se montrer le lendemain dignes de lui et d'eux-mêmes. L'enthousiasme était dans tous les rangs. On allait comme il faut aller au danger, le cœur rempli de contentement et de confiance.

Napoléon se retira pour obliger ses soldats à prendre quelque repos, et attendit sous sa tente l'aurore d'une journée qui devait être l'une des plus grandes de sa vie, l'une des plus grandes de l'histoire.

Ces feux, ces cris avaient été facilement distingués des hauteurs qu'occupait l'armée russe, et y avaient produit, chez un petit nombre d'officiers sages, un sinistre pressentiment. Ils se demandaient si c'était là le signe d'une armée abattue et en retraite.

Pendant ce temps, les chefs de corps russes, réunis chez le général Kutusof, dans le village de Kreznowitz, recevaient leurs instructions pour le lendemain. Communication du plan de Weirother aux généraux russes le soir qui précède la bataille. Le vieux Kutusof sommeillait profondément, et le général Weirother, ayant étendu une carte du pays sous les yeux de ceux qui l'écoutaient, lisait avec emphase un mémoire contenant tout le plan de la bataille[8]. Nous l'avons presque fait connaître d'avance en rapportant les dispositions de Napoléon. La droite des Russes, sous le prince Bagration, faisant face à notre gauche, devait s'avancer contre Lannes, des deux côtés de la route d'Olmütz, nous enlever le Santon, et marcher directement sur Brünn. La cavalerie, réunie en une seule masse entre le corps de Bagration et le centre de l'armée russe, devait occuper la plaine même où Napoléon avait placé Murat, et lier la gauche des Russes avec leur centre. Le gros de l'armée, composé de quatre colonnes, commandées par les généraux Doctoroff, Langeron, Pribyschewski et Kollowrath, établi dans le moment sur les hauteurs de Pratzen, devait en descendre, traverser le ruisseau marécageux dont il a déjà été parlé, prendre Telnitz, Sokolnitz et Kobelnitz, tourner la droite des Français, et s'avancer sur leurs derrières pour leur enlever la route de Vienne. Le rendez-vous de tous ces corps était fixé sous les murs de Brünn. L'archiduc Constantin avec la garde russe, forte de 9 à 10 mille hommes, devait partir d'Austerlitz à la pointe du jour, pour venir se placer en réserve derrière le centre de l'armée combinée.

Lorsque le général Weirother eut achevé sa lecture, en présence des commandants des corps russes, dont un seul était attentif, c'était le général Doctoroff, et un seul enclin à contredire, c'était le général Langeron, il essuya de la part de ce dernier quelques objections. Le général Langeron, émigré français qui servait contre sa patrie, qui était frondeur et bon officier, demanda au général Weirother s'il croyait que tout se passerait comme il l'écrivait, et se montra quant à lui fort disposé à en douter. Le général Weirother ne voulut jamais admettre une autre idée que celle qui était répandue dans l'état-major russe, c'est que Napoléon se retirait, et que les instructions pour ce cas étaient excellentes. Mais le général Kutusof mit un terme à toute discussion, en renvoyant les commandants des corps à leurs quartiers, et en ordonnant que copie de ces instructions leur fût expédiée à tous. Ce chef expérimenté savait ce qu'il fallait penser de cette manière de concevoir et d'ordonner le plan des batailles, et pourtant il laissait faire, quoique ce fût sous son nom qu'on agît de la sorte.

Bataille d'Austerlitz livrée le 2 décembre 1805.

Dès quatre heures du matin, Napoléon avait quitté sa tente, pour juger par ses propres yeux si les Russes commettaient la faute à laquelle il les avait si adroitement encouragés. Napoléon sort de sa tente avant le jour pour observer le mouvement des Russes. Il descendit jusqu'au village de Puntowitz, situé au bord du ruisseau qui séparait les deux armées, et aperçut les feux presque éteints des Russes sur les hauteurs de Pratzen. Un bruit très-sensible de canons et de chevaux indiquait une marche de gauche à droite, vers les étangs, là même où il souhaitait que les Russes marchassent. Joie de Napoléon en jugeant au bruit des canons que les Russes marchent vers les étangs. Sa joie fut vive en trouvant sa prévoyance si bien justifiée; il revint se placer sur le terrain élevé où il avait bivouaqué, et d'où il embrassait toute l'étendue de ce champ de bataille. Ses maréchaux étaient à cheval à côté de lui. Le jour commençait à luire. Un brouillard d'hiver couvrait au loin la campagne, et ne laissait apercevoir que les parties les plus saillantes du terrain, lesquelles apparaissaient sur ce brouillard comme des îles sur une mer. Les divers corps de l'armée française étaient en mouvement, et descendaient de la position qu'ils avaient occupée pendant la nuit, pour traverser le ruisseau qui les séparait des Russes. Mais ils s'arrêtaient dans les fonds, où ils étaient cachés par la brume et retenus par les ordres de l'Empereur, jusqu au moment opportun pour l'attaque.

Déjà un feu très-vif se faisait entendre à l'extrémité de la ligne vers les étangs. Le mouvement des Russes contre notre droite se prononçait. Le maréchal Davout était parti en toute hâte pour diriger la division Friant de Gross-Raigern sur Telnitz, et appuyer le 3e de ligne et les chasseurs corses, qui allaient avoir sur les bras une portion considérable de l'armée ennemie. Les maréchaux Lannes, Murat, Soult, avec leurs aides de camp entouraient l'Empereur, attendant l'ordre de commencer le combat au centre et à la gauche. Napoléon modérait leur ardeur, voulant laisser achever la faute que commettaient les Russes sur notre droite, de manière qu'ils ne pussent plus revenir de ces bas-fonds dans lesquels on les voyait s'engager. Le soleil se lève sur le champ de bataille d'Austerlitz. Napoléon donne le signal de l'attaque. Enfin le soleil parut, et, dissipant les brouillards, inonda de clarté ce vaste champ de bataille. C'était le soleil d'Austerlitz, soleil dont le souvenir retracé tant de fois à la génération présente, ne sera sans doute jamais oublié des générations futures. Les hauteurs de Pratzen se dégarnissaient de troupes. Les Russes, exécutant le plan convenu, étaient descendus dans le lit du Goldbach, pour s'emparer des villages de Telnitz et de Sokolnitz, situés le long de ce ruisseau. Napoléon alors donna le signal de l'attaque, et ses maréchaux partirent au galop pour aller se placer à la tête de leurs divers corps d'armée.

Marche des trois colonnes russes chargées de tourner l'armée française vers les lacs.

Les trois colonnes russes chargées d'attaquer Telnitz et Sokolnitz s'étaient ébranlées dès sept heures du matin. Elles étaient sous les ordres immédiats des généraux Doctoroff, Langeron et Pribyschewski, et sous le commandement supérieur du général Buxhoewden, officier médiocre et inactif, tout enorgueilli d'une faveur qu'il devait à un mariage de cour, commandant aussi peu la gauche de l'armée russe, que le général en chef Kutusof en commandait l'ensemble. Il marchait de sa personne avec la colonne du général Doctoroff, formant l'extrémité de la ligne russe, et appelée à combattre la première. Il ne se souciait nullement des autres colonnes, et du concert à mettre dans leurs divers mouvements; ce qui était fort heureux pour nous, car si elles avaient agi ensemble, et assailli en masse Telnitz et Sokolnitz, la division Friant n'étant point encore arrivée sur ce point, elles auraient pu gagner du terrain sur notre droite, beaucoup plus qu'il n'était utile de leur en livrer.

La colonne de Doctoroff avait bivouaqué comme les autres sur la hauteur de Pratzen. Au pied de cette hauteur, dans le bas-fond qui la séparait de notre droite, se trouvait un village appelé Augezd, et dans ce village une avant-garde sous les ordres du général Kienmayer, composée de cinq bataillons et de quatorze escadrons autrichiens. (Voir la carte no 33.) Cette avant-garde devait balayer la plaine entre Augezd et Telnitz, pendant que la colonne Doctoroff descendrait des hauteurs. Les Autrichiens, jaloux de montrer aux Russes qu'ils se battaient aussi bien qu'eux, abordèrent le village de Telnitz avec beaucoup de résolution. Il fallait franchir à la fois le ruisseau, coulant ici dans des fossés, puis une hauteur couverte de vignes et de maisons. Nous avions en cet endroit, outre le 3e de ligne, le bataillon des chasseurs corses, embusqué derrière les accidents du terrain. Vive résistance des chasseurs corses à la colonne Doctoroff. Ces adroits tirailleurs, ajustant avec sang-froid les hussards qu'on avait envoyés en avant, en abattirent un grand nombre. Ils accueillirent de la même manière le régiment de Szeckler (infanterie), et en une demi-heure couchèrent à terre une partie de ce régiment. Les Autrichiens, fatigués de ce combat meurtrier et sans résultat, assaillirent en masse le village de Telnitz, avec leurs cinq bataillons réunis, mais ne réussirent pas à y pénétrer, grâce à la fermeté du 3e de ligne, qui les reçut avec la vigueur d'une troupe éprouvée. La colonne de Doctoroff parvient à franchir le Goldbach. Tandis que l'avant-garde de Kienmayer s'épuisait ainsi en efforts impuissants, la colonne Doctoroff, forte de vingt-quatre bataillons, conduite par le général Buxhoewden, parut, après s'être fait attendre plus d'une heure, et vint aider les Autrichiens à s'emparer de Telnitz, que le 3e de ligne ne suffisait plus à défendre. Le lit du ruisseau fut franchi, et le général Kienmayer lança ses quatorze escadrons dans la plaine au delà de Telnitz, contre la cavalerie légère du général Margaron. Celle-ci soutint bravement plusieurs charges, et ne put tenir cependant contre une telle masse de cavalerie. La division Friant, conduite par le maréchal Davout, n'étant pas encore arrivée de Gross-Raigern, notre droite se trouva entièrement débordée. Mais le général Buxhoewden après s'être longtemps fait attendre, fut obligé d'attendre à son tour la seconde colonne, que commandait le général Langeron. Cette dernière avait été retenue par un accident singulier. La masse de la cavalerie, destinée à occuper la plaine qui était à la droite des Russes et à la gauche des Français, avait mal compris l'ordre qui lui prescrivait de prendre cette position; elle était venue s'établir à Pratzen même, au milieu des bivouacs de la colonne de Langeron. Ayant reconnu son erreur, cette cavalerie, pour se rendre à sa véritable place, avait coupé et retardé longtemps les colonnes de Langeron et de Pribyschewski. Le général Langeron, arrivé enfin devant Sokolnitz, en entreprit l'attaque. Arrivée de la division Friant à Telnitz, et reprise de ce village. Mais pendant ce temps le général Friant était accouru en toute hâte avec sa division composée de cinq régiments d'infanterie et de six régiments de dragons. Le 1er régiment de dragons, attaché pour cette journée à la division Bourcier, fut dirigé au grand trot sur Telnitz. Déjà les Austro-Russes, victorieux sur ce point, commençaient à dépasser le Goldbach, et à déborder le 3e de ligne, ainsi que la cavalerie légère de Margaron. Les dragons du 1er régiment, en approchant de l'ennemi, se mirent au galop, et rejetèrent dans Telnitz tout ce qui avait essayé d'en déboucher. Les généraux Friant et Heudelet, arrivant avec la première brigade, composée du 108e de ligne et des voltigeurs du 15e léger, entrèrent dans Telnitz baïonnette baissée, en chassèrent les Autrichiens et les Russes, les poussèrent pêle-mêle au delà des fossés qui forment le lit du Goldbach, et restèrent maîtres du terrain, après l'avoir couvert de morts et de blessés. Malheureusement le brouillard, quoique dissipé presque partout, régnait encore dans les bas-fonds. Il enveloppait Telnitz, où l'on se trouvait dans une sorte de nuage. Le 26e léger, de la division Legrand, venu au secours du 3e de ligne, apercevant confusément des masses de troupes au delà du ruisseau, sans distinguer la couleur de leur uniforme, fit feu sur le 108e, en croyant tirer sur l'ennemi. Cette attaque inattendue ébranla le 108e, qui se replia dans la crainte d'être tourné. Profitant de cette circonstance, les Russes et les Autrichiens, forts en ce point de vingt-neuf bataillons, reprirent l'offensive, et repoussèrent de Telnitz la brigade Heudelet, pendant que le général Langeron, abordant avec douze bataillons russes le village de Sokolnitz, situé sur le Goldbach un peu au-dessus de Telnitz, avait réussi à y pénétrer. Les deux colonnes ennemies de Doctoroff et de Langeron commencèrent alors à déboucher l'une de Telnitz, l'autre de Sokolnitz. Dans ce même temps la colonne du général Pribyschewski avait attaqué et pris le château de Sokolnitz, placé au-dessus du village du même nom. Conduite héroïque du général Friant et de sa division. À cet aspect, le général Friant, qui, dans cette journée comme en tant d'autres, se conduisit en héros, lance le général Bourcier avec ses six régiments de dragons sur la colonne de Doctoroff, à l'instant où celle-ci se déployait au delà de Telnitz. Les Russes présentent leurs baïonnettes à nos dragons, mais les charges de nos cavaliers, répétées à outrance, les empêchent de s'étendre, et soutiennent la brigade Heudelet qui leur est opposée. Le général Friant se met ensuite à la tête de la brigade Lochet, composée du 48e et du 111e de ligne, et fond sur la colonne Langeron, qui dépassait déjà le village de Sokolnitz, l'y ramène, y entre à sa suite, l'en expulse, et la rejette au delà du Goldbach. Sokolnitz occupé, le général Friant en commet la garde au 48e, et marche avec sa troisième brigade, celle de Kister, composée du 33e de ligne et du 15e léger, pour disputer à la colonne de Pribyschewski le château de Sokolnitz. Il réussit encore à refouler celle-ci. Mais, tandis qu'il est aux prises avec les troupes de Pribyschewski, devant le château de Sokolnitz, la colonne de Langeron, réattaquant le village dépendant de ce château, est près d'accabler le 48e qui, retiré dans les maisons du village, se défend avec une admirable vaillance. Le général Friant y revient, et dégage le 48e. Ce brave général, et son illustre chef le maréchal Davout, courant sans cesse d'un point à l'autre, sur cette ligne du Goldbach si vivement disputée, se battent avec 7 à 8 mille fantassins et 2,800 chevaux contre 35 mille Russes. En effet, la division Friant, par la marche de trente-six lieues qu'elle avait exécutée, était réduite à 6 mille hommes au plus, et avec le 3e de ligne ne faisait pas plus de 7 à 8 mille combattants. Mais les hommes restés en arrière, arrivant à chaque instant au bruit du canon, remplissaient successivement les vides que le feu de l'ennemi opérait dans ses rangs.

Le maréchal Soult attaque avec son corps le plateau de Pratzen, formant le centre des Russes.

Pendant ce combat acharné vers notre droite, le maréchal Soult au centre avait assailli la position de laquelle dépendait le sort de la bataille. Au signal donné par Napoléon, les deux divisions Vandamme et Saint-Hilaire, formées en colonnes serrées, avaient franchi d'un pas rapide les pentes du plateau de Pratzen. (Voir la carte no 33.) La division Vandamme avait pris à gauche, celle de Saint-Hilaire à droite du village de Pratzen, qui est profondément encaissé dans un ravin aboutissant au ruisseau de Goldbach, près de Puntowitz. Tandis que les Français se portaient en avant, le centre de l'armée ennemie, composé de l'infanterie autrichienne de Kollowrath et de l'infanterie russe de Miloradovitch, fort de vingt-sept bataillons, commandé directement par le général Kutusof et les deux empereurs, était venu se déployer sur le plateau de Pratzen, pour y prendre la place des trois colonnes de Buxhoewden, descendues dans les bas-fonds. Nos soldats, sans répondre à la fusillade qu'ils essuyaient, continuaient à gravir la hauteur, surprenant par leur allure vive et résolue les généraux ennemis qui s'attendaient à les trouver en retraite[9].

Arrivés au village de Pratzen, ils le franchissent sans s'y arrêter. Le général Morand passe outre à la tête du 10e léger, et va se former sur le plateau. Le général Thiébault[10] le suit avec sa brigade, composée du 14e et du 36e de ligne, et tandis qu'il s'avance reçoit tout à coup, par derrière, une décharge de mousqueterie, qui partait de deux bataillons russes cachés dans le ravin au fond duquel le village de Pratzen est situé. Le général Thiébault fait alors une halte d'un instant, rend à bout portant le feu qu'il a reçu, et entre dans le village avec l'un de ses bataillons. Il disperse ou prend les Russes qui l'occupaient; puis il revient pour soutenir le général Morand, déployé sur le plateau. De son côté, la brigade Varé, la seconde de la division Saint-Hilaire, passant à la gauche du village, était venue se ranger en face de l'ennemi, tandis que Vandamme, avec toute sa division, s'étendant plus à gauche encore, prenait position près d'un petit mamelon appelé Stari-Winobradi, qui domine le plateau de Pratzen. Les Russes avaient établi sur ce mamelon cinq bataillons et une nombreuse artillerie.

L'infanterie autrichienne de Kollowrath et l'infanterie russe de Miloradovitch étaient disposées sur deux lignes. Le maréchal Soult, sans perdre de temps, porte en avant les divisions Saint-Hilaire et Vandamme. Le général Thiébault, formant avec sa brigade la droite de la division Saint-Hilaire, avait une batterie de douze pièces. Il les fait charger à boulet et mitraille, et commence un feu meurtrier sur l'infanterie qui lui était opposée. Ce feu, dirigé avec justesse et vivacité, répand bientôt le désordre dans les rangs autrichiens, qui d'abord rétrogradent, puis se jettent confusément sur le revers du plateau. Vandamme aborde aussitôt l'ennemi rangé devant lui. Sa brave infanterie s'avance avec sang-froid, s'arrête, exécute plusieurs décharges meurtrières, et marche sur les Russes à la baïonnette. Elle renverse leur première ligne sur la seconde, et les oblige à fuir l'une et l'autre sur le revers du plateau de Pratzen, en abandonnant leur artillerie. Dans ce mouvement, Vandamme avait laissé sur sa gauche le mamelon de Stari-Winobradi, défendu par plusieurs bataillons russes et tout hérissé d'artillerie. Il y revient, et le faisant tourner par le général Schiner avec le 24e léger, il y monte lui-même avec le 4e de ligne. Malgré un feu plongeant, il gravit le mamelon, culbute les Russes qui le gardaient, et s'empare de leurs canons.

Ainsi en moins d'une heure, les deux divisions du corps du maréchal Soult s'étaient rendues maîtresses du plateau de Pratzen, et poursuivaient les Russes et les Autrichiens jetés pêle-mêle sur les pentes de ce plateau, qui s'incline vers le château d'Austerlitz.

Efforts des deux empereurs et du général Kutusof pour rallier le centre de l'armée austro-russe.

Les deux empereurs d'Autriche et de Russie, témoins de cette action rapide, s'efforçaient en vain d'arrêter leurs soldats. Ils étaient peu écoutés au milieu de cette confusion, et Alexandre pouvait déjà s'apercevoir que la présence d'un souverain ne saurait valoir en pareille circonstance celle d'un bon général. Miloradovitch, toujours brillant au feu, parcourait à cheval ce champ de bataille labouré par les boulets, et tâchait de ramener les fuyards. Le général Kutusof, blessé d'une balle à la joue, voyait se réaliser le désastre qu'il avait prévu, et qu'il n'avait pas eu la fermeté d'empêcher. Il s'était hâté d'appeler à lui la garde impériale russe, qui avait bivouaqué en avant d'Austerlitz, afin de rallier derrière elle son centre en déroute. Si ce chef de l'armée autro-russe, dont le mérite se réduisait à beaucoup de finesse cachée sous beaucoup d'indolence, avait été capable de résolutions justes et promptes, c'était le cas de courir vers sa gauche engagée dans ce moment avec notre droite, de tirer les trois colonnes de Buxhoewden des bas-fonds dans lesquels on les avait engouffrées, de les ramener sur le plateau de Pratzen, et avec cinquante mille hommes réunis de tenter un effort décisif pour reprendre une position sans laquelle son armée allait être coupée en deux. Quand même il n'aurait pas réussi, il se serait au moins retiré en ordre sur Austerlitz par un chemin sûr, et n'aurait pas laissé sa gauche adossée à un abîme. Mais, se contentant de parer au mal dont il était le témoin oculaire, il se bornait à rallier son centre sur la garde impériale russe, forte de neuf à dix mille hommes, tandis que Napoléon, au contraire, les yeux toujours fixés sur le plateau de Pratzen, amenait au soutien du maréchal Soult, déjà victorieux, le corps de Bernadotte, la garde et les grenadiers Oudinot, c'est-à-dire vingt-cinq mille hommes d'élite.

Pendant que notre droite disputait ainsi la ligne du Goldbach aux Russes, et que notre centre leur enlevait le plateau de Pratzen, Lannes et Murat, à notre gauche, étaient aux prises avec le prince Bagration, et avec toute la cavalerie des Austro-Russes. (Voir la carte no 33.)

Lannes et Murat, à la gauche de notre armée, triomphent des assauts répétés de Bagration et de toute la cavalerie autro-russe.

Lannes, avec les divisions Suchet et Caffarelli, déployées sur les deux côtés de la route d'Olmütz, devait marcher directement devant lui. À gauche de la route, là même où s'élevait le Santon, le terrain se rapprochant des hauteurs boisées de la Moravie, était fort accidenté, tantôt montueux, tantôt coupé de ravins profonds. C'est là qu'était placée la division Suchet. À droite, le terrain plus uni, allait se lier par des pentes assez douces au plateau de Pratzen. Caffarelli marchait de ce côté, protégé par la cavalerie de Murat contre la masse de la cavalerie austro-russe.

On s'attendait sur ce point à une sorte de bataille d'Égypte, car on voyait quatre-vingt-deux escadrons russes et autrichiens rangés sur deux lignes, et commandés par le prince Jean de Lichtenstein. Par ce motif, les divisions Suchet et Caffarelli présentaient plusieurs bataillons déployés, et derrière les intervalles de ces bataillons, d'autres bataillons en colonne serrée, pour appuyer et flanquer les premiers. L'artillerie était répandue sur le front des deux divisions. La cavalerie légère du général Kellermann ainsi que les divisions de dragons se trouvaient à droite dans la plaine, la grosse cavalerie de Nansouty et d'Hautpoul en réserve en arrière.

Dans cet ordre imposant, Lannes s'ébranla dès qu'il entendit le canon de Pratzen, et traversa au pas, comme il aurait pu le faire sur un champ de manœuvre, cette plaine éclairée par un beau soleil d'hiver.

Attaque de toute la cavalerie ennemie sur le corps de Lannes.

Le prince Jean de Lichtenstein s'était longtemps fait attendre, par suite de la méprise qui avait exposé la cavalerie austro-russe à courir inutilement de la droite à la gauche du champ de bataille. En son absence la garde impériale d'Alexandre avait rempli le vide entre le centre et la droite de l'armée combinée. Arrivé enfin, il aperçoit le mouvement du corps de Lannes, et lance les uhlans du grand-duc Constantin sur la division Caffarelli. Ces hardis cavaliers se jettent sur cette division, devant laquelle Kellermann était placé avec sa brigade de cavalerie légère. Le général Kellermann, l'un de nos plus habiles officiers de cavalerie, jugeant qu'il serait culbuté sur l'infanterie française, et la mettrait peut-être en désordre, s'il recevait immobile cette charge redoutable, replie ses escadrons, et les faisant passer par les intervalles des bataillons de Caffarelli, s'en va les reformer à gauche, afin de saisir une occasion favorable pour charger. Les uhlans, lancés au galop, ne trouvent plus notre cavalerie légère, et rencontrent en place une ligne d'infanterie inébranlable, qui, sans même se former en carré, les accueille par un feu meurtrier de mousqueterie. Quatre cents de ces cavaliers sont aussitôt couchés par terre, sur le front de la division. Le général russe Essen est atteint d'une blessure mortelle en combattant à leur tête. Les autres se répandent en désordre à droite et à gauche. Saisissant l'à-propos, Kellermann, qui avait reformé ses escadrons sur la gauche de Caffarelli, charge les uhlans, et en sabre un bon nombre. Le prince Jean de Lichtenstein envoie une nouvelle partie de ses escadrons au secours des uhlans. Nos divisions de dragons s'ébranlent à leur tour, fondent sur la cavalerie ennemie, et pendant quelques instants on n'aperçoit plus qu'une affreuse mêlée où tout le monde combat corps à corps. Cette nuée de cavaliers se dissipe enfin, chacun rejoint sa ligne de bataille, laissant le terrain couvert de morts et de blessés, pour la plupart russes ou autrichiens. Nos deux masses d'infanterie s'avancent alors, d'un pas ferme et mesuré, sur ce terrain abandonné par la cavalerie. Les Russes leur opposent quarante bouches à feu qui vomissent une grêle de projectiles. Une décharge enlève en entier le groupe de tambours du premier régiment de Caffarelli. On répond à cette rude canonnade par le feu de toute notre artillerie. Dans ce combat à coups de canons, le général Valhubert a une cuisse fracassée par un boulet. Quelques soldats veulent l'emporter.—Restez à votre poste, leur dit-il, je saurai bien mourir tout seul. Il ne faut pas pour un homme en perdre six.—On marche ensuite sur le village de Blaziowitz, qui était à droite de la plaine, là où le terrain commence à s'élever vers Pratzen. Ce village, comme tous ceux du pays, profondément encaissé dans un ravin, ne se faisait voir que par la flamme qui le dévorait. Un détachement de la garde impériale russe l'avait occupé le matin, en attendant la cavalerie du prince de Lichtenstein. Lannes ordonne au 13e léger de s'en emparer. Le colonel Castex, qui commandait le 13e, s'avance avec le premier bataillon, en colonne d'attaque, et tandis qu'il arrive sur le village, est frappé d'une balle au front. Le bataillon s'élance, et venge à coups de baïonnettes la mort de son colonel. On s'empare de Blaziowitz, et on y ramasse quelques centaines de prisonniers qui sont envoyés sur les derrières.

À l'autre aile du corps de Lannes, les Russes conduits par le prince Bagration essayaient d'enlever la petite éminence que nos soldats appelaient le Santon. Ils étaient descendus dans un vallon qui longe le pied de cette éminence, y avaient pris le village de Bosenitz, et échangeaient inutilement leurs boulets avec la nombreuse artillerie qui garnissait la hauteur. Mais ils ne songeaient pas à braver la mousqueterie du 17e de ligne, trop bien établi pour qu'on osât l'aborder de si près.

Le prince Bagration avait rangé le reste de son infanterie sur la route d'Olmütz en face de la division Suchet. Forcé à rétrograder, il se retirait lentement devant le corps de Lannes, qui marchait sans précipitation, mais avec un ensemble imposant, et en gagnant toujours du terrain.

Blaziowitz pris, Lannes fait enlever Holubitz et Kruch, villages placés le long de la route d'Olmütz, et parvient à joindre l'infanterie de Bagration. En ce moment il rompt la ligne formée par ses deux divisions. Il porte la division Suchet obliquement à gauche, la division Caffarelli obliquement à droite. Par ce mouvement divergent, il sépare l'infanterie de Bagration de la cavalerie du prince de Lichtenstein, rejette la première à la gauche de la route d'Olmütz, la seconde à la droite vers les pentes du plateau de Pratzen.

Alors cette cavalerie veut faire une dernière tentative, et fond tout entière sur la division Caffarelli, qui la reçoit avec son aplomb ordinaire, et l'arrête par le feu de sa mousqueterie. Les nombreux escadrons de Lichtenstein, d'abord dispersés, puis ralliés par leurs officiers, sont ramenés sur nos bataillons. Par l'ordre de Lannes les cuirassiers des généraux d'Hautpoul et Nansouty, qui suivaient l'infanterie de Caffarelli, défilent au grand trot derrière les rangs de cette infanterie, se forment sur sa droite, s'y déploient, et s'élancent au galop. La terre tremble sous les pieds de ces quatre mille cavaliers chargés de fer. Ils se précipitent le sabre au poing sur la masse reformée des escadrons austro-russes, les renversent de leur choc, les dispersent, et les obligent à s'enfuir sur Austerlitz, où ils se retirent pour ne plus reparaître de la journée.

Pendant le même temps, la division Suchet avait abordé l'infanterie du prince Bagration. Après avoir dirigé sur les Russes ces feux tranquilles et sûrs que nos troupes, aussi instruites qu'aguerries, exécutaient avec une extrême précision, la division Suchet les avait joints à la baïonnette. Les Russes, cédant à l'impétuosité de nos bataillons, s'étaient retirés, mais sans se rompre, et sans se rendre. Ils formaient une masse confuse, hérissée de fusils, qu'on était réduit à pousser devant soi, sans pouvoir la faire prisonnière. Lannes, débarrassé des quatre-vingt-deux escadrons du prince de Lichtenstein, s'était hâté de ramener la grosse cavalerie du général d'Hautpoul de la droite à la gauche de cette plaine, et l'avait lancée sur les Russes pour décider leur retraite. Les cuirassiers chargeant dans tous les sens ces fantassins obstinés qui se retiraient en gros pelotons, avaient obligé quelques mille d'entre eux à déposer les armes.

Résultat de la bataille livrée à la gauche de Lannes.

Ainsi, vers notre gauche, Lannes venait de livrer à lui seul une véritable bataille. Il avait fait quatre mille prisonniers. La terre était jonchée autour de lui de deux mille morts ou blessés, tant Russes qu'Autrichiens.

Renouvellement de la lutte entre le corps du maréchal Soult, les réserves amenées par Napoléon, et le centre des Russes renforcé de la garde d'Alexandre.

Mais sur le plateau de Pratzen la lutte s'était renouvelée entre le centre des ennemis et le corps du maréchal Soult, renforcé de toutes les réserves que Napoléon amenait en personne. Le général Kutusof, au lieu de songer, comme nous l'avons dit, à rappeler à lui les trois colonnes de Doctoroff, Langeron et Pribyschewski, engagées dans les bas-fonds, n'avait songé qu'à rallier son centre sur la garde impériale russe. La seule brigade Kamenski du corps de Langeron, entendant sur ses derrières un feu très-vif, s'était arrêtée, puis avait rétrogradé spontanément pour remonter sur le plateau de Pratzen. Le général Langeron averti était venu se mettre à la tête de cette brigade, laissant dans Sokolnitz le reste de sa colonne.

Les Français, dans ce renouvellement du combat vers le centre, allaient se trouver aux prises avec la brigade Kamenski, avec l'infanterie de Kollowrath et de Miloradovitch, avec la garde impériale russe. La brigade Thiébault, occupant l'extrême droite du corps du maréchal Soult, et séparée de la brigade Varé par le village de Pratzen, se trouvait au milieu d'une équerre de feux, car elle avait devant elle la ligne reformée des Autrichiens, et en retour sur sa droite une partie des troupes de Langeron. Cette brigade, composée du 10e léger, des 14e et 36e de ligne, allait être exposée un moment au plus grave péril. Grave danger de la brigade Thiébault, et belle conduite de cette brigade. Comme elle se déployait, et se formait elle-même en équerre pour faire face à l'ennemi, l'adjudant Labadie, du 36e, craignant que son bataillon, sous un feu de mousqueterie et de mitraille reçu à trente pas, ne fut ébranlé dans son mouvement, se saisit du drapeau, et, se plaçant lui-même en jalon, s'écrie:—Soldats, voici votre ligne de bataille.—Le bataillon se déploie avec un parfait aplomb. Les autres l'imitent, la brigade prend position, et durant quelques instants échange à demi-portée une fusillade meurtrière. Cependant ces trois régiments auraient promptement succombé sous une masse de feux croisés, si le combat s'était prolongé. Le général Saint-Hilaire, admiré de l'armée pour sa bravoure chevaleresque, s'entretenait avec les généraux Thiébault et Morand sur le parti à prendre, lorsque le colonel Pouzet du 10e lui dit: Général, marchons en avant et à la baïonnette, ou nous sommes perdus.—Oui, en avant! répond le général Saint-Hilaire.—On croise aussitôt la baïonnette, on se jette à droite sur les Russes de Kamenski, en face sur les Autrichiens de Kollowrath, et on culbute les premiers dans les bas-fonds de Sokolnitz et de Telnitz, les seconds sur les revers du plateau de Pratzen, vers la route d'Austerlitz.

Tandis que la brigade Thiébault, livrée quelque temps à elle-même, s'en tirait avec tant de bonheur et de vaillance, la brigade Varé et la division Vandamme, placées de l'autre côté du village de Pratzen, n'avaient pas à beaucoup près autant de peine à repousser le retour offensif des Austro-Russes, et les avaient bientôt refoulés au pied du plateau qu'ils essayaient vainement de gravir. Dans l'ardeur qui entraînait nos troupes, le premier bataillon du 4e de ligne, appartenant à la division Vandamme, s'était laissé emporter à la poursuite des Russes, sur des terrains inclinés et couverts de vignes. Le grand-duc Constantin avait sur-le-champ envoyé un détachement de cavalerie de la garde, qui, surprenant ce bataillon au milieu des vignes, l'avait renversé avant qu'il eût pu se former en carré. Dans cette confusion, le porte-drapeau du régiment avait été tué. Un sous-officier, voulant recueillir l'aigle, avait été tué à son tour. Un soldat l'avait saisi des mains du sous-officier, et, mis lui-même hors de combat, n'avait pu empêcher les cavaliers de Constantin d'enlever ce trophée.

Napoléon, qui était venu renforcer le centre avec l'infanterie de sa garde, tout le corps de Bernadotte et les grenadiers Oudinot, aperçoit de la hauteur où il est placé l'échauffourée de ce bataillon.—Il y a là du désordre, dit-il à Rapp, il faut le réparer.—Aussitôt Rapp, à la tête des mameluks et des chasseurs à cheval de la garde, vole au secours du bataillon compromis. Combat de cavalerie entre la garde impériale française et la garde impériale russe. Le maréchal Bessières suit Rapp avec les grenadiers à cheval. La division Drouet, du corps de Bernadotte, formée des 94e et 95e régiments, et du 27e léger, s'avance en seconde ligne, conduite par le colonel Gérard, aide de camp de Bernadotte, et officier d'une grande énergie, pour s'opposer à l'infanterie de la garde russe.

Rapp, en se montrant, attire la cavalerie ennemie qui sabrait nos fantassins couchés par terre. Cette cavalerie se dirige sur lui avec quatre pièces de canon attelées. Malgré une décharge à mitraille, Rapp s'élance, et enfonce la cavalerie impériale. Il pousse en avant, et passe au delà du terrain que le bataillon du 4e couvrait de ses débris. Aussitôt les soldats de ce bataillon se relèvent, et se reforment pour venger leur échec. Rapp, arrivé jusqu'aux lignes de la garde russe, est assailli par une seconde charge de cavalerie. Ce sont les chevaliers-gardes d'Alexandre, qui, dirigés par leur colonel, prince Repnin, se jettent sur lui. Le brave Morland, colonel des chasseurs de la garde impériale française, est tué; les chasseurs sont ramenés. Mais dans ce moment arrivent au galop les grenadiers à cheval, conduits par le maréchal Bessières au secours de Rapp. Ces superbes cavaliers, montés sur de grands chevaux, sont jaloux de se mesurer avec les chevaliers-gardes d'Alexandre. Une mêlée de plusieurs minutes s'engage entre les uns et les autres. L'infanterie de la garde russe, témoin de ce rude combat, n'ose pas faire feu, de peur de tirer sur les siens. Enfin les grenadiers à cheval de Napoléon, vieux soldats éprouvés en cent batailles, triomphent des jeunes cavaliers d'Alexandre, les dispersent, après en avoir étendu un certain nombre sur la terre, et reviennent vainqueurs auprès de leur maître.

Napoléon, qui assistait à cet engagement, fut enchanté de voir la jeunesse russe punie de sa jactance. Entouré de son état-major, il reçut Rapp, qui revenait blessé, couvert de sang, suivi du prince Repnin prisonnier, et lui donna d'éclatants témoignages de satisfaction. Pendant ce temps, les trois régiments de la division Drouet, amenés par le colonel Gérard, poussaient l'infanterie de la garde russe sur le village de Kreznowitz, enlevaient ce village, et faisaient beaucoup de prisonniers. Il était une heure de l'après-midi, la victoire ne présentait plus de doute, car Lannes et Murat étant maîtres de la plaine à gauche, le maréchal Soult, appuyé par toute la réserve, étant maître du plateau de Pratzen, il ne restait plus qu'à se rabattre sur la droite, et à jeter dans les étangs les trois colonnes russes de Buxhoewden, si vainement obstinées à nous couper de la route de Vienne. Napoléon, après avoir assuré la position sur le plateau de Pratzen, se reporte à droite pour terminer la bataille. Napoléon, laissant alors le corps de Bernadotte sur le plateau de Pratzen, et tournant à droite avec le corps du maréchal Soult, la garde et les grenadiers Oudinot, voulut recueillir lui-même le prix de ses profondes combinaisons, et vint par la route qu'avaient suivie les trois colonnes de Buxhoewden en descendant du plateau de Pratzen, les assaillir par derrière. Il était temps qu'il arrivât, car le maréchal Davout et son lieutenant le général Friant, courant sans cesse de Kobelnitz à Telnitz, pour empêcher les Russes de franchir le Goldbach, allaient finir par succomber. Le brave Friant avait eu quatre chevaux tués sous lui dans la journée. Mais tandis qu'il faisait les derniers efforts, Napoléon apparaît tout à coup à la tête d'une masse de forces écrasante. Affreux désastre des trois colonnes de Buxhoewden, prises entre deux feux et jetées dans les étangs. Une affreuse confusion se produit alors parmi les Russes surpris et désespérés. La colonne de Pribyschewski tout entière, et une moitié de celle de Langeron restée devant Sokolnitz, se voient entourées sans aucun espoir de salut, puisque les Français arrivent sur leurs derrières par les routes qu'elles-mêmes ont parcourues le matin. Ces deux colonnes se dispersent; une partie est faite prisonnière dans Sokolnitz, une autre se réfugie vers Kobelnitz, et est enveloppée près des marécages de ce nom. Une troisième enfin s'engage vers Brünn, et est contrainte de déposer les armes près de la route de Vienne, là même où les Russes s'étaient donné rendez-vous dans l'espérance de la victoire.

Le général Langeron, avec les débris de la brigade Kamenski et quelques bataillons qu'il avait retirés de Sokolnitz avant le désastre, s'était réfugié vers Telnitz et les étangs, près du lieu où se trouvait Buxhoewden avec la colonne Doctoroff. L'inepte commandant de l'aile gauche des Russes, tout fier avec 29 bataillons et 22 escadrons d'avoir disputé le village de Telnitz à cinq ou six bataillons français, était immobile, attendant le succès des colonnes Langeron et Pribyschewski. Il portait sur son visage, à en croire un témoin oculaire, les signes des excès auxquels il se livrait habituellement. Langeron, accouru sur ce point, lui raconte avec vivacité ce qui se passe.—Vous ne voyez partout que des ennemis, lui répond brutalement Buxhoewden.—Et vous, réplique Langeron, vous n'êtes en état d'en voir nulle part.—Mais dans cet instant le corps du maréchal Soult paraît sur le versant du plateau vers les lacs, et se dirige sur la colonne Doctoroff pour la pousser dans les étangs. Il n'est plus possible de douter du péril. Buxhoewden, avec quatre régiments qu'il avait eu l'impéritie de laisser inactifs auprès de lui, essaye de regagner la route par laquelle il était venu, et qui passait par le village d'Augezd, entre le pied du plateau de Pratzen et l'étang de Satschan. Il s'y porte précipitamment, ordonnant au général Doctoroff de se sauver comme il pourrait. Langeron se joint à lui avec les restes de sa colonne. Buxhoewden traverse Augezd au moment même où la division Vandamme, descendant la hauteur, y arrive de son côté. Il essuie en fuyant le feu des Français, et parvient à se mettre en sûreté, avec une portion de ses troupes. La majeure partie suivie des débris de Langeron est arrêtée court par la division Vandamme, maîtresse d'Augezd. Alors tous ensemble se jettent vers les étangs glacés, et tâchent de s'y frayer un chemin. La glace qui couvre ces étangs, affaiblie par la chaleur d'une belle journée, ne peut résister au poids des hommes, des chevaux, des canons. Elle fléchit en quelques points sous les Russes qui s'y engouffrent; elle résiste sur quelques autres, et offre un asile aux fuyards qui s'y retirent en foule.

BATAILLE D'AUSTERLITZ.

Quelques mille Russes ensevelis sous la glace rompue.

Napoléon, arrivé sur les pentes du plateau de Pratzen, du côté des étangs, aperçoit le désastre qu'il avait si bien préparé. Il fait tirer à boulet, par une batterie de la garde, sur les parties de la glace qui résistent encore, et achève la ruine des malheureux qui s'y étaient réfugiés. Près de deux mille trouvent la mort sous cette glace brisée.

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