Histoire du Consulat et de l'Empire, (Vol. 06 / 20): faisant suite à l'Histoire de la Révolution Française
Le roi et M. d'Haugwitz laissèrent écouler quelques jours encore, pour voir si Napoléon ne manderait pas quelque chose de plus explicite, de plus satisfaisant.—Ce silence perd tout, répétait M. d'Haugwitz à M. de Laforest.—Mais le sort en était jeté: la Prusse, par des tergiversations qui lui avaient aliéné la confiance de Napoléon, la France, par des procédés trop peu ménagés, devaient être amenées l'une et l'autre à une guerre funeste, d'autant plus regrettable, que dans l'état du monde c'étaient les deux seules puissances dont les intérêts fussent conciliables. Le silence ordonné à M. de Laforest fut invariablement gardé par lui, mais la douleur sur le visage, douleur expressive, et suffisamment significative, si la cour de Prusse avait voulu la comprendre, et se conduire d'après ce qu'elle aurait compris. Il n'en était plus ainsi ni du roi Frédéric-Guillaume, ni de son ministère. Tous les jours des régiments traversaient Berlin, en chantant des airs patriotiques, que répétait le peuple ameuté dans les rues. Après avoir attendu quelques jours des explications qui n'arrivent pas, le roi de Prusse part pour l'armée. De toutes parts on demandait quand le roi partirait pour l'armée, et s'il serait vrai qu'il restât à Potsdam, dans l'intention de revenir sur sa première détermination. Le cri devint tel qu'il fallut obéir à l'opinion. L'infortuné Frédéric-Guillaume partit le 21 septembre pour Magdebourg. La guerre est résolue entre la Prusse et la France. C'était le signal de la guerre qu'on attendait en Allemagne, et que Napoléon attendait à Paris. Dès ce jour elle était inévitable. On en verra, dans le livre suivant, les terribles vicissitudes, les désastreuses conséquences pour la Prusse, et les résultats glorieux pour Napoléon, résultats qui nous inspireraient une satisfaction sans mélange, si la politique eût été d'accord avec la victoire.
FIN DU VINGT-QUATRIÈME LIVRE
ET DU TOME SIXIÈME.
TABLE DES MATIÈRES
CONTENUES
DANS LE TOME SIXIÈME.
LIVRE VINGT-DEUXIÈME.
ULM ET TRAFALGAR.
Conséquences de la réunion de Gênes à l'Empire. — Cette réunion, quoiqu'elle soit une faute, a cependant des résultats heureux. — Vaste champ qui s'ouvre aux combinaisons militaires de Napoléon. — Quatre attaques dirigées contre la France. — Napoléon s'occupe sérieusement d'une seule, et, par la manière dont il entend la repousser, se propose de faire tomber les trois autres. — Exposition de son plan. — Mouvement des six corps d'armée des bords de l'Océan aux sources du Danube. — Napoléon garde un profond secret sur ses dispositions, et ne les communique qu'à l'électeur de Bavière, afin de s'attacher ce prince en le rassurant. — Précautions qu'il prend pour la conservation de la flottille. — Son retour à Paris. — Altération de l'opinion publique à son égard. — Reproches qu'on lui adresse. — État des finances. — Commencement d'arriéré. — Situation difficile des principales places commerçantes. — Disette de numéraire. — Efforts du commerce pour se procurer des métaux précieux. — Association de la compagnie des Négociants réunis avec la cour d'Espagne. — Spéculation sur les piastres. — Danger de cette spéculation. — La compagnie des Négociants réunis ayant confondu dans ses mains les affaires de la France et de l'Espagne, rend communs à l'une les embarras de l'autre. — Conséquences de cette situation pour la Banque de France. — Irritation de Napoléon contre les gens d'affaires. — Importantes sommes en argent et en or envoyées à Strasbourg et en Italie. — Levée de la conscription par un décret du Sénat. — Organisation des réserves. — Emploi des gardes nationales. — Séance au Sénat. — Froideur témoignée à Napoléon par le peuple de Paris. — Napoléon en éprouve quelque peine, mais il part pour l'armée, certain de changer bientôt cette froideur en transports d'enthousiasme. — Dispositions des coalisés. — Marche de deux armées russes, l'une en Gallicie pour secourir les Autrichiens, l'autre en Pologne pour menacer la Prusse. — L'empereur Alexandre à Pulawi. — Ses négociations avec la cour de Berlin. — Marche des Autrichiens en Lombardie et en Bavière. — Passage de l'Inn par le général Mack. — L'électeur de Bavière, après de grandes perplexités, se jette dans les bras de la France, et s'enfuit à Würzbourg avec sa cour et son armée. — Le général Mack prend position à Ulm. — Conduite de la cour de Naples. — Commencement des opérations militaires du côté des Français. — Organisation de la grande armée. — Passage du Rhin. — Marche de Napoléon avec six corps, le long des Alpes de Souabe, pour tourner le général Mack. — Le 6 et le 7 octobre, Napoléon atteint le Danube vers Donauwerth, avant que le général Mack ait eu aucun soupçon de la présence des Français. — Passage général du Danube. — Le général Mack est enveloppé. — Combats de Wertingen et de Günzbourg. — Napoléon à Augsbourg fait ses dispositions dans le double but d'investir Ulm, et d'occuper Munich, afin de séparer les Russes des Autrichiens. — Erreur commise par Murat. — Danger de la division Dupont. — Combat de Haslach. — Napoléon accourt sous les murs d'Ulm, et répare les fautes commises. — Combat d'Elchingen livré le 14 octobre. — Investissement d'Ulm. — Désespoir du général Mack, et retraite de l'archiduc Ferdinand. — L'armée autrichienne réduite à capituler. — Triomphe inouï de Napoléon. — Il a détruit en vingt jours une armée de 80 mille hommes, sans livrer bataille. — Suite des opérations navales depuis le retour de l'amiral Villeneuve à Cadix. — Sévérité de Napoléon envers cet amiral. — Envoi de l'amiral Rosily pour le remplacer, et ordre à la flotte de sortir de Cadix afin d'entrer dans la Méditerranée. — Douleur de l'amiral Villeneuve, et sa résolution de livrer une bataille désespérée. — État de la flotte franco-espagnole et de la flotte anglaise. — Instructions de Nelson à ses capitaines. — Sortie précipitée de l'amiral Villeneuve. — Rencontre des deux flottes au cap Trafalgar. — Attaque des Anglais formés en deux colonnes. — Rupture de notre ligne de bataille. — Combats héroïques du Redoutable, du Bucentaure, du Fougueux, de l'Algésiras, du Pluton, de l'Achille, du Prince des Asturies. — Mort de Nelson, captivité de Villeneuve. — Défaite de notre flotte après une lutte mémorable. — Affreuse tempête à la suite de la bataille. — Les naufrages succèdent aux combats. — Conduite du gouvernement impérial à l'égard de la marine française. — Silence ordonné sur les derniers événements. — Ulm fait oublier 1 à 184
LIVRE VINGT-TROISIÈME.
AUSTERLITZ.
Effet produit par les nouvelles venues de l'armée. — Crise financière. — La caisse de consolidation suspend ses payements en Espagne, et contribue à accroître les embarras de la compagnie des Négociants réunis. — Secours fournis à cette compagnie par la Banque de France. — Émission trop considérable des billets de la Banque, et suspension de ses payements. — Faillites nombreuses. — Le public alarmé se confie en Napoléon, et attend de lui quelque fait éclatant qui rétablisse le crédit et la paix. — Continuation des événements de la guerre. — Situation des affaires en Prusse. — La prétendue violation du territoire d'Anspach fournit des prétextes au parti de la guerre. — L'empereur Alexandre en profite pour se rendre à Berlin. — Il entraîne la cour de Prusse à prendre des engagements éventuels avec la coalition. — Traité de Potsdam. — Départ de M. d'Haugwitz pour le quartier général français. — Grande résolution de Napoléon en apprenant les nouveaux dangers dont il est menacé. — Il précipite son mouvement sur Vienne. — Bataille de Caldiero en Italie. — Marche de la grande armée à travers la vallée du Danube. — Passage de l'Inn, de la Traun, de l'Ens. — Napoléon à Lintz. — Mouvement que pouvaient faire les archiducs Charles et Jean pour arrêter la marche de Napoléon. — Précautions de celui-ci en approchant de Vienne. — Distribution de ses corps d'armée sur les deux rives du Danube et dans les Alpes. — Les Russes passent le Danube à Krems. — Danger du corps de Mortier. — Combat de Dirnstein. — Combat de Davout à Mariazell. — Entrée à Vienne. — Surprise des ponts du Danube. — Napoléon veut en profiter pour couper la retraite au général Kutusof. — Murat et Lannes portés à Hollabrunn. — Murat se laisse tromper par une proposition d'armistice, et donne à l'armée russe le temps de s'échapper. — Napoléon rejette l'armistice. — Combat sanglant à Hollabrunn. — Arrivée de l'armée française à Brünn. — Belles dispositions de Napoléon pour occuper Vienne, se garder du côté des Alpes et de la Hongrie contre les archiducs, et faire face aux Russes du côté de la Moravie. — Ney occupe le Tyrol, Augereau la Souabe. — Prise des corps de Jellachich et de Rohan. — Départ de Napoléon pour Brünn. — Essai de négociation. — Fol orgueil de l'état-major russe. — Nouvelle coterie formée autour d'Alexandre. — Elle lui inspire l'imprudente résolution de livrer bataille. — Terrain choisi d'avance par Napoléon. — Bataille d'Austerlitz, livrée le 2 décembre. — Destruction de l'armée austro-russe. — L'empereur d'Autriche au bivouac de Napoléon. — Armistice accordé sous la promesse d'une paix prochaine. — Commencement de négociation à Brünn. — Conditions imposées par Napoléon. — Il veut les États vénitiens pour compléter le royaume d'Italie, le Tyrol et la Souabe autrichienne pour agrandir la Bavière, les duchés de Baden et de Wurtemberg. — Alliances de famille avec ces trois maisons allemandes. — Résistance des plénipotentiaires autrichiens. — Napoléon, de retour à Vienne, a une longue entrevue avec M. d'Haugwitz. — Il reprend ses projets d'union avec la Prusse, et lui donne le Hanovre, à condition qu'elle se liera définitivement à la France. — Traité de Vienne avec la Prusse. — Départ de M. d'Haugwitz pour Berlin. — Napoléon, débarrassé de la Prusse, devient plus exigeant à l'égard de l'Autriche. — La négociation transférée à Presbourg. — Acceptation des conditions de la France, et paix de Presbourg. — Départ de Napoléon pour Munich. — Mariage d'Eugène de Beauharnais avec la princesse Auguste de Bavière. — Retour de Napoléon à Paris. — Accueil triomphal. 185 à 369
LIVRE VINGT-QUATRIÈME.
CONFÉDÉRATION DU RHIN.
Retour de Napoléon à Paris. — Joie publique. — Distribution des drapeaux pris sur l'ennemi. — Décret du Sénat ordonnant l'érection d'un monument triomphal. — Napoléon consacre ses premiers soins aux finances. — La compagnie des Négociants réunis est reconnue débitrice envers le Trésor d'une somme de 141 millions. — Napoléon, mécontent de M. de Marbois, le remplace par M. Mollien. — Rétablissement du crédit. — Trésor formé avec les contributions levées en pays conquis. — Ordres relatifs au retour de l'armée, à l'occupation de la Dalmatie, à la conquête de Naples. — Suite des affaires de Prusse. — La ratification du traité de Schœnbrunn donnée avec des réserves. — Nouvelle mission de M. d'Haugwitz auprès de Napoléon. — Le traité de Schœnbrunn est refait à Paris, mais avec des obligations de plus, et des avantages de moins pour la Prusse. — M. de Lucchesini est envoyé à Berlin pour expliquer ces nouveaux changements. — Le traité de Schœnbrunn, devenu traité de Paris, est enfin ratifié, et M. d'Haugwitz retourne en Prusse. — Ascendant dominant de la France. — Entrée de Joseph Bonaparte à Naples. — Occupation de Venise. — Retards apportés à la remise de la Dalmatie. — L'armée française est arrêtée sur l'Inn, en attendant la remise de la Dalmatie, et répartie entre les provinces allemandes les plus capables de la nourrir. — Souffrance des pays occupés. — Situation de la cour de Prusse après le retour de M. d'Haugwitz à Berlin. — Envoi du duc de Brunswick à Saint-Pétersbourg, pour expliquer la conduite du cabinet prussien. — État de la cour de Russie. — Dispositions d'Alexandre depuis Austerlitz. — Accueil fait au duc de Brunswick. — Inutiles efforts de la Prusse pour faire approuver par la Russie et par l'Angleterre l'occupation du Hanovre. — L'Angleterre déclare la guerre à la Prusse. — Mort de M. Pitt, et avénement de M. Fox au ministère. — Espérances de paix. — Relations établies entre M. Fox et M. de Talleyrand. — Envoi de lord Yarmouth à Paris, en qualité de négociateur confidentiel. — Bases d'une paix maritime. — Les agents de l'Autriche, au lieu de livrer les bouches du Cattaro aux Français, les livrent aux Russes. — Menaces de Napoléon à la cour de Vienne. — La Russie envoie M. d'Oubril à Paris, avec mission de prévenir un mouvement de l'armée française contre l'Autriche, et de proposer la paix. — Lord Yarmouth et M. d'Oubril négocient conjointement à Paris. — Possibilité d'une paix générale. — Calcul de Napoléon tendant à traîner la négociation en longueur. — Système de l'Empire français. — Royautés vassales, grands-duchés et duchés. — Joseph roi de Naples, Louis roi de Hollande. — Dissolution de l'empire germanique. — Confédération du Rhin. — Mouvements de l'armée française. — Administration intérieure. — Travaux publics. — La colonne de la place Vendôme, le Louvre, la rue Impériale, l'arc de l'Étoile. — Routes et canaux. — Conseil d'État. — Création de l'Université. — Budget de 1806. — Rétablissement de l'impôt du sel. — Nouveau système de trésorerie. — Réorganisation de la Banque de France. — Continuation des négociations avec la Russie et l'Angleterre. — Traité de paix avec la Russie, signé le 20 juillet par M. d'Oubril. — La signature de ce traité décide lord Yarmouth à produire ses pouvoirs. — Lord Lauderdale est adjoint à lord Yarmouth. — Difficultés de la négociation avec l'Angleterre. — Quelques indiscrétions commises par les négociateurs anglais, au sujet de la restitution du Hanovre, font naître à Berlin de vives inquiétudes. — Faux rapports qui exaltent l'esprit de la cour de Prusse. — Nouvel entraînement des esprits à Berlin, et résolution d'armer. — Surprise et méfiance de Napoléon. — La Russie refuse de ratifier le traité signé par M. d'Oubril, et propose de nouvelles conditions. — Napoléon ne veut pas les admettre. — Tendance générale à la guerre. — Le roi de Prusse demande l'éloignement de l'armée française. — Napoléon répond par la demande d'éloigner l'année prussienne. — Silence prolongé de part et d'autre. — Les deux souverains partent pour l'armée. — La guerre est déclarée entre la Prusse et la France. 370 à 568
FIN DE LA TABLE DU SIXIÈME VOLUME.
Notes
1: Les Autrichiens n'ont jamais fait connaître leurs opérations dans cette première partie de la campagne de 1805. On a publié néanmoins beaucoup d'écrits en Allemagne, dans lesquels on s'est attaché à accabler le général Mack, à exalter l'archiduc Ferdinand, pour expliquer par l'ineptie d'un seul homme le désastre de l'armée autrichienne, et diminuer en même temps la gloire des Français. Ces écrits sont tous inexacts et injustes, et s'appuient la plupart du temps sur des circonstances fausses, dont l'impossibilité même est démontrée. Je me suis procuré avec beaucoup de peine l'un des rares exemplaires de la défense présentée par le général Mack au conseil de guerre devant lequel il fut appelé à comparaître. Cette défense, d'une forme singulière, d'un ton contraint, surtout à l'égard de l'archiduc Ferdinand, plus remplie de réflexions déclamatoires que de faits, m'a cependant fourni le moyen de bien préciser les intentions du général autrichien, et de rectifier un grand nombre de suppositions absurdes. Je crois donc être arrivé dans ce récit à la vérité, autant du moins qu'il est permis de l'espérer à l'égard d'événements qui n'ont pas été constatés par écrit même en Autriche, et qui sont presque sans témoins vivants aujourd'hui. Les principaux personnages en effet sont morts, et il y a eu en Allemagne un motif fort naturel, fort excusable de défigurer la vérité, celui de sauver l'amour-propre national en accablant un seul homme.
2: Voici l'énumération approximative, mais plutôt réduite qu'exagérée, de ces prisonniers:
| Pris à Wertingen | 2,000 | |
| à Günzbourg | 2,000 | |
| à Haslach | 4,000 | |
| à Munich | 1,000 | |
| à Elchingen | 3,000 | |
| à Memmingen | 5,000 | |
| Pendant la poursuite dirigée par Murat | 12 à 13,000 | |
| Total | 29 ou 30,000 | |
3: On a fait une foule de conjectures sur les causes qui amenèrent la sortie en masse de la flotte de Cadix, et la bataille de Trafalgar. Il n'y a de vrai que ce que nous rapportons ici. Notre récit est emprunté à la correspondance authentique de Napoléon, et à celle des amiraux Decrès et Villeneuve. Il n'y a dans ce triste événement rien au delà de ce qu'on va lire.
4: C'est sur des pièces authentiques que je fonde cette assertion.
5:
Au prince Murat.
«Schœnbrunn, 25 brumaire an XIV (16 novembre 1805),
à huit heures du matin.
«Il m'est impossible de trouver des termes pour vous exprimer mon mécontentement. Vous ne commandez que mon avant-garde, et vous n'avez pas le droit de faire d'armistice sans mon ordre. Vous me faites perdre le fruit d'une campagne. Rompez l'armistice sur-le-champ et marchez à l'ennemi. Vous lui ferez déclarer que le général qui a signé cette capitulation n'avait point le droit de le faire; qu'il n'y a que l'empereur de Russie qui ait ce droit.
«Toutes les fois, cependant, que l'empereur de Russie ratifierait ladite convention, je la ratifierais; mais ce n'est qu'une ruse; marchez, détruisez l'armée russe; vous êtes en position de prendre ses bagages et son artillerie. L'aide de camp de l'empereur de Russie est un... Les officiers ne sont rien quand ils n'ont pas de pouvoirs: celui-ci n'en avait point. Les Autrichiens se sont laissé jouer pour le passage du pont de Vienne, vous vous laissez jouer par un aide de camp de l'empereur...»
6: Les Russes l'ont portée à beaucoup moins le lendemain de leur défaite, Napoléon à beaucoup plus dans ses bulletins. Après la confrontation d'un grand nombre de témoignages et d'états authentiques, nous croyons présenter ici l'assertion la plus exacte.
7: Il vient de paraître un écrit traduit du russe par M. Léon de Narischkine, lequel contient un grand nombre d'assertions inexactes, quoique publié par un auteur en position d'être bien informé. Dans cet écrit il est dit que Napoléon eut avant la bataille d'Austerlitz communication du plan du général Weirother. Cette allégation est tout à fait erronée. Une pareille communication ne serait explicable que si le plan, communiqué longtemps d'avance aux divers chefs de corps, avait pu être exposé à une divulgation. On verra ci-après, par le rapport d'un témoin oculaire, que c'est seulement dans la nuit qui précéda la bataille, que le plan fut communiqué aux chefs de corps. Du reste, tous les détails des ordres et de la correspondance prouvent que Napoléon prévit et ne connut pas le plan de l'ennemi. Notre résolution étant d'éviter toute polémique avec les auteurs contemporains, nous nous bornerons à redresser cette erreur, sans nous occuper de beaucoup d'autres, que renferme encore l'ouvrage en question, dont nous reconnaissons d'ailleurs le mérite très-réel, et jusqu'à un certain point l'impartialité.
8: Nous croyons utile de citer un fragment des mémoires manuscrits du général Langeron, témoin oculaire, puisqu'il commandait l'un des corps de l'armée russe.
Voici le récit de cet officier:
«On a vu que, le 19 novembre (1er décembre), nos colonnes ne parvinrent à leur destination que vers les dix heures du soir.
»Vers les onze heures, tous les chefs de ces colonnes, excepté le prince Bagration, qui était trop éloigné, reçurent l'ordre de se rendre à Kreznowitz, chez le général Kutusof, afin d'entendre la lecture des dispositions pour la bataille du lendemain.
»À une heure du matin, lorsque nous fûmes tous rassemblés, le général Weirother arriva, déploya sur une grande table une immense carte très-exacte des environs de Brünn et d'Austerlitz, et nous lut ses dispositions, d'un ton élevé et avec un air de jactance qui annonçaient en lui la persuasion intime de son mérite et celle de notre incapacité. Il ressemblait à un régent de collége qui lit une leçon à de jeunes écoliers. Nous étions peut-être effectivement des écoliers; mais il était loin d'être un bon professeur. Kutusof, assis et à moitié endormi lorsque nous arrivâmes chez lui, finit par s'endormir tout à fait avant notre départ. Buxhoewden, debout, écoutait, et sûrement ne comprenait rien; Miloradovitch se taisait; Pribyschewski se tenait en arrière, et Doctoroff seul examinait la carte avec attention. Lorsque Weirother eut fini de pérorer, je fus le seul qui pris la parole. Je lui dis: «Mon général, tout cela est fort bien; mais si les ennemis nous préviennent et nous attaquent près de Pratzen, que ferons-nous?»—«Le cas n'est pas prévu, me répondit-il; vous connaissez l'audace de Buonaparte. S'il eût pu nous attaquer, il l'eût fait aujourd'hui.»—«Vous ne le croyez donc pas fort? lui dis-je.»—«C'est beaucoup s'il a 40,000 hommes.»—«Dans ce cas, il court à sa perte en attendant notre attaque; mais je le crois trop habile pour être imprudent, car si, comme vous le voulez et le croyez, nous le coupons de Vienne, il n'a d'autre retraite que les montagnes de la Bohême; mais je lui suppose un autre projet. Il a éteint ses feux, on entend beaucoup de bruit dans son camp.»—«C'est qu'il se retire ou qu'il change de position; et même, en supposant qu'il prenne celle de Turas, il nous épargne beaucoup de peine, et les dispositions restent les mêmes.»
»Kutusof alors, s'étant réveillé, nous congédia en nous ordonnant de laisser un adjudant pour copier les dispositions que le lieutenant colonel Toll, de l'état-major, allait traduire de l'allemand en russe. Il était alors près de trois heures du matin, et nous ne reçûmes les copies de ces fameuses dispositions qu'à près de huit heures, lorsque déjà nous étions en marche.»
9: Le prince Czartoryski, placé entre les deux empereurs, fit remarquer à l'empereur Alexandre la marche leste et décidée des Français qui gravissaient le plateau, sans répondre au feu des Russes. Ce prince ému à cette vue sentit défaillir la confiance qu'il avait éprouvée jusque-là, et en conçut un pressentiment sinistre qui ne l'abandonna pas de la journée.
10: Celui qui est mort récemment.
11: Les nombres exacts n'étaient pas encore connus.
12: C'est M. de Talleyrand qui raconte ce détail dans une de ses lettres à Napoléon.
13: J'emprunte ce récit aux sources les plus authentiques: aux Mémoires du prince Cambacérès d'abord, puis aux Mémoires intéressants et instructifs de M. le comte Mollien, qui ne sont point encore publiés, et enfin aux Archives du Trésor. J'ai tenu et lu moi-même, avec une grande attention, les pièces du procès, et surtout un long et intéressant rapport que le ministre du Trésor rédigea pour l'Empereur. Je n'avance donc rien ici que sur preuves officielles et incontestables.
14: Nous citons la lettre suivante, qui reproduit exactement la pensée de Napoléon dans cette circonstance:
À M. de Talleyrand.
Paris, 4 février 1806.
Le ministère en Angleterre a été entièrement changé après la mort de M. Pitt. M. Fox a le portefeuille des relations extérieures. Je désire que vous me présentiez ce soir une note rédigée sur cette idée:
«Le soussigné ministre des relations extérieures a reçu l'ordre exprès de S. M. l'Empereur de faire connaître à M. d'Haugwitz, à sa première entrevue, que S. M. ne saurait regarder le traité conclu à Vienne comme existant, par défaut de ratification dans le temps prescrit; que S. M. ne reconnaît à aucune puissance, et moins à la Prusse qu'à toute autre, parce que l'expérience a prouvé qu'il faut parler clairement et sans détour, le droit de modifier et d'interpréter, selon son intérêt, les différents articles d'un traité; que ce n'est pas échanger des ratifications que d'avoir deux textes différents d'un même traité, et que l'irrégularité paraît encore plus grande si l'on considère les trois ou quatre pages de mémoire ajoutées aux ratifications de la Prusse; que M. de Laforest, ministre de S. M., chargé de l'échange des ratifications, serait coupable, si lui-même n'eût observé toute l'irrégularité du procédé de la cour de Prusse, mais qu'il n'avait accepté l'échange qu'avec la condition de l'approbation de l'Empereur.
»Le soussigné est donc chargé de déclarer que S. M. ne l'approuve pas, par la considération de la sainteté due à l'exécution des traités.
»Mais en même temps le soussigné est chargé de déclarer que S. M. désire toujours que les différends survenus dans ces dernières circonstances entre la France et la Prusse se terminent à l'amiable, et que l'ancienne amitié qui avait existé entre elles subsiste comme par le passé; elle désire même que le traité d'alliance offensive et défensive, s'il est compatible avec les autres engagements de la Prusse, subsiste entre les deux pays et assure leurs liaisons.»
Cette note, que vous me présenterez ce soir, sera remise demain dans la conférence, et sous quelque prétexte que ce soit je ne vous laisse pas le maître de ne la pas remettre.
Vous comprenez vous-même que ceci a deux buts: de me laisser maître de faire ma paix avec l'Angleterre, si d'ici à quelques jours les nouvelles que je reçois se confirment, ou de conclure avec la Prusse un traité sur une base plus large.
Vous serez sévère et net dans la rédaction; mais vous y ajouterez de vive voix toutes les modifications, tous les adoucissements, toutes les illusions qui feront croire à M. d'Haugwitz que c'est une suite de mon caractère, qui est piqué de cette forme, mais que dans le fond on est dans les mêmes sentiments pour la Prusse. Mon opinion est que dans les circonstances actuelles, si véritablement M. Fox est à la tête des affaires étrangères, nous ne pouvons céder le Hanovre à la Prusse que par suite d'un grand système tel qu'il puisse nous garantir de la crainte d'une continuation d'hostilités.
15: Texte de la dépêche.
16: Nous citons le curieux document qui fut adressé à Napoléon.
Ratisbonne, 19 avril 1806.
Sire,
Le génie de Napoléon ne se borne pas à créer le bonheur de la France; la Providence accorde l'homme supérieur à l'univers. L'estimable nation germanique gémit dans les malheurs de l'anarchie politique et religieuse: soyez, Sire, le régénérateur de sa Constitution! Voici quelques vœux dictés par l'état des choses. Que le duc de Clèves devienne électeur, qu'il obtienne l'octroi du Rhin sur toute la rive droite; que le cardinal Fesch soit mon coadjuteur; que les rentes assignées sur l'octroi à douze États de l'empire soient fondées sur quelque autre base. Votre Majesté Impériale et Royale jugera dans sa sublimité s'il est utile au bien général de réaliser ces idées. Si quelque erreur idéologique me trompe à cet égard, le cœur m'atteste au moins la pureté de mes intentions.
Je suis avec un attachement inviolable et le plus profond respect, Sire, de Votre Majesté Impériale et Royale le très-humble et tout dévoué admirateur,
Charles, électeur archichancelier.
La nation germanique a besoin que sa Constitution soit régénérée: la majeure partie de ses lois ne présente que des mots vides de sens, depuis que les tribunaux, les cercles, la Diète de l'empire n'ont plus les moyens nécessaires pour soutenir les droits de propriété et de sûreté personnelle des individus qui composent la nation, et que ces institutions ne peuvent plus protéger les opprimés contre les attentats du pouvoir arbitraire et de la cupidité. Un tel état est anarchique; les peuples supportent les charges de l'état civil sans jouir de ses principaux avantages, position désastreuse pour une nation foncièrement estimable par sa loyauté, son industrie, son énergie primitive. La Constitution germanique ne peut être régénérée que par un chef de l'empire d'un grand caractère, qui rende la vigueur aux lois en concentrant dans ses mains le pouvoir exécutif. Les États de l'empire n'en jouiront que d'autant mieux de leurs domaines, lorsque les vœux des peuples seront exposés et discutés à la Diète, les tribunaux mieux organisés, et la justice administrée d'une manière plus efficace. Sa Majesté l'empereur d'Autriche, François second, serait un particulier respectable par ses qualités personnelles, mais dans le fait le sceptre d'Allemagne lui échappe, parce qu'il a maintenant la majorité de la Diète contre lui; qu'il a manqué à sa capitulation en occupant la Bavière, en introduisant les Russes en Allemagne, en démembrant des parties de l'empire pour payer des fautes commises dans les querelles particulières de sa maison. Puisse-t-il être empereur d'Orient pour résister aux Russes, et que l'empire d'Occident renaisse en l'empereur Napoléon, tel qu'il était sous Charlemagne, composé de l'Italie, de la France et de l'Allemagne! Il ne paraît pas impossible que les maux de l'anarchie fassent sentir la nécessité d'une telle régénération à la majorité des électeurs; c'est ainsi qu'ils choisirent Rodolphe de Habsbourg après les troubles du grand interrègne. Les moyens de l'archichancelier sont très-bornés; mais c'est au moins avec une intention pure qu'il compte sur les lumières de l'empereur Napoléon, nommément dans les objets qui pourront agiter le midi de l'Allemagne plus particulièrement dévoué à ce monarque. La régénération de la Constitution germanique a été de tout temps l'objet des vœux de l'électeur archichancelier; il ne demande et n'accepterait rien pour lui-même; il pense que si Sa Majesté l'empereur Napoléon pouvait se réunir en personne chaque année pour quelques semaines à Mayence ou ailleurs avec les princes qui lui sont attachés, les germes de la régénération germanique se développeraient bientôt. M. d'Hédouville a inspiré une parfaite confiance à l'électeur archichancelier, qui sera charmé s'il veut bien exposer ces idées dans toute leur pureté à Sa Majesté l'empereur des Français et à son ministre M. de Talleyrand.
Charles, électeur archichancelier.
17: C'est de M. de Labesnardière lui-même, seul confident de cette importante création, que nous tenons tous ces détails, appuyés en outre sur une foule de documents authentiques.
18: Nous citons les lettres suivantes, qui montrent comment Napoléon donnait les couronnes et comment on les recevait.
«Au ministre de la guerre.
Munich, 5 janvier 1806.
«Expédiez le général Berthier, votre frère, avec le décret qui nomme le prince Joseph commandant de l'armée de Naples. Il gardera le plus profond secret, et ce ne sera que lorsque le prince arrivera qu'il lui remettra le décret. Je dis qu'il doit garder le plus profond secret, parce que je ne suis pas sûr que le prince Joseph y aille, et, sous ce point, il ne faut pas que rien soit connu.»
«Au prince Joseph.
»Stuttgard, le 19 janvier 1806.
»Mon intention est que dans les premiers jours de février vous entriez dans le royaume de Naples, et que je sois instruit dans le courant de février que mes aigles flottent sur cette capitale. Vous ne ferez aucune suspension d'armes ni capitulation. Mon intention est que les Bourbons aient cessé de régner à Naples, et je veux sur ce trône asseoir un prince de ma maison, vous d'abord, si cela vous convient, un autre si cela ne vous convient point.
»Je vous réitère de ne point diviser vos forces; que toute votre armée passe l'Apennin, et que vos trois corps d'armée soient dirigés droit sur Naples, de manière à se réunir en un jour sur un même champ de bataille.
»Laissez un général, des dépôts, des approvisionnements et quelques canonniers à Ancône pour défendre la place. Naples pris, les extrémités tomberont d'elles-mêmes, tout ce qui sera dans les Abbruzzes sera pris à revers, et vous enverrez une division à Tarente, et une du côté de la Sicile pour achever la conquête du royaume.
»Mon intention est de laisser sous vos ordres dans le royaume de Naples pendant l'année, jusqu'à ce que j'aie fait de nouvelles dispositions, 14 régiments d'infanterie française, complétés au grand complet de guerre, et 12 de cavalerie française aussi au grand complet.
»Le pays doit vous fournir les vivres, l'habillement, les remontes, et tout ce qui est nécessaire, de manière qu'il ne m'en coûte pas un sou. Mes troupes du royaume d'Italie n'y resteront qu'autant de temps que vous le jugerez nécessaire, après quoi elles retourneront chez elles.
»Vous lèverez une légion napolitaine où vous ne laisserez entrer que des officiers et soldats napolitains, des gens du pays qui voudront s'attacher à ma cause.»
19: J'ai lu toutes ces dépêches avec la plus grande attention; et comme je dis la vérité à l'égard de toutes les cours, grandes et petites, je la dirais à l'égard de la Hesse, cette vérité lui fût-elle favorable, et fût-elle défavorable à la France.
20: Cette lettre existe au dépôt de la Secrétairerie d'État au Louvre.