← Retour

Histoire du Consulat et de l'Empire, (Vol. 16 / 20): faisant suite à l'Histoire de la Révolution Française

16px
100%

Notes

1: Cette célèbre entrevue est de toutes celles où Napoléon a figuré personnellement, la plus difficile à reproduire, faute de documents suffisants. Pour les autres entretiens de Napoléon rapportés précédemment dans cette histoire, il existait des documents nombreux, soit dans nos archives diplomatiques, soit dans les archives diplomatiques étrangères; pour celui dont il s'agit ici au contraire, Napoléon n'ayant rien adressé à ses agents extérieurs, on manque de l'un des moyens d'information les plus certains. Il se contenta d'en parler à M. de Bassano, qui plus tard fut l'auteur des diverses versions publiées par des écrivains avec lesquels il était lié. Cet entretien mémorable serait donc à peu près perdu, si M. de Metternich n'en avait écrit lui-même, avec le plus grand détail, et en temps utile, toutes les particularités. Ayant obtenu de son obligeance la communication de ce récit, qui m'a paru trop sévère pour Napoléon, mais généralement exact, j'ai conservé dans ce qu'on vient de lire tout ce qui m'a semblé incontestable, d'après la connaissance que j'avais des négociations du moment, et d'après les autres récits publiés par les écrivains auxquels M. de Bassano avait communiqué ses souvenirs. Je n'ai, comme dans toutes les occasions semblables, conservé que ce que j'ai considéré comme à l'abri de toute contestation. Ce qui est incontestable me paraissait d'ailleurs suffisant pour donner de cette scène historique une idée qui fût à la fois exacte et complète.

2: Nous nous permettons d'indiquer ces mesures comme celles qu'on aurait dû prendre, parce qu'on a généralement reproché depuis à Joseph et au maréchal Jourdan de ne les avoir pas prises, et que le simple bon sens suffit d'ailleurs pour en apprécier la convenance et la nécessité.

3: Dans les Mémoires du maréchal Jourdan, imprimés récemment avec ceux du roi Joseph, on trouve des chiffres un peu différents, mais le maréchal, quoique toujours extrêmement véridique, a trop réduit les forces des Français pour atténuer la défaite de la bataille de Vittoria. Après des calculs qu'il serait trop long de reproduire, nous sommes arrivé à croire plus exacts, du moins plus rapprochés de la vérité, les chiffres que nous présentons ici. Du reste la différence n'est que de 4 à 5 mille hommes. Nous devons ajouter que le maréchal Jourdan a tout à fait raison contre les chiffres allégués par le ministre de la guerre, lesquels sont entièrement faux.

4: Pour quiconque aurait de la peine à croire qu'on ait cherché à rendre aussi illusoires que nous le disons les négociations de Prague, nous donnerons l'extrait suivant d'une lettre de M. de Bassano à l'Empereur, datée de Dresde, 1er août 1813, à quatre heures du matin.

«Je transmets à Votre Majesté les dépêches de ses plénipotentiaires.

»J'ai cru devoir leur répondre sans attendre les ordres de Votre Majesté. Nous sommes au 1er août; ma lettre ne partira que ce matin, les plénipotentiaires ne la recevront que demain, et il se sera écoulé assez de temps pour que, conformément aux instructions que Votre Majesté m'a laissées, on arrive au 10 août sans s'être trop engagé. Il m'a d'autant moins paru dans l'intention de Votre Majesté de porter trop loin les discussions de forme qui mettraient à découvert le projet de gagner du temps, que nous parviendrons tout naturellement au moment du retour de Votre Majesté à Dresde sans que la négociation ait fait des progrès réels, et qu'aucune question ait été compromise. À peine celle de l'approvisionnement des places aura-t-elle été entamée.

»Des trois difficultés qui se sont élevées, celles relatives à l'échange des pouvoirs et au lieu des conférences se résoudront d'elles-mêmes.

»Quant au mode à adopter (à partir de ce mot la minute est écrite de la main du duc de Bassano) pour négocier, j'ai cru que nous ne pouvions différer pendant plusieurs jours de répondre, sans prendre sur nous ces retards, tandis que de fait, et si M. de Metternich insiste sur une proposition qui attente à tous les droits et à tous les usages, les entraves apportées à la négociation ne pourront être imputées qu'à lui.

»Quoique les déclarations qu'il a faites à MM. de Vicence et de Narbonne et à M. d'André n'aient peut-être pour objet que de rendre plus imposante son attitude de médiateur, il pourrait entrer dans les vues de Votre Majesté de donner dès le moment de son arrivée ici une tournure assez grave aux négociations pour qu'on n'osât pas les rompre. Dans cette supposition, j'ai pensé qu'il conviendrait à Votre Majesté de trouver les discussions préliminaires à peu près terminées.»

5: L'archichancelier Cambacérès, confident et directeur de l'Impératrice régente, déclare dans ses Mémoires aussi simples que véridiques, qu'il ne put parvenir à en rien savoir.

6: Voici de singulières paroles écrites par M. de Bassano à M. de Vicence, et qui prouvent ce que nous avançons ici. «L'Empereur part demain et ira coucher à Bautzen... Nous sommes ici dans l'attente et dans la meilleure espérance des événements. Toute l'armée est en mouvement. La confiance est partout. Le roi de Saxe et la famille royale ne quittent pas Dresde..... Sa Majesté ne veut pas de prolongation d'armistice, elle est prête à la guerre. Elle l'est plus que l'Autriche. Elle n'a pas de motifs d'attendre pour ses subsistances, et elle ne veut pas perdre un temps précieux et se laisser engager dans l'hiver... (Dans ce moment en effet Napoléon avait renoncé à une prolongation d'armistice, et ne voulait que différer l'entrée en action de l'Autriche.).... M. de Bubna, qui sera arrivé longtemps avant le courrier porteur de cette dépêche, connaît notre position. La secrète joie qu'éprouve Sa Majesté de se trouver dans une circonstance difficile, mais digne de son génie, n'a point échappé à M. de Bubna... Sa Majesté, qui se fie à la Providence, entrevoit les grands desseins qu'elle a fondés sur elle. Ses plans sont arrêtés, et elle ne voit partout que des motifs de confiance.» (Dépêche de M. de Bassano à M. le duc de Vicence en lui envoyant ses pleins pouvoirs, à la date du 13 août 1813.)

7: Cette grave délibération de Napoléon avec lui-même se trouve constatée par de longues notes qu'il a écrites sur son plan de campagne, et dans lesquelles il a donné tous les motifs de ses diverses résolutions, bien avant le résultat qui justifia les unes et condamna les autres. Il n'y a donc pas ici une idée qui lui soit faussement, ou même conjecturalement prêtée, puisque les intentions que nous lui attribuons sont toutes formellement constatées par écrit.

8: Ce n'est point sur des conjectures ni sur les interprétations des amis du général Moreau, mais d'après les lettres de ce général, trouvées depuis sa mort, que j'écris ces pages. La faute du général Moreau fut assez grave pour qu'on ne l'exagère point, et on doit à ses grands services d'autrefois, à son ancien désintéressement, à sa gloire, de réduire à ce qu'il fut véritablement, l'acte coupable qui a terni une des plus belles vies des temps modernes. Les lettres que j'ai dans les mains, écrites avec la plus parfaite simplicité, établissent ce que j'avance d'une manière incontestable.

9: Le maréchal Saint-Cyr, avec son esprit ordinairement peu indulgent, et le désir de justifier son rôle pendant la campagne de 1813, a inexactement représenté les événements de cette année dans ses Mémoires d'ailleurs si remarquables. Il a voulu prouver partout que Napoléon n'avait aucun plan, qu'il n'avait pourvu à rien, et qu'il n'existait nulle part des forces suffisantes. Ainsi il suppose que sa seconde division était au plus de 5 mille hommes, ce qui aurait fait 15 mille hommes pour les trois divisions chargées de la défense de Dresde. Ces assertions sont inexactes, car les divisions du maréchal étaient de douze bataillons, et en supposant que les bataillons qui ne s'étaient pas encore battus comptassent 500 hommes seulement, les douze bataillons auraient présenté 6 mille hommes. Or, la 42e (première du corps de Saint-Cyr), sous le général Mouton-Duvernet, se trouva le 29 au matin à Kulm avec plus de 8 mille hommes en bataille, ce qui résulte d'un appel fait le jour même, et fourni par le général Haxo dans son rapport circonstancié sur l'affaire de Kulm. Il n'est donc pas admissible que les autres ne comptassent que 5 mille hommes. Leur en attribuer 7 mille, surtout au début des opérations, ce qui suppose à peu près 600 hommes par bataillon, n'est certainement pas une exagération. Le maréchal Saint-Cyr aurait donc possédé, seulement en infanterie de son corps, 21 ou 22 mille hommes à Dresde, sans compter la division laissée à Kœnigstein.

10: Ces événements ont été jusqu'ici ou incomplétement ou inexactement rapportés, et avec une flatterie ou un dénigrement posthumes pour Napoléon, qui ont défiguré la vérité. Sa grande conception, celle de déboucher par Kœnigstein, n'a jamais été bien précisée, faute de connaître sa correspondance. C'est sur cette correspondance, sur la lecture attentive des ordres et des réponses, qu'est établi le récit qu'on va lire, et on peut compter sur sa parfaite exactitude.

11: Le maréchal Saint-Cyr, avec sa sévérité accoutumée, a, dans ses Mémoires, représenté Napoléon comme n'ayant aucun plan pour le lendemain, tandis qu'il existe une suite de lettres (ignorées évidemment du maréchal), datées du 26 août à 7 heures du soir, au moment où finissait la première bataille, et dans lesquelles tous les ordres pour le lendemain sont donnés avec la plus rare précision et la plus parfaite prévoyance du résultat. Il ne faut donc jamais prononcer sur ces grands événements qu'après avoir vu les documents eux-mêmes, et non pas quelques-uns, mais tous s'il est possible. Sans cela on ne porte que des jugements erronés, si bon juge qu'on soit, et si près des événements qu'on ait pu être.

12: Les flatteurs de la mémoire de Napoléon, ignorant, parce que sa correspondance leur est restée inconnue, les vrais motifs de son subit retour à Dresde, et ne voulant pas non plus admettre qu'il pût commettre une faute, ont attribué ce retour à une indisposition subite. Les ordres nombreux donnés dans cette même journée du 28, et dans celle du 29, prouvent que cette indisposition n'empêcha pas Napoléon de vaquer à ses affaires, et des témoins oculaires, le maréchal Marmont notamment, affirment qu'il n'était point malade. Nous en rapportant plus volontiers aux documents authentiques qu'aux récits presque toujours contradictoires des témoins oculaires, nous croyons avoir acquis la preuve par les lettres mêmes de Napoléon, que cette prétendue indisposition ne l'empêcha nullement de faire ce qu'il devait, et nous nous sommes convaincu que le vrai motif de son retour à Dresde, lequel devint si fatal deux jours après, ne fut autre que les dépêches reçues des environs de Berlin et de Lowenberg. Les ordres du 29 et du 30 ne laissent à cet égard aucun doute. Plus loin nous démontrerons encore par l'exposé simple des faits que sur cette importante époque on n'a publié que des erreurs, ce qui a rendu jusqu'ici la catastrophe du général Vandamme tout à fait inexplicable. Nous espérons qu'après le récit qui va suivre elle sera parfaitement claire, et que ce grand malheur sera rapporté à sa vraie cause, laquelle fut moins accidentelle et plus générale qu'on ne le suppose communément.

13: Nous citons l'ordre lui-même qui éclaircit complétement l'intention de l'Empereur.

«À une lieue de Pirna, le 28 août 1813, à quatre heures après midi.

»M. le général Vandamme, l'Empereur ordonne que vous vous dirigiez sur Péterswalde avec tout votre corps d'armée, la division Corbineau, la 42e division, enfin avec la brigade du 2e corps que commande le général prince de Reuss: ce qui vous fera 18 bataillons d'augmentation. Pirna sera gardée par les troupes du duc de Trévise, qui arrive ce soir à Pirna. Le maréchal a aussi l'ordre de relever vos postes du camp de Lilienstein. Le général Baltus avec votre batterie de 12 et votre parc, arrive ce soir à Pirna, envoyez-le chercher. L'Empereur désire que vous réunissiez toutes les forces qu'il met à votre disposition, et qu'avec elles vous pénétriez en Bohême et culbutiez le prince de Wurtemberg s'il voulait s'y opposer. L'ennemi que nous avons battu paraît se diriger sur Annaberg. S. M. pense que vous pourriez arriver avant lui sur la communication de Tetschen, Aussig et Tœplitz, et par là prendre ses équipages, ses ambulances, ses bagages, et enfin tout ce qui marche derrière une armée. L'Empereur ordonne qu'on lève le pont de bateaux devant Pirna, afin de pouvoir en jeter un à Tetschen.»

14: Quand il voulait se rendre bien compte de ses idées, Napoléon les mettait sur le papier, sachant, comme tous les hommes qui ont beaucoup pensé, que rédiger ses idées c'est les approfondir davantage. Il avait donc dicté son projet dans une note admirable, intitulée: Note sur la situation générale de mes affaires le 30 août, assez semblable à celles qu'il écrivit à Moscou en octobre 1812, et révélant sa pensée tout entière au moment où Vandamme était à Kulm. On voit dans cette note la vraie cause de la négligence qui amena le malheur de Vandamme, surtout en la rapprochant des ordres donnés le même jour à Murat et à Mortier, et on sent combien est ridicule la fable de cette indisposition que certains narrateurs ont inventée, et qu'ont accueillie avec empressement ceux qui ont le goût de croire qu'en histoire les plus grands événements viennent des plus petites causes, goût singulier et qui atteste une médiocre portée d'esprit. Tant pis, en effet, pour ceux qui croient plus volontiers aux petites causes qu'aux grandes!

15: L'historien russe Danilewski a voulu attribuer à l'empereur Alexandre l'honneur d'une combinaison profonde, consistant à faire descendre Kleist sur les derrières de Vandamme; mais M. de Wolzogen, dans ses Mémoires aussi instructifs que spirituels, a complétement démenti cette assertion, et il était mieux que personne autorisé à le faire, puisqu'il était présent lorsque l'ordre que nous mentionnons fut donné à M. de Schœler. Cet ordre se trouve donc réduit aux proportions et au sens que nous lui prêtons ici.

16: Quoique je n'aie pas le goût d'adopter les jugements malveillants que les contemporains portent les uns sur les autres, et que je me défie en particulier de ceux du duc de Raguse, ordinairement légers et rigoureux, il est impossible, quand on a bien étudié les faits, lu les ordres et les correspondances, de ne pas reconnaître que le jugement qu'il exprime en cette occasion sur la conduite du maréchal Saint-Cyr est à peu près juste. C'est avec grand chagrin qu'on trouve en faute un homme aussi distingué que le maréchal Saint-Cyr, mais on doit la vérité à tout le monde, et il faut savoir se résigner à la dire sur ce maréchal, lorsque dans cette histoire il faut la dire sur des hommes tels que Moreau, Masséna et Napoléon.

Le maréchal Marmont n'est pas le seul à juger comme il l'a fait la conduite du maréchal Saint-Cyr en cette circonstance. Dans une relation encore manuscrite, digne de celle qu'il a écrite sur 1812, M. le général de Fezensac a porté en termes très-modérés, mais très-positifs, le même jugement que le maréchal Marmont sur le rôle qu'ont joué les divers acteurs de l'événement de Kulm. Effectivement les faits sont tellement frappants, qu'il est impossible de les interpréter de deux manières. Le général Vandamme ne périt pas pour être allé trop loin, car, ainsi que nous l'avons dit, il avait ordre d'aller à Tœplitz, et il s'arrêta à Kulm. À Kulm, avec 52 bataillons, il était invincible, et il le serait resté si trente mille Prussiens n'étaient tombés sur ses derrières. Qui était chargé de suivre ces Prussiens? Non pas Mortier, qui était à gauche à Pirna, et avait ordre d'y rester; non pas Marmont, qui était à droite sur la route d'Altenberg, et avait ordre de s'y tenir; mais le maréchal Saint-Cyr, qui était entre deux, avec mission de poursuivre l'ennemi sans relâche et dans toutes les directions, comme le lui prescrivaient les instructions réitérées de Napoléon. Or, le 28 il s'arrêta à Maxen, ce qui à la rigueur pouvait se concevoir. Mais le 29 il employa la journée à faire une lieue et demie, et envoya chercher l'ordre de savoir s'il suivrait Marmont qu'il venait de rencontrer sur sa droite. En admettant qu'il eût besoin de cet éclaircissement, le premier devoir était en attendant de ne pas perdre la piste de l'ennemi, et de ne pas lui laisser la liberté dont il usa si fatalement pour accabler Vandamme. Le lendemain, quand l'ordre, dicté par le plus simple bon sens, de tâcher de se lier à Vandamme plutôt que de suivre Marmont, quand cet ordre arrivait il n'était plus temps, et Vandamme était détruit. Le maréchal Saint-Cyr, sans la mauvaise volonté dont on l'a accusé à d'autres époques envers ses voisins, fut par la seule suspension de sa marche le 29, l'auteur involontaire assurément, mais bien visible, du désastre de Vandamme. Même en faisant demander un éclaircissement à l'état-major général, il aurait dû ne pas s'arrêter, et il devait bien, avec son rare esprit et sa grande expérience, se dire que pendant qu'il envoyait chercher un ordre l'ennemi se sauverait; et encore si l'ennemi n'avait fait que se sauver, ce n'eût été qu'un faible mal, mais en se sauvant il détruisit Vandamme et le destin de la campagne. C'est avec un grand regret qu'on trouve en faute un aussi noble personnage historique que le maréchal Saint-Cyr, mais l'histoire ne doit être une flatterie ni pour les vivants ni pour les morts. Elle n'est tenue que d'être vraie, de l'être sans malveillance comme sans faiblesse.

Nous plaçons ici quelques lettres extraites de la correspondance de Napoléon et du major général Berthier.

L'Empereur au major général.

«Dresde, le 27 août 1813, à sept heures et demie du soir.

»..... Envoyez reconnaître positivement la situation du maréchal Saint-Cyr. Témoignez-lui mon mécontentement de ce que je n'ai pas eu de ses nouvelles pendant toute la matinée: il aurait dû m'envoyer un officier toutes les heures pour me rendre compte de ce qui se passait.»

Au major général.

«Devant Dresde, le 28 août 1813.

»Donnez ordre au maréchal Saint-Cyr de marcher sur Dohna. Il se mettra sur la hauteur, et suivra la retraite sur les hauteurs en passant entre Dohna et la plaine. Le duc de Trévise suivra sur la grande route. Aussitôt que la jonction sera faite avec le général Vandamme, le maréchal Saint-Cyr continuera sa route pour se porter avec son corps et celui du général Vandamme sur Gieshübel, le duc de Trévise prendra position sur Pirna. Du reste, je m'y rendrai moi-même aussitôt que je saurai que le mouvement est commencé.»

Au major général.

«Dresde, le 29 août 1813, à 5 heures et demie du matin.

»Donnez ordre au roi de Naples de se porter sur Frauenstein et de tomber sur les flancs et les derrières de l'ennemi, et de réunir à cet effet sa cavalerie, son infanterie et son artillerie.--Donnez ordre au duc de Raguse de suivre l'ennemi sur Dippoldiswalde et dans toutes les directions qu'il aurait prises.--Donnez ordre au maréchal Saint-Cyr de suivre l'ennemi sur Maxen et dans toutes les directions qu'il aurait prises.--Instruisez ces trois généraux de la position des deux autres, afin qu'ils sachent qu'ils se soutiennent réciproquement.»

Au roi de Naples.

«Dresde, le 29 août 1813, à 5 heures après midi.

»Aujourd'hui 29, à six heures du matin, le général Vandamme a attaqué le prince de Wurtemberg près de Hollendorf; il lui a fait 1500 prisonniers, pris quatre pièces de canon, et l'a mené battant; c'étaient tous Russes. Le général Vandamme marchait sur Tœplitz avec tout son corps. Le général prince de Reuss, qui commandait une de nos brigades, a été tué.--Je vous écris cela pour votre gouverne.--Le général Vandamme me mande que l'épouvante est dans toute l'armée russe.»

Le major général au maréchal Gouvion Saint-Cyr.

«Dresde, le 30 août 1813.

»Monsieur le maréchal,

»Je reçois votre lettre datée de Reinhards-Grimme, par laquelle vous me faites connaître que vous vous trouvez derrière le 6e corps. L'intention de Sa Majesté est que, dans cet état de choses, vous appuyiez le 6e corps; mais il serait préférable que vous pussiez trouver un chemin sur la gauche, entre le duc de Raguse et le corps du général Vandamme, qui a obtenu de grands succès sur l'ennemi et lui a fait 2 mille prisonniers.»

17: La note où ce plan est exposé et discuté, les ordres en conséquence de la note, existent à la secrétairerie d'État, et c'est d'après ces documents irréfragables que nous écrivons ce récit.

18: On a prêté sur cette époque à Napoléon, faute de connaître sa correspondance et celle de ses lieutenants, les projets les plus chimériques et les moins raisonnables. Mais grâce à la possession et à l'étude approfondie de cette correspondance, nous ne lui attribuons aucun projet, aucun calcul, qui ne soient certains et constatés par preuves authentiques.

19: Nous honorons fort dans le maréchal Saint-Cyr, outre beaucoup d'esprit, une grande indépendance de caractère, nous regrettons seulement qu'elle ait été gâtée par un penchant excessif à la contradiction, qui lui a fait commettre plus d'une faute dans sa carrière d'ailleurs si glorieuse. Mais nous allons citer une étrange preuve de ce penchant, à l'occasion même des journées dont on vient de lire le récit. Certes il est difficile de voir des journées sinon plus heureusement employées, du moins plus activement, car Napoléon partit le 3 au soir de Dresde, dormit trois ou quatre heures à Harta, arriva le 4 au matin à Bautzen, y passa la journée du 4 pour assister à la poursuite de l'ennemi, poussa pendant la journée du 5 jusqu'à Gorlitz pour s'assurer de ses propres yeux si les Prussiens voulaient tenir, revint le soir même à Bautzen sur le bruit d'une nouvelle apparition de l'armée de Bohême, y arriva à deux heures du matin le 6, expédia le 6 tous ses ordres, vint le même jour coucher à Dresde où il fut rendu dans la nuit, et le 7 au matin se transporta auprès du maréchal Saint-Cyr pour avoir la conférence que nous venons de rapporter. Marchant pendant les nuits, passant les journées ou à cheval ou dans son cabinet pour donner des directions à une multitude de corps dont il recevait à chaque instant des nouvelles, Napoléon déployait dans ces circonstances l'activité d'un jeune homme. Voici pourtant les propres paroles du maréchal Saint-Cyr dans ses Mémoires, tome IV, page 136... «Il lui restait (après la retraite de Blucher) la faculté de marcher sur Schwarzenberg, qui s'avançait par la rive droite sur Rumburg, et de la marche duquel je présume qu'il était instruit, comme il le fut par le 14e corps dans les journées du 3, du 4, de celle de l'armée russe. Néanmoins, après la retraite de Blucher, il resta le 5, le 6 et le 7 dans une indécision complète; le 7, il fit écrire par le major général au maréchal Gouvion Saint-Cyr une espèce de lettre de reproches...» Sans chercher dans cette dernière phrase le secret du jugement porté par le maréchal Saint-Cyr, on peut voir par l'exposé que nous avons fait à quel point est fondée l'assertion de ce maréchal. Napoléon marcha le 5 sur Blucher, revint le 6 rappelé par le maréchal Saint-Cyr lui-même, n'employa que quelques heures à s'assurer si cet appel était fondé, heures qu'il ne perdit pas puisqu'il ne cessa de donner des ordres, et consacra le 7 à se transporter auprès du maréchal. Il ne perdit donc pas les 5, 6 et 7 en irrésolutions. La supposition que Napoléon devait être instruit du prétendu mouvement de l'armée autrichienne sur Rumburg, c'est-à-dire sur la rive droite de l'Elbe, est tout aussi fausse, car d'une part l'armée autrichienne n'exécuta point le mouvement dont il s'agit, et ne revint pas en arrière au delà de Tetschen, d'autre part Napoléon aurait pu ne pas connaître ce mouvement si en effet il avait eu lieu, car le rideau des montagnes et la mauvaise volonté des Allemands nous condamnaient à tout ignorer, à ce point que le 7 Napoléon et le maréchal Saint-Cyr étant réunis à Mugeln en arrière de Pirna, ne savaient pas s'ils avaient devant eux les Autrichiens, les Russes et les Prussiens, ou seulement les Russes et les Prussiens. Tout est donc inexact, jugements et assertions, dans le passage que nous venons de citer, et nous faisons cette remarque non point en flatteur de Napoléon, rôle que nous laissons à d'autres, ni en détracteur du maréchal Saint-Cyr, dont au contraire nous aimons fort l'esprit et l'indépendance, mais en historien préoccupé des difficultés de l'histoire. Certes, il semble qu'un témoin de ce mérite, placé si près des événements, ayant passé à côté de Napoléon une partie des journées pendant lesquelles il prétend que Napoléon ne fit rien, aurait dû savoir la vérité, et pourtant on voit comment, pour n'avoir pas lu ce que Napoléon écrivit pendant ces journées, il a été exposé à prononcer de faux jugements. C'est une nouvelle preuve qu'il ne faut pas se hasarder à juger les hommes qui ont figuré dans les grands événements sans avoir connu leurs ordres, leurs correspondances surtout qui contiennent leurs vrais motifs. Et quand on voit un personnage comme le maréchal Saint-Cyr, qui avait commandé des armées, qui savait par expérience quelles sottes déterminations les gens mal informés prêtent souvent à ceux qui commandent, quand un tel personnage commet de telles erreurs, on se dit qu'il ne faut prononcer que sur pièces authentiques, et après avoir vu et compulsé toutes celles qui existent, et qu'on peut se procurer. Quant à nous, c'est ce que nous avons fait avec une attention scrupuleuse, ne nous permettant d'affirmer que sur données certaines, contrôlées les unes par les autres, ne cherchant à exalter ou dénigrer ni ceux-ci ni ceux-là, n'étant ni le flatteur ni le détracteur de Napoléon, devenu pour nous un personnage purement idéal, ne cherchant que la vérité, la cherchant avec passion, et la disant au profit de Napoléon quand elle lui est favorable, à son détriment quand elle le condamne. Le vrai, voilà le but, le devoir, le bonheur même d'un historien véritable. Quand on sait apprécier la vérité, quand on sait combien elle est belle, commode même, car seule elle explique tout, quand on le sait, on ne veut, on ne cherche, on n'aime, on ne présente qu'elle, ou du moins ce qu'on prend pour elle.

20: Voici cette lettre curieuse, qui peint la situation mieux que tout ce qu'on pourrait dire:

Le prince de la Moskowa au major général.

«Wurtzen, 10 septembre 1813.

»C'est un devoir pour moi de déclarer à V. A. S. qu'il est impossible de tirer un bon parti des 4e, 7e et 12e corps d'armée dans l'état actuel de leur organisation. Ces corps sont réunis par le droit, mais ils ne le sont pas par le fait: chacun des généraux en chef fait à peu près ce qu'il juge convenable pour sa propre sûreté; les choses en sont au point qu'il m'est très-difficile d'obtenir une situation. Le moral des généraux et en général des officiers est singulièrement ébranlé: commander ainsi n'est commander qu'à demi, et j'aimerais mieux être grenadier. Je vous prie, monseigneur, d'obtenir de l'Empereur ou que je sois seul général en chef, ayant seulement sous mes ordres des généraux de division d'aile, ou que Sa Majesté veuille bien me retirer de cet enfer. Je n'ai pas besoin, je pense, de parler de mon dévouement, je suis prêt à verser tout mon sang, mais je désire que ce soit utilement.--Dans l'état actuel, la présence de l'Empereur pourrait seule rétablir l'ensemble, parce que toutes les volontés cèdent à son génie, et que les petites vanités disparaissent devant la majesté du trône.

»V. A. S. doit être aussi instruite que les troupes étrangères de toutes nations manifestent le plus mauvais esprit, et qu'il est douteux si la cavalerie que j'ai avec moi n'est pas plus nuisible qu'utile.»

21: Ici encore, toujours appliqué que nous sommes à rechercher la vérité rigoureuse, nous relèverons un passage des Mémoires du maréchal Saint-Cyr, qui, retraçant à sa manière les faits que nous venons de rapporter (tome IV de ses Mémoires, page 157 et suivantes), raconte avec étonnement et humeur le brusque changement de détermination de Napoléon, déplore de n'avoir plus retrouvé en lui ce jour-là le grand homme que le Saint-Bernard n'avait pu jadis ni intimider ni arrêter. S'il était vrai, ce qui n'est pas, que dans ces dernières campagnes on eût à regretter le grand homme de Rivoli et de Marengo, ce ne serait pas cette fois. D'abord il y a des faits que le maréchal Saint-Cyr a exagérés, il y en a d'autres qu'il a ignorés. Il prétend que le passage du Geyersberg était facile à rendre praticable; or, une lettre de Napoléon à M. de Bassano, laquelle, par un hasard heureux pour l'histoire, rend compte de cette circonstance, dit positivement qu'il avait été impossible de frayer la route, et certes Napoléon y avait un tel intérêt, et il en avait de plus un tel désir, que si on l'avait pu (bien entendu dans le nombre d'heures nécessaire) il n'aurait pas manqué de le tenter. Le maréchal appuie encore beaucoup sur la faute de n'avoir pas profité de l'absence des Autrichiens pour accabler Kleist et Wittgenstein: or, cette absence par lui soupçonnée, mais tout à fait inconnue alors, et peu présumable, n'est devenue une certitude que depuis beaucoup de publications historiques, et le jugement du maréchal n'est plus dès lors qu'un jugement porté après coup, et reposant sur des données qui sont inexactes en se référant aux circonstances du moment. Enfin le maréchal ignorait tout ce que Napoléon venait d'apprendre, et ne lui avait pas dit, de la situation de Macdonald, de celle de Ney, et de l'apparition des partisans en Saxe, apparition inquiétante et qui pouvait être interprétée de bien des manières. Le maréchal a donc porté un jugement erroné, faute de connaître tous les faits ou de vouloir les interpréter équitablement, et cette divergence d'opinion, entre deux hommes présents à la même heure sur les mêmes lieux, tous deux fort compétents, est une nouvelle preuve de la difficulté de bien juger les événements de cette nature, par conséquent d'écrire l'histoire en toute vérité.

22: M. de Muffling, dans ses intéressants Mémoires, s'applaudit fort de cette feinte, et croit que c'est avec l'heureuse idée de cette lettre qu'on endormit la vigilance de Napoléon. Il est dans l'erreur, et la correspondance militaire prouve que si Napoléon fut trompé, dans la mesure d'ailleurs très-restreinte où il le fut, c'est par la présence des trois corps de l'armée de Silésie, qui le 22 et le 23 n'avaient pas quitté encore leur position. C'est une nouvelle preuve de ce qu'il y a de hasards à la guerre, puisqu'un acte de haute prévoyance de la part de Napoléon amena, comme on le verra bientôt, le résultat qu'aurait pu avoir l'imprévoyance elle-même. Ce n'est pas un motif d'estimer et de pratiquer moins la vigilance, mais c'en est un, tout en redoublant de soins et de zèle, de se dire qu'il y a toujours une Providence supérieure qui déjoue parfois les calculs les plus profonds, et de chercher même dans des raisons plus hautes, dans la justice ou l'injustice de la cause qu'on défend, le secret de l'insuccès du génie, à l'instant même où il déploie ses plus grandes facultés.

23: Dans un atlas dressé pour l'intelligence de ses campagnes, et accompagné de légendes historiques détaillées, le prince de Suède a dit que le 7 octobre il avait provoqué une entrevue avec le général Blucher, et qu'au premier aspect de la distribution des corps sur la carte il avait aperçu le danger que courait le général Blucher, et qu'il lui avait donné le conseil de passer la Mulde pour se joindre à lui, conseil qui avait sauvé la coalition. Depuis cette publication, M. de Muffling, dans d'intéressants mémoires, empreints d'un caractère véridique quoique respirant les passions du temps, a fourni le moyen de compléter et de rectifier les assertions du prince de Suède. Dans l'entrevue du 7 on ignorait le départ de Napoléon qui ne quitta Dresde que le 7, et par conséquent le danger de Blucher. Ce jour-là, 7 octobre, il ne fut question que de se porter sur Leipzig. C'est seulement le 9 qu'on sut l'arrivée de Napoléon avec ses réserves, et le 9 Blucher envoya un officier de confiance pour se concerter avec le prince de Suède. Cet officier trouva le prince fort ému de l'approche de Napoléon, et voulant repasser l'Elbe immédiatement si l'armée de Silésie ne venait pas le rejoindre derrière la Mulde, pour aller ensuite s'abriter derrière la Saale. Blucher y consentit, car il ne pouvait pas y avoir deux avis à cet égard, même pour un sous-officier de quelque bon sens, et il se mit en marche sur-le-champ afin de franchir la Mulde. Il n'y eut donc lieu à aucune contestation, ni à aucun avis capable de sauver la coalition. Les jours suivants, à la vérité, il y eut des divergences, et il ressort du récit de M. de Muffling, que les avis décisifs pour le triomphe de la coalition ne furent point suggérés par le prince de Suède, et qu'il fallut au contraire pour les lui faire adopter de grands efforts de la part du général Blucher et du ministre d'Angleterre.

24: On a beaucoup parlé de ce projet sans le connaître, et on l'a rendu presque ridicule par toutes les suppositions très-hasardées qu'on a faites, faute de savoir la vraie pensée de Napoléon. Nous pouvons, grâce à sa correspondance, mise en rapport avec la correspondance des généraux sous ses ordres, rétablir sa pensée véritable, jour par jour, heure par heure, et on verra qu'à la veille du plus grand des malheurs, nous ajouterons du plus motivé par ses fautes politiques, son génie militaire se déploya avec autant de force et de grandeur que jamais.

25: Les tristes flatteurs qui pendant son règne ont contribué à perdre Napoléon, et qui depuis sa chute ont plus d'une fois compromis sa mémoire, ont attribué à la défection de la Bavière tous les désastres qui ont signalé la fin de la campagne de 1813. C'est parce que Napoléon est revenu sur Leipzig, disent-ils, au lieu de descendre sur Magdebourg et Hambourg, pour prendre position sur le bas Elbe, qu'il a succombé. Ils prouvent en disant cela qu'ils n'ont ni connu la partie la plus importante des documents de cette époque, ni même interprété selon leur vrai sens ceux de ces documents qu'ils avaient sous les yeux. Ce n'est pas à cause de la défection de la Bavière que Napoléon est revenu de Düben sur Leipzig, car c'eût été un bien faible motif pour un capitaine tel que lui. Il est revenu, comme nous l'avons raconté, pour rester toujours interposé entre l'armée de Bohême et les armées de Silésie et du Nord, et il ne le pouvait qu'en se portant sur Leipzig avant que Blucher eût le temps d'y arriver. Il y a, indépendamment de ces raisons qui sont de simple bon sens, des raisons de fait invincibles dans les lettres mêmes de Napoléon. C'est le 12 au matin qu'il changea de détermination et renonça au mouvement sur Berlin pour le mouvement sur Leipzig; or, le 13 il ne connaissait pas encore la défection de la Bavière, car racontant à M. de Bassano, qui était à Eilenbourg, l'arrestation du secrétaire de M. Pozzo di Borgo, et sa conversation avec ce secrétaire, il dit que les coalisés comptaient beaucoup sur la Bavière, sans être certains cependant d'avoir terminé avec elle. Le 13 Napoléon ne savait donc pas encore ce qui en était de la Bavière, et c'est le 12 que ses ordres de marcher sur Leipzig avaient été donnés. Enfin il est constaté par la correspondance diplomatique de M. Mercy d'Argenteau que ce ministre ne connut que le 9 octobre le traité signé à Munich le 8, que ses dépêches annonçant cette nouvelle furent interceptées et ne parvinrent point à Napoléon. Dans l'état des communications, ces dépêches obligées d'aller jusqu'à Francfort ou Mayence pour prendre la route de la grande armée, ne seraient certainement pas arrivées avant le 12 à Düben, quand même elles n'auraient pas été interceptées. Voilà des faits positifs et incontestables. Le 14 on n'avait à Leipzig que des bruits vagues, venant des coalisés qui savaient ce qui s'était passé entre eux et la Bavière, et qui l'ébruitaient par la joie qu'ils en éprouvaient. Napoléon n'avait donc pu se porter sur Leipzig à cause de la défection de la Bavière, puisqu'il l'ignorait. On s'est fondé pour répandre cette fausseté sur une assertion du Moniteur de cette époque, qui prétend que la défection de la Bavière avait contraint Napoléon de revenir sur Leipzig. On vient de voir par les preuves matérielles que nous avons rapportées, que l'assertion est radicalement fausse. Mais voici le motif de Napoléon pour dissimuler la vérité en cette circonstance. Cherchant pour le public une explication palpable de la manœuvre qui l'avait ramené sur Leipzig, et dont le résultat avait été si désastreux, il imagina cette raison de la défection de la Bavière, qui était frappante pour les ignorants, et qui lui servait à masquer ce qu'on pouvait croire une faute, comme pour 1812 il avait imaginé de dire que le froid était cause de nos malheurs, et pour Kulm que Vandamme avait manqué à ses instructions. Mais Napoléon, en se justifiant ainsi devant les ignorants, se calomniait devant les gens instruits. Si en effet il eût été certain que la route de Mayence allait se fermer par la défection de la Bavière, c'eût été une raison de plus de descendre sur Magdebourg et Hambourg, au lieu de remonter sur Leipzig, puisqu'il se serait assuré ainsi la route bien meilleure et encore libre de Wesel. Mais Napoléon désespérant de faire comprendre à la masse du public comment il avait été forcé à la suite des plus savantes manœuvres de revenir sur Leipzig, adopta une assertion spécieuse, facile à saisir par tout le monde, et la donna dans les nouvelles officielles, aux dépens de la vérité et de sa propre gloire. Heureusement la vérité triomphe toujours avec le temps, car il y a tôt ou tard des gens qui l'aiment et savent la trouver, et tantôt elle condamne, tantôt même elle justifie ceux qui ont eu la maladresse de la cacher. Souvent en effet elle vaut mieux pour eux que les mensonges qu'ils ont inventés pour se justifier.

26: Je n'ai pas besoin de répéter, après l'avoir dit tant de fois, que je ne rapporte les entretiens de Napoléon que lorsque j'ai la preuve authentique de leur parfaite exactitude, et je ne reproduis celui-ci que parce qu'il me semble avoir une singulière signification à la veille de la bataille de Leipzig. Il prouve que déjà une tristesse confuse se faisait jour dans l'âme de Napoléon. Cet entretien eut un témoin, M. Jouanne, l'un des secrétaires de confiance de Napoléon, homme respectable et digne de toute créance, qui se trouvant là pour écrire divers ordres sous la dictée de Napoléon, entendit l'entretien que nous venons de rapporter et en consigna sur-le-champ le souvenir par écrit. C'est sur ce document conservé par M. Jouanne que j'ai retracé cette conversation, en résumant les choses, et en leur donnant seulement la forme du style historique, qui n'admet pas toutes les familiarités du langage, et qui n'a pas besoin pour être vrai de rapporter jusqu'à des locutions soldatesques, que les mémoires particuliers peuvent seuls se permettre de reproduire.

27: Quelques écrivains qui admettraient que nos généraux ont été lâches ou traîtres, et que nos soldats se sont mal conduits, plutôt que d'attribuer une faute à Napoléon, s'en sont pris à tout le monde, sauf à lui, du résultat de cette journée du 16. D'abord, à les entendre, Murat à Leipzig trahissait déjà, et c'est par ce motif qu'il exécuta mal la grande charge de cavalerie ordonnée par Napoléon. Or le pauvre Murat fort agité, il est vrai, pendant tout l'hiver, et un moment prêt à suivre les impulsions de l'Autriche, était revenu tout entier à Napoléon dès qu'il s'était trouvé auprès de lui, et était incapable d'ailleurs d'une trahison sur le champ de bataille. Au surplus le neveu de lord Cathcart, témoin oculaire de la charge de Murat, et appréciant les lieux mieux qu'on ne le pouvait faire de notre côté, a expliqué dans ses Mémoires, publiés depuis, la cause qui fit échouer cette charge. Cette cause n'était autre que la forme du sol le long du village de Gülden-Gossa, village qu'il suffit de voir pour comprendre comment notre cavalerie dut y être arrêtée. Après Murat, ce sont deux autres lieutenants de Napoléon, c'est-à-dire Marmont et Ney, qu'on a voulu incriminer. Marmont, à ce qu'on prétend, aurait dû repasser la Partha, et Ney ne pas laisser Bertrand inutile dans Leipzig. Or, Bertrand fut laissé dans Leipzig par ordre de Napoléon, et Marmont, quand il voulut se retirer derrière la Partha, ne le pouvait plus, ayant déjà l'ennemi sur les bras, et n'ayant qu'un seul pont pour défiler. C'est Napoléon qui avait mis Marmont entre Breitenfeld et Lindenthal, dans la supposition que Blucher était encore loin. S'il avait pu le savoir si rapproché, il aurait dès la veille placé Marmont sur la Partha même, et de la sorte la concentration eût été suffisante et faite à temps. Il est vrai que dans ce cas la route de Düben aurait pu être fermée au reste du corps de Souham et à celui de Reynier; mais alors, si par cette considération il n'y a rien à reprocher à Napoléon, il n'y a pas davantage de reproche à faire à Marmont pour être demeuré au delà de la Partha, où il n'était d'ailleurs que par ordre supérieur. Quant à nous, nous ne cherchons que la vérité, et Napoléon, dans cette campagne, reste si grand homme de guerre, même après d'affreux malheurs, que nous ne comprenons pas comment on consent à faire passer nos généraux pour incapables ou pour traîtres, plutôt que de lui reconnaître une faute. Nous ne voyons pas ce que la France y peut gagner en force dans le monde, le monde sachant bien que Napoléon est mort et ne renaîtra point. Il y a quelque chose qui ne meurt pas et ne doit pas mourir: c'est la France! Sa gloire importe plus que celle même de Napoléon. Voilà ce que devraient se dire ceux qui cherchent à établir son infaillibilité, quand il n'y aurait pas pour eux comme pour nous une raison supérieure même à toutes les considérations patriotiques, celle de la vérité, qu'avant tout il faut chercher et produire au jour.

28: M. Fain, qui cependant était au quartier général, a prétendu que ce fut le 16 au soir que Napoléon appela M. de Merveldt, et lui rendit sa liberté. Beaucoup d'autres écrivains ont reproduit la même erreur, parce qu'elle fournit une explication et une excuse toute naturelle pour la perte de la journée du 17. Napoléon dans ce cas aurait attendu pendant toute la journée du 17 une réponse à ses propositions. Or, la publication de la conversation de M. de Merveldt, due au comte de Westmoreland, récemment encore ambassadeur à Vienne, et alors employé dans la légation britannique auprès des coalisés, permet de redresser cette erreur. M. de Merveldt, dans la pièce publiée, donne l'heure et le jour, et place son entrevue au 17 à deux heures de l'après-midi. Comme on ne peut prétendre qu'il eût intérêt à altérer une pareille circonstance, la supposition de ceux qui placent cette conversation dans la soirée du 16, tombe avec toutes les conséquences qu'ils prétendent en tirer.

29: Les écrivains décidés à ne voir dans les revers de Napoléon d'autre cause que la trahison de ses alliés ou la faiblesse de ses lieutenants, comme si la trahison des alliés, la faiblesse des lieutenants ne provenaient pas elles-mêmes de fautes graves, ces écrivains ont prétendu que les généraux de la coalition ne voulaient pas attaquer le 17 ni le 18, mais qu'ils s'y décidèrent dans la nuit du 18, en apprenant la trahison projetée des Saxons. Dès lors Napoléon aurait encore calculé ici avec une justesse infaillible. En restant en effet un jour de plus en position il se serait retiré sain et sauf avec l'attitude d'un vainqueur, et ce n'est que la trahison des Saxons qui aurait empêché ce calcul de se vérifier. Cette nouvelle supposition est aussi peu fondée que toutes celles du même genre. MM. de Wolzogen, Cathcart, présents aux quartiers généraux des coalisés, nous ont révélé le détail des délibérations de ces quartiers généraux, et on sait aujourd'hui que la résolution était d'attaquer le 17 même, et que l'arrivée de nouveaux renforts fit seule remettre au 18. De plus, la défection des Saxons, si elle était connue d'avance, ne l'était qu'au quartier général de Bernadotte, où des Saxons réfugiés auprès de lui l'avaient préparée; mais elle était tout à fait ignorée au quartier général des trois souverains. Ces inventions, qui ont pour but de prouver non pas le génie prodigieux de Napoléon, qu'on ne peut mettre en question, mais son infaillibilité, sont donc contraires à la vérité, et dénuées de tout fondement.

30: Nous citons le passage suivant de M. de Wolzogen qui peint ce qui se passait aux états-majors de Blucher et de Bernadotte. Les récits de M. de Muffling, témoin oculaire, sont encore plus frappants et plus amers.

«Le prince Guillaume, frère du roi de Prusse, avait déjà auparavant décidé le prince qui hésitait, à prendre une part sérieuse à la bataille, et avait amicalement éveillé son attention sur ce point, que l'opinion des troupes prussiennes et russes qui se trouvaient dans son armée lui était très-défavorable, et qu'elles allaient même jusqu'à douter de son courage personnel et de sa loyale volonté d'agir efficacement dans l'intérêt de la cause commune des alliés. Cette confidence, ainsi que les observations du général Adlerkreutz, chef de son état-major général, que les Suédois, loin de rester en arrière, désiraient au contraire soutenir leur ancienne renommée sur le champ de bataille où Gustave-Adolphe avait combattu si glorieusement, passent pour avoir exercé une influence décisive sur la résolution de Charles-Jean.»

31: Nous avons l'exposé bref mais formel de ces intentions dans une lettre du maréchal Ney au général Reynier, datée de 5 heures du matin, et dans laquelle le maréchal dit ce que Napoléon est venu faire et ordonner auprès de lui, c'est-à-dire à Reudnitz, où il avait son quartier général.

32: Il n'est aucune circonstance de cette campagne qui ait donné lieu à plus de controverses que celle de l'existence d'un seul pont pour opérer la retraite de Leipzig. Les écrivains dont le thème ordinaire est que Napoléon en sa vie n'a commis ni une faute ni une omission, prétendent que Napoléon prescrivit à Berthier de jeter plusieurs ponts soit au-dessus, soit au-dessous de celui de Lindenau, et que Berthier n'exécuta pas cet ordre si important, lui qui ne négligeait pas les ordres les plus accessoires. Cette nouvelle assertion, tout invraisemblable qu'elle soit, pourrait être admise, en supposant que Berthier fatigué, affecté, malade (ce qu'il était alors), aurait oublié les prescriptions de Napoléon. Mais par malheur pour cette hypothèse, il y a l'assertion du colonel Montfort, qui depuis l'événement a déclaré qu'il avait adressé à Berthier les plus vives instances pour être autorisé à jeter des ponts secondaires, ce qui aurait dû suffire pour rafraîchir la mémoire du major général s'il en avait eu besoin. Il est vrai qu'on pourrait accuser le colonel Montfort, mis plus tard en jugement pour cette affaire, d'avoir imaginé cette assertion afin de s'excuser. Mais outre la bonne foi du colonel, qui ne saurait être mise en doute quand on l'a connu, j'ai de cette assertion et de son exactitude une autre preuve. Le jour même du passage si embarrassé du pont de Lindenau, c'est-à-dire le 19, le colonel Montfort au milieu de la foule qui se pressait sur le pont, s'entretenant avec le colonel du génie Lamare, lui dit avec chagrin qu'il avait la veille adressé les plus vives instances à Berthier pour être autorisé à jeter d'autres ponts, et que Berthier lui avait répondu qu'il fallait attendre les ordres de l'Empereur. Ainsi au moment même, le colonel Montfort n'ayant pas encore à se justifier devant un conseil de guerre, et avant d'avoir pu y penser, produisait le fait avec une sincérité et une spontanéité évidentes. Le fait ne peut donc pas être contesté. Or, comment admettre alors que Berthier ayant des ordres de Napoléon ne les eût pas exécutés? Ici l'invraisemblance est frappante, car il eût fallu que Berthier fût ou stupide ou traître. Or, ce vieux compagnon de Napoléon, quoique fatigué, était aussi dévoué qu'habile. Il n'y a donc qu'une supposition possible, c'est que Napoléon, ou n'y ayant pas pensé, ou, ce qui est plus probable, voulant faire une retraite pour ainsi dire à volonté, sans presser le pas, crut le pont de Lindenau suffisant. Probablement aussi il ne voulait pas que des préparatifs indiquant une retraite précipitée affectassent le moral des soldats. Quoi qu'il en soit, c'est la seule explication qui n'offense pas le bon sens. Il est vrai que dans ce cas il faudrait admettre que Napoléon a commis une erreur. Mais quant à nous, tout en le regardant comme un des plus grands génies de l'humanité, nous demandons, non pas à ses admirateurs, car nous sommes du nombre, mais à ses adorateurs, ce que nous ne sommes pas, la permission de croire qu'en sa vie il lui est arrivé de se tromper.

33: Expression du maréchal Gérard, de la bouche duquel je l'ai autrefois recueillie.

34: Nous parlons d'après les rapports des maréchaux envoyés sur le Rhin pour y commander.

Note au lecteur de ce fichier numérique:

Seules les erreurs clairement introduites par le typographe ont été corrigées. L'orthographe de l'auteur a été conservée.

Chargement de la publicité...