Histoire du Consulat et de l'Empire, (Vol. 19/20): faisant suite à l'Histoire de la Révolution Française
On ne pouvait convier le duc d'Otrante à meilleure fête que de l'engager à entamer des relations particulières avec les partis. Il fit appeler MM. de Malartic, de Flavigny et de La Béraudière, les chargea de se transporter en Vendée pour y propager les idées de Napoléon, qu'il rendit exactement, mais en son langage et avec ses sentiments à lui.— Langage tenu par M. Fouché aux représentants de la Vendée. Pourquoi, leur dit-il, vous sacrifier pour ramener les Bourbons, auxquels vous ne devez rien, et pour renverser un homme qui vous a fait du bien, qui vous en fera encore, mais qui en tout cas n'en a pas peut-être pour six semaines? Vous êtes dupes des préjugés de vos prêtres et de l'ambition de vos chefs. Ils vous mènent à la boucherie, pour eux et non pour vous, tandis que si vous avez la sagesse de ne pas vous en mêler, vous serez débarrassés de l'Empire avant peu, ou soumis à un joug qui en vérité ne sera guère lourd pour vos contrées. Vous détestez Bonaparte; je ne l'aime guère davantage, mais ni vous ni moi n'y pouvons rien. Il va comme un furieux se ruer sur l'Europe; il y succombera vraisemblablement: eh bien, dans ce cas, nous tâcherons de nous entendre, et comme, lui renversé, il n'y a que les Bourbons de possibles, nous nous concerterons pour les ramener, et les faire régner plus sagement que la première fois. Je ne vous demande pas de déposer les armes, ni de faire acte de soumission à l'Empire, mais de suspendre les hostilités. Je tâcherai même d'obtenir que les troupes impériales se retirent à la lisière du pays insurgé, et que vous restiez maîtres chez vous, mais à la condition que vous y demeuriez tranquilles et inoffensifs.—
Ces paroles étaient de nature à faire impression sur les Vendéens, car si on ôte à leurs derniers efforts le motif coupable, et qu'ils ne s'avouaient point, de priver l'armée française de vingt mille soldats, tout était absurde et extravagant dans cette tentative de guerre civile. Touchés du langage vrai, et presque cynique, tenu par le duc d'Otrante, les trois négociateurs partirent en toute hâte pour aller proposer à la Vendée la suspension d'armes dont nous venons d'indiquer les conditions. Du reste comme on l'annonçait aux Vendéens, ils n'avaient pas beaucoup à attendre, car on était à la veille du 1er juin, jour définitivement assigné pour la cérémonie du Champ de Mai, et immédiatement après Napoléon devait partir pour l'armée, afin de décider la question posée entre l'Europe et lui.
Recensement général des votes pour l'acceptation de l'Acte additionnel. En effet, la presque totalité des registres contenant les votes sur l'Acte additionnel étant arrivés, on avait commencé les opérations du recensement. Les 29 et 30 mai, les députations des colléges électoraux s'étant assemblées dans les quatre-vingt-sept lieux de réunion qui leur avaient été assignés, avaient entrepris la supputation des votes. Résultat numérique des votes. Ce travail achevé, elles avaient désigné chacune cinq membres pour aller procéder, sous la présidence du prince archichancelier, au recensement général des votes des départements. De plus, elles avaient autorisé leurs délégués à rédiger une adresse à l'Empereur. Ces délégués, formant une assemblée de quatre à cinq cents membres, se réunirent le mercredi 31 dans le palais du Corps législatif, et reconnurent que le nombre des votes, non compris ceux de quelques arrondissements, encore inconnus, était de 1,304,206, sur lesquels 1,300,000 affirmatifs et 4,206 négatifs. Le nombre des votes pour l'institution du Consulat à vie avait été de 3,577,259 et le nombre pour l'institution de l'Empire de 3,572,329. La supériorité numérique des votes affirmatifs sur les votes négatifs était la même, mais le chiffre des votants différait beaucoup, car il était presque réduit des trois quarts, ce qui prouve qu'en 1815 la France, entre la contre-révolution représentée par les Bourbons, et la guerre représentée par Napoléon, ne savait plus à quelles mains confier ses destinées, et attestait sa consternation par son absence.
Les électeurs présents à Paris rédigent une adresse à l'Empereur. Immédiatement après ce recensement on s'était occupé de l'adresse. Divers projets furent présentés, et l'un d'entre eux, rédigé par M. Carion de Nisas, avec la participation du gouvernement, fut adopté. Ce projet exprimait énergiquement les deux pensées du moment: résolution de la France de combattre sous les ordres de Napoléon pour assurer l'indépendance nationale, et résolution après la paix de développer les libertés publiques suivant le système de la monarchie constitutionnelle. Le dévouement à Napoléon était aussi complétement exprimé qu'on pouvait le désirer. M. Dubois d'Angers, doué d'un organe assez fort pour se faire entendre dans la plus vaste enceinte, fut choisi pour lire cette adresse.
Objet de la cérémonie du Champ de Mai. L'objet du Champ de Mai, qui avait singulièrement varié depuis le programme de Lyon, car il avait dû consister d'abord dans la présentation des nouvelles institutions aux électeurs assemblés, et dans le couronnement du Roi de Rome en présence de sa mère, était réduit désormais par le mode de présentation de l'Acte additionnel et par les refus de Marie-Louise, à un simple recensement de votes. Afin de donner à cette cérémonie une signification capable de toucher les spectateurs et le public, Napoléon voulut y ajouter la distribution des drapeaux aux troupes qui allaient partir pour la frontière du Nord. Ces drapeaux, remis à des soldats qui jureraient de mourir sous peu de jours pour les défendre, étaient plus que tout le reste propres à émouvoir les nombreux citoyens réunis au Champ de Mars. Bruits qui circulent avant la cérémonie, et qui sont la suite des propos du duc d'Otrante. Jusqu'à la veille de la cérémonie on fit circuler des bruits très-contradictoires sur ce qui s'y passerait. L'origine de ces bruits remontait au duc d'Otrante. Cet intrigant infatigable rêvait toujours de se débarrasser de Napoléon, non pour ramener les Bourbons qu'il n'acceptait que comme un pis-aller, mais pour obtenir, s'il était possible, la régence de Marie-Louise et du Roi de Rome, afin d'être le maître sous le gouvernement d'une femme et d'un enfant. La négociation secrète essayée auprès de lui par M. de Metternich, et traversée par l'envoi de M. Fleury de Chaboulon à Bâle, l'avait plus que jamais rempli du sentiment de sa propre importance, et fortifié dans l'idée d'écarter Napoléon pour lui substituer Marie-Louise et le Roi de Rome. Il disait donc tout haut à qui voulait l'entendre, avec une imprudence qu'expliquait seule la situation précaire de Napoléon, que si cet homme, comme il l'appelait, avait quelque patriotisme, il se retirerait de la scène et abdiquerait en faveur de son fils, qu'à cette condition il désarmerait infailliblement l'Europe, la mettrait du moins dans son tort, et imposerait à tous les Français le devoir de combattre à outrance. Mais il ajoutait qu'on ne serait pas même réduit à la cruelle extrémité de combattre, que d'après toutes les vraisemblances l'abdication de Napoléon suffirait pour arrêter les armées européennes. Quand on demandait à M. Fouché sur quoi il se fondait pour parler ainsi, il répondait d'un air mystérieux qu'il avait de fortes raisons pour le faire, laissait entrevoir des relations intimes avec les puissances étrangères, de manière à donner autorité à ses paroles et grande valeur à sa personne. Selon lui, c'était la cérémonie du Champ de Mai dont Napoléon devrait profiter pour donner cet exemple de désintéressement, et tenter ce coup de profonde politique. On devine quel chemin faisaient de tels propos, sortant de la bouche du ministre de la police, de celui auquel on accordait le moins de respect, et le plus d'importance. Il propose à Napoléon d'offrir éventuellement son abdication à l'Europe. Afin de prendre ses précautions à l'égard de Napoléon, et d'excuser des propos dont l'écho pouvait parvenir à ses oreilles, M. Fouché essaya de lui présenter un plan qu'il disait des plus habiles, et qui consistait à offrir aux souverains coalisés son abdication éventuelle, à la condition de la paix immédiate, puis s'ils rejetaient cette offre à prendre la nation pour juge de leur mauvaise foi, et à l'appeler tout entière aux armes. Selon le duc d'Otrante, si les souverains acceptaient sa proposition, Napoléon aurait assuré à son fils la couronne, à lui-même une gloire immense, et un repos entouré du respect universel, quel que fût le lieu où il songerait à se retirer; et si au contraire les souverains refusaient, il aurait droit de demander à la France les derniers sacrifices.
Mépris avec lequel Napoléon accueille les idées du duc d'Otrante. Napoléon repoussa dédaigneusement cette invention d'un cerveau toujours en fermentation, et plus soucieux de montrer la fertilité que la justesse de ses idées. Quand Napoléon avait la sagesse de se contenir devant M. Fouché, il usait avec lui de façons méprisantes qui étaient commodes, et qui le dispensaient de sévir contre des témérités qu'il aurait été obligé autrement de prendre beaucoup trop au sérieux. Il n'eut pas de peine à montrer soit au duc d'Otrante, soit à d'autres, combien ces idées étaient chimériques. Ce que l'Europe voulait en demandant qu'on lui sacrifiât Napoléon, c'était de se faire remettre l'épée de la France, et cette épée obtenue, de nous faire passer sous les Fourches Caudines. En effet, si l'offre d'abdication n'avait pas été suivie de la remise immédiate de la personne de Napoléon aux souverains, ce qui eût été pour la France une honte, pour Napoléon un acte d'insigne duperie, l'Europe aurait regardé cette offre comme une comédie à laquelle il fallait répondre par le mépris. Si la remise de la personne de Napoléon s'en était suivie, on eût été dans la position des Carthaginois à l'égard des Romains: après la remise des vaisseaux et des armes, il aurait fallu livrer Carthage, c'est-à-dire que l'Europe, qui ne voulait ni de Marie-Louise ni du Roi de Rome mais des Bourbons, les aurait imposés, même sans aucune garantie, à des gens assez simples pour s'être livrés eux-mêmes. Tout ce qu'on aurait gagné à ces tergiversations, c'eût été de montrer de l'incertitude et de la crainte, d'ébranler l'autorité de Napoléon dans un moment où il importait qu'elle fût plus forte que jamais, de perdre en démarches ridicules le temps le plus précieux pour les opérations militaires, et surtout d'énerver le moral de l'armée, qui ne voyait que l'Empereur, ne voulait voir que lui. Ces raisons, frappantes d'évidence, prouvaient l'extrême légèreté de M. Fouché, et le peu de solidité de ses combinaisons. Il n'en allait pas moins les colporter çà et là, et elles n'en faisaient pas moins de ravage dans les esprits, en répandant l'idée qu'un grand acte de dévouement de la part de Napoléon aurait pu sauver la France, qui faute de cet acte restait exposée aux plus affreux périls. Le vrai dévouement de la part de Napoléon eût consisté à mourir à l'île d'Elbe, mais ce dévouement eût exigé tant de vertu, qu'il n'y a pas grande justice à l'imposer à un mortel quelconque. Dans ce cas, il n'y aurait jamais eu de prétendants dans le monde, c'est-à-dire point d'ambition dans le cœur humain!
Juin 1815. Question de savoir si Napoléon se présentera au Champ de Mai en empereur ou en général. La question de l'abdication éventuelle qui n'avait pas été sérieusement soulevée, mise de côté, il en restait une autre, celle de savoir comment Napoléon se présenterait au Champ de Mai. Serait-ce en simple général, plus soldat qu'empereur, ou en souverain entouré de toute la pompe du trône? Beaucoup de libéraux très-sincères, mais à demi républicains, et entendant se servir de Napoléon seulement pour se débarrasser des Bourbons par la victoire, auraient voulu que les apparences répondissent au fond des choses, telles qu'ils les concevaient, et que Napoléon, ne parût au Champ de Mai qu'en soldat. Mais au contraire les amis effarés de l'autorité, qui jetaient les hauts cris depuis qu'il semblait se prêter aux désirs des libéraux, ne manquaient pas de dire que Napoléon se livrait aux révolutionnaires pour avoir leur appui, et qu'autant aurait valu rester à l'île d'Elbe que d'en revenir pour être leur esclave. Napoléon ne faisait pas plus de cas des exigences des uns, que des terreurs affectées des autres, mais il était piqué de ce qu'on le disait déchu, tombé aux mains de la canaille, parce qu'il avait accepté pour régner les conditions d'un monarque constitutionnel. Aussi, bien qu'il attachât peu de prix aux propos de ces jaloux partisans de l'autorité impériale, il ne voulut pas fournir matière à leurs observations malveillantes en se montrant pour ainsi dire découronné devant la nombreuse assemblée venue de tous les points de la France. Il prit donc le parti de se rendre au Champ de Mai comme il s'était rendu au sacre, c'est-à-dire avec le même appareil. Motifs qui lui font adopter le cérémonial du sacre. Ce n'était pas une faute grave assurément, car son sort allait dépendre d'une bataille en Flandre, et non des impressions fugitives produites par un vain spectacle sur des esprits agités; c'était une faute pourtant, car il avait besoin de toute la bonne volonté des amis de la liberté, et il ne fallait pas leur déplaire même dans les petites choses. La fête fixée au 1er Juin. Quoi qu'il en soit, sans beaucoup s'inquiéter de ces opinions diverses, il se transporta le 1er juin au Champ de Mars, en habit de soie, en toque à plumes, en manteau impérial, dans la voiture du sacre attelée de huit chevaux, précédé des princes de sa famille, et ayant à sa portière les maréchaux à cheval. Parmi eux figurait le maréchal Ney qu'il n'avait pas vu depuis un mois. Ne pouvant contenir un mouvement d'humeur en l'apercevant, Je croyais, lui dit-il, que vous aviez émigré.—Il s'achemina ainsi par le jardin des Tuileries, les Champs-Élysées, le pont d'Iéna, vers le Champ de Mars, à travers une foule curieuse, toujours sensible à sa présence, l'applaudissant assez vivement, mais profondément inquiète. D'un côté du Champ de Mars se trouvaient vingt-cinq mille hommes composant la garde nationale de Paris, de l'autre, vingt-cinq mille soldats de la garde impériale et du 6e corps, lesquels n'attendaient pour partir que la fin de la cérémonie. Tous applaudirent Napoléon, mais les soldats de la garde impériale et du 6e corps avec frénésie. Ces cris passionnés, il faut le dire, ne signifiaient point de leur part un dévouement intéressé à une révolution qu'ils avaient faite, mais la résolution de mourir pour l'honneur des armes françaises!
Description de l'enceinte préparée à l'École militaire. Napoléon tourna autour du bâtiment de l'École militaire, et y entra par derrière. Monté au premier étage du palais, il fut introduit dans l'enceinte destinée à la cérémonie. Cette enceinte, construite en dehors, présentait un demi-cercle dont les deux extrémités s'appuyaient au bâtiment de l'École militaire, et dont le milieu s'ouvrait sur le Champ de Mars. Le trône était adossé au bâtiment de l'École; à droite et à gauche se développaient des gradins demi-circulaires; en face s'élevait un autel, et au delà de l'autel une ouverture, ménagée au milieu de l'enceinte, permettait d'apercevoir le Champ de Mars tout entier hérissé de baïonnettes. En avant de cette ouverture on avait disposé une plate-forme sur laquelle l'Empereur devait distribuer les drapeaux, et qui communiquait avec le Champ de Mars par une longue suite de marches décorées de trophées magnifiques.
Aspect de la cérémonie. Napoléon suivi de son cortége vint prendre place sur le trône, accueilli par des cris ardents de Vive l'Empereur! Sur les côtés du trône, ses frères occupaient des tabourets. Derrière, et un peu au-dessus, sa mère, ses sœurs occupaient une tribune appliquée aux fenêtres de l'École militaire. À droite et à gauche, sur les gradins de l'amphithéâtre semi-circulaire, se trouvaient distribués selon leur rang les corps de l'État, les autorités civiles et militaires, la magistrature, les représentants récemment élus, les députations des colléges électoraux, et enfin les envoyés de l'armée venant recevoir les drapeaux des régiments. Cette vaste réunion comprenait neuf à dix mille individus. À l'autel, l'archevêque de Tours, M. de Barral, environné de son clergé, se préparait à célébrer la messe, et enfin de toutes les parties de cette enceinte on découvrait au loin, dans l'immense étendue du Champ de Mars, cinquante mille hommes de l'armée et de la garde nationale, et cent bouches à feu. Paris n'avait jamais vu de spectacle plus imposant. Il n'y manquait pour transporter les âmes que le sentiment qui anime tout, celui du contentement. L'accueil fait à l'Empereur à son entrée avait été chaleureux de la part des électeurs et des députations de l'armée, mais les acclamations qu'on avait entendues révélaient, hélas, le désir plus que l'espérance! Sous sa toque à plumes, le beau visage de Napoléon était grave et presque triste. On cherchait en vain à ses côtés sa femme et son fils, et on sentait péniblement l'isolement produit autour de lui par l'inexorable volonté de l'Europe. À la place de sa femme et de son fils, on voyait ses frères, rappelant des guerres funestes pour des trônes de famille, et parmi eux Lucien seul trouvait grâce, parce qu'il n'avait jamais porté de couronne. Quelques assistants improuvaient la pompe déployée; le plus grand nombre nourrissaient des pensées plus sérieuses, et songeaient au pressant péril de l'État. L'armée poussant de temps en temps des cris convulsifs de Vive l'Empereur! échappait à la tristesse générale par les nobles fureurs du patriotisme. En un mot l'aspect de cette scène était celui d'un duel à mort qui se préparait non entre deux individus, mais entre une nation et le monde!
La fête débute par une messe solennelle. On commença par appeler sur ce trône qui venait de se relever, pour combien de temps, Dieu seul le savait! sur cette nation agenouillée au pied des autels, la bénédiction du Ciel. La messe fut célébrée, et un Te Deum chanté. Après la messe, les membres composant la députation des colléges électoraux s'avancèrent, au nombre d'environ cinq cents, et, conduits par le prince archichancelier, vinrent prendre place au pied du trône. Celui d'entre eux qui devait lire l'adresse prit alors la parole, et d'une voix forte et vibrante se fit entendre à toute l'assistance. Dévouement à l'Empereur et à la liberté, paix si on pouvait persuader l'Europe, guerre acharnée si on ne le pouvait pas, tel était le fond du discours, parce que c'était le fond de toutes les pensées chez ceux qui avaient ou désiré, ou laissé accomplir le retour de Napoléon.—Rassemblés, dit en substance l'orateur des colléges électoraux, rassemblés de toutes les parties de l'Empire autour des tables de la loi, où nous venons inscrire le vœu du peuple, il nous est impossible de ne pas faire entendre la voix de la France, dont nous sommes les organes, de ne pas dire en présence de l'Europe, au chef de la nation, ce qu'elle attend de lui, ce qu'il peut attendre d'elle.... Discours des électeurs. «Que veulent, Sire, ces monarques qui s'avancent vers nous en un si vaste appareil de guerre? Par quel acte avons-nous motivé leur agression? Avons-nous depuis la paix violé les traités?.... Resserrés dans des frontières que la nature n'a point tracées, que même avant votre règne la victoire et la paix avaient reculées, nous n'avons point franchi cette étroite enceinte, par respect pour les traités que vous n'avez point signés et que vous avez cependant offert de respecter. Que veulent-ils donc de nous?... Ils ne veulent pas du chef que nous voulons, et nous ne voulons pas de celui qu'ils prétendent nous imposer. Ils osent vous proscrire, vous qui tant de fois maître de leurs capitales, les avez raffermis généreusement sur leurs trônes ébranlés! Cette haine de nos ennemis ajoute à notre amour pour vous. On proscrirait le moins connu de nos citoyens, que nous devrions le défendre avec la même énergie, car il serait sous l'égide de la puissance française.
»Ne demande-t-on que des garanties? Elles sont toutes dans nos nouvelles institutions et dans la volonté du peuple français, unie désormais à la vôtre. Vainement veut-on cacher de funestes desseins sous le dessein unique de vous séparer de nous, et de nous donner des maîtres qui ne nous entendent plus, que nous n'entendons plus! Leur présence momentanée a détruit toutes les illusions qui s'attachaient encore à leur nom. Ils ne pourraient plus croire à nos serments, nous ne pourrions plus croire à leurs promesses. La dîme, la féodalité, les priviléges, tout ce qui nous est odieux, était trop évidemment le but de leur pensée. Un million de fonctionnaires, de magistrats voués depuis vingt-cinq ans aux maximes de 1789, un plus grand nombre encore de citoyens éclairés qui font une profession réfléchie de ces maximes, et entre lesquels nous venons de choisir nos représentants, cinq cent mille guerriers, notre force et notre gloire, six millions de propriétaires investis par la Révolution, n'étaient point les Français des Bourbons: ils ne voulaient régner que pour une poignée de privilégiés, depuis vingt-cinq ans punis ou pardonnés. Leur trône un moment relevé par les armes étrangères et environné d'erreurs incurables, s'est écroulé devant vous, parce que vous nous rapportiez du sein de la retraite, qui n'est féconde en grandes pensées que pour les grands hommes, la vraie liberté, la vraie gloire..... Comment cette marche triomphale de Cannes à Paris n'a-t-elle pas dessillé tous les yeux? Dans l'histoire de tous les peuples est-il une scène plus nationale, plus héroïque, plus imposante? Ce triomphe, qui n'a point coûté de sang, ne suffit-il pas pour détromper nos ennemis? En veulent-ils de plus sanglants? Eh bien, Sire, attendez de nous tout ce qu'un héros fondateur peut attendre d'une nation fidèle, énergique, inébranlable dans son double vœu de liberté au dedans, d'indépendance au dehors.....
»Confiants dans vos promesses, nos représentants vont avec maturité, avec réflexion, avec sagesse, revoir nos lois, et les mettre en rapport avec le système constitutionnel, et pendant ce temps, puissent les chefs des nations nous entendre! S'ils acceptent vos offres de paix, le peuple français attendra de votre administration forte, libérale, paternelle, des motifs de se consoler des sacrifices que lui aura coûtés la paix; mais si on ne lui laisse que le choix entre la honte et la guerre, il se lèvera tout entier afin de vous dégager des offres trop modérées peut-être que vous avez faites pour épargner à l'Europe de nouveaux bouleversements. Tout Français est soldat; la victoire suivra de nouveau vos aigles, et nos ennemis qui comptaient sur nos divisions, regretteront bientôt de nous avoir provoqués.»
Ce discours, dont nous ne donnons que les principaux passages, prononcé avec chaleur et avec une voix retentissante, remua les assistants, et malgré leurs préoccupations leur arracha de vifs applaudissements.
L'archichancelier annonça ensuite le résultat des votes, qui était, avons-nous dit, de 1,300,000 votes affirmatifs et de 4,206 négatifs, et déclara l'Acte additionnel accepté par la nation française. Cet acte ayant été apporté au pied du trône, l'Empereur le signa et prononça le discours suivant, écrit avec la force de pensée et de style qui lui était ordinaire.
«Messieurs les électeurs, messieurs les députés de l'armée de terre et de mer,
»Empereur, consul, soldat, je tiens tout du peuple. Dans la prospérité, dans l'adversité, sur le champ de bataille, au conseil, sur le trône, dans l'exil, la France a été l'objet unique et constant de mes pensées et de mes actions.
»Comme ce roi d'Athènes, je me suis sacrifié pour mon peuple dans l'espoir de voir se réaliser la promesse donnée de conserver à la France son intégrité naturelle, ses honneurs et ses droits.
»L'indignation de voir ces droits sacrés, acquis par vingt-cinq années de victoires, méconnus et perdus à jamais, le cri de l'honneur français flétri, les vœux de la nation, m'ont ramené sur ce trône, qui m'est cher, parce qu'il est le palladium de l'indépendance, de l'honneur et des droits du peuple.
»Français, en traversant au milieu de l'allégresse publique les diverses provinces de l'Empire pour arriver dans ma capitale, j'ai dû compter sur une longue paix: les nations sont liées par les traités conclus par leurs gouvernements, quels qu'ils soient.
»Ma pensée se portait alors tout entière sur les moyens de fonder notre liberté par une Constitution conforme à la volonté et à l'intérêt du peuple. J'ai convoqué le Champ de Mai.
»Je ne tardai pas à apprendre que les princes qui ont méconnu tous les principes, froissé l'opinion et les plus chers intérêts de tant de peuples, veulent nous faire la guerre. Ils méditent d'accroître le royaume des Pays-Bas, de lui donner pour barrières toutes nos places frontières du Nord, et de concilier les différends qui les divisent encore, en se partageant la Lorraine et l'Alsace.
»Il a fallu se préparer à la guerre.
»Cependant, devant courir personnellement les hasards des combats, ma première sollicitude a dû être de constituer sans retard la nation. Le peuple a accepté l'Acte que je lui ai présenté.
»Français, lorsque nous aurons repoussé ces injustes agressions, et que l'Europe sera convaincue de ce qu'on doit aux droits et à l'indépendance de vingt-huit millions d'hommes, une loi solennelle, faite dans les formes voulues par l'Acte constitutionnel, réunira les différentes dispositions de nos Constitutions aujourd'hui éparses.
»Français, vous allez retourner dans vos départements. Dites aux citoyens que les circonstances sont graves; qu'avec de l'union, de l'énergie et de la persévérance, nous sortirons victorieux de cette lutte d'un grand peuple contre ses oppresseurs; que les générations à venir scruteront sévèrement notre conduite; qu'une nation a tout perdu quand elle a perdu l'indépendance. Dites-leur que les rois étrangers que j'ai élevés sur le trône, ou qui me doivent la conservation de leur couronne, qui tous, au temps de ma prospérité, ont brigué mon alliance et la protection du peuple français, dirigent aujourd'hui tous leurs coups contre ma personne. Si je ne voyais que c'est à la patrie qu'ils en veulent, je mettrais à leur merci cette existence, contre laquelle ils se montrent si acharnés. Mais dites aussi aux citoyens que tant que les Français me conserveront les sentiments d'amour dont ils me donnent tant de preuves, cette rage de nos ennemis sera impuissante.
»Français, ma volonté est celle du peuple; mes droits sont les siens; mon honneur, ma gloire, mon bonheur ne peuvent être autres que l'honneur, la gloire et le bonheur de la France.»
Effet du discours de l'Empereur. Ce discours provoqua de vives acclamations. L'archevêque de Bourges, remplissant les fonctions de grand aumônier, présenta en ce moment le livre des Évangiles à Napoléon, qui, la main étendue sur ce livre, prêta serment aux Constitutions de l'Empire. Le prince archichancelier y répondit en prêtant le premier le serment de fidélité. Nous le jurons! s'écrièrent des milliers de voix. De bruyants applaudissements se firent alors entendre, et aux acclamations répétées de Vive l'Empereur! se mêlèrent quelques cris de Vive l'Impératrice! Ce dernier cri, resté sans écho, produisit une sorte d'embarras: on ne savait, en effet, s'il fallait le répéter en l'absence de celle qui aurait dû accourir avec son fils auprès de son époux, et qui n'en avait eu ni le courage ni même la volonté. Ce silence pénible de quelques instants fut promptement interrompu par les députations militaires, brandissant leurs épées et criant: Vive l'Impératrice! vive le Roi de Rome! nous irons les chercher!—
Napoléon se place en avant de l'enceinte pour la distribution des drapeaux. Après cette partie de la cérémonie Napoléon se leva, déposa son manteau impérial, et traversant l'enceinte demi-circulaire, vint se poser sur la plate-forme où il devait distribuer les drapeaux. Le spectacle, en ce moment, était magnifique, parce que la grandeur du sentiment moral égalait la majesté des lieux. Le ministre de l'intérieur tenant le drapeau de la garde nationale de Paris, le ministre de la guerre tenant le drapeau du premier régiment de l'armée, le ministre de la marine tenant celui du premier corps de la marine, étaient debout auprès de l'Empereur. Sur les marches nombreuses qui communiquaient de l'enceinte au Champ de Mars, étaient répandus d'un côté des officiers tenant les drapeaux des gardes nationales et de l'armée, de l'autre les députations chargées de les recevoir. Aspect du Champ de Mars. En face, cinquante mille hommes et cent pièces de canon étaient rangés sur plusieurs lignes; enfin, dans la vaste étendue du Champ de Mars, se trouvait le peuple de Paris presque tout entier.
Grand effet de cette partie de la cérémonie. Napoléon s'avançant jusqu'à la première marche et ayant au-dessous de lui, à portée de sa voix, des détachements des divers corps, leur dit en saisissant un des drapeaux: Soldats de la garde nationale de Paris et de la garde impériale, je vous confie l'aigle aux couleurs nationales; vous jurez de périr s'il le faut pour la défendre contre les ennemis de la patrie et du trône!...—Oui, oui, nous le jurons! répondirent des milliers de voix.—Vous, reprit Napoléon, vous, soldats de la garde nationale, vous jurez de ne jamais souffrir que l'étranger souille de nouveau la capitale de la grande nation!...—Oui, oui, nous le jurons! répondirent de bonne foi, et très-décidés à remplir cette promesse, les gardes nationaux parisiens.—Et vous, soldats de la garde impériale, vous jurez de vous surpasser vous-mêmes dans la campagne qui va s'ouvrir, et de mourir tous plutôt que de souffrir que les étrangers viennent dicter la loi à la patrie!—Oui, oui! répondirent avec transport les soldats de la garde, qui devaient bientôt dans les champs de Waterloo tenir leur parole non pas de vaincre, hélas! mais de mourir! Après ces courtes allocutions, accueillies avec transport, les députations de l'armée se succédant à rangs pressés, vinrent recevoir leurs drapeaux. Napoléon, animé par cette scène et se rappelant les nombreuses rencontres où ces divers régiments s'étaient illustrés, leur adressa à chacun des paroles pleines d'à-propos, et qui achevèrent de les électriser. La scène quoique longue toucha profondément les spectateurs. Comme la journée s'avançait, et que le temps manquait pour distribuer les drapeaux des gardes nationales aux députés des colléges électoraux, cette partie de la cérémonie fut remise aux jours suivants. Les troupes défilèrent ensuite au pas accéléré, au bruit des fanfares et des cris de Vive l'Empereur! répétés avec enthousiasme par l'armée, et par la garde nationale qui bientôt avait pris feu elle-même et cédé à l'entraînement universel.
Tristes impressions qu'on éprouvait là où l'on ne voyait pas la distribution des drapeaux. Pendant que cette partie de la cérémonie, jugée très-belle par tous ceux qui en furent témoins, s'accomplissait en vue du Champ de Mars, un peu en arrière, dans l'enceinte où étaient réunis les corps de l'État, et où l'on n'apercevait pas assez le spectacle pour en être ému, en arrière, disons-nous, régnaient les inquiétudes, les divisions d'opinion, les préoccupations profondes. Les libéraux tendant au républicanisme trouvaient dans ce qu'ils avaient sous les yeux trop de ressemblance avec l'ancien Empire; leurs contradicteurs, plus alarmistes qu'alarmés, y trouvaient trop de ressemblance avec la Révolution; la plupart des électeurs, venus de bonne foi à Paris, auraient voulu approcher l'Empereur de plus près, et être moins séparés de lui par la pompe d'une grande cérémonie. Ainsi tandis qu'en avant de cette enceinte le sentiment national transportait les cœurs, en arrière la juste inquiétude des circonstances les attristait et les divisait. Ce n'était plus la fédération de 1790, où la nation était ignorante, enthousiaste et unie: c'était le lendemain d'une immense révolution, où elle était instruite, déçue, accablée sous le poids des fautes commises, presque désespérée, et ne conservant des sentiments de 1789 qu'une héroïque bravoure exercée par vingt-cinq ans de guerre. M. Fouché contribuant imprudemment aux divisions, sous lesquelles il devait bientôt succomber lui-même, osa, dans les intervalles de cette longue représentation, dire à voix basse à la reine Hortense: L'Empereur a perdu une belle occasion de compléter sa gloire et d'assurer le trône de son fils en abdiquant.... Je le lui avais conseillé, mais il ne veut écouter aucun conseil...—De telles paroles n'étaient pas faites pour réunir les âmes dans une commune résolution de défendre la France et la liberté sous la direction de Napoléon, direction qu'il fallait bien accepter puisqu'on l'avait désiré ou laissé venir, et qui d'ailleurs pour la guerre était la meilleure qu'on pût souhaiter.
Seconde cérémonie au Louvre le 4 juin, pour achever la distribution des drapeaux. Voulant achever la distribution des drapeaux, revoir les électeurs et les rapprocher de sa personne, Napoléon imagina de les rassembler dans la grande galerie du Louvre, où, rangés sur deux lignes, ils pouvaient trouver place avec les députations de l'armée. Il choisit le dimanche suivant, 4 juin, pour cette seconde cérémonie, et fixa l'ouverture des Chambres soit au lundi 5, soit au mardi 6, selon le temps qu'il leur faudrait pour se constituer. Il se proposait de partir pour l'armée le lundi suivant, 12 juin, et tenait à les avoir installées et mises au travail avant d'aller dans les champs de la Flandre décider de son sort et de celui de la France. Tandis que les opinions étaient partagées autour de lui, que les uns étaient d'avis de ne pas prendre l'initiative des hostilités et d'attendre l'ennemi entre la frontière et la capitale, pour lui laisser l'odieux de l'agression, d'autres plus touchés des considérations militaires que des considérations politiques, et sachant les Anglais seuls à la frontière, voulaient qu'on se jetât brusquement sur eux pour les écraser. Napoléon laissait dire, répondait rarement sur ce sujet, afin de ne pas dévoiler ses desseins, suivait de l'œil la marche des masses ennemies, et calculait le point juste où il pourrait s'interposer entre elles pour les frapper avant leur réunion. Il estimait que ce serait vers le 15 juin, et il espérait avoir à cette date les forces qui lui étaient indispensables pour agir efficacement.—Le comte de Lobau le pressant de commencer les opérations, Attendez, lui dit-il, que j'aie au moins cent mille hommes, et vous verrez alors comment je m'en servirai.—Tout en faisait espérer cent cinquante mille pour le milieu de juin, et son départ étant fixé au 12, Napoléon voulait avant de partir avoir réglé avec les Chambres la marche des affaires.
Réunion des Chambres le samedi 3 juin, pour leur donner le temps de se constituer. Il les convoqua par décret pour le samedi 3 juin, de manière que celle des représentants pût employer les 3, 4 et 5 juin à vérifier les pouvoirs de ses membres, à choisir son président, ses vice-présidents et secrétaires, à se constituer enfin avant la séance impériale, car à cette époque la constitution des Chambres précédait la cérémonie où le souverain venait en personne ouvrir leur session. Désir persistant de Napoléon de conférer à son frère Lucien la présidence de la Chambre des représentants. Napoléon avait de plus un motif particulier pour en agir de la sorte. Il tenait, comme nous l'avons dit, à faire de son frère Lucien le président de la Chambre des représentants, et dans cette intention, il l'avait fait élire représentant dans le département de l'Isère, ce qui n'avait rencontré aucune difficulté. Il voulait donc attendre le résultat du scrutin dans la Chambre des représentants avant de publier la liste des pairs, sur laquelle il ne pouvait se dispenser de porter le prince Lucien si la présidence de la seconde Chambre ne lui était pas dévolue.
Difficultés qui s'opposent à l'accomplissement de ce désir. Toutefois le projet de Napoléon était d'exécution très-difficile. Les six cents et quelques membres de la Chambre des représentants, la plupart, avons-nous dit, anciens magistrats, militaires, acquéreurs de biens nationaux, révolutionnaires honnêtes, étaient animés d'intentions excellentes, et tout pleins du double désir de soutenir Napoléon et de le soumettre au régime constitutionnel. La Chambre, quoique dévouée à Napoléon, est dominée par la crainte de paraître servile. L'Acte additionnel leur avait déplu sans doute, non qu'ils eussent voulu y insérer autre chose que ce qu'il contenait, mais parce qu'il rattachait trop le second Empire au premier, et parce qu'il ne leur laissait presque rien à faire. Cependant l'idée de leur donner à remanier les Constitutions impériales pour les adapter à l'Acte additionnel, de toucher au besoin à ce dernier, paraissant admise par l'Empereur lui-même, ainsi qu'il résultait de son discours au Champ de Mai, ils avaient obtenu satisfaction sous les rapports essentiels, et n'avaient aucun motif sérieux d'opposition. Élus néanmoins sous l'influence d'un sentiment général de défiance à l'égard de l'ancien despotisme impérial, ils étaient singulièrement préoccupés du souci de ne pas se montrer dépendants. Tous les pouvoirs, hommes ou assemblées, ont leurs faiblesses: la Chambre des représentants en avait une, c'était la crainte de paraître servile. On était donc toujours prêt à prendre avec Napoléon le langage de tribun sans en avoir les sentiments, tandis qu'il aurait fallu au contraire, en étant prêt à lui résister s'il revenait à ses anciennes habitudes, s'unir à lui pour sauver en commun la France et les principes de la Révolution. Dans cet état de susceptibilité, la Chambre des représentants était peu disposée à nommer le prince Lucien: elle se serait crue compromise dès son début en prenant si vite les couleurs impériales. À cette faiblesse elle joignait l'inexpérience de provinciaux récemment arrivés, ne connaissant ni Paris, ni les hommes, ni le manége des assemblées. Tout en repoussant Lucien parce qu'il était frère de l'Empereur, elle ne savait qui choisir. Quelques-uns de ses membres, enclins à une liberté approchant de la liberté républicaine, auraient accepté volontiers M. de Lafayette, qui bien que satisfait de l'Acte additionnel, cachait peu son éloignement pour Napoléon; mais les révolutionnaires lui reprochaient un reste de penchant pour la maison de Bourbon. Il était donc trop révolutionnaire pour les uns, trop peu pour les autres, et ne semblait pas propre à réunir la majorité des suffrages. M. Lanjuinais est le seul candidat qui ait des chances d'être élu. M. Lanjuinais, signalé dans la Convention par sa résistance à la Montagne, et sous l'Empire par sa résistance à l'Empereur, répondait à la double pensée du jour. Ce n'était pas une objection qu'il eût été admis à la pairie sous Louis XVIII. On voulait par là indiquer qu'on n'était pas exclusif, et qu'on prenait les amis de la liberté partout où on les trouvait. M. Lanjuinais avait par conséquent de nombreuses chances d'être préféré comme président de la Chambre des représentants.
L'inconvénient, nous l'avons déjà dit, de la liberté donnée trop tard, c'est qu'on en fait presque toujours le difficile essai dans des circonstances périlleuses, où le pouvoir a peur d'elle, où elle a peur du pouvoir, et où ils se combattent au lieu de s'unir pour le salut commun. Le gouvernement, aussi inexpérimenté que l'Assemblée, ne discernait pas clairement les dispositions de celle-ci, et commettait la faute de poursuivre une chose impossible en désirant la présidence du prince Lucien, tandis que mieux servi il y aurait renoncé, et aurait laissé se produire sans obstacle la candidature de M. Lanjuinais, qui n'avait rien d'offensif ni même de blessant.
Réunion de la Chambre des représentants et vérification des pouvoirs. La Chambre des représentants convoquée le samedi 3 afin de se constituer, décréta un règlement provisoire, se divisa en commissions pour opérer la vérification des pouvoirs, et déclara définitivement admis tous ceux dont l'élection ne présenterait pas de difficulté. Difficulté soulevée à l'occasion des élections de l'Isère, qui comprennent celle de Lucien. Sans aucune malveillance, la commission chargée d'examiner les élections de l'Isère fit la remarque naturelle que le prince Lucien, nommé représentant, serait très-probablement élevé à la pairie, et qu'il était nécessaire de le savoir avant d'admettre ou lui ou son suppléant M. Duchesne. L'assemblée différa cette admission, comme toutes celles qui donnaient lieu à quelques objections, et l'ajourna jusqu'après la publication officielle de la liste des pairs. Dans le premier moment on n'avait mis aucune malice à soulever une pareille difficulté. Pourtant la malice vient vite; on se dit bientôt à l'oreille que Napoléon désirait son frère Lucien pour président, que c'était là le vrai motif pour lequel on ajournait la publication de la liste des nouveaux pairs, et tout de suite les observations malveillantes s'ensuivirent. La Chambre devait, dit un membre, procéder le lendemain à l'élection du bureau, et il était nécessaire de connaître la liste des pairs pour que les voix ne s'égarassent pas sur des noms appelés à la pairie. Il ne fut rien répondu du côté du gouvernement, parce que rien n'était organisé pour la direction de l'Assemblée, et on resta dans une indécision qui, sans provoquer encore de l'humeur, ne devait pas tarder à en faire naître. Il fut convenu que le lendemain 4, bien que la Chambre fût invitée à assister à la cérémonie du Louvre, elle tiendrait séance au palais du Corps législatif, afin d'accélérer autant que possible sa constitution.
Le lendemain dimanche 4 juin, tandis que les députations qui avaient assisté au Champ de Mai se réunissaient au Louvre, les représentants se rendirent au palais du Corps législatif, pour y continuer leurs travaux. Renouvellement de la difficulté soulevée la veille. Dès l'ouverture de la séance on revint à la question soulevée la veille, et cette fois la malice commençant à s'en mêler, on demanda de nouveau comment il fallait considérer l'élection du prince Lucien. Un membre voulait qu'on ajournât cette élection par le motif qu'étant pair de droit, le prince Lucien ne pouvait être représentant. On veut savoir avant le scrutin si Lucien sera pair ou représentant. L'Assemblée portée à l'indépendance mais non à l'hostilité, parut importunée de cette difficulté, et repoussa la manière proposée de motiver l'ajournement. Refus de répondre. Elle en était là, lorsqu'elle reçut une lettre du ministre de l'intérieur Carnot, adressée au président provisoire, et déclarant que la liste des nouveaux pairs ne serait définitivement publiée qu'après la constitution de la Chambre des représentants. Ce n'était pas faire preuve de connaissance des assemblées, que de traiter celle-ci avec des façons si absolues. Elle manifesta une impression marquée de déplaisir. Un de ses membres, M. Dupin, s'écria: Si nous déclarions à notre tour que nous ne nous constituerons qu'après avoir connu la composition de la pairie, que pourrait-on nous répondre?...—Des murmures interrompirent cette observation qui était fondée, mais qui dépassait la mauvaise humeur de la Chambre, et on procéda au scrutin pour le choix d'un président, sans se prononcer sur les élections de l'Isère. Le nom du prince Lucien se trouvait pour ainsi dire écarté de fait par l'ajournement de son admission. Scrutin. Du reste pas un des suffrages ne se porta sur lui, et ils se répartirent tous entre MM. Lanjuinais, de Lafayette, de Flaugergues, et quelques autres candidats. M. Lanjuinais en réunit 189, M. de Lafayette 68, M. Flaugergues 74, M. Merlin 41, M. Dupont de l'Eure 29. M. Lanjuinais obtient la majorité. Ces nombres révélaient bien les dispositions de l'Assemblée. Elle voulait constater son indépendance, et inclinait visiblement vers l'homme qui exprimait le mieux cette indépendance, car M. Lanjuinais avait été l'un des opposants de l'ancien Sénat, sans être un ennemi déclaré de l'Empereur. Cependant comme M. Lanjuinais, tout en ayant obtenu le plus grand nombre de voix, n'avait pas eu la majorité absolue, on recommença le scrutin, et cette fois il réunit 277 suffrages, M. de Lafayette 73, M. de Flaugergues 58. M. Lanjuinais fut donc nommé président sauf l'approbation de l'Empereur, qui d'après l'Acte additionnel était nécessaire.
Cérémonie au Louvre, pendant qu'ont lieu les scrutins à la Chambre des représentants. Pendant qu'on se livrait à ces scrutins au palais du Corps législatif, la seconde cérémonie de la distribution des drapeaux s'accomplissait au Louvre. L'Empereur après avoir reçu sur son trône quelques députations qui avaient des adresses à lui remettre, s'était rendu dans la galerie du Louvre, où sont exposés les chefs-d'œuvre de peinture que nos rois ont depuis plusieurs siècles amassés pour la jouissance, l'instruction et l'honneur de la France. D'un côté se trouvaient rangées les députations des colléges électoraux avec les étendards destinés aux gardes nationales, et de l'autre les députations de l'armée. Cette galerie, la plus longue de l'Europe, toute pleine de glorieux drapeaux et contenant dix mille personnes, présentait une perspective profonde, d'un effet aussi grand que singulier. C'était surtout pour les membres des colléges électoraux qu'avait lieu la nouvelle cérémonie: Napoléon, qu'ils avaient la satisfaction de voir et d'entendre de près, leur parla à tous avec son esprit d'à-propos, et les laissa en général très-satisfaits. Le despote oriental avait fait place dans leur imagination au grand homme, simple, accessible, prêt à entendre et à écouter la voix de ses sujets. Arrivé au vaste salon carré qui termine la galerie, Napoléon revint sur ses pas, tourna alors ses regards vers les députations de l'armée, les électrisa de nouveau par sa présence et ses paroles, et leur dit qu'ils allaient bientôt se revoir là où ils s'étaient tant vus jadis, où ils avaient tant appris à s'estimer, c'est-à-dire sur les champs de bataille où cette fois ne les appelait plus l'amour des conquêtes, mais l'indépendance sacrée de la patrie. Cette cérémonie commencée à midi n'était finie qu'à sept heures. Elle fut suivie d'une fête magnifique dans le jardin des Tuileries.
Irritation de Napoléon en apprenant la nomination de M. Lanjuinais. À peine la journée terminée, Napoléon avait eu à s'occuper des scrutins de la Chambre des représentants, et à se former un avis sur ce sujet. Sa première impression fut celle d'un extrême mécontentement. Il veut d'abord ne pas la confirmer. Une divergence d'opinion sur les questions les plus graves l'aurait moins blessé que cet empressement à se séparer de sa personne, en repoussant son frère pour prendre un homme respectable assurément, mais l'un des opposants du Sénat sous le premier Empire. En présence de l'Europe qui mettait une si grande affectation à diriger sur lui tous ses coups, il pensait qu'il eût été plus généreux et plus habile de s'unir à lui fortement. Mais, il faut le répéter sans cesse dans cette histoire pour l'instruction de tous, la conséquence des fautes est d'en subir la peine dans le moment où cette peine est le plus poignante. Après avoir accepté, encouragé, exigé pendant quinze ans une servilité sans bornes, Napoléon ne pouvait pas même obtenir pour sa personne des égards qui, en cet instant, auraient eu le double mérite du courage et d'une habile démonstration contre l'ennemi extérieur. S'étant beaucoup fait violence depuis deux mois et demi, il n'y tint plus cette fois, et laissa voir la plus vive irritation.—On a voulu m'offenser, dit-il, en choisissant un ennemi. Pour prix de toutes les concessions que j'ai faites on veut m'insulter et m'affaiblir... Eh bien, s'il en est ainsi, je résisterai, je dissoudrai cette Assemblée, et j'en appellerai à la France qui ne connaît que moi, qui pour sa défense n'a confiance qu'en moi, et qui ne tient pas le moindre compte de ces inconnus, lesquels, à eux tous, ne peuvent rien pour elle... Ces hommes, ajoutait-il, qui ne veulent pas des Bourbons, qui seraient désolés pour leurs places, pour leurs biens, pour leurs opinions, de les voir revenir, ne savent pas même s'unir à moi, qui puis seul les garantir contre tout ce qu'ils craignent, car c'est à coups de canon maintenant qu'on peut défendre la Révolution, et lequel d'entre eux est capable d'en tirer un?...—
M. Fouché profite de l'occasion pour dire aux représentants que Napoléon songe déjà à dissoudre les Chambres. Cette première explosion n'aurait pas eu de grands inconvénients, elle aurait eu même l'avantage de calmer Napoléon en donnant un libre cours aux sentiments dont son cœur était plein, si elle n'avait dû être divulguée, exagérée par la perfidie du duc d'Otrante, lequel alla dire partout que Napoléon était incorrigible, qu'il voulait dissoudre les Chambres dès le lendemain de leur réunion. Napoléon se calme, et consent à recevoir M. Lanjuinais. Toutefois, après ce mouvement d'humeur, Napoléon s'apaisa. Carnot, le prince archichancelier, M. Lavallette, M. Regnaud de Saint-Jean d'Angély, s'efforcèrent de lui faire entendre raison, et n'y eurent pas beaucoup de peine, son grand esprit lui disant, une fois la colère passée, tout ce que pouvaient lui dire les hommes les plus sages. Il sentit que rompre en ce moment serait une folie, qu'il fallait accorder quelque chose à la faiblesse de cette assemblée, qui avait la prétention de paraître indocile tout en étant profondément dévouée. D'ailleurs M. Lanjuinais était un honnête homme, ami de la Révolution autant qu'ennemi de ses excès, voulant le triomphe de la cause commune, et facile en outre à adoucir avec de bons procédés. L'homme qui parla le plus vivement et le plus utilement dans ce sens fut M. Regnaud de Saint-Jean d'Angély. Ce personnage était, par ses antécédents, sa brillante facilité de parole, destiné plus que jamais à devenir l'organe du gouvernement auprès des Chambres. Il tenait par ce motif à se rendre agréable à leurs yeux, en appuyant leurs désirs auprès de l'Empereur. De plus, quoique sincèrement dévoué à Napoléon, il était tombé sous l'influence de M. Fouché, qui, le voyant appelé à jouer un rôle considérable devant les Chambres et très-flatté de ce rôle, l'avait encouragé à le prendre, lui en facilitait le moyen de toutes les manières, et cherchait à lui persuader que résister à Napoléon c'était le sauver: vérité, hélas! trop réelle quelques années auparavant, et qui, sentie et pratiquée à temps, aurait sauvé Napoléon et la France, mais qui était tardive en 1815, et pouvait même en présence de l'Europe armée devenir funeste! Au surplus, en conseillant d'accepter M. Lanjuinais comme président, M. Regnaud de Saint-Jean d'Angély donnait à Napoléon un conseil fort sage, car tout autre choix eût été dans les circonstances inconvenant et impossible.
Tandis qu'on s'efforçait de persuader Napoléon, on alla chercher M. Lanjuinais; on lui dit, ce qui était vrai, qu'il devait à l'Empereur de le voir, de s'expliquer avec lui après une si longue opposition dans le Sénat, et de le rassurer sur l'usage qu'il pourrait faire du pouvoir immense de la présidence. Entrevue de M. Lanjuinais avec Napoléon. M. Lanjuinais se rendit le soir même à l'Élysée, et fut reçu immédiatement. Napoléon l'accueillit arec une grâce infinie, mais avec une extrême franchise.—Le passé n'est rien, lui dit-il, je n'ai pas la faiblesse d'y penser; je ne tiens compte que du caractère des hommes et de leurs dispositions présentes. Êtes-vous mon ami ou mon ennemi?—M. Lanjuinais, touché de la franchise avec laquelle Napoléon le questionnait, lui répondit qu'il n'était point son ennemi, qu'il voyait en lui la cause de la Révolution, et qu'aux conditions de la monarchie constitutionnelle sincèrement maintenues, il le soutiendrait franchement.—Nous sommes d'accord, répondit Napoléon, et je ne vous demande pas davantage.— L'élection de M. Lanjuinais confirmée. L'entrevue s'étant terminée de la manière la plus amicale, Napoléon se décida à confirmer le choix de la Chambre.
Pourtant le bruit de sa première résistance s'était répandu. M. Fouché ne l'avait laissé ignorer à personne, et il avait déjà répété partout que Napoléon était toujours le même, qu'il ne pouvait souffrir aucune indépendance, et que ce serait un grand miracle si la Chambre n'était pas dissoute dans quelques jours. Le lendemain, lundi 5, les représentants étant assemblés pour achever l'œuvre de leur constitution, on murmurait de banc en banc ce qui s'était passé, et ignorant le résultat de l'entrevue de Napoléon avec M. Lanjuinais, on était fort enclin au mécontentement. Le président d'âge fit connaître qu'il avait la veille communiqué à l'Empereur le vote de la Chambre, que l'Empereur s'était borné à répondre qu'il aviserait, et ferait connaître sa résolution par le chambellan de service. À ce dernier détail on murmura fortement. Un membre fit remarquer avec raison, que ce n'était pas par l'entremise d'un chambellan que devaient s'établir les rapports des Chambres avec le monarque. M. Dumolard, et après lui M. Regnaud de Saint-Jean d'Angély, cherchèrent à expliquer la réponse de l'Empereur, en disant que ses paroles avaient été mal saisies par le président d'âge, explication à laquelle celui-ci se prêta volontiers pour réparer la maladresse qu'il avait commise en rapportant un détail qu'il eût mieux valu taire. Pendant qu'on raisonnait sur ce sujet, et que pour couper court à la difficulté on suspendait la séance, M. Regnaud de Saint-Jean d'Angély se rendit à l'Élysée, en rapporta lui-même le décret qui nommait M. Lanjuinais président, et le présenta en sa qualité de ministre d'État, ce qui faisait disparaître toute susceptibilité. L'approbation donnée au choix de M. Lanjuinais calma le mécontentement de la Chambre. Elle désigna ensuite pour vice-présidents, M. de Flaugergues (élu par 403 voix), M. Dupont de l'Eure (par 279 voix), M. de Lafayette (par 257). Le quatrième vice-président restait à nommer. Le lendemain le général Grenier fut élu.
Constitution de la Chambre des pairs. En même temps qu'on portait à la Chambre des représentants la nomination définitive de son président, on portait à celle des pairs la liste des membres appelés à la composer. Napoléon avait demandé à ses frères, à ses principaux ministres, une liste de pairs dressée suivant les vues de chacun d'eux. De ces listes comparées il avait composé une liste de 130 pairs, qui pouvait et devait être complétée plus tard, à mesure que le succès amènerait de nouvelles adhésions, particulièrement dans l'ancienne noblesse. M. de Lafayette vivement pressé par Joseph d'accepter la pairie, avait préféré siéger dans la Chambre des représentants, où il devait trouver plus de conformité d'opinion et une influence plus directe sur les événements. Composition de la liste des nouveaux pairs. Napoléon avait d'abord choisi ses frères Joseph, Lucien, Louis, Jérôme (lesquels, du reste, étaient pairs de droit), son oncle le cardinal Fesch, son fils adoptif le prince Eugène (retenu à Vienne par la coalition), les maréchaux Davout, Suchet, Ney, Brune, Moncey, Soult, Lefebvre, Grouchy, Jourdan, Mortier; les ministres Carnot, Decrès, de Bassano, Caulaincourt, Mollien, Fouché; le cardinal Cambacérès, les archevêques de Tours (de Barral), de Bourges (de Beaumont), de Toulouse (Primat); les généraux Bertrand, Drouot, Belliard, Clausel, Savary, Duhesme, d'Erlon, Exelmans, Friant, Flahault, Gérard, Lobau, La Bédoyère, Delaborde, Lecourbe, Lallemand, Lefebvre-Desnoëttes, Molitor, Pajol, Rampon, Reille, Travot, Vandamme, etc. Il avait choisi plusieurs régicides, Sieyès, Cambacérès, Carnot, Fouché, Thibaudeau, non comme régicides, mais comme personnages éminents, que leur qualité de régicides ne devait pas exclure des hautes fonctions publiques. Il avait pris dans l'ancienne noblesse quelques noms, MM. de Beauvau, de Beaufremont, de Boissy, de Forbin, de La Rochefoucauld, de Nicolaï, de Praslin, de Ségur, etc. S'il n'en avait pas pris davantage, c'était faute d'en avoir un plus grand nombre dont il pût disposer. Il comptait sur ses prochaines victoires pour en conquérir d'autres. Ce n'était pas le goût qu'on lui attribuait pour les anciens noms qui le dirigeait, mais l'utilité bien sentie de les placer dans la Chambre haute, appelée à être à la fois conservatrice et indépendante.
Le prince Joseph avait manifesté un vif déplaisir en entendant le texte du décret qui le nommait pair, car il prétendait l'être de droit. Réclamation déplacée de Joseph, qui prétend être pair de droit. Malgré les efforts qu'on fit pour l'engager à se taire, il réclama en disant que c'était sans doute par une erreur de rédaction qu'il était mentionné sur le décret, car il devait la pairie à sa naissance, et nullement à la nomination impériale. Au milieu des tiraillements qui se manifestaient déjà, il y avait de la part des frères de l'Empereur une grande imprudence à ne pas savoir se contenir eux-mêmes. Que pourrait-on en effet, objecter à tous ceux qui étaient si pressés de parler hors de propos, si les frères de Napoléon ne savaient pas s'abstenir d'une réclamation aussi puérile? Ils commirent une autre faute non moins remarquée que la précédente, en ne voulant pas siéger avec leurs collègues, et en exigeant des siéges particuliers à côté du président. S'étant aperçus du mauvais effet produit par cette prétention, ils y renoncèrent. Ce fut le prince Lucien qui le premier donna ce bon exemple, en allant se confondre dans les rangs de ses collègues.
Ces diverses opérations avaient rempli les journées des 5 et 6 juin, et il fallut remettre la séance impériale au mercredi 7. Cette séance devait consister dans la lecture du discours de la couronne, et dans la prestation du serment à l'Empereur par les pairs et les représentants. Préparatifs de la séance impériale, et rédaction du discours de la couronne. Napoléon, suivant son usage, avait écrit lui-même le discours qu'il devait prononcer, et l'avait rédigé de ce style net, franc et ferme qui convenait à un esprit comme le sien, toujours résolu en toutes choses. Il avait voulu donner la monarchie constitutionnelle, non par goût de se lier les mains, mais par la conviction qu'elle était nécessaire, et que ses propres fautes d'ailleurs la rendaient indispensable. Il prit donc le parti de s'expliquer à cet égard en termes brefs mais décisifs. Sachant de plus que les représentants arrivaient avec le regret de trouver une Constitution toute faite, et de n'avoir rien à faire eux-mêmes, il consentit à leur reconnaître le droit de toucher aux matières constitutionnelles en coordonnant les anciennes constitutions avec la nouvelle. Il voulut ajouter à ces concessions quelques conseils, donnés du même ton que les concessions, c'est-à-dire avec une extrême fermeté. Après ces points principaux, il en était d'autres non moins importants à aborder. Sans avoir aucun penchant pour la persécution, Napoléon avait la volonté bien arrêtée de ne pas se laisser attaquer impunément par les partis ennemis. Il aurait désiré qu'on prévînt l'insurrection de la Vendée, et il s'était trouvé sur ce sujet en désaccord avec ses ministres. Ces derniers, tout en jugeant indispensable la répression de certaines menées, craignaient néanmoins en ayant recours aux lois antérieures de fournir de nouveaux prétextes à ceux qui leur reprochaient de laisser subsister l'ancien arsenal des lois révolutionnaires. Il fallait résoudre la difficulté, et présenter des mesures qui, sans retour à l'arbitraire, continssent quelque peu l'audacieuse activité des partis. La presse avait été délivrée de la censure, mais il n'en devenait que plus nécessaire et plus légitime d'apporter quelques limites à ses excès par l'intervention régulière des tribunaux. Enfin il fallait présenter le budget.
C'étaient là de suffisantes et régulières occupations pour les Chambres, et Napoléon s'était attaché à leur en tracer le plan dans un discours clair et précis, qui obtint l'assentiment unanime de ses ministres lorsqu'il leur en donna communication.
Tandis qu'il préparait le langage à tenir devant les deux Chambres, celle des représentants ayant les défauts des assemblées nouvelles, était impatiente de toucher aux sujets les plus délicats. Difficultés soulevées dans la Chambre des représentants, à l'occasion du serment à prêter à l'Empereur. Le mardi 6 juin, veille de la séance impériale, un représentant fit une motion relative au serment qu'on devait prêter le lendemain. Il proposa de déclarer qu'on ne pourrait exiger de serment qu'en vertu d'une loi, et qu'en tout cas celui qu'on devait prêter le jour suivant ne préjudicierait en rien au droit des Chambres de reviser les constitutions impériales.
Cette proposition causa une vive émotion. Si elle avait été entendue dans son sens le plus rigoureux, il aurait fallu en conclure que le serment exigé était illégal, que dès lors on ne le prêterait pas, à moins que dans la journée même il ne fût rendu une loi pour l'autoriser. Mais en rédigeant cette loi sur l'heure, il n'était pas probable qu'elle pût être en vingt-quatre heures adoptée par les deux Chambres, et dès lors le serment étant impossible le lendemain, il en serait résulté aux yeux des partis et de l'Europe, que les Chambres avaient refusé de jurer fidélité à Napoléon. Dans un moment où cinq cent mille soldats marchaient sur la France, l'effet aurait pu être extrêmement fâcheux.
L'Assemblée, qui malgré sa susceptibilité comprenait qu'après avoir replacé Napoléon sur le trône il fallait se garder de l'affaiblir, accueillit avec une anxiété visible la proposition qu'on venait de faire. Divers représentants se hâtèrent de la combattre. Solution de la difficulté. Ils dirent que des sénatus-consultes antérieurs avaient prescrit le serment à l'Empereur, que dès lors il était légal, ces sénatus-consultes n'ayant pas été abolis; qu'au surplus il était bien entendu que ce serment n'imposait qu'un engagement de fidélité à la dynastie impériale, et nullement l'obligation de tenir pour immuables des lois dont la révision était chose convenue d'après le discours même de l'Empereur au Champ de Mai. M. Roy, depuis ministre des finances de Louis XVIII et de Charles X, pour lequel Napoléon avait été sévère, répondit que tout étant nouveau dans le second Empire, la Chambre des pairs ne ressemblant pas au Sénat, la Chambre des représentants au Corps législatif, le sénatus-consulte qu'on invoquait devait être considéré comme tombé en désuétude, et ne pouvait suffire pour rendre légal le serment exigé des deux Chambres. L'Assemblée appréciant le danger de cette discussion, manifesta un mécontentement visible. MM. Dumolard, Bedoch, Sébastiani, répliquèrent vivement à M. Roy, en disant que si les attributions de la pairie et de la Chambre des représentants différaient de celles du Sénat et du Corps législatif, le monarque restait, qu'on lui devait fidélité sous le régime nouveau comme sous l'ancien; que de plus, dans les circonstances présentes, l'union des pouvoirs étant la condition du salut commun, les convenances du moment se joignaient aux convenances générales pour qu'on prêtât avec empressement le serment demandé. M. Boulay de la Meurthe, ministre d'État, alla plus loin encore, et même trop loin, en signalant un parti qu'il qualifia parti de l'étranger, dans lequel il ne rangeait, disait-il, ni l'auteur de la proposition, ni aucun de ceux qui l'appuyaient, mais à la tête duquel il plaçait surtout les royalistes, et dont le travail consistait selon lui à diviser les pouvoirs, pour ouvrir à l'ennemi les portes de la France. Cette sortie trop vive fut accueillie avec un silence d'embarras et même d'improbation. De toutes parts on demanda la clôture de cette discussion. D'abord on s'était borné à réclamer l'ordre du jour sur la proposition, bientôt on voulut quelque chose de plus significatif, et à l'ordre du jour pur et simple on substitua la déclaration explicite de la légalité, de la convenance et de la nécessité du serment. Soit que les opposants fussent absents ou convertis, l'Assemblée adopta cette déclaration à l'unanimité.
Dans un pays habitué de longue main à la liberté, et où l'on a pris l'habitude de n'attacher de l'importance qu'aux actes de la majorité, et non aux actes des individus qu'il faut laisser libres parce qu'ils perdent ainsi toute portée fâcheuse, on n'aurait pas été fort ému de cette séance. Mais les partis s'en servirent pour prétendre que Napoléon n'avait pas la nation avec lui, puisque ses représentants nommés de la veille répugnaient au serment de fidélité. Napoléon en fut affecté. Napoléon, à cause de la situation extérieure, est vivement affecté par les manifestations contre sa personne. Voyant l'obstination des puissances coalisées à diriger leurs coups contre sa personne seule, il aurait voulu que les Chambres répondissent à cette tactique en s'unissant étroitement à lui. Devenu triste depuis quelque temps, depuis surtout qu'il avait vu la fatalité se prononcer, et commencer par emporter Murat, il le devint davantage en voyant l'isolement remplacer autour de sa personne la forte et cordiale union dont il aurait eu besoin. Il sentit plus que jamais que c'était à la fortune des armes à prononcer, et à lui ramener les cœurs, qui (la chose est triste à dire) ont besoin de succès pour s'attacher.
Séance impériale le 7 juin. Accueil favorable fait à Napoléon. Le 7, il se rendit au palais du Corps législatif, dans un appareil plus simple que celui qu'il avait déployé au Champ de Mai, et fut chaudement applaudi par la Chambre des représentants, dont les intentions étaient excellentes si son expérience était médiocre, et chose singulière, mieux accueilli par elle que par la Chambre des pairs. En présence des dispositions extrêmement libérales du public, la Chambre des pairs nommée par le pouvoir, et sinon confuse au moins un peu embarrassée de son origine, croyait plus digne d'applaudir avec réserve celui à qui elle devait l'existence, en laissant le soin de l'applaudir avec vivacité à la Chambre élective qui tirait son origine du pays.
L'Empereur étant assis sur son trône, et ayant ses frères à sa droite et à sa gauche, le prince archichancelier lut la formule du serment, qui était celle-ci: Je jure obéissance aux Constitutions de l'Empire et fidélité à l'Empereur. L'archichancelier fit ensuite l'appel des pairs et des représentants, qui prêtèrent serment avec un accent chaleureux. Cela fait, Napoléon prononça d'un ton grave le discours suivant, modèle de simplicité, de concision et de grandeur.
Discours qu'il prononce. «Messieurs de la Chambre des pairs, et Messieurs de la Chambre des représentants,
»Depuis trois mois les circonstances et la confiance du peuple m'ont revêtu d'un pouvoir illimité. Aujourd'hui s'accomplit le désir le plus pressant de mon cœur: je viens commencer la monarchie constitutionnelle.
»Les hommes sont impuissants pour assurer l'avenir; les institutions seules fixent les destinées des nations. La monarchie est nécessaire en France pour garantir la liberté, l'indépendance et les droits du peuple.
»Nos constitutions sont éparses: une de nos plus importantes occupations sera de les réunir dans un seul cadre, et de les coordonner dans une seule pensée. Ce travail recommandera l'époque actuelle aux générations futures.
»J'ambitionne de voir la France jouir de toute la liberté possible; je dis possible, parce que l'anarchie ramène toujours au gouvernement absolu.
»Une coalition formidable de rois en veut à notre indépendance; ses armées arrivent sur nos frontières.
»La frégate la Melpomène a été attaquée et prise dans la Méditerranée, après un combat sanglant contre un vaisseau anglais de 74. Le sang a coulé en pleine paix.
»Nos ennemis comptent sur nos divisions intestines. Ils excitent et fomentent la guerre civile. Des rassemblements ont lieu; on communique avec Gand, comme en 1792 avec Coblentz. Des mesures législatives sont indispensables: c'est à votre patriotisme, à vos lumières et à votre attachement à ma personne que je me confie sans réserve.
»La liberté de la presse est inhérente à la constitution actuelle, on n'y peut rien changer sans altérer tout notre système politique; mais il faut des lois répressives, surtout dans l'état actuel de la nation. Je recommande à vos méditations cet objet important.
»Mes ministres vous feront connaître la situation de nos affaires.
»Les finances seraient dans un état satisfaisant sans le surcroît de dépenses que les circonstances actuelles ont exigé.
»Cependant on pourrait faire face à tout si les recettes comprises dans le budget étaient toutes réalisables dans l'année, et c'est sur les moyens d'arriver à ce résultat que mon ministre des finances fixera votre attention.
»Il est possible que le premier devoir du prince m'appelle bientôt à la tête des enfants de la nation afin de combattre pour la patrie. L'armée et moi nous ferons notre devoir.
»Vous, pairs et représentants, donnez à la nation l'exemple de la confiance, de l'énergie et du patriotisme; et, comme le sénat du grand peuple de l'antiquité, soyez décidés à mourir plutôt que de survivre au déshonneur et à la dégradation de la France. La cause sainte de la patrie triomphera!»
Effet de ce discours. Ce discours, qui touchait à tous les sujets avec un tact supérieur, une dignité parfaite, fut couvert d'applaudissements, et il le méritait. On ne pouvait désirer un aveu plus complet de la monarchie constitutionnelle, et une profession plus explicite de ses principes.
À l'entrée d'une carrière où les Anglais nous avaient précédés de deux siècles, il était naturel d'imiter leurs usages. En conséquence chacune des Chambres résolut de présenter une adresse en réponse au discours de la couronne, et elles chargèrent de la rédiger leur bureau accru de quelques membres, de manière à pouvoir la présenter dans la semaine, le départ de Napoléon étant annoncé pour le dimanche ou le lundi suivant.
Impatience qu'éprouve Napoléon de partir pour l'armée. Napoléon effectivement était décidé à frapper le coup que depuis son retour à Paris il préparait contre la portion de la coalition placée à sa portée. Ce n'est pas encore le moment de faire connaître ses combinaisons; il suffira de dire qu'au milieu des occupations de tout genre que lui valaient l'insurrection de la Vendée, la réunion des Chambres et la présence à Paris des électeurs venus au Champ de Mai, il n'avait cessé, en travaillant jour et nuit, de tout disposer pour son entrée en action le 15 juin. Ses derniers préparatifs. Le lendemain de la cérémonie du Champ de Mai, il avait eu soin de faire partir la garde et le 6e corps pour Laon; il avait ordonné aux généraux d'Erlon et Reille d'entreprendre à leur tour le mouvement que le général Gérard avait commencé depuis plusieurs jours, et qui devait opérer la concentration générale de l'armée derrière Maubeuge. Il leur avait indiqué à tous avec un soin minutieux les précautions qui étaient les plus propres à tromper l'ennemi, et qui, en effet, le trompèrent complétement, comme on le verra bientôt. Napoléon comptait que la garde et le 6e corps ayant atteint Maubeuge le 14 juin, il pourrait paraître le 15 au matin sous les murs de Charleroy à la tête de 130 mille hommes. Il en aurait eu 150 sans l'insurrection de la Vendée, mais avec cette force, telle quelle, il espérait sinon terminer la guerre d'un coup, du moins lui imprimer dès le début un caractère qui en Europe ferait réfléchir les puissances, et en France rendrait l'accord aux esprits décousus et ébranlés. Tristesse de Napoléon dans les derniers moments de son séjour à Paris. Si ses préoccupations n'empêchaient pas son travail, son travail n'empêchait pas non plus ses préoccupations. Tout en affectant la gaieté dans les nombreuses réceptions de l'Élysée où il donnait chaque jour à dîner, il retombait tristement sur lui-même dès qu'il se retrouvait dans son intimité, c'est-à-dire avec la reine Hortense et M. Lavallette. Cet empressement des Chambres à écarter toute apparence de servilité, qui les portait à s'isoler de lui, lorsqu'il aurait fallu au contraire se serrer autour de sa personne, l'affectait plus qu'il ne voulait en convenir. Il s'affligeait de voir l'union des pouvoirs se dissoudre, la confusion s'introduire dans les esprits, chacun se précipiter avec impatience dans l'arène des discussions théoriques qu'il avait voulu fermer en donnant l'Acte additionnel, chacun caresser sa chimère et se presser de la produire, toutes choses désolantes mais que rendaient inévitables la convocation des Chambres dans un moment pareil, et un premier essai de liberté fait sous le canon de l'ennemi. Au milieu de ce déchaînement de l'esprit de contradiction, il sentait l'admiration superstitieuse dont il avait été l'objet pendant quinze années, et que le prodigieux retour de l'île d'Elbe avait fait renaître un instant, s'évanouir d'heure en heure; il se voyait entouré de doutes, de critiques de toute espèce dirigées contre ses moindres actes. Ses amis les plus sincères qui n'auraient jamais osé autrefois lui répéter ce qu'on disait de lui, s'empressaient au contraire, les uns par affection, les autres par diminution de respect, de lui rapporter les discours les plus inconvenants tenus sur son compte. Il pouvait savoir par ce moyen que M. Fouché continuait de se permettre les propos les plus fâcheux, qu'il n'exécutait pas ses ordres, notamment à l'égard des royalistes en correspondance avec Gand et la Vendée, qu'il était pour eux plein de ménagements, et que de temps en temps il les mandait à son ministère pour se faire un mérite auprès d'eux de sa désobéissance aux ordres impériaux. Napoléon, en apprenant ces actes d'infidélité, s'emportait, voulait les réprimer, puis s'arrêtait, craignant qu'on ne dît que le despote avait reparu, et ainsi ses anciennes rigueurs contre des êtres souvent inoffensifs, tels que les colporteurs de la Bulle par exemple, le privaient aujourd'hui du moyen de contenir de redoutables ennemis pris en flagrant délit. Toutefois il se relevait en songeant à la guerre, en songeant aux chances qu'elle offre à l'homme de génie, en songeant aux triomphes qu'il avait remportés en 1814, et qui l'auraient sauvé si en dehors de Paris il avait eu quelques redoutes, et au dedans un frère digne de lui. Mais cette confiance à peine ranimée, il la sentait presque aussitôt défaillir en pensant à la masse d'ennemis qui marchaient sur la France, à la masse d'ennemis de tout genre qui s'agitaient dans l'intérieur, et il se demandait si dans son gouvernement les choses étaient disposées pour supporter un revers, revers toujours possible même dans une guerre destinée à finir heureusement, et avec cette sagacité supérieure dont il était doué, il croyait voir dans l'ensemble de la situation les signes d'une adversité persistante, qui sans ébranler son énergique cœur, attristaient profondément son esprit. Il se plaisait à en disserter sans fin avec ses intimes, et quelquefois, bien qu'accablé de travail, il passait une partie des nuits à s'entretenir du profond changement des choses autour de lui, de la singulière destinée des grands hommes, et en particulier de la sienne, qui avait bien toutes les apparences d'un astre à son déclin.
Visite à la Malmaison, et souvenir donné à l'impératrice Joséphine. Dans cette disposition à la tristesse, il voulut visiter la Malmaison où l'impératrice Joséphine était morte le printemps précédent, et où il n'était pas allé depuis son retour de l'île d'Elbe. Il éprouvait le besoin de revoir cette modeste demeure où il avait passé les plus belles années de sa vie, auprès d'une épouse qui avait des défauts assurément, mais qui était une amie véritable, une de ces amies qu'on ne retrouve pas deux fois, et qu'on regrette toujours quand on les a perdues. Il obligea la reine Hortense qui n'avait pas encore osé rentrer dans ce lieu plein de si poignants souvenirs, à l'accompagner. Malgré ses occupations accablantes il consacra plusieurs heures à parcourir ce petit château, et ces jardins où Joséphine cultivait des fleurs qu'elle faisait venir des quatre parties du globe. En revoyant ces objets si chers et si attristants il tomba dans des rêveries douloureuses! Quelle différence entre cette année 1815 et ces années 1800, 1801, 1802, où il était à la fois l'objet de l'admiration, de la confiance, de l'amour du monde! Mais alors il ne l'avait ni fatigué, ni asservi, ni ravagé, et au lieu d'un tyran les peuples voyaient en lui un sauveur! En considérant ces choses, loin de se flatter, il se rendait à lui-même la sévère justice du génie, mais il se disait que revenu de ses fautes, le monde devrait lui rendre un peu de confiance, et lui permettre de montrer la nouvelle sagesse rapportée de l'île d'Elbe. Mais les hommes, hélas! ne rendent pas leur confiance quand ils l'ont une fois retirée, et Dieu seul accueille le repentir parce que seul il peut en juger la sincérité!
Napoléon, en se promenant dans ce lieu tout à la fois attrayant et douloureux, dit à la reine Hortense: Pauvre Joséphine! à chaque détour de ces allées, je crois la revoir. Sa mort, dont la nouvelle est venue me surprendre à l'île d'Elbe, a été l'une des plus vives douleurs de cette funeste année 1814. Elle avait des faiblesses sans doute, mais celle-là au moins ne m'aurait jamais abandonné!...—
Au retour de la Malmaison, Napoléon voulut que la reine Hortense fît exécuter pour lui une copie du portrait le plus ressemblant qu'on eût conservé de Joséphine. Ne sachant où il serait dans un mois, il désirait emporter avec lui cette espèce de talisman, à l'aide duquel il pouvait faire reluire à ses yeux les plus heureuses années de sa vie.
Long et curieux entretien de Napoléon sur la difficulté de diriger les Chambres, lorsque les moyens de les conduire ne sont pas préparés de longue main. Mais il avait à peine le temps de s'attrister, et il était sans cesse arraché à lui-même par les mille affaires qu'il devait expédier avant son départ. La direction des Chambres était celle qui après la guerre l'occupait le plus. Il eut sur ce sujet plusieurs entretiens, et il s'exprima avec la plus rare sagacité, comme si, au lieu d'avoir été toute sa vie homme de guerre, administrateur, monarque absolu, il eût été premier ministre de Georges IV. La veille de son départ, et prêt à monter en voiture, Je ne sais, dit-il à ses ministres, comment vous ferez pour conduire les Chambres en mon absence. M. Fouché croit qu'en gagnant quelques vieux corrompus, en flattant quelques jeunes enthousiastes on domine les assemblées, mais il se trompe. C'est là de l'intrigue, et l'intrigue ne mène pas loin. En Angleterre, sans négliger absolument ces moyens, on en a de plus grands et de plus sérieux. Rappelez-vous M. Pitt, et voyez aujourd'hui lord Castlereagh! Les Chambres en Angleterre sont anciennes, et expérimentées; elles ont fait depuis longtemps connaissance avec les hommes destinés à devenir leurs chefs; elles ont pris de la confiance ou du goût pour eux, soit à cause de leurs talents, soit à cause de leur caractère; elles les ont en quelque sorte imposés au choix de la couronne, et après les avoir faits ministres, il faudrait qu'elles fussent bien inconséquentes, bien ennemies d'elles-mêmes et de leur pays pour ne pas suivre leur direction. C'est ainsi qu'avec un signe de son sourcil M. Pitt les dirigeait, et que les dirige encore aujourd'hui lord Castlereagh. Ah, si j'avais de tels instruments, je ne craindrais pas les Chambres. Mais ai-je rien de pareil? Voilà, parmi ces représentants, des hommes venus de toutes les parties de la France, avec de bonnes intentions sans doute, avec le désir que je me tire d'affaire et que je les en tire eux-mêmes, mais n'ayant, pour la plupart du moins, jamais vécu dans les assemblées, n'ayant jamais eu le souci, la responsabilité des événements, inconnus de mes ministres et n'en connaissant pas un, personnellement du moins. Qui voulez-vous qui les dirige? Certainement je ne pouvais pas mieux choisir mes ministres que je ne l'ai fait; je les ai pris pour ainsi dire dans la confiance publique. Le pays me les aurait donnés lui-même au scrutin, si je les lui avais demandés. Aurait-il pu, en effet, m'indiquer un meilleur ministre de la justice que le sage Cambacérès, un plus imposant ministre de la guerre que le laborieux et sévère Davout, un plus rassurant ministre des affaires étrangères que le grave et pacifique Caulaincourt, un ministre de l'intérieur plus capable de rassurer et d'armer les patriotes que cet excellent Carnot? Les gens de finance ne m'auraient-ils pas signalé eux-mêmes la probité, l'habileté du comte Mollien? Et le public ne croit-il pas avoir l'œil du gouvernement toujours ouvert sur lui lorsque M. Fouché est ministre de la police? Et pourtant, lequel de vous, messieurs, pourrait se présenter aux deux Chambres, leur parler, s'en faire écouter, les conduire? J'ai tâché d'y suppléer au moyen de mes ministres d'État, au moyen de Regnaud, de Boulay de la Meurthe, de Merlin, de Defermon. Certainement, Regnaud a du talent, mais croyez-vous que, dans un cas grave, il pourrait dominer les orages? Non, ce n'est pas d'une position secondaire qu'on impose aux hommes, qu'on s'en empare, et qu'on s'en fait suivre. Hélas! ce n'est pas dans notre paisible Conseil d'État qu'on se forme aux tempêtes des assemblées... Non, non, ajoutait Napoléon, vous ne gouvernerez pas ces Chambres, et si bientôt je ne gagne une bataille, elles vous dévoreront tous, quelque grands que vous soyez! Je n'ai pas pu, vous le savez, refuser de les convoquer, car je me suis trouvé dans un cercle vicieux. J'avais donné moi-même l'Acte additionnel afin de prévenir les discussions interminables et confuses d'une nouvelle Constituante, mais on n'a pas voulu croire à l'Acte additionnel, et pour y faire croire il m'a fallu convoquer des Chambres, qui, je le vois bien, vont se faire constituantes. Tout cela se tenait. Actuellement il faut nous en tirer comme nous pourrons. Les ministres à portefeuille administreront, les ministres d'État parleront de leur mieux, et moi j'irai combattre. Si je suis victorieux, nous obligerons tout le monde à se renfermer dans ses attributions, et nous aurons le temps de nous habituer à ce nouveau régime. Si je suis vaincu, Dieu sait ce qui arrivera de vous et de moi! Tel était notre sort, que rien ne pouvait conjurer! Dans vingt ou trente jours, tout sera décidé. Pour le présent, faisons ce qui se peut, nous verrons ensuite! Mais que les amis de la liberté y pensent bien, si par leur maladresse ils perdent la partie, ce n'est pas moi qui la gagnerai, ce sont les Bourbons!—
Décret rendu sur l'organisation du gouvernement, en l'absence de l'Empereur. Après ce singulier entretien qu'il eut dans la nuit qui précéda son départ, Napoléon décida par un décret que les ministres, auxquels s'adjoindraient ses frères, formeraient un conseil de gouvernement sous la présidence de Joseph; que les quatre ministres d'État, secondés par six conseillers d'État nommés à cet effet, seraient chargés des rapports avec les Chambres, se présenteraient à elles au nom de la couronne, discuteraient les lois, et donneraient les explications nécessaires lorsqu'il faudrait justifier les actes du gouvernement. En signant ce décret il sourit, et répéta plusieurs fois: Ah! ah! vous avez grand besoin que je gagne une bataille!—Ces paroles ne signifiaient certainement pas qu'il attendait une victoire pour briser les Chambres et revenir au gouvernement absolu, car il n'entrevoyait pas comment on pourrait, dans l'état des esprits, gouverner au nom d'une autorité unique et silencieuse, mais que les anxiétés naissant du danger étant dissipées, la confiance en sa fortune étant revenue, il remettrait un peu d'ensemble et d'unité dans les volontés, et rendrait possible la marche des choses. Victorieux, il n'aurait peut-être pas borné là ses vœux, mais pour le moment il était convaincu que la cause de la liberté modérée était la sienne, et que le triomphe des idées opposées était le triomphe des Bourbons.—Si nous ne réussissons pas dans cet essai, répéta-t-il plusieurs fois, nous n'avons qu'à céder la place à Louis XVIII.—Il ne prévoyait pas qu'avec les Bourbons eux-mêmes, appuyés sur cinq cent mille étrangers, la liberté renaîtrait pourvu qu'on rendît au pays le droit de voter les lois et les budgets dans une assemblée indépendante, fût-elle composée des plus violents royalistes!
Adresses des deux Chambres. Les deux Chambres, pendant ces trois derniers jours, avaient préparé leurs adresses. Dans la Chambre des représentants il s'éleva encore divers incidents qui révélaient toujours le désir de rester unis à l'Empereur, mais la crainte de paraître serviles. M. Félix Lepelletier, pour répondre à la motion relative au serment, proposa de déclarer Napoléon sauveur de la patrie. Aussitôt la profonde anxiété des visages fit voir qu'on tremblait d'être sur le chemin de l'adulation.—Qu'est-ce que vous déclarerez, s'écria un interrupteur, lorsque Napoléon l'aura sauvée?—Alors, sur d'adroites réflexions de quelques représentants dévoués au gouvernement, on écarta cette proposition inopportune. Du reste, le projet d'adresse était plein de la pensée du moment, c'est-à-dire union avec Napoléon, mais soin extrême à veiller sur les libertés publiques, et grande application à revoir les Constitutions impériales, à les raccorder avec l'Acte additionnel, qu'au fond on voulait refaire en entier. La Chambre des pairs elle-même, aussi peu expérimentée que celle des représentants, avait voulu obéir aux tendances du jour, en disant dans son adresse que si le succès répondait à la justice de notre cause, aux espérances qu'on était accoutumé à concevoir du génie de l'Empereur et de la bravoure de l'armée, la nation n'aurait plus à craindre que l'entraînement de la prospérité et les séductions de la victoire. Cette phrase avait inquiété le prince Cambacérès, qui avait demandé à la communiquer à Napoléon. Celui-ci l'avait vivement improuvée, et elle avait été ainsi modifiée: Si le succès répond à la justice de notre cause... la France n'en veut d'autre fruit que la paix. Nos institutions garantissent à l'Europe que jamais le gouvernement français ne peut être entraîné par les séductions de la victoire. Après une discussion assez vive, la nouvelle rédaction avait prévalu.
Ainsi, comme il arrive souvent, chacun oubliant son rang et son rôle, se faisait le flatteur de l'esprit dominant. Napoléon devait recevoir les deux Chambres avant de partir, et il résolut de leur adresser de sages conseils, ce que les circonstances autorisaient, et ce qui n'est point défendu à la couronne (surtout quand elle a raison) dans la monarchie la plus rigoureusement constitutionnelle. Napoléon reçut les Chambres le 11 juin. Après avoir écouté l'adresse des pairs, il leur fit la réponse suivante:
Réponse de Napoléon à ces adresses. «La lutte dans laquelle nous sommes engagés est sérieuse. L'entraînement de la prospérité n'est pas le danger qui nous menace aujourd'hui. C'est sous les Fourches Caudines que les étrangers veulent nous faire passer!
»La justice de notre cause, l'esprit public de la nation et le courage de l'armée sont de puissants motifs pour espérer des succès; mais si nous avions des revers, c'est alors surtout que j'aimerais à voir déployer toute l'énergie de ce grand peuple; c'est alors que je trouverais dans la Chambre des pairs des preuves d'attachement à la patrie et à moi.
»C'est dans les temps difficiles que les grandes nations, comme les grands hommes, déploient toute l'énergie de leur caractère, et deviennent un objet d'admiration pour la postérité...»
Napoléon dit à la Chambre des représentants, après avoir entendu la lecture de son adresse:
»Je retrouve avec satisfaction mes propres sentiments dans ceux que vous m'exprimez. Dans ces graves circonstances, ma pensée est absorbée par la guerre imminente au succès de laquelle sont attachés l'indépendance et l'honneur de la France.
»Je partirai cette nuit pour me mettre à la tête de l'armée; les mouvements des différents corps ennemis y rendent ma présence indispensable. Pendant mon absence, je verrais avec plaisir qu'une commission nommée par chaque Chambre méditât sur l'ensemble de nos institutions.
»La Constitution est notre point de ralliement; elle doit être notre étoile polaire dans ces moments d'orage. Toute discussion publique qui tendrait à diminuer directement ou indirectement la confiance qu'on doit avoir dans ses dispositions, serait un malheur pour l'État. Nous nous trouverions au milieu des écueils sans boussole et sans direction. La crise où nous sommes engagés est forte. N'imitons pas l'exemple du Bas-Empire, qui, pressé de tous côtés par les Barbares, se rendit la risée de la postérité, en s'occupant de discussions abstraites au moment où le bélier brisait les portes de la ville.................»
Ces belles et sévères paroles blessèrent ceux qui allaient bientôt les mériter, mais firent une profonde impression sur la majorité, tant elles étaient justes et frappantes. Il était bien vrai, du reste, que le danger à craindre n'était pas celui de la victoire! Il était bien vrai aussi qu'il fallait se défendre de rappeler les discussions des Grecs du Bas-Empire sous les coups du bélier de Mahomet! Les représentants, assistant en grand nombre à cette cérémonie, avaient commencé à applaudir, quand M. Lanjuinais leur interdit les applaudissements, sous le prétexte du respect dû à la couronne. Napoléon leur eût pardonné assurément un pareil manque de respect. La majorité fut mécontente de l'interdiction du président, car elle était dévouée à Napoléon, en qui elle voyait le défenseur de la Révolution et de la France. Chacun se retira exprimant des idées différentes, les amis de Napoléon criant contre le parti de l'étranger, ses ennemis au contraire prétendant qu'il fallait préparer un décret de l'assemblée pour empêcher qu'elle ne fût dissoute, car, disaient-ils, le premier acte de Napoléon victorieux serait de dissoudre les Chambres. Ils ne prenaient pas garde qu'un décret de l'assemblée pour prévenir l'usage du droit de dissolution, serait tout simplement une violation audacieuse de la Constitution. Quant à la majorité, croyant de bonne foi que ce serait une occupation patriotique et saine que de travailler à remanier nos lois, elle songeait à nommer une commission chargée de reviser et de fondre ensemble toutes les constitutions impériales.
Adieux de Napoléon à ses ministres et à sa famille. Napoléon, après s'être séparé des membres des deux Chambres dans cette même soirée du dimanche, acheva ses apprêts, adressa ses adieux à ses ministres, donna au maréchal Davout, nommé commandant en chef de Paris, ses dernières instructions pour la défense de la capitale, fit à Carnot, dont la sincérité l'avait touché, un adieu cordial, froid mais sans apparence d'humeur à M. Fouché, et passa les derniers instants avec sa famille et ses amis les plus intimes. En sentant l'heure des combats approcher, il était ranimé, car il retrouvait sous ses pieds le terrain où il avait toujours marché en maître. Il serra tendrement dans ses bras sa fille adoptive, la reine Hortense, et il dit à madame Bertrand, en lui donnant la main avant de monter en voiture: Il faut espérer, madame Bertrand, que nous n'aurons pas bientôt à regretter l'île d'Elbe.—Hélas, le moment approchait où il aurait tout à regretter, tout, même les plus mauvais jours! Son départ pour l'armée le 12 juin au matin. Il partit le lundi 12 juin, à trois heures et demie du matin.
Telle fut jusqu'à la période des événements militaires, laquelle fut si courte, comme on le verra bientôt, telle fut l'époque sombre et fatale dite des Cent Jours, époque qui après avoir débuté par un triomphe extraordinaire, se changea tout à coup en difficultés, en amertumes, en sombres pressentiments! L'explication de ce contraste est facile à donner: de Porto-Ferrajo à Paris, du 26 février au 20 mars, Napoléon fut en présence des fautes des Bourbons, et alors tout fut succès éblouissant pour lui, de Porto-Ferrajo à Cannes, de Cannes à Grenoble, de Grenoble à Lyon, de Lyon à Paris! Il semblait que la fortune elle-même, revenue à son favori, s'empressât de le seconder en mettant à sa disposition tantôt les vents dont sa flottille avait besoin, tantôt les hommes sur lesquels son ascendant devait être irrésistible. Mais à peine entré à Paris, il ne se trouva plus en présence des fautes des Bourbons, mais en présence des siennes, de celles qu'il avait accumulées pendant son premier règne, et alors tout son génie, tout son repentir même semblèrent impuissants! Le traité de Paris qu'il avait si obstinément refusé en 1814 jusqu'à lui préférer la perte du trône, il l'accepta sans hésiter, et demanda la paix à l'Europe avec une humilité qui du reste convenait à sa gloire.—Non, répondit l'Europe, vous offrez la paix, mais sans la vouloir sincèrement. Et elle repoussa le suppliant même jusqu'à fermer la frontière à ses courriers!—Napoléon s'adressa ensuite à la France, et lui offrit sincèrement la liberté, car si son caractère répugnait aux entraves, son génie comprenait qu'il n'était plus possible de gouverner sans la nation, et surtout qu'il ne lui restait qu'un parti, celui de la liberté. La France ne dit pas non comme l'Europe, mais elle parut douter, et pour la convaincre, Napoléon se vit obligé de convoquer immédiatement les Chambres, les Chambres pleines de partis agités, acharnés, implacables, lesquels pour tout appui contre l'Europe n'avaient à lui offrir que leurs divisions. Repoussé par l'Europe, accueilli par les doutes de la France dans un moment où il aurait eu besoin de tout son appui, Napoléon, après vingt jours de joie, tomba dans une sombre tristesse, qu'il ne secouait dans certains moments qu'en travaillant à tirer des débris de notre état militaire l'armée héroïque et malheureuse de Waterloo! Ainsi triomphant des fautes des Bourbons, succombant sous les siennes, il donna au monde après tant de spectacles si grandement instructifs, un dernier spectacle, plus profondément moral et plus profondément tragique que les précédents, le génie, vainement, quoique sincèrement repentant! Et, disons-le, au milieu de ces vicissitudes, de ces vingt jours de courte joie, de ces cent jours de tristesse mortelle, il y eut un acteur de ces grandes scènes qui n'eut pas un jour de contentement, pas un seul, ce fut la France! la France victime infortunée des fautes des Bourbons comme de celles de Napoléon, victime pour les avoir laissé commettre, ce qui fut à elle sa faute et sa punition! Triste siècle que le nôtre, du moins pour ceux qui en ont vu la première moitié! Fasse le Ciel que la génération qui nous suit, et qui est appelée à en remplir la seconde moitié, voie des jours meilleurs! Mais qu'elle veuille bien nous en croire, c'est en profitant des leçons dont ce demi-siècle abonde, et que cette histoire s'attache à mettre en lumière, qu'elle pourra obtenir ces jours meilleurs, et surtout les mériter!
FIN DU LIVRE CINQUANTE-NEUVIÈME ET DU TOME DIX-NEUVIÈME.