Jusqu'à la fin du monde
LA POSTÉRITÉ DE NICODÈME
Il y avait, parmi les pharisiens, un homme appelé Nicodème, un des principaux d’entre les Juifs. Il vint de nuit trouver Jésus et lui dit : « Rabbi, nous savons que c’est de la part de Dieu que vous êtes venu comme maître car nul ne peut faire les miracles que vous faites si Dieu n’est avec lui. » Jésus lui répondit « En vérité, je te le dis, nul, s’il ne naît de nouveau, ne peut voir le royaume de Dieu… Parce que la lumière est venue dans le monde et que les hommes ont mieux aimé les ténèbres que la lumière, parce que leurs œuvres étaient mauvaises, telle est la cause de leur condamnation (Saint Jean, III).
Le Sanhédrin s’étant réuni pour délibérer sur l’arrestation de Jésus, Nicodème, celui-là même qui était venu à Jésus la nuit, demanda : « Est-il permis de condamner un homme avant de l’avoir entendu et de connaître ce qu’il a fait ? » Les Pharisiens répondirent : « Es-tu donc Galiléen, toi aussi ? » Et ils s’en retournèrent chacun dans sa maison (Saint Jean, VII).
Après que Jésus fut mort sur la Croix, Joseph d’Arimathie, qui était disciple de Jésus, mais en secret, pria Pilate de lui permettre d’enlever le corps de Jésus. Et Pilate le permit. Il vint donc et prit le corps. Nicodème, celui qui naguère était allé trouver Jésus la nuit, vint aussi, apportant un mélange de myrrhe et d’aloès. Ils prirent donc le corps et l’enveloppèrent dans des linges avec des parfums, selon la manière d’ensevelir des juifs (Saint Jean, XIX.)
Bien qu’il crût à la divinité de Jésus-Christ, Nicodème s’appliquait à dissimuler sa foi. Il donnait volontiers pour prétexte à sa prudence que, dans le milieu où son origine pharisienne l’obligeait de vivre, on haïssait les adeptes de la Bonne Nouvelle et qu’on regardait celle-ci comme une superstition des plus virulentes. De même, en public, afin, disait-il, de ne pas attirer la persécution sur les chrétiens, il feignait d’ignorer le Maître ou lorsqu’on en parlait devant lui, de ne le connaître que de réputation.
Sa timidité allait si loin qu’il revêtait un déguisement et choisissait toujours les heures nocturnes pour ses entretiens avec le Sauveur. Ce n’est donc pas sans raison que saint Jean insiste sur son goût du secret et de l’ombre.
Quand Jésus l’avertissait que cette crainte extrême de la lumière le mettait en péril de se perdre dans l’obscurité irrémissible où veille le Père du péché, il faisait semblant de ne pas comprendre. Mais, à part soi, il persistait à penser que le Maître avait tort de répandre sa doctrine au grand soleil et, pris de panique à la réflexion qu’il pourrait être soupçonné de connivence, il se promettait d’interrompre ses visites. Il les suspendait, en effet, pendant quelques mois, puis il revenait, quelque chose de plus fort que sa peur de se compromettre l’y poussant.
A cette première réunion du Sanhédrin où l’on envisagea l’opportunité de sévir contre Jésus, Nicodème se garda bien de plaider la cause du perturbateur que ses collègues accusaient de violer les lois d’Israël. Tout au plus balbutia-t-il qu’on devait observer à son égard les règles juridiques, et, si l’on estimait à propos de mettre la main sur lui, ne pas le condamner sans enquête. Sur quoi les autres Pharisiens froncèrent les sourcils ; les plus ombrageux lui rappelèrent qu’en dépit de ses déclarations officielles, il était suspect de christianisme. Aussitôt, tout effaré de son audace, il devint muet. La séance levée, il se hâta de regagner son domicile dont il verrouilla soigneusement les portes. Plus tard, lorsque Jésus fut traîné devant Caïphe et Pilate, il fut le témoin inerte de l’iniquité dont son Maître était la victime. En lui-même, il frémissait d’indignation mais pour rien au monde, il ne serait intervenu.
Quand tout fut consommé, Joseph d’Arimathie se rendit chez Pilate pour réclamer le corps de Jésus. Il aurait souhaité que Nicodème l’accompagnât ; mais le sachant incapable de surmonter ses paniques il ne prit même pas la peine de le lui proposer. Nicodème se félicita d’être laissé à l’écart.
Néanmoins, dès qu’on commença d’ensevelir la sainte dépouille, il fondit en larmes, car, à travers les dérobades où le poussait sa nature pusillanime, il aimait Jésus et maintenant il se reprochait de ne pas l’avoir écouté comme il l’aurait fallu. Son chagrin et ses regrets lui donnèrent le courage d’apporter du linge fin et des aromates précieux pour honorer Celui qu’il connaissait pour l’incarnation de la Vérité unique. — Il est vrai qu’en même temps il ne pouvait s’empêcher de se dire avec une sorte de satisfaction trouble : — Après un exemple aussi terrible, les disciples, à coup sûr, s’abstiendront de manifestations bruyantes. Eux et moi, nous servirons la mémoire de Jésus à la sourdine et avant tout nous éviterons de froisser les Pharisiens en affichant notre croyance. On va être enfin un peu tranquille…
Une tradition, fort admissible, veut qu’il éprouvât une vive contrariété quand il entendit les Apôtres proclamer, selon le Saint Esprit et sans aucune retenue, leur foi au centre de tous les carrefours et sur le parvis même du Temple.
— Hélas ! les excès de zèle commencent, s’écria-t-il. Et il prédit que cela finirait mal.
Quand les Juifs lapidèrent Saint Étienne, amèrement il triompha : — Voilà ce qu’on gagne à braver l’opinion !…
A son lit de mort, il légua une grande partie de son bien à l’assemblée des fidèles mais il recommanda de ne pas donner de publicité au testament, car il tenait à ménager les préventions des Pharisiens.
Tel fut Nicodème. Ajoutons qu’il engendra une nombreuse postérité qui florit surtout à notre époque. Ce fait lui donne tous les droits au titre de patron des catholiques libéraux.
Parmi les libéraux, on compte beaucoup d’hommes qui, dans le privé, témoignent d’une piété sincère et d’un attachement réel à l’Église. Malheureusement, dans la vie publique, malgré leurs bonnes intentions, ils la desservent, s’imaginant la servir.
D’où vient cette étrange déviation ? De ceci qu’ils s’efforcent de marier des contradictoires. Tels qui n’entreprennent nulle démarche avant d’avoir prié et de s’être approchés des Sacrements, se conduisent ensuite comme si la foi catholique n’était qu’une formule impropre à régir leurs actes. Ainsi que l’a dit un très bon prêtre : « Les libéraux cherchent un compromis entre des principes irréductibles ; ils semblent admettre le déterminisme universel et croire, en même temps, à l’activité libre de Dieu et au libre-arbitre de l’homme, proclamer que l’humanité se suffit à elle-même et garder la croyance en la Providence et en la Grâce, ne pas nier, en théorie, que Dieu existe mais, pratiquement, se passer de lui. »
En corollaire de ce résumé fort exact des tendances du libéralisme, j’essaierai d’apporter des exemples à l’appui. Certes, ce n’est pas une tâche agréable. Combien je préférerais me trouver d’accord sur tous les points avec des frères en Jésus-Christ ! La chose n’est pas possible parce que, de propos délibéré, ils refusent, avec colère ou dédain, d’entendre ceux qui ne partagent pas leurs illusions. Comme bien d’autres — qui valent mieux que moi — je m’efforce, depuis vingt ans, de leur souligner l’erreur qui leur fausse le jugement. J’ai tiré mes arguments d’une expérience qu’ils ne peuvent me contester puisque je l’ai acquise chez les ennemis de Dieu. Je n’ai rien obtenu. Non seulement, je n’ai pas réussi à les convaincre, mais ils m’ont fait sentir leur mauvaise humeur. Je suis donc forcé de m’adresser à d’autres — aux âmes sans parti-pris, mais parfois mal informées, qui s’étonnent et s’affligent de constater que toutes les entreprises des libéraux pour adapter le catholicisme à l’état social où nous sommes condamnés à vivre échouent l’une après l’autre. Ce faisant ai-je besoin d’ajouter que je ne suis mû par aucune ambition d’ici-bas ? Je ne me plais que dans ma solitude, je ne veux rien être et mon seul objectif, c’est de vouer le peu de forces qui me restent à reconnaître les bienfaits dont Dieu daigna combler — si gratuitement — l’ouvrier de la dernière heure en défendant pour ma petite part la Sainte Église des périls que lui fait encourir l’aveuglement des libéraux. Par là, j’espère me montrer digne de me tenir aux pieds de Jésus en croix ; quand on a choisi le Calvaire pour résidence, on voit plus loin que si l’on s’attarde dans les ruelles tortueuses ou piétinent les politiques. Et, au surplus, le sujet que je traite ici surpasse toute politique de parti.
La caractéristique principale des libéraux c’est qu’ils semblent oublier sans cesse que leur privilège de catholiques c’est-à-dire d’hommes à qui Dieu octroya l’énorme bienfait de posséder la Vérité, implique des devoirs impérieux. On dirait que ces obligations les gênent. On dirait aussi qu’ils rougissent d’attester leur foi devant l’incrédulité régnante. C’est pourquoi ils usent de l’équivoque comme d’un expédient pour se persuader que « servir deux maîtres » ne constitue pas une faute grave envers Notre-Seigneur. Plutôt que de l’avouer ils subtilisent afin de justifier leurs avances aux ennemis de Dieu. Ils marivaudent avec eux sous prétexte de « moindre mal », comme s’il y avait des degrés dans le fait de nier la Révélation. Bref, ils donnent dans tous les pièges que dispose à leur intention l’athéisme au pouvoir tant ils ont hâte de se conformer le plus qu’ils peuvent à ses mœurs et pratiques. Il leur arrive pourtant d’éprouver, de loin, en loin, quelques scrupules. Mais bientôt ils se rassurent en se répétant qu’ils fortifient l’Église parce qu’ils laissent de côté les principes sur lesquels Dieu la fonda. Cette illusion les enveloppe de mirages à ce point qu’ils deviennent les amants passionnés de la chimère et qu’ils méritent qu’on leur applique la sentence de Bossuet : « C’est un grand dérèglement de l’esprit que de voir les choses comme on désire qu’elles soient et non comme elles sont réellement. »
On compte plusieurs catégories de libéraux. Nous allons en examiner quelques-unes sans oublier que — sauf peut-être celle des gens de finance — elles englobent beaucoup d’âmes de bonne foi dans leur aberration.
Voici les optimistes. Ceux-ci estiment que les catholiques auraient tort de dépenser du zèle pour maintenir la doctrine intégrale de l’Église. Le présent leur apparaît passable et l’avenir serein. Volontiers, ils s’écrieraient avec Pangloss : « Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possible ». Un des propagateurs de cette manière de penser écrivait, l’an dernier, à la première page du premier numéro d’un hebdomadaire libéral : « Il n’y a pas lieu de s’inquiéter outre mesure ni de maudire trop fort le temps présent. Bien des choses y vont mal mais tout s’arrangera puisque Dieu nous l’a promis. » Un catholique optimiste ne croit point que tout soit arrivé, il croit d’un cœur joyeux que quelque chose arrivera, quelque chose d’infiniment consolant : le Règne de notre Père. J’ai compté, mais ne me souviens plus combien de fois le Sauveur nous répète en son Évangile : Nolite timere, non turbetur cor vestrum. Cela veut dire dans l’araméen de Montmartre : « Ne vous en faites pas. Tout ira bien. »
N’est-il pas navrant de voir interpréter avec tant de nonchalance et de légèreté les enseignements du Verbe incarné ?
Lorsque Notre-Seigneur recommande à ses disciples de ne pas craindre les impies et de ne pas se troubler au cours des persécutions, ce n’est pas du tout pour les inviter à l’optimisme, mais pour qu’ils se préparent, les yeux fixés sur Lui seul, aux souffrances et aux sévices qu’attirera sur eux l’amour qu’ils lui portent.
Il paraît que le rédacteur des espiègleries ci-dessus est aussi calé en grec qu’en argot Montmartois. Mais on doit conclure de ses propos qu’il est infiniment moins versé dans la connaissance de l’Évangile.
En outre on peut lui certifier que beaucoup de catholiques, prenant la Sainte-Écriture au sérieux, voyant ce qui se passe, prévoyant ce qui va venir, n’éprouvent pas du tout le besoin de prendre, à son exemple, un air guilleret et de s’exclamer en se frottant les mains : — Allons, allons, pas de bile ! Nous avons lieu de nous réjouir et même de danser la carmagnole en prêchant l’insouciance. Évidemment il arrive des aventures fâcheuses à l’Église mais ne nous en occupons pas : Dieu aplanira tout un jour ou l’autre…
Or pour que le règne du Père arrive, il ne suffit pas de concéder que « bien des choses vont mal », puis de faire une pirouette et de se réfugier ensuite dans un optimisme béat en laissant à qui voudra le soin de lutter pour l’Église.
Certes nous savons que Dieu la protège constamment. Mais nous savons aussi que, pour sa défense, il exige notre collaboration perpétuelle. Nous dérober, c’est nous conduire en fatalistes. Dans ce cas nous nous rendons indignes d’obtenir qu’Il écarte de nous la tentation et qu’Il nous délivre du mal, car : La foi qui n’agit pas, est-ce une foi sincère ?…
Voici maintenant les hybrides. — En zoologie, on appelle ainsi les animaux qui proviennent de deux espèces différentes. Exemple : les mulets. Les hybrides sont, en général, inféconds. On peut appliquer la même définition aux libéraux issus d’une tentative de compromis entre les dogmes de l’Église et les faux dogmes de la Révolution. Leur politique s’avère stérile en bons résultats. Et le pire, c’est que la plus décevante des tactiques les porte à subordonner fréquemment les droits de Dieu aux prétendus droits de l’homme. Ils espèrent par là désarmer les tenants de la Révolution ou, tout au moins, atténuer les effets de leur manie anti-religieuse. Or, l’histoire contemporaine démontre non-seulement qu’ils s’abusent mais qu’ils nuisent à la cause sacrée dont ils se figurent sauvegarder le plus essentiel.
Vers le milieu du XIXe siècle, ils déploraient comme inopportune la promulgation des dogmes de l’Immaculée-Conception et de l’infaillibilité pontificale. Afin d’apaiser l’ennemi en fureur, ils s’appliquaient à fausser, par des commentaires lénifiants, la signification de cet admirable catalogue des erreurs nées de la soi-disant Réforme et de la Révolution : le Syllabus. Au temps de la Séparation, ils se renfrognaient parce que Pie X, Saint d’une sublime clairvoyance, refusait de pousser l’Église de France dans ce traquenard à ressorts juifs et huguenots : les Cultuelles. Depuis, ils s’arrachent les cheveux chaque fois que les catholiques militants opposent une résistance aussi franche qu’efficace aux assauts de l’impiété : par des voies plus ou moins obliques ils s’efforcent d’entraver leur action. Enfin ce sentiment fâcheux que Louis Veuillot nommait « leur manque d’horreur pour l’hérésie » les incline à considérer d’un œil plutôt amical les intrigues du modernisme.
Tant de concessions à l’adversaire, tant de capitulations sans combat ont-elle amené la paix honteuse qui leur permettrait d’engourdir l’Église comme une marmotte hivernant au fond de son terrier ?
Pas du tout. L’irréligion, encouragée par leur veulerie, n’a pas déposé les armes un seul instant. Tandis qu’ils multipliaient les courbettes, Gambetta lançait le cri célèbre : « Le cléricalisme voilà l’ennemi ! » Et par cléricalisme, l’évènement l’a prouvé, il entendait le catholicisme. Ferry fit voter la loi laïque sur l’enseignement et supprimer la lettre d’obédience qui, délivrée par les Évêques aux Religieux, permettait à ceux-ci d’ouvrir des écoles. Waldeck-Rousseau fit voter la loi sur les Associations de laquelle Combes se servit pour dissoudre et proscrire les Congrégations. Poincaré déclarait naguère aux libéraux qui, en retour de leur appui, lui demandaient quelques vagues garanties : « Nous sommes séparés par toute l’étendue de la question religieuse » et, après avoir promis d’autoriser la rentrée en France des noviciats de Missionnaires, s’esquivait sans avoir tenu parole. Et afin de mettre dans tout son jour le triomphe de l’athéisme officiel, Viviani, applaudi avec enthousiasme par la Libre-Pensée et les Loges, proclamait : « Nous avons éteint les étoiles du Ciel ! » Par la suite, il avouait que la prétendue neutralité scolaire n’était qu’un leurre. « Elle fut, dit-il à la tribune de la Chambre, un mensonge nécessaire lorsqu’on forgeait la loi scolaire. On promit cette chimère de la neutralité pour rassurer quelques timides dont la coalition eût fait obstacle au principe de la loi. Mais Jules Ferry avait l’esprit trop net pour croire à la durée de cet expédient. Ce ne fut qu’un prétexte…[3] »
[3] Ce Viviani, qui se glorifiait d’avoir aboli les lumières du Ciel, Dieu l’a jeté dans « les ténèbres extérieures ». Il est devenu fou et l’on a dû l’enfermer. Puis il est mort sans avoir recouvré la raison.
Ces leçons réitérées — et bien d’autres — ont-elles corrigé les libéraux ? — Nullement. Ils s’opiniâtrent dans leur aberration. Plus encore, ils n’arrêtent pas de considérer comme de futurs sauveurs de l’Église les politiciens athées qui feignent, pour de louches combinaisons, d’accepter parfois leur alliance mais qui ne négligent aucune occasion d’affirmer qu’ils ne leur feront jamais la moindre concession.
Qu’on se souvienne : il y a peu, les libéraux flagornaient Briand, aventurier suspect, apte aux roueries du parlementarisme, mais sectaire obtus quant aux choses religieuses. C’est lui qui, dans le temps même où les libéraux tendaient vers son ricanement des mains implorantes, disait dans un discours fameux contre l’Église : « L’homme vrai, le citoyen de la vraie démocratie, celui dont le cerveau n’est pas obstrué par la préoccupation du mystère et du dogme — cet homme, la divinité est en lui. »
Aujourd’hui, les libéraux balancent des encensoirs sous le nez de Millerand qui s’est enrichi par le pillage des congrégations et qui se gardera bien de restituer.
Mais les hybrides ont commis d’autres incartades particulièrement graves : nous le verrons plus loin…
Voici maintenant les Anarchistes inconscients. — A l’extrême-gauche du libéralisme, on découvre M. Marc Sangnier et le petit clan, étiqueté démocrate, qui se groupa autour de lui après que le Sillonisme eut été condamné. Rappelons d’abord que lorsque Pie X prononça cette condamnation (par sa Lettre à l’épiscopat français datée du 25 Août 1910) M. Sangnier déclara immédiatement qu’il se soumettait. Nous allons voir la façon dont il a compris la discipline et l’obéissance à la volonté du Saint Père. Mais, avant tout, il n’est pas sans intérêt de citer deux passages des plus décisifs de la Lettre :
Notre charge apostolique, nous fait un devoir de veiller à la pureté de la foi et à l’intégrité de la discipline catholique, de préserver les fidèles des dangers de l’erreur et du mal, surtout quand l’erreur et le mal leur sont présentés dans un langage entraînant qui, voilant le vague des idées et l’équivoque des expressions sous l’ardeur du sentiment et la sonorité des mots, peut enflammer les cœurs pour des causes séduisantes mais funestes. Telles ont été naguère les doctrines des prétendus philosophes du XVIIIe siècle et du libéralisme tant de fois condamnées. Telles sont encore aujourd’hui les théories du Sillon…
Le catholicisme du Sillon ne s’accommode que de la forme du gouvernement démocratique qu’il estime être la plus favorable à l’Église et se confondre, pour ainsi dire, avec Elle : il inféode donc sa religion à un parti politique. Nous n’avons pas à démontrer que l’avènement de la démocratie universelle n’importe pas à l’action de l’Église dans le monde. Nous avons déjà répété que l’Église a toujours laissé aux nations le souci de se donner le gouvernement qu’elles estiment le plus avantageux pour leurs intérêts. Ce que nous voulons affirmer, encore une fois, c’est qu’il y a erreur et danger à inféoder, par principe, le catholicisme à une forme de gouvernement, erreur et danger qui sont d’autant plus grands LORSQU’ON SYNTHÉTISE LA RELIGION AVEC UN GENRE DE DÉMOCRATIE DONT LES DOCTRINES SONT ERRONÉES. Or c’est le cas du Sillon, lequel, par le fait et pour une forme politique spéciale, en compromettant l’Église, divise les catholiques, arrache la jeunesse et même les prêtres et des séminaristes à l’action simplement catholique et dépense en pure perte les forces vives d’une partie de la nation…
Ce genre de démocratie dont les doctrines sont erronées, c’est le socialisme qui, on le sait, se réclame du matérialisme absolu et qui qualifie la religion « un opium pour le peuple ». M. Sangnier ne peut l’ignorer et pourtant, dans ses discours et dans ses écrits, il ne cesse d’exalter les théories socialistes comme les plus propres à instaurer un ordre de choses où tous les hommes seraient libres, égaux et comblés de félicités temporelles. A cet effet, il déforme les enseignements de l’Évangile. Sentimental anarchisant, il y procède de telle sorte que, lors de son passage à la Chambre, il recueillit les applaudissements des communistes inspirés par Moscou.
Est-ce là de la soumission ?
Mais il ne se borne pas à cette dangereuse inconséquence. Quand on lui oppose la Lettre où sa chimère est formellement condamnée il insinue — et ses lieutenants avec lui — que c’est un document suranné dont il n’y a plus à tenir compte. Ainsi que le fait remarquer M. Dublaix dans la brochure où il signale la survivance du Sillon : « A leurs jeunes recrues, ils s’efforcent de cacher sinon l’existence — ce serait difficile — du moins le texte de la lettre de Pie X. Ils leur racontent qu’il y a quelques années, ce Pape, circonvenu par les royalistes, et abusé par de faux rapports, a lancé contre le Sillon et ses doctrines une lettre de condamnation. Mais ce document pontifical est rempli d’erreurs. Le Pape s’est trompé sur toute la ligne. Ses décisions ne sauraient donc, en conscience, obliger les catholiques. Enfin, depuis sa mort, l’encyclique a perdu toute espèce de valeur. Il est, par suite, inutile de s’en préoccuper. »
Si M. Sangnier est de bonne foi lorsqu’il répand des assertions de ce calibre parmi ses néophytes, je crois pouvoir l’avertir qu’il se trompe. En décembre 1911, j’étais allé donner une conférence à Chambéry où j’eus l’honneur d’être reçu par le cardinal Dubillard, théologien émérite lequel fut chargé par Pie X d’enquêter sur le Sillon et de préparer les éléments de la Lettre où le Sillonisme fut réprouvé comme contraire à l’orthodoxie. Le cardinal voulut bien m’analyser longuement et lucidement les doctrines du Sillon et me faire toucher du doigt les germes d’anarchie qu’elles contenaient. C’est la plus belle leçon de théologie que j’aie jamais eu le plaisir d’entendre.
Eh bien, je puis certifier à M. Sangnier que cet exposé magistral ne toucha pas un seul instant à la politique : il s’agissait de l’ordre social tel que l’Église n’a cessé de le définir à travers les variations de la faiblesse humaine. Et, comme je remémorais au prélat que M. Sangnier attribuait sa condamnation aux intrigues des royalistes, il haussa les épaules et me répondit : — Ce malheureux garçon a oublié jusqu’aux rudiments de la religion. Mais voilà : on se considère comme l’interprète le plus éclairé, le plus avancé, le plus magnanime de la foi catholique, on a de l’orgueil et l’on veut avoir raison même contre le Pape infaillible.
Je n’ajouterai rien à ce jugement auquel souscrivent tous les fidèles, c’est-à-dire tous ceux qui ne substituent pas leur sens propre aux décisions du Souverain Pontife…
Voici les Courtisans de la Finance. — Il y en a parmi les catholiques et il y en a même beaucoup trop. Ceux-là se sont aperçu que la démocratie actuelle n’est qu’un masque pour la ploutocratie, c’est-à-dire que c’est la Banque internationale qui régit notre globe par le moyen de ses domestiques : la plupart des parlementaires de tout poil. Ces simulacres de chrétiens désirent avec ardeur mériter la bienveillance des Maîtres de l’Or qui craignent que l’Église n’affaiblisse leur domination sur les âmes en désarroi d’un très grand nombre de nos contemporains. Afin de les rassurer maints courtisans de la finance professent le libéralisme, cette commode doctrine leur fournissant des sophismes pour inviter l’Église à se calfeutrer dans ses sanctuaires et à se désintéresser de la vie sociale. Ou s’ils se résignent à lui permettre d’en sortir et à lui concéder quelque influence, c’est dans l’espoir de réduire le clergé au rôle d’une gendarmerie morale qui monterait la garde devant leurs coffres-forts.
Les libéraux épris de la Banque sont des gens tout à fait — positifs. Aussi lorsqu’ils vont en pélerinage à l’étable de Bethléem, ils offrent volontiers de la myrrhe à l’Enfant-Jésus, car cet aromate symbolise la souffrance. Ils considèrent, en effet, que leurs richesses leur donnent le droit de souffrir le moins possible et de laisser le fardeau de la croix peser uniquement sur les épaules du Rédempteur.
Ils lui offrent aussi une sorte d’encens frelaté : ce sont leurs prières qui ne portent que sur ce point obtenir de Celui qui n’eut même pas un toit où abriter son dénuement qu’Il veille sur leur fortune — quelle qu’en soit l’origine et qu’Il accroisse leurs revenus — quelle qu’en soit la source. Quant à l’or, symbole de l’amour de Dieu selon la théologie mystique, la part qu’ils en détiennent n’a rien de commun avec les dons des Rois-Mages, elle est la représentation du métal dont le Démon leur blinda le cœur. Il ne saurait donc leur venir à l’esprit de l’offrir à l’Enfant-Jésus, d’autant que les mots amour de Dieu sont pour eux complètement dénués de sens. Tout au plus, s’ils l’osaient, ils proposeraient à Marie et à Joseph des papiers fallacieux, par exemple, les actions d’entreprises tombées en déconfiture et dont ils ont extrait naguère tout le suc à la Bourse. Ils ne doutent pas que cette oblation leur vaudrait l’appui de la Mère Immaculée et du Père nourricier auprès d’une Providence qu’ils se figurent déjà très bien disposée à leur égard. Toutefois, comme la Sainte-Famille ne possède pas d’économies, ils s’abstiennent en regrettant qu’elle n’ait pas prévu les merveilles de l’agiotage.
La seule parole de Notre-Seigneur qu’ils aient retenue est celle-ci : Il y aura toujours des pauvres parmi vous. Ils la citent avec empressement chaque fois qu’on montre la difformité des Institutions dont ils bénéficient depuis 1789. N’ayant pas compris que ce texte fustige leur dureté, leur avarice, leur égoïsme, ils s’en autorisent pour excuser la répulsion haineuse que leur inspirent et les indigents et les prolétaires écrasés sous le despotisme de la Banque. Ils baptisent Progrès et Civilisation ce règne de la barbarie financière. Quand un débordement de ces marais bourbeux, le socialisme et le bolchevisme, menace leurs domaines, ils refusent rageusement d’avouer que ce fléau soit le résultat inéluctable d’un état social dont ils furent les créateurs.
Ainsi que les autres libéraux, ce n’est pas à Dieu qu’ils s’adressent pour trouver un remède aux maux qui éprouvent l’Église. Ils préfèrent solliciter des tripoteurs de la politique dont l’infamie est notoire. De nos jours, nous les voyons se traîner aux pieds de Caillaux, couvert du sang d’un patriote tué par sa femme, condamné par ses anciens complices pour entente trop formelle avec l’agresseur d’Outre-Rhin, amnistié depuis mais non réhabilité au regard des âmes honnêtes. Cet assassin par procuration, ce traître, ce jongleur favori de la Banque, il est leur grand homme, le génie dont ils attendent la sauvegarde de leur pécune. Ils le regardent avec idolâtrie. Peu s’en faut qu’ils n’allument des cierges devant ses portraits…
Quand la persécution viendra — et sans doute elle viendra bientôt et elle sera terrible car tout indique que la patience de Dieu est à bout — les courtisans de la Finance se hâteront d’apostasier. Ce ne sera d’ailleurs pas une cause de tristesse : la persécution purifie l’Église. Celle qui approche la délivrera des esclaves de l’Or immonde et lui donnera les Saints dont elle a le plus urgent besoin !
En démocratie parlementaire, c’est-à-dire sous le régime du bavardage dans le vide, les libéraux, qui prisent fort cette intempérance du gosier, souffrent de ne pas s’y livrer autant qu’ils le souhaitent. Désolés de ne pas réussir malgré toutes leurs avances à conclure une paix durable avec les ennemis irréductibles de l’Église, n’obtenant que des armistices précaires où ils tiennent l’emploi de dupes plus ou moins bénévoles, ils ont tenté récemment un suprême effort pour déchirer la Tunique sans couture. Ils ont imaginé d’accepter les lois laïques. Certains politiciens athées, de la nuance dite conservatrice, exigeaient cette trahison pour leur concéder une toute petite place autour de l’assiette au beurre. Le pacte fut conclu sans hésitation et il s’ensuivit que quelques libéraux, choisis parmi les plus souples, réussirent à se glisser dans les rangs des élus qui, à la Chambre ou au Sénat, jacassent sous le joug de la Banque omnipotente.
Résultat pour le bien de l’Église — néant.
Il ne pouvait en aller autrement. D’abord ces déserteurs ne peuvent acquérir aucune influence. La soi-disant Libre-Pensée ne croit pas à leur sincérité. Pour la satisfaire pleinement, il faudrait qu’ils cessent de manifester leur croyance et, par exemple, d’entendre la Messe. Il faudrait que lorsqu’on outrage Dieu devant eux, ils approuvent avec chaleur. Comme ils n’en sont pas encore tout à fait là, leur soumission partielle ne leur vaut que des rebuffades et des réprimandes. La chose se conçoit facilement : les héritiers de la Révolution soupçonnent et soupçonneront toujours de duplicité ceux qui, quémandant leur alliance, n’acceptent pas tous les articles de leur Credo dont les principaux sont la négation de l’existence de Dieu et la réprobation de la foi catholique. On ne saurait leur reprocher cette méfiance ; ils sont dans la logique de l’esprit sectaire qui les inspire.
Les libéraux devraient avoir appris qu’on ne gagne rien à ménager toutes les chèvres et tous les choux et qu’on ne fonde rien de solide sur l’équivoque. Mais ces hongres par persuasion semblent trop amollis pour réagir. Ils se rendent compte que s’ils protestaient à la tribune contre quelque application par trop odieuse des lois laïques, on leur rappellerait aussitôt que, sur l’autel du Manitou qui a nom Suffrage universel, ils ont adhéré à un principe dont ils rejettent maintenant les conséquences. Ils n’ont donc d’autre ressource que de se confiner un silence craintif ou, tout au plus, de s’abstenir de voter les mesures de persécution qu’ils contribuent à préparer.
Est-ce pour une neutralité de ce genre que les catholiques illusionnés dont ils faussèrent l’entendement par d’insidieuses promesses leur ont donné mandat de les représenter ?
Se taire, se composer une attitude passive quand on attaque l’Église, est-ce un moindre mal que de la défendre vigoureusement et sans nulle réticence chaque fois que l’adversaire revient à l’assaut ?…
Pour ceux d’entre les catholiques qui oublient trop facilement les exigences salutaires de leur foi, précisons ce que signifie le fait d’accepter les lois laïques.
1o C’est, contrairement à la doctrine immuable de l’Église, contrairement à un précepte formel de l’Évangile, reconnaître à l’État le droit de désunir, par le divorce, les couples unis par Dieu.
2o C’est reconnaître à l’État le droit de dissoudre et d’expulser, de spolier les Congrégations, c’est-à-dire des communautés d’hommes et de femmes réunis pour suivre une règle qui ne trouble en rien l’ordre social et pour prier en commun.
3o C’est reconnaître à l’État le droit d’imposer aux enfants une instruction et une éducation athées dans ses écoles.
Vraiment, on se demande si l’on rêve lorsqu’on voit des gens qui se croient bons catholiques assumer une pareille responsabilité devant Dieu, sous prétexte d’éviter un plus grand mal ! Comme si le pire des maux n’était pas d’ouvrir la brèche par où la horde en révolte contre la loi divine investirait le Temple et en souillerait le Parvis.
Tout de même, une multitude de fidèles n’admettent pas cette tactique aberrante d’où ne résulterait que le déshonneur de l’Église. Ils ont interrogé leur conscience et elle leur a dit que les pauvres ruses — d’ailleurs éventées par l’ennemi — où s’égare le libéralisme n’étaient pas de nature à nous attirer les bénédictions de la Providence. Pleins de tristesse et d’anxiété, ils se sont alors tourné vers les chefs de la hiérarchie catholique et ils leur ont demandé ce qu’il fallait faire.
La réponse est venue.
Le 10 Mars 1925, une assemblée des Cardinaux et Archevêques de France a formulé une déclaration dont voici les passages essentiels :
1o Les lois de laïcité sont injustes d’abord parce qu’elles sont contraires aux droits formels de Dieu. Elles procèdent de l’athéisme et y conduisent dans l’ordre individuel, familial, social, politique, national, international. Elles supposent la méconnaissance totale de Notre-Seigneur Jésus-Christ et de son Évangile. Elles tendent à substituer au vrai Dieu des idoles (la liberté, la solidarité, l’humanité, la science, etc.) ; à déchristianiser toutes les vies et toutes les institutions. Ceux qui en ont inauguré le règne, ceux qui l’ont affermi, étendu, imposé, n’ont pas eu d’autre but. De ce fait, elles sont l’Œuvre de l’impiété, qui est l’expression de la plus coupable des injustices, comme la religion catholique est l’expression de la plus haute justice.
Exposant ensuite la tactique de compromission adoptée par les libéraux, la déclaration ajoute :
Cette tactique laisse les lois debout. A supposer qu’un ministère ou plusieurs ministères n’en usent qu’avec bienveillance, ou même cessent d’en user contre les catholiques, il dépendra d’un nouveau gouvernement de les tirer de l’oubli, de leur rendre leur vigueur et leur efficacité. Danger qui n’est pas imaginaire, car de notre temps le pouvoir passe continuellement d’un parti relativement tolérant à un parti extrême. Il suffit que le premier se soit montré un peu conciliant pour que le second, par réaction, ne garde, à notre endroit, aucun ménagement. Depuis des années, nous assistons à ce flux et à ce reflux de la persécution religieuse qui, au fond, s’est toujours aggravée. Elle habitue les esprits, fussent-ils sincèrement catholiques, à regarder comme justes, comme compatibles avec la religion les lois de laïcité ; elle favorise ces hommes qui, oscillant perpétuellement entre le laïcisme et le catholicisme, sont prêts à toutes les concessions pour gagner des voix à droite et à gauche, pour entrer dans un ministère, et n’essayant que d’atténuer quelques effets du laïcisme, en laissent subsister le principe, et en pratique lui sacrifient à peu près complètement le catholicisme. On dira qu’une attitude de conciliation nous a valu quelques faveurs particulières. Petits avantages quand on songe à l’immense courant d’erreur et de mal qui envahit les âmes et les entraîne à l’apostasie ! Petits avantages qui nous enchaînent et nous empêchent de réagir contre nos adversaires !
2o Les plus malfaisantes de ces lois continuent à agir, quelles que soient les intentions des ministères successifs. Au moment des accalmies apparentes, nous avons eu trop de confiance, les écoles athées fonctionnaient sans arrêt ; on préparait les dossiers contre les Ordres religieux, et l’attribution des biens ecclésiastiques se poursuivait sournoisement et sûrement.
3o Cette politique encourage nos adversaires qui, comptant sur notre résignation et notre passivité, se livrent chaque jour à de nouveaux attentats contre l’Église. En somme, les lois de laïcité se sont multipliées au point de réduire chaque jour davantage la reconnaissance du domaine divin sur nous et le champ de nos droits et de nos libertés. Ces pensées frapperont singulièrement quiconque se rappellera la série des lois dont nous sommes les victimes, quiconque invoquera le témoignage de l’histoire pendant le dernier demi-siècle.
C’est pourquoi la majorité des catholiques vraiment attachés à leur foi demande qu’on adopte une attitude plus militante et plus énergique. Elle demande que sur tous les terrains, dans toutes les régions du pays, on déclare ouvertement et unanimement la guerre au laïcisme et à ses principes jusqu’à l’abolition des lois iniques qui en émanent ; que, pour réussir, on se serve de toutes les armes légitimes.
La déclaration énumère ensuite les moyens d’action contre les lois laïques. Puis elle conclut :
Les révolutionnaires multiplient les démarches, voire les grèves ; ils assiègent et ils harcèlent le gouvernement qui, presque toujours, finit par céder à leurs instances. Pourquoi, autant que nous le permettent notre morale, notre dignité, notre amour de la paix fondée sur la justice et la charité, ne les imiterions-nous pas, afin d’effacer de notre code les lois qui, suivant l’énergique parole d’un de nos évêque, « nous mènent du laïcisme au paganisme » ?
Assurément, l’œuvre est immense et difficile, mais le propre de la vertu de force est d’affronter les obstacles et de braver les dangers. De plus, nous disposons de troupes dont le nombre et le courage égalent au moins le nombre et le courage des autres groupements, car une multitude de chrétiens, à compter seulement ceux qui sont fervents et agissants, sont impatients d’engager la lutte. Nos cadres — paroisses, diocèses, provinces ecclésiastiques, — sont préparés. Ce qui a trop manqué jusqu’ici aux catholiques, c’est l’unité, la concentration, l’harmonie, l’organisation des efforts. N’auront-ils pas assez d’abnégation pour former un corps compact qui travaillera avec ensemble sous la direction de leurs supérieurs hiérarchiques ? On dira que cette attitude nous expose à des retours offensifs et impitoyables de nos adversaires. Ce n’est pas certain ; en tout cas, à quelles calamités ne nous expose pas l’attitude contraire ? Quel avenir nous attend si, satisfaits d’une légère et artificielle détente, nous nous endormons ? Jamais peut-être, depuis cinquante ans, l’heure n’a paru aussi propice. A la laisser passer sans en profiter, il semble bien que nous trahissons la Providence.
Quel réconfort pour les âmes droites que ces magnifiques paroles qui disent si nettement le vrai ! Quelle reconnaissance nous devons à nos chefs pour nous avoir indiqué le chemin à suivre, le chemin de lumière, celui qui passe loin des sables mouvants et des landes mal famées où se fourvoie le libéralisme !
Célébrant cette Déclaration, M. Robert Havard a eu raison d’écrire : « Elle est une charte précieuse, si l’on en tient compte pratiquement, si l’on ne l’étouffe pas sous des équivoques. Nul document n’est plus propre à instaurer la discipline des catholiques, par-dessus leurs divergences politiques. Au seuil de l’autre camp, on a disposé, comme pierre de touche, les lois intangibles et la laïcité de l’État. Nous voudrions que, chez les catholiques, la Déclaration de leurs pasteurs spirituels jouât le même rôle, c’est-à-dire qu’elle servît à les grouper en un seul faisceau[4]. »
[4] Article publié dans le journal Rome no du 1er Août 1925. On ne saurait trop recommander la lecture de cette feuille. Le libéralisme y est combattu sans cesse avec des arguments aussi judicieux que solides en doctrine.
Quant à moi, mon choix est fait. Un ange m’apparaîtrait pour m’enjoindre d’apporter mon suffrage aux libéraux qui acceptent les lois laïques, m’appuyant sur la Déclaration, je lui répondrais comme sainte Angèle de Foligno : « — Je te connais : c’est toi qui es tombé du Ciel ! »
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