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L'Illustration, No. 3739, 31 Octobre 1914

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DEUX MINISTRES AUX ARMÉES

M. Aristide Briand, garde des sceaux, vice-président du Conseil, et son collègue, M. Albert Sarraut, ministre de l'Instruction publique, ont passé toute la semaine dernière dans l'Est, au milieu de nos soldats, témoins de leurs généreux sacrifices, de leur magnifique ardeur au combat, de leur foi inébranlable dans le succès. Mardi ils retournaient auprès de leurs collègues, auxquels ils allaient rendre compte de la mission qu'ils venaient d'accomplir, communiquer l'impression d'admiration et de confiance que leur a laissée tout ce qu'on leur a montré, faire part aussi des besoins de cette vaillante armée qu'ils ont vue à la peine, et de l'effort à poursuivre afin de lui permettre de parfaire son œuvre victorieuse. Il suffit d'avoir causé quelques instants seulement avec M. Aristide Briand, à son bref passage à Paris, pour entendre de quelle voix chaleureuse, persuasive, en quels termes enthousiastes il dut, pour sa part, raconter au Conseil cet émouvant voyage. Au surplus prêchait-il à des convertis, et il n'aura pas, certes, été besoin de toute son éloquence pour convaincre le gouvernement entier du devoir qui lui incombe jusqu'au bout, d'aider de tout son pouvoir, de toutes ses forces vives et sans marchander, ceux qui luttent, de collaborer de la plus étroite façon, et, pour tout dire d'un mot, de communier avec eux.

M. Aristide Briand et le général Dubail.

Les premiers spectacles qui apparurent aux ministres, quand ils arrivèrent à l'arrière de nos armées, sur les territoires d'où elles venaient à peine de repousser l'ennemi, furent des tableaux de désolation et de deuil. Partout des ruines. Et quelles ruines, que celles de villes, de bourgades, de villages, dont certains tour à tour ont été pris, repris, reconquis enfin par les nôtres de haute lutte, après les plus rudes alternatives; que l'ennemi, le plus souvent, a systématiquement dévastés, mettant au service d'une haine féroce les procédés de destruction les plus infaillibles; et que, dans la rage que lui causait sa défaite, il s'est appliqué, avant le décisif recul, à effacer de la surface du sol comme firent autrefois, de villes maudites, des cataclysmes dont la mémoire des hommes demeure à jamais horrifiée! Ce fut ainsi, sous les plus lamentables couleurs, qu'ils aperçurent au passage de petits pays naguère si florissants et si quiets, Nomeny, Revigny, Gerbeviller, Clermont-en-Argonne, Lerouville, Sermaize-les-Bains, Lunéville, Vaubécourt, tant d'autres dont les noms évoquent d'inoubliables souffrances, et qui portent encore les stigmates de la sauvagerie raffinée—si les deux mots ne heurtent pas d'être accolés—dont ils furent les victimes.

Pourtant, ô miracle de la vitalité, du courage de la race, de sa confiance inébranlable en l'avenir! pourtant l'activité partout reprend en ces lieux martyrisés. Les routes qui avaient vu le pitoyable exode de tous ces pauvres gens chassés de leur foyer par l'invasion se sont de nouveau animées, à mesure que les nôtres regagnaient le terrain abandonné, de longs cortèges où des piétons las, inquiets de ce qu'ils allaient retrouver à la place de leurs maisons délaissées, mais non découragés, se mêlaient aux chariots chargés en désordre, aux grinçants véhicules de fortune. Et les voilà, ces pauvres sans feu ni lieu, qui se remettent à l'œuvre dans leurs champs criblés de trous d'obus, s'appliquant à réédifier leur toit familial, et attendant la paix, la paix glorieuse à laquelle leurs âmes croient de toute la ferveur dont elles sont capables.

M. A. Briand.    Général Joffre.   M. A. Sarraut.
LA MISSION AUX ARMÉES DE MM. ARISTIDE BRIAND ET ALBERT SARRAUT.—Le généralissime et les deux ministres.
M. Aristide Briand et le général Dubail. M. A. Sarraut.
D'un point culminant des Hauts de Meuse, MM. Briand et Sarraut assistent à un vif combat d'artillerie.

Cette foi vive, agissante, les représentants du gouvernement allaient la retrouver, exaltée encore par l'ardeur de la lutte, aux lignes de bataille qu'ils gagnaient bientôt.

Ce fut là que les deux ministres apprirent la mort de M. Emile Reymond, le sénateur de la Loire, leur collègue au Parlement, leur ami, dont nous racontons d'autre part la fin héroïque. Quelques heures auparavant, ils lui avaient donné, en se détournant pour cacher leurs larmes, la suprême poignée de main. Lui, souriait, sans illusion pourtant sur son sort: «Dites-moi seulement que vous conserverez de moi un bon souvenir», murmuraient ses lèvres prêtes à se clore à jamais. En évoquant cette vision, les traits si mobiles de M. Aristide Briand se contractaient encore.

Des Hauts de Meuse, la position que l'ennemi nous a si désespérément disputée, M. Aristide Briand et M. Albert Sarraut assistèrent à une action dans laquelle 200.000 hommes, peut-être—100.000 de chaque côté—étaient engagés. Un temps radieux les favorisait. Dans un ciel bleu de panorama—ces vieux panoramas devant lesquels germèrent, voilà longtemps, dans nos âmes d'enfants, et l'horreur du Teuton et l'espoir des revanches—ils voyaient s'épanouir, puis se dissoudre au vent d'automne, les blancs flocons des shrapnells. Parfois, dans la terre en friche, dans les champs désertés, un gros obus s'enfouissait sous leurs yeux, à quelques centaines de mètres, avec un fracas sourd. Des crépitements de fusillades alternaient avec les grondements lointains du canon. Mais la plaine demeurait vide en apparence. Pas un être ne s'y agitait. Nul autre indice de la bataille que des fumées, de-ci de-là, des lueurs d'incendies, et du bruit tout alentour. Etrange impression, et si différente, confessait M. Aristide Briand, de celle qu'on s'attend à recevoir d'un pareil carnage. On a rêvé d'un classique Wouwerman ou d'un Van der Meulen, avec de pittoresques groupes épars de cavaliers, des charges furieuses: on n'a devant soi qu'un immobile paysage de Lorraine. La tâche, désormais, sera bien difficile pour les peintres de bataille!

Ce n'est pas de lui, en revanche, que je tiens ce détail: comme, en compagnie des officiers qui les guidaient dans ce voyage, les ministres déjeunaient à la hâte, non loin de l'hôpital où agonisait leur ami, un avion allemand vint planer sur la ville—par hasard, sans doute—et laissa choir quelques bombes. Un tir violent l'accueillit, si bien réglé qu'on crut un moment l'avoir descendu et qu'il fut contraint de prendre la fuite.

Une émotion plus forte, une émotion indicible, était réservée aux deux représentants du gouvernement à l'extrême étape de leur randonnée, à Belfort, la fière cité où l'ombre de Denfert-Rochereau semble exciter et soutenir encore les dignes héritiers de sa magnanimité.

De la citadelle dominant la plaine, le gouverneur montrait à ses hôtes la frontière ancienne, maintenant débordée, effacée par la bravoure de nos soldats, la terre d'Alsace, hier encore «annexée». Alors, un violent, un impérieux désir les anima, irrésistible: aller là, être les premiers, après les vainqueurs, à fouler ce sol reconquis, si longtemps et si ardemment convoité. On déféra à leur vœu. Et bientôt, avec leurs guides, avec leur petite suite, ils étaient à «Alt Münsterol» redevenu Montreux-Vieux. Ces lieux me sont familiers depuis une enquête dont, autrefois, L'Illustration me chargea par là. Je revois la petite gare, le passage à niveau, puis, tout proche, le poteau frontière de la route qui, bariolé de noir et de blanc, semblait porter le deuil de la province violemment séparée de la patrie, si bien que, par une sorte de timide pudeur et de fierté, je ne voulus pas même l'atteindre. Plus heureux, les nouveaux pèlerins français purent éprouver la légitime et la troublante volupté de se grouper à son pied, de le toucher, de le caresser, pour mieux dire, de délecter leurs yeux à ses couleurs toutes fraîches... Car il est maintenant tricolore, comme le mât qui, sur la voie ferrée, indique encore l'ancienne limite entre la civilisation et la barbarie. De ce terme, leurs regards purent s'élancer, brillants d'un rêve radieux, sur la route bientôt libre qui s'enfonce vers l'Est, vers le Rhin. Et il faut espérer que, quelque jour prochain, dans un de ces frémissants discours qui soulèvent les foules, M. Aristide Briand dira quels sentiments à cette heure l'agitèrent, et quelle fierté gonfla sa poitrine, quel sain orgueil d'avoir été si prévoyant, si vigilant serviteur du pays, au jour où, à peu près seul contre l'opinion entière, il se fit le champion passionné du retour «aux trois ans».

GUSTAVE BABIN.

Un Christ brisé sur une tombe par un des projectiles qui ont atteint le cimetière de Reims.
Le Christ du calvaire de Drouville (Meurthe-et-Moselle) scié par les soldats allemands et jeté bas.
«GOTT MIT UNS»!... COMMENT ILS TRAITENT L'IMAGE DE CELUI QU'ILS INVOQUENT
EN FRANCE.—Traces de leurs méfaits variés dans la salle d'honneur de la citadelle d'Arras: ils ont souillé les drapeaux, sali le buste de la République et couvert les tableaux noirs de dessins grossiers et d'inscriptions.
EN BELGIQUE.—Comment ils se sont fait photographier dans l'auditoire de la cour de cassation au Palais de Justice de Bruxelles.
D'après «1914 illustré», revue hebdomadaire dont la publication à Bruxelles a été autorisée.

LES INCONVENANCES DE LA SOLDATESQUE ALLEMANDE DANS LES MONUMENTS PUBLICS DES VILLES OCCUPÉES

UNE HÉROÏQUE GALOPADE.—Section de mitrailleuses de dragons allant prendre position sous les éclatements des shrapnels.
Dessin de Georges SCOTT.
L'INTRUS
Dessin de Lucien JONAS

Loger sous son toit l'envahisseur, le soudard grossier et ivrogne, toujours brutal même s'il n'est pas féroce, qui, lorsqu'il est repu, se vautre, sans quitter ses lourdes bottes, sans lâcher son mauser ni sa bouteille, sur le lit familial,—c'est le martyre des femmes françaises dans les départements envahis. Trop de foyers de notre pays et de la malheureuse Belgique ont subi cette souillure... Nulle image ne saurait, plus que la douloureuse et saisissante composition du peintre Jonas, exalter la patriotique fureur de nos combattants et les exciter à redoubler d'efforts pour libérer notre sol et pour le garder désormais inviolable.

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