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L'Inquisition médiévale

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CHAPITRE PREMIER
LE CATHARISME AU XIIe SIÈCLE

Sommaire. — Le dualisme cathare. — Christologie cathare. — Morale individuelle et sociale. — Nirvana des Parfaits. — Horreur de la famille. — Doctrines anarchistes. — Répression par les gouvernements païens et chrétiens antérieure à l’Inquisition. — Le catharisme tout puissant dans le Midi de la France. — Ses moyens d’action. — Parfaits et Croyants. — Faiblesse du catholicisme persécuté.

Le XIIe siècle vit s’épanouir en plusieurs pays, mais plus particulièrement dans le Midi de la France, une hérésie qui, par ses doctrines et le nombre de ses adhérents, devait constituer un grand danger pour l’Église catholique. Partant d’un pessimisme absolu, elle ne voyait en ce monde que mal et corruption, et dès lors, elle ne pouvait pas admettre qu’il fût l’œuvre d’un Dieu bon. La nature visible ne pouvait être que la création d’un être puissant sans doute mais essentiellement mauvais ; et cet être c’était Satan.

Mais au-dessus de ce monde, ces hérétiques en concevaient un autre, formé d’esprits incorruptibles et bienheureux, qui étaient les créatures d’un être essentiellement bon et infiniment puissant, Dieu.

Ainsi se dressaient l’un contre l’autre, à la tête de deux mondes opposés dont ils étaient les auteurs, deux principes contraires en conflit permanent : Satan prince de la terre et de la nature, Dieu, souverain des esprits et du ciel.

Étaient-ils également puissants et leur action devait-elle se combattre à jamais ? ou bien l’un d’eux, le principe mauvais, était-il inférieur à l’autre, le principe bon, et destiné à succomber sous les coups de sa puissance victorieuse, lorsque les temps seraient révolus ? Sur ce point essentiel comme sur les conclusions qui en découlaient, ces hérétiques se divisaient.

Ils se divisaient aussi quand ils voulaient expliquer l’origine de ces deux mondes opposés. Pour les uns, la matière était éternelle et le rôle du démon avait été de la tirer du chaos en séparant, pour les combiner entre eux, ses quatre éléments essentiels : le feu, l’air, l’eau et la terre. Dans ce cas, Satan n’avait été que l’artisan de la matière, le démiurge. D’autres, au contraire, disaient qu’il en avait été le créateur, l’ayant tirée du néant.

Mêmes hésitations quand il s’agissait d’expliquer le monde des esprits. Pour les uns, les esprits avaient existé de tout temps au sein de Dieu, et ils en étaient sortis par une série indéfinie d’émanations ou hypostases, analogue à celle par laquelle le Fils procède du Père. D’après les autres, au contraire, les esprits auraient été tirés du néant par un acte créateur du Dieu bon.

L’homme appartenait par sa double nature à l’un et l’autre de ces mondes opposés. Son corps, fait d’une matière corruptible, était l’œuvre et la propriété de Satan ; mais son âme, pur esprit, ne pouvait venir que de Dieu et lui appartenait. C’est par des récits mythiques que ces hérétiques expliquaient la première rencontre et l’union de l’âme et du corps dans l’être humain.

D’après les uns, Adam avait été un ange envoyé par Dieu pour voir comment Lucifer organisait la matière ; dès qu’il le vit épiant ainsi son œuvre, le démon se saisit de lui et l’enferma dans un corps fait de limon. « Rends ce que tu dois ! » lui dit-il, c’est-à-dire soumets-toi à la matière ! « Adam se jeta alors à ses pieds, le supplia d’avoir pitié de lui et de le délivrer de la prison ignoble dans laquelle il se trouvait enfermé lui promettant de se mettre désormais à son service. Le démon refusa et le força à lui payer sa dette en accomplissant avec Ève l’œuvre de chair. » Quand il l’eut accomplie, Adam fut engagé à jamais dans la matière, et avec lui tous ses descendants, parce qu’ils provenaient de l’acte le plus matériel qui se puisse imaginer, l’union de l’homme et de la femme.

D’autres hérétiques expliquaient le dualisme de la nature humaine d’une manière qui se rapprochait de la doctrine catholique. Avant la création de la matière, disaient-ils, Satan avait été l’auteur de la révolte des anges et de leur chûte. Mais en foudroyant les anges rebelles, Dieu leur avait procuré un moyen de se relever par l’expiation. Il avait permis à Satan de se servir d’eux pour animer les corps qu’il venait de former du limon, mais auxquels manquait l’esprit de vie. Satan s’en était réjoui parce qu’il croyait qu’emprisonnés ainsi par lui dans la matière, les anges rebelles lui appartiendraient à jamais ; mais dans sa courte sagesse il ne voyait pas qu’il ne faisait que préparer sa défaite en procurant dans la prison du corps aux esprits déchus l’épreuve et la pénitence qui leur permettraient, après la mort, de rentrer dans le paradis perdu.

Ce dualisme de l’homme, ces hérétiques le retrouvaient dans l’humanité et dans son histoire. L’âme, disaient-ils, était restée ignorante de sa nature, de sa chute au sein du corps et de sa destinée ; elle ne les avait connues que lorsque le Christ était venu sur terre pour les lui révéler. Dès lors, l’histoire du monde se divisait en deux grandes périodes : celle qui avait précédé la venue du Christ pendant laquelle Satan régnait sans conteste sur un monde ignorant, et celle qui l’a suivie au cours de laquelle l’empire lui est disputé par la doctrine qui arrache l’âme à sa captivité corporelle.

Dès lors, l’Ancien Testament avait été le règne de Satan ; le dieu qu’adoraient les Juifs charnels Jéhovah, était Satan lui-même et la Bible l’histoire de sa domination sur le peuple hébreu. « Les Cathares (c’est ainsi que se nommaient ces hérétiques) prenaient donc le contrepied de l’Ancien Testament et tout ce que celui-ci attribuait à Dieu ils le rapportaient à Satan. Les patriarches et les prophètes de l’Ancienne Loi n’étaient en réalité que des fils de Bélial, de vrais démons suscités par leur père pour maintenir son règne ; et dans leur nombre ces hérétiques comptaient Énoch, Abraham, qui reçut de Satan la circoncision, Moïse qui, étant lui-même mauvais, s’entretint à plusieurs reprises avec le démon, accomplit sur son injonction et avec son secours tous ses miracles, reçut de lui la Loi sur le Sinaï et édicta, sous son inspiration, tous les rites de la religion juive, pour se faire adorer comme un dieu ; enfin les prophètes qui furent suscités non par le dieu bon, mais par Satan pour activer, à la suite de Moïse, le culte du diable »[2].

[2] Jean Guiraud. L’Albigéisme languedocien au XIIe siècle, p. XLIX.

Entre tous ces prophètes, les Cathares distinguaient le dernier en date, Jean-Baptiste, pour lui témoigner une aversion particulière. Il avait été suscité par le démon, disaient-ils, comme le moyen suprême d’empêcher l’œuvre du Christ dont le Précurseur aurait été ainsi le plus puissant antagoniste. Le baptême matériel de l’eau qu’il prêchait et qu’il conférait aux masses était fait pour les détourner du baptême de l’esprit qu’apportait Jésus comme signe de sa doctrine purement spirituelle.

Ils n’ignoraient pas les nombreux passages du Nouveau Testament où le Christ et ses disciples parlent avec respect de l’Ancienne Loi, des patriarches tels que Abraham, des prophètes tels que David, l’ancêtre de Jésus lui-même, d’Élie et de tous ceux dont le Sauveur invoquait le témoignage. Mais ils déclaraient que, dans le Décalogue et dans l’ensemble de l’Ancien Testament, le démon avait habilement mêlé un peu de vérité à une masse de mensonges pour mieux tromper l’humanité.

Le Christ, disaient les Cathares, était venu sur terre pour sauver l’humanité et, sur ce point, ils s’accordaient avec les catholiques, mais ils s’en séparaient dès qu’ils définissaient la personne et l’œuvre du Rédempteur.

Ils l’appelaient souvent Dieu, mais ils donnaient de sa divinité des explications diverses mais toutes contraires à la conception chrétienne. Il était dieu parce qu’il était l’une des nombreuses émanations du Dieu bon et éternel. Certains attribuaient à Jésus, émanation ou éon, une dignité éminente sur tous les autres éons parce que seul d’entre eux il avait été adopté par l’Être suprême dont il était ainsi le Fils et qu’il pouvait appeler son Père.

Un ministre cathare, Guillaume Fabre, de Pech-Hermer, expliquait ainsi à ses fidèles la nature et la mission du Christ : « Voyant que son royaume s’appauvrissait sous l’action des esprits mauvais, Dieu demanda à ceux qui l’entouraient : « Qui de vous veut être mon fils, de sorte que je sois son père ? » Comme personne ne lui répondait, Jésus qui était son baile (homme de confiance), Christus qui erat bajulus Dei, lui dit : « Je veux être votre fils et j’irai partout où vous m’enverrez. » Et alors Dieu l’adopta pour fils et l’envoya dans le monde prêcher le nom de Dieu. »

Quelque différentes que fussent ces explications, tous les Cathares s’entendaient pour nier l’Incarnation. Puisque toute matière était foncièrement mauvaise et le domaine de Satan, comment un dieu aurait-il pu y demeurer en s’unissant à la chair ? Il se serait mis ainsi sous la domination de celui-là même dont il venait libérer l’humanité.

Le Rédempteur ne pouvait donc être que pur esprit ; mais comme d’autre part, il voulait tomber en ce monde sous les sens des hommes, il fallait qu’il prît les apparences d’un homme. Partant de ce principe, les Cathares faisaient de la vie terrestre du Christ une fantasmagorie perpétuelle.

La Vierge Marie n’avait été, elle aussi, qu’un pur esprit aux apparences humaines. Sa maternité n’était que l’union des deux esprits, qui formaient tout son être, le sien et celui de son divin fils. « C’est ce que voulait dire un docteur hérétique de Castelsarrasin, R. de Rodols, lorsque, prenant l’expression évangélique obumbrare dans son sens étymologique, il déclarait que le Sauveur était venu en ce monde comme une ombre et non dans la réalité d’un corps humain : « Deus non venerat in beata Virgine sed obumbraverat se ibi tantum[3]. »

[3] Jean Guiraud, op. cit., p. LXI.

Jésus avait grandi, avait mené la même vie que les autres hommes, mangeant, buvant, parlant ; pures apparences que tout cela, répondaient les hérétiques. « Omnia in similitudine facta fuisse. »

Il avait au moins souffert pendant sa Passion, pour racheter l’humanité par les douleurs de son sanglant sacrifice. Non ! répondaient-ils, car étant pur esprit il ne pouvait ni souffrir, ni mourir, ni par conséquent ressusciter : « non fuit passus in carne, non fuit mortuus corporaliter… non resurrexit vere quia mortuus non fuit. » Mais alors que penser des récits pathétiques de la Passion ? On les expliquait soit par la persistance de la fantasmagorie jusque sur la Croix, soit par la substitution au Christ disparu d’un homme réel expiant son propre péché. A Montesquieu, le ministre cathare Bonafos enseignait chez Guillaume de Villèle « que sur la Croix, le Christ avait été figuré par un voleur, aussi coupable que les deux larrons qui étaient à ses côtés. Dès lors, il n’y avait dans ce supplice rien de révoltant puisque celui qui représentait Jésus expiait ses fautes personnelles. D’après un autre hérétique, Limosus Nègre, cet homme avait déjà traversé plusieurs existences, en vertu de la métempsychose ; or dans l’une il avait commis des meurtres et des fornications. C’est pour cela, ajoutait-il, que le crucifié a été frappé de la lance : coupable d’homicide, il tombait sous le coup de la sentence qui condamne à périr par le glaive quiconque a tué par le glaive. Agents du démon, les Juifs avaient cru mettre en Croix le Fils de Dieu, mais ils n’avaient eu entre les mains qu’un vulgaire voleur ; sur le Calvaire comme au jour de la Création de l’homme, le Père du mensonge s’était trouvé dupé lui-même. » (P. LVII).

D’ailleurs, pour les Cathares, la Rédemption n’était pas une expiation, mais un enseignement ; pour libérer les âmes de l’emprise de Satan, il suffisait de leur apprendre comment elles pouvaient se libérer elles-mêmes de la prison de leur corps et redevenir de purs esprits retournant de droit à Dieu dès qu’elles retrouvaient ainsi leur nature spirituelle.

Ceux qui le savaient étaient les fils de l’Esprit et ils adoraient Dieu en esprit et en vérité. Ils formaient l’Église cathare. Les autres restaient sous l’emprise de Satan parce qu’ils continuaient l’erreur de l’Ancien Testament et ils demeuraient les sectateurs de Jéhovah puisqu’ils ne comprenaient ni la mission de Jésus, ni la signification du Nouveau Testament. Ceux-là formaient l’Église catholique et les autres églises chrétiennes. Ainsi le dualisme de l’humanité s’avérait dans l’opposition irréductible du Catharisme et du Christianisme.

De cette métaphysique et de cette théologie les Cathares tiraient leur morale individuelle et sociale. Pour se sauver il fallait séparer l’âme du corps, et on y parvenait de deux manières.

Les uns pratiquaient une vie d’ascétisme qui diminuant progressivement l’action du corps sur l’âme, finissait par établir entre eux un divorce de fait que la mort ne faisait que ratifier ; pour employer une expression de la mystique chrétienne, on mourait à soi-même avant de mourir à la vie de ce monde.

Le moyen d’y parvenir c’était de s’incorporer le moins de matière possible et par conséquent de se nourrir le moins possible ; de là cette abstinence qui était l’une des pratiques les plus rigoureuses de la morale cathare. Elle consistait dans un régime végétarien ; la viande des animaux, et tout ce qui provenait d’eux, comme le lait, le fromage et les œufs, étant considérés comme choses plus particulièrement matérielles. Ils permettaient cependant l’usage du poisson parce que cet animal à sang froid leur semblait moins matériel que les animaux à sang chaud.

A cette raison de s’abstenir de la viande, provenant de l’horreur que leur inspirait l’impureté de la matière, certaines sectes en ajoutaient une autre tirée de leur croyance à la métempsychose. « Ils ne tuent jamais ni animal, ni volatile, écrivait d’eux l’inquisiteur Bernard Gui, car ils croient que dans les animaux privés de raison et même dans les oiseaux résident les esprits des hommes qui sont morts sans avoir été reçus dans leur secte, par l’imposition des mains selon leurs rites. »

C’est à cette horreur de toute viande qu’on les reconnaissait. « Invité à Albi chez le marchand Golfier, l’hérétique Guillaume Payen refusa du poulet rôti qu’on lui présentait. Se doutant alors que son hôte était Cathare, Golfier lui fit servir du poisson et il en mangea. » Lorsqu’ils allaient de village en village visiter les adhérents dont ils voulaient réchauffer le zèle, on leur donnait ce qui était nécessaire à leur subsistance ; or ce n’était jamais de la viande, des œufs, de la graisse ou du laitage, mais des fruits frais ou secs, raisins, figues, amandes, noisettes, du blé ou des légumes, du vin, du miel, des fouaces ou gâteaux de farine de froment. »[4] Quand une personne était « consolée », c’est-à-dire recevait l’initiation cathare, on lui demandait : « Promettez-vous à Dieu, à l’Évangile et à nous de ne plus manger désormais de viande, de fromage, d’œufs, ni de tout autre aliment gras ? »

[4] Jean Guiraud. Questions d’histoire et d’archéologie, p. 63, 64.

L’acte qui était considéré comme le plus matériel, celui qui avait fixé dans le mal Adam et toute sa descendance, c’était l’acte de la génération. Coupable à cause de la souillure qu’il imprimait, il l’était aussi parce qu’en appelant de nouveaux êtres à la vie terrestre et matérielle, il étendait le règne de Satan. La chasteté perpétuelle s’imposait donc à tout Cathare.

Alimenter le moins possible la vie en soi et s’abstenir de la propager, c’était bien, mais ce qui était encore mieux c’était de la restreindre progressivement pour arriver un jour, en la détruisant, à libérer entièrement l’âme de sa prison corporelle. Parvenir à s’abstraire tellement de son propre corps qu’on n’use plus d’aucun de ses sens et qu’on perde complètement conscience de sa propre existence était considéré par les Cathares comme un degré élevé de perfection. Ils regardaient comme leurs modèles et leurs saints ceux qui atteignaient ainsi au nirvanâ tel qu’on le voit encore chez les fakirs de l’Inde. « Berbeguera, femme de Lobent, seigneur de Puylaurens, en Albigeois, alla voir par curiosité un de ces saints hérétiques. « Il lui apparut, racontait-elle, comme la merveille la plus étrange : depuis fort longtemps il était assis sur sa chaise, immobile comme un tronc d’arbre, insensible à ce qui l’entourait. » (P. 55)[5].

[5] Les références données ainsi dans le texte et ne portant pas le titre de l’ouvrage, se rapportent au livre déjà cité au bas de la page la plus proche.

D’autres brusquaient les choses, et pour libérer leur âme de leur corps, ils se donnaient eux-mêmes la mort. « Le suicide, écrit Mgr Douais, d’après les réponses des hérétiques aux interrogatoires de l’Inquisition, était pour ainsi dire à l’ordre du jour. On en vit qui se faisaient ouvrir les veines et se mouraient dans un bain ; d’autres prenaient des potions empoisonnées ; ceux-ci se frappaient eux-mêmes. L’Endura était le mode de suicide le plus employé : il consistait à se laisser mourir de faim. Les documents sur l’hérésie cathare qu’a publiés Dœllinger nous en présentent plusieurs cas. » Raymond Isaure racontait en 1308 aux inquisiteurs qu’aussitôt initié, Guillaume Sabatier se mit en endura dans sa maison de campagne ; il y resta sept semaines entières sans manger, puis mourut. Une femme du nom de Gentilis se condamna, dans les mêmes circonstances, au jeûne le plus absolu et mourut au bout de six jours. Une femme de Coustaussa, non loin de Limoux, ayant quitté son mari vint dans le Savartès recevoir l’initiation du Consolamentum. Aussitôt après, elle se mit en endura à Ax et mourut. Le témoin qui rapportait ces faits aux inquisiteurs déclarait avoir ouï dire par plusieurs hérétiques qu’avant de mourir, cette femme était restée à jeun environ douze semaines. Une certaine Montoliva se mit en endura « ne mangeant rien et ne buvant que de l’eau fraîche ; elle mourut au bout de six semaines. » Quelquefois, c’étaient les ministres cathares eux-mêmes qui condamnaient à la mort par le jeûne absolu ceux qu’ils venaient d’initier et dont ils assuraient le salut par une mort suivant immédiatement la purification de l’initiation. C’est ce que nous dit une déposition reçue par l’Inquisition vers 1242. « Le ministre défendit de donner désormais à manger à la malade qu’il venait « d’hérétiquer », ne dicta infirma perderet bonum quod receperat. » (P. 53).

Ces doctrines et ces pratiques n’étaient pas nées au XIIe siècle dans ces pays du Midi de la France ou du Nord de l’Italie où elles eurent tant d’adeptes. Elles étaient aussi anciennes, peut-être même plus anciennes que le christianisme dont elles niaient si radicalement le dogme et la morale. Dans le dualisme opposant le bon et le mauvais principe, nous reconnaissons les doctrines manichéennes qui propagées en Perse et dans tout l’Orient, se dressèrent contre l’Église naissante et traversèrent tout le Moyen-Age. Dans le système des hypostases tirant de la substance divine Jésus, Marie et une infinité d’esprits bienheureux, nous retrouvons la théorie des éons de la Gnose primitive.

Le système qui faisait de la vie terrestre et de la Passion du Christ une fantasmagorie, le docétisme, avait été enseigné, dès le IIe siècle, par le marcionisme et combattu par les Pères apostoliques, puis au IIIe par Tertullien et par saint Hilaire au IVe. L’adoptianisme qui faisait de Jésus le fils adoptif du Père, avait été enseigné semble-t-il vers 260 à Antioche par Paul de Samosate, et aux temps de Charlemagne par Félix, évêque d’Urgel. L’encratisme, c’est-à-dire la prohibition absolue de la génération et de toute nourriture animale, avait été prêché, bien avant les Cathares, par la Gnose et le marcionisme au IIe et au IIIe siècle, et encore au milieu du IVe siècle par des disciples extrémistes d’Eustathe de Sébaste que condamna, en 340, le concile de Gangres. Ainsi le catharisme du XIIe siècle nous apparaît moins comme une hérésie nouvelle que comme un syncrétisme d’hérésies ayant traversé tout le Moyen Age et finissant par se réunir en un système néo-manichéen.

Ce n’est donc pas par leur nouveauté que ces doctrines prirent une importance capitale, mais par le nombre de leurs adeptes. En se propageant dans les masses elles sortirent du domaine de la spéculation théologique pour pénétrer l’opinion publique et exercer une influence considérable sur la vie sociale.

C’est par sa morale sociale en effet beaucoup plus que par ses rêveries mystiques ou théologiques que le catharisme attira l’attention de plus en plus inquiète de l’Église et des gouvernements.

Tant qu’il demeure un acte individuel le suicide est assurément coupable, mais il n’est pas un danger social : il le devient si une doctrine le prêche et par la diffusion de plus en plus grande de ses enseignements en multiplie tellement le cas qu’il devient une épidémie. Il en fut ainsi de la doctrine de l’endura cathare, mais beaucoup plus encore de celle qui proposait au genre humain tout entier la virginité perpétuelle.

Les néo-manichéens du XIIe siècle ne se contentaient pas en effet de la prôner comme une forme supérieure, mais exceptionnelle, de la vie morale et religieuse comme l’avaient fait de tout temps les chrétiens ; leur pessimisme radical la présentait comme l’idéal de l’humanité tout entière parce qu’elle était le moyen d’en finir avec la vie. L’endura tuait la vie dans l’individu ; la virginité universelle devait la tarir dans le genre humain.

C’est ce qu’enseignaient formellement les Cathares en condamnant non seulement la fornication et la luxure, mais le mariage lui-même, et par le mariage la propagation de la race humaine.

Ils n’établissaient pas, comme le christianisme, une distinction essentielle entre la débauche et le mariage ; dans ce dernier, ils ne voyaient qu’une légalisation criminelle et sacrilège de la première. Leur intransigeance farouche leur dictait pour flétrir le mariage la formule dont se servent de nos jours ceux qui contre lui prônent au contraire la « liberté de l’amour » et l’union libre. « Matrimonium est meretricium, matrimonium est lupanar » disaient les Cathares du Moyen-Age ; « le mariage est un concubinat légal », disent les bolchevistes et les anarchistes d’aujourd’hui.

Après avoir entendu beaucoup de Cathares, l’inquisiteur Bernard Gui résumait ainsi leur doctrine : « Ils condamnent absolument le mariage entre l’homme et la femme ; ils prétendent qu’on y est en état perpétuel de péché ; ils nient que le Dieu bon l’ait jamais institué. Ils déclarent que connaître charnellement sa femme n’est pas une moindre faute qu’un commerce incestueux avec une mère, une fille, une sœur. »

Concevoir et mettre au monde un enfant c’était commettre un acte essentiellement démoniaque puisque c’était appeler à la vie de ce monde un être qui de ce fait serait la chose, le bien du démon. Se trouvant enceinte, Guillelma, femme d’un marchand de bois de Toulouse, reçut la visite de la Parfaite Fabressa. Celle-ci lui fit ses condoléances et sans doute aussi des reproches en lui conseillant « quod rogaret Deum ut liberaret eam a daemone quem habebat in ventro ». On devine facilement à quelles pratiques criminelles, même aux yeux de la loi civile, pouvaient conduire de pareilles condoléances et de tels conseils !

Quiconque recevait l’initiation cathare devait renoncer à jamais au mariage et s’il l’avait contracté, le rompre aussitôt, en quittant pour toujours son conjoint. « Décidé à recevoir le consolamentum, Guillaume de Raissac avertissait son beau-père qu’il allait lui renvoyer sa fille. Vers 1218, Bernard Pons de Laure était gravement malade à Roquefère-en-Cabardès ; sa femme Bermonde demanda à deux hérétiques de venir lui donner le consolamentum. Mais, avant de procéder à cet acte, ceux-ci exigèrent de Bermonde qu’elle renonçât à jamais à son mari et ce ne fut qu’après avoir reçu cet engagement qu’ils procédèrent à la cérémonie : « Post-modum, consolati fuerunt dictum infirmum. » Revenu à la santé, Pons de Laure abandonna l’hérésie, revint au monde et par la même occasion, reprit sa femme, oublieuse, elle aussi, de sa promesse. Mais bientôt, ce fut au tour de Bermonde d’être malade et de demander le consolamentum ; les deux hérétiques qui accoururent à son appel, n’agirent pas autrement que les premiers. Avant de commencer les rites de l’initiation, ils exigèrent que Pons de Laure renonçât à sa femme ; et après en avoir reçu la promesse formelle, ils le consolèrent : « Post-modum, dicti haeretici consolati fuerunt dictam infirmam. »

Dans leur aversion absolue du mariage, les Parfaits malgré leur farouche pureté, lui préféraient le libertinage ; il était plus grave, disaient-ils, facere cum uxore quam cum alia muliere. La raison en est facile à comprendre : les liaisons du libertinage étaient plus fragiles que celle du mariage et n’aboutissaient pas à la constitution d’une famille ; et à ce double titre elles étaient un obstacle moins grand à l’initiation qui comportait le vœu de perpétuelle continence.

Ainsi s’explique l’indulgence vraiment étrange que ces « purs » accordaient aux débordements de ceux de leurs adhérents qui « sympathisaient » avec leur secte sans en adopter toutes les doctrines et encore moins les pratiques, les Croyants.

Au vu et au su de tout le monde, Guillelma Campanha était la concubine d’Arnaud Mestre et cependant Parfaits et Parfaites descendaient chez elle quand ils passaient dans son pays, au Mas-Saintes-Puelles. Raymond de Na Amelha lui aussi, logeait chez sa concubine, Na Barona, les Parfaits qu’il protégeait et en particulier l’un des chefs de l’Église hérétique Bertrand Marty. Parmi les Croyants qui se pressaient aux prédications de Bertrand Marty à Montségur vers 1240, nous distinguons plusieurs faux ménages : Guillelma Calveta amasia Petri Vitalis ; Willelmus Raimundi et Arnauda amasia ejus ; Petrus Aura et Boneta, amasia uxor ejus ; Raimunda, amasia Othonis de Massabrac. La famille de Villeneuve, à Lasbordes, protégeait ouvertement l’hérésie ; or il y avait chez elle un bâtard, Adhémar, frater naturalis Poncii de Villanova, et l’on peut en dire autant d’autres seigneurs protecteurs de l’hérésie et amis des « Purs », les Unaud de Lanta, les sires du Vilar, les Mazeroles de Gaja.

En même temps que la famille, les doctrines et la propagande de ce néo-manichéisme sapaient à la base les institutions sur lesquelles s’élèvent toutes les sociétés civilisées.

Prenant à la lettre et dans son sens le plus rigoureux la parole du Christ déclarant que quiconque tue par l’épée, périra par l’épée, ils déniaient à la société et au gouvernement le droit de répression, les uns d’une manière absolue, car ils enseignaient « quod nullo modo facienda est justitia, quod Deus non voluit justitiam », les autres, plus opportunistes, en condamnant seulement la peine de mort.

L’un des « sympathisants » étant devenu Consul de Toulouse, l’hérétique Pierre Garsias lui rappela qu’il n’avait pas le droit de participer à un procès pouvant aboutir à une sentence capitale « quod nullo modo consentiret in judicando in mortem alterius ».

Du même principe « qu’en aucun cas on ne peut tuer, nullo casu occidendum », ils tiraient la condamnation de toutes les guerres, même défensives. Ennemis de la justice et de l’armée, ils étaient de vrais anarchistes, ne différant de ceux de nos jours que par le vêtement de leur pensée, car c’est au nom de leur théologie qu’ils sapaient la société, tandis que nos anarchistes modernes le font au nom de conceptions philosophiques ou libertaires.

Les gouvernements n’attendirent pas le XIIe siècle pour voir le danger que de semblables doctrines feraient courir à l’ordre social si elles gagnaient les foules et à plusieurs reprises, ils essayèrent d’en réprimer la propagande. Fait curieux et qui prouve que ce n’est pas l’Église qui a inventé la répression de l’hérésie par des lois pénales : ce fut un empereur païen, celui-là même qui entre tous a persécuté les chrétiens avec le plus d’acharnement, Dioclétien qui a porté les premières lois contre le Manichéisme, ancêtre direct, nous l’avons vu, du Catharisme. Par un décret de 287 qu’a enregistré le code Théodosien, il édicta contre tous les disciples de Manès, sans distinction de secte, la peine de mort ou tout au moins des travaux forcés aux mines, et ses successeurs Valentinien et Honorius ne firent que suivre son exemple lorsque, par une série d’édits réunis au livre XVI du Code Justinien, ils frappèrent d’exil et de confiscation plusieurs sectes hérétiques et de mort certaines sectes manichéennes estimées encore plus dangereuses ; ces peines furent renouvelées par l’empereur Justinien.

A la fin du Xe siècle, les Manichéens firent de tels progrès en Macédoine et en Bulgarie qu’on les appela en Occident Bougres, c’est-à-dire Bulgares, ou Bogomiles, du nom de l’un de leurs chefs. Mû par les raisons d’ordre public qui avaient inspiré les empereurs des siècles précédents, l’empereur Alexis Comnène fit arrêter et condamner au bûcher un grand nombre de ces hérétiques.

Au cours du même siècle, les chroniqueurs signalent en France des actes de répression semblables ; en 1017, dix chanoines de l’église Sainte-Croix d’Orléans, convaincus de manichéisme, étaient dégradés, excommuniés et brûlés par ordre du roi Robert, qui était cependant l’ami personnel de plusieurs d’entre eux. Si, la mort dans l’âme, le roi se montra aussi inflexible contre eux, c’est parce que, dit le chroniqueur Raoul Glaber, « il appréhendait de leurs doctrines à la fois la ruine de la patrie et la mort des âmes, tristis et mœrens nimium effectus, quoniam et ruinam patriae revera et animarum metuebat interitum ». On ne saurait mieux affirmer que la sévérité de Robert s’inspirait à la fois de raisons d’intérêt religieux et de défense sociale.

Malgré ces actes de répressions isolés, l’hérésie néo-manichéenne prit des proportions considérables au XIIe siècle, dans la France du Nord, en Allemagne, en Italie, mais plus particulièrement dans les pays au sud de la Loire. Au cours des missions qu’il dirigea contre elles en Aquitaine et en Languedoc, sans grand succès, saint Bernard faisait ces tristes constatations : « Qu’avons-nous appris et qu’apprenons-nous chaque jour ? Quels maux a faits et fait encore à l’Église de Dieu l’hérétique Henri ! Les basiliques sont sans fidèles, les fidèles sans prêtres, les prêtres sans honneur et, pour tout dire en un mot, il n’y a plus que des chrétiens sans Christ. On regarde les églises comme des synagogues, les sacrements sont vilipendés, les fêtes ne sont plus solennisées. Les hommes meurent dans leurs péchés, les âmes paraissent devant le tribunal terrible sans avoir été réconciliées par la pénitence ni fortifiées par la sainte communion. On va jusqu’à priver les enfants des chrétiens de la vie du Christ en leur refusant la grâce du baptême. O douleur ! faut-il qu’un tel homme soit écouté et que tout un peuple croie en lui ! »

Dans la seconde moitié du siècle, le comte Raymond V de Toulouse faisait écho à ces plaintes douloureuses. « L’hérésie, disait-il, a pénétré partout. Elle a jeté la discorde dans toutes les familles, divisant le mari et la femme, le fils et le père, la belle-fille et la belle-mère. Les prêtres eux-mêmes ont cédé à la contagion. Les églises sont désertes et tombent en ruines. Pour moi, je fais tout mon possible pour arrêter un pareil fléau ; mais je sens mes forces au-dessous de ma tâche. Les personnages les plus importants de ma terre se sont laissés corrompre. La foule a suivi leur exemple, ce qui fait que je n’ose ni ne puis réprimer le mal. »

En recueillant ces plaintes désolées et ces aveux d’impuissance de la bouche d’un saint Bernard et d’un si grand seigneur ne croirait-on pas entendre les lamentations désolées du curé le plus découragé de l’une de nos paroisses les plus indifférentes ! Une foule de témoignages puisés aux archives de l’Inquisition méridionale nous prouvent combien étaient exactes ces tristes descriptions de la désolation religieuse du Midi de la France.

De Bordeaux à Marseille, des Pyrénées à l’Auvergne, les Cathares avaient partie gagnée ; ils prêchaient et pratiquaient leur culte publiquement. Tandis que les églises étaient désertes, leurs assemblées étaient suivies par l’immense majorité de la population. A Saint-Martin-la-Lande, en Lauraguais, « maxima pars hominum ibat ad praedicationem » (1215). A Caraman, à Lanta, à Verfeil, c’est le ministre hérétique et non le prêtre que les mourants appelaient à leur chevet pour recevoir l’initiation cathare, le consolamentum et non les sacrements : « pauci homines moriebantur apud Caramanhum, vel Lantarium, vel Viridefolium quin hereticarentur » (1215). A Castelnaudary, Cathares et Vaudois avaient leurs établissements publics et des couvents pour leurs Parfaits et leurs Parfaites ; ils allaient même chanter dans l’église, ce qui donnerait à croire soit qu’ils l’avaient usurpée sur les catholiques, soit qu’ils en partageaient l’usage avec eux, en vertu d’un simultaneum analogue à celui qui attribuait naguère aux protestants et aux catholiques l’usage du même édifice du culte en Alsace et dans l’ancienne principauté de Montbéliard.

Les deux sectes rivales des Vaudois et des Néo-manichéens étaient tellement puissantes qu’elles organisaient des meetings et des conférences contradictoires entre elles sur les places publiques ; les catholiques étaient si faibles et si découragés qu’ils n’osaient même pas s’y aventurer avant les prédications de saint Dominique. Le peuple était si familier avec ces controverses qu’elles alimentaient les conversations ; il discutait sur les doctrines hérétiques ou catholiques comme il le fait de nos jours sur les questions sociales et politiques. « Passant un jour par le chemin qui longeait l’hospice de Laurac, un écolier, Amiel Bernard, entendit deux truands, recueillis sans doute dans cet asile de mendicité, discuter sur l’Eucharistie. L’un d’eux prétendait que pourvu que l’on eût la foi autant valait communier avec une feuille d’arbre et même avec du crottin qu’avec les espèces consacrées ; l’autre truand le contestait. Dans sa simplicité ce fait est des plus curieux ; il nous prouve que l’esprit de libre examen en matière religieuse avait pénétré dans les couches les plus infimes de la société puisque même les mendiants ne craignaient pas d’exprimer publiquement des doutes et même des interprétations singulièrement hétérodoxes sur les dogmes les plus sacrés[6].

[6] Jean Guiraud. L’albigéisme languedocien au XIIe siècle, p. CCXXXII.

Toutes les classes de la société avaient été gagnées par le néo-manichéisme ; et tout d’abord la noblesse. « Les personnages les plus importants de ma terre se sont laissé corrompre », écrivait en 1177 Raymond V, comte de Toulouse, au chapitre général de Citeaux. Il aurait pu le dire de son propre fils Raymond VI. Tout en faisant des dons aux abbayes et en protestant de la pureté de sa foi catholique, ce dernier recherchait la société des Parfaits et se faisait toujours accompagner de l’un d’eux pour recevoir le Consolamentum en cas de maladie grave. Qui trompait-il, l’Église ou l’hérésie ? En tout cas cette duplicité dénotait chez lui un singulier opportunisme et les égards qu’il avait pour les Cathares, s’ils ne prouvaient pas sa foi en eux, lui étaient du moins inspirés par l’importance qu’il leur reconnaissait dans ses états.

Le comte de Foix Raymond Roger donna aux hérétiques une marque toute particulière de sa faveur lorsqu’il permit à sa femme Philippa de se faire Parfaite et par conséquent de renoncer à jamais à sa famille et à lui-même pour aller vivre avec eux. « En 1205, Philippa, comtesse de Foix, était établie à Dun où elle dirigeait une communauté de Parfaites, qui appartenaient elles-mêmes à l’aristocratie du pays. Pierre Guillaume d’Arvinha qui alla les voir dans leur couvent mentionne avec Philippa, Alamanda de Nogairol et sa propre mère Cécile d’Arvinha. Le comte de Foix était resté dans les meilleurs termes avec sa femme, puisque souvent il venait la voir à Dun avec son escorte et prenait ses repas avec elle et ses compagnes. Il semble même que Philippa ait fait, comme les Parfaits, des tournées d’apostolat, qui étaient de vraies missions… Le comte permit aussi à sa sœur Esclarmonde de recevoir le Consolamentum et, entouré de nombreux chevaliers, il assista à cette cérémonie qui se déroula en son château de Fanjeaux, en 1206. Une autre de ses sœurs offrit aux hérétiques sur ses propres terres un asile qu’elle croyait imprenable, sur une hauteur d’environ 1.200 mètres à Montségur ; elle les aida à y construire une forteresse escarpée et difficilement abordable qui devait les protéger de toutes les atteintes des croisés ».

Parmi les plus puissants feudataires du comte de Foix figuraient les seigneurs de Castelverdun. Le chef de cette maison combattit les Croisés et lorsque le traité de Paris de 1229 eut proscrit l’hérésie, il s’entremit pour qu’on lui laissât la liberté du culte à Montségur devenu pour elle comme une place de sûreté. Atteint d’une maladie mortelle chez sa parente Cavaers, châtelaine de Fanjeaux, il demanda deux Parfaits qui allèrent chercher ses deux amis, chevaliers comme lui, Hugues et Sicard de Durfort ; il reçut d’eux le Consolamentum et mourut dans l’hérésie.

A Montréal, place forte qui se dressait sur une hauteur aux larges horizons dominant, d’une part, tout le pays entre Castelnaudary et Carcassonne et de l’autre, le Razès, habitait une famille féodale puissante par ses possessions et ses alliances. Son chef, Aymeric, s’intitulait, en 1211, seigneur de Montréal et de Laurac-le-Grand ; sa sœur Guillelme possédait Lavaur qu’elle défendit vaillamment contre Simon de Montfort. Or tous les membres de cette grande famille étaient hérétiques.

En face de Montréal, s’accrochant aux pentes de la Montagne-Noire se voient encore les ruines majestueuses du château-fort de Saissac, avec les pans de mur qui furent de puissantes courtines et formaient avec leurs tours, un puissant système de défense et de domination. Le bourg qui l’entourait était lui-même solidement fortifié. Là habitait un seigneur qui avait étendu ses domaines sur tout le versant méridional de la Montagne-Noire, de Revel à Caunes. C’était vraiment le roi de la Montagne et telle était sa puissance qu’il fut choisi comme tuteur du jeune Trencavel, vicomte de Carcassonne et de Béziers. Or Bertrand de Saissac était hérétique si bien que la victoire des croisés lui fit perdre tous ses biens. L’une de ses parentes « tenait maison d’hérétiques », c’est-à-dire était supérieure d’un couvent de Parfaites à Hautpoul, l’une des possessions de la famille.

Plus importante encore que les ruines de Saissac sont celles qui se dressent sur les sommets du Cabardès, dominant la route qui coupe la Montagne-Noire, pour mettre en communication Carcassonne et Albi. Dans cette place formidable dont plusieurs tours crénelées et un magnifique donjon en ruines demeurent les majestueux témoins, habitait une puissante famille seigneuriale toute gagnée à l’hérésie. Son chef Pierre Roger recevait chez lui ostensiblement les Cathares ; un de leurs diacres, Arnaud Not, faisait des prêches dans le château et parmi ses auditeurs figurait toute la noblesse d’alentour : Grave, chevalier de Cabaret, Bernard de Miraval, Pierre Raymond de Salsigne, Pierre de Laure, Gaucelm de Miraval. La plupart d’entre eux reçurent à leur lit de mort le Consolamentum. Parfois la prédication était plus solennelle ; c’était l’évêque cathare Pierre Isarn qui la faisait lui-même.

Les vicomtes de Carcassonne et de Béziers de la maison de Trencavel eurent envers l’hérésie la même attitude que leurs suzerains les comtes de Toulouse. Tout en faisant des legs à l’Église, Roger II avait choisi comme tuteur de son fils le seigneur notoirement hérétique de Saissac ; sommé en 1173 de retirer sa protection aux Parfaits, il ne s’était pas exécuté et avait été excommunié par les légats du Saint-Siège. Fils d’un tel père, pupille de Bertrand de Saissac, Raymond Roger Trencavel se défendit d’être hérétique lorsqu’en 1209, il tomba aux mains des Croisés ; mais il reconnut que « les sectaires avaient trouvé protection dans ses villes et sur ses terres » et il en rejeta la responsabilité sur les hommes que son père avait désignés pour gouverner la vicomté et l’éduquer lui-même pendant sa minorité.

Les plus puissants seigneurs des hautes vallées de l’Aude et de ses affluents pyrénéens étaient les sires de Niort. Outre les châteaux-forts et les nombreux villages qu’ils possédaient sur les hauteurs du pays de Sault, dans les vallées de l’Aude, et du Rébentys et du côté de l’Ariège, dans le Donezan et le comté de Foix, les trois frères, Guiraud Guillaume, Bernard Oth et Raymond tenaient de leur grand’mère Blanche de Laurac d’importants domaines dans le Lauraguais. Ils avaient, d’autre part, contracté des alliances de famille avec Nunès Sanche, comte de Roussillon, et les rois d’Aragon.

Or ils étaient tous foncièrement hérétiques. « Dès sa plus tendre enfance, Bernard Oth avait été élevé par sa grand’mère Blanche dans le couvent d’hérétiques qu’elle dirigeait à Laurac. Il y avait, pendant quatre ans, vécu de la vie des cathares, mangeant à leur table de leur pain bénit, assistant aux prédications des diacres et adorant les Parfaits. » (P. CCLII).

Sous l’autorité de ces grands seigneurs féodaux se trouvait toute une noblesse de hobereaux possédant un ou plusieurs villages, quelquefois même se partageant avec plusieurs autres un fief ou certains droits. Avant la croisade des Albigeois, la ville et le territoire de Mirepoix se partageaient entre 35 coseigneurs, vassaux du comte de Foix. Or toute cette noblesse rurale et même paysanne était, comme ses puissants suzerains, presque entièrement gagnée à l’hérésie.

Il en était de même des classes populaires. Les Cathares leur en imposaient par leur austérité. C’est ce que faisait remarquer saint Dominique aux religieux cisterciens qui essayaient en vain de ramener à la foi catholique les populations du Languedoc. « Voyez les Cathares, disait-il, c’est par les apparences trompeuses de la pauvreté et par des dehors d’austérité qu’ils persuadent les simples…; triomphez d’une sainteté menteuse par une religion vraie. »

Les Parfaits, d’autre part, « allaient au peuple » en lui rendant les services qui pouvaient le mieux le gagner. « Il ne faut pas avoir habité longtemps la campagne pour savoir le prestige dont y jouissent les médecins, surtout s’ils semblent donner leurs consultations par une sorte de vertu mystique. Un curé médecin voit rapidement les foules se presser autour de lui et les soins que le prêtre peut donner au corps lui ouvrent facilement le chemin des âmes. C’est ce qu’avaient compris les Parfaits ; un grand nombre d’entre eux étaient médecins. » (P. CCIX). Plusieurs dignitaires de la secte exerçaient aussi la médecine, et de même beaucoup de Parfaites.

Les Cathares rendaient aussi des services d’argent grâce aux sommes considérables qui leur venaient par dons et legs de leurs adhérents. Ils fréquentaient les foires et les marchés et colportaient de porte en porte leurs marchandises ; ce qui leur permettait de pénétrer dans l’intérieur des familles et de s’y créer des relations qui, commerciales d’abord, pouvaient prendre bientôt un caractère religieux.

En beaucoup de pays, ils ouvrirent des ateliers, soit pour augmenter leur influence sur ceux qu’il employaient comme ouvriers, soit pour assurer des moyens d’existence à ceux qui avaient fait profession entre leurs mains, soit pour avoir des occasions, sous prétexte d’affaires, de pénétrer au sein des familles. A Fanjeaux, un certain Tardieu approvisionnait de toisons de moutons les artisans cathares. Dans le couvent de Parfaites que dirigeaient, à Cabaret, Auda et Finas, on tissait des pièces d’étoffe.

Parfois ces ateliers servaient moins à fabriquer des objets qu’à former des apprentis que l’on préparait ainsi, dès leur jeunesse, à entrer un jour dans la secte. « Un marchand de Fanjeaux, frère d’un dominicain, raconta aux inquisiteurs que dans sa jeunesse, il avait été apprenti chez des hérétiques et qu’en cette qualité, il les avait adorés. Or, ajoutait-il, son cas n’était pas particulier ; à Fanjeaux, beaucoup de jeunes gens avaient été ainsi placés chez des patrons hérétiques et n’avaient pas tardé à les adorer. P. de Gramasie travaillait chez des hérétiques de Fanjeaux vers 1205 et c’est ainsi qu’il entendit les prédications des Parfaits et finit par les adorer. » Ce prosélytisme par l’apprentissage était facile en un temps ou l’apprenti était intimement mêlé à la vie familiale de son patron, considéré comme le fils de la maison, élevé et formé avec les enfants de son maître.

Cet apostolat fut si fécond qu’il finit par gagner au catharisme la plupart des corps de métiers, dans le Midi surtout, mais aussi dans le Nord de la France, en Allemagne et en Italie. Dans le Languedoc, au début du XIIIe siècle, les deux termes de « tisserand » et de « Cathare » étaient synonymes, tant l’industrie textile comptait de patrons et d’ouvriers soumis à la direction cathare. Déjà en 1157, le Concile de Reims faisait remarquer que c’était surtout par les voyages de tisserands nomades, ancêtres des « Compagnons de France », que les doctrines néo-manichéennes se propageaient dans le pays tout entier, au sein du monde ouvrier.

Enfin les Cathares se servaient de l’enseignement comme d’un excellent instrument de prosélytisme, leur permettant d’amener à leurs doctrines, dès l’âge le plus tendre, les enfants qui leur étaient confiés. Plusieurs de leurs maisons étaient des écoles et même des internats où leur influence se substituait entièrement à celle des familles. « A Saint-Martin-la-Lande, deux Parfaites entrèrent un jour chez une veuve, Na Mazeus, et voyant son fils, Pierre Biure, un enfant d’une douzaine d’années sans doute, ils lui proposèrent de l’emmener avec elles pour apprendre les lettres. L’ayant rencontrée, une autre fois, chez un certain Cap-de-Porc, elles lui firent les mêmes ouvertures : s’il voulait quitter sa famille et venir chez elles, elles le feraient instruire ; n’en avait-il pas assez de garder les bœufs ?… Ce fut aussi sous couleur de l’instruire que les hérétiques de Verfeil se firent livrer, à Villemur, Matfred de Palhac. Ils lui enseignèrent la grammaire, espérant qu’il deviendrait une colonne de leur église, magna columna ecclesiae haereticorum.

Pour garder à jamais l’enfant qu’on leur confiait et le soustraire entièrement à l’influence de sa famille, les Cathares usaient de procédés étranges ; en voici un que rapporte Étienne de Bourbon. « Un jour, dit-il, une mère voulant livrer sa fille aux hérétiques, feignit, sur leur conseil, de se rendre avec son enfant en pèlerinage au tombeau d’un saint. Cependant, s’emparant de la jeune fille, les hérétiques la firent entrer dans une maison inconnue, la revêtirent de leur habit, puis rendant à la mère les vêtements qu’elle venait de quitter : « Vous pourrez, lui dirent-ils, affirmer à vos voisins que votre enfant a passé de ce monde en un monde meilleur, puisque elle est venue à nous et que reçue dans cette maison souterraine, elle est morte au monde. » La malheureuse femme suivit ces tristes conseils ; elle paya même au curé du lieu les droits de sépulture. Heureusement, la jeune fille, au bout de sept ans, parvint à s’échapper de sa prison, revint à la foi et révéla la ruse de sa mère. »

Dans d’autres cas, c’est à la suite de rapts que les enfants étaient conduits dans les maisons hérétiques pour y recevoir l’enseignement et l’éducation qui les prépareraient à l’initiation. En 1245, un certain Pons, d’Avignonet, racontait aux inquisiteurs que trente ans auparavant, soit en 1215, son fils lui avait été volé par les hérétiques et que, depuis, il n’avait pu le revoir.

Ce qui rendait l’hérésie encore plus forte et plus conquérante, c’était sa solide organisation ; elle formait une contre-Église avec ses fidèles, ses docteurs, ses couvents, sa hiérarchie et son culte.

Les foules qui lui appartenaient se divisaient en deux groupes d’importance numérique et d’influence inégales.

Les plus nombreux étaient les Croyants. C’étaient ceux qui, sans avoir fait profession, recevaient les directions de la secte et la favorisaient de tout leur pouvoir. Ils continuaient à vivre dans le monde sans que rien les en distinguât ; ils gardaient toutes les apparences du catholicisme, recevant à l’occasion les sacrements de l’Église, suivant ses offices et entretenant le plus souvent des relations correctes avec ses religieux, ses prêtres et ses évêques, prenant même part à des œuvres pies par leurs aumônes et leurs fondations. Mais au fond de leur cœur, ils préféraient à l’Église, l’hérésie, au clergé catholique, la hiérarchie cathare ; et leur foi chrétienne était précaire parfois même nulle.

S’ils ne demandaient pas le Consolamentum, cérémonie d’initiation qui aurait fait d’eux des hérétiques Parfaits, des Purs ou Cathares, c’était pour ne pas s’astreindre aux pratiques rigoureuses de la secte, l’abstinence, la rupture de leur mariage, la chasteté perpétuelle ; mais la plupart, croyant que le salut était dans le Consolamentum et non dans les sacrements de l’Église comptaient bien le recevoir à leur lit de mort, pour obtenir ainsi, sans avoir à mener une vie austère, le bénéfice de leur conversion. Ils renvoyaient à leurs derniers moments la réception du Consolamentum, comme aux premiers siècles du christianisme, beaucoup de païens, chrétiens au fond de leur cœur, ajournaient jusqu’à leur lit de mort leur baptême.

Beaucoup ne dissimulaient pas ce calcul. Un certain Bernard Bort étant gravement malade reçut la visite de deux Parfaits qui lui proposèrent le Consolamentum. Il refusa leurs services quoique étant leur partisan, « parce qu’il ne pensait pas mourir, quia non putabat mori. »

Mais ces Croyants ne manquaient jamais l’occasion, quand ils assistaient à quelque réunion hérétique, de manifester leur ferme désir de recevoir un jour l’initiation ; ils étaient ainsi des « hérétiques de désir ». Quand ils se trouvaient en présence des Parfaits, ils les saluaient en disant : « Bons chrétiens, donnez-nous la bénédiction de Dieu et la vôtre ; demandez pour nous au Seigneur qu’il garde notre âme de la mauvaise mort et nous conduise à une bonne fin. » « Or, ajoute l’inquisiteur Bernard Gui, ils appellent mauvaise mort la mort dans le giron de l’Église romaine et « bien finir par le ministère des bons chrétiens » c’est se faire recevoir, à son dernier soupir, dans la secte et l’ordre des hérétiques. » Ces engagements souvent renouvelés s’appelaient convenentia.

Une fois par mois, ils assistaient à un prêche des Parfaits appelé l’apparelhamentum. Ils y faisaient un examen de conscience à la suite duquel ils prononçaient ces paroles : « Tandis que la sainte parole de Dieu nous enseigne, ainsi que les saints Apôtres et nos frères spirituels nous le prêchent, que nous rejetions tout désir de la chair et toute souillure, nous serviteurs négligents, non seulement nous ne faisons pas la volonté de Dieu, mais le plus souvent nous accomplissons la volonté de la chair et nous nous asservissons aux soucis du monde, si bien que nous nuisons à nos esprits. »

Après avoir ainsi libéré leur conscience de ses remords, reçu la bénédiction des Parfaits auxquels ils avaient rendu l’hommage de « l’adoration », ils reprenaient leur vie habituelle, fréquentant, s’il le fallait, l’Église catholique qui était cependant, aux yeux de la secte, l’Église de Satan, exerçant tous les métiers, prenant les aliments défendus et menant le plus souvent une vie dissolue que toléraient (comme nous l’avons vu plus haut) les Parfaits. L’usage de la viande était criminel et cependant les documents signalent des bouchers Croyants. « Si au cours de leurs voyages, on offrait aux Parfaits de la viande, du gibier ou simplement des œufs, ils se gardaient d’y toucher ; mais ils n’avaient aucun scrupule d’en faire manger eux-mêmes à leurs Croyants. Vers 1231, plusieurs Croyants d’Avignon allèrent « adorer » deux Parfaits qui étaient de passage ; or au repas liturgique qu’ils prirent en leur présence, « ils mangèrent du lièvre et plusieurs autres choses que les Parfaits leur donnèrent ». Nous savons que la morale cathare interdisait formellement les rapports sexuels et mettait au même rang l’inceste, l’adultère et le mariage. Or les Parfaits les toléraient chez leurs Croyants qui, jusqu’à l’initiation complète du Consolamentum gardaient avec eux leurs femmes et leurs concubines et souvent les unes et les autres.

Les Croyants prenaient d’autant plus de libertés avec la morale humaine et cathare qu’ils étaient persuadés que le Consolamentum les purifierait, d’un seul coup, à leur dernière heure, de toutes leurs fautes, si graves fussent-elles, et de toutes leurs souillures.

Puisque la secte libérait ainsi les Croyants de toutes les obligations du catholicisme sans leur imposer les siennes, en les mettant d’ailleurs, par ses doctrines auxquelles ils adhéraient, au-dessus de toutes les lois humaines, on conçoit que le nombre de ces hérétiques honoraires ait été fort nombreux et ait formé comme un tiers-ordre de l’Église cathare.

Au-dessus des Croyants, objets de leur part d’une grande vénération et d’un vrai culte, les Parfaits, appelés aussi Cathares ou Purs, formaient la vraie Église néo-manichéenne. Ils en étaient les membres actifs puisqu’ils se proposaient de mettre leur vie de tous les jours en conformité avec ses doctrines. Ils étaient consacrés Parfaits par les rites du Consolamentum. Ils vivaient le plus souvent en commun comme des religieux et lorsqu’ils voyageaient, c’était deux à deux. Ils étaient soumis à une sévère discipline et à une étroite hiérarchie.

Certains auteurs leur ont attribué un chef suprême comme un pape ; mais il est possible qu’ils aient cru voir un pape cathare dans tel évêque de la secte dont l’autorité ne portait que sur une région déterminée. Il est plus juste de croire, à la suite de plusieurs inquisiteurs qui ont étudié de près le catharisme, que la secte se composait d’une fédération d’Églises. En France, on en comptait quatre, celles des pays de langue d’oil, de Toulouse, d’Albi et de Carcassonne.

Chacune de ces églises avait à sa tête un évêque. Dans la première moitié du XIIIe siècle, l’évêque cathare de Toulouse se nommait Gaucelm. Un jour de l’année 1203, Olivier de Cuc, seigneur d’Auriac, le rencontra dans une rue de Toulouse avec son compagnon Vidal de Montaigu ; pour leur faire honneur, il descendit de cheval et mit à leur disposition ses montures. Étant toujours évêque de Toulouse, en 1213, quand les croisés se furent rendus maîtres de cette ville, Gaucelm se retira à Lavaur.

Il semble qu’à la suite de la tourmente de la croisade albigeoise, plusieurs évêques cathares aient dirigé simultanément l’église hérétique de Toulouse, de 1223 à 1240. « Gaucelm vivait encore en ces temps-là puisque, en qualité d’évêque, il prêchait aux Cassès, près de Castelnaudary, et y présidait une cérémonie religieuse en 1228 ; et cependant, en 1215, Bernard de La Mothe, diacre de la secte, avait été élevé à la dignité épiscopale et pendant plus de vingt ans, devait exercer, lui aussi, son ministère dans le Toulousain, à Saint-Germain, à Lanta, à Toulouse enfin, près de la Croix-de-Baragnon, et chez Sicard de Gameville. Une déposition reçue en 1239 par les inquisiteurs, nous le montre faisant, de 1223 à 1225, de vraies tournées pastorales dans le haut Languedoc, signalé tour à tour à Villemur, Montauban, Moissac, Castelsarrasin, et Toulouse, où il rencontrait un autre évêque de la secte Guilabert de Castres ; dans le pays de Lanta, à Taravel, à Folcalvat où il était reçu chez une noble dame ; à Caraman où il descendait et passait un an chez un diacre hérétique Guiraud de Gordo ; à Labécède-Lauraguais où Guilabert de Castres, son confrère, lui offrait l’hospitalité ; à Laurac chez le diacre Raymond Bernard, où il était adoré par plusieurs seigneurs de la contrée ; enfin à Fanjeaux, où il donnait audience chez Guilabert de Castres à toute la noblesse cathare du pays.

De là, il entra dans le Carcassès et visita tour à tour Aragon, Montolieu, Saissac, Verdun, pour assister ensuite, dans le Razès, au concile de Pieusse et à l’ordination de Benoît de Termes. Il retourna ensuite dans le Lantarès et le pays de Caraman, ses résidences habituelles, en passant par le Mirepoix, le Savartès et les terres du comte de Foix.

Quoique le séjour de Toulouse fût devenu dangereux depuis que, par le traité de Paris, Raymond VII s’était engagé à réprimer l’hérésie, Bernard de La Mothe y exerça plusieurs fois son ministère chez de nobles Croyants, les Roaix, les Massos, les Bouquet, les Roqueville. Il reparut aussi, vers le même temps, à Avignonet, dans le Mirepoix et le comté de Foix. Vers 1240, on le perd de vue.

On peut suivre de la même façon les traces des autres évêques du Toulousain, Guilabert de Castres, Bertrand Marty, des évêques du Carcassès, Pierre Isarn, Guillaume Abit, Pierre Folha ; de l’évêque du Razès Benoît de Termes, qui fut élu dans une réunion d’une centaine de personnes qui se tint dans la maison des Cathares, à Pieusse, non loin de Limoux.

Partout où il se trouvait, l’évêque était le chef ; il présidait les assemblées et prenait toutes les décisions importantes ; il était assisté de deux Parfaits qui étaient comme ses vicaires généraux : le fils majeur et le fils mineur.

Au-dessous des évêques il y avait des diacres qui parcouraient sans cesse leurs régions respectives, se tenant en perpétuelle relation avec les Parfaits et les Croyants, prêchant et présidant aux différentes assemblées et réunions liturgiques de la secte. Dans notre étude détaillée sur l’Albigéisme languedocien au XIIe et au XIIIe siècles, nous avons dressé la liste de nombreux diacres cathares en mentionnant, d’après les Registres de l’Inquisition, leurs résidences et parfois leurs tournées (p. CXLI-CLIII).

Ainsi forte du nombre de ses adhérents et de sa solide hiérarchie, l’Église cathare n’avait en face d’elle qu’une Église catholique affaiblie et découragée, dépourvue, semblait-il, de toute force de réaction.

Tandis que les masses l’abandonnaient, désertaient ses sacrements, ses prédications et ses temples, le clergé catholique était battu en brèche par la noblesse. Les seigneurs du XIIe siècle comme les princes qui au XVIe siècle, donnèrent leur adhésion à la Réforme, en Allemagne, en Angleterre, dans les pays scandinaves et même dans certaines régions de la France, souvent favorisèrent l’hérésie moins par conviction que par l’avidité qui les poussait à faire main basse sur les biens ecclésiastiques, à la faveur de la crise que traversait le catholicisme. Ils ne voyaient pas que, dépositaires de l’autorité, ils favorisaient l’éclosion et le développement des ferments d’anarchie politique et sociale que portaient en elle les doctrines néo-manichéennes[7] et qui n’auraient pas manqué d’éclater sans la victoire de la Croisade et l’établissement de l’Inquisition.

[7] De même, les princes allemands qui favorisèrent les débuts de la Réforme pour dépouiller l’Église catholique de ses biens, ne prévoyaient pas les guerres sociales et les cataclysmes qui devaient déchaîner l’anabaptisme et les autres sectes issues des prédications de Luther.

Le comte de Toulouse Raymond VI donnait le premier l’exemple de cette curée des biens d’Église. Dans une lettre du 1er mars 1196, le pape Célestin III s’en plaignait amèrement : « Nous avons appris, lui disait-il, non sans une grande douleur, que vous n’avez aucun respect pour la juridiction des églises et des monastères. » Il lui reprochait d’avoir pillé les domaines de l’abbaye de Saint-Gilles et fait construire sur ses terres le château-fort de Mirapetra.

Lorsque, en 1224, Raymond VII, comte de Toulouse, se réconcilia avec l’Église, voici les biens ecclésiastiques qu’il dut rendre aux églises et aux abbayes parce qu’elles en avaient été dépouillées par son père et par lui-même : à la cathédrale de Vaison, la ville et le château de Vaison ; à l’évêque de Maguelonne, le château de Melgueil ; à l’évêque d’Agde, la ville d’Agde, Loupian et plusieurs châteaux ; à l’abbé de Saint-Pons, le château de Salvetat, Montouliers, Labastide-Rouairoux ; à l’abbé de Quarante, Cesseras ; à l’abbé de Saint-Tibéry, le Mas Saintes-Puelles ; à l’évêque d’Albi, la place de Vias ; à l’abbé de Gaillac, ses anciennes possessions de Gaillac ; à l’évêque d’Agen, tous ses anciens droits dans la ville et le diocèse ; à l’évêque de Rodez, Villeneuve avec tous ses droits ; à l’évêque de Toulouse, à l’abbé de Saint-Sernin et au prieur de la Daurade, dans la même ville, tous leurs anciens droits ; et nous arrêtons là la liste interminable de ces usurpations.

L’abbaye de Lagrasse s’était vu confisquer par le vicomte de Béziers et de Carcassonne et par ses vassaux : dans le Razès, Cépie, Malviés, Saint-Couat, Verzeilles, Montgradail, la moitié de Belvèze, Couffoulens, Leuc, Couiza, Luc-sur-Aude ; dans le Cabardès, Cabrespine ; dans le Carcassès, Blomac, Comigne, Cours, Comeilles, Alaric, Moux, Montlaur, Montclar, etc. D’autre part, Olivier de Termes lui avait pris tous les villages qu’elle possédait dans les Corbières et le Roussillon.

Un des seigneurs les plus hostiles à l’Église était ce seigneur de Saissac, Bertrand, qui gouverna comme régent la vicomté de Carcassonne et de Béziers pendant la minorité de son pupille Raymond Roger Trencavel. Pour mieux dépouiller l’abbaye d’Alet des biens qu’il convoitait, il y installa, comme abbé, une de ses créatures, par les procédés les plus odieux. Les moines ayant rejeté son candidat avaient élu un de leurs voisins, l’abbé de Saint-Polycarpe, Bernard de Saint-Ferréol. « En l’apprenant, le sire de Saissac se livra aux pires excès. Il se rendit à Alet, entra de force dans l’enceinte de l’abbaye et après un engagement entre ses hommes et ceux du monastère, il arracha violemment de son siège Bernard de Saint-Ferréol, l’enferma dans une étroite prison et l’y retint trois jours. Puis, cassant de sa propre autorité le choix qui venait d’être fait, il fit procéder à une nouvelle élection dans les circonstances les plus macabres. Pour effacer tout ce qui avait été accompli les jours précédents, il eut l’idée inouïe de faire présider le chapitre par l’abbé qui venait de mourir : il le fit déterrer et revêtir de ses insignes, puis l’installa sur son trône abbatial. Sous la présidence de ce cadavre en décomposition, les moines terrifiés votèrent et ce fut naturellement pour le candidat de Bertrand. Ainsi se fit l’élection de Boson. Arrachée par l’intimidation, achetée par la simonie (car plusieurs religieux avaient reçu de l’argent de Bertrand), accomplie dans les circonstances les plus étranges, elle aurait dû être cassée. Mais l’archevêque de Narbonne se laissa acheter, lui aussi, et donna sa confirmation à Boson. Avec un tel abbé, Bertrand de Saissac et Trencavel après lui, prirent de telles libertés avec les biens du monastère qu’ils furent rapidement dilapidés et l’abbaye réduite à la misère.

L’abbaye de Saint-Hilaire, près de Carcassonne, fut également dépouillée par la noblesse environnante, en particulier des biens qu’elle possédait à Limoux et de l’église Saint-Martin de cette ville.

Encouragé par les violences des seigneurs, le peuple se livrait à toutes sortes d’attentats contre les églises et les membres du clergé. « La soldatesque du comte de Foix commettait dans les églises et les monastères les plus odieuses profanations. Après la prise d’Urgel, « elles faisaient avec les bras et les jambes des crucifix des pilons pour broyer les condiments de leur cuisine. Leurs chevaux mangeaient l’avoine sur les autels. Eux-mêmes, après avoir affublé les images du Christ d’un casque et d’un écu, s’exerçaient à les percer de coups de lance, comme les mannequins qui leur servaient au jeu de la quintaine. Dans le diocèse de Toulouse, l’évêque ne pouvait plus faire ses visites pastorales parce que les populations lui étaient hostiles et il devait se faire accompagner de fortes escortes. A Béziers, les chanoines se retranchaient dans leur église transformée en forteresse, par crainte des habitants de la ville.

Quelques mois avant la Croisade, les moines de Montolieu voyaient se soulever contre eux la population de leur ville. Le monastère fut envahi, pillé et brûlé par les hérétiques, ses terres dévastées et sous la conduite de leur abbé, les religieux eurent à peine le temps de se réfugier à Carcassonne où Raymond de Capendu les recueillit.

L’évêque de Carcassonne, Bérenger, avait été, quelques années auparavant, persécuté par les hérétiques de sa cité épiscopale. Sur la fin de ses jours, il voulut prêcher contre eux et réfuter leurs erreurs en leur prédisant les maux qui devaient tomber sur eux. Loin de se convertir, ils le chassèrent de Carcassonne avec défense à n’importe quel habitant de la ville de rester en relations avec lui[8].

[8] Jean Guiraud. L’Albigéisme languedocien au XIIe et XIIIe siècle, pp. CCLXXIX-CCLXXX.

Un jour, au Mas Saintes-Puelles, dans la boutique de Pierre Gauta, il se passa un fait vraiment ignoble. Plusieurs personnes s’y trouvaient réunies et parmi elles était un certain Pierre Rigaud, qui étant acolythe, portait la tonsure cléricale ; une des personnes présentes devant toutes les autres commit une incongruité que seul le latin peut exprimer : « inductus propria voluntate, minxit super coronam ipsius testis qui est acolythus, in opprobrium et in turpitudinem totius ecclesiae catholicae. »

Parfois, c’était par l’assassinat, manqué ou accompli, que ces populations témoignaient leur haine aux gens d’Église.

Au cours de ses prédications saint Dominique faillit être massacré par les hérétiques. Pressentant quelque embûche, nous dit un de ses biographes du XIIIe siècle, il marchait intrépide et alerte, montant vers Fanjeaux. Du bord du sentier tombèrent sur lui des gens armés qui l’avaient attendu pour le tuer et ils n’y renoncèrent qu’en voyant avec quelle ardeur il désirait le martyre. « A quoi bon, se dirent-ils, faire son jeu ? » Encore de nos jours, en souvenir de ce fait ce sentier s’appelle le chemin du Sicaire et le lieu même où saint Dominique fut assailli est marqué d’une croix. Ce fut l’assassinat du légat Pierre de Castelnau, par des hérétiques, familiers du comte de Toulouse, qui déchaîna la guerre des Albigeois en déterminant le pape Innocent III à faire prêcher la Croisade.

En face de ces violences et de ces attentats de sectes qui se croyaient tout permis, le clergé catholique s’abandonnait, sans la moindre réaction, soit qu’il fut découragé, soit que plusieurs de ses membres fussent complices de l’hérésie, comme ces prélats et ces clercs du XVIe siècle, qui pactisèrent avec la Réforme.

Le métropolitain de tous ces diocèses que désolait l’hérésie, Bérenger, archevêque de Narbonne depuis 1191, appartenait par sa naissance à cette féodalité infectée de catharisme puisqu’il était le fils de Raymond Bérenger, comte de Barcelone, et oncle de ce roi d’Aragon, Pierre, qui devait trouver la mort à la bataille de Muret, en combattant les croisés. En 1204, les légats du Saint-Siège le dénoncèrent à Innocent III comme coupable « de montrer une extrême négligence dans les fonctions de son ministère et de n’avoir pas encore visité ni sa province ni son diocèse depuis treize ans qu’il occupait son siège, conduite, disaient-ils, qui n’avait pas peu contribué à l’accroissement de l’hérésie dans tout le pays. » De mœurs relâchées, pratiquant la simonie, il n’avait ni les moyens, ni même la volonté de s’opposer au mal ; il devait être déposé en 1212 après la victoire des Croisés.

L’année précédente, son suffragant, Bernard Raymond de Roquefort, évêque de Carcassonne, avait eu le même sort à cause de ses accointances avec la noblesse hérétique à laquelle il se rattachait par sa naissance et toute sa parenté ; il en fut de même de Raymond de Rabastens, évêque de Toulouse.

Nous avons vu plus haut quel singulier abbé, la violence du sire hérétique de Saissac imposa au monastère bénédictin d’Alet. Aussi n’est-il pas étonnant que le légat apostolique, Conrad, cardinal évêque de Porto, ait procédé contre cet abbé Boson et l’ait dégradé « comme favorisant les hérétiques ». Il est à croire que la grande majorité des moines ressemblait à l’abbé, puisque au lieu de donner à Boson, un successeur, le légat concéda l’abbaye et ses biens au chapitre de Narbonne, « parce que l’abbé et les moines du dit Alet soutenaient les hérétiques de la dite ville. »

On ne saurait affirmer que l’abbé de Saint-Volusien de Foix fût hérétique, mais son entourage comptait de nombreux Cathares. Il appartenait à une famille de haute noblesse, que le catharisme avait profondément pénétrée, la famille de Durban. « Vers 1224, son frère Bertrand reçut le Consolamentum à Pamiers, à son lit de mort, en présence de plusieurs seigneurs du pays de Mirepoix ; il légua aux Parfaits son cheval. Agnès, sa sœur, était, elle aussi, hérétique. Vers 1210, à Castel-Verdun, en présence de Raymond de Montlaur, frère de l’abbé de Saint-Antonin de Pamiers, elle déclarait qu’il n’y avait de salut que chez les Cathares, non erat salvatio nisi in haereticis. Elle éleva son fils Garcias Arnaud dans ces doctrines. En 1230, elle assistait à une cérémonie de la secte à Castelverdun, chez Pons Arnaud, seigneur du lieu.

Les Parfaits avaient des intelligences dans le monastère bénédictin de Sorèze ; ils envoyaient, un jour, une corbeille de cerises au moine Guilabert Alzeu (p. CCLXXXVII).

Quant au bas clergé, encore plus mêlé, surtout dans les campagnes, aux populations indifférentes ou fanatisées par les Parfaits, il était découragé et démoralisé ; il se résignait à son impuissance ou même entretenait de bonnes relations avec les hérétiques afin de n’avoir pas la vie trop dure. Il faisait, en somme, comme plus d’un curé de notre temps qui croit nécessaire de faire bon ménage avec son maire franc-maçon, telle famille radicale ou son instituteur socialiste parce qu’il serait dangereux de les combattre.

Les interrogatoires de l’Inquisition nous présentent plusieurs de ces curés qui entretenaient de bonnes relations non seulement avec les Croyants mais même avec les Parfaits. Tel celui de Saint-Michel-de-Lanès, en Lauraguais, maître Arnaud Baron : il aime tellement le jeu qu’il laisse mourir ses paroissiens sans sacrements et sans absolution plutôt que d’abandonner ses échecs et ses dés… et peut-être aussi, ajoutons-le, parce qu’on a trop souvent refusé son ministère. Entre un chrétien austère ne jouant pas et un hérétique Croyant bon joueur, il n’hésite pas : c’est ce dernier qu’il fréquente. Aussi par le jeu est-il fort lié avec les hérétiques et avec le plus important de tous, le sire de Saint-Michel, seigneur du lieu, son partenaire. D’une tolérance qui eût réjoui Voltaire, il accepte des invitations à dîner au couvent hérétique de Labécède, paroisse cependant assez éloignée de la sienne. Il a tellement la confiance des Parfaits qu’il assiste à leurs cérémonies, sans toutefois s’associer à leurs prières ou les adorer. « Lorsque les Croyants revenaient à l’Église il avait une singulière manière de les absoudre. L’un d’eux, Guillaume d’Issel, reçut de lui la pénitence dite des vendredis (penitentia de sextis feriis). Mais, peu après, prêtre et pénitent se mirent à jouer et la pénitence que le curé venait d’imposer fut l’enjeu de la partie. Guillaume d’Issel la gagna et la pénitence lui fut enlevée !

Un autre curé, celui de Cadenal, habita pendant deux ans, avec un Parfait, prenant avec lui tous ses repas. Il savait fort bien qu’il était le commensal d’un « hérétique vêtu », mais peu lui importait. « Un chevalier de Puylaurens, Sais de Montesquieu, alla entendre la prédication de deux hérétiques de marque, Bernard de la Mothe et Raymond de Carlipa ; il aperçut dans l’assistance Rocas, curé de Cuq-Tolsa ; et cependant c’était en 1225, alors que la Croisade des Albigeois avait porté de grands coups à l’hérésie. Un autre jour, il vit grande foule devant le château de Puylaurens où un Vaudois allait faire une conférence ; et comme il reprochait à plusieurs de ceux qui étaient ainsi assemblés de venir entendre un hérétique, ils lui répondirent qu’ils pouvaient bien le faire puisque leur curé était avec eux. Il y avait en effet parmi eux maître Bernard Adalbert, curé de la Crozelle.

« Les interrogatoires de l’Inquisition nous révèlent un fait tellement inouï qu’il est à peine croyable. La citadelle de l’orthodoxie, le couvent dominicain de Prouille, aurait compté, un traître en 1220, du vivant même de saint Dominique, et le propre fils de Simon de Montfort, qui avait été le chef de la Croisade et était mort en combattant l’hérésie, Amaury aurait eu un chapelain hérétique. C’est ce que déclarait à l’inquisiteur un habitant de Fanjeaux, Bernard Mir : « Dans ce bourg, chez Guillelme de Nabona, il alla entendre l’un des chefs des Cathares, Raymond Mercier et son compagnon ; il y avait là Peytavi Arveu, Guillaume Hugon, clerc, un autre clerc, Guillaume de Lanta, un convers de Prouille, Pierre Roger, et Gaubert, chapelain du comte de Montfort ; et tous adorèrent les hérétiques en fléchissant le genou et en disant : « Bons hommes, priez Dieu pour nous ! » (p. CCXC).

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