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L'Inquisition médiévale

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CHAPITRE II
L’ÉTABLISSEMENT DE L’INQUISITION

Sommaire. — Missions cisterciennes impuissantes, — Saint Dominique. — La Croisade des Albigeois. — La répression de l’hérésie par le pouvoir civil et l’Église avant l’Inquisition. — Constitution de Vérone. — Le concile de Toulouse. — Règlements de l’Inquisition toulousaine. — Prêcheurs et Mineurs. — Manuels des Inquisiteurs.

De toute évidence, l’Église ne pouvait pas compter sur un pareil clergé pour arrêter les progrès de l’hérésie et encore moins reconquérir sur elle le terrain perdu. Aussi, au cours du XIIe siècle, les papes avaient-ils fait appel au clergé du Nord de la France et surtout à l’ordre de Citeaux. A la demande du pape, saint Bernard était venu prêcher contre les hérétiques ; ni son éloquence, ni l’ardeur de son zèle apostolique, n’avaient réussi ; on l’avait tourné en dérision. En 1177, Pierre, cardinal de Saint-Chrysogone dirigea une mission dans les états du comte de Toulouse ; elle n’obtint aucun résultat appréciable. En 1181, Henri, abbé de Clairvaux, fit une nouvelle tournée accompagnée de mesures de répression puisqu’il déposa l’archevêque de Narbonne, Pierre d’Arsac. Il réunit plusieurs conciles pour réformer l’Église occitane et il s’empara de la ville de Lavaur qui était un repaire d’hérétiques. Malgré ces actes d’énergie, le Catharisme continua à faire de tels progrès que, dès l’année même de son avènement, Innocent III s’en préoccupa. Il organisa une troisième mission cistercienne à la tête de laquelle il mit deux religieux ; l’un d’eux, Raynier, étant tombé malade, fut remplacé par l’archidiacre de Maguelonne, Pierre de Castelnau, qui fit aussitôt profession dans l’ordre de Citeaux et devint moine de l’abbaye de Fontfroide près de Narbonne.

Munis de pleins pouvoirs par le Saint-Siège, ces nouveaux légats mêlèrent la répression à la persuasion. Ils firent des enquêtes ou inquisitions sur les hérétiques et leurs menées, exigeant, sans l’obtenir, leur répression du pouvoir séculier, qui le plus souvent, était gagné lui-même à l’hérésie ; ils menaçaient les endurcis de sentences d’excommunication et de confiscation de leurs biens.

En même temps, ils multipliaient les prédications et engageaient même avec les Parfaits des conférences contradictoires ; dans l’une d’elles qui eut lieu, en 1204, à Carcassonne, Pierre de Castelnau et Raoul, son collègue, se mesurèrent avec l’évêque cathare, Bernard de Simorre. Peine perdue ! en 1204, Pierre de Castelnau était tellement découragé qu’il demandait au pape Innocent III, sans l’obtenir, d’être relevé de ses fonctions.

Ce fut alors que traversant le Languedoc, Diégo, évêque d’Osma, et le sous-prieur de son chapitre, Dominique de Gusman, voyant le désarroi des prédicateurs cisterciens et la puissance de l’hérésie, abandonnèrent leurs projets de voyage pour se consacrer à leur tour à la lutte contre l’hérésie.

Pour gagner les âmes égarées ils employèrent deux moyens. Ils essayèrent de rivaliser d’austérité avec les Parfaits : renvoyant ses équipages en Espagne, Diégo, accompagné de Dominique, parcourut les campagnes, pieds nus, revêtu d’une robe de bure, sans argent, faisant contraste avec la magnificence des légats cisterciens. En même temps, ils multipliaient les prédications et les conférences contradictoires dans des réunions qui étaient présidées par un bureau mixte et se terminaient par le vote d’ordres du jour, comme nos modernes meetings.

Plusieurs de ces controverses furent brillantes. A Servian, près de Béziers, la réplique fut donnée à saint Dominique et à Diégo par un prêtre apostat, Thierry, et la discussion se prolongea pendant huit jours. De là les missionnaires allèrent à Béziers où les conférences contradictoires se poursuivirent quinze jours. Il en fut de même à Montréal où les plus illustres cathares, au nombre desquels était Guilabert de Castres, argumentèrent contre Diégo et Dominique.

Ces missions avaient les résultats les plus différents. A Verfeil, l’obstination hérétique fut telle que Diégo contre ce bourg renouvela la malédiction que lui avait déjà lancée, à la suite de son échec, saint Bernard : « Verfeil (Viridefolium, feuille verte), que le seigneur te dessèche ! » A Montréal, au contraire, saint Dominique semble avoir eu l’avantage : les arbitres qui appartenaient au clan hérétique, refusèrent de mettre aux voix l’ordre du jour et 150 conversions au catholicisme suivirent la réunion (1206). Une grande controverse eut lieu, l’année suivante, à Pamiers, entre les catholiques et les Vaudois ayant à leur tête Durand de Huesca. Le président de la réunion était du parti hérétique ; non seulement il se convertit avec ses compagnons vaudois, mais encore il forma avec eux la pieuse association des Pauvres catholiques qui faisaient vœu de mendier leur pain, de pratiquer la charité et de prêcher les hérétiques.

Le succès partiel de ces prédications excita la colère des Cathares qui, assurés de la complicité des seigneurs, multiplièrent leurs attentats contre l’Église. Aussi à plusieurs reprises, Innocent III fit-il appel au roi de France, Philippe-Auguste, et à ses barons du Nord pour obtenir leur protection en faveur des catholiques du Midi de la France. Le 8 mai 1204, il leur demandait de mettre leur puissance à la disposition des légats ; le 7 février 1205, il se faisait encore plus pressant : il écrivait à Philippe-Auguste et à son fils aîné, le prince Louis : « En vertu du pouvoir que vous avez reçu d’en haut, contraignez les comtes et les barons du Midi à confisquer les biens des hérétiques et usez d’une semblable peine envers ceux de ces seigneurs qui refuseront de les chasser de leurs terres. »

Comptant sur l’appui que le pape demandait ainsi au roi de France, Pierre de Castelnau reprenait courage et poursuivait énergiquement la lutte contre l’hérésie. Excommunié une première fois, à cause de la faveur qu’il accordait aux Cathares, le comte de Toulouse avait été absous en 1198 sur la promesse qu’il avait faite de les poursuivre ; il ne tint nullement sa promesse. A la fin de 1204, Pierre de Castelnau la lui rappela, le mettant en demeure de proscrire les hérétiques et de confisquer leurs biens. Raymond VI le promit ; il laissa déposer par le légat l’évêque de Toulouse, mais il ne fit rien lui-même. Le légat négocia la paix entre plusieurs seigneurs, les réunit ensuite dans une ligue contre l’hérésie, et demanda au comte Raymond de s’unir à eux. Raymond VI refusa et Pierre retourna contre lui la ligue nouvellement formée. Enfin il lança contre lui une sentence solennelle d’excommunication qui fut aussitôt confirmée par le Pape. « Si cette punition ne vous fait pas rentrer en vous-même, écrivait Innocent III à Raymond VI, nous enjoindrons à tous les princes voisins de s’élever contre vous comme contre un ennemi de Jésus-Christ et un persécuteur de l’Église, avec permission à chacun de retenir toutes les terres dont il pourra s’emparer sur vous afin que le pays ne soit plus infecté d’hérésie sous votre domination. »

Devant ces menaces, Raymond VI se soumit et obtint la levée de l’excommunication ; mais éclairé par Pierre de Castelnau, le Pape n’avait aucune confiance dans le comte de Toulouse et de même que pour suppléer le clergé du Midi, le Saint-Siège avait fait appel aux Cisterciens, de même il confia au roi de France et à ses barons la défense de l’orthodoxie que déclinaient le comte de Toulouse et les seigneurs du Midi. « Par une bulle datée du 17 novembre 1207, il invita Philippe-Auguste à venir dans le comté de Toulouse combattre les hérétiques et y rétablir l’orthodoxie ; à lui et à tous ceux qui prendraient part à cette expédition, Innocent III accordait les mêmes indulgences qu’aux croisés partant pour la Terre Sainte. Des bulles analogues étaient adressées aux comtes, barons, chevaliers et en général à tous les chrétiens du royaume de France, aux comtesses de Troyes, de Vermandois et de Blois, au duc de Bourgogne, aux comtes de Nevers et de Dreux et à Guillaume de Dampierre.

C’était la Croisade contre les Albigeois prêchée par le Pape à toute la France du Nord.

Retenu par sa guerre avec l’Angleterre, Philippe-Auguste répondit froidement à cet appel si solennel ; il mettait comme condition préalable à son intervention dans le Midi la conclusion d’une trêve avec l’Angleterre garantie par le Saint-Siège et une aide pécuniaire du clergé ; encore ne voulait-il s’engager que pour un an.

Au milieu de ces hésitations survint un événement imprévu qui précipita les événements : le 15 janvier 1208, au moment où il allait passer le Rhône après avoir eu, la veille, à Saint-Gilles, un entretien orageux avec le comte de Toulouse, le légat apostolique Pierre de Castelnau était assommé par un inconnu et aussitôt l’opinion publique désigna Raymond VI comme l’instigateur de ce crime : le meurtrier était de fait un de ses familiers. Ce fut aussi le sentiment de l’abbé de Citeaux et du Pape.

« A la nouvelle de cet assassinat, Innocent III manifesta la plus grande colère. » De l’affliction qu’il en eut, dit la Chanson de la Croisade, il tint la main à sa mâchoire et invoqua saint Jacques de Compostelle et saint Pierre de Rome. » Dès le 10 mars 1208, il envoya une lettre circulaire aux archevêques de Narbonne, d’Arles, d’Embrun, d’Aix, de Vienne et à leurs suffragants. Après avoir fait l’éloge de Pierre de Castelnau et décrit sa mort, il leur faisait un pressant devoir de poursuivre l’hérésie qui avait armé le bras du meurtrier. Quant au comte de Toulouse, il le désignait comme le complice de l’assassin et il l’excommuniait en déliant de leurs serments « tous ceux qui lui avaient promis fidélité, société ou alliance » ; il ordonnait à tout chrétien « de poursuivre sa personne et d’occuper ses domaines, sauf le droit du seigneur principal. » Les évêques devaient prêter leur concours le plus absolu aux deux légats Arnaud, abbé de Citeaux et Navarre, évêque de Couserans. Le pape ordonna en même temps à l’archevêque de Tours de ménager une trêve entre les rois de France et d’Angleterre, puis de se joindre aux évêques de Nevers et de Paris pour prêcher la Croisade dans les terres de Philippe-Auguste et de ses vassaux.

Aucune de ces mesures ne put faire sortir le roi de France de sa prudente réserve ; il se contenta, malgré toutes les instances du Saint-Siège, de permettre à ses barons de se croiser et c’est ainsi qu’en 1209, l’armée de la Croisade s’organisa sans l’intervention de Philippe-Auguste.

Elle se composait d’un grand nombre de seigneurs, de prélats et de paysans. « L’ost, dit la Chanson de la Croisade, fut merveilleuse : vingt mille chevaliers armés de toutes pièces, plus de deux cent mille vilains et paysans, sans compter clercs et bourgeois. » Pierre, abbé de Vaux-Cernay qui prit part à l’expédition avec les autres abbés cisterciens, réduit ces chiffres : il ne comptait que 50.000 hommes dans l’armée quand elle arriva sous les murs de Carcassonne.

Nous n’avons pas à raconter avec ses péripéties la Croisade des Albigeois, marquée tantôt par la victoire des armées du Nord, tantôt par des retours de fortune en faveur des seigneurs du Midi. La bataille de Muret dans laquelle fut tué le principal allié des Albigeois, le roi Pierre d’Aragon, sembla assurer la victoire définitive du chef des armées du Nord, Simon de Montfort, sur Raymond VI et ses troupes méridionales ; mais, cinq ans après, la mort de Simon sous les murs de Toulouse remettait tout en question puisque le commandement de la Croisade tombait aux mains du fils de Simon, Amaury, tout à fait inférieur à son père par l’intelligence et le caractère. En moins d’un an Raymond VI, aidé par la jeunesse entreprenante de son fils, reprenait une grande partie du terrain perdu.

La Croisade semblait compromise ; ce fut le moment que Philippe-Auguste choisit pour en saisir la direction afin d’en recueillir les fruits. Son fils Louis prit le commandement des troupes d’Amaury désemparées et à la suite de plusieurs campagnes qu’il poursuivit pendant son règne éphémère de trois ans (1223-1226), il prépara la victoire finale qui fut obtenue grâce à l’habileté diplomatique de sa femme Blanche de Castille, sous la minorité de son fils Louis IX. En 1229, Raymond VII, comte de Toulouse, demanda la paix qui fut signée définitivement à Paris en 1229.

Par ce traité, Raymond VII cédait au roi de France le bas Languedoc, qui forma les sénéchaussées de Carcassonne et de Beaucaire ; il ne gardait pour lui que le Toulousain, l’Agenais, la Rouergue et une partie de l’Albigeois. Il donnait à un frère de Louis IX, Alphonse de Poitiers, sa fille unique Jeanne en mariage et par elle la succession éventuelle des domaines qu’il conservait.

Le cardinal légat Romain de Saint-Ange, négociateur du traité, fit insérer dans le texte des clauses concernant la répression de l’hérésie. Raymond VII s’engageait à faire ce que son père Raymond VI avait refusé avant la Croisade, à poursuivre les hérétiques et à les exterminer, c’est-à-dire à les expulser de ses terres après leur avoir confisqué leurs biens.

Pour agir ainsi, il fallait les rechercher avec d’autant plus de soin que ne pouvant plus compter sur la faveur des princes, ils allaient désormais se cacher en donnant à leur secte le caractère d’une société secrète.

Cette recherche (inquisitio) des hérétiques en vue de leur procès et de leur extermination fut l’Inquisition.

A vrai dire elle n’était pas une nouveauté.

Nous avons vu plus haut que, dès les origines même du christianisme, les princes, empereurs romains et byzantins, rois de France, avaient édicté des mesures sévères pour réprimer et punir l’hérésie à cause de ses doctrines anarchiques et antisociales. Les papes du XIIe siècle n’avaient fait que marcher sur leurs traces, lorsqu’ils avaient publié des ordonnances contre les hérétiques de plus en plus dangereux et ordonné aux souverains de les exécuter.

Dès 1139, le concile œcuménique de Latran présidé par Innocent III, s’exprimait ainsi dans son canon 23 : « Les hérétiques qui rejettent le sacrement du corps et du sang du Seigneur, le baptême des enfants, le sacerdoce et les autres ordres, condamnent le mariage, sont expulsés de l’Église de Dieu ; nous les condamnons et nous ordonnons au pouvoir civil de les réprimer ». Le concile de Reims qui se tint en 1148 sous la présidence du pape Eugène III, effrayé des progrès des Cathares dans le Midi de la France, renouvela ces sentences : « Personne, disait-il, ne devait défendre ou protéger les Cathares ; aucun seigneur ne devait les accepter sur ses terres sous peine d’anathème et d’interdit. »

Effrayés, comme l’avait été Robert le Pieux, par le caractère antisocial et anarchiste des doctrines et des organisations hérétiques, les princes sollicitaient de l’Église de semblables décrets et l’inclinaient vers la rigueur. Rien n’est plus curieux à ce propos que la discussion qui s’engagea, en 1162, entre le roi de France Louis VII et le pape Alexandre III.

Le frère du roi, Henri, archevêque de Reims, inquiet du progrès des Cathares, s’apprêtait à les poursuivre lorsque ceux-ci firent appel au Saint-Siège. Alexandre III répondit à leur attente en recommandant ainsi la douceur envers eux à l’archevêque et au comte de Flandre. « Mieux vaut absoudre les coupables que de s’attaquer par une excessive sévérité à la vie d’innocents… l’indulgence sied mieux aux gens d’Église que la dureté. » Et il appuyait son conseil sur ce texte de l’Écriture : « Noli nimium esse justus. »

Louis VII, à qui l’archevêque dut communiquer cette lettre, répondit au Pape pour plaider contre sa mansuétude la cause de la rigueur : « Notre frère l’archevêque de Reims, lui dit-il, parcourant dernièrement la Flandre, y a trouvé des hommes égarés par les plus funestes doctrines, adeptes de l’hérésie des Manichéens ; l’observation a prouvé qu’ils sont beaucoup plus mauvais qu’ils ne le paraissent. Si leur secte continue à se développer, ce sera un grand mal pour la foi… Que votre sagesse donne une attention toute particulière à cette peste et la supprime avant qu’elle puisse grandir. Je vous en supplie pour l’honneur de la foi chrétienne, donnez toute liberté dans cette affaire à l’archevêque ; il détruira ceux qui s’élèvent ainsi contre Dieu : sa juste sévérité sera louée par tous ceux qui, dans ce pays, sont animés d’une vraie piété. Si vous agissiez autrement, les murmures ne s’apaiseraient pas facilement et vous déchaîneriez contre l’Église romaine les violents reproches de l’opinion. »

Le pape qui chassé de Rome, s’était réfugié dans les états de Louis VII, s’inclina devant ses représentations ; il convoqua à Tours un concile qui réunit 12 cardinaux, 124 évêques, 314 abbés et une foule considérable et il prit des mesures énergiques contre « l’hérésie manichéenne qui, comme un chancre, s’était étendue à travers toute la Gascogne et dans d’autres provinces. » Tous les évêques et tous les prêtres avaient ordre de surveiller les hérétiques, de les faire chasser du pays où on les découvrirait, de surprendre leurs assemblées secrètes et de les faire condamner par les princes à la prison et à la confiscation de leurs biens.

Le roi d’Angleterre se montrait aussi rigoureux contre les hérétiques que le roi de France. Traqués en Flandre, en 1163, ceux-ci s’étaient réfugiés en Grande-Bretagne. Henri II les fit arrêter, marquer d’un fer rouge au front et exposer, ainsi défigurés, devant le peuple. C’est ainsi, nous dit le chroniqueur Guillaume de Newbridge, qu’il préserva totalement le royaume de la peste de l’hérésie. Les Assises de Clarendon rédigées par Henri II défendaient « de recevoir chez soi des hérétiques sous peine de voir sa maison détruite. » C’était l’extermination complète et radicale de l’hérésie et comme le fait remarquer Lea, dans son Histoire de l’Inquisition, elle était ordonnée par une loi exclusivement civile, poursuivie par des officiers laïques et une juridiction séculière, au nom d’un prince excommunié par l’Église à cause du soin qu’il prenait de la soumettre au pouvoir laïque.

Lorsqu’ils eurent signé la paix entre eux, Louis VII et Henri II entraînèrent le pape dans une action encore plus énergique. C’est sur leurs instances qu’Alexandre III, envoya en 1179, dans le Midi de la France la mission du cardinal de Saint-Chrysogone. « Henri II, dit le chroniqueur Benoît de Peterborough (1178), ne voulut pas passer la mer et rentrer en Angleterre avant de s’être entendu avec le roi de France pour envoyer de concert avec lui, dans le comté de Toulouse, des hommes d’Église et des laïques qui ramèneraient les hérétiques à la vraie foi par des prédications ou les réduiraient par les armes. »

Alexandre répondait à leurs vœux lorsque, rentré dans Rome, il convoquait le concile de Latran et devant les évêques qui le composaient, tout en rappelant que le clergé avait horreur des répressions sanglantes (cruentas effugiunt ultiones), il invitait les puissances séculières à édicter des sanctions pénales « contre les Cathares, les Publicani et les Patareni, qui en Gascogne, dans l’Albigeois et le comté de Toulouse, ne se contentaient pas de professer leur erreur en secret, mais la manifestaient publiquement. » Il déclarait anathème leurs protecteurs, quiconque les recevrait sur ses terres ou commercerait avec eux ; il appelait les princes et le peuple aux armes contre eux. Une indulgence de deux ans était accordée à tous les chrétiens qui répondraient à cet appel ; pendant leur séjour à l’armée sainte, leurs droits et leurs biens seraient sous la sauvegarde spéciale des évêques.

Cette décrétale d’Alexandre III proclamait, pour la première fois, la guerre sainte, la Croisade, contre les hérétiques.

Dès les débuts de son règne, Philippe-Auguste se montra aussi rigoureux contre l’hérésie que son père Louis VII. Dans sa Philippide, Guillaume Le Breton le félicite d’avoir poursuivi énergiquement ces êtres malfaisants « que le peuple appelle Popelicani, qui réprouvent le bonheur conjugal, déclarent défendre l’usage de la viande et répandent plusieurs autres superstitions. » Le roi les a fait sortir de leurs cachettes et après les avoir fait juger par ses tribunaux, les a « envoyés au bûcher, pour que le feu matériel leur soit un avant-goût des flammes de l’enfer ». Ainsi, dit toujours Guillaume Le Breton, le royaume a été totalement purgé de l’hérésie et nul ne peut y vivre s’il n’accepte pas tous les dogmes de la foi catholique ou s’il nie les sacrements.

Si un prince fut hostile à l’Église, ce fut Frédéric Barberousse, empereur d’Allemagne, qui suscita contre les Papes des antipapes, chassa par les armes le Souverain Pontife de Rome et le força à vivre plusieurs années en exil, se moqua des excommunications, fomenta des schismes et tenta d’asservir entièrement le clergé au pouvoir civil. Il fut, comme Henri II, Louis VII et Philippe-Auguste, un pourchasseur de l’hérésie. Ce fut lui qui, à l’assemblée de Vérone de 1181 réunissant autour du pape et de l’empereur des patriarches, des archevêques, des prélats et des princes venus de tout l’Empire, persuada au pape Lucius III de promulguer une nouvelle constitution, plus énergique encore que celle d’Alexandre III « contre les Cathares, les Patarins, ceux qui s’appelaient faussement les Humiliés et les Pauvres de Lyon ; les Passagini, les Josephini, les Arnaldistae. »

Cette constitution de Vérone, insérée plus tard par Grégoire IX dans le recueil des Décrétales, était, remarque l’historien Lea, « la plus sévère qui eut été encore fulminée contre l’hérésie. » « Elle excommuniait avec les chefs de l’hérésie, ceux qui les protégeaient, avaient reçu d’eux le Consolamentum, se disaient Croyants ou Parfaits. Ceux d’entre eux qui seraient clercs, seraient dégradés, dépouillés de leurs charges et de leurs bénéfices et livrés à la puissance civile pour être punis par elle. Les laïques seraient livrés de la même manière et pour le même objet au bras séculier, surtout s’ils étaient relaps. Tout archevêque ou évêque devait inspecter soigneusement en personne ou par son archidiacre ou des personnes de confiance, une ou deux fois l’an, les paroisses suspectes et se faire désigner sous serment par les habitants les hérétiques déclarés ou cachés. Ceux-ci devraient se purger par serment du soupçon d’hérésie et se montrer désormais bons catholiques. S’ils refusaient de prêter le serment ou retombaient ultérieurement dans l’erreur, l’évêque les punirait. Les comtes, barons, recteurs, consuls des villes et autres lieux devaient prêter serment d’aider l’Église dans cette œuvre de répression, sous peine de perdre leurs charges, d’être excommuniés et de voir l’interdit lancé sur leurs terres. Les villes qui résisteraient sur ces points aux ordres des évêques seraient mises au ban de toutes les autres ; aucune ne pourrait commercer avec elles. Quiconque recevrait chez soi des hérétiques serait déclaré infâme à jamais, incapable de plaider, de témoigner et d’exercer une fonction publique. Enfin, les archevêques et les évêques devaient avoir, en matière d’hérésie, toute juridiction et être considérés comme délégués apostoliques par ceux qui jouissant du privilège de l’exemption, étaient placés sous la juridiction immédiate du Saint-Siège. »

Lorsque Pierre de Castelnau sommait Raymond VI non seulement de rompre ses relations suspectes avec l’hérésie, mais encore de poursuivre Parfaits et Croyants et de les chasser de ses États, il invoquait, d’une part, la législation civile des rois de France et d’Angleterre, suzerains du comte de Toulouse et la législation canonique des conciles et des papes codifiée en quelque sorte dans la Constitution de Vérone.

Avant d’aborder l’examen des règlements qui furent édictés dans le Midi de la France à la suite de la Croisade des Albigeois, quelques remarques s’imposent.

Il est tout d’abord évident que le pouvoir civil s’est inquiété de l’existence et du développement des hérésies autant et plus peut-être que l’autorité religieuse. Celles qui le préoccupaient le plus ce n’étaient pas celles qui étaient purement théologiques ; car nous ne voyons pas qu’il se soit ému de la négation par Bérenger de Tours du dogme de la transsubstantiation. Celles qui l’effrayaient c’étaient celles dont l’erreur théologique se doublait de doctrines anarchistes et antisociales ; et voilà des princes excommuniés par l’Église qui les poursuivaient au moins autant que les papes, parce que dans leur triomphe éventuel ils voyaient, selon l’expression même de Robert le Pieux, « la ruine même de la patrie. »

A ce point de vue, la répression de l’hérésie fut une œuvre de défense sociale autant qu’une œuvre de défense religieuse.

Dans cette politique de répression le pouvoir civil devança l’Église puisque les plus anciennes lois frappant les Manichéens eurent pour auteurs des empereurs païens ; et dans les premiers siècles de cette lutte, le plus souvent, ce fut le pouvoir civil qui excita le zèle de l’Église et des papes, sollicitant de leur part des canons de conciles et des décrétales répondant à leurs édits et à leurs ordonnances.

Avant la Croisade des Albigeois, l’Inquisition religieuse était exercée par les évêques. C’étaient eux qui inspectaient les paroisses, recherchaient les hérétiques et instrumentaient contre eux et contre tous ceux qui, de quelque manière que ce fût, leur donnaient asile, aide et protection. C’étaient eux qui invitaient la puissance civile à leur prêter main-forte, et, selon l’expression usitée plus tard, invoquaient l’aide du bras séculier ou même la requéraient. Le pape n’intervenait que pour donner des règles générales, le plus souvent au sein des conciles, comme le firent Innocent II, Eugène III, Alexandre III et en dernier lieu Lucius III à Vérone, ou pour réveiller et exciter le zèle des évêques et des princes par des légations extraordinaires, des lettres personnelles et collectives, des monitions et des menaces, quelquefois même par des sentences d’excommunication ou d’interdit contre les princes, de suspense ou même de déposition contre des évêques ou des clercs. Mais dans son fonctionnement normal, l’Inquisition était épiscopale.

Elle était donc constituée et fonctionnait déjà avant la guerre des Albigeois ; et cependant c’est à la défaite des Albigeois et au traité de Paris que l’on attribue généralement l’établissement ou tout au moins l’organisation définitive de l’Inquisition. Quelle en est la raison ?

C’est tout simplement parce que, sans diminuer le rôle des Ordinaires dans la répression de l’hérésie, les Souverains Pontifes s’en occupèrent d’une manière plus directe et plus continue dans le Midi de la France, puis dans toute la chrétienté par le moyen d’inquisiteurs nommés par eux, et revêtus par eux d’une autorité qui dépassait celle des évêques puisqu’elle émanait directement du Pape. Désormais, trois puissances coopérèrent à l’œuvre de l’Inquisition : les évêques directement ou par leurs délégués ; les Souverains Pontifes par les inquisiteurs qu’ils prirent l’habitude de choisir dans les deux ordres que furent la milice du Saint-Siège au Moyen-Age, les dominicains ou Frères Prêcheurs, et les franciscains ou Frères Mineurs ; enfin la puissance civile mettant à la disposition de l’Église le bras séculier jusqu’au jour qui ne devait pas tarder, où elle allait se servir de la puissance redoutable des tribunaux de l’Inquisition pour ses visées politiques.

Le négociateur du traité de Paris, Romain, cardinal de Saint-Ange, avait fait signer à Raymond VII plusieurs engagements concernant la répression des hérésies cathare et vaudoise. Le comte de Toulouse promettait non seulement de punir les hérétiques, Parfaits et Croyants, avec leurs complices, mais encore de les rechercher dans la vie cachée qu’ils allaient désormais mener le plus souvent ; de suivre en tout point les instructions que promulguerait le légat, et de faire exécuter les condamnations portées contre eux par les Ordinaires ou tout autre autorité régulière.

Les instructions ainsi prévues — ce que nous nommerions aujourd’hui le règlement d’administration publique précisant l’application des lois — furent promulguées, en novembre 1229, par le cardinal Romain, au concile de Toulouse, en présence de Raymond VII et d’un grand nombre de seigneurs du Midi, du sénéchal royal de Carcassonne, des deux consuls de Toulouse, des archevêques de Narbonne, de Bordeaux et d’Auch et de nombreux prélats. « On y décida une inquisition générale des hérétiques ; les archevêques et évêques devaient la faire faire dans toutes les paroisses de leurs diocèses tant rurales qu’urbaines, par un prêtre ou deux ou trois laïques. S’il le fallait, on fouillerait toutes les maisons, une à une, même les caves et toutes les cachettes possibles, domos singulas et cameras subterraneas seu quecumque alia latibula, et on remettrait aux Ordinaires, aux seigneurs et à leurs baillis les hérétiques, Parfaits et Croyants, leurs adhérents et leurs hôtes pour être immédiatement punis. Les abbés devraient faire les mêmes recherches dans les terres exemptes de leurs monastères. Le seigneur qui sciemment donnerait aide à des hérétiques serait dépouillé de ses biens et remis au jugement de son suzerain. Le bailli négligent dans l’inquisition, serait révoqué et déclaré à jamais inhabile à exercer les mêmes fonctions. Toute maison dans laquelle un hérétique aurait été trouvé serait détruite. Le roi de France pourrait poursuivre les hérétiques dans le comté de Toulouse et le comte de Toulouse et ses vassaux dans les terres du roi.

« Le règlement précisait ensuite comment il fallait traiter les hérétiques qui se convertissaient de leur plein gré, par crainte ou toute autre cause, enfin les malades suspects d’hérésie. Il déclarait les hérétiques, les Croyants et les suspects incapables d’exercer les fonctions publiques et étaient suspects non seulement ceux qui avaient pactisé avec les Cathares et Vaudois, mais encore ceux qui ne se confessaient ni ne communiaient au moins trois fois l’an, à Noël, à Pâques et à la Pentecôte. L’article 8 avait soin de préciser que nul ne pourrait être condamné par le pouvoir civil comme hérétique avant d’avoir été déclaré tel par l’évêque ou tout autre juge ecclésiastique qualifié « afin d’éviter que l’hérésie fût un faux prétexte de condamnation[9] ».

[9] Mansi. Conciliorum amplissima Collectio, XXIII, p. 191-198.

Tel fut le premier règlement de l’Inquisition pour le Midi de la France ; plusieurs autres vinrent les préciser et les compléter. Comme il s’y était engagé, Raymond VII leur donna force de loi dans ses terres par une ordonnance du 18 février 1232 qui répétait mot à mot le règlement : le pape Grégoire IX confirma l’acte de son légat et félicita le comte du zèle avec lequel il le faisait observer.

Bientôt une bulle pontificale apporta une nouvelle assise à l’institution de l’Inquisition en lui fournissant un personnel stable investi de l’autorité papale. Le 20 avril 1233, Grégoire IX donnait mandat au provincial des Frères Prêcheurs de Provence, de désigner les religieux qui feraient, dans le Midi, une praedicatio generalis contre l’hérésie et auxquels serait confiée l’« affaire de la foi ».

Cette bulle ne donnait pas précisément aux dominicains le monopole de l’Inquisition, puisque les évêques conservaient toujours le pouvoir de l’exercer en vertu de leurs pouvoirs ordinaires ; mais en leur confiant d’une manière spéciale « l’affaire de la foi », Grégoire IX ouvrait la voie au rôle considérable que les Prêcheurs ont joué dans l’Inquisition dont la conduite générale par-dessus les évêques leur était confiée ; et voilà pourquoi l’un des plus célèbres inquisiteurs dominicains, Bernard Gui, voyait dans cette lettre le premier titre de son ordre à exercer l’Inquisition « in partibus Tolosanis, Albigensibus et Carcassonensibus atque Agennensibus. »

Presque en même temps, Grégoire IX associa l’ordre des Mineurs à celui des Prêcheurs dans cette affaire de la foi, non seulement dans le Midi de la France, mais dans la chrétienté tout entière. Le premier franciscain qui exerça l’Inquisition semble avoir été le frère Étienne de Saint-Thibéry de 1235 à 1242 et, d’après Frédéricq, la première bulle attribuant le pouvoir inquisitorial à l’ensemble de l’ordre de saint François fut celle d’Innocent IV du 13 janvier 1246.

Réunis en conciles provinciaux, les évêques précisèrent la procédure des tribunaux inquisitoriaux, et leur jurisprudence. En 1235, par exemple, celui de Narbonne exigea qu’une condamnation ne fût portée que sur un aveu formel de l’accusé ou sur des preuves décisives ; car il valait mieux, disaient les prélats, relâcher un coupable que condamner un innocent. A Béziers, en 1246, les évêques de la province de Narbonne, réunis sous la présidence de leur métropolitain Guillaume de la Broue, rédigèrent 37 articles sur la procédure : « qualiter sit in inquisitione procedendum contra haereticos. » Il en fut de même de plusieurs autres conciles qui se tinrent, au XIIIe et au XIVe siècle, en France, en Espagne et en d’autres pays du monde chrétien.

Enfin, les inquisiteurs eux-mêmes voulurent faire profiter leurs auxiliaires et leurs successeurs de leur expérience, et dans des manuels pratiques ou Directoires, ils précisèrent comment il fallait réprimer l’hérésie en rappelant la législation, la jurisprudence et aussi les moyens empiriques qui leur avaient réussi à eux-mêmes pour découvrir les hérétiques et obtenir leurs aveux. L’un des plus anciens de ces Manuels fut rédigé entre 1244 et 1254 par quatre dominicains qui, pendant ces dix ans, exercèrent les fonctions d’inquisiteurs en Languedoc, Guillaume Raymond, Pierre Durand, Bernard de Caux et Jean de Saint-Pierre. « Il contient des formules de lettres de citations collectives ou individuelles, d’abjuration avant l’interrogatoire, de réconciliation et de pénitence pour les convertis, de sentences livrant l’hérétique au bras séculier, de sentences posthumes contre ceux qui étaient morts dans l’hérésie. Le tout se termine par un avertissement sur la nature de preuves admises et la conduite à tenir par les juges qui entendent ne s’écarter en rien de la ligne tracée par les constitutions apostoliques[10]. »

[10] Douais. L’Inquisition dans le Midi de la France, p. CCXXXIV.

En Aragon, un travail du même genre fut préparé dans une conférence que présida à Barcelone, l’archevêque Pierre de Albalat, archevêque de Tarragone, et rédigé par le dominicain Saint Raymond de Pennafort, pénitencier du pape Grégoire IX et l’un des canonistes qui codifièrent les Décrétales.

Le plus connu de ces Manuels est la Practica Inquisitionis haereticae pravitatis que rédigea, dans le premier quart du XIVe siècle, Bernard Gui. Né dans le Limousin, à Royère, vers 1261, ce religieux avait fait profession dans l’ordre des Prêcheurs le 16 septembre 1280 et exercé les fonctions inquisitoriales dans le Toulousain à partir du 16 janvier 1307. Chargé de missions en Italie et en Flandre par la confiance de Jean XXII, évêque de Tuy en Galice en 1323, il demeura inquisiteur jusqu’en 1324. Transféré alors sur le siège de Lodève, il mourut au château de Lauroux le 30 décembre 1331.

M. l’abbé Mollat qui vient d’éditer, après Mgr Douais, la Practica de Bernard Gui, la décrit ainsi : « Elle est divisée en cinq parties. La première contient 38 formules ayant trait à la citation et à la capture des hérétiques ainsi qu’à la comparution de toutes personnes pouvant intervenir, à quelque titre que ce soit, dans un procès inquisitorial.

« Dans la seconde partie, figurent 56 actes de grâce ou de commutation de peine faits au cours et en dehors des sermons généraux prononcés par les inquisiteurs.

« La troisième partie renferme 47 formules de sentences rendues à l’occasion ou en dehors de ces mêmes sermons.

« La quatrième consiste en une « courte et utile instruction » concernant les pouvoirs des inquisiteurs, leur excellence, leur étendue, leur exercice, leurs fondements. Ce petit traité a été conçu sur le modèle des écrits scolastiques et juridiques du temps, c’est-à-dire qu’il est hérissé de divisions et de subdivisions et que le texte est noyé dans une masse d’extraits d’édits impériaux, de consultations de juristes, de constitutions apostoliques passées ou non dans le Corpus juris canonici.

« La cinquième partie constitue la pièce maîtresse de l’œuvre de Bernard Gui. Elle est intitulée « Méthode, art et procédés à employer pour la recherche et l’interrogatoire des hérétiques, des Croyants et de leurs complices ». On y retrouve un exposé méthodique des doctrines et des rites en honneur chez les Cathares, les Vaudois, les Pseudo-Apôtres, les Béguins et les Béguines ainsi que des exemples d’interrogatoires. L’auteur ne consacre que quelques pages aux Juifs convertis qui retournaient au judaïsme, aux sorciers, aux invocateurs des démons, aux devins. Il donne aussi le texte d’actes de procédure relatifs à ces diverses sortes d’hérétiques. »

Quelques années après Bernard Gui, un nouveau Manuel de l’Inquisition fut écrit par un autre inquisiteur dominicain Nicolas Eymeric. Né en 1320, il était entré à l’âge quatorze ans dans l’ordre des Prêcheurs ; en 1357, il avait succédé comme inquisiteur général d’Aragon à Nicolas Rossel créé cardinal par le pape Innocent VI. Son épitaphe dit qu’il fut « inquisiteur intrépide » et défendit la foi pendant quarante ans. Lorsque, poursuivi par la haine qu’avaient accumulée contre lui ses rigueurs, il se fut retiré à Avignon auprès de Grégoire XI et de Clément VII, il lutta encore contre les hérétiques par ses écrits en montrant comment il fallait les poursuivre. Il composa ainsi deux traités l’un sur « l’action de l’Église et des inquisiteurs contre les infidèles invoquant les démons », l’autre sur « l’action des inquisiteurs contre les infidèles en opposition avec notre sainte foi », enfin le Directorium inquisitorum qui fut composé en 1376.

« Non seulement il provient d’un praticien aussi expérimenté que Bernard Gui, mais écrit à la cour pontificale, dans l’intimité du pape Grégoire XI, dont Eymeric était le chapelain, il semble avoir un caractère encore plus officiel. Il est aussi le plus méthodique et le mieux composé des ouvrages de ce genre. Il comprend trois parties. La première donne un exposé large de la foi catholique et prépare la seconde qui fournit un rapide aperçu des hérésies et spécifie les délits relevant de l’Inquisition. Dans la troisième, sont développées des instructions très précises sur l’office des inquisiteurs, sur les règles de la procédure et la pénalité. Une connaissance profonde du droit éclate dans cette œuvre ; c’est un avantage dont elle jouit sur toute autre[11]. »

[11] Douais. Les sources de l’histoire de l’Inquisition dans le Midi de la France, p. 75.

Nous saisissons enfin sur le vif le fonctionnement des tribunaux de l’Inquisition dans les Actes de l’Inquisition, qui nous donnent, pour un grand nombre de procès, les procès-verbaux officiels des interrogatoires des accusés et des témoins. Dans la préface de sa publication des Documents pour servir à l’histoire de l’Inquisition dans le Midi de la France, Mgr Douais a dressé la liste des Actes concernant cette région qui nous restent du XIIIe siècle, avec l’indication des manuscrits qui nous en donnent l’original ou la copie.

Grâce à l’ensemble de ces documents nous pouvons reconstituer un procès type d’Inquisition.

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