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La fabrique de mariages, Vol. 4

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XVIII
— Tête-à-tête. —

Pour le comte Achille de Mersanz, la question n’était réellement pas de savoir à cette heure si la belle Maxence serait ou ne serait pas à lui. L’aventure avait pris un pli si extraordinaire, que ses pensées d’amour faisaient trêve bel et bien.

Les dernières paroles de Maxence lui prouvaient qu’il s’était trompé en supposant que sa conduite était l’œuvre de madame de Sainte-Croix, qui voulait à tout prix assurer le mariage.

Maxence, en effet, repoussait ce dénoûment.

L’énigme devenait de plus en plus obscure, c’était tout ce qu’y voyait le comte Achille.

Maxence, elle, conservait son calme mélancolique. Après avoir refusé de rentrer dans le bal, elle avait gardé un instant le silence, comme si elle eût voulu se recueillir.

Elle semblait parler pour elle-même et ne s’inquiétait point si Achille l’écoutait.

—Quand je m’éveillai de cette longue fièvre, dit-elle, j’avais six ans. J’étais dans une maison de campagne auprès de Blois. Ma mère venait m’y voir une fois par an.

»Je l’appelle ma mère, parce qu’elle me dit: «Tu es ma fille.»

»Je n’ai jamais aimé que vous et la comtesse Béatrice, votre femme.

»J’aurais aimé l’autre aussi,—la morte.—D’où vient cela?

»Tout à l’heure, pendant que la valse nous entraînait tous deux, sentiez-vous battre mon cœur? Pour être à vous un instant, je donnerais toutes les heures de ma vie. C’est votre fille Césarine—pauvre enfant imprudente, vaine, orgueilleuse et bonne—qui a fait naître en moi l’idée d’être votre femme. C’est elle, du moins, qui a formulé ce rêve, un jour que nous étions seules à causer.

»La causerie est comme ces substances inflammables, qu’il ne faudrait point laisser entre les mains des enfants.

»Césarine est un cœur loyal, mais capable de mal faire, veillez sur elle...

»Je n’ai jamais eu pour ma mère qu’un sentiment: la soumission. Je vais lui désobéir aujourd’hui pour la première fois. Ce n’était pas par crainte que je faisais ses volontés. Celles qui aiment leur mère et Dieu doivent avoir le paradis sur la terre...

Sa voix tombait peu à peu et s’adoucissait comme un chant. Il y avait quelque chose de profond et à la fois d’enfantin dans les inflexions pénétrantes de sa parole. Ses deux mains délicates et charmantes étaient jointes sur l’étoffe légère de sa robe.

Depuis quelques instants, le courant des pensées du comte Achille avait changé. Un autre que lui aurait senti bien plus violemment le choc qu’il venait de subir; étant donnée l’égalité dans le choc, un autre encore en eût gardé bien plus fidèlement l’empreinte. C’était une nature réfractaire et fugace. Les impressions s’émoussaient contre sa mollesse, comme un coup de massue s’amortirait sur un matelas. Voyez quelle trace reste de la balle dirigée contre un coussin rempli de duvet: néant.

La vie qu’il avait menée, ses habitudes, ses mœurs, perfectionnaient sans cesse sa vocation matérialiste. Il avait, par instinct et par choix, cette philosophie du sommeil, qui oppose aux traverses de la vie une sorte de chloroforme moral.

Il écartait d’une main poltronne tout ce qui était remords ou scrupule. Il voulait ses roses sans épines. Quand un fantôme se dressait devant lui, il fermait les yeux.

Ses regards étaient maintenant sur Maxence, dont les paupières baissées ne veillaient plus. A son insu, le charme recommençait d’opérer. Cette glace, qui tout à l’heure était tombée sur son ardente fantaisie, se fondait.

Il écoutait, oublieux déjà des épouvantes réveillées, oublieux de la tragédie de la veille et du drame du lendemain.

Ses yeux clos ne voyaient plus ces deux deuils qui étaient à sa droite et à sa gauche: la femme morte, la femme qui allait mourir.

Ce n’étaient pas des paroles qu’il écoutait, c’était la ravissante musique d’une voix d’enchanteresse, dont les accents allaient réveillant au fond de son être les élans de son caprice engourdi.

Immobile toujours et comme affaissée sous le fardeau de sa rêverie, Maxence offrait le plus délicieux tableau que pût saisir la main d’un peintre. Son front fier se penchait, tout chargé de paresseuse tristesse. Les admirables boucles de ses cheveux tombaient en molles spirales le long de ses joues,—et parmi leurs anneaux, on voyait sourdre de subtils rayons qui satinaient le frais duvet de ses joues. Ses yeux s’ombraient profondément, tandis que son front, éclairé à demi, avait comme une auréole, et que sa belle bouche sérieuse montrait en lumière le mat corail de ses lèvres.

Ce n’est rien faire que d’esquisser des lignes ou des contours, que de marquer des clairs ou des ombres. C’est de la sculpture froide, ornement des pâles galeries ou des tombeaux silencieux. On demande davantage à la plume qui se vante d’être même au-dessus du pinceau.—Mais la plume, comme le ciseau et comme le pinceau, est impuissante à rendre ces mystérieux rayonnements que la main prodigue de Dieu jeta autour de la beauté.

De telle sorte que ces perfections vivantes semblent nager dans une atmosphère qui leur est propre et s’éclairer d’une lumière choisie, qui est le pur reflet de leur beauté même.

Vous vous souvenez bien de celle qui parut à vos yeux comme un céleste éblouissement? vous vous souvenez du poëme que chantait son sourire? Elle était unique en ce monde, n’est-ce pas? Elle avait tout ce dont Dieu est avare. Elle était l’étincelle divine, faite exprès pour allumer le foyer de votre âme. Son regard vous anéantissait ou vous créait une vie nouvelle. Sa voix, sa douce voix, vous faisait vibrer comme une lyre.

Que de jeunesse et que de parfums! Comme la brise jouait heureusement dans cette chevelure!—Que de beauté, soit qu’elle allât, souriante et folle, par les sentiers mouillés, sous les grands arbres, au matin, quand les feuilles gardent dans leur creux des perles de rosée,—soit qu’elle se couchât à demi, fatiguée et pensive, dans le pré ras, tout blanc de pâquerettes...

Que de chère gaieté! que d’enivrantes tristesses! Vous vous en souvenez!

Maxence était celle-là. Maxence était un de ces riches diamants dont toutes les faces scintillent.

On dirait que la main de Dieu les laisse échapper, ces perles sans prix et qu’elles roulent ensuite au hasard d’une incompréhensible destinée.

Elles sont rares, et pourtant il y en a qui se perdent sans avoir profité à aucun,—comme ces trésors et ces parures qui dorment au fond de l’insondable mer...

Le comte Achille contemplait Maxence. Ses yeux s’animaient en la regardant. Son esprit, revenu à sa pente naturelle, cherchait déjà un moyen de vaincre.

—J’ai peu de bons souvenirs derrière moi, poursuivait la jeune fille;—les années de mon enfance furent tristes. Quand j’eus huit ans, on me mit en pension à Blois. J’apprenais mal; mais j’étais très-belle. Mes compagnes étaient jalouses de moi et se vengeaient en me disant que j’étais idiote.

»Je n’ai eu mon intelligence qu’à l’âge de quatorze ans. Ma mère me prit un instant chez elle à Paris. Il y avait là des gens qui m’accablèrent de flatteries. Je fus fière de ma beauté, pour la première fois.

»Je me rappelle ceci: je demandais un jour à ma mère où j’étais avant ma grande maladie. Elle ne me répondit pas tout de suite. Ma mère est la femme la plus adroite et la plus habile que je connaisse. Elle fit en sorte d’abord de savoir au juste l’état de mes souvenirs. Cela fut aisé: j’étais sans défiance. Quand elle m’eut suffisamment sondée, elle me répondit:

»—Voilà un singulier phénomène, et je le soumettrai au docteur. Cette maladie a coupé ton existence en deux, puisque tu ne te souviens point de moi. Je ne t’ai jamais quittée.

»Ma mémoire confuse ne pouvait repousser ce mensonge par des faits. Mais le brouillard n’est pas la nuit. J’avais parfaite conscience que cette assertion était un mensonge.

—Depuis lors, je n’ai jamais plus interrogé ma mère. On me mit à la pension Géran,—et l’on me dit de me lier avec mademoiselle Césarine de Mersanz, votre fille...

»Cela vous fait tressaillir, monsieur le comte, s’interrompit ici Maxence, qui releva sur lui ses yeux tout à coup souriants et pleins d’une espiègle raillerie;—vous n’avez jamais songé à tout l’attrait qu’ont vos huit cent mille livres de rente.

Achille rougit et se mordit la lèvre.

—Sur ma conscience! poursuivit Maxence déjà redevenue sérieuse,—je ne sais pas comment il se fait que je vous aime... Toute jeune que je suis et bien pauvre, je me crois au-dessus de vous.

Cela n’était pas fait pour dérider M. de Mersanz, qui salua en tâchant de prendre à son tour un air ironique.

La jeune fille le regarda un instant en silence.

—Vous vîntes seul, la première fois, au parloir, poursuivit-elle;—le nom de famille de Césarine m’avait déjà rappelé la fatale et mystérieuse histoire qui était tout le souvenir de mes premières années... J’avais interrogé Césarine avidement et souvent; je ne sais pourquoi je possédais sur elle un singulier empire: elle m’avait aimée tout de suite... Césarine me raconta volontiers ce qu’elle savait de la mort de sa mère... Elle me dit qu’elle avait une marâtre: une toute jeune femme, belle, douce et bonne.

»Je fus prise tout de suite d’un désir passionné de la voir et de vous voir.

»Bien des fois, je m’étonnai de la violence avec laquelle je détestais votre femme.

»Vous vîntes.—Je compris. Jamais mon cœur n’avait battu. Quand vous vous éloignâtes, il me sembla que je restais toute seule. Je compris pourquoi je haïssais votre femme.

»Césarine me disait, la pauvre chère enfant:

»—Comment trouves-tu mon père? N’est-ce pas que mon père est bien beau? n’est-ce pas que mon père est tout jeune?

»J’attendais désormais avec une impatience pleine de fièvre la venue de la comtesse... Sa vue me mit au désespoir. Je n’avais rien rencontré jamais de si parfait. Je crus comprendre pour la première fois ce que c’était que la beauté, la grâce et le charme d’une femme. Se peut-il qu’on ait aimé Béatrice de Mersanz et qu’on ne l’aime plus?...

Maxence prononça ces dernières paroles, les yeux fixés sur ceux d’Achille.

Achille eut un sourire contraint et murmura:

—Je n’ai jamais aimé qu’une fois dans toute la belle et grande acception de ce mot, mademoiselle.

—Et cet amour a été pour moi, n’est-ce pas? prononça Maxence avec amertume.

Son regard se tourna successivement vers les deux portraits. Elle pensa tout haut:

—Qu’y a-t-il donc dans le cœur des hommes?

—Tout à l’heure, Maxence, reprit Achille, dont les yeux ardents l’enveloppaient de la tête aux pieds,—je vais vous dire ce qu’il y a dans mon cœur.

Maxence avait suivi le regard d’Achille, qui glissait sur ses épaules demi-nues. Elle dit:

—J’ai froid!

Et, tout émue, elle montra une écharpe qui était sur l’ottomane. L’écharpe appartenait à Béatrice. Le comte, empressé, la lui offrit. Maxence la noua autour de son cou.

—C’est tout ce que je lui prendrai, fit-elle.

Sa main levée imposa silence au comte, qui allait répliquer.

Elle reprit:

—Je m’habituai à l’idée que cette femme était mon ennemie, c’est-à-dire l’obstacle élevé entre moi et vous...

—N’est-ce pas la vérité? s’écria le comte.

—Ce n’est pas la vérité, répondit froidement Maxence. Je vous dirai le vrai nom de la barrière qui nous sépare... Je fus lâche et méprisable à mes propres yeux... J’enseignai la défiance à cette pauvre Césarine... je travestis les actions de la comtesse... je la calomniai...

Achille voulut prendre ses mains.

—Laissez, dit-elle;—j’aurai bientôt achevé: ne m’interrompez plus... Il y a quelques jours, j’ai eu comme une vision... Une pauvre femme que je voyais chaque matin et chaque soir, m’est apparue tout à coup sous un aspect nouveau... Pendant un instant, ma mémoire morte a fait effort pour renaître...

Et, changeant de ton soudain:

—Je mourrai jeune, monsieur le comte... je mourrai toute jeune.

—Puis-je enfin parler? demanda celui-ci d’un ton qu’il voulait faire enjoué.

Maxence glissa un regard effrayé vers le portrait de Béatrice.

Elle eut un frisson et murmura!

... Et le vil poignard qui se cache,
A son insu donne la mort...

—Puis-je parler? répéta le comte.

—Pas encore... Ce soir, quand nous sommes arrivées, elle était seule... Son mari la délaissait... sa fille, qu’elle aime tant, s’éloignait d’elle... A un moment où personne ne faisait attention à moi, je me suis approchée...

—Et vous lui avez parlé? fit Achille avec un dépit effrayé.

—Écoutez bien ceci, monsieur le comte, répartit Maxence;—on a voulu tuer mon cœur, mais il vivra autant que moi!... Je ne veux pas être le poison qui mord ni le stylet caché dans la manche de l’assassin... Je ne veux pas! entendez-vous!

Elle se redressait, belle et grande comme une reine. Toute la vaillance d’une âme héroïque était dans sa pose. Ses yeux brûlaient. Une tempête intérieure soulevait son sein.

Achille comprenait-il? Achille admirait.

—Je ne veux pas! répéta-t-elle encore;—vivre est-il donc si bon? se guérit-on de l’infamie?... Elle songeait, votre femme, elle pleurait... Oh! c’est que, moi, je n’aurais pas pleuré! Remerciez-moi! vous m’auriez trompée comme les autres et c’eût été votre dernière lâcheté!... Je me suis mise à genoux devant elle... C’était de l’épouvante et de l’horreur que je lisais dans son regard... Elle savait déjà qu’on m’avait choisie pour lui porter le coup de la mort... J’ai baisé sa pauvre main tremblante, et j’ai dit:

»—Madame, je vous le jure, ce n’est pas vous que tout ceci tuera!

Maxence ne parla plus. Achille était de ceux que la résistance échauffe. Bourreau de deux anges, il eût assurément rampé devant un de ces délicieux démons qui prennent leur rôle de femme au rebours et domptent leur mari comme un écuyer hardi réduit un étalon.

Ce qui avait perdu la première comtesse de Mersanz, ce qui allait perdre Béatrice, c’était leur pareille et inaltérable douceur. Il fallait des verges pour mener ce gentilhomme. Les femmes russes aiment, dit-on, être battues; le comte Achille avait la vocation de ces dames. Il s’ennuyait quand l’aiguillon n’entrait pas dans sa chair.

Ceci n’est point une exception. Les amoureux de la cravache abondent. Quand une femme n’est ni belle, ni spirituelle, ni honnête, elle peut encore faire des passions parmi nos raffinés, si elle apprend à manier le gourdin.

Le symptôme de cette perversité de goût qui va gagnant nos mœurs, c’est la joie naïve de tous nos bêtas du boulevard, quand ils voient un cigare souiller de jolies lèvres roses. J’ai connu plusieurs dames aimées pour leurs moustaches.

Achille était piqué au jeu. Cette conquête, dont la facilité l’avait jeté d’abord dans une sorte de désarroi, devenait de plus en plus problématique. La citadelle refermait ses portes entr’ouvertes, et l’ennemi, qui avait fait mine de se rendre, plantait maintenant son drapeau provoquant au plus haut des remparts.

Et cette proie, qui fuyait après s’être tenue à portée de sa main, jamais il n’en avait calculé si bien tout le prix. Maxence venait de déployer, sans le savoir, tout un arsenal de séduction; Maxence était belle à rendre fou le plus glacé de tous les quakers.

N’oublions pas, d’ailleurs, qu’avant cette entrevue décisive, la passion du comte était déjà très-haut montée. Nous avons dit en toute sincérité qu’Achille de Mersanz n’était point un méchant homme; nous avons dit aussi qu’il gardait à Béatrice une affection presque fraternelle.

Eh bien, pour satisfaire son désir aveugle, Achille de Mersanz était déjà déterminé, avant de mettre le pied dans cette chambre, à briser le cœur de Béatrice en trahissant une promesse sacrée. Il avait eu, quelques heures auparavant, à la vue de sa femme, un de ces retours fainéants auxquels sont sujets les gens de sa sorte. Il avait proposé le mariage immédiat comme un abri où réfugier sa défaillance morale. Nous ne prétendons point qu’il fût de mauvaise foi au moment précis où cette offre était faite. Mais le moment était passé; le comte Achille ne s’en souvenait plus.

Un autre moment était venu: celui de la fantaisie arrivée à son comble. Les caprices de ces messieurs peuvent être passions pendant un temps. Achille était captif et subjugué. Rien en lui ne résistait plus. Il était désormais capable de tout pour arriver à son but,—de tout, sauf peut-être d’un acte de vigueur.

Dans le mal comme dans le bien, la force lui manquait.

Pendant plus d’une minute, il resta comme en extase devant la miraculeuse beauté de cette fille qui venait de lui faire ces deux déclarations contradictoires: «Je vous aime et jamais je ne vous appartiendrai.»

Il se recueillait. Il choisissait son point d’attaque. Il pensait: «Faut-il tant d’artillerie pour donner l’assaut à un cœur de seize ans!

—Mademoiselle, dit-il enfin d’un ton qu’il réussit à rendre calme, et avec toutes les marques du respect le plus soumis,—vous avez essayé de me blesser, quoique je ne me souvienne pas de vous avoir jamais fait de mal. Vous avez accumulé contre moi des accusations absurdes dans la réalité, mais graves par la manière dont vous les avez formulées. Votre envie est de me rebuter, j’ai cru deviner cela: vous n’y pourrez point réussir, parce que ma patience, c’est mon amour même... Vous m’avez dit que vous m’aimiez, comme on prononce des paroles de haine; vous m’avez témoigné un mépris insultant et sans nom; j’écarte tout ce qui n’est pas votre sympathie pour moi! je ne crois qu’à cette sympathie, et j’y croirai jusqu’à mon dernier jour, parce qu’il est impossible qu’un amour comme le mien ne soit pas un aimant qui attire. Frappez, s’il vous reste encore des coups à me porter. Je souffrirai tout. J’y suis résolu. Frappez celui qui pourrait se défendre et qui ne le veut pas; frappez un homme agenouillé, percez un cœur esclave, dont tous les battements sont à vous. Je suis résigné, j’attends avec confiance. Il y a en moi une voix qui me crie: Toute une vie de bonheur sera le prix de ce martyre d’un jour.

Le comte Achille savait débiter ces tirades, vides et vaines comme des outres gonflées par le vent.

Maxence, après tout, n’était qu’une jeune fille.

Le comte vit ses paupières se baisser lentement. Il se crut assuré de vaincre.

—Une heure viendra, reprit-il d’un accent plus attendri,—où je serai jugé d’après mes actes et non point sur les vaines rumeurs d’un monde toujours hostile, parce qu’il ne cesse jamais d’être jaloux. Une heure viendra, mademoiselle, où vous connaîtrez ma vie, où vous saurez quel a été mon dévouement, quelles ont été mes souffrances... Si cette pauvre femme, que j’ai tant pleurée, pouvait parler...

Il s’arrêta, pâlissant à la conscience de sa propre lâcheté.

Mais il ne recula point; au contraire, il eut le courage d’ajouter, en se tournant à demi vers le portrait de Béatrice:

—S’il était permis à un galant homme de soulever certains voiles...

—Oh!... fit Maxence indignée,—taisez-vous, monsieur!

—Cela n’est pas permis, continua le comte, dont la voix s’affermit parce que le plus fort était fait,—je me tais... Mais ce qui n’est pas permis non plus, c’est de laisser une belle et noble enfant briser sa vie et tuer son avenir par je ne sais quel vain sophisme de dévouement et de générosité... Vous m’aimez, Maxence, vous m’aimez malgré vous et jamais aveu ne m’a touché si profondément que le vôtre... Pourriez-vous donc m’aimer, si vous me méprisiez?...

—Oui..., murmura Maxence d’une voix faible.

Ce fut comme un gémissement.

—Vous vous trompez vous-même! s’écria M. de Mersanz;—comme toutes les jeunes filles, vous avez lu de ces livres, prétendues études de mœurs, qui prennent la vie à rebours et font de l’existence humaine un extravagant paradoxe... Vous jouez avec le feu, Maxence... Je vois votre cœur battre au travers de vos dédains mensongers... Je ne vous comprends pas tout à fait; mais je vous devine, et, sur mon honneur, fallût-il vous défendre contre vous-même, je serai votre avocat et votre chevalier.

Je ne sais si Maxence l’écoutait, mais elle dit comme si sa pensée se fût échappée malgré elle:

—Avant de vous avoir vu, jamais je n’avais songé à mourir...

—Mourir! répéta le comte en attirant jusqu’à ses lèvres la belle main de la jeune fille.

Peut-être qu’en cet instant il était sincèrement ému, car le découragement de mademoiselle de Sainte-Croix ne ressemblait point à ces petits rôles désolés qui composent la comédie des pensionnaires en mal de roman.

Elle serra sa main d’un spasme faible et court. Ses yeux se troublèrent. Elle dit:

—Je veux rentrer dans le bal.

En même temps, elle fit un mouvement pour se rapprocher de la porte qui donnait dans le salon voisin.

Le comte la retint par une étreinte plus vive.

—Tout à l’heure, je le voulais, Maxence, dit-il;—maintenant, il faut que vous m’écoutiez.

—Je vous en prie, repartit la jeune fille;—ne me retenez pas!

Elle semblait demander grâce.

Et, en vérité, cette langueur qui voilait son regard, ce tremblement qui accompagnait ses paroles, démentaient énergiquement les froideurs méprisantes dont naguère elle enveloppait son étrange aveu. L’amour était là. Le comte Achille, appuyé sur son expérience, interrogeait ces symptômes et ne pouvait méconnaître la passion combattue mais victorieuse.

Cette lutte éclairait comme un rayon la suprême beauté de cette enfant. Achille la contemplait dans son adorable défaillance et sentait courir dans ses veines ce subtil frisson qui est à la fois de glace et de feu.

L’ivresse où il entrait lui montra le moment propice.

—Non! s’écria-t-il,—rien désormais ne pourra nous séparer.

En même temps, il saisit Maxence toute pâle et voulut la serrer dans ses bras.

Pendant la dixième partie d’une seconde, elle subit son étreinte et la rendit peut-être. Un rouge ardent avait remplacé la pâleur de ses joues. Ses yeux se fermaient. Sa bouche entr’ouverte demandait le baiser.

Ce fut rapide comme l’éclair.

Elle se roidit tout à coup, et, redressant son corps souple, elle repoussa le comte Achille avec toute la force d’un homme.

Il était là encore, étourdi et stupéfait à la même place, que déjà Maxence touchait du pied le seuil.

Elle se tourna vers lui. Un sourire triomphant, mais bien triste, était autour de ses lèvres. Ses paupières demi-closes laissaient passer une flamme.

Sa main effleura sa bouche comme pour envoyer un baiser;—puis elle disparut en disant:

—Jamais!...


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