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La glèbe

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L'Évangile clos, Cyrille se rassied, comme tout le monde.

Jaune, le soleil coule aux colonnes du chœur, aux côtés du Christ culminant le tabernacle de cuivre.

Silencieusement sous la nef évidée, les rustres se voûtent en leurs blouses sombres, parmi la poussière familière qui grisaille les murailles.

A grand mal, Cyrille s'évertue pour fuir son obstination d'ivresse, une envie sans cause de gifler le curé qui se prélasse à l'autel dans les ors et les moires. Dès l'instant où il franchit avec Lucienne le seuil de l'église ce besoin le harcela. Et ses poings se crispent comme si déjà ils étreignaient le prêtre. Il étire ses doigts moites, puis lisse sa manche pour distraire son geste irrité. Contre l'idée absurde il s'indigne, et ses anciens respects acquis aux religieux s'indignent, et sa volonté s'indigne d'être subjuguée par ce désir bête.

Mais sa colère croît à mesure qu'il tente de retrouver la saine intelligence. S'il construit des arguments raisonnables, tôt des accès de rage les effilent et les déchirent; et ses muscles se tendent pour le détourner de la raison. Alors dans ce lacis d'efforts contradictoires, une vision surgit armée de vraisemblance et de réels souvenirs: l'ecclésiastique aux mains blanches, il le vit souvent auprès de sa femme; souvent elle se confesse; elle-même orne la chapelle de la Vierge l'après-midi. Et lentement, par une patiente recherche, il s'attache à des réminiscences imbues d'oubli, il les joint, les unit et de leur ensemble parvient à établir le motif de sa haine.

Tinte la sonnerie maigrette de la clochette, les chaussures du servant grincent sur les grés des degrés sacrés.

Cyrille se lève, comme tout le monde.

Il regarde Lucienne agenouillée en ses valenciennes. Les fleurs ténues du chapeau, les fleurs à longue tige tremblotent sur la paille pâlotte, et, en sa face mièvre, les cils battent vers les joues mates.

Trop jolie, elle dut plaire à ce curé, un instruit, un raffiné. Or ce citadin, au visage clair, quels avantages ne tient-il pas sur un gentilhomme campagnard, hâlé.

Vers l'unique vitrail à bordures jaunes, à bordures bleues, le calice assomptionne aux mains de l'officiant. Longtemps cela s'irradie dans le soleil fuselé, et, pour le regard trouble de Cyrille où les choses s'épanchent, le vermeil du calice semble déborder sur les doigts du prêtre.

Ce l'exaspère. Voilà que ses chairs se dorent maintenant à ce pleutre, comme ses ornements sacerdotaux. De telles transformations, sans doute, affolèrent Lucienne, comme ces doigts grêles enfoncés dans les dentelles de l'aube. Oh! par la tête brûlante de Cyrille, la passion de lacérer chasubles et oreries, de vider le calice, en piétinant l'efféminé…—Dominus Vobiscum.

De face à présent il nargue ne dirait-on pas?… et l'œillade a visé Lucienne. Cyrille l'a perçue malgré l'onction que le sournois affecte… Qu'il attende la fin du sacrifice: il verra.

Une crampe soudaine force le noble à décroiser les bras et son poing se tend vers le bellâtre, d'un jet.

Lucienne hausse sa figure dolente, qui implore, qui apaise.

Pour elle, il s'apitoie et reprend une position correcte. Même par désir de faire accroire aux autres que rien d'insolite ne fut dans ses gestes, il répète, en s'étirant les manches, une tension de poing identique mais qui semble appropriée à cette action naturelle.

De sa haute taille il domine les fidèles; et les têtes inclinées évitent peureusement le regard impérieux dont il les fixe. Tout de suite on a compris son désir, on n'ose y enfreindre: on feint de n'avoir rien remarqué. Ainsi Lucienne n'aura point honte.

Car c'est en lui le souci constant de ne se point rendre plus odieux encore, de la reprendre, de la reconquérir par sa toute soumission, et de vivre heureux à nouveau. Comme en Ecosse.

Mais le curé se retourne encore, regarde.

Et voici que la rage emporte Cyrille contre l'outrecuidant individu, cause des singeries auxquelles il s'astreint. Le poing menaçant saillit encore vers le prêtre.

—V'nez donc, ben, un peu, Monsieur Cyrille, murmure Baptiste en le tirant par le bras.

—Veux-tu me laisser ou je te casse la figure.

—C'est des bêtises, tout ça. A c't'heure? Vous n'êtes pas bien, que je vous dis; c'est que vous avez soif; faut vous rafraîchir.

—Oui, va Cyrille, prie Lucienne.

Il se décide. D'ailleurs l'autre n'en subira pas moins sa juste vengeance. Et puis il a tellement soif.

Ses lèvres pâteuses et molles se collent; sa langue sèche cherche en vain la salive dans sa bouche sèche.

Comme il ne faut pas, cependant, que les gens, s'il se retire, croient les moqueries permises, il sort à reculons, prêt à battre.

Dehors ses yeux errent par la place où s'écrase la lumière astrale. Il s'inquiète de l'ombre courte, torte, bleue, qui lui adhère aux talons. S'il pouvait il la chasserait; elle le gêne, l'obsède, offusque sa pupille. Elle perce son cercle de vision et il la sent à chaque pas remuante, espionne. S'il s'arrête, elle demeure courbée sous lui, difforme, affreusement gibbeuse et tassée.

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