La glèbe
XI
Vers la mare marmoréenne il traîne Lucienne. L'haleine de la nuit tremble dans les troènes aux fleurs blanches et dans les ailes blanches des canes.
La jupe s'accroche aux ronces, aux pierres de la cour creuse, mais Cyrille tire de ses mains emmêlées à la longue chevelure et le corps mou suit avec des bruits de déchirures.
Cyrille marmonne: «C'est sa faute, elle ne voulut pas avouer. Elle n'avoua rien dans son entêtement perfide, cette souillée menteuse. Et d'autres ne la doivent plus avoir.»
Pourtant si elle eût compati, il eût en ses bras bu ses lèvres, ses joues; et cela eût tari sa soif à jamais. Il n'aurait plus cherché dans le vin le sommeil d'oubli, n'ayant plus de tourments à y perdre. Au contraire, elle suscita des douleurs très grandes. Par sa male faute il fut contraint de se réfugier aux torpeurs de l'ivresse,—et la folie le dompte.
Son regard est saisi par les ailes blanches des canes, par les fleurs blanches des troènes, par la jupe blanche qui s'accroche aux ronces et aux pierres. Et ces blancs dardés le lacèrent, l'exaspèrent.
Enfouie sous l'eau boueuse, la jupe blanche ne l'éblouira plus de ses allures jolies pour le mener ensuite à la douleur, au vin.
Il chancelle et titube sur le fumier craquant. Cette ivresse l'enrage contre elle qui la lui valut. De toutes forces il secoue la chevelure magique à son poing liée.
Il avance avec le corps qui cède et qui glisse sur les grès lisses. Puis l'eau clapote en ses pas; et les lourdes ailes des canes éveillées, battent.
D'un vol tumultueux le blanc des pennes éployées cingle sa vue. Alors la furie l'exalte. Il précipite Lucienne. L'eau sourdement geint, s'illumine. Elle se fonce. Elle se tait.
C'est une hébétude de sentir ses bras vides, de prévoir vide la chambre nuptiale.
Et des sanglots lui rompent la gorge étranglée. Il fuit.
Jusques au matin il fuit dans la plaine infinie, vers le ciel pailleté. Les perdrix s'essorent en ligne, et s'éteignent. Les lièvres détalent, et le blanc de leurs croupes lestes.
Dans sa robe rouge trop large la figure de Denise; dans sa jupe blanche trop large la face blême de Lucienne; elles fuient à sa tempe gauche, à sa tempe droite, frôlantes. Il les voit du coin de l'œil et, s'il se retourne, elles disparaissent. Parfois il se jette sur le sol, la tête dans les bras. Seul son souffle ahanne parmi les mélancoliques appels des perdrix.
Du rouge sourd de la terre, du rouge de sang qui le pénètre, qui emplit sa gorge d'une saveur saumâtre. Son souffle s'expire péniblement avec des tumultes de forge. Et ces tumultes emplissent la plaine où persistent les voix craquetées des perdrix.
Sous l'aube rosissante et les longs cris du vent dans les trembles,—Cyrille s'est étendu face au ciel, les yeux clos. Il sent le matin; et voici le chant des alouettes. Tout son sang bourdonne et bouillonne dans sa tête inerte. Elle ne semble plus à lui tant elle pèse. Il ne la peut mouvoir.
Et du rouge ensanglante ses paupières baissées, et du rouge flamboie sur ses joues qui brûlent. Il croit à la robe rouge de Denise qui le toucherait. Il lèverait bien ses mains pour l'écarter mais elles ne lui appartiennent plus.
Et le rouge se pourpre, tourne au grenat vineux, au noir; du noir lourd qui plane et lentement descend; c'est la mort, pense Cyrille. Un calme bienfaisant lui fraîchit les membres. Il lui paraît que son corps ne brûle plus, mais, qu'éteint, il se noircit et se glace.
Dijon, imprimerie Darantière.