La vie en France au moyen âge d'après quelques moralistes du temps
Doucement, sans lui escorchier,
Sui entré en melencolie...
Souvent le voient en painture
Tiex qui ne sevent se[711] figure
Moquerie, ou sens, ou folie.
Fauvel est un cheval que tout le monde torche, c’est-à-dire panse, étrille à l’envi: princes et seigneurs temporels, chevaliers grands et petits, vicomtes, prévôts, baillis, bourgeois, et vilains «de ville champestre».
S’en va Fauvel, beste autentique;
Et quant li pape voit teil beste
Sachiez qu’il li fet trop grant feste.
Et de même les cardinaux, vice-chancelier, notaires, audienciers, etc. Et les prélats, les Jacobins, les Cordeliers, les Augustins, les nonnes, les clercs pourvus d’église. Les «povres clers qui sont sans rente» voudraient bien le torcher aussi; mais ils ne sont pas assez près.
Les pauvres gens se tiennent modestement près de la queue et la tressent.
Les contenances et la chiere
Qui sont a torchier cel Fauvel.
L’en ne cognoist nonain au vel[712];
Pour ce est boen que l’en le sache.
On va commencer cette revue des torcheurs de Fauvel par le pape; mais, sauf son respect et sous toutes réserves, car l’auteur est fidèle à Rome:
Que ce n’est pas m’entencion
D’aleir contre l’ennour de Rome.
Il ne peut s’empêcher, pourtant, de dire la vérité.
Le pape admet Fauvel en sa présence;
De torchier nuli ne reprent
Et puis frote a Fauvel la teste
En disant: «Ci a bele beste».
Li cardineaus dient pour plere:
«Vous dites voir, sire saint pere».
Des rois, il sera aussi question; mais, ici, point de «protestacions», et le roi Philippe le Bel est directement visé:
Entre les autres, le greignour[713]
Et en noblece et en puissance.
De bien torchier Fauvel s’avance;
De l’une main touse la crigne[714]
Et o l’autre main tient le pigne[715];
Mais il n’a point de mirouer.
Il en devroit bien un louer.
Bien devroit mirouer avoir,
Car grant mestier a de savoir
A quel chief il porra venir
De Fauvel si a point tenir...
Telle est l’introduction.—Il s’agit maintenant de décrire Fauvel et de «dire par diffinition ce que Fauvel nos senefie». Parlons d’abord de sa couleur, car Aristote a bien raison de déclarer que les accidents aident fort à connaître la substance. Fauvel n’est ni noir (le noir est la couleur de la tristesse, et il est gai); ni rouge (le rouge est la couleur de la charité); ni blanc (le blanc symbolise la pureté); ni vert (le vert, couleur de l’espérance); ni azuré (le bleu, couleur du ciel); il est fauve, couleur de la vanité: A vaine beste vaine cote.
Voici la signification et l’étymologie de son nom:
Par similitude ordenée
A senefier[716] chose vaine,
Barat[717] et fausseté mondaine.
Aussi par ethimologie
Pués savoir qu’il senefie.
Fauvel est de faus et de vel
Compost, car il a son revel[718]
Assis sus fausseté velée...
Les six lettres de son nom sont, en outre, les initiales de Flatterie, Avarice, Vilenie, Envie, Lâcheté.
Dieu a, jadis, fait de l’homme le roi de la création et le maître des animaux. Mais les hommes qui maintenant
se sont ravalés au rang des bêtes en reconnaissant Fauvel pour seigneur. Ils en ont fait leur idole, comme ces hérétiques de Templiers:
Ainsi, l’ordre divin des choses est complètement «bestourné», c’est-à-dire bouleversé. Cela se voit particulièrement, de nos jours, dans les rapports de l’Église et de l’État. Ici, profession de foi qui ne laisse aucun doute sur les sympathies du poète:
Que par cest Fauvel (que feu arde!)
Est au jour d’ui si Sainte Eglise
Abatue et au dessous mise
Qu’a paine porra relever!
Tous les jours la voi si grever
Que c’est une trop grant merveille
Que saint Pere[720] ne s’apareille
De tost secourre a sa nacele
Qui si horriblement chancele...
L’Église, dame des rois et des princes, gît aujourd’hui «sous le treu[721]», plus que cela ne s’était jamais vu depuis les premiers temps du christianisme. C’est Fauvel qui lui a «brassé ce brouet».
Il y a, d’ordre divin, deux luminaires, le soleil (le pouvoir spirituel) et la lune (le pouvoir temporel), dont le second dépend du premier et lui emprunte sa lumière. Mais Fauvel a, de nos jours, fait passer la lune au-dessus du soleil. Quelle éclipse! Car
Ne donna Diex nule mestrie,
Ains vout que fust dessous prestrise
Pour estre bras de Sainte Eglise...
Le bras doit au chief obeïr
Et a execucion metre
Ce que le chief li veult commettre...
Ainsi doit Temporalitei
Obeir en humilité
A Sainte Eglise, qui est dame.
Tout est «bestourné», vous dis-je, et jusque dans l’Église même, qui ne ressemble guère à ce qu’elle était lorsque Dieu l’institua:
Ce n’est pas tout. Le pape [Clément V] sacrifie l’Église au bon plaisir du roi et lui prodigue ses biens, son argent et ses privilèges:
Torche Fauvel devers le roi
Pour les joiaus qu’il li presente,
Et a lui plere met s’entente.
De ces disiesmes li envoie
Et des prouvendes[723] li otroie
Par tout pour ses clers largement...
Le pape n’i met pas sa chape
Ne du clergié n’est pas tuteur,
Mes le roy fait executeur
Si que, par la laye justise,
Justisiée est Sainte Eglise.
C’est chose faite a escient
Si qu’apeleir n’i vaut nient.
Ainsi le pape Fauvel torche
Si bel que le clergié escorche,
Et si n’i met la main, ce semble,
Mes Sainte Eglise toute en tremble.
Les prélats composent de même avec les puissants du jour au détriment de leur ordre, de leurs églises et de leurs troupeaux:
Huy est le louf[724] des brebis mestre.
Bien lour seivent oster la laine
Si près de la pel qu’ele saine...
Las! comment sont mis en chaiere[725]
Jeunes prelas par symonie
Qui poi ont après de clergie.
Eulz ont non de reverent pere
Et enfans sont.....
Je ne saroie distinguier
Les queuls prelas, a dire voir,
Font au jour d’ui miex lor devoir.
Les uns, encor en parleroi,
Sont envers le Conseil le roy;
As enquestes, as jugemens,
As Eschequiers, as Parlemens
Vont nos prelas; bien i entendent.
Les biens de l’Eglise despendent...
Par eulz est souvent porveü
Le roy d’exactions lever
Sus l’Iglise et d’elle grever.
Par les prelas qui veulent plere
Au roy et tout son plesir fere
Dechiet au jour d’ui Sainte Eglise.
Son honneur pert et sa franchise.
Leur orgueil, aussi, est choquant:
Avoir honnours et grans servises
A genoiz et en toutes guises
Enclineis, chaperons osteis...
Enyvreis sont.....
Ils ne savent pas récompenser les bons serviteurs; ils font parvenir de préférence ceux qui les aident à «gratter» Fauvel:
Mes Fauvel qui les rentes donne
Ne regarde pas la personne
De celui qui le bien dessert,[726]
Mais cil qui de torchier le sert.
Por ce souvent lor paine perdent
Qui a servir tiex gens s’aerdent[727].
Les chanoines ne font pas mieux leur devoir que les prélats. Leur devoir serait d’honorer Dieu «es lieus ou doivent demoureir». Or, ils voyagent. Beaucoup même, comme ceux, si bien nommés, de Saint-Benoît-le-Bestourné[728], ne vivent point cléricalement.
Les prêtres paroissiaux sont bien connus, car le peuple les voit de très près. On confie aujourd’hui les paroisses à des ignorants. «Li aveugles l’aveugle meine»:
D’aucuns prestres qui sont cureis
Comment il sont desmesureis
Et comment il mainent vie orde...
Trestout le cuer m’en espovente.
L’auteur change de rythme pour parler des «gens de religion», et, d’abord des Ordres mendiants.—Les fils de saint Dominique et de saint François chantent aussi Placebo[731]:
Et de filles vers euls atreire[732]
Qui les visitent et les hantent.
Il veulent avoir cures d’ames
Partout, et d’ommes et de fames;
De tout se veulent entremettre...
Les religieus mendians
Sont aujourdui si ennoians
Pour ce qu’il changent leur nature.
Il sont povres gens plains d’avoir;
Tout leissent, tout veulent avoir;
Hors du monde ont mondaine cure.
L’en ne fait mes, se Diex m’ament,
Mariage ne testament,
Acort ne composicion
Que n’i vienge la corretiere,
La papelarde, seculiere,
Mendiante religion.
Les religieux qui ne mendient pas, mais qui ont rentes et seigneuries, noirs et blancs, devraient être morts au siècle;
Il est récemment arrivé malheur, par la faute de Fauvel, à un Ordre, naguère honoré entre tous, celui des Templiers. Lamentations de l’Église à ce sujet.
Dans la plupart des manuscrits[734], ces lamentations comportent quatorze strophes. L’auteur, par l’organe de l’Église, regrette que les Templiers soient devenus hérétiques et pécheurs contre nature. Il n’exprime aucun doute sur le bien fondé des accusations portées contre eux, telles que le reniement de Jésus-Christ, de la croix, etc.:
L’un l’autre derrière baisoient...
Que c’est grant hideur a le dire.
Il félicite le roi de France d’avoir été assez heureux pour avoir découvert ces crimes dont saint Louis et le roi de Sicile [Charles d’Anjou] avaient jadis eu vent sans être en mesure de les établir: «Trés bien en a fait son devoir». Les coupables ont reconnu leurs erreurs devant le pape. Plusieurs ont été exécutés...
C’est sans abandonner la forme strophique que le rimeur aborde, ensuite, l’étude du monde laïque:
Nul grant seignor ne nule dame
Que tuit ne soient assotez...
Le seul moyen de parvenir, c’est, maintenant, d’approuver tout ce que les puissants veulent. Quand ils veulent grever leurs sujets, lever exactions et maletôtes, il faut leur dire: «Bien dit, misire». Or tous les princes de nos jours, jusqu’aux chevaliers et aux écuyers, ne pensent qu’à ruiner l’Église: «L’Eglise et tout le clergié heent».
D’autre part, les nobles sont entichés de leur noblesse, oubliant que Miex vaut sens que fole noblece. L’auteur ne saurait trop protester contre ce préjugé ridicule:
Vient tant soulement de courage
Qui est de boens mours aornei.
Du ventre, sachiez, pas ne vient...
. . . . . . . . . .
En issirent il a cheval?
Concluons (et, pour conclure, le rimeur recommence à rimer en vers plats). Tout va mal: les chevaliers haïssent l’Église, l’Église n’est pas honorée, France «est tournée en servitude»; les juges sont sans pitié, les seigneurs «pleins de tricherie», les ribauds gouvernent les communes et les femmes leurs maris...
A lessié sa propre nature
Et pris le contraire, si comme
J’ai dessus dit en grosse somme.—
Quar trop longuement i metroie
S’en especial tout disoie.—
Je conclu par droite reson
Que près summes de la seson
En quoi doit defineir le monde.
Puisse ce «petit livret» plaire à Dieu et à Sainte Église!
*
* *
La seconde partie de Fauvel n’est pas de nature à être analysée en détail.
Elle commence par une longue description du palais de Fauvel personnifié et par la nomenclature de sa cour: Charnalité, Convoitise, Avarice, Envie, «Détraction», etc. Dans cette assemblée de tous les vices figure Angoisseuse[735], l’adversaire du repos hebdomadaire:
Qui de labourer n’est oyseuse,
Car as dimenches et as festes
Fait labourer et gens et bestes.
Si grant haste a de labourer
Qu’il ne li chaut de Dieu ourer[736].
Et s’el n’avoit enfant ne femme,
Si vouroit el mener tel game[737].
Sachiez qu’il est nez de male heure
Qui en tel manere labeure.
Fauvel fait part à ses fidèles de ses projets: il voudrait fixer la Fortune en l’épousant. On l’approuve.
Description de la Fortune. Fauvel demande sa main. Fortune refuse avec indignation. Elle n’est pas ce que l’on croit communément:
Que la Providence divine...
Que Fauvel se contente d’épouser Vaine Gloire de la main gauche. Ce qui a lieu. Et de cette union naissent d’innombrables «fauveaus».
Ces «fauveaus» ont envahi et déshonoré les plus beaux pays du monde; mais il en est un que l’auteur regrette par-dessus tout de voir contaminé:
Le beau jardin de grace plain
Ou Dieu par especiauté
Planta les lis de roiauté...
Et d’autres fleurs a grant planté:
Fleur de pais et fleur de justise,
Fleur de foi et fleur de franchise,
Fleur d’amour et fleur espanie
De sens et de chevalerie...
C’est le jardin de douce France.
Helas, com c’est grant mescheance
De ce qu’en si trés beau vergier
Fauvel s’est venu herbergier...
Là sont venus s’ébattre, pour tout gâter, Fauvel et sa famille:
Que la Vierge sauve la fleur de lys de France
Qu’il ne puist faire traïson!
Le poème, achevé quelques jours après la mort de Philippe le Bel, au moment où les conseillers de ce prince, comme Enguerran de Marigni, étaient déjà visiblement en danger, prend fin par des paroles formidables d’espérance et de menace:
Fauvel; ja si grant ne sera,
Car il ne puet pas tous jours vivre.
GILLES LI MUISIS
Gilles li Muisis, 17e abbé du monastère bénédictin de Saint-Martin de Tournai, a laissé, entre autres ouvrages, un «registre» de ses pensers sur les mœurs de son temps.
Ce fils d’une excellente famille tournaisienne avait dix-huit ans lorsqu’il fit profession dans le monastère où devait s’écouler sa vie, le jour de la Toussaint 1289. Avant ou après cette date, peut-être avant et après, il compléta ses études à l’Université de Paris[739]. En 1300, il accompagna à Rome l’abbé Gilles de Warnave, à l’occasion du grand pardon institué par Boniface VIII. Une trentaine d’années plus tard, il était élu abbé de Saint-Martin (30 avril 1331); mais Jean XXII ne ratifia son élection, contestée par un concurrent et par l’évêque de Tournai, qu’après de longues procédures en cour de Rome. Il s’employa, par la suite, avec beaucoup d’activité et de soin, à restaurer les finances très compromises de sa maison.—Tels sont les principaux incidents d’une carrière tout unie.
Il approchait de sa quatre-vingtième année lorsqu’il devint aveugle. C’est alors, pour occuper ses loisirs forcés, qu’il écrivit ou plutôt dicta sa «Chronique», ses «Annales» et finalement son «registre». L’auteur déclare lui-même qu’il commença ce registre vers Pâques 1350.
Le manuscrit de la «Chronique» de Gilles li Muisis qui est à la Bibliothèque de Courtrai le représente assis dans une stalle surmontée d’un dais, les mains sur les bras du siège, en train de dicter à un moine.
Vers la Saint-Rémi de l’année 1351, il fut opéré avec succès de la cataracte. Il mourut l’année suivante (15 octobre 1352)[740].
Son «registre», qui faisait naguère partie de la Collection de lord Ashburnham et qui a passé de là, en 1901, dans une autre collection privée de Londres[741], a été publié par M. Kervyn de Lettenhove: Poésies de Gilles li Muisis (Louvain, 1882, 2 vol. in-8)[742].
Les pensées de l’abbé Gilles y sont disposées, à ce qu’il semble, suivant l’ordre chronologique de la rédaction. Après deux espèces de préfaces (Lamentations, Méditations) en vers octosyllabiques, sont transcrites des pièces en alexandrins groupés par quatrains monorimes. Ces pièces, de longueur très inégale, forment plusieurs séries. La première concerne la science et les étudiants, les moines de saint Benoit, les nonnains, les béguines et les Ordres mendiants. La seconde, après une courte introduction qui semble annoncer une revue générale des conditions sociales, comprend des morceaux détachés sur les princes, les prélats et le reste du clergé, avec, en appendice, quelques fragments sur les mêmes sujets. La troisième série se compose d’un essai sur les «gens seculers», c’est-à-dire sur le monde laïque, qui s’achève par des considérations sur les vices de «tous en général»; en appendice, fragments sur les mêmes sujets. Une quatrième série remet en scène, en une suite de courtes pièces, les diverses catégories de gens d’Église et les séculiers. La collection s’achève par trois complaintes dialoguées entre l’auteur, les femmes et les hommes qu’il a blâmés, et ses amis personnels[743].—On serait assez disposé à croire que les pièces du même mètre sur le même sujet (il y en a jusqu’à trois ou quatre sur certains sujets, qui font triple ou quadruple emploi), étaient destinées à être ultérieurement revisées et fondues, si le bon abbé avait trahi quelque part le moindre souci de la composition littéraire. Mais il n’était pas écrivain, quoiqu’il ait beaucoup écrit. Il admirait infiniment le Roman de la Rose, le Reclus de Molliens, un certain Jacques Bochet, Frère Mineur, son contemporain, qui avait rimé sur des questions de morale en langue vulgaire[744], et d’autres bons trouvères et «faiseurs» de son temps; mais lui-même se rendait justice:
Trop petis oisons sui pour mener aues paistre.
La composition n’était pour lui, homme «de petit sens», qu’un passe-temps:
Car chou que je di c’est pour tout bien employer
Le temps que par se grasce Dieus me voelt envoyer.
Il craignait sincèrement ce que l’on pourrait penser de ses informes productions:
Que ch’ est presomptions et rien ne doit suffire.
Le fait est que peu de clercs du moyen âge ont écrit d’une manière aussi lourde et rabâché au même degré. Le lecteur n’en pourra guère juger par ce qui suit, où l’on a rassemblé en gerbe tout ce que le bon abbé a dit d’intéressant; mais il est positivement écœurant de le lire d’un bout à l’autre.—Rappelons à sa décharge qu’il était octogénaire et atteint de cécité[746].
Écrivain détestable, qui perd continuellement le fil de ses idées, intarissable en lieux communs, plat et radoteur[747], l’abbé apparaît, personnellement, dans son œuvre, comme un homme assez remarquable: d’abord un bon vivant, grand amateur, à la flamande, de vins et de mangeaille; et aussi, sous l’habit ecclésiastique, un bon bourgeois prudent, très soucieux des apparences, plein des préjugés qui ont été, en tout temps, ceux des classes moyennes, rentées. Laudator temporis acti jusqu’au comble du ridicule, mais autant à cause de sa prudence naturelle que par l’effet naturel de l’âge. C’est systématiquement qu’il a préféré tracer le tableau idéal de ce qui devrait être, sous couleur de ce qui fut, plutôt que de s’attirer des animadversions en vitupérant le présent avec trop de précision. Il cite bien le proverbe: A tous put qui veut a chascun plaire (II, 251), et il annonce çà et là qu’il est prêt à user d’une sainte audace; mais, d’autre part, il appuie cent fois sur l’inutilité de la prédication morale et sur les dangers qu’elle présente pour qui s’y livre:
Il seroit hors dou sens; nuls ne voelt sen afaire
Ne cangier ne muer. Pour chou s’en doit on taire.
S’on les blame de riens, a tous yra desplaire.
Malgré tout, l’abbé Gilles a des titres certains à figurer dans la galerie des moralistes du moyen âge. Le bonhomme n’était pas bête; et, quel qu’ait été son parti pris de parler pour ne pas dire grand’chose, il n’a pas pu, en parlant si longtemps, ne pas ouvrir quelques échappées sur les êtres et les choses du milieu où il vécut.
C’est en 1350, au temps de Pâques, que l’abbé Gilles, empêché de sa vue «si que vir les gens ne pooit, ne lire, ne escrire, et ne veoit fors clartés et lumieres, et grossement», résolut de considérer sa vie: «quels je suis et quels j’ai esté». Il était vieux:
Et de pekiés[749] moult amassés;
Pau fait de bien; dont ge fremis.
Quel âge avait-il, d’abord? Il «s’avisa» comment il pourrait le savoir. Or, il avait huit ans ou environ quand il fut mis à l’école. Il y resta dix ans «aprendans, contans et lisans», non sans travail et sans «paour». Puis son père, sa mère et ses amis pensèrent à la «mettre en religion». Il y consentit volontiers, car c’était son goût. Il fut donc reçu dans ce noble monastère de Saint-Martin, avec deux autres jeunes gens. Voilà un peu plus de soixante ans qu’il y sert Dieu à son pouvoir. A l’époque de sa profession, il y avait à Saint-Martin soixante-et-un moines et cinq convers; tous sont morts maintenant, à la date où il entreprend le présent «registre»... Les jeunes gens ne croient pas à la vieillesse et à la mort; cependant, tous y passent.
Saint Paul dit en ses Épîtres: Habentes victum et vestitum, hiis contenti sumus. Le vivre et le vêtement ne suffisent point à tout le monde; d’aucuns désirent les richesses, les honneurs. «On le voit bien, comment il est». L’auteur s’en taira pour le moment, «car a plusieurs poroit desplaire»; mais il y reviendra plus tard.
Il remercie Dieu des épreuves qu’il lui envoie; car il a fort à expier. Comblé de biens, il en a peu profité. Comment a-t-il osé si longtemps être prélat, et reprendre autrui en cette qualité, lui sur qui l’on pouvait tant dire? Lui qui a si souvent «quis grans delisces en mangier et en boire»?[750] Maintenant, il n’y voit plus; il ne peut plus voir les oiseaux voler, courir les bêtes. Mais il faut faire de nécessité vertu...
Biaus sires Diex, car envoyet
M’avés de vo castiement.
Car j’avoie trop longhement
En pais et en santé estet:
S’en gracie vo majestet.
Pendant les dix-huit ans qu’il est resté dans sa famille, il peut se rendre cette justice qu’il hantait volontiers l’église et les bonnes gens; il n’avait pas beaucoup d’argent, mais on ne le laissait manquer de rien. Lorsqu’il entra à Saint-Martin, le bon abbé de ce temps-là entendit sa confession générale, et le sous-prieur, «dans Gilles de Braffe», lui enseigna les devoirs des moines.
Après avoir laissé le siècle, il fut près de sept ans «en custode». Hélas! si les cloistriers y pensaient bien: comme leur vie est agréable! ils ont du vin aux repas et toutes leurs nécessités; la plupart du temps ils regrettent, cependant, la liberté; ils dédaignent les études et la provende du couvent[752]. Mais l’auteur ne veut s’occuper ici que de son propre cas; il reparlera des autres en temps et lieu.
La jeunesse est un âge très dangereux: chacun doit être bien aise de l’avoir dépassé. Durant l’âge mûr, on amasse, avoirs ou savoirs; et l’on dit communément: «Vivre convient». Quand on est vieux, il fait bon avoir fait ses provisions d’hiver, car personne ne jette son lard aux chiens; ne pas compter sur la charité d’autrui, en ce siècle perverti. Et, d’ailleurs, il est assez raisonnable que charité bien ordonnée commence par soi-même.
Que nuls n’a de l’autre pitet.
Et ce est bien voirs, je le grée,
Que karités soit ordenée,
Que cascuns ayme sen pourfit
Plus que l’autrui, et jou pour fit
Le tieng bien; car chou est raisons
Que cescuns no pourfit faisons.
Tant qu’il est siecles et sera
Sages est qui se pourvera[753].
Gilles a péché en tous les temps de sa vie; il a longtemps «entendu» aux choses mondaines, à ses aises, aux besognes séculières. Mais il a toute confiance en la valeur de la contrition.—Il juge bon d’insérer ici, à ce propos, un petit manuel du confesseur: «Comment priestres doit pekeurs absorre». Questions qu’il doit adresser. Conduite à tenir dans le cas où les pénitents lui disent, comme font plusieurs:
Ne mes peckiés, ce poise my.
Et si a bien an et demy
Que je ne fui, voir, confiessés...
Pour Dieu, sire, voillés me aidier.»
Liste des sept péchés mortels et des dix commandements de Dieu. Il croit rendre service en enregistrant ainsi «de quoy on puet administrer salut d’ame» à ses bons amis. Trop de gens, parmi les lettrés, tiennent closes leurs mains pleines d’utiles enseignements.
L’auteur est couché dans son lit; la vieillesse l’empêche de vaquer aux devoirs des moines, comme il en avait l’habitude, quand sonne la cloche commune. Alors, il pense à ses fautes. Tant de mauvais exemples donnés! Tant de sottises commises, «en pensers, en dis et en fais»!—Longue prière à la Vierge[754].
Il pense sans cesse aux péchés qu’il a faits et à ceux qu’on peut faire. Gourmandise: chacun veut nourrir bien ce corps, qui pourrira dans la terre. Luxure; il y a des gens qui, sur ce chapitre, refusent d’en croire les prêtres, et qui disent:
Mais comment qualifier ceux qui, prêchant le bien, sont les plus ardents au mal, dont la vie se passe à «prechier, dormir, querre leur aises, faire tout chou k’est deffendut»?—Orgueil, envie («qui a esté forte en mi»), Gilles espère qu’il en est guéri.—Convoitise, avarice, paresse, vices ordinaires des vieilles gens, colère...; défendez m’en, Seigneur!
Dous Diex! donnés que ne m’encombre.
Pour tous pekiés, je reng me coupe
Le main au pis, de cuer, de bouque[758].
*
* *
Après la Lamentation qui précède, faite par dévotion pour exhorter les pécheurs à la pénitence, l’abbé Gilles se demande, dans une pièce intitulée: Meditations, à quoi il pourrait bien «employer son temps». Il traitera, pour l’instruction des gens, du siècle qui court maintenant et du siècle qui fut jadis (un paradis, en comparaison)[759].
De nos jours, les hommes et les femmes de bien sont en proie à la malveillance et à la médisance publiques.
Si un prud’homme va à l’église:
Es loenges molt se delite!»
Si sa femme l’accompagne:
Chiertes, mieuls li varoit brouster
Ses porées et ses colles[760]
Que porter si fais varcolles;[761]
Il font tout par ypocresie.
Chiertes, moult fols est qui se fie
En gens qui font le papelart;
Il ne querent voir fors que lart.»
Voici ce qu’on dit des prêtres:
Le service divin est souvent empêché par les assistants qui ne font qu’y «bourder», et les curés ne les en reprennent pas assez[764]. Les femmes agissent de même; c’est à l’église qu’elles tiennent leurs parlements: de leurs voisins, de leurs voisines, de leurs valets, de leurs servantes. Quand l’une d’elles va à l’offrande, écoutez-les:
Diex, com or est bien acesmée!
Elle montre bien ses denrées
Et s’a ciertes moult de pensées.
Moult est lie k’on le rewarde;
Or rewardés comment se farde.»
Il n’y a, du reste, qu’à dédaigner ces rumeurs. «On a parlé et parlera», nul ne peut faire qu’on ne bavarde sur son compte; il n’en est pas davantage.
*
* *
Par tous pays, on sert de beaux dits les seigneurs, et les gens de toutes manières, pour égayer les assemblées, dîners et soupers. Mieux vaut, effectivement, en écouter que de boire, de se quereller et de se battre. L’abbé Gilles voudrait bien occuper ses loisirs à en composer, à l’exemple des bons diseurs du temps passé, comme l’auteur du Roman de la Rose, le Renclus [de Molliens], et Jakes Bochet, le Frère Mineur, excellent prédicateur, trouvère habile, qui, au moment de mourir, remit à un de ses amis un bel ouvrage intitulé «Tiaudelait».
Je sui ciertains, qui le vera
Au lire grant joye avera.
Ne sai que nuls en ait coppie....
On peut encore citer, parmi les vivants, le bon Guillaume de Machaut, Philippe de Vitri et son frère, et deux «faiseurs» du Hainaut: Jehans de le Mote, Colart Aubert. Ceux-là savent faire pleurer et rire.
Qui leur biaus dis ont amassés
Et mis en escrit et en lettre...
L’abbé Gilles fait un retour sur lui-même: il va mourir; il est vieux; lui qui aimait les joyaux, les chevaux et toutes les belles choses qui se voient, il est à peu près aveugle; mais il a encore sens et mémoire. Il est trop tard, cependant, pour qu’il se mette à l’école des «bons faiseurs». Il s’en tiendra à ce qu’il sait et apprendra par la pratique.
Des anchienes choses dirai,
De chou k’ai veüt et sceüt.
Il parlera aussi du temps présent, que la grande épimédie récente n’a pas du tout corrigé. On n’ose pas, généralement, dire leur fait aux contemporains: il se permettra des remarques.—Il revient brusquement, en terminant, à l’habitude de médire qu’il a déjà blâmée plus haut. Nul n’en est quitte. Ni les riches ni les pauvres. Du riche
Leurs tresors et leurs grans rikeces...»
En quoy, biaus Diex? en gloutrenie
Ou par mener malveise vie...
Pour chou ne l’en doit nuls complaindre.»
*
* *
Il convient de commencer par la science et les étudiants[765].
Jadis, les écoles regorgeaient d’écoliers pleins de zèle, que leurs parents, «gens de plusieurs estats», y mettaient pour venir à honneur; les prélats en avaient la liste «en leur rôles». Aujourd’hui, comme les bénéfices sont conférés, non pas aux bons clercs, mais à des gentilshommes chasseurs, à des quémandeurs, à des intrigants, les écoliers se découragent et se font rares. De là, la prospérité des écoles qui appartiennent aux Ordres mendiants, où la science, soutien de la foi catholique, trouve asile; les autres «religions»[766] devraient bien en faire autant, conformément aux constitutions du pape Benoit [XII], cet ami éclairé des études[767]. Tout dépend donc de ceux qui ont à distribuer les bénéfices; qu’ils les donnent, non pas à la recommandation de leurs amis ou de leurs amies, mais aux plus méritants. Le clergé serait plus respecté, s’il était plus respectable. On ne verrait plus de ces bénéficiers qui savent surtout vider les pots et dont les additions s’enflent chez les taverniers.
De nos jours, les clercs sont attirés surtout par les sciences lucratives, comme le droit, la médecine. Avocats, physiciens (médecins); ils sont sûrs, en exerçant ces professions, d’avoir de l’argent; et, avec de l’argent, d’être bientôt curés, doyens. On sait assez ce que l’on gagne à soigner les intérêts et la santé des gens. Le physicien, en particulier, qui se fait appeler «mestre»,
A l’apoticarie connoistre vous fera;
Par sen valet boistes assés envoiera;
Se bien ne li payés, de tout il ciessera.
Les moines noirs ou de saint Benoit.
Jadis on enrichissait à l’envi les fils de saint Benoit. Pourquoi? Parce que l’on s’émerveillait à bon droit de leur vie âpre et dévote. Maintenant, tout est changé. Les hoirs des donateurs ne songent plus qu’à nous dépouiller; c’est que les mœurs ne sont plus les mêmes:
Les principales préoccupations des moines sont maintenant: bons vins, bonnes viandes, beaux habits, et, surtout, des congés.
Leur refuser des congés, c’est, à leur sens, leur faire tort[769].
Autres soucis des moines de nos jours: dormir; briguer les dignités conventuelles; se vanter de son lignage; se quereller avec ses frères. Et quelle insolence! Si vous voulez leur imposer les robes noires, à larges manches, en étamine, de la Règle, ils vous répondront:
Tout cela, c’est la faute des abbés, absorbés par les soins temporels, trop souvent absents, qui ne donnent pas l’exemple et qui négligent leurs ouailles[773]. D’autre part leur luxe scandalise les laïques, qui ne se privent point d’en gloser:
C’est un abbes de la; c’est un si fais prieus.
Rewardés leur grans pompes; sont il delicieus?»
Les élections abbatiales sont devenues une source de scandales. Jadis, on élisait le meilleur, avec le ferme propos de lui obéir. Aujourd’hui, il y a des élections contestées; d’où appels à Reims et à Rome, discordes, procès et ruines. Notre Saint Père Clément [VI], qui fut moine et sait à quoi s’en tenir, a très bien fait de se réserver la nomination des abbés qu’autrefois on avait coutume d’élire.
L’abbé nomme les officiers du monastère: prieur, sous-prieur, prévôt pour le temporel, aumônier, cellérier, trésorier (chargé de la garde des reliques et des archives), infirmier, pitancier, camérier (préposé à la garde-robe), hôtelier (pour les étrangers), rentier, receveurs, etc. On les envie; mais bien à tort; car ces officiers ont la part de Marthe dans l’histoire évangélique; celle de Marie, la plus belle, est réservée aux simples «cloistriers». Office n’est pas heritages. Encore est-il trop vrai que les offices sont souvent, de nos jours, prétextes à dispenses et à adoucissements de toutes sortes.
La dignité des cérémonies célébrées dans les couvents de l’Ordre de Saint Benoit a beaucoup diminué. Jadis, on y chantait fort bien:
Se cantoit on a trait, faisant pausation...
De nos jours, on psalmodie paresseusement et en empiétant sur les répons:
Che samble, qui les ot, qu’il se voisent tenchier[775].
Dit ont bien le moitiet, ains que puissent laissier
A l’autre lés leur vier[776] ne lor vois abassier.
Considérez les Ordres qu’on appelle Mendiants; leurs couvents sont pleins d’étudiants; ils sont seigneurs du monde par leur clergie; ils n’ont pas de rentes comme nous. Ils commencent, cependant, à s’enrichir de nos dépouilles, parce qu’on leur donne sans jamais leur imposer, comme à nous, d’exactions. Mais, des Mendiants, il sera question plus loin.
Malgré tout, l’abbé Gilles a confiance. Benoit XII, prédécesseur de Clément VI, a publié une excellente constitution pour les monastères de moines noirs. On reverra un jour l’âge d’or. «Chou qu’iestre doit, sera.»
Les nonnains.
Dieu, et tout le monde, estime la nonnain «coie», qui ne quitte guère son cloître. D’autant plus fâché l’abbé Gilles est-il d’en savoir tant par les chemins, qui se comportent «comme dames». De nos jours, on entre trop aisément dans leurs maisons, et plus les jeunes que les vieux. Amour en naît. Des messages sont échangés: lettres, tablettes. Et les «trés doulces nonnains» ne songent plus qu’à se parer et à sortir. Elles tourmentent leurs abbesses pour obtenir des congés, des permissions; elles en obtiennent, trop aisément. Mais, prenez garde; les gens causent:
Vous donnés a parler a ches gens, et des doubtes;
Car, quand on voit de vous hors de vos lieus les routes[777],
Li fol ont tantost dit: «Or rewardés ches gloutes![778]»
Elles devraient filer ou recoudre leurs guimpes à la maison; elles envahissent les boutiques:
Puis vont a warcoles[780], si les font desployer.
Se vont en ces joyauls leur argent employer.
Bien sevent ou boin fait aler esbanoyer[781].
Les nonnes de haut parage ont seules, en cela, quelque excuse. Et voici pourquoi:
On dit, de nos jours, beaucoup de mal des religieuses, comme de toutes les autres personnes d’Église. La cause, Dieu la connaît; mais certes, il n’en serait pas ainsi si les anciennes mœurs étaient duement observées. Sans doute, tout ce que l’on dit n’est pas vrai; les méchants médisent des meilleurs. Néanmoins, faites attention; soyez prudentes. Ne parlez pas aux hommes en particulier. Méfiez-vous des brebis galeuses qui sont parmi vous, qu’on pourrait prêcher tous les jours, à user une langue d’acier, sans les détourner du monde. Prenez plutôt exemple aux grandes dames qui sont venues chercher la paix dans vos rangs: madame de Valois, sœur du roi de France; la comtesse de Hainaut, mère de deux reines... On les en a, il est vrai, tenues pour «sottes»; mais bienheureux ceux qui renoncent!
Les béguines.
L’abbé Gilles les a peu hantées; il en parle donc par ouï-dire, ce sont des demoiselles «senées», religieuses et sages, de toutes conditions, qui portent habits et manteaux simples, se consacrent à l’éducation des enfants, ou bien ouvrent et filent pour gagner leur vie et qui sont gouvernées, à la manière des nonnains, par des supérieures, d’après une règle jadis sévère.
On dit que les béguinages seraient maintenant en décadence. La sévérité s’est relâchée. Mais il n’y a peut-être pas de mal; l’arc ne peut être toujours tendu:
Les clers parisyens revenant des escolles,
Et que priveement on faisoit des karoles[785]:
C’estoit trestout reviaus[786], en riens n’estoient folles.
Faut-il croire, cependant, que les jeunes gens vont visiter ces demoiselles, et qu’il se passe alors des scènes comme celle-ci?
Li tahon[787], en filant et seant sur leurs sielles,
Dient: «Vous savés bien espyer les plus belles...
. . . . . . . . . .
«Dites hardiement, vous serés escoutés;
Ja de no souveraine[788] ne serés hors boutés,
Et nos boins visiteres[789] sera pau redoubtés.
Alés querre les autres et chi vous aroutés.»
. . . . . . . . . .
Se vienent pluseur gent canter et fiestyer: (241)
Adont fait il trop boin d’amourettes prier.
N’en disons pas davantage:
Puissent les béguinages recouvrer leurs bonnes coutumes anciennes!
Les Ordres non rentés, qu’on appelle «Mendiants»: Augustins, Jacobins, Frères Mineurs, etc.
Des fous se plaignent du nombre extraordinaire des Ordres qui ont été successivement fondés:
Méchantes gens! qui donc vous ferait connaître les vertus et les vices? qui vous administrerait les sacrements? qui vous ramènerait à Dieu?
Les Mendiants sont les derniers venus. Ils ont embrassé d’abord la pauvreté et la science: Thesaurisate vobis thesauros in celo... Mais, maintenant, ils ont des maisons et des églises partout, tandis que les anciens Ordres rentés succombent sous le poids de leurs charges. D’où le mot des séculiers:
Leur humilité les a exaltés. Ils sont maintenant les mieux en cour près des puissants de la terre (qu’ils gouvernent en qualité de confesseurs) et les plus lettrés des gens d’Église. Mais la fortune est changeante: Qui stat, videat ne cadat.
Enflure de science, c’est chose très redoutable; on en devient tout fier, peu aimable. Et rien de si âpre que les parvenus, comme on dit. L’ambition, l’orgueil et l’avidité se sont développés avec le succès chez les Mendiants. Il n’en était pas encore ainsi au temps de la jeunesse de l’auteur.
En ce temps-là, temps béni—au retour de l’expédition d’Aragon (1285),—les églises jouissaient de la tranquillité et de la paix. On mettait les enfants aux écoles pour apprendre:
Il manoient ensanle par loges, par soliers,
Enfants de riches hommes et enfants de toiliers.
On leur portait leurs coses par chevaus, par colliers.
Il y en avait alors à Paris jusqu’à soixante-seize de Tournai. Les études étaient donc fréquentées, et surtout les plus nobles: philosophie, théologie. Les écoles de Paris étaient noblement parées, l’hiver, de docteurs et de bons clercs de tous les pays:
Et en yvier s’asanlent par pluseurs legions.
On leur lit et il oent pour leur instructions;
En esté s’en retraient moult en leurs regions.
De ceux qui profitaient le mieux, les uns attendaient des bénéfices, qui ne leur étaient pas refusés, les autres entraient en religion. Les «religions» rentées servaient Dieu dévotement et abondaient en biens temporels.
Que dire des Mendiants?—On ne sait pas qui écoute; soyons prudents, crainte de fâcher; «c’est presumptions de parler sur les sages».—L’abbé Gilles a vu qu’on les envie. N’est-ce pas parce qu’ils ont changé d’allures? Au temps jadis, tout le monde les aimait. Ils passent encore pour très savants; mais on prétend qu’ils ont perdu l’humilité de cœur. Ils n’admettent plus la contradiction, paraît-il:
C’on fait de ces docteurs, pour yestre disputées,
Besongnes c’on leur a devant yaus proposées;
Leur oppinions voellent sour tous iestre portées.
L’abbé Gilles plaint fort, d’ailleurs, les Mendiants de n’être pas rentés, comme les anciens Ordres. Car «tous leur fondemens est sour volloirs des personnes»; quand ils demandent, ils essuient parfois des refus brutaux. Or, les gens, de nos jours, sont singulièrement «refroidis» et durs à la détente: ils commandent à leurs femmes de ne rien donner. Assurément, les docteurs et les grands maîtres des Mendiants, qui vivent près des seigneurs, leurs prieurs et leurs gardiens ont des «gratuités» et se tirent d’affaire; mais ceux des frères qui mendient vraiment souffrent souvent de disette. On était jadis enchanté de leurs visites; maintenant on les redoute. «Ensi vont anullant partout devotions.»
Ne faire nul mestier, draper, taindre, laver,
Ne vignes cultiver, ne tieres ahaner;
Mais on dit que savent trop bien les gens taner.
Tout mis en balance, les Mendiants restent une des lumières et des forces de l’Église, «la fleur de Sainte Église». Qu’ils persévèrent à bien faire[796].
Sans avoir l’intention de faire concurrence aux prélats et aux prêcheurs, dont c’est l’office de dénoncer les vices et de reprendre les gens, l’auteur va considérer maintenant les divers états du monde, en suivant toujours sa méthode, qui consiste à comparer le bon vieux temps au présent, sans trop insister sur le présent pour ne pas être «assailli» de tous côtés. Il proteste toutefois qu’il ne parlera pas de la cour de Rome, ni en bien ni en mal; il ne s’en croit point le droit: «Court de Rome mis hors, car elle m’a rentet[797]».
Les rois, les princes et les nobles.
Saint Louis, Charles d’Anjou et le bon roi Philippe, fils de saint Louis, qui fit son devoir en Aragon, agirent toujours du commandement et au gré de la cour de Rome. C’étaient des princes modèles. Si tous les rois chrétiens agissaient comme eux, les choses iraient autrement.
Deux grands malheurs sont arrivés depuis. Le conflit qui s’est élevé entre le roi de France Philippe, «le roy cras», et le comte Gui de Flandre; d’où guerres, trêves, répits, depuis plus de cinquante ans; et ce n’est pas encore fini. La mort de quatre rois de France sans hoirs et la candidature, qui en a été la suite, du roi Édouard d’Angleterre à la couronne de France; ç’a été aussi une cause de guerres, d’exactions et de pillages infinis.
Devoirs des princes: aimer Sainte Église, être affable, maintenir lois et coutumes, assurer la justice, ne rien convoiter sur ses voisins, soutenir marchands et marchandises, fabriquer de la bonne monnaie «si que toute gent rentet et d’eglise puiscent avoir leurs vivres», bien choisir ses délégués, se garder de paroles «volages».—Ce qui suit, qui concerne les ducs, princes, barons et la chevalerie en général, n’est pas moins insignifiant.
L’abbé Gilles regrette en passant le temps où l’«on souloit tournyer, juster et faire fiestes». Occupés par ces amusements, les nobles n’avaient pas tant de loisirs pour tourmenter leurs sujets.
Il est revenu plus tard, dans d’autres pièces séparées de son «registre», sur les rois (II, 126), les princes (II, 128), les chevaliers et les écuyers (II, 130), mais pour ne rien dire de plus.
Le clergé.
Parlons un peu des prélats, pour apaiser les laïcs qui ne seraient pas contents de ce qui est dit d’eux ici.
Jadis, c’étaient des saints. En est-il ainsi aujourd’hui? Au lecteur d’en juger.
Se c’est voirs chou qu’il dient, c’est drois k’on s’en esmaie[799].
On dit, entre autres choses, en parlant des évêques:
Et de chou qu’il nos dient, il font tout autrement.»
Plût à Dieu que les mœurs de notre temps trouvassent, pour les décrire, un autre Reclus de Molliens!
Les doyens et les chanoines prébendés.—Au temps jadis, quand ils portaient des capes, des «tabars[800] lons fourés», et non des habits de couleur, les prébendés vivaient de leurs prébendes, en répandant de larges aumônes aux pauvres gens et aux mendiants qui faisaient queue à leurs portes. Aujourd’hui l’argent ne suffit plus à leurs dépenses: ils se chargent des «besongnes des gens». Et le peuple est fondé à dire:
Les curés et les chapelains.—On en a fait, on en fait beaucoup trop. Beaucoup de jeunes, jeunes «de sens et d’âge», pleins d’eux-mêmes, qui tourmentent souvent les autres. Plusieurs «abusent laidement». Les bons curés d’autrefois, clercs «bien doctrinés», se confessaient souvent les uns aux autres, évitaient les femmes, ne disaient jamais qu’une messe par jour, étaient bien vus et faisaient du bien; en ce temps-là, qui n’aurait pas fréquenté l’église de sa paroisse n’aurait pas eu à s’en louer:
Qui n’antoit Sainte Eglise moult estoit despités.
Aujourd’hui, il y a un prolétariat ecclésiastique; on fait souvent desservir les cures par des prêtres «mercenaires», ignorants des Saintes Écritures, désordonnés en maintien, en habits, que l’on renouvelle constamment. Ces continuelles «permutations» ont bien des inconvénients.—On voit des prêtres, après avoir dit, pour faire de l’argent, jusqu’à trois ou quatre messes dans leur journée, aller boire à la taverne.—La foule de ceux qui ne sont pas rentés ne pense qu’à gagner sa vie et se plaint de sa misère:
Nous ne demandons riens fors seulement nos vivres.
Honte seroit de vendre nos coses et nos livres.
Ou no face nos biens, ainsi k’on sieut, delivres,
Ou siervice de Dieu nous yrons esprouver.
Noue serons bien payés, se tenrons nos promesses.
A curés aiderons et orons des confiesses;
Nous absorons de tout par parolles expresses.
Tant que de benefisses pourveüt nous serons,
Et avoec les curés haut et cler canterons;
Les siervices[805] divins faire leur ayderons.
De faire des anueus seront entalentet;
Nos vivres arons la tout a no volentet.
De chou no chavirons ainsi que li rentet.»
L’abbé Gilles reconnaît que ces prêtres non pourvus sont en droit, pour vivre, de «prendre un anuel»; mais pas plus d’un, sans permission; et il déplore que bien des prélats se désintéressent de toute surveillance à cet égard, sous prétexte qu’ils sont impuissants à persuader leurs clercs d’«en laisser». Jadis les «pactions pour messes» étaient totalement inconnues.
Il est fort à craindre que la foi vacille, à la fin, si les mauvaises coutumes nouvelles ne sont pas ôtées. «Li maintiens des fols priestres ceste cose fera», à moins que Dieu n’y pourvoie.
Il y a, de plus, la question des mœurs. La luxure est évidemment le péché le plus répandu. Or, les laïques ont l’œil ouvert là-dessus. Il importe, d’autant plus, de prendre garde. Si non caste, tamen caute.
Et k’on se maintenoit plus atempreement
On poroit tout passer trop plus legierement.
Mais on fait trestout trop abandonneement.
S’on fait aucune cose, che soit secreement[806]...
C’est une fâcheuse habitude des curés et des chapelains d’avoir, pour valets, des filles. On en murmure; c’est un usage à supprimer:
Le siècle.
Au temps jadis—l’abbé Gilles aime à s’en souvenir durant ses insomnies—les princes et les seigneurs étaient contents de leurs possessions; les marchands prospéraient; l’Église était honorée; les rois faisaient des croisades outre-mer; tout le monde était à son aise. Encore au temps de l’expédition d’Aragon (dont l’abbé vit le retour) la monnaie d’argent était bonne; on voyait courir peu de florins; on portait des habits honnêtes; c’étaient des fêtes continuelles; pas de guerres, point de tempêtes. «Des doleurs k’on voit ore petit adont estoient».
Aujourd’hui les princes sont «bobanciers» et appauvrissent leurs sujets en les visitant trop souvent; quand ils lèvent des «prêts», on n’en peut rien ravoir; ils acceptent que les braconniers, convaincus d’avoir pêché dans leurs viviers, se rachètent, s’ils sont à leur aise, et font pendre les pauvres; ils s’entourent de conseillers dont la vénalité est proverbiale. Ces hommes de rien, élevés tout d’un coup si haut par la faveur des princes, étaient un perpétuel sujet de réflexions pour l’auteur[808]:
Comment ches grans estas il sevent maintenir.
Familles, compagnies voellent grandes tenir;
A paines poent gens leur grandeur soustenir.
Quant aux femmes, elles s’habillaient jadis chacune suivant sa condition, honoraient leurs maris, élevaient bien leurs enfants, allaient le dimanche à l’église (leurs enfants devant elles), écoutaient les sermons. C’était le bon temps des «moulekins», des cols blancs, des surcots à manches pendantes, des chaperons de drap ou de soie. Elles refusaient la compagnie des hommes. Ceux-ci n’osaient pas faire d’avances aux filles bien nées; et s’ils l’osaient, elles répondaient aussitôt:
Filles des boines gens; cure n’avons des hommes.»
On ne pensait pas, alors, pour ses filles, à de grands mariages. Les mariages se faisaient tout simplement «par boin los, par argent», entra familles du même monde. Une femme n’avait pas plus de trois costumes: un pour les noces et les «haus jours»; le second pour les dimanches et fêtes; le troisième pour la vie courante. Les filles n’avaient point d’autre pensée que de ressembler à leur mère ou à leur aïeule. Souliers étroits à lacets et manches boutonnées[809] étaient l’apanage des femmes légères; les femmes honnêtes avaient des «dorelos» (rubans) et non pas des boutons, et des manches cousues. Elles se ceignaient haut sous les seins, portaient des joyaux pendants à leurs ceintures et ornaient leurs cottes de pièces rapportées. Les unes avaient leurs tresses enroulées autour de la tête; les autres se faisaient couper ou raser la chevelure. Point de «hauchaites» ni de faux cheveux. Il y a toujours eu, du reste, des belles et des laides, des sages et des folles.—Mais aujourd’hui! Il paraît que le maintien des femmes et les «adinventions» nouvelles qui se multiplient sans cesse sont quelque chose d’effrayant. L’abbé est aveugle; on l’en a informé.
Robes, caperons, pliches[810], pour monstre faire pendent.
Li baron, li parent de riens ne les reprendent;
A leur filles les meres les quointises aprendent.
Aujourd’hui les femmes ont des cornes, comme des vaches, pour aller aux fêtes et aux caroles[811]. Elles ont des petits chiens et des lapins privés. Elles se fardent. On disait naguère: Tost est belle leviée; elles passent toute la matinée à s’épingler. Elles étalent leur gorge[812]... On dirait des reines...
Les femmes de nos jours ne sont pas habituées à s’entendre ainsi réprouver. Les Frères Prêcheurs, par exemple, ne peuvent pas se permettre impunément d’être si sévères dans leurs sermons: les femmes les prendraient à partie: «Parlez des hommes, s’il vous plaît; n’oubliez pas que vous vivez de nos aumônes.» Les autres prédicateurs sont exposés à d’autres coups droits; on murmure: «Ils prêchent pour avoir des bénéfices; ils ne font pas ce qu’ils disent.»
Et des visces qu’il praichent moult bien nous warderons,
Haus parlers n’i vaut riens: chou qu’il font, nous ferons.»
Les hommes ne sont pas plus sages. Ils se plaisent aussi aux sots habits, courts, étroits, découpés[817]:
Ils disent: «L’amour a dames et la mort a chevaus!».—Hélas, tout va mal; les monnaies sont mauvaises; tout est cher; comment en serait-il autrement? Les guerres et les mortalités récentes n’ont rien changé aux habitudes.
Des princes.—Les impôts n’ont jamais été si lourds. Les princes de ce temps font tant de «levées» que le service de Dieu faut en plusieurs pays. Chacun se plaint et dit qu’on lui prend ce qu’il a.
Des marchands.—Le bon abbé n’a que des éloges à faire d’eux, s’ils sont loyaux. Leur métier est pénible: s’aventurer par terre et par mer, aller aux fêtes et aux foires, se tenir au courant de la valeur des denrées, des bons vents et des bonnes ventes. Mais ils rendent de grands services: pas de pays qui se suffise; les marchands sont les intermédiaires indispensables. «Quand marchandise faut», tout le monde s’en ressent. Il est vrai que, «quand on wagne bien», les ouvriers deviennent insolents; ils veulent alors travailler peu, vivre largement; ils font des «assanlées»[820], d’où des dissensions...
De tous en général.—L’auteur s’excuse ici de ne point poursuivre l’énumération des «états» de la société.
Un désordre inexprimable règne dans cette partie de son œuvre[821].
Le diable est un apothicaire qui a, dans sa boutique, quantité de boîtes d’épices, de confitures et de venins: ce sont les «plaisanches» des péchés et les péchés eux-mêmes. Il a répandu surtout, dans le monde tel qu’il est, le contenu de trois de ses boîtes, celles qui sont étiquetées Orgueil, Envie, Convoitise. Voyez les collèges «qui font elections», depuis celui des cardinaux jusqu’aux plus modestes; ils sont singulièrement saupoudrés de ces trois produits.
Convoitise. L’abbé en voit des symptômes certains dans les continuels changements de la valeur des monnaies et dans la prospérité des changeurs, usuriers, marchands du pape, qui s’enrichissent, achètent des «heritages»[822].
Ire. Elle règne dans les tavernes, où l’on se bat pour ne pas payer les écots; dans les fêtes et les assemblées. Il y a aussi les femmes qui font combattre leurs maris et leurs amis pour avoir la préséance à l’église.
Paresse. Vice de gens d’église qui, plus que le moutier, aiment leurs aises, faire la grasse matinée, se faire saigner et ventouser. Les laïques n’en sont pas exempts[823]; jeunes gens vigoureux, qui attendent avec impatience le signal de la fin des travaux: «Quite, quite!»; ouvriers agricoles qui désespèrent leurs maîtres par leur mollesse et leur insolence:
Les valets, bergers et charruyers ont maintenant la prétention de prendre des congés avant le terme et de ne rien faire les dimanches et fêtes:
Or les laissent: se vont esbanyer es fiestes.
C’est comme les «meschines» ou servantes: paresseuses, «vanteresses», répondeuses; on n’a plus l’habitude de les commander, il les faut prier; elles gagnent leur salaire en allant bavarder chez les voisines. On a bien du mal, de nos jours, avec les «maisnies» (la domesticité): plusieurs sont «dangereux» de boire, de manger; cependant, bien des gens préfèrent tout supporter plutôt que de changer leur personnel:
Cultivateurs, vignerons, disent: «Meisnies tout emportent»; et leurs amis leur conseillent d’abandonner les terres qu’ils ont prises à cens: plus de profit à la culture[830].
Les autres ouvriers, ceux des villes, c’est la même chose. Ce sujet tient fort au cœur de l’abbé Gilles, qui a, «par lonc temps, assanlé ses pensées» sur ce point. Abstenez-vous, autant que possible, de «faire faire ouvrages» nouveaux; contentez-vous de ce qui existe, si vieux que ce soit; car les ouvriers de nos jours sont trop exigeants, trop peu consciencieux:
Par froit font pau d’ouvrage, par caut vont cuffarder.[831]
Il faut être continuellement sur leur dos:
Car, s’il ne sont kaciet, d’ouvrer vont tost tarder.
L’abbé avait, sans doute, fait bâtir; et il avait gardé de cette expérience un très mauvais souvenir:
Gloutenie et luxure. On ne voit partout, de nos jours, que compagnies d’hommes et de femmes qui s’assemblent pour chanter, festoyer, caroler et «treskier» à grands frais. L’abbé l’«accorderait» bien, si c’était sans péché, car, «par nature», jeunes gens font chiere lie. Jadis, pour huit personnes, deux chapons suffisaient, avec trois ou quatre «los» de vin qu’on faisait venir de la taverne; et le principal plaisir de ces réunions, c’était la conversation. Maintenant, on s’engouffre à la taverne, sans aller à la messe, pour s’emplir démesurément la panse.—Il est bon de faire des assemblées de parents et d’amis, et des «mangiers sollempneus» en certaines circonstances, quand on est à son aise; car, c’est le moyen de donner une idée de sa fortune. Mais ces pauvres diables, qui n’ont que ce qu’ils gagnent et qui n’épargnent rien lorsqu’ils sont ensemble, font pitié.
L’ivrognerie est un sale vice. L’ivrogne se bat au cabaret et bat sa femme à la maison, engage tout ce qu’il a au tavernier, n’a plus de cœur à l’ouvrage. Il invite tout le monde:
A tous chiaus qui sourvienent font toudis compagnie
Et qui plus en poet boire, c’est grans chevalerie.
Luxure, qui naît de Gloutenie. Cette matière est traitée fort au long, mais presque exclusivement d’après la Bible. L’abbé a entendu dire, toutefois, que ce vice prévaut plus que jamais. Il en blâme surtout les hommes:
Il répète, à ce propos, qu’il faudrait au moins se cacher: Caute, si non caste.
L’abbé entend dire que, maintenant, on aime mieux avoir femmes «en songnetages»[836] que de les épouser; si c’est vrai, c’est bien fâcheux. Et quel péril d’avoir des enfants du sexe féminin! Jadis les filles se mariaient déjà grandes, «toutes faites»; aujourd’hui les hommes les veulent très jeunes. On donnait «par raison» du sien aux mariages; aujourd’hui on se ruine pour avoir des femmes de haut lignage.—La mortalité de 1349 n’a fait réfléchir personne[837]; cet avertissement terrible est resté, jusqu’à présent, inutile.
La revue des «états du monde» prend fin par des exhortations et des prières.
*
* *
Dans la dernière partie de son «registre», l’abbé Gilles suppose que les dames et les hommes de Tournai, qui ont eu connaissance de ce qu’il a écrit sur leur compte, s’en plaignent et réclament des explications:
«Dans abbes»[839] disent les dames, vous avez très bien parlé du clergé, des vertus et des vices, mais vous nous avez trop maltraitées. Si nous nous habillons bien, c’est, filles, pour trouver des maris; femmes, pour plaire à nos hommes...
L’abbé en doute.—Vous, nous trouvez trop élégantes, trop «cornues», trop hardies, trop ajustées; c’est que vous avez vieilli:
Vous fustes reveleus[840], or iestes affadis...»
L’abbé répliquera, si on l’attaque.—«Dans abbes», vous voulez opérer des miracles: vous voulez nous faire taire; nous vous donnerons chacune, si vous y réussissez, une paire de gants blancs.
L’abbé n’y a jamais pensé.—«Dans abbes», vous voulez que nous nous tenions tranquilles. Et qui ferait partout, beau sire, fêtes et joie? On dit que compagnies ne valent rien sans femmes. Si nous n’avions pas de parures, on nous huerait.
L’abbé n’espère guère qu’elles se corrigeront; il se tait: il aurait trop à répondre.—«Dans abbes», prenez garde de radoter. Si vous êtes prud’homme, nous sommes «preudes femmes». Parlez de vos nonnains: «Vous savés par oïr s’elles sont amoureuses»...
L’abbé demande si les dames ont encore quelque chose dans leur sac.—«Dans abbes, ch’est voirs; nous aimons homme, che nos donne nature». Mais en tout bien tout honneur. Honte aux hommes et aux femmes qui font métier de débauche!
L’abbé n’aurait pas osé aller si loin; s’il a tant parlé, c’est qu’il a souci du salut des âmes.—«Dans abbés», nous ne pouvons rien changer à nos habitudes:
L’abbé reconnaît qu’il y a des sages et des folles; mais, ce qui l’indigne, c’est que les femmes du commun aient adopté les façons des grandes dames. Entre nous, bonnes dames et bonnes demoiselles, ce que j’en ai dit, c’est pour ces «soterielles», ces «garcettes», ces servantes, qui veulent avoir, comme les riches, «sorleriaus[843] sans caucettes», et caroler par les rues au son du tambour.
Se rewardent lesquelles monstrent mieuls leur denrées.
Se sont mesdemisieles accolées, tastées,
Se dient: «Ch’est tous siecles; pour chou fumes nous nées»...
«Dans abbes», que faire? Nous sommes trop tentées; nul ne se souciera de nous si nous n’avons ni avoir ni parure.
L’abbé invoque Notre-Dame.—«Dans abbes», persuadez d’abord les hommes; car il nous faut leur obéir.
L’abbé a le dernier mot; il en profite pour proposer l’exemple de la Sainte Vierge et répéter une fois de plus ce qu’il a déjà dit cent fois.
C’est le tour des hommes.
«Dans abbes», nous venons apprendre à votre école. Nos femmes nous assourdissent de leur «haut parler», à table et au lit. Un conseil, s’il vous plaît.—Dieu seul, dit l’abbé, peut empêcher les femmes de parler. Vous venez vous plaindre d’elles; mais elles, elles ont aussi des griefs contre vous.
«Dans abbes», nos femmes veulent tout faire à leur volonté; on ne peut les apaiser; si on les bat, elles font leurs paquets pour s’en aller. Les bonnes femmes «se vouent» ou font des vœux quand leur mari est malade ou va «en ost banie»[845]; mais les autres profitent de ces circonstances-là pour cancaner avec les voisines.—Messieurs, dit l’abbé, il me semble que ceux d’entre vous qui vont à l’étranger tiennent peu de compte de leurs femmes; ils les laissent chargées d’enfants et de dettes, et en proie aux maquerelles. Au retour, quand on les informe de ce qui est arrivé en leur absence, ils ne sont pas contents et battent les malheureuses. D’autres, parmi vous, sont piliers de tavernes. «Se femmes se meffont, ch’est tout par leur maris».
«Dans abbes», elles vous en ont conté. «Moult tost seriés dechiut de femmes, biaus preudom»!—On parle, répond l’abbé, de la cointise (coquetterie) des femmes. C’est votre faute. Elles ont trop à se défendre, étant si souvent «requises» par vous. C’est votre devoir d’enseigner les femmes et de leur donner l’exemple; or, vous êtes les premiers à tourner le dos au bon vieux temps.
Paraissent enfin les «compagnons»[846] qui avaient coutume de visiter l’abbé Gilles pour le réconforter, comme Job, dans son malheur, quand il était aveugle. Ils buvaient ensemble du meilleur. Ils entendaient volontiers «sonner canchons et instrumens». Maintenant que l’abbé est guéri[847], Boins usages, comme on dit, doit iestre maintenus.
Campion[848] parle pour ses compagnons. «Dans abbes», lorsque vous ne voyiez, vous aimiez notre compagnie et vous nous faisiez chiere lie, largement. Nous louons Dieu de la grâce qu’il vous a faite, mais il nous déplaît de ne plus avoir de vos nouvelles. Les compagnons ne souffriront pas que vous viviez ainsi tout seul; vous tomberiez en mélancolie. Vous fûtes chancelier du prince de la Gale, ne l’oubliez point.
Pour cose qu’il aviegne sages ne se mesaise.
Boins vins, boine viande, compagnies apaise...
Campion, beau doux sire, dit l’abbé, ma chambre vous est ouverte. Les compagnons seront encore les bienvenus à partager ce «fort vin sans temprer» que j’aimais à boire quand je n’y voyais plus. Si ce n’est que je dois suivre un régime (m’abstenir d’ail, d’oignons, d’airuns et de vin pur), je n’ai pas changé. Vous me trouverez toujours fidèle au prince de la Gale.
Campion. «Dans abbes», nous avons étudié vos écrits. Quand vous étiez aveugle, vous n’avez pas perdu votre temps. Mais, croyez-nous, en voilà assez. Les femmes ne sont pas contentes de vous. «Dire voir fait souvent moult petit d’avantages.»
Merci du conseil, dit l’abbé. Il est vrai que je me suis beaucoup peiné, pendant ma maladie, de «faire des registres»; je pensais sans cesse, nuit et jour, aux états du monde... Certes, y voir clair est noble chose: quand on a ses yeux, on voit ce que Dieu a fait. Mais quand je fus «illuminé» de nouveau, j’ai vu des choses fort attristantes: la disparition des anciens usages, la décadence des Ordres, la servitude de l’Église, les costumes collants et courts des pauvres comme des puissants, plus de différences entre les maîtresses et les servantes, des enfants qui jurent par le sang et les boyaux, de mauvaises monnaies, la cherté de tout, des habits à boutons, des bourses et des courroies argentées, etc., etc.
Vos vés tout; se savés quand li poins en sera.
INDEX
DES NOMS PROPRES
A, B, C, D, E, F, G, H, I, J, K, L, M, N, O, P, R, S, T, U, V, W.
Abélard, X.
Adam d’Hereford, 4.
Aelis (Bele), 130.
Aiguillon, 171.
Aimeri de Narbonne, 264.
Aimes de Marigni, 45.
Alain de Lille, XI, 228.
Alexis Comnène, 83.
Alfonse, roi d’Aragon, 30, 44.
Albigeois, 108, 115, 121.
Alexandre de Stavenby, évêque de Lichfield, 91.
Allemagne, 43, 254, 269.
Allemands, 43, 120.
Amanieu de Sescas, 180, 338.
Amauri, roi de Syrie, 30, 44.
Amenjart (Dame), 170.
Amiens, 114.
Amis, 20.
Andely (Le Vieil), 284.
André le Chapelain, 182.
Angers, 98.
Angleterre, 105, 106.
Angoulême, 171.
Anseri de Montréal, 46.
Antioche, 61.
Aragon (L’expédition d’), 328.
Aristote, 65, 237, 293.
Arles, 31, 41.
Artur, 172.
Aspremont (Les dames d’), 156.
Astralabe, X.
Augustin (Saint), 130.
Autun (L’évêque d’), 71.
Babelée (La), 258.
Balian, fils de Philippe de Novare, 186.
—— d’Ibelin, 186.
Barral de Marseille, 44.
Barthélemi de Vendôme, 14.
Baudas (Le savetier de), 145.
Baudouin (L’Empereur), 74, 84.
—— de Condé, 114.
—— de Hainaut, 46.
—— de Renenghe, 271.
Beaujeu (Ceux de), 45.
Behaingne [Bohême], 269.
Belissant, 20.
Benoit (Saint), 130, 320.
—— XII, 319, 321, 323.
—— Caëtani, 250.
Bernard (Saint), 115.
—— d’Argentau, 75.
—— d’Armagnac, 45.
—— de Morlas, XI.
—— de Saint-Valery, 45.
Bertremiels (Dans), le Reclus de Molliens, 114.
Berzé-le-Châtel, 72.
Blanc-Essay, 4.
Bologne, 65, 120.
Boniface VIII, 304.
—— de Montferrat, 74, 84.
Boulogne-sur-Mer, 227 et s.
Boulongnete, 243.
Boulonnais (La coutume du), 265.
Bourbon (Ceux de), 145.
Bourgogne, 41, 57, 71, 121.
Brabançons, 9.
Bretons, 248.
Broyes (Ceux de), 45.
Cambrai, 272, 327.
Campion, de Tournai, 352, 353.
Caton, IX, 269.
Césaire (Saint), 213.
César, 173.
Chaillou (R.), 288 et s.
—— de Pesstain, 288 et s.
Champagne, 121.
Chaperons blancs du Forez, 33, 60.
Chardri, VII, XIV, 106, 199.
Charles V, 114, 290.
—— d’Anjou, 300, 331.
Chartreux, 31, 55, 82.
Chrétien de Troyes, 159.
Christine de Pisan, 230.
Chypre, 186.
Citeaux, 53, 71, 150.
Clairvaux, 31, 53.
Clément V, 278, 294.
—— VI, 322, 323.
Clerembaut de Chappes, 46.
Clermont (Le comte de), 44.
—— en-Bassigni (Ceux de), 45.
Cluni, 31, 38, 58, 74, 82.
Colart Aubert, 318.
Comains, 81.
Conrad de Montferrat, 45.
Constantinople, 73, 83, 120.
Convers de Saint-Antoine, 32 et s., 61 et suiv.
Courtin (Le chien), 131.
Dalmase de Sercey, 74.
Damalioc, 9.
Damette d’Hereford, 4, 27.
Damiette, 108, 186.
Dampierre, 264.
Danemark, 121.
Daude de Pradas, IX.
Durant Chapuis, 33, 60.
Écosse, 61, 121.
Édouard, roi d’Angleterre, 331.
Égypte, 108, 210.
Enguerran de Marigni, 304, 337.
Ernoul de Beaurain, 275.
Espagne, 18.
Estienne de Bourgogne, 45.
—— de Fougères, 1 et s.
—— du Mont-Saint-Jean, 45.
Eudes le Champenois, 46.
Eustache d’Aix, 270.
Farien, 198.
Fineposterne, 121.
Flandre, 121.
Flavigni (Ceux de), 45.
Folquet de Romans, 39, 75, 77.
Français, 108, 121.
France, 18, 41, 57, 107, 154, 247, 301, 303, 304.
Francesco da Barberino, XIII, 45, 188.
«François de Rues», 286.
Frédéric Barberousse, 30, 43.
—— II, 76, 135.
Frise, 121.
Gale (Les compagnons de la), 351, 352.
Gari lo Bru, 161, 174.
Garmaise (Worms), 18.
Gaucher de Salins, 45.
er de Berzé, 72.
h;— de Château-Thierry, 224.
h;— de Coinci, 211.
—— de Renenghe, 271.
—— de Saint-Denis, 73.
Gemme (Sainte), 12.
Genève (Le comte de), 45.
Geoffroi, V. Jofroi.
Gervais de Pont-Arcy, 284.
—— du Bus, 279 et s.
Gilles, abbé du Mont-Saint-Jean lès-Thérouanne, 275.
—— Braffe, 312.
—— de Rome, 195.
—— de Warnave, 304.
Gilles li Muisis, 113, 277, 305 et s.
Girard, abbé de Pontigni, 55.
—— de Vienne [et Mâcon], 36, 44.
Gobert d’Aspremont, 46.
Grandmont (Ordre de), 32, 56 et s.
Grèce, 120.
Grecs, 47, 84.
Grégoire X, 225, 232.
Gui de Flandre, 331.
Gui de Livri, 284.
—— de Mori, 248, 256.
—— de Parai, 34, 55.
—— de Thil-Châtel, 46.
Guiard de Laon, 327.
Guichard Dauphin, seigneur de Jaligny, 153.
—— de Beaujeu, X.
Guigues de Forez, 71.
Guillaume de Chalon, 33, 45.
—— de Licques, prévôt d’Aire, 272.
—— de Machaut, 318.
—— de Mâcon, évêque d’Amiens, 226, 249.
—— de Mandeville, 44.
—— de Mello, 45.
—— de Montferrat, 76.
—— de Roie, XVII.
—— de Vienne, 36.
—— Durand, 125.
—— le Clerc de Normandie, 89 et s.
—— le Gros de Marseille, 45.
—— Péraut, VI.
—— Tyrel de Poix, 153 et s.
Guiot de Provins, 30 et s.
Hainaut (La comtesse de), 325.
Hélinant de Froidmont, 117, 122, 129, 212.
Henri II, roi d’Angleterre, 1 et suiv., 10, 30, 43.
Henri (Li jones cuens), 44.
—— de Bar, 46.
—— de Champagne, 44.
Hervé de Donzi, 46.
Hildebert de Lavardin, IX.
Hollande, 121.
Honorius III, 35.
Hospitaliers, 60, 74, 81.
Hues du Chastel, 45.
—— Tyrel de Poix, 153 et s.
Hugues de Berzé, 38, 69 et s.
—— de Brienne, 186.
Hugues de Fouilloi, XI.
—— de Saint-Denis, 73.
—— de Saint-Pol, 46.
Innocent III, 34, 90, 91.
Inquisition, 212.
Isaac l’Ange, 83.
Jacquemard Gelée, 273.
«Jacques», 39, 88.
——, archidiacre de Thérouanne, 270.
Jacques Bochet, 307, 317.
—— d’Amiens, 176, 327.
—— de Boulogne, évêque de Thérouanne, 222, 226, 250, 270.
—— d’Étaples, 275.
Jakes Cent Mars, 317.
Jehan ou Jean XXII, 305.
—— Chaillou, 290.
—— de Bruges, 156.
—— de Condé, 114, 170, 187, 330.
—— de Corbie, 271.
—— d’Ibelin, seigneur de Baruth, 185.
—— de Meence, 352.
—— de le Mote, 318.
—— de Ligny, 274.
—— de Meun, 228, 231, 280.
—— de Salisbury, 7.
—— de Vassogne, 227, 270.
—— Dupin, V.
—— du Temple, 284.
—— le Fèvre, 229.
—— Maillart, 290.
Jérusalem, 31, 60, 109;
(le roi de), 203.
Jofroi de Bretagne, 44.
—— de Condé, 45.
—— de Joinville, 46, 188.
—— de la Chapele, 154, 155.
—— de Mâcon, 36, 44.
—— de Pons, 46.
—— de Villehardouin, 71.
Jonas, 85.
Juifs, 112.
Juvénal, 22.
Kenilworth en Warwickshire, 92.
«Kyot», 36.
La Fère-sur-Oise (Le chanoine de), 113.
Lanbague, 198.
Lancelot, 198.
Lambert li Tors, 7.
La Tour-Landry (Le chevalier de), XII, 195, 209, 339, 340.
Lendit (Le), 243.
Lombardie, 76.
Lombards, 120, 122.
Londres, 153.
Lorraine (Le duc de), 45.
Louis VII, 30, 43.
—— VIII, 95.
—— IX, 116, 155, 300, 331.
Lyon (Concile œcuménique de), 224, 272.
Mâcon (Le comte de), 35.
Mahieu (Matheolus), 223 et s.
—— de Beaurémi, 271.
Map (Walter), XII, 169.
Marbode, 22.
Marco Polo, 145.
Marie Périblepte (Le monastère de), 74.
Martin, évêque de Braga, IX.
Martin le Franc, prévôt de Lausanne, 230.
Matfre Ermengau, 64.
Maurice de Craon, 45.
—— de Sully, 90, 111.
Mayence, 30, 43.
Merlin, 145.
Miles de Châlons, 46.
Moïse, 131.
Molliens-Vidame, 114.
Mongeu (Les monts de), 240.
Montferrat (Le marquis de), 75. V. Boniface, Conrad, Guillaume.
Montmartre, 324.
Montpellier, 31, 68.
Montreuil, 240, 275.
Mont Saint-Michel, 4.
Murzuphle, 83.
Nicaise de Fauquembergue, 222, 275.
Nicolas IV, 227.
Normandie, 106; (le duc de), 171.
Noyers (Ceux de), 45.
Oisi (Ceux d’), 45.
Olive de Belleville, dame de la Galonnière, 217.
Orguen, 12, 26.
Orhan, 12, 26.
Orléans, 270, 275.
Otton IV, 43.
Paris, 121, 172, 213, 224, 243, 249, 252, 254, 305, 324, 329.
Perrette, femme de Mahieu, 225 et s.
Perse, 54.
Philippe II Auguste, 93, 116.
—— III le Hardi, 285, 331.
—— IV le Bel, 285, 292, 304, 331.
—— d’Alsace, 44.
—— de Novare, 184 et s.
—— de Souabe, 43.
—— de Vitri, 318.
Pierre, X.
—— doyen de Saint-Martin de Tours, 228.
—— Chappe, 186.
—— de Courtenai, 46.
—— de Saint-Cloud, 7.
—— le Chantre, XII.
—— le Peintre, chanoine de Saint-Omer, 240.
Pise, 18.
Poix (Les bourgeois de), 155.
Pons de Bussières, 74.
Porus, 172.
Pouille, 120.
Prémontré, 34, 58.
Raimond, évêque de Toulouse, 322.
—— d’Anjou en Dauphiné, XIII, 45.
—— de Toulouse, 44.
—— Bérenger de Provence, 44.
Rainier Cappocci, 55.
Raol (Sire), 90, 91.
Raoul de Couci, 45.
—— de Fougères, 9, 45.
—— de Houdan, XI.
—— de Mauléon, 45.
Raoul de Tabarie, 186.
—— le Petit, 277.
Reims, 273, 322.
Renaut de Mousson, 44.
—— de Nevers, 45.
Ressons-sur-le-Matz, 229.
Richard Cœur de Lion, 31, 44.
—— de Fournival, 229.
Richeut, 24.
Robert d’Arbrissel, 12.
—— de Blois, 153 et s.
—— de Ho, 180, 187, 209, 326.
—— de Sablé, 45.
—— de Sorbon, 212.
—— de Torigni, I
Robert Goyon, 4.
—— le Bougre, 212.
—— le Moiste, 226.
Rome, 47 et s., 58, 81, 107, 120, 292, 322, 331.
Rostang de Cluni, 74.
Rotrou du Perche, 46.
Rutebeuf, 51, 324, 327, 330.
Saint-Antoine de Viennois. V. Convers.
—— Augustin (Les chanoines de), 31, 58.
—— Benoit le Bestourné, à Paris, 298.
——Fuscien au Bois, 114.
—— Jacques de Compostelle, 121.
—— Jean au Vieil-Andely, 284.
—— Martin de Tournai, 305.
—— —— d’Ypres, 226.
—— Maur près Paris, 243.
—— Omer (Le châtelain de), 45.
Sainte Chapelle (La) à Paris, 243.
Sainte Marie au Bois de Ruisseauville, 226, 274.
Salerne, 121.
Salonique, 34, 68, 76.
Sarrasins, 101, 163.
Saxons, 120.
Simon, 97.
Sordello, 161.
Syrie, 59, 76, 186.
Templiers, 32, 59, 60, 74, 81, 294, 299.
Ternois, 274.
Théodore-Ange Comnène, 77.
Thérouanne, 223 et s.
Thibaut, roi de Navarre, 155.
—— de Blois et de Chartres, 44.
Thomas de Cantorbéry (Saint), 115, 121, 126.
Tierri de Forbach, 156.
Tiois, 43.
Tommasino di Cerclaria, XIII.
Toscane, 120.
Toulousains, 108.
Tournai, 351, 352;
(l’évêque de), 227, 319.
Traynel (Ceux de), 45.
Trente, 27.
Turcs, 59, 210.
Turenne (Le comte de), 45.
Urbain le Courtois, 177, 192, 194.
Valois (Mme de), 325.
Venise, 121.
Wilham de Wadington, 241.
Wolfram von Eschenbach, 36.
TABLE DES MATIÈRES
CHARTRES.—IMPRIMERIE DURAND, RUE FULBERT
LIBRAIRIE HACHETTE ET Cie
BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 79, A PARIS
LES GRANDS ÉCRIVAINS FRANÇAIS
ÉTUDES SUR LA VIE
LES ŒUVRES ET L’INFLUENCE DES PRINCIPAUX AUTEURS
DE
NOTRE LITTÉRATURE
Notre siècle a eu, dès son début, et léguera au siècle prochain un goût profond pour les recherches historiques. Il s’y est livré avec une ardeur, une méthode et un succès que les âges antérieurs n’avaient pas connus. L’histoire du globe et de ses habitants a été refaite en entier; la pioche de l’archéologue a rendu à la lumière les os des guerriers de Mycènes et le propre visage de Sésostris. Les ruines expliquées, les hiéroglyphes traduits ont permis de reconstituer l’existence des illustres morts, parfois de pénétrer jusque dans leur âme.
Avec une passion plus intense encore, parce qu’elle était mêlée de tendresse, notre siècle s’est appliqué à faire revivre les grands écrivains de toutes les littératures, dépositaires du génie des nations, interprètes de la pensée des peuples. Il n’a pas manqué en France d’érudits pour s’occuper de cette tâche; on a publié les œuvres et débrouillé la biographie de ces hommes fameux que nous chérissons comme des ancêtres et qui ont contribué, plus même que les princes et les capitaines, à la formation de la France moderne, pour ne pas dire du monde moderne.
Car c’est là une de nos gloires, l’œuvre de la France a été accomplie moins par les armes que par la pensée, et l’action de notre pays sur le monde a toujours été indépendante de ses triomphes militaires: on l’a vue prépondérante aux heures les plus douloureuses de l’histoire nationale. C’est pourquoi les maîtres esprits de notre littérature intéressent non seulement leurs descendants directs, mais encore une nombreuse postérité européenne éparse au delà des frontières.
Depuis que ces lignes ont été écrites, en avril 1887, la collection a reçu la plus précieuse consécration. L’Académie française a bien voulu lui décerner une médaille d’or sur la fondation Botta. «Parmi les ouvrages présentés à ce concours, a dit M. Camille Doucet dans son rapport, l’Académie avait distingué en première ligne la Collection des Grands Ecrivains français.... Cette importante publication ne rentrait pas entièrement dans les conditions du programme, mais elle méritait un témoignage particulier d’estime et de sympathie. L’Académie le lui donne.» (Rapport sur le concours de 1894.)
J.-J. Jusserand.
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