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Le Roman Comique

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CHAPITRE XII.

Ce qui arriva au voyage de la Fresnaye;
autre disgrâce de Ragotin.

a veille de la noce l'on envoya un carrosse et des chevaux de selle aux comediens. Les comediennes s'y placèrent dedans avec le Destin, Leandre et l'Olive; les autres montèrent les chevaux, et Ragotin le sien, qu'il avoit encore, pour n'avoir pu le vendre, et qui etoit gueri de son enclouure. Il voulut persuader à l'Etoile ou à Angelique de se mettre en croupe derrière lui, disant qu'elles seroient plus à leur aise que dans le carrosse, qui ebranle beaucoup les personnes; mais ni l'une ni l'autre n'en voulurent rien faire. Pour aller d'Alençon à la Fresnaye il faut passer une partie de la forêt de Persaine, qui est au pays du Maine. Ils n'eurent pas fait mille pas dans cette forêt que Ragotin, qui alloit devant, cria au cocher d'arrêter, «parce, dit-il, qu'il voyoit une troupe d'hommes à cheval». L'on ne trouva pas bon d'arrêter, mais de se tenir chacun sur ses gardes. Quand ils furent près de ces cavaliers, Ragotin dit que c'etoit la Rappinière avec ses archers. L'Etoile pâlit; mais le Destin, qui s'en aperçut, l'assura en lui disant qu'il n'oseroit leur faire insulte en la presence de ses archers et des domestiques de monsieur de la Fresnaye, et si près de sa maison. La Rappinière connut bien que c'etoit la troupe comique; aussi il s'approcha du carrosse avec son effronterie ordinaire et salua les comediennes, auxquelles il fit d'assez mauvais complimens, à quoi elles repondirent avec une froideur capable de demonter un moins effronté que ce levrier de bourreau; lequel leur dit qu'il cherchoit des brigands qui avoient volé des marchands du côté de Balon 394, et qu'on lui avoit dit qu'ils avoient pris cette route. Comme il entretenoit la compagnie, le cheval d'un de ses archers, qui etoit fougueux, sauta sur le col du cheval de Ragotin, auquel il fit si grand'peur qu'il recula et enfonça dans une touffe d'arbres, dont il y en avoit quelques-uns dont les branches etoient sèches, l'une desquelles se trouva sous le pourpoint de Ragotin et qui lui piqua le dos, en sorte qu'il y demeura pendu: car, voulant se degager de parmi ces arbres, il avoit donné des deux talons à son cheval, qui avoit passé et l'avoit laissé ainsi en l'air, criant comme un petit fou qu'il etoit: «Je suis mort, l'on m'a donné un coup d'epée dans les reins 395

Note 394: (retour) Petite ville du Maine, sur l'Orne, à 4 lieues et demie du Mans.
Note 395: (retour) Cette plaisanterie paroît imitée d'un passage de l'Euphormion de Barclay, où César, l'un des personnages, se croit mort, comme Ragotin, parce que, comme lui, à peu près, il a été piqué par une épine à la fesse. (1re part., ch. 30.)

L'on rioit si fort de le voir en cette posture que l'on ne songeoit à rien moins qu'à le secourir. L'on crioit bien aux laquais de le dependre; mais il s'enfuyoient d'un autre côté en riant. Cependant son cheval gagnoit toujours pays, sans se laisser prendre. Enfin, après avoir bien ri, le cocher, qui etoit un grand et fort garçon, descendit de dessus son siége et s'approcha de Ragotin, le souleva et le dependit. On le visita et on lui fit accroire qu'il etoit fort blessé, mais qu'on ne pouvoit le panser que l'on ne fût au village, où il y avoit un fort bon chirurgien; en attendant, on lui appliqua quelques feuilles fraîches pour le soulager. On le plaça dans le carrosse, dont l'Olive sortit, tandis que les laquais passèrent au travers du bois pour gagner le devant du cheval, qui ne vouloit pas se laisser prendre, et qui fut pourtant pris, et l'Olive monta dessus. La Rappinière continua son chemin, et la troupe arriva au château, d'où l'on envoya querir le chirurgien, auquel l'on donna le mot. Il fit semblant de sonder la plaie imaginaire de Ragotin, que l'on avoit fait mettre dans le lit. Il le pansa de même qu'il l'avoit sondé, après lui avoir dit que son coup etoit favorable, et que deux doigts plus à côté il n'y avoit plus de Ragotin. Il lui ordonna le regime ordinaire et le laissa reposer. Ce petit bout d'homme avoit l'imagination si frappée de tout ce qu'on lui avoit dit qu'il crut toujours d'être fort blessé. Il ne se leva point pour voir le bal qui fut tenu le soir après souper: car l'on avoit fait venir la grande bande de violons du Mans, celle d'Alençon etant à une autre noce, à Argentan. L'on dansa à la mode du pays, et les comediens et comediennes dansèrent à la mode de la cour. Le Destin et l'Etoile dansèrent la sarabande, avec l'admiration de toute la compagnie, qui etoit composée de la noblesse campagnarde et des plus gros manans du village.

Le lendemain l'on joua la pastorale que l'épousée avoit demandée; Ragotin s'y fit porter en chaise avec son bonnet de nuit. Ensuite l'on fit bonne chère, et le lendemain, après avoir bien dejeûné, l'on paya et remercia la troupe. Le carrosse et les chevaux furent prêts, et l'on tâcha à desabuser Ragotin de sa pretendue blessure; mais on ne lui put jamais persuader le contraire, car il disoit toujours qu'il sentoit bien son mal. On le mit dans le carrosse, et toute la troupe arriva heureusement à Alençon. Le lendemain on ne representa point, car les comediennes se voulurent reposer. Cependant le prieur de Saint-Louis etoit de retour de son voyage de Sées. Il alla voir la troupe, et l'Etoile lui dit qu'il ne trouveroit point d'occasion plus favorable pour achever son histoire; il ne s'en fit point prier, et il poursuivit comme vous allez voir au suivant chapitre.


CHAPITRE XIII.

Suite et fin de l'histoire du prieur de Saint-Louis.

i le commencement de cette histoire (où vous n'avez vu que de la joie et des contentemens) vous a eté ennuyeux, ce que vous allez ouïr le sera bien davantage, puisque vous n'y verrez que des revers de la fortune, des douleurs et des desespoirs qui suivront les plaisirs et les satisfactions où vous me verrez encore, mais pour fort peu de temps. Pour donc reprendre au même lieu où je finis le recit, après que mes camarades et moi eûmes appris nos rôles et exercé plusieurs fois, un jour de dimanche au soir nous representâmes notre pièce dans la maison du sieur du Fresne, ce qui fit un grand bruit dans le voisinage; quoique nous eussions pris tous les soins de faire tenir les portes du parc bien fermées, nous fûmes accablés de tant de monde, qui avoit passé le château ou escaladé les murailles, que nous eûmes toutes les peines imaginables à gagner le theâtre, que nous avions fait dresser dans une salle de mediocre grandeur; aussi il resta les deux tiers du monde dehors. Pour obliger ces gens-là à se retirer, nous leur fîmes promesse que le dimanche suivant nous la representerions dans la ville et dans une plus grande salle. Nous fîmes passablement bien pour des apprentis, excepté un de nos acteurs qui faisoit le personnage du secretaire du roi Darius (la mort de ce monarque etoit le sujet de notre pièce 396): car il n'avoit que huit vers à dire, ce qu'il faisoit assez bien entre nous; mais, quand il fallut representer tout à bon, il le fallut pousser sur la scène par force, et ainsi il fut obligé de parler, mais si mal que nous eûmes beaucoup de peine à faire cesser les éclats de rire.

Note 396: (retour) Il s'agit probablement de La Mort de Daire, tragédie de Hardy (1619), où Masoee, qui peut passer en effet pour le secrétaire de Darius, a non pas huit vers, mais dix en tout à prononcer, dans la 1re scène du 2e acte.

La tragedie etant finie, je commençai le bal avec la du Lys, et qui dura jusqu'à minuit. Nous prîmes goût à cet exercice, et sans en rien dire à personne nous etudiâmes une autre pièce. Cependant je ne desistois point de mes visites ordinaires. Or, un jour que nous etions assis auprès du feu, il arriva un jeune homme auquel l'on y fit prendre place; après un quart d'heure d'entretien, il sortit de sa poche une boîte dans laquelle il y avoit un portrait de cire en relief, très bien fait, qu'il dit être celui de sa maîtresse. Après que toutes les demoiselles l'eurent vu et dit qu'elle etoit fort belle, je le pris à mon tour, et, en le considerant avec attention, je m'imaginai qu'il ressembloit à la du Lys, et que ce galant-là avoit quelque pensée pour elle. Je ne marchandai point à jeter cette boîte dans le feu, où la petite statue se fondit bientôt: car, quand il se mit en devoir de l'en tirer, je l'arrêtai et le menaçai de le jeter par la fenêtre. M. du Fresne (qui m'aimoit autant alors comme il m'a haï depuis) jura qu'il lui feroit sauter l'escalier, ce qui obligea ce malheureux à sortir confusement. Je le suivis sans que personne de la compagnie m'en pût empêcher, et je lui dis que, s'il avoit quelque chose sur le coeur, que nous avions chacun une epée et que nous etions en beau lieu pour se satisfaire; mais il n'en eut pas le courage. Or le dimanche suivant nous jouâmes la même tragedie que nous avions dejà representée, mais dans la salle d'un de nos voisins qui etoit assez grande, et par ce moyen nous eûmes quinze jours pour étudier l'autre pièce. Je m'avisai de l'accompagner de quelques entrées de ballet 397, et je fis choix de six de mes camarades qui dansoient le mieux, et je fis le septième. Le sujet du ballet etoit les bergers et les bergères soumis à l'Amour: car à la première entrée paroissoit un Cupidon, et aux autres des bergers et des bergères, tous vêtus de blanc, et leurs habits tout parsemés de noeuds de petit ruban bleu, qui etoit la couleur de la du Lys, et que j'ai aussi toujours portée depuis; il est vrai que j'y ai ajouté la feuille 398 morte, pour les raisons que je vous dirai à la fin de cette histoire. Ces bergers et bergères faisoient deux à deux chacun une entrée, et, quand ils paroissoient tous ensemble, ils formoient les lettres du nom de la du Lys, et l'amour decochoit une flèche à chaque berger et jetoit des flammes de feu aux bergères, et tous en signe de soumission flechissoient le genou. J'avois composé quelques vers sur le sujet du ballet, que nous recitâmes; mais la longueur du temps me les a fait oublier, et, quand je m'en souviendrois encore, je n'aurois garde de vous les dire, car je suis assuré qu'ils ne vous agréeroient pas, à présent que la poësie françoise est au plus haut degré où elle puisse monter. Comme nous avions tenu la chose secrète, il nous fut facile de n'avoir que de nos amis particuliers, qui insensiblement et sans que l'on s'en aperçût entrèrent dans le parc, où nous representâmes à notre aise les Amours d'Angelique et de Sacripant, roi de Circassie, sujet tiré de l'Arioste 399; ensuite nous dansâmes notre ballet.

Note 397: (retour) Le ballet, que Benserade devoit élever à un si haut point de gloire, et que Molière même ne dédaigna pas de cultiver, étoit déjà, à cette époque, en grande faveur. V. le Mercure du temps et les Mémoires de Marolles, passim. En 1630, le fameux ballet préparé par le comte de Soissons pour le retour de Louis XIII à Paris mit la cour et la ville en émoi et préoccupa les esprits plus encore que le procès du maréchal de Marillac. Les ballets de Maître Galimathias, des Goutteux (1630), du Monde, de la Prospérité des armes de France, du Triomphe de la beauté (1640), etc., n'excitoient guère moins l'attention publique. Déjà, même sous Henri IV, il y avoit eu à la cour plus de 80 ballets.
Note 398: (retour) On peut consulter le Jeu du galant (Maison des jeux, 3e p.) pour la signification attachée alors à la couleur des rubans. Voici d'abord pour le bleu: «Doriclas, commençant, dit qu'il choisissoit le bleu à cause qu'etant une couleur attribuée au ciel, elle temoignoit que l'on ne vouloit avoir que des affections celestes.» Quant à la couleur feuille morte, elle signifioit la mort de l'espérance, ou au moins d'une espérance.
Note 399: (retour) Encore un sujet emprunté au Roland furieux, qui étoit alors mis à contribution par le théâtre presque autant que l'Astrée. Je serois assez porté à croire que l'auteur a commis une erreur dans la désignation de cette pièce, car l'Arioste nous montre bien Sacripant amoureux d'Angélique, mais non Angélique amoureuse de Sacripant; d'ailleurs, je ne connois pas, dans notre ancien théâtre, de pièce intitulée ainsi. Il y en a deux, l'une publiée à Troyes, chez Noël Laudereau, l'autre probablement de Ch. Bauter, dit Méliglosse, publiée chez Oudot (1614), qui portent ce titre: Tragédie françoise des amours d'Angelique et de Medor, avec les furies de Rolland et la mort de Sacripant, etc. Peut-être l'auteur a-t-il fait une confusion involontaire.

Je voulus commencer le bal à l'ordinaire, mais M. du Fresne ne le voulut pas permettre, disant que nous etions assez fatigués de la comedie et du ballet; il nous donna congé et nous nous retirâmes. Nous resolûmes de rendre cette comedie publique et de la representer dans la ville, ce que nous fîmes le dimanche gras, dans la salle de mon parrain, et en plein jour. La du Lys me dit que, si je commençois le bal, que ce fût avec une fille de notre voisinage qui etoit vêtue de taffetas bleu tout de même qu'elle, ce que je fis. Mais il s'eleva un murmure sourd dans la compagnie, et il y en eut qui dirent assez haut: «Il se trompe, il se manque», ce qui excita le rire à la du Lys et à moi; de quoi la fille s'etant aperçue, me dit: «Ces gens ont raison, car vous avez pris l'une pour l'autre.» Je lui repondis succinctement: «Pardonnez-moi, je sçais fort bien ce que je fais.» Le soir je me masquai avec trois de mes camarades, et je portois le flambeau, croyant que par ce moyen je ne serois pas connu 400, et nous allâmes dans le parc. Quand nous fûmes entrés dans la maison, la du Lys regarda attentivement les trois masques, et, ayant reconnu que je n'y etois pas, elle s'approcha de moi à la porte où je m'etois arrêté avec le flambeau, et, me prenant par la main, me dit ces obligeantes paroles: «Deguise-toi de toutes les façons que tu pourras t'imaginer, je te connoîtrai toujours facilement.» Après avoir eteint le flambeau, je m'approchai de la table, sur laquelle nous posâmes nos boîtes de dragées et jetâmes les dés. La du Lys me demanda à qui j'en voulois, et je lui fis signe que c'etoit à elle; elle me repliqua qu'est-ce que je voulois qu'elle mît au jeu, et je lui montrai un noeud de ruban que l'on appelle à present galant 401, et un bracelet de corail qu'elle avoit au bras gauche. Sa mère ne vouloit pas qu'elle le hasardât; mais elle eclata de rire, en disant qu'elle n'apprehendoit pas de me le laisser. Nous jouâmes et je gagnai, et je lui fis un present de mes dragées. Autant en firent mes compagnons avec la fille aînée et d'autres demoiselles qui y etoient venues passer la veillée. Après quoi nous prîmes congé. Mais, comme nous allions sortir, la du Lys s'approcha de moi, et mit la main aux cordons qui tenoient mon masque attaché, qu'elle denoua promptement, en disant: «Est-ce ainsi que l'on fait de s'en aller si vite?» Je fus un peu honteux, mais pourtant bien aise d'avoir un si beau pretexte de l'entretenir. Les autres se demasquèrent aussi, et nous passâmes la veillée fort agreablement. Le dernier soir du carnaval je lui donnai le bal avec la petite bande de violons, la grande etant employée pour la noblesse. Pendant le carême il fallut faire trève de divertissemens pour vaquer à la piété, et je vous puis assurer que nous ne manquions pas un sermon, la du Lys et moi. Nous passions les autres heures du jour en visites continuelles et en promenades, ou à ouïr chanter les filles de la ville sur le derrière du château, où il y a un excellent echo, où elles provoquoient cette nymphe imaginaire à leur repondre 402.

Note 400: (retour) Ce ne fut que peu d'années avant la composition de cette 3e partie que la cour commença à répandre la mode des mascarades. V. Mém. de madem. de Montp., coll. Petitot, XLII, p. 408, et une note de Walckenaër, Mém. de Madame de Sévigné, II, p. 481.
Note 401: (retour) On appeloit galants des rubans noués, servant à orner les habits ou la tête tant des hommes que des femmes: «Il y a de certaines petites choses qui coûtent peu, et neanmoins parent extrêmement un homme,... comme par exemple d'avoir un beau ruban d'or et d'argent au chapeau, quelquefois entremeslé de soie de quelque belle couleur, et d'avoir aussi au devant des chausses sept ou huit des plus beaux rubans satinés et des couleurs les plus eclatantes qui se voient.... Pour montrer que toutes ces manières de rubans contribuent beaucoup à faire parestre la galanterie d'un homme, ils ont emporté le nom de galands, par preference sur toute autre chose.» (Loix de la galant.) On peut voir aussi, dans la Maison des jeux, la pièce suivante, intitulée: le Jeu du galand, et dans le Recueil en prose de Sercy (1642), t. 1er, l'Origine et le progrès des rubans. Les galants qui ornoient la toilette des femmes prenoient différents noms, suivant la place qu'ils occupoient: on les appeloit le mignon, le badin, l'assassin des dames, etc.
Note 402: (retour) Voilà un ressouvenir de ces échos qui avoient fait les délices des cours de François Ier et de Henri II. V. un curieux écho dans les oeuvres de Joach. du Bellay, et dont les pastorales avoient tellement mis l'usage à la mode qu'on les retrouve parfois jusque dans les romans comiques et satiriques, bien que ceux-ci tournent en ridicule la plupart des inventions de la pastorale, comme du roman héroïque et chevaleresque. Ainsi Sorel, dans Le Berger extravagant, manifeste lui-même un certain foible pour les échos. (Remarq. sur le 1er l.) Boileau se moque de cet usage, à plusieurs reprises, dans les Héros de roman.

Les fêtes de Pâques approchoient, quand un jour mademoiselle du Fresne, la fille, me dit en riant: «Me meneras-tu à Saint-Pater 403?» C'est une petite paroisse qui est à un quart de lieue du faubourg de Montfort, où l'on va en devotion le lundi de Pâques, après dîner, et c'est là aussi où l'on voit tous les galans et galantes. Je lui repondis qu'il ne tiendroit qu'à elle. Le jour venu, comme je me disposois à les aller prendre, au sortir de ma maison je rencontrai un mien voisin, jeune homme fort riche, lequel me demanda où j'allois si empressé. Je lui dis que j'allois au Parc querir les demoiselles du Fresne pour les accompagner à Saint-Pater. Alors il me repondit que je pouvois bien rentrer, car il sçavoit de bonne part que leur mère avoit dit qu'elle ne vouloit pas que ses filles y allassent avec moi. Ce discours m'assomma si fort que je ne pus lui rien repliquer; mais je rentrai dans ma maison, où etant, je me mis à penser d'où pouvoit venir un si prompt changement; après y avoir bien rêvé, je n'en trouvai autre sujet que mon peu de merite et ma condition. Pourtant je ne pus m'empêcher de declamer contre leur procédé, de m'avoir souffert tandis que je les avois diverties par des bals, ballets, comedies et serenades, car je leur en donnois souvent, en toutes lesquelles choses j'avois fait de grandes depenses, et qu'à present l'on me rebutoit. La colère où j'etois me fis resoudre d'aller à l'assemblée avec quelques-uns de mes voisins, ce que je fis. Cependant l'on m'attendoit au Parc, et, quand le temps fut passé que je devois m'y rendre, la du Lys et sa soeur, avec quelques autres demoiselles du voisinage, y allèrent. Après avoir fait leur devotion dans l'eglise, elles se placèrent sur la muraille du cimetière, au devant d'un ormeau qui leur donnoit de l'ombrage. Je passai devant elles, mais d'assez loin, et la du Fresne me fit signe d'approcher, et je fis semblant de ne les pas voir. Ceux qui etoient avec moi m'en avertirent et je feignis de ne l'entendre pas et passai outre, leur disant: «Allons faire collation au logis des Quatre-Vents»; ce que nous fîmes.

Note 403: (retour) Ou plutôt Saint-Paterne, qui est le vrai nom. V. Dict. de Pesche.

Je ne fus pas plustôt retourné chez moi qu'une femme veuve (qui etoit notre confidente) me vint trouver et me demanda fort brusquement quel sujet m'avoit obligé de fuir l'honneur d'accompagner les demoiselles du Fresne à Saint-Pater; que la du Lis en etoit outrée de colère au dernier point, et ajouta que je pensasse à reparer cette faute. Je fus fort surpris de ce discours, et, après lui avoir fait le recit de ce que je vous viens de dire, je l'accompagnai à la porte du Parc, où elles etoient. Je la laissai faire mes excuses, car j'etois si troublé que je n'aurois pu leur dire que de mauvaises raisons. Alors la mère, s'adressant à moi, me dit que je ne devois pas être si credule; que c'etoit quelqu'un qui vouloit troubler notre contentement, et que je fusse assuré que je serois toujours le bienvenu dans leur maison, où nous allâmes. J'eus l'honneur de donner la main à la du Lys, qui m'assura qu'elle avoit eu bien de l'inquietude, surtout quand j'avois feint de ne pas voir le signe que sa soeur m'avoit fait. Je lui demandai pardon et lui fis de mauvaises excuses, tant j'etois transporté d'amour et de colère. Je me voulois venger de ce jeune homme; mais elle me commanda de n'en pas parler seulement, ajoutant que je devois être content d'experimenter le contraire de ce qu'il m'avoit dit. Je lui obéis, comme je fis toujours depuis.

Nous passions le temps le plus doucement qu'on puisse imaginer, et nous eprouvions par de véritables effets ce que l'on dit que le mouvement des yeux est le langage des amans; car nous l'avions si familier, que nous nous faisions entendre tout ce que nous voulions. Un dimanche au soir, au sortir de Vêpres, nous nous dîmes, avec ce langage muet, qu'il falloit aller après souper nous promener sur la rivière et n'avoir que telles personnes que nous designâmes. J'envoyai aussitôt retenir un bateau. A l'heure dite, je me transportai, avec ceux qui devoient être de la promenade, à la porte du Parc, où les demoiselles nous attendoient; mais trois jeunes hommes, qui n'etoient pas de notre cabale, s'arrêtèrent avec elles. Elles firent bien tout ce qu'elles purent pour s'en defaire; mais eux s'en etant aperçus, ils s'opiniâtrèrent à demeurer, ce qui fut cause que quand nous abordâmes la porte du Parc, nous passâmes outre sans nous y arrêter, et nous nous contentâmes de leur faire signe de nous suivre, et nous les allâmes attendre au bateau. Mais quand nous aperçûmes ces fâcheux avec elles, nous avançâmes sur l'eau et allâmes aborder à un autre lieu, proche d'une des portes de la ville, où nous rencontrâmes le sieur du Fresne, lequel me demanda où j'avais laissé ses filles. Je ne pensai pas bien à ce que je lui devois repondre, mais lui dis franchement que je n'avois pas eu l'honneur de les voir ce soir-là. Après nous avoir donné le bon soir, il prit le chemin du Parc, à la porte duquel il trouva ses filles, auxquelles il demanda d'où elles venoient et avec qui. La du Lys lui repondit: «Nous venons de nous promener avec un tel», et me nomma. Alors son père lui accompagna un: «Vous en avez menti», d'un soufflet, ajoutant que si j'eusse eté avec elles (quand même il auroit eté plus tard) il ne s'en fût pas mis en peine. Le lendemain, cette veuve dont je vous ai dejà parlé me vint trouver pour me dire ce qui s'etoit passé le soir précédent, et que la du Lys en etoit fort en colère, non pas tant du soufflet comme de ce que je ne l'avois pas attendue, parce qu'au bateau son intention etoit de se defaire accortement de ces fâcheux. Je m'excusai du mieux que je pus, et je passai quatre jours sans l'aller voir. Mais un jour qu'elle et sa soeur et quelques demoiselles etoient assises sur un banc de boutique, dans la rue la plus prochaine de la porte de la ville par laquelle j'allois sortir pour aller au faubourg, je passai devant elles en levant un peu le chapeau, mais sans les regarder ni leur rien dire. Les autres demoiselles leur demandèrent ce que vouloit dire ce procédé, qui paroissoit incivil. La du Lys ne repondit rien; mais sa soeur aînée dit qu'elle en ignoroit la cause et qu'il la falloit sçavoir de lui-même: «Et pour ne le pas manquer, allons, dit-elle, nous poster un peu plus près de la porte, au-delà de cette petite rue par où il nous pourroit éviter»; ce qu'elles firent. Comme je repassois devant elles, cette bonne soeur se leva de sa place et me prit par mon manteau, en me disant: «Depuis quand, monsieur le glorieux, fuyez-vous l'honneur de voir votre maîtresse?» et à même temps me fit asseoir auprès d'elle. Mais quand je la voulus caresser et lui dire quelques douceurs, elle fut toujours muette et me rebuta furieusement. Je demeurai là quelque peu de temps bien entrepris 404, après quoi je les accompagnai jusqu'à la porte du Parc, d'où je me retirai, resolu de n'y aller plus. Je demeurai donc encore quelques jours sans y aller, et qui me furent autant de siècles; mais un matin j'eus une rencontre de mademoiselle du Fresne la mère, laquelle m'arrêta et me demanda pourquoi l'on ne me voyoit plus. Je lui repondis que c'etoit la mauvaise humeur de sa cadette. Elle me repliqua qu'elle vouloit faire notre accord, et que je l'allasse attendre à la maison. J'en mourais d'impatience et je fus ravi de cette ouverture. J'y allai donc, et comme je montois à la chambre, la du Lys, qui m'avoit aperçu, en descendit si brusquement que je ne la pus jamais arrêter. J'y entrai et je trouvai sa soeur, qui se mit à sourire, à laquelle je dis le procedé de sa cadette, et elle m'assura que tout cela n'etoit que feinte et qu'elle avoit regardé plus de cent fois par la fenêtre pour voir si je paroîtrois, et qu'elle en temoignoit une grande inquietude; qu'elle etoit sans doute dans le jardin, où je pouvois aller. Je descendis l'escalier et m'approchai de la porte du jardin, que je trouvai fermée par dedans. Je la priai plusieurs fois de l'ouvrir, ce qu'elle ne voulut point faire. Sa soeur, qui l'entendoit du haut de l'escalier, descendit et me la vint ouvrir, car elle en sçavoit le secret. J'entrai, et la du Lys se mit à fuir; mais je la poursuivis si bien, que je la pris par une des manches de son corps de jupe, et je l'assis sur un siege de gazon où je me mis aussi. Je lui fis mes excuses du mieux qu'il me fut possible; mais elle me parut toujours plus sevère. Enfin, après plusieurs contestations, je lui dis que ma passion ne souffroit point de mediocrité et qu'elle me porteroit à quelque desespoir, de quoi elle se repentiroit après, ce qui ne la rendit pas plus exorable. Alors je tirai mon epée du fourreau et la lui presentai, la suppliant de me la plonger dans le corps, lui disant qu'il m'etoit impossible de vivre privé de l'honneur de ses bonnes grâces; elle se leva pour s'enfuir, en me repondant qu'elle n'avoit jamais tué personne, et que, quand elle en auroit quelque pensée, elle ne commenceroit pas par moi. Je l'arrêtai en la suppliant de me permettre de l'executer moi-même, et elle me repondit froidement qu'elle ne m'en empêcheroit pas. Alors j'appuyai la pointe de mon epée contre ma poitrine, et me mis en posture pour me jeter dessus, ce qui la fit pâlir, et à même temps elle donna un coup de pied contre la garde de l'epée, qu'elle fit tomber à terre, m'assurant que cette action l'avoit beaucoup troublée, et me disant que je ne lui fisse plus voir de tels spectacles. Je lui repliquai: «Je vous obeirai, pourvu que vous ne me soyez plus si cruelle»; ce qu'elle me promit. Ensuite nous nous caressâmes si amoureusement, que j'eusse bien souhaité d'avoir tous les jours une querelle avec elle pour l'appointer 405 avec tant de douceur. Comme nous etions dans ces transports, sa mère entra dans le jardin, et nous dit qu'elle seroit bien venue plus tôt, mais qu'elle avoit bien jugé que nous n'avions pas besoin de son entremise pour nous accorder.

Note 404: (retour) Perclus, impotent, paralytique, au propre; et, par conséquent, tout interdit, au figuré.
Note 405: (retour) L'arranger, la terminer, terme tiré du langage juridique.

Or, un jour que nous nous promenions dans une des allées du parc, le sieur du Fresne, sa femme, la du Lys et moi, qui allions après eux et qui ne pensions qu'à nous entretenir, cette bonne mère se tourna vers nous et nous dit qu'elle plaidoit bien notre cause. Elle le put dire sans que son mari l'entendît, car il etoit fort sourd; nous la remerciâmes plutôt d'action que de parole. Un peu de temps après, M. du Fresne me tira à part et me decouvrit le dessein que lui et sa femme avoient formé de me donner leur plus jeune fille en mariage, devant qu'il partît pour aller en cour servir son quartier 406, et qu'il ne falloit plus faire de depenses en serenades ni autrement pour ce sujet. Je ne lui fis que des remerciemens confus: car j'etois si transporté de joie d'un bonheur si inopiné et qui faisoit le comble de ma felicité, que je ne savois ce que je disois. Il me souvient bien que je lui dis que je n'eusse pas eté si temeraire que de la lui demander, attendu mon peu de merite et l'inegalité des conditions; à quoi il me repondit que pour du merite, il en avoit assez reconnu en moi, et que pour la condition j'avois de quoi suppléer à ce defaut, sous-entendant du bien. Je ne sçais ce que je lui repliquai, mais je sçais bien qu'il me convia à souper, après quoi il fut conclu que le dimanche suivant nous assemblerions nos parents pour faire les fiançailles. Il me dit aussi quel dot 407 il pouvoit donner à sa fille; mais à cela je repondis que je ne lui demandois que la personne et que j'avois assez de bien pour elle et pour moi. J'etois le plus content homme du monde, et la du Lys aussi contente, ce que nous connûmes dans la conversation que nous eûmes ce soir-là, et qui fut la plus agreable que l'on puisse imaginer. Mais ce plaisir ne dura guères; car l'avant-veille du jour que nous devions nous fiancer, nous etions, la du Lys et moi, assis sur l'herbe, quand nous aperçûmes de loin un conseiller du presidial 408, proche parent du sieur du Fresne, lequel lui venoit rendre visite. Nous en conçûmes une même pensée, elle et moi, et nous nous en affligeâmes sans savoir au vrai ce que nous apprehendions; ce que l'evènement ne nous fit que trop connoître: car le lendemain, comme j'allois prendre l'heure de l'assemblée, je fus furieusement surpris quand je trouvai, à la porte de la basse-cour, la du Lys qui pleuroit. Je lui dis quelque chose et elle ne me repondit rien. J'entrai plus avant, et je trouvai sa soeur au même etat. Je lui demandai que vouloient dire tant de pleurs, et elle me repondit, en redoublant ses sanglots, que je ne le sçaurois que trop. Je montois à la chambre quand la mère en sortoit, laquelle passa sans me rien dire, car les larmes, les sanglots et les soupirs la suffoquoient si fort, que tout ce qu'elle put faire, ce fut de me regarder pitoyablement et dire: «Ha! pauvre garçon!» Je ne comprenois rien en un si prompt changement; mais mon coeur me presageoit tous les malheurs que j'ai ressentis depuis. Je me resolus d'en apprendre le sujet, et je montai à la chambre, où je trouvai M. du Fresne assis dans une chaise, lequel me dit fort brusquement qu'il avoit changé d'avis et qu'il ne vouloit pas marier sa cadette devant son aînée; que quand il la marieroit, ce ne seroit qu'après le retour de son voyage de la cour. Je lui repondis sur ces deux chefs: au premier, que sa fille aînée n'avoit aucune repugnance que sa soeur fût mariée la première, pourvu que ce fût avec moi, parce qu'elle m'avoit toujours aimé comme un frère; que pour un autre elle s'y seroit opposée (je vous puis assurer qu'elle m'en avoit fait la protestation plusieurs fois); et sur le second, que j'attendrois aussi bien dix ans que les trois mois qu'il seroit à la cour. Mais il me dit tout net que je ne pensasse plus au mariage de sa fille. Ce discours si surprenant et prononcé du ton que je vous viens de dire me jeta dans un si horrible desespoir que je sortis sans lui repliquer et sans rien dire aux demoiselles, qui ne me purent rien dire aussi.

Note 406: (retour) Il y avoit, à la cour, des gentilshommes ordinaires et des gentilshommes de quartier, c'est-à-dire qui venoient y remplir, durant trois mois, les devoirs de leur charge.
Note 407: (retour) Dot étoit du masculin dans la vieille langue. V. Nicot, Trésor de la langue franç. On a déjà pu remarquer que l'auteur de cette 3e partie écrit d'un style plus ancien que Scarron.
Note 408: (retour) On entendoit par présidial un tribunal établi dans les villes considérables pour y prononcer sur les appellations des juges subalternes, dans les causes de médiocre importance. (Dict. de Fur.)

Je m'en allai à ma maison, resolu de me donner la mort; mais comme je tirois mon epée à dessein de me la plonger dans le corps, cette veuve confidente entra chez moi et empêcha l'execution de ce mortel dessein, en me disant de la part de la du Lys que je ne m'affligeasse point, qu'il falloit avoir patience, et qu'en pareilles affaires il arrivoit toujours du trouble; mais que j'avois un grand avantage d'avoir sa mère et sa soeur aînée pour moi, et elle plus que tous, qui etoit la principale partie; qu'elles avoient resolu que quand son père seroit parti, qui seriit dans huit ou dix jours, que je pourrois continuer mes visites, et que le temps etoit un grand operateur. Ce discours etoit fort obligeant, mais je n'en pus point être consolé; aussi je m'abandonnai à la plus noire melancolie que l'on puisse imaginer, et qui me jeta enfin dans un si furieux desespoir que je me resolus de consulter les demons. Quelques jours devant le depart de M. du Fresne, je m'en allai à demi-lieue de cette ville, dans un lieu où il y a un bois, taillis de fort grande etendue, dans lequel la croyance du vulgaire est qu'il y habite de mauvais esprits, d'autant que ç'a eté autrefois la demeure de certaines fées (qui etoient sans doute de fameuses magiciennes) 409. Je m'enfonce dans le bois, appelant et invoquant ces esprits, et les suppliant de me secourir en l'extrême affliction où j'etois; mais après avoir bien crié, je ne vis ni n'ouïs que des oiseaux qui par leur ramage sembloient me temoigner qu'ils etoient touchés de mes malheurs. Je retournai à ma maison, où je me mis au lit, atteint d'une si etrange frenesie, que l'on ne croyoit pas que j'en pusse rechapper, car j'en fus jusques à perdre la parole. La du Lys fut malade à même temps et de la même manière que moi; ce qui m'a obligé depuis de croire à la sympathie: car comme nos maladies procedoient d'une même cause, elles produisoient aussi en nous de semblables effets; ce que nous apprenions par le medecin et l'apothicaire, qui etoient les mêmes qui nous servoient; pour les chirurgiens, nous avions chacun le nôtre en particulier. Je gueris un peu plus tôt qu'elle, et je m'en allai, ou, pour mieux dire, je me traînai à sa maison, où je la trouvai dans le lit (son père etoit parti pour la cour). Sa joie ne fut pas mediocre, comme la suite me le fit connoître: car, après avoir demeuré environ une heure avec elle, il me sembla qu'elle n'avoit plus de mal; ce qui m'obligea à la presser de se lever, ce qu'elle fit pour me satisfaire. Mais si tôt qu'elle fut hors du lit elle evanouit entre mes bras. Je fus bien marri de l'en avoir pressée, car nous eûmes beaucoup de peine à la remettre. Quand elle fut revenue de son evanouissement, nous la remîmes dans le lit, où je la laissai pour lui donner moyen de reposer, ce qu'elle n'eût peut-être pas fait en ma presence.

Note 409: (retour) On a dejà rencontré, dans le Roman comique, d'assez nombreuses traces des croyances superstitieuses d'alors, qu'avoient partagées, du reste, au dernier siècle surtout, et au commencement du XVIIe, les plus graves et les plus savants esprits, Postel, Bacon, de Thou, Porta, d'Aubigné, Bodin, Malherbe (V. ses Lettres), Fléchier (V. sa Relat. des grands jours), Richelieu, l'abbé Arnauld, etc. La Démonomanie de Bodin, et d'autres livres alors plus récents, tels que le Discours des sorciers, de Boguet (Paris, 1603); le Discours et histoire des spectres, de P. Le Loyer (1605); l'Incrédulité et mécréance du sortilège, et le Tableau de l'inconstance des mauvais anges et démons, de Delancre (1612), sont les monuments les plus complets comme les plus terribles de ces superstitions. On croyoit à la sorcellerie, à l'astrologie, comme à l'alchimie et au pouvoir mystérieux des Rosecroix; après Gauric, Agrippa, Cardan, Paracelse et le grand Nostradamus, étoient venus d'autres sorciers non moins célèbres, qui vécurent plus ou moins avant dans le XVIIe siècle,--César (de son vrai nom Jean du Chastel), Cosme Ruggieri (V. Var. histor., édit. Jannet, I, 25), Palma-Cayet (mort en 1610), le fameux astrologue J. B. Morin, Marie Boudin, l'abbé Brigalier, sur lequel Segrais a donné de curieux détails dans ses Mémoires anecdot. (t. 2, p. 35 et suiv.), les prophètes et astrologues célèbres Mauregard, Jean Petit, et Belot, le curé de Mi-Monts. Ces comédies tournoient souvent au tragique, et c'est la meilleure preuve de la ténacité avec laquelle cette superstition étoit enracinée dans les esprits. Il n'y avoit pas encore bien longtemps que le peuple de Calais avoit voulu jeter d'Assoucy à la mer comme sorcier, si du moins nous pouvons l'en croire lui-même; et les supplices récents des prêtres Louis Gaufridy et Urbain Grandier, du médecin Poirot, de quatre sorciers espagnols brûlés à Bordeaux en 1610, d'Adrien Bouchard et de Gargan, de Didyme, l'une des trois possédées de Flandres, de la femme Cathin (1640), sans parler de bien d'autres, prouvoient assez que les magistrats eux-mêmes partageoient sur ce point les croyances du peuple. En 1670 encore, le Parlement de Rouen supplioit Louis XIV de ne rien changer à la jurisprudence reçue dans les tribunaux en matière de sorcellerie; ce ne fut qu'en 1672 que le roi fit défense d'admettre les accusations de ce genre, ce qui n'empêcha pas qu'il n'y eût en 1682 un nouvel édit pour la punition des maléfices. Les forêts, en particulier, étoient la demeure privilégiée des sorciers et le domaine des légendes extraordinaires: c'est dans un bois enchanté, séjour des fées et de l'enchanteur Merlin, que Jeanne d'Arc eut ses visions; c'est là aussi que Cyrano place l'apparition de Corneille Agrippa (Lettres sur les sorc.). Le Tasse, en créant la forêt magique de sa Jérusalem, n'a fait que donner un corps splendide aux imaginations populaires. La magie joue un grand rôle dans les pastorales et les romans héroïques du XVIIe siècle; les romans comiques ou satiriques l'emploient aussi, parfois sérieusement, comme l'Euphormion de Barclay, souvent dans une intention de raillerie et de parodie, comme les Histoires comiques de Cyrano, le Francion et le Berger extravagant de Sorel, et le Roman comique. V., par exemple, plus haut, l'anecdote des pendus, IIIe part., ch. 9.

Nous guerîmes entièrement, et nous passâmes agréablement le temps, tout celui que son père demeura à la cour. Mais quand il fut revenu, il fut averti par quelques ennemis secrets que j'avois toujours frequenté dans sa maison et pratiqué familièrement sa fille, à laquelle il fit de rigoureuses défenses de me voir, et se fâcha fort contre sa femme et sa fille aînée de ce qu'elles avoient favorisé nos entrevues; ce que j'appris par notre confidente, ensemble la resolution qu'elles avoient prise de me voir toujours, et par quels moyens. Le premier fut que je prenois garde quand cet injuste père venoit à la ville, car aussitôt j'allois dans sa maison, où je demeurois jusqu'à son retour, que nous connoissions facilement à sa manière de frapper à la porte, et aussitôt je me cachois derrière une pièce de tapisserie, et, quand il entroit, un valet ou une servante, ou quelquefois une de ses filles lui ôtoit son manteau, et je sortois facilement sans qu'il le pût ouïr, car, comme je vous ai dejà dit, il etoit fort sourd, et en sortant la du Lys m'accompagnoit toujours jusqu'à la porte de la basse-cour. Ce moyen fut découvert, et nous eûmes recours au jardin de notre confidente, dans lequel je me rendois par un autre de nos voisins, ce qui dura assez, mais à la fin il fut encore découvert. Nous nous servîmes ensuite des églises, tantôt l'une, tantôt l'autre; ce qui fut encore connu, tellement que nous n'avions plus que le hasard, quand nous pouvions nous rencontrer dans quelques-unes des allées du parc; mais il falloit user de grande précaution. Un jour que j'y avois demeuré assez longtemps avec la du Lys (car nous nous etions entretenus à fond de nos communs malheurs et avions pris de fortes résolutions de les surmonter), je la voulus accompagner jusqu'à la porte de la basse-cour, où etant, nous aperçûmes de loin son père qui venoit de la ville et tout droit à nous. De fuir, il n'y avoit lieu, car il nous avoit vus. Elle me dit alors de faire quelque invention pour nous excuser; mais je lui repondis qu'elle avoit l'esprit plus present et plus subtil que moi, et qu'elle y pensât. Cependant il arriva, et, comme il commençoit à se fâcher, elle lui dit que j'avois appris qu'il avoit apporté des bagues et autres joailleries (car il employoit ses gages en orfevrerie pour y faire quelque profit, etant aussi avare qu'il etoit sourd), et que je venois pour voir s'il voudroit m'accommoder de quelques-unes pour donner à une fille du Mans à laquelle je me mariois. Il le crut facilement: nous montâmes, et il me montra ses bagues. J'en choisis deux, un petit diamant et une rose d'opale. Nous fûmes d'accord du prix, que je lui payai à l'heure même. Cet expedient me facilita la continuation de mes visites; mais quand il vit que je ne me hâtois point d'aller au Mans, il en parla à sa jeune fille, comme se doutant de quelque fourbe, et elle me conseilla d'y faire un voyage, ce que je fis. Cette ville-là est une des plus agreables du royaume, et où il y a du plus beau monde et du mieux civilisé, et où les filles y sont les plus accortes et les plus spirituelles 410, comme vous sçavez fort bien; aussi j'y fis en peu de temps de grandes connoissansances. J'etois logé au logis des Chênes-Verts, où etoit aussi logé un operateur qui debitoit ses drogues en public sur le theâtre, en attendant l'issue d'un projet qu'il avoit fait de dresser une troupe de comediens. Il avoit déjà avec lui des personnes de qualité, entr'autres le fils d'un comte que je ne nomme pas par discretion, un jeune avocat du Mans qui avoit déjà eté en troupe, sans compter un sien frère et un autre vieux comedien qui s'enfarinoit à la farce, et il attendoit une jeune fille de la ville de Laval qui lui avoit promis de se derober de la maison de son père et de le venir trouver. Je fis connoissance avec lui, et un jour, faute de meilleur entretien, je lui fis succinctement le recit de mes malheurs; en suite de quoi il me persuada de prendre parti dans sa troupe, et que ce seroit le moyen de me faire oublier mes disgrâces. J'y consentis volontiers, et si la fille fût venue, j'aurois certainement suivi; mais les parens en furent avertis, ils prirent garde à elle, ce qui fut la cause que le dessein ne reussit pas, ce qui m'obligea à m'en revenir. Mais l'amour me fournit une invention pour pratiquer encore la du Lys sans soupçon, qui fut de mener avec moi cet avocat dont je vous viens de parler, et un autre jeune homme de ma connoissance, auxquels je decouvris mon dessein, et qui furent ravis de me servir en cette occasion. Ils parurent en cette ville sous le titre l'un de frère et l'autre de cousin germain d'une maîtresse imaginaire. Je les menai chez le sieur du Fresne, que j'avois prié de me traiter de parent, ce qu'il fit. Il ne manqua pas aussi à leur dire mille biens de moi, les assurant qu'ils ne pouvoient pas mieux loger leur parente, et ensuite nous donna à souper. L'on but à la santé de ma maîtresse, et la du Lys en fit raison. Après qu'ils eurent demeuré cinq ou six jours en cette ville, ils s'en retournèrent au Mans. J'avois toujours libre accès chez le sieur du Fresne, lequel me disoit sans cesse que je tardois trop à aller au Mans achever mon mariage, ce qui me fit apprehender que la feinte ne fût à la fin découverte et qu'il ne me chassât encore une fois honteusement de sa maison; ce qui me fit prendre la plus cruelle resolution qu'un homme desesperé puisse jamais avoir, qui fut de tuer la du Lys, de peur qu'un autre n'en fût possesseur. Je m'armai d'un poignard et l'allai trouver, la priant de venir avec moi faire une promenade, ce qu'elle m'accorda. Je la menai insensiblement dans un lieu fort écarté des allées du parc, où il y avoit des broussailles; ce fut là où je lui découvris le cruel dessein que le desespoir de la posseder m'avoit fait concevoir, tirant à même temps le poignard de ma poche. Elle me regarda si tendrement et me dit tant de douceurs, qu'elle accompagna de protestations de constance et de belles promesses, qu'il lui fut facile de me desarmer. Elle saisit mon poignard, que je ne pus retenir, et le jeta au travers des broussailles, et me dit qu'elle s'en vouloit aller et qu'elle ne se trouveroit plus seule avec moi. Elle me vouloit dire que je n'avois pas sujet d'en user ainsi, quand je l'interrompis pour la prier de se trouver le lendemain chez notre confidente, où je me tendrais, et que là nous prendrions les dernières resolutions. Nous nous y rencontrâmes à l'heure dite. Je la saluai et nous pleurâmes nos communes misères, et, après de longs discours, elle me conseilla d'aller à Paris, me protestant qu'elle ne consentiroit jamais à aucun mariage, et quand je demeurerois dix ans qu'elle m'attendroit. Je lui fis des promesses reciproques, que j'ai mieux tenues qu'elle n'a fait. Comme je voulois prendre congé d'elle (ce qui ne fut pas sans verser beaucoup de larmes), elle fut d'avis que sa mère et sa soeur fussent de la confidence. Cette veuve les alla querir, et je demeurai seul avec la du Lys. Ce fut alors que nous nous ouvrîmes nos coeurs mieux que nous n'avions jamais fait; et elle en vint jusques à me dire que si je la voulois enlever elle y consentiroit volontiers et me suivroit partout, et que, si l'on venoit après nous et que l'on nous attrapât, elle feindroit d'être enceinte. Mais mon amour étoit si pur que je ne voulus jamais mettre son honneur en compromis, laissant l'evénement à la conduite du sort. Sa mère et sa soeur arrivèrent et nous leur declarâmes nos resolutions, ce qui fit redoubler les pleurs et les embrassemens. Enfin je pris congé d'elles pour aller à Paris. Devant que de partir j'écrivis une lettre à la du Lys, des termes de laquelle je ne me sçaurois souvenir; mais vous pouvez bien vous imaginer que j'y avois mis tout ce que je m'etois figuré de tendre pour leur donner de la compassion. Aussi notre confidente, qui porta la lettre, m'assura qu'après la lecture de cette lettre la mère et les deux filles avoient eté si affligées de douleur que la du Lys n'avoit pas eu le courage de me faire reponse.

Note 410: (retour) Ce n'étoit pas là l'opinion de Scarron, au moins quand il alla prendre possession de son bénéfice. Qu'on voie en quels termes irrévérencieux il traite les habitants du lieu:

Parleray-je des jouvenceaux...

Ayant tous canon trop plissé,

Rond de botte trop compassé,

Souliers trop longs, grègue trop large,

Chapeaux à trop petite marge...?

Parleray-je des damoiselles,

Aux très redoutables aisselles? etc.

Et ailleurs (rondeau redoublé à mademoiselle Descart, recueil de 1648), il dit:

Le Mans seroit un séjour, bien hideux

Sans votre soeur, sans vous, sans votre frère.

Mais ce ne sont là que des boutades; Scarron, à ses premiers voyages, avoit mieux parlé du Mans. Du reste, c'étoit en effet une ville où il y avoit alors du beau monde, et du monde civilisé: ainsi le gouverneur, M. de Tresmes, le baron de Lavardin, lieutenant du roi, le baron des Essarts, sénéchal, l'archidiacre Costar et Louis Pauquet, les Portail, les Denisot, les Levayer, la famille des Tessé et des Beaumanoir, l'évêque M. de Lavardin, mademoiselle de Hautefort, qui faisoit sans doute, de temps à autre, des excursions au Mans, de son château sis dans le Maine, etc. La préciosité s'étoit répandue au Mans et dans la province, et, à en croire le Procès des pretieuses, de Somaize, c'étoit un des pays où le langage quintessencié des ruelles avoit le plus pris racine. V. Somaize, Bibl. elzev., t. 2, p. 59, 68, etc. On conçoit donc qu'il pût y avoir beaucoup de filles accortes et spirituelles.

J'ai supprimé beaucoup d'aventures, qui nous arrivèrent pendant le cours de nos amours (pour n'abuser pas de votre patience), comme les jalousies que la du Lys conçut contre moi pour une demoiselle sa cousine germaine qui l'etoit venue voir, et qui demeura trois mois dans la maison; la même chose pour la fille de ce gentilhomme qui avoit amené ce galant que je fis en aller, non plus que plusieurs querelles que j'eus à démêler, et des combats en des rencontres de nuit, où je fus blessé par deux fois au bras et à la cuisse. Je finis donc ici la digression, pour vous dire que je partis pour Paris, où j'arrivai heureusement et où je demeurai environ une année. Mais ne pouvant pas y subsister comme je faisois en cette ville, tant à cause de la cherté des vivres 411 que pour avoir fort diminué mes biens à la recherche de la du Lys, pour laquelle j'avois fait de grandes dépenses, comme vous avez pu apprendre de ce que je vous ai dit, je me mis en condition en qualité de secretaire d'un secretaire de la chambre du roi 412, lequel avoit épousé la veuve d'un autre secretaire aussi du roi. Je n'y eus pas demeuré huit jours que cette dame usa avec moi d'une familiarité extraordinaire, à laquelle je ne fis point pour lors de reflexion; mais elle continua si ouvertement que quelques-uns des domestiques s'en aperçurent, comme vous allez voir.

Note 411: (retour) C'est peut-être une allusion à l'horrible famine qui, par suite des guerres civiles et des troubles de la Fronde, désola Paris entre 1649 et 1655. La cherté des vivres augmentoit dans une progression si rapide que le setier de froment, fixé à 13 livres le 2 janvier 1649, étoit à 30 le 9 et à 60 au commencement de mars. Malgré toutes les précautions prises, la famine devint bientôt intolérable. En 1652, le pain se vendoit 10 sous la livre; les pauvres mangeoient de la chair de cheval, des boyaux de bêtes mortes, etc. V. Moreau, Bibliogr. des Mazar., no 1408, le Franc bourg.--Rec. des relations contenant ce qui s'est fait pour l'assistance des pauvres, de 1650 à 1654, etc.
Note 412: (retour) On sait qu'on appeloit chambre du roi, ou simplement la chambre, l'ensemble des officiers et des meubles de la maison royale.

Un jour qu'elle m'avoit donné une commission pour faire dans la ville, elle me dit de prendre le carrosse, dans lequel je montai seul, et je dis au cocher de me mener par le Marais du Temple, tandis que son mari alloit par la ville à cheval, suivi d'un seul laquais: car elle lui avoit persuadé qu'il feroit mieux ses affaires de la sorte que de traîner un carrosse, qui est toujours embarrassant. Quand je fus dans une longue rue où il n'y avoit que des portes cochères, et par conséquent l'on n'y voyoit guère de monde, le cocher arrêta le carrosse et en descendit. Je lui criai pourquoi il arrêtoit. Il s'approcha de la portière et me pria de l'écouter, ce que je fis. Alors il me demanda si je n'avois point pris garde au procédé de madame sur mon sujet; à quoi je lui répondis que non, et qu'est-ce qu'il vouloit dire. Il me répondit alors que je ne connoissois pas ma fortune, et, qu'il y avoit beaucoup de personnes à Paris qui eussent bien voulu en avoir une semblable. Je ne raisonnai guère avec lui; mais je lui commandai de remonter sur son siége et me conduire à la rue Saint-Honoré. Je ne laissai pas de rêver profondément à ce qu'il m'avoit dit, et quand je fus de retour à la maison j'observai plus exactement les actions de cette dame, dont quelques-unes me confirmèrent en la croyance de ce que m'avoit dit le cocher.

Un jour que j'avois acheté de la toile et de la dentelle pour des collets que j'avois baillés à faire à ses filles de service, comme elles y travailloient, elle leur demanda pour qui etoient ces collets. Elles repondirent que c'etoit pour moi, et alors elle leur dit qu'elles les achevassent, mais que pour la dentelle, elle la vouloit mettre. Un jour qu'elle l'attachoit, j'entrai dans sa chambre, et elle me dit qu'elle travailloit pour moi, dont je fus si confus que je ne fis que des remerciemens de même. Mais un matin que j'ecrivois dans ma chambre, qui n'etoit pas eloignée de la sienne, elle me fit appeler par un laquais, et quand j'en approchai j'entendis qu'elle crioit furieusement contre sa demoiselle suivante et contre sa femme de chambre; elle disait: «Ces chiennes, ces vilaines, ne sçauroient rien faire adroit! Sortez de ma chambre.» Comme elles en sortoient, j'y entrai, et elle continua à declamer contre elles, et me dit de fermer la porte et de lui aider à s'habiller; et aussitôt elle me dit de prendre sa chemise qui étoit sur la toilette et de la lui donner, et à même temps elle depouilla celle qu'elle avoit et s'exposa à ma vue toute nue, dont j'eus une si grande honte que je lui dis que je ferois encore plus mal que ces filles, qu'elle devoit faire revenir, à quoi elle fut obligée par l'arrivée de son mari. Je ne doutai donc plus de son intention; mais comme j'etois jeune et timide, j'apprehendai quelque sinistre accident: car, quoiqu'elle fût dejà avancée en âge, elle avoit pourtant encore des beaux restes; ce qui me fit resoudre à demander mon congé, ce que je fis un soir après que l'on eut servi le souper. Alors, sans me rien repondre, son mari se retira à sa chambre, et elle tourna sa chaise du côté du feu, disant au maître d'hôtel de remporter la viande. Je descendis pour souper avec lui. Comme nous etions à table, une sienne nièce, âgée d'environ douze ans, descendit, et, s'adressant à moi, me dit que madame sa tante l'envoyoit pour sçavoir si j'avois bien le courage de souper, elle ne soupant point. Je ne me souviens pas bien de ce que je lui repondis; mais je sçais bien que la dame se mit au lit et qu'elle fut extremement malade. Le lendemain, de grand matin, elle me fit appeler pour donner ordre d'avoir des medecins; comme j'approchai de son lit, elle me donna la main et me dit ouvertement que j'etois la cause de son mal, ce qui fit redoubler mon apprehension, en sorte que le même jour je me mis dans des troupes qu'on faisoit à Paris pour le duc de Mantoue 413, et je partis sans en rien dire à personne. Notre capitaine ne vint pas avec nous, laissant la conduite de sa compagnie à son lieutenant, qui etoit un franc voleur, aussi bien que les deux sergens: car ils brûloient presque tous les logemens et nous faisoient souffrir; aussi ils furent pris par le prevôt de Troye en Champagne, lequel les y fit pendre 414, excepté l'un des sergens, qui se trouva frère d'un des valets de chambre de monseigneur le duc d'Orleans, lequel le sauva. Nous demeurâmes sans chef, et les soldats, d'un commun accord, firent election de ma personne pour commander la compagnie, qui etoit composée de quatre-vingts soldats. J'en pris la conduite avec autant d'autorité que si j'en eusse eté le capitaine en chef. Je passai en revue et tirai la montre 415, que je distribuai, aussi bien que les armes, que je pris à Sainte-Reine en Bourgogne 416. Enfin nous filâmes jusqu'à Embrun, en Dauphiné, où notre capitaine nous vint trouver, dans l'apprehension qu'il n'y avoit pas un soldat à sa compagnie. Mais quand il apprit ce qui s'etoit passé, et que je lui en fis paroître soixante-huit (car j'en avois perdu douze dans la marche) il me caressa fort et me donna son drapeau et sa table.

Note 413: (retour) A qui les Espagnols et le duc de Savoie vouloient enlever le duché de Montferrat
Note 414: (retour) Ces vols et ces abus étoient choses continuelles, dont se rendoient fréquemment coupables les plus bas comme les plus hauts officiers de l'armée. Ainsi le maréchal de Marillac fut mis en jugement (1630) et exécuté à raison des malversations de ce genre «par lui commises dans sa charge de général d'armée en Champagne.» Tallemant raconte qu'un nommé du Bois, qui commandoit les chevau-légers du prince de Conti, avoit énormément volé, également en Champagne, et qu'il fut quitte pour rendre la moitié de ce qu'il avoit pris. (Historiette de Sarrazin.) «Partout où les armées ont passé, écrit un peu plus tard Vincent de Paul à l'évêque de Dax, elles y ont commis les sacriléges, les vols et les impiétés que votre diocèse a soufferts; et non seulement dans la Guienne et le Périgord, mais aussi en Saintonge, Poitou, Bourgogne, Champagne et Picardie, et en beaucoup d'autres.» Les pillages et dévastations des troupes produisoient des effets d'autant plus terribles que la plupart de ces provinces, surtout la Picardie et la Champagne, étoient alors dans une horrible misère.
Note 415: (retour) Ce mot se dit de la solde qu'on paie aux soldats dans les revues. (Dict. de Fur.).
Note 416: (retour) Sainte-Reine ou Alise est un bourg, avec eaux minérales, à une lieue de Flavigny.

L'armée, qui etoit la plus belle qui fût jamais sortie de France, eut le mauvais succès que vous avez pu sçavoir; ce qui arriva par la mauvaise intelligence des generaux 417. Après son debris je m'arrêtai à Grenoble, pour laisser passer la fureur des paysans de Bourgogne et de Champagne, qui tuoient tous les fugitifs, et le massacre en fut si grand que la peste se mit si furieusement dans ces deux provinces, qu'elle s'epandit par tout le royaume 418. Après que j'eus demeuré quelque temps à Grenoble, où je fis de grandes connoissances, je resolus de me retirer dans cette ville, ma patrie. Mais en passant par des lieux ecartés du grand chemin, pour la raison que j'ai dite, j'arrivai à un petit bourg appelé Saint-Patrice, où le fils puîné de la dame du lieu, qui etoit veuve, faisoit une compagnie de fantassins pour le siége de Montauban 419. Je me mis avec lui, et il reconnut quelque chose sur mon visage qui n'etoit pas rebutant. Après m'avoir demandé d'où j'etois, et que je lui eus dit franchement la verité, il me pria de prendre le soin de conduire un sien frère, jeune garçon, chevalier de Malte, auquel il avoit donné son enseigne, ce que j'acceptai volontiers. Nous partîmes pour aller à Noves, en Provence, qui etoit le lieu d'assemblée du regiment, mais nous n'y eûmes pas demeuré trois jours que le maître d'hôtel de ce capitaine le vola et s'enfuit. Il donna ordre qu'il fût suivi, mais en vain; ce fut alors qu'il me pria de prendre les clefs de ses coffres, que je ne gardai guères, car il fut deputé du corps du regiment pour aller trouver le grand cardinal de Richelieu, lequel conduisoit l'armée pour le siége de Montauban et autres villes rebelles de Guyenne et Languedoc. Il me mena avec lui, et nous trouvâmes Son Eminence dans la ville d'Albi; nous la suivîmes jusqu'à cette ville rebelle, qui ne le fut plus à l'arrivée de ce grand homme, car elle se rendit, comme vous avez pu sçavoir. Nous eûmes pendant ce voyage un grand nombre d'aventures que je ne vous dis point, pour ne vous être pas ennuyeux, ce que j'ai peut-être dejà trop eté.»

Note 417: (retour) Cette armée, qui étoit sous les ordres du marquis d'Uxelles, fut complétement battue, malgré l'avantage du nombre, par les troupes du duc de Savoie, à l'affaire de Saint-Pierre, dans le marquisat de Saluces (1628). Sur la mauvaise intelligence qui régnoit entre les chefs et les directeurs de l'entreprise, on peut voir, outre les histoires spéciales, les Mémoires de l'abbé Marolles (édit. d'Amst., 1755, t. I, p. 146 et 7).
Note 418: (retour) Les paysans étoient irrités des ravages qu'avoit faits l'armée sur la route, des pillages des soldats, des concussions des généraux. La peste dont il s'agit ici fut, en plusieurs endroits, l'occasion d'un nouveau soulèvement contre les réformés, qu'on soupçonna «de propager l'infection au moyen d'un onguent appliqué sur les portes des maisons; on en avoit massacré plusieurs dans les rues, et les magistrats eux-mêmes s'étoient vus forcés de faire exécuter juridiquement quelques malheureux désignés par le cri général comme engraisseurs de portes et infecteurs publics.» (Bazin, Histoire de France sous Louis XIII.)
Note 419: (retour) La principale place qui restât aux réformés en France, après la prise de La Rochelle, et la dernière qui se soumit; ce ne fut qu'en 1629 qu'elle se rendit définitivement.

Alors l'Etoile lui dit que ce seroit les priver d'un agreable divertissement s'il ne continuoit jusqu'à la fin. Il poursuivit donc ainsi:

«Je fis des grandes connoissances dans la maison de cet illustre cardinal, et principalement avec les pages, dont il y en avoit dix-huit de Normandie, et qui me faisoient de grandes caresses, aussi bien que les autres domestiques de sa maison. Quand la ville fut rendue, notre regiment fut licencié, et nous nous en revînmes à Saint-Patrice. La dame du lieu avoit un procès contre son fils aîné, et se preparoit pour aller le poursuivre à Grenoble. Quand nous arrivâmes, je fus prié de l'accompagner; à quoi j'eus un peu de repugnance, car je voulois me retirer, comme je vous ai dit; mais je me laissai gagner, dont je ne me repentis pas, car, quand nous fûmes arrivés à Grenoble, où je sollicitai fortement le procès, le roi Louis treizième, de glorieuse memoire, y passa pour aller en Italie 420, et j'eus l'honneur de voir à sa suite les plus grands seigneurs de ce pays 421, et entre autres le gouverneur de cette ville, lequel connoissoit fort M. de Saint-Patrice, auquel il me recommanda, et, après m'avoir offert de l'argent, lui dit qui j'etois, ce qui l'obligea à faire plus d'estime de moi qu'il n'avoit pas fait, bien que je n'eusse pas sujet de me plaindre. Je vis encore cinq jeunes hommes de cette ville qui etoient au regiment des gardes, trois desquels etoient gentilshommes, et auxquels j'avois l'honneur d'appartenir; je les traitai du mieux qu'il me fut possible, et à la maison et au cabaret. Un jour que nous venions de déjeuner d'un logis du faubourg de Saint-Laurent, qui est au delà du pont, nous nous arrêtâmes dessus pour voir passer des bateaux, et alors un d'eux me dit qu'il s'etonnoit fort que je ne leur demandasse point de nouvelles de la du Lys. Je leur dis que je n'avois osé de peur de trop apprendre. Ils me repartirent que j'avois bien fait, et que je devois l'oublier, puisqu'elle ne m'avoit pas tenu parole. Je pensai mourir à cette nouvelle; mais enfin il fallut tout sçavoir. Ils m'apprirent donc qu'aussitôt que l'on eut appris mon depart pour l'Italie, qu'on l'avoit mariée à un jeune homme qu'ils me nommèrent, et qui etoit celui de tous ceux qui y pouvoient pretendre pour qui j'avois le plus d'aversion. Alors j'eclatai, et dis contre elle tout ce que la colère me suggera. Je l'appelai tigresse, felonne, perfide, traîtresse; qu'elle n'eût pas osé se marier me sçachant si près, etant bien assurée que je la serois allé poignarder avec son mari, jusques dedans son lit. Après, je sortis de ma poche une bourse d'argent et de soie bleue, à petit point, qu'elle m'avoit donnée, dans laquelle je conservois le bracelet et le ruban que je lui avois gagné. Je mis une pierre dedans et la jetai avec violence dans la rivière, en disant: «Ainsi se puisse effacer de ma memoire celle à qui ont appartenu ces choses, de même qu'elles s'enfuiront au gré des ondes!» Ces messieurs furent etonnés de mon procedé, et me protestèrent qu'ils etoient bien marris de me l'avoir dit, mais qu'ils croyoient que je l'eusse sçu d'ailleurs. Ils ajoutèrent, pour me consoler, qu'elle avoit eté forcée à se marier, et qu'elle avoit bien fait paroître l'aversion qu'elle avoit pour son mari: car elle n'avoit fait que languir depuis son mariage, et etoit morte quelque temps après. Ce discours redoubla mon deplaisir et me donna à même temps quelque espèce de consolation. Je pris congé de ces messieurs et me retirai à la maison, mais si changé que mademoiselle de Saint-Patrice, fille de cette bonne dame, s'en aperçut. Elle me demanda ce que j'avois, à quoi je ne repondis rien; mais elle me pressa si fort que je lui dis succinctement mes aventures et la nouvelle que je venois d'apprendre. Elle fut touchée de ma douleur, comme je le connus par les larmes qu'elle versa. Elle le fit sçavoir à sa mère et à ses frères, qui me temoignèrent de participer à mes deplaisirs, mais qu'il falloit se consoler et prendre patience.

Note 420: (retour) Il y passa en février 1629, pour diriger la guerre de la succession de Mantoue et de Montferrat, légués par le dernier duc à un prince françois, le duc de Nevers, et que les Espagnols, secondés des Savoyards, ne vouloient pas céder.
Note 421: (retour) chelle, un grand nombre de seigneurs avoient tenu à honneur d'accompagner le roi dans cette nouvelle expédition: les maréchaux de Bassompierre, de Schomberg, de Créqui; le chevalier de Valançay; les ducs de Longueville et de La Trémouille; les comtes d'Harcourt, de Soissons, de Moret; les marquis de La Meilleraye, de Brézé, de La Valette, etc.

Le procès de la mère et du fils termina par un accord, et nous nous en retournâmes. Ce fut alors que je commençai à penser à une retraite. La maison où j'etois etoit assez puissante pour me faire trouver de bons partis, et l'on m'en proposa plusieurs; mais je ne pus jamais me resoudre au mariage. Je repris le premier dessein que j'avois eu autrefois, de me rendre capucin, et j'en demandai l'habit; mais il y survint tant d'obstacles, dont la deduction ne vous seroit qu'ennuyeuse, que je cessai cette poursuite.

En ce temps-là, le roi commanda l'arrière-ban de la noblesse du Dauphiné pour aller à Casal 422. M. de Saint-Patrice me pria de faire encore ce voyage-là avec lui, ce que je ne pus honorablement refuser. Nous partîmes, et nous y arrivâmes.

Note 422: (retour) Casal, ville du Montferrat, étoit occupée par les troupes du marquis de Spinola, et la citadelle par les François, sous les ordres du comte de Toiras. L'armée françoise marcha sur cette place, guidée par les maréchaux de La Force, de Schomberg et de Marillac (1630). V. Bazin, Hist. de Louis XIII, t. 3, p. 87 et suiv.

Vous sçavez ce qu'il en réussit. Le siége fut levé, la ville rendue et la paix faite par l'entremise de Mazarin 423. Ce fut le premier degré par où il monta au cardinalat, et à cette prodigieuse fortune qu'il a eue ensuite du gouvernement de la France. Nous nous en retournâmes à Saint-Patrice, où je persistai toujours à me rendre religieux. Mais la divine Providence en disposoit autrement. Un jour M. de Saint-Patrice me dit, voyant ma resolution, qu'il me conseilloit de me faire prêtre seculier; mais j'apprehendai de n'avoir pas assez de capacité, et il me repartit qu'il y en avoit de moindres. Je m'y resolus, et je pris les ordres sur un patrimoine, que madame sa mère me donna, de cent livres de rente, qu'elle m'assigna sur le plus liquide de son revenu. Je dis ma première messe dans l'eglise de la paroisse, et ladite dame en usa comme si j'eusse été son propre enfant; car elle traita splendidement une trentaine de prêtres qui s'y trouvèrent et plusieurs gentilshommes du voisinage. J'etois dans une maison trop puissante pour manquer de benefices; aussi six mois après j'eus un prieuré assez considerable, avec deux autres petits benefices. Quelques années après j'eus un gros prieuré et une fort bonne cure: car j'avois pris grande peine à etudier, et je m'etois rendu jusqu'au point de monter en chaire avec succès, devant les beaux auditoires et en presence même de prelats. Je menageai mes revenus et amassai une notable somme d'argent, avec laquelle je me retirai dans cette ville, où vous me voyez maintenant ravi du bonheur de la connoissance d'une si charmante compagnie et d'avoir eté assez heureux de lui rendre quelque petit service.»

Note 423: (retour) Mazarin étoit alors «un officier de guerre au service du pape, que le nonce de Sa Sainteté avoit employé d'abord pour porter ses paroles de médiation, et qui, un an durant, n'avoit cessé de courir d'un camp à l'autre, accrédité partout comme courtier de propositions et messager de réponses.» (Bazin, Hist. de France sous Louis XIII.) Au moment où les deux armées alloient se heurter, on le vit sortir des retranchements, agitant un mouchoir blanc au bout d'un bâton; il venoit apporter au maréchal de Schomberg les conditions auxquelles les Espagnols consentoient à quitter la ville.

L'Etoile prit la parole, disant: «Mais le plus grand que vous sçauriez nous avoir jamais rendu...» Elle vouloit continuer, quand Ragotin se leva pour dire qu'il vouloit faire une comedie de cette histoire, et qu'il n'y auroit rien de plus beau que la decoration du theâtre: un beau parc avec son grand bois et une rivière; pour le sujet, des amans, des combats, et une première messe. Tout le monde se mit à rire, et Roquebrune, qui le contrarioit toujours, lui dit: «Vous n'y entendez rien; vous ne sçauriez mettre cette pièce dans les règles, d'autant qu'il faudroit changer la scène et demeurer trois ou quatre ans dessus.» Alors le prieur leur dit: «Messieurs, ne disputez point pour ce sujet, j'y ai donné ordre il y a longtemps. Vous savez que M. du Hardi n'a jamais observé cette rigide règle des vingt-quatre heures, non plus que quelques-uns de nos poètes modernes, comme l'auteur de Saint-Eustache 424], etc.; et M. Corneille ne s'y seroit pas attaché, sans la censure que M. Scudery voulut faire du Cid 425: aussi tous les honnêtes gens appellent ces manquements de belles fautes. J'en ai donc composé une comedie que j'ai intitulée: La Fidélité conservée après l'esperance perdue; et depuis j'ai pris pour devise un arbre depouillé de sa parure verte 426, et où il ne reste que quelques feuilles mortes (qui est la raison pourquoi j'ai ajouté cette couleur à la bleue), avec un petit chien barbet au pied et ces paroles pour âme de la devise: «Privé d'espoir, je suis fidèle.» Cette pièce roule les theâtres il y a fort longtemps.--Le titre en est aussi à propos que vos couleurs et votre devise, dit l'Etoile, car votre maîtresse vous à trompé, et vous lui avez toujours gardé la fidelité, n'en ayant point voulu epouser d'autre.»

Note 424: (retour) Probablement Baro, qui fit, vers 1639, une tragédie de Saint Eustache, imprimée seulement en 1659. Il dit lui-même, dans son avertissement: «Cher lecteur, je ne te donne pas ce poème comme une pièce de théâtre où toutes les règles soient observées, le sujet ne s'y pouvant accommoder.» Desfontaines fit aussi un Martyre de saint Eustache (1642), qui n'est pas plus régulier que la pièce de Baro. V. la note 1 de la page 211, 1er vol.
Note 425: (retour) Les premières pièces de Corneille, sauf quelques-unes, telles que Clitandre et La Suivante, sont fort peu dans les règles, comme il l'avoue lui-même dans ses examens, et violent surtout celle des vingt-quatre heures. Pour Mélite, il doit s'être passé, dit-il, huit ou quinze jours entre le 1er et le second acte, et autant entre le 2e et le 3e. La Veuve se prolonge pendant cinq jours consécutifs. L'Illusion comique a l'unité de lieu, mais non celle de temps, etc. Quant au Cid, Scudéry ne lui reprocha pas précisément, dans ses Observations, d'avoir enfreint cette règle, comme on pourroit le comprendre d'après la phrase de notre auteur, mais d'avoir enfermé «plusieurs années dans ses vingt-quatre heures», en accumulant, contre toute vraisemblance et tout naturel, les accidents de l'action, pour les faire tenir dans les bornes légales.
Note 426: (retour) Personne n'ignore que la couleur verte est le symbole de l'espérance. C'etoit la nuance préférée des amants. «Il n'y a aucune couleur qui leur (aux galants) soit si propre que le vert, témoin la façon de parler proverbiale, qui dit: Un vert galant.» (Le jeu du gal.)

La conversation finit par l'arrivée de M. de Verville et de M. de la Garouffière. Et je finis aussi ce chapitre, qui, sans doute, a eté bien ennuyeux, tant pour sa longueur que pour son sujet.


CHAPITRE XIV.

Retour de Verville, accompagné de M. de la Garouffière;
mariage des comediens et comediennes,
et autres aventures de Ragotin.

ous ceux de la troupe furent etonnés de voir M. de la Garouffière; pour Verville, il etoit attendu avec impatience, principalement de ceux et celles qui se devoient marier. Ils lui demandèrent quels bons affaires 427 il avoit en cette ville, et il leur repondit qu'il n'en avoit aucuns, mais que, M. de Verville lui ayant communiqué quelque chose d'importance, il avoit eté ravi de trouver une occasion si favorable pour les revoir encore une fois, et leur offrit la continuation de ses services. Verville lui fit signe qu'il n'en falloit parler qu'en secret, et, pour lui en rompre les discours, il lui presenta le prieur de Saint-Louis, avec lequel il avoit fait grande amitié, lui disant que c'etoit un fort galant homme. Alors l'Etoile leur dit qu'il venoit d'achever une histoire aussi agreable que l'on en pût ouïr. Ces deux messieurs témoignèrent avoir du regret de n'être venus plus tôt pour avoir eu la satisfaction de l'entendre. Alors Verville passa dans une autre chambre, où le Destin le suivit, et, après y avoir demeuré quelques momens, ils appelèrent l'Etoile et Angelique, et ensuite Leandre et la Caverne, que M. de la Garouffière suivit. Quand ils furent assemblés, Verville leur dit qu'etant à Rennes il avoit communiqué au sieur de la Garouffière le dessein qu'ils avoient fait de se marier, et qu'il devoit repasser par Alençon pour être de la noce, et qu'il avoit temoigné vouloir être de la partie. Il en fût très humblement remercié, et on lui temoigna de même l'obligation qu'on lui avoit d'avoir voulu prendre cette peine. «Mais à propos, dit M. de Verville, il faudroit faire monter cet honnête homme qui est en bas»; ce que l'on fit. Quand il fut entré, la Caverne le regarda fixement, et la force du sang fit un si merveilleux effet en elle qu'elle s'attendrit et pleura sans en sçavoir la cause. On lui demanda si elle connoissoit cet homme-là, et elle repondit qu'elle ne croyoit pas de l'avoir jamais vu. On lui dit de le regarder avec attention, ce qu'elle fit, et pour lors elle trouva sur son visage tant de traits du sien qu'elle s'ecria: «Seroit-ce point mon frère?» Alors il s'approcha d'elle et l'embrassa, l'assurant que c'etoit lui-même, que le malheur avoit eloigné si longtemps de sa presence. Il salua sa nièce et tous ceux de la compagnie, et assista à la conference secrète, où il fut conclu que l'on celebreroit les deux mariages, sçavoir: du Destin avec l'Etoile et de Leandre avec Angelique. Toute la difficulté consistoit à sçavoir quel prêtre les epouseroit; alors le prieur de Saint-Louis (que l'on avoit aussi appelé à la conference) leur dit qu'il se chargeoit de cela et qu'il en parleroit aux curés des deux paroisses de la ville et à celui du faubourg de Montfort; que, s'ils en faisoient quelque difficulté, il retourneroit à Sées et qu'il en obtiendroit la permission du seigneur evêque; que, s'il ne vouloit pas la lui accorder, il iroit trouver monseigneur l'evêque du Mans, de qui il avoit l'honneur d'être connu, d'autant que sa petite eglise etoit de sa juridiction, et qu'il ne croyoit pas d'en être refusé. Il fut donc prié de prendre ce soin-là. Cependant l'on fit secretement venir un notaire et l'on passa les contrats de mariage. Je ne vous en dis point les clauses (car cette particularité n'est pas venue à ma connoissance), oui bien qu'ils se marièrent. MM. de Verville, de la Garouffière et de Saint-Louis furent les temoins. Ce dernier alla parler aux curés, mais aucun d'eux ne voulut les epouser, alleguant beaucoup de raisons que le prieur ne put surmonter, parce qu'il n'en etoit peut-être pas capable, ce qui le fit resoudre d'aller à Sées. Il prit le cheval de Leandre et un de ses laquais, et alla trouver le seigneur evêque, lequel repugna un peu lui accorder sa requête; mais le prieur lui remontra que ces gens-là n'etoient veritablement de nulle paroisse, car ils etoient aujourd'hui dans un lieu et demain dans un autre; que pourtant l'on ne pouvoit pas les mettre au rang des vagabonds et gens sans aveu (qui etoit la plus forte raison sur laquelle les curés avoient fondé leur refus), car ils avoient bonne permission du roi et avoient leur menage, et par consequent etoient censés sujets des evêques dans le diocèse desquels ils se trouvoient lors de leur residence en quelque ville; que ceux pour qui il demandoit la dispense etoient dans celle d'Alençon, où il avoit juridiction, tant sur eux que sur les autres habitans, et que partant il les pouvoit dispenser, comme il l'en supplioit très humblement, parce que d'ailleurs ils etoient fort honnêtes gens. L'evêque donna les mains et pouvoir au prieur de les epouser en quelle eglise qu'il voudroit; il vouloit appeler son secretaire pour faire la dispense en forme, mais le prieur lui dit qu'un mot de sa main suffisoit, ce que le bon seigneur fit aussi agreablement qu'il lui donna à souper.

Note 427: (retour) Affaire étoit quelquefois du masculin alors. Dans le Rôle des présentations faites aux grands jours de l'éloquence françoise, de Sorel, nous lisons: «S'est presenté un novice en poésie, requérant... qu'il plaise à la compagnie déclarer quel genre sont les mots navire et affaire

Le lendemain il s'en retourna à Alençon, où il trouva les fiancés qui preparoient tout ce qui etoit necessaire pour les noces. Les autres comediens (qui n'avoient point eté du secret) ne sçavoient que penser de tant d'appareil, et Ragotin en etoit le plus en peine. Ce qui les obligeoit à tenir la chose ainsi secrète n'etoit que ce que vous avez appris du Destin: car, pour Leandre et Angelique, cela etoit connu de tous, et aussi la crainte de ne réussir pas à la dispense. Mais, quand ils en furent assurés, l'on rendit la chose publique, et l'on recita les contrats de mariage devant tous, et l'on prit jour pour epouser. Ce fut un furieux coup de foudre pour le pauvre Ragotin, auquel la Rancune dit tout bas: «Ne vous l'avois-je pas bien dit? Je m'en etois toujours defié.» Le pauvre petit homme entra en la plus profonde melancolie que l'on puisse imaginer, laquelle le precipita dans un furieux desespoir, comme vous apprendrez au dernier chapitre de ce roman. Il devint si troublé que, passant devant la grande eglise de Notre-Dame un jour de fête que l'on carillonnoit, il tomba dans l'erreur de la plupart des gens du vulgaire, qui croient que les cloches disent tout ce qu'ils s'imaginent. Il s'arrêta pour les ecouter, et il se persuada facilement qu'elles disoient:

Ragotin, ce matin,

A bu tant de pots de vin,

Qu'il branle, qu'il branle.

Il entra en une si furieuse colère contre le campanier qu'il cria tout haut: «Tu as menti! je n'ai pas bu aujourd'hui extraordinairement! Je ne me serois pas fâché si tu leur faisois dire:

Le mutin de Destin

A ravi à Ragotin

L'Etoile, l'Etoile 428,

car j'aurois eu la consolation de voir les choses inanimées temoigner avoir du ressentiment de ma douleur; mais de m'appeler ivrogne! ha! tu la payeras!» Et aussitôt il enfonça son chapeau, et entra dans l'eglise par une des portes où il y a un degré en vis par lequel il monta à l'orgue. Quand il vit que cette montée n'alloit pas au clocher, il la suivit jusqu'au plus haut, où il trouva une porte fort basse, par laquelle il entra, et suivit sous le toit des chapelles, sous lequel il faut que ceux qui y passent se baissent; mais lui y trouva un plancher fort elevé. Il chemina jusqu'au bout, où il trouva une porte qui va au clocher, où il monta. Quand il fut au lieu où les cloches sont pendues, il trouva le campanier qui carillonnoit toujours, et qui ne regardoit point derrière lui. Alors il se mit à lui crier des injures, l'appelant insolent, impertinent, sot, brutal, maroufle, etc.; mais le bruit des cloches l'empêchoit de l'entendre. Ragotin s'imagina qu'il le meprisoit, ce qui le fit impatienter et s'approcher de lui, et à même temps lui baillier un grand coup de poing sur le dos. Le campanier, se sentant frappé, se tourna, et, voyant Ragotin, lui dit: «Hé! petit escargot! qui diable t'a mené ici pour me frapper?» Ragotin se mit en devoir de lui en dire le sujet et de lui faire ses plaintes; mais le campanier, qui n'entendoit point de raillerie, sans le vouloir ecouter, le prit par un bras, et à même temps lui bailla un coup de pied au cul, qui le fit culbuter le long d'un petit degré de bois jusques sur le plancher d'où l'on sonne les cloches à branle. Il tomba si rudement, la tête la première, qu'il donna du visage contre une des boîtes par où l'on passe les cordes, et se mit tout en sang. Il pesta comme un petit demon, et descendit promptement; il passa au travers de l'eglise, d'où il alla trouver le lieutenant criminel pour se plaindre à lui de l'excès que le campanier avoit commis en sa personne. Ce magistrat, le voyant ainsi sanglant, crut facilement ce qu'il disoit; mais après en avoir appris le sujet, il ne put s'empêcher de rire, et connut bien que le petit homme avoit le cerveau mal timbré. Pourtant, pour le contenter, il lui dit qu'il feroit justice et envoya un laquais dire au campanier qu'il le vînt trouver. Quand il fut venu, il lui demanda pourquoi il faisoit injurier cet honnête homme par ses cloches? A quoi il lui repondit qu'il ne le connoissoit point et qu'il carillonoit à son ordinaire:

Orléans, Beaugenci,

Notre-Dame de Cleri,

Vendôme, Vendôme;

mais qu'ayant eté frappé de lui et injurié, il l'avoit poussé, et qu'ayant rencontré le haut de l'escalier, il en etoit tombé. Le lieutenant criminel lui dit: «Une autre fois soyez plus avisé», et à Ragotin: «Soyez plus sage et ne croyez pas votre imagination touchant le son des cloches.» Ragotin s'en retourna à la maison, où il ne se vanta pas de son accident. Mais les comediens, voyant son visage ecorché en trois ou quatre endroits, lui en demandèrent la raison, ce qu'il ne voulut pas dire; mais ils l'apprirent par la voix commune, car cette disgrâce avoit eclaté, et dont ils rirent bien fort, aussi bien que MM. de Verville et de La Garouffière.

Note 428: (retour) Ce passage semble un ressouvenir de Rabelais et des paroles que les cloches de Varennes prononcent aux oreilles de Panurge: «Marie-toy, marie-toy; marie, marie; si tu te maries, maries, maries, très bien t'en trouveras, veras, veras.» (Pantag., III, 26.) On raconte semblable chose de Withington, qui entendit les cloches lui prédire qu'il seroit maire de Londres.

A propos de la chanson des cloches, M. Ed. Fournier veut bien nous communiquer la note suivante, extraite d'un grand travail qu'il prépare sur nos airs et chansons populaires:

«Cette chanson, que les cloches chantent seules aujourd'hui, est une chanson historique. Elle date du temps où Charles VII n'avoit pour tout royaume qu'un petit coin de la France. On n'en connoît qu'un seul couplet, encore fut-on longtemps à n'en savoir que les derniers mots. C'est Brazier qui le retrouva. Le voici, tel qu'il le donne dans sa notice sur les sociétés chantantes, qui se trouve à la fin de son Histoire des petits théâtres de Paris, 1838, in-12, t. 2, p. 192:

Mes amis, que reste-t-il

A ce dauphin si gentil?

Orléans, Beaugency,

Notre-Dame de Cléry,

Vendôme, Vendôme.

«Mon ami Adolphe Duchalais, qui s'occupoit d'une histoire de Beaugency, sa ville natale, ayant eu connoissance de ce couplet, alla voir Brazier pour savoir où il l'avoit trouvé. «Je le tiens de ma nourrice, qui étoit de votre pays, lui répondit le chansonnier; elle me l'a tant chanté, en me berçant, que je ne l'ai jamais oublié.» Duchalais n'eut plus de cesse qu'il n'eût consulté toutes les paysannes des environs de Beaugency, et il en découvrit enfin qui savoient le fameux couplet. M. Philipon de la Madeleine avoit fait la même trouvaille; aussi, parlant de la détresse de Charles VII dans son livre de l'Orléanois, p. 213, il cite la chanson en note, en l'accompagnant de ces lignes: «Le souvenir de ses malheurs et de l'affection du peuple se retrouve dans ce couplet, avec lequel nos paysannes des hameaux de Villemarceaux et de Cravant bercent et endorment leurs enfants.» L'air est resté; c'est, comme vous savez, celui du Carillon de Vendôme

Le jour des epousailles des comediennes etant venu, le prieur de Saint-Louis leur dit qu'il avoit fait choix de son eglise pour les epouser. Ils y allèrent à petit bruit, et il benit les mariages après avoir fait une très belle exhortation aux mariés, lesquels se retirèrent à leur logis, où ils dînèrent. Après quoi l'on demanda à quoi l'on passeroit le temps jusqu'au souper. La comedie, les ballets et les bals leur etoient si ordinaires, que l'on trouva bon de faire le recit de quelque histoire. Verville dit qu'il n'en sçavoit point. Si Ragotin n'eût pas eté dans sa noire melancolie, il se fût sans doute offert à en debiter quelqu'une; mais il etoit muet. L'on dit à la Rancune de raconter celle du poète Roquebrune, puisqu'il l'avoit promis quand l'occasion s'en presenteroit, et qu'il n'en pourroit jamais trouver de plus belle, la compagnie etant beaucoup plus illustre que quand il la vouloit commencer. Mais il repondit qu'il avoit quelque chose dans l'esprit qui le troubloit, et que, quand il l'auroit assez libre, qu'il ne vouloit pas rendre ce mauvais office au poète de faire son eloge, dans lequel il faudroit comprendre sa maison, et qu'il etoit trop de ses amis pour debiter une juste satire. Roquebrune pensa troubler la fête, mais le respect qu'il eut pour les etrangers qui etoient dans la compagnie calma tout cet orage. En suite de quoi M. de la Garouffière dit qu'il sçavoit beaucoup d'aventures dont il avoit eté temoin oculaire. On le pria d'en faire le recit; ce qu'il fit, comme vous verrez au chapitre suivant.


CHAPITRE XV.

Histoire des deux jalouses.

es divisions qui mirent la maîtresse ville du monde au rang des plus malheureuses furent une semence qui s'epandit partout l'univers, et en un temps où les hommes ne doivent avoir qu'une âme, comme au berceau de l'eglise, puisqu'ils avoient l'honneur d'être les membres de ce sacré corps. Mais elles ne laissèrent pas d'eclore celles des Guelfes et des Gibelins, et, quelques années après, celles des Capelets et des Montesches. Ces divisions, qui ne devoient point sortir de l'Italie, où elles avoient eu leur origine, ne laissèrent pas de se dilater par tout le monde, et notre France n'en a pas eté exempte; et il semble même que c'est dans son sein où la pomme de discorde a plus fait eclater ses funestes effets; ce qu'elle fait encore à present, car il n'y a ville, bourg ni village où il n'y ait divers partis, d'où il arrive tous les jours de sinistres accidens. Mon père, qui etoit conseiller au Parlement de Rennes, et qui m'avoit destiné pour être, comme je suis, son successeur, me mit au collége pour m'en rendre capable; mais, comme j'etois dans ma patrie, il s'aperçut que je ne profitois pas, ce qui le fit resoudre à m'envoyer à La Flèche (où est, comme vous sçavez, le plus fameux college que les Jesuites aient dans ce royaume de France). Ce fut dans cette petite ville-là où arriva ce que je vous vais apprendre, et au même temps que j'y faisois mes etudes.

Il y avoit deux gentilshommes, qui etoient les plus qualifiés de la ville, dejà avancés en âge, sans être pourtant mariés, comme il arrive souvent aux personnes de condition, ce que l'on dit en proverbe: «Entre qui nous veut et que nous ne voulons pas, nous demeurons sans nous marier.» A la fin tous deux se marièrent. L'un, qu'on appeloit M. de Fons-Blanche, prit une fille de Châteaudun, laquelle etoit de fort petite noblesse, mais fort riche. L'autre, qu'on appeloit M. du Lac, epousa une demoiselle de la ville de Chartres, qui n'etoit pas riche, mais qui etoit très belle, et d'une si illustre maison qu'elle appartenoit à des ducs et pairs et à des marechaux de France. Ces deux gentilshommes, qui pouvoient partager la ville, furent toujours de fort bonne intelligence; mais elle ne dura guère après leurs mariages: car leurs deux femmes commencèrent à se regarder d'un oeil jaloux, l'une se tenant fière de son extraction et l'autre de ses grands biens. Madame de Fons-Blanche n'etoit pas belle de visage; mais elle avoit grand'mine, bonne grâce et etoit fort propre; elle avoit beaucoup d'esprit et etoit fort obligeante. Madame du Lac etoit très belle, comme j'ai dit, mais sans grâce; elle avoit de l'esprit infiniment, mais si mal tourné que c'etoit une artificieuse et dangereuse personne. Ces deux dames etoient de l'humeur de la plupart des femmes de ce temps, qui ne croiroient pas être du grand monde si elles n'avoient chacune une douzaine de galans 429; aussi elles faisoient tous leurs efforts et employoient tous leurs soins pour faire des conquêtes, à quoi la du Lac reussissoit beaucoup mieux que la Fons-Blanche: car elle tenoit sous son empire toute la jeunesse de la ville et du voisinage; s'entend des personnes très qualifiées, car elle n'en souffroit point d'autres. Mais cette affectation causa des murmures sourds, qui eclatèrent enfin ouvertement en medisance, sans que pour cela elle discontinuât de sa manière d'agir; au contraire, il semble que ce lui fût un sujet pour prendre plus de soin à faire des nouveaux galans. La Fons-Blanche n'etoit pas du tout si soigneuse d'en avertir, et elle en avoit pourtant quelques-uns qu'elle retenoit avec adresse, entre lesquels etoit un jeune gentilhomme très bien fait, dont l'esprit correspondoit au sien, et qui etoit un des braves du temps. Celui-là en etoit le plus favori: aussi son assiduité causa des soupçons, et la medisance eclata hautement.

Note 429: (retour) Ce n'est pas là une exagération aussi grande qu'on pourroit croire. Pour s'en convaincre, il suffit d'ouvrir Tallemant des Réaux, les Mémoires du chevalier de Grammont, et surtout l'Histoire amoureuse des Gaules, de Bussy-Rabutin.

Ce fut là la source de la rupture entre ces deux dames: car auparavant elles se visitoient civilement, mais, comme j'ai dit, toujours avec une jalouse envie. La du Lac commença à medire de la Fons-Blanche, fit epier ses actions et fit mille pieces artificieuses pour la perdre de reputation, notamment sur le sujet de ce gentilhomme, que l'on appeloit M. du Val-Rocher; ce qui vint aux oreilles de la Fons-Blanche, qui ne demeura pas muette: car elle disoit par raillerie que, si elle avoit des galans, ce n'etoit pas par douzaines comme la du Lac, qui faisoit toujours de nouvelles impostures. L'autre, en se defendant, lui bailloit le change, si bien qu'elles vivoient comme deux demons. Quelques personnes charitables essayèrent à les mettre d'accord; mais ce fut inutilement, car elles ne les purent jamais obliger à se voir. La du Lac, qui ne pensoit à autre chose qu'à causer du deplaisir à la Fons-Blanche, crut que le plus sensible qu'elle pourroit lui faire ressentir, ce seroit de lui ôter le plus favori de ses galans, ce du Val-Rocher. Elle fit dire à M. de Fons-Blanche, par des gens qui lui etoient affidés, que quand il etoit hors de sa maison (ce qui arrivoit souvent, car il etoit continuellement à la chasse ou en visite chez des gentilshommes voisins de la ville), que le du Val-Rocher couchoit avec sa femme, et que des gens dignes de foi l'avoient vu sortir de son lit, où elle etoit. M. de Fons-Blanche, qui n'en avoit jamais eu aucun soupçon, fit quelque réflexion à ce discours, et ensuite fit connoître à sa femme qu'elle l'obligeroit si elle faisoit cesser les visites du Val-Rocher. Elle repliqua tant de choses et le paya de si fortes raisons qu'il ne s'y opiniâtra pas, la laissant dans la liberté d'agir comme auparavant. La du Lac, voyant que cette invention n'avoit pas eu l'effet qu'elle desiroit, trouva moyen de parler à du Val-Rocher. Elle etoit belle et accorte, qui sont deux fortes machines pour gagner la forteresse d'un coeur le mieux muni; aussi, encore qu'il eût de grands attachemens à la Fons-Blanche, la du Lac rompit tous ces liens et lui donna des chaînes bien plus fortes; ce qui causa une sensible douleur à la Fons-Blanche (surtout quand elle apprit que du Val-Rocher parloit d'elle en des termes fort insolens), laquelle augmenta par la mort de son mari, qui arriva quelques mois après. Elle en porta le deuil fort austerement; mais la jalousie la surmonta et fut la plus forte. Il n'y avoit que quinze jours que l'on avoit enterré son mari qu'elle pratiqua une entrevue secrète avec du Val-Rocher. Je n'ai pas sçu quel fut leur entretien, mais l'evenement le fit assez connoître, car une douzaine de jours après leur mariage fut publié, quoi qu'ils l'eussent contracté fort secretement, et ainsi dans moins d'un mois elle eut deux maris, l'un qui mourut en l'espace de ce temps-là, et l'autre vivant. Voilà, ce me semble, le plus violent effet de jalousie qu'on puisse imaginer, car elle oublia la bienséance du veuvage et ne se soucia pas de tous les insolens discours que du Val-Rocher avoit faits d'elle à la persuasion de la du Lac; ce qui justifie assez ce que l'on dit, qu'une femme hasarde tout quand il s'agit de se venger, mais vous le verrez encore mieux par ce que je vous vais dire. La du Lac pensa enrager quand elle apprit cette nouvelle, mais elle dissimula son ressentiment tant qu'elle put, et qu'elle fut pourtant sur le point de faire eclater, ayant fait dessein de le faire assassiner en un voyage qu'il devoit faire en Bretagne; dont il fut averti par des personnes à qui elle s'en etoit decouverte, ce qui l'obligea à se bien precautionner. D'ailleurs elle considera que ce seroit mettre ses plus chers amis en grand hasard, ce qui la fit penser à un moyen le plus etrange que la jalousie puisse susciter, qui fut de brouiller son mari avec du Val-Rocher par ses pernicieux artifices. Aussi ils se querellèrent furieusement plusieurs fois, et en furent jusqu'au point de se battre en duel, à quoi la du Lac poussa son mari (qui n'etoit pas des plus adroits du monde), jugeant bien qu'il ne dureroit guère à du Val-Rocher, lequel, comme j'ai dit, etoit un des braves du temps, se figurant qu'après la mort de son mari elle le pourroit encore ôter à la Fons-Blanche, de laquelle elle se pourroit facilement defaire ou par poison ou par le mauvais traitement qu'elle lui feroit donner. Mais il en arriva tout autrement qu'elle n'avoit projeté: car du Val-Rocher, se fiant en son adresse, meprisa du Lac (qui au commencement se tenoit sur la defensive), ne croyant pas qu'il osât lui porter; et ainsi il se negligeoit, en sorte que du Lac, le voyant un peu hors de garde, lui porta si justement qu'il lui mit son epée au travers du corps et le laissa sans vie, et s'en alla à sa maison, où il trouva sa femme, à laquelle il raconta l'action, dont elle fut bien etonnée et marrie tout ensemble de cet evenement si inopiné. Il s'enfuit secretement et s'en alla dans la maison d'un des parens de sa femme, lesquels, comme j'ai dit, etoient des grands et puissants seigneurs, qui travaillèrent à obtenir sa grâce du roi. La Fons-Blanche fut fort etonnée quand on lui annonça la mort de son mari, et qu'on lui dit qu'il ne falloit pas s'amuser à verser d'inutiles larmes, mais qu'il falloit le faire enterrer secretement, pour eviter que la justice n'y mît pas la main, ce qui fut fait; et ainsi elle fut veuve en moins de six semaines.

Cependant du Lac eut sa grâce, qui fut enterinée au Parlement de Paris, nonobstant toutes les oppositions de la veuve du mort, qui vouloit faire passer l'action pour un assassinat; ce qui la fit resoudre à la plus étrange resolution qui puisse jamais entrer dans l'esprit d'une femme irritée. Elle s'arma d'un poignard, et, passant une fois par devant du Lac, qui se promenoit à la place avec quelques-uns de ses amis, elle l'attaqua si furieusement et si inopinement qu'elle lui ôta le moyen de se mettre en defense, et lui donna à même temps deux coups de poignard dans le corps, dont il mourut trois jours après. Sa femme la fit poursuivre et mettre en prison. On lui fit son procès, et la plupart des juges opinèrent à la mort, à quoi elle fut condamnée. Mais l'execution en fut retardée, car elle declara qu'elle étoit grosse, et, ce qui est à remarquer, c'est qu'elle ne sçavoit duquel de ses deux maris. Elle demeura donc prisonnière. Mais, comme c'etoit une personne fort delicate, l'air renfermé et puant de la Conciergerie, avec les autres incommodités que l'on y souffre, lui causèrent une maladie et sa delivrance avant le terme, et ensuite sa mort; neanmoins le fruit eut baptême, et après avoir vecu quelques heures il mourut aussi. La du Lac fut touchée de Dieu; elle rentra en soi-même, fit reflexion sur tant de sinistres accidens dont elle etoit cause, mit ordre aux affaires de sa maison, et entra dans un monastère de religieuses reformées de l'ordre de Saint-Benoît, au lieu d'Almenesche 430, au diocèse de Sées. Elle voulut s'éloigner de sa patrie pour vivre avec plus de quietude et faire plus facilement penitence de tant de maux qu'elle avoit causés. Elle est encore dans ce monastère, où elle vit dans une grande austerité, si elle n'est morte depuis quelques mois.

Note 430: (retour) Bourg à 2 lieues S.-E. d'Argentan.

Les comediens et comediennes ecoutoient encore, quoique M. de la Garouffière ne dît plus mot, quand Roquebrune s'avanca pour dire à son ordinaire que c'etoit là un beau sujet pour un poème grave, et qu'il en vouloit composer une excellente tragedie, qu'il mettroit facilement dans les règles d'un poème dramatique. L'on ne repondit pas à sa proposition; mais tous admirèrent le caprice des femmes quand elles sont frappées de jalousie, et comme elles se portent aux dernières extrémités. Ensuite de quoi l'on discuta si c'etoit une passion; mais les sçavans conclurent que c'etoit la destruction de la plus belle de toutes les passions, qui est l'amour. Il y avoit encore beaucoup de temps jusqu'au souper, et tous trouvèrent bon d'aller faire une promenade dans le parc, où etant ils s'assirent sur l'herbe. Lors le Destin dit qu'il n'y avoit rien de plus agreable que le recit des histoires. Leandre (qui n'avoit point entré dans la belle conversation 431 depuis qu'il etoit dans la troupe, y ayant toujours paru en qualité de valet) prit la parole, disant que, puisque l'on avoit fini par le caprice des femmes, si la compagnie agréoit, qu'il feroit le recit de ceux d'une fille qui ne demeuroit pas loin d'une de ses maisons. Il en fut prié de tous, et, après avoir toussé cinq ou six fois, il debuta comme vous allez voir.

Note 431: (retour) C'est-à-dire dans la conversation raffinée, subtile et galante. C'étoient là des façons de parler mises à la mode par l'hôtel Rambouillet, et dont nous avons déjà vu plusieurs traces dans cet ouvrage, par exemple l'illustre troupe, la bonne cabale, etc.

CHAPITRE XVI.

Histoire de la capricieuse amante.

l y avoit dans une petite ville de Bretagne qu'on appelle Vitré un vieux gentilhomme, lequel avoit longtemps demeuré marié avec une très vertueuse demoiselle sans avoir des enfans. Entre plusieurs domestiques qui le servoient étoient un maître d'hôtel et une gouvernante, par les mains desquels passoit tout le revenu de la maison. Ces deux personnages, qui faisoient comme font la plupart des valets et servantes (c'est-à-dire l'amour), se promirent mariage et tirèrent si bien chacun de son côté que le bon vieux gentilhomme et sa femme moururent fort incommodés, et les deux domestiques vecurent fort riches et mariés. Quelques années après il arriva une si mauvaise affaire à ce maître d'hôtel qu'il fut obligé de s'enfuir, et, pour être en assurance, d'entrer dans une compagnie de cavalerie et de laisser sa femme seule et sans enfans, laquelle ayant attendu environ deux ans sans avoir aucune de ses nouvelles, elle fit courir le bruit de sa mort et en porta le deuil. Quand il fut un peu passé, elle fut recherchée en mariage de plusieurs personnes, entre lesquels se presenta un riche marchand, lequel l'epousa, et au bout de l'année elle accoucha d'une fille, laquelle pouvoit avoir quatre ans quand le premier mari de sa mère arriva à la maison. De vous dire quels furent les plus etonnés des deux maris ou de la femme, c'est ce que l'on ne peut sçavoir; mais, comme la mauvaise affaire du premier subsistoit toujours, ce qui l'obligeoit à se tenir caché, et d'ailleurs voyant une fille de l'autre mari, il se contenta de quelque somme d'argent qu'on lui donna, et ceda librement sa femme au second mari, sans lui donner aucun trouble. Il est vrai qu'il venoit de temps en temps et toujours fort secretement querir de quoi subsister, ce qu'on ne lui refusoit point.

Cependant la fille (que l'on appeloit Marguerite) se faisoit grande, et avoit plus de bonne grâce que de beauté, et de l'esprit assez pour une personne de sa condition. Mais, comme vous sçavez que le bien est depuis longtemps ce que l'on considere le plus en fait de mariage, elle ne manquoit pas de galans, entre lesquels etoit le fils d'un riche marchand, qui ne vivoit pas comme tel, mais en demi-gentilhomme, car il frequentoit les plus honorables compagnies, où il ne manquoit pas de trouver sa Marguerite, qui y etoit reçue à cause de sa richesse. Ce jeune homme (que l'on appeloit le sieur de Saint-Germain) avoit bonne mine, et tant de coeur qu'il etoit souvent employé en des duels, qui en ce temps-là etoient fort frequents 432. Il dansoit de bonne grâce, et jouoit dans les grandes compagnies, et etoit toujours bien vêtu. Dans tant de rencontres qu'il eut avec cette fille, il ne manqua pas à lui offrir ses services et à lui temoigner sa passion et le desir qu'il avoit de la rechercher en mariage; à quoi elle ne repugna point, et même lui permit de la voir chez elle; ce qu'il fit avec l'agrement de son père et de sa mère, qui favorisoient sa recherche de tout leur pouvoir. Mais, au temps qu'il se disposoit pour la leur demander en mariage, il ne le voulut pas faire sans son consentement, croyant qu'elle n'y apporteroit aucun obstacle; mais il fut fort etonné quand elle le rebuta si furieusement de parole et d'action qu'il s'en alla le plus confus homme du monde.

Note 432: (retour) Cette histoire, comme on peut le voir à l'une des pages suivantes, se passe à l'époque du siége de La Rochelle, c'est-à-dire en 1627. A cette époque, les duels, en effet, étoient des plus fréquents, et souvent pour des motifs tout aussi futiles que celui qui est mentionné plus loin; on se battoit pour un oui, pour un non, pour rien du tout. Il y avoit encore de ces raffinés d'honneur qui avoient surtout fleuri sous le règne de Henri IV, «gens, dit d'Aubigné, qui se vattent pour un clin d'uil, si on ne les salue que par acquit, pour une fredur, si le manteau d'un autre touche le lur, si on crache à quatre pieds d'ux..., sur un rapport, vien qu'il se troube faux.» (Le Bar. de Fæn., éd. Jannet, I, 9.) Cela étoit devenu une affaire de mode et de bon ton, tellement que les laquais même, dit Sauval, se portoient sur le pré. On sait avec quelle rigueur Richelieu fut obligé de sévir contre ce cruel et frénétique divertissement, et comment il punit Bouteville de lui avoir désobéi. La fureur des duels étoit telle, d'après Savaron, qu'en vingt ans huit mille lettres de grâce avoient été octroyées à des gens qui avoient tué leurs adversaires en champ-clos (Traité contre les duels, 1612). «Un gentilhomme, dit Sorel, n'estoit point prisé s'il ne s'estoit battu en duel.» (Franc., VII.) Et quelques pages plus loin il revient encore sur cet engouement des combats singuliers. Louis XIV lui-même avoit eu velléité d'envoyer un cartel à l'empereur Léopold. (Lettres de Pellisson.) V. aussi ce que dit de la même manie le cavalier Marin dans sa Lettre sur les moeurs parisiennes. C'étoit un dernier reste des usages de la chevalerie, entretenu par l'habitude des guerres civiles.

Il laissa passer quelques jours sans la voir, croyant de pouvoir etouffer cette passion; mais elle avoit pris de trop profondes racines, ce qui l'obligea à retourner la voir. Il ne fut pas plutôt entré dans la maison qu'elle en sortit et alla se mettre en une compagnie de filles du voisinage, où il la suivit, après avoir fait des plaintes au père et à la mère du mauvais traitement que lui faisoit leur fille, sans lui en avoir donné aucun sujet; de quoi ils temoignèrent être marris, et lui promirent de la rendre plus sociable. Mais comme elle etoit fille unique, ils n'osèrent lui contredire, ni la presser sur cette matière-là, se contentant de lui remontrer doucement le tort qu'elle avoit de traiter ce jeune homme avec tant de rigueur, après avoir temoigné de l'aimer. A tout cela elle ne repondoit rien, et continuoit dans sa mauvaise humeur: car, quand il vouloit approcher d'elle, elle changeoit de place; et il la suivoit, mais elle le fuyoit toujours, en sorte qu'un jour il fut obligé, pour l'arrêter, de la prendre par la manche de son corps de jupe, dont elle cria, lui disant qu'il avoit froissé ses bouts de manche, et que s'il y retournoit, qu'elle lui donneroit un soufflet, et qu'il feroit beaucoup mieux de la laisser. Enfin, tant plus il s'empressoit pour l'accoster, plus elle faisoit de diligence pour le fuir; et quand on alloit à la promenade, elle aimoit mieux aller seule que de lui donner la main. Si elle etoit dans un bal et qu'il la voulût prendre pour la faire danser, elle lui faisoit affront, disant qu'elle se trouvoit mal, et à même temps elle dansoit avec un autre. Elle en vint jusqu'à lui susciter des querelles, et elle fut cause que par quatre fois il se porta sur le pré, d'où il sortit toujours glorieusement, ce qui la faisoit enrager, au moins en apparence. Tous ces mauvais traitemens n'etoient que jeter de l'huile sur la braise, car il en etoit toujours plus transporté et ne relâchoit point du tout de ses visites. Un jour il crut que sa perseverance l'avoit un peu adoucie, car elle se laissa approcher de lui et ecouta attentivement les plaintes qu'il lui fit de son injuste procedé, en telles ou semblables paroles: «Pourquoi fuyez-vous celui qui ne sçauroit vivre sans vous? Si je n'ai pas assez de merite pour être souffert de vous, au moins considerez l'excès de mon amour et la patience que j'ai à endurer toutes les indignités dont vous usez envers moi, qui ne respire qu'à vous faire paroître à quel point je suis à vous.--Eh bien! lui repondit-elle, vous ne me le sçauriez mieux persuader qu'en vous eloignant de moi; et, parceque vous ne le pourriez pas faire si vous demeuriez en cette ville, s'il est vrai, comme vous dites, que j'aie quelque pouvoir sur vous, je vous ordonne de prendre parti dans les troupes qu'on lève; quand vous aurez fait quelques campagnes, peut-être me trouverez-vous plus flexible à vos desirs. Ce peu d'esperance que je vous donne vous y doit obliger; sinon, perdez-la tout à fait.» Alors elle tira une bague de son doigt, la lui presenta en lui disant: «Gardez cette bague, qui vous fera souvenir de moi, et je vous defends de me venir dire adieu; en un mot ne me voyez plus.» Elle souffrit qu'il la saluât d'un baiser, et le laissa, passant dans une autre chambre, dont elle ferma la porte.

Ce miserable amant prit congé du père et de la mère, qui ne purent contenir leurs larmes et qui l'assurèrent de lui être toujours favorables pour ce qu'il souhaitoit. Le lendemain il se mit dans une compagnie de cavalerie qu'on levoit pour le siége de La Rochelle. Comme elle lui avoit defendu de la plus voir, il n'osa pas l'entreprendre; mais, la nuit devant le jour de son depart, il lui donna des serenades, à la fin desquelles il chanta cette complainte, qu'il accorda aux tristes et doux accens de son luth, en cette sorte:

Iris, maîtresse inexorable,

Sans amour et sans amitié,

Helas! n'auras-tu point pitié

D'un si fidèle amant que tu rends miserable?


Seras-tu toujours inflexible?

Ton coeur sera-t-il de rocher?

Ne le pourrai-je point toucher?

Ne sera-t-il jamais à mon amour sensible?


Je t'obéis, fille cruelle;

Je te dis le dernier adieu;

Jamais, dedans ce triste lieu,

Tu ne verras de moi que mon coeur trop fidèle.


Lorsque mon corps sera sans ame,

Quelque mien ami l'ouvrira,

Et mon coeur il en sortira

Pour t'en faire un present où tu verras ma flamme.

Cette capricieuse fille s'etoit levée et avoit ouvert le volet d'une fenêtre, n'ayant laissé que la vitre, au travers de laquelle elle se fit ouïr, faisant un si grand eclat de rire que cela acheva de desesperer le pauvre Saint-Germain, lequel voulut dire quelque chose; mais elle referma le volet en disant tout haut: «Tenez votre promesse pour votre profit»; ce qui l'obligea à se retirer. Il partit quelques jours après avec la compagnie, qui se rendit au camp de La Rochelle, là où, comme vous avez pu sçavoir, le siége fut fort opiniâtre, le roi à l'attaquer et les assiegés à se defendre. Mais enfin il fallut se rendre à la discretion d'un monarque auquel les vents et les elemens rendoient obeissance.

Après que la ville fut rendue, on licencia plusieurs troupes, du nombre desquelles fut la compagnie où etoit Saint-Germain, lequel s'en retourna à Vitré, où il ne fut pas plutôt qu'il alla voir sa rigoureuse Marguerite, laquelle souffrit d'en être saluée; mais ce ne fut que pour lui dire que son retour etoit bien prompt, et qu'elle n'etoit pas encore disposée à le souffrir, et qu'elle le prioit de ne la point voir. Il lui repondit ces tristes paroles: «Il faut avouer que vous êtes une dangereuse personne, et que vous ne desirez que la mort du plus fidèle amant qui soit au monde: car vous m'avez par quatre fois procuré des moyens d'eprouver sa rigueur, quoique glorieusement, mais qui eût pourtant eté pour moi très funeste. Je la suis allé chercher là où des plus malheureux que moi l'ont fatalement trouvée, sans que je l'aie jamais pu rencontrer; mais, puisque vous la desirez avec tant d'ardeur, je la chercherai en tant de lieux qu'à la fin elle sera obligée de me satisfaire pour vous contenter; mais peut-être ne pourrez-vous pas vous empêcher de vous repentir de me l'avoir causée, car elle sera d'un genre si etrange que vous en serez touchée de pitié. Adieu donc, la plus cruelle qui soit dans l'univers.» Il se leva et la vouloit laisser, quand elle l'arrêta pour lui dire qu'elle ne souhaitoit du tout point sa mort, et que, si elle lui avoit procuré des combats, ce n'avoit eté que pour avoir des preuves certaines de sa valeur, et afin qu'il fût plus digne de la posseder; mais qu'elle n'etoit pas encore en etat de souffrir sa recherche; que peut-être le temps la pourroit adoucir. Et elle le laissa sans lui en dire davantage. Ce peu d'esperance l'obligea à user d'un moyen qui pensa tout gâter, qui fut de lui donner de la jalousie. Il raisonnoit en lui-même que, puisqu'elle avoit encore quelque bonne volonté pour lui, elle ne manqueroit pas d'en prendre s'il lui en donnoit le sujet. Il avoit un camarade qui avoit une maîtresse dont il etoit autant cheri que lui etoit maltraité de la sienne. Il le pria de souffrir qu'il accostât cette bonne maîtresse, et que lui pratiquât la sienne pour voir quelle mine elle tiendroit. Son camarade ne voulut pas lui accorder sans en avoir averti sa maîtresse, laquelle y consentit. La première conversation qu'ils eurent ensemble (car ces deux filles n'etoient guère l'une sans l'autre), ces deux amans firent echange: car Saint-Germain approcha de la maîtresse de son camarade, lequel accosta cette fière Marguerite, laquelle le souffrit fort agréablement. Mais, quand elle vit que les autres rioient, elle s'imagina que ce changement etoit concerté, de quoi elle entra en de si furieux transports qu'elle dit tout ce qu'une amante irritée peut dire en cas pareil. Elle fut outrée à tel point qu'elle laissa la compagnie en versant beaucoup de larmes; ce qui fit que cette obligeante maîtresse alla auprès d'elle et lui remontra le tort qu'elle avoit d'en user de la sorte; qu'elle ne pouvoit esperer plus de bonheur que la recherche d'un si honnête homme et si passionné pour elle, et que sa politique etoit tout à fait extraordinaire et inusitée entre des amans; qu'elle pouvoit bien voir de quelle manière elle en usoit avec le sien; qu'elle apprehendoit si fort de le desobliger qu'elle ne lui avoit jamais donné aucun sujet de se rebuter. Tout cela ne fit aucun effet sur l'esprit de cette bizarre Marguerite, ce qui jeta le malheureux Saint-Germain dans un si furieux desespoir qu'il ne chercha depuis que des occasions de faire paroître à cette cruelle la violence de son amour par quelque sinistre mort, comme il la pensa trouver: car, un soir que lui et sept de ses camarades sortoient d'un cabaret ayant tous l'epée au côté, ils firent rencontre de quatre gentilshommes dont il y en avoit un qui etoit capitaine de cavalerie, lesquels leur voulurent disputer le haut du pavé dans une rue etroite où ils passoient; mais ils furent contraints de ceder, en disant que leur nombre seroit bientôt egal, et du même pas allèrent prendre quatre ou cinq autres gentilshommes, lesquels se mirent à chercher ceux qui les avoient fait quitter le haut du pavé, et qu'ils rencontrèrent dans la Grande-Rue. Comme Saint-Germain s'etoit le plus avancé dans la dispute, il avoit eté remarqué par ce capitaine à son chapeau bordé d'argent, qui brilloit dans l'obscurité; aussi, dès qu'il l'eut remarqué, il s'adressa à lui en lui donnant un coup de coutelas sur la tête qui lui coupa son chapeau et une partie du crâne. Ils crurent qu'il etoit mort et qu'ils etoient assez vengés, ce qui les fit retirer, et les compagnons de Saint-Germain songèrent moins à aller après ces braves qu'à le relever. Il etoit sans pouls et sans mouvement, ce qui les obligea à l'emporter à sa maison, où il fut visité par les chirurgiens, qui lui trouvèrent encore de la vie. Ils le pansèrent, remirent le crâne et mirent le premier appareil.

La première dispute avoit causé de la rumeur dans le voisinage; mais ce coup fatal y en apporta bien davantage. Tous les voisins se levèrent, et chacun en parloit diversement, mais tous concluoient que Saint-Germain etoit mort. Le bruit en alla jusques à la maison de cette cruelle Marguerite, laquelle se leva aussitôt du lit et s'en alla en deshabillé chez son galant, qu'elle trouva en l'etat où je viens de vous le representer. Quand elle vit la mort peinte sur son visage, elle tomba evanouie, en telle sorte que l'on eut peine à la faire revenir. Quand elle fut remise, tous ceux du voisinage l'accusèrent de ce desastre, et lui representèrent que, si elle l'eût souffert auprès d'elle, elle auroit evité cet accident. Alors elle se mit à arracher ses cheveux et à faire des actions d'une personne touchée de douleur. Ensuite elle le servit avec une telle assiduité (tout le temps qu'il fut hors de connoissance) qu'elle ne se depouilla ni coucha pendant ce temps-là, et ne permit pas à ses propres soeurs de lui rendre aucun service. Quand il commença à connoître, l'on jugea que sa presence lui seroit plus prejudiciable qu'utile, pour les raisons que vous pouvez entendre. Enfin il guerit, et, quand il fut en parfaite convalescence, on le maria avec sa Marguerite, au grand contentement des parens, et beaucoup plus des mariés.

Après que Leandre eut fini son histoire, ils retournèrent à la ville, où etant ils soupèrent, et, après avoir un peu veillé, l'on coucha les epousés.

Ces mariages avoient eté faits à petit bruit, ce qui fut cause qu'ils n'eurent point de visites ce jour-là, ni le lendemain; mais deux jours après ils en furent tellement accablés qu'ils avoient peine à trouver quelques momens de relâche pour etudier leurs rôles: car tout le beau monde les vint feliciter, et durant huit jours ils reçurent des visites. Après la fête passée, ils continuèrent leur exercice avec plus de quietude, excepté Ragotin, lequel se precipita dans l'abîme du desespoir, comme vous allez voir dans ce dernier chapitre.


CHAPITRE XVII.

Desespoir de Ragotin et fin du Roman comique.

a Rancune, se voyant hors d'esperance de reussir en l'amour qu'il portoit à l'Etoile, aussi bien que Ragotin, se leva de bonne heure et alla trouver le petit homme, qu'il trouva aussi levé et qui ecrivoit, lequel lui dit qu'il faisoit sa propre epitaphe. «Eh quoi! dit la Rancune, l'on n'en fait que pour les morts, et vous êtes encore en vie! Et ce que je trouve le plus etrange, c'est que vous-même la faites!--Oui, dit Ragotin, et je vous la veux faire voir.»

Il ouvrit le papier, qu'il avoit plié, et lui fit lire ces vers:

Ci gît le pauvre Ragotin,

Lequel fut amoureux d'une très belle Etoile

Que lui enleva le Destin,

Ce qui lui fit faire promptement voile

En l'autre monde, où il sera

Autant de temps qu'il durera.

Pour elle il fit la comedie

Qu'il achève aujourd'hui par la fin de sa vie.

«Voilà qui est magnifique, dit la Rancune, mais vous n'aurez pas la satisfaction de la voir dessus votre sepulture: car l'on dit que les morts ne voient ni n'entendent rien.--Ha! dit Ragotin, que vous êtes en partie cause de mon desastre! car vous me donniez toujours de grandes esperances de flechir cette belle, et vous sçaviez bien tout le secret.» Alors la Rancune lui jura serieusement qu'il n'en sçavoit rien positivement, mais qu'il s'en doutoit, comme il lui avoit dit, quand il lui conseilloit d'etouffer cette passion, lui remontrant que c'etoit la plus fière fille du monde. «Et il semble (ajouta-t-il) que la profession qu'elle fait doive licencier les femmes et les filles de cet orgueil, qui est ordinaire à celles d'autres condition. Mais il faut avouer qu'en toutes les caravanes de comediens l'on n'en trouvera point une si retenue et qui ait tant de vertu; et elle a mis Angelique à ce pli-là, car de son naturel elle a une autre pente, et son enjouement le temoigne assez. Mais enfin il faut que je vous decouvre une chose que je vous ai tenue cachée jusqu'à present: c'est que j'etois aussi amoureux d'elle que vous, et je ne sçais qui seroit l'homme qui, après l'avoir pratiquée comme j'ai fait, s'en seroit pu empêcher. Mais, comme je me vois hors d'esperance aussi bien que vous, je suis resolu de quitter la troupe, d'autant qu'on y a reçu le frère de la Caverne. C'est un homme qui ne sçauroit faire d'autres personnages que ceux que je représente, et ainsi l'on me congediera sans doute; mais je ne veux pas attendre cela, je les veux prevenir et m'en aller à Rennes trouver la troupe qui y est, où je serai assurement reçu, puisqu'il y manque un acteur.» Alors Ragotin lui dit: «Puisque vous etiez frappé d'un même trait, vous n'aviez garde de parler pour moi à l'Etoile.» Mais la Rancune jura comme un demon qu'il etoit homme d'honneur et qu'il n'avoit pas laissé de lui en faire des ouvertures; mais, comme il lui avoit dejà dit, elle n'avoit jamais voulu ecouter. «Eh bien! dit Ragotin, vous avez resolu de quitter la troupe, et moi aussi. Mais je veux bien faire un plus grand abandonnement, car je veux quitter tout à fait le monde.» La Rancune ne fit point de reflexion sur son epitaphe, qu'il lui avoit baillée; il crut seulement qu'il avoit fait resolution d'entrer dans un couvent, ce qui fut cause qu'il ne prit point garde à lui, ni n'en avertit personne que le poète, auquel il en bailla une copie.

Quand Ragotin fut seul, il songea au moyen qu'il pourroit tenir pour sortir du monde. Il prit un pistolet, qu'il chargea, et y mit deux balles pour s'en donner dans la tête; mais il jugea que cela feroit trop de bruit. Ensuite il mit la pointe de son épée contre sa poitrine, dont la piqûre lui fit mal, ce qui l'empêcha de l'enfoncer. Enfin il descendit à l'ecurie cependant que les valets dejeunoient. Il prit des cordes qui etoient attachées au bât d'un cheval de voiture et en accommoda une au râtelier et la mit autour de son cou; mais, quand il voulut se laisser aller, il n'en eut pas le courage et attendit que quelqu'un entrât. Il y arriva un cavalier etranger, et alors il se laissa aller, tenant toujours un pied sur le bord de la crèche. Pourtant, s'il y fût demeuré long-temps, il se seroit enfin etranglé. Le valet d'etable, qui etoit descendu pour prendre le cheval du cavalier, voyant Ragotin ainsi pendu, le crut mort, et cria si fort que tous ceux du logis descendirent. On lui ôta la corde du cou et on le fit revenir, ce qui fut assez facile. On lui demanda quel sujet il avoit de prendre une si etrange resolution; mais il ne le voulut pas dire. Alors la Rancune tira à part mademoiselle de l'Etoile (que je pourrois appeler mademoiselle du Destin, mais, etant si près de la fin de ce roman, je ne suis point d'avis de lui changer de nom), à laquelle il decouvrit tout le mystère, de quoi elle fut fort etonnée. Mais elle le fut bien davantage quand ce mechant homme fut assez temeraire pour lui dire qu'il etoit aux mêmes termes, mais qu'il ne prenoit pas une si sanglante resolution, se contentant de demander son congé. A tout cela elle ne repondit pas une parole, et le laissa.

Quelque peu de temps après, Ragotin declara à la troupe le dessein qu'il avoit d'accompagner le lendemain M. de Verville et de se retirer au Mans. Cette circonstance fit que tous y consentirent; ce qu'ils n'eussent pas fait s'il eût voulu s'en aller seul, attendu ce qui etoit arrivé. Ils partirent le lendemain de bon matin, après que monsieur de Verville eut fait mille protestations de continuation d'amitié aux comediens et comediennes, et principalement au Destin, qu'il embrassa, lui temoignant la joie qu'il avoit de voir l'accomplissement de ses desirs. Ragotin fit un grand discours en forme de compliment, mais si confus que je ne le mets point ici. Quand ils furent au point de partir, Verville demanda si les chevaux avoient bu; le valet d'etable repondit qu'il etoit trop matin, et qu'ils les pourroient faire boire en passant la rivière. Ils montèrent à cheval après avoir pris congé de M. de la Garouffière, lequel s'etoit aussi disposé à partir, et qui fut civilement remercié par les nouveaux mariés de la peine qu'il s'etoit donnée de venir de si loin pour honorer leurs noces de sa presence. Après cent protestations de services reciproques, il monta à cheval, et la Rancune le suivit, lequel, nonobstant son insensibilité, ne put pas empêcher le cours de ses larmes, qui attirèrent celles du Destin, se ressouvenant (nonobstant le naturel farouche de la Rancune) des services qu'il lui avoit rendus, et principalement à Paris sur le Pont-Neuf, lorsqu'il y fut attaqué et volé par la Rappinière. Quand Verville et Ragotin eurent passé les ponts, ils descendirent à la rivière pour faire boire leurs chevaux; Ragotin s'avança par un endroit où il y avoit une rive taillée, où son cheval broncha si rudement, que le petit bout d'homme perdit les etriers et sauta par dessus la tête du cheval dans la rivière, qui etoit fort profonde en cet endroit-là. Il ne sçavoit pas nager, et, quand il l'auroit sçu, l'embarras de sa carabine, de son epée et de son manteau l'auroient fait demeurer au fond, comme il fit. Un des valets de Verville etoit allé prendre le cheval de Ragotin, qui etoit sorti de l'eau, et un autre se depouilla promptement et se jeta dans la rivière au lieu où il etoit tombé; mais il le trouva mort. L'on appela du monde, et on le sortit. Cependant Verville envoya avertir les comediens de ce malheur, et à même temps son cheval. Tous y accoururent, et, après avoir plaint son sort, ils le firent enterrer dans le cimetière d'une chapelle de sainte Catherine, qui n'est guère eloignée de la rivière.

Cet evenement funeste verifie bien le proverbe commun: Qui a pendre n'a pas noyer. Ragotin n'avoit pas le premier, puisqu'il ne put s'etrangler; mais il avoit le second, puisqu'il fut effectivement noyé.

Ainsi finit ce petit bout d'avocat comique, dont les aventures, disgrâces, accidens, et la funeste mort, seront dans la memoire des habitans du Mans et d'Alençon, aussi bien que les faits heroïques de ceux qui composoient cette illustre troupe. Roquebrune, voyant le corps mort de Ragotin, dit qu'il falloit changer deux vers à son epitaphe, dont la Rancune lui avoit baillé une copie, comme je vous ai dejà dit, et qu'il falloit la mettre comme il s'ensuit:

/* Ci gît le pauvre Ragotin, Lequel fut amoureux d'une très belle Etoile Que lui enleva le Destin, Ce qui lui fit faire promptement voile En l'autre monde sans bateau; Pourtant il y alla par eau. Pour elle il fit la comedie Qu'il achève aujourd'hui par la fin de sa vie. */

Les comediens et comediennes s'en retournèrent à leur logis, et continuèrent leur exercice avec l'admiration ordinaire.


FIN DU TOME SECOND.










TABLE DES MATIÈRES

du

ROMAN COMIQUE




                              TOME Ier.

INTRODUCTION.--Du roman comique, satirique et bourgeois, au XVIIe
siècle, et en particulier du Roman comique de Scarron.

                          PREMIÈRE PARTIE.

Au coadjuteur, c'est tout dire.
Au lecteur scandalisé des fautes d'impression qui sont dans mon livre.

CHAPITRE Ier.--Une troupe de comediens arrive dans la ville du Mans.

CHAP. II.--Quel homme etoit le sieur de la Rappinière.

CHAP. III.--Le déplorable sucées qu'eut la comédie.

CHAP. IV.--Dans lequel on continue à parler du sieur la Rappinière, et
de ce qui arriva la nuit en sa maison.

CHAP. V.--Qui ne contient pas grand'chose.

CHAP. VI.--L'aventure du pot de chambre; la mauvaise nuit que la Rancune
donna à l'hôtellerie; l'arrivée d'une partie de la troupe; mort de
Doguin, et autres choses mémorables.

CHAP. VII.--L'aventure des brancards.

CHAP. VIII.--Dans lequel on verra plusieurs choses necessaires à savoir
pour l'intelligence du présent livre.

CHAP. IX.--Histoire de l'amante invisible.

CHAP. X.--Comment Ragotin eut un coup de busc sur les doigts.

CHAP. XI.--Qui contient ce que vous verrez si vous prenez la peine de le
lire.

CHAP. XII.--Combat de nuit.

CHAP. XIII.--Plus long que le precedent. Histoire de Destin et de
mademoiselle de l'Etoile.

CHAP. XIV.--Enlevement du curé de Domfront.

CHAP. XV.--Arrivée d'un operateur dans l'hôtellerie; suite de l'histoire
de Destin et de l'Etoile; serenade.

CHAP. XVI.--L'ouverture du theâtre, et autres choses qui ne sont pas de
moindre consequence.

CHAP. XVII.--Le mauvais succès qu'eut la civilité de  Ragotin.

CHAP. XVIII.--Suite dé l'histoire de Destin et de l'Etoile.

CHAP. XIX.--Quelques reflexions qui ne sont pas hors de propos; nouvelle
disgrâce de Ragotin, et autres choses, que vous lirez s'il vous plaît.

CHAP. XX.--Le plus court du present livre. Suite du trebuchement de
Ragotin, et quelque chose de semblable qui arriva à Roquebrune.

CHAP. XXI.--Qui peut-être ne sera pas trouvé fort divertissant.

CHAP. XXII.--A trompeur trompeur et demi.

CHAP. XXIII.--Malheur imprevu qui fut cause qu'on ne joua point la
comédie.

                           SECONDE PARTIE.

CHAP. Ier.--Qui ne sert que d'introduction aux autres.

CHAP. II.--Des bottes.

CHAP. III.--L'histoire de la Caverne.

CHAP. IV.--Le Destin trouve Leandre.

CHAP. V.--Histoire de Leandre.

CHAP. VI.--Combat à coups de poings; mort de l'hôte, et autres choses
memorables.

CHAP. VII.--Terreur panique de Ragotin, suivie de disgrâces; aventure
du corps mort; orage de coups de poings, et autres accidens surprenans
dignes d'avoir place en cette véritable histoire.

CHAP. VIII.--Ce qui arriva du pied de Ragotin.

CHAP. IX.--Autre disgrâce de Ragotin.

CHAP. X.--Comment madame Bouvillon ne put resister à une tentation et
eut une bosse au front.

CHAP. XI.--Des moins divertissans du présent volume.

CHAP. XII.--Qui divertira peut-être aussi peu que le precedent.

CHAP. XIII.--Mechante action du sieur de la Rappinière.

                               TOME II.

CHAP. XIV.--Le juge de sa propre cause.

CHAP. XV.--Effronterie du sieur de la Rappinière.

CHAP. XVI.--Disgrâce de Ragotin.

CHAP. XVII.--Ce qui se passa entre le petit Ragotin et le grand
Baguenodière.

CHAP. XVIII.--Qui n'a pas besoin de titre.

CHAP. XIX.--Les deux frères rivaux.

CHAP. XX.--De quelle façon le sommeil de Ragotin fut interrompu.

                         TROISIÈME PARTIE.

CHAP. Ier.--Qui fait l'ouverture de cette troisième partie.

CHAP. II.--Où vous verrez le dessein de Ragotin.

CHAP. III.--Dessein de Leandre, harangue et reception de Ragotin à la
troupe comique.

CHAP. IV.--Départ de Leandre et de la troupe comique pour aller à
Alençon; disgrâce de Ragotin.

CHAP. V.--Ce qui arriva aux comédiens entre Vivain et Alençon; autre
disgrâce de Ragotin.

CHAP. VI.--Mort de Saldagne.

CHAP. VII.--Suite de l'histoire de la Caverne.

CHAP. VIII.--Fin de l'histoire de la Caverne.

CHAP. IX.--La Rancune desabuse Ragotin sur le sujet de l'Etoile, et
l'arrivée d'un carrosse plein de noblesse, et autres aventures de
Ragotin.

CHAP. X.--Histoire du prieur de Saint-Louis et l'arrivée de M. de
Verville.

CHAP. XI.--Resolution des mariages du Destin avec l'Etoile et de Leandre
avec Angelique.

CHAP. XII.-Ce qui arriva au voyage de la Fresnaye; autre disgrâce de
Ragotin.

CHAP. XIII.--Suite et fin de l'histoire du prieur de Saint-Louis.

CHAP. XIV.--Retour de Verville, accompagné de M. de la Garouffière;
mariage des comédiens et comédiennes; autre disgrâce de Ragotin.

CHAP. XV.--Histoire des deux jalouses.

CHAP. XVI.--Histoire de l'amante capricieuse.

CHAP. XVII.--Désespoir de Ragotin et fin du Roman comique.
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