Les Français peints par eux-mêmes, tome 2: Encyclopédie morale du dix-neuvième siècle
LA VIEILLE FILLE.
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La continence et la pureté ont leur usage, même pour la population; il est toujours beau de se commander à soi-même, et l’état de virginité est par ces raisons très-digne d’estime; mais il ne s’ensuit pas qu’il soit beau, ni bon, ni louable, de persévérer toute sa vie dans cet état, en offensant la nature et en trompant sa destination. L’on a plus de respect pour une jeune vierge nubile que pour une jeune femme; mais on en a plus pour une mère de famille que pour une vieille fille, et cela me paraît très-sensé.
J.-J. Rousseau.
Si nous avions mission de faire une histoire complète de la vieille fille, dans tous les temps et chez tous les peuples; si nous devions la prendre à son premier berceau, la suivre dans tous ses développements, sous toutes ses formes, il nous faudrait, le flambeau de l’analyse philosophique à la main, remonter la route obscure du passé jusqu’à l’origine des antiques civilisations, secouer la poussière amoncelée sur leurs débris, évoquer leur esprit, ranimer l’Inde, l’Égypte, la Grèce et Rome, et redescendre par le christianisme à travers toutes les misères du moyen âge. Un tel travail nous entraînerait sur un terrain immense, il toucherait à toutes les hautes questions sociales, politiques et religieuses. Il nécessiterait une analyse rationnelle de la nature humaine; il ajouterait à la longue litanie des douleurs de l’humanité.
Mais notre tâche se borne à la peinture de la vieille fille actuelle, française et parisienne surtout, car Paris, cet assemblage de tous les contraires, ce temple du goût et de la grâce, cet enfer et ce paradis des femmes, ce minotaure qui chaque jour dévore des milliers de jeunes et généreuses existences, voit naître rapidement un grand nombre de vieilles filles. Autrefois les murs des cloîtres les cachaient presque entièrement; aujourd’hui elles se montrent partout. Autrefois l’orgueil du blason et la cupidité titrée se développaient prodigieusement dans la première classe de la société; aujourd’hui un autre orgueil, une autre cupidité, donnent aux classes moyennes l’honneur de les multiplier le plus. Autrefois c’était le défaut absolu de culture intellectuelle, aujourd’hui c’est une instruction, des talents en désaccord avec certaines nécessités sociales qui condamnent les femmes au célibat. La vieille fille encombre les institutions, emplit de son nom les Petites-Affiches aux articles gouvernantes, demoiselles de compagnie, leçons de langues, de musique, de peinture, etc., etc. On la voit dans nos athénées, nos cours publics et particuliers, cherchant sans doute à se tresser, avec quelques fleurs cueillies dans le champ de la science ou de l’art, une guirlande qui la console de celle que l’hymen n’a pu poser sur son front virginal.
La plus féconde des diverses causes auxquelles on doit attribuer sa multiplication actuelle, est incontestablement l’adoration croissante du veau d’or, unique dispensateur des délices d’un luxe arrivé à l’état de nécessité presque universelle. Tout pour l’argent et par l’argent; sans lui, rien. Base de l’échafaudage de notre système politique et sa première loi morale, il est naturellement aussi la première, la plus puissante passion d’une époque où la soif du pouvoir est devenue une sorte d’épidémie générale. Vouloir que les hommes, enfoncés dans le gouffre d’une sordide industrie, ne se transforment plus en marchandise, qu’ils cessent de se tarifer en sens inverse de leur réelle valeur et renoncent à ne faire du lien conjugal qu’un vil trafic, c’est leur demander l’impossible. D’ailleurs, il faut le reconnaître, le grand nombre a besoin du pavois de la fortune pour être remarqué, d’une forte dot pour venir en aide à sa boiteuse ambition! le plus maltraité par la nature se croit sans prix, s’il a publié quelque mauvais livre, ou s’il a un diplôme d’avocat. Citez une jeune personne charmante, dites: «Elle unit les qualités de l’âme à celles de l’esprit,» et l’on vous interrompra en s’écriant: «Au fait, combien vaut-elle? sont-ce des écus comptants?»
Donc peu ou point de mariage possible pour la Parisienne pauvre. Quelque honorable que puisse être ou le nom qu’elle porte, ou le sang dont elle est sortie, elle n’en devra pas moins, paria de la fortune, vivre le plus souvent triste et solitaire en ce bas monde, si elle ne veut voir ses ailes d’ange exposées aux souillures de la corruption. Non, presque jamais pour elle de couronne nuptiale, de chastes et légitimes amours! Paris ne lui jettera que les fleurs de la séduction, il ne lui prodiguera que de trompeurs hommages et de mortelles caresses, véritables étreintes de vautour.
Le développement de la vieille fille peut se scinder en trois époques distinctes: la dernière commence à quarante-cinq ans, la seconde à trente-cinq, et la première à vingt-cinq; car, hâtif dans toutes ses créations, Paris n’attend pas le déclin des roses de la beauté, la chute de leurs dernières pétales, préludes et signes d’une cruelle transformation, pour appliquer à une femme l’épithète de vieille fille. Est-il une qualification plus désespérante par le ridicule qu’elle imprime, les froissantes préventions qu’elle inspire et l’étendue du sens que le monde y attache? Dans son langage, vieille fille signifie toujours tout ce qu’il y a de plus ennuyeux, de plus aigre, de plus triste, des ruines... Aussi n’est-il guère d’hommes en quête de l’ambroisie matrimoniale, à moins que l’or irrésistible ne se trouve là pour les attirer, qui ne fuient à ce mot de vieille fille, comme si un plomb meurtrier menaçait de les atteindre; et n’est-il pas non plus beaucoup de mères qui ne souffrent toutes les douleurs à l’approche des vingt-cinq ans de leur fille, et n’imaginent mille innocents stratagèmes pour en cacher le plus longtemps possible la fatale connaissance au monde.
C’est à sa seconde époque que la vieille fille doit être observée. Plus tôt, le temps a manqué à la double action du célibat et du monde pour mûrir ce fruit social, lui donner toute l’âcre saveur que sa nature lui permet d’acquérir. Plus tard, beaucoup d’oppositions de couleurs se sont affaiblies et fondues sous un glacis général, ordinairement terne, froid, gris; beaucoup de différences se sont effacées: la vieille fille, en quelque sorte, est arrivée à l’état d’une médaille dont le frottement des siècles aurait usé les principaux traits. Souvent alors la pétrification du cœur s’est tellement complétée, qu’il est difficile de reconnaître la malheureuse créature qui ne s’usa que par le sentiment, d’avec celle qui n’aima jamais rien, ou ne but qu’à la coupe du plaisir.
A la troisième époque, la vieille fille considérée dans sa généralité, se ressemble partout. Deux ou trois coups de crayon et quelques teintes suffisent pour la reproduire à peu près complète.
A Vienne comme à Londres, à Paris comme en province, ce sont les mêmes ridicules et les mêmes défauts. Chez la majorité des vieilles filles de cinquante ans, mêmes prétentions plus grotesques les unes que les autres, mêmes minauderies sentimentales, mêmes poses de beauté de seize ans, même maintien de précieuse au regard louche, mêmes façons d’intolérante bigote, cachant sous un air hébété, ou de chat qui fait patte de velours, l’humeur la plus méchante, une passion aussi forte pour le sensualisme de la médisance que pour celui de la bonne chère. Ses bichons et ses perroquets ont ordinairement seuls la puissance de raviver une sensibilité qui paraît complétement éteinte. Acceptée comme un fléau, reçue comme une caricature, supportée comme une pénitence, elle provoque l’effroi, excite le rire, détermine l’ennui, et, dans sa forme de bigote surtout, se montre en toute circonstance une des plus favorites incarnations de l’égoïsme.
Variant selon son tempérament, son caractère, son éducation et les diverses causes de son célibat, la vieille fille offre à ses deux premières époques les plus grandes oppositions. Vue d’une certaine façon, on la proclamera un des symboles du progrès; prise d’un autre côté, elle apparaîtra comme un des fantômes du passé. Sur tel terrain, elle formera une corporation stupide; sur tel autre, une phalange intelligente. Dans le coloris de certains portraits on retrouvera quelques nuances rappelant cette célèbre hétaïre dont Aspasie en Grèce et Ninon chez nous furent les plus parfaits modèles. Au bas d’une esquisse représentant la vieille fille vouée au célibat, au travail et aux privations de toutes sortes pour soutenir une famille ruinée, une mère infirme, on écrira le cœur plein d’admiration «Nouvelle Antigone». Sur d’autres tableaux, reproduisant les tourments de son âme, retraçant ses traits prématurément flétris, disant le découragement de toute sa personne, se lira le poëme entier des douleurs de l’amour. Un teint bruni, une lèvre surmontée d’un duvet aussi noir que l’œil, des mouvements heurtés, l’humeur la plus orageuse, révéleront souvent la martyre d’une organisation que l’hygiène du célibat conduira à la catalepsie ou à la démence. Ici sa devise sera le plaisir, là l’étude. On la trouvera tantôt pyrrhonienne, tantôt crédule, matérialiste, spiritualiste, coquette, sentimentale; souvent à la fois l’une et l’autre, et, par exception, sans feu au cœur, sans électricité dans la tête, être anormal, nature fossile, elle échappera à toute classification. Dévote, elle se différenciera sur chacune des rives de la Seine, et sera beaucoup plus craintive au Marais qu’au faubourg Saint-Germain. Dans le quartier aristocratique, elle s’appuie sur ses titres héraldiques, titres quasi divins; c’est une alliée naturelle de l’Église, qui lui doit à perpétuité ses indulgences plénières et les honneurs célestes. La vieille fille, à sa dernière heure, peut répéter avec le même ton d’autorité, la recommandation que faisait en mourant une des filles de Louis XIV, la princesse Louise, religieuse au Temple:
«Vite, vite, qu’on me mène en paradis au grand galop.»
Sous d’autres aspects, elle n’apparaît pas non plus la même à la Chaussée-d’Antin qu’au faubourg Saint-Germain. Pauvre fille de la noblesse, elle est bien moins froissée dans son amour-propre de femme, bien moins triste à voir que pauvre fille de la finance, de ce monde de patentés millionnaires, à l’âme de granit, au cœur de métal, qui n’ont de regards que pour la fortune, et donnent à son célibat tous les caractères d’un ostracisme aussi humiliant que cruel. Grande demoiselle, elle est moins sombre, ou moins abattue: au-dessus du dédain par son beau nom, elle le défie, ou le rend avec usure. L’Allemagne est toujours prête à lui envoyer un brevet de pureté, à la décorer d’une croix de chanoinesse: hochet dont tout le monde peut rire, mais qui parmi les siens lui donne avec l’indépendance d’allures d’une femme veuve le titre flatteur de madame. Loin de la faire repousser, sa pauvreté ajoute souvent au contraire à la considération dont l’entoure sa caste. Pour être proclamée admirable, elle n’a qu’à se poser en martyre de ses parchemins. Toujours alors, ce qui parfois est vrai, quelque riche parvenu aura osé prétendre à sa main! aura osé espérer greffer la plus roturière postérité sur un arbre généalogique dont les racines s’enlacent et se perdent dans le berceau de la monarchie légitime. En redisant avec quelle indignation elle le repoussa, non-seulement elle se console et caresse même son orgueil féminin, mais elle s’assure, au besoin, toutes les immunités de son noble faubourg, trop au-dessus du vulgaire, trop rempli encore de ses traditions de Versailles, pour avoir jamais, dans aucun cas, le mauvais goût de lui demander plus qu’une vertu de surface.
Laissons aux amateurs du jadis, qui, comme certains damnés de l’enfer du Dante, ont le visage éternellement tourné à contre-sens, le privilége exclusif d’admirer la vieille fille de l’espèce séculaire. Paris ne la produit plus qu’en vertu de l’universelle loi, qui demande toujours au temps présent un peu de celui qui le précéda, au fils un peu du père, pour empêcher qu’il y ait jamais nulle part solution de continuité. Œuvre d’une éducation complétement fausse, absurde, atrophiante, cette nature de vieille fille, espèce de végétation blafarde, ressemble à ces mousses poussées loin des rayons du soleil, entre les fentes d’un sépulcre, au milieu d’un amas de ruines, et sentant le moisi d’une lieue; elle s’épanouit encore dans la plus grande partie des départements, mais elle ne se voit plus guère dans notre capitale, qu’aux environs de la place Royale, parmi les rares familles de bonne bourgeoisie, ou de petite noblesse, restées religieusement attachées à leurs traditionnelles façons d’être et de penser d’avant mil sept cent quatre-vingt-dix.
Entraînée dans la chute d’un édifice social vermoulu, hors de mesure avec le présent, l’Église croule de toutes parts sous les coups redoublés du tonnerre des révolutions prédestinées à accélérer sa chute: qui la soutient encore, qui en est à juste titre l’espoir et la consolation? C’est la vieille fille, façonnée plutôt pour la vie du cloître que pour celle du monde, à peu près unique et dernier jet des antiques croyances de ses pères.
Les mille manies dont cette vieille fille fut toujours riche, suppléèrent, dès son plus bas âge, avec tant d’avantage aux ravages du temps, aux stigmates de la goutte, de la paralysie, qu’elle parut aussi respectable à vingt ans qu’elle le sera à soixante.
Esclave née de certaines lois gothiques, ressuscitées pour elle seule, elle ne pourrait songer à les enfreindre sans compromettre à l’instant sa réputation. Ses sentiments, ses pensées, ses paroles, ses actions, ses gestes, sa pose, son costume sont, depuis sa naissance jusqu’à sa mort, invariablement réglés et stéréotypés à l’avance. Elle doit interdire à sa scrupuleuse virginité, telle coupe de robe, telle étoffe, tel pompon. Comme un enfant à la lisière, elle n’entrera dans un salon que suspendue aux côtés de ses parents. Mise en modeste première communiante, elle semble oser à peine lever les yeux, ne parle qu’en Agnès et n’agit qu’en automate. Plus délicate que la sensitive, elle se replie sur elle-même, au moindre mot, avant qu’on l’approche. Mélange de superstitions de toute nature, elle a peur du vendredi et du diable, craint les revenants, consulte les cartes, et regarde Voltaire et Rousseau, dont elle ne lut jamais une ligne, comme la désolation de l’abomination. En rapport avec son esprit resté en friche, ses talents brillent des délicatesses qui la caractérisent. Nul profane ne la verra se mettre au piano, et ne l’entendra jouer sans redire avec plus d’effroi que jamais le mot de Fontenelle: «Sonate, que veux-tu de moi!!» Ses intonations dans la romance, son triomphe! où elle distille le mieux tout l’opium de sa voix, suffiraient, si l’on ne connaissait les incohérences, les bizarreries et les infinies contradictions de notre double nature, pour faire juger qu’elle fut, est, et sera toujours la plus blanche des colombes, comme l’appelle son vénérable directeur.
L’histoire de son péché, quand péché il y eut, et que le secret en échappe on ne sait comment, se raconte en deux mots: ce fut une surprise du démon, surprise dans laquelle l’âme loin de faillir, demeura toujours complétement pure du sentiment qui, vingt ans après son malheur, derrière les murs du Paraclet et sous le cilice, régnait encore en maître sur le cœur d’Héloïse prosternée aux pieds des autels.
Sujet plaisant ou triste selon que l’observation est frivole ou sérieuse, cette espèce de vieille fille est étrangère à tout ce que l’univers matériel et immatériel, le monde de la pensée et celui du sentiment offrent de véritablement noble et sublime; elle prouve la déplorable puissance de certains principes, et montre à quel point ils peuvent enrayer l’intelligence et dessécher l’âme.
Il n’y a pas deux mois, qu’une de ces saintes créatures, l’orgueil du Marais, la plus infatigable fondatrice de chapelles, la meilleure pratique de la loueuse de chaises et la plus vigilante conservatrice des fines aubes de monsieur le curé, la plus assidue néophyte des retraites et des stations, en fournissait un nouvel exemple. Saisie tout à coup de la crainte de manquer son salut, elle s’enfuyait mystérieusement de la maison paternelle, ne laissant pour adieu que ce billet au vieux père dont elle était l’unique enfant, la seule joie, et qui l’avait mille fois conjurée de ne jamais l’abandonner, si elle ne voulait le tuer à l’instant:
«Mon père,
«Sous peine de perdre mon âme, je ne devais plus tarder davantage à obéir à notre Seigneur Jésus qui, vous le savez, m’appelait depuis longtemps au glorieux titre de son épouse. Pardonnez donc à votre respectueuse fille, bénissez-la toujours, et croyez qu’elle ne cessera de prier pour vous dans ce monde et dans l’autre.»
Depuis six semaines ce père infortuné ne souffre plus, il est mort!... mort dans les convulsions d’une cruelle agonie! mort en redemandant vainement à la revoir, à l’embrasser encore une fois; mort en faisant entendre avec son dernier soupir le dernier cri de sa tendresse, une dernière bénédiction pour l’enfant que son regard cherchait toujours.
Le type de vieille fille que le progrès burine le mieux, dont il est devenu la religion, qui le suit jusque dans ses voies les plus avancées, n’appartient pas communément aux natures qui se résignent, mais à celles qui se décident, à ces organisations fortes, pour lesquelles une détermination prise est un arrêt dont elles ont calculé et savent subir toutes les conséquences, qui de bonne heure virent, jugèrent le monde, se connurent, apprécièrent leur position et sentirent qu’afin de ne pas toujours marcher de douloureuses déceptions en douloureuses déceptions, elles ne devaient demander qu’à l’étude et aux arts, l’emploi de leur belles facultés, et ne donner qu’aux affections de famille, à la sainte amitié, tous les trésors de leur âme. Trop éclairées, trop justes pour ne pas faire une part convenable aux faiblesses et aux nécessités de positions, elles sont indulgentes et bonnes avec les femmes; sans fiel et sans haine avec les hommes. Vivant de préférence dans l’atmosphère élevée de l’art et de la liberté, enthousiastes du grand, du beau, du bon, comprenant tous les dévouements, elles fournissent des modèles d’amitiés parfaites.
Entrées courageusement à visage découvert dans leur vie de vieille fille, elles se consolent des vides du pâle et froid célibat par le sentiment de leur fière personnalité qu’auraient souvent blessée, dans une alliance de pure convenance, les vices de la constitution actuelle du mariage. Dès leur première époque, elles vont, viennent partout, appuyées sur leur seule force. Toujours naturelles, franches, au-dessus des sots préjugés, elles savent, dans l’occasion, se prêter aux plus folles allures d’une causerie de salon, sans cesser jamais de faire respecter avec un tact exquis les diverses délicatesses de leur nature, aussi éloignée de la pruderie qui caractérise la fausse vertu, que de l’effronterie qui signale le vice éhonté.
Production essentiellement parisienne, cette espèce de vieille fille, qui enrichit par ses plus hautes individualités nos musées de peinture et de sculpture, place son nom à côté de ceux des meilleurs rédacteurs de nos revues scientifiques et littéraires, fournit à l’enseignement les plus précieuses institutrices et aux enfants des riches de tous les pays les plus parfaites gouvernantes. En quelque lieu qu’elle soit appelée pour enseigner notre langue, notre littérature et nos arts, sur les rives de la Néva, aux bords de l’Adriatique, à Berlin, à Philadelphie, toujours digne fille de cette terre de France, que marque un sceau providentiel, partout elle sait accomplir sa tâche dans la mission nationale, élargir avec autant de zèle que d’intelligence les plus nobles voies du progrès.
Observée dans sa vie la plus intime, de vingt-cinq à trente-cinq ans, la vieille fille fournira sous sa forme sentimentale le sujet des plus touchantes élégies, et de nombreux drames dans lesquels les hommes auront toujours joué les rôles honteux. Sous cette forme, aimante comme la Julie de Saint-Preux, aussi dévouée, aussi faible, elle paya quelquefois une ombre de bonheur rapidement évanoui, avec les larmes et le désespoir de la fille déshonorée, de l’amante trahie, de la mère d’un enfant sans nom. Sous cette forme, elle est toujours la plus malheureuse des créatures, et le vide du cœur lui est aussi mortel que les perfidies de l’amour. Le dégoût, la consomption dévorent sa vie et parfois dénaturent si rapidement son caractère, que de sa première à sa seconde époque, il devient entièrement méconnaissable. A la foi vive a succédé le plus glacial scepticisme; le monde n’est plus à ses yeux que la plus monstrueuse réunion de tous les vices. Désolante à entendre, elle fait mal à voir. Sa mise négligée, son regard morne, ses traits altérés, son teint pâle, sa démarche dédaigneuse, le timbre sec de sa voix, indiquent le bouleversement de ses sentiments, l’agonie d’une tendre nature qui cependant résiste quelquefois aux coups du sort. Souvent alors, modèle de courage et de saint dévouement, âme incomprise, ou cœur blessé, elle vient sous l’habit d’une sœur de l’ordre de Saint-Vincent-de-Paule, vouée au service des pauvres et des infirmes d’une société qui la méconnut ou la martyrisa, lui rendre autant de bien qu’elle en reçut de mal.
La sentimentale de vingt ans, qu’une affreuse trahison devait prématurément désillusionner, fut quelquefois la douce chrysalide de la coquette de vingt-cinq. Celle-ci, insensible et rusée tacticienne, créée pour appliquer la loi du talion, rendre tromperie pour tromperie, tendre piége contre piége, vulnérable seulement dans sa vanité, ne souffre bien cruellement qu’aux approches de sa seconde époque. Elle est forte, fait la difficile, tant que les manœuvres de sa stratégie lui valent une apparence de succès, tant qu’elle croit fermement parvenir à prendre enfin un mari dans ses lacs, et arriver par lui à la haute position qui fut quelquefois le rêve de sa jeunesse et la cause de son célibat. Mais quand le marteau du temps sonne le glas funèbre de ses dernières espérances, ainsi qu’un chasseur acharné à la poursuite d’une proie qu’il voit sur le point de lui échapper, elle rappelle sa première vigueur, se donne mille fatigues, fait entendre tous les langages pour saisir celle qu’elle convoite. Poussant les plus gros soupirs, elle imite la colombe, feint l’innocente, ne parle plus de fortune, de rang, ne demande plus qu’un cœur et une chaumière, et promet tous les bonheurs, tous les dévouements au mortel quel qu’il soit, employé à 1,500 fr. ou Quasimodo, qui viendra poser sur son front jauni la symbolique fleur d’oranger.
Toujours parée, et souvent au prix de mille secrètes privations, surchargée de gaze, de fleurs, de panaches, de rubans aux couleurs les plus éclatantes, avide de soirées, de fêtes, elle reste sur la brèche tant qu’elle imagine faire encore illusion sur l’âge de ses attraits délabrés; mais un jour arrive, hélas! où le mari ne peut plus se prendre à la glu de grâces décrépites, songeant à s’envelopper de flanelle, à se mettre du coton dans les oreilles et des lunettes sur le nez. Dès lors la vieille fille offre le phénomène d’une soudaine et complète révolution. Du jour au lendemain, transformée en dévote, elle devient un dragon de vertu, se serrant la gorge à s’étrangler dans le fichu que la veille voyait encore entr’ouvert, et ne prêchant plus que le renoncement aux sataniques pompes du monde. Métamorphose qui devrait étonner, si l’on ne savait ce que la femme de quarante-cinq ans peut retrouver sur le terrain du confessionnal, au milieu d’un nuage d’encens et dans un favorable clair obscur.
La vieille fille de la plus abondante variété, celle que la conquête du jour consola toujours de la perte de la veille, parut souvent pendant sa première époque une énigme sans mot. Nature mixte en oscillation perpétuelle, elle dut en bien des circonstances dérouter l’observateur et mettre le jugement en défaut. Moitié coquette et moitié sentimentale, moitié calcul et moitié dévouement, moitié mensonge et moitié vérité, moitié trompeuse et moitié trompée, elle commença quelquefois par le scepticisme et finit toujours par la crédulité.
Plus elle s’éloigne de l’âge de plaire, plus son cœur et sa vanité semblent s’entendre pour s’aveugler mutuellement. La regarder fixement sans rire, l’écouter longtemps sans bâiller, sont deux choses à peu près également impossibles. Passionnée pour la littérature sentimentale, un volume de roman à dévorer le soir avant de s’endormir, lui est aussi indispensable que sa tasse de café au lait le matin en s’éveillant. Dix fois, au besoin, elle relira le même ouvrage, sauf cependant Lélia, qui, selon elle, n’est que l’œuvre indigeste et mortelle d’une imagination en délire.
Les tristes passions que les outrages du célibat ont fait germer en elle, grandissent surtout d’une manière effrayante à l’arrivée de ses trente-cinq ans, vieillesse de sa vie; car, stérile branche de l’arbre humain, la vieille fille se trouve fatalement privée de cette sorte de seconde jeunesse, dont la nature ne gratifie que la femme ayant rempli sa destinée.
Rongée d’envie comme la coquette, Caligula féminin, tourmentée du regret de ne pouvoir d’un seul coup remplir de défauts, enlaidir, vieillir toutes celles qu’elle sait jeunes, belles, spirituelles, aimées, elle éprouve presque des convulsions d’épileptique à la vue de nouveaux et heureux époux. Jeunes filles, redoutez-la, car ses paroles sont horriblement corrosives, craignez surtout de lui faire connaître l’objet aimé, non qu’elle puisse réussir à vous enlever son cœur, mais parce que son langage au moins perfide, s’il n’est calomnieux, mettra cruellement en relief vos petits défauts.
Elle est de toutes les femmes celle qui, généralement, s’identifie le mieux avec son âge de convention. Surprenez-la dans le plus disgracieux négligé: le matin, au moment où, venant d’achever la toilette de son chat, elle prépare la sienne, et vous en aurez une idée. Oubliant qu’elle pose devant vous presque in naturalibus, que sa cornette ou son foulard cachent mal des tempes creusées et rayées par les années, fille de quarante-cinq ans, elle vous dira encore du ton le plus convaincu, en vous lançant un regard bien sentimental: «Figurez-vous que j’en ai déjà vingt-huit.» Presque sexagénaire, elle s’écriera: «Je ne suis pas précisément vieille, cependant à trente-neuf ans on n’a plus de prétentions.»
Aussi ardente à la poursuite d’un mari, aussi alerte à tendre ses piéges matrimoniaux, mais, par suite de sa double cécité, bien moins adroite que la pure coquette, elle est exposée à de beaucoup plus lourdes chutes. Une banalité jetée encore par pitié à son oreille et qui vantera sa fraîcheur de feuille morte, peut lui donner le vertige. Un dérisoire serrement de main peut la convaincre que l’amour, en style d’épithalame, lui amène enfin l’hymen. Une épître bien remplie de points d’exclamation, qu’un dernier venu sans consistance aura mise à son adresse dans un moment de désœuvrement, suffira pour paralyser tous ses principes de prudence et de sagesse, tous ses scrupules de dévote et toutes ses craintes de l’enfer... Dans ce dernier cas, le jour du rapide abandon arrivé, si elle n’imagine devoir faire honneur de son célibat à une fidélité promise, à la froide cendre d’un cœur dont elle affirmerait avoir été l’unique passion, elle se pose en intéressante victime de l’inconstance. Clarisse de trente-cinq ans, elle arrange l’histoire de la séduction d’un Lovelace de vingt-quatre, de façon à y trouver un petit triomphe pour son amour-propre de coquette. Aux amies qui malheureusement en connurent toutes les péripéties, et sourient en l’écoutant, elle dit et redit d’une voix vibrante de vanité, aux jeunes et jolies surtout:
«Que mon exemple vous apprenne à vous défier des serments d’amour, car jamais femme n’en reçut de plus brûlants, jamais peut-être autant de témoignages d’idolâtrie ne furent prodigués à la plus belle, jamais séduction plus savante, plus irrésistible!...»
Après ce dernier et cruel épisode de sa vie d’espérance, la nouvelle Clarisse se voit presque toujours obligée d’aller passer quelques mois à la campagne pour y retrouver une santé momentanément perdue par le chagrin. Au retour, on ne la croirait plus la même personne. Devenue humble et doucereuse, elle se met dans l’ombre, et n’attaque plus qu’avec le ton de l’indulgence les réputations qu’elle veut ternir. Mais peu à peu les tristes souvenirs s’effacent et le naturel de la vieille fille reparaît modifié cependant par l’exercice de la charité. Alors on la voit supporter avec une angélique patience tous les méchants caprices d’un pauvre orphelin qu’elle dit avoir juré sur le lit d’une mourante de ne jamais abandonner, et qui lui ressemble tellement qu’on l’en croirait la grand’mère.
Égarée par une imagination de feu, entraînée par son cœur, enveloppée dans les réseaux d’une irrésistible séduction, poussée par les rigueurs du sort, stimulée par des instincts de coquetterie, des besoins de locomotion, la vieille fille du dernier type dont l’esquisse puisse entrer dans notre cadre, et que nous appellerons demi-hétaïre, sortie en grande partie de la province, est venue jeune à Paris. Rarement elle y apporta la première fleur de sa couronne de vierge; souvent elle n’y fut amenée que pour cacher sa première souillure, pleurer son premier abandon, trouver sa première consolation, saisir les moyens de rentrer dans sa ville natale, heureuse, triomphante et purifiée par le mariage. Le premier acte du drame de sa vie d’amour finit fréquemment à dix-huit ans par un enlèvement, et son dénoûment à quarante-cinq par une déclaration de principes, aussi peu charitables que rigides. Nature généralement malléable, elle prit vite les principales empreintes du monde parisien, appartenant à tous les rangs, réunissant tous les caractères, superstitieuse comme la vieille fille du passé, intrépide comme celle du progrès, dévouée comme la sentimentale, flottante comme la demi-coquette, savante comme la coquette.
Quelquefois, dès son sixième lustre, elle s’est jetée avec sincérité dans le mysticisme; souvent, à son neuvième, elle se montre encore véritable épicurienne. Toujours convive exacte au banquet offert à la jeunesse, à la beauté, par la nature et le monde, jamais elle ne le quitte avant d’avoir bien savouré tous les plaisirs, toutes les extases de la passion. Néanmoins elle tient autant que possible à sauver les apparences, ses manières réservées sont, même dans certains cas, entachées de pruderie. Au besoin, elle se dit veuve; le mari dut être alors quelque brave capitaine tué à Constantine; d’autres fois il n’a pas cessé de vivre, joueur incorrigible, après avoir perdu la plus belle fortune, il s’est enfui on ne sait où: en Égypte, à Lahore. Le séducteur ou l’amant demeurent toujours cachés sous un nom d’oncle ou de cousin. Parfois l’éclat forcé et le nombre de ses amours, loin de l’empêcher de sortir jamais de sa corporation, semblent lui avoir procuré les moyens de finir par un meilleur mariage, qui seul peut lui obtenir cette estime d’un monde dont la morale ne se calque guère sur les principes de l’éternelle justice.
Maintenant un dernier regard sur la vieille fille accablée d’années, mourant, comme elle a dû vivre, dans le plus cruel isolement, descendant tout entière dans la tombe, ou ne laissant qu’un souvenir de honte. Quel spectacle! Ici plus de côté plaisant, plus d’ironie possible, plus de reproche permis, mais de tristes réflexions, qui font saigner le cœur et nous ramènent à dire en terminant cet article, que quelle qu’ait été sa jeunesse, à quelque catégorie qu’elle appartienne, indulgence et pitié sont dues à celle qui, avec tant et de si justes raisons, pourrait récriminer contre la société qui la créa et n’a pas su faire une loi pour la protéger.
Marie d’Espilly.
LE DÉFENSEUR OFFICIEUX
EN JUSTICE DE PAIX.
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Paris est une vaste ruche dans laquelle d’infatigables abeilles travaillent jour et nuit à entasser des richesses, dont une grande partie nourrit un essaim nombreux de guêpes voraces et paresseuses. Si les rapines de ces dernières s’exécutent facilement, c’est qu’entre les abeilles et les guêpes parisiennes il n’existe pas la même différence qu’entre celles des champs.
Combien y a-t-il en effet à Paris de ces individus, dont l’existence est un problème pour tous, qui aux yeux de la foule sachant se revêtir d’un caractère honorable, allant et venant sans cesse d’un air affairé, semblent travailler, mais ne travaillent réellement qu’à tirer bon parti de la gaucherie ou de la crédulité de leurs concitoyens laborieux. Du reste leurs menées plus ou moins adroites ne sauraient échapper à l’œil de l’observateur: à ce dernier donc appartient le soin de les signaler.
Tous ces hardis parasites n’exploitent pas le même côté de la confiance publique. Il en est une classe remarquable par ses mœurs, sa vie nomade et son adresse, qui ne doit son existence qu’à l’ignorance des débiteurs et des créanciers, ou à la mauvaise foi des chicaneurs: nous voulons parler de ces avocats de justice de paix, connus sous le nom de défenseurs officieux.
Le nombre de ces hommes d’affaires, extrêmement minime il y a dix ans, s’est augmenté graduellement avec la langueur du commerce. Le soleil de juillet, dont les rayons régénérateurs devaient produire de si heureux effets, n’a servi qu’à faire éclore une nouvelle couvée de ces obscurs oiseaux de proie.
Désespérant d’être officier ministériel, enhardi par les succès de quelques-uns de ses confrères, un jour un clerc d’huissier adresse à son patron et à son étude un adieu forcé ou volontaire. Il loue à Paris, ou dans un des villages circonvoisins, un logement au plus bas prix possible, garnit une pièce d’une table noire et de trois chaises, fait barbouiller sur sa porte ce mot: Étude, se donne dans ses lettres et sur ses cartes de visite le titre pompeux de jurisconsulte, et le voilà défenseur officieux en espérance.
Dès lors il passe dans les justices de paix le temps entier des audiences, s’immisce dans toutes les discussions particulières des plaideurs qui attendent l’appel de leur affaire, donne son avis, propose ses services; enfin remue ciel et terre pour trouver une cause à défendre.
Le défenseur officieux est facile à reconnaître à sa voix mielleuse et insinuante, à son chef toujours couvert d’un chapeau qu’il a payé 5 francs. Il porte un habit dont la couleur échappe à l’œil, mais qui le plus souvent a dû être noir, et sa main, garnie d’un gant gris ou de filoselle brune, caresse amoureusement un jabot fané et parsemé d’étoiles jaunâtres qui attestent de la part de son propriétaire un fréquent usage de tabac en poudre.
Son bras est en tous temps et en tous lieux chargé d’une énorme liasse de pièces de procédure, flanquée d’un gros Neuf Codes in-octavo. Ce sont ordinairement les seuls papiers qui garnissent ses cartons et le seul livre dont se compose sa bibliothèque. Il marche toujours vite et d’un air fort occupé. A le voir aussi sérieux au milieu du fracas perpétuel de Paris, vous le prendriez pour un homme accablé d’affaires. Point du tout. Il est chargé de faire condamner un débiteur qui ne conteste pas la demande que lui intente son créancier. Il prépare à cet effet un superbe plaidoyer dont il ne se souviendra plus à l’audience, fait la recherche des articles de la loi sur lesquels il doit se fonder, et pose ses conclusions d’un air victorieux. Puis, quand il est arrivé à l’éternel: en conséquence requérons que le sieur... soit condamné... etc., il passe sur son front un foulard à 24 sous, promène fièrement sa vue sur les passants, et se récompense de ses efforts d’imagination en logeant dans ses parois nasales une large pincée de tabac.
Si les caprices atmosphériques, la chaleur et la longueur de la marche ne vous rebutent pas, suivez-le, je vous prie, jusqu’au prétoire qui doit retentir des foudres de son éloquence, et là, vous pourrez bâiller à loisir, si, toutefois, vous ne haussez les épaules devant les petitesses et le dégoûtant égoïsme dont le tableau se déroule à vos yeux; car vous serez initié aux mystères d’une foule de misérables affaires dont il est déplorable de voir s’occuper des gens raisonnables. Puis vous entendrez le défenseur officieux donner les preuves de la plus brillante faconde pendant au moins cinq minutes sans reprendre haleine et sans avaler la moindre cuillerée d’eau sucrée.
Il exerce habituellement son talent oratoire dans les salles d’audience des douze arrondissements de la capitale, ou dans celles des chefs-lieux de canton de la banlieue; il préfère cependant ces dernières, où la simplicité des plaideurs offre à ses spéculations un appât plus facile et plus certain.
Dans le voisinage des tribunaux de paix se trouvent plusieurs cabarets; c’est là que les jours d’audience, une grande partie des plaideurs vient attendre l’arrivée du juge. Suivons-y le défenseur officieux; car c’est dans une de ces buvettes qu’il entre d’abord. Prenez un tabouret, accoudez-vous avec indifférence sur une table et examinez.
Déjà plusieurs défenseurs sont arrivés. En voici deux entre lesquels s’agite une question de droit. Ils gesticulent, feuillettent leur code, crient, se rient réciproquement au nez, et finissent par se tourner le dos. Un autre parcourt gravement des pièces que vient de lui confier un plaideur. Un troisième est entouré d’un groupe de personnes qui l’écoutent respectueusement pérorer. Si quelqu’un arrive et demande son nom; un des auditeurs se penche à l’oreille du nouveau venu, qui écarquille les yeux, et fait un léger hochement de tête admiratif. Ce défenseur est ordinairement le plus bavard et le moins instruit, et pourtant c’est celui qui jouit de la plus grande réputation. Celui que nous avons suivi entre en saluant humblement, car le défenseur officieux est d’une grande politesse avec tout le monde (politesse qu’il porte au plus haut point avec les gendarmes et le commissaire de police du quartier) et d’une excessive aménité avec ses confrères qu’il n’interpelle jamais sans précéder leur nom du terme: maître, consacré au barreau. Voyez avec quelle affabilité il presse la main de chacun d’eux, avec quelle touchante sollicitude il s’informe de leur santé; puis tout à coup sa physionomie riante devient sérieuse, il parle d’une affaire importante dont on lui a confié la gestion, d’un rendez-vous qu’il a eu avec un avocat distingué (que, par parenthèse, il n’a jamais vu), de la certitude de son succès, des honoraires immenses dont il sera gratifié, et de l’honneur qui rejaillira sur son nom. Cependant un homme se lève, s’approche de lui, et demande bas, bien bas, s’il serait possible de lui dire deux mots. Le défenseur officieux, voyant que l’interlocuteur a besoin de lui, se rengorge, tousse, caresse son menton, et entraîne sa pratique dans un angle de la pièce. Le nouveau client expose le motif de sa demande d’un air piteux et en tournant entre ses doigts ce qui lui sert de coiffure. C’est un débiteur malheureux cité pour l’audience du jour et qui voudrait obtenir un délai quelconque. Le défenseur l’écoute d’un air capable, lui promet, avec l’assurance d’un oracle, de lui faire accorder ce qu’il désire, et se fait préalablement consigner ses honoraires. Le malheureux, rassuré sur son avenir, les donne sans hésiter, et offre à son avocat un verre de vin. Celui-ci rejette la proposition sous prétexte qu’il n’a pas déjeuné. On comprend fort bien où veut en venir notre homme. Son client se laisse prendre au piége; il ajoute à l’offre du liquide celle d’une côtelette que le défenseur refuse d’abord avec dignité, mais se détermine enfin à accepter. On dresse la table. Il faut boire en mangeant: on sert une bouteille de vin, puis une autre. Un seul plat ne suffit pas; le défenseur en demande un second et du dessert, car il est comme les amoureux de quinze ans: il mange vite et longtemps. Le client, que son affamé défenseur ne cesse de louer sur la validité des raisons qui le mettent dans la nécessité de demander terme et délai, parle avec chaleur et oublie de prendre la moitié du repas; distraction dont profite admirablement son commensal.
Puis quand l’heure annonce que l’audience va commencer, chacun se lève, et, semblable à Gil Blas, le pauvre plaideur paie largement un déjeuner qui certes ne lui donnera pas d’indigestion. Mais il ne murmure pas; car il n’est point de sacrifice qu’il ne fasse pour obtenir le délai qu’il désire. Il s’avance donc à la barre l’estomac léger, mais le cœur plein d’espoir, et, malgré les supplications du défenseur qui l’assiste et qui expose, avec une somme de chaleur égale à celle du vin qu’il a bu, la position malheureuse de son client, il entend, avec douleur, rejeter sa demande que ne motive rien de juste aux yeux du juge.
S’agit-il d’une affaire plus importante, le défenseur officieux, au milieu du silence de l’auditoire, fait sortir de sa bouche un torrent de phrases incohérentes parsemées de grands mots et festonnées d’arrêts de la cour de cassation. Il invoque Pothier, Sirey, Delvincourt, qu’il n’a jamais lus, combine au hasard tel article de la loi avec tel autre; puis il gesticule, frappe sur la barre, et quand il a formulé ses conclusions, il toise avec assurance son confrère adversaire qui l’a écouté avec un air de supériorité dédaigneuse et s’est posé devant lui comme un Spartiate aux Thermopyles.
L’audience terminée, l’agent d’affaires retourne à sa buvette qui lui sert de cabinet de consultation. Il dit hautement beaucoup de bien de lui-même et beaucoup de mal de ses confrères absents. Il passe en revue les principales questions qui ont été agitées à l’audience, les commente et les discute avec emphase. S’il a triomphé dans une affaire, il loue la justice de l’arrêt; s’il a succombé, ses poumons n’ont pas assez de force pour proclamer l’ignorance et l’iniquité du juge. Il met facilement un de ses clients à contribution d’un dîner, pendant lequel sa conversation n’est qu’une longue protestation d’amitié au milieu de laquelle il brode son histoire le plus habilement possible. A l’entendre, il a été avoué ou huissier en province; mais sa femme infidèle l’a abandonné, nantie de l’avoir commun; ou un clerc, abusant de sa confiance, a disparu en lui emportant des sommes immenses; ou bien encore il était avocat, et la jalousie de ses confrères ou l’injustice du conseil de discipline de l’ordre l’a fait rayer du tableau. Puis, versant des larmes sur ses prétendus malheurs passés, d’une main il essuie ses yeux, et de l’autre tend son verre au client. A chaque minute il consulte l’horloge et prétexte un rendez-vous qu’il ne peut manquer; ce qui ne l’empêche pas de rester quelques heures de plus.
Il est quelquefois accompagné d’un homme qu’il nomme son maître clerc; véritable Bertrand au fond et dans la forme, qui le suit pas à pas, porte ses dossiers, vit des débris de ses repas et hérite de ses vieilles hardes. Espèce d’être inorganique sans cesse attaché au défenseur officieux et qui n’existe que par juxta-position.
Le défenseur officieux est rarement marié, mais il possède presque toujours une femme. C’est assez ordinairement une cliente malheureuse, qui ne peut payer les services que lui a rendus le défenseur officieux, qu’en se constituant son esclave la plus humble et la plus soumise. Elle est chargée de cirer les chaussures de son seigneur et maître, de consigner sur un calepin, en son absence, les noms des rares visiteurs, et de procéder à l’achat et à la préparation des denrées journalières. C’est toujours en son nom que, par mesure de sûreté, le défenseur officieux loue son logement, en paie le loyer et fait ses marchés les plus importants. Pour prix de son dévouement, il l’expulse au bout de plusieurs mois, et la remplace par une autre qui plus tard, à son tour, éprouvera le même sort.
Le défenseur officieux ne s’occupe pas seulement de représenter ses clients devant messieurs les juges de paix; il débat les intérêts des créanciers dans les faillites, ceux du failli lui-même; il rédige des baux, des actes de société, de vente ou d’achat de fonds de commerce, et formule des exploits de procédure qu’il donne à signer à un huissier qui lui fait une forte remise. Il se charge aussi d’amener à réconciliation des époux en désaccord ou un père et un fils brouillés. Enfin il est tout à la fois avocat, notaire, huissier et juge de paix.
Si, à l’aide d’économies, il parvient à garnir sa caisse de quelques centaines de francs, il connaît fort bien les moyens d’utiliser son argent de la manière la plus productive: il achète de bonnes créances à bas prix, escompte des valeurs à un taux fort élevé, prête à usure, spécule sur la détresse d’un héritier présomptif. Il décuple ainsi en fort peu de temps son avoir.
Il descend un étage à mesure qu’il s’élève dans le sentier de la fortune. C’est alors que notre homme commence à occuper une position dans le monde; il étend le cercle de ses connaissances, fréquente les spectacles à l’aide de billets que lui donnent ses clients, se fait incorporer dans une compagnie de la garde nationale, et s’abonne au Gratis, à l’Estafette ou à la Presse. Puis son intérieur change d’aspect. Les lambris de son cabinet, jadis nus, se couvrent de gravures encadrées; il a une bibliothèque, un tableau horloge, des bronzes, des lampes Carcel, un encrier-pompe Boquet; que sais-je? enfin, tout ce qui peut faire supposer au public la présence de l’aveugle déité. Il devient alors agent d’affaires.
Il ne fréquente plus, que pour les procès importants, les tribunaux de paix, théâtres de ses premiers succès, où il envoie pour les affaires ordinaires un de ses clercs faire son stage de défenseur officieux.
Le défenseur officieux, surtout quand il est arrivé à cet état prospère, qu’il ne doit le plus souvent qu’à l’emploi de moyens peu délicats, est l’objet de l’aversion d’une foule de malheureux débiteurs confiants, sur lesquels il s’est attaché comme une sangsue et dont il n’a fait qu’augmenter l’embarras. Il est en général mal vu des officiers ministériels, et particulièrement haï des huissiers auxquels il fait une guerre incessante et qui, pour cela même, se croient dans la nécessité de le ménager.
Deux ou trois sur cent parviennent ainsi parfois à amasser quelques mille livres de rentes; ils vendent alors leur clientèle, louent un appartement à Paris et un pied à terre à la campagne, et n’en continuent pas moins à faire des affaires. La chicane est leur vie, leur bonheur; ils mourraient le lendemain du jour où ils cesseraient de barbouiller du papier timbré et de déchiffrer les hiéroglyphes des pièces de procédure.
Tous les autres végètent pendant un temps plus ou moins long, alimentés par le gain que leur procure leur intervention dans une foule de petits procès qu’ils ont intérêt à prolonger. Ils changent tous les six mois de domicile, ne paient point de contributions et n’endossent jamais l’uniforme civique. Souvent ils disparaissent du monde pendant quelque temps, soit qu’ils aient eu des démêlés avec la justice, soit que la main vengeresse d’une de leurs victimes les ait envoyés à l’hôpital; puis ils reparaissent et disparaissent encore. Enfin, leur nom, leur personne et leur domicile tombent tout à fait dans le domaine de l’inconnu.
Riche ou pauvre, le défenseur officieux, dont la vie n’a été qu’un long procès avec ses débiteurs et ses créanciers, avec les débiteurs et les créanciers de ses clients, avec son propriétaire, avec les huissiers et les gendarmes, est enfin cité, un beau matin, à comparaître devant le tribunal de la justice divine, où ses malheureux clients n’auront plus besoin, Dieu merci, de son ministère!
Émile Dufour.
L’USURIER.
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L’argent est-il une marchandise ordinaire, ou doit-il être soumis à un tarif comme les choses les plus indispensables de la vie? C’est là une question trop grave pour que je ne laisse pas à d’autres le soin de la résoudre; mon but est seulement de peindre le caractère, les habitudes, les ruses de cette classe d’hommes qu’on nomme usuriers; espèce de vampires sans cesse en arrêt sur nos fredaines, et toujours prêts à sucer notre bourse, en nous étourdissant par le bruit des plaisirs, comme la terrible chauve-souris d’Amérique suce le sang du voyageur assoupi en l’endormant avec le frémissement de ses ailes. A vingt ans, nous assistons à la vie comme à un somptueux banquet dont le roi est le plaisir; et nous ne voyons pas les laquais qui nous servent, rire tout bas de nos folies et compter d’avance le profit qu’ils retireront de notre ruine..... L’usurier est notre intendant à cet âge; c’est lui que nous chargeons de nos affaires: à lui le soin de nous fournir des fonds; à lui la corvée de répondre à nos créanciers, et nous allons de la sorte sans regarder en arrière, jusqu’au moment où il demande à nous rendre ses comptes. Alors, malheur à nous! s’il nous abandonne, c’est qu’il ne nous reste plus rien qui puisse tenter sa cupidité.
Il y a une grande différence entre l’usurier de Paris et l’usurier de province, quoiqu’ils emploient à peu près les mêmes moyens pour arriver au même but. L’usurier de province est presque toujours un vieux bonhomme retiré des affaires, qui, après avoir passé trente ou quarante années de sa vie à ramasser une cinquantaine de mille francs, vit tranquillement avec son petit pécule qu’il sait faire fructifier, et qui lui rapporte 5 ou 6,000 livres de rente, quelquefois plus. Ce bon rentier est surtout un des habitués du café le plus suivi de la ville, car c’est au café qu’il établit presque toujours le siége de ses exploits. Dans les villes de province, où l’existence est si monotone, le café est en effet le seul refuge contre l’ennui; c’est un lieu de rendez-vous, c’est là qu’on vient chercher les nouvelles du jour.—Les fils de famille, qui pour la plupart n’ont rien à faire, y passent la plus grande partie de leur journée à fumer, à boire; on y joue des objets de consommation, puis de l’argent, et, lorsque les pièces de cent sous tarissent, on a recours d’abord au maître de l’établissement, ensuite aux amis, et enfin à des gens d’un âge respectable, à ces vieux habitués qui ne jouent pas, mais qui regardent jouer, et donnent souvent leur avis... Lorsqu’un jeune homme se trouve pressé par le besoin d’argent, qu’il crie misère, le vieillard RESPECTABLE, autrement dit, l’usurier, s’empresse de le consoler.
«Vous devez, lui dit-il, cent écus au limonadier, et 200 francs à vos amis; que cela ne vous tourmente pas; je sais ce que c’est, j’ai été jeune aussi; venez demain matin chez moi...»
Le lendemain vous courez au rendez-vous; au lieu de 500 francs dont vous avez besoin, on vous en donne 600, pour que vous ayez 100 francs d’avance, vous faites un simple billet, avec intérêt à cinq pour cent par an; et vous rentrez chez vous tout émerveillé d’une probité si grande, et prêt à chercher querelle à quiconque vous dirait qu’il existe des fripons... C’est qu’en effet, sauf le billet et l’intérêt qui est on ne peut plus légal, un père ne ferait pas mieux les choses... Insensé! vous ne voyez que l’amorce, et vous ne prenez pas garde à la pointe d’acier qu’elle recouvre.
Content, joyeux, comme au jour où vous êtes sorti du collége pour n’y rentrer jamais, vous marchez sans crainte, sans regret; les dépenses succèdent aux dépenses, les folies aux folies; les finances deviennent rares, les amis sont aussi gênés que vous; mais qu’importe, pourquoi s’alarmer, l’honnête homme n’est-il pas là? sa bourse vous est ouverte. Depuis six mois vos dépenses ont augmenté à cause de la facilité que vous avez à vous procurer de l’argent, vous allez trouver votre PROVIDENCE.
«Mon brave monsieur, lui dites-vous, je suis dans une position très-embarrassante, et j’ai recours à votre bonté pour me tirer d’affaire.
—Et de quoi s’agit-il? vous répond-il bonnement.
—J’ai besoin d’un billet de 1,000 francs.
—Diable, diable, mon jeune ami, prenez garde, vous allez bien vite, vous dit-il avec un air d’intérêt.
—Ah bah! mon père est riche... répondez-vous... voyons... rendez-moi ce service.
—Vous faites de moi tout ce que vous voulez.»
Votre providence vous fait alors signer l’arrangement que voici: vous devez déjà 630 francs; car on ne revient pas sur le premier billet, quoiqu’il ne date que de six mois, et que les intérêts aient été stipulés pour un an; les 1,000 francs que vous recevez, auxquels on ajoute le montant du billet, plus 100 francs qu’on vous donne pour que vous soyez un peu en avance, tout cela fait bien 1,730 francs. Mais comme les fractions sont ennuyeuses dans le calcul, et que d’ailleurs il y a des intérêts, on vous propose d’arrondir la somme, et vous signez bravement un billet à ordre de 2,000 francs. Jusqu’ici vous pouviez encore vous sauver en avouant à votre famille des fautes qu’elle pardonne toujours, et c’est ce que l’usurier craignait, c’est pour cela qu’il a gardé des mesures avec vous; mais quand vous aurez de nouveau recours à lui, ce ne sera plus pour une petite dette de 500 francs, qu’un ami, un parent pourrait vous prêter; mais pour des sommes de 4, 5, 6,000 francs, et jamais vous n’oserez en faire l’aveu à votre père. Alors l’usurier vous tient dans ses griffes: à chaque nouveau prêt, ce sont des renouvellements, et à chaque renouvellement faute de paiement, ce sont des intérêts énormes; et puis les lettres de change ont succédé aux simples billets, et aux billets à ordre, la dette grandit d’une manière effrayante, et si vous vous permettez des observations, on vous dit d’un grand sang-froid:
«Payez, si vous n’êtes pas content?»
Que répondre à un tel argument? L’usurier sait trop bien que, lorsqu’un jeune homme en est arrivé là, il ne peut pas rembourser, et qu’à l’avenir il sera toujours forcé de se soumettre à ses exigences. Aussi au bout de huit ou dix ans, le malheureux doit 40 ou 50,000 francs à un homme qui ne lui en a réellement prêté que 10 ou 12,000; et lorsque ses parents viennent à mourir, il est forcé de vendre leurs biens, ou l’usurier les fait vendre par autorité de justice.—Et voilà de ces plaies que rien ne peut guérir; nos lois sont impuissantes contre l’adresse de ces misérables.
L’usurier qui spécule sur le plaisir, qui ruine des jeunes gens riches, est certainement bien coupable; mais ces loups dévorants qui profitent de la misère pour s’enrichir, oh! ceux-là sont hideux; car ils sont plus cruels que les sauvages qui vivent au désert, eux qui sont sans pitié, et qui vivent dans un monde civilisé... Combien ne voit-on pas dans nos provinces, de ces gros paysans, un bâton noueux à la main, la taille serrée dans une ceinture de cuir remplie d’or, courir les foires, les marchés, pour faire leur offre de services; et quels services, grand Dieu! Un pauvre cultivateur regarde-t-il d’un œil d’envie deux belles têtes de bétail:
«Voilà de la belle marchandise, mon brave homme, lui dit l’officieux.
—Oh! oui, monsieur, répond le confiant cultivateur, et ça me conviendrait assez, à moi qui ai perdu tous les miens par la maladie.
—Pourquoi ne les achetez-vous pas?
—C’est l’argent qui manque, dit le pauvre laboureur en baissant les yeux.
—Mais vous ne pourrez pas labourer, reprend l’autre. Tenez, moi, j’ai pitié de votre peine, et si vous voulez...»
Et l’usurier profite de la nécessité où se trouve ce malheureux pour lui prêter 20 ou 25 louis, à la condition qu’il lui en rendra 25 ou 30 après la moisson... Lorsqu’à l’échéance on ne paie pas, l’infâme arrive la lettre de change à la main, et menace de faire tout saisir; si le malheureux a un champ ou une vigne, le champ ou la vigne devient la proie de l’usurier; et s’il n’a que ses instruments de labour, ils sont vendus sans pitié, et le fermier est réduit à la misère.
L’usure est encore chez nous un mal qu’il sera bien difficile de guérir, en province surtout, où tout se passe dans l’ombre, le mystère, où l’usurier est sinon l’ami, du moins presque toujours la connaissance intime de celui qu’il dépouille; et il ne fait pas d’étalage, il se plaint sans cesse, accuse la misère du temps, et paraît de plus en plus pauvre, à mesure qu’il s’enrichit... En un mot, l’usurier de province est honteux... Mais à Paris, quelle différence!
Ici ce n’est pas l’aspect d’une fortune médiocre, ni une basse hypocrisie, qui sont la règle de conduite de l’usurier, c’est par le luxe, l’audace, l’aplomb, l’insolence, qu’il mène sa barque. Chaque jour on peut voir au bois de Boulogne un délicieux tilbury traîné par un grand cheval cendré, que conduit un homme encore jeune, quoique déjà sur le retour, perché sur trois coussins, à côté d’un groom imperceptible; eh bien! cet homme qui manie avec tant d’élégance un fouet en corne de rhinocéros, qui jette au vent la fumée de son cigare avec tant de poésie, qui est toujours monté sur vernis, ne porte que des gants jaunes et des chapeaux Gibus; eh bien! la fortune de cet homme, qu’on croirait millionnaire, ne va pas au delà de 400,000 francs; et pourtant il a les bonnes grâces d’une dame de l’Opéra qui lui en coûte 20,000; il ne dîne qu’au café Anglais, ou au café de Paris; il a un appartement somptueux dans la rue Saint-Lazare, et.....
«Mais, dira-t-on, cet homme est sorcier.
—Non, mais il fait l’usure.»
Oh! qu’est devenu le bon temps où l’on faisait traiter ces sortes d’affaires par des laquais, où l’on faisait bâtonner un usurier insolent? Aujourd’hui, c’est la tête découverte et le sourire sur les lèvres qu’il faut aborder ces messieurs, et bien heureux nous sommes quand ils daignent nous rendre notre salut. Voilà les bénéfices de l’égalité... Mais revenons à notre lion... je dis lion, car l’usurier de Paris est presque toujours un lion des plus féroces, un merveilleux plus orgueilleux qu’un marquis ruiné, et plus fat qu’un parvenu. Les lions de nos jours sont pour la plupart des braves garçons qui ont le tort de vouloir faire constamment de l’effet; ils s’admirent, ils se trouvent beaux, eh bien! c’est un travers qu’on peut facilement leur pardonner; qui de nous n’a pas son travers? Et puis, ce sont ordinairement des jeunes gens riches qui savent la vie, la mènent voluptueuse et brillante, et finissent par devenir d’excellents maris. Mais l’usurier grand seigneur est l’être le plus insolent que je connaisse, surtout envers les gens qui sont forcés de recourir à son industrie. Une chose digne de remarque, c’est que, lorsqu’un jeune homme s’adresse pour un emprunt à un de ces hommes d’une probité plus ou moins suspecte, il n’arrive jamais à lui avec l’assurance que donne la conscience d’une bonne action; c’est presque en tremblant qu’il lui parle, il a l’air d’implorer sa pitié; et c’est là sans doute ce qui a donné à l’usurier de haut étage un air d’impertinence et de protection qui ne le quitte jamais. Tant il est vrai que, lorsque le besoin nous presse, nous nous faisons les très-humbles serviteurs de celui, de qui nous attendons du secours, quelque mépris que nous ayons pour sa personne ou son caractère. Du reste, l’usurier dont je parle ici a toujours soin de chercher à faire oublier la profession qu’il exerce, et pour cela il n’agit jamais par lui-même; il est toujours le prétendu agent d’un tiers, et jamais son nom ne paraît dans les billets. Quand on va lui proposer un emprunt, voici presque toujours comme il se conduit: d’abord il n’a pas d’argent; il ne peut pas en avoir. Le train qu’il mène, le luxe qu’il déploie, ne lui permettent pas de faire assez d’économies pour obliger des amis; il a même des dettes. Cependant il tâchera de tirer d’embarras la personne qui s’adresse à lui; parmi ses nombreuses connaissances, il espère trouver quelqu’un qui pourra prêter la somme dont on a besoin; quant à lui, c’est une chose certaine, il n’a pas d’argent; et, malgré sa fortune, il ne pourrait pas vivre, s’il n’était dans les affaires; mais il les fait en grand, et ne se mêle pas de semblables bagatelles.
Tel est le raisonnement par lequel l’usurier cherche à prouver que c’est un service qu’il veut rendre, et non une affaire d’intérêt qu’il veut conclure; puis il congédie son monde en disant:
«Revenez dans quelques jours, j’espère vous donner de bonnes nouvelles.»
Deux ou trois jours après, le client retourne chez l’usurier, et dès que celui-ci l’aperçoit:
«J’ai votre affaire, lui dit-il, mais ça n’a pas été sans peine...
—Oh! monsieur, que de remercîments.
—Vous ne m’en devez pas, car ce n’est pas moi qui vous oblige; voici la chose. Je connais un monsieur, un mien ami, qui doit toucher ces jours-ci un millier d’écus; je les lui ai demandés pour vous, et il me les a promis.
—A quelles conditions?
—Ah! il ne m’en a pas parlé.»
Et alors il demande au client quelles sont les siennes; celui-ci offre dix ou douze pour cent avec une année de date; et se retire en annonçant une visite prochaine pour savoir si ce monsieur aura touché ses mille écus. C’est ici que va commencer pour l’emprunteur une suite continuelle de promenades à la demeure de l’usurier: vingt fois il se présentera chez ce dernier, et toujours il lui répondra...
«Il n’y a pas de ma faute; que voulez-vous? ce monsieur, mon ami, n’a pas touché son argent; le billet est échu, on n’a pas payé, et l’affaire est au tribunal de commerce.»
On insiste alors, on le supplie de s’adresser à un autre, lui qui connaît tant de monde; on a grand besoin d’argent; à tout prix, il en faut. C’est là ce que voulait savoir cet estimable industriel; il ne vous a fait aller si souvent chez lui que pour vous fatiguer; il sait que l’attente excite les désirs, et il compte bien que plus vous attendrez, plus il lui sera facile de vous faire consentir à tout ce qu’il voudra. C’est ce qui arrive... Quand vous retournez chez lui, il vous offre, toujours de la part du tiers, 1,000 écus, avec quinze pour cent d’intérêt pour six mois... Vous vous récriez; jamais vous n’accepterez des conditions aussi pénibles, et vous le quittez sans rien conclure... Mais la réflexion arrive, vous avez besoin d’argent; à qui vous adresser? Vous allez le voir le lendemain, et vous lui dites:
«J’accepte...
—Il est trop tard, vous répond-il, ce monsieur a placé ses fonds...»
Alors, vous le priez de nouveau, il vous fait attendre encore quinze jours pour vous prouver combien il est difficile de se procurer de l’argent, et vous finissez par signer une acceptation de 5,000 francs à six mois de date, contre laquelle vous recevez 2,550 francs.
Si je ne parle ici que de l’usurier grand seigneur, c’est que l’usurier bourgeois est à Paris ce qu’est à peu près l’usurier des villes de province; seulement, il est moins dangereux, en ce sens qu’on n’a pas avec lui des rapports journaliers... Presque toujours, en province, le prêteur d’argent va au devant de l’emprunteur, tandis qu’à Paris c’est le contraire; car il est difficile, dans cette grande Babylone qui change de face à toute heure du jour, de suivre en tous points la conduite d’un homme, et d’être là sans cesse pour le pousser dans une voie plutôt que dans une autre. Aussi, celui qui spécule sur les petits bourgeois ou sur leurs enfants, c’est en général un bon homme qui vit tranquille, fait chaque jour la sieste, paie bien son terme, et monte régulièrement sa garde.
Mais il y a dans la conduite du grand usurier, surtout à Paris, des variantes très-curieuses, et l’on doit s’estimer bien heureux lorsqu’on reçoit de l’argent monnayé, même avec l’intérêt le plus fort. Vous lui confiez, par exemple, une acceptation de 6,000 francs, pour qu’il la fasse escompter; il y met du temps, beaucoup de temps. Vous allez chaque jour chez lui, et, comme vous êtes très-gêné, il vous avance de petites sommes; ces petites sommes finissent par en faire une assez ronde, et lorsque sur 6,000 francs vous en avez reçu à peu près 5,000, qui sont déjà dépensés, il s’arrête.
«J’ai trouvé, vous dit-il, à placer votre lettre de change; mais la personne qui veut bien l’escompter exige des arrangements particuliers; elle vous donnera 5,000 francs d’argent, que je garderai pour rentrer dans les fonds que je vous ai avancés, et pour les trois autres mille francs, vous recevrez des marchandises, dont il vous sera, au surplus, facile de vous défaire...»
Vous avez beau crier que c’est un tour infâme, un guet-apens, l’usurier vous ferme la bouche en vous disant de lui rendre l’argent qu’il vous a avancé, et, comme vous ne le pouvez pas, il faut bien en passer par où il veut. Ces marchandises sont ordinairement des foulards, des tabatières, des pipes, quelquefois même des objets plus difficiles à placer.—J’ai connu un jeune homme à qui l’on avait donné en paiement des pierres à paver, des moellons; ces pierres étaient déposées dans un chantier... et, le lendemain, le propriétaire du chantier fit dire à ce jeune homme que, son terrain étant loué, il eût à le débarrasser le plus tôt possible; force lui fut bien de vendre ses moellons à vil prix, et de perdre au moins soixante pour cent.—Un autre fut contraint d’accepter un fonds de café, un troisième un fonds de marchande de modes.—Enfin un dandy qui a joué, il y a quelques années, un grand rôle dans le monde fashionable, vit arriver un matin dans la cour de son hôtel une ménagerie complète: c’étaient des ours, des chameaux, des singes, plus, deux voitures de souricières; et tout cela en paiement d’une lettre de change... Jugez de l’effet... Le malheureux ne savait à quel saint se vouer, dans l’impossibilité où il était de trouver un acquéreur qui voulût le débarrasser de ces valeurs d’une nouvelle espèce; il se vit contraint de faire construire sur le boulevard du Temple une baraque pour y loger ses animaux, et de louer des gens chargés de les montrer au public, moyennant la modique rétribution de 5 sous par personne... Le dandy était devenu saltimbanque... quelle chute!...—Je ne m’arrêterais pas si je voulais citer tous les moyens qu’emploie l’usurier pour écorcher sa victime; sans compter la prison de Clichy, qui est toujours prête à vous ouvrir ses portes, en cas de non-paiement à l’échéance.
A propos de Clichy, il est arrivé il y a quelques jours une aventure plaisante qui trouve naturellement sa place dans ces pages, puisque c’est un usurier qui y joue le principal rôle.
Donc, mon usurier, auquel je donnerai le premier nom de vaudeville venu, M. Blainval, par exemple, est un dandy de premier genre, un lion pur sang, qui, avec 20,000 livres de rente, trouve le moyen d’en dépenser 50,000 par an sans se ruiner. M. Blainval, malgré ses quarante-cinq ans, est un abonné de l’Opéra, et comme il jette de temps en temps son dévolu sur une des nymphes de ce paradis, à l’époque dont je parle il possédait les bonnes grâces d’une mignonne jeune fille que j’appellerai Juliette, et il avait la faiblesse de s’en croire aimé, avec tout l’aplomb que donnent une jolie fortune et les débris d’une jeunesse orageuse... Hélas! la pauvre petite était loin de partager les idées de son maître; longtemps elle avait résisté, refusé des offres brillantes, car elle n’avait que dix-sept ans; mais Blainval, impatienté, finit par passer des prières aux menaces, il la mit dans la cruelle alternative de céder ou de se voir chaque jour chutée et sifflée, et pourtant la pauvre enfant avait du talent. C’est ainsi que les choses se passent à l’Opéra... Messieurs les abonnés y ont une puissance illimitée, je ne sais trop à quel titre; ce sont de petits sultans qui ont transformé ce théâtre en un sérail, où ils jettent à leur gré le mouchoir; et Juliette fut bien obligée de le ramasser comme tant d’autres. Mais un jour vint, où elle rencontra sur ses pas un jeune homme que je nommerai Charles; c’était un beau garçon, à l’œil vif, à la voix sonore, et lorsqu’elle le compara à l’autre... Malheureux Blainval, tu avais quarante-cinq ans et un faux toupet... Cette intrigue durait depuis trois mois, et rien n’était venu troubler la sécurité des deux amants, lorsqu’un jour la femme de chambre de Juliette, pour se venger d’avoir été grondée par sa maîtresse, alla tout dévoiler à Blainval... Il entra dans une colère furieuse, il voulait aller tout briser chez sa belle, puis peu à peu le calme succéda à la tempête, et il se mit à réfléchir.
«Si je fais du scandale, se dit-il, le ridicule en retombera sur moi; je ne puis pas rompre avec Juliette sans motif, et encore moins dire qu’elle m’a trompé, je serais perdu de réputation... Attendons, avant de la quitter je veux au moins me venger de l’un et de l’autre.»
Et sans lui faire le moindre reproche, il continua de la voir comme par le passé; car pour ces messieurs, les relations de ce genre sont bien plus une question d’amour-propre qu’une affaire de cœur.
A cette époque, Charles avait besoin d’argent, il en cherchait partout, et commençait à se désespérer, lorsque quelqu’un l’adressa à Blainval. Malheureusement, il ne connaissait pas ce dernier, ou du moins il ignorait les relations qui existaient entre lui et Juliette, aussi alla-t-il donner tête baissée dans les griffes de l’usurier.
Ce fut le lendemain de la trahison de la soubrette que Charles se présenta chez Blainval... Jugez de la joie de ce dernier. Charles voulait emprunter mille écus, et Blainval se conduisit d’un façon héroïque, il prêta la somme entière pour un mois, à cinq pour cent d’intérêt; et pour toute garantie, il demande d’abord une acceptation, et ensuite, comme les lettres de change entraînent toujours la contrainte par corps, il exigea que, pour éviter des frais et des pertes de temps, Charles lui signât d’avance un acquiescement au jugement qui le condamnerait par corps, en cas de non-paiement. Rien n’était plus raisonnable, et le malheureux consentit à tout. Un mois après, lorsque l’échéance arriva, Charles n’avait pas d’argent; il avait compté sur des rentrées de fonds, et les rentrées ne s’étaient pas faites, la lettre de change fut protestée... Pourtant, il était tranquille.
«Je serai assigné au tribunal de commerce, pensait-il; là, je demanderai des délais pour payer, et comme Blainval est connu pour un usurier, on me donnera gain de cause.»
Certes, ce raisonnement ne manquait pas de sens, mais Charles luttait avec un homme adroit qui voulait une vengeance. Un usurier a toujours pour suivre ses affaires un huissier qui lui est d’autant plus dévoué qu’il lui donne une part dans ses bénéfices; aussi Blainval mit le sien au courant, et lui recommanda de SOUFFLER l’assignation. Pour les personnes qui ne sont pas au courant des termes du palais, ce mot exige une explication; SOUFFLER une assignation, c’est ne pas la remettre, ou faire en sorte qu’elle ne parvienne pas à la personne; or, l’huissier, pour se tenir à couvert, va rôder autour de la maison du débiteur, et prend note d’une heure à laquelle le portier est seul dans sa loge, de sorte que si plus tard il y a réclamation, l’huissier peut jurer sans crainte qu’il a remis l’assignation au portier, qui, sans doute l’aura perdue, car il n’y a pas de témoins pour prouver le contraire... Cette machination fut ourdie avec le plus grand succès contre Charles: le pauvre garçon, qui n’avait pas été prévenu, fut condamné par défaut, et comme il avait signé d’avance un acquiescement à ce jugement, il fut un beau matin pris au saut du lit, et conduit à Clichy.
Depuis une heure il était là, dans sa cellule, la tête baissée, réfléchissant aux moyens de se tirer d’un aussi mauvais pas, lorsque le gardien vint lui annoncer qu’il était libre...
Par quel miracle!... Blainval était-il radouci?.... Non, mais Juliette avait mis ses diamants en gage.
Plus tard, Charles fut à même de lui prouver sa reconnaissance pour le service qu’elle lui avait rendu; à quelque temps de là il eut le malheur de perdre une de ses tantes qui lui laissa en mourant 50,000 livres de rente. Mais il n’a pas oublié Blainval.
«Depuis cette affaire, répète-t-il sans cesse, j’ai eu souvent besoin d’argent, mais je n’ai jamais voulu signer de lettres de change.»
Et pourtant, si on abolissait la lettre de change, que deviendrait l’usurier!
L. Jousserandot.
LE CHICARD.
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Toutes les époques ont dansé: l’ère hébraïque, l’ère romaine, l’ère française; David, Néron, Louis XIV. Après les rois, les peuples; quel peuple, quel pôle civilisé n’a pas sa danse individuelle et caractéristique, sa bourrée, sa tarantelle, sa gigue ou son fandango? Paris seul, jusqu’à présent était sans type de danse, sans chorégraphie inter-nationale, et prime-sautière. Paris ne dansait pas, il bâillait; témoin les raouts de l’hiver dernier, et probablement ceux de l’hiver futur.—C’est au point que les invitations pour une contredanse se formulaient ainsi: «Madame me fera-t-elle l’honneur de marcher avec moi?» Heureusement «un homme s’est rencontré, d’une profondeur de génie incroyable,» comme aurait pu dire Bossuet. Ce génie profond, ce pseudonyme incomparable, est aujourd’hui essentiellement populaire et trop haut monté dans l’opinion publique et les bals masqués, pour que nous ne lui ouvrions pas à deux battants la case la plus exceptionnelle de notre musée. Chicard est Français de cœur, sinon de grammaire, et bien qu’il ne soit pas encore du dictionnaire de l’Académie; mais il en sera, pour peu que la prochaine édition ait lieu dans le carnaval. En attendant, célébrons-le, comme le plus divertissant, le plus comique et le plus populaire barbarisme de l’époque.
Après tout, que faut-il à l’homme de génie? un moule. Bonaparte a eu pour moule la colonne, l’Anglais Brummel les cravates les plus empesées du siècle, M. Van Amburgh la gueule de son lion. Chicard, lui, s’est coulé et infusé tout entier dans le moule-carnaval. Là où tant d’autres, des profanes, des plagiaires, n’avaient vu que matière à entrechats et à police correctionnelle, il voit, lui, foudre de danse, regard d’aigle, matière à ovation, royauté vivante à improviser et à conquérir. Honneur à lui! il a créé une dynastie, il a sa phalange, ses affidés, ses chicards présomptifs, bande joyeuse, carnaval effréné qui ne fait qu’un pas depuis le premier entrechat masqué, jusqu’à la dernière saint-simonienne de la mi-carême.
Le chicard est donc bien plus qu’un masque, c’est un type, un caractère, une personnalité. Ce n’est que pendant le carnaval qu’on peut observer le chicard; le reste de l’année, il rentre plus ou moins dans la catégorie du viveur. Selon son rang, son état ou sa fortune, il fréquente la Chaumière, le Ranelagh ou le Chalet; il est étudiant, dandy ou clerc de notaire; commis, ou négociant de peaux de lapins. C’est un homme qui ressemble à tous les autres hommes: n’allez pas cependant le confondre avec le commis voyageur. Le vrai chicard ne vit que trois jours chaque année; c’est une chrysalide qui brise son écorce. C’est un papillon qui meurt pour s’être trop approché des lustres du bal masqué.
Mais certaines personnes, qui ne connaissent le carnaval que par le stationnaire domino, seraient peut-être en droit de nous dire:—Après tout, qu’est-ce que le roi de tout ce peuple, qu’est-ce que la racine de tous ces adjectifs, expliquez-nous chicard, où est chicard? Quel est ce mythe, ce symbole, cette allégorie, ce miracle? Chicard, est-ce un être fictif comme Bouginier, ou comme Credeville? est-ce un évangile comme l’abbé Châtel? est-ce un obélisque comme M. Lebas? est-ce un tilbury comme M. Duponchel? Arrêtez, allez au bal, j’entends le bal où l’on ne danse pas, mais où l’on roule et tourbillonne; là vous le verrez, ou plutôt vous ne le verrez pas; mais vous le devinerez; on vous en montrera dix, et ce ne sera pas lui; enfin, au milieu d’un cercle de curieux, d’une avalanche de pierrots, de débardeurs, de corsaires, vous découvrirez une pantomime sublime, des poses merveilleuses, irréprochables au point de vue de la grâce, des mœurs et du garde municipal. Callot et Hoffmann, Hogarth et Breughel, tous les fous célèbres réunis ensemble, des prunelles dévorantes, une force comique incalculable, Sathaniel en habit de masque, un costume ou une furie qui résume les physionomies dansantes de tous les peuples, le punch des Anglais, le pulcinella napolitain, le gracioso espagnol, l’almée des Orientaux; et nous Français, nous seuls manquions jusqu’à ce jour d’un mérite de ce genre: mais aujourd’hui cette lacune est comblée; Chicard existe, c’est un primitif, c’est une racine, c’est un règne. Chicard a créé chicandard, chicarder, chicander; l’étymologie est complète.
Il est donc certain que sous cette reliure bouffonne, et ce diadème de grelots, la nature a caché un des génies les plus complets et les plus profonds de l’époque. Assurément on ne mérite pas d’être modelé toutes les minutes, d’avoir à chaque pose, à chaque évolution vertébrale et chorégraphique, le sort de l’Apollon du Belvédère, sans avoir en soi une puissance qui, pour se révéler par des allégories d’attitude, n’en suppose pas moins une organisation phrénologique supérieure. On ne révolutionne pas les cinq unités de la danse, on ne suspend pas tout un bal masqué à son geste, avec des facultés roturières et normales. On vante beaucoup Napoléon pour avoir détruit le vieux système de circonvallation de l’archiduc Charles; l’homme de génie qui s’est fait appeler Chicard, a modifié complétement la chorégraphie française; il a dénaturé les pastourelles, métamorphosé les poules, septembrisé les trénis, ou, pour mieux dire, il a repétri ces antiques figures à son image, il a créé sa contredanse-chicard, cette danse modèle tour à tour anacréontique, macaronique ou macabre; ce n’est ni Marcel, ni Vestris, ni Mazurier, tout chez lui est renouvelé et entièrement renaissance; balancés, en avant deux, queues du chat, tours de main, c’est chicard! les entrechats de Paul lui-même, ce zéphire qui montait si haut dans les frises de l’Opéra, s’agenouilleraient devant lui.
Cependant ce serait une grave hérésie de chercher Chicard et ses compagnons dans les bals vulgaires, sans physionomie, sans hardiesse, ou mieux dans ces raouts purement cyniques et grossiers où l’on devine l’Arétin vulgaire du Saumon ou du Prado. Tel n’est pas Chicard. Il est trop dieu pour se commettre dans de pareils enfers. Il y a d’ailleurs des cadres où sa physionomie ne serait pas appréciée: tout ce qu’il y a de magique et de sublime dans sa danse ne peut s’adresser à la fibre prosaïque. Therpsichore Faubourienne ne saurait le revendiquer; et s’il est vrai qu’il ait dénaturé les menuets et les gavotes du grand monde, il a également renversé dans l’ornière du rétrospectif les fricassées de la barrière. Le bal masqué que Chicard privilégie de sa présence est donc véritablement consacré, c’est une vogue assurée, la foule sera là, foule artistique et costumée qui cache souvent un blason et plusieurs quartiers de noblesse sous la veste du malin ou le paletot du pêcheur. Partout Chicard est en chef, son panache surnage, sa tête est une oriflamme, comme celle de Henri IV. Il varie d’ailleurs dans le choix des bals, tantôt Musard, tantôt Valentino: l’année dernière c’était la Renaissance; il y faisait littéralement fureur, c’est là qu’il a été lithographié; il méritait des statues, mais nous plaçons si mal notre marbre dans ce siècle d’ingratitude! Vous verrez que ce seront nos petits-neveux costumés, nos arlequins de petits-fils qui décréteront une colonne à Chicard.
Mais, comme tous les grands hommes qui jettent au vent leur verve et leur génie, Chicard a compris la nécessité de se concentrer lui-même dans une institution digne de lui, il a voulu créer un modèle, un spécimen qui pût lui servir de piédestal, et réfuter ainsi à l’avance les jaloux ou les ingrats qui seraient tentés de vous dire: —Qu’a fait Chicard?—Ce qu’il a fait? C’est son bal, l’un des plus beaux monuments épiques qu’on ait mis en action, ce bal dont un seul quadrille suffirait pour faire la réputation d’un homme, ce temple destiné à protéger éternellement le carnaval français, comme le Panthéon ne protége pas la mémoire des grands hommes.
Beaucoup de personnes parlent donc du bal Chicard, mais seulement par ouï dire, sans impression oculaire. C’est tout simple, n’est pas admis qui veut dans ce bal qui a son genre d’aristocratie, ou de franc-maçonnerie, si l’on aime mieux. Le bal Chicard a ses rites, ses règlements, ses préceptes qu’il faut connaître d’avance, sous peine de se voir excommunié et voué à Musard. C’est une cérémonie religieuse, un culte, une adoration. D’ailleurs une invitation est de toute nécessité, et c’est Chicard qui se charge lui-même d’en rédiger les termes. Feuilletonnistes, vaudevillistes, caricaturistes littéraires, vous parlez de style, de verve, d’entrechat la plume à la main, lisez les lettres Chicard, et dites si tout l’esprit qui s’imprime n’est pas vaincu par ce style, par cette verve, par cet entrechat?—Dites, si de pareils paragraphes ne méritent pas toutes les reliures, dorures, ciselures et illustrations de notre éditeur. Chicard n’écrit pas, il danse; vous le voyez s’élancer, bondir à travers ses phrases. Heureux les gens qu’il honore de ses invitations, et surtout de ses épîtres, c’est à les boire comme de l’aï frappé, tant elles moussent et pétillent. Quand vous avez une pareille lettre qui vous valse dans la poche, restez chez vous si vous pouvez, le jour anniversaire du bal Chicard.
C’est dans le plus vaste salon des Vendanges de Bourgogne qu’a lieu ce bal véritablement cyclopéen. Le choix le plus sévère préside aux oripeaux et à l’extérieur des invités. Toute personne qui se présenterait sous un costume déclaré banal ou épicier, tel que Jean de Paris, turc, arbalétrier du temps de Henri III, jardinier rococo, ou Zampa, serait sévèrement éconduite comme funambule. C’est tout au plus si le Robert-Macaire pur et simple est admis. Les gants jaunes sont tolérés, mais sont généralement mal vus. Du reste, les lettres que Chicard vous adresse vous mettent en quelques calembours, que la saison nous permettrait à peine de rapporter, parfaitement au courant de vos devoirs.
On rencontre à ce bal le plus curieux pêle-mêle de nuances sociales, de contrastes déguisés, les têtes les plus graves de publicistes, enchevêtrées avec ce que la littérature et les ateliers produisent de plus échevelé. Là, plus de numéro d’ordre, plus de catégories, de conditions; tout est nivelé, fondu dans l’immense tourbillon des costumes et des quadrilles. Sans nommer aucun masque, qu’il nous suffise de dire que les gens les mieux posés assistent régulièrement aux bals Chicard; c’est chez eux une tradition, un article de foi, un pèlerinage irrésistible, tant on y trouve chaque année de nouvelles créations, d’imbroglios imprévus, de physionomies inédites.
Mais comment décrire l’ensemble de cette réunion vraiment unique qui ferait pâlir les nuits les plus vénitiennes, les orgies les plus seizième siècle. Imaginez des myriades de voix, de cris, de chants; des épithètes qui volent comme des traits d’un bout de la salle à l’autre, des ovations, des trépignements, un pandémonium continu de figures tour à tour rouges, violettes, blanches, jaunes, tatouées; et les quadrilles où l’on ne distingue qu’un seul costume, une flamme qui s’élance, tournoie et voltige; une folie, un éclat de rire qui dure une nuit, une réunion que Milton aurait assurément annexée à son enfer, quelque chose de surhumain, de démoniaque, dont aucune phrase ne saurait donner une idée, un tableau qu’il faut renoncer à peindre, car la parole ne reproduit ni le reflet volcanique du vin de Champagne, ni les rayons d’or et d’azur du punch enflammé: une ronde du sabbat, voilà le bal Chicard.
Mais les grands personnages, les publicistes, les rapins échevelés, les littérateurs, les commis, les clercs de notaire, tout cela ne forme que la moitié d’un bal, l’autre moitié, et la plus belle, où Chicard va-t-il la prendre, quelles sont les femmes assez grecques, assez Pompadour, assez humanitaires, pour être constamment à la hauteur de cette chorégraphie, de cette passion, de cette littérature? Ces femmes ne sont ni des bacchantes de la Thrace, ni des marquises des petits soupers, ni des sectatrices métaphysiques de l’attraction passionnée; elles n’ont jamais entendu parler des bacchanales, et ne lisent jamais ni Crébillon fils, ni madame Gatti de Gamond. Vous demandez dans quel lieu Chicard prend ses danseuses: partout et nulle part. Il les choisit tantôt dans les magasins de la lingère, tantôt au comptoir des cafés, tantôt dans les boudoirs d’une foule de rues que nous pourrions citer, tantôt dans la rue elle-même, tantôt dans ces salons où, au lieu de faire de l’esprit, on fait de l’amour; partout enfin où l’on choisit ses passions d’un mois, ses maîtresses d’un jour, ses plaisirs d’un moment. Ces éléments si divergents en apparence, cette foule bariolée, s’organise, se groupe, se pare, et lorsque la nuit solennelle est arrivée, il sort de toute cette confusion la plus irrésistible de toutes les aristocraties, celle de la beauté.
Quelques jours avant la fête, Jupiter-Chicard fait sa tournée avec Mercure. Il ne se déguise ni en cygne, ni en taureau, ni en pluie d’or; il porte un paletot comme tous les mortels, et il pénètre dans les mansardes, dans les magasins, dans les boudoirs, dans les ateliers, partout où il croit trouver une jolie femme. Là il se livre à un examen approfondi, nous croyons même qu’il prend des notes, et si le résultat de ses observations est favorable, il inscrit un nom de plus sur son carnet d’invitations. C’est Mercure qui sert de secrétaire. Il ne suffit pas d’avoir été admise une fois à ce bal pour en faire toujours partie: malheur à celles dont l’œil aura perdu son éclat depuis l’année dernière, dont la taille sera moins svelte, le pied moins léger, les lèvres moins souriantes; elles disparaîtront immédiatement de la liste des élues. Jupiter n’entend pas raillerie là-dessus; soyez toujours belles, et il vous invitera toujours. Dans un certain monde, une invitation au bal Chicard est considérée comme un brevet, on s’en sert comme d’un diplôme de jolie femme. Au carnaval dernier, quatre femmes s’asphyxièrent de douleur de n’avoir pas été jugées dignes de pénétrer dans le sanctuaire.
Assez de généralités! maintenant pénétrons dans les détails, et voyons ce qu’il y a au fond de toutes ces joies. La gloire de Chicard est incontestable. Étudions les bases sur lesquelles repose sa puissance. Il est temps de nous rapprocher du monarque. Avançons sans crainte, et tâchons de ne pas être éblouis par les rayons de l’auréole divine. Incessu patuit Deus. Chicard marche comme un dieu.
Il s’avance la tête recouverte d’un casque de carton vert-bronze surmonté d’un plumet rouge,—l’antiquité, et la garde nationale.—Comment laisserions-nous passer ce casque sans nous arrêter un moment devant lui: est-il dans tous les musées d’artillerie, dans toutes les collections Dusommerard, chez tous les marchands de bric-à-brac, un monument plus saint, une relique plus auguste? Lors même qu’on nous montrerait ce casque qu’Énée tient si délicatement sur ses genoux lorsqu’il raconte ses infortunes à Didon, nous ne serions pas saisis d’une vénération plus grande. Savez-vous ce que c’est que le casque en carton de Chicard? C’est un des plus grands succès de l’époque, une des plus grandes popularités de la littérature, c’est l’aurore du romantisme, le casque enfin avec lequel M. Marty jouait le Solitaire! Cette plume qui flotte au milieu du bal s’est courbée sous les tempêtes du Mont-Sauvage, elle s’est inclinée tremblante devant la vierge du monastère, elle a frissonné quand les échos de la chapelle répétèrent: Anathème! Anathème! Ce casque a eu trois cents représentations; et maintenant, tout bosselé qu’il a été dans vingt Pavies carnavalesques, il ombrage encore glorieusement le front d’un héros. Quand Chicard sera mort, son casque sera acheté par un Anglais, plus cher que le petit chapeau du grand homme. Maintenant passons au reste du costume de Chicard. Pour justaucorps, il a le vaste gilet des financiers de Molière, cette partie de son costume représente la haute comédie; ses pantalons sont de larges brayes à la Louis XIII, hommage indirect rendu à la mémoire de Marion Delorme; un tricot révèle ses formes, et témoigne de la nudité indispensable à un dieu, ses pieds se cachent dans des bottes à revers, tristes débris du directoire et de l’empire. Pour honorer la mémoire de l’ancien Opéra-Comique, il porte une cravate à la Colin et des gants de chevalier comme Jean de Paris. Ce costume, c’est un résumé historique, une épopée, une Iliade; vous sentez que vous êtes en présence du dieu le plus fêté de notre époque. Ce casque, cette corde à puits en guise de ceinturon, ces épaulettes de garde national, cette écaille d’huître, décoration emblématique dont le ruban rouge est une patte d’écrevisse, tous ces oripeaux sont une dérision, un coup de pied donné au passé; il y en a pour toutes les époques, pour tous les goûts, pour toutes les gloires. La tête de Chicard est une satire de l’ancienne tragédie, peut-être une personnalité contre mademoiselle Rachel, et contre les classiques; ses jambes insultent au moyen âge, ses pieds foulent les gloires républicaines et impériales ressemelées. Saluez donc cet amalgame philosophique, ces guenilles qui écrivent l’histoire, cette défroque qui renferme toute la morale de nos jours; inclinez-vous devant notre maître à tous, devant le dieu de la parodie!
Voilà Jupiter. Cherchons à présent son épouse, la blonde Junon; peut-être est-elle occupée à gémir derrière quelque nuage des innombrables infidélités de son époux! La voici: au lieu de pleurer, elle danse; quels pas! quels gestes, quelle tournure! Junon a l’air d’une revendeuse à la toilette; nous parlons de revendeuse pour être polis, car vraiment c’est à toute autre chose qu’elle ressemble. Voyez cette robe fanée qui n’a pas été faite pour elle, ces faux cheveux qui pendent sur ses épaules, ces airs de jeune fille à la fois pudibonde et subjuguée, ce sourire qui provoque un accord satanique. N’avez-vous pas entendu quelquefois une femme pareille, vieille et parée d’un luxe douteux, chuchoter à votre oreille des paroles incompréhensibles, le soir? D’où vient que le dieu habituellement si difficile sur la beauté a choisi une épouse aussi laide? Rassurez-vous, ceci est encore un symbole, un mythe, une allégorie; c’est un homme déguisé qui remplit le rôle de la femme de Jupiter. Ceci est du haut Aristophane.
Nous avons vu Jupiter dansant, face à face; maintenant passons l’Olympe en revue. De nos jours, les dieux sont devenus plus accessibles, et les déesses aussi. Le premier qui s’offre à nous, c’est Mercure; l’infortuné! comme il a vieilli depuis la guerre de Troie. Les ailes de ses pieds et de ses mains sont tombées, son teint s’est aviné, son ventre a grossi; il porte un petit chapeau à la Napoléon, des manchettes en dentelles, comme les maltotiers de la régence, une chemise en batiste, dérobée à quelqu’une des plus illustres spécialités du genre; son habit à la Robespierre est rapiécé d’un côté par des assignats, de l’autre par d’innombrables promesses d’actions. Mercure attire les chalands d’une voix chevrotante: Qui veut des mines de houille, des mines d’or, des mines d’argent, à l’épreuve des inondations et de la police correctionnelle? Pauvre Mercure, quel changement! tu as bien fait de quitter ton nom et de t’appeler le banquier Floumann. Toi aussi, comme Jupiter, tu es une parodie!
Dans cette singulière mythologie, Mercure cumule ses fonctions avec celles d’Apollon; quand tous les dieux sont réunis, c’est lui qui charme leurs loisirs en chantant gaiement la Barcarolle; pendant qu’ils sablent l’ambroisie d’Épernay, ou le nectar de Cognac, Floumann improvise; il apprend aux hommes à célébrer le vin qu’il nomme picton et les belles qu’il appelle tout simplement femmes. Il exalte en hexamètres plus ou moins harmonieux, les charmes de la Vénus chicarde, sortie un jour de l’écume du vin de Champagne; il dit les douleurs d’un débardeur poursuivant une bergère; il enseigne comment on triomphe d’un domino rebelle, sans le changer en laurier. Mercure, Apollon, Floumann connaît tous les beaux-arts, s’il n’apprend plus des pas nouveaux aux nymphes de la Thessalie, c’est lui qui rédige les danses de Chicard, il est chorégraphe comme Coraly ou Mazillier, et ses pas, au lieu de faire bâiller l’Opéra, courent le monde sur les ailes du carnaval. Avant un an tous les premiers sujets de M. Duponchel en viendront de cachuchas en cachuchas, à demander des pas nouveaux au seul maître de ballets de notre époque de sauteurs. Quelquefois Apollon consent à livrer ses inspirations aux simples mortels: Achard, Chaudes-Aigues, Levassor, ont souvent chanté ses vers populaires au milieu des éclats de rire de toute une salle. Le cœur du titi n’a pour lui aucun secret, Floumann pourrait aborder le Vaudeville; il serait au moins un frère Cogniard s’il n’était Dieu.
O Muse, qui me guide dans ce labyrinthe olympien, l’ai-je bien entendu? cet homme revêtu d’un justaucorps et d’une culotte courte de paillasse, avec une pudique ceinture de duvet d’oie, c’est le vainqueur du monstre de Némée et de plusieurs hydres célèbres; Hercule en gants jaunes, coiffé du chapeau d’Arlequin, et portant sur un diadème en carton, hérissé de viles plumes d’oie, cette inscription: Çovage sivilizé, c’est vraiment à ne pas y croire, malgré ses sandales romaines, malgré sa peau de tigre en guise de dépouille de lion. Hercule, qu’as-tu fait de ta massue? Passons, me dit la Muse, c’est encore une parodie.
Il y a peut-être dans le Çovage une attaque indirecte contre la colonisation d’Alger; c’est une épigramme contre la fusion de l’Orient et de l’Occident, un coup de boutoir donné au saint-simonisme.
Hercule traîne après lui un gros homme vêtu d’un simple maillot couleur de chair, la face rubiconde, les yeux éteints, la démarche vacillante. Cet homme ou plutôt ce ventre, c’est Silène. Bacchus en effet ne pouvait pas faire partie de cette mythologie; Bacchus est un dieu trop prude, trop gentilhomme, trop feuille de vigne pour présider les modernes bacchanales. Bacchus, c’est l’ivresse généreuse qui fait naître les ardents désirs, les vives reparties, les sentimentales ardeurs; Silène, c’est l’étourdissement qui rend le corps paresseux, les lèvres bégayantes, l’esprit pantagruélique; l’un est le nectar qui transporte aux cieux; l’autre est le vin qui attache à la terre. Bacchus, accablé de lassitude, s’endort sous quelque bosquet fleuri où les nymphes émues viennent le contempler; Silène trébuche au coin d’une borne, ou s’endort entre deux brocs qu’il a vidés. Don Juan, Richelieu, Casanova, tous ceux qui ont vécu pour jouir, invoquaient Bacchus; aujourd’hui le Pégase de la gaieté française est l’âne de Silène.
Voici enfin Balochard et Pétrin, le Comus et le Momus de cette mythologie. Balochard a été déjà déifié au Palais-Royal, il a reçu l’apothéose du vaudeville, il porte un bourgeron et des pantalons de grosse cavalerie, ses reins sont entourés d’une ceinture rouge, et sa tête est surmontée d’un feutre gris qui trahit les nombreuses mésaventures bachiques de son propriétaire. Il participe à la fois du Lepeintre aîné et du corsaire romantique, il fait le calembour de l’empire et chante les vers échevelés de la restauration. Il réunit en lui la gaieté de deux époques; il se moque de toutes les deux à la fois: c’est une double parodie!
Balochard représente surtout la gaieté du peuple; c’est l’ouvrier spirituel, insouciant, tapageur, qui trône à la barrière. C’est la racine cubique du gamin, et l’idéal du Titi. Il fait de l’esprit comme on tire la savate. Il se moque de tout, et principalement de ce qui est au-dessus de lui; c’est un des plus illustres trognons de pomme de l’Ambigu, une des plus célèbres reparties des bals masqués. Balochard aime la dive bouteille; mais à la manière de Rabelais, plutôt pour se mettre en joie que pour se soûler. Balochard est aussi une racine; on dit balocher, comme on dit chicarder; balocher a une signification très-étendue; c’est un verbe qui s’applique à la vie en général, c’est quelque chose de plus que flâner, c’est l’activité de la paresse, l’insouciance avec un petit verre dans la tête. Henri IV touche par certains côtés au Balochard, et le roi Réné le résume dans son acception la plus élevée. Sous la restauration, le Balochard n’existait pas, on ne connaissait que des troubadours; il a fallu une révolution pour le produire. Balochard est né le 30 juillet 1830, en même temps que le saint-simonisme et la chahut.
Quant à Pétrin, nous avons eu tort de dire qu’il était dieu, c’est un symbole, il résume tout, absorbe tout, matérialise tout: c’est la confusion qui a pris une forme, c’est le présent fait masque!
Ainsi donc, vous le voyez, tout s’enchaîne et se lie, le sentiment moral d’un siècle se reflète partout. Chaque chose qui émane de la masse a sa signification. Presque toujours ses divertissements cachent une satire, ses chants, une leçon, ses sympathies, un enseignement. Dans toutes ces personnifications burlesques que nous venons de décrire, ne voyez-vous pas tracée tout au long l’histoire de notre scepticisme. Le carnaval de nos jours n’est plus un délassement ordinaire, c’est une espèce de comédie aristophanique que le peuple, ce grand comique, se joue à lui-même, et à laquelle tout le monde se mêle sans en comprendre la portée.
Mais nous voici arrivés au moment le plus intéressant de cette solennité carnavalesque. L’orchestre a donné le signal, et quel orchestre! dix pistolets solo, quatre grosses caisses, trois cymbales, douze cornets à piston, six violons et une cloche. Au premier coup de ce carillon, de ce branle-bas, de ce tocsin, la foule s’est élancée; que fait-elle au milieu du tourbillon de poussière que soulèvent ses pas? quelle danse exécute-t-elle? Est-ce la sarabande, la pavane, la gavotte, la farandole, la porcheronne de nos pères? Est-ce le poëme épique auquel les bayadères ont donné le nom de pas? Est-ce la cachucha, cette espèce d’ode à Priape, que l’on danse en Espagne, au lieu de la chanter?
Ce n’est point une danse, c’est encore une parodie; parodie de l’amour, de la grâce, de l’ancienne politesse française, et, admirez jusqu’où peut aller chez nous l’ardeur de la dérision! parodie de la volupté; tout est réuni dans cette comédie licencieuse qu’on nomme la chahut. Ici les figures sont remplacées par des scènes; on ne danse pas, on agit; le drame de l’amour est représenté dans toutes ses péripéties; tout ce qui peut contribuer à en faire deviner le dénoûment est mis en œuvre; pour aider à la vérité de sa pantomime, le danseur, ou plutôt l’acteur, appelle ses muscles à son secours; il s’agite, il se disloque, il trépigne, tous ses mouvements ont un sens, toutes ses contorsions sont des emblèmes; ce que les bras ont indiqué, les yeux achèvent de le dire; les hanches et les reins ont aussi leurs figures de rhétorique, leur éloquence. Effrayant assemblage de cris stridents, de rires convulsifs, de dissonances gutturales, d’inimaginables contorsions. Danse bruyante, effrénée, satanique, avec ses battements de mains, ses évolutions de bras, ses frémissements de hanches, ses tressaillements de reins, ses trépignements de pieds, ses attaques du geste et de la voix; elle saute, glisse, se plie, se courbe, se cabre; dévergondée, furieuse, la sueur au front, l’œil en feu, le délire au visage. Telle est cette danse que nous venons d’indiquer, mais dont nulle plume ne peut retracer l’insolence lascive, la brutalité poétique, le dévergondage spirituel; le vers de Pétrone ne serait pas assez large pour la contenir; elle effraierait même la verve de Piron.
Autour des danseurs circule la foule de ceux qui n’ont pu prendre place aux quadrilles, foule animée qui parle de tout et surtout d’amour; les protestations et les railleries s’entre-choquent, un calembour coupe court à une déclaration, un serment se déguise sous un coq-à-l’âne.—Donnez-moi votre adresse.—Je suis retenue jusqu’à la douzième.—Je vous prendrai à la sortie du bal.—Va pour le petit verre.
Et toutes ces femmes dont nous parlions tout à l’heure, comme elles sont vives, folles, charmantes, pleines de laisser-aller; comme elles sont heureuses, les unes de pouvoir être canailles à leur aise, les autres de cesser de l’être un moment. Qu’importe d’ailleurs le caractère de leur gaieté, pourvu qu’elles soient belles et gracieuses. La grâce et la beauté, voilà tout l’esprit des femmes.
Mais voici que toute cette passion gesticulée, toute cette ardeur aphrodisiaque, ont besoin de repos. Il faut qu’un plaisir soulage d’un autre plaisir. Le moment de se mettre à table est arrivé: hommes et femmes viennent prendre place autour du festin. Ce n’est point le souper de la régence, ce n’est pas non plus tout à fait l’orgie du Bas-Empire; le geste se modère, l’allure des convives devient plus décente; les fleurs, les lustres, les mets, les vins, les femmes, tout cela c’est de la poésie, et tout cela est répandu à foison dans la galerie du festin. La galanterie française, l’antique verve qui commence à Rabelais et qui finit à Béranger, reprennent le dessus. Tout le monde sent le besoin de devenir spirituel; on oublie le dévergondage du bal; le champagne arrive, ce vin national par excellence, ce nectar de la saillie, cette ambroisie du calembour, cet hypocrène du propos grivois. L’effervescence passée fait place à une effervescence plus douce, et le Français se retrouve tout entier devant une chanson!
Il y a des gens qui disent que la France est une citadelle, nous soutenons que la France est un vaste caveau moderne. Dans cet heureux pays, tout le monde naît chansonnier, le chicard plus que tout autre; de même que la danse, il a révolutionné le couplet; son lyrisme ne ressemble ni à celui d’Anacréon, ni à celui de Parny, ni à celui de Piron, encore moins à celui de Désaugiers; son couplet est vif sans cependant tomber dans la barcarolle, il est mélancolique sans empiéter sur la ballade, il peut se chanter à deux ou à trois voix, avec ou sans accompagnement de guitare, et cependant ce n’est point un nocturne. La chanson du Chicard est tour à tour triste, gaie, sentimentale, graveleuse, c’est une espèce de chahut chantée, une parodie de toutes les poésies et de tous les états de l’âme, un cantique dérisoire en l’honneur de l’amour. Nous connaissons de ces chansons qui commencent comme un lied de Schubert, et qui finissent par la rifla, fla, fla. Le Chicard improvise toujours et n’écrit jamais ce qu’il improvise; voilà pourquoi tout le monde ne connaît sa verve que par fragments; on retient les vers, et on oublie la chanson. Les imprimeries les plus clandestines d’Avignon n’ont point encore pu imprimer le recueil des Vendanges de Bourgogne: voilà cependant comment se perdent les monuments les plus importants de la littérature nationale.
Le Chicard vient de livrer son dernier couplet aux convives. Ce refrain a électrisé toutes les têtes; le champagne a déposé son volcan dans chaque cerveau; tous ces vésuves demandent une issue. Ici nous rentrons complétement dans le Bas-Empire. On se cherche, on se fuit; comme dans Virgile chaque homme est un berger qui court après une Galatée; Aglaé, Amanda, mesdames de Saint-Victor, de Laurencey, de Walmont, mademoiselle Lise, madame Vautrin, filles, femmes galantes, grisettes, dames de comptoir, tout cela est mêlé, confondu, démocratisé par le délire. C’est le moment où les bacchantes de Thrace coupaient des hommes en morceaux. Malheur à l’Orphée de l’orchestre; si on le porte en triomphe, il est perdu. Mais l’Orphée a conservé son sang-froid, les sons deviennent plus lents; on supprime la cloche, on renonce à la poudre fulminante. Le bal tout entier reprend haleine. Alors surgit un autre danger; le chef d’orchestre est en sûreté, mais la morale est en péril: d’illicites ardeurs sont nées au contact de tous ces épidermes, quelques bergères faciles ont toléré des familiarités indiscrètes, quelques couples hardis prennent des poses excessivement mythologiques, d’autres sont sur le point de faire tableau. Une voix a crié d’éteindre les lustres; il ne nous resterait plus qu’à nous esquiver si à un coup d’œil de Chicard la musique n’éclatait de nouveau. Le fa des pistolets se mêle à l’ut des capsules, la cloche sonne, les violons crient, les cornets éclatent comme un feu d’artifice. Le démon de la danse reprend tout à coup le dessus, les mains cherchent les mains, soudain la danse recommence, mais ce n’est plus une danse, c’est une éruption; on se mêle, on se heurte, on tourbillonne; les uns valsent, les autres galopent, les autres font tout cela à la fois. Les chapeaux volent en l’air, les cheveux flottent, les ceintures tombent, c’est une mer en démence, un océan d’oripeaux, c’est une saturnale antique, une mystérieuse orgie de Templiers. L’orchestre roule comme le tonnerre sur ces flots soulevés, et à chaque éclat de foudre musicale, la tempête recommence plus ardente, plus furieuse, plus échevelée, jusqu’à ce que la voix de Dieu se fasse entendre par l’intermédiaire du cadran, et dise à ces vagues indomptées: Vous n’irez pas plus loin.
Quelquefois au milieu de cette frénésie, les fichus s’en vont, les corsages craquent, les jupons se déchirent, malheur à celle qui voudrait s’arrêter en chemin pour réparer le désastre de sa toilette, l’impitoyable galop passerait sur elle comme une trombe, et la foulerait aux pieds. Qui songe d’ailleurs à sa toilette dans un pareil moment. Qu’importe ce que les périls de la danse pourront livrer aux regards, d’appas inattendus, de trésors cachés; un peu plus ou un peu moins de nudité ne fait rien à l’affaire; d’ailleurs tous ces danseurs sont trop artistes pour s’en apercevoir, il n’y a guère que les gardes municipaux sur qui ces sortes de choses fassent encore quelqu’impression, et tout garde municipal qui se présenterait aux Vendanges de Bourgogne serait immédiatement conduit au violon. Laissez donc passer ces tailles que le lacet ne retient plus, ces bras dont nulle gaze ne cache les contours, on ne songe plus à toutes ces bagatelles; demain seulement, toutes ces femmes si belles, si fraîches la veille, se demanderont d’où vient la pâleur de leur teint, la maigreur de leurs bras; elle chercheront à savoir ce qui a pu les vieillir ainsi en un instant, sans songer qu’elles se sont livrées pendant toute une nuit à ce minotaure moderne qui s’appelle le galop chicard.
Il faut un but à tous ces enthousiasmes, il faut une direction à toutes ces ardeurs. Ce but, cette direction? c’est l’apothéose de Chicard. Mille voix répètent à l’envi cette proposition de la reconnaissance. Le moment est venu de sacrifier véritablement à la religion du plaisir, nobis deus hæc otia fecit. C’est un dieu qui leur a procuré ces doux loisirs, et ils savent que ce dieu s’appelle Chicard. On se querelle, on se bat, on se renverse, c’est à qui aura l’honneur de contribuer au triomphe de la divinité. Les femmes baisent le bout de sa tunique, d’autres cherchent à arracher une mèche de sa perruque, en voici qui jettent des fleurs devant ses pas comme aux panathénées de la Grèce. Le cortége est formé, bientôt il se déroule comme un serpent. Postillons de Lonjumeau, Alsaciennes, débardeurs, marquises plus ou moins Pompadour, bergères, gardes françaises, croque-morts, Andalouses, défilent devant le dieu au bruit d’un orchestre qui ne compte plus que des cuivres et des tambours. Toutes les poitrines hurlent le même refrain. Jupiter seul est impassible. L’orgie a passé sur lui sans l’atteindre, car il est le carnaval personnifié, drapé dans ses guenilles divines, il reçoit l’encens sans en être enivré; quelquefois même il daigne se manifester aux simples mortels; il fait une gambade, et c’est pour enrichir sa danse favorite d’une nouvelle figure; il parle, et le vocabulaire rabelaisien compte un bon mot de plus.
Mais avant que Jupiter ait disparu, laisserons-nous passer sans le saluer encore une fois ce casque si attendrissant, si élégiaque, de Marty? L’homme qui portait cette coiffure existe encore. Parfois on le voit errer comme l’ombre du malheur dans les corridors les plus élevés du théâtre de la Gaîté ou de l’Ambigu. Des hautes régions du poulailler, il jette un coup d’œil dédaigneux sur les folles contorsions du drame moderne, qui arrachent à peine çà et là quelques larmes furtives à l’auditoire; il se rappelle ces temps glorieux du Solitaire, pendant lesquels les queues n’étaient pas inventées, mais où l’on refusait beaucoup de billets au bureau. Alors brune était encore sa chevelure, et lançaient des éclairs ses yeux; comme un tonnerre retentissait sa voix, comme une avalanche résonnaient ses pas sous les voûtes du monastère. Hélas! comment ont fini ces beaux jours, Élodie la vierge du couvent, Élodie la colombe des ruines, Élodie l’ange d’Unterwald est devenue portière, et le casque de son amant ombrage le front de Chicard? Cependant Marty est fier, et il a raison de l’être, car jamais gloire ne fut plus pure que la sienne. Aujourd’hui l’on dit Talma, Frédéric, Bocage, mais on dit toujours monsieur Marty, tant est grande la vénération que ce nom inspire. Ce que c’est que d’avoir été toute sa vie innocent, malheureux, chevaleresque et persécuté! Marty sera le seul Monsieur admis par la postérité.
Ces morceaux de carton qui furent une visière, M. Guilbert de Pixérécourt s’inclina devant eux après la première représentation du Solitaire, et leur dit «Soldats, je suis content de vous.» Ces débris augustes, Chicard les porte sans orgueil, comme il porterait le chapeau à plumes qu’avait Louis XIV le jour où, sur les bords du Rhin, il se plaignait tant de sa grandeur qui l’attachait au rivage. Du reste, ce casque est nécessaire au costume du Dieu, il est le digne pendant de son habit gorge de pigeon. Cet habit n’est point celui avec lequel Chicard a fait sa première communion, comme on pourrait le croire à voir ses revers devenus trop courts comme ses manches; c’est le frac avec lequel Jupiter, jeune encore, jouait le Ci-devant jeune Homme chez Doyen. Comme tous les grands hommes, Chicard a commencé par jouer la comédie bourgeoise. Il y avait chez lui l’étoffe d’un grand acteur. Si l’on n’eût pas contrarié sa vocation, peut-être fût-il devenu un Rachel!
Saluons, nous aussi, le Dieu qui passe; c’est peut-être pour la dernière fois que nous l’apercevons dans toute sa gloire. Chicard est arrivé à ce haut sommet où les plus fortes natures ne peuvent se défendre du vertige. Il se croit assez puissant pour méconnaître son origine populaire; il tourne depuis quelque temps d’une façon déplorable à l’aristocratie; il fait l’homme célèbre, l’artiste, le lion. On le voit en gants jaunes à toutes les premières représentations, et l’on nous a assuré qu’il s’était montré en simple habit noir au bal de la Renaissance. Ceci ressemble furieusement à Napoléon répudiant Joséphine. Chicard sans son costume n’est pas de taille à résister aux ambitions qui fermentent autour de lui; ses maréchaux conspirent, ils sont las de la gloire de leur chef; si l’empereur du carnaval n’y prend garde, l’année prochaine il sera détrôné; la restauration des Turcs de la branche aînée est imminente. Talleyrand-Balochard aspire à la régence; en ce moment encore Chicard règne dans ses Tuileries; dans un an il aura peut-être la chaumière pour Sainte-Hélène! Chicard s’en va!
Mais n’attristons pas la fête des pasteurs, comme dit Duprez dans Guillaume Tell. Le cortége continue sa marche; on dirait une de ces processions fantastiques inventées par le roi Réné, le premier chorégraphe de son siècle; ce sont bien là les groupes chimériques, les costumes fallacieux, les silhouettes bizarres dessinés par ce pitoyable souverain, qui eût fait de nos jours un si grand directeur de l’Opéra. Floumann vocifère quelques-uns des refrains qu’il vient d’improviser, et que nous serons vraisemblablement obligés de subir plus tard, chantés par Levassor dans les entr’actes de quelque représentation à bénéfice; Balochard appelle la pantomime la plus incongrue au secours de ses lazzi; Silène bat joyeusement la mesure sur son ventre; autour du pavois le Çovage et Pétrin remplissent l’emploi de corybantes. Une partie de l’immortalité de Chicard semble être descendue sur leur front; ils marchent eux aussi ceints d’une auréole, jusqu’à ce que le jour qui commence à paraître vienne les arracher à leurs rêves, et leur faire expier leur déité d’un moment. Ainsi que Prométhée, ils ont voulu ravir la flamme céleste, et ils expient leur tentative insensée, comme celui qu’ils ont imité. Leur Caucase, c’est un comptoir, une étude de notaire, ou un bureau des contributions indirectes. Quant aux femmes qui font l’ornement de ces orgies, comment vous dire ce qu’elles deviennent? il faudrait pour cela vous conduire dans trop d’endroits où vous n’allez pas sans doute, ni nous non plus.
Une chose très-importante, selon nous, dont il faut en finissant féliciter Chicard c’est d’avoir tué pour jamais la descente de la Courtille. Si quelque chose sentait le vulgaire, l’épicier, le rétrospectif, c’est sans contredit cette solennité, qui n’était en définitive qu’une débauche de Debureau, une orgie de farine. C’est en vain que l’aristocratie moderne a voulu ressusciter cette triste cérémonie: Chicard a refusé de la prendre sous sa protection. La descente de la Courtille était ainsi nommée parce qu’il fallait, pour en faire partie, gravir une des plus rudes montées qui soient au monde. Les provinciaux et les étrangers tenaient cette solennité dans la plus grande vénération. C’était un article de foi dans les départements, de croire qu’il s’y passait des choses monstrueuses, excentriques, impossibles, babyloniennes. Dans l’imagination des oncles, la descente de la Courtille faisait le digne pendant des mystères d’Isis. Beaucoup de Parisiens, les Russes surtout qui venaient visiter la capitale, partageaient cette erreur déplorable. Le Russe de distinction qui vient à Paris pour s’amuser croit que les choses se passent toujours comme du temps de Cotillon III; il lui semble que tous les savants français correspondent encore avec l’ombre de la reine Catherine, et que les grands seigneurs vont danser à la barrière le mardi gras. Les boyards n’ont rien de plus pressé que de se rendre à la Courtille le mercredi des cendres; ils prennent la file comme s’ils allaient à l’Opéra; ils voient de tous côtés une foule d’ouvriers qui se rendent à leur travail; ils veulent leur jeter de la farine, on leur riposte par des pierres, et la Russie rentre grièvement blessée à son hôtel. Quand les choses ne se passent pas ainsi, on voit trente fiacres à la suite les uns des autres qui montent péniblement une côte escarpée. Peut-être sous Louis XV cela n’était-il pas ainsi; mais de nos jours il faut convenir que c’est l’exacte et fort consolante vérité. Depuis deux ans on ne descend plus la Courtille, il faut espérer que bientôt on n’ira plus à Longchamp. En sortant du bal Chicard on ne peut aller nulle part, pas même dans son lit.
Vous venez d’assister à la solennité la plus importante du carnaval actuel, le bal Chicard; vous savez maintenant à quoi vous en tenir sur cette célébrité récente, et vous savez aussi ce que la gaieté française est devenue. La décadence est dans tout, même dans le plaisir. Ces délassements bruyants n’engendrent que la mélancolie. Pour nous, il ne nous est jamais arrivé de sortir au crépuscule d’une de ces réunions, sans regarder avec attendrissement, au haut de quelque quatrième étage, la lampe de la jeune fille prudente qui se lève avant l’aube, pour que sa mère trouve tout prêt autour d’elle à son réveil; ou la lumière vacillante que le jeune homme va éteindre, après avoir travaillé toute la nuit. On a beau faire et beau dire, ce n’est point la gaieté véritable qui laisse après elle un regret!
Taxile Delord.
| Dessinateurs. | Graveurs. | Pages. | ||
| MM. | MM. | |||
| LA JEUNESSE DEPUIS CINQUANTE ANS, par M. TISSOT. | I | |||
| Type. | Gavarni. | Stypulkowski. | ib. | |
| Tête de page. | Émy. | id. | ib. | |
| Lettre. | Gavarni. | Lavieille. | ib. | |
| 1780. | Gagniet. | Montigneul. | II | |
| 1789 | id. | id. | VIII | |
| 1794 | id. | id. | X | |
| Jeunesse dorée. | id. | Bréval. | XI | |
| Juillet 1830. | id. | Belhatte. | XVII | |
| LE MODÈLE, par M. É. de la BÉDOLLIERRE. | 1 | |||
| Type. | Gavarni. | Porret. | ib. | |
| Tête de page. | Pauquet. | Verdeil. | ib. | |
| Lettre. | id. | id. | ib. | |
| Cul-de-lampe. | Meissonier. | Soyer. | 8 | |
| LA LIONNE, par M. E. GUINOT. | 9 | |||
| Type. | Gavarni. | J. Barat. | ib. | |
| Tête de page. | Pauquet. | Pibaraud. | ib. | |
| Lettre. | id. | id. | ib. | |
| L’HUMANITAIRE, par M. RAYMOND BRUCKER. | 17 | |||
| Type. | Gavarni. | Fagnon. | ib. | |
| Tête de page. | Émy. | Odiardi. | ib. | |
| Lettre. | id. | Bréval | ib. | |
| LA LOUEUSE DE CHAISES, par M. F. COQUILLE. | 25 | |||
| Type. | Gavarni. | Bréval. | ib. | |
| Tête de page. | Émy. | Louis. | ib. | |
| Lettre. | Gagniet. | Guilbaut. | ib. | |
| L’AGENT DE CHANGE, par M. Fréd. SOULIÉ. | 33 | |||
| Type. | Gavarni. | Guilbaut. | ib. | |
| Tête de page. | Meissonier. | Verdeil. | ib. | |
| Lettre. | id. | Louis. | ib. | |
| LA DEMOISELLE DE COMPAGNIE, par M. CORDELLIER DELANOUE. | 41 | |||
| Type. | Géniole. | Loiseau jeune | ib. | |
| Tête de page. | id. | Lavieille. | ib. | |
| Lettre. | id. | id. | ib. | |
| LE GENDARME, par M. OURLIAC. | 49 | |||
| Type. | H. Monnier. | A. Czechohicz. | ib. | |
| Tête de page. | Émy. | id. | ib. | |
| Lettre. | id. | id. | ib. | |
| LE FACTEUR DE LA POSTE AUX LETTRES, par M. HILPERT. | 57 | |||
| Type. | H. Monnier. | J. Barat. | ib. | |
| Tête de page. | Pauquet. | Porret. | ib. | |
| Lettre. | id. | id. | ib. | |
| Cul-de-lampe. | id. | Marchion. | 64 | |
| L’AVOCAT, par M. Old NICK. | 65 | |||
| Type. | Gavarni. | Stypulkowski. | ib. | |
| Tête de page. | Gagniet. | Bréval. | ib. | |
| Lettre. | Gavarni. | id. | ib. | |
| L’INSTITUTRICE, par madame Louise COLET. | 73 | |||
| Type. | Gagniet. | J. Barat. | ib. | |
| Tête de page. | Trimolet. | Odiardi. | ib. | |
| Lettre. | id. | id. | ib. | |
| LE POËTE, par M. É. de la BÉDOLLIERRE. | 81 | |||
| Type. | Gavarni. | Lavieille. | ib. | |
| Tête de page. | id. | Louis | ib. | |
| Lettre. | Meissonier. | Gérard. | ib. | |
| Le romantique. | Lorentz. | Guilbaut. | 83 | |
| L’élégiaque. | Gavarni. | Stypulkowski. | 84 | |
| Le biblique. | id. | id. | 85 | |
| Le classique. | id. | Gérard. | 86 | |
| Le faiseur de petits vers. | id | id | 87 | |
| Le nébuleux. | id. | Guillaumot. | 88 | |
| Type. | id. | Gérard. | 89 | |
| L’endormi. | Lorentz. | Guilbaut. | 90 | |
| L’intime. | Gavarni. | Gérard. | 92 | |
| Le faiseur de romances. | id. | Louis. | 93 | |
| Le chansonnier. | id. | id. | ib. | |
| Cul-de-lampe. | Traviès. | Gérard. | 96 | |
| LE CONDUCTEUR DE DILIGENCE, par M. HILPERT. | 97 | |||
| Type. | H. Monnier. | Lavieille. | ib. | |
| Tête de page. | id. | Gérard. | ib. | |
| Lettre. | id. | Pervillé. | ib. | |
| LE NOTAIRE, par M. de BALZAC. | 105 | |||
| Type. | Gavarni. | Stypulkowski. | ib. | |
| Tête de page. | Gagniet. | Birouste. | ib. | |
| Lettre. | id. | id. | ib. | |
| LE PÊCHEUR A LA LIGNE, par M. BRISSET. | 113 | |||
| Type. | H. Monnier. | Lavieille. | ib. | |
| Tête de page. | Meissonier. | id. | ib. | |
| Lettre. | Gagniet. | id. | ib. | |
| LE CROQUE-MORT, par M. Pétrus BOREL. | 121 | |||
| Type. | H. Monnier. | Louis. | ib. | |
| Tête de page. | id. | Gérard. | ib. | |
| Lettre. | Pauquet. | Stypulkowski. | ib. | |
| Le cocher. | H. Monnier. | Birouste. | 127 | |
| Le maître de cérémonies. | id. | id. | 128 | |
| L’ordonnateur. | id. | id. | 129 | |
|
|
L’ÉCOLIER, par M. Henri ROLLAND. | 134 | ||
| Type. | Charlet. | Guilbaut. | ib. | |
| Tête de page. | Gagniet. | Lavieille. | ib. | |
| Lettre. | id. | Guilbaut. | ib. | |
| Écolier. | Cousin. | Porret. | 136 | |
| Type. | Gavarni. | Pervillé. | 138 | |
| Souris. | id. | Louis. | 139 | |
| LE COCHER DE COUCOU, par M. L. COUAILHAC. | 145 | |||
| Type. | H. Monnier. | J. Barat. | ib. | |
| Tête de page. | Émy. | Gérard. | ib. | |
| Lettre. | id. | id. | ib. | |
| LE MAITRE DE PENSION, par M. Élias REGNAULT. | 153 | |||
| Type. | Gavarni. | Guillaumot. | ib. | |
| Tête de page. | Pauquet. | Lavieille. | ib. | |
| Lettre. | id. | Lavieille. | ib. | |
| LE GAMIN DE PARIS, par M. Jules JANIN. | 161 | |||
| Type. | Gavarni. | Soyer. | ib. | |
| Tête de page. | Trimolet. | Lavieille. | ib. | |
| Lettre. | id. | id. | ib. | |
| Deuxième type. | Charlet. | Porret. | ib. | |
| Cul-de-lampe. | Gavarni. | Bréval. | 170 | |
| LA DEMOISELLE A MARIER, par madame ANNA MARIE. | 171 | |||
| Type. | Gavarni. | Gérard. | ib. | |
| Tête de page. | Pauquet. | Stypulkowski. | ib. | |
| Lettre. | Gavarni. | Gérard. | ib. | |
| LE PRÉCEPTEUR, par M. Stanislas DAVID. | 185 | |||
| Type. | Gavarni. | Stypulkowski. | ib. | |
| Tête de page. | Pauquet. | Porret. | ib. | |
| Lettre. | Gagniet. | Guilbaut. | ib. | |
|
|
LE SOCIÉTAIRE DE LA COMÉDIE FRANÇAISE, par M. L. COUAILHAC. | 193 | ||
| Type. | H. Monnier. | J. Barat. | ib. | |
| Tête de page. | id. | Gérard. | ib. | |
| Lettre. | Émy. | id. | ib. | |
| LA CANTATRICE DE SALON, par M. Maurice de FLASSAN. | 201 | |||
| Type. | Géniole. | Stypulkowski. | ib. | |
| Tête de page. | Pauquet. | Vien. | ib. | |
| Lettre. | Géniole. | Stypulkowski. | ib. | |
| LE GARÇON DE BUREAU, par M. BILLIOUX. | 209 | |||
| Type. | Charlet. | Guilbaut. | ib. | |
| Tête de page. | id. | id. | ib. | |
| Lettre. | id. | id. | ib. | |
| L’INVALIDE, par MM. LORENTZ et de la BÉDOLLIERRE. | 217 | |||
| Type. | Lorentz. | Guilbaut. | ib. | |
| Tête de page. | Gagniet. | Odiardi. | ib. | |
| Lettre. | Lorentz. | Pervillé. | ib. | |
| Le tambour. | id. | Guilbaut. | 221 | |
| Douze petits dessins. | id. | id. | 222 à 224 | |
| Deuxième type. | H. Monnier. | Gérard. | ib. | |
| La garde montante. | Charlet. | Birouste. | 227 | |
| L’officier des guerres de Hanovre. | id. | Porret. | 229 | |
| Troisième type. | id. | id. | 233 | |
| Tambour-major. | id. | id. | 234 | |
| Le danseur. | id. | Louis. | ib. | |
| La bataille. | id. | Birouste. | 235 | |
| Les buveurs. | id. | Guilbaut. | 236 | |
| L’égrillard. | id. | id. | ib. | |
| Le jardinier. | id. | Porret. | 237 | |
| Le pêcheur. | id. | Guilbaut. | 238 | |
| LE RHÉTORICIEN, par M. Eugène de VALBEZEN. | 241 | |||
| Type. | Gavarni. | Lavieille. | ib. | |
| Tête de page. | Trimolet. | Laisné. | ib. | |
| Lettre. | id. | Bréval. | ib. | |
| M. le procureur du roi. | id. | Guillaumot. | 247 | |
| Le colonel. | Trimolet. | Verdeil. | 248 | |
| La mort de Lambert. | id. | Guillaumot. | 249 | |
| La jeune mère. | id. | Verdeil. | 250 | |
| L’HERBORISTE, par M. L. ROUX. | 251 | |||
| Type. | Gavarni. | Birouste. | ib. | |
| Tête de page. | Émy. | Bréval. | ib. | |
| Lettre. | id. | id. | ib. | |
| L’HOMME A TOUT FAIRE, par M. P. BERNARD. | 257 | |||
| Type. | Gavarni. | Porret. | ib. | |
| Tête de page. | Pauquet. | Bréval. | ib. | |
| Lettre. | id. | Pottin. | ib. | |
| Le marchand de hannetons. | Daumier. | Loiseau. | 260 | |
| Cul-de-lampe. | Gavarni. | Stypulkowski. | 264 | |
| LE COMPOSITEUR TYPOGRAPHE, par M. Jules LADIMIR. | 265 | |||
| Type. | H. Monnier. | Fontaine. | ib. | |
| Tête de page. | Émy. | Cherrier. | ib. | |
| Lettre. | Gagniet. | Loiseau. | ib. | |
| LE SPORTSMAN PARISIEN, par M. le comte Rodolphe d’ORNANO. | 277 | |||
| Type. | Gavarni. | Louis. | ib. | |
| Tête de page. | Meissonier. | Guillaumot. | ib. | |
| Lettre. | id. | Loiseau. | ib. | |
| Deuxième type. | Gavarni. | Montigneul. | 281 | |
| Cul-de-lampe. | Pauquet. | Porret. | 288 | |
| LE JOUEUR DE BOULES, par M. B. DURAND. | 289 | |||
| Type. | Charlet. | Louis. | ib. | |
| Tête de page. | id. | id. | ib. | |
| Lettre. | id. | Pervillé. | ib. | |
| Cul-de-lampe. | id. | Guilbaut. | 296 | |
| LE CORRESPONDANT DRAMATIQUE, par M. Charles FRIÈS. | 297 | |||
| Type. | H. Monnier. | Loiseau. | ib. | |
| Tête de page. | Valério. | Lavieille. | ib. | |
| Lettre. | id. | id. | ib. | |
|
|
LE GARÇON DE CAFÉ, par M. RICARD. | 305 | ||
| Type. | H. Monnier. | J. Barat. | ib. | |
| Tête de page. | Gagniet. | Laisné. | ib. | |
| Lettre. | id. | id. | ib. | |
| LE MAQUIGNON, par M. A. DUBUISSON. | 313 | |||
| Type. | H. Monnier. | Louis. | ib. | |
| Tête de page. | Émy. | Birouste. | ib. | |
| Lettre. | id. | id. | ib. | |
| L’AGENT DE LA RUE DE JÉRUSALEM, par M. A. DURANTIN. | 321 | |||
| Type. | Gavarni. | Gérard. | ib. | |
| Tête de page. | Trimolet. | Verdeil. | ib. | |
| Lettre. | id. | Stypulkowski. | ib. | |
| L’AUTEUR DRAMATIQUE, par M. Hippolyte AUGER. | 329 | |||
| Type. | Gavarni. | Gagnon. | ib. | |
| Tête de page. | Pauquet. | Stypulkowski. | ib. | |
| Lettre. | id. | H. Pottin. | ib. | |
| LA VIEILLE FILLE, par madame Marie d’ESPILLY. | 337 | |||
| Type. | Géniole. | Verdeil. | ib. | |
| Tête de page. | Pauquet. | Lavieille. | ib. | |
| Lettre. | Géniole. | Porret. | ib. | |
| LE DÉFENSEUR OFFICIEUX, par M. Émile DUFOUR. | 347 | |||
| Type. | Daumier. | Birouste. | ib. | |
| Tête de page. | id. | Deghouy. | ib. | |
| Lettre. | id. | Loiseau jeune. | ib. | |
| Consultation. | id. | id. | 349 | |
| Cul-de-lampe. | id. | id. | 352 | |
| L’USURIER, par M. L. JOUSSERANDOT. | 353 | |||
| Type. | Gavarni. | Lavieille. | ib. | |
| Tête de page. | Pauquet. | Bréval. | ib. | |
| Lettre. | id. | id. | ib. | |
|
|
LE CHICARD, par M. Taxile DELORD. | 361 | ||
| Type. | Gavarni. | Lavieille. | ib. | |
| Tête de page. | id. | Louis. | ib. | |
| Lettre. | id. | Gérard. | ib. | |
| Madame Chicard. | id. | Lavieille. | 367 | |
| Floumann. | id. | id. | ib. | |
| Sauvage civilisé. | id. | id. | 368 | |
| La loge. | id. | id. | 369 | |
| Silène. | id. | id. | ib. | |
| Balochard. | id. | id. | ib. | |
| Pétrin. | id. | id. | 370 | |
| Le galop. | id. | Louis. | 374 |