Les Mystères du Louvre
Les officiers avaient été réveillés par ces bruits.
—Si vous le permettez, je prendrai les devants. Je crois bon qu'on ne nous voie pas arriver ensemble là-bas. Soyez tranquille, vous m'y retrouverez, où je vous y donnerai de mes nouvelles en temps et lieu.
—J'y compte bien, vieux sphinx, fit le cardinal ranimé involontairement par l'assurance de son conseiller.
Celui-ci partit en grande hâte sur une très modeste haquenée, tandis que le ministre, affectant de montrer à ses gens et aux officiers de ses gardes,—on sait qu'il en avait une compagnie à lui seul,—un visage serein, prenait place dans la voiture, qui devait, suivant les intentions du père Joseph, le conduire à petite vitesse à la résidence de chasse qui composait alors le château de Versailles.
Ceci se passait en novembre et est devenu une date caractéristique que l'histoire conserve, comme un des enseignements les plus curieux à l'usage des favoris et des intrigants de cour.
L'arrivée du père Joseph ne surprit personne au château, on avait l'habitude de le voir se glisser partout, et quoiqu'on se méfiât de lui, il savait prendre des allures si bénignes qu'on aurait eu des scrupules de fermer les portes à une si humble personne.
En ce moment, les chefs de la conspiration contre le cardinal étaient si sûrs de leur réussite qu'ils n'étaient pas fâchés d'avoir un témoin qui ne manquerait pas de lui en porter la nouvelle toute fraîche.
Le gage de cette réussite, sa consécration, était dans l'appel adressé au maréchal de Marillac sur le désir inspiré au roi par les deux reines.
Ces princesses s'étaient emparées de l'esprit du monarque.
Tandis que Louise le détournait du cardinal et usait de son crédit uniquement pour le salut de ses amis, les princesses, saisissant l'influence politique, préparaient les derniers coups.
Louis de Marillac et son frère Michel, qui fut quelque temps garde des sceaux, devaient leur élévation au cardinal, mais l'un et l'autre n'avaient pas hésité, sur les promesses séduisantes de Marie de Médicis, à s'embarquer dans la conspiration, dont ils devaient recueillir les fruits. La nomination du maréchal était aux mains d'un secrétaire, qui allait la porter au roi, lorsqu'un carrosse entra avec grand bruit dans la cour d'honneur du château.
Les jours sont si courts en novembre que, bien qu'il fût à peine six heures d'après midi, la nuit était presque arrivée. Versailles était une résidence, une retraite intime, où nul, fût-ce le premier gentilhomme de France, n'avait droit de venir relancer le monarque sans une invitation précise. Quel était donc l'outrecuidant visiteur qui envahissait le château?
Dans le salon où se tenaient les reines, la duchesse de Chevreuse et le futur premier ministre, on ne tarda pas à le savoir.
L'huissier de service annonça tout à coup:
—Monseigneur le cardinal de Richelieu!
Chacun se regarda avec étonnement. On croyait le cardinal informé de ce qui se passait,—et il l'était en effet,—et l'on ne comprenait rien à l'excès d'audace qui l'amenait en un pareil moment.
—C'est sans doute, dit Marie de Médicis, qu'il vient chercher la nouvelle de sa disgrâce... Soit, qu'il entre; j'aurai le plaisir de la lui signifier moi-même.
L'huissier se tenait debout, comme un soldat en faction, près de la porte qu'il maintenait ouverte. Ces mots arrivèrent jusqu'au cardinal, qu'ils atteignirent dans les fibres les plus sensibles de son incommensurable orgueil. Il maudit de rage le père Joseph, dont les conseils et l'insistance lui attiraient cette humiliation.
Mais la glace était rompue, on l'avait annoncé; sous peine de se déshonorer, il fallait paraître.
Il s'avança, en composant sa figure de façon à trahir le moins d'émotion possible, et sans adresser un regard à la duchesse ni au maréchal, il vint jusqu'aux deux reines, devant lesquelles il s'inclina avec une humilité sans précédents de sa part.
Anne d'Autriche se fût peut-être troublée, un coup d'œil de son implacable belle-mère lui rendit sa haine et sa fermeté. Elle toisa comme elle le favori en disgrâce, sans lui adresser la parole.
Il se vit obligé de rompre le silence:
—Vous parliez de moi, Majestés, dit-il; me voici pour entendre vos reproches, si vous en avez à m'adresser, et pour me justifier.
—Nous n'avons rien à vous dire, monsieur, répondit sèchement la reine-mère, si ce n'est de vous témoigner notre surprise de cette visite inattendue.
—Cependant j'ai cru entendre Votre Majesté parler d'une nouvelle?
—En effet, une méchante nouvelle pour vous, monsieur. Mais c'est le roi, notre fils, qui vous la transmettra; nous vous invitons à l'aller attendre à Paris.
—Un accueil si sévère... balbutia Richelieu déconcerté.
—Ne vous étonne sans doute point...
—Que Votre Majesté m'excuse, il m'étonne assez pour que j'ose lui en demander l'explication.
—Nous ne vous en devons pas, monsieur.
—Votre Majesté, je le vois, est fort irritée contre moi, et personne ici n'élève la voix en ma faveur.
Il porta les yeux autour de lui, mais Anne d'Autriche répondit d'un ton glacial:
—Souvenez-vous de Chalais...
Le cardinal se mordit les lèvres jusqu'au sang. Il avait naguère osé faire entendre au roi, pour achever de l'éloigner de sa femme, que celle-ci secondait les complots régicides de Chalais, afin d'être délivrée d'un époux qu'elle détestait.
Il regarda alors la duchesse de Chevreuse qui, moins dure, mais plus mordante, se contenta de répondre:
—Lorsque monseigneur de Châteauneuf sera sorti de la Bastille, c'est lui qui portera à Votre Éminence mes compliments et mes explications.
S'adressant alors au maréchal:
—Vous, monsieur, lui dit-il, vous avez sans doute aussi vos griefs? N'allez-vous point me reprocher d'être l'auteur de votre fortune et de celle de votre frère?
—Monseigneur, répondit le nouveau favori, vous m'avez fait maréchal, je ne l'oublie pas, mais le roi m'a mandé ici pour me faire premier ministre. Je dois soumission au roi.
—Il suffit, répliqua Richelieu, que ce dernier trait stimula comme un aiguillon. Ma disgrâce est complète, je le reconnais. Il ne me reste qu'à me retirer. Mais je ne suis pas un valet qu'on chasse, et sans attendre qu'on me signifie ma déchéance, je vais remettre mes pouvoirs au roi, de qui je les tiens, et que je veux assurer, même quand il me frappe, de mon dévouement inaltérable.
En prononçant ces mots, il traversa le salon, vers la porte opposée à celle par où il était entré.
Cette porte donnait dans la chambre du roi.
—Où allez-vous, monsieur?... s'écria Marie de Médicis en se levant.
—Je vous l'ai dit, madame, répondit avec une humilité apparente le cardinal, résigner mes pouvoirs entre les mains de qui je les tiens.
Et il fit encore un pas.
—C'est inutile, répliqua impérieusement la princesse; vous n'êtes plus ministre et votre présence ne pourrait qu'importuner le roi.
—Votre Majesté traite durement ses ennemis vaincus; j'eusse espéré, dans ma disgrâce, la trouver plus clémente.
—Ceux-là seuls ont droit à la clémence qui ne se montrèrent pas impitoyables dans le succès... Encore une fois, monsieur, retirez-vous; vous ne verrez pas le roi, et, s'il le faut, je vais appeler les huissiers...
Il s'était rapproché encore du fond du salon, et saisissant le bouton de la porte:
—Je suis chez le roi, dit-il, jouant son va-tout, c'est au roi seul à me renvoyer.
Sans se faire annoncer, sans frapper, il entra dans la chambre royale, dont il referma la porte sur lui au verrou.
Louis XIII était assis devant un monceau de papiers qu'il examinait à la clarté d'une lampe.
Au bruit de la serrure, il tourna brusquement la tête; à la vue de son ministre, il se dressa debout par un mouvement galvanique, et ses traits devinrent livides.
—Vous êtes bien hardi! balbutia-t-il avec un terrible effort. L'émotion le rendait plus bègue que jamais.
Mais ce bégayement furieux, ces syllabes hachées, saccadées, répétées à l'infini, étaient plus menaçantes que des reproches sévères adressés par une phrase suivie.
Elles eurent cependant pour le cardinal un contre-coup heureux, elles lui donnèrent le temps de se remettre un peu.
—Sire... commença-t-il en s'inclinant.
—Non! non!... rien! exclama le roi, cherchant à exprimer sa volonté par des monosyllabes qui n'excitassent pas sa malheureuse infirmité.
Et joignant la pantomime à la parole, il montrait la porte.
—Les intérêts de l'État... voulut dire Richelieu.
—Rien!... répéta le roi en renouvelant son geste.
—Les intérêts de votre auguste personne... insista Richelieu.
—Sortez donc!... fit Louis XIII, qui cherchait, dans les ordres les plus durs, à exciter sa fermeté dont il se défiait, tant il en avait peu l'habitude.
Dans la pièce voisine, Marie de Médicis et Anne d'Autriche, que la hardiesse du cardinal avait prises au dépourvu, s'efforçaient d'ouvrir, mais, nous l'avons vu, son premier soin avait été de s'enfermer avec le roi.
Celui-ci entendait du moins leurs grattements à la porte, et sachant qu'elles écoutaient, il parlait haut pour qu'elles vissent qu'il ne faiblissait pas.
—On vous trompe, sire... disait Richelieu.
—Dites qu'on me trompait, répéta le roi, et que je ne veux plus que cela soit.
—Votre Majesté refuse d'entendre ma justification?
—Absolument.
—J'aurais pensé que mes bons et loyaux services...
—Assez!...
Pour la troisième fois, Louis XIII, pressé d'en finir, lui montra la porte.
Son regard courroucé, sa voix dure, sa respiration bruyante effrayèrent à la fin son favori qui, redoutant quelque chose de pire encore que ce congé, s'avoua lui-même vaincu et commença à se retirer à reculons.
Il était dit que ce soir-là la chambre de Louis XIII serait accessible comme un vestibule banal. Il ne restait plus que deux pas à franchir au cardinal pour reprendre le chemin qui l'avait amené, lorsqu'une petite porte de service, située au pied de l'alcôve où se dressait le lit, s'ouvrit à son tour.
—Hein!... qui va là?... exclama le roi, voyant des ennemis partout.
C'était Boisenval, qui, courbé en deux, rampant plus qu'il ne marchait, évitant surtout l'œil flamboyant du monarque, tendit un billet à Richelieu et s'éclipsa dès que celui-ci l'eut pris.
Le roi écumait; dans sa rage impuissante, il froissait et dispersait les papiers accumulés sur son bureau, renversait son fauteuil, et s'épuisait en violences apoplectiques, pour articuler quelques bribes de syllabes ayant un sens complet.
D'un seul regard, Richelieu avait embrassé le contenu du papier. Il était de son confident, le père Joseph, et ne renfermait que deux lignes encore fraîches.
Les yeux ardents du roi tombèrent sur ce feuillet, et ne sachant plus sur qui exercer sa colère:
—Ce papier!... s'écria-t-il; encore un complot. Ce papier... je le veux!
Mais depuis qu'il l'avait lu, Richelieu ne tremblait plus; un éclair avait même sillonné ses traits; il s'était redressé de toute sa grande taille, et au lieu de se retirer, il avait fait plusieurs pas en avant dans la chambre.
—Traître!... vociféra le roi en le menaçant de son poing fermé, obéiras-tu!...
A cet ordre il crispa, au contraire, avec une lenteur calculée, le papier dans sa main, et fléchit le genou avec une humilité et un respect qui commencèrent à impressionner le roi, honteux de son excès de langage et d'attitude.
—Sire, fit-il, Votre Majesté peut me broyer sous ses pieds, c'est son droit; elle peut m'accabler de reproches, car je n'ai sans doute pas rempli, comme je l'eusse dû, comme je l'eusse voulu, la haute mission que je tenais d'elle... J'accepte sa colère, je me courbe devant ses arrêts... Mais jusqu'à mon dernier souffle je veux me vouer à sa tranquillité et à son bonheur... c'est pour cela que je lui désobéirai cette fois...
—Ainsi, ce billet?
—Je le détruis... Et en effet, il parsema le tapis de ses fragments.
—Ah! j'avais donc deviné!... c'était une trahison nouvelle!... Parlerez-vous enfin?...
—Sire, insinua Richelieu, toujours agenouillé, ne voyez dans mon silence que mon respect pour Votre Majesté... Mon devoir, je le sais, est de vous obéir, mais ne l'exigez pas... Il m'en coûterait trop de briser les illusions de Votre Majesté... de lui prouver que ceux en qui elle a mis sa confiance en font un abus odieux... que l'on a tracé autour d'elle une trame destinée à surprendre sa magnanimité, son besoin d'affection, de tendresse...
A ce dernier mot, le roi baissa les yeux, sa fureur sembla s'éteindre sous la honte d'avoir été deviné dans la poursuite d'une aventure de galanterie.
Richelieu feignit de ne rien remarquer; il poursuivit sur le même ton d'hypocrite condoléance:
—Enfin, j'aurais un remords éternel de montrer que la personne qui a servi d'instrument à mes ennemis auprès de Votre Majesté jouait un rôle infâme, et feignait pour vos bienfaits une fidélité qu'elle ne pratiquait pas!...
Ici, Louis XIII se redressa par un dernier élan:
—Vous attaquez mademoiselle de Lafayette, monsieur!...
—J'ignore, sire, le nom de cette personne, mais je crois savoir...
—Des preuves!... exclama le roi; des preuves!...
—Eh bien, répondit Richelieu, se relevant de son humble posture, et saisissant avec véhémence le roi par le bras; eh bien, vous en aurez, sire!...
Il l'entraîna vers une fenêtre donnant sur le parc, et lui montra, d'un geste muet, près d'une tonnelle éclairée en plein par la lune, une jeune femme et un jeune homme, causant avec vivacité et se tenant les mains enlacées.
Le roi faillit s'affaisser sur lui-même à ce spectacle; il se retint à l'espagnolette de la croisée et au bras du cardinal. Pour le coup, la parole lui manquait tout à fait.
Mais bientôt les jeunes gens s'étant séparés et perdus dans l'ombre, chacun de leur côté, il sortit de cet accès d'épuisement.
—Monseigneur, dit-il à Richelieu, vous êtes mon seul ami... ne m'abandonnez pas...
En disant cela, de grosses larmes roulaient dans ses yeux.
XXIII
LA FAVORITE.
Quel était donc ce couple dénoncé par la vigilance du père Joseph, et livré en holocauste par le cardinal, pour ressaisir son crédit sur le roi?
Nous faisons peut-être outrage à la pénétration du lecteur en lui posant cette question, qu'il aura résolue avant nous. Oui, ces deux jeunes gens, qui s'entretenaient avec si peu de précaution, sous l'abri insuffisant de la salle verte du parc, c'étaient Philippe de Champaigne et Louise de Lafayette.
Amené par la reine-mère à Saint-Germain, l'artiste n'avait pu qu'y entrevoir la charmante fille d'honneur. Quel que fût leur désir commun d'avoir un entretien, la prudence la plus élémentaire le rendait impossible dans cette résidence, où Louise était l'objet de tous les regards, où elle se sentait surveillée par le perfide Boisenval, où la cour était réunie comme une fourmillère dans l'étroite enceinte du palais.
A Versailles, au contraire, les choses rentraient dans une sorte de solitude. Un très petit noyau accompagnait le roi, et Louise avait entendu, avec un soulagement bien vif, Boisenval annoncer et répéter sur tous les tons qu'il n'était pas de ce voyage, et n'irait pas à Versailles avant d'en recevoir l'invitation formelle des princes.
Moins innocente, Louise se fût tenue sur ses gardes, en raison même de ce luxe d'affirmation. Mais il est écrit que les fourbes auront le dessus des esprits honnêtes.
Boisenval avait suivi la royale caravane, et s'était installé dans les environs du château, où il devenait d'autant plus dangereux qu'on n'était pas en garde contre ses manœuvres. Un seul homme connaissait sa présence en ce lieu, et le stimulait encore: c'était l'éternel père Joseph.
L'abattement de son patron, loin de le gagner, lui donnait plus d'ardeur. Il se piquait au jeu; comme un grand tacticien, il n'avait jamais plus de sang-froid, plus d'imagination que dans les occasions décisives. Il se plaisait à envisager le péril afin de le combattre pied à pied, d'opposer la ruse à la ruse, la force à la force, de faire tomber ses adversaires dans le piège creusé par leurs propres mains.
Madame de Chevreuse, si habile que nous la sachions, ne possédait pas au même degré ces qualités indispensables; la diplomatie, l'intrigue, formaient son élément principal. Elle perdit souvent ses batailles à force d'enthousiasme, pour avoir cru trop vite à la victoire.
Cette fois, absorbée des soins d'un triomphe qu'elle regardait comme immanquable, elle ne songeait plus déjà, dans le petit cénacle où nous l'avons laissée, en compagnie des deux reines et du maréchal, qu'à pourvoir aux suites de ce succès.
On se partageait très gravement les dépouilles du cardinal, comme la succession d'un homme enterré. Personne ne pensait à la jeune fille qui avait servi d'instrument à ce revirement politique; on la connaissait si modeste, si peu ambitieuse, que l'on savait bien qu'elle n'aurait jamais les velléités tyranniques d'une vraie favorite.
On faisait là, sans s'en douter, par cet oubli même de sa personne dans cette répartition du butin, son plus noble, son plus éloquent éloge.
En effet, elle ne songeait guère, la tendre enfant, à ces questions de titres, de fortune, de faveur!... Son cœur battait d'une émotion plus douce; un mot échangé dans la journée avec Philippe l'attirait dans le parc, où enfin elle allait le revoir, lui parler sans témoins!
Mais ce bonheur n'était pas sans mélange. A l'ambroisie, un génie mauvais avait pris soin de joindre le fiel. Louise allait savoir si, comme Boisenval l'avait insinué, elle devait ne plus voir qu'une rivale, et une rivale préférée, dans la plus intime de ses amies.
Henriette! Philippe!... que d'insomnies ces deux noms, retentissant sans cesse à son esprit, lui causaient depuis cette révélation venimeuse.
Peu s'en fallut, dans son anxiété, qu'elle n'arrivât la première, car le jeune peintre, par une inquiétude bien différente, était balloté entre un égal désir de venir à cet entretien et un insurmontable serrement de cœur.
Durant le peu de jours qu'il venait de passer à Saint-Germain et à Versailles, il n'avait que trop vite été confirmé dans les bruits, déjà parvenus à lui sous une forme plus vague, touchant la nouvelle fortune de la fille d'honneur de la reine.
Dès qu'elle l'aperçut, celle-ci s'élança au devant de lui, tandis que, saisi d'une émotion insurmontable, il ne trouva pas la force de lui abréger la distance.
—Philippe! mon ami, s'écria-t-elle en s'emparant de sa main qu'il lui tendait à peine, je vous retrouve donc!...
Et lui, au lieu de baiser cette main charmante qui s'attachait à la sienne, il la pressa imperceptiblement du bout des doigts.
Le cœur n'a pas besoin de longs discours pour comprendre ces choses. Louise se retira soudain de cette froide accolade, et l'amertume succédant brusquement à la joie qui inondait ses traits:
Henriette étant venue la joindre...
—Philippe, poursuivit-elle, ce qu'on m'a dit est vrai, vous ne m'aimez plus!
—Avant de vous répondre, mademoiselle, répondit-il péniblement, permettez-moi de vous demander si vous m'avez jamais aimé?
—Si je l'ai aimé!... s'écria-t-elle dans un long soupir; mon Dieu! il ose en douter...
—Que voulez-vous, mademoiselle, je suis un pauvre esprit froid et inquiet, droit comme la justice, mais sévère comme elle. Les ruses, les astuces, les intrigues des cours ne sont pas mon fait. Je me dirige sur la lumière, tenant pour vrai ce que je vois, et non sur les ténèbres où je soupçonne le mensonge. Eh bien, ce que je vois me dit que vous ne m'aimez pas.
—Dites que vous en aimez une autre, monsieur, et épargnez-vous ces détours.
—Sur mon âme, écoutez-moi, mademoiselle. Mes lèvres n'ont pas l'habitude du mensonge: ce qu'elles disent, je le pense. Un moment, oui, je le confesse, je crus être aimé de vous, et ce bonheur inespéré, immense, faillit me rendre fou... Ah! vous ignorerez toujours par quelle idolâtrie j'eusse voulu répondre à cet amour, s'il eût été vrai... Vous avez eu, entre toutes les femmes, le premier battement de mon cœur... Hélas!...
—Et ce cœur s'est bien vite refermé et donné à une autre, n'est-ce pas?
Il voila son visage sous ses deux mains, peut-être pour lui dérober ses larmes, et s'écria sourdement:
—Ah! Louise, je vous eusse trop aimée!
—Trop aimée! répéta la jeune fille avec une ironie déchirante; et d'où vient que cette tendresse s'est évanouie si vite?
—Elle le demande! Mais c'est qu'elle ose le demander!... dit le jeune homme, plein d'amertume et de mépris.
—J'ai le droit d'interroger quand on m'accuse!... Dites donc, ingrat, quelles preuves ne vous ai-je pas données de mon amour? C'est moi qui, vous voyant mélancolique et isolé, suis allée à vous la première! C'est moi qui, oubliant les lois de l'étiquette, les dangers de la médisance, la surveillance sévère attachée à mon emploi, n'ai pas craint de vous rendre visites sur visites dans votre atelier; de vous laisser prendre modèle sur ma pose, sur mes mains, pour votre tableau préféré... Et qui donc a adressé à l'autre les premiers mots du cœur... dites? Est-ce vous, ou n'est-ce pas moi encore?...
—Tout cela est juste; et alors combien je vous chérissais!...
—Et depuis quand ai-je cessé de mériter cette affection, que j'avais lâchement mendiée...
—Louise!...
—Oh! non, les mots ne me font pas peur; ce qui m'afflige et m'effraye, c'est l'ingratitude, la trahison...
—Contre qui ces accusations sévères?...
—Contre l'homme qui n'a pas craint de m'accabler de son oubli; contre l'amie qui m'a volé le cœur dont je me croyais maîtresse.
—Henriette?...
—Oui, Henriette; elle était mon amie: nierez-vous qu'elle soit votre amante?
—N'accusez pas la vertu la plus pure, l'innocence la plus sainte!
—Innocente et pure, qui donc oserait dire que je le suis moins qu'elle?
Philippe eut un long frémissement, il voulut parler, balbutia, et saluant sa compagne:
—Ce sont là des récriminations stériles, mademoiselle; un mauvais souffle a passé à travers notre existence et l'a désenchantée... Nous n'eussions pas dû chercher à nous revoir... Ne reprochez pas à Henriette de consoler celui dont vous avez fait le premier chagrin, après avoir été sa première joie...
Il s'inclina plus bas encore, comme un courtisan devant une reine, et voulut partir.
—Non pas, dit-elle en le retenant, je ne vous laisserai pas me quitter ainsi... Vos propos sont pleins de réticences et d'obscurités, qui me glacent comme autant de reptiles. Si vous ne me devez plus votre affection, vous me devez la vérité du moins, la vérité tout entière, comme il appartient à un gentilhomme et à un artiste de la dire; gentilhomme et artiste, vous êtes l'un et l'autre, donc vous parlerez!
—Étrange obstination!... Ce que je vous dirais, vous le savez mieux que moi; et si ce n'est pour m'imposer un supplice nouveau, quelle volupté raffinée vous promettez-vous d'un aveu qui vous ferait rougir!
—Grâce à Dieu, fit-elle avec une dignité dont il se sentit troublé, je suis au-dessus de vos outrages; mais nul ne saurait se dire au-dessus de la vérité.—Que vous ne m'aimiez plus, j'y suis résignée; que vous aimiez Henriette, c'est votre droit;—mais la vérité, je l'exige!
Pour la seconde fois, il ouvrit la bouche, commença un mot inarticulé, et s'arrêtant devant une tâche impossible:
—Non, s'écria-t-il, décidément, je n'aurai pas ce courage!..
—Mais je le veux, répliqua-t-elle en lui serrant le poignet avec une énergie jusque-là sans exemple de sa part, et je m'attache à vous jusqu'à ce que vous ayez parlé!
—Prenez garde, dit-il en la foudroyant du regard, si le roi allait vous voir!
—Le roi?...
—Le roi... répéta-t-il en hochant la tête avec une expression satanique.
Son œil devint fixe, sa main se détacha peu à peu de lui; elle demeura quelques secondes immobile, livide; puis se frappant le front sous le coup de cette découverte horrible:
—Ah! malheureuse! malheureuse!...
Ce ne furent plus seulement des larmes, mais des sanglots, à ce point qu'il en eut pitié, se rapprocha d'elle et voulut reprendre cette main qui l'avait retenu de force tout à l'heure.
—Pourquoi m'avez-vous contraint de vous dire cela?...
—C'est donc vrai? demanda-t-elle avec égarement, on dit, on ose dire que je suis la maîtresse du roi?...
—C'est vrai.
—Et vous l'avez cru, vous?...
—Louise, calmez-vous, de grâce.
—Ah! Dieu est cruel!... la maîtresse du roi!... Je comprends tout, maintenant; vos dédains, votre abandon... Vous avez fait comme les courtisans, les envieux! Je suis innocente, pourtant; j'en fais serment par ce ciel étoilé qui nous regarde! Le roi n'a jamais eu pour moi que les égards et les paroles irréprochables d'un frère pour sa sœur! Les calomnies du monde n'avaient pu m'atteindre, elles s'étaient arrêtées avec les immondices au seuil de mon antichambre; il a fallu que ce fût vous qui me les apprissiez!... Rien, rien n'est vrai, entendez-vous!...
—Mais, hasarda-t-il, cette faveur qui vous environne!...
—Vous voulez dire que je recherche, n'est-ce pas?... Ce rôle que je remplis... ce rôle...
Elle fixa sur lui ses beaux yeux empreints d'une telle expression de tendresse, qu'il en fut tout pénétré.
—Vous étiez menacé, persécute, emprisonné... une haine terrible s'attachait à vous... il fallait vous sauver... Le roi, triste, soucieux, avait bien voulu se dérider en m'apercevant; il n'exigeait de moi qu'un sourire, ce pauvre monarque plus esclave que le dernier serf de son royaume. Ce sourire m'élevait à cette faveur, que je ne cherchais que pour vous. L'âme torturée par l'idée de votre détresse, je trouvai cependant le courage de sourire au roi...
Philippe se prosterna à ses pieds.
—Louise! chère Louise!... pardonnez-moi! je suis un ingrat, un malheureux! Je vous ai accusée, méconnue... trahie... je vous ai crue coupable... vous étiez victime! victime pour ma propre cause!... Je me suis donné à une autre... Mais c'en est fait, pardonnez-moi, je reprends ma foi, je reviens à vous, toute ma vie se passera à expier mes torts...
Elle le regarda quelque temps dans cette attitude amoureuse et suppliante, avec un ineffable ravissement. Puis elle s'arracha par un soupir à cette prestigieuse consolation.
—Relevez-vous, mon ami, dit-elle.
—Pas avant que vous m'ayez pardonné...
—Je vous pardonne, je vous absous...
—Un mot encore, vous acceptez?...
—Henriette vous aime, mon ami, et—ajouta-t-elle, non sans un pénible effort,—vous aimez Henriette.
—Oh! c'est vous seule!
Elle secoua avec un sourire triste sa belle tête affligée.
—Non, c'est elle, vous dis-je; vous avez été porté vers elle par votre cœur; vous ne revenez vers moi que par reconnaissance...
—Voulez-vous me faire mourir de chagrin?
—Écoutez-moi, Philippe, car ceci est une résolution irrévocable. Nous étions deux à vous aimer, et vous nous avez aimées toutes les deux. Le cœur d'une femme n'a pas de ces phénomènes, mais celui de votre sexe est fait d'une autre sorte... Je n'ai pas le droit de vous en vouloir; j'ai eu votre première pensée, je ne disputerai pas l'autre à Henriette. Elle méritait bien plus que moi de vous posséder tout entier.
Mais sans s'arrêter à cette interjection, elle poursuivit:
—A un homme tel que vous, il faut une femme comme vous, dont la réputation n'ait jamais donné prise aux clameurs du monde, fût-ce à celles de la calomnie... L'épouse de Philippe de Champaigne ne doit pas même être soupçonnée. Telle n'est plus ma condition, hélas! Je vous apporterais en partage l'ironie, le sarcasme.... Ces courtisans qui m'envient ont intérêt à me croire coupable, bien qu'ils me sachent innocente... Philippe, je ne veux pas vous faire ce déplorable don! Une jeune fille est là, belle, immaculée comme un ange; elle a mis en vous son amour, sa foi, son espoir... Cette jeune fille, je vous la donne.
—Mais vous!...
—Moi?... dit-elle avec un sourire pâle et défaillant, je suis entrée dans une voie dont je ne puis sortir encore; je demeurerai la favorite! Elle appuya avec mépris sur ce mot,—jusqu'au jour où je saurai tous mes amis hors de péril... Il faut bien que mon humiliation profite à quelqu'un!
—Cœur d'or!... sainte et parfaite créature... c'est moi qui ne suis pas digne de vous.
Elle secoua de nouveau la tête, comme si elle était bien sûre que ses arguments avaient atteint leur but, et, lui donnant sa main:
—Désormais, entre nous, monsieur Philippe, que ce soit donc une bonne et loyale amitié.
—Un dévouement éternel!...
Il s'empara, non pas seulement de la main qu'elle lui offrait, mais de ses deux mains, et les réunit sous un chaleureux embrassement.
Mais tout à coup, au moment de se séparer, en levant les yeux vers le château, il demeura glacé, sans voix, et ce fut tout au plus s'il put articuler, en étendant les bras de ce côté:
—Là!... Là!...
Elle regarda vivement et aperçût avec stupeur le roi et le cardinal, debout à la fenêtre, épiant leurs mouvements et leurs moindres gestes.
XXIV
LE BIJOU MAGNÉTIQUE.
De grand matin, c'est-à-dire aussitôt l'ouverture des portes pour le service du Louvre, Philippe pénétra dans ce palais, et se dirigea vers l'aile occupée par les appartements de la reine et terminée par la galerie de peinture.
Un trouble inexprimable y régnait déjà. On y avait une connaissance indéfinie des événements de la nuit. Sans pouvoir rien préciser, un orage formidable régnait dans l'atmosphère, remplissait les esprits de stupeur. Les officiers de la maison de Marie de Médicis avaient été réveillés par ces bruits, les serviteurs allaient et venaient, s'agitant dans un désarroi général.
Le jeune artiste, plus inquiet qu'aucun d'eux, n'osait cependant les interroger; il s'était enfui de Versailles, devant l'apparition menaçante du roi et du cardinal. Il était venu à pied, sans savoir comment, et n'était guère arrivé avant l'heure où il pouvait, sans se faire remarquer, entrer dans le palais.
Était-ce là que la prudence aurait dû le ramener? Dans le désordre, dans l'anxiété mortelle de ses sens et de son esprit, il n'avait garde de se livrer à de tels calculs. Il allait où le poussait son instinct, où l'attiraient ses sympathies, où il avait chance de rencontrer le seul cœur avec lequel le sien eût désormais le droit de sympathiser.
Car, il ne faut pas s'y tromper, et Louise de Lafayette ne s'y était pas laissé tromper, s'il s'était mis à ses pieds, s'il avait voulu abjurer pour elle les liens qui l'attachaient déjà à la fille de son ancien professeur, ce n'était pas par indifférence, par ingratitude pour celle-ci. Non vraiment, son âme délicate et impressionnable s'était fait les raisonnements que lui répétait la fille d'honneur. En s'offrant à elle, il accomplissait un acte de réparation; elle s'était sacrifiée pour lui, sa conscience lui imposait le devoir de se sacrifier à elle.
Mais elle avait repoussé cet holocauste, la noble enfant. Elle ne voulait pas d'un cœur ainsi marchandé, et d'ailleurs elle était sincère dans son abnégation, elle acceptait désormais le rôle d'immolation éternelle où sa destinée l'avait conduite.
Philippe revenait donc au Louvre dans l'espérance d'y rencontrer Henriette, et l'idée qu'il avait failli renoncer à elle, la perdre à jamais, la lui rendait plus chère. Son admiration, sa reconnaissance étaient acquises à Louise, mais toute sa tendresse appartenait à Henriette.
Avant de monter à la galerie, il se décida à aborder un des serviteurs, dont il connaissait la réserve et la fidélité, et s'étant assuré que la jeune fille était toujours au palais, il chargea cet homme de lui apprendre que lui-même venait d'y entrer. Puis il gagna l'atelier, où l'on peut croire qu'il ne trouva guère le sang-froid nécessaire à un travail auquel il n'avait jamais moins pensé.
La protégée de la reine-mère, en raison de sa neutralité dans toutes les questions de politique ou d'intrigue, était demeurée fort oubliée au milieu de ce remue-ménage. Les bruits, le mouvement l'informèrent seuls qu'il se passait quelque chose d'inattendu et de grave autour d'elle. Elle se leva à la hâte, et dès qu'elle mit le pied hors de sa chambre ses suppositions se changèrent en certitude.
Tout à coup, Philippe la vit accourir haletante, éperdue dans l'atelier, dont il arpentait depuis une demi-heure l'étendue d'un pas fiévreux. Elle tenait à la main un billet entr'ouvert, qu'elle lui présenta, sans avoir la force d'articuler un mot.
Il reconnut l'écriture de mademoiselle de Lafayette, qui adressait ce message à son amie par un homme gagné à prix d'or, car cette commission n'était pas sans danger en cette circonstance.
Ce billet laconique disait ceci:
«Chère Henriette, tout est perdu. A tout prix, allez trouver M. Philippe et obtenez de lui qu'il se cache, qu'il s'éloigne: il y va de sa tête.»
Mais Philippe n'était pas un cœur pusillanime. Moins effrayé de cet avis que de l'état où il voyait Henriette, il ne s'occupa d'abord que de la rappeler à elle et de la rassurer.
Aussitôt qu'elle recouvra la raison et la parole, elle lui apprit que la reine-mère était arrivée à Paris, dans la nuit, et au lieu de venir au Louvre, s'était précipitamment rendue au Luxembourg, ce qui expliquait l'agitation des gens, bien qu'ils ignorassent la cause de ce retour inopiné.
Le porteur du billet ne paraissait lui-même rien connaître du fond des choses, mais il lui avait fait savoir que le roi, le cardinal et le père Joseph avaient quitté Versailles presque en même temps que Marie de Médicis, pour retourner à Saint-Germain, où était toujours la cour.
Enfin on avait aperçu sur la route de Versailles à Paris un déploiement de gens d'armes, particulièrement une compagnie des gardes du cardinal, lesquels escortaient une litière, soigneusement fermée. Cet équipage avait été dirigé vers la Bastille, d'où les gardes étaient revenus seuls. Des bruits vagues disaient que le prisonnier était un des plus grands seigneurs de France, un général dont l'armée tenait campagne en ce moment, le maréchal de Marillac, en un mot.
—Fuir!... me cacher!... répéta Philippe relisant l'écrit, pendant que Henriette achevait de lui donner ces renseignements. Et je vous laisserais ici, chère âme; j'abandonnerais mes amis dans la détresse!
Hélas! dit-elle douloureusement, cette ressource de la fuite vous manque elle-même. Le père Joseph ne pouvant sans doute quitter le cardinal ni le roi en ce moment, a envoyé au gouverneur du palais la consigne de ne laisser sortir personne sans un sauf-conduit signé du ministre.
—Que se prépare-t-il donc, mon Dieu?...
—Vous voyez, mon ami, que si la fuite était possible, elle serait bien permise. Nos protecteurs, nos alliés sont probablement eux-mêmes en voie de se soustraire aux coups qui les menacent, et, quant à moi, l'obscurité de ma condition, l'insignifiance de ma vie, la position de mon père, qui s'est ostensiblement rapproché de M. de Richelieu dans ces dernières circonstances, tout m'assure une sécurité que je voudrais partager avec vous, si je ne peux partager vos périls.
Philippe se frappa le front, dans une perplexité cuisante:
—Que faire? que résoudre? S'il me fallait partir, Henriette, mais songez-y donc, ce serait vous perdre!...
—Ami, dit-elle en cherchant à son tour à l'affermir contre cette séparation, qu'elle n'entrevoyait pas avec moins de douleur, ami, croyez-vous donc que de loin comme près mon cœur pût changer?... Ah! plaise à Dieu que nous trouvions le moyen d'assurer votre départ, votre salut! car, relisez donc ce billet, il y va de votre tête!...
Cette menace terrible ne lui permit pas d'achever sa phrase. Mais portant rapidement la main à sa poitrine:
—O mon Dieu! s'écria-t-elle, c'est une inspiration! J'avais oublié!... Oui, c'est cela! «—Dans un moment suprême, a dit cet homme étrange, au regard de feu,—lorsque la terre manquera sous vos pieds, quand tout vous abandonnera, adressez-vous à votre dernier ami: posez ce talisman sur votre front, et vous pénétrerez les choses inconnues...»
En l'entendant parler seule, prononcer des mots inintelligibles pour lui, en voyant son regard fixe, sa pâleur mortelle, Philippe crut un instant que l'excès de son tourment avait altéré son esprit.
—Chère Henriette, dit-il en la forçant de s'asseoir sur un des sièges artistiques épars dans la galerie, calmez-vous... Je suis ici encore pour vous aimer, pour vous défendre au besoin.
—Hélas! soupira-t-elle, c'est vous qui avez besoin d'être défendu...
Il saisit une de ses mains et y rencontra un objet qu'elle laissa passer dans la sienne.
—Prenez, mon ami, mon dernier, mon unique ami; si nous pouvons être sauvés, c'est par ceci.
Philippe de Champaigne fut toujours un esprit religieux d'une droiture extrême, catholique fervent, mais ennemi des pratiques superstitieuses; il éprouva comme un scrupule.
—Un charme, une amulette... murmura-t-il.
—Le salut! affirma-t-elle. Posez ce morceau de cristal sur mon front...
—Henriette, quel est cet enfantillage, en un tel instant?...
Il retournait entre ses doigts le médaillon, qui n'offrait bien l'aspect que d'une large lentille de cristal de roche, limpide, transparente, sans aucun signe gravé.
—Je vous en prie, insista la jeune fille.
—Allons, vous l'exigez... Mais du moins m'assurez-vous qu'il n'y a là aucune œuvre de magie ni de sorcellerie dommageable à mon salut?
—Aucune, mon ami. Ayez confiance, c'est notre ressource suprême.
—J'obéis!...
Sa main, légèrement émue, appliqua le talisman magnétique, ainsi que sa compagne le lui indiquait.
Henriette se consolait en écoutant cette princesse.
Peu à peu, il la vit s'affaisser dans une langueur singulière; ses membres s'assouplirent ainsi qu'il arrive durant le sommeil; ses paupières s'abaissèrent insensiblement, et la frange de ses longs cils remplaça son doux regard. Elle vint s'appuyer, par un mouvement rempli de morbidesse, sur le dossier du fauteuil, et sa tête de chérubin assoupi s'inclina sur son épaule.
Le jeune homme, transporté d'étonnement, suivait ces phénomènes successifs, comme un voyageur égaré sur une route semée d'aspects terribles, de passages imprévus. Son sang se glaçait dans ses veines, son cœur battait encore, mais par de sourdes secousses. Son cerveau se troublait, il cherchait à se reconnaître, et se demandait si ce n'était pas lui que frappait le délire dont il croyait tout à l'heure sa compagne atteinte.
Il avait cessé de lui appliquer le médaillon sur le front, mais l'effet était produit, et quoiqu'il étreignit cet objet dans sa main, ce sommeil mystérieux durait toujours.
Il la contempla d'abord dans une muette émotion; l'admiration et l'anxiété se livraient en lui un combat bizarre. Il ne l'avait jamais vue si belle, si poétique, si vaporeuse. C'était une créature appartenant à une sphère immatérielle; il eût voulu la peindre ainsi, pour fixer sur la toile cette vision céleste. Dans son ravissement, il s'agenouilla devant elle et s'empara avec un recueillement religieux de l'une de ses mains.
A ce contact, cette main eut une secousse électrique qui lui fit serrer la sienne.
—Henriette!... appela-t-il.
Alors, prodige nouveau! il vit sa blonde tête s'agiter par une douce inflexion, ses lèvres s'entr'ouvrirent, et, d'une voix pénétrante:
—Je suis à vous, Philippe, prononça-t-elle; que voulez-vous?...
—Parlez! dit-il, parlez, je vous en conjure, si vous ne voulez que je devienne fou!...
—Demandez, je suis là pour vous obéir...
—Rassurez-moi, de grâce!... Est-ce le sommeil, est-ce la veille?...
—C'est l'extase.
—L'extase!... Que voyez-vous donc?...
Il se tenait debout devant elle, le regard fixé sur ses traits immobiles, dans l'attitude d'un homme qui s'entretient avec un spectre.
—Attendez, répondit-elle; ce sont des choses si compliquées, si confuses... Le cardinal, que l'on croyait vaincu, est rentré en faveur... plus puissant, plus redoutable... Comment cela s'est-il fait?... Ah! je vois; cette nuit, un jeune homme et une jeune fille s'entretenaient dans le parc, les imprudents! à portée de la fenêtre du roi... Cette jeune fille, le roi l'aimait... Ce jeune homme...
Elle s'arrêta pour rassembler toute la puissance de sa vision rétrospective, et, se redressant sur son siège:
—Ce jeune homme c'était vous!...
—O mon Dieu!... s'écria Philippe, c'est donc l'enfer que nous avons évoqué!... Mais, dit-il en se rapprochant, puisque vous lisez à livre ouvert dans les secrets les plus cachés, vous devez voir que celle que j'ai choisie, préférée, c'est vous!...
—C'est vrai, fit-elle doucement, et cela devait arriver ainsi, car je vous l'ai dit déjà, et en ce moment une voix d'en haut, un retour de mon esprit vers des âges écoulés, m'attestent que les âmes vivent plus d'une fois, et que les nôtres, au sein de ce même palais, se sont déjà connues et aimées dans la douleur.
—C'est le délire... murmura Philippe.
Un imperceptible sourire se dessina à la commissure des lèvres de Henriette:
—Nous appelons délire ce que nous ne connaissons pas, fit-elle. Mais qu'importe le passé; nous nous aimons dans le présent. Le cardinal s'est engagé vis-à-vis du roi à lui livrer l'audacieux que celui-ci regarde comme son rival. Il s'agit de vous sauver.
—Ah! dit-il en hochant la tête, voilà qui est difficile!
—Peut-être, répondit-elle.
—Que voulez-vous dire encore?
—La trahison nous entoure. A vous comme à moi, une main perfide a soustrait l'objet précieux qui renfermait notre salut. A moi l'on a dérobé une lettre pleine de révélations, à vous...
—A moi, le portrait de ma mère!... Comment savez-vous cela?
—Comme je sais tout le reste, par une vertu de clairvoyance qui est en moi et qui émane... qui émane d'un protecteur plus malheureux que nous en ce moment... Oui, la lucidité se fait enfin dans mon esprit: au fond des salles basses du Louvre, près de la prison qu'on vous donna, il existe une autre victime... Ah! ma tête commence à se fatiguer...
—Parlez, parlez encore! supplia Philippe, gagné par la conviction de ses discours, par les secrets sortis de sa bouche, et attaché à ses moindres paroles.
—Oui, j'achève... Ah! j'ai hâte, la lassitude pèse sur mon cerveau...
Saisi d'une inspiration soudaine, il lui fit toucher une seconde fois le disque de cristal. L'effet ne se fit pas attendre. Sa respiration, devenue plus difficile, reprit sa régularité, ses traits, contractés par une attention trop opiniâtre, retrouvèrent leur calme tout entier; elle acheva:
—Le prisonnier occupe la double cellule du père Joseph. Au fond de l'oratoire est un prie-Dieu massif. La planche où l'on s'agenouille peut être rendue mobile, en touchant un ressort adapté sur la gauche, du côté de l'ombre, et qui a l'aspect d'une tête de clou...
—Après... après?
—Là se trouve un portefeuille garni de papiers; il n'en est qu'un d'important pour vous. C'est un blanc-seing signé du roi, contresigné du ministre, et tenu en réserve par le père franciscain pour quelque grande occasion... Vous vous en emparerez, et toutes les barrières tomberont devant vous.
—Mais comment pénétrer dans la cellule?...
Elle chercha un instant et finit par étendre la main dans la direction d'une grande armoire, pratiquée dans la muraille de l'atelier, et où l'on ne déposait que des débris et des objets inutiles.
—Là, fouillez dans le bas de celle armoire...
L'artiste y courut; la partie indiquée était remplie de ferrailles oubliées depuis des années. Dans le nombre étaient des clefs de toute dimension, couvertes de rouille. Il en remarqua une d'une forme bizarre, et l'ayant prise, avant qu'il fût revenu près Henriette;
—C'est la bonne, dit-elle. C'est un des anciens claveaux dont le roi Henri III se servait pour aller la nuit à ses honteuses débauches. Nul à présent n'en saurait dire l'usage. Cette clef ouvrait alors toutes les serrures du palais. Aujourd'hui, elle en ouvrirait encore une partie; celle du père Joseph ne lui résistera pas.
Philippe marchait de surprise en surprise, mais il n'éprouvait plus ni doutes ni hésitations. Il comprenait qu'il y avait là une manifestation extra-naturelle, dont les sens ne pouvaient donner l'éclaircissement, et qui échappait aux visées de la métaphysique, encore si restreinte alors, par suite du cercle tracé aux idées par l'Église.
Il devait sans doute méditer plus d'une fois sur ces matières, et peut-être bien cette expérience fut-elle le point de départ des doctrines abstraites où il se plongea plus tard. En cet instant, ce n'était pas la réflexion, c'étaient les actes qui pressaient.
Henriette venait de retomber dans un affaissement profond, conséquence de la tension extraordinaire de ses facultés. La vision avait cessé, il ne restait que le sommeil. Il la considéra longtemps avec attendrissement, avec adoration; puis, s'étant approché pour baiser doucement son front, il la sentit tressaillir.
Elle poussa un soupir assez semblable à un gémissement. Quelque mauvais rêve traversait son esprit. Elle s'agita encore en quelques mouvements onduleux, ses paupières s'entr'ouvrirent, et elle s'éveilla tout à fait, fort étonnée d'abord de se trouver là en compagnie du jeune peintre.
Mais la mémoire ne lui fit pas longtemps défaut, et reprenant l'entretien au point où elle l'avait laissé avant l'épreuve:
—Eh bien, mon ami, demanda-t-elle avec anxiété, le talisman?...
—Le talisman n'a pas failli à votre confiance, chère Henriette. Celui qui vous l'a donné est un homme merveilleux, et il en sera récompensé. Que Dieu nous aide, nous rendrons la liberté au captif, et nous échapperons avec lui à nos persécuteurs!...
XXV
LE SERMENT IMPOSSIBLE.
De Saint-Germain, la cour, profondément désorganisée, était revenue au Louvre, remorquée, le roi en tête, par le cardinal.
La Journée des Dupes produisait ses conséquences, les ennemis de Richelieu, déçus dans leurs espérances les mieux justifiées, étaient tombés, d'un succès qui semblait acquis, dans un abîme.
Monsieur, frère du roi, se sauvait successivement dans ses domaines de l'Orléanais, puis, d'étape en étape, de manœuvre en manœuvre, dans les États de Lorraine, où le duc lui offrait un asile précieux et la main de sa fille Marguerite. Il y épousait plus tard cette princesse, dans un mariage secret, qui devait fournir à Richelieu des armes pour le perdre sans retour dans l'esprit soupçonneux et inquiet de Louis XIII.
La funeste odyssée de Marie de Médicis commençait en même temps. Ne trouvant plus de sécurité au Luxembourg, elle gagnait Compiègne, où elle espérait avoir une conférence avec son fils. Mais soudain le personnel de la cour, qui était venu momentanément dans cette résidence, s'éloignait, et il ne restait autour d'elle que huit compagnies des gardes, cinquante gens d'armes et cinquante chevaux-légers. Le maréchal d'Estrées, dévoué à Richelieu, les commandait, et quoiqu'il prétextât que cette force imposante était demeurée pour faire honneur a la princesse, il n'y avait pas à s'y méprendre, celle-ci était prisonnière.
Tout cela s'était exécuté pendant la nuit, en sorte qu'à son réveil Marie de Médicis se trouva dans une solitude accablante. La plupart de ses femmes étaient changées. Vautier, son médecin, était en état d'arrestation; son confesseur, le père Chantelouble, était exilé; on refusa de lui donner aucun renseignement sur le reste de ses confidents. Le maréchal, qu'elle fit mander, lui répondit avec un respect contraint que le roi lui ferait incessamment connaître sa volonté.
Aucun éclaircissement ne lui parvint du reste de la journée. Le lendemain, un conseiller d'État se présenta devant elle, chargé de lui offrir de se retirer à Moulins. Cette proposition fût le début de négociations qui se prolongèrent plusieurs mois, et dans lesquelles chacun apporta les armes propres à son caractère. De la part de la reine, ce fut une succession de plaintes, de hauteurs, de prières, de menaces, de promesses, de subterfuges, de maladies souvent fictives, parfois réelles, et résultant des chagrins.
Rien n'ébranla le ministre, auquel le roi n'osait plus adresser même un observation en faveur de sa mère. Richelieu montra une rigidité toujours uniforme, n'écoutant aucun projet que l'obéissance de la reine n'en formât la base c'est-à-dire qu'elle ne commençât par se confiner dans quelque lieu dont on conviendrait.
La jeune reine n'était pas mieux traitée. On n'osait l'envoyer en exil, ni la consigner dans un château, mais elle était réellement prisonnière dans ses appartements du Louvre, et n'entretenait plus son mari qu'en présence du cardinal. Ainsi qu'à sa belle-mère, on lui avait retiré celles de ses femmes qui lui portaient affection, pour lui en imposer qui formassent autour d'elle un cercle d'espionnage.
On conçoit, sans qu'il faille l'expliquer, les soins imposés par tant d'affaires au cardinal, et l'admiration qu'il dut avoir pour la sagacité prévoyante de son confident, qui trouvait l'emploi des blancs-seings amassés par lui avec tant de sollicitude.
Les formules d'embastillement, d'exil, de mise en accusation, les ordres de torture, tout se trouvait prêt, il n'y avait qu'à écrire les noms; c'était la besogne de Desroches, le secrétaire intime, auquel ce digne père Joseph fournissait des listes inépuisables. Les destitutions des plus hauts fonctionnaires pleuvaient, les gentilshommes les plus considérés disparaissaient, et l'on enviait le sort de ceux qui trouvaient moyen de gagner les pays étrangers.
Un trait qui peint cette politique du cardinal, doublé du capucin, se produisit alors: à mesure que Marie de Médicis refusait de quitter sa prison de Compiègne pour obéir aux ordres d'exil émanant du ministre, on lui enlevait tantôt un secrétaire, tantôt un officier de sa maison, tantôt une femme qui lui plaisait, sous prétexte que ces personnes lui donnaient de mauvais conseils.
Ce fut ainsi que, Henriette étant venue la joindre, ne put demeurer que peu de jours auprès d'elle. On avait surpris la distraction que sa présence apportait aux soucis de la princesse; on n'osa pas, il est vrai, aller jusqu'à accuser l'innocente enfant de manœuvres politiques, mais on la fit durement réclamer par son père, passé dans le camp du plus fort.
Ce fut une pénible séparation. Marie de Médicis s'était attachée à cette jeune fille, elle avait pris un aimable intérêt à son roman si brusquement interrompu. Elle trouvait encore quelque bonheur à recevoir ses confidences candides, à la réconforter, à lui promettre un avenir plus beau, une réunion avec son ami absent.
Henriette se consolait en écoutant cette grande princesse s'associer à ses chagrins. Elle trouvait en elle une âme compatissante à qui s'en ouvrir. La perspective de la maison paternelle, pleine de rigueurs, de reproches incessants la faisait frémir.
Mais qu'on ne pense pas que le triomphe de Richelieu fût si complet que rien ne vînt en obscurcir la satisfaction. Séparer le fils de la mère, tyranniser la femme par le mari, remplir des cachots, signer des ordres de proscription, dresser des potences, c'est exercer le pouvoir, faire preuve d'autorité, mais le front des tyrans est souvent plus soucieux que celui des opprimés. Si ce n'est le remords, l'anxiété les ronge. L'arbitraire appelle l'arbitraire, la violence appelle la violence; le métier de pourvoyeur du bourreau a ses lassitudes, et le pied qui marche dans le sang n'est jamais celui d'un cœur en paix avec lui-même ni avec les autres.
Ne nous étonnons donc point de trouver, l'un des matins qui suivirent la Journée des Dupes, c'est-à-dire alors qu'il devait être dans tout l'épanouissement de son succès, Richelieu replié sur lui, au fond de son fauteuil, dans l'attitude d'un vieillard brisé par les années.
En ce peu de jours, il avait vieilli de vingt ans. Ses cheveux s'étaient zébrés de filets blancs, sa moustache et sa royale avaient grisonné; ses traits hâves, fatigués, avaient l'aspect d'un parchemin flétri. Les yeux lançaient encore par minute des éclairs, mais ce n'étaient plus les rayonnements du génie; ces lueurs fauves inspiraient l'effroi; on eût dit le reflet d'une flamme infernale.
Il est vrai qu'en cet instant il n'était pas dans un tête-à-tête de nature à rasséréner ses idées. Devant lui se tenait le lieutenant civil Laffémas, feuilletant un énorme dossier dont il caressait chaque page de son sourire d'hyène.
—Nous arrivons maintenant, disait-il, à nos prisonniers de marque, les messieurs de Marillac.
Ce nom amena sur les lèvres de l'Éminence un léger spasme, dont Laffémas parut se féliciter. Il poursuivit:
—Suivant les ordres de Votre Éminence, tous deux sont en sûreté, et leur affaire s'instruit séparément, de façon que nous puissions avoir deux arrêts et deux exécutions; à moins que,—insinua-t-il avec un soupir hypocrite,—il ne nous survienne une seconde édition de l'affaire de M. de Jars, violemment soustrait à la justice.
—Soyez tranquille, prononça Richelieu d'une voix sombre, la justice aura son cours.
—Plaise à Dieu! car ces exemples de clémence intempestive exercent une impression funeste et démoralisante; les masses ont besoin d'être entretenues sous le coup d'une terreur salutaire. Le droit de grâce est un principe imaginé par l'esprit d'anarchie. Un grand chef d'État ne doit pratiquer que le droit de mort.
«Le maréchal, dès le premier moment de son arrestation, a réclamé auprès du Parlement, récusant les commissaires qui lui sont donnés. Le Parlement n'ira sans doute pas contre les désirs de Votre Éminence; mais, pour prévenir les indiscrétions, les communications subreptices, j'ai ordonné, sauf ratification de Votre Éminence, de conduire cet accusé dans le château de Sainte-Ménehould, où il sera plus facile de le tenir au secret rigoureux et d'assembler ses juges à huis clos.»
—C'est bien, dit Richelieu. Mais voyons vos chefs d'accusation?
Laffémas se redressa avec fierté, en homme content de lui.
—Nous les avons rangés sous sept titres, tous de nature si grave qu'il devrait être condamné sept fois, si la justice avait sept bras et qu'il eût sept têtes.
Il commença alors à dérouler ces griefs, qui tous se rapportaient en réalité à des excès de commandement, à quelques vexations militaires, et à des concussions fort peu établies sur des objets de très mince importance. Tout cela, énormément grossi, apprécié par des commissaires à la fois juges et parties, en dépit de la raison, de l'équité, de l'humanité, devait devenir le texte d'une sentence capitale.
Toutefois, Laffémas n'eut pas le loisir d'achever dans cette séance la lecture de son chef-d'œuvre. Un confident plus intime survint tout à coup qui l'interrompit, à son extrême déplaisir. Mais comment ne pas céder la place au père Joseph!
Dès que le franciscain avança la tête par la petite porte du cabinet, toute l'attention du maître se tourna vers lui:
—Monsieur de Laffémas, dit-il d'un ton gracieux, ce travail nous semble tout à fait bien conçu. Nous vous remercions de votre zèle à servir les intérêts du roi. Nous ferons en sorte qu'avant peu Sa Majesté elle-même vous témoigne sa satisfaction. Mais ce dossier est volumineux; nous vous le remettrons demain avec nos remarques, s'il s'en présente.
Congédié en termes aussi galants, le lieutenant-criminel s'éloigna rempli d'une nouvelle ardeur pour un patron appréciateur si éclairé de son mérite.
L'arrivée de son confident par excellence ramena un semblant d'animation dans la personne anéantie du cardinal. Il se souleva à moitié et l'interrogea du regard.
Il saisit sur ses traits une expression de mécontentement, de déception assez surprenante pour qui avait l'habitude de son impassibilité inaltérable.
—Qu'arrive-t-il donc? lui demanda-t-il.
—Que le diable en personne se mêle de nos affaires, répondit le capucin d'un ton brusque, où se reflétait plus encore que sur sa figure sa contrariété intérieure.
—Parle; faut-il t'arracher les mots?
—Eh bien, monseigneur, vous voyez le plus mystifié des fils de Saint-François.
—Allons donc! fit Richelieu, auquel la piteuse mine de son conseiller procurait un instant de distraction; qui se serait permis?...
—Pardieu? je vous le dis, Satan en personne.
—Mais encore?...
—Imaginez que je gardais sous clef, dans ma propre cellule, ainsi que Votre Éminence se le rappelle peut-être, certain élève des jésuites d'Amiens...
Je l'ai fait, monseigneur.
—Ah! oui, ce visionnaire prétendu... Et qu'en voulais-tu faire?
—Mon Dieu, on ne sait pas. Cet imposteur avait des idées... Et puis il pouvait servir à deux fins, comme magicien d'abord, comme hérétique ensuite... On n'a pas toujours un novateur sous la main, au cas où le besoin d'une flambée se fasse sentir.
—Abrégeons, s'il te plaît.
—J'abrège. J'avais un peu négligé ce précieux dépôt pendant les orages autrement importants de ces derniers jours. D'ailleurs, c'est un être bizarre, qui se nourrit de rien, une ration de pain et une cruche d'eau lui suffisent pour une huitaine. J'ai voulu le revoir cependant, après trois journées d'absence ou d'occupations urgentes pour votre service, et...
—Le sorcier s'était évaporé en fumée?... fit le cardinal, qui se mit à rire pour la première fois depuis longtemps.
Le capucin ne partageait nullement son hilarité:
—Au fait, m'apportes-tu le nom de ce galant qui a été assez fou pour se mettre en rivalité avec le roi? Viens-tu, comme je te l'ai prescrit, m'annoncer sa capture?
—Ni la capture, ni le nom, fit le capucin, d'un ton plus cavalier que ne le comportait une réponse si contraire aux ordres de son maître.
—Quelle fatalité est-ce donc là? Le roi tient absolument, mais absolument, à ce que ce téméraire soit l'objet d'un châtiment terrible.
—Ce jeune homme est en fuite, je viens de vous le dire.
—Tu n'as mis personne à sa recherche?...
—Sur ma foi, monseigneur, ce jeune homme est parti, comme le prisonnier de ma cellule, par je ne sais quel diabolique expédient.
—Ceci même admis, les gens te manquaient-ils pour envoyer après lui?... Va, tu ne te justifieras pas, tu as manqué de dévouement pour moi, ton chef, ton ami, qui n'ai jamais eu confiance qu'en toi, qui ne t'ai jamais caché un seul de mes secrets!
—Un seul?... répéta d'une façon singulière le franciscain.
—Est-ce un doute? demanda le cardinal blessé.
—Non, monseigneur, c'est une certitude... Oui, vous avez eu un secret pour moi... Croyez-vous que je n'aie pas compris, dès le premier jour, que ces lassitudes, ces défaillances, ces noires humeurs qui viennent par moments jeter l'amertume et l'ennui dans une âme intelligente, forte et supérieure comme la vôtre, ne sont pas l'unique résultat de l'ennui des affaires?
—Eh quoi! interrompit Richelieu en le regardant avec une sorte de terreur, tu as deviné cela?...
—Dans mon dévouement, que vous mettez en doute, je n'ai pas eu de repos que je n'aie pénétré vos douleurs pour y chercher un remède...
—Malheureux! tu as osé fouiller dans le secret le plus intime de mon cœur.
—Je l'ai fait, monseigneur, dit le père Joseph en se redressant, loin de s'incliner devant cette colère; et remerciez Dieu, car il a permis que je vous évitasse un crime irréparable.
—Que dis-tu?... qu'as-tu donc découvert?...
—Allons, soit! l'heure de parler est venue. Je vous ai dit que j'ignorais le nom de ce jeune homme dont vous avez promis la tête au roi...
—Ce nom?
—Ce jeune homme qui n'a pas craint de se laisser aimer par la favorite... il s'appelle... Philippe de Champaigne.
—Malheur! murmura Richelieu; quoi? celui-là même pour lequel j'éprouvais une amitié sincère; que j'eusse voulu servir, protéger! Mais il a repoussé mes bienfaits, et j'ai promis, j'ai juré. Donc, puisque tu refuses de me servir un autre saura le faire; un ordre donné à Laffémas...
En disant cela, Richelieu s'était penché vers sa table, où déjà il prenait une plume, pour intimer l'ordre de s'emparer à tout prix, quelque part qu'il fût, du jeune peintre.
Mais le père Joseph, arrêtant vivement son bras, lui arracha la plume et frappant sur la table, l'écrasa.
—Vous ne signerez pas cet ordre, monseigneur!
—Pourquoi cela?... s'écria le cardinal, dont un sentiment indéfini d'épouvante dominait la colère.
—A cause de ceci!...
Le capucin tira de son froc un médaillon qu'il mit sous les yeux de son maître.
—Marguerite!... s'écria celui-ci en saisissant cet objet dont l'aspect le remplit d'une invincible stupeur.
—A cause de Marguerite... prononça gravement le franciscain.
Richelieu tenait le médaillon, qu'il considéra avidement, comme s'il craignait qu'on le lui ravît.
—Laisse-moi, dit-il faiblement à son conseiller.
Le capucin s'éloigna à pas mesurés, épiant les impressions douloureuses de son patron, et dès que celui-ci fut bien assuré qu'il était seul il porta à ses lèvres, avec respect et ferveur, le médaillon dont il n'avait pas voulu se dessaisir.
XXVI
L'AUBERGE DU SOLEIL LEVANT.
Vers le moment où avait lieu entre le cardinal et son conseiller intime l'explication qui forme l'objet de notre précédent chapitre, deux voyageurs arrivaient dans un des plus humbles villages de la Picardie et mettaient pied à terre devant la modeste et unique auberge du lieu.
Leurs chevaux exténués venaient évidemment d'accomplir une étape au-dessus de leurs forces, quoique ce fussent, à les examiner bien, deux bêtes de qualité.
Le personnel de ce bouchon n'était pas des plus nombreux. Il se composait de l'hôte, un brave paysan picard, à la mine rougeaude, très peu dégourdi; de sa femme, gaillarde de vingt-six à vingt-sept ans, fort accorte et fort délurée.
Les deux hommes, tout ébahis, se tenaient les bras pendants, sans même songer à tirer leurs bonnets de laine bigarrés; il fallut que la maîtresse les réveillât de leur étonnement:
—Allons, Gignoux, dit-elle à son mari, allons, François, quand vous resterez là comme deux grues!... Saluez ces messieurs, et vite prenez leurs bidets.
Et pendant que son mari et son aide s'occupaient des bêtes, elle introduisit les hôtes dans l'habitation.
Un coup d'œil suffit à nos voyageurs pour faire la reconnaissance des lieux.
Ils n'étaient vieux ni l'un ni l'autre. Le plus âgé avait un peu plus de la trentaine, mais tout en lui, physique, accent, tournure était jeune. Sa physionomie avenante séduisait tout de suite.
Le second était un tout jeune homme; il n'avait pas encore de barbe. C'était un vrai lutin.
—Par la mordieu! jura-t-il de l'air d'un petit sacripant, il fait meilleur ici que dans les fondrières de la traverse...
—Surtout, riposta son compagnon, si l'on y trouve aussi bon souper que bon feu.
—Tête bleue! c'est ce que nous allons savoir; approchez donc çà, notre aimable hôtesse, que nous jasions un tantinet!
Madame Gignoux était si ébaubie, si émerveillée, qu'elle se tenait debout, en admiration. Elle s'approcha nonobstant, assez empressée, du jouvenceau, pour lequel elle avait des regards d'une bienveillance et d'une préférence signalée.
—A vos ordres, mon jeune monsieur.
—Ah! diantre! murmura Emmanuel, oui, parlons du souper, car voilà maître Gignoux qui rentre.
—Ces messieurs ont-ils commandé leur souper? demanda-t-il.
—Tout ce que vous avez de meilleur, et surtout en grande quantité, dit l'aîné des étrangers; j'ai l'estomac dans mes bottes.
—Bon!... on va vous flamber un canard, dit Gignoux.
—Oh! je n'attendrai jamais jusque-là!...
—Eh bien, pour prendre patience, une tranche de jambon et une omelette?...
—Un jambon et une omelette de douze œufs; c'est cela.
—Boon!... détona l'aubergiste, laissant tomber ses bras, abasourdi d'un appétit si gigantesque; mais les façons des voyageurs et leur tenue le rassurèrent; il se mit à ses fourneaux, en supputant tout ce qu'il pourrait porter sur la note, y compris les privautés du jouvenceau vis-à-vis de madame Gignoux.
—A propos, demanda celle-ci, quand le menu du repas fut ainsi réglé, ces messieurs couchent?
Les deux voyageurs se consultèrent du regard et répondirent à la fois affirmativement.
—Vous nous donnerez deux chambres à un lit, dit le plus jeune.
—Ah diable! fit Gignoux en cessant de battre ses œufs, c'est que nous n'avons qu'une...
Sa moitié lui lança un coup d'œil d'indignation et interrompit:
—Nous n'avons que des chambres à quatre lits, et il n'en reste qu'une de libre.
—A quatre lits!... répéta le jouvenceau avec une stupeur et une rougeur qui échappèrent à ses hôtes, mais qui arrachèrent un joyeux éclat de rire à son camarade.
—Et les autres lits sont-ils retenus? demanda-t-il.
—Pas pour ce soir; on ne les occupe guère que les jours de marché, et aujourd'hui il ne fait pas un temps à amener bien du monde.
—Eh bien, comme il faut tout prévoir et comme nous souhaitons dormir tranquilles, nous les retenons tous les quatre.
—Boon!!! détona de rechef, en produisant le bruit d'une bouteille qu'on débouche, maître Gignoux.
C'était son tic, à cet homme.
—Oh! les beaux lits, les fameux lits, les excellents lits, et comme on doit y ronfler! exclama sur toutes les gammes de l'admiration l'aîné des voyageurs, en lorgnant son camarade, qui se montrait beaucoup moins expansif depuis un instant.
—Quant à ce qui est de çà, fit l'hôtesse flattée, vous pouvez vous vanter de deviner juste: la blancheur des draps est à l'instar de la bonté des coites... Mais excusez-moi, je vais mettre votre couvert.
Puis madame l'hôtesse apparut, suivie de son page François, qu'elle renvoya dès qu'il eut déposé sur la table le jambon tant sollicité.
Ce fut merveille de voir quel triomphant coup de couteau Victor y porta, et la tranche ou plutôt le bloc qu'il s'offrit, après avoir fait accepter une languette mince comme du papier à son commensal.
—Vous avez donc bien fait de la route pour être si affamés et pour avoir des chevaux presque fourbus?
Cette interrogation très simple causa néanmoins une sorte d'embarras à ceux auxquels elle s'adressait.
—Ce n'est pas tant la longueur du chemin que nous avions à faire que celle que nous avons parcourue en réalité qui nous a réduits dans ce fâcheux état. Nous venons tout bonnement de la ville d'Eu, nous rendant à Doullens. C'est la première fois que nous faisons ce voyage, quoique nous soyons de Rouen, où mon ami Victor tient les draps, à votre service.
Comme si le cuisinier eût pressenti un soupir, on l'entendit héler sa femme du bas de l'escalier:
—Madelon!... criait-il, descends un peu chercher le canard?
Alors, un grand bruit se fit entendre.
XXVII
AU NOM DU ROI!
Ce bruit provenait d'une troupe de cinq à six cavaliers, arrivant au galop et se guidant sur la lumière qui rayonnait aux croisées de l'auberge, devant laquelle ils s'arrêtèrent, piétinant et jurant à qui mieux mieux.
Heureusement, Madelon était allée ouvrir.
C'était vraiment une escouade de cavaliers, montés sur de fiers chevaux et couverts de manteaux larges et longs, sous lesquels on ne distinguait rien.
—C'est bien une auberge, ici? demanda la voix qui avait imposé silence et appelé.
—A votre service, messieurs.
—Nous pouvons y loger, nous et nos bêtes?
—Quant à ce qui est de vos chevaux, certainement, monseigneur. Mais pour vous-même...
—Hein?... qu'est-ce à dire?...
—Dame! monseigneur, balbutia l'hôtelière intimidée, tous nos lits sont retenus.
—Eh bien! on nous les cédera...
—Mais... chercha à objecter la pauvre femme.
—C'est pour le service du roi!
—Boon! exclama une voix effarouchée, cette de Gignoux, qui ramenait les cavaliers de l'écurie, où François était resté à fournir la provende aux chevaux.
La brave aubergiste, inquiète pour la tranquillité de ses hôtes du premier étage, dont les façons étaient, il faut, en convenir, plus propres à mériter sa faveur que celles de ces derniers venus, trouva enfin une idée.
—Vous aurez tout ce qu'il vous faut, messieurs, dit-elle; tout, je vous le promets.
Le reste des provisions du Soleil levant s'amoncela devant eux, pour disparaître aussi bravement qu'avait fait la première partie à l'étage supérieur. Tous les ogres de France et de Navarre s'étaient donné rendez-vous à Serquigny, ce soir-là.
Madame Gignoux avait dû, toujours dans l'intérêt de leur repos, négliger momentanément ses favoris. Ce n'était pas trop de trois personnes pour fournir au service des derniers arrivés.
Puis ceux-ci échangeaient entre eux, à mesure que leur faim et leur soif diminuaient, certains propos qui ne manquaient pas d'intérêt, eu égard à la qualité d'agents au service du roi qu'ils s'étaient donnée.
Mais ce qui, plus que tout, excitait sa curiosité, c'est qu'ils évitaient de rien dire de précis dès qu'elle se montrait, et que leur chef leur avait adressé plusieurs fois des signes impérieux de discrétion. Tout ce qu'elle saisissait se réduisait donc à des lambeaux comme ceux-ci:
—Avoir été si près de réussir, pour perdre la piste, comme des novices au moment de sonner l'hallali!
—Sans cette brute de paysan, qui nous a détournés de la route d'Amiens, nous les tenions!... Et venir nous acculer dans ce maudit village!...
—Qui sait? fit le chef en hochant la tête, il est douteux, pour moi, qu'ils se soient hasardés par Amiens.
—Où voulez-vous qu'ils passent la Somme?
—Manque-t-on de bacs et de bachots dans tous les villages riverains?
—Dans ce cas, nous voilà battus; s'ils ont sur nous cette avance...
Lorsque ceux-ci se trouvèrent suffisamment réconfortés, ils en revinrent à l'une de leurs premières questions:
—Or çà, notre cher hôte, demanda le chef, qui devait être un personnage assez éminent, à en juger par la déférence de ses acolytes, vous avez sans doute organisé nos lits?
—Pardon... faites excuse, monseigneur. Mais d'abord vous voilà six, et il n'y a que quatre lits de voyageurs dans l'auberge.
—Qu'à cela ne tienne, un lit pour moi, et les autres pour ces messieurs; à la guerre comme à la guerre, en Picardie comme en Picardie! C'est entendu.
—C'est entendu, répéta l'aubergiste en tournant son bonnet de laine dans ses doigts. Mais j'ai eu l'avantage de me faire l'honneur d'expliquer à Votre Seigneurie que tous mes lits étaient pris par des voyageurs arrivés avant vous... Ce n'est pas que je les préfère à Vos Excellences,—oh! non, bien au contraire!—mais ils ont payé d'avance, sans marchander... et vous concevez... bbon!...
—Par la mordieu! souhaitez-vous que nous allions les prier de nous céder la place nous-mêmes?
Cette idée souriant à lui et à ses gens, ils firent un mouvement. Gignoux éperdu, craignant une bagarre dans son logis, les retint d'un geste de supplication.
—Alors vas-y toi-même, lui dit assez brutalement celui qui paraissait le second en hiérarchie. Ce sont donc de bien grands sires?
—Mon Dieu, non, messeigneurs; à les entendre et à en juger par leur équipage, ce sont simplement deux gros marchands venant de Rouen.
—Et les deux autres?
—Quels autres? ils ne sont que deux.
—Eh bien, les quatre lits?
—Ah! reprit le pauvre Gignoux, qui perdait la tête, c'est qu'ils couchent chacun dans deux lits...
—Cet homme est idiot! grommela le sous-chef.
Mais son supérieur, dont la physionomie indiquait des habitudes moins soldatesques et une perspicacité plus développée, avait fait un soubresaut sur sa chaise à cette découverte bizarre.
—Pardon, lieutenant, dit-il à son second, ne troublez pas ce brave homme: il s'exprime très bien. Approchez donc un peu, mon cher. Vous dites que ces voyageurs égoïstes ont retenu pour eux deux tous, les lits?...
—Oui, monseigneur, fit Gignoux, flatté de l'attention qu'avaient soulevée ses paroles; et, encore un peu, Dieu me pardonne! je crois qu'ils eussent retenu toutes les victuailles!
—De mieux en mieux... Quel air ont-ils? comment sont-ils faits, à peu près, ces accapareurs?
—Bbon!... comme ci et comme ça... Il y en a qui les trouveraient bien, d'autres qui les trouveraient mal... ça dépend des goûts. Moi, je les juge hideux... voilà!
—En vérité, êtes-vous sûr qu'ils soient si vilains que cela?
—Sûr? Là, à dire que j'en suis sûr pour de vrai, je ne sais pas, on n'est jamais sûr de rien... d'ailleurs, il est exact que Madelon—c'est ma femme—n'est pas tout entièrement de mon avis; mais les femmes, c'est si cocasse!
—Ah! ah! madame Madelon les trouve moins mal...
—Oui, le petit surtout, un freluquet qui vous a une taille comme une gaulette... ça n'a pas le souffle... vertuchien!... bbon!...
Maître Gignoux appuya son interjection par un soupir et fit une grimace qui eût soulevé une hilarité bruyante, sans un signe impérieux du chef.
—Voyez-vous ça, reprit celui-ci; je suis bien certain pourtant que ce godelureau n'est pas bâti comme vous?
—Les femmes sont endamnées, répéta avec son accent picard le pauvre mari.
—Enfin, vous ne nous en voudriez pas trop, si nous priions poliment ces deux intrus de nous céder la place?
Le perfide Gignoux regarda autour de lui, et, bien assuré que sa moitié ne l'entendait pas, il se pencha vers son interlocuteur et lui dit tout bas:
—Bien au contraire!...
—C'est clair, fit celui qu'on appelait le lieutenant, à l'oreille de son voisin, le Soleil levant est jaloux comme un tigre.
—Nous finirons par nous comprendre à merveille, reprit le chef; plus qu'un mot. Nous sommes à Serquigny? Bien! la Somme passe à un quart de lieue du village?
—Oui, monseigneur.
Madame Gignoux écoutait avec la plus grande attention
—Quel est l'endroit où on peut la traverser?
—Oh! quant à cela, il est impossible de trouver un pont jusqu'à Amiens.
—Mais il y a des bacs d'un hameau à l'autre?
—Pour le moment, les dernières pluies ont tellement gonflé la rivière que c'est un vrai torrent, large comme une mer. Les huttes des mariniers sont envahies, et pas un ne se hasarderait à faire la traversée.
—En sorte que, pour regagner l'autre bord, il faut absolument aller jusqu'à Amiens?
—C'est le seul moyen.
Le chef se rapprocha du lieutenant, et après avoir échangé avec lui quelques mots que l'aubergiste ne put saisir, il dit à ce dernier:
—Voilà qui est convenu, notre hôte...
—Vous allez me débarrasser de ces deux intrigants?
—Pas du tout.
—Bbon!... Vous dites?
—Je dis que vous allez les entourer d'attentions, de manière qu'ils se couchent sans crainte dans leurs quatre lits...
—Ah bbon!
—Que vous allez laisser votre femme leur tenir conversation tout leur content...
—Ah mais! ah mais!...
—C'est pour le service du roi!
—Ah! bbon... pourtant, ce gringalet avec ses yeux en coulisse...
—Allons, s'il faut vous rassurer... ce gringalet...
—Monseigneur?...
—Ce gringalet est une femme, affreux jaloux!
Pour cette fois, nous renonçons à dépeindre la stupeur grotesque qui envahit les traits de l'hôtelier. Le chef eut beau faire, ses compagnons éclatèrent en un rire homérique, qui fit trembler la maison.
Cela fut très heureux pour madame Gignoux, qui écoutait depuis une minute, avec la plus grande attention, toute cette conversation, et qui fut aussi abasourdie que son mari.
—Sainte Vierge, étais-je bête!... exclama ce dernier dès qu'il revint un peu à lui.
Cet aveu sincère allait provoquer une nouvelle explosion, que le chef eut beaucoup de peine à réprimer.
—Pas un mot, pas un bruit! fit-il. Que chacun retienne son souffle! Monsieur du Soleil levant, vous allez remonter près de ces voyageurs? s'ils vous interrogent sur notre compte, répondez que nous sommes des gens des environs, à vous connus, et que nous ronflons sur la paille dans cette salle. Puis, dès qu'ils seront couchés, sans méfiance, venez nous prévenir tout doucement...
—Bbon!... je comprends... dit ce finaud de Gignoux avec son sourire le plus malin.
Il était resplendissant, et ne cessait de se frotter les mains depuis qu'il connaissait le sexe de son rival.
—Voilà, ricana de son côté le lieutenant, ce qui s'appelle prendre la pie au nid!
—Par ce moyen, ajouta le chef, fort content de son idée, nous remplissons nos instructions, qui nous invitent à n'user de violence qu'à la dernière extrémité, principalement vis-à-vis de la duchesse...
—Une duchesse!... répéta tout bas, en écarquillant ses yeux, maître Gignoux, dont on en remarquait plus les démonstrations burlesques.
—Allons, messieurs, continua le chef, la journée est meilleure que je ne l'espérais... Le gibier est venu se mettre entre nos mains... Par la mordieu! monseigneur le cardinal sera content, et nous aussi!...
—Un cardinal!... bbbon! refit Gignoux.
Le pauvre homme marchait tout droit à l'abrutissement, et pourtant il n'était pas au plus fort de ses surprises. Étant monté à la fameuse chambre à quatre lits, pour exécuter les ordres qu'on venait de lui donner et rassurer ses hôtes, au cas où ils seraient inquiets, il ne tarda pas à dégringoler l'escalier boiteux, en beuglant comme un des quadrupèdes de son étable.
—Au diable l'imbécile! firent les gens de l'escouade qui se précipitèrent dans la cuisine pour voir la cause de ce tapage.
—Holà!... messieurs, messeigneurs!... balbutiait Gignoux en se frottant les reins, c'est incroyable!... Sainte Vierge, j'en perdrai la tête...
—Parleras-tu, maroufle? exclama le lieutenant.
—Imaginez... la chambre est vide, plus personne!
—Malédiction!... hurla le chœur.
Gignoux se sentit empoigné par une douzaine de bras menaçants.
—Partis! évaporés!... Ah! je disais bien que ça finirait mal... Laissez-moi m'évanouir, je vous en prie; bbon!...
Mais on le secouait de façon à le tenir éveillé.
—Malheur à toi! dit le chef d'un ton sinistre, tu nous réponds d'eux sur ta tête!... Au fait, où est ta femme?
—Ma femme aussi, disparue... gémit le pauvre aubergiste.
—Écoutez! fit le capitaine.
Tous coururent sur le seuil vers le chemin d'où venait le bruit. Deux cavaliers sortaient de la porte charretière, qui accédait aux cours et aux écuries.
—Ce sont eux!... cria le chef.
—Et, entraînant son monde, il voulut s'élancer à la tête de leurs chevaux, mais il avait affaire à deux écuyers de première force. Piquant leurs bêtes de la cravache et de l'éperon, ils les enlevèrent en un galop furieux, et détalèrent, non sans lancer après eux cet ironique adieu:
—Au revoir, monsieur de Boisenval! Nos compliments à Son Éminence!
Ces cavaliers étaient la duchesse de Chevreuse et le chevalier de Jars; en place de leurs chevaux fourbus, ils galopaient sur les deux meilleures bêtes de l'escouade chargée de les poursuivre.
XXVIII
COURSE AU CLOCHER.
Nous avions laissé nos deux voyageurs occupés du bruit de l'escouade, qui venait s'adonner juste à cette auberge du Soleil levant, où ils se disposaient à achever un repas bien gagné par de rudes fatigues.
—Pourquoi diable aussi, dit le chevalier moitié riant moitié soucieux à la duchesse, pourquoi vous êtes-vous avisée de donner dans la prunelle à madame Madelon, pour rendre son mari jaloux!
—Eh! vous en parlez bien à votre aise, cher ami, répondit-elle, avec une promptitude de riposte qui témoignait que pas plus que lui elle n'avait perdu sa bonne humeur dans le danger; il vous fallait alors prévoir ce qui arrive; à la place de ces hauts-de-chausses masculins, j'eusse mis ma robe de cour, et, au lieu de séduire madame Gignoux, j'eusse énamouré son époux.
—Oui, mais en attendant, vous avez rendu le mari stupide...
—Oh! je n'ai pas eu grand'peine à l'achever...
—Et si la femme découvre que nous nous sommes joués d'elle, il y a probabilité qu'elle va se mettre de son côté...
—Vous parlez comme un professeur de logique à la Sorbonne; et votre conclusion?...
—C'est qu'il faut brûler la politesse à tous ces marauds, et que, ne pouvant sortir par la porte...
—Il faut descendre par la croisée.
—C'est donc aussi votre avis?
—Absolument.
—Alors aidez-moi.
—Elle alla résolument tirer les draps de l'un des lits.
—Que faites-vous?
—Eh quoi! vous, un prisonnier émérite de la Bastille, vous le demandez? Une corde pour descendre; vous ne voulez pas, peut-être, que nous nous rompions le cou à exécuter un saut périlleux d'ici en bas?
—Vous mériteriez de porter à tout jamais ce costume; je ne connais pas d'homme qui en soit plus digne.
—Flatteur! vous ne m'avez vue qu'à cheval; mais si vous me voyiez à tous les exercices gymnastiques, la chasse, la pêche, la rame, et la natation surtout!... Ah! c'est que j'ai reçu une éducation complète...
Tout en causant, ils ne perdaient pas une minute. A l'aide d'un couteau, ils taillaient le drap en bandes, pour les nouer l'une à l'autre, lorsque leur hôtesse, qu'ils oubliaient, reparut tout à coup.
—Voilà de belle besogne!... fit-elle en saisissant un bout de l'échelle improvisée.
—Madame... commença à implorer la duchesse, reprenant son rôle galantin.
Mais l'hôtelière la repoussa, sans trop de brusquerie pourtant, et la menaçant du doigt:
—Ah! l'on s'est raillé de moi!... et de mon mari! Mais je sais tout, et je vais me venger!...
—Si jolie, vous ne pouvez pas être méchante! dit la duchesse.
—Ta! ta! ta! à d'autres, vos drôleries! On vous connaît, vous dis-je!
—Vous n'avez donc pas d'entrailles! lui dit le chevalier.
—Vous vouliez partir par la croisée, mes beaux amis, et avec un escalier de cette espèce?...
—On sort comme on peut; si vous étiez à notre place...
—Je ferais comme vous, c'est possible. Mais je n'y suis pas, et, ma foi, il ne fallait pas vous laisser prendre.
—Voyons, reprit le chevalier, en portant la main à sa poche, est-ce qu'il n'y a pas moyen d'arranger cela?...
—Fi donc! pour qui me prenez-vous? mon mari vient de se faire payer pour vous livrer.
—Eh bien, recevez ces quelques louis pour nous laisser partir, vous aurez fait chacun votre journée!
—Je suis une honnête femme!
—Sangdieu! jura de Jars, je donnerais bien tout ce que je possède pour que vous fussiez un homme, même malhonnête! quel bonheur j'aurais à vous bâillonner...
—A la bonne heure! vous vous fâchez!... Eh bien! non, fit-elle en menaçant de nouveau la duchesse, je ne suis pas si méchante que cela! Mon mari est en train de vous vendre, moi je vous sauverai.
—En vérité!
—Ai-je donc l'air de mentir!... Vous ne me faites pas l'effet de deux malfaiteurs bien dangereux... deux amoureux qui se sauvent? Hein, n'est-ce pas cela? Et l'on veut vous remettre à quelque époux féroce! Pas du tout! pas du tout! Vous m'intéressez; les amoureux m'intéressent toujours! Mais de la prudence!
Ce n'était pas le cas d'expliquer à l'excellente femme qu'elle se trompait sur la nature du délit reproché aux fugitifs. Celui qu'elle leur prêtait les rendait bien plus charmants à ses yeux.
—Je ne veux pas que vous vous serviez de ça, fit-elle en montrant avec dédain le drap de lit. Je vais aller dans la cour mettre une vraie échelle à la croisée que voici. Tenez-vous prêts, car il n'y a pas de temps à perdre.
Un instant après, grâce à ce secours inespéré, ils descendaient tranquillement de leur prison.
Mais il fallait partir: nouvel embarras, leurs chevaux ne tenaient pas debout!
Le chevalier eut bien vite trouvé un expédient. Il pénétra dans l'écurie, harnacha les deux meilleures bêtes de l'escouade, aida sa compagne à se mettre en selle, et, avant de s'y mettre lui-même, visita d'une façon assez singulière les arçons des selles restantes.
Ce qu'il y fit, nous ne saurions le dire encore; mais il est certain qu'en le voyant, madame Gignoux riait à gorge déployée.
Il voulut enfin la forcer d'accepter un gage de leur reconnaissance; mais, renonçant à vaincre ses refus, il la prit à bras-le-corps et l'embrassa sur les deux joues; puis, il s'élança sur son cheval.
Elle ouvrit alors discrètement la porte charretière; une minute après, ils adressaient à leurs ennemis les adieux que nous connaissons.
—A cheval!... aux armes!... vociférèrent ensemble Boisenval et son second.
Ce fut à qui se précipiterait dans l'écurie; mais on ne tarda pas à constater l'enlèvement des deux bons chevaux et la substitution de malheureuses bêtes que tous les coups de cravache ne parvinrent pas à faire tenir debout.
L'escouade, forcément réduite du tiers de son effectif, se trouva néanmoins assez vite en mesure, et se lança à bride abattue, à travers une obscurité presque complète, dans la direction où les fugitifs venaient de disparaître.
De part et d'autre, dans le silence profond de la nuit, on ne tarda pas à distinguer le bruit des chevaux, et chacun redoubla d'ardeur, les uns pour gagner du champ, les autres pour les atteindre.
Si des paysans attardés aperçurent ces deux cavalcades furieuses, bondissant à travers la campagne, franchissant les haies, brûlant les chemins, incendiant du fer de leurs chevaux les cailloux des sentiers raboteux, avec un cliquetis d'acier, des imprécations sauvages, ils durent se croire témoins d'une de ces chasses fantastiques, que leurs vieilles traditions font courir, dans les ténèbres de certaines nuits maudites, au sein des guérets picards.
Sur ces entrefaites, la lune, curieuse sans doute de cette joute désespérée, triompha des nuages qui la voilaient, pour éclairer la scène, ses rayons descendirent pâles, mais limpides, sur la campagne, et les poursuivants purent distinguer, à quelques milliers de pas en avant, la silhouette des fuyards.
De part et d'autre, on ne galopait plus, on dévorait l'espace sous des cascades exaspérées. Le flanc des chevaux ruisselait de sang; chaque coup d'éperon ne leur mordait plus la peau, il leur enlevait des lambeaux de chair. Leurs mors étaient couverts d'une écume également teinte de sang. Les généreuses bêtes allaient toujours, comme le héros qui marche à la mort par des miracles de vaillance.
Mais, tout à coup, ce ne fut plus la campagne, ce ne fut plus la terre qui s'offrit aux regards épouvantés de la duchesse et de son compagnon. Le sol manquait sous leurs pieds,—c'était une nappe immense, large comme une mer, resplendissante comme une plaine d'argent sous les rayons de la lune.
Ils étaient arrivés au fleuve débordé.
Sans échanger un mot, ils regardèrent autour d'eux: partout cet océan roulait ses flots chargés de débris de meubles, de maisons, d'arbres déracinés sur ses rives. L'endroit où ils se trouvaient formait comme un golfe sinueux; devant eux, à leur droite, à leur gauche, c'était l'eau; derrière eux, Boisenval et ses acolytes accourant, et ne leur laissant pas une échappée de terrain.
—En, avant! en avant! cria l'intrépide duchesse; plutôt mourir ici que tomber en leurs mains!
—En avant! répéta le brave de Jars.
—Ils renouvelèrent leurs attaques aux flancs de leurs montures, mais celles-ci, effrayées par cette immensité lumineuse et mouvante, refusèrent absolument de s'y hasarder.
Chaque seconde rapprochait l'ennemi.
—Mourons en combattant! dit le chevalier; donnant l'exemple, il prit un pistolet et fit volte-face.
—Au nom du roi!... rendez-vous!... cria Boisenval.
—Jamais!... répondirent les deux fugitifs, et, se voyant à portée, ils lâchèrent la détente de leurs armes.
Un des archers tomba.
—Au nom du roi!... répéta l'agent du cardinal.
Et sans s'inquiéter du blessé, il poussa en avant avec ses deux compagnons.
—Suivez-moi!... dit la duchesse au chevalier.
Soudain, elle se laissa glisser de cheval et s'élança, sans hésitation, au milieu du fleuve débordé.
—Je vous suis! répondit de Jars en l'imitant.
—Revenez; arrêtez!... criaient Boisenval et son second, qui avaient aussi tenté, sans succès, de mettre leurs chevaux à l'eau.
—Ils vont se noyer!... fit le lieutenant.
—Ou nous échapper!... dit Boisenval.
Alors, furieux, démoralisé, il tenta un dernier effort.
—Revenez ou je fais feu!...
Cette menace ne reçut pas de réponse, si ce n'est que les nageurs activèrent leurs mouvements.
—Vous l'aurez voulu!... cria-t-il pour la dernière fois.
Déjà ses compagnons et lui avaient le pistolet au poing.
—Feu!... commanda-t-il.
Le chien s'abattit, la pierre fit luire une étincelle, mais aucun des trois coups ne partit, et l'écho du rivage apporta, comme un défi, l'éclat de rire des nageurs. Avant de quitter l'écurie du Soleil levant, le chevalier avait versé une cruche d'eau dans les fontes de l'ennemi. Toutes les amorces étaient mouillées.
Boisenval poussa un blasphème épouvantable.
—Mettons-nous à la rivière! dit-il; il faut les rejoindre à tout prix, à tout prix!
—Comment faire? répliqua le lieutenant; ces damnés chevaux se feraient hacher plutôt que de se mouiller le ventre, et je ne sais pas nager...
—Ni moi! ajouta le seul de leurs soldats qui fût valide.
—Alors, c'est fait de nous et de notre fortune.
—Que diable! à l'impossible nul n'est tenu.
—Mais ils nous échappent, ils nous échappent!... répétait avec frénésie l'agent infortuné du ministre.
—A moins qu'ils ne se noient! fit observer philosophiquement le lieutenant aux gardes du cardinal.
—Plût à Dieu!... Mais non, cette duchesse damnée a fait pacte avec l'enfer... Tenez, ils nagent toujours...
En effet, la tête des deux fugitifs apparaissait encore par intervalles, et leurs forces, à en juger par la rapidité de leurs brassées, luttaient avec avantage contre la violence du flot.
Boisenval ne se décida à quitter la place que quand il ne fut plus possible de les distinguer.
—Par la mordieu!... fit le lieutenant émerveillé, c'est égal, monseigneur de Richelieu en dira ce qu'il voudra, c'eût été grand dommage de loger une balle dans la tête d'une pareille amazone!...
—Que les cataractes de la Géhenne vous engloutissent, riposta Boisenval, voilà de l'admiration bien placée!... Çà! qu'allons-nous devenir céans?
—M'est avis, cher monsieur, que ne pouvant passer la rivière de la même façon que ces deux gaillards, il n'y aurait aucune chance de les joindre, tant que nous demeurerons de ce côté-ci; le plus pressé est de gagner un pont.
—Le plus proche est Amiens! La belle avance!
—Si vous trouvez quelque chose de mieux...
—Allons, soit, tâchons de nous orienter... Qu'est-ce encore?
C'était un gémissement du soldat blessé, qui revenait de son évanouissement. Il fallait, bon gré, mal gré, lui venir en aide, et nous abandonnerons Boisenval et ses compagnons au milieu de cette tâche.
Le père venait de mourir.
Quant à la duchesse de Chevreuse, dont l'histoire a consacré la fuite héroïque, elle parvint saine et sauve avec son compagnon sur la rive opposée. Puis, grâce à l'argent dont ils étaient munis, ils ne tardèrent pas à mettre, cette fois, une distance plus rassurante entre eux et les rancunes de Richelieu.
XXIX
HENRIETTE ET PHILIPPE.
C'étaient donc encore deux ennemis qui glissaient entre les mains du cardinal. Mais son but essentiel n'était-il pas atteint? Sa voie ne se déblayait-elle pas de tous ceux qui lui portaient ombrage? C'était un vide sinistre, peut-être, car il était marqué par autant de sentences de prison perpétuelle, d'exil ou d'échafaud; mais qu'importait au tyran, pour peu qu'il jouît sans compétition de cette puissance si péniblement conquise!
Comptons bien, voyons ce qu'il restait des membres de cette cour, que nous avons connue autour des deux reines, et qui comprenaient leurs seuls amis sincères:
La duchesse de Chevreuse et de Jars avaient réussi à gagner l'Angleterre et la Flandre, où ils passèrent successivement les longues années de leur exil.
La douce et tendre Lafayette se réfugia dans un cloître, d'où elle ne sortit plus.
Bassompierre alla rejoindre Châteauneuf à la Bastille, et si les exigences de notre récit nous ont forcé à un léger anachronisme en ce qui concerne ce dernier des deux Marillac, leurs malheurs, aux uns comme aux autres, n'en sont pas moins des faits trop réels pour l'honneur de Richelieu.
Nous ne parlons pas des exécutions plus ou moins publiques qui abattirent la tête de tant d'autres: on sait les noms de Puylaurens, d'Ornano, de Vendôme, égorgés entre les murs de Vincennes, et dont l'impitoyable cardinal osait prononcer l'oraison funèbre en ces mots:
—Voilà un air bien merveilleux que celui du bois de Vincennes, qui fait mourir les gens de la même façon!
Nous n'insisterons donc pas davantage sur le sort des Marillac: Michel mourut en prison, et le maréchal s'entendit condamner à mort.
On put espérer qu'il en serait de lui comme du chevalier de Jars, et que sa grâce arriverait au dernier moment; mais Richelieu ne laissait pas ainsi échapper deux fois ses victimes, et puis il ne restait plus, auprès de Louis XIII, un ange de générosité pour réclamer en faveur du sang innocent.
Marillac monta sur l'échafaud avec le courage d'un martyr et la fermeté d'un soldat qui va à la mitraille. Sa belle contenance toucha jusqu'au chevalier du guet chargé de veiller à la funèbre opération. Lorsque ce militaire vit l'exécuteur lier les mains du héros:
—Sur ma foi, lui dit-il, j'ai très grand regret, monsieur, de vous voir en cet état.
Mais le maréchal, le regardant avec fermeté:
—Ayez-en regret pour le roi, et non pour moi, répondit-il.
Quelques secondes après, sa tête tombait sous la hache.
Cet assassinat juridique inspira au cardinal un mot qui fait le pendant de celui que nous citions tout à l'heure, à propos des victimes de Vincennes. Les juges qu'il avait poussés à rendre cette sentence odieuse étant venus lui en apprendre l'exécution, il le reçut avec un sourire moqueur:
—Il faut avouer, leur dit-il, que Dieu donne aux juges des lumières qu'il n'accorde pas aux autres hommes, puisque vous avez condamné le maréchal à mort! Pour moi, je ne croyais pas que ces actions méritassent un si rude châtiment.
Non, certes, elles ne le méritaient pas; car, après la mort de son persécuteur, la mémoire du maréchal fut réhabilitée en forme solennelle, par le Parlement.
Mais ce sont là des détails historiques si connus que nous nous bornons à les indiquer, ainsi que l'exil de la reine-mère et du duc d'Orléans, Gaston, à Bruxelles.
Cette ville devint bientôt le foyer d'une nouvelle cour, où tous ceux qui avaient échappé au bourreau de Richelieu se réunirent autour de Marie de Médicis.
Dévoué entre tous, Philippe de Champaigne, dont l'âme généreuse n'oubliait aucun bienfait, se fit remarquer par son assiduité auprès de la princesse. Il devint alors à double titre son maître peintre; car Duchesne, qui n'avait pas imité son abnégation, et qui tenait plus à la fortune qu'à la gloire, mourut avec tranquillité dans l'appartement du Luxembourg qu'il devait à la reine exilée, et que le cardinal lui avait continué pour ses services récents.
Richelieu était donc le maître, tout seul, sans rivaux. Il dirigeait à son caprice son royal esclave, refoulant la reine Anne d'Autriche au rang le plus humble, écartant toutes les favorites en perspective, et choisissant même les confesseurs destinés aux confidences royales.
Était-il heureux, enfin?—Qu'on se garde de le croire!
Un mal cruel avait pénétré son âme. Cette lassitude, dont nous l'avons plusieurs fois montré atteint, avait repris son empire; des humeurs noires le rongeaient. Il avait réalisé ses plus beaux rêves, il était arrivé à tout;—à tout, hormis au bonheur!
Effrayant retour des choses humaines! Cet esprit dominateur, altier, impitoyable, éprouvait un vide que rien ne pouvait remplir.
Ni les efforts de ses serviteurs intimes, Desroches, Desnoyers, Lavalette, ni les cajoleries de ses poètes, ni le dévouement éprouvé du père Joseph, ni l'affection démonstrative de ses parents ne lui donnaient satisfaction.—Richelieu, puissant, redouté, invincible, ne sentait pas près de lui un cœur qui l'aimât.
Longtemps, le plus éclairé de ses affidés lutta contre cette situation, qu'il avait entrevue du premier coup d'œil. Il lui fallut reconnaître à la fin que le temps aigrissait le mal au lieu de l'amoindrir. Le maître retombait dans un marasme plus inquiétant qu'aucun de ceux dont il l'eût encore tiré.
Depuis l'explication qui suivit la fuite de Philippe, le nom du jeune peintre n'avait pas été prononcé entre eux; le franciscain n'avait pas davantage fait allusion au secret dont il était devenu maître, et le silence de son patron à cet égard n'était pas moins absolu.
Mais, plusieurs fois, pénétrant chez lui à l'improviste, il l'avait surpris, le regard attaché sur un objet qu'il serrait dans sa main et qu'il dissimulait aussitôt.
Ce soin était de trop. Le franciscain connaissait cette relique, que le cardinal tenait de lui, et qui indiquait d'où venait son ennui. Ce fut donc par là qu'il résolut d'aborder la question.
—Votre Éminence, lui dit-il, paraît avoir du goût pour les miniatures...
Richelieu bondit sur son siège et lui lança un regard qui eût mis tout autre en fuite.
—Qu'est-ce à dire?... est-ce un sarcasme?...
—Que Votre Éminence ne se courrouce point. Ce n'est point une ironie; c'est une simple observation.
—Où voulez-vous en venir, s'il vous plaît?
—A dire à Votre Éminence que je m'étonne, qu'ayant un faible si particulier pour les portraits...
—Encore!...
—Elle ne songe pas à faire achever le sien propre.
—Vous n'ignorez pas que c'est impossible; nul de nos peintres n'est digne de finir une œuvre commencée par Philippe de Champaigne.
—Alors, il n'y a qu'un moyen, monseigneur, c'est d'inviter Philippe de Champaigne à la venir terminer lui-même.
Un rayon illumina les longs traits amaigris de Richelieu; mais il s'éclipsa aussitôt sous un nuage plus épais:
—Le rappeler!... Non, ce serait peine perdue!...
Le cardinal soupira profondément.
—Qui sait, monseigneur? insista son confident.
—Non, reprit-il avec un mouvement de tête découragé. Tu sais mieux que personne comme j'étais disposé en faveur de ce jeune homme, combien j'eusse été heureux de faire sa fortune, de me l'attacher par quelques liens d'affection... Hélas! je suis arrivé à contenter toutes mes ambitions, excepté celle-là!... Ce jeune homme m'a fui comme on fuit un ennemi mortel; il s'est attaché au service de la personne qui me hait le plus au monde; rien ne serait capable de l'en détacher à ma faveur...
Le franciscain secoua à son tour sa tête grisonnante, mais avec ce sourire énigmatique si connu du cardinal.
—Tu connaîtrais un moyen? demanda vivement celui-ci.
—Peut-être.
—Faut-il donc te l'avouer? A ton insu j'ai tenté, par des agents fidèles, plusieurs démarches auprès de lui.
—Et tu ne m'as rien dit?
—J'attendais que Votre Éminence daignât m'initier à ses desseins. Toutes ces instances d'ailleurs ont échoué.
—Avec une noblesse de caractère admirable, il a répondu aux offres les plus brillantes: «Je suis le courtisan du malheur; je n'abandonnerai pas dans leur mauvaise fortune ceux qui m'ont soutenu dans leur prospérité.»
—Oui, c'est une grande nature; ce jeune homme a dans les veines un sang qui n'est pas vulgaire.
Richelieu devint aussi rouge que la pourpre de sa robe.
—Jamais un mot là-dessus! fit-il avec vivacité, mais sans colère.
—Oui, monseigneur. Je sais un moyen de décider Philippe de Champaigne à rentrer en France, à Paris, au Louvre. Mais si j'emploie ce moyen, si j'opère ce miracle, j'exige le serment solennel de Votre Éminence que jamais ce jeune homme ne connaîtra rien du passé, et qu'il ne verra en vous qu'un protecteur, un ami de son talent.
—Je ne souhaite, je n'ai pas droit de souhaiter plus, fit tristement Richelieu. Va, je t'engage ma foi; sa présence, sa reconnaissance, que je veux conquérir, me suffiront. Que faut-il faire?
—Vous en remettre à moi seul.
—Agis à ta guise, sans contrôle.
—C'est bien, Éminence. Vous ne regretterez pas ces pleins pouvoirs.
Sur ces mots, le confident s'éloigna afin d'arriver sans perte de temps à l'exécution de son projet.
Il était beaucoup plus simple que Richelieu ne le supposait, mais il reposait sur cette étude intime du cœur humain et des petits secrets de la cour, dont le père Joseph s'appliquait sans cesse à tenir tous les fils.
Sa conduite étrange vis-à-vis de Philippe était elle-même une des conséquences rigoureuses de sa logique. Il avait craint que le cardinal, attiré vers ce jeune homme par une sympathie mystérieuse, ne voulût faire de lui son confident exclusif. Il n'avait vu en lui qu'un rival, qui pouvait lui disputer les bonnes grâces du maître. Car il était aussi jaloux de la faveur du cardinal que le cardinal de celle du roi.
Il n'avait pas voulu que la tête de ce jeune homme tombât sur la promesse de Richelieu au monarque, c'eût été par trop monstrueux.
Le retour de Philippe pouvait opérer cette résurrection; il avait décidé que ce retour aurait lieu.
Il était rassuré d'ailleurs sur le caractère de ce jeune homme; c'était un cœur trop droit et trop indépendant pour faire un intrigant ou un ambitieux.
Mais quel moyen avait-il donc trouvé?
Depuis la mort de son père, Henriette Duchesne avait été adoptée par la reine Anne d'Autriche, comme elle l'avait été naguère par Marie de Médicis. La pauvre enfant était tombée dans une grande mélancolie.
Ce fut à elle que le père Joseph s'adressa. Il lui parla peu de son père mort, mais beaucoup de son amant exilé. Habile négociateur, il fit plus, il mit à profit l'intérêt de la jeune reine pour la jolie orpheline; il manœuvra si bien, en un mot, qu'un jour un billet parti du Louvre arriva à Bruxelles, à l'adresse de Philippe de Champaigne:
«Ami, lui disait Henriette, vous savez de quel surcroît de douleur le sort m'a frappée. Mon père n'est plus. Sa mort m'a rendue libre, et ses dernières paroles m'ont enjoint de réparer les torts qu'il aurait pu commettre. Il en eut de grands envers vous.
«Ami, me voici seule comme vous, sur la terre. Ne vous reverrai-je plus?...»
Un tel doute était un ordre. Au reçu de ce message, Philippe, autorisé par sa bienfaitrice, dont il voulut encore prendre l'aveu, quitta Bruxelles, et revint à Paris sans perdre une heure en route.
Son empressement trouva sa récompense.
A son arrivée à Paris, il fut reçu par un secrétaire de Richelieu, qui l'amena sur-le-champ au Louvre, où il était attendu avec impatience.
—Vous voilà donc, monsieur l'enfant prodigue? s'écria le cardinal, qui voulut l'embrasser, quoiqu'il se défendît d'un tel honneur.
Et comme il demeurait confus, fort empêché de répondre à cet accueil chaleureux:
—Vous ne nous échapperez plus, reprit son nouveau protecteur, car nous savons comment vous retenir... Voici quelqu'un qui nous y aidera.
En même temps, il souleva une draperie et attira Henriette, tout émue, dont il prit la main pour la mettre dans celle de l'artiste.
—O monseigneur! s'écrièrent-ils d'une seule voix en tombant à ses pieds.
Mais il les força de se relever et les pressa tous les deux entre ses bras; puis, s'adressant au père Joseph:
—Enfin! dit-il, je ne mourrai pas sans avoir connu le bonheur!
Ce fut lui qui présida au mariage, que l'on considéra, eu égard aux anciens rapports de Duchesne et de Philippe de Champaigne, comme une réconciliation posthume, et ce fut lui aussi qui fournit la dot de l'épousée.
CONCLUSION.
Quelle était donc la femme dont le médaillon dérobé au jeune peintre rappelait les traits?
Nous sommes forcé d'un convenir, aucun indice ne nous est arrivé sur ce point. Mais Richelieu avait été jeune, très jeune, disent ses biographes; il avait eu de nombreuses amours;—comme tout le monde, peut-être, il avait conservé de ses fougueuses aventures une première impression, plus pure et plus durable que les autres.
Ce qui demeure constant, c'est qu'il favorisa l'union de Philippe de Champaigne et de la fille de maître Duchesne. C'est aussi qu'il devint, pour cet artiste, le plus ardent des protecteurs.
Il lui donna au Luxembourg le logement et les gages dont maître Duchesne avait joui; non seulement il lui fit achever son portrait, mais il exigea que ses châteaux de Bois-le-Comte et de Richelieu fussent entièrement décorés de sa main. Il voulut encore lui départir la meilleure portion dans les peintures du Palais-Royal. Il lui fit attribuer, par le roi, la décoration de la grande galerie du Louvre; mais, surchargé par tant de travaux, Philippe, toujours modeste au sein de ses plus grands succès, se laissa volontiers supplanter dans cette dernière tâche par Simon Vouet.
Sa fortune, dès lors, ne connut pas plus de limites que sa gloire.
Quant au personnage mystique de frère Jean, il avait définitivement pris son vol vers l'Allemagne, où il commença à exercer, sur une grande échelle, son rôle de novateur.
Il entraîna par son éloquence l'une des femmes les plus célèbres de cette époque, mademoiselle de Schurmann, avec laquelle Richelieu entretint une correspondance fameuse. A son tour, mademoiselle Schurmann, disciple ardente des nouvelles idées, y rallia la princesse palatine Élisabeth, qui devint pour les sectateurs du prophète une protection précieuse. Enfin, ces doctrines ont laissé de telles traces, qu'aujourd'hui encore on en retrouve les partisans dans le duché de Clèves, sous le nom de Labadistes. Ses livres nombreux et bizarres sont d'ailleurs dans les principales bibliothèques, où les curieux peuvent les consulter.
L'histoire du père Joseph n'est pas moins connue.
En dépit de ses efforts pour conserver intacte la faveur du maître, il finit par laisser percer des idées ambitieuses, qui éveillèrent la méfiance de celui-ci.
Le cardinal en vint à éprouver des velléités de jalousie à l'idée que son confident, plus jeune et plus robuste que lui, avait l'espoir de lui succéder. Leur intérêt les rendait solidaires, et lorsqu'ils en furent arrivés à se détester, il leur fallut encore vivre en société, en rapports constants.
Le châtiment de ces deux hommes commença, et comme ils avaient commis leurs attentats l'un avec l'autre, l'un par l'autre, ils devinrent l'un l'autre leurs propres persécuteurs.
Cependant, Richelieu, fidèle jusqu'au bout à sa diplomatie tortueuse, accablait en apparence son ancien favori de toutes les grâces imaginables. La seule ambition que le capucin lui eût clairement manifestée était d'obtenir le chapeau de cardinal. Richelieu ouvrit à cet effet des négociations avec le Saint-Siège.
Mais ces démonstrations extérieures n'abusaient pas un esprit aussi retors; le père Joseph sentait très bien sa disgrâce, et il en conçut un tel chagrin que la maladie le prit.
Richelieu hâta alors davantage ses démarches auprès du pape; deux ambassadeurs furent envoyés à Rome, et le chapeau tant sollicité arriva. Mais celui auquel il était destiné n'eut pas la joie de le porter. Lorsque Richelieu se présenta pour le lui remettre, le père Joseph venait de mourir; l'objet de sa brûlante convoitise ne servit qu'à orner son cercueil. On ne manqua pas de voir, dans cette circonstance, un châtiment de la Providence, qui avait voulu punir enfin l'auteur de tant d'odieux attentats contre le ciel et contre les hommes.
FIN
NOTES:
[1] Violet-le-Duc. On peut consulter aussi Dulaure et surtout Sauval, où ont puisé tous les historiens venus depuis eux.
[2] Quelques années plus tard, Marot fut arrêté avec la plupart des gens de lettres de Paris, pour avoir mangé de la chair en carême. Ils furent cités devant le parlement, et Marot ne dut son élargissement qu'à la caution de Marguerite de Valois, qui le fit réclamer par son secrétaire, en séance de ce redoutable corps devenu politique, judiciaire et religieux.
[3] Il existe de Corneille Agrippa quatre volumes de lettres très curieuses, écrites en latin, dans lesquelles il parle de ses ennuis à la cour de France. C'est à cette source que nous puisons le sujet de cet épisode de notre livre.
[4] Brantôme, avec une crudité d'expression que tolérait son époque, nous a conservé des détails de ces mœurs étranges. Il nous apprend aussi que les femmes dont il s'agit étaient sous la surveillance et protection du roi des ribauds, lequel avait charge et soin de leur faire départir quartier et logis, et là, commander de leur faire justice si on leur faisait quelque tort.
[5] Ce fut seulement sous Henri II qu'on abolit ce supplice.
[6] Anquetil, Histoire de France.
[7] Mémoires des Reines de France, tome IV. Poyet succéda lui-même, par la suite, à Duprat, en qualité de chancelier.
[8] Charles-Quint, n'étant encore que duc de Luxembourg, avait fait demander Marguerite de Valois en mariage. (Du Radier, Mémoires des Reines et Régentes).
[9] C'est à l'occasion de cette odieuse affaire, que l'évêque de Metz appelle, dans ses écrits, Duprat «le plus méchant des hommes».
[10] Jean Bouchet, Annales d'Aquitaine, IVe partie.
[11] Histoire ecclésiastique de Théodore de Bèze, t. 1er, p. 6.
[12] Voyez la biographie de Philippe de Champaigne, par Chaudon, pour ce piquant incident des débuts de l'illustre artiste.
[13] Chronique sur les Cours de France: Crespy-le-Prince.
[14] Des Peisses, modifiant pour ce misérable la définition de l'avocat par Caton, écrivit au bas de son portrait: Vir bonus strangulandi peritus.
[15] Le roi, dit l'auteur des Intrigues galantes de la cour, eut des maîtresses, mais ses amours étaient purement spirituelles et d'âme à âme, et les jouissances en étaient vierges.