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Les trois pirates (1/2)

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IV
ARRIVÉE DE FRÈRE JOSÉ.

—Eh bien! vint me dire le capitaine quelques jours après cette première entrevue, ne vous avais-je pas annoncé que notre estimable frère José nous arriverait un de ces quatre matins! Le voilà qui, pour ne pas faire mentir ma prédiction, vient de débarquer ici frais comme une rose et agréablement chargé d'une petite pacotille d'argent en apparence assez passable.

—Et d'où vous est-il donc tombé si à propos, demandai-je au capitaine.

—D'où? Ma foi je serais fort embarrassé de vous le dire encore, car jusqu'ici l'aimable voyageur n'a répondu à toutes mes questions, qu'en me répétant qu'il ne parlerait que lorsque Bastringue et moi nous serions en état de l'entendre en assemblée générale. Tout ce que j'ai pu apprendre sur son compte, à la première inspection de son individu, c'est qu'il est arrivé à terre en costume de religieux et tonsuré ou tondu comme un vieux rat d'église.

—Tonsuré? Mais c'est donc d'une sacristie ou d'un couvent qu'il s'est échappé le saint homme?

—Qui le sait? lui seul peut-être, et le diable avec qui probablement il se sera entendu pour faire et arrondir sa balle. Mais, pour mettre ses bonnes intentions à profit, je lui ai donné rendez-vous chez moi demain, attendu qu'aujourd'hui la réunion aurait été impossible, l'ami Bastringue ayant déjà employé sa journée à perdre dans le tafia le peu de raison dont il peut disposer en faveur de ses amis. Frère José qui porte dans toutes ses actions la méthode la plus invariable, m'a demandé vingt-quatre heures pour se reposer et pour mettre en ordre ses idées et son rapport. Je suis sûr, tel que je le connais, qu'il passera la nuit à rédiger le journal de ses aventures. Oh! c'est que c'est un compère lettré que ce cher ami, quand il veut s'en donner la peine! Vous l'entendrez demain.

—Et maître Bastringue, pensez-vous pouvoir le posséder à jeun assez de temps pour obtenir de lui les révélations que vous voulez en tirer?

Le capitaine me confia alors que pour être plus sûr de la sobriété qu'il avait besoin de rencontrer le lendemain chez son collègue Bastringue, il s'était servi d'un moyen neuf et qu'il devait regarder comme infaillible. Je suis parvenu, me dit-il, et non sans peine, à persuader à notre incurable ivrogne qu'il était menacé d'une prochaine et sérieuse maladie, et qu'il devenait urgent qu'on lui nettoyât la cale pour prévenir l'affection dont les symptômes s'annonçaient déjà sur sa figure empourprée. Un docteur de ma connaissance, ajouta Salvage, a dû à ma recommandation lui faire préparer un purgatif de cheval qu'il avalera demain, et il n'en fallait pas moins, je vous assure, pour balayer et lessiver l'estomac de notre camarade. En sorte que demain nous pouvons espérer de le voir nous arriver sain et à jeun, s'il plait à Dieu, et à la médecine de faire aussi des miracles.

Le capitaine tout joyeux de la découverte du procédé hygiénique qu'il se proposait de mettre en usage, me quitta en riant et en me donnant rendez-vous chez lui pour le lendemain.

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