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Missions au Sahara, tome 1 : $b Sahara algérien

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E.-F. Gautier. — Sahara Algérien. Pl. XI.

Cliché Cauvin

21. — UN TROU D’EXPLOITATION A TAOUDÉNI

Au sommet les déblais ; au-dessous couches d’alluvions ; au fond le banc de sel.

Cliché Cauvin

22. — LA FALAISE D’ÉROSION QUI LIMITE LA CUVETTE DE TAOUDÉNI.

III. — Taoudéni.

Sur l’O. Messaoud et ses dunes, dans les pages qui précèdent, on a coordonné des observations recueillies sur le terrain. Dans les lignes qui suivent, on essaiera de systématiser un tout petit nombre de faits, de renseignements indigènes et de probabilités, qu’il serait plus sage d’appeler des conjectures, sur un immense pays inexploré. C’est une entreprise qui a son côté dangereux, on ne se le dissimule pas. Mais, d’autre part, il paraît impossible de ne pas formuler sommairement quelques hypothèses très simples, qui se présentent naturellement à l’esprit, et qui cadrent avec tous les faits connus.

Au nord-ouest de Tombouctou s’étend le Djouf, qu’on nous représente comme une immense cuvette, couverte de dunes.

En relation avec ce Djouf paraissent être de nombreuses mines de sel, Taoudéni, Trarza, les salines beaucoup plus occidentales de Tichitt qui alimentent le commerce d’Oualata et de Nioro. Elles sont encore peu connues : Caillié a vu Trarza, le lieutenant-colonel Laperrine et le capitaine Cauvin ont vu Taoudéni. Les produits de l’extraction sont, en revanche, très répandus au Soudan, de longues dalles minces d’un facies uniforme, quelle qu’en soit la provenance.

Quel est l’âge de ce sel ? Par analogie avec l’Algérie, qui est il est vrai, bien lointaine, on pourrait par exemple le supposer, a priori, triasique. Mais il faut avouer qu’il est beaucoup plus naturel d’y voir un dépôt récent[40].

Le lieutenant Cortier, compagnon du capitaine Cauvin, a décrit avec une netteté minutieuse la succession des couches dans les trous d’exploration à Taoudéni[41]. Elles sont parfaitement horizontales.

Au sommet, une couche d’argile, pétrie de gypse en fer de lance, mélangée de cristaux de sel, rouge et passant au vert en profondeur. Cette couche argileuse, de 5 à 6 mètres de puissance, repose sur une première couche de sel compact, épaisse de 0 m. 25 à 0 m. 30. Ces deux premières couches sont bien visibles, au-dessous des déblais, sur la photographie ci-jointe, due à l’obligeance du capitaine Cauvin. (Voir pl. XI.)

Au-dessous, on rencontre deux autres couches de sel interstratifiées de faibles épaisseurs d’argile, quelques centimètres. Et plus bas encore on pourrait exploiter d’autres couches de sel, mais « dès que la troisième est enlevée, l’eau jaillit de toutes parts ».

Les gros commerçants maures, qui ont ce qu’on pourrait appeler l’entreprise de l’exploitation, Mohammed Béchir, par exemple, que j’ai pu interroger à Tombouctou, insistent beaucoup sur ces infiltrations d’eau, qui mettent au travail un gros obstacle, inattendu au Sahara. Ils ajoutent que dans les excavations inondées et abandonnées la couche de sel exploitée se régénère elle-même dans la saumure et redevient à la longue exploitable. Enfin les indigènes ont affirmé au lieutenant Cortier avoir trouvé « dans l’argile mêlée de sel des ossements et des empreintes d’hippopotames et de caïmans ». La description du lieutenant Cortier, illustrée par la seconde photographie ci-jointe du capitaine Cauvin, permet d’imaginer aisément la morphologie du pays. Les salines tapissent le fond d’une cuvette entourée de tous côtés par des falaises et des garas ; une photographie représente la gara qui surplombe Taoudéni. (Voir pl. XI.) Dans cette cuvette un grand oued, au lit humide, l’O. Telet, débouche dans « des gorges sauvages ».

La petite cuvette de Taoudéni est inscrite dans une autre beaucoup plus grande, qui est la partie orientale du Djouf. Le long de l’itinéraire Cauvin, la limite méridionale du Djouf, à cent kilomètres au sud de Taoudéni, est marquée par la falaise de Lernachich, haute de 80 mètres et longue de 140 kilomètres. Tout ce qui a été vu du Djouf est sculpté de falaises et de garas.

Comme Lenz l’avait déjà signalé, le Djouf oriental est moins élevé que Tombouctou d’une centaine de mètres, mais la cuvette de Taoudéni est le point le plus déprimé, en contre-bas d’une soixantaine de mètres.

En somme, ce que le Djouf oriental, tel qu’on nous le décrit, a de plus caractéristique, c’est son modelé. Toutes ces falaises sont de composition identique, une alternance de grès et d’argiles en couches horizontales. Il serait dangereux de rechercher l’âge de la formation ; peut-être doit-on dire pourtant qu’un échantillon de grès envoyé au Muséum contient des sphéroïdes, au vu desquels on n’hésiterait pas à le proclamer albien s’il avait été trouvé au Touat (grès à sphéroïdes du Touat et du Gourara).

Quel que soit l’âge de cette formation, ce qui est évident en tout cas, c’est qu’elle a été sculptée par une érosion énergique et jeune.

D’autre part, les salines sont exactement là ou on pouvait attendre un chott, au point le plus déprimé, dans une cuvette où débouche un oued ; elles sont encore humides ; les bancs de sel alternent avec des couches d’argiles gypseuses et salées ; tout cela cadre bien avec l’hypothèse d’une cuvette qui aurait joué, pour un grand oued venu de l’est ou du nord-est, le même rôle que le Melr’ir et le Djerid tunisien pour l’Igargar.

Sur cette cuvette nous avons par ailleurs des renseignements, et nous serons conduits à formuler des hypothèses qu’on doit se borner ici à indiquer sommairement[42]. On sait qu’une mer crétacée et tertiaire a couvert le Soudan jusqu’au Tchad et jusqu’à Bilma. Un dernier reste de cette Méditerranée africaine a subsisté dans l’ouest jusque dans la première période de l’âge quaternaire (?) ; elle a laissé des fossiles pléistocènes marins (marginelles et colombelles) sur le pourtour méridional du Djouf, de Tombouctou à la Maurétanie. Il semble donc que l’oued Messaoud a dû s’y jeter, comme d’ailleurs à coup sûr le Niger.

D’autre part, le coude du Niger, d’un dessin si particulier, et qui ramène les embouchures du grand fleuve sous le parallèle de ses sources, semble résulter d’une capture récente. Autrefois, et peut-être jusqu’à une époque récente, historique, le Niger coulait au nord et se déversait dans le Djouf, par le lac Faguibine, la vallée bien marquée de Ouallata, et les salines de Tichitt (?). Sur cet ancien Niger on retrouve au Soudan des souvenirs un peu légendaires, comme au Touat sur l’ancien oued Messaoud. Le vieux lit d’ailleurs n’est pas encore complètement mort, il achève de s’assécher sous nos yeux avec le lac Faguibine.

Ainsi donc cette cuvette basse du Djouf, ancienne mer pléistocène, aurait été le réceptacle commun de toutes les eaux descendues de l’Atlas au nord et du Fouta-Djallon au sud. Le Niger et l’oued Messaoud y auraient voisiné, établissant ainsi une ligne de verdure et de vie à travers tout le Sahara, et précisément dans la région aujourd’hui la plus désolée. A cette hypothèse la zoologie apporte une confirmation. M. Germain (appendice X) signale au Touat et au Hoggar une coquille Planorbis salinorum, qui n’avait été trouvée jusqu’ici que dans les ruisseaux de l’Angola. Au sud comme au nord le désert semble repousser les fleuves et les force à rétrograder vers leurs sources ; il a conquis ainsi récemment de grandes régions qui devaient leur vie aux pluies lointaines, acheminées par les fleuves, comme l’Égypte aux pluies d’Abyssinie canalisées par le Nil. Depuis que l’humanité a des annales, c’est-à-dire depuis 2000 ou 3000 ans, on n’a jamais constaté avec certitude un changement de climat, en particulier sur les bords de la Méditerrannée, si proches et si dépendants du Sahara.

Quand nous nous trouvons en présence de témoignages qui semblent indiquer un progrès récent et considérable du désert, il est donc difficile d’invoquer une péjoration du climat ; mais il est certainement permis de supposer un processus mécanique, et non pas climatique de desséchement.

Que le Sahara ait pu voir s’accomplir, à une date peu reculée, de pareils bouleversements du régime hydrographique, il est naturel qu’on éprouve quelque répugnance à l’admettre, et il est facile de concevoir en effet que, sommairement exposés, ils semblent fâcheusement romanesques. C’est, je crois, qu’on n’a jamais mis en lumière la véritable origine et le rôle des dunes. Qu’en Chine, l’embouchure du Hoang-ho se soit déplacée de 500 kilomètres, on n’en est pas surpris parce que l’instabilité des alluvions deltaïques est un phénomène classique pour les morphologistes. Ils ne se rendent pas compte que les sables désertiques, dont la mobilité dangereuse n’a pas besoin d’être démontrée, ont avec le régime hydrographique des rapports exactement aussi étroits que les alluvions, puisque ce sont précisément des alluvions desséchées. Dans un pays en voie de desséchement désertique, les fleuves ont dans les sables de leurs lits et de leurs cuvettes les germes d’une maladie progressivement et rapidement mortelle. Du moins a-t-on essayé de le démontrer.

Ajoutons enfin que cette maladie est particulièrement grave dans un pays comme le Sahara, où les oueds, même quaternaires, semblent bien avoir abouti pour la plupart à des cuvettes fermées. Ainsi que le fait observer avec raison M. Chudeau, « lorsqu’un fleuve arrive à la mer, les sédiments qu’il y dépose ont un volume relatif trop faible pour agir rapidement sur le niveau de base. Il n’en est plus de même dans un bassin fermé ; le niveau de base se surélève constamment ; la pente des fleuves devenue de plus en plus faible ne leur permet plus de lutter contre l’ensablement d’une manière efficace ; en même temps les marécages qui, en pays plat, sont si fréquents dans les parties basses des vallées, remontent constamment vers l’amont, donnant naissance aux maaders », aux sebkhas, et aux regs.

[12]Lieutenant Niéger, Levé d’itinéraire (Bulletin du Comité de l’Afr. fr., Supplément de février 1905, p. 53).

[13]Voir la carte (hors texte) et l’appendice I, p. 339.

[14]Le sergent Fremigacci avait vu H. Boura et H. Rezegallah, et fait dit-on à ses supérieurs sur l’O. Messaoud des rapports oraux qui n’ont pas réussi à forcer l’attention. (Cf. Mussel dans Bulletin du Comité de l’Afr. fr., août 1907, p. 311.)

[15]S’écrit aussi Djaghit, ou Djagteh.

[16]Voir les cartes (hors texte) et l’appendice I, p. 339.

[17]S’écrit aussi Tikkiden (Niéger) ? Voir l’orthographe tifinar’ dans l’appendice IV, p. 350.

[18]On trouvera en appendice l’orthographe exacte en tifinar de Azelmati. C’est sans doute une racine berbère. Les Arabes en donnent une étymologie qui est imaginaire mais caractéristique az-zell-mat : qui s’égare périt ; dans cette immense étendue sans points de repère le voyageur qui perd la direction est condamné à mort.

[19]Nos carnets météorologiques, contenant les cotes barométriques, sont à l’étude au bureau météorologique central. Les conclusions seront publiées dans le second volume.

[20]M. le capitaine Mussel a dressé une carte de l’erg, dont je dois la communication à l’obligeance de l’auteur et à celle de M. de Flotte-Roquevaire. Je suis heureux de voir que M. Mussel à la suite d’une longue campagne dans les dunes, se range au point de vue qu’on a essayé de défendre dans ce chapitre. C’est une confirmation précieuse de sa justesse (voir Bulletin du Comité de l’Afr. fr., août 1907).

[21]Capitaine Flye Sainte-Marie. Dans l’ouest de la Saoura. Une reconnaissance vers Tindouf (Renseignements col. et documents Comité Afr. fr..., XV, 1905), p. 534.

[22]Voir la carte du Maroc par de Flotte de Roquevaire, 1 : 1000000 (Paris, 1904).

[23]Niéger, art. cité, p. 482.

[24]Communication orale de M. Niéger.

[25]Canis Zerda L.

[26]Supplément au Bulletin du Comité de l’Afrique française d’avril 1907, p. 77 et 90.

[27]Supplément au Bulletin du Comité de l’Afrique française de juin 1907.

[28]Id., p. 143.

[29]Le pluriel de foggara est fgagir, mais on évitera de l’employer.

[30]E. Reclus dans H. Schirmer, Le Sahara (Paris, 1893), p. 159.

[31]A. de Lapparent, Traité de Géologie (5e édition, Paris, 1906), p. 149.

[32]Bull. Comité Afr. fr., supplément de décembre, 1905, p. 534.

[33]A. de Lapparent, ouvr. cité, p. 150.

[34]Inutile de mentionner, autrement que pour mémoire, l’hypothèse manifestement erronée du capitaine Courbis (voir H. Schirmer, Le Sahara, p. 158, note 5).

[35]Elisée Reclus, Nouvelle Géographie universelle, XI (Paris, 1886), p. 792.

[36]A. de Lapparent, ouvr. cité, p. 151 (d’après J. Walther).

[37]A. de Lapparent, ouvr. cité, p. 150.

[38]Dans cet ordre d’idées, je renonce à tout développement au sujet des dunes parlantes, ou plutôt ronflantes, souvent étudiées (Girard, Évolution comparée des sables, 1903). Je mentionne seulement que la dune ronfle au poste de Tar’it, avec le bruit d’une batteuse à blé et aussi, je crois, au poste de Beni Abbès. Il serait intéressant de savoir si l’état de l’atmosphère et la direction du vent ont une influence sur le phénomène. Nous avons entendu la dune crier sous nos pas, avec une voix toute différente, dans un entonnoir de sable à pentes raides, au nord d’In Ziza.

[39]Voir déjà là-dessus : G. Rolland, Hydrologie du Sahara algérien (Documents relatifs à la mission dirigée au sud de l’Algérie par M. A. Choisy, tome III, 1895), p. 31.

[40]M. G.-B.-M. Flamand, d’après les notes et les échantillons de M. Niéger, conclut à un âge quaternaire probable.

[41]Lieutenant Cortier, De Tombouctou à Taoudéni (La Géographie, XIV, 15 décembre 1906, p. 329).

[42]On en donnera le détail dans le second volume consacré au Soudan ; voir d’ailleurs : Annales de Géographie, 15 mars 1907, p. 129.


CHAPITRE III

ETHNOGRAPHIE SAHARIENNE

Dans les pages qui suivent on a essayé d’exposer les résultats ethnographiques du voyage.

Les documents étudiés se classent en trois catégories — monuments rupestres (surtout des tombeaux) — gravures rupestres — armes et outils néolithiques.

I. — Les Tombeaux (Redjems).

Dans toute la zone parcourue — Sud-Oranais et Sahara — il n’y a pas de monuments mégalithiques de la catégorie dolmens. A tout le moins il n’en a jamais été signalé. Notons pourtant que Duveyrier a dessiné auprès de R’adamès un « cist » analogue à ceux qui ont été décrits à Djelfa en compagnie de dolmens[43]. Mais R’adamès appartient encore au Sahara littoral.

On a signalé d’autre part quelques pierres debout. Foureau en a photographié une[44], qui surmonte une tombe, et à propos de laquelle il note : « Je n’ai jamais rencontré au Sahara de sépulture comportant un tel monolithe. » Pour rare qu’il soit le fait n’est pas isolé ; Chudeau signale à Tit deux monolithes de ce genre, l’un associé à une tombe (fig. 3C), et l’autre isolé mais dans une sorte de champ funéraire (fig. 2B) ; M. Benhazera en a vu une dizaine groupés près de la gara de Tilketine, aux sources de l’oued In Dalladj, dans la koudia du Hoggar[45]. M. Benhazera a noté sur deux d’entres elles des inscriptions tifinar’. Il mentionne leurs dimensions moyennes, « une hauteur de 2 m. 60 et une largeur de 25 centimètres environ sur chacune de ses quatre faces unies et lisses » ; ce dernier trait laisserait croire qu’on est en présence d’un fragment de colonnade basaltique ; Motylinski signale au Hoggar l’usage ornementatif de semblables fragments[46]. Chudeau a observé de même la médiocre épaisseur des monolithes à Tit, une quinzaine de centimètres de diamètre ; et la pierre debout figurée par Foureau est évidemment de même type. Ces colonnettes minces, qui portent parfois des inscriptions, et qui sont fréquemment associées à des tombeaux, font songer à des stèles funéraires barbares. Dans l’état de nos connaissances le rapprochement ne saurait être une explication. Du moins peut-on affirmer, je crois, que ces pierres debout, d’ailleurs très rares, ne sont pas des menhirs, au sens usuel du mot. Elles n’ont pas de rapport avec les énigmatiques Esnamen de R’adamès dessinés par Duveyrier.

E.-F. Gautier. — Sahara Algérien. Pl. XII.

Cliché Gautier

23. — GRAND REDJEM DU TYPE LE PLUS FRUSTE

Nord d’Aïn Sefra (A de Teniet R’zla).

Une tranchée l’entaille jusqu’au sol.

Phototypie Bauer, Marchet et Cie, Dijon Cliché Gautier

24. — REDJEM B D’AÏN SEFRA (dj-Mekter)

Après les fouilles, qui ont donné un mobilier en cuivre et en fer.

On voit éparses autour de l’orifice les dalles qui constituaient la chambre funéraire.

E.-F. Gautier. — Sahara Algérien. Pl. XIII.

Cliché Gautier

25. — REDJEM D DE BENI-OUNIF pendant les fouilles.

Autour de l’orifice, dans lequel un ouvrier est accroupi, on distingue les écailles de grès fixées dans le sol.

Cliché Gautier

26. — CIMETIÈRE ACTUEL (Charouïn)

On distingue, aux extrémités de chaque tombe, les deux pierres debout (chehed), comme aussi les cruches cassées et les écuelles funéraires.

E.-F. Gautier. — Sahara Algérien. Pl. XIV.

Cliché Laperrine

27. — CERCLE DE SACRIFICES (?)

Menhirs, comme dolmens, sont donc inconnus au Sahara, où pourtant les matériaux pour les édifier abondent, gneiss, quartzites, grès, qui se débitent facilement en grandes dalles. C’est une lacune significative. Car les dolmens abondent au contraire dans toute la zone méditerranéenne, de Tanger à l’Enfida tunisienne[47].

En revanche, sur tout l’immense parcours, d’Aïn Sefra jusqu’au Niger, on rencontre, pour ainsi dire à chaque pas, des sépultures qui rentrent toutes dans la même catégorie, celle des redjems.

La dénomination de redjem (pluriel ardjem) a été adoptée par M. le Dr Hamy ; elle est donc déjà connue et il y a tout intérêt à la conserver ; d’ailleurs il n’en existe pas d’autre. Les sépultures de ce genre ont été l’objet déjà de bien des travaux, on les a désignées presque toujours sous la double dénomination de bazina et de chouchet, dont chacune désignait une variété particulière[48] ; mais il y a certainement intérêt à réunir ces variétés diverses dans une catégorie unique à laquelle il faut donner un nom.

Une observation préliminaire s’impose pourtant. Le mot redjem, en arabe vulgaire, s’applique à tout tas de pierres, quel qu’il soit, à ceux qui ont un caractère de signal, jalonnant le chemin ou marquant l’emplacement d’un puits, ou encore un caractère religieux[49], à ceux mêmes qui ont été dressés par les géodèses du service topographique, tout aussi bien qu’à ceux qui sont en réalité des tombeaux, mais qui d’ailleurs, très fréquemment, n’en ont pas l’air. A vrai dire, la plupart des indigènes ne soupçonnent pas que ces tas de pierres puissent éventuellement recouvrir un cadavre, et, lorsqu’on fouille, l’apparition des ossements provoque toujours une stupeur chez les ouvriers.

Il est donc bien entendu que nous employons le mot redjem dans un sens détourné de celui qu’il a en arabe, les redjems dont il s’agit sont exclusivement les funéraires.

Distribution. — L’énumération des points où j’ai constaté la présence de redjems est assez longue.

Il s’en trouve tout autour d’Aïn Sefra, non seulement un groupe important à une quinzaine de kilomètres au nord-ouest du village, au pied du djebel Morghad[50], et un autre à cinq kilomètres au sud-est sur les premières pentes du djebel Mekter, mais encore en bien d’autres points de la vallée.

Le Dr Hamy, d’après M. de Kergorlay, en signale à proximité de l’oasis de Mograr Tahtani.

J’en ai relevé auprès de Beni Ounif, de Ben Zireg, de Bou Yala, de Fendi, auprès du puits de Haci el Aouari, auprès de Colomb-Béchar, à Ménouarar, le long de la Zousfana à Ksar el Azoudj, et en particulier auprès de Zaouia Fokania ; j’en ai relevé auprès de Guerzim et de Ouarourourt dans l’oued Saoura, dans la chaîne d’Ougarta au voisinage de l’erg er Raoui, entre Ksabi et Charouin, au pied de la gare Zaledj non loin du puits de Mallem.

Je n’en ai pas vu, encore que j’en aie cherché, auprès des ksars « actuels » du Touat, qu’il y a de bonnes raisons, il est vrai, de croire très récents, mais on en trouverait au dire des indigènes, auprès des « anciens » ksars, situés à quelques kilomètres à l’est de la palmeraie.

Il en existe auprès de Haci Rezegallah.

Les redjems sont fréquents dans l’Ahnet ; je cite en particulier les groupes de Taloak et de Ouan Tohra que j’ai étudiés.

Il en existe à In Ziza, et on les retrouve nombreux dans l’Adr’ar des Ifor’ass, en particulier dans les oueds In Ouzel, Taoudrart, Tougçemin où j’ai fait séjour ; j’en ai d’ailleurs noté au passage tout le long de mon itinéraire, au pied de l’Açeref, dans l’oued Koma, dans l’oued Ebedakad, dans l’oued Kidal, au puits de Tabankor ; je crois en avoir vu sous bénéfice d’inventaire, c’est-à-dire de fouilles qui n’ont pas été faites, jusque sur les bords du Niger, au Tondivi. D’ailleurs le lieutenant Desplagnes mentionne des redjems au Soudan nigérien[51].

Chudeau en a relevé un grand nombre au Hoggar et Motylinski dans la Koudia ; comme Duveyrier et Foureau dans le Tassili des Azguers. M. Chudeau en signale dans le Tassili de l’oued Tagrira, à In Azaoua, dans l’oued Tidek et aux environs d’Iferouane, à Takarédei (20 kilomètres nord-ouest d’Agadès), et au puits d’Assaouas (50 kilomètres au sud-ouest d’Agadès). Il en signale encore dans l’Adr’ar de Tahoua, surtout entre Tahoua et Matankari. Le capitaine Pasquier en a vu entre Gao et Menaka[52].

En revanche M. Chudeau croit que les redjems font tout à fait défaut dans la région de Zinder et du Tchad (Tegama, Damergou, Alakhos, Koutous).

En somme, dans les grandes lignes, leur distribution coïncide avec celle des Berbères ; les redjems disparaissent dès qu’on arrive dans les pays Haoussa et Bornouan.

Dans ces limites, leur répartition suggère un certain nombre d’idées générales.

Et d’abord, l’énumération des points déterminés où j’ai trouvé des redjems est en même temps celle des points où les hasards de la route m’ont imposé un séjour un peu prolongé. Le Touat mis à part, partout où je me suis arrêté quelques jours, une courte promenade autour du campement ou du village m’a permis de relever des redjems en assez grand nombre. Souvent aussi j’en ai rencontré sous mes pas, en cours de route, alors que je ne les cherchais pas, nouvelle preuve de leur extrême fréquence. Je dirais presque qu’ils sont partout.

D’autre part ils ne sont jamais groupés en très grand nombre, quelques dizaines tout au plus et souvent quelques unités. Rien de comparable aux grandes nécropoles du Tell avec leurs milliers de tombes.

Cette distribution suggère l’idée que ce sont des sépultures de nomades.

Très certainement aussi il y a un rapport entre les redjems et les points d’eau actuels. Je n’en ai jamais noté dans les étendues franchement désertiques et inhabitables. On verra qu’il en est tout autrement pour bien des gisements néolithiques, et nous sommes donc amenés à conclure d’ores et déjà que les redjems ne peuvent pas remonter à une antiquité très reculée.

Il est remarquable pourtant qu’ils sont très rares non seulement au Touat, mais encore dans l’oued Saoura ; je n’y ai vu qu’un tout petit nombre de redjems, encore bien que j’aie fait séjour à Beni Abbès et à Ksabi. J’en ai rencontré davantage dans la chaîne d’Ougarta où je n’ai fait que passer. On sait pourtant que, actuellement, toute la population est concentrée dans l’oued Saoura et au Touat. Il semble donc que la répartition des redjems nous reporte à une époque où la population était distribuée à la surface du Sahara tout autrement qu’aujourd’hui.

Terminus ad quem. — Aussi bien n’est-il pas possible de considérer les redjems comme des sépultures contemporaines, par la simple raison que, à coup sûr, elles ne sont pas musulmanes.

Les tombeaux musulmans sont aisément reconnaissables ; on sait que le cadavre est étendu, la figure tournée vers la Mecque ; à la tête et aux pieds se dressent des stèles grossières, qui ne peuvent guère faire défaut parce qu’elles ont une signification religieuse ; ce sont les « témoins » de la foi (Chehed) ; il est vrai que les Touaregs sont des musulmans tièdes. (Voir pl. XIII, phot. 26.)

Dans les redjems au contraire, toutes les fois que les ossements n’ont pas été réduits en poussière par le temps, on constate que le squelette est replié sur lui-même, à l’ancienne mode libyque signalée par les auteurs anciens.

Les redjems sont donc nécessairement préislamiques, ce qui ne signifie pas nécessairement antérieurs à l’hégire, l’islamisme ayant pénétré et surtout s’étant enraciné définitivement au Sahara à une époque qu’on ne peut pas, j’imagine, fixer partout avec précision. M. Benhazera, pourtant, s’appuyant sur Ibn Khaldoun et sur les traditions indigènes, essaie d’établir que les Touaregs ont été islamisés au XIe siècle[53].

Terminus a quo. — D’autre part je crois bien que les pauvres mobiliers funéraires trouvés dans les ardjem nous permettent de fixer un terminus a quo. En voici l’énumération. (Voir pl. XV, phot. 28 et 29.)

Aïn Sefra. — Un redjem A situé à Teniet R’zla (Feidjet el Betoum de M. le Dr Hamy) ne contenait qu’un ornement en os travaillé, « un disque plat et poli, de forme ovale raccourcie, qui mesure 35 mm. sur 30 ». (Voir phot. 29, au centre de la figure.) Pas d’objets en métal, un certain nombre de silex peut-être taillés, mais trop rudimentaires et trop communs pour qu’on les considère avec certitude comme partie du mobilier funéraires.

Un redjem B situé au sud-est d’Aïn Sefra (djebel Mekter) a livré le mobilier le plus riche que j’aie rencontré au cours de mes fouilles, et sans doute ce n’est pas beaucoup dire. Aux pieds du squelette « un robuste outil de fer, bien conservé, long de près de 0 m. 18, dilaté aux deux bouts en prismes à quatre plans et terminés en pointes, de façon à rappeler la forme des carrelets actuels ». A cette description qui est du Dr Hamy, j’ajouterai que le milieu de l’« outil » semble avoir été recouvert d’une gaine en cuir (?) ou en bois (?) semblant constituer une poignée. Au voisinage des deux pointes, qui sont de longueur inégale, on distingue des intumescences de coloration plus claire, bien visibles sur la photographie qui semblent être une trace laissée par les extrémités de la gaine. J’ajoute aussi que les archéologues n’ont pas pu identifier cet outil. (Voir phot. 28 sur le bord droit de la figure.)

A côté se trouvaient des débris, assez cohérents au moment de l’exhumation, de ce que j’estime avoir été un fourreau cylindrique, apparemment celui de l’outil ; notons cependant que M. Hamy a cru y reconnaître une douille de lance ou de javeline. (Voir phot. 28, sur le bord gauche et en bas.)

Dans la même partie de la tombe un tout petit annelet de cuivre, gros comme une perle, ayant apparemment servi d’ornement à l’outil ou à son fourreau.

Dans un autre coin mal déterminé, une tige de fer terminée par une sorte de spatule triangulaire, mais qui faisait avec la tige un angle de 45°. Serait-ce un grattoir ? Et l’outil en forme de carrelet serait-il un perçoir ? outil à l’usage des nomades qui employaient beaucoup le cuir ? M. Hamy semble considérer la tige de fer à bout en spatule comme un débris de javeline (?)

Ce qui importe après tout, c’est que ces objets, si difficiles à identifier, déformés par la rouille, sont incontestablement en fer.

Dans un autre coin du tombeau, auprès des os de l’épaule et de la main, qui se touchent :

Deux bagues de cuivre, une « plaque de ceinture en cuivre de forme carrée, longue, ornée sur son pourtour d’un fin pointillé repoussé, et fixée par deux clous en fer, dont l’un est encore adhérent à son rivet de cuivre circulaire et aplati » : la plaque a 2 cm. sur 5 ; son attribution à une ceinture est naturellement hypothétique. (Voir phot. 28 sur le bord gauche et en haut.)

Dans la même région d’Aïn Sefra (dj. Mekter) M. le capitaine Dessigny a fouillé d’autres tombeaux, une quarantaine. Dans le plus remarquable il a trouvé, à la hauteur du cou, « 81 petites rondelles aplaties et percées au centre, mesurant 5 mm. de diamètre ». Au milieu de ces rondelles, qui ont été découpées dans la coque d’œufs d’autruche, « se détache une perle de cornaline de forme sphérique, aplatie, large de 8 mm., haute de 5, deux autres grains lenticulaires en verre irisé » ; « un autre collier, porté par le même personnage, était fait d’une lamelle de cuivre très étroite (1 mm.), tordue en spirale allongée ; la partie conservée mesure environ 8 mm. 13 de longueur ». (Voir phot. 29 au centre de la figure.)

Dans d’autres tombeaux voisins, M. le capitaine Dessigny a trouvé deux « bracelets d’argent, ouverts, formés d’une simple tige de 3 à 4 millimètres d’épaisseur, courbés de façon à laisser 40 à 42 millimètres d’ouverture ; un bracelet de cuivre de même forme et de mêmes dimensions, mais plat à l’intérieur et orné sur les bords de fines striations ; cinq bagues ouvertes, de cuivre et d’argent, cylindriques et un peu renflées vers le milieu, ou en forme de lame plate ou un peu convexe (une de ces bagues se ferme à l’aide de deux petits crochets recourbés). (Voir phot. 28.)

Enfin des colliers encore, surtout de rondelles d’œuf d’autruche. L’un se compose de 522 rondelles (dont le diamètre varie de 6 à 11 mm.) ; il mesure plus de 0 m. 90 ; un autre « en a 475 et dépasse 0 m. 72 » ; « un troisième n’atteint plus que 0 m. 15 avec 85 disques ». Un dernier collier est composé « de cornalines, une perle lenticulée de pâte de verre, une autre perle en pierre verte, et deux petits disques de coquilles ; c’est un grossier collier d’enfant ». (Voir phot. 29.)

Beni Ounif. — C’est à Aïn Sefra qu’ont été faites les fouilles de beaucoup les plus nombreuses, grâce au zèle de M. le capitaine Dessigny, comme aussi les plus fructueuses.

A Beni Ounif un redjem C ne contenait qu’un silex nettement taillé, de la forme d’une pierre à fusil ; un autre D contenait un grand collier de 360 rondelles d’œuf d’autruche, et des débris en très mauvais état d’une tige en fer, courbée (?) ; un autre E un collier d’environ 120 rondelles d’un diamètre beaucoup plus petit que les précédentes. Est-il utile de mentionner que les indigènes chez qui l’usage du collier est tout à fait tombé en désuétude, prennent ces colliers pour des chapelets ? Il est tout à fait impossible, répétons-le, vu la disposition intérieure et extérieure des tombeaux, de leur supposer un caractère musulman.

E.-F. Gautier. — Sahara Algérien. Pl. XV.

Clichés du Muséum

28 et 29. — MOBILIERS FUNÉRAIRES trouvés dans des régions d’Aïn Sefra et de Beni-Ounif.

(Fer, cuivre, argent, coquille d’œuf d’autruche, verroterie).

Cliché Gautier

30. — GRAVURE RUPESTRE DE BARREBI (oasis des Beni-Goumi)

sur des grès supposés dévoniens ou infra-dinantiens.

La figure principale représenterait un bovidé (?) ou un gnou (??).

Dans la région de Tar’it, en amont de Zaouia Fokania, auprès de la petite palmerie d’Haouinet, j’ai fouillé deux redjems. Dans l’un F, j’ai trouvé des débris de fer. Dans l’autre G un grain de collier (?) en pierre percée, une très jolie pointe de flèche en silex sans pédoncule, une quinzaine de silex de formes très incertaines, qui pouvaient à la rigueur passer pour taillés. Ces deux redjems sont voisins, font partie du même groupe, ont la même structure et semblent contemporains.

A Taloak j’ai trouvé dans un redjem H qui contenait d’ailleurs desossements remarquablement conservés, pour tout mobilier, des débris d’une poterie semblant faite au tour et qu’on aurait pu croire moderne.

A Ouan Tohra enfin la fouille du redjem I a donné un mobilier funéraire intéressant ; des débris de cuir, deux perles de cornaline, des débris de fer, trois plaques de cuivre, tout à fait identiques de forme, et analogues de dimensions à celle du redjem B d’Aïn Sefra[54].

Ouan Tohra est dans l’Ahnet tout près de sa limite sud, au cœur du Sahara, à 600 kilomètres d’Aïn Sefra. Il est curieux qu’on trouve à de pareilles distances l’un de l’autre deux tombeaux fournissant le même mobilier.

Je n’ai mentionné que les tombeaux qui ont donné quelque chose ; une fois sur deux au moins je n’ai trouvé que des débris d’ossements et quelquefois rien.

En résumé, ce qui frappe, c’est la rareté relative des silex taillés. Il est vrai que d’autres chercheurs semblent avoir été plus heureux que moi ; M. le capitaine Normand à Ksar el Azoudj et à Fendi, M. le capitaine Ihler à Moungar n’ont trouvé dans les redjems, outre les pièces de collier du type habituel, que des silex taillés, pointes de flèche sans pédoncule. Je ne crois pas qu’on puisse considérer ces quelques pièces comme preuve d’une haute antiquité. Presque tous les silex que j’ai trouvés moi-même pouvaient être classés débris d’atelier, les pointes nettes et finies sont extrêmement rares (une seule en somme dans le redjem G d’Haouinet). Je ne sache pas qu’on ait jamais trouvé dans les redjems une seule hache en pierre polie.

Les débris de silex sont parfois si abondants, en vrac sur le sol, qu’on n’échappe jamais complètement au soupçon que leur présence dans le redjem est tout à fait fortuite ; ils ont pu y être jetés avec les matériaux de remplissage au moment des funérailles. Si même ils ont fait partie du mobilier, il ne faut pas se dissimuler que, au Sahara, l’usage des outils ou des armes en silex s’est conservé certainement jusqu’à une époque toute récente, extrêmement postérieure à l’introduction des métaux.

Ce qui me paraît concluant c’est la fréquence du fer et du cuivre, voire même de l’argent. Nous avons certainement affaire à des sépultures de l’âge du fer, et qu’on peut qualifier de libyco-berbères.

La forme. — De ces redjems la forme extérieure et la disposition intérieure varient, dans de certaines limites. Ce sont toujours des tas de pierres, mais plus ou moins ordonnés, se rapprochant plus ou moins d’une construction en pierres sèches et suivant des plans qui varient.

Il y en a de tout à fait frustes, qui sont à la lettre des tas, le redjem A par exemple d’Aïn Sefra. — On l’a éventré jusqu’au sol sans y trouver trace d’une structure ordonnée, et sans voir autre chose que des pierres en vrac. Le redjem recouvre un espace vaguement circulaire, et la forme générale est celle d’un cône très surbaissé à pointe camarde, la forme d’un tas. Le redjem A d’Aïn Sefra a 12 mètres de diamètre et 3 mètres de haut. (Voir pl. XII, phot. 23.)

Ce redjem A reposait sur du sol non remanié, on n’a pas trouvé trace d’excavation. Les ossements et le très maigre mobilier funéraire ont été trouvés au-dessus du sol, mélangés aux pierres.

Strabon mentionne en effet chez les Libyens un rite funéraire qui consistait à lapider le cadavre jusqu’à enfouissement complet.

Voilà donc quelle est la forme la plus fruste du redjem, si fruste que pour en établir le caractère funéraire il n’y a guère qu’une preuve évidente, c’est d’y trouver un squelette. Il y en a une autre pourtant qui est un corollaire de celle-ci. Les redjems funéraires ont souvent un petit cratère au sommet, le vide causé par la tombée en pourriture et en poussière du cadavre amène au centre de la région un effrondrement qui a nécessairement sa répercussion en surface et au sommet[55].

D’autres redjems sont d’un type un peu plus évolué.

Un redjem C′ de Beni Ounif, à côté de C (qui est du type le plus fruste), comporte une tombe ovale creusée dans le sol de grès tendre, 1 mètre et 1 m. 20 de diamètre, 0 m. 50 de profondeur ; cette tombe où le cadavre n’était plus représenté que par une dent canine et quelques débris, était remplie de terre ; au-dessus s’étalait le redjem, de 4 mètres de diamètre, simple tas de pierres. Ici donc c’est sur une tombe et non pas sur le cadavre posé à même le sol, que le redjem est élevé.

Un pas plus loin et par une évolution facile à suivre nous arrivons au type beaucoup plus soigné du redjem B d’Aïn Sefra (djebel Mekter). (Voir pl. XII.)

Fig. 1. — Principaux types de redjems.

1. Redjem A d’Aïn Sefra. — 2. Redjem C′ de Beni Ounif. — 3. Redjem B d’Aïn Sefra. — 4. Redjem E de Beni Ounif. — 5. Redjem F d’Haouinet. — 6. Redjem de l’Adr’ar’ des Ifor’ass. — 7. Redjem de l’O. Tougçemin. — 8. Redjem islamisé de l’O. Taoundrart.

(Figure extraite de L’Anthropologie, Masson et Cie, édit.)

Au centre du redjem qui a 8 mètres de diamètre sur 2 m. 20 de hauteur, une chambre funéraire très nette, circulaire, d’un mètre de diamètre, est mi-creusée dans le sol, mi-bâtie et couverte à l’aide de grandes dalles de grès. L’intérieur est plein de sable pur, partiellement transformé en grès par les actions chimiques qui ont accompagné la décomposition du cadavre.

Sur le toit de la chambre funéraire quelques grandes dalles en désordre laisseraient supposer l’existence d’un second étage funéraire mal construit et effondré (?)

La construction en pierres sèches n’affecte pas seulement la chambre funéraire, mais on en trouve des traces dans le redjem lui-même. A la base et sur le pourtour extérieur du cône, court un anneau de dalles formant un escalier circulaire très grossier. Tout le reste est un simple entassement de pierres quelconques.

Ce type de redjem est très fréquent au djebel Mekter, la plupart de ceux qu’a fouillés le capitaine Dessigny étaient de ce type. Les redjems de la daia de Tilr’emt étudiés par le colonel Pothier (Revue d’Ethnographie, 1886) sont aussi de ce type, qui paraît septentrional. Il est extrêmement intéressant, parce qu’il rentre dans une catégorie classée. Plus perfectionné, ce type donne évidemment le grand tombeau d’Henchir el Assel, dont une restitution est au Musée du Trocadéro[56]. Monumentalisé encore il donnera le Medracen et le Tombeau de la Chrétienne. On suit donc d’étape en étape, de perfectionnement en perfectionnement tous les degrés entre le simple tas de pierres et les monuments funéraires les plus célèbres de l’art berbère.

Le redjem E de Beni Ounif est d’un type aberrant. C’est une fosse remplie de sable, de la forme habituelle, c’est-à-dire circulaire, et entourée d’un petit mur de pierres fichées dans le sol et émergeant à peine. (Voir pl. XIII, phot. 25.) Ce type est très rare, je ne l’ai vu que là ; pourtant quelque chose de cette disposition se retrouve dans un tombeau copié par M. Chudeau au Hoggar (fig. 6, B) ; je considère ce type comme une ébauche du suivant qui est extrêmement fréquent.

Un tas de pierres, qui rappelle tout à fait par sa forme les redjems habituels, mais au centre duquel se trouve en guise de chambre funéraire un évidement cylindrique allant du sommet du redjem au sol, une sorte de tour aux parois grossièrement maçonnées en pierres sèches. Elle est remplie de sable, et elle contient souvent plusieurs cadavres superposés. Peut-être restait-elle précisément ouverte au sommet pour qu’on pût procéder à des funérailles successives.

Les redjems d’Haouinet sont de ce type et d’ailleurs la presque totalité des redjems de la Zousfana. C’est encore lui qui prédomine dans l’Ahnet à Taloak, à Ouan Tohra.

Dans l’Adr’ar des Ifor’ass il a évolué vers une plus grande perfection. C’est une véritable tour intérieurement aussi bien qu’extérieurement, assez soigneusement construite en pierres sèches ; une tour aux murailles épaisses, haute de 1 mètre à 1 m. 20.

A l’oued Tougçemin, un tombeau de ce type a une forme aberrante et compliquée. La tour est subquadrangulaire et on voit des restes d’une enceinte extérieure en pierres fichées debout dans le sol.

Evidemment ces tours régulières en pierres sèches ne méritent plus guère le nom de redjem, ce ne sont plus des tas. Il n’est pas douteux pourtant qu’elles n’en soient issues par des perfectionnements successifs.

Ce type turriforme renferme les mêmes mobiliers funéraires que l’autre, auprès de squelettes disposés de même.

On a dit combien le premier type est classiquement berbère, puisqu’il aboutit au Tombeau de la Chrétienne. Le second ne l’est pas moins. Les tours funéraires sont bien connues en Algérie. On en trouvera une reproduction dans Recherches des Antiquités dans le nord de l’Afrique (Instructions adressées aux correspondants du ministère de l’Instruction publique). C’est la sépulture turriforme que les archéologues appellent chouchet, et c’est l’autre qu’ils appellent bazina. Aussi bien semble-t-il évident, à jeter un coup d’œil sur la planche, que ces deux types, si divergents qu’ils soient lorsqu’on les examine à leur dernier degré d’évolution (B d’Aïn Sefra et Tougçemin), sont issus l’un et l’autre du redjem grossier primitif (A). Il est clair en effet que B d’Aïn Sefra est très proche de F d’Haouinet.

Redjems du Hoggar. — Les redjems du Hoggar méritent une petite monographie, ils sont particulièrement évolués et monumentaux. M. Chudeau en a figuré quelques exemplaires choisis, qui se trouvent entre Tamanr’asset et Abalessa.

Il a consacré particulièrement son attention à un groupe voisin de Tit, l’ar’rem bien connu sur l’oued du même nom.

La vallée de l’O. Tit est limitée au nord par un plateau basaltique qui domine la vallée d’une vingtaine de mètres ; au sud du village se dresse une aiguille granitique, le Tinisi. Les tombes les plus remarquables se trouvent sur le plateau basaltique. Celle qui est figurée en D (fig. 3) est presque exactement au nord du Tinisi ; B est un peu à l’est de la précédente, et C à un demi-kilomètre plus loin sur un promontoire du plateau.

Groupe C. — La tombe la plus à l’est (C, fig. 2 et 3) est entourée d’une série importante de constructions auxiliaires : vers l’ouest (fig. 2) un petit cercle formé de grosses pierres posées sur le sol (c) ; au nord-ouest (d) une série de fers à cheval dessinés par des pierres posées sur le sol (mais non enfoncées) et dont le relief atteint un décimètre.

Vers l’est un groupe de redjems (e) du type figuré en A (fig. 3) et qui ne diffèrent les uns des autres que par leurs dimensions ; les plus hautes ne dépassent guère un mètre. Les deux rangées internes de ce groupe sont peut-être disposées sur des cercles concentriques à la tombe. Au nord se trouve un redjem isolé (e).

La tombe C (fig. 3) est constituée par un mur haut de 1 m. qui dessine un cercle de 7 m. de diamètre environ. Ce mur est soigneusement construit en pierres sèches, l’espace intérieur est rempli de cailloux de petite taille formant au niveau du sommet du mur une surface assez bien dressée. Au milieu est creusée une cavité circulaire de 0 m. 80 de diamètre intérieur, limitée par un mur soigneusement établi, mur qui s’élève notablement au-dessus du reste du monument. Ce mur est renforcé vers l’extérieur par un amoncellement de grosses pierres. A l’intérieur de cette cavité, à l’extrémité occidentale du diamètre est-ouest, est fichée dans le sol une longue pierre haute de 1 m. 10. Les tombes musulmanes présentent souvent deux pierres analogues « les cheheds », mais toujours situées aux extrémités du diamètre nord-sud. Enfin, adossée à l’ouest du mur extérieur, se trouve une sorte de niche demi-circulaire recouverte de quelques grandes dalles ; cette niche est vide.

Fig. 2.

A, profil de la vallée de l’O. Tit ; a, place occupée par les tombeaux B et C de la figure 2 et B C D de la figure 3 ; b, place occupée par les tombeaux A et B, fig. 6, au pied de la gara Tinisi. — B, groupe de deux tumulus c et b (ce dernier figuré en B, fig. 3) accompagnés d’une pierre debout (a) et de redjems (d) du type figuré en A, fig. 3. — C, Tombeau C de la figure 3 accompagné de nombreux redjems (e) vers l’est, et d’un redjem isolé (e) au nord ; c, cercle de pierres ; d, groupe de fers à cheval formés de pierres posées sur le sol.

Groupe B. — Un autre groupe est constitué par deux tombes (B, fig. 2), voisines l’une de l’autre, et accompagnées à l’est d’une rangée de redjem (d). A côté est dressée une pierre debout (a) ; comme celle de la tombe C, cette pierre n’a qu’une quinzaine de centimètres de diamètre. L’une des tombes (c) est ornée d’une niche adossée à sa face ouest, et identique à celle qui vient d’être décrite.

La seconde tombe (b) est figurée seule en B (fig. 3) ; elle est constituée par un mur circulaire, haut de 0 m. 80, entourant un espace de 4 mètres de diamètre environ, espace rempli de cailloutis jusqu’en haut du mur. Ce mur bâti en pierres sèches (basalte) soigneusement appareillées, est entouré d’une rangée d’écailles granitiques verticales accolées au mur.

Tombe D. — Le chouchet D, D′ (fig. 3) est remarquable surtout par l’épaisseur de sa muraille et son caractère asymétrique ; le puits bien circulaire a 1 m. 50 de diamètre ; à l’ouest la muraille a 1 m. 20 d’épaisseur, à l’est 1 m. 80. La hauteur est partout 1 m. 80. A 2 mètres vers l’est, et orientées N.-S., sont dressées 4 écailles granitiques, dont la hauteur varie de 0 m. 50 à 0 m. 80. Ces écailles sont reliées par deux rangées de pierres au chouchet. A part les écailles, qui sont granitiques, tout le reste est de basalte ; il y a lieu de remarquer que les pierres qui constituent la base du chouchet sont de beaucoup les plus épaisses. La muraille n’est pas aussi intacte qu’on l’a figurée, il y a quelques pierres éboulées.

Fig. 3.

A, redjem ou pyramide de pierres accompagnant certains tombeaux. — B, tombeau (B, fig. 2). C, tombeau (C, fig. 2) : a, pierre debout 1 m. 10 ; b, niche adossée à l’ouest du tombeau. — DD′ tombeau.

Ces tombeaux B C D sont situés près du village de Tit, sur le bord du plateau basaltique qui limite au nord la vallée de l’Oued (A, fig. 2).

O. Outoul. — Au confluent de l’oued Outoul et de l’oued Adjennar, sur la route de Tamanr’asset à Tit M. Chudeau a dessiné un très beau tombeau analogue à C (fig. 3) et qui est reproduit en A (fig. 4).

Tin Hinan. — Ce sont là incontestablement de beaux monuments d’une ordonnance plus compliquée, et d’un travail plus soigné que les autres redjems sahariens, mais le chef-d’œuvre de cette architecture funéraire est le tombeau de Tin Hinan à Abalessa. C’est une énorme tombe turriforme de 20 mètres de diamètre, juchée au sommet d’une éminence, et entourée de plusieurs chouchets du type ordinaire (B et B′ de fig. 4). Le mur d’enceinte a 2 mètres de haut ; à l’intérieur des murettes délimitent des chambres. Motylinski a photographié et longuement décrit ce monument par lequel il se déclare « profondément impressionné[57] ». A juste titre en effet : c’est le plus beau redjem du Sahara, et ce somptueux tombeau berbère est un document archéologique de valeur comparable au Tombeau de la Chrétienne ou au Medracen. Il est au type chouchet ce que ceux-ci sont au type bazina, le dernier terme de l’évolution. Notons qu’il a sur les autres redjems encore une supériorité importante, celle de n’être pas anonyme ; Tin Hinan est un personnage presque historique, c’est l’ancêtre de tous les nobles Touaregs, ancêtre maternel naturellement, puisque le Hoggar en est resté au matriarcat. C’est la souche de tout l’arbre généalogique Hoggar. Autour du grand tombeau les petits rangés en cercle passent pour ceux des Imr’ads de Tin Hinan. Et un chouchet situé en contre-bas, à quelques centaines de mètres dans la vallée, serait celui de Tamakat, ancêtre maternelle des tribus Imr’ads.

Fig. 4.

A, tombeau au confluent de l’oued Outoul et l’oued Adjennar (entre Tit et Tamanr’asset). — B, tombeau de Tin Hinan ; a, chambre centrale ; b, grande pierre sous laquelle est une niche s’ouvrant en a ; c, couloir à entrée masquée ; d, chambres périphériques encombrées de pierres éboulées. Le mur d’enceinte a 2 mètres de haut. — B′, tombe de Tin Hinan entourée des chouchets de ses imr’ads. — β, de Takamat ; une mosquée moderne lui est adossée.

(Figure extraite du Bulletin de la Société d’anthropologie.)

Le Hoggar nous offre donc les plus beaux spécimens de redjems au Sahara et en même temps les plus récents, les seuls qui soient datés, ou, en tout cas, attribués à des personnages historiques. Ils appartiennent tous au type turriforme, chouchet.

L’autre type — bazina — est d’ailleurs représenté par de très nombreux exemplaires mais tout à fait frustes. Chudeau admet que les bazinas, au Hoggar, sont d’habitude sur les bords de l’oued ; tandis que les chouchets, du moins les plus typiques, sont juchés sur les plateaux et les collines dominant la vallée. Le fait est trop constant pour qu’on puisse l’attribuer au hasard. Faut-il voir dans cette répartition différente l’indice d’une différence d’âge, ou au contraire de caste ? Que les chouchets soient à la fois de construction beaucoup plus soignée, et se dressent sur des éminences, ce sont deux caractères qui s’accordent bien et on pourrait conclure à un caractère aristocratique (?)

Chudeau note que les chouchets, abondants dans tout le Hoggar, ne semblent pas s’étendre vers le sud-est ; il a vu les derniers à deux jours au sud-est de Tamanr’asset, près du point d’eau de l’oued Zazir, sept beaux chouchets bien typiques en forme de tour, les deux plus grands ayant 6 mètres de diamètre et 2 mètres de haut. Au delà, sur la route de l’Aïr, ce type disparaît brusquement.

Son extension vers l’ouest est d’ailleurs bien délimitée. On ne le trouve pas, je crois, dans l’Açedjerad, dans l’Ahnet, dans le Mouidir occidental. Il apparaît bien net dans l’Adr’ar des Ifor’ass, plus particulièrement dans sa partie septentrionale (In Ouzel, oued Tougçemin), celle qui regarde le Hoggar, et qui est sous sa dépendance politique. M. Chudeau le signale à Tin Zaouaten.

En somme, la province des beaux chouchets semble limitée au Hoggar et à quelques-unes de ses dépendances immédiates. Les plus beaux échantillons semblent être à Abalessa et se rapporter aux ancêtres des nobles Touaregs actuels.

Provinces orientales. — Sur les tombeaux anciens de l’Aïr, Chudeau a rapporté des renseignements qui en montrent surtout le caractère humble et banal. Il note des groupements importants dans l’oued er Ghessour (Tassili méridional), à In Azaoua, à Iferouane, mais ce sont des tas de pierres du type si répandu. Pourtant Chudeau a levé dans l’oued Tidek (Aïr) le plan d’un grand tombeau assez soigné et assez particulier. C’est un redjem mixte, bazina à cavité turriforme centrale, qui se dresse au centre de trois cercles concentriques réguliers, dessinés par des pierres à la surface du sol (fig. 5).

Certainement cette province de l’Aïr se distingue nettement de la province nord-orientale (Mouidir et surtout Tassili des Azguers), telle qu’on l’entrevoit à travers les descriptions de Duveyrier, Foureau, Besset et Voinot[58].

Duveyrier, on l’a dit, a dessiné près de R’adamès un cist, autrement dit un dolmen sans toit. A cette exception unique près, les types du Tassili ont une parenté évidente avec ceux du Hoggar, encore qu’ils aient une originalité incontestable.

Les tombes figurées par Foureau (l. c., fig. 378 et 379) se reconnaissent au premier coup d’œil, ce sont des chouchets classiques, des redjems turriformes, tout à fait semblables à ceux du Hoggar et de l’Adr’ar des Ifor’ass.

Fig. 5. — Tombeau sur les bords de l’oued Tidek (Aïr).

(Figure extraite de L’Anthropologie. Masson et Cie, édit.)

Il semble que Besset, au Mouidir occidental a vu de nombreux chouchets, qu’il décrit ainsi : « un mur circulaire en pierre sèche à l’intérieur duquel repose le corps recouvert de dalles et de sables ».

La tombe représentée par Foureau (l. c., fig. 377), et qui est surmontée d’un monolithe, a, nous l’avons vu, quelques analogues au Hoggar.

Les autres tombes, au contraire (fig. 381, 382, 383, 385, 386, 387[59]), c’est-à-dire la plupart de celles que décrit M. Foureau, semblent au premier coup d’œil sur la photographie, très aberrantes des types occidentaux. Ce qui frappe d’abord en effet, c’est un lacis compliqué de murettes basses ou, si l’on veut, de pavage en cordon, dessinant le plus souvent des ellipses, ou bien encore un triangle (fig. 305) ; ces dessins, compliqués comme des soutaches, couvrent de grands espaces dont le grand diamètre atteint 80 mètres.

A y regarder de près pourtant et surtout à consulter le texte on se rend compte bien vite que ces lignes compliquées aboutissent à un tombeau central, ou à un groupe de tombeaux, qui sont purement et simplement des redjems, ou comme dit M. Foureau, « des tumuli de débris de roches amoncelés en forme de cônes bas, tronqués ».

M. Voinot décrit et figure deux redjems de ce genre « à soutaches » sur la limite méridionale du Mouidir, à Tin Lalen (O. Arak) et à Amguid. Je crois pourtant que, au Mouidir, ce type est sporadique ; Besset ne le mentionne pas.

A l’ouest du Hoggar nous ne l’avons rencontré qu’une seule fois. Au nord-est d’In Ziza, dans l’oued Akifou j’ai vu à la surface du sol un grand dessin en cordon de pierres qui rappelait par ses allures de soutache les photographies de Foureau : une ellipse, dont le grand axe est prolongé par des cornes rectilignes. En relation avec ce monument je n’ai pas vu de redjem, mais je n’ai fait que passer et je n’ai même pas eu le temps de mettre pied à terre. Notons que l’oued Akifou est à peu près le point le plus oriental de mon itinéraire, il n’est donc pas surprenant d’y voir représenté, sporadiquement, le type monumental de l’est. (Voir fig. 9, no 6.)

Le Tassili des Azguers serait donc une province particulière où le redjem est entouré d’un dessin compliqué de cordons en pierres sèches, figurant toujours une voie d’accès au tombeau ; on ajoute au tombeau un vestibule ornemental, pour ainsi dire.

Notons pourtant que certains tombeaux figurés par Chudeau ont un rudiment de ceinture extérieure, de même d’ailleurs que le redjem de l’oued Tougçemin (fig. 1, no 7). Les festons figurés par Chudeau en d, fig. 2, au voisinage du grand tombeau C sont même tout à fait analogues aux soutaches.

En somme pourtant les redjems préhistoriques du Hoggar, autant que nous les connaissons, ne sont pas enclos d’un cordon de pierres avec voie d’accès. Je dis les préhistoriques, nous verrons en effet qu’il en est tout autrement des tombeaux actuels.

Malgré la variété de ces types, qui se laissent répartir en provinces un peu vagues, mais qui sont évolués les uns des autres, et qui se relient par des types mixtes intermédiaires, l’unité fondamentale n’est pas douteuse. Je ne sais jusqu’à quel point elle ressort des descriptions précédentes, qu’on s’est efforcé de faire minutieuses, et qui éparpillent l’attention. Pour qui a parcouru le pays, et vu à de brefs intervalles, quoique à de longues distances une grande quantité de redjems, l’impression d’unité est très forte.

En définitive, tout concorde parfaitement ; la disposition extérieure et intérieure des redjems, la nature du mobilier funéraire, la position accroupie du squelette. Tout cela est nettement berbère préislamique. Notons encore que les seuls crânes trouvés, au nombre de trois, dont deux d’enfants, étaient délichocéphales, comme on pouvait s’y attendre de crânes berbères[60]. Tout cela suffirait déjà à autoriser des conclusions très positives. Mais il y a plus.

Fig. 6.

A A′, chouchet typique avec les deux cheheds. — B, chouchet construit en écailles granitiques. — A et B sont situées près de Tit au pied de la gara Tinisi (b A, fig. 2). — C, tombeau de forgeron près de Tamanr’asset. — D D′, tombeau au point d’eau de l’oued Kadamellet (15 kilomètres N.-N.-O. d’Iferouane). — E E′ F, tombes actuelles de Tamanr’asset.

On suit très bien les transitions graduées entre les redjems préislamiques et les tombeaux actuels. Chudeau a noté, autour de Tamanr’asset, dans la vallée de l’oued Sirsouf, un grand nombre de tombes remarquables par leurs petites dimensions ; elles sont en forme de chouchet, hautes de 0 m. 60, larges de 1 m. et recouvertes par de grandes dalles ; entre ces dalles et le sol il y a un espace vide ; souvent deux de ces tombes sont accolées ; parfois elles sont appuyées contre un rocher, qui remplace une partie de la muraille circulaire (C, fig. 6). Ce dernier type rappelle singulièrement les niches qui accompagnent certaines tombes (cf. fig. 3, C en b). La tradition fait de ces chouchets les tombes d’une tribu de forgerons, morts autrefois à la suite d’une famine. On sait que chez les Berbères, comme au Soudan d’ailleurs, et chez la plupart des primitifs, les forgerons sont une caste peu estimée ; la petitesse des tombes dans l’oued Sirsouf est peut-être cause que la légende y loge des parias.

En tout cas, Chudeau a vu les tombes des Touaregs morts au combat de Tit (7 mai 1902) ; quelques-unes tout au moins ressemblent singulièrement à celles qui sont attribuées aux forgerons.

En pays Touareg, en particulier dans l’Adr’ar des Ifor’ass, on voit des redjems islamisés. Dans l’oued Taoundrart j’ai noté un tombeau du type redjem, d’une belle construction régulière en pierres sèches, turriforme à l’intérieur, à gradins extérieurs, mais dans lequel étaient fichés les deux cheheds musulmans, l’équivalent de nos croix sur nos tombes. (Voir fig. 1, no 8.)

Chudeau en a vu et dessiné de semblables (A et A′, fig. 6).

Tout particulièrement intéressants sont les cimetières d’es Souk et de Kidal. On sait que es Souk et Kidal sont aujourd’hui des ruines de villes historiques parfaitement connues. Vieilles capitales de l’empire Berbère Sanhadja elles ont été détruites au XVe siècle par l’empire Sonr’aï. Les cimetières d’es Souk et de Kidal sont donc datés avec précision. Et sans doute ils sont franchement musulmans et d’un caractère bien différent des redjems ci-dessus étudiés. C’est d’abord un cimetière aux tombes juxtaposées, resserrées sur le plus étroit espace possible ; on a dit que les redjems préhistoriques sont au contraire éparpillés ; là même où ils se trouvent groupés, toujours en petit nombre, chaque redjem est à plusieurs mètres, souvent plusieurs dizaines de mètres de son voisin le plus proche. Dans ces nécropoles à population dense d’es Souk et de Kidal, chaque tombe porte les deux pierres debout musulmanes, les témoins (chehed), et comme l’une marque l’emplacement de la tête et l’autre des pieds, on peut juger d’un coup d’œil que les funérailles ont été conformes au rite islamique. Le cadavre est certainement étendu et non replié. Seulement chaque paire de « chehed » est inscrite dans un cercle de pierres sèches, un mur, bas, rudimentaire, faisant à peine saillie au-dessus du sol, mais bien net et incontestable. Le cimetière est tout entier composé de tours tangentes entre elles. On peut donc affirmer qu’au XVe siècle encore, les sépultures des Berbères Sanhadja étaient des redjems du type turriforme islamisés.

Chudeau signale dans l’Aïr des tombes analogues, dont la forme suppose un cadavre étendu, mais qui ont l’architecture en pierres sèches du redjem.

Fig. 7. — Tombeau de la sultane Tabeghount ould Akhlakham, morte en 1898. (Tamanr’asset.)

(Gravure extraite de La Géographie. Masson et Cie, édit.)

La tombe figurée en D, figure 6, se trouve dans la vallée de l’O. Kadamellet (Aïr) ; c’est un rectangle de 2 m. 50 sur 1 m. 10. Le pourtour en est dessiné par une rangée de grosses pierres ; l’intérieur est une butte de terre soigneusement recouverte de pierres plates. Lorsque la jonction se faisait mal, la terre restant à découvert, une pierre plate recouvrait le trou (ombrées sur le croquis). Le grand côté du rectangle est orienté N.-S. il n’y a pas de chehed. Cette absence de chehed ne prouve pas que la tombe soit préislamique ; on sait combien les Touaregs du nord sont peu croyants ; à Tamanr’asset, un parallélipipède rectangle bien construit est la tombe d’un Touareg que, paraît-il, Aïtarel l’aménokal, mort en 1900, avait connu ; cette tombe n’a pas de chehed.

Voici d’ailleurs de quelle façon Chudeau décrit les rites actuels de sépulture, et les tombes authentiquement contemporaines. Les tombes modernes de Touaregs se rapprochent de toutes les tombes arabes ; la fosse, profonde d’une soixantaine de centimètres, et large d’autant (une coudée et quatre doigts), a sa longueur orientée N.-S. ; le corps enseveli d’un linceul est couché sur le côté droit, la tête au sud et tournée vers l’est (vers la Mecque). On recouvre le corps de grosses pierres plates, cimentées parfois avec de l’argile et l’on achève de remplir la fosse avec des cailloux ; le pourtour de la tombe est marqué par une rangée de grosses pierres. Pour les hommes on place deux cheheds l’un à la tête et l’autre aux pieds ; pour les femmes un chehed à la tête et deux aux pieds. On choisit pour ces cheheds des pierres longues à section rectangulaire ; pour les tombes d’hommes, et pour le côté de la tête dans les tombes de femmes, le grand côté de cette section est orienté E.-O. : dans les tombes de femmes les deux autres cheheds, presque contigus, ont leur grand côté orienté N.-S. (cf. fig. 7). Les croquis E, E′, F (fig. 6) représentent des tombes de Tamanr’asset. Les cailloux de remplissage forment une légère saillie dont la ligne médiane est souvent marquée par une série de cailloux blancs (quartz) plus gros (F). Les autres cailloux sont de couleur quelconque. Dans le cimetière de Tamanr’asset la plupart des tombes ont, du côté de la tête, un pot de terre ou une écuelle de bois remplie de cailloux ; elles ressemblent ainsi beaucoup à celles des oasis et du M’zab. (Voir pl. XIII, phot. 26.) Quatre seulement sur les quinze qui constituent le cimetière présentent un bâton fiché dans le sol, près du chehed sud. Dans le cimetière d’Iferouane (Aïr) les tombes sont encore du même type, mais les pots pleins de cailloux font défaut, et les bâtons existent à toutes les tombes : le bois, rare dans le Hoggar, est commun dans l’Aïr. Dans le cimetière d’Agulac (Aïr), village actuellement abandonné, les cheheds du côté de la tête portent en arabe une courte inscription (2 ou 3 mots).

Fig. 8. — Tombeau de noble Touareg (Tamanr’asset).

(Figure extraite de La Géographie, Masson et Cie, édit.)

Les tombes dont il vient d’être question sont celles des Imr’ads et des Haratins. Celles des Touaregs nobles en diffèrent par la présence d’une enceinte elliptique, percée vers l’ouest d’une ou de deux entrées qui donnent accès dans une allée d’ordinaire bien sablée qui entoure la tombe ; vers l’est l’enceinte présente vers l’extérieur une saillie avec une pierre debout, c’est le lieu de prières orienté vers la Mecque. Cette enceinte varie dans sa hauteur ; elle est parfois seulement indiquée par une rangée de grosses pierres comme dans les deux tombes sur les figures 7 et 8 ; plus rarement elle est constituée par un véritable mur qui rappelle un chouchet. Ces tombes de Touaregs nobles sont communes dans le Hoggar, mais ne sont pas spéciales à cette région. Le cimetière abandonné de Takaredei (25 k. N.-O. d’Agadès) en contient quelques-unes.

Manifestement, à travers les rites islamiques, la vieille architecture funéraire transparaît ; il est tout à fait remarquable, en particulier, que les tombes de nobles aient une enceinte en pierre et un couloir d’accès, dans lesquels il semble impossible de ne pas reconnaître les « soutaches » des redjems au Tassili.

De cette continuité dans le type des tombes, au fil de l’évolution graduelle, les Touaregs eux-mêmes ont quelque conscience, encore qu’un peu vague.

On a déjà dit que, dans le nord, en Algérie, le caractère funéraire des redjems est profondément oublié de la population. Il n’en est plus de même au sud dès qu’on arrive dans l’Ahnet. Les Touaregs savent très bien que leurs redjems sont des tombeaux, et ils les entourent d’une certaine vénération. Duveyrier a vu à Radamès « des tombeaux en forme de butte sur lesquels les femmes des Touareg allaient se coucher lorsque les Touareg étaient en expédition et où elles obtenaient des nouvelles, etc. ».

Des anecdotes de ce genre courent le Sahara. On m’a parlé, par exemple, d’un Touareg égaré, séparé de sa caravane ; il passe la nuit sur un redjem et il voit en rêve le lieu précis où campe la caravane, si bien qu’il la rejoint le lendemain.

En pays Touareg les redjems sont assurément l’occasion de phénomènes psychiques, de l’ordre de ceux qu’on classe chez nous, dans les revues spéciales, sous le nom de vue à distance,, télépathie, etc.

Les Touaregs ne consentiraient pas à violer un redjem : ils le laissent pourtant fouiller sous leurs yeux par un Européen avec une parfaite indifférence ; le sacrilège ne les choque plus du moment qu’ils n’en ont pas la responsabilité directe. C’est qu’ils sont assez islamisés pour avoir perdu tout intérêt à leur propre passé préislamique ; ils en ont même perdu la conscience, ils ne le voient plus comme leur propre passé à eux. A Ouan Tohra les fouilles ayant amené l’exhumation de quelques squelettes, les Touaregs se sont étonnés de les trouver pareils à des ossements quelconques ; ils les auraient attendus gigantesques ; d’après leurs légendes c’est une race surhumaine et disparue qui dort sous les « izabbaren » (c’est le nom touareg des redjems). Grandiaque effossis mirabitur ossa sepulchris, l’homme est partout le même, au Hoggar ou dans la vallée du Pô.

Il ne faut pourtant pas être trop absolu, puisqu’il existe au Hoggar des izzabaren tout à fait semblables aux redjems du type habituel, mais qui sont les tombeaux de personnalités déterminées ancêtres des Touaregs. Le tombeau de Tin Hinan est un aveu indirect.

Autres monuments lithiques. — Les redjems n’ont donc plus rien de mystérieux, leur histoire peut être considérée comme déchiffrée dans les grandes lignes.

Ils ne sont pas les seuls monuments lithiques notés au passage. Au bas des pentes du dj. Mekter, à huit kilomètres environ à l’est d’Aïn Sefra, le capitaine Dessigny a trouvé un cercle régulier circonscrit par des pierres debout fichées en terre ; il y a fait des fouilles qui n’ont donné aucun résultat. J’ai vu ce monument rudimentaire, le seul de ce genre si je ne me trompe qui ait été signalé en Algérie (mais cela ne veut pas dire le seul qui existe). Je lui trouve une grande ressemblance avec des monuments du même genre, que j’ai relevés au Sahara.

Fig. 9. — Monuments en pierres sèches (pavages à fleur de sol).

1. Cercle de Toloak. — 2. Cercle d’Ouan Tohra. — 3 et 4. Rectangles à Ouan Tohra. — 5. Mosquée touareg. — 6. Dessin en pierres sèches dans l’O. Akifou. — Les figures sont orientées comme une carte de géographie.

(Figure extraite de L’Anthropologie, Masson et Cie, édit.)

Un de ceux que j’ai vus de plus près, et le seul que j’aie soigneusement fouillé, se trouve à Taloak. Le cercle est parfaitement régulier, on peut croire qu’il a été tracé au cordeau. Le mur qui le circonscrit, au ras du sol, est fait de six rangées de pierres debout, chaque rangée inscrite dans la précédente, et tout cela d’un appareil assez soigné. Ce mur a 1 mètre d’épaisseur. La partie centrale du cercle, libre de pierres a 7 mètres de diamètre. Notons que les pierres ne sont pas posées sur le sol mais profondément enracinées.

J’ai vu, en passant, des cercles tout à fait semblables à diverses reprises, à six kilomètres au nord d’Ouan Tohra, dans l’oued Ebedakad (Adr’ar des Ifor’ass) ; le colonel Laperrine en a photographié. (Voir pl. XIV, phot. 27.)

Chudeau en signale un certain nombre au Hoggar, près d’Abalessa, à 12 kilomètres au sud de Tamanr’asset, dans l’oued Tinfedet (sud du Hoggar) au sud des tilmas : sur ce dernier point le type est assez aberrant, de petites dimensions, 2 mètres seulement de diamètre :

Dans l’Aïr, Chudeau a vu de grands cercles à 10 kilomètres au nord-ouest d’Iferouane, à 7 kilomètres au nord de Salem-Salem, dans un cimetière musulman. (Voir fig. 10.)

Détail intéressant, il note l’emploi de cailloux blancs (quartz) pour paver soit l’intérieur du cercle, soit des bandes intercalées entre circonférences concentriques. (On a vu que l’usage décoratif du quartz s’est conservé dans la technique des tombeaux modernes.)

Foureau lui aussi a vu ces grands cercles (fig. 384, p. 1081). Barth est le premier qui les ait signalés à 200 kilomètres dans l’est de Mourzouk[61].

En somme ils sont anciennement connus, ils ont été notés par tous les voyageurs, ils sont fréquents et épars sur tout le Sahara central. Il y a quelques types aberrants.

Auprès du puits d’Ouan Tohra (à 200 mètres au sud) un autre cercle de 5 mètres de diamètre présente quelques particularités. Le mur de pierres qui le circonscrit est interrompu par une porte qui s’ouvre à l’est. Et juste en face, à l’autre extrémité du diamètre, le mur s’épaissit en une plate-forme ovale, dont le grand arc est dans la prolongation du diamètre. (Voir fig. 9, no 2.)

Enfin à quelques mètres de là, auprès du même puits d’Ouan Tohra, un autre monument est tout à fait différent de forme, mais doit être rangé, je crois, dans la même catégorie. Il s’agit toujours de murs au ras de terre, il serait peut-être plus exact de dire des dessins en pavage. Mais ici ce n’est plus un cercle qui est dessiné. C’est un rectangle long de 5 mètres et large de 4. L’un des grands côtés fait défaut complètement, celui de l’est, et de ce côté, où le rectangle est ouvert, à quelques mètres, inscrit dans la prolongation des petits côtés, se trouve un autre rectangle beaucoup plus petit (2 m. 50 de grand diamètre), séparé en deux compartiments par un cordon de pavage. Chudeau signale un monument de ce genre à Tin Amensar (oued Tit). (Voir fig. 9, nos 3 et 4 et fig. 10, F.)

L’idée qu’on ait affaire ici à des monuments funéraires doit être, je crois, tout à fait écartée. En effet, j’ai fouillé sérieusement le grand cercle de Taloak : partout à l’intérieur du pavage annulaire j’ai trouvé tout de suite le sol naturel, non remanié, je n’ai pas vu trace d’un tombeau. En revanche, à la surface du sol ou à une profondeur insignifiante, on rencontre des débris de poteries, du bois carbonisé, des cristaux fragiles mélangés à la terre, et qui n’ont pas supporté le voyage, mais qui ont paru être du salpêtre ou des nitrates quelconques. Faut-il croire que, à l’intérieur de ce cercle, on a fait des sacrifices, qui ont imprégné le sol de produits organiques ? Il semble difficile en tout cas de lui prêter un caractère autre que religieux.

Fig. 10.

A, 10 kilomètres au nord-ouest d’Iferouane. — B, 12 kilomètres au sud de Tamanr’asset. — C, 7 kilomètres au nord de Salem-Salem, dans un cimetière musulman. — D, près d’Abalessa. — E, oued Tinfedet (sud du Hoggar) au sud des Tilmas. — F, oued Tit, près de Tin Amensar.

(Figure extraite du Bulletin de la Société d’anthropologie.)

J’ai fouillé aussi le plus petit des rectangles de Taloak, lui non plus ne peut pas être un tombeau ; on y rencontre partout le sol naturel, et si ce n’est pas un tombeau il faut avouer qu’il a une allure d’autel.

Voici enfin qui me paraît donner à ces hypothèses une valeur de quasi-certitude. Ces monuments mégalithiques relativement anciens et énigmatiques voisinent avec d’autres, qui ne sont ni l’un ni l’autre ; ce sont les mosquées des Touaregs. Ces mosquées (m’salla) ont la plus grande analogie architecturale avec les cercles de sacrifice ; la forme seule diffère ; ce sont des cordons de pavage qui dessinent une mosquée réduite à sa plus simple expression, c’est-à-dire à la niche qui indique la direction de la Mecque (le mihrab). Une mosquée de ce genre à In Ziza a une grande réputation de sainteté. (Voir fig. 9, no 5.)

Il est remarquable de trouver en général réunis sur le même point redjems, cercles de sacrifices et m’salla. Les redjems d’ailleurs sont toujours juchés sur une éminence, dominant le pays et aperçus de loin[62]. L’emplacement où ils s’élèvent n’a pas été choisi apparemment sans préoccupations religieuses. Ce sont d’anciens lieux consacrés, semble-t-il, et qui le sont restés après le triomphe de l’Islam ; si bien qu’on y suit l’évolution des cultes ; à côté de la mosquée il subsiste d’anciens sanctuaires préislamiques.

Conclusion. — En résumé, la question des monuments rupestres au Sahara, funéraires et religieux, semblé élucidée, au moins dans ses grandes lignes. Le problème d’ailleurs, tel qu’il se pose actuellement et sous réserve de découvertes ultérieures, est remarquablement simple. En d’autres pays, en particulier dans les provinces voisines d’Algérie et du Soudan, le passé préhistorique se présente sous des aspects multiples. En Algérie les redjems abondent, mais on trouve à côté d’eux des dolmens, quelques sépultures sous roche (grotte des Troglodytes, etc.), pour ne rien dire des puniques et des romaines. Au Soudan, comme on peut s’y attendre, en un pays où tant de races sont juxtaposées, le livre de M. Desplagnes énumère des tombeaux de types divers et multiples, poterie, grottes sépulcrales, cases funéraires, tumulus[63].

Rien de pareil au Sahara. On distingue bien des types différents de redjems, les caveaux sous tumulus du nord, qui sont peut-être influencés par les dolmens et les sépultures romaines, les redjems à soutaches du Tassili des Azguers, les chouchets du Hoggar, qui semblent nous raconter l’itinéraire et l’expansion des nobles Touaregs actuels. Mais tout cela se ramène à un type unique, évidemment berbère, le type redjem.

Berbères sont aussi les cercles de sacrifices et monuments similaires. Parmi tant de pierres sahariennes entassées ou agencées par l’homme on n’en connaît pas une seule qu’on puisse soupçonner de l’avoir été par une main autre que Berbère.

Et ceci nous conduirait à conclure que les Berbères ont habité le Sahara dans toute l’étendue du passé, historique et préhistorique, si d’autre part tous ces redjems ne paraissaient récents. Quelques-uns, qui ne se distinguent pas des autres, sont encore nommément attribués à des personnalités connues, si courte que soit la mémoire historique des Touaregs (Tin Hinan et les siens). Les mobiliers funéraires contiennent du fer, et on n’en connaît pas un seul qui soit purement et authentiquement néolithique.

Cette énorme lacune est naturellement de nature à nous inspirer la plus grande prudence dans nos conclusions. D’autant plus que, après tout, les monuments similaires algériens, dans l’état actuel de nos connaissances, ne paraissent pas plus anciens. A en juger d’après le témoignage des redjems seuls, les Berbères seraient dans l’Afrique du nord et a fortiori dans le Sahara, un épiphénomène.

II. — Gravures rupestres.

Rappelons que, en matière de gravures rupestres algériennes et depuis les travaux de Pomel et Flamand, il est d’usage de distinguer les gravures rupestres proprement dites, anciennes, à trait profond, net, lisse, à patine très sombre, de grande taille — et les gravures libyco-berbères qui sont des grafitti informes, à traits pointillés, sans patine, et beaucoup plus récents[64].

On emploiera donc sans plus d’explications les expressions gravures anciennes et libyco-berbères.

J’ai rencontré le long de mon itinéraire un assez grand nombre de stations de gravures rupestres, je les décrirai successivement en allant du nord au sud.

Station du col de Zenaga (Figuig). — L’emplacement de cette station a été indiqué avec précision par M. Normand[65], elle se trouve sur un petit monticule à l’entrée du col et à gauche quand on vient de Beni Ounif. Les dessins sont gravés sur des blocs de grès albiens, dits grès à dragées ou à sphéroïdes, les mêmes qui tiennent une place si considérable dans tout le Sud-Algérien, et qui furent une matière de prédilection pour le graveur rupestre. Les gravures sont éparses sur tout le monticule, les unes sur des pans de roche verticaux et d’autres au contraire sur des surfaces horizontales.

Les figures ci-jointes ont été exécutées par M. Ferrand, dessinateur de l’École des sciences d’après des calques et des estampages ; elles présentent donc des garanties suffisantes d’exactitude. Ces gravures rentrent tout à fait dans la catégorie des gravures anciennes. Elles en ont tous les caractères distinctifs.

1o Les figures ont de grandes dimensions, parfois même elles sont grandeur nature ;

2o Le dessin est amusant et trahit un souci de la nature qui fait songer à nos dessins quaternaires sur bois de renne ou ivoire de mammouth ;

3o Le trait est profond, régulier ;

4o La patine est aussi foncée dans le trait lui-même que sur la roche avoisinante ;

5o L’extrême antiquité de la gravure, déjà prouvée par la patine, est accusée par le choix des sujets, animaux disparus, comme l’éléphant ; ou fossiles, comme le buffle antique.

Les gravures du col de Zenaga sont naturellement d’intérêt inégal. Il en est qui sont des énigmes indéchiffrables : par exemple l’animal à taille mince de lévrier, à cou démesuré de girafe et ceint d’un collier, à tête indistincte, hérissée et balafrée de longs poils (?) (fig. 11, γ). Ou bien encore la figure β de la même planche, qu’on ne sait comment décrire, à moins qu’on ne se décide à y voir un être humain schématique, assis et les bras écartés (?)

Quelques animaux ne sont reconnaissables que tout à fait en gros, et non sans quelque hésitation, α de la même figure 11, semble bien être un mouton avec une corde au cou. α, β, γ de la figure 12 comme aussi α de la figure 13 sont évidemment des bovidés et d’espèces différentes, γ de la figure 12 a les cornes courtes et le muffle carré. Tous les autres ont le muffle pointu et les cornes démesurément longues ; mais sont-ce bien des Bubalus antiquus ? on serait tenté de répondre oui pour α de la figure 13 ; pourtant l’hésitation reste permise. Elle ne l’est plus pour γ de la même figure ; c’est un joli dessin de bubale antique, simplement esquissé mais bien campé ; toutes les caractéristiques de l’animal y sont ; les cornes immenses, circulaires, le chanfrein courbé, le garrot élevé.

β de la figure 3 est également un éléphant réussi, quoique réduit à ses lignes principales, et faisant songer aux animaux dessinés d’un trait de plume de nos journaux illustrés.

Fig. 11. — Gravures rupestres du col de Zenaga. α a 0m,40 de la tête à la croupe ; β a 0m,28 de la tête à la base ; γ a 0m,82 de la tête à la queue.

(Figure extraite de L’Anthropologie. Masson et Cie, édit.)

Mais la plus intéressante de ces gravures est sans contredit, comme le capitaine Normand l’a bien reconnu, celle du bélier ou du bouc, coiffé d’un sphéroïde muni d’appendices (uræi) ; au sujet d’un animal tout à fait analogue une longue discussion a eu lieu au Congrès international d’Anthropologie de 1900[66]. La question agitée était celle de ses affinités égyptiennes ; on a cru reconnaître dans le sphéroïde un disque solaire flanqué de chaque côté d’un serpent uræus ; ce serait une représentation du grand dieu de Thèbes en Égypte, Ammon ; et dès lors on peut se demander, suivant l’antiquité plus ou moins grande qu’on attribue aux gravures rupestres, si c’est la gravure sud-oranaise dont l’inspiration est venue d’Égypte, ou si au contraire c’est le dieu Ammon qui est d’origine libyenne.

Fig. 12. — Gravures rupestres du col de Zenaga. α a 0m,48 des cornes à la croupe ; β a 0m,46 des cornes à la croupe ; γ a 0m,45 du museau à la croupe.

(Figure extraite de L’Anthropologie. Masson et Cie, édit.)

Fig. 13. — Gravures rupestres du col de Zenaga. α a 0m,43 de la corne droite à la croupe ; β a 0m,39 de la pointe des défenses à la croupe ; γ a 0m,53 de la pointe des cornes à la croupe.

(Figure extraite de L’Anthropologie. Masson et Cie, édit.)

On a publié jusqu’ici deux exemplaires seulement du bouc casqué[67], tous deux communiqués par M. Flamand et provenant l’un et l’autre de la station de Bou Alem. Je sais que M. Flamand en possède d’autres dans ses cartons[68] de provenances diverses, mais toujours sud-oranaise. Voilà donc le bouc casqué classé parmi les sujets familiers aux graveurs rupestres.

Le bouc du col de Zenaga (fig. 14) se distingue de ceux de Bou Alem par certains détails, le dessin de la tête est un peu différent, le chanfrein moins accusé ; la barbiche très nette ; mais ce trait si particulier de la corne rabattue en bas et en avant ne laissent guère de doute sur l’identité de l’animal avec celui où Gaillard a cru reconnaître Ovis longipes.

Les accessoires sont à peu près les mêmes qu’à Bou Alem ; l’animal porte un collier, auquel on pourrait croire qu’est suspendu un objet de forme ovoïde ; mais peut-être est-il préférable d’admettre une faute de dessin ayant amené un entre-croisement des lignes. Le graveur semble avoir fait le collier d’abord et n’avoir pas pu ensuite y faire entrer le cou. Le sphéroïde n’est pas rattaché par une bride au-dessous du menton ; mais les uræi (?) sont dessinés comme à Bou Alem et rattachés à peu près au même point. A noter la présence autour du sphéroïde de lignes divergentes et rayonnantes vers l’extérieur ; un détail qui rendrait vraisemblable l’identification du sphéroïde au disque solaire.

La gravure est à peu près de grandeur nature, un mètre exactement de la tête à la queue. Ces grandes dimensions sont cause que les pieds de l’animal sont restés en dehors de mon calque ; ils ne figurent donc pas sur le dessin ci-joint ; ils ne sont d’ailleurs ni aussi soignés ni aussi bien conservés que le reste de la figure ; la corne n’est certainement pas dessinée ; mes souvenirs sur ce point sont corroborés par l’examen d’une photographie, obligeamment communiquée par M. Flamand. A cela près la gravure est très belle ; tout l’espace circonscrit par les lignes extérieures de la figure est évidé et soigneusement poli, l’évidement étant régulièrement décroissant des lignes extérieures au centre. C’est ce que le dessin cherche à rendre en entourant la figure d’un grisé qui veut schématiser les aspérités de la roche.

Il est impossible de concevoir une figure pareille, représentant un aussi gros effort, comme un graffitti de pâtre qui s’amuse. La gravure est sur un pan de roche vertical, difficilement accessible, du moins aujourd’hui, et dominant la palmeraie. Elle se verrait de loin si sa patine ne la rendait indiscernable. On échappe difficilement à la conclusion qu’elle avait une signification religieuse.

Cette énumération des gravures du col de Zenaga est loin d’être complète. Je regrette en particulier de n’avoir pas calqué une autruche très nette, quoique médiocrement dessinée.

Fig. 14. Gravure du col de Zenaga. Dimension : 1 mètre de la tête à la queue. Toute la partie du dessin restée en blanc est soigneusement évidée et polie dans l’original.

(Figure extraite de L’Anthropologie. Masson et Cie, édit.)

J’ai négligé systématiquement les gravures modernes rentrant dans la catégorie de celles que M. Flamand a baptisées libyco-berbères, reconnaissables au premier coup d’œil à leur grossièreté, à l’absence de patine, au trait sans profondeur et « pointillé », comme aussi aux inscriptions qui les accompagnent. Au col de Zenaga la seule inscription de quelque longueur est en langue arabe (versets du Coran) ; les inscriptions en caractères libyco-berbères sont rares et de quelques lettres. Les gravures mêmes de cette époque sont en proportion extrêmement faible, comparée aux autres ; j’ai noté des sceaux de Salomon, des sandales (pourtour extérieur d’un pied humain ou plutôt d’une sandale). Ces dernières plus intéressantes puisqu’elles abondent en pays Touareg.

Station de Barrebi. — A 150 kilomètres au sud de Figuig, le long de la Zousfana, j’ai longuement étudié la station de Barrebi[69].

Barrebi est un ksar dans l’oasis des Beni Goumi, plus connu sous le nom de Tar’it.

Les gravures s’alignent, pendant un kilomètre peut-être, sur la tranche d’une couche de grès, surmontée en stratification concordante par une couche fossilifère de calcaire dinantien.

Ce grès, probablement carboniférien, se trouve être beaucoup moins résistant aux intempéries que les grès crétacés de la chaîne des ksour où ont été relevées jusqu’ici la plupart des gravures rupestres connues en Algérie. La paroi de grès est très ébouleuse, très effritée, il est donc possible que les gravures les plus anciennes et par conséquent les plus belles aient disparu.

En tout cas les gravures subsistantes à Barrebi sont bien moins soignées et moins intéressantes que celles, toutes voisines pourtant, du col de Zenaga à Beni Ounif.

Il en est cependant plusieurs d’incontestablement anciennes, à en juger non seulement par les dimensions, la profondeur du trait et la patine, mais aussi par les animaux représentés. Dans la figure 15, 1 est un éléphant incontestable, si mal dessiné qu’il soit ou du moins je n’imagine pas qu’il puisse être autre chose.

3, 5 et peut-être 2, 6 et 7 sont des représentations de Bubalus antiquus, bien mauvaises il est vrai. L’immense développement des cornes dans 3 et 5 ne laisse pas de place au doute. Mais nous sommes loin de tant de belles gravures publiées représentant cet animal. Il faut noter qu’un Bubalus antiquus (no 5) porte sur le dos ce qui semble bien être la représentation conventionnelle d’un bât.

4 est intéressant parce qu’il présente une analogie évidente avec des gravures publiées par Pomel (Pl. XI, fig. 1, 2, 3)[70] et où il a cru reconnaître le gnou, dont il signale en Algérie des ossements fossiles. (Voir pl. XV, phot. 30.) On pourrait d’ailleurs reconnaître à la rigueur un gnou dans les nos 2 et 6 à la direction « apparente » des cornes. Pourtant je crois bien que 6 représente un bœuf quelconque et 2 un Bubalus antiquus bâté. Pour cette dernière figure en particulier, il suffit de supposer que la tête de la bête est représentée à profil perdu et que par conséquent il manque une corne.

Même le no 4 est trop informe, je crois, pour qu’on y reconnaisse avec certitude un gnou, d’autant plus que les figures publiées par Pomel ne sont pas meilleures. Il me semble que l’existence du Gnou dans les gravures rupestres nord-africaines reste encore à démontrer.

Fig. 15. — Gravures rupestres de la station de Barrebi. — Réduction au vingtième d’après un calque ; 1, par exemple, a 1m,20 des défenses à la queue.

1. Éléphant. — 3 et 5. Bubalus antiquus. — 2, 4, 6 et 7. Incertains.

(Figure extraite de L’Anthropologie. Masson et Cie, édit.)

Il faut noter d’ailleurs que le no 4 s’il est de grande taille et dessiné d’un trait ferme est peu patiné.

Les nos 1, 2, 5 et 6 de la figure 16 représentent la même antilope à cou allongé, à cornes recourbées en avant quoique 6 soit de facture différente et manifestement plus récente. (Voir pl. XV, 30.) Ce sont d’assez jolies figures en somme, et quoiqu’il manque les pattes à 1 et le museau à 5, la silhouette de l’animal est rendue dans les quatre figures d’une façon concordante et nette. On imagine assez bien la bête. Il est difficile d’y reconnaître une quelconque des antilopes algériennes actuelles. La gazelle, le mouflon et l’adax sont exclus sans contestation possible par la forme des cornes. Il ne serait peut-être pas impossible de songer au bubale (Bos elaphus), chez qui pourtant les cornes sont épaisses et courtes, et affectées d’une courbure en avant bien peu sensible. On comprend que Pomel, reproduisant une figure de ce genre[71], ait cherché à la rapprocher d’une espèce fossile « Antilope (Nagor) maupasii analogue au Mbil (Antilope Laurillardi) ». Aujourd’hui pourtant nous savons qu’il existe, sinon en Algérie du moins à proximité, dans le Sahara des Touaregs, une antilope qu’il serait raisonnable de reconnaître dans nos figures, c’est le Mohor, antilope de Sœmmering[72].

Fig. 16. — Gravures rupestres de la station de Barrebi. Réduction au vingtième d’après des calques du lieutenant Pinta.

1, 2, 5 et 6. Antilope Mohor (?) — 3, 4, 7 et 8. Incertains.

(Figure extraite de L’Anthropologie. Masson et Cie, édit.)

Dans les nos 3, 4 et 7 de la figure 16 je ne sais pas s’il serait bien sage de prétendre reconnaître quelque chose, non plus peut-être que dans le no 8 encore bien que la longueur des cornes semble indiquer une antilope adax. Y a-t-il lieu de formuler derechef à propos de 3 et 7 l’hypothèse de l’okapi[73] ?

Le no 2 de la figure 17 est tout à fait remarquable par sa facture très soignée, tout l’intérieur est excavé, lisse et patiné ; c’est de beaucoup la plus belle gravure de la station. 2 et 3 me paraissent représenter le même animal, un taureau vulgaire, quoique Pomel, dans une figure de ce genre, veuille reconnaître une espèce fossile « Ægoceras lunatus, proche parent de Kobus et autres cavicornes quaternaires[74] ».

1 est bien grossier, de facture récente, sans patine (comme 3 d’ailleurs) ; à la direction de la corne, recourbée devant les yeux, il semble bien qu’il faille reconnaître le bœuf algérien actuel, si fréquemment figuré, Bos ibericus.

Dans une gravure tout à fait semblable à 5, Pomel veut reconnaître « un grand Échassier de la famille des Cigognes et des Grues »[75]. Ici il est manifestement impossible de le suivre, l’éminent géologue est victime du point de vue paléontologique auquel il se place. C’est la figuration conventionnelle classique de l’autruche dans toutes les gravures rupestres nord-africaines.

Fig. 17. — Gravures rupestres de la station de Barrebi. — Réduction au vingtième d’après des calques du lieutenant Pinta.

1. Bos ibericus. — 2 et 3. Bœufs (2 très soigné). — 5. Autruche. — 4, 6, 7. Lion. — 8. Chameau. — 9, 10, 12. Cavalier numide. — 14. Stèle funéraire du musée d’Alger.

(Figure extraite de L’Anthropologie. Masson et Cie, édit.)

Les figures commentées jusqu’ici sont d’antiquité inégale ; s’il fallait, au point de vue chronologique, attribuer une valeur absolue à la facture, au fini de l’exécution, 2 de la figure 17 tout seul, en y joignant peut-être 1, 2 et 5 de la figure 16, mériterait d’être rangé dans la catégorie de gravures rupestres anciennes ; mais toutes ces gravures du moins, même les moins patinées, sont de grandes dimensions, et circonscrites d’un trait net.

Celles dont il nous reste à parler sont franchement libyco-berbères et évoluent vers le schéma, le graphisme conventionnel. A noter des images de carnassiers, de lion peut-être (4, 6 et 7 de la fig. 17), une figuration de chameau (8), une gravure tout à fait indéchiffrable (13), et enfin des cavaliers porteurs du bouclier rond et des trois sagaies. C’est l’ornement classique des Libyens sur les stèles d’Alger[76].

J’ai reproduit ci-contre une de ces stèles provenant de la Grande-Kabylie. L’analogie saute aux yeux. Il est clair que nous avons dans ces trois gravures 9, 10 et 12 une représentation grossière du « cavalier numide » ou « gétule ».

Ce sont les seules figures humaines que j’aie notées dans la station avec une toute petite figure à phallus dressé entre les cornes du Bubalus antiquus.

Station d’Aïn Memnouna. — Je n’ai pas vu la station d’Aïn Memnouna. Mais M. le lieutenant Voinot a bien voulu m’adresser à son sujet des dessins et des notes détaillées.

Elle est relativement voisine de Barrebi, dans une région qu’on peut encore considérer comme une dépendance de l’Atlas, entre la Zousfana et le Guir, mais plus près du Guir. « La station, dit le lieutenant Voinot, est à environ 1500 mètres au sud de la source, en dehors de la gorge et à l’est du medjbed allant du Guir à l’Aïn Memnouna. Les dessins sont gravés sur les pierres de la hammada.

« Les dessins de la station de l’Aïn Memnouna présentent les mêmes caractères que ceux attribués à l’époque préhistorique par M. Flamand. La gravure est faite en creux au simple trait de 1 à 2 mm. de largeur et de faible profondeur, surtout dans quelques parties fort usées. Le trait est patiné dans le même ton que le grès. Les lignes des gravures ont été tracées avec une grande sûreté de main. Les allures générales des animaux représentés dénotent un réel essai d’observation de la nature, et la plupart des dessins ne manquent pas de grâce malgré la simplicité de leur exécution. »

En somme, la station est à plat, à même la hammada, sous les pieds des passants, sur des plaques de grès horizontales. Le cas n’est pas isolé quoique, en général, le graveur utilise une paroi verticale.

Les gravures sont incontestablement anciennes.

M. Voinot ne dit pas qu’il ait estampé ou calqué ; ses reproductions sont, je crois, de simples dessins, ne visant pas à une exactitude rigoureuse. La station d’ailleurs est très éloignée de nos postes actuels, elle n’a été vue qu’en passant au cours d’une randonnée rapide.

Ces dessins de M. Voinot sont au nombre de sept (fig. 18). Dans le 1 il reconnaît une antilope adax ; dans le no 3 une gazelle (le dessin géométrique à côté de la gazelle restant indéterminable)[77] ; dans le no 5 M. Voinot croit reconnaître un demman, mouton à poil ; mais, sous cette réserve qu’il a vu la gravure elle-même, il me semble que le dessin, à tout le moins, suggérerait plutôt l’idée d’un Bos ibericus, bœuf à cornes recourbées devant les yeux (?) Pour M. Voinot, 2 est un âne, 6 un taureau, 4 une figure cabalistique, et 7 derechef un taureau. « C’est la plus belle gravure de la station sans contredit ; les longs poils du mufle et de l’organe sexuel sont nettement représentés. Ce bœuf a l’air de porter une selle. »

Fig. 18. — Gravures rupestres de la station d’Aïn Memnouna. — Dessins de M. le lieutenant Voinot.

1. Antilope adax. — 2. Ane ? — 3. Gazelle. — 5. Mouton ou bœuf ? — 6 et 7. Taureau.

(Figure extraite de L’Anthropologie. Masson et Cie, édit.)

Station de Hadjra Mektouba. — A mi-chemin entre Beni Abbès et Kerzaz, sur la rive droite de la Saoura, à 4 ou 5 kilomètres de l’oued une couche de calcaire mésodévonien affleure au milieu des dépôts continentaux mio-pliocènes et forme une sorte de trottoir large à peine d’une dizaine de mètres et long de plusieurs kilomètres. (Voir pl. XXXII, phot. 61.) Cet affleurement est couvert de dessins rupestres et porte en conséquence le nom de Hadjra Mektouba (les pierres écrites)[78].

Il n’est pas tout à fait sans exemple que des dessins rupestres soient gravés sur le calcaire. M. Flamand signale une station de ce genre dans le Tadmaït[79]. Elles sont très rares.

A la station de Hadjra Mektouba, ce qui frappe d’abord ce sont des inscriptions arabes récentes ; on reconnaît facilement des actes de foi (il n’y a de Dieu que Dieu, etc.). La station se trouve, en effet, sur le chemin des pèlerins qui vont à la zaouia très vénérée de Kerzaz.

Fig. 19. — Gravures rupestres de la station de Hadjra Mektouba.

Réduction au vingtième d’après calques.

(Figure extraite de L’Anthropologie. Masson et Cie, édit.)

J’ai relevé (fig. 19, no 1) une inscription arabe, d’ailleurs indéchiffrable, encadrée dans une figure géométrique, dont M. Basset, l’arabisant éminent, directeur de l’École des Lettres, ignore la signification. A titre d’hypothèse il suggère l’idée que ce pourrait être un mekkam (souvenir d’un marabout quelconque qui aurait séjourné, prié, etc., sur ce point précis). A coup sûr la station de Hadjra Mektouba est au point de vue islamique une sorte de lieu saint.

On distingue aussi quelques lettres tifinar’, mais en petit nombre, et de mauvaises gravures libyco-berbères ; j’ai noté un méhariste à bouclier rond.

E.-F. Gautier. — Sahara Algérien. Pl. XVI.

Cliché Gautier

31. — GRAVURE RUPESTRE DANS L’OUED TAR’IT (Ahnet)

Sur grès éo-dévonien.

L’animal représenté est une girafe.

Cliché Gautier

32. — GRAVURE RUPESTRE, A TAOULAOUN (Mouidir)

sur grès éo-dévonien.

Le sujet représenté est une chasse au mouflon ; pour pouvoir photographier, on a passé les figures à la craie.

C’est là tout ce qu’on aperçoit au premier abord, et l’on serait tenté de croire que les gravures anciennes ne sont pas représentées. A y regarder de près pourtant, on les trouve en grand nombre, mais si effacées qu’elles sont à peine discernables. Il faut chercher pour chaque coin de pierre l’éclairage favorable ; et sous un certain jour on voit se révéler de vieux dessins flous mais incontestables, des arrière-trains, des pattes, souvent même l’animal entier (antilopes, animaux cornus [?]) (Voir nos 2 et 3.)

L’aspect de la roche explique facilement la disparition presque totale des vieilles gravures. La face du calcaire porte distinctement l’empreinte des pluies pourtant si rares. Le calcaire évidemment, par sa sensibilité à l’action chimique des pluies, conserve beaucoup plus mal la gravure que le grès, par exemple.

Il me semble curieux que je n’en aie pas vu dans toute la chaîne d’Ougarta, où pourtant les grès éodévoniens, extrêmement développés auraient dû attirer le graveur. Il se peut il est vrai qu’elles m’aient échappé. Cette hypothèse est même très vraisemblable.

Stations des oasis et du Tadmaït. — En revanche dans la région des oasis et le Tadmaït, qui sont relativement connus, les gravures sont assurément rares et peu intéressantes. Ce sont surtout des inscriptions (tifinar’ ou libyco-berbères !). J’en ai vu à Tesfaout (Timmi), à Ouled Mahmoud (Gourara), dans l’oued Aglagal (Tidikelt — et nota bene sur une dalle calcaire), à Haci Gouiret (au sud d’In Salah). M. le commandant Deleuze en a relevé une près de Tesmana (Gourara)[80]. M. Flamand à Haci Moungar, à Aïn Guettara[81]. Il en existe assurément d’autres et cette énumération n’a pas la prétention d’être exhaustive. Mais on sait que, dans l’état actuel de nos connaissances, ces inscriptions sont indéchiffrables ; on ne peut donc que les mentionner.

On ne connaît sur cette grande étendue que trois stations de gravures rupestres assez médiocres, à Tilmas Djelguem (sur calcaire), à la gara Bou Douma, et à Aoulef (gara des Chorfa)[82]. Ajoutons, quoiqu’un peu en dehors de la zone quelques grafitti insignifiants que j’ai vus sans les copier à Haci Ar’eira (au sud du Tidikelt). Sous réserve de découvertes ultérieures il semble donc qu’une zone intermédiaire assez pauvre sépare les deux régions riches en gravures du nord et du sud — l’Atlas et les plateaux Touaregs.

Fig. 20. — Taoulaoun.

A, d’après une photographie. Hauteur du mouflon au garrot, 0 m. 30 à 0 m. 40. B, hauteur du chameau (?), 0 m. 05. Ici, comme dans les figures suivantes, les grisés marquent la surface grattée, c’est-à-dire où la patine de la surface environnante a été enlevée par grattage.

(Figure extraite de L’Anthropologie. Masson et Cie, édit.)

Stations des plateaux Touaregs. — La zone privilégiée me paraît être celle des plateaux gréseux éodévoniens. En tout cas au Mouidir occidental et dans l’Ahnet j’ai vu huit stations dont cinq ou six intéressantes. Ce sont, au Mouidir : Taoulaoun, à côté du point d’eau, — jolie chasse au mouflon reproduite figure 20. (Voir aussi pl. XVI, phot. 32.)

Fig. 21. — Oued Tar’it.

A, d’après une photographie assez indistincte et un dessin ; hauteur totale de l’espace occupé par les personnages, 2 mètres environ. B, hauteur des autruches, 0 m. 15 environ. C, d’après une photographie, 0 m. 60 environ de hauteur.

(Figure extraite de L’Anthropologie. Masson et Cie, édit.)

Tahount Arak, au point d’eau — gravures insignifiantes, et qui n’ont pas été reproduites. Elles sont à 3 ou 4 mètres au-dessus du sol, sur la corniche en surplomb d’un énorme bloc rocheux détaché, et actuellement inaccessibles sans échelle ce qui est un cas très rare.

Dans l’Ahnet : Taloak, 100 mètres à l’est du point d’eau, au sommet d’une petite falaise, tifinar’ et grafitti insignifiants, qui n’ont pas été reproduits.

Foum Zeggag, dans les gorges de ce nom, à deux heures de marche au sud de Taloak, rive droite de l’oued ; je n’ai vu, en passant, que deux médiocres éléphants. (Voir fig. 25, no 1.)

Oued Tar’it, rive gauche, à une quinzaine de kilomètres environ au nord d’Aguelman Tamana. Très belle station, grands méharis montés figurant dans une scène de guerre ou plutôt de chasse ; — girafe soignée ; — reproduits figure 21. (Voir aussi pl. XVI, phot. 31.)

Aguelman Tamana ; au point d’eau, rive gauche de l’oued, — station intéressante, grands bovidés, dont quelques-uns bâtés, reproduits figure 22.

Ouan Tohra, au pied de la haute falaise qui avoisine le puits, sur de gros blocs éboulés ; station riche et intéressante, et qui, par surcroît, a pu être étudiée longuement ; bovidés et animaux divers, reproduits figures 24, 25. (Pl. XVII, phot. 33.)

Tin Senasset, au point d’eau ; sur blocs éboulés au pied de la falaise ; bovidés, un cheval ; reproduits figure 23.

Ces huit stations ont été découvertes par hasard, parce qu’elles sautaient aux yeux, au cours d’un raid à méhari. Il y a donc lieu de supposer qu’une investigation minutieuse en fera découvrir beaucoup d’autres.

On en a d’ailleurs signalé d’autres. M. Voinot a publié des tifinar’, des inscriptions arabes, des empreintes de pieds, et quelques vagues grafitti, copiés dans les gorges de Tir’atimin ; — il nous a donné aussi une reproduction intéressante d’une petite scène de chasse à l’Aïn Tér’aldji. Ces deux stations sont dans le Mouidir occidental[83].

Motylinski suivant un itinéraire connu a pourtant relevé quelques petites stations nouvelles au Mouidir occidental — des tifinar’ à Haci el Kheneg — quelques autruches dans les gorges de Takoumbaret — des tifinar’ et des grafitti à Hacian Meniet (déjà signalés par Guillo-Lohan)[84].

Notons que dans l’Açedjerad nous n’avons pas vu de gravures rupestres et M. Besset n’en signale pas dans le Mouidir oriental. Au Tassili des Azguers M. Foureau en a copié une seule[85]. Il se pourrait donc que l’Ahnet fût particulièrement riche pour des raisons qui échappent, historiques apparemment. Mais c’est une conjecture hasardeuse. L’exploration des plateaux éodévoniens Touaregs reste à faire au point de vue archéologique il est certain en tout cas que les grès de cet âge se prêtent admirablement à la gravure, et d’une façon générale en Algérie comme au Sahara le grès est par excellence matière épigraphique. Ces gravures du Mouidir-Ahnet, reproduites dans les figures 20 à 25 se prêtent à une étude d’ensemble. Non seulement elles sont toutes sur grès, et sur le même grès, mais à tous les points de vue ces stations diverses sont étroitement apparentées.

Elles sont toujours au voisinage immédiat d’un point d’eau, ou à tout le moins d’un pâturage actuellement fréquenté ; elles sont toutes aisément accessibles, à portée de la main, à une seule exception près, la station de Tahount Arak ; mais le roc isolé de Tahount Arak est au milieu de l’oued, son pied baigne dans l’eau, et il a suffi d’un bien petit nombre de crues pour produire l’affouillement qui met la gravure hors de portée. Il ne semble donc pas que les gravures remontent à une époque où le climat fut autre qu’aujourd’hui.

Cette impression de jeunesse est corroborée par l’étude même des figures. Je n’en vois qu’une ou deux susceptibles d’être classées anciennes, la girafe de la figure 21, C. D’après mes souvenirs, corroborés par une assez bonne photographie, cette gravure est tout à fait du type de celles de Zenaga ; la patine est aussi foncée que celle de la roche environnante, le trait est profond et régulier, on retrouve tous les caractères d’une grande antiquité. Du moins il me semble ainsi rétrospectivement ; à l’époque où j’ai vu cette girafe je n’étais malheureusement pas encore familier avec l’aspect des gravures rupestres de l’époque ancienne (en 1903) ; je trouve aussi mentionné dans mes notes que E de la figure 22 (bovidé) est très patiné.

Mais ces figures sont seules de leur espèce. Nous avons fait M. Chudeau et moi, en 1905, un séjour prolongé à Ouan Tohra, et, malgré des recherches attentives, nous n’avons pas trouvé une seule gravure d’aspect ancien. Elles semblent très rares sinon tout à fait absentes.

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