Missions au Sahara, tome 1 : $b Sahara algérien
| E.-F. Gautier. — Sahara Algérien. | Pl. XXXIV. |
Cliché Gautier
64. — Dans l’erg er-Raoui, UNE ANTILOPE ADASE, qui faisait partie d’un troupeau d’une trentaine de têtes.
Remarquer l’élargissement brusque du sabot ; forme de pied adaptée aux sols désertiques.
L’oued Tabelbalet. — Dans la région étudiée l’O. Saoura a un pendant, qu’on peut appeler l’oued Tabelbalet. Il n’a pas de nom pour les indigènes qui en dénomment les tronçons visibles ; et ne s’intéressent pas à sa continuité, évidente, mais sans portée pratique.
Voici ce qu’on sait.
Je n’ai pas vu l’oasis et les ksars de Tabelbalet, et quoiqu’ils aient été vus par nos officiers à plusieurs reprises, il n’en a jamais été publié de description ; l’oasis est au pied de la chaîne Tabelbalet, à la lisière de l’erg er Raoui ; l’eau est partout à très faible profondeur dans le sol.
Au sud de Tabelbalet la ligne de contact entre l’erg et la chaîne reste aquifère sur cent kilomètres au moins.
Jusqu’à Haci Bel Rouz le nombre des puits échelonnés est assez considérable (Noukhila, Haci el Maghzen, etc.) ; et ce nombre pourrait être augmenté facilement, on trouve de l’eau n’importe où, dit-on ; en tout cas H. el Maghzen a certainement été improvisé à l’étape par les maghzen de Beni Abbès.
Au delà l’eau devient plus rare, pourtant le bord de l’erg reste jalonné de trois puits au moins, Tin Oraj, Haci el Hamri, Oguilet Mohammed. Ces trois puits, les seuls que j’ai vus, sont tous creusés dans le lit d’un oued enfoui. La photographie de Tin Oraj, montre nettement les 2 berges du lit mineur découpées dans le quaternaire ancien (terrain plâtreux d’un blanc éclatant). (Voir pl. X, phot. 20.)
A Haci el Hamri et Oguilet Mohammed j’ai fait des constatations analogues. Partout on retrouve les érosions et les dépôts d’un grand oued quaternaire. Il y a là évidemment un grand oued enfoui et encore vivant. Il vient à coup sûr de l’Atlas, d’un point indéterminé dans la région inexplorée à l’ouest du Guir. Sa nappe d’eau, en tout cas, est nécessairement alimentée, au moins pour une grande partie, par les pluies de l’Atlas.
Cet oued anonyme et que j’appellerai Tabelbalet, est curieusement symétrique à la Saoura ; comme elle, il coulait entre les dunes et la chaîne rocheuse ; mais ici les dunes ont été bien plus envahissantes, la plus grande partie de l’oued gît sous un amoncellement de sable, et l’O. Tabelbalet, bien plus gravement atteint, bien plus décomposé que la Saoura par le climat désertique, est un centre de vie humaine incomparablement moins intéressant.
L’erg qui a effacé l’O. Tabelbalet s’appelle l’erg er Raoui, c’est-à-dire l’« humide ». Dans sa partie méridionale à tout le moins, la mieux connue et assez fidèlement reproduite sur la carte dans ses grands traits, l’erg est très peu compact, très évidé intérieurement par des gassis immenses et larges. Le sable est surtout entassé sur le lit même de l’O. Tabelbalet. C’est à l’oued enfoui que l’erg doit son nom bien mérité. Il alimente du gros gibier, de grands troupeaux d’antilopes adax (voir pl. XXXIV, phot. 64), cela suppose une végétation relativement abondante et des points d’eau facilement accessibles, à fleur du sol.
Erg Atchan et sebkha el Melah. — Tout contre, relié à l’« erg humide » par de longs filaments de dunes, l’erg Atchan « l’assoiffé » fait contraste avec lui. Ce n’est pas qu’il ne recouvre lui aussi une ramification d’oueds quaternaires, mais qui sont apparemment tout à fait morts, impropres à alimenter une vie quelconque. Les seules eaux potables de la région, assez voisines de l’erg mais tout à fait en dehors sont à Aïn Dhob et à Nechea. Ce sont des sources jalonnant une ligne de faille.
Le trait le plus remarquable du régime hydrographique est la sebkha el Melah. C’est la grande mine de sel pour les riverains de la Saoura ; le sol est couvert d’une croûte de sel pur, brisée en dalles cahotiques sous l’influence des variations de température, et dont l’épaisseur atteint plusieurs centimètres. Encore qu’il ne soit pas surprenant de trouver du sel dans une sebkha, je n’en connais pas d’autre où les dépôts actuels de sel aient une pareille puissance. On a déjà traité le petit problème géologique que pose son existence.
Il s’en pose un autre, topographique et hydrographique. En 1903 la sebkha m’avait paru de niveau plus bas que le lit voisin de la Saoura ; mon baromètre avait marqué le même jour à quelques heures d’intervalles, 735 millimètres à Aïn Dhob contre 730 à Kerzaz. Les indications d’un anéroïde sont naturellement sujettes à caution. Mais celles-ci semblent avoir été confirmées depuis. La crue de 1904 arrêtée à Foum el Kheneg par un tampon de sable (voir pl. IX, phot. 19) a reflué en masse vers la sebkha el Melah ? Il serait intéressant de savoir comment l’existence d’une pareille dépression se concilie avec le travail de l’érosion quaternaire. Mais avant de chercher l’explication du fait il conviendrait d’attendre qu’il fût hors de doute.
Privé de points d’eau, contourné par tous les itinéraires, l’erg Atchan, flanqué de la sebkha el Melah, reste inconnu. On peut affirmer cependant qu’il occupe un compartiment effondré au cœur de la chaîne d’Ougarta ; le bassin de réception est limité très vite au nord, où de puissantes masses montagneuses interceptent tout accès souterrain ou subaérien aux eaux de l’Atlas. Et c’est apparemment ce qui explique l’« erg assoiffé » voisin mal partagé de l’« erg humide ».
La chaîne d’Ougarta. — Sur la chaîne de Tabelbalet on ne sait rien de détaillé. On voit mieux déjà la chaîne d’Ougarta, malgré d’énormes lacunes. On peut affirmer que, au point de vue humain, économique, elle présente un intérêt, tout inhabitée qu’elle est : ce n’est pas du tout un coin désespéré du Sahara.
A priori on pouvait le prévoir ; la chaîne est constituée de ces mêmes grès éodévoniens, excellent réservoir d’humidité, qui font habitable la plus grande partie du pays Touareg.
Elle a en effet ses points d’eau, le puits d’Ennaya, par exemple, le r’dir de Kheneg el Aten (voir pl. XXXII, phot. 60.) Elle a aussi ses pâturages, celui d’Ennaya entre autres ; Ennaya est une cuvette synclinale tapissée de Mio-Pliocène et de petites dunes. La montagne elle-même, la roche nue, au printemps de 1905, était couverte de ce que les Sahariens appellent un pâturage d’« acheb ». Je ne crois pas que cette végétation ait été décrite ni étudiée au point de vue botanique.
La plupart des plantes sahariennes sont des arbustes rabougris dont les chameaux mangent les feuilles, les pousses vertes, les extrémités tendres ; ils sont pérennes, et, dans les périodes les plus sèches, quand les jeunes pousses font défaut, la ramification ligneuse subsiste au-dessus du sol. Les plantes sahariennes les plus célèbres, le hâd par exemple, le dhomran rentrent dans cette catégorie.
L’acheb n’est pas une plante, c’est une catégorie, tout à fait distincte de la précédente, celle des plantes éphémères, printanières, que les bonnes années font sortir du sol pour un petit nombre de semaines, dans les coins privilégiés. Les indigènes leur donnent aussi ce joli nom, r’ebia, le printemps ; végétation classique de steppe en somme, la plante n’est représentée en temps ordinaire que par ses racines invisibles, ou peut-être même par une graine enfouie ; vienne le moment favorable, et l’attente dût-elle être de plusieurs années, la végétation subaérienne évolue précipitamment.
Au printemps de 1905, qui avait été précédé, on l’a dit, de pluies abondantes et de grandes crues en octobre 1904, l’acheb sur les montagnes d’Ougarta était assez varié ; un caractère commun évident était l’énorme prédominance des organes floraux, pas de feuilles, des fleurs en grappes volumineuses, sur des stipes grêles et nus ; pas trace de verdure dans l’impression d’ensemble. Au-dessus de Beni Ikhlef l’acheb était représenté par une espèce à fleurs violettes ; la montagne apparaissait de loin couverte d’une moisissure violette d’un effet étrange et délicat sur la roche noire de poix.
Les chameaux « mangent le printemps » avec avidité ; l’engloutissement de gerbes de fleurs dans ces gueules particulièrement répugnantes heurte notre concept européen du bouquet, et fait une impression blasphématoire.
J’ai noté aussi la présence d’Anabasis aretioides.
La chaîne d’Ougarta serait donc un pays de pâturages, et si elle n’est pas un pays d’élevage la faute en est aux hommes et aux circonstances, non pas à la nature.
Elle a aussi des richesses minérales, on l’a dit.
A l’ouest de Beni Ikhlef sur la route d’Ennaya, au lieu dit Tamegroun un filon de quartz cuprifère court dans les grès dévoniens, qui sont imprégnés au contact. Autant que j’ai pu en juger après un examen sommaire, et toutes réserves faites sur mon inexpérience, en matière d’évaluations minières, l’affleurement mériterait d’attirer l’attention s’il se trouvait dans un pays moins inaccessible et moins désolé. D’autant plus qu’il n’est certainement pas isolé (Golb en Nehas). On peut se demander s’il n’y a pas là pour la Saoura une ressource future éventuelle[146].
C’en a été une à coup sûr dans un passé indéterminé. L’affleurement de Tamegroun a été exploité par les indigènes, très sommairement, il est vrai ; les trous et les tranchées d’exploitation qui s’échelonnent le long du filon, ont à peine un mètre ou deux de profondeur. (Voir pl. XXXI, phot. 58.) Le minerai était calciné ou traité sur place, comme l’atteste la présence de scories.
Le souvenir de cette exploitation s’est conservé dans la mémoire des indigènes.
Je dois à l’obligeance de M. le capitaine Martin, commandant l’annexe de Beni Abbès, et à celle de M. l’interprète militaire Stackler, la copie et la traduction d’un texte arabe, conservé au monastère de Guerzim, et qui concerne la mine de Tamegroun[147]. Il y est question de sorcellerie bien plus que de métallurgie. La mine est devenue un trésor gardé par des génies : les procédés d’extraction n’ont rien de scientifique : « il faut égorger un hibou, le battre avec une tige de fenouil, etc. ». On sait d’ailleurs que chez les primitifs un lien étroit unit la sorcellerie et le travail ou l’extraction des métaux : au Maroc, le Sous est à la fois la patrie des mineurs et des sorciers. Tamegroun d’ailleurs a sans doute été exploité par les Marocains, à une époque indéterminée ; je ne crois pas qu’il le soit actuellement.
L’homme. — Si obscur que soit le passé humain de l’O. Saoura on peut essayer, peut-être, de dégager des souvenirs et des légendes indigènes quelques grandes lignes un peu floues.
On trouve dans la région des tombeaux préislamiques (redjems) ; ils sont tout à fait semblables aux redjems habituels à mobilier de cuivre et de fer ; et leur distribution semble accuser une répartition de la vie toute différente de l’actuelle. Le lit même de la Saoura, où sont concentrées les oasis actuelles est plus pauvre en redjems que la chaîne d’Ougarta ; ils paraissent nous reporter à une époque de vie nomade où la culture intensive des oasis n’existait pas encore. A Beni Abbès, d’autre part, on se souvient ou on croit se souvenir de la date où aurait été captée la grosse source. Ce souvenir a pris naturellement forme de légende religieuse. « Un marabout égyptien, Si Othman el Gherib planta un bâton en terre : à ma mort, dit-il, une source jaillira en ce point pour que vous puissiez laver mon cadavre. Le bâton resta fiché en place, et, quand on le retira, à la mort du santon, la source jaillit. » Ceci se serait passé soixante ans avant que le Touat fût occupé[148]. Il va sans dire que ces bribes d’hagiographie sont dépourvues d’intérêt historique. Peut-être pourtant doit-on retenir que la palmeraie de Beni Abbès n’a pas la réputation de remonter à une époque immémoriale.
Voici maintenant qui est plus récent et plus précis.
Dans l’oued Saoura, à une trentaine de kilomètres au sud de Beni Abbès, auprès du ksar de Tametert, on montre les ruines d’un ksar au sommet d’une butte ; c’est Ksar en Nsara, le bourg des chrétiens. D’après la tradition, ce bourg, peuplé de chrétiens, aurait subsisté jusqu’à une date indéterminée, où les musulmans l’assiégèrent, le prirent et le détruisirent.
D’autres ruines portant le même nom, et auxquelles se rattache la même légende, se voient entre Beni Ikhlef et Bou Khrechba.
D’après le P. de Foucault ces vieux « villages nazaréens » sont nombreux dans l’O. Draa[149].
A une pareille distance des côtes marocaines, ces chrétiens ne peuvent pas avoir été des Portugais ; s’agirait-il donc d’une communauté chrétienne indigène, qui aurait été détruite tardivement ? M. Basset, consulté, croit cette hypothèse inadmissible. Il ne faut pas d’après lui, prendre trop à la lettre le nom de Nsara (chrétiens) : « Je le regarde comme synonyme de Djohala (païens) ; ces noms s’échangent souvent dans les traditions populaires : comme dans les chansons de gestes, les Saxons de Guiteclin (alias Witikind), jurent par Mahom, Appollin et Tervagant. » Les habitants de Ksar en Nsara n’étaient donc pas des chrétiens, c’étaient des païens ou semi-païens, peut-être des kharedjites ; à coup sûr des ennemis de la foi orthodoxe, puisque leurs voisins musulmans les ont anéantis. Rien ne nous autorise d’ailleurs à fixer la date de cet anéantissement. Pourtant, la précision des souvenirs indigènes me semble rendre peu vraisemblable une date très reculée.
C’est aux « Nazaréens[150] » que la tradition attribue le captage des sources et l’aménagement des oasis (tradition très nette à Ougarta en particulier). Elle leur donne pour successeurs les Beni Hassen, et ici nous sommes sur un terrain historique assez sûr. Les Beni Hassen, qui se retrouvent aujourd’hui au Maroc dans la plaine de l’O. Sebou ont été au Sahara les propagateurs de la langue arabe et d’un degré plus élevé de culture islamique jusqu’au Sénégal. L’arabe que parlent les Maures sénégalais s’appelle aujourd’hui encore le Hassaniya[151]. Les Beni Hassen ont laissé en effet dans la Saoura le souvenir d’une très grande et très puissante tribu ; et ce souvenir est resté très vivant, leur nom revient souvent dans la tradition. Les ruines d’un ksar Beni Hassen (mais que je n’ai pas vues) se trouvent à Beni Abbès sur la gara qui surplombe la palmeraie de l’autre côté de l’oued (rive droite). (Voir fig. 41.)
La Saoura actuelle est dominée politiquement, où du moins elle l’a été jusqu’à notre venue, par les R’nanema.
Au poste de Beni Abbès, M. le capitaine Martin a bien voulu me communiquer une étude sur les R’nanema, œuvre d’un officier dont je regrette d’ignorer le nom.
Voici de quelle façon la tribu se divise elle-même.
| Ataouna. | ||||||
| Debahba | Oulad Hammou. | |||||
| Oulad Saad. | ||||||
| Oulad Rezoug. | ||||||
| Chemamcha | Oulad Hossein. | |||||
| Maadid. | ||||||
| R’nanema | Gourdana. | |||||
| Oulad Zian. | ||||||
| Ataouna | Oulad Ali. | |||||
| Oulad Alla. | ||||||
| Gharaba. | ||||||
| Oulad ben Kina. | ||||||
| Gourdana[152] | Oulad Moktar. | |||||
| Oulad Dehan. | ||||||
| Oulad Abbou. |
Je ne suis pas très sûr que cette sèche énumération soit susceptible de présenter un intérêt général. Peut-être pourtant permet-elle d’entrevoir l’armature politique et sociale de la tribu. M. Doutté, étudiant les tribus du Maroc occidental, a publié quelques tableaux de subdivisions ethniques dont l’analogie avec celui-ci paraît évidente, quoiqu’ils soient d’une analyse beaucoup plus poussée.
Le dernier élément constitutif semble bien être la famille lato-sensu.
M. Doutté décrit ainsi la tribu marocaine. « Bien que l’analyse montre qu’elle est en général formée d’éléments de provenances diverses au point de vue ethnique, elle est cependant conçue par ses membres comme une immense famille, et cette conception se traduit souvent par la croyance en un ancêtre éponyme[153]. »
Les Oulad Alla par exemple affirment descendre tous d’un certain Alla ben Hammou, originaire de Bou Denib (dans les hauts de l’O. Guir).
Les Oulad Hammou se rattachent à un certain Hammou Ould Keroum, des Krerma, fraction des Ahlaf, habitant la plaine de Tafrata au sud-ouest d’Oudjda.
Ces familles sont groupées en clans (?) groupés eux-mêmes en une confédération, qui est la tribu (?) des R’nanema.
Les familles, qui ont conservé le souvenir de leur origine, se réclament des coins les plus divers de l’Afrique du nord. Il en est qui sont venues de Kairouan et même de Tripolitaine, d’autres du dj. Amour, beaucoup du Maroc (Moulouya, O. Draa, Merrakech, Sahel). En somme, ici comme dans tout le reste de l’Afrique du nord le brassage des races a été très énergique[154], avec une prédominance peut-être des éléments marocains.
Ce qui fait l’originalité et l’unité de ces R’nanema, d’origines si diverses, c’est qu’ils sont nomades et non pas ksouriens.
Le territoire qui leur appartient est considérable, le long de l’oued il va de Merhouma jusqu’au delà de Tagdalt. C’est la section la plus riche de la Saoura, la r’aba, recouverte d’une « forêt » continue de palmiers, l’oasis d’un seul tenant de beaucoup la plus étendue de toute la région. Les ksars s’y pressent plus nombreux qu’ailleurs ; et d’ailleurs les R’nanema sont propriétaires de ksars isolés en dehors des limites de leur territoire propre ; un des ksars de Beni Abbès par exemple est R’nanema. Ces ksars, au rebours des autres, ne sont pas des individualités politiques autonomes ; beaucoup d’entre eux ne sont même pas des individualités municipales.
Anefid par exemple est une simple ferme habitée par des métayers haratin.
D’autres sont de simples lieux de refuge et d’ensilotement, des abris momentanés, inhabités la plupart du temps, des murailles vides à proximité des terrains de culture ; ce sont, par exemple, Béchir (qui est une station d’été), Tametert, Idikh, Ammès, Ksir el Ma, Beiada, Timr’arin, Meslila, Ksabi.
C’est le même type de ksars qu’on retrouve dans l’oued Guir (Bahariat) entre les mains d’autres nomades les Doui Menia : simples magasins fortifiés et non pas lieux d’habitation ; la vie s’écoule ailleurs dans les pâturages.
| E.-F. Gautier. — Sahara Algérien. | Pl. XXXV. |
Cliché Gautier
65. — LE MINARET DE KERZAZ, construit en pierres, qui contrastent avec le pisé des murs.
Cliché Gautier
66. — UN QUARTIER DE KERZAZ vu du haut du minaret de la photographie 65.
Remarquer les toits en terrasses de pisé. A gauche et en haut de la figure, on voit l’Oued Saoura et la dune voisiner comme d’habitude.
Les pâturages des R’nanema sont à l’est dans l’erg, et sans doute ne se font-ils pas faute d’utiliser ceux de l’ouest, dans la chaîne d’Ougarta, lorsqu’ils peuvent le faire sans danger. Ce sont d’ailleurs des nomades à parcours assez restreint, ces Sahariens ne sont pas des méharistes, tous cavaliers, ou piétons, et cela suffit à leur interdire les grandes randonnées à travers le désert. Ils ne s’éloignent pas de la Saoura.
En revanche ils ont fait peser un joug très lourd sur les indigènes de la Saoura. Rohlfs, le premier Européen qui les a vus, insiste sur leurs exactions. C’était pourtant, lors de notre venue, une tribu en décadence. Si vagues que soient les données historiques à leur sujet, on suit le recul progressif de leur influence à travers le XIXe siècle.
On a vu qu’ils furent les maîtres de la Zousfana et qu’ils en furent expulsés par les Doui Menia après des luttes acharnées.
En 1894 une harka de Doui Menia et de Beraber, provoquée par les agents du sultan, ravagea la Saoura, et fit tomber après un long siège le ksar principal des R’nanema (el Ouata, je crois), où s’était réfugiée caïd Alla, le chef ou en tout cas l’homme le plus influent de la confédération.
Les R’nanema étaient donc progressivement refoulés par une poussée venue de l’ouest, lorsque nous nous sommes établis dans l’O. Saoura. Aussi ont-ils vu en nous des protecteurs ; et caïd Alla en particulier nous a été dévoué aussi longtemps qu’il a vécu.
L’autorité brutale des nomades est contre-balancée par l’influence religieuse des zaouias.
Il y en a une petite à el Maja, une autre à Beni Ikhlef, une autre à Igli, mais les plus notables de beaucoup sont Guerzim et surtout Kerzaz. Guerzim est dit-on plus ancienne, et se juge elle-même plus vénérable. Kerzaz est actuellement bien plus importante, on s’en rend compte au seul aspect de son minaret, très simple, mais construit de la base au sommet en dalles de grès, luxe unique dans un pays de construction en pisé. (Voir pl. XXXV, phot. 65 et 66.)
D’après Depont et Coppolani, la zaouia de Kerzaz, maison mère de l’ordre des Kerzazia, a été fondée par le chérif, Ahmed ben Moussa el Hassani Mouley Kerzaz, né vers 1502 de J.-C. La date est à retenir ; les XVe et XVIe siècles sont un moment décisif dans l’histoire des oasis sahariennes. La confrérie, d’après Depont et Coppolani[155], compte environ 2000 adeptes dans la province d’Oran, et davantage vraisemblablement au Maroc. Dans la Saoura sa prépondérance est financière autant que politique ; Kerzaz est propriétaire de palmiers dans des oasis éloignées, comme Beni Abbès. A Kerzaz la baraka se transmet héréditairement dans la famille du fondateur, mais non pas de père en fils ; elle appartient aux plus âgés des membres de la famille. Il en résulte une gérontocratie, qui donne au gouvernement et à l’administration municipale un caractère original — très distinct de ce qu’on observe soit dans les ksars, soit chez les R’nanema.
Les ksars autonomes. — Vis-à-vis des nomades et des marabouts les ksars autonomes de la Saoura jouissent d’une indépendance dont le degré varie avec leur force et leur situation. Nous sommes assez bien renseignés sur les ksars septentrionaux Igli, Beni Abbès.
Igli. — M. Calderaro, nous a donné un historique d’Igli[156]. Il donne l’étymologie du mot dont l’ethnique est Glaoua. Les Glaoua sont une tribu marocaine bien connue qui habite le Grand Atlas au sud de Merrakech. Quelques membres de cette tribu « sont venus s’installer à une époque reculée sur un monticule à environ 1500 mètres au sud-ouest d’Igli, et auraient fondé un ksar appelé Aghrem Amekran (le grand Ksar) dont les ruines sont encore visibles de nos jours ». Le ksar actuel est une zaouia fondée vers le milieu du XVIIe siècle par un chérif venu du Gourara, Sidi Mohammed ben Othman. La date est à retenir ; c’est à la même époque à peu près que fut fondée la zaouia de Kenatsa. Mais Igli est bien loin d’avoir eu la fortune de Kenatsa ; son rayonnement est resté tout local ; sa seule filiale est le petit couvent voisin de la zaouia Tahtania. Aussi les Glaoua sont bien loin de jouer, soit dans l’oued Zousfana, soit dans la Saoura le rôle d’aristocratie religieuse et financière qui est réservé aux grandes zaouias, comme Kerzaz ou Kenatsa ; leur histoire telle que M. Calderaro nous la raconte sommairement est celle de tant d’autres ksars ; à travers les âges ils ont été pillés alternativement par les nomades voisins, Beraber, mais surtout Doui Menia et R’nanema. A notre arrivée ils payaient la protection des Ouled Sliman, fraction Doui Menia. Pourtant « les Doui Menia, d’après M. Calderaro, ne possèdent pas de palmiers dans l’oasis d’Igli ; la palmeraie entière appartient aux Ksouriens ». C’est là un grand avantage qu’ils ont sur d’autres, les Beni Goumi en particulier. Ils le doivent apparemment à leur caractère religieux.
Mazzer. — Mazzer, d’après les notes manuscrites du poste de Beni Abbès, a été partiellement peuplé par des réfugiés venus de Si Akkachi, un vieux ksar dont on voit les ruines à mi-chemin entre Igli et Mazzer et qui aurait été détruit par les Glaoua il y a cent cinquante ans. Un certain Moussa ben Brahim, échappé au désastre avec sa famille, aurait fait souche à Mazzer des Oulad Moussa ben Brahim.
Mais Mazzer est beaucoup plus ancien, et d’ailleurs on ne concevrait pas que sa très belle source ait pu jamais rester inutilisée.
La tradition mentionne une ancienne émigration des indigènes de Mazzer (Oulad Raho, Oulad Khalfallah), qui seraient allés s’établir au nord du Tafilalet, dans le district de Tissini (?) Petit détail, insignifiant en soi et qui ne vaudrait sans doute pas la peine d’être rapporté, s’il ne s’ajoutait à d’autres pour montrer les liens étroits, après tout, qui unissaient la Saoura au Maroc.
Les autres familles de Mazzer sont les Oulad Moussa ben Daoud, (venus de l’O. Draa) ; les Oulad Hamza et les Oulad Alla (venus des hauts du Guir).
Mazzer est un petit ksar d’autonomie précaire. Il a acheté la protection des Ouled Sliman (fraction Doui Menia) et il est entièrement dans leurs mains.
Voici un petit détail qui permet d’apprécier le degré de subordination des ksouriens de Mazzer vis-à-vis des nomades et des marabouts, voire même vis-à-vis de leurs voisins plus puissants les ksouriens d’Igli.
Les marabouts de Kerzaz ont dans l’oasis de Mazzer les droits d’irrigation suivants (proportionnels naturellement au nombre des palmiers irrigués),
| ⎰ ⎱ |
6 | bassins | en été. | |
| 14 | — | en hiver. | ||
| Les Glaoua ont droit à | ⎰ ⎱ |
2 | — | en été. |
| 3 | — | en hiver. | ||
| Les Oulad Moussa ben Daoud | ⎰ ⎱ |
1/2 | — | en été. |
| 1 | — | en hiver. | ||
| Les Oulad Hamza | ⎰ ⎱ |
1/2 | — | en été. |
| 1 | — | en hiver. |
Les marabouts de Kerzaz ont donc à Mazzer des droits de propriété qui sont à ceux d’une des quatre familles indigènes comme 20 est à 1 et demi.
On saisit là sur le fait et on peut exprimer en chiffres l’abjection de prolétaire ksourien dans sa propre palmeraie. Et notez qu’il s’agit de ksouriens libres et non pas de haratin.
Beni Abbès. — Il y a trois ksars dans l’oasis de Beni Abbès, l’un est celui des R’nanema, l’autre est habité par les haratin qui cultivent pour le compte des marabouts de Kerzaz les palmiers appartenant à la zaouia (la petite palmeraie d’Ouarourourt). Le troisième est celui des Abbabsa (indigènes libres de Beni Abbès). Cette simple énumération atteste que les Abbabsa ne sont pas les maîtres chez eux. Ils constituent pourtant un gros ksar qui a son histoire distincte et son autonomie.
Les Abbabsa, d’après les notes manuscrites aux archives de Beni Abbès se décomposent comme suit :
| Oulad Hamed | On ne nous donne de renseignements que sur leur antiquité relative. Ils ont précédé à Beni Abbès l’arrivée de la famille suivante. | |
| Oulad Ali ben Moussa | ||
| Oulad Raho | Viennent du ksar d’el Maïz à Figuig. Deux frères ont quitté en même temps le ksar, Ali ben Yahia, qui s’est fixé à Beni Abbès où il a fait souche des Oulad Raho — et X... qui s’est fixé à Charouin où il a fait souche d’une famille qui se donne le nom de Cheurfa. | |
| Oulad men la Ikhaf | Sont originaires du Sfalat (Tafilalet). Le premier d’entre eux qui se soit fixé à Beni Abbès est Si Mohammed ben Abdesselam, qui a fondé le ksar actuel il y a 150 ans ; car auparavant la population était répartie en 2 ksars. | |
| Ces quatre familles sont groupées en un rameau unique, sous le nom d’Oulad el Mehdi : elles ont vécu à part dans un ksar spécial jusqu’à la fondation du ksar actuel. Les Oulad el Mahdi sont originaires de la fraction des Oulad Noguir, tribu des Idersa, confédération Doui Menia. | ||
| Oulad el Kebir | ||
| Oulad Obéid | ||
| Oulad Saïd | ||
| Oulad Cherki |
L’aspect du terrain confirme ces renseignements généalogiques. Au-dessous du ksar des Haratin, on voit les ruines de celui qui fut habité autrefois par les Oulad et Mehdi ; au nord du ksar des R’nanema les ruines de celui qu’habitaient les Ouled Hamed, Ouled Ali ben Moussa et Ouled Raho. Ce sont les anciens habitants de ces ruines qui fusionnèrent il y a cent cinquante ans pour fonder le ksar actuel.
Tous les ksars, en ruines ou actuels, sont voisins et ont un air de parenté, ils sont groupés dans la palmeraie ou sur sa lisière, au pied de la gada de Si Mohammed ben Abbou. On appelle ainsi ce tronçon de hammada pliocène, libre de sable, qui s’allonge en feidj au milieu de l’erg, à l’est de Beni Abbès, et sur la tranche duquel sourdent les eaux qui alimentent la palmeraie. Le ksar plus ancien des Beni Hassen se dresse au contraire sur l’autre rive, la droite, au sommet d’une gara difficilement accessible loin de l’eau et des cultures, dans une situation défensive et dominatrice, qui évoque à elle seule une autre époque, d’autres conditions politiques et apparemment économiques. (Voir fig. 41.)
Les notes manuscrites anonymes aux archives de Beni Abbès nous renseignent sur ce qu’on pourrait appeler les relations diplomatiques des Abbabsa. La plupart des ksars de la Saoura avaient conclu avant l’occupation française des conventions avec les tribus voisines. Ces conventions étaient de deux sortes.
La tata était un pacte par lequel les parties contractantes s’engageaient mutuellement à réparer les dommages éventuellement causés par des individus appartenant à l’une ou l’autre partie. La tata ne comportait le paiement d’aucune redevance.
La khaoua était une convention par laquelle une fraction ou un homme influent accordait sa protection à une autre fraction plus faible, et ce moyennant le paiement d’une redevance qui portait le nom de mezrag.
Les Abbabsa avaient une tata avec les Aït bou Grara, des Aït Rebbach (Beraber). En 1894 ils en conclurent une avec un certain Taleb Brahim ou Addou, des Aït ou Menaçef (Beraber), qui habitait au Draa. Ils en avaient une autre avec les Ouled Ahmar des Idersa (Doui Menia) ; mais ceux-ci ne tinrent pas leurs engagements. Il est évident que ces tata conclues avec des Beraber avaient pour but d’assurer aux Abbabsa l’accès des marchés du Tafilalet.
Les notes manuscrites anonymes ne mentionnent pas de convention avec les R’nanema. Il faut bien qu’il y en ait eu cependant, et de portée politique bien plutôt que commerciale, puisque il y a dans l’oasis de Beni Abbès, un ksar de R’nanema. On nous dit que ce ksar a été construit il y a une vingtaine d’années par les Abbabsa eux-mêmes qui y appelèrent et y installèrent les R’nanema, à titre de protecteurs, parce que les Doui Menia menaçaient de détruire la séguia.
Les notes manuscrites nous font connaître d’une façon plus ou moins fragmentaire l’histoire moderne des Abbabsa ; c’est une histoire de petites guerres confuses avec tous les voisins.
Les grands ennemis sont les R’nanema, puisque les maîtres. Il y a quatre-vingts ans, les R’nanema construisirent sur la falaise un ksar qu’ils durent abandonner plus tard parce que l’approvisionnement en eau y était trop difficile. Pendant la durée de cette occupation, les Abbabsa enfermés chez eux tuaient tout R’nanema isolé et vice versa. Ils dépêchèrent en ambassade au sultan un certain Sliman ben Raho, grand-père du caïd actuel. Le sultan envoya 25 cavaliers makhzen sous les ordres du caïd Mohammed ben Sridi du Tafilalet. Cette démonstration suffit. Les makhzen laissèrent à Beni Abbès trois fusils de rempart qu’on a conservés et qu’on décore du nom de canons. Si Abdallah ben Abd er Rahman, chef de la zaouia de Kerzaz intervint entre Abbabsa et R’nanema et fit conclure la paix. Ceci devait se passer au voisinage de 1820. On sait que beaucoup plus tard les R’nanema en vinrent à leurs fins, puisque les Abbabsa durent provoquer l’établissement chez eux d’une sorte de garnison R’nanema.
Il y a une soixantaine d’années, d’après les notes manuscrites, c’est-à-dire, j’imagine, vers 1848 une caravane Doui Menia (fraction des Arib) fut pillée par les R’nanema à côté de Beni Abbès. En représailles une harka Arib et Doui Menia mit le siège devant Beni Abbès, elle ne put s’en emparer mais coupa 2400 palmiers au sud de la palmeraie actuelle dans la plaine d’Amama.
Les notes manuscrites mentionnent encore une guerre avec les Glaoua (gens d’Igli), beaucoup plus récente, et qui doit se placer vers 1890. Cette petite guerre est d’une curieuse mesquinerie municipale. A l’origine, expulsion d’un habitant par la djemaa de Beni Abbès, à propos d’une querelle de propriété. Le banni alla trouver les Glaoua, et sut les intéresser à sa cause, par un stratagème religieux qui doit être une survivance d’usages préislamiques (sacrifice rituel d’un mouton en un certain point du village)[157]. Les Glaoua traduisirent la djemaa des Beni Abbès devant le cadi, qui donna raison au demandeur. Le banni sollicita, pour obtenir l’exécution de la sentence, l’appui du caïd Alla, l’homme le plus puissant de la confédération R’nanema, et lui donna mille francs d’honoraires. Caïd Alla s’entremit, et échoua.
Alors les Glaoua vinrent assiéger Beni Abbès, avec un effectif d’auxiliaires que nous connaissons exactement : 50 habitants de Mazzer, 12 Doui Menia, 30 Beni Goumi, et quelques Ataouna (fraction R’nanema). Les Abbabsa achetèrent la retraite des nomades et battirent les ksouriens.
Les Glaoua repoussés font alliance avec les Ataouna et vont camper au sud de Beni Abbès pour attendre leur contingent. Caïd Alla intervient derechef, apparemment pour des raisons sonnantes et trébuchantes ; il ménage un compromis entre Abbabsa et Glaoua ; les premiers faisant aux seconds des promesses pécuniaires fallacieuses. Les Glaoua se retirent avant l’arrivée des Ataouna.
La fin de l’histoire fait défaut dans le manuscrit. On nous dit cependant que la guerre a duré deux ans ; et on nous donne la liste des morts et blessés de part et d’autre. — Morts deux Abbabsa et un Glaoua — blessés un Abbabsa et huit Glaoua. On ne nous dit pas la valeur de la propriété litigieuse, cause de tout le mal ; mais on ne se trompe assurément pas en l’affirmant minime. Le manuscrit nous donne en effet en chiffres précis le montant de la plus grosse fortune privée à Beni Abbès, celle du caïd Mouley Ahmed ben Sliman : il possède exactement une vache, sept moutons demman, un âne, et 610 palmiers.
On a les meilleures raisons du monde évidemment de dénier tout intérêt au récit minutieux de cette guerre municipale. Il m’a semblé qu’il jetait un jour sur la vie des ksouriens, et qu’il délimitait le cercle étroit de leurs haines et de leurs préoccupations : c’est un admirable exemple d’anarchie, et d’impuissance à résoudre la moindre difficulté sociale : la façon même de conduire la guerre, cet enchevêtrement de négociations, de pots-de-vin, et de batailles prudentes, tout cela est curieux, et rappelle tout à fait ce qu’on nous raconte des guerres civiles marocaines.
Les guerres auxquelles Beni Abbès a été directement intéressé ne sont pas les seules dont elle ait subi les ravages dans le courant du XIXe siècle. Le territoire de Beni Abbès a été le théâtre de batailles entre Doui Menia et R’nanema en 1882 et 1885. La harka de 1894, dirigée par les Marocains contre les R’nanema, a copieusement dévalisé au passage les Abbabsa. De l’insécurité chronique la plaine d’Amama, au sud de l’oasis, porte témoignage. Les 2400 palmiers que les Doui Menia ont coupé n’ont jamais repoussé. C’est aujourd’hui une nebka improductive.
L’histoire de Beni Abbès est particulièrement bien connue, parce que le poste français s’y est installé ; mais c’est un assez bon type moyen de grande oasis autonome. Elle a ses limites territoriales nettement fixées, du côté de Mazzer c’est Guetibat Slama, du côté de Tametert c’est Merhouma. Il est vrai qu’en deçà de ces frontières les Abbabsa ne sont que relativement leurs propres maîtres.
Beni Ikhlef. — Les notes manuscrites nous donnent une bonne monographie de Beni Ikhlef.
L’oasis située entre Guerzim et Kerzaz, contient trois ksars et une zaouia. Ce sont Ksar el Kebir, Ksar Menaceria, Ksar Haouch ou Kodia ; Zaouia de Si Abdallah ben Cheikh, branche de l’ordre de Guerzim. Ces quatre villages, d’ailleurs tout voisins, et renfermés dans l’enceinte de la même palmeraie, forment l’agglomération de Beni Ikhlef, dont l’ethnique est Khalfaoua. Les Khalfaoua se subdivisent eux-mêmes comme suit :
| Ouled Ahmar, originaires du sahel marocain, tribu des Oulad Délim. | |||
| Ksar el Kébir | Ouled Mellouk, descendants des Beni Hassen les premiers occupants de la Saoura. | ||
| Ouled Abdallah, sortis des Beni Mohammed, qui habitent actuellement les ksour du district d’es Sifa dans le Tafilalet. | |||
| Ouled el Abbès, sortis eux aussi des Beni Mohammed. | |||
| Ksar Menaceria | Ouled ben Ahmed, — — | ||
| Ouled Abd el Malek, — — | |||
| Ksar Haouch ou Kodia | El Kodia, originaires de Zaouia el Cadi, district d’Oued Ifli (Tafilalet). | ||
| Ouled Abdallah, déjà mentionnés comme sortis des Beni Mohammed. | |||
Sur l’ordre chronologique dans lequel se sont fixées au pays ces différentes fractions, on nous donne quelques renseignements sommaires. Ici comme partout dans la Saoura les Beni Hassen (Oulad Mellouk) ont précédé tous les autres. Les Beni Mohammed, qui sont venus ensuite, passent pour avoir acheté aux Beni Hassen les terres qu’ils occupèrent à Beni Ikhlef.
A cette époque les Khalfaoua habitaient des ksars situés à l’ouest des actuels, et dont on voit les ruines.
L’histoire moderne des Khalfaoua sommairement racontée est beaucoup plus brillante que celle des Abbabsa.
Il y a soixante ans, il est vrai, c’est-à-dire vers 1840, à la suite d’une querelle pendant la diffa, une harka de Beraber Aït Atta, en route pour le Touat prit d’assaut les ksars de Beni Ikhlef.
Mais il y a quarante ans (1860 ?) les Khalfaoua ont enregistré des victoires sur les Doui Menia, à la suite d’une longue guerre. Ils ont battu les maghzen du sultan en 1891, les Ouled Djérir en 1893 ; la grande harka de 1894 n’est pas venue jusqu’à eux. Ils passent pour fiers, indépendants et braves ; leur réputation militaire est bien supérieure à celle des autres ksouriens et leur autonomie est bien plus effective.
A cette supériorité leur origine ethnique n’est peut-être pas tout à fait étrangère. On a vu qu’ils sont tous issus de tribus marocaines ; ce n’est pas une circonstance indifférente, dans un pays où l’on verra, au cours de cette étude, avec une évidence croissante que toutes les invasions pacifiques ou guerrières, depuis quatre ou cinq siècles, attestent une « poussée vers l’Est ». Je ne sais pas si on signale sur un autre point de la Saoura, des fractions qui se rattachent, ou prétendent se rattacher aux vieux Beni Hassen vénérés.
Mais surtout il faut insister sur la situation géographique de Khalfaoua. Ils sont encastrés entre Guerzim au nord (limite précise au jardin de Debibina) — et Kerzaz au sud, ou plus exactement Zaouia Kebira (limite précise au lieu dit Tagherdaia). C’est-à-dire qu’ils s’appuient de part et d’autre sur deux zaouias très respectées et très puissantes ; et ils ont apparemment avec elles des relations d’étroite amitié, puisqu’un de leurs quatre villages est une zaouia. Ils font donc partie de ce bloc monastique de la Saoura, qui partage avec les R’nanema la suprématie politique.
De quelque façon qu’on l’explique, le fait incontestable est que ce sont des Ksouriens exceptionnels, leur part d’autonomie, de dignité nationale, et de prospérité matérielle, est très supérieure à la moyenne ; ce sont pourtant des Ksouriens purs, tout à fait étrangers au nomadisme.
Agdal. — Ceux d’Agdal sont à l’autre bout de l’échelle. C’est un tout petit ksar entre celui d’Anefid au nord, et celui d’el Beïada au sud. Les habitants se décomposent comme suit :
| Ouled ben Hamida | Descendent de Bel Kacem ben Abd er Rahman, de la fraction des Gouassim, tribu des Angad (près d’Oudjda). |
| Ouled Aïssa | Un frère a fondé une famille apparentée à Tar’it, un autre au Timmi. |
| Ouled el Mir | ? |
| Ghouaba | Origine inconnue ; s’étaient d’abord fixés à Guerzim. |
Le petit ksar d’Agdal est trop faible pour avoir jamais eu autre chose qu’un semblant d’autonomie ; il a toujours été pillé par tout le monde ; il est d’ailleurs situé sur le territoire des R’nanema, et entièrement à leur discrétion.
Tous ces détails monographiques, encore que fragmentaires et incohérents, me paraissent intéressants en ce qu’ils précisent la physionomie du Ksourien, j’entends du Ksourien libre, Berbère ou Arabe, la question des Haratin restant complètement réservée.
Les généalogies établissent qu’il y a parité d’origine avouée chez les Ksouriens et chez les R’nanema nomades. Tous ces tableaux se ressemblent, non seulement les nomades ne constituent pas une caste à part, mais ils n’ont même pas la prétention d’en constituer une.
Quoiqu’il y ait entre Ksouriens de grandes différences de degré dans la sujétion et dans la misère (par exemple entre Beni Ikhlef et Agdal), il est clair que dans l’ensemble la classe tout entière est humble et méprisée.
Si on cherche la caractéristique essentielle du Ksourien, il semble bien, ici comme ailleurs, que ce soit sa pauvreté. Il est propriétaire sans doute, il possède sa maison et quelques palmiers ; mais il lui manque les bêtes, les troupeaux de chameaux et les chevaux, c’est-à-dire les moyens de transport. On n’accepte d’être Ksourien que parce qu’on n’a pas de quoi être nomade. Dans le centre de Géryville, depuis que l’occupation française, en apportant la sécurité, a déterminé l’enrichissement progressif et général de la population, on a vu les ksars se vider et tomber en ruines[158]. Ici comme ailleurs les différences de condition sont en définitive pécuniaires. Les Ksouriens sont des prolétaires, ou, si l’on veut, des bourgeois au sens ancien, étymologique du mot ; et d’ailleurs un ksar est très exactement un village fortifié, c’est-à-dire un bourg.
Il est probable que, ici plus qu’ailleurs, la misère a des conséquences physiologiques, et que les Ksouriens tendent en conséquence à devenir une race différenciée. Au Sahara, on l’a mis en lumière depuis longtemps, la race blanche ne vit pas impunément à l’ombre des palmiers ; sous l’influence du paludisme les enfants métis ont chance de survie dans la mesure où ils ont du sang noir, et la race se négrifie. Il me semble qu’il est souvent difficile de distinguer d’un Haratin un soi-disant Ksourien blanc.
Pas de renseignements détaillés, en tout cas pas de monographie sur les Ksars de la basse Saoura, en aval de Kerzaz. Et nous connaissons encore plus mal les ksars à l’ouest de la Saoura, Ougarta, Zeramra, Tabelbalet.
| E.-F. Gautier. — Sahara Algérien. | Pl. XXXVI. |
Cliché Gautier
67. — KSAR DE ZERAMRA ; tout petit, on le voit tout entier.
A droite, la Koubba de la photographie 68 (fagots contre le mur).
Cliché Gautier
68. — A ZERAMRA, KOUBBA DU SAINT QUI GARDE LE BOIS A BRÛLER.
On voit des fagots et des souches appuyés au mur.
Ougarta et Zeramra sont au pied de la chaîne d’Ougarta, au contact des grès éodévoniens et des couches mésodévoniennes. Ce contact est aquifère ; les deux palmeraies sont alimentées par de petites sources. Elles le sont maigrement, et les deux ksars sont de bien petites agglomérations humaines. La photographie de Zeramra en rend déjà sensible l’exiguïté, dont les chiffres du recensement permettent de se rendre un compte précis. Zeramra a 50 habitants dont 9 hommes adultes. (Voir pl. XXXVI, phot. 67.)
Ces noms de Zeramra et d’Ougarta qui sont d’usage courant et que les cartes ont fixés, ne sont pourtant que des déformations arabes des véritables noms Berbères, encore en usage et qui sont respectivement Mezremour et Ouggart. Ce dernier d’ailleurs est le même que le nom beaucoup plus connu de Touggourt.
Je ne sais pas si cette coexistence du nom berbère et du nom arabe implique la persistance d’un dialecte berbère dans ces deux petits ksars. En tout cas elle semble indiquer une arabisation plus tardive et plus imparfaite.
Ougarta et Zeramra sont en effet à une assez faible distance de la Saoura, une quarantaine de kilomètres, mais ce sont des kilomètres de reg nu, et qui suffisent à les isoler beaucoup. Ils sont en dehors des routes habituelles, nos patrouilles y sont venues tard et rarement. On s’étonne que des agglomérations aussi faibles aient pu subsister dans une situation aussi dangereuse, aussi en l’air, sur une frontière aussi peu sûre que la marocaine.
Ça n’a été possible naturellement qu’à force d’humilité et de ménagements vis-à-vis des deux partis. Zeramra et Ougarta ne savent pas qui ils doivent redouter le plus des Beraber ou de nous et se comportent en conséquence.
A fortiori peut-on en dire autant de Tabelbalet qui est beaucoup plus éloigné, et sur lequel nos renseignements sont très lacunaires.
On sait que l’oasis contient trois ksars, et qu’elle est importante ; qu’il y existe une petite zaouia.
On se rend assez bien compte des conditions de la culture. La nappe d’eau est à fleur de sol, dans les hauts de cet oued Tabelbalet, qu’on suit tout le long de l’erg er Raoui.
A Ougarta, où la prononciation a chance d’être plus correcte qu’à Beni Abbès, on prononce Belbala, par suppression des T initial et final — de même qu’on dit indifféremment au lieu de Tafilalet, Tafilala, d’où on tire l’adjectif filali. Et que les noms d’origine berbère soient restés ainsi un mot vivant, séparable en ses éléments grammaticaux, on serait tenté de croire que cela suppose chez les indigènes une familiarité avec la grammaire berbère.
Pourtant on vient d’apprendre, d’une façon incontestable, que l’idiome propre de Tabelbalet est entièrement original, il n’est ni arabe ni berbère ! L’assertion est tellement extraordinaire qu’on se hâte de la placer sous la haute autorité de M. R. Basset. L’éminent arabisant et berbérisant a entre les mains un vocabulaire de Tabelbalet, recueilli par un officier. Il n’a pas encore eu le temps d’en faire une étude détaillée ; mais il croit avoir affaire à un sabir où les mots sonr’aï sont particulièrement nombreux. Cet îlot de langue soudanaise à proximité du Maroc est inattendu, quoiqu’on ait déjà signalé au Touat un sabir analogue. Il semble, il est vrai, que Tabelbalet, aujourd’hui en pleine décadence, ait été un grand marché d’esclaves ou un relais important de négrier. Il jalonne aujourd’hui, comme point stratégique important, la route du Tafilalet au Touat celle des rezzous et des harkas. L’oasis est d’ailleurs sous le patronage des Aït R’ebbach. Les bandes de Beraber qui à différentes reprises sont venues nous inquiéter aux oasis y ont toutes fait étape ; depuis la première qui a donné l’assaut à Timmimoun jusqu’à la dernière, qui a enlevé les chameaux au pâturage d’Haci R’zel et qui a été surprise au retour par le maghzen de Beni Abbès à Noukhila, dans l’oued Tabelbalet. Nous hésitons à fermer aux razzias cette porte d’entrée en occupant l’oasis, parce que si près du Tafilalet on craint apparemment d’être entraîné plus loin qu’on ne le voudrait ; et ici donc, sur un petit point, nous saisissons sur le fait ce que les frontières entre pays organisés et pays barbares ont de nécessairement phagédéniques.
Les précieuses notes manuscrites, au poste de Beni Abbès, ne contiennent pas d’étude sur l’organisation politique et municipale.
On se rend compte seulement que les ksars ont une organisation démocratique, la djemaa y concentre l’autorité. Chez les nomades au contraire, et dans les zaouias, la plus grande part d’autorité revient en pratique à des familles ou à des personnages influents.
Les notes manuscrites nous apprennent qu’il y a dans chaque ksar un impôt et un seul ; celui qui doit permettre de subvenir aux besoins des hôtes et des pauvres. Dans ce but tout individu valide doit fournir une guessaa d’orge et quelques poignées de blé ; les propriétaires de palmiers doivent une mesure déterminée de dattes par groupes de cent palmiers (cette unité d’imposition — les cent palmiers — porte le nom de mezrag). Il y a dans chaque ksar une chambre commune où on emmagasine le produit de cet impôt en nature pour y puiser le jour du besoin.
Auprès du ksar de Zeramra se dresse un tombeau de saint, aux murailles duquel sont accotés des fagots. C’est la provision de bois individuelle des habitants ; chacun y dépose la sienne parce qu’elle y est en parfaite sécurité ; nul n’oserait en dérober un brin ; elle est protégée efficacement par la crainte de ce saint particulier ; car ce ne sont pas tous les saints en général qui ont le privilège de veiller sur le bois à brûler. (Voir pl. XXXVI, phot. 67 et 68.)
Voilà donc un pays où la police est exercée par un tombeau, et où le seul service public organisé est celui de l’assistance publique. Ce sont deux détails charmants et touchants, et qui évoquent une Salente. Si d’une vieille société défunte, dans quelques lignes de fastes dépareillés, ces deux seules institutions avaient survécu, et qu’on voulût à l’aide de ces fossiles uniques reconstituer tout le corps social, on serait conduit à imaginer un peuple idéalement doux et heureux, incarnation d’un rêve philanthropique. Elles font partie intégrante de la société la plus violente et la plus misérable qui soit.
A Ougarta, les ksouriens invités à augmenter le débit de leurs sources par un récurage facile, et dont ils reconnaissaient l’urgence, suppliaient qu’on leur en donnât l’ordre, dût-on même n’en pas surveiller l’exécution ; n’y ayant pas chez eux d’autorité d’où pût émaner cette chose qui nous paraît si simple, un ordre administratif. Curieux exemple d’imbécillité, d’aboulie sociale.
Les notes manuscrites donnent de curieux détails sur l’irrigation à Beni Abbès, c’est-à-dire sur l’organisation de ce qui est la base unique de la vie économique.
La grande source a un débit de 15 à 18 litres à la seconde ; il faut y ajouter le débit, insignifiant il est vrai, de neuf petites foggaras.
Cette masse d’eau est divisée en 41 parts, chacune d’un jour ou d’une nuit. Ce nombre étant impair, ceux qui à la première tournée ont eu l’eau de jour se trouvent à la seconde l’avoir de nuit et vice versa.
Chaque part d’arrosage (journée ou nuit) est divisée en cinq redjala (pluriel de radjel). — Et chaque radjel est divisé lui-même en soixante habbas.
Prix courant du radjel : 200 francs ; de la habba : 3 fr. 33.
Il existe un répartiteur, qui s’appelle habbar, et qui est établi près de la mosquée. Il mesure le temps au moyen du vase de cuivre percé d’un trou qui est d’un usage courant à Figuig et ailleurs sous le nom de karrouba, et qui porte ici le nom de tsirira, un sablier d’eau, à cela près que l’eau entre goutte à goutte dans le récipient tandis que le sable fuit grain à grain de notre sablier. La tsirira est un bateau troué qu’on fait flotter sur un baquet et qui coule en un temps donné. En été on compte 18 tsirira de jour et 13 de nuit. En hiver c’est l’inverse. La tsirira s’emplit donc 31 fois en vingt-quatre heures, ce qui fait l’unité de temps équivalente à 46 minutes 27 secondes.
Le répartiteur chargé de la tsirira réunit par la partie supérieure autant de feuilles de palmier qu’il y a de propriétaires ayant droit à l’eau dans la journée ou dans la nuit, et à chaque tsirira il fait un nœud à une feuille. Dès qu’il y a à la feuille autant de nœuds qu’il revient de tsiriras au propriétaire, le successeur de celui-ci, qui assiste à l’opération, sort en courant du ksar et crie à son métayer ou à son esclave, posté dans le jardin, d’y mettre l’eau.
La plus grande latitude est laissée aux propriétaires pour se céder la totalité ou une partie de leur eau, ou pour changer de tour de répartition.
La source étant située à quinze cents mètres environ de Beni Abbès l’eau est amenée au moyen d’une séguia (canal à ciel ouvert). La séguia vient-elle à se rompre hommes et femmes se précipitent pour le réparer sur l’ordre de la djemaa. S’il y a dépense on la répartit au prorata des droits de chacun.
Dans l’organisation vermoulue des oasis, la réglementation traditionnelle de l’irrigation est apparemment ce qu’il y a de plus solide et de plus respecté.
D’après Demontès[159] on a recensé dans l’annexe de Beni Abbès 6469 habitants. Toute cette population parle arabe, exclusivement, à partir de Beni Abbès, encore bien que les noms des ksars attestent un vieux fonds berbère (Tametert, Timr’arin, etc.). Le long de l’oued quand on vient du nord Mazzer est le dernier ksar où le berbère se soit conservé.
[138]Flamand, Aperçu général sur la géologie, etc., du bassin de l’oued Saoura. Extrait des Documents pour servir à l’étude du Nord-Ouest Africain, par Lamartinière et Lacroix, p. 37, etc.
[139]Voir carte Prudhomme. La montagne de sel a été vue, je crois, par M. le capitaine Dinaux.
[140]Notons cependant l’existence, dans le laboratoire de géologie de la Sorbonne, de clyménies envoyées par M. le lieutenant Bavière ; elles proviennent, sauf erreur peu vraisemblable d’étiquette, de deux points appelés Bou Maoud et Dkhissa, qu’on trouvera sur la carte à l’intérieur de la chaîne. La présence en ces deux points du dévonien supérieur est donc à peu près certaine. Ces clyménies, d’après M. Haug, n’appartiennent pas au même étage que celles de Beni Abbès. Il est évident que la chaîne d’Ougarta apparaîtra beaucoup moins simple à mesure qu’on la connaîtra mieux.
[141]Est-ce un mot berbère ? faut-il le rapprocher du mot arabe qui signifie noir ? la chaîne noire de Tabelbalet ? la première hypothèse est de beaucoup la plus vraisemblable.
[142]A proximité de Beni Abbès, il y a là une question assez simple qui pourrait tenter un officier du poste.
[143]M. le lieutenant Bavière a envoyé à la Sorbonne des clyménies qui proviennent, sauf erreur, d’Ougarta et de Zeramra. La présence en ces points du dévonien supérieur n’a certainement rien de surprenant. Mais ces gisements de clyménies, que je n’ai pas vus, sont nécessairement distincts des gisements à orthocères. Les schistes marneux et les calcaires dans la sebkha d’Ougarta me paraissent au contraire très susceptibles, d’après le facies, de contenir des clyménies, quoique je n’en ai pas trouvé une seule.
[144]Voir Ém. Haug, Sur deux horizons à Céphalopodes du Dévonien supérieur dans le Sahara Oranais (C. R. Ac. Sc., 6 juillet 1903).
[145]Haci Touil signifie « le puits profond ».
[146]Voir appendice VII (analyse du minerai).
[147]Voir appendice III.
[148]Notes manuscrites qui m’ont été communiquées au poste de Beni Abbès par M. le capitaine Martin.
[149]Communication orale du Père de Foucault, le célèbre voyageur au Maroc.
[150]On sait que Nazaréen est la traduction littérale de Nsara.
[151]Faidherbe, Langues sénégalaises, wolof, arabe, hassania, etc. Paris, 1887.
[152]Les Touaregs du Niger portent ce nom de Gourdana ; ce sont, je crois, les nègres qui le leur donnent en langue Sonr’aï. Y a-t-il là autre chose qu’une simple coïncidence ?
[153]Bulletin du Comité de l’Afrique française, supplément du 15 janvier 1905.
[154]Voir là-dessus : Doutté, La Géographie, 1903, I, p. 185 et suiv.
[155]Depont et Coppollani, Les Confréries religieuses musulmanes, p. 501.
[156]Bulletin de la Société de Géographie d’Alger, 1904, p. 331.
[157]De Foucault mentionne un usage analogue. « La debiha est l’acte par lequel on se place sous la protection perpétuelle d’un homme ou d’une tribu. Cette expression a pour origine l’ancien usage, qui n’est suivi aujourd’hui qu’en circonstances graves, d’immoler un mouton sur le seuil de l’homme à qui on demande son patronage. » (De Foucault, p. 130 ; voir aussi Bulletin du Comité de l’Afr. fr., suppl. de janvier 1905, p. 20.)
[158]Communication orale du capitaine Martin, commandant l’annexe de Beni Abbès, jadis officier de bureau arabe chez les Trafi. On trouvera d’ailleurs l’idée développée dans : Bernard et Lacroix, Évolution du Nomadisme.
[159]Bulletin du Comité de l’Afrique française, janvier 1903, p. 12.
CHAPITRE VI
Le Touat, le Gourara et le Tidikelt forment un complexe d’oasis, dont l’unité géographique est incontestable, et qui pourtant n’a pas d’appellation commune. Il en a bien une dans l’usage courant, il est vrai, celle de Touat ; mais on ne peut pas s’en contenter, puisque le nom de Touat, dans son sens restreint et précis, le seul adéquat, s’applique seulement à une des trois provinces.
M. Flamand a cherché a combler cette lacune d’onomastique avec le néologisme improvisé d’archipel Touatien du Sahara.
Le Touat (lato sensu), et l’on pourrait dire aussi « le groupe occidental » s’oppose au groupe oriental d’Ouargla. L’un se rapporte à l’oued Igargar, et l’autre à l’oued Messaoud : l’un a des puits artésiens et l’autre des foggaras. Les oasis du groupe Touatien, d’ailleurs, se continuent toutes les unes les autres en « rue de palmiers », vivant dans une certaine mesure d’une vie commune. A quelques restrictions près, elles s’abreuvent à la même nappe d’eau, celle qui sourd à la base du Tadmaït dans les grès Albiens ; toutes les oasis en effet depuis el Goléa jusqu’à In Salah, en passant par Timmimoun et Adr’ar, jalonnent fidèlement en un immense demi-cercle le pied de la falaise terminale du Tadmaït.
Cela n’empêche pas que les trois provinces ont un nom et une individualité distincts. Le Tidikelt en particulier doit être étudié à part pour des raisons à la fois géologiques et ethnographiques. Le Touat et le Gourara, en revanche, se pénètrent assez mutuellement pour qu’il y ait intérêt à les rapprocher dans une étude commune.
Géologie du Gourara.
Le Gourara, comme la Saoura, et d’ailleurs comme le Touat, est essentiellement une pénéplaine primaire, entrevue à travers les déchirures d’un placage horizontal de terrains plus récents. Ces derniers sont crétacés et mio-pliocènes.
Terrains crétacés. — Les terrains crétacés du Gourara sont bien et anciennement connus. Leur âge est déterminé par les fossiles abondants d’el Goléa ; on retrouve ces fossiles d’ailleurs tout le long de la grande falaise calcaire, qui borde le Gourara au sud et que les indigènes appellent le Baten ; cette falaise est le dernier ou, si l’on préfère, le premier étage des plateaux calcaires du Tadmaït ; elle est turonienne.
Ces calcaires turoniens reposent directement et en concordance sur des marnes ou des argiles gypseuses (cénomaniennes ?), qui reposent elles-mêmes sur des grès à sphéroïdes. Cette formation ne contient d’autres fossiles que des arbres silicifiés en abondance ; il n’a jamais été fait une étude quelconque de ces fossiles végétaux ; mais les grès à sphéroïdes, autrement dits à dragées, contenant des arbres silicifiés, sont bien connus dans le sud de l’Algérie.
On les a signalés à Beni Ounif, ils sont très développés dans la chaîne des Ksour, au djebel Amour, à Djelfa, où ils ont été bien étudiés par Ritter, et où ils sont incontestablement d’âge albien[161]. La parité de facies n’implique pas nécessairement celle de l’âge : notons pourtant que partout, au Grouz, à Djelfa, au Gourara, la succession et la puissance des trois étages est la même : grès albiens, argiles gypseuses cénomaniennes (?), calcaires turoniens, avec une puissance totale de 100 à 150 mètres. Sur la route suivie par la mission Foureau, au Djoua, une formation gréseuse et argileuse à lits de gypse a livré des ossements fossiles de poissons ; M. Haug lui attribue un âge albien et un caractère lagunaire[162].
L’attribution de nos grès à l’albien reste pourtant incertaine ; cette formation dépourvue de fossiles marins, et qui renferme en revanche de gros troncs d’arbres, est probablement continentale ; l’uniformité du facies est assez remarquable, elle n’est pas absolue pourtant, il y a des intercalations argileuses, des poudingues d’un type très aberrant (falaises de Taourirt par exemple) ; cette formation peut représenter des dépôts continentaux d’âges très divers.
Dans l’Atlas les grès albiens ne sont pas le moins du monde le terme inférieur de la série crétacée. Ils reposent sur des assises infra-crétacées à fossiles marins, calcaires urgo-aptiens, grès et calcaires néocomiens. Ces étages font certainement défaut au Gourara et dans tout le Sahara ; partout où le contact est visible, c’est-à-dire en un grand nombre de points, on constate que les grès albiens reposent directement sur le substratum primaire. Ici donc comme à Colomb-Béchar nous constatons la transgression cénomanienne.
Tertiaire. — Nous retrouvons ici le Mio-Pliocène (?) avec ses caractéristiques habituelles (base plus ou moins sableuse et chapeau calcaire). Il joue vraisemblablement un rôle important dans le Gourara septentrional, que je n’ai pas vu (les oasis éparses dans l’erg au nord de la sebkha). Depuis Ksabi on le suit jusqu’à Charouin, en ce dernier point il est couronné par une croûte calcaire épaisse d’un mètre, au-dessous de laquelle on distingue dans la falaise (très masquée d’éboulis) une formation gréso-argileuse en feuillets minces, très chargée de gypse.
Là se place la limite méridionale du Mio-Pliocène, au sud de la sebkha on ne le revoit plus, sauf en lambeaux insignifiants ; on ne le retrouvera plus, en tant que grande formation continue et puissante, ni au Touat, ni au Tidikelt, ni au Sahara central. Ces couches, bien caractérisées en somme, que nous avons appelées mio-pliocènes (terrain saharien de Pomel, terrain des gour de Flamand), restent collées à l’Atlas, elles représentent manifestement l’amas de ses déjections, depuis qu’il a commencé à surgir, à l’époque oligocène.
Et il va sans dire qu’on retrouve ailleurs, dans tout le Sahara, des dépôts continentaux susceptibles d’être fort anciens, tertiaires, mais ils sont extrêmement loin d’avoir cette masse énorme, et cette uniformité de facies, qui donnent au Mio-Pliocène subatlique une sorte d’individualité.
Le Gourara est une région déprimée, le point le plus bas entre l’Atlas au nord et le Tadmaït au sud. — C’est la cuvette allongée, ouverte à l’ouest, vers laquelle convergaient tous les oueds quaternaires de l’Atlas (oued Namous, oued R’arbi) et du Tadmaït (oued Aflissès). Il y a apparence que ces oueds, venus de tous les points de l’horizon, se réunissaient ici en une grande artère, affluent de la Saoura. Il est certain, en tout cas, qu’on les voit se réunir dans la sebkha de Timimoun, étirée vers le S.-O. sur 80 kilomètres de long.
L’érosion de ce grand réseau a largement mis à nu le sol de la pénéplaine primaire.
Il court une large bande primaire, somme toute, entre les palmeraies du nord qui doivent leurs eaux aux couches tertiaires, et les palmeraies du sud qui doivent la leur aux couches crétacées.
Malheureusement, cette bande primaire est souvent voilée par des dunes, des dépôts quaternaires, des témoins tertiaires ou crétacés ; et par surcroît, là même où elle affleure elle est bien loin d’avoir été étudiée d’une façon suffisante.
La série des étages primaires semble très complète depuis le Dévonien.
Dévonien inférieur. — Du Dévonien inférieur on n’a pas rapporté de fossiles. Mais on a de bonnes raisons stratigraphiques pour rapporter à cet étage les grès blancs à patine noire dont le facies rappelle ceux d’Ougarta et du Mouidir.
Dans la région qui nous occupe, ces grès ne tiennent plus qu’une place subordonnée. Au delà de Foum el Kheneg, la chaîne d’Ougarta se continue par des débris ennoyés. A Ksabi, les grès éodévoniens ne constituent plus qu’une arête de 500 mètres d’épaisseur et de 50 mètres de relief.
Entre Ksabi et Timimoum on revoit les grès éodévoniens une première fois à la Gara Zaleg (et au sud de cette Gara), une seconde fois à mi-chemin entre Tesfaout et Timimoun.
Ces deux fois l’Éodévonien affleure au cœur d’un anticlinal hercynien.
En somme, l’Éodévonien ne s’étale plus largement, il est masqué presque partout par des couches moins anciennes.
Dévonien moyen. — La présence du Dévonien moyen est constatée authentiquement dans la région étudiée. Il est représenté par des calcaires amarantes qui contiennent de nombreux fossiles, entre autres Calceola sandalina.
Les premiers échantillons rapportés par M. le commandant Laquières ont été recueillis « à trois heures de marche avant d’arriver à Charouïn par le sud (route des Ouled Rached), dans un fond pierreux de 3 kilomètres de largeur[163] ». Mes propres échantillons proviennent d’un point voisin, mais que je ne crois pas rigoureusement identique ; j’y reviendrai.
Sur la route entre Fgagira et Charouïn (à 10 kilomètres du premier point) on rencontre d’autres calcaires amarantes, d’aspect analogue à ceux dont il vient d’être question. Ils ne contiennent pas à ma connaissance Calceola sandalina ; je n’y ai trouvé que des Orthocères indéterminables et des Zaphrentis. Leur position stratigraphique permet de croire qu’ils représentent un autre affleurement de Dévonien moyen.
Dévonien supérieur. — On connaît dans la région considérée au moins deux gisements du Dévonien supérieur. — A Fgagira, les fossiles se trouvent dans des calcaires en bancs minces intercalés dans des bancs d’argiles beaucoup plus puissants.
Au sud de Charouïn, route d’Ouled Rached, la formation est constituée à la base par du calcaire violacé très compact, et au-dessus par des schistes mous en minces feuillets rougeâtres.
Les deux gisements ne sont pas contemporains ; tous deux sont du Dévonien supérieur, mais celui de Charouïn représente « un niveau incontestablement plus élevé ». « Le niveau est probablement le même qu’à Beni Abbès » et l’aspect pétrographique du gisement présente en effet de l’analogie (malgré l’énorme distance entre les deux).
Charouïn représente l’étage à Clyménies et Fgagira la « zone à Gephyroceras intumescens ». Ce sont « deux niveaux fossilifères du Dévonien supérieur, nettement dessinés par des faunes riches et caractéristiques. Leurs affinités paléontologiques avec les couches du même âge de l’Allemagne centrale sont tout à fait remarquables et accentuent encore le caractère « hercynien » ou mieux « armorico-varisque » des chaînes paléozoïques du Sahara septentrional[164] ».
Les Ktoub. — Ces formations du Dévonien moyen et supérieur tiennent en superficie un espace bien restreint. La roche la plus répandue de beaucoup est malheureusement d’un âge difficile à préciser.
Ce sont des schistes feuilletés passant à des grès en plaquettes, de couleur sombre, dans les tons violet noir. Les indigènes les appellent ktoub (feuillets de livre) et les redoutent pour les pieds de leurs chameaux, que les ktoub sont susceptibles de couper comme au couteau.
Ces schistes ne sont pas tout à fait dépourvus de fossiles. Sur la route de Tesfaout à Timimoun, à quinze kilomètres environ de ce dernier point (rive occidentale de la Sebkha), j’ai trouvé dans les schistes, à proximité d’une lentille calcaire, un Céphalopode que M. Henri Douvillé et M. Haug ont vu et qui est une goniatite indéterminée.
Sur la rive orientale de la sebkha (route de Timimoun à Deldoul), le commandant Deleuze a recueilli des échantillons de grès en plaquettes, couverts de Leptæna (M. Haug ne croit pas pouvoir préciser l’étage).
Enfin, M. Chudeau a recueilli quelques fossiles, qui ne sont pas encore parvenus en Europe.
Tout cela n’est pas concluant, je crois.
D’autre part, à Fgagira, on voit les ktoub reposer directement, et, à ce qu’il semble en concordance sur les couches à Gephyroceras. Dans la sebkha de Timimoun (comme aussi au Touat), on voit aussi le calcaire carboniférien reposer directement sur les ktoub. Et ceci permettrait de conclure assez légitimement à l’âge dévonien supérieur des Ktoub.
Pourtant, dans le gisement dévonien moyen (ou présumé tel), à 10 kilomètres est de Fgagira, des ktoub bien nets sont intercalés entre les bancs calcaires. D’autre part le Silurien supérieur au Sahara, on le verra, est probablement représenté par des ktoub à graptolites. Il semble donc que cette formation, quoique d’aspect assez homogène, ne soit pas nécessairement synchronique.
Comme il faut conclure, on a attribué les ktoub, sur la carte, au Dévonien supérieur, partout où il y avait doute sur leur âge. Mais naturellement la question reste entière.
Ajoutons, pour être complets, qu’un forage pratiqué dans la palmeraie de l’Aouguerout a ramené au jour, d’une faible profondeur (une dizaine de mètres)[165] un fossile, que M. Chudeau croit dévonien, sans pouvoir préciser l’étage.
Carbonifère. — Des calcaires carbonifères riches en fossiles se montrent dans le nord du Gourara, à la lisière des dunes.
Sur la route de Ksabi à Charouïn par H. Mallem, à 20 kilomètres de Ksabi, le sentier traverse des calcaires bleu sombre et amarante, fossilifères, plongeant légèrement à l’est. M. Haug les croit carbonifériens.
C’est dans l’angle nord-est de la sebkha de Timimoun que le Carboniférien est le plus largement étalé.
Dans la sebkha même, exactement à la hauteur de Timimoun, on voit reposer sur les ktoub, d’abord des calcaires bleus fossilifères, puis des marnes contenant beaucoup de fossiles libres.
Dans l’erg au nord de la sebkha, à Tala, Kali, Ouled Saïd, el Hadj Guelman on retrouve le calcaire bleu fossilifère à Productus.
A noter que le Carboniférien peut être aussi développé au sud de la sebkha qu’au nord.
En effet à Timimoun même, au-dessous du ksar, et par conséquent au sud de la Sebkha, on voit le Carboniférien s’enfoncer sous le Crétacé.
L’allure des plissements hercyniens. — Ces formations primaires sont affectées de plis hercyniens sur la direction desquels on a le droit d’être assez affirmatif.
Fig. 42. — Coupe du synclinal de Fgagira. — Échelle : 1/300000.
(Bull. Soc. géol. Fr., 4e série, t. VI, p. 751, fig. 12.)
Synclinal de Fgagira. — Les dépôts de Fgagira (fig. 42) forment manifestement un synclinal dont l’épaulement sud-occidental est formé par les derniers débris de la chaîne d’Ougarta, au delà de Foum el Kheneg — les trois étages dévoniens sont représentés — l’orientation du pli est N.-O.-S.-E.
Synclinal au sud de Charouïn. — Les dépôts au sud de Charouïn forment un autre synclinal (fig. 43). J’y ai observé des couches du Dévonien moyen et d’autres du Dévonien supérieur. Les calcaires amarantes à Calceola sandalina que j’ai vus constituent l’épaulement du synclinal du côté de Charouïn, ils plongent énergiquement au sud-ouest. Si j’ai bien compris les explications qui m’ont été données, les fossiles Laquière provenaient de l’épaulement opposé (côté d’Ouled Rached) que je n’ai pas vu, mais où le Dévonien moyen serait largement découvert et étalé à l’air libre. Les dépôts dévoniens supérieurs au cœur de l’anticlinal plongent légèrement au N.-E.
Il n’est donc pas douteux que ce synclinal ait à peu près la même orientation que le précédent N.-O.-S.-E.
Les deux coupes ont d’ailleurs un air de parenté. Ce pli ne semble pas symétrique. Les plongées les plus rapides regardent l’ouest.
En somme entre Ksabi et Charouïn les plis hercyniens sont manifestement orientés N.-O.-S.-E.
Bords de la Sebkha. — Ce qui est curieux c’est que plus à l’est la direction est toute différente.
Sur la route la plus orientale et la plus directe de Charouïn à Ouled Rached (fig. 44), celle qui coupe la dune au lieu de la contourner, il est malaisé sans doute de deviner l’allure du Dévonien sous-jacent (précisément à cause des dunes) ; pourtant, j’ai noté au départ de Charouïn, à l’entrée de l’erg, des affleurements orientés S.-O.-O.-N.-E.-E. Nous sommes tout près du synclinal à couches fossilifères, une dizaine de kilomètres peut-être et pourtant dans l’intervalle la direction des plis a obliqué de près de 90°. Dans la sebkha même et sur ses bords l’allure des plis est assez compliquée.
Un pli anticlinal bien marqué, orienté grossièrement est-ouest est transversal au grand axe de la sebkha à peu près en son milieu à la hauteur de Beni Melouk. Aussi bien la sebkha est-elle nettement étranglée en ce point.
Au sud et au nord de ce point les bandes de ktoub sont franchement allongées dans le même sens que le grand axe de la sebkha S.-O.-N.-E. C’est bien net en particulier au pied du ksar de Timimoun où les couches carbonifériennes plongent est 64° sud (154° à partir du nord en comptant par l’est) (fig. 45).
Fig. 44. — Route directe entre Charouïn et O. Rached. — Échelle : 1/400000.
(Bull. Soc. géol. Fr., 4e série, t. VI, p. 752, fig. 14.)
Enfin au nord de la sebkha dans la région de Tala, Kali, el Hadj Guelman, les plis hercyniens ont subi une nouvelle torsion, ils sont orientés franchement N.-S. A Tala les couches plongent à 274° soit sensiblement O. vrai.
Il semble bien qu’on ait le droit de conclure comme suit :
La Gourara est pour les plis hercyniens une zone de rebroussement — à l’ouest de Charouïn ils ont une direction qu’on pourrait appeler armoricaine — sur les bords de la sebkha une direction qu’on pourrait appeler varisque.
Antérieurement, nous avons abouti à des conclusions analogues. Les plis de la Zousfana seraient varisques — ceux d’Ougarta armoricains.
Failles récentes. — Il n’est pas douteux que la topographie actuelle ne doive beaucoup à des failles récentes.
Un examen attentif révélera je crois des diaclases en relation avec la sebkha de Timimoun.
En tout cas les ksars de l’Aouguerout sont bâtis sur une muraille de couches crétacées verticales (argiles et grès), qui se dresse brusquement au milieu des couches voisines horizontales. Il y a là certainement un accident post-crétacé, qui a ramené, on l’a vu, le sous-sol primaire à proximité de la surface, et en amont duquel les foggaras vont capter la nappe d’eau (fig. 52).
La palmeraie d’Ouled Mahmoud est, elle aussi, en relation avec des diaclases qui ont amené dans le crétacé la formation d’une cuvette synclinale[166]. Aussi bien on sait depuis longtemps que les couches crétacées du Sahara sont faillées.
Géologie du Touat.
Le Touat est une grande plaine de composition géologique très complexe. L’horizontalité en est due à des dépôts pour la plupart, je crois, crétacés. A travers les fenêtres de ces dépôts, on peut observer çà et là la pénéplaine hercynienne sous-jacente. Le Dévonien et le Carboniférien sont certainement représentés.
Éodévonien. — A la limite du Touat et du Tidikelt, à Aïn Cheikh, un gisement fossilifère éodévonien est connu depuis quelque temps déjà[167]. Ce sont exactement les mêmes roches et les mêmes fossiles qui existent dans tout l’Ahnet et dans tout le Mouidir.
Au Touat proprement dit, en revanche, je ne connais pas de gisement de fossiles éodévoniens. Mais plusieurs affleurements me semblent devoir être rapportés à cet étage.
Le djebel Heirane est composé presque tout entier de grès fin et dur, à cœur blanc et à patine noire, c’est-à-dire d’une roche que nous sommes habitués à considérer comme caractéristique de l’Éodévonien.
Ces mêmes grès, ou du moins, des grès d’aspect tout à fait analogue, se retrouvent à 20 kilomètres nord-est de Haci Sefiat sur la route de Tesfaout.
Dévonien moyen. — Dans toute l’étendue du Touat, y compris le gisement d’Aïn Cheikh, je ne connais pas de fossiles mésodévoniens.
Fig. 46. — Coupe du Timmi au dj. Heirane. — Échelle : 1/600000.
Cri, Crétacé inférieur.
(Bull. Soc. géol. Fr., 4e série, t. VI, p. 754, fig. 16.)
Les Ktoub. — Au Touat comme au Gourara un rôle relativement considérable est joué en surface par des schistes durs, fissiles, pour lesquels nous avons adopté la dénomination indigène de ktoub. Immédiatement à l’ouest du Timmi, en particulier, s’étend un lambeau important de ces roches. Elles ont tout à fait l’aspect des ktoub du Gourara. Je n’y ai cependant pas trouvé un seul fossile, malgré des recherches que le voisinage d’Adrar rendait faciles. En revanche, j’ai constaté à l’ouest de Temassekh la superposition en concordance à ce qu’il semble de Carboniférien fossilifère incontestable sur les ktoub comme à Timimoun. Au même point une lentille calcaire dans les ktoub. Il paraît donc possible, sous bénéfice d’inventaire, de les considérer provisoirement comme supradévoniens (fig. 47).
Notons pourtant que M. Mussel attribue aux ktoub du Timmi un âge silurien, parce qu’il les trouve identiques à ceux de l’Iguidi[168], ce qui est une constatation intéressante. En l’absence de fossiles toutes les attributions sont possibles et indifférentes ; tous les schistes noirs se ressemblent ; ceux du Gourara, qui contiennent des fossiles dévoniens, ne m’ont pas paru différents des schistes alunifères siluriens (?) d’Aïn Chebbi. Ceux du Timmi restent certainement indéterminés.
Carboniférien. — On trouve au Touat un grand nombre de gisements fossilifères carbonifériens. Aïn Cheikh mis à part, l’étage carboniférien paraît ici le seul fossilifère ; en revanche il l’est abondamment.
Fig. 47. — Coupe de Temassekh à Haci Sefiat. — Échelle : 1/600000.
(Bull. Soc. géol. Fr., 4e série, t. VI, p. 755, fig. 17.)
Voici l’ordre des gisements en allant du nord au sud.
a) A une douzaine de kilomètres dans l’ouest de Temassekh (fig. 47) ; c’est le point où on voit le Carboniférien reposer sur les ktoub. En venant de l’ouest on rencontre d’abord un banc de calcaire blanc puis un autre de calcaire jaunâtre fossilifère peu cohérent, puis un autre de calcaire amarante très fossilifère. Ces bancs sont séparés par des couches de marne ou d’argile.
b) Tazoult. — A côté du ksar de Tazoult, un tout petit pointement — à la base calcaire bleu massif, au-dessus grès en plaquettes. Au sommet alternance en bancs minces de calcaires noir et blanc, puis calcaire massif (fig. 48). — (Notons un affleurement d’ophite). Le facies rappelle les calcaires carbonifères du nord, ceux d’Igli.
c) Aïn Cheikh. — A l’ouest de la source, des couches calcaires peu épaisses dans des marnes ou des argiles puissantes. Fossiles superbes libres dans les marnes.
d) A l’est d’Hacian Taïbin couches fossilifères que M. Chudeau analyse comme suit :
1o A la base : grès en bancs minces, avec quelques intercalations d’argile et de calcaire.
2o Grès brunâtre, en bancs épais de 1 à 2 mètres ; plongée 45°.
3o Calcaire à fossiles siliceux.
4o Calcaire bleu foncé en bancs de 30 centimètres à 1 mètre ; plongée 45° ; débris de Productus.
e) Très loin dans l’ouest, au coude de l’oued Messaoud, avant Haci Rezegallah, des calcaires compacts pétris de fossiles ; les mêmes calcaires apparaissent le long de l’oued Messaoud, plus au nord ; ces calcaires reposent en corniche sur des argiles ou des marnes, et grâce à cette circonstance l’oued s’y est encaissé profondément.
Tous ces gisements donnent les mêmes fossiles, dinantiens d’après M. Haug.
Plissements hercyniens. — Au point de vue stratigraphique le gisement de Rezegallah est tout à fait à part ; je n’y ai vu que des couches horizontales ; et, sous réserve, puisque l’étendue des couches observées est assez restreinte, je suis tenté de croire que nous sommes ici en dehors du domaine des plissements hercyniens. Leur limite occidentale passerait donc quelque part entre Hacian Taïbin et Haci Boura.
Le petit affleurement éodévonien auprès de Haci Sefiat est lui aussi sensiblement horizontal, de même que les couches gréseuses de même facies qui constituent le djebel Heirane. Au pied du djebel Heirane à l’est on voit des ktoub, supposés néo-dévoniens (?), verticalement redressés, en contact évidemment anormal avec les grès éodévoniens (miroirs de faille).
Sous bénéfice d’inventaire je croirais que cette faille court du djebel Heirane à Haci Boura (autrement dit Rezegallah), et qu’elle délimite les domaines hercyniens et calédoniens.
Le Vorland occidental du Touat, erg d’Iguidi, région de Taoudéni, reste encore très peu connu ; pourtant outre les documents de Lenz, nous disposons maintenant de ceux qui ont été recueillis par le capitaine Flye Sainte-Marie, par le lieutenant-colonel Laperrine et par leur compagnon le lieutenant Mussel.
Il semble incontestable que toute la grande région des Eglab, au cœur du fer à cheval des dunes de l’Iguidi, est un massif archéen ou éruptif complètement en dehors de la zone des plissements hercyniens.
M. Mussel[169], au voisinage de Taoudéni, Lenz auprès de Tindouf, ont vu le Carboniférien horizontal sur d’immenses étendues. Tout se passe donc, en tout cas, comme si la limite occidentale des plissements hercyniens passait tout près du Touat à l’ouest et tout près de la chaîne d’Ougarta au sud-ouest[170] à l’est de la ligne Dj. Heirane-H. Boura tous les affleurements primaires du Touat sont nettement plissés.
A la limite du Touat et du Tidikelt, entre djebel Aberraz et Aïn Cheikh, court un pli hercynien, dont l’axe est éodévonien ; c’est un pli énergique, uniformément déversé vers l’est, sa direction est nord-sud. On en fera au chapitre suivant une étude plus détaillée.
On ne peut pas être aussi précis au sujet des autres plis hercyniens du Touat ; on les devine plutôt qu’on ne les voit, encore que leur existence soit incontestable. Le Carboniférien de Tazoult forme un dôme anticlinal bien net, fermé au sud et brusquement interrompu au nord par une cassure.
Fig. 49. — Coupe de Tesfaout à Haci Sefiat. — Échelle : 1/600000.
q, Quaternaire.
(Bull. Soc. géol. Fr., 4e série, t. VI, p. 758, fig. 20.)
A l’ouest de Temassekh, les couches primaires (carbonifériennes et supradévoniennes) plongent à l’ouest, mais avec un pendage de plus en plus accusé à mesure qu’on s’approche de Temassekh ; elles finissent par être tout à fait verticales. La direction du pli est N.-N.-O.-S.-S.-E., faisant un angle d’une vingtaine de degrés avec la ligne nord-sud. Il semblerait naturel d’admettre que ce tronçon de pli, à en juger par sa direction et sa proximité topographique, est la continuation de celui qu’on a vu s’amorcer à Tazoult.
A Tesfaout l’affleurement primaire (ktoub supradévoniens ?) est composé de couches qui plongent vers l’est. La direction du pli est N.-N.-O.-S.-S.-E. (angle de 28° avec nord-sud).
Au Timmi, à l’ouest de la Sebkha, autre affleurement très étendu de ktoub supradévoniens. Les couches sont redressées au voisinage de la verticale, elles m’ont paru pourtant avoir une tendance à plonger vers l’est. La direction du plissement est N.-N.-O.-S.-S.-E. (angle de 22° avec nord-sud).
Tout cela en somme est bien fragmentaire. Il semble pourtant qu’on puisse risquer la conclusion suivante.
Au large du Touat les couches primaires sont affectées de plissements hercyniens dirigés N.-N.-O.-S.-S.-E. Et c’est d’ailleurs une direction qu’on retrouve bien nette, avec une inflexion plus marquée vers l’ouest, dans la chaîne d’Ougarta.
En somme, sur toute la distance entre le Tidikelt et l’Atlas, la virgation de la chaîne hercynienne apparaît nettement. Franchement nord-sud au Tidikelt la direction des plis s’infléchit progressivement jusqu’à N.-O.-S.-E., d’un côté, tandis que de l’autre on voit apparaître par rebroussement la direction N.-E.-S.-O. (Timimoun, Zousfana) ; à partir du Gourara la structure est en éventail (fig. 50).
Crétacé. — Ce sont les terrains horizontaux d’âge post-primaire qui tiennent au Touat de beaucoup la plus grande place en superficie. On a déjà dit que tout le pays est une immense plaine. Mais l’attribution de ces terrains horizontaux à tel ou tel étage est assez délicate.
A l’est du Touat le problème est simple ; la route d’Adrar à In Salah par Ilatou et Matriouen ne sort pas du Crétacé. Elle traverse le grand plateau calcaire du Tadmaït. Une petite falaise calcaire que l’on franchit une quinzaine de kilomètres avant d’arriver au puits d’Ilatou en marque le début à l’ouest. Sur l’âge de ces calcaires nous sommes renseignés par des gisements fossilifères. Le plus rapproché du Touat, à ma connaissance est celui que j’ai trouvé à Matriouen (rive gauche de l’oued, au pied de la falaise) ; les fossiles identifiés par M. Ficheur sont : Pseudodiadema sp., Natica sp. Ostrea olisiponensis.
Nous sommes donc au même niveau qu’à el Goléa, cénomanien et turonien.
Au Touat comme au Gourara les calcaires massifs reposent sur des argiles gypseuses (cénomaniennes ?) qui reposent elles-mêmes sur les grès albiens. Les bois silicifiés abondent dans ces grès, comme d’habitude : le plus beau gisement est incontestablement celui de Taourirt. On y voit, dans la falaise qui domine le ksar actuel, de gros troncs silicifiés en place, encastrés dans la pierre[171] ; ici d’ailleurs ce n’est plus à proprement parler du grès, c’est un poudingue à gros éléments et ses éléments semblent uniformément primaires ou archéens, les quartz en particulier abondent. Ils ont été évidemment arrachés à une ride primaire quelconque, aujourd’hui arasée et enfouie sous les dépôts crétacés. C’est le seul point à ma connaissance où le grès à dragées prenne un facies aussi net de poudingue et c’est le seul point aussi où les bois silicifiés se présentent sous forme de troncs presque intacts. En général, on ne voit que des fragments à peine plus grands que la main.
La falaise de Taourirt paraît nous présenter une section d’un vieux lit d’oued précénomanien.
Au Touat (au rebours du Gourara), les grès albiens ont été incomplètement débarrassés par l’érosion de leur couverture d’argiles cénomaniennes. Sur la route du Gourara au Touat les argiles apparaissent du côté de Sba et de Guerrara. Les ksars du Timmi et du Boudda sont construits sur des argiles gypseuses, assez gypseuses même pour qu’on puisse au Boudda exploiter le plâtre.
Le grès albien affleure d’ailleurs çà et là (à Meraguen, au Boudda). Aussi n’a-t-on pas osé porter sur la carte géologique ces argiles cénomaniennes, aux contours indécis dans l’état de nos connaissances ; on a fait coïncider la limite du Crétacé moyen avec la base des calcaires turoniens.
A l’ouest du Touat l’attribution des couches horizontales à tel ou tel étage devient plus délicate. On peut affirmer en tout cas qu’elles tiennent une grande place, réduisant les affleurements primaires au rôle de fenêtres. Elles sont de composition assez uniforme, argiles de couleurs vives, rouges et vertes, alternant avec des bancs de grès du type habituel, à dragées et à bois silicifiés.
A la partie supérieure de cette formation on voit quelquefois des argiles gypseuses ; au puits de Sefiat, en particulier, elles constituent les falaises qui entourent le puits. Pourtant le grès a souvent un facies particulier, qui n’est pas celui des grès à dragées, il est spongieux, creusé de cavités, entre lesquelles subsistent des colonnettes filiformes, j’imagine qu’il est calcarifère. A la surface des hammadas il se découpe en buttes ruiniformes qui sont une nouveauté dans le paysage.
Ce grès particulier constitue par exemple toute la hammada d’où émerge le chicotéodévonien du dj. Heirane. On le voit à Haci Boura, à Haci Rezegallah.
Il est vrai que sur la route entre le dj. Heirane et le Bouda j’ai cru observer le passage latéral d’un facies à l’autre.
Nulle part, à ma connaissance, on ne voit réapparaître les calcaires et les marnes fossilifères du Tadmaït, qui permettent dans la région orientale une détermination précise.
Pourtant ces formations horizontales manifestement post-primaires, se distinguent bien nettement des dépôts tertiaires par leur compacité et leur aspect ancien ; localement elles ont été vigoureusement affectées par des failles (fig. 46) ; il est difficile de ne pas les croire prétertiaires. Et après tout leur analogie de facies est évidente avec l’albien du Touat dont il est naturel de croire qu’elles sont ce qu’elles paraissent, un simple prolongement.
Notons que M. Chudeau a vu, au Tegama, une formation qu’il juge analogue aux grès albiens du Touat et contemporaine. MM. Mussel et Cortier signalent au voisinage de Taoudéni des couches de facies analogue. Il est très possible que tous ces affleurements très distants les uns des autres se rejoignent. Tout se passe comme si le Crétacé inférieur, représenté par une formation argileuse et gréseuse à fossiles végétaux, et d’origine continentale ou lagunaire, couvrait d’immenses espaces dans tous les bas-fonds du Sahara, entourant d’une immense auréole les massifs du Hoggar.
Et en tout cas, à l’ouest du Touat, on ne connaît pas encore de limites occidentales à l’extension en surface de cette formation.
Mio-Pliocène. — Il reste à parler des dépôts tertiaires continentaux qui jouent un si grand rôle au nord. Ici leur rôle est très réduit. Çà et là auprès des puits de Sefiat, par exemple, ou du puits d’Hammoudiya, on voit sur le Crétacé un lambeau de croûte calcaire qu’on peut rapporter au Pliocène. Mais on ne rencontre de dépôts assez étendus pour être notés sur une carte schématique qu’au voisinage des oasis.
Il court là, entre Tesfaout et le Sali, une bande mio-pliocène à peu près rectiligne, longue de près de 100 kilomètres, et large uniformément de 3 ou 4 kilomètres à peine ; l’épaisseur est d’une vingtaine de mètres.
A Temassekh la formation, facile à étudier sur la falaise de la gara, est constituée à la base de couches sableuses plus ou moins durcies ; au sommet un chapeau de calcaire et de plâtre (sol de timchent) ; le plâtre est pétri de Cardium edule.
J’ai examiné une grande gara allongée qui s’étend entre Tiouririn et Temassekh, sur toute son étendue elle porte un chapeau de calcaire blanc, à rognons de silex, passant quelquefois au poudingue et dont l’aspect rappelle tout à fait les calcaires pliocènes du nord. Sur toute la ligne des oasis dans les groupes Ouled Si Hamou bel Hadj et Touat el Henna la formation est essentiellement représentée par des couches sableuses, très mêlées de stalactites gréseuses, qui contribuent sans doute à les fixer, et qui attestent la présence d’éléments calcaires. Auprès de Zaouiet Kounta j’ai eu l’occasion d’examiner de plus près la formation. A la base des grès calcarifères coquilliers, au-dessus des travertins très vacuolaires, très spongieux, une dentelle de calcaire dur, pétri d’empreintes de plantes et de coquilles. Les coquilles sont des Melanopsis. C’est dans les travertins que sont creusés plusieurs étages superposés de foggaras.
L’âge récent de la formation est donc attesté non seulement par son facies mais aussi par ses fossiles ; (voir appendice X). Et d’autre part elle est bien loin d’être contemporaine puisque ce dépôt de dépression, fluvial ou lacustre, est aujourd’hui accusé en relief. Dans le nord la bande mio-pliocène a été réduite par l’érosion quaternaire à un chapelet de garas, dans le sud elle a gardé sa continuité, mais elle se présente sous la forme d’une terrasse, adossée à l’est à la falaise secondaire, et se terminant à l’ouest par un à-pic.
Ces dépôts mio-pliocènes, d’un dessin si particulier sur la carte, semblent nous renseigner sur l’hydrographie de la région à l’époque néogène. Manifestement il y a eu là soit un fleuve, soit un chapelet de lacs ou de sebkhas.
Les failles. — La plaine du Touat a été affectée de failles, les coupes ci-jointes en font ressortir un grand nombre, mais sur lesquelles il n’est pas possible, dans l’état de nos connaissances, de donner des détails circonstanciés.
Au contraire on est en mesure d’insister sur la grande faille du Touat, en relation avec la ligne des sebkhas et des palmeraies, le long de laquelle vient affleurer la nappe d’eau souterraine. Cette ligne est régulièrement droite sur 150 kilomètres, et cela seul suffirait à faire soupçonner la faille, dont l’existence d’ailleurs est facile à prouver. Sur une grande partie de son trajet elle amène en surface des tronçons de la pénéplaine hercynienne, et elle est accusée, par un pointement éruptif au moins (Tazoult). A Taourirt le ksar est dominé de plusieurs dizaines de mètres par la falaise des grès albiens, or il est construit sur les argiles gypseuses cénomaniennes (?) ou en tout cas plus jeunes que les grès. Nous sommes donc certains que la faille du Touat a affecté les terrains crétacés.
La bande étroite des dépôts mio-pliocènes est rigoureusement collée à la faille, ce qui ne peut pas être fortuit ; nous avons donc la certitude que dès l’époque néogène la faille du Touat avait, comme aujourd’hui, une importance hydrographique. Mais d’autre part les couches mio-pliocènes sont aujourd’hui accusées en relief sur toute leur étendue, ce qui semble indiquer que la faille a rejoué depuis leur dépôt.
M. Chudeau affirme, en effet, qu’elle a dû rejouer à une époque toute récente, et pour ainsi dire contemporaine. Il a constaté que les oueds actuels qui débouchent de la falaise forment des vallées suspendues, c’est bien visible en effet à Taourirt.
A l’est de la falaise, le réseau hydrographique, arrivé à maturité, témoigne d’un long travail de l’érosion, une rupture de pentes et des rapides caractérisant la traversée de la falaise, à l’ouest de laquelle les rivières ou tout au moins leurs lits reprennent jusqu’à l’oued Messaoud une allure tranquille. Que si on rapproche ces faits du peu de dureté des grès à sphéroïdes, qui constituent la falaise, il devient évident que cette falaise est postérieure à l’établissement du réseau hydrographique, postérieure même à l’établissement d’un climat sec au Sahara. Si les rivières avaient coulé pendant que se soulevait la lèvre orientale de la faille l’érosion aurait été puissante ; le profil d’équilibre serait sinon reconquis jusqu’à la source, du moins en bonne voie de reconstitution. En fait les rapides et l’allure torrentielle n’existent que sur quelques centaines de mètres.
Une observation récente que M. Chudeau doit au colonel Laperrine confirme ces indications et ajoute un trait nouveau. Le printemps 1907 a été particulièrement pluvieux au Sahara, et la plupart des oueds du Touat ont coulé ; deux d’entre eux n’ont pu parvenir jusqu’à la falaise et ont formé deux lacs sur le premier gradin du Tadmaït : le jeu de la faille avait amené, un renversement de la pente à l’est du Touat. La pluie continuant cependant, l’un des lacs a atteint le bord de la falaise, et s’est déversé brusquement dans la dépression du Touat, creusant dans la falaise un nouveau ravin et dévastant le petit ksar de Noum en Nas. Il a donc suffi d’une saison pluvieuse pour qu’une de ces rivières ait pu relier, malgré la falaise du Touat, sa source à son embouchure.
L’état d’équilibre instable qu’a créé la faille du Touat ne peut donc être que très jeune : de même qu’à Noum en Nas, il a suffi de quelques orages pour entailler partout la falaise, et malgré la rareté des pluies au Sahara, il est impossible d’admettre qu’un réseau hydrographique aussi anormal puisse subsister un grand nombre de siècles.
Les géologues allemands ont fait des constatations analogues dans la région des grands lacs[172]. Cette Afrique, que l’on supposait a priori un vieux Tafelland rigide commence au contraire à nous apparaître comme un des pays du monde où les mouvements tectoniques sont les plus récents. Et, si l’on songe à quelle altitude ont été portés dans l’Atlas les dépôts marins pliocènes, on ne sera pas surpris que le Vorland ait subi jusqu’au Touat le contre-coup de mouvements orogéniques aussi jeunes.
Hydrographie.
Le Gourara et le Touat rentrent dans le bassin de l’oued Messaoud, au sujet duquel on a donné, dans le chapitre II, des indications précises. De ce côté le bassin est limité par l’Atlas et le Tadmaït.
La topographie du Tadmaït est presque inconnue ; hier encore elle l’était complètement. On sait pourtant que la plus grande partie du Tadmaït déverse vers les oasis ses eaux d’orages ; on connaît aujourd’hui l’existence de très grands oueds, tout à fait comparables, comme dimension, à l’oued Mya, qui a simplement sur eux l’avantage de les avoir précédés sur nos cartes ; ils coulent tous à l’opposé de l’oued Mya, vers l’ouest, et ils sont tributaires des oasis ; ce sont les oueds Tlilia, Ilatou, R’zelan, Sba, Aflissès, etc.[173].
D’autre part les oueds Saoura, Namous, R’arbi, Seggueur descendent de l’Atlas. Un immense réseau-squelette d’oueds quaternaires converge vers les oasis du Gourara et du Touat.
A l’époque actuelle, le trait frappant de l’hydrographie ce sont les sebkhas. Les oasis s’alignent en cordon sur les bords de sebkhas multiples. Il n’y a pas en effet, comme les anciennes cartes l’indiquent à tort, une grande sebkha du Touat, mais un lacis ou un chapelet de petites : l’oasis de Bouda a la sienne, celle de Tamentit en a une autre nettement séparée, etc. La sebkha la plus étendue est probablement celle de Timimoun ; en tout cas, c’est la plus pittoresque, avec sa bordure de falaises et de dunes ; elle a 40 kilomètres de long sur 6 ou 7 maximum de large. (Voir pl. V, phot. 9.)
Il est malaisé de préciser ce qu’on pourrait appeler le régime hydrographique de la sebkha. Les habitants du Touat affirment que les leurs ont été des lacs, de mémoire d’homme, et qu’on y a circulé en bateau de ksar à ksar.
On a dit quelles traditions précises ont été recueillies là-dessus par M. Wattin, interprète militaire.
Quoi qu’il en soit du passé, les oasis sahariennes, dans le présent, ignorent à peu près complètement l’eau naturellement vive et courante.
Les oueds quaternaires coulent peut-être une fois en dix ans.
Quant aux sebkhas, elles ont sur un petit nombre de points, d’étendue très restreinte, de l’eau libre en permanence ; au Timmi, par exemple, dans le voisinage d’Adrar, capitale administrative du Touat, on montre, à la limite de la palmeraie, une flaque d’eau qui ne tarit jamais ; le niveau de ces mares est sujet à des fluctuations notables suivant les saisons. D’autres petits coins de sebkha ont en hiver un pied d’eau libre qui disparaît l’été. Mais dans l’immense majorité des cas, la sebkha reste toute l’année une étendue de vase plus ou moins séchée, plus ou moins semée de fondrières, et plus ou moins saupoudrée de sel. La couche salée superficielle est tout particulièrement hygrométrique ; la surface des sebkhas, terne dans les périodes de plus grande sécheresse, devient étincelante de sel, dès qu’on signale de gros orages, fussent-ils tombés très loin de là. C’est d’ailleurs une loi bien connue en pays désertique que cet accroissement concomitant, paradoxal en apparence, de l’humidité et de la salure superficielle. A mesure que s’accumule l’eau salée contenue dans la masse, la capillarité en entraîne en surface une plus grande quantité, qui s’évapore en déposant un résidu de cristaux. Cette difficulté, on le sait, a entravé, dans l’Égypte anglaise contemporaine, l’extension des cultures[174].
Ainsi, les sebkhas, qui ne reçoivent pourtant, en règle générale, aucun affluent superficiel, restent très sensibles à l’influence des orages lointains, elles sont, en quelque sorte, un pluviomètre de leur immense bassin fluvial, parce qu’elles sont le point où aboutit toute la circulation souterraine. Si donc les oasis se collent aux sebkhas, s’alignent sur leurs bords, ce n’est pas pour leur valeur propre ; les sebkhas, avec leurs terres et leurs eaux, chargées de principes chimiques, sont parfaitement inutilisables, mais elles sont l’indice infaillible d’une abondante nappe d’eau souterraine.
Notons encore que, au Gourara et au Touat, les sebkhas sont toujours, comme l’oued Saoura entier, asymétriques, et si l’on veut hémiplégiques ; sur une rive pénéplaine primaire, sur l’autre couches crétacées ou tertiaires ; la rive primaire est morte, la végétation et la vie sont concentrées sur l’autre.
Nous avons encore peu de renseignements précis sur le climat des oasis ; pourtant le lieutenant Niéger nous donne, sur les pluies, quelques chiffres intéressants. « En 1901, il y avait douze ans que la région n’avait pas eu de pluies... Pendant l’année 1901, quelques pluies. En 1902 on a obtenu, à Adrar, 60 millimètres. » L’hiver 1906-1907 a été très pluvieux. Ces pluies sont des orages brusques et violents, défonçant les toits en terre battue, délayant les murettes de sel, des catastrophes gaies ; leur extrême rareté est soulignée par ce fait, que rien n’est prévu pour s’en défendre. Il est clair que, dans un pareil pays, on ne peut pas compter sur les pluies locales pour alimenter la palmeraie. Et pourtant l’eau est réellement abondante : « Quelques oasis ont plus d’eau qu’il ne leur en faut. Aux offres d’argent qui ont été faites dans certains districts, pour augmenter le débit des foggaras, il fut répondu par une fin de non-recevoir. D’autres... ont accepté, mais sans grand empressement[175] » Ainsi, ce n’est pas l’eau qui manque, les oasis ruissellent d’eau vive, de cascatelles, de petites séguias où vivent des barbeaux. Tout cela est arraché au sol par le travail humain, et y rentre, pour ainsi dire, instantanément, pour y être absorbé par la végétation de la palmeraie. Il faut assurément que cette prodigalité éphémère, sur un tout petit point privilégié, soit alimentée par les réserves lentes d’immenses espaces désertiques. C’est le Tadmaït qui est le grand collecteur, et c’est à son aridité que les oasis doivent leur verdure.
Car un petit nombre d’oasis seulement, celles du Gourara septentrional, sont alimentées par l’Atlas.
Que partout ailleurs l’eau vienne du Tadmaït, c’est incontestable. On la voit sourdre à la tête des longues et innombrables foggaras, toutes parallèles entre elles. Çà ne laisse pourtant pas de surprendre, au moins au premier abord. C’est que ces immenses plateaux calcaires sont un terrible pays. Pour en avoir une représentation adéquate, il faut aller directement d’el Goléa à Ouargla. Il y a là, au cœur de nos possessions, dans un pays que nous occupons depuis trente ans, un intervalle de 200 kilomètres où toute notre machinerie n’a pas encore pu faire jaillir une goutte d’eau. L’été 1903, une caravane de six Arabes y est morte de soif.
Si le Tadmaït est aussi inconnu encore, c’est surtout parce que l’extrême rareté des points d’eau en rend l’exploration détaillée bien difficile en dehors de quelques grands medjbeds. En somme, c’est un Tanezrouft. Après tout ce sont des causses, et même sous nos climats le causse est d’une aridité bien connue. Ces causses sahariens, effroyables dans l’ensemble ont pourtant quelques coins verts, des oasis par exemple. Il est vrai que le seul groupe d’oasis un peu important, le M’zab, est un miracle de volonté humaine, avec ses puits de 60 mètres creusés dans le roc dur. Le M’zabite est à proprement parler un commerçant fixé dans les villes du Tell et qui entretient au Sahara une maison de campagne ruineuse.
En plein Tadmaït dans l’O. Tlilia, on trouve deux petites palmeraies, Matriouen et In Belbel, insignifiantes, à vrai dire. Enfin le Tadmaït a ses pâturages ; celui d’Ilatou, par exemple, fréquenté par les méharistes du Touat. Les nomades du Tidikelt paissent leurs chameaux au Tadmaït aussi bien qu’au Mouidir.
Tout cela suppose nécessairement que le Tadmaït a ses pluies, sur l’abondance desquelles nous n’avons, il est vrai, aucune donnée précise. Mais il est naturel d’admettre qu’un aussi gros massif, et aussi élevé (jusqu’à 700 mètres d’altitude) est notablement plus pluvieux que les oasis elles-mêmes situées à un niveau beaucoup plus bas. Il faut tenir compte aussi de l’énorme étendue du bassin de réception. Il y a là dans le bassin du Touat et du Gourara une masse continue de causses qui peut avoir 350 kilomètres de long sur 150 de large. Toute l’eau qui y tombe s’engouffre dans les avens et dans les fissures et s’achemine vers les oasis.
Le Dr Siegfried Passarge propose une autre explication. Il écrit textuellement : « Les nappes d’eau des puits artésiens dans le Sahara algérien et lybique datent peut-être du quaternaire (Pluvialzeit). Il me paraîtrait plausible d’admettre cette explication, plutôt que de faire venir du Soudan l’eau des oasis libyques, de l’Atlas ou du Hoggar celle du Sahara algérien[176]. »
Le Tadmaït serait donc encore gorgé d’humidité quaternaire, et les restes de son ancienne opulence lui permettraient d’alimenter les oasis, malgré l’indigence des pluies actuelles ; en caricaturant un peu et en précisant outre mesure cette très jolie idée, l’eau qui gonfle les dattes de 1907 serait contemporaine de notre mammouth européen, ou si l’on veut du gnou, du rhinocéros, de la faune quaternaire nord-africaine, aujourd’hui émigrée au Zambèze.
L’hypothèse est charmante, un peu hardie peut-être. Pour qu’elle s’imposât, il faudrait qu’on ait constaté une disproportion entre la quantité moyenne des pluies et le débit des foggaras ; nous sommes extrêmement loin de semblables précisions. Ce qu’on peut affirmer c’est que, au Sahara comme dans toute l’Afrique du nord, les années pluvieuses ou sèches ont un retentissement immédiat sur les sources.
Que l’hypothèse de M. Passarge soit une généralisation de faits observés dans l’Afrique du sud, c’est par surcroît une considération qui n’est pas de nature à la recommander sans restriction aux géologues nord-africains.
Quoi qu’il en soit d’ailleurs, la conclusion générale est la même.
Les oasis et les sebkhas jalonnent la ligne-limite des terrains crétacés et primaires, au Gourara et au Touat ; ce jalonnement est méticuleux à cent mètres près ; ce ne peut pas être une coïncidence fortuite, il faut admettre une relation de cause à effet ; cette limite géologique est un lieu d’habitation humaine parce que, comme beaucoup de ses pareilles, elle est une ligne de sources, suivant laquelle affleure la nappe souterraine. A propos de la Saoura et même de la Zousfana nous avons fait une constatation analogue et la même loi s’applique au Tidikelt. On peut donc généraliser.
De Figuig au Tidikelt en passant par le Gourara et le Touat, s’étend une ligne d’oasis à peu près continue, longue de plusieurs centaines de kilomètres et large à peine de quelques centaines de mètres. M. Basset cite le dicton arabe d’après lequel une jument en marche pourrait être saillie à la première oasis et mettrait bas à la dernière.
Cette « rue de palmiers », un trait tout à fait extraordinaire de la géographie saharienne, on peut en rendre un compte précis dans un petit membre de phrase : les palmiers jalonnent à l’ouest, jusqu’à son extrême limite sud, la limite de la transgression cénomanienne (fig. 50).