Missions au Sahara, tome 1 : $b Sahara algérien
Fig. 22. — Aguelman Tamana.
A, 0 m. 50 de la tête à la queue. B, hauteur moyenne 0 m. 10 à 0 m. 15. C, 0 m. 20 à 0 m. 30 de la tête à la queue. D, 1 mètre de droite à gauche. E, 0 m. 50 de la tête à la queue. F, dessins de gauche 0 m. 10 en moyenne, celui de droite 0 m. 30.
(Figure extraite de L’Anthropologie. Masson et Cie, édit.)
En somme, toutes les figures reproduites, moins une ou deux douteuses, sont indubitablement récentes. Et d’abord la faune reproduite n’est plus du tout celle du col de Zenaga. La présence du chameau est à elle seule significative. On est généralement d’accord pour admettre que le chameau n’a été introduit ou réintroduit dans l’Afrique nord-occidentale que dans les premiers siècles de l’ère chrétienne, il ne semble y être abondant que vers l’époque de Justinien[86]. Sans entrer dans la question, c’est un fait positif qu’on ne connaît aucune figuration de cet animal dans les nombreuses stations déjà connues de vieilles gravures ; elles abondent au contraire dans les graffitti libyco-berbères.
Fig. 23. — Tin Senasset.
A a 0 m. 15. B, 0 m. 08 à 0 m. 10. C, 0 m. 30. D, 1 mètre de la tête à la queue.
(Figure extraite de L’Anthropologie. Masson et Cie, édit.)
Tous les autres animaux qui accompagnent le dromadaire[87], dans les figures ci-jointes sont contemporains : le cheval (fig. 23, A) et l’âne (fig. 24, B) ; le mouflon (fig. 20, A), la gazelle (fig. 21, A) ; le chien (fig. 20 et 21) ; l’autruche (fig. 22, B ; fig. 24, B, et fig. 21, B) sont encore des animaux familiers aux habitants du Mouidir-Ahnet.
Il en est de même de l’animal figuré en A figure 24 et en 2 figure 25 qu’on y voie une chèvre ou une antilope adax.
Les bœufs sont très fréquents (fig. 22, A ; fig. 24, A et D ; fig. 23, D ; et sans doute aussi fig. 22, E). On les représente bâtés (fig. 22, D et fig. 25, no 5).
On sait que les bœufs zébus, originaires du Soudan, font partie du cheptel habituel au Hoggar[88]. Au Soudan à tout le moins on les utilise comme bêtes de somme.
Le sanglier (fig. 21, A) existe peut-être au Hoggar ? et en tout cas dans l’Adrar’ des Ifor’ass (phacochère), et dans l’Aïr.
La station de Foum Zeggag, qui par ailleurs est insignifiante, a ceci de particulier qu’on y voit deux éléphants incontestables, l’un a environ 1 m. 50 dans sa plus grande dimension, l’autre 0 m. 50. C’est ce dernier qui est reproduit ci-contre d’après un simple dessin (et non pas d’après un calque) figure 25. Ces gravures d’éléphants ne sont pas patinées, et à leurs dimensions près elles n’ont aucun des caractères qui caractérisent les vieilles gravures. Si l’éléphant est tout à fait étranger à la faune de l’Ahnet, il ne faut pas oublier que les Touaregs de l’Ahnet passent les années de sécheresse dans l’Adr’ar des Ifor’ass, où ils sont chez eux, à proximité du Niger. L’éléphant leur est familier, comme d’ailleurs la girafe.
Je n’essaie pas davantage d’identifier des dessins mal venus et cocasses (fig. 22, C et F).
En résumé, comme conclusion d’ensemble, toute cette faune est contemporaine. Elle n’est pourtant pas rigoureusement actuelle. Il y a là une nuance qu’il est facile de préciser ; il est évident que le nombre des bovidés représentés (dont quelques-uns bâtés), est tout à fait disproportionné au nombre des méharis. Ceci nous reporte à une époque ou ceux-ci, d’introduction récente, n’avaient pas encore complètement supplanté ceux-là, les bœufs nigériens, bêtes de somme garamantiques.
D’ailleurs la représentation de la figure humaine achève de lever tous les doutes sur l’âge approximatif de nos gravures.
Qu’on examine figure 20, A, le javelot que brandit le chasseur (voir aussi fig. 21, A), il semble bien que ce javelot se termine par un fer de lance.
Que l’on compare cet armement avec celui qui est figuré sur les vieilles gravures algériennes publiées par Pomel[89] ; et dont le caractère néolithique est incontestable. Evidemment notre chasseur est très postérieur ; le sauvage a été promu barbare.
Pourtant il n’est pas actuel. La plupart des êtres humains figurés sont nus, tout au plus peut-on imaginer qu’ils ont un pagne autour des hanches. Voilà qui est tout à fait contraire aux habitudes actuelles ; le Touareg comme tout musulman, est un paquet d’étoffes flottantes. D’ailleurs l’attirail de guerre du Touareg est bien connu, il a été popularisé par la gravure, un immense bouclier carré, une très longue lance en fer, un sabre très long sans pointe, arme de taille. Ce sont des armes tout à fait appropriées pour un méhariste. Or les chasseurs ou les guerriers de nos reproductions (fig. 21, A ; fig. 20, A ; fig. 24, E) sont invariablement armés d’un bouclier rond tout petit et de trois javelines.
Ce guerrier à bouclier rond, nous l’avons déjà rencontré dans les stations du nord, à Barrebi en particulier ; mais ici, dans les stations de l’Ahnet il est dessiné avec plus de soin, plus détaillé. La ressemblance en devient plus frappante avec le cavalier, figuré à côté des caractères libyques sur la stèle funéraire du musée d’Alger. (Voir fig. 17.) Celui-ci porte à son bras gauche exactement le même petit bouclier rond et les mêmes trois javelines, ces dernières fixées de la même façon à la partie postérieure du bouclier, donnant une impression de panoplie. Il me semble que ce détail est de nature à entraîner la conviction.
Ce méhariste armé en cavalier numide date approximativement nos gravures.
Notons encore qu’elles sont accompagnées d’inscriptions tifinar’ en grand nombre et qui paraissent contemporaines. Au col de Zenaga les gravures se présentent seules sans accompagnement épigraphique.
Enfin l’aspect seul de nos gravures interdit de les reporter très loin dans le passé puisque la patine fait défaut ; les parties gravées de la roche contrastent vivement par leurs couleurs avec les parties intactes ; elles ont un aspect frais.
Pourtant au point de vue de l’exécution technique elles seraient déconcertantes ; elles ne rentrent pas exactement dans les catégories établies dans le nord par M. Flamand. Là, dans la chaîne des ksour par exemple, tout ce qui n’est pas belle gravure ancienne, à trait profond et lisse, à patine noire, est immonde grafitti libyco-berbère. Ce sont deux catégories bien tranchées et la plupart des gravures au Mouidir-Ahnet ne rentrent ni dans l’une ni dans l’autre.
Les chameaux de la figure 20, B, par exemple, sont des graffitti libyco-berbères types. Est-il possible de les classer avec les beaux méharis de la figure 21, A. Ces derniers ont 0 m. 50 de haut ; les autres 0 m. 05 ; ceux-ci sont parfaitement schématiques, et rappellent plutôt au premier coup d’œil un caractère chinois qu’un animal quelconque. Ces gravures procèdent d’intentions différentes ; l’auteur de la figure 21, A, tâche de reproduire un animal tel qu’il le voit, c’est un artiste, dans une mesure aussi faible qu’on voudra ; l’auteur de la figure 20, B écrit l’hiéroglyphe du chameau, il fait de l’idéographie.
A ne considérer que l’habileté des dessinateurs, et ce qu’on pourrait appeler leurs traditions artistiques, les belles gravures du Mouidir-Ahnet sont tout à fait comparables à celles de Zenaga. Que l’on considère les petits tableautins des figures 20 et 21, scènes de chasse, j’imagine, à moins qu’on ne veuille voir dans la figure 21 une scène de guerre, une rencontre entre méharistes et piétons, mais la présence de gibier et de chiens est peu favorable à cette hypothèse. En quoi ces amusantes compositions sont-elles inférieures par exemple à la gravure rupestre algérienne de Kef Messiouar publiée par Gsell (Monuments antiques, t. I, p. 48) et qui représente une famille de lions s’apprêtant à dévorer un sanglier ? De part et d’autre c’est la même ignorance de la perspective, mais c’est aussi parfois le même bonheur à silhouetter tel ou tel animal. Qu’on regarde la gazelle entourée par les chiens (fig. 21, A), le cheval (fig. 23, A), la chèvre et l’autruche de la figure 24, B pour ne rien dire de la vache placide et de l’âne qui brait de la même planche. On ne trouvera rien de mieux dans la série des gravures rupestres sud-oranaises. Et c’est une chose à noter aussi que les dimensions sont les mêmes. Ici comme là les figures sont grandes, la plupart ont de 0 m. 50 à 0 m. 75, c’est-à-dire que la somme de travail est considérable. Nous ne sommes plus en présence de graffitti œuvre de quelques minutes de désœuvrement, il faut supposer chez l’auteur un travail soutenu et une certaine habitude de la main.
| E.-F. Gautier. — Sahara Algérien. | Pl. XVII. |
Cliché Gautier
33. — GRAVURES RUPESTRES A OUAN TOHRA
sur grès éo-dévonien.
Les figures ont été passées à la craie.
Cliché Laperrine
34. — TYPE DE GRAVURES RUPESTRES SUR GRANIT (Hoggar).
Fig. 24. — Ouan Tohra.
A, d’après une bonne photographie ; le bovidé du milieu a 0 m. 50 de la tête à la queue. B, 0 m. 15 et 0 m. 20. C, 0 m. 20. D, 0 m. 75 de la tête à la queue. E, personnages d’en haut, 0 m. 10, celui d’en bas. 0 m. 20.
(Figure extraite de L’Anthropologie. Masson et Cie. édit.)
Pourtant les gravures de l’Ahnet se distinguent de celles de Zenaga, non seulement par l’absence de patine, mais encore par la différence de facture. M. Flamand, en matière de gravures sud-oranaises, distingue le trait profond, régulier, qui caractérise les gravures antiques et le « pointillé produit par une série linéaire de percussions », qui caractérise les gravures libyco-berbères. Celles qui nous occupent ne sont ni gravées profondément ni pointillées par percussion ; la patine superficielle de la roche a été enlevée par grattage, tantôt suivant des lignes, tantôt sur de larges espaces (fig. 21, A ; fig. 23, C ; fig. 24, A), tantôt sur la totalité de la figure (voir surtout fig. 20, A). Erwin de Bary note, dans l’Aïr, au rocher de Dakou, « des figures d’hommes, de chameaux et de chevaux qui y sont gravées. Les dessins ne sont pas taillés dans la pierre à l’aide d’un ciseau et résultent seulement d’un grattage[90] ».
Notez d’ailleurs que nous sommes au désert où les roches sont couvertes d’une patine très foncée. Les grès éodévoniens en particulier sont des masses de quartz peintes en noir ; la moindre égratignure, le moindre grattage fait apparaître un dessin très blanc sur fond très noir. Avec une pareille matière le graveur obtient avec un minimum d’effort un maximum d’effet utile.
Déjà, à Barrebi, nous avions vu apparaître entre les graffitti libyco-berbères et les gravures anciennes un type de transition. Ce type s’affirme au Mouidir-Ahnet.
La décadence ici a été bien plus lente et progressive, les traditions de gravure se sont maintenues plus longtemps.
En résumé la race berbère, qui dans le Tell a perdu d’assez bonne heure ses anciennes aptitudes artistiques, les a conservées au contraire dans le Sahara jusqu’à une époque voisine de nous.
Station de Timissao. — On a longuement insisté sur les stations du Mouidir-Ahnet, qui présentent un intérêt particulier. Celle de Timissao a beaucoup d’analogies avec elles malgré la distance.
La station de Timissao a été signalée par le colonel Laperrine. Elle se trouve à côté du puits dans une caverne de la falaise en grès éodévonien. Le mot caverne est ambitieux, il faudrait dire plutôt abri sous roche. De cette grotte, si l’on veut, le plancher, les murs et le plafond sont couverts de gravures et d’inscriptions que j’ai examinées d’une façon un peu sommaire (fig. 25).
Ici, au contraire d’Ouan Tohra, il existe quelques dessins qui paraissent anciens. Par la patine ils ne se distinguent pas de la roche, il est vrai que ce signe a moins de valeur ici qu’ailleurs. Tous ces dessins, en effet, sans exception sont sur le plancher de la grotte, c’est dire qu’ils ont été foulés par les pieds de générations, ils ont dû se patiner plus vite. Mais le trait est profond et assez net. Noter dans la figure 4 la longueur disproportionnée des cornes. Évidemment l’artiste a campé le corps de son animal de trois quarts et la tête de profil, pour mettre les cornes en valeur ; cette recherche de l’effet et cette pose compliquée sont dans le nord caractéristiques des plus vieilles gravures.
Les animaux représentés sont actuels cependant. 7 semble bien représenter un bœuf de l’espèce Bos ibericus. Et je crois que 4 et 6 représentent des antilopes adax. Notons pourtant que Pomel[91], à propos d’animaux analogues, propose d’une façon tout à fait affirmative l’identification avec l’antilope oryx (cf. Leucoryx Licht), encore qu’il n’en ait pas authentiquement constaté la présence dans la faune quaternaire algérienne. Mais l’oryx ne se trouve plus aujourd’hui qu’en Égypte, l’adax au contraire est un familier du Sahara algérien, et ses cornes ressemblent à celles de l’oryx, assez du moins pour qu’il soit imprudent de vouloir les distinguer sur une gravure rupestre.
Fig. 25. — Gravures rupestres des stations de Foum Zeggag (1) ; de Ouan Tohra (2, 3, 5) ; de Timissao (4, 6, 7).
Réduction au vingtième d’après calques et estampages (sauf 1 qui a été simplement dessiné).
(Figure extrait de L’Anthropologie. Masson et Cie, édit.)
Stations Ifor’ass. — Dans l’Adr’ar des Ifor’ass je suis en mesure de signaler quatre stations d’importance inégale, malheureusement je n’ai pas pu en étudier sérieusement une seule.
Avant d’arriver à notre campement de l’oued Taoundrart, à trois kilomètres environ, j’ai vu quelques lettres tifinar’ et un dessin informe d’animal ; le tout était gravé sur une roche éruptive.
Une très belle station se trouve à Ras Taoundrart dans les gorges de l’O. Assanirès. Les dessins sont gravés sur une muraille presque verticale de granit. Les inscriptions tifinar’ y abondent ; les dessins sont du type libyco-berbère saharien, un certain nombre de chameaux, et beaucoup de chevaux, des lions.
M. Chudeau a vu une station de gravures rupestres sur granit à In Fenian ; trois ou quatres figures, dont un cheval.
Enfin dans l’oued Tougçemin, à trois kilomètres est du campement, j’ai vu sur granit quelques autruches et un animal informe où on aurait pu reconnaître une girafe.
En somme, dans l’Adr’ar des Ifor’ass la présence des gravures rupestres est incontestable, elles ressemblent à celles du nord, autant qu’on peut en juger après un examen sommaire, elles sont toutes du type récent ; ici où le grès fait défaut la matière préférée est le granit.
Stations du Hoggar. — M. Chudeau a signalé de très beaux dessins rupestres au Hoggar, au confluent des oueds Outoul et Adjennar, entre Tamanr’asset et Tit ; une girafe paissant, en particulier, est fort bien réussie.
Sur cette même station peut-être, ou en tout cas sur une autre toute voisine, dans l’oued Adjennar, Motylinski nous donne des détails plus circonstanciés[92]. Il signale en effet une girafe — puis beaucoup de bœufs ou de vaches qui semblent analogues à ceux de l’Ahnet (il en est de bâtés ; Motylinski mentionne à leur cou des appendices, cordes ou fanons (?) qu’on retrouvera sur nos figures) — beaucoup d’autruches aussi — une chasse au mouflon avec chiens qui fait songer au tableautin de Taoulaoun, — des chevaux, des ânes, des méharis assez soignés pour qu’on distingue la forme de leur selle, ils portent la rahla actuelle, au pommeau en forme de croix — deux vaches à bosse et une autruche sont non pas gravés mais dessinés à l’ocre, ce qui semble exclure une antiquité reculée.
Motylinski nous signale une autre belle station dans une partie éloignée du Hoggar, tout à fait au nord, aux limites du Mouidir, à la gara Tesnou. Il y a dessiné sur son carnet, un peu trop sommairement, un éléphant qui pourrait bien être ancien.
D’autre part il a silhouetté à Tit une vache à très grandes cornes, dont on aimerait à savoir si ce n’est pas un Bubalus antiquus. Ce serait fort intéressant, malheureusement il est tout à fait impossible d’être affirmatif.
Motylinski signale brièvement un certain nombre d’autres stations au sommet de la Koudia.
Oued Medjoura — une vache bâtée avec appendices au cou.
Oued Tér’oummout (sources de l’oued Tamanr’asset) — animaux et inscriptions.
Iberrahen (sources de l’oued In Dalladj) — un incontestable « cavalier gétule ».
En somme le Hoggar serait un beau champ d’études pour amateur de gravures rupestres. Les mauvais graffitti abondent, mais il y a un grand nombre de belles gravures, comparables à celles de l’Ahnet ; à la matière près pourtant ; car ici le grès fait défaut, comme dans l’Adr’ar des Ifor’ass on a employé ici le granit ou les roches éruptives. (Voir pl. XVII, phot. 34.)
Stations de l’Aïr. — L’Aïr aussi mériterait une étude détaillée, qui est actuellement impossible ; Chudeau signale, entre le Hoggar et l’Aïr, à quelques centaines de mètres au nord de l’aguelman du Tassili Tan Tagriera, dans les grès dévoniens, une grotte avec quelques beaux dessins rupestres. Il en a revu dans l’Aïr ; — dans le massif d’Agouata, au voisinage d’Aguellal ; — et enfin, près de Takaredei, à deux kilomètres à l’ouest du cimetière des Iberkor’an ; ces derniers, les plus méridionaux connus dans la région représentant deux girafes.
Foureau[93] nous renseigne sur deux autres stations de l’Aïr, Tilmas Talghazi et oued Tidek (fig. 388, 389, 390, 391, 392, p. 1087 à 1093). On y voit figurés une girafe, des autruches, de mauvais chameaux, des chevaux, des bovidés, des singes peut-être, des hommes sans armes, en tunique courte et flottante et à coiffure compliquée. Ces gravures seraient plus anciennes que les caractères tifinar’ et arabes qui les accompagnent ; pourtant la facture est pointillée, ce qui serait considéré dans le nord comme un indice de médiocre antiquité.
Les grafitti libyco-berbères sont eux aussi fréquents dans l’Aïr, au moins dans le nord. Chudeau a noté les derniers dessins de ce type à Aguellal ; à une centaine de mètres au nord de l’inscription qui signale le passage de la mission Foureau-Lamy. Les quelques chameaux figurés en ce point sont accompagnés d’une inscription en caractères arabes, qui par la patine semble du même âge que les dessins.
Foureau et Chudeau s’accordent à noter la disparition des gravures, en même temps que celle des Redjems au sud de l’Aïr dans les régions Haoussas et Bornouannes.
Stations du Niger et du Sénégal. — Enfin les explorateurs soudanais nous signalent la limite sud des gravures sur les bords du Sénégal et du Niger.
« Pendant la mission Tagant-Adrar M. Robert Arnaud découvrait en Maurétanie sénégalaise, dans les abris sous roche de la gorge de Garaouat des dessins et des inscriptions rupestres » peints en noir et en rouge[94].
M. Desplagnes a publié dans son livre des gravures et inscriptions nigériennes. Les figures 81 et 82 de la planche XLII représentent des caractères tifinar’. Sur la figure 89 de la planche XLVI on voit des « cavaliers numides » du type habituel.
En revanche les figures 84 (pl. XLIII) — 85 et 86 (pl. XLIV) — 90 (pl. XLVI) n’ont plus qu’un rapport bien lointain avec les graffitti libyco-berbères. Il y a peut-être quelque parenté, car on croit reconnaître un motif commun, la sandale ou empreinte de pied. Mais l’ensemble est très aberrant, nous entrons là dans un nouveau monde, une province à part de dessins soudanais.
En somme, partout où on a été à même de constater des limites, nos gravures rupestres, comme les redjems, ont la même extension que la race berbère elle-même.
Inscriptions tifinar’. — On a dû être très bref sur les inscriptions tifinar’ (libyco-berbères ? libyques ?) ; on s’est borné à les mentionner incidemment. C’est qu’elles se défendent contre toute tentative d’énumération par leur nombre immense, et contre toute tentative d’explication par le mystère qui les entoure et qui n’est pas dissipé.
L’alphabet tifinar’ est phonétiquement connu, les Touaregs ont conservé l’usage actuel de cette écriture. En 1903, au puits de Ouan Tohra, nous avons trouvé un caillou couvert de caractères fraîchement tracés à l’ocre ; c’était une circulaire rupestre faisant connaître aux caravanes notre présence dans le pays.
| E.-F. Gautier. — Sahara Algérien. | Pl. XVIII. |
Cliché Augé
35. — INSCRIPTION SUR GRÈS ALBIEN
au Ksar d’Abani, près Tesfaout.
Les lettres, indistinctes, ont été probablement passées à la craie.
Cliché Augé
36. — INSCRIPTION SUR GRÈS ALBIEN
au Ksar d’Abani (suite de la précédente)
Cette inscription donnée par les indigènes comme hébraïque est évidemment berbère.
Il était donc légitime d’espérer que des indigènes érudits pourraient nous aider à déchiffrer les vieilles inscriptions. Il semble qu’il faille renoncer à cet espoir. M. Motylinski, dans son récent voyage, qui s’est terminé si malheureusement par sa mort, s’était attaché spécialement à résoudre ce problème et il résulte de ses notes manuscrites qu’il a échoué.
Les vieux tifinar’ sont indéchiffrables pour les Touaregs eux-mêmes. Toute leur archéologie se résume en quelques légendes de folklore. Caractères et dessins sont attribués à des personnages mythiques, le peuple des Amamellé, un personnage qu’ils appellent Élias. On trouve déjà ces noms dans un texte donné en appendice dans la vieille grammaire d’Hanoteaux. Sous bénéfice d’inventaire il me semble que Amamellé et Élias sont assez analogues aux Djouhala d’Algérie, constructeurs des dolmens, une personnification de la race berbère préislamique, avec laquelle le Berbère converti renie toute parenté.
Si le voile doit jamais être levé ce sera sans doute par la philologie moderne, à la suite des méticuleuses monographies de dialectes Berbères, qui ont été amorcées par M. R. Basset, mais qui sont encore loin de leur conclusion. Ce jour-là les épigraphistes trouveront au Sahara une ample matière, mais peut-être de qualité médiocre.
Conclusions générales. — Cette longue étude analytique comporte, je crois, des conclusions générales.
A propos des gravures anciennes, à plusieurs reprises, j’ai refusé d’adopter les identifications auxquelles s’est arrêté Pomel. Ce n’est pas lui manquer de respect que de critiquer le point de vue trop paléontologique auquel il s’est placé, dans une série de monographies paléontologiques, où l’étude des gravures rupestres est accessoire. S’il veut reconnaître, par exemple, dans une autruche évidente, un grand échassier indéterminé, c’est que a priori il imagine un cadre quaternaire, climat humide et grands marais. Il s’est trouvé entraîné par son point de départ à supposer aux gravures rupestres une précision de planche anatomique dont elles sont malheureusement bien éloignées. Des déterminations qu’il a proposées il n’en subsiste que deux tout à fait incontestables ; celles de l’éléphant et du Bubalus antiquus : mais l’éléphant a subsisté en Berbérie jusqu’en pleine époque historique, et il est possible que nous ayons sur le Bubalus antiquus un texte de Strabon[95]. Sous bénéfice d’inventaire et jusqu’à plus ample informé, l’âge quaternaire des gravures rupestres anciennes n’est rien moins que prouvé.
L’étude des gravures rupestres sahariennes justifie et précise la distinction entre les deux catégories de gravures, anciennes et libyco-berbères. D’autant que dans chacune de ces catégories nous avons le portrait de l’artiste : d’une part un homme coiffé de ce qui semble bien être des plumes, armé d’un bouclier à double échancrure, d’une hache manifestement néolithique, d’arc et de flèches[96]. D’autre part le « cavalier numide » avec son bouclier rond et ses trois javelots.
Mais aussi longtemps qu’on a connu seulement les gravures algériennes, il y a une telle différence entre les deux catégories, leurs domaines apparaissent si tranchés, les factures si différentes, qu’on a pu imaginer un abîme entre les deux. Pour Pomel c’est l’œuvre de deux races tout à fait différentes, l’une quaternaire et peut-être nègre ; l’autre berbère et toute récente.
L’étude des gravures sahariennes rétablit la continuité ; on suit désormais les étapes, les dégradations successives qui conduisent des plus belles gravures anciennes aux plus immondes graffitti modernes ; la graduation de la décadence est établie : les gravures de Mouidir-Ahnet sont le missing link. Il en est d’incontestablement libyco-berbères qui sont dans le dessin étroitement apparentées avec d’autres incontestablement anciennes. Comparez par exemple les scènes de chasse de part et d’autre, la chasse à l’autruche dans Pomel[97], et au mouflon sur les roches de Mouidir[98]. Tout cela prend l’apparence d’une école unique progressivement atrophiée : et dès lors il devient difficile d’imaginer que les gravures soient l’œuvre de deux races différentes, il semble que tout soit berbère et on peut d’autant moins reculer les gravures anciennes dans une antiquité extrêmement lointaine.
J’imagine que les causes de la décadence sont assez faciles à dégager. Et sans doute faut-il faire sa part au triomphe de l’islamisme iconoclaste. Mais il y a autre chose. Tous les dessins, même les plus récents ont été gravés avec un instrument en pierre, il suffit pour s’en rendre compte de s’essayer à reproduire une gravure sur la roche même d’une station. On n’y parvient pas avec la pointe d’un couteau ou d’une arme en fer, le trait obtenu est infiniment trop délié, filiforme et presque invisible ; qu’on essaie avec une pierre et on réussit sans peine en très peu de temps. Aussi bien cette constatation n’est pas nouvelle, elle n’a pas échappé à Pomel et à Flamand. Je crois même qu’on peut expliquer comme suit l’énorme différence de facture entre les deux types libyco-berbères, le saharien et l’algérien (voir par exemple la planche 25, nos 2 et 3). Les gravures du type algérien, en pointillé à grands éclats (no 3) ont été exécutées avec une pierre quelconque, sans pointe, un caillou contondant, à une époque ou les pointes néolithiques n’étaient plus d’usage courant, ou par un individu qui s’en trouvait démuni. Les gravures du type saharien (no 2) ont été exécutées avec une pointe de silex. Et dès lors on comprend bien que les gravures de ce type inconnues dans le nord, abondent au Sahara, puisque, aussi bien, l’usage des armes et des outils en pierre s’est de toute nécessité conservé bien plus longtemps au cœur du continent qu’au voisinage de la Méditerranée.
Au surplus les Touaregs actuels ne gravent plus ; je n’ignore pas que Rohlfs a trouvé au désert de Libye un dessin rupestre de bateau à vapeur, mais je parle du Sahara occidental, et d’ailleurs on ne peut pas tirer de conclusions générales d’une fantaisie individuelle. Ce qui est certain, en règle générale, c’est que le Touareg a continué à considérer les pierres comme la seule matière qui se prête à l’écriture, encore aujourd’hui il les couvre de tifinar’ et de dessins généralement géométriques (voir la fig. 17, no 11). Ils sont particulièrement abondants dans la grotte de Timissao. Mais ce n’est plus de l’écriture gravée, elle est peinte, généralement à l’ocre ; d’ailleurs le Touareg, grand ornemaniste en cuir est assez familier avec les couleurs minérales. Il se peut au surplus qu’il y ait eu une ancienne alliance entre la gravure et la peinture rupestre ; dans certaines figures comme le bélier coiffé d’un disque (fig. 14), tout l’espace circonscrit par le trait extérieur est creux et parfaitement lisse ; on imagine volontiers que cet évidement devait être recouvert d’un enduit coloré. En tout cas la substitution d’une mode à l’autre, de la peinture à la gravure, doit se rattacher à la disparition des derniers outils en pierre. On sait d’ailleurs que cette disparition dans l’Afrique du nord est assez récente et on dira tout à l’heure que chez le Touaregs en particulier il ne faut pas gratter beaucoup pour retrouver le néolithique.
En somme la gravure rupestre semble avoir suivi pas à pas la décadence du lithisme. Sous cette réserve qu’une synthèse est peut-être tout de même prématurée, on se représenterait hypothétiquement comme suit les phases de la gravure rupestre.
A. — L’époque des belles gravures sud-oranaises, néolithisme exclusif. La gravure est un art qui a ses ouvriers habiles, et même c’est un art religieux, le bélier casqué a été certainement l’objet d’un culte (Ammon, alias Bou-Kornéin le cornu).
B. — Libyco-berbère saharien. La gravure n’a plus de sens religieux, elle n’excite plus le même intérêt, l’influence du christianisme puis de l’Islam se fait sentir, mais au Sahara du moins le néolithisme persiste et avec lui les outils et les procédés de la gravure.
C. — Libyco-berbère méditerranéen le lithisme est en voie d’extinction, la gravure devient tout à fait grossière, de très bonne heure dans la zone méditerranéenne, où la phase B n’existe pas, beaucoup plus tard au Sahara.
La limite chronologique entre A et B apparaît nettement, la disparition de l’éléphant et l’apparition du chameau, phénomènes historiquement datés, nous reportent approximativement au début de l’ère chrétienne.
Il est difficile de dire jusqu’à quelle époque le libyco-berbère saharien a pu se maintenir ; jusqu’à une époque peut-être beaucoup plus rapprochée de nous qu’on n’imagine, et l’expression « cavalier numide ou gétule » serait mal choisie s’il fallait la prendre à la lettre. Le Berbère est étonnamment conservateur, les Touaregs cavaliers du Niger conservent encore aujourd’hui dans ses traits essentiels l’armement des stèles du musée d’Alger, les trois javelots qu’ils lancent en galopant avec une adresse stupéfiante, dit-on, fidèlement transmise de génération en génération depuis Massinissa.
Sur le terminus a quo des plus anciennes gravures, il est impossible de se prononcer, il est pourtant, je crois, de prudence élémentaire, et jusqu’à plus ample informé de ne pas les mettre en parallèle avec nos gravures européennes sur os et sur pierre, contemporaines du mammouth et du renne.
Il reste à ajouter ceci. Dans l’état actuel de nos connaissances, l’extrême rareté au Sahara des gravures rupestres de type ancien reste un fait frappant. Sans doute il y en a d’incontestables à Timissao et je crois bien qu’il faut rattacher à cette catégorie une girafe de l’O. Tar’it dans l’Ahnet. Mais nous ne savons pas du tout quel temps il faut pour patiner une gravure ; à coup sûr j’ai cherché vainement des gravures anciennes à la station si riche d’Ouan Tohra, et dans une station quelconque du Sud-Oranais pareille recherche, je crois, ne fût pas resté vaine. C’est l’Algérie qui reste le pays classique des vieilles gravures, les plus beaux échantillons, et les plus nombreux sont là. On a l’impression qu’au Sahara ces Berbères graveurs sont venus tardivement.
III. — Armes et instruments néolithiques.
J’ai trouvé en cours de route un certain nombre d’armes et d’instruments néolithiques.
Station d’Aïn Sefra. — La station d’Aïn Sefra est très anciennement connue, si anciennement qu’elle a presque cessé d’être une station, les pièces les plus intéressantes ayant été enlevées depuis longtemps. J’y ai recueilli cependant un lot considérable de débris parmi lesquels M. Verneau a bien voulu sélectionner un petit nombre de pièces « des lames retouchées sur les bords et des lames à encoche », de petits outils que M. Verneau estime avoir servi à la taille et à la perforation des rondelles d’œuf d’autruche.
Fig. 26. — Coupe schématique de la station néolithique d’Aïn Sefra.
(Figure extraite de L’Anthropologie. Masson et Cie, édit.)
Un séjour prolongé m’a permis d’étudier le gisement, dont les conditions me paraissent intéressantes.
Le substratum immédiat est formé par des alluvions quaternaires presque exclusivement sablonneuses sous lesquelles s’enfoncent au sud, en plongée très accusée, les grès crétacés du dj. Mekter, et dans lesquelles au nord l’oued actuel a creusé son lit. Au contact du Crétacé et du Quaternaire, mi-partie sur l’un et sur l’autre une dune est accumulée. La surface du quaternaire est parsemée de touffes de végétation, autour de chacune desquelles l’érosion éolienne a profondément affouillé, de sorte que chaque touffe couronne un monticule. Il est clair que ceci est un champ de bataille entre le vent et la végétation, l’un tendant à décaper et l’autre à protéger le sol : rien de plus fréquent au Sahara. Il est clair aussi que la dune représente les conquêtes du vent, la dune s’est formée aux dépens du sable quaternaire sur lequel elle repose.
Les silex gisent en vrac entre les touffes sur la plate-forme quaternaire, et aux endroits où ils sont le plus denses les fouilles ne donnent absolument rien ; tout est à la surface du sol.
Tout se passe donc comme si les silex étaient un résidu des couches disparues, décapées par le vent, et accumulées par lui sous forme de dune à quelques mètres de là.
C’est un fait général au Sahara que les silex néolithiques se trouvent comme à Aïn Sefra en vrac à la surface du sol et à proximité d’une dune. Dans la plupart des cas je suis convaincu qu’une analyse détaillée des conditions de gisement donnerait un résultat identique. Au Sahara, pays de décapage éolien, il n’y a plus de gisements, mais simplement des résidus de gisement. Le vent s’est chargé des fouilles, et voilà pourquoi il y a, d’une part, une si grande abondance de matériaux recueillis, et d’autre part une extrême pénurie de renseignements précis sur la stratigraphie des stations.
Station de Zafrani. — Une station néolithique importante se trouve sur la rive gauche de la Zousfana entre Moungar et le puits de Zafrani, en bordure de la dune et sur le Quaternaire. Les silex comme toujours sont épars sur le sol. Ils ont été extrêmement abondants, car tous les convois militaires qui depuis 1902 viennent camper une fois par mois à Zafrani ont méthodiquement pillé la station, qui n’est pas encore tout à fait épuisée. Le musée d’Alger a une assez jolie collection de ces silex, représentée ci-contre (pl. XIX, phot. 38).
Les pointes de Zafrani sont en deux silex différents, l’un noir et l’autre blanc. Cela correspond peut-être à la présence dans le pays de deux catégories très différentes de rognons siliceux, les uns carbonifères et les autres pliocènes.
Ces silex sont intéressants parce que très particuliers, très différents de ceux qu’on recueille couramment en si grand nombre dans la région d’Ouargla et dans l’erg oriental. La planche XIX (phot. 37) donne à titre de spécimen et pour la comparaison, quelques échantillons de ces pointes orientales. Tandis qu’elles sont menues, longues de 2 ou 3 centimètres, et admirablement travaillées sur les deux faces, on dirait presque ciselées[99], les pointes de la Zousfana sont deux fois plus longues et plus épaisses, et d’un travail très grossier, unilatéral. Les premières sont de vraies pointes de flèche, tandis que les autres seraient plutôt des pointes de lance ou de javelot.
Nous entrons donc ici dans une autre région néolithique, car, d’une façon générale, et à de très rares exceptions près, les pointes du type Zousfana n’ont jamais été trouvées dans l’est (cf. la collection Foureau) ; et la réciproque est vraie, on va voir que les rares pointes connues dans la Saoura et au Touat sont presque toutes du type Zousfana.
| E.-F. Gautier. — Sahara Algérien. | Pl. XIX. |
Cliché Virzewski
37. — TYPE DES POINTES D’OUARGLA (Musée d’Alger) ;
(Grandeur nature.)
Cliché Virzewski
38. — TYPE DES POINTES DE LA ZOUSFANA (Musée d’Alger).
(Grandeur nature.)
Ces deux types sont connus et classés en Algérie. Voici comment M. Pallary caractérise ce dernier : « Pointes de trait pédonculées, grosses, massives, irrégulières, très rarement symétriques... toujours cet outillage est façonné sur une seule face. » Il provient toujours de stations en plein air d’après M. Pallary, qui déclare n’avoir jamais trouvé d’industrie similaire dans les grottes ; et qui conclut ainsi : « Aux temps néolithiques succède en Algérie la période numide et berbère, et c’est sans doute le contact des étrangers qui, introduisant dans notre pays les métaux, a dû amener cette décadence de la pierre que nous avons constatée dans les ateliers en plein air[100]. »
Ainsi les grosses pointes seraient un type de décadence, et représenteraient la dernière phase du néolithisme africain, contemporaine des métaux et presque moderne.
Les petites pointes soignées d’Ouargla se retrouvent bien elles aussi en Algérie, d’après Pallary ; elles sont « l’épanouissement du néolithique oranais » ; mais elles s’y trouvent toujours dans les dépôts supérieurs des cavernes (grottes des Troglodytes, du Polygone, de Noiseux et de la Tranchée), en compagnie d’une faune qui n’est pas tout à fait actuelle[101]. Voilà qui est intéressant, sous la plume d’un homme comme M. Pallary, connaisseur excellent de la préhistoire algérienne. Nous constatons ici, comme à propos des gravures, que les belles traditions de taille se sont conservées bien plus tard au Sahara qu’en Algérie. Et nous acquérons la notion que ces innombrables gisements de l’erg oriental, particulièrement signalés et exploités par M. Foureau, constituent probablement une province à part, cantonnée dans le bas Igargar.
Station de Tar’it. — Dans la palmeraie de Tar’it on trouve deux gisements néolithiques. Ils sont très médiocres ; des débris, de vagues grattoirs, mélangés à des morceaux d’œuf d’autruche percés et travaillés. Pas une seule pointe décente de flèche ou de javelot.
Les silex de Tar’it se trouvent en deux points :
a. Au voisinage de la palmeraie dite « des Adieux », à quelques kilomètres au nord du poste de Tar’it sur la route de Beni Ounif. Cette petite palmeraie est aujourd’hui inhabitée, et inculte, à l’exploitation des palmiers près ; mais elle ne l’est pas nécessairement, l’eau y sourd, et les conditions d’habitabilité sont encore aujourd’hui réalisées. L’eau est même fort abondante puisqu’elle est captée et amenée par deux foggaras (canaux souterrains) à la palmeraie actuellement cultivée. La palmeraie « des Adieux » est aux trois quarts enfouie dans la dune et l’ensablement est apparemment la cause de son abandon.
b. Au ksar en ruines de Mzaourou. Ces ruines, comme une demi-douzaine d’autres que je n’ai pas visitées, représentent la vie urbaine dans l’oasis de Tar’it, à une époque immédiatement antérieure à l’actuelle. Elles sont juchées au sommet de la falaise carboniférienne, dans une situation qui a évidemment la prétention d’être inexpugnable, et qui a donc été choisie par des habitants guerriers et autonomes. Les ksouriens actuels, qui ne sont plus ni l’un ni l’autre, ayant abandonné aux nomades le soin de les protéger, habitent dans la vallée au milieu des palmiers et au contact immédiat des jardins. Tandis que les ksars actuels sont bâtis en pisé, les vieilles ruines sont en pierres sèches ; à Mzaourou d’ailleurs le troglodytisme a joué un rôle important ; la falaise est creusée de cavernes cloisonnées de murs. Bref les ksars actuels et ceux du type Mzaourou représentent évidemment deux civilisations distinctes et successives.
Ces ruines en pierre sèche, qui toutes ont un nom, sont d’ailleurs historiquement connues, dans la mesure où les traditions indigènes méritent le nom d’histoire. Elles auraient été abandonnées à la suite des prédications d’un saint personnage venu de Syrie, et cet abandon serait en relation avec la conversion des indigènes à l’islamisme (?) ; ou plutôt avec cette recrudescence de prédication et d’ardeur maraboutique qui s’est produite au XVe siècle à la suite des victoires espagnoles.
A Mzaourou les débris de silex mélangés à des morceaux d’œuf d’autruche se trouvent dans les ruines mêmes du ksar, dans le sol, ou du moins dans ce qui en subsiste accroché aux anfractuosités de la roche. Et faut-il donc croire que l’usage des silex, sinon comme armes, du moins comme menus outils s’est conservé jusqu’au XVe siècle. Cela n’a rien d’invraisemblable dans l’Afrique du nord et tout particulièrement au Sahara[102].
En somme les gisements néolithiques de Tar’it sont très différents de celui de Zafrani, mais ils ont comme lui un caractère algérien, il rappellent Aïn Sefra.
Gisements de la Saoura et du Touat. — Le long de la Saoura, au Touat et dans son voisinage, je ne connais pas de gisements néolithiques sérieux ; j’ai seulement trouvé quelques pièces sporadiques.
Une pointe en silex à Bou Khrechba, sur la rive gauche de l’O. Saoura, sur des dépôts mio-pliocènes continentaux au pied de la dune.
Une pointe en silex entre Ksabi et Haci Mallem sur la route de Charouin, à une dizaine de kilomètres de Haci Mallem, au pied d’un cordon de dunes.
Trois pointes en quartzite sur la route de Taourirt à Haci Rezegallah, sur la rive droite de l’oued anonyme venu d’In Zegmir, et comme d’habitude en relation avec un cordon de dunes[103].
Pour être complet ajoutons un fragment de bracelet de verre, analogue à ceux que Foureau signale à différentes reprises, et trouvé sur la route de Haci Sefiat à Temassekh, à une dizaine de kilomètres de Sefiat.
Je sais que le capitaine Flye et ses compagnons ont trouvé dans l’Iguidi un petit nombre de pièces, une très jolie pointe en feuille de laurier, très finement travaillée, une hache au contraire très grossière (du type de Saint-Acheul) ; et sans doute aussi des mortiers et pilons en pierre sur lesquels on reviendra.
Enfin on m’a dit qu’à l’est du Touat sur les premiers gradins du Tadmaït on rencontrait des débris d’ateliers aux affleurements des troncs d’arbres silicifiés (qui abondent dans le crétacé inférieur).
Ce sont les seules traces de néolithisme qui aient été signalées encore dans cet immense espace. Sans doute il a été bien peu parcouru encore ; et de plus il l’a été à peu près constamment suivant des routes déterminées qui s’attachent naturellement aux points actuellement habités. Or la distribution de la vie humaine à l’époque néolithique, si rapprochée de la nôtre qu’on la suppose au Sahara, était certainement très différente de l’actuelle. Dans l’est du Sahara algérien les gisements sont dans le Tadmaït et surtout dans le Grand Erg, très loin des palmeraies d’Ouargla. Il n’en reste pas moins surprenant qu’un aussi petit nombre de trouvailles aient été faites dans un pays qui, après tout, a été sillonné par pas mal d’itinéraires : surtout si l’on songe que, dans la région d’Ouargla, il n’y a pas eu, je crois, un seul voyage, qui n’ait amené la découverte de nombreux et très beaux gisements. On est amené à conclure provisoirement que la partie occidentale du Sahara français est beaucoup moins riche que l’orientale, de plus le néolithisme y prend une forme nouvelle et bien plus fruste. Les quelques échantillons recueillis dans l’O. Saoura et à l’ouest du Touat seraient plutôt du type de Zafrani, des pointes fortes et grossières. La pointe finement travaillée, du type oriental est prodigieusement rare dans toute la région de l’ouest.
Il n’en est pas moins vrai que, entre les types néolithiques oriental et occidental il y a un point de ressemblance. De part et d’autre les pointes en silex (flèches ou javelots, armes de jet) ont une prédominance très marquée. Les haches sont très rares.
Et c’est d’autant plus notable que la proportion s’inverse dès qu’on dépasse le Touat au sud.
Gisements de l’Ahnet. — Stricto sensu j’ai trouvé deux haches dans l’Ahnet, l’une sur la route de Foum Zeggag à Ouan Tohra (à quelques kilomètres de ce dernier puits) ; l’autre à peu de distance au sud de Tin Senasset. Mais ces deux puits sont à l’extrême limite sud de l’Ahnet, à la limite du Tanezrouft, et il est remarquable que dans l’Ahnet proprement dit, comme d’ailleurs au Mouidir, on n’ait pas encore signalé à ma connaissance un seul gisement néolithique.
D’après les Touaregs il se trouve, il est vrai, de grands mortiers en pierre dans l’erg Tegant ; mais cet erg se trouve au nord du Mouidir, à la limite du Tidikelt, et d’ailleurs c’est un erg, ce qui suffit pour en faire quelque chose d’étranger aux grands plateaux gréseux du pays Touareg.
Foureau a été frappé de la rareté des gisements néolithiques chez les Azguers, et Motylinski n’en a pas trouvé au Hoggar, non plus que Chudeau.
Les montagnes touaregs, en somme, dernier refuge de la vie actuelle au Sahara, sont très pauvres en néolithisme.
Gisements du Tanezrouft. — J’ai trouvé au contraire un assez grand nombre d’armes et d’outils néolithiques en traversant le Tanezrouft.
J’ai déjà mentionné deux haches trouvées en deux points différents à la limite sud de l’Ahnet.
Dans l’O. Akifou une hache en ryolite et une sphère-écraseuse de même matière.
Entre ce point et In Ziza deux autres haches.
Il faut noter la présence à la limite méridionale de l’Ahnet et au nord d’In Ziza, d’une tendance à l’ensablement et d’un puissant cordon de dunes allongé parallèlement à l’O. Tiredjert. Les objets en pierre polie ont tous été trouvés à petite distance d’une dune.
Une hache à l’oued Tamanr’asset près de Timissao.
Une jolie pointe de silex en feuille de laurier du type d’Ouargla, au sud de la gara Tirek.
Dans la même région (N. d’In Ouzel) un pilon très allongé et très mince et un rouleau cylindrique en quartz rubanné ; ce dernier, qui n’est pas arrivé en Europe, était long de 0 m. 13 mais il a pu l’être davantage, il semblait brisé à une extrémité au moins, la section n’était pas tout à fait sphérique (grand diamètre 0 m. 056, petit diamètre 0 m. 052).
Dans le Tanezrouft oriental, entre In Ouzel et le Hoggar, Chudeau a trouvé encore huit haches ou pilons.
Au total la traversée du Tanezrouft a donné une vingtaine d’armes ou d’outils néolithiques. On sait que les indigènes appliquent le mot de Tanezrouft aux parties les plus arides et les plus inabordables du Sahara. Entre l’Ahnet et In Ouzel la partie traversée du Tanezrouft a 500 kilomètres, et sur cette grande étendue on ne rencontre que deux points d’eau. Ces solitudes mortes, où personne aujourd’hui ne séjourne jamais, se traversent à marches forcées de jour et de nuit, le moindre retard pouvant avoir de graves conséquences. Les objets rapportés ont été ramassés précipitamment parce qu’ils se sont trouvés sous les pieds du chameau, de jour, suffisamment en évidence pour être aperçus à quelques mètres de distance, à un moment où l’œil du cavalier n’était pas attiré par autre chose. Dans de pareilles conditions il me paraît remarquable qu’un aussi grand nombre d’objets ait été trouvé ; cela suppose évidemment une diffusion assez abondante des produits de l’industrie néolithique à la surface du Tanezrouft.
Il devient curieux par contraste qu’on n’ait rien trouvé dans les vallées de l’Ahnet, où l’on marchait à petites journées, faisant de longs séjours, et entouré de Touaregs familiers avec le pays, qui savaient devoir bénéficier d’une prime s’ils indiquaient un gisement néolithique.
Les Touaregs connaissent les haches néolithiques, ils s’en servent pour aiguiser leurs rasoirs, et ils ont d’ailleurs au sujet du néolithisme des légendes explicatives. Si je les ai correctement interrogés (ce qui est à vrai dire malaisé) ils indiquent en effet le Tanezrouft comme la région par excellence où le néolithisme a laissé de traces.
Ce curieux renseignement cadre avec les observations de MM. Foureau et Chudeau à l’est du Hoggar. L’Aïr semble lui aussi très pauvre en néolithisme.
M. Chudeau a bien rapporté une flèche provenant de Teguidda n’Taguei (50 kilomètres N.-O. d’Agadès), mais elle était isolée, et le point d’ailleurs est franchement en dehors de l’Aïr montagneux.
M. Foureau a trouvé une fort belle hache à Aoudéras sur la limite méridionale de l’Aïr, mais il croit « qu’elle a été apportée en ce lieu ; car on ne trouve pas un seul instrument de pierre taillée à des centaines de kilomètres à la ronde ». C’est une affirmation qui a du poids sous la plume d’un collectionneur néolithique aussi attentif, aussi expérimenté et aussi heureux.
En revanche M. Foureau signale une très belle station néolithique au puits d’Assiou. M. Chudeau a trouvé une hache dans le nord du Tiniri et une flèche au sud d’In Azaoua. Le Tiniri serait donc relativement riche en stations néolithiques, de même que le Tanezrouft dont il est le pendant oriental.
Gisements de l’Adr’ar des Ifor’ass et de l’O. Tilemsi. — Sur tout le trajet entre In Ouzel et le Niger le nombre des outils néolithiques directement trouvés en place est restreint.
O. Tassemak débris d’atelier auprès d’une colline en quartzite (insignifiants).
O. Ichaouen une moitié de mortier en granit brisé (trop lourde pour être emportée).
A Tissédiyé une très petite et assez joliment travaillée pointe de flèche en quartz, et un débris de poterie. A noter que les rochers de Tissédiyé portent quelques gravures rupestres et qu’ils sont ensablés, chose rare dans l’Adr’ar.
Mentionnons encore, pour mémoire, une grande pointe de lance en roche cristalline, grossièrement mais incontestablement taillée, trouvée entre l’oued Tougçemin et Bour’oussa, mais malheureusement perdue.
Voilà pour l’Adr’ar des Ifor’ass.
Au Tilemsi, débris d’atelier, ou en tout cas esquilles de silex auprès du puits de Tabankor (insignifiants).
Au puits de Tabrichat, ou plus exactement à la mare temporaire qui voisine avec le puits, une très jolie petite hache.
Je sais par ouï-dire qu’on a trouvé des flèches en silex et des poteries au poste même de Gao.
En somme, une pointe de flèche de Tissédiyé et une petite hache de Tabrichat, voilà tout ce que j’ai recueilli « en place » d’In Ouzel au Niger. Il est vrai que l’Adr’ar n’est plus, comme le Sahara, un pays à sol nu, décapé par les influences continues de la sécheresse et du vent. C’est au contraire un pays à sol alluvionnaire en formation, couvert de végétation. Les conditions sont donc bien plus défavorables pour la rencontre fortuite d’outils néolithiques en vrac à la surface du sol.
Pourtant entre les puits de Tarikent et d’Adiyamor, j’ai rencontré un cimetière musulman, actuel peut-être, et en tout cas moderne, qui est un véritable musée d’industrie néolithique. A peu près toutes les pierres tombales (pierres debout, stèles) sont des haches, des mortiers, des pilons, etc. ; bref d’innombrables outils néolithiques en admirable état de conservation ; il y en avait des centaines, et les échantillons prélevés ne représentent naturellement qu’une faible partie de l’ensemble. (Voir appendice VI, p. 352.)
Il est clair que l’existence de pareils cimetières-musées suppose une abondance, dans la région, d’outils néolithiques.
Au témoignage unanime des officiers, des cimetières de ce genre se rencontrent fréquemment dans la zone nigérienne, et les outils néolithiques rapportés du Soudan nigérien par le lieutenant Desplagnes, sont tout à fait les mêmes que ceux du Tanezrouft, de l’Adr’ar des Ifor’ass, et du Tilemsi. La province néolithique dans laquelle on entre au sud de l’Ahnet se continue donc au Soudan dans la boucle du Niger, jusqu’au Hombori, au Mossi.
Cette province néolithique se caractérise par l’énorme prédominance des haches. La collection Foureau qui provient surtout du Grand Erg au sud d’Ouargla ne contient qu’une trentaine de haches contre environ 6000 silex. Ma petite collection, recueillie au sud des oasis, contient une trentaine de haches contre deux pointes en silex et en quartz. Les collections soudanaises du lieutenant Desplagnes donneraient, je crois, une proportion analogue.
Et sans doute faut-il faire observer que le sol, au nord et au sud des oasis, n’offrait pas du tout les mêmes ressources à l’industrie néolithique : au nord les rognons de silex abondent dans les couches pliocènes ; au sud les terrains archéens, métamorphiques et éruptifs fournissent de superbes matériaux pour le travail des haches (Voir appendice VI), tandis que le silex fait défaut. Ce n’est pas absolu pourtant, du moins si on envisage la totalité de la province. Les dépôts crétacés et tertiaires du Soudan (ceux du Tilemsi par exemple) contiennent des rognons de silex, et pourtant dans l’O. Tilemsi comme ailleurs ce qu’on rencontre surtout ce sont des haches.
On serait donc tenté de croire qu’aux différentes provinces néolithiques ont correspondu historiquement des civilisations diverses.
Rouleaux, meules dormantes. — Il faut mentionner à part une catégorie intéressante d’instruments en pierre polie, des rouleaux écraseurs et meules dormantes. Ils ne sont pas cantonnés dans la zone des haches en roches cristallines. Foureau en a trouvé beaucoup dans la zone d’Ouargla, où il a noté qu’ils accompagnent les gisements néolithiques. C’est là une affinité intéressante entre ces deux provinces, par ailleurs si différentes.
J’ai rapporte un instrument en pierre polie, long d’une cinquantaine de centimètres, et plus massif à un des bouts, en forme de massue, un bâton de pierre. Cet échantillon est isolé, c’est un outil contondant à la manière d’un pilon. Mais je n’ai pas vu le mortier qui lui correspondrait et l’interprétation reste hasardeuse.
Ce qui est beaucoup plus fréquent, ce sont des rouleaux écraseurs, de formes variables, cylindriques, en olive, sphériques, auxquels correspondent des augets, dont l’intérieur seul est soigneusement poli.
Tout ce matériel a servi indubitablement à moudre du grain. C’est l’équivalent, en civilisation primitive, de la meule tournant autour d’un axe.
Il est bien connu d’ailleurs, il se retrouve en Espagne, par exemple, à l’époque néolithique. Mais là, comme dans l’Afrique mineure, il appartient à un passé très lointain, qu’on exhume péniblement. Au Sahara et au Soudan il est actuel.
On est frappé d’abord du grand nombre des échantillons signalés. Tous les voyageurs sahariens en ont rencontré. Lenz en a reproduit quelques-uns provenant de Taoudéni[104]. J’ai déjà dit que le capitaine Flye en a rapporté de l’Iguidi. Foureau en mentionne un grand nombre[105].
Il est tout naturel que les outils de ce genre soient extrêmement nombreux, puisqu’ils sont encore en usage au moins sur certains points et dans une certaine mesure.
Dans les oasis sahariennes (Touat, Tidikelt) on se sert pour moudre le grain de la meule méditerranéenne, algérienne, deux disques en pierre accolés, et réunis par un axe en fer autour duquel on fait tourner le disque supérieur au moyen d’une poignée également en fer. Il y a probablement très longtemps que la meule s’est substituée au rouleau écraseur, sur lequel elle a une supériorité évidente.
Il faut noter pourtant qu’on emploie encore pour écraser les noyaux de dattes (car on ne laisse rien perdre), un petit disque en pierre, de la grosseur du poing, creusé au centre de chacune de ses faces planes d’une petite cavité. Encore est-il que cet instrument semble devenir de jour en jour plus désuet, car en ayant trouvé un dans les ruines de Mzaourou j’ai eu toutes les peines du monde à m’en faire indiquer l’usage. Il me paraît évident que ce disque à écraser les noyaux de dattes est le dernier représentant des rouleaux écraseurs.
Au sud des oasis la meule algérienne disparaît, au moins dans le Sahara central, car, par l’intermédiaire de la Maurétanie elle a atteint Tombouctou.
Les Touaregs de l’Aïr font usage du rouleau écraseur, les affirmations de MM. Foureau et Chudeau, confirmées par une photographie très nette de M. Foureau ne laissent pas de doute à ce sujet.
Il est certain aussi, que le rouleau écraseur est actuellement en usage, sinon dans tout le Soudan du moins au Mossi[106].
Il faut noter pourtant que, dans l’Aïr à coup sûr, et peut-être aussi dans le Mossi, le grain est d’abord concassé, le plus gros de la besogne est fait dans un mortier en bois, avec un pilon en bois (du type si commun dans toute l’Afrique nègre). C’est ensuite seulement que le résidu de cette première trituration est versé dans des augets où les femmes achèvent de le réduire en farine avec les rouleaux écraseurs.
Or on a vu que, au nombre des échantillons recueillis au Tanezrouft se trouve un véritable pilon en pierre, un outil de percussion qui n’a pas pu être employé comme rouleau. Il nous reporte à une période aujourd’hui close, où tout le matériel à moudre était lithique, depuis le pilon jusqu’au rouleau.
Il est évident aussi que dans ce domaine très étendu, où se rencontre épars sur le sol le matériel à moudre néolithique, les régions où il est resté en usage sont d’étendue insignifiante. Sur les bords du Niger par exemple, il me semble bien que son usage a presque tout à fait disparu. A Tombouctou on m’a bien montré deux pierres plates, qu’on frotte l’une contre l’autre et qui servent à parachever la fabrication de la farine, mais elles sont frustes, à peu près telles que la nature les a faites, un accessoire domestique sans importance, bien éloignées du fini et de l’élégance des rouleaux et des augets qu’on trouve dans la brousse.
On a dit que les rouleaux et les augets se retrouvaient aujourd’hui dans les cimetières ; j’ai rapporté une meule dormante brisée, qui porte une inscription arabe funéraire. M. Desplagnes en a publié une fort belle[107].
Si les rouleaux à moudre et les augets n’étaient tombés en désuétude on s’expliquerait difficilement leur accumulation sur les tombes en grandes quantités ; non seulement ces beaux outils intacts, finement travaillés, auraient trop de valeur pour être ainsi abandonnés si on en avait l’emploi, mais encore leur association sur les tombeaux avec des haches néolithiques suggère l’idée d’une sorte de vénération religieuse, s’attachant à des restes un peu mystérieux du passé. Au reste j’ai recueilli une petite légende touareg qui confirme cette manière de voir. Au puits de Meniet (sud du Mouidir) mourut la chamelle d’Élias (personnage du folklore touareg) ; de ce point précis Elias lança sa sagaie qui tomba à dix kilomètres de là ; au point où elle est tombée, à côté d’un redjem on voit des pilons en pierre. Ainsi les pilons en pierre sont associés à la sagaie d’Elias, ce serait faire beaucoup d’honneur à un ustensile actuel de ménage parfaitement identifié.
En résumé l’usage du matériel à moudre néolithique a partiellement disparu, mais il s’est maintenu partiellement, et nous saisissons ici sur le fait combien toute cette zone est encore incomplètement dégagée du néolithisme.
Aussi bien il n’est pas difficile d’en donner d’autres preuves.
La hache touareg est en fer, mais à emmanchure néolithique.
On sait que les Touaregs et les Nigériens portent au-dessus du coude un bracelet de pierre (l’abedj). C’est un produit de l’industrie locale, j’ai trouvé dans les hauts de l’O. Taoundrart (Adr’ar des Ifor’ass) sur un affleurement de chloritoschistes un atelier d’abedj. Ainsi les Touaregs ont conservé la tradition du travail de la pierre.
Conclusion. — Il paraît évident que dans toute la Berbérie l’usage des outils et des armes en pierre s’est maintenu jusqu’à une époque récente. Dans les tombeaux on trouve le cuivre et le bronze toujours mélangés avec le fer ; pas trace d’époques indépendantes du cuivre et du bronze ; des silex taillés en petit nombre ont été trouvés dans des tombeaux qui contenaient aussi des objets en fer. Tout indique que le néolithisme rejoint ici l’âge du fer.
D’autre part, il n’y a aucune raison d’admettre que l’introduction du fer ait eu lieu ici de meilleure heure qu’en Europe. Au contraire, on trouve des stations de silex taillés dans des ruines historiquement datées comme celles de Mzaourou. Des dessins rupestres libyco-berbères, datés eux aussi par les animaux d’introduction récente qu’ils représentent (chameaux), n’ont pu être gravés qu’avec un outil néolithique. Tous ces vestiges du passé, outils néolithiques (les pilons à tout le moins), gravures, redjems sont rattachés par les Touaregs à des personnages mythiques, Elias et Amamellé, au sujet desquels le folklore fourmille d’anecdotes. Chez les Berbères d’Algérie, a fortiori chez ceux du Sahara, encore plus illettrés, l’histoire a vite fait de dégénérer en mythe. Pour que les souvenirs rattachés à Elias et Amamellé soient restés aussi vivants il faut qu’ils ne remontent pas à une époque reculée.
Au reste ce sont là les conclusions auxquelles on s’arrête généralement, ce sont celles de Foureau.
On peut affirmer encore que le néolithisme descend à une époque d’autant plus rapprochée de nous qu’on s’enfonce davantage dans l’intérieur du continent ; comme en témoigne non seulement l’emmanchure néolithique des haches touaregs et soudanaises, et l’usage de l’abedj, mais encore le fini des dessins rupestres sahariens représentant le chameau, ou encore la beauté des pointes d’Ouargla.
Nous sommes en état, semble-t-il, de distinguer des provinces. Celle du nord-ouest (Zousfana) est la moins intéressante, en ce sens du moins qu’elle est un simple prolongement de l’algérien néolithique. Mais les deux autres sont bien individualisées, aussi bien vis-à-vis de l’Algérie qu’entre elles.
Elles sont on ne peut plus distinctes ; d’une part, dans l’erg oriental entre Ouargla et Radamès, énorme prédominance des flèches en silex ; — de l’autre, dans tout le Sahara central, prédominance non moins énorme des haches en roches cristallines.
Cette province Saharienne centrale semble un simple prolongement de la Soudanaise, telle que je l’ai entrevue et que M. Desplagnes l’a étudiée. Je ne saurais pas assurément où fixer une limite entre les deux et sur quels arguments baser une distinction. Notons même que les flèches nigériennes assez rares trouvées par M. Desplagnes sont exactement du type d’Ouargla[108]
Au contraire, du côté de l’Algérie l’hiatus est évident. Non seulement les rouleaux écraseurs d’âge récent font défaut en Algérie, mais les pointes d’Ouargla ne s’y trouvent que dans les vieux dépôts de cavernes.
Il reste bien entendu, naturellement, que toutes ces formes néolithiques, algériennes, sahariennes et soudanaises, ont des affinités communes avec le néolithique égyptien. Que l’Égypte soit pour toutes les civilisations nord-africaines le centre le plus ancien de diffusion, c’est un point acquis et d’ailleurs trop évident. Mais à cette restriction près le néolithique saharien tout entier a ses affinités bien plutôt avec le Soudan qu’avec l’Algérie. C’est un fait qui n’a jamais été signalé, et qui paraît incontestable.
Il semble bien aussi qu’il y ait entre les deux provinces, d’Ouargla et Saharienne centrale, un autre point très important de ressemblance. Qu’on jette un coup d’œil sur la carte des gisements de silex à la fin du deuxième volume des Documents de la Mission saharienne[109], on sera frappé de voir combien ces stations se pressent dans la cuvette de l’Igargar. Elles sont beaucoup plus rares non seulement au Tassili, mais aussi au Tadmaït, dans le haut pays, dans la section amont des fleuves.
C’est absolument ce que nous avons observé dans le Sahara central, les montagnes, Hoggar, Aïr, Mouidir, Ahnet sont très pauvres en industrie néolithique. Nous la trouvons concentrée dans le Tanezrouft et dans le Tiniri, c’est-à-dire dans les plaines d’alluvions des bas fleuves. Évidemment c’est là que vivaient les néolithiques, dans des régions qui sont aujourd’hui parfaitement inhabitables et inhabitées. Car la cuvette de l’Igargar, elle aussi, est dans son ensemble un désert redoutable, quoiqu’un peu de vie se soit conservée en son point le plus bas, au voisinage de l’Atlas (Ouargla, l’oued R’ir).
Tout au rebours la vie actuelle au Sahara s’est réfugiée aux extrêmes radicelles des réseaux fluviaux dans les massifs montagneux qui arrêtent au passage quelque humidité. Les redjems et les gravures rupestres lui font cortège ; nous n’en avons pas vu dans les plaines désertes, Foureau n’en signale pas dans la cuvette de l’Igargar et pour les redjems en particulier cette lacune ne peut pas être fortuite. Quand nous disons gravures rupestres, nous entendons les plus récentes, les libyco-berbères frustes ou soignées, dépourvues de patine, puisque les anciennes font à peu près défaut. En un mot tout ce qui est actuel ou moderne en fait d’humanité ou de vestiges humains, tout ce qui se rattache à l’âge du fer est concentré dans les montagnes : tout le néolithique dans les plaines en contre-bas. Et notons que les seules gravures rupestres dont je puisse garantir l’ancienneté sont à Timissao, au cœur du Tanezrouft (?)
Cette répartition inverse des deux populations successives, néolithique et moderne, atteste évidemment qu’il s’est produit entre les deux un changement profond dans les conditions d’habitabilité, j’évite à dessein de dire un changement de climat.
Les néolithiques avaient d’ailleurs un matériel très compliqué à moudre le grain. Est-il incorrect d’en inférer qu’ils étaient grands consommateurs, et par conséquent producteurs de céréales, c’est-à-dire sédentaires ? Sans doute les Touaregs actuels, qui ne sont rien moins que cultivateurs, ont conservé dans une certaine mesure ce matériel néolithique ; et sans doute aussi ils consomment des grains, le peu de blé, orge, sorgho, qui pousse dans les ar’rem du Hoggar, et les graines de graminées sauvages (comme le drinn). Pourtant il n’est pas douteux que les céréales ne constituent pas pour eux, comme pour les peuples sédentaires, la base de l’alimentation : ils vivent surtout de lait, de viande et de dattes. Et c’est peut-être précisément parce que les grains sont pour eux une alimentation accessoire, qu’ils se contentent du matériel néolithique, d’ailleurs appauvri et dégénéré. En tout cas, ils laissent inutilisés à la surface du Sahara des milliers de rouleaux et de meules dormantes, en parfait état de conservation, et dont ils semblent même, pour peu que la forme en soit aberrante du type familier, ne pas soupçonner l’usage, avec cette incuriosité du Touareg pour tout ce qui n’est pas l’auxiliaire pratique et immédiat de sa rude existence.
Notons encore que la grande prédominance des haches dans tout le Sahara central suggère bien en effet l’idée d’une population agricole et sédentaire. On imagine qu’une population de nomades, pasteurs, chasseurs et guerriers, aurait eu un outillage militaire plus compliqué, où les armes de jet, les pointes auraient tenu une grande place.
Tout cela concorde, et je ne crois pas interpréter abusivement le témoignage des faits en affirmant que, pendant toute la durée de l’époque néolithique, les cuvettes alluvionnaires du Sahara les plus désolées aujourd’hui ont été peuplées et susceptibles de culture à quelque degré. Il serait désirable assurément d’appuyer cette théorie sur des documents, je ne dis pas plus probants, mais plus nombreux. Il est clair que les plaines sahariennes défendues contre l’exploration par leur aridité, et par l’accumulation des dunes, sont tout particulièrement inconnues. Elles recèlent probablement, de l’homme néolithique, d’autres vestiges que des haches éparses et des meules dormantes. D’ores et déjà pourtant, l’idée paraît s’imposer, étayée sur un nombre respectable de faits négatifs et positifs, tous concordants. Mais ici nous nous heurtons à une difficulté intéressante. Le néolithique est d’hier dans le monde entier, et tout particulièrement dans l’Afrique du nord ; il est par définition post-quaternaire, et dans le Sahara il paraîtrait déraisonnable de reculer l’introduction du fer à beaucoup plus de deux mille ans. S’il s’était produit un changement de climat à une époque aussi récente, déjà historique, et dans un pays aussi proche de la Méditerranée, à coup sûr nous en serions informés.
Il faut donc que la modification constatée dans les conditions d’habitabilité soit indépendante du climat ; disons donc que les grands fleuves sahariens ont conservé, jusqu’à la fin du néolithique, assez de vie et d’humidité pour alimenter, par exemple, des oasis, aussi longtemps que les progrès du décapage éolien, et la formation des dunes qui en est la conséquence, n’avaient pas interrompu la continuité du tapis alluvionnaire.
Notre étude ethnographique nous conduit donc à des conclusions déjà formulées à la fin du chapitre précédent ; par des voies différentes nous sommes conduits à la même hypothèse, qui en devient plus vraisemblable.
On pourrait aller plus loin et aborder incidemment une question un peu dangereuse. Qu’étaient ces néolithiques sahariens, agriculteurs et riverains des grands oueds ? des Berbères ? ou des Soudanais ? c’est la vieille question garamantique, soulevée par Duveyrier.
On a dit que l’outillage néolithique saharien est soudanais bien plus qu’algérien.
On sait d’autre part que le climat, au Sahara, aux oasis par exemple, interdit aux hommes de race blanche l’agriculture, qui, jusqu’aux portes de Biskra, reste réservée aux Noirs.
La question des bœufs porteurs est de nature à jeter quelque jour sur la question. Des bœufs bâtés sont fréquemment représentés dans les dessins rupestres, et cela jusqu’à Barrebi, au pied de l’Atlas. Nous savons d’ailleurs par les auteurs anciens que les Garamantes avaient des bœufs porteurs, et que ces animaux jouaient à peu près au Sahara le rôle actuellement dévolu aux chameaux. D’ailleurs, quoiqu’on l’ait trop souvent oublié, en traitant la question si controversée des Garamantes, on n’ignore pas que le bœuf porteur est actuellement encore d’un usage courant au Soudan, sur les bords du Niger. Les Touaregs de la boucle connaissent et emploient le bœuf porteur. Le bœuf soudanais est d’ailleurs beaucoup moins exclu du Sahara qu’on ne l’imagine : Duveyrier le signale à R’at[110].
Dans l’Adr’ar des Ifor’ass il est abondant, et il se retrouve au Hoggar même ; les Touaregs du Hoggar ont un cheptel de zébus qu’ils renouvellent facilement chez les Ifor’ass, leurs clients. Cela revient à dire qu’il ne serait pas impossible aujourd’hui encore de faire traverser le Sahara à une charge portée par un bœuf. Les zébus du Hoggar, pour peu qu’on choisisse la saison et la route, atteindraient sans difficulté insurmontable le Tidikelt (où les moutons et les chèvres arrivent tous les hivers), et le long des oasis, qui forment un chapelet continu, le voyage se continuerait jusqu’en Algérie. Ce voyage serait une absurdité économique, le bœuf ne pouvant évidemment soutenir la concurrence du chameau, il ne serait pas une impossibilité pratique.
Lors donc que nous constatons l’existence de bœufs porteurs garamantiques dans les postes romains de la Tripolitaine, il est difficile de se soustraire à la conclusion que les caravanes transsahariennes disposaient il y a deux mille ans d’un outillage, et peut-être d’un personnel soudanais.
Rappelons que dans le nom des Garamantes on a voulu retrouver celui des Haratins, cette tribu ou plutôt cette caste de Noirs qui peuplent les oasis de l’O. R’ir, d’Ouargla, du Touat, de l’O. Draa ; il est vrai que le sang des Haratins est incessamment renouvelé par les Nègres soudanais affranchis, mais si la traite a contribué à maintenir cette caste, il ne s’ensuit pas qu’elle l’ait créée. Il pourrait bien y avoir là un résidu d’une ancienne tribu soudanaise aborigène. La thèse a été soutenue et elle l’est encore.
Les Touaregs eux-mêmes sont sans doute des Berbères et par suite des Blancs. La couleur de la peau est assez claire en général, les traits du visage sont caucasiques, l’allure générale est méditerranéenne. Beaucoup d’entre eux pourtant sont de taille gigantesque, et ils sont en moyenne bien plus grands que les Berbères du nord ; dans leur voisinage on ne voit guère que certaines races soudanaises, les Yoloffs, par exemple, qui soient d’aussi haute stature. Les femmes touaregs ont une tendance marquée à la stéatopygie, qui n’est certes pas un trait caucasique. Une grande partie de leur outillage, et de ce qui paraît chez eux, à qui vient du nord, le plus national est incontestablement soudanais ; le bracelet en pierre, par exemple (l’abedj), est porté par tout le monde au Niger, on en fabrique de superbes au Hombori. Nous avons déjà dit qu’ils ont le matériel à moudre soudanais (mortier et pilon de bois, écraseur en pierre) ; la hache de fer à emmanchure néolithique est commune aux Touaregs et aux Nègres.
Ils partagent également avec les Nègres du Soudan leurs institutions les plus vénérées ; par exemple un reste de matriarcat ; la transmission de l’héritage de l’oncle maternel au neveu, et non pas de père en fils, forme la base du droit successoral aussi bien chez les Sonr’aï que chez les Hoggar. Et des restes très visibles de totémisme unissent encore les Touaregs aux Nègres ; par exemple, un Touareg ne mange pas de lézard de sable « parce qu’il est, dit-il, son oncle maternel ». Il s’abstient aussi de poisson et d’oiseaux[111].
Il semble que, en grattant un peu le Berbère touareg, on retrouve le nègre auquel il s’est récemment substitué.
Qu’il y ait eu à une époque récente, celle peut-être de la conquête romaine, un Sahara encore néolithique et peuplé tout autrement que le nôtre, de Nègres agriculteurs qui s’étendaient jusqu’aux confins de l’Algérie, c’est donc une hypothèse commode, groupant en un faisceau tous les faits observés.
[43]Duveyrier, Les Touaregs du nord, p. 279, pl. XV, et Capitaine Bernard, Observations archéologiques..., dans Revue d’Ethnographie, 1886.
[44]Foureau, Documents scientifiques de la Mission saharienne. Figure 377.
[45]Benhazera, Six mois chez les Touaregs du Ahaggar. Société de Géographie d’Alger, 1906, p. 327-328.
[46]Bulletin du Comité de l’Afrique française, supplément d’octobre 1907, p. 257, etc.
[47]Cités et nécropoles berbères de l’Enfida, par M. E.-T. Hamy. Extrait du Bulletin de Géographie historique et descriptive, no 1, 1904.
[48]Voir dans Recherche des Antiquités dans le nord de l’Afrique (Instructions adressées aux correspondants du ministère de l’Instruction publique). Paris, Leroux, 1890, p. 42, 43.
[49]Edmond Doutté, Merrakech, p. 58.
[50]Signalé au Dr Hamy par M. le comte Jean de Kergorlay (Comptes rendus des séances de l’Académie des Inscriptions, 1903).
[51]Desplagnes, Le Plateau central nigérien, p. 46 bis, Pl. XXVI.
[52]Rapport inédit.
[53]L. c., p. 331, etc.
[54]Deux font partie de la même charnière (?) qu’elles constituent par leur association (27 mm. de long sur 14 et 19 mm. de large). La troisième a 40 mm. sur 25 ; elle est repliée sur elle-même de façon à former à elle seule une charnière complète. Les clous sont en cuivre. On n’en donne pas de reproduction photographique parce que l’identité est complète avec l’échantillon d’Aïn Sefra. Tous ces objets sont en cuivre et non en bronze. Voir appendice VII, p. 354.
[55]Bourguignat, qui a observé la présence de ces cratères ou cupules d’effondrement dans les redjems du Nahr Ouassel, croit à tort que les redjems cratériformes ont été « violés ».
[56]Voir coupe et plan dans Cités et Nécropoles berbères de l’Enfida, par M. E.-T. Hamy, extrait du Bulletin de Géographie historique et descriptive, no 1, 1904, p. 29.
[57]Motylinski, Voyages à Abalessa et à la Koudia, dans le supplément du Bulletin du Comité de l’Afr. fr., octobre 1907 ; voir les phot. p. 262 et 266.
[58]Supplément au Bulletin du Comité de l’Afrique française de janvier 1904 et octobre 1904.
[59]Cette dernière (387) est la seule de ce genre qui ne se trouve pas rigoureusement au Tassili des Azguers, mais elle en est peu éloignée.
[60]Crâne d’enfant trouvé à Aïn Sefra par le capitaine Dessigny (E.-T. Hamy, Les Ardjem d’Aïn Sefra, l. c.). — Crâne d’enfant trouvé à Taloak et rapporté au Muséum. — Crâne d’Ouan Tohra retiré à peu près intact du redjem mais si fragile qu’il n’a pas supporté le voyage.
[61]Foureau, l. c., p. 1091.
[62]A ce point de vue le Tombeau de la Chrétienne est remarquable ; on le voit de partout dans l’arrondissement d’Alger.
[63]L. c., p. 43 et s.
[64]Pomel, Carte géologique de l’Algérie, Notices explicatives. — Paléontologie ; passim.
Flamand, Note sur des stations nouvelles ou peu connues de pierres écrites, L’Anthropologie, mars-avril 1892.
Id., Note sur deux pierres écrites... d’El Hadj Mimoun, Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 16 mars 1897.
Id., Congrès international d’Anthropologie de 1900 (Comptes rendus, p. 267).
Id., Les pierres écrites, Société d’Anthropologie de Lyon, 29 juin 1901.
[65]Communication de M. le Dr Hamy à l’Académie des Inscriptions, séance du 5 septembre 1902, d’après des dessins du capitaine Normand.
[66]L. c.
[67]Gsell, Monuments antiques de l’Algérie, t. I, p. 46 et Gaillard, Le Bélier de Mendès, Société d’anthropologie de Lyon, 4 mai 1901.
[68]Ils paraîtront dans le Corpus des gravures rupestres que M. Flamand prépare.
[69]Signalée pour la première fois d’après le lieutenant Barthélemy par Capitan, Revu. de l’École d’anthropologie de Paris, XII, 1902, p. 300-311.
[70]Pomel, Carte géologique de l’Algérie. Paléontologie, monographies. Les Bosélaphes Raye
[71]L. c. Antilopes Pallas, p. 38 et pl. XV, fig. 12.
[72]Foureau, Documents scientifiques, t. II, p. 1013, fig. 359.
[73]Anthropologie, XVI, 1905, p. 119-120.
[74]L. c., Antilopes Pallas, pl. XV, fig. 8, 9.
[75]Pomel, l. c. Bubalus antiquus, Pl. X, p. 83.
[76]Instructions adressées par le Comité des travaux historiques. — Recherche des antiquités dans le nord de l’Afrique, p. 60, fig. 21.
[77]On le retrouve dans une inscription du Gourara copiée par le commandant Deleuze (Flamand, Note sur quelques stations nouvelles, etc., pl. V).
[78]Cette station est la même que celle qui a été étudiée par ouï-dire par M. Flamand sous le titre Gravures et inscriptions rupestres relevées entre Beni Abbès et le ksar d’el Ougarta (Note sur quelques stations nouvelles, etc., Bulletin de géographie historique et descriptive, no 2, 1905). El Ougarta est une lecture fautive pour el Ouata.
[79]La Géographie, 1900, p. 362.
[80]G.-B.-M. Flamand, Note sur quelques stations nouvelles, etc., Bulletin de Géographie historique et descriptive, no 2, 1905, p. 283.
[81]Ibid., et Congrès international d’Anthropologie, Paris, 1900. Bull. Soc. anthr. de Lyon, juin 1901 et juin 1902.
[82]Flamand, l. c., et Rimbaud, Supplément du Bulletin du Comité de l’Afrique française, no 5, septembre 1901.
[83]Supplément au Bulletin du Comité de l’Afrique française d’octobre 1904, p. 250, 251. M. Flamand (l. c., Notes sur quelques stations nouvelles, etc.) a publié d’après des dessins de M. le maréchal des logis Paté des inscriptions et grafitti provenant de deux localités ainsi orthographiées : oued Tiratanin et roche Takount dans l’oued Tougoulgoult. Tiratanin est sûrement une faute de lecture pour Tir’atimin ; la seconde station me paraît identique à Tahount Arak.
[84]Notes manuscrites encore inédites de M. Motylinski.
[85]P. 1071, fig. 380.
[86]Voir la bibliographie de la question dans Flamand : Pierres écrites. Société d’anthropologie de Lyon, 29 juin 1901, p. 34. Voir aussi : Flamand, De l’Introduction du chameau dans l’Afrique du Nord, XIVe Congrès des orientalistes. — Lefébure, Le chameau en Égypte, ibid., et particulièrement R. Basset : Le nom du chameau chez les Berbères (ce nom est dérivé de l’arabe).
[87]Je sais naturellement que cette appellation de dromadaire est la seule exacte ; mais la distinction entre chameau et dromadaire n’est maintenue que dans les dictionnaires ; elle n’est pas de langue courante.
[88]Cela ressort surtout des notes manuscrites de Motylinski.
[89]Pomel, Monographies. Le Singe et l’Homme. Planches passim.
[90]Journal de voyage de... Traduit et annoté par Schirmer. Paris, Fischbacher, 1898, p. 115.
[91]L. c., Les Antilopes Pallas, p. 34, et fig. 1, 2, 3, 4 de la pl. XV.
[92]Notes manuscrites, qui seront publiées intégralement.
[93]Foureau, Documents scientifiques de la mission saharienne.
[94]D’après Desplagnes, l. c.
[95]Livre XVII, chap. III, p. 5, il est question d’un animal de taille gigantesque qui ressemble à un taureau (?)
[96]Pomel, Monographies. Le Singe et l’Homme. Planches passim.
[97]L. c.
[98]Fig. 20.
[99]Elles ont fait l’objet d’une monographie détaillée par Pallary : Classification industrielle des flèches néolithiques du Sahara, dans L’Homme préhistorique. 1er juin 1906.
[100]Paul Pallary, Caractères généraux des industries de la pierre, L’Homme préhistorique, février 1905, p. 40.
[101]Id., ibid., p. 38, et AFAS, 1891, II, p. 637-644.
[102]On a signalé en Algérie sur beaucoup de points des outils néolithiques dans des ruines berbères et romaines. P. Pallary, l. c., Caractères généraux etc., p. 41.
[103]M. le commandant Laquières a trouvé, je crois, quelques pointes à Beni Abbès.
[104]Lenz, Tombouctou, trad. Lehautcourt, t. II, p. 76.
[105]Foureau, Documents scientifiques de la mission, passim.
[106]Voir Desplagnes, l. c., pl. XXI.
[107]L. c., pl. XLI. Voir appendice V, p. 351.
[108]Pl. XV, fig. 29, dans l’ouvrage de M. Desplagnes.
[109]Fig. 394.
[110]P. 221. On a l’impression que Duveyrier est aujourd’hui beaucoup plus cité que lu. Son enthousiasme un peu juvénile pour les vertus touaregs l’a discrédité. Pourtant ses résultats sont presque toujours confirmés par les travaux récents. Sa carte en particulier apparaît aujourd’hui tout à fait remarquable pour l’époque. C’était un excellent observateur.
[111]Voir dans Desplagnes une foule de détails curieux et d’hypothèses peut-être hasardeuses sur les grands totems soudanais du poisson, de l’oiseau et du serpent.
CHAPITRE IV
LA ZOUSFANA
Dans les trois premiers chapitres on a cherché à exposer, en les systématisant peut-être outre mesure, un certain nombre de faits concernant le Sahara en général. Les chapitres qui suivent seront au contraire des monographies. On essaiera d’étudier successivement, dans le Sahara algérien, les régions traversées par l’itinéraire.
Celle qui se présente d’abord est la région de la Zousfana.
Le pays dont il s’agit est celui que traverse la ligne de chemin de fer récemment construite de Beni Ounif à Colomb-Béchar, et la route d’étapes entre Beni Ounif et Igli. Dans les dernières années on y a fondé trois postes militaires importants, Colomb-Béchar, Ben Zireg et Tar’it (écrit souvent Taghit). C’est une région accidentée par de puissantes masses montagneuses, le Mezarif, le Béchar, le Moumen, l’Antar, le djebel Orred, le Grouz. Les géants entre tous les autres sont le Grouz et l’Antar, qui dépassent 1900 mètres. Mais le Mezarif, le Moumen, le Béchar, encore que plus modestes, se dressent à 1400 mètres sur un socle, la vallée de la Zousfana, qui en a 700 ou 800.[112]
Roches primaires (carbonifériennes). — Cette région montagneuse est en grande partie constituée par des roches primaires, et surtout carbonifériennes.
Au point de vue paléontologique, la couche intéressante est une puissante assise calcaire qui contient un peu partout des fossiles ; j’en ai trouvé en particulier au Mezarif et dans l’Antar, où on n’en avait pas encore signalé. Mais il y a surtout deux beaux gisements classiques, celui de Taouerda à quelques kilomètres au nord d’Igli, et celui de Mouizib el Atchan (littéralement la gouttière de la soif) ; c’est le nom d’un torrent à sec conduisant au col où passe la route directe de Colomb-Béchar à el Morra. Encore que séparés par une centaine de kilomètres, ces deux gisements de Taouerda et du Mouizib n’en font qu’un en réalité ; ce sont deux sections d’une même couche qu’on voit se continuer sans interruption, ils contiennent d’ailleurs des fossiles identiques.
Ces fossiles ont été étudiés par plusieurs géologues : MM. Joleaud, Ficheur, Douvillé, Collot, Thévenin[113]. Leurs conclusions sont parfaitement nettes.
M. Ficheur écrit : « L’ensemble de cette faune... présente des caractères assez nets pour l’attribution du niveau fossilifère d’Igli à l’étage Dinantien et à la partie supérieure du sous-étage Tournaisien des géologues belges. »
Et M. Armand Thévenin : « L’étude de ces fossiles confirme en la complétant la note publiée en 1900 par M. Ficheur sur le carbonifère d’Igli... C’est bien là une faune du Dinantien inférieur et moyen (calcaire carbonifère d’Irlande, Visé et Tournay). »
La formation m’a paru avoir environ 500 mètres de puissance, mais c’est là un chiffre simplement approximatif ; dans une région plissée, de semblables évaluations sont sujettes à caution. Le calcaire est très dur, souvent rognonneux et de coloration assez variable, du bleu foncé, qui domine incontestablement, au gris et au jaune. Les assises calcaires (j’en ai compté huit au Mouizib) sont intercalées de marnes ou d’argiles, dont la puissance augmente progressivement vers la base de la formation. (Voir fig. 28 et aussi pl. XXI, XXII et XXIII.)
C’est au Mouizib surtout que j’ai eu le loisir d’étudier cette formation, mais elle m’a paru très uniforme dans toute la région, — à une exception près.
A Ben Zireg des pressions plus énergiques ont transformé les marnes ou argiles en ardoises ; il en résulte un facies si nouveau qu’on peut avoir des doutes sur le synchronisme ; les calcaires de Ben Zireg pourtant contiennent des fossiles, rares et mauvais, il est vrai, mais que M. Haug qui les a examinés, déclare carbonifériens. (Voir appendice XI.)
| E.-F. Gautier. — Sahara Algérien. | Pl. XX. |
| Phototypie Bauer, Marchet et Cie, Dijon | Cliché Gautier |
39. — DJ. ORRED
Vu en contrebas du sommet de l’Antar.
Affleurements ennoyés de couches calcaires dinantiennes vivement redressées.
Cliché Gautier
40. — SOMMET DE L’ANTAR
Vu du djebel Orred (exactement Sidi-Dahar), montrant l’horizontalité des couches calcaires dinantiennes au sommet.
| E.-F. Gautier. — Sahara Algérien. | Pl. XXI. |
Cliché Gautier
41. — DANS LE BÉCHAR : COL DU MOUIZIB EL ACHAN
Sommet de la descente qui mène à la Zousfana. — Calcaires dinantiens.
Cliché Gautier
42. — DANS LE BÉCHAR : COL DE TENIET NAKHLA
Sommet du col. — Calcaires dinantiens.
Les calcaires dinantiens, par leur dureté, ont résisté à l’érosion et sont accusés en relief ; ils composent la masse de tous les massifs montagneux sans exception (le Grouz mis à part). Au rebours, les formations inférieures et supérieures au dinantien, beaucoup plus molles, sont accusées en creux ; et par conséquent ennoyées la plupart du temps. Elles sont donc beaucoup plus difficiles à étudier, et elles ont trop échappé à l’attention. En réalité il est très possible de s’en faire une idée.
Les couches inférieures s’observent dans la vallée de la Zousfana entre Ksar el Azoudj et Zaouia Tahtania. Sur tout le pourtour, au Mouizib comme à Tar’it, au Mezarif, au Moumen, on voit les calcaires dinantiens reposer en concordance sur des couches argileuses ou marneuses, d’un gris verdâtre, interstratifiées de grès rouge foncé ou noir, en bancs minces ; dans la vallée même, sur différents points, mais surtout dans la partie nord, à Ksar el Azoudj en particulier et à Haci el Begri, on voit cette même formation percer à travers l’ennoyage. Elle paraît homogène et puissante. (Voir appendice XI.)
Fig. 28. — Coupe du Mouizib el Atchan.
CC, calcaire carbonifère ; Ds, dévonien supérieur ; H, houille.
Je n’y ai pas trouvé de fossiles, et s’il est commode provisoirement de la considérer comme dévonienne, encore faut-il observer que les couches à clyménies de Beni Abbès, qui appartiennent authentiquement au Dévonien supérieur, ont un facies tout à fait différent.
Les couches supérieures au dinantien ont été observées en deux points, fort éloignés l’un de l’autre, au nord du Béchar d’une part, et à Menouar’ar de l’autre (versant occidental de la hammada de Tar’it).
Au Mouizib on voit les calcaires dinantiens s’enfoncer en stratification concordante sous des grès, qui constituent le sous-sol de toute la plaine entre le poste de Colomb et la montagne de Béchar, et qu’on suit jusqu’à Kenatsa. (Voir pl. XXVI, phot. 49.) On ne fait qu’apercevoir ces grès à travers les déchirures du sol formé de cailloutis et d’alluvions récentes. Il semble bien toutefois que l’ensemble de la formation soit essentiellement gréseux.
Sur la route de Tar’it à Menouar’ar, on retrouve les mêmes formations, se succédant dans le même ordre, et on voit les calcaires carbonifériens fossilifères disparaître sous les mêmes grès, ou du moins sous des grès d’aspect identique. Mais ici les alluvions récentes superficielles sont moins développées ; les grès sont à nu sur une certaine étendue ; et on constate qu’ils sont interstratifiés avec des bancs très minces de calcaire à crinoïdes, tout à fait semblables à celui de l’étage immédiatement inférieur. Le puits de Menouar’ar est creusé dans les alluvions d’un petit oued juste au pied d’une falaise haute à peine d’une dizaine de mètres et sur la tranche de laquelle apparaissent les couches suivantes de bas en haut.
| A la base. | 1. Poudingue fossilifère | 1m,50 |
| 2. Grès passant au poudingue | 1m,50 | |
| 3. Schistes gréseux | 3m. | |
| 4. Poudingue fossilifère | 1m,50 | |
| Au sommet. | 5. Calcaire à crinoïdes | 1m,50 |
Dans les poudingues, les fossiles abondaient, mais si mal conservés et si fragiles qu’il a été impossible de les recueillir. A coup sûr les crinoïdes prédominaient. Le calcaire bleu du sommet avait tout à fait l’aspect des calcaires de Béchar.
La réapparition de ces calcaires au milieu des grès tendrait évidemment à faire croire qu’il s’agit de formations très voisines, dont la plus récente est la simple continuation, sans lacune, de la plus ancienne.
M. Gentil signale au Maroc, dans le Haut-Atlas, des grès Permiens en relation avec des calcaires Dinantiens[114]. Ici il semble bien qu’il faille conclure à un âge carboniférien.
M. le lieutenant Poirmeur a rapporté des fossiles de deux points qui sont ainsi désignés[115] : « 1o vallée de l’O. bou Gharraf, affluent de l’O. bou Dib ; ... à fleur de terre, dans un îlot formé par un affleurement rocheux, dans le lit de l’oued. — 2o Gueb el Aouda, piton rocheux, qui domine l’O. Béchar à 25 kilomètres au sud du ksar. » Les deux échantillons sont des moulages en grès rougeâtre, ferrugineux, de plantes houillères. M. Bureau a reconnu dans le premier Stigmaria ficoides, et il écrit à son sujet : « Il est clair que ce rhizome bien que n’étant plus in loco natali, n’a pas subi un transport violent ni à une longue distance. » L’autre est Lepidodendrum Veltheimianum. Ces types appartiennent à la phase la plus ancienne de la végétation carbonifère.
D’autre part M. G.-B.-M. Flamand a trouvé dans la même région de petits lits de houilles à empreintes végétales[116]. Ces grès houillers du Béchar, ennoyés sur de grandes étendues, pourraient présenter après tout un intérêt pratique. Sur le chapitre de la houille saharienne on est en général très sceptique. La question a été traitée avec une haute compétence par M. Haug, qui aboutit à des conclusions négatives, à propos des échantillons et des fossiles rapportés par M. Foureau de l’erg d’Issaouan. Mais Issaouan et Béchar sont à mille kilomètres l’un de l’autre, et les conditions du gisement sont bien différentes et même inverses. M. Haug écrit :
« Tant que l’on envisageait les calcaires carbonifères de l’erg d’Issaouan comme du carbonifère inférieur on pouvait conserver l’espoir de rencontrer au-dessus d’eux des terrains houillers, mais à présent que l’âge moscovien et ouralien de ces calcaires est établi, il n’est plus permis de garder des illusions à cet égard[117]. »
Au Béchar c’est justement l’étage inférieur, Dinantien, qui est calcaire, franchement marin. Les étages supérieures au contraire sont gréseux et ont un facies de formation littorale.
| E.-F. Gautier. — Sahara Algérien. | Pl. XXII. |
Cliché Gautier
43. — DANS LE BÉCHAR, AU PIED DU VERSANT NORD
Petite palmeraie d’el Djenien. — Calcaires carbonifériens.
| E.-F. Gautier. — Sahara Algérien. | Pl. XXIII. |
Cliché Gautier
44. — DJEBEL BÉCHAR
Vu du Sud, c’est-à-dire de la Zousfana, sur laquelle il se termine par une falaise.
Cliché Gautier
45. — DJEBEL BÉCHAR
Vu du Nord, c’est-à-dire de la cuvette synclinale de Colomb-Béchar.
On distingue nettement l’inclinaison des couches dans la montagne.
Au premier plan Modjbed.
Roches secondaires — Dans le nord de la région étudiée ce sont les roches secondaires qui dominent ; elles constituent à peu près toute la masse du Grouz, où elles sont représentées par une grande variété d’étages depuis le Lias jusqu’au Cénomanien. Je n’ai fait qu’entrevoir le Grouz dont la géologie est certainement très délicate à débrouiller. Je ne puis que renvoyer à la carte géologique récente de M. Poirmeur[118].
En dehors du Grouz dans la région de Colomb-Béchar, et même, semble-t-il, dans celle du bas Guir le Cénomanien couvre de grands espaces. Il est riche en superbes fossiles de détermination facile[119]. Il est représenté par le facies qui lui est habituel dans tout le Sud-Algérien, à la base des marnes gypseuses, au sommet des calcaires clairs, très durs. Les marnes font parfois défaut, à Ben Zireg par exemple. La formation n’est pas puissante, une cinquantaine de mètres d’épaisseur peut-être, à Ben Zireg une dizaine ; on constate partout, sans conteste, qu’elle repose directement sur le substratum carboniférien. Les grès albiens (à dragées et à bois silicifiés) sont encore représentés dans le Grouz, ils disparaissent complètement à partir de Ben Zireg. La transgression cénomanienne est évidente, au sud du Grouz elle a déposé sur le substratum primaire une simple pellicule, un placage secondaire. (Voir appendice XI.)
Fig. 29. — Coupe de Sfissifa à Mézerelt par Colomb et le Mouizib.
Cn, cénomanien ; m, p, q, mio-pliocène et quaternaire.
Plis hercyniens. — Je crois pouvoir essayer une exposition tectonique ; quelques traits généraux en tout cas apparaissent bien nets.
Les couches primaires sont affectées de vieux plissements, qu’on peut appeler hercyniens ; à Ben Zireg les strates carbonifériennes sont redressées verticalement, et dessinent un anticlinal fermé à l’ouest ; sur ce pli arasé, le Cénomanien repose parfaitement horizontal[120]. La relation est la même au poste de Colomb-Béchar et à Kenatsa. Il y avait donc des plis primaires arasés avant le dépôt du Cénomanien. (Voir fig. 29, 30, 31 et 32.)
| E.-F. Gautier. — Sahara Algérien. | Pl. XXIV. |
Cliché Gautier
46. — COLLINES DE BEZAZIL KELBA (littéralement : tétines de chienne) ; versant nord du Béchar.
C’est une feuille de calcaire cénomanien qui plonge vers le spectateur ; la crête est érodée en dents de scie.
La vallée de la Zousfana de Ksar el Azoudj à Tar’it est une grande boutonnière anticlinale, autour de laquelle les affleurements primaires dessinent des auréoles concentriques de plus en plus jeunes. Ce pli est orienté nord-est-sud-ouest, ce qui est une direction notablement aberrante de celle des plis atliques.
Dans la partie nord-est du Mezarif, où le pli est un synclinal fermé au sud-ouest, les strates calcaires profondément déchaussées par l’érosion, se dressent en murailles demi-circulaires concentriques, toutes rasées régulièrement à la même hauteur. Évidemment un tronçon de pénéplaine exhaussée, et disséquée par l’érosion.
L’extrémité fermée du synclinal touche à une faille au delà de laquelle apparaît l’extrémité également fermée d’un anticlinal, également arasé.
La faille se constate directement, puisqu’elle ramène en surface une bande de grès dévoniens, mais elle ne se traduit dans l’orographie actuelle par aucune dénivellation, elle est donc fort ancienne, constitutive de la pénéplaine.
Si on prolonge par la pensée cette ligne de faille, elle passe entre l’extrémité fermée à l’ouest de l’anticlinal de Ben Zireg, et l’extrémité fermée à l’est du synclinal du Béchar. Il court donc là, dans une direction à peu près nord-sud, un accident, un décrochement, j’imagine, à la rencontre duquel les plis se ferment et se relaient[121]. L’accident et les plis sont évidemment contemporains, cela forme un ensemble, et comme l’âge hercynien est prouvé pour certaines parties il l’est pour le tout.
Je ne sais quelle part faire aux plis hercyniens dans l’allure très particulière du djebel Moumen. Il a un sommet rectiligne et que de loin on jugerait tabulaire ; en réalité il est couronné par une feuille de calcaire pliée en synclinal très aigu dans le sens de la longueur. (Cf. fig. 31.)
Plis atliques. — C’est naturellement la surrection de l’Atlas qui a rajeuni le relief hercynien.
L’énergie des plissements atliques varie de part et d’autre d’une ligne de faille très apparente. A Bou-Kaïs elle est jalonnée de pointements éruptifs (ophite ?), elle passe au nord du dj. Orred, entre le dj. Orred et l’Antar (Pl. XX), enfin au sud de l’Antar. Elle sectionne en falaises brusques et fraîches les calcaires dinantiens de l’Orred ; au pied de l’Antar elle a affecté les calcaires cénomaniens, qui sont vivement redressés au nord, et parfaitement horizontaux au sud. Il faut donc qu’elle soit post-cénomanienne.
Au nord de cette ligne sont les montagnes géantes, le Grouz et l’Antar (près de 2000 m.).
Tout ce qu’on peut affirmer ici du Grouz, au point de vue géologique, c’est qu’il se termine au sud par un pli couché ; je puis l’affirmer en m’appuyant sur l’autorité de M. Ficheur, professeur de géologie à l’École des sciences d’Alger ; il a constaté auprès de Beni Ounif, aux djebels Melias et Zenaga que les calcaires jurassiques reposent sur les grès albiens[122]. Le pli couché est bien net aussi auprès de Bou Aïech ; on y voit une feuille calcaire repliée sur elle-même et coinçant dans le synclinal des schistes indéterminés.
Le dj. Antar est de structure plus simple, mais analogue.