Missions au Sahara, tome 1 : $b Sahara algérien
Fig. 55. — Coupe d’H. Taïbin à Garet el Diab. — 1/600000,
Cr, Crétacé inf. ; C, Carbonifère ; D, Dévonien ; S, Silurien ; Ŧ, pointe fossilifère ; F, faille et diaclase.
(Bull. Soc. géol. Fr., 4e série, t. VII, p. 202, fig. 2.)
Il semble donc bien établi qu’un horst silurien, bordé à l’ouest par une faille nord-sud, s’étend d’Aïn Chebbi à Bled el Mass ; c’est le butoir contre lequel est venu se déverser sur toute sa longueur visible le pli hercynien d’Aïn Cheikh-Dj. Aberraz ; et nous constatons ici, avec une grande précision, la limite entre les domaines respectifs des plis hercyniens et calédoniens.
Si mes souvenirs, un peu lointains, sont exacts, les schistes alunifères d’Aïn Chebbi sont bien moins dérangés que les couches de Bled el Mass. — Ceux du Tindesset, photographiés par Foureau[224], paraissent assez voisins de l’horizontale. Il n’y a là aucune contradiction puisque les schistes à graptolithes sont rattachés par M. Haug au Silurien supérieur[225]. Les couches de Bled el Mass sont probablement du Silurien inférieur[226].
Pli d’In R’ar. — Le pli hercynien d’In R’ar est encore plus mal connu que celui d’Aïn Cheikh, pourtant son étude nous conduit à des conclusions identiques.
D’après un rapport manuscrit de M. Voinot, les couches primaires plongent en sens inverse de part et d’autre du golfe primaire.
D’autre part, sur l’itinéraire de Tirechoumin à Baba-Ahmed et dans le prolongement du golfe, on rencontre successivement des couches qui plongent à l’est, au voisinage de Tirechoumin, et à l’ouest au voisinage de Baba Ahmed. Il ne semble donc pas douteux qu’il n’y ait là un grand pli anticlinal étiré nord-sud.
Le pli d’In R’ar s’arrête brusquement à 15 kilomètres environ au sud de Tirechoumin, à une ligne de faille au delà de laquelle le Carboniférien fossilifère se présente brusquement en couches horizontales sur de grandes étendues. Plus au sud, on ne retrouve plus de couches carbonifériennes ou dévoniennes plissées, et quand on arrive à des couches plissées, elles appartiennent au substratum calédonien. Ici donc encore nous pouvons délimiter avec précision les domaines respectifs des plissements hercyniens et calédoniens (fig. 50).
En somme, dans le Tidikelt occidental, d’In R’ar à Aïn Cheikh, le sous-sol primaire est une pénéplaine où l’on distingue deux faisceaux de plis hercyniens, entre lesquels le horst calédonien projette un promontoire jusqu’à la falaise crétacée. Et si les détails manquent, ce sont là du moins des traits généraux absolument exacts.
Sud d’In Salah. — Dans le Tidikelt oriental (In Salah), la structure de la plate-forme primaire est plus mal connue et plus incertaine ; je n’ai de documents que sur la route d’In Salah au Mouidir par Haci el Kheneg (route faite en partie de nuit).
Le puits d’el Kheneg est dans des grès bien lités, interstratifiés de quelques lamelles argileuses ; à travers les couches minces d’argile les couches gréseuses sont réunies par des colonnettes de grès, très régulières, qui se débitent en rondelles tout à fait semblables, comme forme et comme dimension, à des bourres de fusil de chasse ; dans les argiles, j’ai recueilli une Rhynchonnelle.
Malheureusement, ce fossile n’est pas caractéristique. D’après le facies, on pourrait croire les couches d’el Kheneg éodévoniennes ? (surtout à cause des « bourres de fusil », mais c’est naturellement un indice très faible). En tous les cas elles appartiennent plutôt à la série dévonienne.
On sait que dans un échantillon de schistes provenant de Haci el Kheneg et rapporté par le lieutenant Cottenest, M. Flamand a découvert des Graptolithes[227] ; ces schistes ont été recueillis au campement à quelques centaines de mètres du puits. Leurs relations stratigraphiques avec les terrains voisins sont inconnues.
Il semble impossible d’attribuer au Silurien les grès à colonnettes de H. Kheneg — qui par définition ne sont pas des schistes à graptolithes. Mais ces grès supposés éodévoniens sont à peine dérangés, ils plongent vers l’ouest d’une inclinaison très légère. Ils ont donc échappé au plissement hercynien, et, comme à Garet Tamamat ils reposent vraisemblablement sur le horst silurien.
Seulement je ne puis pas indiquer, dans le Tidikelt oriental les limites exactes de ce horst.
Le substratum primaire apparaît, le long de l’oued Inesmit, au pied de la falaise crétacée, à une quarantaine de kilomètres au S.-S.-E. d’In Salah. Il est représenté par des schistes fissiles noirs, des calcaires bleus à Crinoïdes et à Cyathophyllum en bancs réguliers, des marnes, des grès en plaquettes.
C’est un facies qui rappelle celui des couches carbonifériennes. Les strates plongent au N.-N.-O., d’une inclinaison légère, mais plus accusée qu’à H. el Kheneg. Je n’ose pas risquer d’hypothèse explicative.
Malgré l’incertitude des limites exactes, il n’est pas douteux que l’extrémité du horst calédonien ne voisine avec In Salah puisque Haci el Kheneg est à une centaine de kilomètres seulement de l’oasis.
Nous sommes donc certains que le placage crétacé du Tidikelt, sur toute sa longueur, recouvre à peu près la vieille suture en zigzag des domaines hercynien et calédonien.
M. Flamand a signalé un plissement hercynien à l’est du Tidikelt (Aïn Kahla)[228], et rien naturellement n’empêche de croire que la zone des plis hercyniens ne réapparaisse plus loin à l’est.
Pourtant le pli d’Aïn Kahla a un axe cristallophyllien ou cristallin, et cela le rapprocherait plutôt des plis calédoniens que des hercyniens. La question n’existait pas au moment où M. Flamand a vu ce pli ; puisque alors, l’existence au Sahara de plis calédoniens n’était pas soupçonnée. Elle mériterait un supplément d’information ; si le pli d’Aïn Kahla est hercynien, il faudrait conclure que les plis hercyniens gagnent en intensité, d’ouest en est. Car les plis occidentaux ne sont pas assez énergiques pour amener à l’affleurement des couches aussi anciennes.
Géologie de la pénéplaine entre le Tidikelt et le Mouidir-Ahnet.
Entre le Tidikelt et les premiers contreforts du Mouidir, de l’Ahnet et de l’Açedjerad s’étend une région naturelle, caractérisée par son extrême aridité. Elle est donc particulièrement difficile à connaître puisqu’on la traverse à marches forcées. Nous en avons amorcé l’étude en étudiant le substratum primaire du Tidikelt.
Cette région a été traversée par moi, seul ou en compagnie de M. Chudeau, suivant trois itinéraires différents — d’In Salah au Mouidir — de Taloak à Baba Ahmed — de Taourirt à Taloak.
D’In Salah au Mouidir. — On a déjà parlé des premières couches rencontrées, celles de l’O. Inesmit et de Haci el Kheneg.
Au pied des premières pentes du Mouidir, aux puits de Afoud dag Rali, Bel Rezaïm et In Belrem, on rencontre des couches particulièrement intéressantes parce qu’elles sont très fossilifères. Les fossiles, étudiés par M. Haug, appartiennent au Dévonien supérieur[229].
La succession des couches est la suivante de bas en haut :
| 1. Schistes bariolés | 10 | mètres. |
| 2. Grès | 5 | — |
| 3. Calcaires | 3 | — |
| 4. Grès à grain fin clairs | 10 | — |
| 5. Grès rouge | 3 | — |
Toutes ces couches sont peu ou prou fossilifères, mais surtout les calcaires. Dans les schistes et dans les grès rouges, on trouve des dépôts plâtreux, parfois cristallisés. Cette formation constitue une arête de faible altitude, — une vingtaine de mètres, très continue sur une trentaine de kilomètres et jalonnée par les trois puits.
Ces couches, au moins dans la partie nord de l’arête, plongent à l’ouest de 45° au moins, et d’autre part sur la rive droite de l’O. In Belrem dont elles longent la rive gauche, les grès éodévoniens plongent dans le même sens et semblent s’enfoncer en stratification concordante sous le Néo-Dévonien, le contact étant ennoyé. De sorte qu’on croirait avoir affaire à un plissement qui aurait affecté les deux terrains. Une étude attentive montre qu’il n’en est rien.
En effet, les coupes aux deux puits septentrionaux Afoud dag Rali et Bel Rezaïm montrent bien les couches néo-dévoniennes plongeant à l’ouest de 45°.
Mais, au puits d’In Belrem, la stratigraphie est bien différente. Au puits même on retrouve, parfaitement horizontaux, ces mêmes calcaires fossilifères qui, aux deux autres puits, sont redressés énergiquement. Au sud du puits d’In Belrem, l’accident néo-dévonien n’est plus une arête, c’est une falaise où les couches néo-dévoniennes sont horizontales. Au pied de la falaise on voit affleurer un paquet de ces mêmes couches (ou du moins elles m’ont paru telles), extrêmement redressées et voisines de la perpendiculaire. La faille se constate donc directement.
En somme, le long de l’O. In Belrem, le contact est anormal entre l’Éo- et le Néo-Dévonien.
De Taloak à Baba Ahmed. — On a déjà parlé de la section septentrionale de cet itinéraire, depuis Baba Ahmed jusqu’à une quinzaine de kilomètres au sud de Tirechoumin. On a dit qu’il court là un pli hercynien, où le Carboniférien joue un rôle important, et qui s’arrête court à une ligne de faille, au delà de laquelle les couches carbonifériennes sont horizontales.
Ces couches horizontales s’étalent en plateau jusqu’à Haci Ar’eira sur un trajet d’une quinzaine de kilomètres. A la base sont des schistes très fissiles (ktoub), passant au grès en plaquettes. Au sommet, des calcaires violets fossilifères.
D’autre part, M. Villatte a rapporté des fossiles carbonifères de deux points situés à une petite distance dans l’ouest (Tin Tenaï et l’O. Kraam). La bande carboniférienne s’étend donc jusque-là. Au delà, entre Haci Ar’eira et l’oued In Gharen, à travers l’ennoyage, on voit percer, à deux ou trois reprises, des couches dont je ne puis pas indiquer la succession exacte, mais qui sont des bancs de grès bien lités, des grès en plaquettes, des schistes fissiles, des argiles schisteuses et des bancs de calcaires bleus à Crinoïdes. Le facies est à peu près le même que celui du Carboniférien (?) de l’oued Inesmit. Ces couches, quand elles ne sont pas horizontales, sont affectées d’une plongée légère vers le nord ; je crois que leur horizontalité a été dérangée par de petites failles.
Au sud de l’O. In Gharen, le long de l’oued Adrem, jusqu’à Taguerguera, sous les ergs Tessegafi et Ennfouss, le placage des alluvions et des dunes soustrait le sous-sol primaire à l’observation sur de grands espaces. La région est une vaste cuvette où viennent converger tous les oueds de l’Ahnet et de l’Açedjerad ; l’oued Adrem est souvent encaissé entre des terrasses d’alluvions anciennes (terrasses de cailloutis auprès de H. Tadounasset).
Toutes les fois que le sous-sol primaire apparaît, il est d’aspect assez uniforme, des argiles et des marnes schisteuses de couleurs vives, avec d’assez rares intercalations de bancs calcaires très minces. Malgré l’uniformité du facies, cette formation essentiellement argileuse ou marneuse se rapporte à deux étages, Méso- et Néo-Dévonien. En effet, sur tout le pourtour méridional de l’erg Tessegafi les gisements fossilifères abondent.
Au-dessus des berges de l’O. Tadounasset sur les flancs d’une gara haute de 50 mètres environ, M. Villatte a recueilli dans des marnes une faune étudiée par M. Haug, qui conclut ainsi[230] : « L’ensemble de la faune possède incontestablement un cachet néo-dévonien. »
D’autre part, « un peu à l’est du campement de l’O. Tadounasset, à Tin Taggaret, M. Villatte a recueilli encore dans des marnes » plusieurs fossiles méso-dévoniens étudiés par M. Haug[231].
Enfin, nous pouvons signaler deux nouveaux gisements méso-dévoniens à Meghdoua et près de Taloak (à 3 ou 4 kilomètres N.-E. en bordure de l’erg).
A Meghdoua la formation a une vingtaine de mètres, se décomposant ainsi de la base au sommet.
| 1. Argiles bleues | 10 | mètres. |
| 2. Calcaires et grès | 5 | — |
| 3. Calcaires à Orthocères | 5 | — |
A Taloak cette couche calcaire, qui semble caractéristique du Méso-Dévonien, ne fait pas défaut non plus, mais elle est réduite à quelques centimètres d’épaisseur. Le Méso-Dévonien, d’une façon générale, repose en concordance sur l’Éodévonien.
Pas toujours cependant. A Tikedembati on constate (comme à In Belrem) un contact anormal le long d’une faille. La faille se voit directement, et on la suit depuis sa naissance, sous forme de flexure dans les hauts de Foum Zeggag.
En somme, entre Taloak et Baba Ahmed l’itinéraire traverse une série d’auréoles qui représentent en succession régulière tous les étages depuis l’Éodévonien jusqu’au Dinantien.
Taourirt à l’Açedjerad. — Le long d’un dernier itinéraire qui va de Taourirt à l’Açedjerad[232], on rencontre d’abord le pli hercynien du dj. Aberraz et le horst silurien du Bled el Mass, qui ont été étudiés plus haut. Les grès dévoniens, jaunes clairs à patine noire, qui reposent horizontalement sur les plis calédoniens arasés, ont le facies éodévonien. Pourtant ils ne sont pas fossilifères, et ils sont peut-être un facies littoral du Dévonien moyen ; ils sont en effet en bancs minces, à stratifications obliques, indiquant le voisinage d’un rivage ; d’autre part, entre la garet Tamamat et l’erg Fisnet, sur 250 kilomètres, on ne sort pas du Méso-Dévonien étalé en couches horizontales et souvent fossilifères. Il s’annonce par Garet ed Diab, un récif de calcaire fossilifère intercalé au milieu des argiles, et qui témoigne lui aussi d’une mer peu profonde.
Les argiles méso-dévoniennes constituent apparemment le fond de l’immense sebkha Mekhergan ; mais elles sont recouvertes par des dépôts quaternaires et on ne peut pas les observer directement.
Au delà de la sebkha du moins, on retrouve le Méso-Dévonien fossilifère au nord de Haci Tikeidi.
De grandes falaises d’érosion permettent d’observer la succession des couches qui est à peu près, de la base au sommet.
- 1. Schistes à Brachiopodes.
- 2. Grès.
- 3. Argiles.
- 4. Grès.
- 5. Calcaire à Orthocères.
Les argiles se retrouvent à Kokodi, et les calcaires à Orthocères à Ridjel Imrad.
Notons enfin au nord de Tikeidi la présence de dépôts d’eau douce (quaternaire ancien à Cardium edule) ; ces dépôts très érodés sont à 5 mètres au-dessus du niveau de la vallée.
En résumé, et malgré d’énormes lacunes, trois itinéraires transversaux permettent de se rendre un compte général de la grande pénéplaine qui sépare le Tidikelt du Mouidir-Ahnet.
A de rares affleurements siluriens près, les couches appartiennent aux étages moyen et supérieur du Dévonien et au Carboniférien. Ces couches affleurent en auréoles grossièrement concentriques, se succédant régulièrement par ordre d’ancienneté décroissante du sud au nord. Dans le nord, au voisinage du Tidikelt, on observe quelques lambeaux de pénéplaine hercynienne.
Mais la plus grande partie de la région étudiée appartient au domaine des plissements calédoniens. Sur un socle silurien qui apparaît exceptionnellement, les couches méso- et néo-dévoniennes et dinantiennes reposent à peu près horizontales. Cette horizontalité est pourtant interrompue par des failles et surtout des diaclases, mais qui n’ont amené nulle part de dénivellation apparente supérieure à 70 ou 80 mètres.
C’est précisément ce qui fait l’unité géographique de cette région. D’une part, c’est une pénéplaine sans relief et l’on sait que, au Sahara, les plaines et les pénéplaines sont précisément les parties les plus arides. D’autre part, les couches géologiques qui forment la surface sont, en général, marneuses et argileuses ; il se trouve que les marnes et les argiles dominent dans les trois étages représentés. Le sol est donc imperméable, ce qui constitue une nouvelle cause d’aridité.
Entre le Tidikelt, pays d’oasis, et le Mouidir-Ahnet, pays de pâturages, la pénéplaine qui nous occupe est un pays absolument désolé et inhabitable.
Géologie du Mouidir-Ahnet.
Le Mouidir, l’Ahnet et l’Açedjerad forment une grande région naturelle, très uniforme, favorisée au point de vue de la végétation et de l’habitabilité, où l’on retrouve partout les mêmes grès éodévoniens et le même substratum silurien.
J’ai parcouru la partie occidentale du Mouidir et orientale de l’Ahnet, en 1903 ; et l’Açedjerad, en 1905, en compagnie de M. Chudeau.
Silurien de Tadjemout. — Dans la partie occidentale du Mouidir, le substratum prédévonien affleure très largement dans un cirque immense où les oueds Arak, Tadjemout, etc., se réunissent pour former l’oued Tibratine.
Ce cirque est encombré d’alluvions anciennes et récentes et de dunes, mais ce tapis superficiel est crevé fréquemment par des arêtes et des chapelets d’arêtes prédévoniennes, qu’on peut observer aussi sur les bords de la cuvette, qu’elles limitent en muraille.
Les roches sont certainement très variées. La première arête qui se dresse au débouché des gorges de l’Arak est gneissique. Dans les gorges mêmes on observe, à l’entrée, des schistes noirs très fissiles, qui m’ont paru des micaschistes, et un peu plus loin, derechef, du gneiss. (Pl. XLV, 83.)
| E.-F. Gautier. — Sahara Algérien. | Pl. XLIV. |
Cliché Pichon
82. — A OUAN TOHRA. — LE BATEN AHNET, grès éo-dévoniens
(falaise terminale de l’Ahnet « falaise de glint »).
| E.-F. Gautier. — Sahara Algérien. | Pl. XLV. |
Cliché Pichon
83. — OUED ARAK (Mouidir) ; UNE PAROI DU CANYON.
Au sommet, grès éo-dévonien : sous les éboulis, on retrouve aisément sur le terrain des roches cristallines (gneiss ?) en place.
| Phototypie Bauer, Marchet et Cie, Dijon | Cliché Pichon |
84. — OUED TIBRATIN (près de Taoulaoun, Mouidir) ; — LARGE VALLÉE DANS LES ARGILES ÉO-DEVONIENNES.
Bon type de nebka, et de maader ; les arbustes sont des tamaris.
La falaise à gauche est en grès éo-dévonien ; au fond, silhouette de gara.
A quelques kilomètres à l’ouest de Tadjemout, il y a des cipolins. A Tadjemout même des grès à grain très fin, très durs, tout à fait semblables à ceux de l’Adr’ar Ahnet.
Adoukrouz et Adr’ar Ahnet. — On retrouve les roches prédévoniennes dans la cuvette d’Adoukrouz (extrémité orientale de l’Ahnet). Au puits d’Adoukrouz, il y a des schistes cristallins et ce qui m’a paru être un puissant filon de quartz. Mais à 500 mètres de là, on rencontre, dans l’est, des phyllades très puissantes et des grès, analogues aux formations de Bled el Mass. Ces couches sont violemment plissées : au Mouidir les plis sont orientés nord-sud, à Adoukrouz N.-O.-S.-E.
A H. Macin, nous avons noté en 1903 une roche cristalline d’allure schisteuse. A Foum Lacbet, on a trouvé en 1905 des calcaires bleus et blancs avec schistes, phyllades et quartz ; on observe des ripple-marks. L’affleurement des couches dessine un dôme anticlinal orienté N.-O.-S.-E., fermé vers le sud.
Fig. 56. — Au nord de l’Adr’ar Ahnet. — 1/600000.
Éodévonien : 6, grès ; 5, argiles ; 4, grès. — Silurien : 3, schistes cristallins ; 2, quartz ; 1, phyllades.
(Bull. Soc. géol. Fr., 4e série, t. VII, p. 211, fig. 3.)
L’énorme masse de l’Adr’ar Ahnet dans sa partie nord-orientale, qui a été directement observée, est constituée par des assises très puissantes de grès et de quartzites. Ces grès roses clairs sont très énergiquement plissés, injectés de filons de quartz, comme d’ailleurs toutes les formations siluriennes, tandis que les filons de quartz font tout à fait défaut dans le Dévonien de la région. Dans les grès de l’Adr’ar Ahnet les ripple-marks abondent. Le long de l’O. Tedjoudjoult on chemine plusieurs kilomètres dans cette formation sans en sortir, dans une direction pourtant à peu près perpendiculaire à l’axe de l’affleurement. Dans le lit de l’oued il est vrai, on rencontre quelques cailloux roulés cristallins. Toute la formation est affectée de plissements N.-O.-S.-E.
Les affleurements d’Adoukrouz, H. Macin, Foum Lacbet, Adr’ar Ahnet, simplement séparés les uns des autres par un placage d’alluvions anciennes ou récentes constituent un seul et même affleurement continu, où le Silurien est représenté, à l’est par des grès et des schistes, à l’ouest par des cipolins et des schistes cristallins.
Que ces grès et ces phyllades soient siluriens, cela est démontré, en l’absence de fossiles, par les relations stratigraphiques des couches avec l’Éodévonien, qu’on voit, en particulier dans des garas avoisinant Foum Lacbet, reposer horizontal sur la tranche des plis arasés.
D’autre part, que les schistes cristallins (cipolins, etc.) soient du Silurien métamorphisé, cela ressort de leurs relations avec les grès et les phyllades, dont ils sont la continuation et avec lesquels ils s’enchevêtrent.
Pourtant le Silurien sédimentaire et le métamorphisé sont, partout où l’observation a été possible, séparés par des failles avec dénivellation consécutive ; c’est le résultat, j’imagine, d’une différence de compacité et de massivité.
Le Silurien métamorphique constitue une pénéplaine recouverte d’un manteau troué d’alluvions, au-dessus de laquelle le Silurien sédimentaire se dresse en horsts abrupts, fraîchement disséqués par l’érosion.
Que s’il y a là une généralisation hâtive, du moins est-il certain que les phyllades à l’est d’Adoukrouz et les grès de l’Adr’ar Ahnet constituent des massifs montagneux déchiquetés de 100 à 300 mètres d’altitude relative au-dessus du socle de la pénéplaine.
L’Adjerazraz, qui a été vu de loin seulement, est un petit massif, très isolé et individualisé, qui a toutes les apparences d’un horst silurien plus petit que ses voisins, mais analogue[233].
Sud et Nord d’Aït el Kha. — Les affleurements siluriens de Tadjemout et de l’Adr’ar Ahnet sont des promontoires avancés, jusqu’au cœur du Mouidir-Ahnet, de cette grande pénéplaine, en grande partie silurienne, qu’est le Tanezrouft. Un troisième promontoire, du même genre, ou, si l’on préfère, un golfe, pénètre sous le méridien d’Aït el Kha au moins jusqu’à la hauteur de Foum Zeggag.
Au sud d’Aït el Kha, le manteau alluvionnaire est crevé de longues rides de schistes cristallins, étirées N.-O.-S.-E., et qui représentent apparemment le Silurien métamorphique.
Au nord d’Aït el Kha, à la hauteur de Foum Zeggag, on rencontre un filon éruptif d’une roche granulitique.
L’Éodévonien. — Ce substratum silurien, et sans doute aussi, pour quelques parcelles, archéen et éruptif, qu’on peut étudier sur de grandes étendues dans le sud du Mouidir-Ahnet est recouvert par des grès éodévoniens, de facies très uniforme, et dont l’extension dépasse d’ailleurs de beaucoup les limites de la région étudiée.
L’âge de cette formation est déterminée par des fossiles provenant de nombreux gisements (Tikeidi, Taloak, Taguerguera, etc.). Tous ces gisements sont à la partie tout à fait supérieure de la formation. Les fossiles ont été étudiés par M. Haug[234].
| Spirifer cf. Hercyniæ Gieb. | Wilsonia Henrici Barr. |
| Spirifer nov. sp. | Pterinæa fasciculata Goldf. |
| Tropidoleptus rhenanus Frech. v. Sahariana. | Edmondia. |
| Tentaculites aff. spiculus Hall. | |
| Pentamerus cf. vogelicus de Ver. | Homalonotus cf. Herscheli Murch. |
Ces fossiles sont caractéristiques « de l’étage coblentzien ».
M. Chudeau a établi comme suit la succession des couches éodévoniennes dans l’Açedjerad et l’Ahnet, numérotées de la base au sommet.
| 1. Grès grossier et poudingue rougeâtre | 30 | mètres. | ||||||
| 2. Poudingues, arkoses et psammites en bancs bien lités (galets de 4 à 5 centimètres dans le poudingue) | 40 | — | ||||||
| ÉODÉVONIEN INFÉRIEUR | 3. Grès formant muraille verticale d’un seul bloc. On y distingue cependant sur la cassure fraîche des arkoses, psammites, etc., le tout intimement lié | 80 | — | |||||
| 4. Grès en bancs irréguliers hétérogènes ruiniformes | 20 | — | ||||||
| 5. Argiles blanches et violettes | 30 | — | ||||||
| 6. Grès bien lités | bancs minces | 80 | — | |||||
| ÉODÉVONIEN SUPÉRIEUR | bancs plus épais 2-3 mètres | |||||||
| grandes dalles minces de 0,20 (4 mètres) | ||||||||
| 7. Argiles bariolées | 10 | — | ||||||
| 8. Grès en bancs irréguliers fossilifères (Ripple-marks, Bilobites) | 10 | — | ||||||
| Épaisseur totale de la formation éodévonienne | 300 | mètres. | ||||||
1, 2, 3, n’affleurent pas dans l’Açedjerad. On ne les a vus que plus à l’est près de l’Adr’ar Ahnet. 4 affleure à Ouallen et à l’ouest de Meghdoua (croupe d’Insemmen). Les argiles 5 jouent un rôle important ; elles correspondent à des vallées très larges (Ouallen), ou à des dépressions comme entre Iglitten et Taksist (fig. 59). Par leur plasticité, elles expliquent l’indépendance des compartiments supérieur et inférieur entre eux.
Sauf à la partie supérieure, peu ou pas de fossiles, mais toujours des ripple, des stratifications obliques. Aucune roche éruptive, pas même un filon de quartz.
Les éléments de cette analyse serrée ont été recueillis dans l’Açedjerad et dans l’Ahnet ; mais dans ses grandes lignes cette analyse est valable pour le Mouidir occidental.
A coup sûr, les termes principaux de la série sont représentés ; en particulier les argiles médianes sont très développées dans la cuvette de Taoulaoun, qu’elles conditionnent ; les fossiles se trouvent dans les couches supérieures et ne se trouvent que là ; on y trouve aussi, dans la pâte de la roche, des colonnettes gréseuses bien individualisées, ayant parfois la grosseur du poing, et que le lieutenant Besset a signalées le premier. Ces lusus naturæ qu’on a pris pour des fossiles végétaux font défaut, semble-t-il, dans l’Ahnet.
En somme une formation, presque entièrement gréseuse, très uniforme, et qui, vue superficiellement, le paraît davantage encore parce que tous les grès sont revêtus d’une patine désertique noire de poix sous laquelle la moindre égratignure fait apparaître le cœur plus ou moins clair de la roche.
Fig. 57. — Taloak à l’Adr’ar Ahnet. — 1/750000.
S, Silurien ; γ, Granulite, D1-8, Dévonien, inf. ; q, Tuf quaternaire.
(Bull. Soc. géol. Fr., 4e série, t. VII, p. 213, fig. 4.)
Dans tout le Mouidir-Ahnet, l’Éodévonien affleure, à l’exclusion de toute formation postérieure, à une seule exception près : un lambeau méso-dévonien s’est conservé dans la cuvette d’Igliten.
Stratigraphie. — Les relations stratigraphiques de l’Éodévonien et du Silurien s’observent avec une admirable netteté sur tout le pourtour de la cuvette de Tadjemout. Le Dévonien horizontal repose sur la tranche des couches siluriennes ou archéennes.
C’est bien net, en particulier à Tahount Arak (voir pl. XLV, phot. 83), ou encore aux environs de Tin Teraldji, voire même à Tadjemout, quoique le sommet de l’arête silurienne qui domine le puits ait été découronné du Dévonien.
L’Éodévonien en plateaux tabulaires délimités par des falaises reposant sur la pénéplaine silurienne, telle est la règle générale le long de la ligne de contact entre les deux formations dévonienne et silurienne.
| E.-F. Gautier. — Sahara Algérien. | Pl. XLVI. |
Clichés Pichon
85. — OUED ADJAM : Porte qui donne accès dans le horst silurien d’Adoukrouz.
Dans l’échancrure, au fond, très floues, les collines siluriennes ; au premier plan, de part et d’autre de l’échancrure, mais bien visibles surtout à droite, les grès éo-dévoniens, basculés le long de la faille.
| E.-F. Gautier. — Sahara Algérien. | Pl. XLVII. |
Cliché Pichon
86. — PRÈS DE L’OUED ADJAM, au nord d’Adoukrouz ;
grès éo-dévoniens basculés le long de la faille ; vue de détail.
Cliché Pichon
87. — Même sujet que 86, vue d’ensemble.
A la limite extrême du premier plan, un redjem.
| E.-F. Gautier. — Sahara Algérien. | Pl. XLVIII. |
Cliché Pichon
88. — Près de l’Oued Adjam ; la muraille de grès éo-dévonien basculée au nord d’Adoukrouz.
La muraille est double par intercalation d’un horizon argileux.
Cliché Pichon
89. — L’ADRAR AHNET.
Profil déchiqueté de sierra, caractéristique des collines siluriennes ;
à gauche un Talha (faux gommier).
L’Éodévonien se termine sur la pénéplaine silurienne par ce qu’on appelle ailleurs des falaises de glint ; c’est ce que les Arabes appellent le baten Ahnet. (Voir pl. XLIV, phot. 82.) Les lacs de glint ne font même pas défaut, représentés par des maader (maader Arak, par exemple).
La continuité du baten est pourtant interrompue assez souvent lorsque la ligne de contact coïncide avec une ligne de faille. C’est le cas par exemple au voisinage d’Adoukrouz.
Autour d’Adoukrouz, on l’a déjà dit, l’ancienne pénéplaine constitue un horst en relief très marqué de 100 à 300 mètres, énergiquement disséqué et formant une masse montagneuse confuse.
Sur la face nord et nord-ouest du horst, l’Éodévonien a basculé le long de la faille, formant un placage continu de couches redressées à 45°, suivant une ligne en arc de cercle. (Voir pl. XLVI, phot. 85 et pl. XLVII, phot. 86 et 87.)
L’Éodévonien tout entier est représenté, de sorte que l’arête est double, les argiles s’étànt accusées en creux, comme on le voit sur la coupe d’Adoukrouz (fig. 56). (Voir pl. XLVIII, phot. 88.)
La coupe de Taloak à Ouan Tohra montre à Foum Lacbet un cas analogue ; un paquet de grès éodévonien redressé le long de la faille limite de la pénéplaine (fig. 57).
Entre Haci Macin et le bord de la hammada dévonienne on observe le contact des deux terrains sous une forme nouvelle : la hammada se continue par la pénéplaine sans accident topographique, horizontalement. La faille a amené les couches éodévoniennes au niveau exact de la pénéplaine. Ces failles, ou, plus exactement, vu leur faible amplitude, ces diaclases expliquent le relief du Mouidir-Ahnet.
En général le Dévonien est dans l’ensemble horizontal ou affecté d’une inclinaison générale très régulière et très faible. Voir par exemple les coupes Ouallen Meghdoua et Taloak-Ouan Tohra (fig. 59 et 57).
Parfois les couches dévoniennes apparaissent brusquement avec une inclinaison très forte, égale ou supérieure à 45°. Ainsi dans les deux coupes précitées on est frappé de la juxtaposition des couches horizontales avec des couches complètement basculées. C’est que les argiles rendent les deux masses gréseuses indépendantes et facilitent ces mouvements locaux de bascule le long des diaclases.
On se rend un compte bien net de la structure du Mouidir occidental en jetant un coup d’œil sur la coupe (fig. 58) de Tadjemout à l’erg Timeskis par Foum Tebalelt ; de part et d’autre de la pénéplaine à Tadjemout et à Foum Tebalelt l’Éodévonien est représenté par les mêmes couches horizontales ; mais il s’en faut qu’elles soient au même niveau, il y a une différence d’au moins 100 mètres. Au-dessus du niveau à peu près uniforme de la pénéplaine la falaise de Tadjemout est deux fois plus élevée que celle de Tebalelt. La muraille de Tadjemout avec ses à-pics de plus de 200 mètres ne forme pas seulement la bordure de la pénéplaine à l’est, elle se prolonge très loin au nord sur la rive droite de l’O. Tiratimine, au moins jusqu’à la cuvette de Taoulaoun. C’est un gigantesque gradin qui sépare le petit Mouidir occidental que nous étudions d’un autre Mouidir, oriental, beaucoup plus étendu et beaucoup plus élevé. On ne conçoit pas qu’il puisse y avoir là autre chose qu’une longue diaclase.
Fig. 58. — Coupe de l’erg Timeskis à Tadjemout. — Long. : 1/600000 ; haut. : 1/20000.
4, Grès éodév. sup. ; 3, Grès éodév. inf. ; 2, Silurien ; Schistes cristallins ; 1, Quartzites.
(Bull. Soc. géol. Fr., 4e série, t. VII, p. 216, fig. 5.)
Dans le Foum Tebalelt j’ai noté des couches éodévoniennes horizontales, mais gondolées et qui semblent attester que le soubassement a été affecté de très petites failles.
Enfin à l’extrémité de la coupe, entre l’ennoyage de l’oued Timeskis et l’erg on voit pointer des couches éodévoniennes violemment redressées à quelques centaines de mètres à peine de distance et, à une centaine de mètres en contre-bas, des grès dévoniens horizontaux. La diaclase est donc évidente.
Ces couches redressées de l’O. Timeskis sont à la limite ouest du Mouidir comme celles de l’O. In Belrem dont elles sont l’évidente continuation.
En somme, cette partie du Mouidir est un premier gradin occidental, encadré entre deux grandes failles nord-sud, à regard ouest, ayant amené chacune une dénivellation d’une centaine de mètres.
La route suivie entre Timeskis et l’O. Souf Mellen ne sort pas de l’Éodévonien. Il est vrai que la limite des roches anciennes ne doit pas être éloignée, car on trouve, en assez grand nombre, dans le lit de l’O. Souf Mellen, des cailloux roulés cristallins.
Ce sont des couches généralement horizontales, mais affectées au voisinage de l’O. Timeskis, de petites failles qui ont dérangé l’horizontalité.
La structure de l’Ahnet-Açedjerad est aussi conditionnée par des diaclases, quoiqu’il puisse n’y pas paraître au premier abord. En effet, les accidents éodévoniens isolés de Tikeidi et de Timeguerden sont des dômes anticlinaux fermés.
Entre l’O. Takçis et l’O. Meraguen, l’Açedjerad projette une longue arête anticlinale. La cuvette d’Iglitten est nettement synclinale.
Fig. 59. — Coupe transversale de l’Açedjerad. — 1/250000.
D4-8, Éodévonien ; D8, Grès fossilifères, 10 ; D7 Argiles, 10 ; D6, Grès, 80 ; D5, Argiles, 30 ; D4, Grès ruiniformes, 20 ; — Dm, Dévonien moyen, Argiles et Calc. à Orthocères.
(Bull. Soc. géol. Fr., 4e série, t. VII, p. 217, fig. 6.)
Sous les ergs Tessegaffi et Ennfouss, l’extrémité méridionale de la pénéplaine méso-dévonienne, se raccordant aux dernières pentes de l’Ahnet et de l’Açedjerad, a tout à fait les allures d’une cuvette synclinale fermée au sud.
Il y a donc toutes les apparences d’un système de plis. Et ce n’est pas particulier à la région considérée ; le Mouidir oriental, tel que la carte du lieutenant Besset nous l’a révélé[235], présente ces mêmes apparences à un plus haut degré encore ; il se termine au nord par un chapelet de dômes anticlinaux, et sa forme générale est curieusement symétrique à l’Ahnet-Açedjerad.
C’est que l’Éodévonien a une faible épaisseur, 300 mètres environ ; à travers cette mince couverture, se trahissent en surface les plis calédoniens sous-jacents, qui ont dirigé les diaclases. Un coup d’œil sur les coupes Ouallen-Megdoua (fig. 59) et Taloak-Ouan Tohra (fig. 57) montre qu’on n’a pas affaire à des couches proprement plissées, mais à des formations dont l’horizontalité a été dérangée seulement par des diaclases.
Jeunesse des diaclases. — Ces failles et ces diaclases sont très jeunes ; on ne s’expliquerait pas autrement la jeunesse du relief. Les hammadas dévoniennes sont entaillées de canyons étroits et profonds dans lesquels les oueds s’ils coulaient, auraient des allures torrentielles (voir pl. VI, phot. 11 et 12, pl. XLV, phot. 83) ; tout à fait torrentielles sont également les vallées qui entaillent les horsts siluriens, disséqués et déchiquetés comme des sommets alpestres. (Voir pl. XLIX, phot. 91, pl. L, phot. 92.)
Avec ces tronçons de lits aux pentes rapides contrastent les allures des oueds au débouché des canyons et des torrents sur les pénéplaines. Là ils s’étalent en larges maaders, qui seraient des lacs ou des marais sous un climat humide. Le réseau hydrographique est évidemment loin de la maturité. Il est vrai que sous le climat actuel il ne peut mûrir que lentement, mais on sait que le climat quaternaire était bien plus humide que l’actuel.
Les oueds du Tadmaït ont exactement les mêmes allures (O. Aglagal, par exemple). (Voir pl. XLIII, phot. 81.)
Conclusions générales.
En résumé on voit assez nettement dans son ensemble la structure de toute cette région (Tidikelt, pénéplaine carbonifère, Mouidir-Ahnet).
Les oasis du Tidikelt jalonnent un long fossé d’effondrement entre les causses crétacés du Tadmaït et les plateaux gréseux Touaregs. L’existence de ce fossé est conditionnée par de grandes failles orientées est-ouest, et dont l’âge récent n’est pas douteux, puisqu’elles ont affecté toutes les couches crétacées ; il est encore attesté par la jeunesse de l’érosion.
Tout cela est donc tertiaire et en relation évidente avec la surrection de l’Atlas.
Par ailleurs la structure du pays est en rapport étroit avec de très anciens accidents hercyniens et calédoniens.
Ou est frappé d’abord de voir au fond du fossé courir la vieille suture entre les deux zones hercynienne et calédonienne. Tout se passe comme si la vieille cicatrice avait imposé sa direction aux jeunes failles ; il y a là apparemment une ligne de moindre résistance dans l’écorce terrestre. Non seulement au Tidikelt, mais encore au Touat, il y a une concordance entre les limites des plissements hercyniens et celles de la transgression cénomanienne.
Les plis hercyniens et calédoniens ont tous une direction oscillant autour de nord-sud. Cette direction s’est ainsi imposée à beaucoup de failles récentes ou de plis posthumes, et elle joue un grand rôle dans la configuration actuelle du pays.
Tout d’abord le nord de l’Afrique tout entier, dans la région qui nous intéresse est parcouru par un grand axe orographique orienté nord-sud ; un chapelet de sommets.
C’est, au sud, le Hoggar, puis en allant vers le nord, l’Ifetessen, point culminant du Mouidir, au Tidikelt même c’est le dj. Idjeran, et le dj. Azzaz, qui prolongent le Mouidir jusqu’au contact du Tadmaït.
Si mal connus que soient les causses crétacés on ne peut pas mettre en doute l’existence d’un bombement anticlinal très accusé qui sépare les ergs orientaux et occidentaux, les oasis d’Ouargla et du Touat. Enfin, en Algérie même, on retrouve peut-être un dernier écho de ce grand axe nord-sud. Dans sa prolongation, en effet, se trouvent les hauts plateaux miocènes de Médéa, qui contrastent curieusement avec le niveau très bas des dépôts contemporains dans la vallée du Chéliff à l’ouest et dans celle de l’O. Souman à l’est.
En somme, une grande arête, très accusée et très bien marquée, un trait tout à fait essentiel de l’orographie nord-africaine, sépare les bassins de l’Igargar et de l’O. Messaoud.
Il faut noter au Tidikelt que les oasis apparaissent à l’ouest du dj. Azzaz. — A l’est le fossé d’effondrement semble se prolonger très loin mais il est désert.
La direction nord-sud joue donc un rôle considérable dans la structure générale ; elle se retrouve à chaque instant dans les détails du modelé.
Chaque oasis du Tidikelt aligne ses palmiers au fond d’une cuvette synclinale dont le grand axe court nord-sud. La coupure d’In R’ar a cette même direction ; de même que presque toutes les diaclases de l’Açedjerad, de l’Ahnet, du Mouidir.
En somme, un pays d’architecture tabulaire où le contre-coup de la surrection de l’Atlas s’est fait sentir énergiquement ; les failles, les diaclases, les plis posthumes tertiaires, ont suivi les directions qui leur étaient imposées par celles des plis et des failles primaires.
Toute la région est drainée par l’O. Djar’ét, dont le réseau compliqué est aujourd’hui bien connu dans ses grandes lignes. — La contribution de Tadmaït est très faible, le seul affluent considérable qu’il envoie au Djar’ét est l’O. Souf qui a creusé la coupure d’In R’ar. Du Mouidir, de l’Ahnet, de l’Açedjerad, de grandes artères (le Bota, le Nazarif, le Souf Mellen, l’Adrem, le Meraguen) convergent et viennent se perdre dans la grande sebkha Mekhergan. Il est probable que cette grande sebkha avait à l’âge quaternaire un émissaire encore inconnu qui rattachait tout le système à celui de l’O. Messaoud. On s’est expliqué là-dessus dans un chapitre antérieur.
Inutile de dire que ce grand réseau quaternaire n’a plus un intérêt actuel, on ne sait même pas dans quelle mesure il est susceptible d’être animé accidentellement par de grandes crues.
Ce qui est certain c’est que les grandes artères, toute la partie basse du réseau, tout ce qui, dans un pays humide, serait particulièrement vivant, tout cela aujourd’hui est un désert, un Tanezrouft. La vie s’est réfugiée à la périphérie, de part et d’autre de l’artère centrale, d’un côté au Tidikelt et de l’autre sur les plateaux touaregs.
Le Tidikelt.
Le Tidikelt a certainement de grandes affinités déjà signalées avec le Touat et le Gourara. Il les continue linéairement, c’est l’extrémité de la « rue de palmiers ». Notons pourtant que la continuité au Tidikelt est interrompue par des brèches fréquentes et notables.
Ici comme au Touat et au Gourara les oasis sont en général sur la plus inférieure des couches crétacées, les grès albiens ; ces grès sont recouverts par place par des terrains d’atterrissement récents, en un point (pourtour de la coupure d’In R’ar) ils font défaut et sont remplacés par des calcaires crétacés d’étage indéterminé. Mais la nappe d’eau est bien dans le Crétacé. Il a été souvent question de la « r’aba » du Tidikelt, qui est naturellement non pas une forêt, comme le sens usuel du mot arabe r’aba semblerait l’indiquer, mais un pâturage de chameaux, maigre et piteux d’ailleurs. C’est un long ruban de verdure rare et grise qui s’étire exactement à la limite du Crétacé et du Primaire, mais toujours exclusivement sur le Crétacé.
La r’aba est un lieu de sources ou de points d’eau ; elles sont particulièrement abondantes autour de la grande trouée d’In R’ar mais, plus ou moins serrées, elles se retrouvent partout dans la r’aba. Ainsi donc, au sommet de la falaise secondaire, des sources, une brousse de zita et d’autres arbustes sahariens ; en bas, sans transition, sur la pénéplaine carboniférienne, l’aridité absolue, le désert maximum. Ce contraste saisissant est le même partout.
C’est ainsi d’ailleurs que les assez beaux pâturages du Gourara méridional (Bel R’azi, Deldoul, Lella R’aba) sont sur le Crétacé et s’arrêtent brusquement à la limite des terrains primaires.
| E.-F. Gautier. — Sahara Algérien. | Pl. XLIX. |
Cliché Laperrine
90. — BLED EL MASS.
Couches siluriennes (phyllades) très énergiquement plissées et arasées, sur le terrain on les voit supporter le dévonien horizontal.
Cliché Gautier
91. — Dans l’Adrar Ahnet (guelta d’Ouan Tohra), une gorge sauvage au fond de laquelle la progression n’est pas possible sans corde. — Grès quarziteux.
| E.-F. Gautier. — Sahara Algérien. | Pl. L. |
Cliché Pichon
92. — ADRAR AHNET ; UN RAVIN DANS LES GRÈS SILURIENS.
| E.-F. Gautier. — Sahara Algérien. | Pl. LI. |
Cliché Pichon
93. — ADRAR AHNET ; OUED TEDJOULJOULT. — Grès Siluriens.
Il n’est pas possible de se soustraire à la conclusion que la nappe d’eau se trouve dans le Crétacé.
Mais d’où vient-elle ?
M. Flamand attribue à l’eau d’In Salah une origine méridionale ; il la croit venue du Mouidir et l’hypothèse n’est pas invraisemblable ; les grès du Mouidir sont, assurément, un gros réservoir d’humidité, avec lequel il est facile d’imaginer que le Tidikelt puisse être en communication.
Il est certain que le dj. Azzaz et le dj. Idjeran, affleurement de grès dévonien qui borne à l’est le Tidikelt, sont des lieux de sources (Aïn Kahla, etc.) et ces sources sont alimentées par le Mouidir. A l’autre bout du Tidikelt Aïn Cheikh jaillit de même dans un affleurement de grès éodévonien. Il semble donc bien que la nappe souterraine des grès méridionaux doive trouver son chemin jusqu’au Tidikelt où l’existence de failles facilite son ascension. D’autre part pourtant, on ne peut guère supposer que l’oasis d’In R’ar soit, par une coïncidence purement fortuite, précisément au débouché d’un grand oued descendu du Tadmaït. Il faut apparemment se garder de conclusions absolues et supposer que le Mouidir et le Tadmaït collaborent à la prospérité du Tidikelt.
Il en a grand besoin, car il se trouve dans des conditions défavorables pour utiliser la nappe d’eau du Tadmaït, qui manifestement d’après la pente générale du terrain est surtout drainé au profit des autres groupes d’oasis (Ouargla, Gourara, Touat).
N’oublions pas il est vrai que le Tidikelt, comme importance numérique en palmiers et en âmes, est inférieur de moitié au Touat ou au Gourara. Un coup d’œil sur la carte montre que, au Tidikelt, la distribution des oasis est assez particulière.
Tandis que les palmeraies du Gourara et du Touat s’étendent bout à bout, en formation linéaire, les palmeraies d’In Salah, d’In R’ar, d’Aoulef, etc., sont parallèles l’une à l’autre, en colonne de compagnie.
Cela revient à dire que chacune a son originalité propre, et sa nappe d’eau particulière. Il serait désirable d’en avoir des monographies.
Quoique ces études de détail fassent défaut on peut affirmer cependant, en règle générale, que chaque palmeraie est en relation avec une petite cuvette syndicale, allongée nord-sud, petit pli posthume déterminé par un effondrement local du substratum hercynien ou calédonien. Cette petite cuvette synclinale est une poche où l’eau s’est accumulée comme le montre non seulement l’existence de l’oasis mais encore en général celle d’une ou plusieurs sebkhas.
La carte ci-jointe, dressée par M. le lieutenant Voinot, et qui m’a été communiquée par M. le commandant Lacroix, rend sensible cette disposition à l’oasis d’Aoulef-Timokten. La cuvette synclinale n’est pas marquée seulement par les courbes de niveau, mais encore par des foggaras, naturellement normales à la pente, et qui viennent de l’ouest à Timokten et de l’est au contraire à l’Aoulef. Cette disposition des foggaras en auréole ou en rose des vents autour d’une sebkha centrale ne se retrouve nulle part ni au Touat, ni même je crois au Gourara, où le parallélisme des foggaras entre elles est la règle générale.
Fig. 60. — Carte d’Aoulef, dressée par M. le lieutenant Voinot.
(Les traits noirs convergents sont les foggaras.)
Notons pourtant que certaines oasis du Gourara, en petit nombre (par exemple Ouled Mahmoud), sont elles aussi en relation avec de petits plis posthumes.
Cette similitude apparaîtra accentuée si on se rappelle que le Gourara a quelques puits artésiens (Ouled Mahmoud en particulier). Depuis notre installation aux oasis nous avons fait des efforts infructueux pour en forer au Touat — couronnés de succès au contraire au Tidikelt, au moins sur certains points.
D’après M. le lieutenant Voinot le Tidikelt a 8 puits artésiens : 1 à Foggaret ez Zoua, 4 à In Salah, 1 à Akabli, 1 à Tit, 1 à In R’ar. Evidemment l’accumulation des eaux dans des cuvettes synclinales explique le succès de ces forages.
Le Tidikelt a donc une hydrographie assez originale. D’autre part on sait déjà qu’il partage avec le bas Touat le privilège regrettable d’être ensablé. In Salah est très menacé par les dunes. Aoulef l’est aussi comme en témoigne la carte. D’après les traditions, dans un certain nombre de ksars l’homme a été chassé par le sable.
Notons cependant que dans le fossé d’effondrement, qui a le monopole des dunes, le Tidikelt est bien loin d’être le point le plus ensablé. Les grosses agglomérations de dunes se trouvent dans les maaders du Bota (erg Tegant, erg Iris), et de l’O. Adrem (erg Ennfous, erg Tessegafi), c’est-à-dire au point précis où il est naturel qu’ils soient, si on admet un rapport entre les alluvions et les dunes.
Histoire. — C’est au point de vue humain que le Tidikelt se distingue franchement du Touat et du Gourara.
A ce point de vue la meilleure monographie a été rédigée il y a plusieurs années déjà par M. le lieutenant Voinot. Elle n’a pas été publiée encore, et il est à craindre qu’elle ne le soit jamais ; c’est une raison de plus pour lui faire de larges emprunts[236].
Dans le travail de M. Voinot, la partie historique est très neuve et très intéressante.
Dans le haut Touat, au Gourara, dans l’O. Saoura il ne subsiste pas de traditions indigènes concernant le premier aménagement hydraulique du pays ; aussi loin que va la mémoire humaine on retrouve les oasis déjà existantes. Elles sont probablement préislamiques ; en tout cas il est impossible d’affirmer qu’elles ne le sont pas.
Au bas Touat, d’après Watin[237], des traditions un peu confuses assignent une date à l’établissement des premières foggaras. Elles auraient été creusées par les Barmata, au IIIe siècle de l’hégire, c’est-à-dire au Xe siècle de J.-C. Auparavant il n’y aurait eu au Reggan que des puits de caravane, creusés par les Arabes Moakel, nomades du Sahel, qui « avaient établi un courant commercial entre le Soudan et le Maroc ». Ces traditions sont, il est vrai, fâcheusement associées à l’étymologie Ouatin Touat, ce qui n’est pas pour leur donner un caractère d’authenticité ; elles méritent pourtant attention.
Au Tidikelt le doute n’est plus permis, les traditions recueillies par Voinot sont nombreuses, précises et concordantes. Partout le souvenir s’est conservé d’une époque où le pays entier était un pâturage, parcouru par les troupeaux touaregs, et dont la r’aba est aujourd’hui le dernier vestige. Dans chaque oasis on indique exactement la date de la fondation.
In Salah serait la plus ancienne ; ce fut un pâturage des Touaregs Kel Amellen jusqu’au XIIIe siècle environ, époque où les premières foggaras auraient été creusées par un nègre nommé Salah, et un certain Mohammed el Hedda, venu de Deldoul (Gourara). De là évidemment l’étymologie Aïn Salah, inventée après coup par les Arabes, puisque le nom véritable est In Salah, et que la particule Berbère In est fréquente dans l’onomastique (In R’ar, In Belrem, etc.).
Viennent ensuite par ordre d’ancienneté :
Akabli, — autrefois pâturage de Hacci Debder — l’oasis a été fondée en 1230 — agrandie en 1235, 1255, 1273, 1303.
Aoulef, puis Tit, puis In R’ar.
L’oasis de Timokten n’a été mise en culture qu’aux environs de 1700.
Les oasis de l’extrême est, Haci el Hadjar, Milianah, Foggaret el Arab, Igosten, datent du XVIIIe siècle. A Foggaret el Arab, la foggara la plus ancienne, foggara el Guedima, est de 1720 ; la plus récente, celle de Hadj Ali, est de 1800.
Ce sont là des souvenirs précis, souvent datés, quelques-uns tout récents, et qui ne peuvent pas être mis en doute.
Aussi bien les défricheurs du Tidikelt sont venus très souvent du Touat et du Gourara.
A Aoulef la migration de 1303 est celle des Ouled Meriem du Reggan. Les Ahl Azzi qui fondèrent Tit venaient de Fenourin (Touat). Parmi les fondateurs de Timokten, les uns (Ouled Yahia) venaient de Deldoul, les autres (Ouled Dehane) du Timmi.
Il est clair que parmi les trois groupes touatiens, le Tidikelt est le plus récent de beaucoup, c’est une idée toute nouvelle et que nous devons entièrement à M. Voinot.
On sait anciennement que les inscriptions tifinar’ ne sont pas rares au Tadmaït[238], et les Touaregs affirment que le Tadmaït fut jadis leur domaine. Tout confirme donc le recul des Touaregs au Tidikelt dans les derniers siècles.
La grande poussée d’arabisation, venue de l’ouest, du Maroc et de la Seguiet el Hamra, ce qu’on pourrait appeler la poussée andalouse, a donc eu sa répercussion jusqu’ici. Elle a refoulé les Berbères hors du Tidikelt, et du même coup elle y a apporté l’agriculture. Nous saisissons ici sur le fait, beaucoup plus nettement qu’ailleurs, le lien qui existe entre la poussée andalouse et le progrès économique au Sahara, et sans doute il n’est pas surprenant que les fugitifs des huertas espagnoles aient été en Afrique de bons professeurs d’hydraulique agricole.
Démographie et organisation politique. — Le Tidikelt est sur la frontière des deux langues et des deux cultures, arabe et berbère ; c’est une marche où l’influence arabe est encore mal assise. On s’en rend compte en étudiant avec M. Voinot sa démographie et son organisation politique.
J’emprunte d’abord à M. Voinot un tableau intéressant et inédit.
| BLANCS | HARATIN | TOTAL des habitants | |
|---|---|---|---|
| Foggaret ez Zoua | 333 | 137 | 470 |
| Foggaret el Arab | 39 | 36 | 75 |
| Igosten | 204 | 107 | 311 |
| Haci el Hadjar | 116 | 47 | 163 |
| Sahela Fokania | 190 | 83 | 273 |
| — Tahtania | 63 | 38 | 101 |
| Miliana | 32 | 19 | 51 |
| In Salah | 1090 | 610 | 1700 |
| In R’ar | 437 | 45 | 482 |
| Tit | 412 | 110 | 522 |
| Aoulef | 1813 | 1978 | 3791 |
| Akabli | 471 | 421 | 892 |
| Total général | 5200 | 3631 | 8831 |
Ce tableau fait ressortir d’un coup d’œil un certain nombre de faits intéressants.
Il nous donne la proportion exacte à la population générale des haratin, c’est-à-dire des paysans. Je ne crois pas qu’on la connaisse au Touat et au Gourara. Ici elle est assez faible. Sur 8831 habitants 3631 seulement cultivent, et nourrissent les autres. Il est vrai que le nombre des esclaves n’est pas indiqué, on ne nous dit pas s’il est inclus dans celui des haratin. On verra en outre que l’agriculture n’est pas la seule ressource alimentaire du Tidikelt.
Sur douze ksars il en est deux beaucoup plus importants que les autres qui renferment à eux seuls plus de la moitié de la population totale, ce sont In Salah et Aoulef ; autour de l’un se groupe le Tidikelt oriental, autour de l’autre l’occidental : ce sont les deux capitales, comparé au Touat et au Gourara le Tidikelt est centralisé.
De ces deux centres le plus important n’est pas le plus connu, In Salah (1700 habitants) ; mais c’est de beaucoup Aoulef (3791 habitants). Je n’imagine pas pourquoi la plus petite agglomération est précisément celle dont le nom s’est imposé au public européen ; c’est apparemment une notoriété de hasard, mais qui a eu ses conséquences puisque In Salah, après avoir été notre objectif stratégique, est aujourd’hui notre capitale administrative. Ce n’est pas sans conséquences fâcheuses pour Aoulef, et même au Sahara une réclame insuffisante eut un désavantage économique.
L’hydrographie de détail au Tidikelt n’ayant pas été étudiée, il est impossible de savoir si Aoulef dispose d’une nappe d’eau plus puissante ; faut-il invoquer, pour expliquer l’infériorité d’In Salah, le fait incontestable que les dunes y sont bien plus agressives ? ou faut-il trouver naturel que le centre le plus occidental soit aussi le plus évolué, puisque la colonisation est venue de l’ouest ?
Le tableau ne distingue pas les Arabes des Berbères, mais le texte du rapport Voinot est explicite sur la question.
La prédominance politique appartient incontestablement aux Arabes.
Dans l’est, à In Salah, les maîtres sont les Ouled Ba Hammou, Ouled Baba Aïssa et Ouled Mokhtar, qui se rattachent à un ancêtre commun venu du dj. el Akhdar en Tripolitaine.
Dans l’ouest, à Aoulef, ce sont les Ouled Zenana venus de Tlemcen en 1690. Ces deux groupes de familles arabes, chacune dans son domaine, exercent leur autorité d’une façon assez particulière.
Et d’abord ils l’assoient sur la force et la crainte, et non pas sur le respect religieux. Il existe au Tidikelt des zaouias, qui ont été fondées au XVIIe et au XVIIIe siècle comme dans les autres groupes d’oasis. Des chorfa du Touat (Sali) ce sont établis à Aoulef au commencement du XVIIe siècle. Des Kounta se sont fixés à Akabli en 1749, mais ces personnages religieux sont bien loin de jouer dans le Tidikelt occidental le rôle prépondérant qui est dévolu aux gens de poudre, les Ouled Zenana.
La prééminence des familles arabes guerrières a eu pour conséquence certaines tendances monarchiques. A In Salah la famille Badjouda, des Ouled Ba Hammou, exerçait une sorte de royauté.
En somme, sans que les djemaa aient disparu, il existe au Tidikelt, dans chacun des deux centres, une concentration de l’autorité entre les mains de familles arabes militaires. Nous sommes loin de l’anarchie touatienne et cela sent la marche frontière.
Les Berbères d’ailleurs, quoique subordonnés, ne sont pas ici dans une situation humiliée comme les Zenati du Touat et du Gourara, ils ne font pas figure de vaincus et d’annexés.
Le groupe berbère le plus important est celui des Ahl Azzi, ils se disent issus du Tafilalet en faisant étape au Touat. Ils sont m’rabtin (marabouts), c’est-à-dire qu’ils constituent une noblesse religieuse très respectée, dont l’arbre généalogique remonte aux premiers temps de l’Islam. En réalité, j’imagine que leur rôle social est le suivant. Comme Berbères ils sont bilingues, et comme marabouts, dans un pays où toute l’instruction est religieuse, ils ne peuvent pas être tout à fait analphabets. Auprès des Touaregs de marque on trouve généralement un secrétaire Ahl Azzi. Ils constituent une tribu d’interprètes, et ils jouent donc un rôle considérable dans un pays Arabe qui a des voisins et l’on pourrait presque dire des maîtres Berbères.
Car les Touaregs sont chez eux au Tidikelt, ils en sont restés en quelque sorte les suzerains. A 30 kilomètres au sud d’In Salah, Haci Gouiret est dominé par une petite gara couverte d’inscriptions tifinar’ ; ç’a été la guérite des guetteurs touaregs, beaucoup d’inscriptions y sont récentes, grafitti de sentinelles dans un corps de garde, et sa seule existence atteste des prétentions de surveillance et de domination.
L’influence touareg au Tidikelt s’atteste dans le costume, par la prédominance des cotonnades bleues, tout à fait inconnues au Touat et au Gourara où les blanches sont seules en usage.
Quelques tribus ou fragments de tribus Touaregs sont fixés au Tidikelt, à Akabli. — Les Settaf y sont devenus ksouriens, ce sont des nobles Azguers.
Autour d’Akabli gravitent d’autres Touaregs, agrégés aux tribus de l’Ahnet, les Sekakna, les Mouazil et les Kenakat ; ce qui explique pourquoi Sidi Ag Gueradji, chef des Taïtoq et de l’Ahnet, a eu longtemps à Akabli une sorte de maison de plaisance.
Les Sekakna, les Mouazil et les Kenakat sont des nomades, et ce ne sont pas les seuls au Tidikelt — nomades aussi, parmi les Arabes, les Oulad Zenana d’Aoulef, les Oulad Bahamou et les Oulad Mokhtar d’In Salah, les Ouled Yahia et les Ouled Dahane de Timokten, les Zoua de Foggaret ez Zoua. En somme, une fraction assez considérable du Tidikelt continue à nomadiser. Cela s’accuse d’ailleurs dans le tableau, dressé par Voinot, du cheptel au Tidikelt.
600 chameaux, 16 chevaux, 20 mulets, 700 ânes, 2500 moutons et chèvres.
La proportion des chameaux est tout à fait anormale pour un pays d’oasis et atteste la persistance des habitudes nomades. On se rappelle que le Touat n’a pas un seul nomade et que le Gourara en a pour mémoire (les Kenafsa). Voici donc une autre originalité du Tidikelt, et si on peut y voir une survivance de l’époque où tout le pays était en pâturages, il est surtout légitime de noter la relation entre le nomadisme et les vertus guerrières tout particulièrement nécessaires au Tidikelt.
La pénéplaine déserte.
La pénéplaine, hercynienne et calédonienne, qui sépare le Tidikelt des plateaux touaregs est une région naturelle nettement individualisée, un petit Tanezrouft, un désert d’une intensité maximum ; les caravanes la traversent à marches forcées, d’une sorte de bond stratégique ; quitte à souffler et à flâner, quand elles l’ont laissée derrière. Elle fait valoir par le contraste les pays qu’elle sépare, les palmeraies du Tidikelt et les pâturages touaregs.
Et c’est à peu près tout ce qu’on peut en dire. Il est clair qu’une région à travers laquelle on fuit nuitamment se prête mal à une étude de détail et d’ailleurs un pays parfaitement inhabité présentera toujours un intérêt presque exclusivement géologique.
L’homme ne laisse pas cependant d’y avoir marqué sa trace.
A H. Ar’eira, à 500 mètres au sud des superbes gommiers qui voisinent avec le puits, et qui frappent davantage dans un pays aussi nu, les rochers portent de mauvaises gravures rupestres et des inscriptions en tifinar’.
Auprès de Haci Tirechoumin on voit une msalla (mosquée en plein vent) et le tombeau très vénéré de Sidi Abd et Hassani.
Dans toute la partie orientale de la pénéplaine d’ailleurs, les puits ne sont pas très rares, — sur la route d’In Salah, Haci Gouiret et H. el Kheneg sont séparés par 70 kilomètres — Haci el Kheneg et Afoud Dag Rali par une quarantaine.
Sur la route d’Akabli par Baba Ahmed les étapes de puits à puits (Tirechoumin, Ar’eira, O. Adrem) ne dépassent guère une cinquantaine de kilomètres. — Ce sont des distances insignifiantes au désert et pour des méharis. Il est vrai que l’eau ne suffit pas, il faut des pâturages, et c’est leur absence ou leur insuffisance qui impose aux caravanes une allure accélérée.
Les puits se trouvent invariablement dans le lit des grands oueds Bota, Nazarif, Souf Mellen, dans des poches d’alluvions en arrière de barrières rocheuses ; il est difficile de ne pas conclure que ces grands oueds coulent quelquefois, encore qu’on n’ait pas là-dessus un seul renseignement positif. Il est donc possible que des crues exceptionnelles fassent pousser au voisinage des puits des pâturages temporaires, susceptibles de fixer pendant quelques semaines à de longs intervalles un peu de vie humaine.
A mesure qu’on s’avance à l’ouest, c’est-à-dire en aval, l’aridité augmente. La route de Taourirt est extrêmement dure, 140 kilomètres sans eau de Hacian Taibin à Tikeidi. — 165 par la route directe de Hacian Taibin à Ridjel Imrad ; car le point d’eau intermédiaire de Azelmati est intermittent et insuffisant. Ce sont là de vraies étapes de Tanezrouft, dangereuses en été.
Ce grand couloir de l’O. Djar’et est libre de sable au milieu, presque partout on marche sur un sol de roche nette, ou de reg, en un mot sol décapé. Les dunes sont rejetées de part et d’autre, au pied du Tadmaït d’une part, et de l’Ahnet de l’autre (dunes du Tidikelt, erg Timeskis, erg Enfouss, Tessegafi, Fisnet).
Pourtant la sebkha Mekhergan, qui est dans une position tout à fait centrale, est partiellement recouverte et bordée de dunes.
En somme, là comme ailleurs, il semble bien que les dunes se trouvent précisément là où le ruissellement des oueds quaternaires a accumulé les plus grandes masses d’alluvions — à la surface et auprès de ce grand lac desséché qu’est la sebkha Mekhergan, et le long des grandes lignes de rupture de pente.
Plateaux Touaregs.
La partie étudiée des plateaux touaregs est l’extrémité occidentale d’une région beaucoup plus étendue et très uniforme, qui embrasse le Mouidir tout entier, et le Tassili des Azguers. C’est une auréole de grès éodévonien, qui s’étire d’est en ouest sur douze degrés de longitude, et qui joue au Sahara un rôle tout à fait considérable au point de vue humain.
La section étudiée embrasse le Mouidir occidental, l’Ahnet et l’Açedjerad, de Aïn Tadjemout à Ouallen soit une bande de 300 kilomètres de long.
On s’est efforcé déjà d’en décrire par le menu la composition géologique et la structure, qui expliquent sa richesse en eau et en pâturages ; et par conséquent son importance en géographie humaine.
C’est un pays montagneux, les sommets de l’Adr’ar Ahnet doivent approcher de 1000 mètres. Il y pleut à coup sûr un peu plus que dans les plaines basses, quoique là-dessus nous n’ayons ni une observation, ni a fortiori une série d’observations précises. A coup sûr le climat reste saharien, il n’y a pas de pluies régulières, saisonnières et annuelles. En 1903, 1904, 1905, au dire des indigènes, corroboré par la baisse des sources, il n’est pas tombé une goutte d’eau.
Ces montagnes sont en grande partie gréseuses. Les grès reposent sur un soubassement silurien à peu près imperméable ; ils sont très perméables, malgré leur âge, parce qu’ils n’ont jamais été plissés et métamorphisés ; ils sont médiocrement épais ; et interstratifiés de couches argileuses qui les divisent en compartiments étanches ; enfin ils sont faillés et dénivelés. C’est un ensemble de conditions merveilleusement favorables à la création de nappes souterraines et à leur utilisation par l’homme.
Aussi les plateaux touaregs ont une vieille réputation d’humidité et de verdure ; et ils ont incontestablement un caractère désertique moins accusé que les effroyables plateaux crétacés du Mzab et du Tadmaït.
En tous pays les montagnes gréseuses sont plus verdoyantes que les causses.
Le Mouidir-Ahnet n’a pas d’eau courante ; ses oueds, au lit si profondément encaissé, ne coulent que par métaphore, sauf au moment des orages qui donnent naissance à des torrents brusques et éphémères. Pourtant, sur certains points favorisés, et sur des étendues plus ou moins médiocres, un filet d’eau vive survit longtemps à l’orage.
Ainsi, à Tahount Arak, le commandant Laperrine, lors de sa première tournée (en 1902), a vu un ruisselet d’eau courante. En 1903 il avait disparu.
En revanche, il y a ce qu’on pourrait appeler de l’eau libre, de l’eau superficielle, accessible sans outillage de terrassier et sans corde à puits. C’est une grande nouveauté pour qui vient du Tadmaït. Dans ces affreux plateaux crétacés du Sahara algérien les puits sont la seule ressource et ils atteignent souvent de grandes profondeurs (20 à 30 mètres en moyenne sur la route d’el Goléa à Ouargla ; 60 mètres au M’zab). Ils sont souvent creusés en pleine roche, dans le calcaire dur, et ils représentent un grand effort humain collectif. L’eau se soustrait à l’utilisation humaine dans les entrailles du sol.
Le Mouidir-Ahnet a ses puits ; mais quelle différence avec ceux de la hammada crétacée ! Ceux du Mouidir-Ahnet ont quelques mètres à peine de profondeur, ils sont creusés, non pas dans la roche, mais dans les dépôts meubles. Ils représentent une somme de travail si médiocre que, au cas fréquent où la caravane trouve le puits bouché par les éboulis, elle a souvent avantage, au lieu de déblayer le vieux puits, à en creuser un nouveau à côté.
Des puits semblables sont déjà un acheminement aux abankor.
Le mot touareg abankor, dont le représentant arabe est tilmas, n’a pas de traduction française ; on l’applique à une couche de sable humide, où il suffit de creuser à la main un trou de 20 ou 30 centimètres pour qu’il se remplisse d’eau. Il y a par exemple un abankor à Taloak.
Ainsi aux points d’eau du Mouidir, même lorsque l’eau est souterraine, elle est accessible sans grand effort. La plupart ou la moitié du temps on la trouve à l’air libre sous la forme d’une mare. Il y en a deux catégories, les unes sont des sources et les autres des aguelman (en arabe r’dir). Les sources sont parfois reconnaissables sur la carte au nom qu’elles portent, Aïn Tadjemout, Aïn Tikedembati : Tin Senasset, Tin Taggar, Tikeidi et Iglitten sont aussi des sources ; elles sont donc très nombreuses. En général, les sources n’arrivent pas à ruisseler, ce sont de petites vasques, où l’ascension lente de l’eau souterraine contre-balance l’évaporation.
Les aguelman (en arabe r’dir, guelta) sont des mares, voire même des lacs.
L’un des aguelman, Taguerguera (celui d’amont), a près de 100 mètres de long sur 5 ou 6 de large. Il est très pittoresque, une gigantesque vasque de roc nu. Il avait, en 1903, 4 ou 5 mètres de profondeur. (Voir pl. VI, phot. 11.)
C’est incontestablement le géant de tous les aguelman dans la région étudiée, le seul auquel on puisse appliquer le nom de lac.
Les petits aguelman ne sont pas rares : celui de Tamama, en amont de Taguerguera dans l’oued Tar’it (Ahnet) ; celui de Taoulaoun au confluent des oueds Tibratin et Tiratimin ; deux autres sont échelonnés dans les gorges de l’oued Tibratin ; un autre est à Tahount Arak (tout cela au Mouidir). Un autre, que les Touaregs nous ont simplement désigné sous le nom générique de guelta, et qui est apparemment anonyme, mérite une mention spéciale ; il est juché à une altitude d’une centaine de mètres dans les grès siluriens de l’Adr’ar Ahnet presque au sommet d’une vallée torrentielle, étroite et sauvage, et de pente si raide, accidentée de ressauts si brusques, que l’ascension exige des cordes. (Voir pl. XLIX, phot. 91.) La guelta a 4 ou 5 mètres de diamètre et 2 mètres de profondeur, elle est logée dans une anfractuosité de roc nu.
Le trait commun de tous ces aguelman, grands ou petits, c’est de jalonner des lits d’oued ; il est impossible pourtant de les considérer tous comme des flaques, résidus de la dernière crue, des citernes naturelles. M. le lieutenant Besset signale au Mouidir un aguelman alimenté par des sources visibles[239]. Sur l’itinéraire suivi je n’ai rien vu de semblable ; mais il est impossible d’imaginer que Taguerguera par exemple, ou la guelta de l’Adr’ar Ahnet ne soient pas en relation avec une nappe d’eau souterraine. Dans une vasque de roc nu, sous le ciel du Sahara, l’eau ne se conserverait pas indéfiniment si elle n’était renouvelée par l’afflux de sources invisibles.
Je crois que, au Mouidir-Ahnet, la majorité sinon la totalité des aguelman sont des sources, dont on méconnaît la nature parce qu’on les rencontre dans le lit d’un oued. Et d’ailleurs l’érosion, entamant le sol jusqu’au niveau de la nappe, explique la fréquence des sources dans les lits desséchés.
Un raisonnement analogue peut s’appliquer d’ailleurs aux tilmas et aux puits. Au fond du puits d’el Kheneg, par exemple, j’ai noté que l’eau sourd dans la roche même. Il est clair que les expressions, puits, tilmas, aguelman, nous renseignent sur l’aspect extérieur du point d’eau, mais non pas sur l’origine de la nappe. Un puits peut être un mode de captage d’une source, un tilmas peut être une source trop faible pour s’affirmer franchement en surface.
Un coup d’œil sur la carte montre que la distribution générale des points d’eau est indépendante des oueds. Ils jalonnent non pas les cours d’eau, mais bien les lignes de contact géologiques.
Sur la limite supérieure de l’Éodévonien s’alignent Afoud Dag Rali, H. Bel Rezaim, H. In Belrem, Taguerguera, Tikedembati, Taloak, Tin Taggar, Tezzaï, Meghdoua, Tikeidi, Iglitten, Taguellit.
Taoulaoun et Ouallen sont au contact des deux étages éodévoniens.
Le contact inférieur de l’Éodévonien (avec le Silurien) est, lui aussi, assez riche en points d’eau, Aït el Kha, Tin Senasset, Ouan Tohra, Haci Macin, Tahount Arak, H. el Kheneg.
Aïn Tadjemout et Haci Adoukrouz sont au contact du Silurien sédimentaire et métamorphique, sur des failles évidentes.
En somme le Mouidir-Ahnet est par excellence une région de sources ; alimentées par de grandes nappes profondes, les points d’eau sont presque tous pérennes. La longue période sans pluie 1902, 1903 et 1904 en avait asséché plus ou moins complètement un petit nombre dans le haut pays (Tin Senasset, Aït el Kha, surtout aguelman Tamama, qui n’avait plus une goutte d’eau dès 1902). Le grand aguelman Taguerguera avait beaucoup baissé, mais il était loin d’être à sec. Et d’une façon générale la grande majorité des sources ne tarissent jamais.
En géographie humaine, le pâturage est au moins aussi important que le point d’eau, et sans doute les deux vont ensemble, au moins dans une certaine mesure. On constate en tout cas que les pâturages, au Mouidir-Ahnet, tendent à se distribuer eux aussi, suivant les lignes de contact géologique, plutôt que le long des oueds.
A la traversée des plateaux Touaregs, les oueds sont extrêmement pittoresques, ils se sont taillé des canyons étroits, aux murailles perpendiculaires de grès nu, parfois très élevées. Ces gorges sauvages ne sont pas seulement superbe matière à photographies, elles ont pour les Touaregs quelque intérêt alimentaire ; la preuve en est que, en certains points privilégiés, on y observe des groupements de gravures rupestres, trace la plus durable d’ancienne fréquentation — dans le Foum Zeggag par exemple, dans l’O. Tar’it surtout, ou encore dans les gorges de Tiratimin (Mouidir, d’après le colonel Laperrine).
La verdure des canyons pourtant se réduit à une bande étroite au fond du lit, on mène paître de préférence dans les bas-fonds largement étalés, où les bêtes s’égaillent sur de grands espaces, et où le pâturage s’épuise lentement.
A l’intérieur de la zone gréseuse les points les plus fréquentés sont les vallées très ouvertes, — au contact argileux des deux étages gréseux éodévoniens, Ouallen par exemple, Taoulaoun (voir pl. XLV, phot. 84) ; — ou bien encore la cuvette synclinale d’Iglitten où s’est conservé un lambeau méso-dévonien.
Mais c’est de préférence la lisière de la zone gréseuse qui est vivante, au nord et au sud, en aval et en amont de l’auréole éodévonienne.
En aval de l’Ahnet, par exemple, s’étend la grande plaine d’el Ouatia, colmatée d’alluvions plus ou moins transformées en dunes. Cette masse alluvionnaire, qui voile la pénéplaine méso- et néodévonienne est très humide, semée de puits ; sur une grande étendue c’est un pâturage utilisable, on y rencontre toujours des tentes sur un point ou l’autre, et cette plaine pourrait bien être le cœur économique de l’Ahnet, encore qu’elle lui soit excentrique et simplement tangente, à parler littéralement.
A l’autre frontière, celle d’amont, la méridionale, au pied et en arrière des falaises dévoniennes terminales (baten Ahnet), s’étendent sur la pénéplaine silurienne des plaques considérables d’alluvions humides, maader et erg : — ce sont les résidus ou les représentants de ce qu’on appelle en Russie les lacs de glint ; — pâturages d’Aït el Kha, de Ouan Tohra, de Haci Masin, d’Adoukrouz, dans l’Ahnet ; de maader Arak et de Tadjemout au Mouidir.
En somme, aux plateaux Touaregs, la vie végétale, et par conséquent humaine, est surtout périphérique ; les plateaux gréseux eux-mêmes se présentent sous la forme de hammadas grandioses et abominables, indéfiniment nues, noires et luisantes.
La flore. — La flore du Mouidir-Ahnet n’a rien d’original. Au moins n’avons-nous pas vu, je crois, une seule espèce qui ne figure dans le catalogue de Foureau[240].
Les pâturages ne contiennent rien qui soit de nature à surprendre l’estomac des méharis du nord ; on y voit les plantes classiques : le had, le dhamrane, le belbel (toutes trois des salsolacées). Tout au plus pourrait-on signaler parmi les graminées la prédominance inusitée du bou-rékouba (Panicum turgidum et colonum) sur le drinn (Arthratherum pungens). La première est plutôt soudanaise, et la seconde algérienne.
Les espèces arbustives ou arborescentes sont naturellement peu nombreuses ; il semble qu’on puisse essayer d’en dresser une liste, qui sera à la fois très courte et à peu près complète.
Le plus bel arbre, on pourrait presque dire le seul qui mérite ce nom est le talha (acacia gommier) ; quelques échantillons supportent la comparaison avec un grand arbre de notre flore européenne ; la grande majorité, il est vrai, sont bien plus modestes, le tronc atteint à peine la grosseur de la cuisse. (Voir pl. XLVIII, phot. 89.) Après le gommier il faut citer le teboraq (Balanites ægyptiaca) qui a lui aussi le port et les dimensions d’un arbre médiocre.
L’ethel et le tarfa (deux espèces de Tamarix) sont de beaux végétaux, de grosses masses de verdures, mais d’allures buissonnantes, aux troncs multiples et rampants, la ramure est seule vivante, le tronc est un cadavre pourri, où le doigt enfonce. (Voir pl. XLV, phot. 84.) C’est le gommier seul, vu la rareté des Balanites, qui fournit aux Touaregs ce qu’on pourrait appeler leur bois d’ébénisterie, c’est-à-dire de quoi fabriquer le seul meuble du nomade, la selle de son méhari. Sur les gommiers et les Balanites les tamarix ont, du moins, la supériorité de n’être pas épineux, infiniment appréciée de qui s’assoit à leur ombre. Après ces géants il ne reste que le menu fretin des broussailles et des arbustes : — le r’tem qui a des allures de genêt, — le koronka (Callotropis procera), qui ne mérite guère cette épithète latine ; il n’a de grand que son fruit, une énorme gousse ovoïde, d’un beau vert frais, aussi gros qu’un œuf d’autruche, ridiculement disproportionné à sa taille d’un mètre cinquante : il joue un rôle important dans l’économie domestique des Touaregs ; son suc laiteux tient lieu du goudron végétal des Algériens, c’est un remède efficace contre la gale des chameaux, et son bois donne le charbon nécessaire à la confection de la poudre.
Toute cette flore arbustive, au point de vue de la géographie botanique, est plutôt méditerranéenne, la plupart des espèces comme le r’tem et le tamarix rappellent le sud de l’Algérie ; quelques-unes seulement, font déjà songer au Soudan, comme le Balanites ægyptiaca dont le nom revient si souvent dans Barth. En somme, c’est la flore saharienne classique, avec un caractère nettement septentrional. Il y a peu de rapports avec la flore nettement soudanaise de l’Adr’ar des Iforass, pourtant voisin.
D’autre part on ne voit pas encore apparaître, à ces altitudes médiocres, quelques espèces qu’on nous signale plus haut, dans le Hoggar ou même à l’Ifetessen ; le jujubier par exemple (zizyphus lotus) fait défaut, de même que l’olivier sauvage et le thym.
Ce n’est donc pas par l’originalité de sa flore que le Mouidir-Ahnet se distingue, c’est par son abondance relative. Le lit des oueds et les bas-fonds étendus, zones d’épandage des crues, qui sous un autre climat seraient marécageux, et qu’on appelle ici des maader, dessinent à la surface du pays un lacis de verdure, et comme un réseau de circulation et de vie. Il est vrai qu’ils sont mis en valeur par l’effroyable nudité des grands plateaux gréseux qui les séparent. Le contraste et la surprise, la satisfaction de déjeuner à l’ombre, en rehaussent singulièrement l’effet sur l’œil du voyageur et rendent délicate la mise au point des impressions.
C’est incontestablement une verdure éparse et rabougrie, et qui paraîtrait misérable ailleurs qu’au désert. Telle qu’elle est pourtant, elle suffit à la subsistance d’une faune assez abondante d’animaux sauvages et domestiques.
Faune. — Pas de grands carnassiers, rien qui dépasse la taille du renard, du chacal et du fennec (un tout petit canidé à grandes oreilles)[241]. Ils trouveraient pourtant à se nourrir, car le gibier est assez abondant. La girafe et l’autruche ne sont représentées aujourd’hui que par leurs effigies ; l’autruche, en particulier, a été reproduite avec prédilection par les artistes inconnus, auteurs des gravures rupestres. Pas de sanglier, — nous n’avons pas rencontré d’antilope mohor, dont l’existence pourtant ne fait pas de doute, puisque les Touaregs emploient sa peau à confectionner leurs grands boucliers. Les sommets rocheux servent de refuge à des mouflons. Mais c’est la gazelle surtout qui est de rencontre quotidienne, dans le voyage de 1903 les méharistes de l’escorte en ont tué cinquante-quatre ; il est vrai que cette hécatombe s’explique, non seulement par l’abondance du gibier, mais aussi par son inexpérience des fusils à longue portée. Les gangas (un gallinacé voisin de la perdrix) sont aussi d’une candeur qui surprend ; les allures du gibier témoignent de la rareté de l’homme et de la médiocrité de ses armes.
Tout cela, en y ajoutant le lièvre, ne constitue pas une faune sauvage beaucoup plus riche que celle des grands ergs par exemple. Il semble seulement que le nombre des individus soit plus grand au Mouidir Ahnet.
La faune domestique est plus intéressante ; c’est Duveyrier, je crois, qui a signalé en pays touareg la présence de l’âne sauvage ou onagre[242]. Nous avons en effet rencontré (à Tadjemout, en particulier) des troupeaux d’ânes en liberté, loin de toute habitation humaine actuelle. Mais on sait qu’au cours de la première randonnée du commandant Laperrine au Mouidir (1902) un de ces animaux fut chassé, abattu, et qu’on le trouva châtré. Il s’agit, en réalité, d’un mode particulier d’élevage ; les animaux sont complètement laissés à eux-mêmes, on se fie à leur sauvagerie pour les protéger contre le vol. Il semble, il est vrai que cette sauvagerie doive rendre illusoires les droits du propriétaire : il se contenterait, dit-on, de capturer et de dresser les ânons.
Pour que l’élevage soit possible dans de pareilles conditions, il faut un pays de sources et d’aguelman, où l’eau est directement accessible aux bêtes. Dans le Grand Erg ou sur les plateaux crétacés, là où il n’y a d’eau qu’au fond des puits, une bête ne peut boire que si on l’abreuve. La gazelle se tire d’affaire par un miracle qu’on n’a jamais expliqué, peut être une faculté d’abstinence qui dépasserait celle du chameau, ou l’utilisation ingénieuse des plantes succulentes. L’âne abandonné à lui-même serait condamné à mort. D’une façon générale, pour un peuple pasteur, l’existence de l’eau à l’air libre est une condition sine quâ non d’existence ; on ne voit pas les Touaregs abreuvant toutes leurs bêtes seau par seau péniblement tiré du puits.
Ceux du Hoggar élèvent certainement des bœufs à bosse du Soudan ; Guillo Lohan en a vu par troupeaux d’une quarantaine[243]. Motylinski les signale fréquemment. Les Touaregs du Mouidir-Ahnet ne semblent pas en avoir ; pourtant les prisonniers de 1887 ont affirmé le contraire à Bissuel[244] ; et il ne paraît pas incroyable que le Mouidir-Ahnet puisse nourrir quelques bœufs, cela n’est pas en tout cas impossible a priori.
Il y a d’assez beaux troupeaux de chèvres et de moutons sans laine (deman). Les chameaux[245] sont naturellement la partie la plus précieuse du cheptel. Il y aurait une comparaison intéressante à faire entre les méharis touaregs et ceux d’Ouargla (élevés par les Chaamba). Que ceux-ci, habitués au sable, se coupent les pieds sur les cailloux des hammadas, c’est sans doute une simple question d’entraînement. On a signalé depuis longtemps des différences de poil : le méhari targui est parfois tout blanc ; et des différences de structure générale : le méhari targui est moins massif, plus léger. Ce qui frappe surtout, c’est ce qu’on pourrait appeler ses qualités morales ; il est familier, souple, et même silencieux ; cette dernière qualité est particulièrement rare chez ses congénères ; de son maître à lui on croit deviner des liens de confiance et de compréhension mutuelle. En somme, c’est un méhari plus évolué, plus éloigné, par la sélection et le dressage, du chameau de bât dont j’imagine qu’il est issu. Aussi il fait prime, les Chaamba eux-mêmes reconnaissent sa supériorité, malgré leur amour-propre d’éleveurs.
Le Mouidir. — La partie étudiée des plateaux Touaregs se divise en deux parties, en deux individualités bien distinctes, au point de vue géographique et humain, le Mouidir et l’Ahnet.
Le nom de Mouidir est une déformation, dans laquelle il est difficile de dire la part qui revient à la phonétique arabe et à l’européenne, du nom berbère Immidir. La forme incorrecte, consacrée par l’usage, me paraît avoir éliminé tout à fait l’autre.
Il s’agit ici d’une petite partie du Mouidir, la lisière occidentale. Encore que le Mouidir lato sensu soit en dehors de notre sujet, puisque nous ne l’avons pas vu, il est impossible de ne pas signaler entre lui et l’Ahnet une très curieuse similitude de conformation ; non seulement la composition géologique est la même, on l’a déjà dit ; mais la structure et la forme générale sont identiques.
Les cartes le montrent d’un coup d’œil. Que l’on compare par exemple notre carte de l’Ahnet avec celle du Mouidir, dressée par M. Besset[246]. J’ai d’ailleurs publié moi-même une carte géologique générale du Mouidir-Ahnet[247], qui a rapidement vieilli, mais qui fait ressortir la symétrie entre ce qu’on pourrait appeler les deux organismes jumeaux ; le Mouidir et l’Ahnet représentent chacun une cuvette d’effondrement distincte, semi-circulaire ; ou si l’on veut une cuvette synclinale fermée au sud. Dans les deux pays toutes les pentes des hammadas convergent, en section d’entonnoir, vers un centre qui est marqué par la présence des dépôts quaternaires et des dunes.
Les ergs Ennfous et Tessegafi correspondent exactement aux ergs Tegant et Iris. L’oued Adrem tient exactement la place de l’oued Arouri (Bota) ; les pâturages d’el Ouatia ont leur pendant au Mouidir dans les maader Tegant et Iris.
D’autre part, les deux pays, Ahnet et Mouidir, à leur extrémité occidentale, projettent vers le nord, vers le Tidikelt, en long promontoire, une chaîne gréseuse, caractérisée par des bombements anticlinaux fermés. Les curieux accidents isolés de Tikeidi et de Timegerden sont, dans l’Ahnet, la reproduction des dj. Azaz et Idjeran au Mouidir.
La ressemblance fraternelle se laisse établir trait pour trait. Ici et là les mêmes causes orogéniques ont produit les mêmes effets.
Entre les deux régions la seule différence est de niveau, mais elle est considérable. Le Mouidir est traversé par le grand axe montagneux nord-africain, la ligne Hoggar-Ifetessen-Tadmaït. Il est bien plus élevé que l’Ahnet. L’Ifetessen atteint 1600 mètres, l’Adr’ar Ahnet 1000, et l’Açedjerad cinq ou six cents.
Tout est plus grand au Mouidir. M. Besset y décrit des canyons profonds de plusieurs centaines de mètres, ceux que j’ai vus sont certainement plus modestes — 60 ou 80 mètres au maximum. Il a mesuré des aguelman cinq fois plus grands que Taguerguera, le géant de l’Ahnet, et peuplés de barbeaux. Les indigènes lui ont même signalé des crocodiles dans les aguelman du haut Tifirin ; mais ce renseignement semble controuvé ; on sait pourtant qu’Erwin de Bary affirme leur existence au lac Mihero, dans le Tassili des Azguers[248].
M. Besset a trouvé au Mouidir des sources chaudes (Idjeran 38°, Djoghraf 48°) ; et Erwin de Bary en a vu une de 37° dans l’oued Mihero. Cela suppose évidemment au Mouidir et au Tassili des failles plus accusées et des nappes d’eau plus profondes que dans l’Ahnet.
L’eau plus abondante au Mouidir permet quelques misérables cultures (oasis de Djoghraf par exemple).
La partie du Mouidir que nous avons vue, et que nous décrivons, n’est guère plus élevée que l’Ahnet, elle n’en participe pas moins, dans une certaine mesure, à la plus grande richesse en eau du Mouidir lato sensu. Les pâturages y sont étendus, vallée d’In Belrem, de Taoulaoun, maader Arak. A Tahount Arak le colonel Laperrine en 1902 a vu de petits barbeaux qui avaient disparu en 1903 et qui évidemment avaient été apportés des hauts de l’oued par la crue.
Notons surtout qu’en 1903 à l’aïn Tadjemout, nous avons vu des traces de culture ; ce fut certainement un point habité, encore qu’on ne vît pas le moindre vestige de construction. En temps normal, des tentes ou des gourbis y étaient dressés en permanence : de la source part l’amorce d’une séguia ; sur une vingtaine de mètres court, ou plutôt stagne un petit canal d’irrigation, soigneusement complanté de joncs qui le recouvrent en dôme, et le protègent contre l’évaporation ; c’est rudimentaire et misérable, mais c’est l’indice incontestable d’une intention agricole.
Aussi bien Motylinski a dressé par ouï-dire une liste des ar’rem (oasis) touaregs[249] et celui de Tadjemout y figure. En 1903 la présence en troupeaux d’ânes soi-disant sauvages à proximité de la source témoignait apparemment de l’exode récent des habitants.
La venue des Français a vidé le Mouidir de ses habitants, mais il a ses propriétaires, qui reprendront, si ce n’est déjà fait, le chemin de leurs anciens pâturages. Le Mouidir lato sensu est terrain de parcours des Kel Immidir, tribu Imr’ad du Hoggar. Mais le bas Mouidir occidental (les environs de Tadjemout, le maader Arak), en un mot la région qui nous occupe, appartient aux Islamaten, autre tribu Imr’ad du Hoggar « presque agrégée à celle des Kel Immidir, avec qui ils vivent ». Sur le Mouidir occidental (plus particulièrement, semble-t-il, le maader de Taoulaoun, l’oued In Belrem), les Arabes nomades d’In Salah ont ou revendiquent des droits de propriété[250].
Entrer dans plus détails nous entraînerait à exposer l’organisation politique et sociale du Hoggar. C’est une besogne qui a été bien faite par M. Benhazera[251].
Bornons-nous à constater que nous sommes ici, au Mouidir, dans une annexe du Hoggar, c’est-à-dire dans un pays ethniquement et politiquement distinct de l’Ahnet.
L’Ahnet. — L’Ahnet est séparé du Mouidir, au moins le long de l’itinéraire suivi en 1903, par une hammada désolée où les oueds Nazarif et Souf Mellen se sont creusé des lits à sec. Entre les groupements humains du Mouidir et de l’Ahnet, il y a donc semble-t-il solution de continuité assez marquée ; en tout cas, pour les indigènes, la frontière est très nette et les deux pays très distincts.
Le hasard des itinéraires nous a particulièrement familiarisés avec l’Ahnet d’un bout à l’autre et on peut en essayer une monographie.
La carte jointe a été construite pour partie avec les itinéraires Laperrine, Voinot, Villatte[252], et pour partie avec un itinéraire original, de Taourirt à Tin Senasset, au sujet duquel on trouvera en appendice des renseignements précis. Mais j’ai suivi, sans les lever, une bonne partie des itinéraires Laperrine, Voinot et Villatte.
Je ne suis pas sûr qu’il soit correct d’étendre le nom d’Ahnet à la totalité de la région considérée ; les indigènes, autant qu’on peut en juger le réservent à la moitié orientale, et donnent à la corne occidentale celui d’Açedjerad ou Achegrad : (ce sont deux variantes dialectales du même nom, correspondant à deux prononciations différentes, djoug, du même caractère, tifinar’)[253].
En tout cas le complexe Ahnet-Açedjerad est une unité géographique, économique et ethnique, domaine propre des Kel Ahnet et de leurs suzerains Taïtoq.
Bissuel donne au pays qui nous occupe le nom de « région de l’Adrar Ahnet », et Duveyrier avant lui l’avait baptisé « Baten Ahnet ». Ce sont deux appellations peu satisfaisantes. Baten Ahnet s’applique à la grande falaise terminale au sud, la falaise de Glint.
Quant à la dénomination de Bissuel : région de l’Adr’ar Ahnet, elle est bien longue et vague, c’est une périphrase : le nom d’Adr’ar Ahnet, comme Bissuel l’a bien compris, s’applique à une région bien délimitée, et non pas à l’ensemble du pays, qu’il faut appeler Ahnet tout court, comme on dit Mouidir, en englobant l’Açedjerad pour la commodité de l’exposition.
L’Ahnet a eu une singulière fortune en librairie. Il a fait l’objet d’une description géographique détaillée quinze ans avant d’être exploré ou même entrevu par un Européen. En 1887 sept Touaregs de l’Ahnet, au cours d’une razzia malheureuse, furent capturés par les Chaamba, et remis aux mains du gouvernement français. Ce fut l’un d’eux qui accompagna comme guide l’infortuné Crampel. C’était l’époque où le Targui, dans l’imagination du public, après avoir été un chevalier du Moyen âge, tournait décidément au traître de mélodrame ; il fut admis, à tout hasard, que le guide avait trahi : on peut affirmer aujourd’hui qu’il n’a jamais revu son pays, ce qui laisse à supposer qu’il partagea le sort de Crampel. Ses six compagnons d’infortune, internés à Alger, furent interviewés régulièrement pendant la durée de leur détention par Masqueray, alors directeur de l’École des Lettres, et le capitaine Bissuel, officier de bureau arabe. Cette collaboration aboutit à la publication d’un dictionnaire, édité par Masqueray, et d’un ouvrage descriptif, intitulé Les Touareg de l’Ouest, par le capitaine Bissuel[254]. C’est la seule fois peut-être qu’un travail de ce genre ait été fait officiellement dans les prisons. Le livre de Bissuel est accompagné d’une carte de l’Ahnet, dont l’original fut dessiné et modelé par les prisonniers avec du sable sur le carreau de la prison. C’est elle qui a servi de base à tous les travaux cartographiques ultérieurs : carte du Sahara de notre état-major, carte de l’Afrique dans l’atlas de Stieler (Blatt I, bearbeitet von Lüdekke). Nous avons rencontré un des collaborateurs du capitaine Bissuel, Tachcha ag Ser’ ada : il était inconscient de son importance géographique, mais il gardait bon souvenir d’Alger, il l’affirmait du moins, et il exprimait en termes décents son regret de la mort de Masqueray.
La carte de Bissuel, ou plutôt de Tachcha, et le texte qui l’accompagne sont naturellement défectueux, mais beaucoup moins qu’on aurait pu le craindre. La carte figure assez nettement les différentes parties de l’Ahnet, mais non leurs rapports de position, c’est un pêle-mêle de détails justes. Par exemple, l’Adr’ar Ahnet et la montagne d’In Ziza sont, pris isolément, très reconnaissables, mais l’un est placé à l’ouest de l’autre, tandis qu’en réalité il est au sud. Cette carte restera une contribution intéressante à l’étude du sens topographique chez les nomades sahariens. On sait du reste, et la carte Bissuel suffirait à prouver, combien ce sens est développé ; ç’a toujours été un objet d’émerveillement pour l’Européen que la sûreté avec laquelle un indigène suit et retrouve sa route, sans boussole à travers des solitudes uniformes : aussi bien, dans le pays de la soif, est-ce une question de vie et de mort. Nous saisissons ici les limites de ce sens topographique ; il est surtout basé sur des souvenirs visuels ; le nomade ne se représente nettement que le paysage qu’il a pu embrasser d’un seul coup d’œil ; la faculté de coordination et de représentation mentale d’ensemble lui fait défaut ; il y supplée par la sûreté de sa mémoire des détails.
En somme, Tachcha et ses compagnons de captivité ont fait honnêtement leur besogne de géographes ; aux questions qui leur étaient posées ils ont répondu, non seulement avec sincérité, mais encore avec précision ; et c’est un fait assez remarquable. Peut-être faut-il se souvenir à ce sujet que les Touaregs sont des Berbères particulièrement fermés aux influences arabes. Carette, dans ses Études sur la Kabylie, établit une comparaison intéressante entre les onomastiques arabe et berbère ; l’une lui paraît poétique et l’autre terre à terre. « Les noms berbères énoncent un fait, dit-il, les noms arabes expriment une image. » C’est ainsi qu’un défilé où on s’est massacré s’appellera Chabet-el-leham, le « défilé de la viande » ; une source près de laquelle des bandits avaient l’habitude de s’embusquer sera aïn-chreb-ou-harreb, la source « bois et fuis »[255]. Qu’on lise dans le livre de Shaw[256] « une dissertation sur la cité pétrifiée que les Arabes appellent Ras Sem ». C’était une cité morte de Tripolitaine, avec ses rues et ses boutiques bondées de passants et d’artisans dans les attitudes les plus vivantes, mais tous mués en statues d’une roche bleue ou cendrée. Son existence était considérée comme un fait positif par l’ambassadeur de Tripolitaine à Londres, qui le tenait d’un ami d’une incontestable véracité. Le consul de France, M. Le Maire, paya cinq mille francs un enfant pétrifié, apporté furtivement de la cité mystérieuse, et s’aperçut trop tard que c’était une statue endommagée de Cupidon, provenant des ruines de Leptis. Il se consola quelque temps en croyant posséder d’authentiques brioches de pierre trouvées dans la boutique d’un boulanger pétrifié, jusqu’au jour où il fut avéré que c’étaient des fossiles d’oursins, de l’espèce des clypéastres. Shaw admire « la cervelle extravagante des Arabes, ces maîtres en inventions ». Il est possible que des prisonniers arabes eussent fourni à Bissuel des renseignements analogues à ceux que recueillait M. Le Maire, consul de France. Il est remarquable en tout cas qu’à une description de l’Ahnet écrite, loin de tout contrôle possible, sous la dictée d’une demi-douzaine de Touaregs, l’esprit des Mille et une Nuits soit resté aussi complètement étranger. Ce sont des cerveaux simples, dépourvus d’imagination.
Voilà qui prête incidemment à des considérations psychologiques curieuses. On admet aujourd’hui que la proportion du sang arabe dans l’Afrique Mineure est infinitésimale ; elle est habitée par une race berbère homogène et ceux que nous appelons des Arabes ne le sont que de langue. La simple substitution d’une langue à une autre suffit donc à transformer un esprit précis en rêveur ; ou bien ne faut-il pas invoquer plutôt l’influence de l’islam et du monothéisme, dont la langue arabe est le véhicule nécessaire. Naturellement on se fait aujourd’hui une image de l’Ahnet beaucoup plus précise que le tableau tracé par Bissuel.
Il n’y a pas à revenir sur la structure ; on s’est efforcé de l’analyser dans les pages précédentes ; elle n’est pas originale dans ses traits généraux puisque l’Ahnet est une réduction du Mouidir, et qu’il y a entre les deux, en quelque sorte, une simple différence d’échelle.
Pourtant le Mouidir n’a rien qui équivaille au curieux pâté de montagnes siluriennes dans le coin est et sud-est de l’Ahnet, système d’Adoukrouz et surtout Adr’ar Ahnet. On a dit que ce sont des horsts calédoniens fraîchement disséqués par l’érosion ; la raideur des pentes est exagérée par le climat qui déchausse et met à nu le squelette rocheux ; le résultat est un dédale confus d’arêtes et de pitons, séparés par des abîmes, et qui font une impression de haute montagne. (Voir pl. XLVIII, phot. 89, pl. L et LI.)
Au nord, ce monde à part est isolé et abrité par un long talus semi-circulaire haut et régulier de couches gréseuses dévoniennes, redressées à 45°. (Voir pl. XLVIII, phot. 88.) Quand on vient du Mouidir, au sortir des longues hammadas monotones, on longe le pied du talus pendant 30 kilomètres, avant de trouver une voie d’accès, les gorges de l’oued Adjam. C’est une fissure, large à peine d’une centaine de mètres, mais qui entaille la muraille jusqu’à la base ; on a l’impression d’une porte dérobée. (Voir pl. XLVI, phot. 85.)
Au delà on débouche brusquement dans un paysage alpestre. Pourtant le massif d’Adoukrouz est relativement hospitalier ; ses arêtes sont isolées, contournées et découpées par de larges vallées. Autour des puits d’Adoukrouz, de Maçin, et sans doute sur d’autres points encore, s’étendent des pâturages. La région est ouverte, et les Touaregs y dressent souvent leurs tentes.
Au sud, au contraire, le horst silurien forme un seul bloc montagneux massif. C’est proprement l’Adr’ar Ahnet. Comme son nom l’indique, c’est la montagne par excellence, l’alp de l’Ahnet ; elle domine tout le pays. Les indigènes en sont très fiers, et mettent leur Adr’ar en parallèle avec la Koudia du Hoggar. Ce point de vue n’est pas défendable.
Le socle qui supporte l’Adr’ar Ahnet a 500 mètres environ d’altitude au-dessus du niveau de la mer, et, je ne crois pas, sous bénéfice d’inventaire, que les sommets dépassent 300 mètres d’altitude relative au-dessus du socle ; l’altitude absolue ne doit nulle part atteindre 1000 mètres. Nous voilà bien loin du mont Ilaman qui est au moins deux fois plus élevé. Mais les Touaregs n’ont pas de baromètre, et la Koudia elle-même n’est pas d’accès et d’ascension plus difficile que l’Adr’ar Ahnet.
Ce bloc énorme de pierre nue se dresse d’un seul jet, avec des pentes raides et presque verticales, car les strates sont redressées à 60 ou 70° ; l’escalade est difficile, parfois même dangereuse. Nous avons pu constater que sur toute la face ouest il garde cet aspect de muraille infranchissable, et, d’après Bissuel, il en est de même sur les trois autres faces. Il n’y aurait pour pénétrer au cœur de l’Adr’ar Ahnet qu’une voie d’accès praticable, et nous l’avons suivie, c’est l’étroit défilé de l’oued Tedjoudjoult. La vallée de l’oued, toujours aussi profondément encaissée, se prolonge très loin dans la montagne, son lit est constitué par une telle épaisseur de cailloux roulés que toute chance de pâturage sérieux se trouve éliminée. (Voir pl. LI, phot. 93.) Au moins en est-il ainsi jusqu’au point où nous l’avons remontée. L’Adr’ar Ahnet n’est donc pas un centre de pâturage, il ne joue pas un rôle économique : en revanche il en joue un militaire. Ce pâté montagneux inaccessible de toutes parts sauf par un couloir étroit, long et sinueux, est une admirable forteresse naturelle, la casbah de l’Ahnet. Désert en temps de paix, il devient le dernier refuge de la tribu quand elle est battue en rase campagne. A l’entrée des gorges on distingue des traces de travaux de défense, une murette en cailloux roulés dans le lit de l’oued.
De tout l’Ahnet, c’est le point que les prisonniers de Bissuel ont décrit avec le soin le plus méticuleux et l’exactitude la plus approximative. Evidemment, c’est un point vital.
Des points vitaux d’un autre genre, d’ordre économique, sont les points d’eau et les pâturages ; on en a déjà étudié la distribution, le long des limites géologiques.
La vie est surtout périphérique ; au cœur de l’Ahnet (lato sensu), à l’intérieur de la zone gréseuse, il y a peu de points susceptibles de fixer les textes : la vallée d’Ouallen, qui s’étire le long de la bande argileuse intercalée entre les grès ; la cuvette synclinale d’Iglitten, où s’est conservé un paquet de méso-dévonien.
Les points vivants sont bien plus nombreux au sud et au nord des plateaux gréseux, sur la lisière. Au sud les maader « de glint » — Aït el Kha — vallée de l’oued Amdja (Tin Senasset, Ouan Tohra, Foum Imok) — Haci Maçin — Adoukrouz.
Au nord, les plaines d’alluvions bordières, qui s’étalent, semées de dunes, suivant la ligne de rupture de pente — les vallées des oueds Ifisten et Meraguen, avec la région de l’erg Ifisten : — surtout la grande plaine d’el Ouatia et de l’oued Adrem, avec les ergs Ennfous et Tessegafi.
La carte et le texte Bissuel sont très détaillés (ce qui n’empêche pas, il est vrai, la carte d’être singulièrement mauvaise) pour tout ce qui concerne cette cuvette synclinale centrale. Tout concourt à en faire une région privilégiée, elle est encadrée entre l’anticlinal de l’Adr’ar Ahnet et celui de l’Açedjerad. Vers cette cuvette convergent toutes les pentes des hamadas, et la grande majorité des oueds de l’Ahnet viennent y aboutir.
Sur le bord externe de l’Ad’rar Ahnet coule l’oued Souf Mellen qui en draine le versant oriental. Mais, à cette exception près, c’est l’oued Adrem qui est le grand collecteur de toutes les eaux de l’Ahnet. Par ses sources il draine la plus grande partie de l’Adr’ar Ahnet (oued Amdja, oued Tedjouldjoult, oued Maçin). A la traversée des hammadas il prend le nom d’oued Tar’it. (Tar’it est exactement l’équivalent berbère de notre « canyon ».) A son débouché dans la cuvette synclinale, c’est l’oued Adrem ; et toutes les eaux de la région des hammadas, comme de l’Açedjerad oriental, viennent la rejoindre.
Cette convergence des oueds produit les effets qu’on en pouvait attendre. Dans la cuvette synclinale sont accumulés les dépôts alluvionnaires, comme aussi le tourbillonnement du vent dans cet immense amphithéâtre de montagnes y a déposé des dunes.
Tout le centre de la cuvette est percé de puits (Ennfous, puits nombreux en chapelet dans l’oued Adrem) ; son pourtour est jalonné de sources et d’aguelman (aïn Tikedembati, aguelman Taguerguera). A sa surface, les oueds élargis dessinent un lacis de pâturages. Si l’Adr’ar Ahnet est le centre politique et militaire, l’oued Adrem est le centre économique ; c’est là que les pâturages se pressent, et qu’on a le plus de chance de rencontrer des tentes. C’est là en effet que la petite troupe du commandant Laperrine est entrée en relations pacifiques avec les Taitoq et les Kel Ahnet, en 1903 ; c’est là encore que le capitaine Dinaux en 1905 a vu venir à lui toute la délégation de l’Ahnet, exactement à Haci Ennfouss[257].
Chose curieuse, de la région des hammadas, qui s’étend entre l’Adr’ar Ahnet et l’Açedjerad, on ne retrouve pas de traces nettes sur la carte Bissuel ; elle semble donc ne pas avoir fixé l’attention des indigènes auteurs de cette carte ; elle n’a pour eux, apparemment, aucune espèce d’intérêt pratique, c’est une étendue pierreuse inutilisable, où ils n’ont rien à faire et où ils ne vont pas.
Ce sont pourtant les hammadas entaillées de canyons qui frappent d’abord l’Européen ; elles sont l’élément caractéristique du paysage ; on conçoit aisément que ce point de vue ne soit pas celui des indigènes, qui doivent résoudre en pareil pays le problème redoutable de l’alimentation quotidienne, et pour qui les données économiques remplissent tout le premier plan de l’attention.
A ce titre économique il faut insister sur l’importance de quelques points, amorces de routes transsahariennes. Au sud de l’Ahnet s’étend un redoutable Tanezrouft traversé par deux routes seulement l’orientale qu’on pourrait appeler route d’In Ziza, et l’occidentale, ou route d’Ouallen.
Le volcan éteint d’In Ziza[258], avec ses points d’eau pérennes, est d’une telle importance pour l’Ahnet que Bissuel et ses informateurs touaregs le décrivent comme en faisant partie. En réalité il est à 150 kilomètres au sud, en plein Tanezrouft, et il n’y a pas lieu de le décrire ici. Contentons-nous de dire que la route orientale, coupée d’aiguades très espacées, mais très abondantes et très sûres (In Ziza, Timassao) est beaucoup plus facile et plus suivie que l’autre. Elle aboutit dans l’Ahnet proprement dit, au voisinage de l’adr’ar Ahnet, de part et d’autre de l’adr’ar Adhafar, soit à Aït el Kha, soit dans l’oued Amdja[259] (Tin Senasset, Ouan Tohra). Aït el Kha est certainement plus rapproché d’In Ziza, mais dans les périodes de longues sécheresses le point d’eau et le pâturage sont insuffisants. Aussi, en 1905, le capitaine Dinaux, avec ses 170 animaux, a dû partir non pas même de Tin Senasset, à peu près tari, mais de Ouan Tohra.
La route occidentale quitte l’Açeddjera à Ouallen. Deporter[259] jadis, et plus récemment, comme aussi, je crois, plus exactement, M. Mussel[260], notre compagnon de voyage, ont recueilli des renseignements sur cette route d’Ouallen. Quelques points d’eau y sont mentionnés, mais incertains et médiocres : « Hassi Azenazen, qui ne cesse d’avoir de l’eau que sept ans après la pluie ... Tin Diodin et Tin Daksen. Ces deux points cessent d’avoir de l’eau deux ou trois ans avant la pluie. »
La route d’Ouallen n’a jamais encore été suivie par nos méharistes et le colonel Laperrine en 1906 n’a pas osé la prendre. Elle est mauvaise et dangereuse. En revanche par Haci Achourat elle aboutit à l’Azaouad et à Tombouctou, c’est une supériorité sur la route d’In Ziza, qui mène directement chez les Ifor’ass, mauvais intermédiaires pour un trafic transsaharien, puisque les Maures Kountas leurs ennemis leur interdisent pratiquement l’accès du Niger.
Ouallen est très anciennement connu par renseignements ; mais il n’a été vu encore que par les quelques Européens qui encadraient ou accompagnaient le détachement Mussel en mai 1905. M. Mussel ne croit pas pouvoir en donner les coordonnées géographiques[261]. C’est, je crois, que je n’ai pas pu lui communiquer en temps utile, et intégralement, les résultats de nos observations communes ; nous étions, il est vrai, mal outillés ; le sextant employé était affecté d’une grosse erreur systématique, et d’ailleurs, sous cette latitude et dans cette saison, c’est un théodolite qu’il eût fallu. Pourtant les données de l’itinéraire ne peuvent pas être grossièrement inexactes. Comme on pouvait s’y attendre la position réelle d’Ouallen est notablement différente de celle qu’on lui attribuait par renseignements. L’erreur est d’un demi-degré environ en latitude et en longitude (voir par exemple Atlas Stieler et se reporter à notre appendice I, p. 342.)
Ouallen est le seul point de tout l’Ahnet où l’on puisse signaler un bâtiment, en ruines d’ailleurs. D’après Mussel « la casbah d’Ouallen aurait été construite par un marabout de la zaouïa Mouley Heïba, existant encore actuellement à l’Aoulef. Destinée, selon les uns, à servir de refuge aux gens qui revenaient du Soudan, elle aurait été construite, selon les autres, par un marabout de l’Aoulef, chassé par ses khouans, afin d’interdire l’accès des puits aux gens de l’Aoulef venant du Soudan[262] ».
Je retrouve dans mes notes que la casbah d’Ouallen fut occupée un temps par des Arabes coupeurs de route, les Oueld Moulad. En tout cas c’est un château fort, et non pas du tout le centre d’une exploitation agricole, dont on ne voit, aux alentours, ni traces, ni même possibilité ; un mauvais pâturage, un petit groupe de puits très peu profonds et abondants, voilà quelles étaient les seules ressources d’Ouallen en 1905. Les puits eux-mêmes étaient peu fréquentés, puisque, au fond de l’un d’eux nous avons trouvé une tanière de chacal.
Il faut noter que la casbah est construite en pierres sèches, elle appartient donc à une catégorie d’édifices archaïques très répandus au Sahara, de l’Atlas au Niger (à Colomb-Béchar, dans l’oued Saoura, à Charouïn, au bas Touat, ar’rem d’es-Souk et de Kidal dans l’Adr’ar des Ifor’ass). Il est intéressant de constater ici qu’une forteresse de ce genre peut se trouver dans un point comme Ouallen, où toute agriculture semble impossible.
Sur ces routes transsahariennes qui aboutissent à l’Ahnet il se fait peu de commerce ; pour l’alimenter, outre les produits de l’élevage, il faut noter qu’il existe des ressources minérales locales.
Les unes sont au Tidikelt occidental, dont les Touaregs de l’Ahnet sont les courtiers. C’est d’abord l’alun d’Aïn Chebbi ; c’est un produit assez répandu au Sahara dans les schistes du Silurien supérieur, les Touaregs l’utilisent comme mordant. Auprès d’Akabli, dans les argiles schisteuses carbonifériennes (?), les indigènes exploitent un produit minéral qu’ils appellent tomela. C’est un sulfate de fer, qui donne une couleur noire très recherchée. Alun et tomela alimentent surtout les petites industries domestiques de la tente chez les Touaregs ; le travail du cuir. (Voir appendice IX, p. 357.)
Le sel de l’Açedjerad est au contraire un produit d’échange, qu’on exporte au loin, au Soudan en particulier. Ce sel se trouve quelque part dans les hauts de l’oued Meraguen, au lieu dit Tiliouin In Chikadh ; qui est très célèbre, et dont j’ai beaucoup entendu parler, sans le voir.
Touaregs de l’Ahnet. — Sur les habitants de l’Ahnet on a maintenant des renseignements précis. On en trouvera le détail dans le travail de M. Benhazera[263].
L’Ahnet est sous la suzeraineté exclusive d’une tribu noble Touareg, les Taïtoq ; il est habité par eux et par leurs imrads dont les principaux sont les Kel Ahnet (gens de l’Ahnet).
Taïtoq et Kel Ahnet ont les plus grandes affinités avec leurs congénères du Hoggar. Les Taïtoq sont des Hoggar ou Ahaggar[264] au sens littéral du mot. « En Tamaheq, dit M. Benhazera, le mot Ahaggar, pluriel Ihaggaren, veut dire noble, et s’applique indistinctement à tous les nobles. » Les Taïtoq sont une des trois familles ou tribus nobles qui se partagent l’autorité dans la confédération du Hoggar, ils se rattachent comme les deux autres, à l’aïeule commune Tin Hinan, enterrée à Abalessa dans un beau tombeau mégalithique[265].
Les Kel Ahnet se réclament aussi d’une aïeule commune aux Dag R’ali, la plus importante des tribus Imr’ads du Hoggar ; cette aïeule commune est Takamat qui est enterrée elle aussi à Abalessa, auprès de Tin Hinan, dans un redjem turriforme.
Tous ces gens-là ont donc pour patrie Abalessa, où ils ont leurs tombeaux de famille.
Les Taïtoq se sont brouillés avec l’autre grande tribu noble, les Kel R’ela (la troisième tribu ne comptant pas numériquement) ; c’est la vieille rivalité, souvent sanglante, entre Kel R’ela et Taïtoq qui donne à l’Ahnet une vie à part, une individualité politique.
Les Taïtoq ont pour tributaires (outre les Kel Ahnet), des Arabes nomades d’Akabli, les Mouazil, les Settaf, et les Sekakna, qui portent d’ailleurs le costume et l’armement des Touaregs. Il en résulte qu’Akabli est pour les Taïtoq une sorte de capitale. Leur chef, Sidi ag Gueradji, y possède une maison et y a fait de longs séjours. Toute la tribu se trouve avoir une familiarité plus intime avec la langue et la culture arabe. On parle couramment arabe dans l’Ahnet, ce qui est bien loin d’être le cas au Hoggar. Il y a là pour les gens de l’Ahnet un principe d’individualisation. — La soumission des Taïtoq à l’autorité française a précédé celle des autres Touaregs, sans doute parce que, d’esprit plus ouvert, ils comprirent plus vite la situation nouvelle.