Tableau historique et pittoresque de Paris depuis les Gaulois jusqu'à nos jours (Volume 6/8)
ORIGINE DU QUARTIER.
Avant la clôture de Philippe-Auguste, les anciens plans nous représentent ce quartier comme un grand espace de terrain au milieu duquel s'élevoient quelques églises entourées de terres labourées, de vignes et autres cultures qui appartenoient ou aux réguliers qui desservoient ces églises ou à d'autres particuliers. Les plus remarquables de ces cultures étoient les clos Garlande, Bruneau, et Mauvoisin. On verra par la suite comment ils se couvrirent successivement d'habitations, avant et après que l'enceinte eût été élevée.
Cette enceinte de Philippe-Auguste renfermoit, dans ce quartier, tout l'espace qui s'étend depuis la rivière jusqu'au haut de la rue Saint-Jacques; et, traversant la ligne où est maintenant la rue qui en a reçu le nom de rue des Fossés-Saint-Jacques, elle alloit gagner celle de Saint-Victor. Toutefois le terrain qu'elle embrassoit ne formoit pas le tiers de l'emplacement qu'occupe aujourd'hui le quartier Saint-Benoît.
LE PETIT-CHÂTELET.
La plupart des historiens de Paris, en parlant du Petit-Pont, au bout duquel cette forteresse étoit bâtie, l'ont confondu avec le pont méridional que fit construire Charles-le-Chauve; et, par une suite de cette méprise, ils ont pris la tour qui se trouvoit à l'extrémité de celui-ci pour celle du Petit-Pont. D'autres ont avancé que ce Châtelet avoit été élevé pour arrêter les violences des écoliers, ce qui n'est pas une moins grande erreur. C'en est une également de croire qu'il ait anciennement servi de prison, comme il en servoit dans les derniers temps.
Ce qu'il y a de certain, ce qui est prouvé par les monuments les plus authentiques, c'est que les deux seuls ponts qui servoient d'entrée à Paris dans les premiers temps, et lorsque la ville tout entière étoit renfermée dans la Cité, étoient terminés chacun par une forteresse qui servoit de porte et qui en défendoit l'entrée. D. Félibien avance[230] que celle-ci, entièrement détruite par les Normands, ne fut rebâtie que quatre cent cinquante ans après, sous Charles V, et ceux qui ont écrit d'après lui ont adopté cette opinion. Cependant cet auteur cite lui-même des titres qui en prouvent la fausseté: le premier est un accord fait en 1222 entre Philippe-Auguste, l'évêque et l'église de Paris[231], dans lequel il est fait mention d'un dédommagement accordé par le roi pour l'enceinte du Châtelet du Petit-Pont. Il dit ensuite, en parlant de l'inondation de l'année 1296, que le Châtelet du Petit-Pont fut renversé[232]; et ce fait il l'avoit sans doute recueilli dans un vieux registre de Saint-Germain, intitulé Rotulum, où il étoit consigné[233].
Le Petit-Châtelet fut reconstruit en 1369. C'étoit une construction très-massive, d'un aspect désagréable, et percée par le milieu d'une ouverture étroite et très-obscure[234]. Tel qu'il étoit, on le jugea digne cependant de servir de demeure au prévôt de Paris, auquel il fut spécialement affecté en 1402 par le roi Charles VI; et dans l'acte qui en donnoit la jouissance à ce magistrat, il étoit qualifié d'habitation très-honorable, honorabilis mansio. On en a fait depuis une prison, et il a servi à cet usage jusqu'au moment de sa destruction, arrivée plusieurs années avant la révolution[235].
Sa démolition fut ordonnée pour l'avantage de l'Hôtel-Dieu, qui avoit besoin de s'agrandir, et qui fit en effet construire de nouveaux bâtiments sur une partie de l'emplacement qu'avoit occupé cette forteresse. Ces constructions furent élevées sur les plans de M. de Saint-Far, architecte du roi pour les hôpitaux civils.
LE PRIEURÉ DE SAINT-JULIEN-LE-PAUVRE.
La haute antiquité de ce monument le met au nombre de ceux dont l'origine présente le plus d'obscurité; et sur de telles difficultés les historiens n'offrent guère que des conjectures plus ou moins vraisemblables. Celles de plusieurs auteurs qui lui donnent pour titulaire saint Jean-de-Brioude, dont ils prétendent que saint Germain d'Auxerre apporta des reliques à Paris, en feroient remonter la fondation jusqu'au commencement du cinquième siècle. Du Breul veut même qu'avant cette dédicace, qu'il ne regarde que comme la seconde, cette église ait été consacrée à saint Julien, évêque du Mans, célèbre par sa grande charité envers les pauvres[236]. Mais un autre critique, l'abbé Chastelain[237], dit qu'il s'agit ici de saint Julien-l'Hospitalier, et son opinion paroît la plus vraisemblable. Il est certain qu'il y avoit anciennement dans les faubourgs, et près des portes des villes, des hospices pour les pauvres et pour les pèlerins; et, si l'on en avoit élevé un près de la porte méridionale de Paris, il est assez naturel de croire que c'étoit saint Julien-le-Pauvre et l'Hospitalier qu'on lui avoit choisi pour patron. Du reste, quelques titres, à la vérité fort récents, prouvent que c'étoit en effet une maison hospitalière, et nous citerons entre autres un arrêt de 1606, pour la reddition des comptes de plusieurs hôpitaux, entre lesquels on nomme Saint-Julien-le-Pauvre[238].
Grégoire de Tours est le plus ancien auteur qui ait parlé de cette église; et plusieurs circonstances de son récit prouvent qu'elle existoit ayant l'année 580[239]. Telle est la seule date authentique que l'on puisse donner de son antiquité. Elle fut ensuite au nombre des églises dont Henri Ier fit don à la cathédrale, donation de laquelle du Boulai[240] a conclu qu'elle fut appelée Fille de Notre-Dame (Filia Basilicæ Parisiensis). Ce qui a pu causer son erreur, c'est que, dans un acte sans date, qui toutefois ne peut être plus ancien que le douzième siècle[241], on trouve qu'alors cette église avoit passé, on ne sait comment, entre les mains de deux laïques[242], qui la donnèrent au monastère de Notre-Dame-de-Long-Pont, près Montlhéri; mais on ne voit à aucune époque que l'église Notre-Dame de Paris y ait placé des chanoines, comme elle l'avoit fait à Saint-Étienne et à Saint-Benoît, ce qui prouve qu'elle ne l'a pas long-temps possédée.
L'église de Saint-Julien-le-Pauvre, telle qu'elle a subsisté jusque dans les derniers temps, paroît avoir été rebâtie vers l'époque où elle fut donnée aux religieux de Long-Pont; et l'on pense que c'est alors qu'elle fut qualifiée prieuré. Au siècle suivant, l'université choisit ce lieu pour y tenir ses assemblées, qu'elle transféra ensuite aux Mathurins, puis au collége de Louis-le-Grand.
En 1655, ce prieuré fut réuni à l'Hôtel-Dieu par un traité passé entre les administrateurs de cette maison et les religieux de Long-Pont. Cette union, confirmée par une bulle du pape, donnée en 1658, ne fut cependant entièrement consommée que par des lettres-patentes que le roi n'accorda qu'en 1697. La chapelle fut alors desservie par un chapelain à la nomination de la paroisse Saint-Séverin[243].
Chapelle de Saint-Blaise et de Saint-Louis.
Cette chapelle étoit située à côté de Saint-Julien-le-Pauvre, dont elle dépendoit. Les maçons et les charpentiers y établirent leur confrérie en 1476. Elle fut rebâtie en 1684: cependant, comme elle menaçoit ruine, on jugea à propos de la démolir vers la fin du siècle dernier, et le service en fut transféré dans la chapelle Saint-Yves[244].
LA CHAPELLE SAINT-YVES.
La fondation de cette chapelle suivit de très-près la canonisation du personnage auquel elle étoit consacrée: car l'acte par lequel il est mis au rang des saints est de l'année 1347; et l'on voit que dès 1348[245] quelques particuliers de la province de Tours et du duché de Bretagne, désirant former entre eux une confrérie en son honneur, obtinrent de Foulques de Chanac, évêque de Paris, la permission de faire bâtir une chapelle ou une église collégiale sous son nom. D'autres titres nous apprennent que cette confrérie avoit un cimetière près de son église, lequel fut béni, en 1357, par l'évêque de Tréguier. Comme saint Yves, indépendamment du cours complet d'études qu'il avoit fait dans l'Université de Paris, s'étoit rendu très-habile dans l'étude du droit civil qu'il étoit allé étudier à Orléans, son église ou chapelle fut acquise, on ignore à quelle époque, par une confrérie composée d'avocats et de procureurs, qui l'a conservée jusque dans les derniers temps. Ils choisissoient l'un d'entre eux tous les deux ans pour en inspecter les desservants. Il y avoit aussi deux gouverneurs honoraires, dont l'un étoit ecclésiastique et inamovible; l'autre, laïc, lequel changeoit tous les trois ans.
Il y avoit dans cette église plusieurs chapellenies à la présentation des confrères, mais toutes d'un très-modique revenu. Les chanoines de Saint-Benoît étoient les curés primitifs de Saint-Yves[246].
LES CARMES.
Nous nous garderons bien de parler de cette prétention singulière qu'avoient les Carmes de faire remonter leur origine jusqu'aux prophètes Élie et Élisée, ni des discussions trop vives et peut-être un peu bizarres qui, vers la fin du dix-septième siècle, s'élevèrent à ce sujet entre ces religieux et les continuateurs de Bollandus. Si l'on peut alléguer que deux papes (Pie V et Grégoire XIII) permirent à cet ordre de prendre pour patrons ces deux grands personnages de la Bible, et approuvèrent un office destiné à célébrer leur fête, dans lequel Élie étoit reconnu pour fondateur et instituteur de l'ordre des Carmes, il faut avouer en même temps qu'un bref d'Innocent XII, donné en 1698, impose sagement un silence absolu sur l'institution primitive de cet ordre, et sur sa succession depuis Élie et Élisée jusqu'à nous. Tout ce que l'on sait de positif à ce sujet, c'est qu'au douzième siècle il y avoit en Syrie quelques solitaires qui s'étoient retirés sur le Mont-Carmel, où ils vivoient sans aucune règle particulière[247]. Ils en reçurent une, vers le commencement du siècle suivant, du B. Albert, patriarche de Jérusalem[248], et cette règle, approuvée, en 1224, par Honorius III, fut depuis mitigée et confirmée par plusieurs souverains pontifes.
Saint Louis, comme nous l'avons déjà dit, amena en France, à son retour de la Terre-Sainte, quelques religieux du Mont-Carmel. Ils y arrivèrent avec lui en 1254, et dès 1259 on les voit établis dans l'emplacement qu'ils cédèrent depuis aux Célestins[249]. Il est probable que, n'étant alors qu'au nombre de six, ils n'eurent dans le principe qu'une petite chapelle particulière; mais un acte de ce temps-là semble prouver que la dévotion des fidèles, qui accouroient de tous côtés dans la demeure de ces nouveaux cénobites, les mit bientôt dans la nécessité de s'agrandir.
Cependant ils ne tardèrent pas à se dégoûter d'une habitation que les fréquents débordements de la rivière rendoient extrêmement incommode. Pendant une grande partie de l'année ils ne pouvoient sortir de chez eux qu'en bateau, et se trouvoient d'ailleurs dans un éloignement de l'Université, qui doubloit encore pour eux ces incommodités. Dans une situation aussi désagréable, les Carmes s'adressèrent à Philippe-le-Bel, et ne l'implorèrent point en vain. Ce prince, par ses lettres du mois d'avril 1309, leur donna une maison, située rue de la Montagne-Sainte-Geneviève[250]; ils obtinrent, en 1310, du pape Clément V, la permission d'y bâtir un nouveau couvent; et comme cette maison n'étoit pas encore assez spacieuse pour contenir tous ces religieux, dont le nombre s'étoit considérablement augmenté, Philippe-le-Long leur donna, en 1317, une autre maison voisine de la première, laquelle avoit issue dans la grande rue Sainte-Geneviève et dans celle de Saint-Hilaire, aujourd'hui rue des Carmes. Au moyen de ces donations, ils se trouvèrent en état de faire construire une chapelle et des bâtiments plus vastes et plus commodes que ceux qu'ils vouloient abandonner. Quant à leur ancienne demeure, ils obtinrent, en 1318, du pape Jean XXII, la permission de la vendre; et l'on sait qu'elle fut acquise par Jacques Marcel, qui la donna ensuite aux Célestins.
Toutefois la chapelle qu'ils venoient d'élever, et qu'ils dédièrent sous l'invocation de Notre-Dame-du-Mont-Carmel, se trouva bientôt trop petite pour contenir l'affluence toujours croissante des fidèles qui s'y rendoient de tous les côtés. Ils firent alors commencer, à côté de cette chapelle, l'église que l'on voyoit encore dans les derniers temps. Les libéralités de Jeanne d'Évreux, troisième femme et alors veuve de Charles-le-Bel[251], leur fournirent les moyens d'en achever promptement la construction; et elle fut dédiée, le 16 mars 1353, sous l'invocation de la sainte Vierge, par le cardinal Gui de Boulogne, en présence de cette reine et de ses nièces les reines de France et de Navarre.
Ils achetèrent ensuite, en concurrence avec les administrateurs du collége de Laon, une partie de l'ancien collége de Dace, qu'ils enclavèrent dans leur couvent. Leurs bâtiments s'accrurent encore depuis de diverses acquisitions qu'ils firent dans le voisinage, principalement de celle d'un certain nombre de maisons de la rue de la Montagne-Sainte-Geneviève, qu'ils ont fait reconstruire.
L'église de ce monastère étoit vaste, mais d'une construction irrégulière, puisqu'elle se composoit de l'ancienne chapelle et de la nouvelle église, dédiée en 1353. La dévotion au scapulaire y attiroit un grand concours de peuple le second samedi de chaque mois, afin de gagner les indulgences qui y étoient attachées.
CURIOSITÉS DE L'ÉGLISE DES CARMES.
SCULPTURES.
Sur le maître-autel, décoré de beaux marbres, que Louis XIV avoit donnés à ces religieux, mais dont la composition étoit d'un très-mauvais goût, on voyoit un groupe composé de quatre figures, et représentant la Transfiguration. Le tabernacle étoit formé d'un globe autour duquel rampoit un serpent, et que surmontoit un Christ attaché à la croix, le tout en bronze doré.
SÉPULTURES.
Dans cette église et dans le cloître avoient été inhumés:
Oronce Finé, savant mathématicien, professeur au collége de Me Gervais, mort en 1555.
Gilles Corrozet, libraire de Paris, et auteur d'une description de cette ville, qui passe pour la première qu'on en ait faite. Son épitaphe apprenoit qu'il étoit mort en 1568.
Félix Buy, religieux de cette maison, et célèbre théologien, mort en 1687.
Louis Boulenois, avocat au parlement de Paris, auteur de plusieurs ouvrages de jurisprudence, mort en 1762. Ses cendres et celles de son épouse avoient été recueillies dans un riche mausolée que leur avoient élevé leurs enfants. Ce monument, exécuté par un sculpteur nommé Poncet, se composoit d'un sarcophage porté sur un piédestal, et surmonté d'une urne de porphyre. On voyoit auprès la Justice éplorée, et les médaillons des deux époux étoient attachés à une pyramide qui couronnoit toute cette composition[252].
La famille des Chauvelin avoit aussi sa sépulture dans cette église.
Le cloître étoit fort grand, et environné d'arcades gothiques. Des peintures exécutées sur ses murailles, et qui étoient au nombre des plus anciennes de ce genre qu'il y eût à Paris, représentoient les vies des prophètes Élie et Élisée. On y lisoit aussi l'histoire de l'ordre, écrite en vieilles rimes françoises. Les curieux avoient soin de se faire montrer une chaire de pierre pratiquée dans le mur, qui avoit servi anciennement aux professeurs de théologie de cet ordre, et dans laquelle on prétend qu'Albert-le-Grand, saint Bonaventure et saint Thomas ont donné des leçons publiques.
La bibliothèque étoit composée d'environ douze mille volumes[253].
LA COMMANDERIE DE SAINT-JEAN-DE-LATRAN.
C'étoit une propriété de l'ordre de Malte, qui, comme nous l'avons déjà dit, remplaça celui des Templiers, et fut mis en possession de tous ses biens; toutefois il étoit possesseur de cette maison avant la destruction de ces religieux. Ces deux ordres avoient été institués pour l'utilité des pèlerins qui alloient visiter les lieux saints, mais avec cette différence que les Templiers, autrement dits frères de la Milice du Temple, se contentoient d'assurer les passages, de conduire et de défendre sur la route ces pieux voyageurs, tandis que les frères Hospitaliers de Jérusalem s'engageoient à leur donner l'hospitalité et à leur procurer tous les secours que pouvoit exiger leur situation. L'institution de ces derniers avoit même précédé de quelque temps celle des Templiers: cependant il n'y a point de preuves qu'ils aient eu avant ceux-ci un établissement à Paris; et quelques efforts que fasse l'abbé Lebeuf[254] pour reculer le plus possible cette antiquité, les raisonnements qu'il présente à ce sujet, combattus avec beaucoup de force par Jaillot, ne sont point appuyés de titres qui soient antérieurs à l'année 1171, époque que Sauval donne aussi pour la fondation de Saint-Jean-de-Latran. Du reste, ce surnom de Latran, qui est celui d'une basilique de Rome, ne fut donné à leur chapelle que dans le courant du seizième siècle: jusque-là, leur maison avoit été nommée Saint-Jean-de-Jérusalem et l'Hôpital de Jérusalem.
Cette commanderie occupoit un très-grand espace de terrain qui s'étendoit jusqu'à la rue des Noyers. Il se composoit d'une grande maison où demeuroit le commandeur, d'une immense tour carrée qui paroît avoir été destinée autrefois à recevoir les pèlerins, et d'une grande quantité de maisons très-mal bâties, où logeoient toutes sortes d'artisans qui y jouissoient du droit de franchise, de même que les habitants de l'enclos du Temple. L'église, qui paroissoit avoir été bâtie dès le temps de l'établissement, étoit desservie par un chapelain de l'ordre de Malte, et servoit de paroisse à tous ceux qui habitoient l'enceinte de la commanderie[255].
CURIOSITÉS DE L'ÉGLISE DE SAINT-JEAN-DE-LATRAN.
SCULPTURES.
Derrière le maître-autel, une Vierge, de la main d'Anguier aîné.
TOMBEAUX.
Dans le chœur on voyoit le mausolée de Jacques de Souvré, grand-prieur de France, exécuté par le même sculpteur[256].
Dans une chapelle attenant à l'église on lisoit l'épitaphe d'un particulier nommé Huard, mort en 1553, après avoir fait le tour du monde.
Jacques de Bethem, dernier archevêque de Glascow en Écosse, ambassadeur en France pendant quarante-deux ans, et l'un des fondateurs du collége des Écossois, avoit sa sépulture dans cette église.
Cette commanderie pouvoit rapporter 12,000 livres de rente. L'hôtel Zone, situé dans le faubourg Saint-Marcel, et la maison de la Tombe-Isoire[257], sise hors des murs, étoient au nombre de ses dépendances.
L'ÉGLISE COLLÉGIALE ET PAROISSIALE DE SAINT-BENOÎT.
L'origine de cette église se perd dans la nuit des temps, et cette obscurité qui l'environne a porté plusieurs historiens à exagérer encore son antiquité. Du Breul, Sauval et plusieurs autres[258] ont prétendu qu'elle avoit été bâtie dès le temps de saint Denis, et consacrée à la Sainte-Trinité par cet apôtre des Gaules. Adrien de Valois[259] soutient au contraire qu'on n'a aucune preuve que cette église existât avant l'an 1000: ces deux opinions sont également éloignées de la vérité. Il existe une charte de Henri Ier[260], le premier monument sans doute qui en fasse mention, par laquelle ce monarque donne au chapitre de Notre-Dame plusieurs églises situées dans le faubourg de Paris, dont quelques-unes avoient été décorées du titre d'abbayes, entre autres celles de Saint-Étienne, de Saint-Séverin et de Saint-Bacque, «lesquelles, ajoute cet acte, étoient depuis long-temps au pouvoir de ses prédécesseurs et au sien;» «nostræ potestati et antecessorum nostrorum antiquitùs mancipatas.» Cette église de Saint-Bacque est celle qui porte aujourd'hui le nom de Saint-Benoît, et le mot antiquitùs prouve évidemment qu'elle existoit avant l'an 1000. Il paroît même par le diplôme de Henri Ier que la cathédrale, à laquelle il rendit cette église, avoit eu sur elle, dans les siècles précédents, quelques droits de supériorité que l'invasion des Normands lui avoit fait perdre. Du reste ce nom de Saint-Bacque qu'elle portoit, et qu'il ne faut point séparer de celui de Saint-Serge, parce que l'église a de tout temps fêté ensemble ces deux saints martyrisés en Syrie, fait penser à Jaillot qu'il faut reculer l'origine du monument dont nous parlons jusqu'au sixième ou du moins jusqu'au septième siècle.
Dans le douzième, on trouve cette église désignée sous le nom de Saint-Benoît, ainsi que l'aumônerie ou l'hôpital voisin, dans lequel se sont depuis établis les Mathurins. Cependant il ne faut pas que cette dénomination porte à croire, avec quelques historiens, qu'elle ait été autrefois une abbaye desservie par des religieux de Saint-Benoît. Il n'existe aucune preuve qu'il y ait jamais eu en cet endroit un monastère de Bénédictins; on n'y conservoit aucune relique de saint Benoît; sa fête n'y étoit pas même anciennement célébrée; et l'abbé Lebeuf[261] a prouvé jusqu'à l'évidence que le nom de Benoît n'étoit autre chose que celui de Dieu, Benedictus Deus. Dans nos anciens livres d'église et de prières, on lit la benoîte Trinité, et Dominica benedicta, l'office Saint-Benoît, l'autel Saint-Benoît, pour dire le dimanche de la Trinité, l'autel de la Trinité, etc. Ce n'est qu'au treizième siècle que l'on commença à accréditer cette fausse opinion qui fit regarder l'église de Saint-Benoît comme une ancienne abbaye de religieux de son ordre, et lui fit donner pour patron ce fameux abbé du Mont-Cassin.
Les historiens de Paris sont également peu d'accord sur l'époque où la chapelle de Saint-Benoît, devenue collégiale après la donation de Henri Ier, réunit à ce titre celui de paroisse, par l'admission d'un chapelain chargé d'administrer les sacrements. L'un d'eux a avancé que cette érection d'un curé n'eut lieu qu'en 1183. Jaillot prouve le contraire par une lettre d'Étienne, abbé de Sainte-Geneviève, au pape Luce III, mort en 1185, dans laquelle, parlant en faveur de Simon, chapelain de Saint-Benoît[262], il se plaint de ce qu'il est inquiété par quelques chanoines qui lui disputent certains droits contre l'usage ancien observé tant par lui que par ses prédécesseurs. Il est donc évident que, dès que le chapitre Notre-Dame fut en possession de l'église Saint-Benoît, il y fit exercer les fonctions curiales, peut-être pendant quelque temps par des chanoines qui se succédoient tour à tour, mais bientôt après par un prêtre ou chapelain, qui en fut spécialement chargé.
On ignore pourquoi le chevet de cette église, contre l'usage établi, étoit autrefois tourné à l'occident. Cette situation lui fit donner le nom de Saint-Benoît le bestournet, le bétourné, le bestorné[263], et ce nom, qui veut dire mal tourné, renversé (S. Benedictus malé versus) se trouve dans tous les actes du treizième siècle. Cette église ayant été en partie reconstruite sous le règne de François Ier, plusieurs de nos historiens ont prétendu que l'autel fut alors placé à l'orient, et que c'est à partir de cette époque qu'elle fut appelée Saint-Benoît le bien tourné; mais il est certain que cette dénomination est plus ancienne, sans qu'on puisse en déterminer positivement la cause; et plusieurs actes des quatorzième et quinzième siècles, cités par Jaillot et l'abbé Lebeuf, désignent déjà ce monument avec cette dernière épithète: Sanctus Benedictus benè versus.
Excepté les piliers du chœur au côté septentrional, qui paroissent être un reste des premières constructions, le portail et tout ce qu'il y a de plus ancien dans cette église ne passe pas le règne de François Ier. Le sanctuaire ne fut rebâti que vers la fin du dix-septième siècle (en 1680), et alors, pour accroître l'aile méridionale, on y renferma une rue qui communiquoit de la rue Saint-Jacques au cloître. Le reste de l'église fut, à cette époque, réparé sur les dessins et sous la conduite d'un architecte nommé Beausire. La balustrade de fer qui régnoit au pourtour du chœur, l'œuvre et le clocher furent faits dans le même temps. On prétend que les pilastres corinthiens qui décorent le rond-point ont été exécutés d'après les dessins de Perrault[264].
CURIOSITÉS DE L'ÉGLISE SAINT-BENOÎT.
TABLEAUX.
Sur l'autel de la chapelle de la paroisse, une descente de croix; par Sébastien Bourdon.
Dans la chapelle des fonts, le baptême de N. S., par Hallé.
Deux autres tableaux peints sur bois, représentant saint Denis et saint Étienne; par un peintre inconnu.
Dans la chapelle de la Vierge, et sur les lambris, des peintures représentant la vie de cette sainte mère du Sauveur.
Deux tableaux représentant, l'un saint Joseph, l'autre l'ange qui conduit le jeune Tobie; par un peintre inconnu.
SCULPTURES.
Sous une voûte, au fond d'une chapelle, à gauche en entrant, un Christ au tombeau, avec les trois Maries, saint Joseph d'Arimathie, etc.
La cuvette des fonts baptismaux. Cette cuvette, d'une pierre blanche et dure, est bordée d'ornements arabesques d'un travail très-élégant et très-délicat, et portée sur un socle carré, enrichi de bas-reliefs d'une exécution qui n'est point inférieure à celle des ornements. Elle porte la date de 1547; et tout annonce en effet que c'est un ouvrage du plus beau temps de la sculpture moderne[265].
TOMBEAUX ET SÉPULTURES.
Dans cette église avoient été inhumés:
Jean Dorat, professeur royal de langue grecque, surnommé le Pindare français, mort en 1588.
René Chopin, savant jurisconsulte, mort en 1606.
Pierre Brulard, seigneur de Crosne et de Genlis, secrétaire d'état, mort en 1608.
Guillaume Château, habile graveur, mort en 1683.
Jean-Baptiste Cotelier, professeur de langue grecque et habile théologien, mort en 1686.
Claude Perrault, célèbre architecte, mort en 1688.
Jean Domat, avocat du roi au présidial de Clermont, célèbre jurisconsulte, mort en 1696.
Charles Perrault, frère de Claude, auteur des Contes de Fées, et du Parallèle des anciens et des modernes, mort en 1703.
Gérard Audran, l'un des plus célèbres graveurs de son siècle, mort en 1703.
Marie-Anne des Essarts, femme de Frédéric Léonard, le plus riche libraire de son temps, morte en 1706. Son mari lui avoit fait élever un petit monument, exécuté par Vancleve, sur les dessins d'Oppenor[266].
Jean-Foy Vaillant, médecin, et savant antiquaire, mort en 1706. (Son épitaphe est au Musée des Petits-Augustins.)
Le comédien Michel Baron, mort en 1729.
Le chapitre de Saint-Benoît étoit composé de six chanoines nommés par un pareil nombre de chanoines de Notre-Dame, à qui appartenoit cette nomination; d'un curé et de douze chapelains choisis par le chapitre. Les chapellenies y étoient assez nombreuses.
Cette église, suivant l'ancien usage des collégiales, avoit son cloître, dans lequel on entroit encore, dans les derniers temps, par trois ouvertures anciennement fermées de portes. Ce cloître étoit vaste, et l'on y portoit, après la moisson et les vendanges, les redevances en grains et en vins affectées à ces chanoines; le chapitre Notre-Dame y avoit aussi une grange pour déposer celles qu'il percevoit dans les environs, et l'on y tenoit un marché public dans le temps de la récolte. Il faut ajouter aussi que la justice temporelle s'y exerçoit, et qu'il y avoit une prison.
CIRCONSCRIPTION.
L'étendue de la paroisse Saint-Benoît formoit une figure assez irrégulière. Ce qu'elle avoit à l'orient et vers le nord consistoit dans le côté gauche de la place Cambrai, en entrant par la fontaine, jusqu'aux trois dernières maisons de la rue Saint-Jean-de-Latran; elle avoit au côté droit de cette place, toutes les maisons jusqu'à l'ancien collége de Cambrai exclusivement; quelques maisons en descendant la rue Saint-Jean-de-Beauvais, jusque vis-à-vis l'École de Droit; puis le côté gauche de la rue des Noyers, à partir de celle des Anglois et en allant à la rue Saint-Jacques; ensuite toutes les maisons qui suivent à gauche en remontant cette même rue jusque vers le collége Du Plessis. Elle reprenoit à la porte du collége des Jésuites, et continuoit à gauche jusqu'à la rue Saint-Étienne-des-Grès, où elle finissoit avant la chapelle du collége des Cholets. Du collége de Lisieux, elle revenoit à la rue Saint-Jacques, qu'elle continuoit des deux côtés jusqu'à l'Estrapade, se prolongeant du côté gauche jusqu'au milieu de la place, et du côté droit jusqu'aux Filles de la Visitation. Revenant à la rue Saint-Hyacinte, elle en avoit les deux côtés dans la partie supérieure, et de même dans la rue Saint-Thomas. Elle enfermoit ensuite le clos des Jacobins, la rue de Cluni, le collége du même nom et ses dépendances, la rue des Cordiers, celle des Poirées, la rue de Sorbonne en grande partie, la Sorbonne, et toutes les maisons placées entre le coin de la rue des Maçons jusqu'à celui de la rue Saint-Jacques, qu'elle remontoit ensuite jusqu'à celle des Cordiers.
Au couchant, elle renfermoit le collége de Dainville et ses dépendances; en descendant la rue de la Harpe, tout ce qui est à gauche jusqu'au coin de la rue Serpente exclusivement, ce qui comprend une partie de la rue des Deux-Portes et de celle de Pierre-Sarrazin. Elle avoit en outre, dans la rue des Carmes, un écart composé de quatre à cinq maisons.
L'ÉGLISE PAROISSIALE DE SAINT-HILAIRE.
On ne trouve aucuns monuments qui puissent fournir quelques lumières sur l'origine de cette église. L'abbé Lebeuf[267] pense qu'il faut en attribuer la construction au chapitre Saint-Marcel, propriétaire par succession d'une partie du clos Bruneau, et qui s'étoit acquis par-là le droit de nomination à cette cure, à laquelle il a effectivement présenté dès l'an 1200. Cette conjecture semble donc assez vraisemblable; mais lorsqu'il ajoute que la situation de cette église près de celle de Sainte-Geneviève pourroit faire penser que Clovis, qui se croyoit redevable à l'intercession de saint Hilaire de la victoire qu'il avoit remportée sur Alaric, auroit fait bâtir en cet endroit un oratoire sous son nom, il ne présente qu'une opinion vague et qui n'est fondée sur aucune autorité.
Le plus ancien titre qui parle de cette église est la bulle d'Adrien IV, de 1158: elle y est appelée chapelle de Saint-Hilaire-du-Mont, capella sancti Hilarii de Monte. Jaillot pense que les chanoines de Saint-Marcel et de Sainte-Geneviève, dont les seigneuries étoient limitrophes, avoient pu faire entre eux divers échanges, et que c'étoit peut-être à ce titre que les premiers possédoient une partie du clos Bruneau; que la chapelle de Saint-Hilaire aura servi aux vassaux de Saint-Marcel, trop éloignés de cette basilique; enfin que la population de ce territoire s'étant successivement accrue, cette chapelle, de même que celle de Saint-Hippolyte, aura été érigée en paroisse. Elle fut rebâtie en 1300, reconstruite et augmentée vers 1470, réparée de nouveau et décorée au commencement du siècle dernier par les soins et les libéralités de M. Jollain, l'un des curés de cette paroisse.
CURIOSITÉS DE L'ÉGLISE SAINT-HILAIRE.
TABLEAUX.
Sur le maître-autel, une Nativité; par un peintre inconnu.
Dans la chapelle de la Vierge, deux tableaux représentant saint Jean et saint Joseph; par Belle.
SÉPULTURES.
Dans cette église avoit été inhumé Patrice Maginn, docteur en droit, et premier aumônier de la reine d'Angleterre, mort en 1683.
Il y avoit dans cette paroisse une chapellenie instituée par un bedeau de l'université nommé Hamon Lagadon. Le chapitre de Saint-Marcel nommoit à la cure[268].
CIRCONSCRIPTION.
Le territoire de cette paroisse, resserré entre celui de Saint-Étienne-du-Mont et celui de Saint-Benoît, étoit très-circonscrit. Il est remarquable qu'il étendoit sa juridiction sur le collége d'Harcourt, situé derrière la rue de la Harpe, parce qu'avant la construction de ce collége, ce lieu étoit habité par des vassaux de Saint-Marcel. Le collége des Lombards dépendoit aussi de cette paroisse.
L'ABBAYE ROYALE SAINTE-GENEVIÈVE.
Plus un monument est ancien, plus il excite la curiosité; et c'est alors surtout, comme il nous est arrivé si souvent de nous en plaindre, qu'il est plus difficile de la satisfaire. Les commencements de notre monarchie sont des temps de désordre et d'ignorance; les révolutions fréquentes qui en marquent le cours interrompirent plus d'une fois la suite des traditions, causèrent la destruction ou la perte de presque tous les titres qui pouvoient jeter quelques lueurs au milieu de ces profondes ténèbres; et ce manque absolu d'autorités se fait sentir surtout lorsqu'il est question des choses qui se sont passées sous la première race. Cependant quelque obscurité qui environne les événements de ces temps reculés, il n'est personne qui ignore, et la tradition en est venue jusqu'à nous, que l'abbaye Sainte-Geneviève fut fondée par Clovis Ier, sur une colline au sud-est de Paris, et dans un lieu qui servoit de cimetière public; mais nos historiens ne sont d'accord ni sur l'année où cette église a été bâtie, ni sur l'époque des changements survenus dans les noms qu'elle a portés, ni même sur l'état de ceux qui furent choisis d'abord pour la desservir.
Cependant, quant à l'année de sa fondation, ces historiens ne diffèrent entre eux que depuis l'an 499 jusqu'à 511, c'est-à-dire d'un intervalle d'environ douze ans[269]. Il est certain que, dès la fin de l'année 496, Clovis avoit été baptisé, et que la plus grande partie des François avoit, à son exemple, embrassé le christianisme; mais on ne trouve aucun titre qui prouve que, vers cette époque, et même pendant les dix années qui la suivirent, ce prince ait fait bâtir d'église à Paris ni même en France. On sait que la guerre qu'il avoit déclarée à Gondebaud, roi de Bourgogne, les alliances qu'il contractoit avec d'autres souverains, et une foule de soins non moins importants l'occupoient alors tout entier; de manière que, sans pouvoir également offrir de preuves positives d'aucune autre date, il nous paroît plus vraisemblable de reculer cette fondation jusqu'à l'année 508, après la fameuse bataille qu'il livra, près de Poitiers, au roi des Visigoths, Alaric II. Trois historiens, Aimoin, Roricon et Frédégaire[270], rapportent qu'à la prière de Clotilde ce monarque avoit fait vœu, s'il revenoit vainqueur, de bâtir une église sous l'invocation de saint Pierre. La bataille fut livrée en 507; Clovis y tua Alaric de sa propre main, et revint l'année suivante à Paris, qu'il choisit alors pour la capitale de ses états. Il nous semble qu'aucune époque ne peut être plus convenable pour y placer la fondation de l'église de Sainte-Geneviève. Elle fut nommée dans le principe tantôt l'église de Saint-Pierre, tantôt la basilique des SS. Apôtres[271]. Nous dirons plus bas quand et à quelle occasion on la consacra à la patronne de Paris.
Le nom de basilique, dont se sert Grégoire de Tours en parlant de cette église, a fait penser qu'elle avoit d'abord été desservie par des religieux. Les noms de monastère, d'abbé, de frères, par lesquels les vieux titres désignent sans cesse et l'église et ceux qui la desservoient, mais surtout le témoignage d'un ancien livre, qui déclare formellement qu'elle avoit été bâtie pour y faire observer la religion de l'ordre monastique[272], semble fortifier cette opinion que les savants du premier ordre, dom Mabillon, l'abbé Fleuri, l'abbé Lebeuf, le P. Dubois, etc., ont embrassée.
Jaillot, qui, sans avoir une science aussi universelle que ces hommes célèbres, avoit certainement plus approfondi ces matières qu'aucun d'entre eux, ose s'élever seul contre leur sentiment. D'abord il n'a pas de peine à prouver que ces noms de basilique, de monastère, donnés à l'église, de frères et d'abbé, dont sont qualifiés les desservants, ont été mille fois employés pour désigner les chapitres, les églises, la cathédrale elle-même; l'histoire de Paris en offre mille exemples. Le passage de la vie de sainte Bathilde présente plus de difficultés, et cependant il nous semble qu'il en a heureusement triomphé; ses raisonnements qu'il sait fortifier d'exemples et d'autorités, sans rien offrir d'absolument décisif, nous portent à croire que ces desservants, soumis à la règle, à la vie monastique, n'étoient autre chose, dès l'origine, qu'un collége de chanoines séculiers.
Ces chanoines subsistèrent dans le même état jusqu'au douzième siècle; et pendant ce long espace de temps on les voit sans cesse l'objet d'une protection spéciale de la part des rois de France et des plus grands princes. Un diplôme du roi Robert, de 997, confirme les donations qui leur ont été faites, en ajoute de nouvelles, leur donne le droit de nommer leur doyen[273], de disposer de leurs prébendes. Par une charte donnée en 1035, Henri Ier se déclare le protecteur de la vénérable congrégation des chanoines de Sainte-Geneviève. Une autre charte, datée de 1040 ou environ, contient d'autres donations faites en leur faveur par Geoffroi Martel, comte d'Anjou; des bulles de divers papes confirment tous ces priviléges, etc.; mais en 1148 il se fit un changement notable dans leur administration intérieure: Eugène III, qui occupoit alors le trône pontifical, et qu'un événement fâcheux avoit forcé de se réfugier en France dès l'année précédente, étoit depuis quelque temps informé du relâchement qui existoit dans cette communauté; peut-être même pensoit-il déjà à y introduire la réforme. Une scène scandaleuse, qui se passa sous ses propres yeux, dans l'église de Sainte-Geneviève[274], le confirma dans cette résolution, que le peu de séjour qu'il fit en France l'empêcha toutefois d'exécuter lui-même. Louis-le-Jeune, entrant dans ses vues, en confia le soin à Suger, qu'il venoit de nommer régent de son royaume avant son départ pour la Terre-Sainte. Cette réforme n'eut point lieu, suivant toutes les apparences: car on voit l'année suivante (en 1148) le même pape Eugène former d'abord le projet de substituer à ces chanoines huit religieux de l'ordre de Cluni, et ensuite, vaincu par les prières et les représentations qu'ils lui firent, se contenter d'introduire dans leur maison douze chanoines de Saint-Victor[275], qui opérèrent enfin cette réforme si nécessaire. C'est ainsi que les chanoines de Sainte-Geneviève, de séculiers qu'ils étoient, devinrent réguliers.
Piganiol pense que ce fut vers cette année, et à l'occasion du changement qui survint alors dans cette abbaye, qu'elle prit le nom de Sainte-Geneviève. C'est une erreur: Jaillot cite des actes des septième et huitième siècles, dans lesquels elle est déjà désignée sous les noms de Saint-Pierre et de Sainte-Geneviève; et dès le neuvième on la trouve sous le nom seul de cette sainte. On sait qu'elle y avoit sa sépulture; et la vénération que les Parisiens avoient conservée pour cette illustre protectrice de leur ville, les miracles qui s'opéroient à son tombeau, ont dû naturellement amener très-vite un pareil changement. Il y a de nombreux exemples de ces mutations, dans lesquelles la dévotion particulière d'un peuple, même d'une classe de citoyens, a fait préférer le nom d'un patron à celui du titulaire d'une église.
La réforme se soutint parmi les chanoines de Sainte-Geneviève jusqu'à ces guerres funestes qui désolèrent les règnes de Charles VI et Charles VII, et jetèrent le désordre dans les monastères comme dans toutes les autres parties de la société. La discipline régulière fut dès-lors entièrement anéantie dans cette abbaye, et ce n'est que sous le règne de Louis XIII qu'on pensa à la rétablir. Afin d'y parvenir, ce prince, après la mort de Benjamin de Brichanteau, évêque de Laon, qui en étoit abbé, crut devoir y nommer, de son autorité et pour cette fois seulement, le cardinal de La Rochefoucauld, sous la condition qu'il y établiroit la réforme. Pour se conformer aux intentions du roi, cette Éminence ne trouva point de moyen plus efficace que d'y faire entrer, en 1624, le père Faure avec douze religieux de la réforme que ce même père venoit d'établir dans la maison de Saint-Vincent de Senlis. La réforme de Sainte-Geneviève achevée en 1625, confirmée par des lettres patentes de 1626, et par une bulle d'Urbain VIII donnée en 1634, fut entièrement consolidée, cette même année, par l'élection du père Faure comme abbé coadjuteur de cette abbaye, et supérieur général de la congrégation. C'est à cette époque qu'il faut fixer la triennalité des abbés de Sainte-Geneviève, la primatie de cette abbaye chef de l'ordre, et le titre qu'on lui a donné de chanoines réguliers de la congrégation de France.
L'église de Sainte-Geneviève ne présente pas dans ses antiquités moins d'obscurités et d'incertitudes que son clergé. On ne peut pas assurer que l'édifice bâti par Clovis et par sainte Clotilde subsistât encore lorsqu'en 857 les Normands, qui, depuis douze ans, n'avoient pas cessé de ravager les bords de la Seine, débarquèrent dans la plaine de Paris, et mirent le feu à cette basilique, ainsi qu'à toutes les autres églises, excepté celles de Saint-Vincent et de Saint-Denis, qui furent rachetées de ces barbares à prix d'argent. Peut-être avoit-elle été déjà reconstruite au huitième siècle, en même temps que cette dernière. Ce qu'il y a de certain, c'est que les murailles de l'édifice que détruisirent les Normands subsistèrent encore en partie, quoiqu'en très-mauvais état, jusque vers l'an 1190. Elles furent alors réparées par Étienne, qui en étoit abbé; et ces réparations, dont une partie a subsisté jusque dans les derniers temps, étoient encore très-visibles sur le côté extérieur et méridional de la nef. Suivant l'abbé Lebeuf, cette partie extérieure de la carcasse étoit un débris des constructions qui existoient même du temps des barbares. Quant à tout le travail du dedans, piliers, voûtes, petites colonnades, on y reconnoissoit le caractère de l'architecture gothique du treizième siècle; mais leur disposition singulière, l'élévation des ailes et leur peu de largeur, la ceinture du sanctuaire formée en rotonde, sembloient prouver que la nouvelle église avoit été rebâtie sur les anciens fondements; et un pilier, placé près de la porte qui communiquoit avec l'église Saint-Étienne, indiquoit par son chapiteau plus ancien de deux siècles, que le sol de ce monument avoit été relevé. Les trois portiques[276] du frontispice étoient aussi du treizième siècle. Enfin les constructions de la tour qui servoit de clocher annonçoient deux époques: la partie inférieure étoit du onzième siècle, l'autre avoit été réparée[277] à la fin du quinzième, sous le règne de Charles VIII.
Lorsque les desservants de l'abbaye Sainte-Geneviève s'étoient vus menacés de la première invasion des Normands, avant de quitter leur monastère, ils avoient eu soin d'ouvrir le tombeau de leur sainte patronne, d'en enlever les reliques et de les transporter dans les terres de l'abbaye, où ils les tinrent cachées. Quand le calme fut rétabli, ils s'empressèrent de les rapporter; et chaque fois que les barbares revenoient, on emportoit de nouveau ce précieux dépôt. Ce tombeau, d'où ils avoient tiré ses ossements, étoit renfermé dans une crypte, ou chapelle souterraine qui servoit également de sépulture à saint Prudence, à saint Céran, évêques de Paris, et à plusieurs autres saints personnages morts en odeur de sainteté. Les corps de ceux-ci y furent laissés; et ce n'est que lorsqu'on eut relevé les ruines de l'ancienne voûte, calcinée par le feu des barbares, qu'on tira de terre ces sépulcres, et qu'on les rassembla dans la crypte, qui fut alors réparée. Elle fut depuis entièrement rebâtie, et extrêmement ornée par les soins du cardinal de La Rochefoucauld: la voûte en étoit soutenue par des piliers de marbre; l'on y descendoit par de beaux escaliers symétriquement placés aux deux côtés de la porte du chœur, et près d'un jubé découpé en pierre avec beaucoup de délicatesse. Dans cette chapelle souterraine, on voyoit encore le tombeau de sainte Geneviève, mais il n'y restoit plus rien de ses reliques. Depuis qu'on les en avoit tirées, elles n'étoient point sorties de la châsse qui avoit servi à les transporter; et cette châsse avoit été placée dans l'église supérieure.
La crypte contenoit cinq autres chapelles. Il y en avoit encore un grand nombre dans l'église supérieure et dans le cloître. La plupart furent détruites ou changées de forme par le cardinal de La Rochefoucauld, lorsque dans le siècle dernier il fit réparer l'église et la maison. La plus remarquable de celles qui furent conservées étoit une grande et belle chapelle située au côté méridional du cloître, et connue dans l'ancien temps sous le nom de Notre-Dame-de-la-Cuisine, parce qu'elle étoit effectivement placée auprès de la cuisine de l'abbaye. Elle avoit été construite par ce même abbé Étienne à qui l'on devoit les réparations de l'église, et portoit, depuis environ deux cents ans, le nom de Notre-Dame-de-la-Miséricorde.
C'étoit au pied de l'autel de cette chapelle que le chanoine de Sainte-Geneviève, chancelier de l'Université, donnoit le bonnet de maître-ès-arts.
CURIOSITÉS DE L'ÉGLISE ET DE L'ABBAYE SAINTE-GENEVIÈVE.
TABLEAUX.
Dans la nef, quatre grands tableaux, dont trois représentoient des vœux de la ville de Paris, et le quatrième ses actions de grâces pour la convalescence de Louis XV. Ces tableaux avoient été peints par de Troy père et fils, Largillière et de Tournière.
Dans la sacristie, plusieurs tableaux, parmi lesquels on remarquoit un Ecce Homo et une Notre-Dame-de-Douleur, exécutés en tapisserie.
Dans le réfectoire, qui étoit très-vaste, la multiplication des pains; par Clermont.
Dans la chapelle de Notre-Dame-de-la-Miséricorde, plusieurs tableaux, sans noms d'auteurs.
Dans une très-grande salle, nommée la salle des Papes, les portraits d'un grand nombre de souverains pontifes, et quelques tableaux.
Sur la coupole de la bibliothèque, l'apothéose de saint Augustin, par Restout père, et un morceau de perspective peint sur un des murs; par La Joue.
SCULPTURES.
Sur le maître-autel, un riche tabernacle de forme octogone, dont les quatre faces principales étoient ornées de colonnes composites de brocatelle antique, avec bases et chapiteaux de bronze doré; le tout couronné d'un dôme que surmontoit une croix d'ambre. Ce tabernacle, rapporté en pierres rares et précieuses, telles que jaspes, agates, lapis, grenats, etc., avoit été fait aux frais du cardinal de La Rochefoucauld.
À côté de cet autel, les statues de saint Pierre et de saint Paul en métal doré.
Au milieu du chœur, un lutrin d'une composition élégante et ingénieuse: il étoit à trois faces, et entouré de trois anges touchant une triple lyre, qui servoit de point d'appui à l'aigle. Le dessin de ce morceau étoit attribué à Lebrun.
Un candélabre donné par la ville, et orné de ses armes, de celles du roi et de celles de l'abbaye; par Germain.
Près de la porte par laquelle les chanoines entroient dans le chœur, sous deux arcades enfoncées, deux figures en terre cuite, représentant Jésus-Christ dans le tombeau et ressuscité; par Germain Pilon[278].
Dans le vestibule du couvent, quatre statues représentant les prophètes.
Dans la galerie dite l'oratoire, une Nativité en plomb bronzé.
TOMBEAUX ET SÉPULTURES.
Dans l'église.
Derrière le maître-autel, la châsse qui renfermoit le corps de sainte Geneviève. Cette châsse, que plusieurs historiens de Paris ont faussement attribuée à saint Éloi[279], étoit de vermeil doré, d'un travail gothique, couverte de pierreries dues à la piété et à la libéralité de nos rois. Elle étoit soutenue par quatre statues de vierges plus grandes que nature, portées elles-mêmes sur des colonnes d'un marbre antique et rare; un bouquet de diamants d'un très-grand prix couronnoit ce monument: c'étoit un don de la reine Anne d'Autriche, mère de Louis XIV.
Au milieu, le cénotaphe de Clovis. Ce monument, sur lequel étoit couchée la statue de ce prince en marbre blanc, remplaçoit un tombeau plus simple, et d'une pierre plus commune, tel qu'on avoit coutume de les faire pour les rois de la première race; une inscription latine apprenoit qu'il avoit été élevé sur les ruines de l'autre par l'abbé et le chapitre de Sainte-Geneviève.
Derrière le chœur, une châsse renfermant les reliques de sainte Clotilde. Cette reine avoit d'abord été inhumée près des degrés du grand autel. On ignore en quel temps ces reliques furent levées, mais la châsse n'étoit que de l'année 1539, époque à laquelle on en fit la translation. Clotilde sa fille, femme d'Amalaric, roi des Visigoths, les jeunes fils de Clodomir, assassinés par Childebert et Clotaire, avoient été également inhumés dans cette église.
Dans une chapelle près de la sacristie, le tombeau du cardinal de La Rochefoucauld, abbé commandataire de cette église, mort en 1645. Ce monument a été exécuté par un sculpteur nommé Philippe Buyster[280].
Sur un des piliers de la nef, le buste du célèbre Descartes, et une épitaphe qui apprend que les restes de ce philosophe, mort en Suède en 1650, ont été transportés dans cette église dix-sept ans après sa mort.
Près de ce monument, et du même côté, avoit été déposé le cœur de Jacques Rohault, son disciple, et l'un des plus grands mathématiciens de son siècle, ce qu'indiquoit une inscription composée par Santeuil.
Le fameux boucher Goy, l'un des chefs de la faction des Cabochiens sous Charles VI, avoit été inhumé dans cette église.
Dans la chapelle souterraine.
Le tombeau de sainte Geneviève. Il étoit en marbre, sans aucun ornement, et entouré de grilles de fer.
Les tombeaux de saint Prudence et de saint Céran, évêques de Paris; leurs reliques en avoient été tirées dans le treizième siècle. Sainte Alde ou Aude, compagne de sainte Geneviève, avoit été inhumée dans cette même chapelle.
Dans la chapelle Notre-Dame-de-la-Miséricorde.
Le tombeau de Joseph Foulon, abbé de Sainte-Geneviève, mort en 1607. On y voyoit la représentation en bronze doré de ce prélat, revêtu de ses habits pontificaux[281].
Celui de Benjamain de Brichanteau, évêque de Laon, et successeur de Foulon, mort en 1619.
Dans le chapitre.
Plusieurs tombes de marbre blanc renfermant les corps des trois premiers abbés de la réforme; du P. Faure, premier abbé, mort en 1644; de François Boulart, deuxième abbé, mort en 1667; du P. Blanchart, troisième abbé, mort en 1675. À côté avoit été inhumé le P. Lallemant, religieux de cette communauté, recteur et chancelier de l'Université, personnage aussi recommandable par ses talents que par ses vertus: il est mort en 1673.
Dans le petit cimetière.
Nicolas Lefèvre, prêtre, sous-précepteur du roi d'Espagne Philippe V, des ducs de Bourgogne et de Berri, directeur des filles de Sainte-Anne, personnage d'une vertu éminente, mort en 1706.
L'ancien cloître de cette abbaye, qui tomboit en ruine, avoit été reconstruit à la moderne en 1744[282]. Il étoit soutenu d'un côté par des colonnes doriques; la porte d'entrée de la maison et le péristyle qui le précédoit, avoient été bâtis au commencement du même siècle, sur les dessins du père de Creil, religieux de cette communauté. Il étoit aussi l'auteur du grand escalier, que l'on admiroit pour la hardiesse de sa coupe. La galerie dite l'Oratoire, ornée de pilastres corinthiens, présentoit alternativement des figures de demi-relief en plomb doré, et des tableaux offrant divers sujets de la vie de la sainte Vierge.
La bibliothèque, qui n'existoit pas encore lorsque le cardinal de La Rochefoucauld fut nommé abbé commandataire de Sainte-Geneviève, étoit devenue, par degrés, l'une des plus considérables et des plus curieuses de Paris. Les PP. Fronteau et Lallemant, qu'on doit en regarder comme les fondateurs, y rassemblèrent en peu d'années sept à huit mille volumes. Le P. Dumolinet l'augmenta considérablement, et y ajouta un cabinet d'antiquités, composé en grande partie de ce qu'il y avoit de plus rare dans celui du fameux Peiresc. Enfin le legs que M. Le Tellier, archevêque de Reims, fit à cette maison de sa belle bibliothèque, et les acquisitions successives que l'on ne cessoit de faire, avoient tellement accru cette magnifique collection, qu'au commencement de la révolution on y comptoit environ quatre-vingt mille volumes et deux mille manuscrits. Elle étoit placée dans une galerie construite en forme de croix, et surmontée d'un dôme. Ce bâtiment, qui existe encore, a, dans la plus grande dimension, cinquante-trois toises de longueur. Les côtés de la croix sont inégaux, et c'étoit pour faire disparoître aux yeux cette irrégularité qu'on avoit peint sur le mur de l'un d'eux le morceau de perspective dont nous avons déjà parlé. Cette bibliothèque étoit alors ornée des bustes en marbre ou en plâtre de plusieurs hommes illustres. On y voyoit ceux de Colbert, de Louvois, du chancelier Le Tellier, de Jules Hardouin, Mansart, d'Arnauld, etc., exécutés par Girardon, Coisevox, Coustou, etc.
Le cabinet de curiosités, bâti en 1753, deux ans avant la bibliothèque, faisoit suite à ce monument. Il renfermoit une grande quantité de morceaux précieux d'histoire naturelle, des antiquités étrusques, grecques, égyptiennes, romaines; une collection de médailles anciennes et modernes, dont plusieurs parties étoient complètes, et qui jouissoit de la plus grande estime parmi les antiquaires, etc., etc.[283]
L'abbaye de Saint-Geneviève relevoit immédiatement du saint-siége; ses abbés portoient, depuis 1256, les ornements pontificaux, et leur autorité s'étendoit sur un grand nombre d'églises paroissiales dépendantes de cette abbaye; ils jouirent même pendant long-temps de tous les droits épiscopaux sur la paroisse de Saint-Étienne-du-Mont. On sait que, dans les grandes calamités publiques, on descendoit la châsse de la patronne de Paris pour la porter processionnellement à Notre-Dame; à cette procession[284] où assistoient les cours supérieures et tout le clergé de Paris, les religieux de Sainte-Geneviève marchoient pieds nus, prenant la droite sur le chapitre de l'église métropolitaine, comme leur abbé la prenoit en cette occasion sur l'archevêque de Paris.
Palais de Clovis.
Une ancienne tradition veut que Clovis ait fait bâtir un palais en même temps que la basilique de Saint-Pierre; et cette tradition, adoptée par une foule d'historiens de Paris, se trouve confirmée par le témoignage de l'auteur des annales manuscrites de Sainte-Geneviève, qui lui-même étoit membre de cette abbaye. Sauval va plus loin: il prétend que de son temps on a détruit la chambre de Clotilde; et peu d'années avant la révolution, on dit qu'il existoit encore un bâtiment appelé la chambre de Clovis. Cependant ces assertions vagues ne forment point un corps de preuves suffisantes pour persuader que Clovis eût fait bâtir un palais si proche des Thermes, qu'il habitoit, sans qu'il en restât aucun vestige ni dans les archives de Sainte-Geneviève ni dans les monuments que nous ont laissés les historiens du moyen âge. Entre plusieurs objections très-fortes qu'il seroit possible d'élever contre l'existence de ce monument, il en est une surtout qui nous semble décisive, et on la tire d'un passage de Grégoire de Tours, qui, rendant compte d'un concile[285], où il avoit lui-même assisté, et qui fut tenu en 577 dans la basilique de Saint-Pierre, dit que Chilpéric reçut les évêques, et leur offrit un repas dans un endroit construit à la hâte et couvert de feuillages: Stabat rex juxta tabernaculum ex ramis factum..... et erat ante scamnum pane desuper plenum, cum diversis ferculis. «Chilpéric, dit Jaillot, respectoit trop les évêques pour les recevoir dans une semblable tente s'il eût eu un palais dans le voisinage; et, s'il fit construire ce pavillon, ce ne fut que pour leur éviter la peine de venir jusqu'au palais des Thermes, quoique peu éloigné du lieu de leur assemblée.» Il n'y a donc rien de plus incertain que l'existence de ce palais de Clovis.
Chapelle de Saint-Michel et porte papale.
Il n'en est pas ainsi de la chapelle Saint-Michel: elle a réellement existé. C'étoit, comme nous l'avons déjà dit, l'usage d'en bâtir une dans les cimetières, sous le vocable de cet archange; et tout s'accorde à prouver que, dans les premiers siècles de notre monarchie, la montagne Sainte-Geneviève étoit un lieu destiné aux sépultures[286]. Cette chapelle fut vraisemblablement érigée peu de temps après la grande basilique, et aura eu le même sort lors de l'invasion des Normands. L'abbé Lebeuf[287] la place au-delà de la porte du monastère qui regardoit le sud-ouest; et les annales de Sainte-Geneviève que nous venons de citer disent qu'elle étoit située près la porte qui regardoit la campagne.
Sans nous déterminer pour l'un ou pour l'autre de ces deux situations, nous remarquerons que, dans la dernière, qui est le lieu que depuis on a nommé l'Estrapade, on voyoit encore au dix-septième siècle la place d'une porte qu'on appeloit la porte papale, et dont l'origine et le nom ont fort exercé la sagacité de nos antiquaires. Parmi ces opinions diverses, nous préférons encore celle de Jaillot, qui pense que cette porte fut ouverte à l'instar de ces portes dorées dont parle du Cange[288], et qu'elle le fut pour faire honneur au pape Eugène III, lorsqu'il vint à Sainte-Geneviève en 1147. On en ouvrit une semblable dans les murs de l'abbaye Saint-Germain-des-Prés, lorsqu'en 1163 le pape Alexandre III y vint faire la dédicace de l'église.
Bailliage de Sainte-Geneviève.
Les chanoines de Sainte-Geneviève, étant seigneurs d'une partie du quartier où étoit située leur abbaye, avoient un bailliage qui connoissoit de toutes causes, tant civiles que criminelles, dans l'étendue de son ressort, et dont les appels se relevoient au parlement. Il tenoit ses audiences dans une maison voisine de l'église.
ÉGLISE PAROISSIALE DE SAINT-ÉTIENNE-DU-MONT
Il n'y a rien de certain sur l'origine de cette paroisse, à laquelle on a successivement donné les noms de Notre-Dame, de Saint-Jean du Mont, et enfin de Saint-Étienne. Il paroît que, dans le principe, les fonctions curiales s'exerçoient dans l'église même de Sainte-Geneviève, pour le petit nombre de personnes qui habitoient alors les environs de l'abbaye. Lorsque, par les derniers traités faits avec les Normands, on se vit entièrement à l'abri de leurs incursions, le bourg de Sainte-Geneviève, abandonné en même temps que l'église, ne tarda pas à se repeupler; alors le service se fit dans la chapelle Notre-Dame[289], située dans la crypte ou église souterraine; ce qui dura jusqu'au règne de Philippe-Auguste. La clôture ordonnée par ce prince ayant engagé les Parisiens à construire des édifices dans les clos de vignes et sur les terrains incultes renfermés dans cette nouvelle enceinte, le nombre des habitants de la paroisse du Mont s'accrut à un tel point, qu'il devint absolument nécessaire de faire bâtir une nouvelle église paroissiale. L'abbé de Sainte-Geneviève et les chanoines abandonnèrent à cet effet un terrain contigu à leur église, sur lequel on construisit une chapelle destinée à servir de paroisse, mais qui faisoit tellement partie de l'église de l'abbaye, que l'on n'y entroit que par une porte percée dans le mur méridional, laquelle a subsisté jusque dans les derniers temps; et que les fonts baptismaux sont encore restés environ quatre cents ans dans la grande église. On ne sait pas précisément à quelle époque ni pour quelles raisons le nouvel édifice fut dédié sous le nom de Saint-Étienne. Jaillot prétend qu'il fut bâti ou du moins commencé du temps de l'abbé Galon, mort en 1223.
Ce fut cette grande augmentation d'habitants qui fit naître la contestation qui s'éleva entre les abbés de Sainte-Geneviève et l'évêque de Paris. Les premiers vouloient soustraire la paroisse du Mont à la dépendance de l'ordinaire, et l'évêque soutenoit la validité de sa juridiction. Ces débats, où intervint le pape Urbain III, furent terminés en 1202, par une transaction dans laquelle il fut convenu que l'abbé présenteroit à l'évêque les sujets qu'il destineroit à desservir les églises paroissiales dépendantes de son abbaye; accord que suivirent des concessions et des échanges qui parurent satisfaire également les deux parties contractantes[290].
Cette église subsista ainsi jusqu'en 1491, que le nombre toujours croissant des paroissiens détermina à y faire de nouvelles augmentations. L'abbé de Sainte-Geneviève céda à cet effet une portion de l'infirmerie qui se trouvoit au chevet de l'église; et si l'on en juge par le caractère de l'architecture, il ne paroît pas qu'il y soit rien resté de l'ancien bâtiment. Les constructions en furent commencées, du côté de l'orient, vers les premières années du règne de François Ier. En 1538, l'église fut augmentée des chapelles et de l'aile de la nef du côté de Sainte-Geneviève. On bâtit, en 1606, la chapelle de la communion et les charniers. Enfin le grand et le petit portail, dont la reine Marguerite de Valois posa la première pierre en 1610, ne furent achevés que sept ans après, ce qui paroît prouvé par les deux inscriptions qui y étoient gravées, lesquelles portoient la date de 1617.
L'architecture de Saint-Étienne-du-Mont a joui d'une grande réputation. La coupe extraordinaire et aussi adroite que hardie de son jubé et des deux escaliers qui y conduisent y attiroit les curieux. Ces escaliers sont à jour, et l'on voit le dessous des marches tournant autour d'une colonne, et portées en l'air par encorbellement. Les voûtes, non moins remarquables, sont ornées de tout ce que l'art de la coupe des pierres peut offrir de plus recherché. On admiroit aussi la sculpture de la frise du portique, qui, bien qu'un peu confuse, tient cependant du style antique et des riches ornements de l'architecture romaine[291].
Cette église possédoit en outre de précieux monuments des arts, et renfermoit d'illustres sépultures.
CURIOSITÉS DE L'ÉGLISE SAINT-ÉTIENNE-DU-MONT.
TABLEAUX.
Dans la chapelle Saint-Pierre, près de la sacristie, cet apôtre ressuscitant Tabithe; par Le Sueur.
La vie de saint Étienne, exécutée en tapisseries sur les dessins de ce grand artiste et de La Hire, autre peintre célèbre. Les dessins, au nombre de dix-neuf, en étoient conservés dans la salle d'assemblée des marguilliers.
De très-beaux vitraux, peints par Pinaigrier, et qui formoient une des plus riches collections qui soient sorties du pinceau de cet artiste[292].
SCULPTURES.
Au pourtour du chœur, les statues des douze apôtres. Celles de saint Philippe, de saint André et de saint Jean l'Évangéliste étoient de la main de Germain Pilon.
Derrière le chœur, trois bas-reliefs de ce grand sculpteur, incrustés dans le mur, dont le plus grand offroit Jésus-Christ au jardin des Olives, et ses apôtres endormis; les deux autres, beaucoup plus petits, représentoient saint Pierre et saint Paul.
Sous une voûte pratiquée dans le passage de cette église à celle de Sainte-Geneviève, le tombeau du Christ et les trois Maries, grandes comme nature. Ce monument étoit encore attribué à Germain Pilon[293].
La chaire du prédicateur, exécutée par Claude l'Estocard, sur les dessins de La Hire. Les panneaux, ornés de bas-reliefs, sont séparés les uns des autres par des Vertus assises; et une grande statue de Samson soutient la masse entière de la chaire. Sur l'abat-voix est un ange qui tient deux trompettes, et semble appeler les fidèles[294].
Le jubé, porté par une voûte surbaissée, est orné de très-bonnes sculptures par Biard père. Il faut aussi remarquer, au milieu de la voûte de la croisée, une clef pendante de plus de deux toises de saillie, et du travail le plus délicat.
SÉPULTURES.
Dans cette église ont été inhumés:
Blaise Vigenere, traducteur de plusieurs ouvrages anciens, mort en 1596.
Nicolas Thognet, habile chirurgien, mort en 1642.
Jean Perrau, professeur au collége royal, mort en 1645.
Pierre Perrault, avocat au parlement, père des deux Perrault si connus dans le dix-septième siècle, mort en 1669. Le monument que lui avoient élevé ses fils représentait un génie en pleurs éteignant un flambeau. Il avoit été exécuté par Girardon[295].
Eustache Le Sueur, l'un des plus grands peintres de l'école françoise, mort en 1655.
Jean-Baptiste Morin, médecin et professeur royal de mathématiques, mort en 1656.
Antoine Le Maître, l'un des membres de la société de Port-Royal, mort dans cette maison en 1658.
Issac Le Maître de Saci, son frère, mort dans la même maison en 1684.
L'illustre Jean Racine, mort en 1699, et d'abord enterré dans le cimetière de Port-Royal, comme il l'avoit demandé par son testament. Lorsqu'on détruisit cette maison, son corps fut exhumé et transféré, avec les corps de MM. Le Maître, à Saint-Étienne-du-Mont, où ils furent déposés dans les caves de la chapelle Saint-Jean-Baptiste[296].
Blaise Pascal, l'un des grands écrivains dont s'honore la France, mort en 1662[297]. Il étoit enterré auprès du chœur, derrière la chapelle de la Vierge; et son épitaphe gravée sur une table de marbre blanc, étoit attachée vis-à-vis sur un pilier.
Pierre Barbay, professeur en philosophie dans l'Université de Paris, mort en 1664.
François Pinsson, avocat au parlement, auteur de plusieurs ouvrages, mort en 1691.
Jean Gallois, abbé de Saint-Martin-de-Core, de l'Académie françoise, et professeur de grec au collége Royal, mort en 1707.
Jean Miron, docteur en théologie de la faculté de Paris et de la société de Navarre.
Dans le cimetière:
Simon Piètre, médecin célèbre.
Pierre Petit, poëte latin estimé, mort en 1687.
Joseph Pitton de Tournefort, célèbre botaniste, mort en 1708, etc.
La cure de Saint-Étienne-du-Mont a continué jusqu'aux derniers temps d'être à la nomination de l'abbé de Sainte-Geneviève, qui y nommoit toujours un religieux de sa congrégation.
Le principal territoire de cette paroisse étoit divisé comme suit.
1o. Elle avoit la place devant l'église dite le carré Sainte-Geneviève; la rue Saint-Étienne-des-Grès jusqu'au collége de Lisieux d'un côté, de l'autre jusqu'à celui des Cholets inclusivement; puis, du même côté, les rues de Reims, des Chiens, des Cholets, des Sept-Voies, des Amandiers, la rue Juda et la rue entière de la Montagne.
2o. Dans la rue Saint-Jacques, commençant à droite au-dessous du collége des Jésuites, elle continuoit jusqu'au dessous de la rue du Cimetière-Saint-Benoît; dans la place Cambrai, elle avoit le collége du même nom, le collége Royal, la rue Saint-Jean-de-Latran à droite jusqu'à la rue Fromentel, et deux maisons à gauche; les deux côtés de la rue Saint-Jean-de-Beauvais presque en entier, et quelques maisons dans la rue Saint-Hilaire.
3o. Dans la rue des Noyers, les deux côtés de cette rue lui appartenoient en grande partie, ainsi que le couvent des Carmes, et le bas de leur rue jusque derrière le collége de Beauvais. Elle avoit ensuite toute la place Maubert, et la rue des Lavandières jusqu'à la rue des Anglois.
4o. Son territoire prenoit ensuite à droite de l'entrée de la rue Galande, et continuoit jusqu'à l'ancienne chapelle Saint-Blaise exclusivement. Il embrassoit les deux côtés de la rue du Fouare, plusieurs maisons également des deux côtés dans la rue de la Bûcherie, en allant à celle Saint-Julien, et s'étendoit jusqu'au bout oriental de la rue des Bernardins, ce qui renfermoit la rue Perdue, la rue de Bièvre et le commencement de celle de Saint-Victor. Cette paroisse continuoit d'avoir le côté droit de cette rue jusqu'à celle de Versailles, dont elle avoit aussi le côté droit, renfermant ainsi les rues du Bon-Puits, du Paon, du Mûrier et de Saint-Nicolas, qui toutes aboutissent à la rue Traversine, qu'elle possédoit également. De là elle regagnoit la rue Clopin, qu'elle renfermoit tout entière, et se prolongeoit dans la rue des Fossés-Saint-Victor, à commencer au côté droit de la rue des Boulangers; puis remontant, elle renfermoit tout le haut de la première de ces deux rues avec toutes celles qui y aboutissent dans cette partie.
5o. Dans la rue Mouffetard, elle avoit une partie du côté droit de cette rue en descendant, à partir de la seconde rue Contrescarpe, et de même le côté gauche jusqu'à la rue Copeau, dont elle avoit aussi la gauche jusqu'à la Pitié. Cette paroisse possédoit en outre un bout de la rue des Fossés-Saint-Jacques, la seconde rue Contrescarpe, les rues du Puits-qui-parle, du Cheval-Vert, des Poules; tout le carré des Filles Sainte-Aure dans la rue Neuve-Sainte-Geneviève; l'autre côté de la même rue jusqu'à celle du Pot-de-Fer. Enfin elle avoit la rue des Postes depuis le cul-de-sac des Vignes jusqu'au clos de la Visitation.
6o. Elle avoit de plus, dans Paris, l'hôtel de Cluni et les maisons qui y touchoient. Hors de Paris, du côté de Vaugirard, la ferme de Grenelle, ancienne propriété des chanoines de Sainte-Geneviève[298].
La Communauté des Filles Sainte-Geneviève.
Cette communauté n'étoit point, comme quelques personnes l'ont pensé, un démembrement de celle que mademoiselle Blosset avoit formée, et qui fut réunie aux Miramiones. Cette institution, absolument étrangère à l'autre, n'avoit pour objet que l'instruction des jeunes filles pauvres, et formoit ce qu'on appelle communément école de charité. Les filles qui se réunirent pour la composer furent placées rue de la Montagne-Sainte-Geneviève, dans une maison appartenant à l'abbaye; et cet établissement, fait en 1670, fut dû aux soins de M. Beurrier, alors curé de Saint-Étienne-du-Mont. Vers la fin du siècle dernier, il étoit administré par des filles tirées de la maison de la rue Saint-Maur[299].
LA NOUVELLE ÉGLISE SAINTE-GENEVIÈVE.
Lorsqu'en 1744 on reconstruisit le cloître de Sainte-Geneviève, prêt à tomber en ruines, quelque indispensable que fût cette reconstruction, l'état de dégradation complète dans lequel étoit l'église demandoit peut-être des réparations encore plus urgentes. Toutefois l'abbé et les chanoines attendirent jusqu'en 1754 pour présenter au roi une requête, dans laquelle, après avoir peint le délabrement toujours croissant de cet édifice, délabrement devenu tel à cette époque qu'il menaçoit la sûreté des fidèles, ils démontroient la nécessité de bâtir une église nouvelle, et l'impossibilité où ils étoient de le faire sans de puissants secours. Leur demande fut favorablement accueillie; on saisit même avec empressement cette occasion d'élever enfin dans Paris un monument digne de la patronne d'une ville aussi célèbre. Le roi parut regarder une telle entreprise comme une chose qui devoit contribuer à illustrer son règne; et, pour assurer aux frais considérables qu'elle alloit entraîner un fonds suffisant et invariable, on établit sur les billets de loterie un impôt d'un cinquième, dont le produit fut entièrement réservé à la reconstruction de l'église de Sainte-Geneviève. Le terrain qu'on lui destina fut béni par l'abbé le 1er août 1758; et l'église souterraine qu'il fallut bâtir, quoique retardée par les obstacles qu'offrit le peu de solidité du terrain[300], fut achevée dans l'année 1763. L'église supérieure étoit déjà élevée à une certaine hauteur, lorsqu'en 1764 Louis XV vint solennellement y poser la première pierre.
Cette église fut commencée sur les dessins et sous la conduite de J. G. Soufflot, architecte. Cet artiste, qui venoit d'achever ses études en Italie, changea, dans la disposition générale et dans l'ordonnance de cet édifice, le système d'architecture alors en usage à Paris: il employa des colonnes isolées et d'un grand diamètre, tant à l'extérieur qu'à l'intérieur, et présenta un plan dont la nouveauté, la grâce et la légèreté réunirent tous les suffrages: l'effet en fut tel, qu'on alla jusqu'à croire qu'il avoit surpassé dans cette composition tout ce que les Grecs et les Romains ont produit de plus élégant et de plus magnifique.
Ce plan consiste en une croix grecque de trois cent quarante pieds de long y compris le péristyle, sur deux cent cinquante de large hors œuvre[301], au centre de laquelle s'élève un dôme de soixante-deux pieds huit pouces de hauteur, que supportoient intérieurement quatre piliers si légers, qu'à peine apercevoit-on leurs massifs au milieu du jeu de toutes les colonnes isolées qui composent les quatre nefs de la croix[302]. Ce système de construction élégante et légère est continué dans les voûtes de l'édifice, où l'on a pratiqué des lunettes évidées avec beaucoup d'art, et qui donnent en quelque sorte l'apparence de la délicatesse gothique à ces voûtes circulaires, opposées les unes aux autres dans des sens différents, et produisant, par le passage et les oppositions de la lumière, des effets agréables et variés. Que l'on ajoute à cela la fraîcheur d'une exécution toute nouvelle, la blancheur et l'éclat d'une pierre fine et choisie, une distribution heureuse d'ornements de sculpture, on pourra se faire une idée du spectacle ravissant dont on jouit pendant quelques mois, lorsque les échafauds qui avoient si long-temps masqué ces voûtes disparurent, et laissèrent se développer tout ce bel ensemble d'architecture[303]. On peut dire que Paris entier se porta dans la nouvelle église: l'enthousiasme étoit à son comble, et Soufflot passoit déjà pour avoir conçu et exécuté le plus beau monument de l'architecture moderne. Il ne restoit plus à faire que le pavement en marbre, dernière opération qui alloit achever de donner à cette basilique la richesse convenable, et dessiner avec plus de netteté les lignes de ce plan magnifique, lorsque des fractures multipliées, commençant à se manifester aux quatre piliers du dôme et aux colonnes les plus voisines, jetèrent l'alarme, et firent connoître que le poids et la poussée de cette masse, suspendue sur de trop frêles soutiens, agissoient déjà depuis long-temps, et par leur chute soudaine menaçoient d'écraser tout l'édifice.
Il fallut donc, et sans perdre un moment, renoncer à la jouissance que procuroit ce beau spectacle d'architecture, jouissance commune en Italie, mais très-rare en France, et encombrer de nouveau par des cintres, des étais, des échafauds, un monument que l'on avoit pu croire achevé, après un travail non interrompu de plus de quarante années, et une dépense de plus de quinze millions.
Le mal que l'on venoit de reconnoître avoit déjà été prévu et annoncé depuis long-temps par d'habiles constructeurs; et plusieurs causes avoient concouru à le produire. 1o Le peu d'empatement que présentoient les masses des quatre piliers du dôme aux parties supérieures, trop étendues en superficie; 2o le procédé vicieux adopté pour la pose des pierres dont ces piliers étoient formés; 3o l'ébranlement causé à la masse entière de l'édifice pendant le ragrément de toutes les parties de l'intérieur[304]; 4o la qualité aigre et cassante de la pierre employée à la construction de ces piliers, qui, bien que très-dure, se fend et s'écrase ensuite facilement sous la charge.
On s'assura du reste que les fondations étoient bonnes, et n'avoient point tassé d'une manière sensible; que l'église souterraine, dont le sol est à dix-huit pieds au-dessous de celui de la nef supérieure, étoit construite de manière à résister à la pression et à tout le poids des constructions supérieures; que le dôme et les trois coupoles dont il est couvert offroient la même solidité dans leur construction; que nul effet fâcheux ne s'y étoit manifesté, malgré la rupture des pierres des piliers intermédiaires au dôme et à l'église basse, en sorte qu'il fut bien constaté que la construction vicieuse de ces piliers étoit la seule cause du mal.
Ces points bien reconnus, le problème à résoudre étoit de trouver les moyens de prévenir les accidents et l'accroissement du tassement, sans nuire au système de décoration intérieure, et sans addition de massifs, de piliers ou de colonnes, dont l'effet eût été de détruire l'harmonie du plan et l'heureux effet des voûtes. La direction de ces travaux, tant pour l'étaiement que pour les réparations et additions de résistance jugées nécessaires, fut confiée à M. Rondelet, qui n'a point cessé d'en suivre l'exécution depuis l'année 1770; qui a présidé lui-même à la construction des trois coupoles, avec un soin et une intelligence auxquels on ne sauroit donner trop d'éloges, ne négligeant rien de ce qui pouvoit compléter et présenter dans tous ses développements possibles la conception de Soufflot.
Les opérations combinées de cet habile constructeur, tant pour l'étaiement des arcades au moyen de doubles cintres de sa composition, exécutés partie en charpente et partie en maçonnerie, que pour remplacer les pierres cassées, sans causer d'ébranlements ni de secousses, sans aucun refoulement dangereux, ont conservé ou plutôt rendu aux arts et à la piété des fidèles ce monument du dernier siècle, sans que la décoration primitive en ait été sensiblement altérée.
Mais quel que soit l'heureux résultat de cette restauration, l'église de Sainte-Geneviève mérite-t-elle d'être considérée comme un chef-d'œuvre de l'art; et la réflexion ne doit-elle pas un peu diminuer de l'admiration qu'elle inspira d'abord? Ne se mêle-t-il point quelques défauts aux beautés supérieures dont on fut frappé à la première vue? C'est ce qu'il convient d'examiner.
Il n'est sans doute, dans l'aspect général de Paris, aucun point de perspective plus élégant et plus majestueux que cette belle colonnade du dôme, s'élevant avec sa coupole sur toute la partie sud-est de la ville, et se groupant avec les maisons et les monuments des quartiers Saint-Marcel et Saint-Benoît; mais si l'on s'approche pour considérer en détail ce qui a tant frappé dans l'ensemble, ce dôme et la combinaison de sa masse avec celle du portail ne satisferont plus au même degré le connoisseur d'un goût délicat et sévère: on trouvera qu'il ne repose pas avec assez de grandeur et d'harmonie sur l'attique qui lui sert de soubassement; que sa base, trop rétrécie, est loin d'offrir cette masse imposante et vigoureuse que présentent à l'extérieur les mosquées de Constantinople et même les dômes de Saint-Pierre de Rome et de Saint-Paul de Londres; enfin que les colonnes du dehors, fuselées par des mains barbares, ont été tellement amaigries dans leur partie inférieure, qu'une faute aussi grossière ne peut provenir que d'une erreur considérable dans l'appareil.
Si l'on porte ensuite ses regards sur le portail, on ne peut disconvenir qu'il ne présente un parti noble et grand: un seul ordre, couronné d'un fronton d'une immense proportion, rappelle d'abord le portique du Panthéon à Rome, dont Soufflot a visiblement voulu produire une imitation sur une plus grande échelle: heureux si la prétention de faire mieux que son modèle, de rendre plus parfaite encore cette belle production de l'antique, ne l'eût jeté dans des erreurs dont le résultat a été d'en altérer les admirables proportions! Que de fautes il a faites qu'il étoit si facile d'éviter! On est d'abord choqué de la maigreur de ses entrecolonnements, et l'on voit aussitôt que ce défaut n'existeroit pas s'il eût placé deux colonnes de plus sous le fronton, au lieu de les reléguer en arrière-corps aux angles du péristyle[305]. Groupées dans ce petit espace d'une manière confuse, elles ont en outre l'inconvénient de produire des ressauts et des profils multipliés qui tiennent au style vicieux de l'école, et présentent une disparate désagréable dans un monument où l'on a voulu imiter la simplicité de l'antique.
On ne peut nier aussi que la hauteur du fronton ne soit excessive: sa masse semble disputer avec celle des colonnes, et les écraser de son poids énorme[306]. Les chapitaux trop allongés et les revers pesants des feuilles doivent paroître d'une forme bien lourde et bien grossière si on les compare avec la proportion mâle et la taille savante des chapitaux du Panthéon. Les cannelures des colonnes manquent de pureté dans leurs profils; les ornements qui décorent ce péristyle sont d'un mauvais choix; en un mot ce portail, dans sa masse et dans ses détails, ne présente qu'une copie dégénérée du plus noble modèle.
«On ne peut le dissimuler, dit l'habile architecte à qui nous avons emprunté la plus grande partie de ces idées[307], Soufflot n'avoit point assez approfondi l'étude de l'antique dans le portique dont il vouloit reproduire l'effet. On doit lui savoir gré sans doute de n'avoir employé qu'un seul grand ordre, de s'être affranchi de la vieille routine, en offrant cet aspect majestueux de colonnes isolées et d'un grand diamètre; mais il faut le blâmer de n'avoir pas suivi les justes proportions de ce système antique qu'il vouloit faire revivre. Peut-être seroit-il plus juste de l'en plaindre: car on peut dire que, sous le rapport de ce genre d'étude, l'art étoit encore chez nous dans l'enfance; on avoit encore cette fausse idée qu'il falloit apporter ce que l'on appeloit du goût dans le perfectionnement de ces rigides proportions, et ajouter de la grâce à ces formes sévères. Une présomption mal entendue ne les plaçoit point au premier rang qui leur appartient; on n'avoit point encore moulé ces beaux ornements dont la collection choisie brille dans nos musées, et l'on pensoit qu'il suffisoit d'un dessin ou de l'œuvre de Desgodets, pour recréer à l'instant tous ces beaux détails des monuments de l'ancienne Rome. Quant à ceux de la Grèce, ils n'étoient absolument connus que de nom. Imbus de semblables préjugés, et privés d'éléments aussi nécessaires, les artistes d'alors étoient sans doute dans l'impossibilité de mieux faire; on ne peut faire un crime à Soufflot de n'avoir pas su ce que tout le monde ignoroit à l'époque où il bâtissoit, et ces fautes, qu'il n'eût pas faites dans un temps meilleur, sont absolument indépendantes de son talent[308].»
LES FRÈRES PRÊCHEURS OU DOMINICAINS, DITS LES JACOBINS.
Ce fut au milieu des croisades entreprises contre les Albigeois, dont l'hérésie dangereuse n'étoit autre chose que l'ancienne erreur des Manichéens, que l'ordre dont nous parlons prit son origine. Tandis que la puissance temporelle cherchoit à arrêter par les armes un mal dont les progrès rapides menaçoient la tranquillité des états, saint Dominique essayoit de ramener, par l'onction de ses paroles, ces malheureux égarés. Le succès qu'obtinrent ses prédications lui fit naître la pensée de s'associer quelques personnes animées du même zèle, et d'en former un ordre religieux destiné à la propagation de la foi. Les membres du nouvel institut devoient s'attacher spécialement à prêcher aux peuples les vérités saintes et immuables de l'évangile, à les soutenir autant par leurs exemples que par leurs discours, à convaincre les hérétiques et à les ramener par la force de la persuasion. Cet ordre fut approuvé en 1216 par Honorius III, sous le titre de Frères Prêcheurs. Dès l'année suivante, saint Dominique envoya quelques-uns de ses disciples à Paris: ils y arrivèrent le 12 septembre 1217, se logèrent dans une maison près Notre-Dame, entre l'Hôtel-Dieu et la rue l'Évêque, et y demeurèrent jusqu'à l'année suivante. Alors ils obtinrent de la libéralité de Jean Barastre, doyen de Saint-Quentin, une maison près des murs, et une chapelle du titre de Saint-Jacques, laquelle avoit été attachée à un hôpital institué pour les pèlerins, et qu'on appeloit l'hôpital Saint-Quentin. C'est de cette chapelle que la rue Saint-Jacques a pris son nom, et que les Dominicains ont été appelés Jacobins, non-seulement à Paris, mais dans toute l'étendue du royaume.
Ce premier établissement des Frères Prêcheurs dans la capitale n'a point été raconté de la même manière par nos historiens. Plusieurs y ont mêlé une foule de petites circonstances dont la fausseté est évidente, et qui, du reste, sont trop peu importantes pour mériter d'être discutées. Nous les passerons donc sous silence, et nous continuerons, dans ce récit, de nous attacher, comme nous l'avons toujours fait jusqu'à présent, aux autorités les plus graves et aux opinions les plus vraisemblables.
Quoique les Jacobins eussent été mis en possession, dès l'année 1218, de la chapelle et de l'hôpital du doyen de Saint-Quentin, il paroît qu'ils n'avoient point encore acquis le droit d'y célébrer l'office, du moins publiquement: car on trouve que vers ce temps-là un de leurs religieux étant décédé fut enterré à Notre-Dame-des-Vignes; mais en 1221 ils jouissoient déjà de la permission d'avoir une église et un cimetière qui leur avoient été accordés dès l'année précédente par le chapitre de Notre-Dame. Ce fut aussi cette même année que l'Université renonça en leur faveur au droit qu'elle pouvoit avoir sur la chapelle Saint-Jacques[309], sous la condition toutefois de certaines prières qu'ils seroient tenus de dire, de services qu'ils feroient célébrer, et stipulant en outre que si quelque membre de cette compagnie choisissoit sa sépulture chez les Jacobins, il seroit inhumé dans le chapitre, si c'étoit un théologien; dans le cloître, s'il étoit membre d'une autre faculté.
Saint Louis, auquel la plupart des religieux sont redevables de leur établissement à Paris, combla ceux-ci de ses bienfaits: il fit achever l'église qu'ils avoient commencée, bâtir le dortoir et les écoles, et leur donna deux maisons dans la rue de l'Hirondelle. De là l'erreur de Sauval, qui avance quelque part que les Jacobins doivent leur fondation à ce monarque[310]. Diverses donations qu'il suppose leur avoir été faites à cette même époque paroissent également suspectes, et l'on ne voit point qu'avant 1281 leur territoire ait reçu aucun accroissement. Dans cette année ils firent l'acquisition de quelques maisons sises près de leur couvent[311], acquisition pour laquelle ils obtinrent des officiers municipaux un acte d'amortissement, et que confirma aussitôt Philippe-le-Hardi.
Le cimetière, l'infirmerie et l'un des dortoirs de cette maison étoient situés au-delà de l'enceinte de Philippe-Auguste. Louis X, quelques-uns disent Philippe-le-Long, voulant accroître le terrein qu'ils possédoient déjà, leur donna toute la partie du mur qui régnoit le long de leur couvent, et les deux tours qui se trouvoient dans cet espace, concession qui leur procura la facilité d'étendre de ce côté leurs bâtiments; mais lorsqu'en 1358 on eut pris la résolution de creuser un fossé autour de l'enceinte méridionale, ce fut une nécessité d'abattre ces nouvelles constructions. Alors, pour indemniser les Jacobins de cette perte, Charles V acheta des religieux de Bourgmoyen, près de Blois, la maison et les jardins qu'ils possédoient à Paris, et les donna aux Jacobins, francs et quittes de toutes redevances. Il paroît que cette maison occupoit une grande partie du terrain dont se composa depuis le jardin de ces Pères. Quant aux jardins des religieux de Bourgmoyen, ils sont aujourd'hui couverts des maisons qui forment les rues Saint-Dominique et Saint-Thomas, comme nous aurons occasion de le dire en parlant du quartier du Luxembourg.
Les Jacobins obtinrent encore de Louis XII l'ancien parloir aux Bourgeois[312], et une ruelle qui régnoit le long du mur de la ville. On voit dans les registres de la ville que, «le 5 août suivant, la ville s'opposa à cette concession, attendu, dit-elle, que c'est son propre héritage, et qu'il y a une tour hors les murailles qui pourroit nuire à la ville si lesdits frères en étoient possesseurs, étant deux cents religieux de toutes nations.» Il ne paroît pas que cette réclamation ait empêché l'effet de la donation.
Le cloître de ces religieux fut reconstruit, en 1556, des libéralités d'un riche bourgeois nommé Hennequin. En l'an 1563, ils firent rebâtir leurs écoles, qui tomboient en ruines, au moyen des aumônes que leur procura un jubilé que le pape Pie IV leur avoit accordé à cette intention.
L'enceinte de ce couvent renfermoit un assez grand terrain; mais les bâtiments, presque tous d'un gothique très-grossier, et la plupart sans symétrie, n'avoient rien qui méritât d'être remarqué. Il en étoit de même de l'église, dont le vaisseau étoit vaste, mais sans proportion et sans régularité. Elle étoit partagée en deux dans toute sa longueur, comme celle que l'ordre possédoit à Toulouse.
Ce qui méritoit d'attirer l'attention, c'étoit le nombre considérable d'illustres personnages qui avoient été inhumés dans cette église, ou dont on y avoit déposé le cœur ou les entrailles. On y comptoit non-seulement les plus grands noms de la France, mais encore des princes du sang, des rois et des reines, entre autres les trois chefs des branches royales de Valois, d'Évreux et de Bourbon. Du reste elle étoit peu riche en tableaux et autres monuments des arts.
CURIOSITÉS DE L'ÉGLISE DES JACOBINS.
TABLEAUX.
Sur le maître autel, un très-beau tableau qui leur fut donné par le cardinal Mazarin, représentant la naissance de la Vierge, et attribué par les uns à Sébastien del Piombo, par d'autres, au Valentin[313]. La décoration de cet autel, enrichi de colonnes en marbre d'ordre corinthien, étoit également due aux libéralités de ce ministre.
Dans l'église, une Descente de croix, d'une belle exécution, sans nom d'auteur.
Au-dessus de la chaire, un saint Thomas prêchant; par Élisabeth Chéron.
SÉPULTURES.
Dans cette église avoient été inhumés:
Charles de France, comte de Valois, chef de la branche de ce nom, laquelle a régné deux cent soixante années.
Charles de Valois, comte d'Alençon, second fils de Charles de France. Il fut la tige des comtes d'Alençon.
Agnès de France, septième fille de Jean de France, duc de Normandie.
Louis de France, comte d'Évreux, et chef de la branche de ce nom.
Robert de France, comte de Clermont en Beauvoisis, sixième fils de saint Louis, et chef de la branche de Bourbon.
Louis Ier, duc de Bourbon, fils de Robert de France, comte de Clermont et de la Marche.
Marguerite de Bourbon, fille de Robert, et première femme de Jean de Flandre, comte de Namur.
Pierre, duc de Bourbon et comte de la Marche, fils de Louis Ier.
Louis IIIe du nom, fils puîné de Louis IIe du nom, duc de Bourbon.
Béatrix de Bourbon, fille de Louis Ier et de Marie de Hainaut. On voyoit sa figure debout, et appuyée contre un pilier du sanctuaire, avec son épitaphe au-dessus[314]. Elle avoit en outre son tombeau dans la nef, à main gauche.
Anne de Bourbon, fille de Jean Ier, comte de la Marche, de Vendôme et de Castres.
Philippe d'Artois, fils aîné de Robert, comte d'Artois; et Blanche sa femme, fille du duc de Bretagne.
Gaston, comte de Foix, premier du nom.
Clémence, fille de Charles Martel, roi de Hongrie, et seconde femme de Louis X, roi de France.
Cette église possédoit en outre:
Le cœur de Philippe III, dit le Hardi, roi de France et fils de saint Louis.
Celui de Pierre de France, comte d'Alençon, cinquième fils de saint Louis.
Celui de Charles IV, roi de France.
Celui de Philippe III, dit le Sage, roi de Navarre, fils de Louis de France, comte d'Évreux.
Celui de Charles de France, roi de Naples et de Sicile, frère de saint Louis.
| Les entrailles de Philippe V, dit le Long, | tous les deux rois de France. |
| Celles de Philippe VI, dit de Valois, |
Devant le maître-autel étoit la tombe de Humbert de la Tour-du-Pin, deuxième du nom, Dauphin de Viennois, mort à Clermont en Auvergne, en odeur de sainteté, en 1355[315].
Au-dessus de la porte du Revestiaire, la statue du cardinal Gui de Malsec à genoux devant un crucifix.
Dans les chapelles et dans diverses autres parties de l'église avoient été inhumés plusieurs autres personnages remarquables, savoir:
Dans la chapelle de Saint-Thomas ou des Bourbons, les PP. Nicolas Coeffeteau et Noël Alexandre, tous les deux de l'ordre des Frères Prêcheurs, et célèbres par leur profonde érudition.
Sous une tombe, devant la chapelle de la Passion, Pierre de la Palue, religieux de Saint-Dominique et patriarche de Jérusalem.
Dans la nef, devant les orgues, trois générales perpétuelles des Béguines de Paris, Agnès d'Orchies, Jeanne La Bricharde et Jeanne Roumaine.
Aussi dans la nef, Jean Passerat, professeur d'éloquence au collége royal, et George Critton, Écossois, docteur en droit civil et canonique, et professeur royal en langue grecque et latine[316].
Dans l'aile où étoit située la chapelle du Rosaire, Nicolas de Paris, substitut du procureur-général du parlement.
Auprès de l'œuvre de la confrérie du Rosaire[317], Claude Dormy, évêque de Boulogne-sur-Mer, auparavant moine de Cluni, et prieur de Saint-Martin-des-Champs. Il étoit représenté à genoux sur la porte d'une chapelle[318].
Près de cette chapelle, Pierre de Rostrenan, chambellan du roi Charles VII. Sa figure en albâtre étoit couchée sur sa tombe.
Jean Clopinel, dit de Meung, continuateur du roman de la Rose, avoit été aussi inhumé dans ce couvent, mais on ignore si ce fut dans l'église ou dans le cloître, etc., etc.
L'église des Jacobins, qui, depuis long-temps, menaçoit ruine, avoit été abandonnée par ces religieux, quelques années avant la révolution; et l'office divin se célébroit dans la salle des exercices, connue sous le nom d'Écoles de Saint-Thomas. Ces écoles, situées à côté de l'église, avoient été commencées aux dépens du P. Jean Binet, docteur en théologie, et religieux de cet ordre, mort en 1550. On y remarquoit une chaire revêtue de marbre, dans laquelle étoit, dit-on, renfermée celle qui avoit servi à saint Thomas d'Aquin. La salle principale étoit ornée de plusieurs représentations des plus grands personnages de l'ordre, parmi lesquels on distinguoit les portraits de saint Dominique, de Pierre de Tarentaire, pape sous le nom d'Innocent V, et de Hugues de Saint-Cher, cardinal du titre de Sainte-Sabine.
La bibliothèque, composée de quinze à seize mille volumes, contenoit plusieurs manuscrits d'ouvrages de piété, légués par saint Louis à ces religieux.
L'ordre de Saint-Dominique est un des plus illustres qu'il y ait eu dans l'église. Sans parler d'une foule de savants, aussi recommandables par leurs vertus que par leurs lumières, qui sont sortis de ses écoles, ou qui ont travaillé dans le silence de ses cloîtres, il compte parmi ses membres douze saints canonisés et plusieurs béatifiés; quatre papes, Innocent V, Benoît XI, Pie V et Benoît XIII; cinquante-huit cardinaux, vingt-trois patriarches; tous les maîtres du sacré Palais, depuis saint Dominique, qui fut le premier en 1217; vingt-huit confesseurs de nos rois, et quarante-deux des rois d'Espagne[319].
L'ÉGLISE COLLÉGIALE DE SAINT-ÉTIENNE-DES-GRÈS.
Les Historiens de Paris ne sont d'accord ni sur l'origine de cette église, ni sur l'étymologie du surnom qui lui a été donné; il est peu de monuments qui aient exercé davantage leur sagacité. Quelques-uns ont avancé que saint Denis l'Aréopagite avoit célébré les saints mystères dans un oratoire qu'il avoit lui-même dédié en cet endroit sous l'invocation de saint Étienne, et en ont conclu que le véritable surnom étoit des Grecs, parce que ce saint et ses disciples étoient venus d'Athènes dans les Gaules. D'autres, rejetant cette tradition très-incertaine, ont pensé, mais sans en apporter des preuves meilleures, que ce surnom venoit de quelques degrés qu'il falloit monter pour entrer dans cette église, et qu'on devoit dire S. Stephanus de gradibus. Plusieurs prétendent que cette église, étant située à la sortie de la ville, a été appelée ainsi, ab egressu urbis, et qu'il convient d'écrire Saint-Étienne-d'Egrès. Il n'est pas moins difficile d'adopter cette dernière explication: car c'est un fait incontestable que l'édifice en question étoit renfermé dans l'enceinte de Philippe-Auguste.
Enfin l'abbé Lebeuf[320], s'appuyant sur les cartulaires de Sainte-Geneviève et de Sorbonne, dans lesquels l'église de Saint-Étienne est nommée de gressis et de gressibus, donne sur cette dénomination des grès deux opinions très-plausibles, et qui ont été adoptées par Jaillot. Il pense que ce nom peut venir des grès ou bornes posées dans cette rue, pour marquer les limites des seigneuries, du roi, de l'abbaye Sainte-Geneviève et autres, ou d'une famille de Grèz, connue au treizième siècle, laquelle possédoit, au nom du roi, un pressoir et vignoble sur le bord de la rue Saint-Étienne. Il cite en effet plusieurs actes dans lesquels il est fait mention de cette famille; mais il n'en est aucun d'où l'on puisse conclure que son nom ait été ajouté à celui de l'église avant le commencement du treizième siècle.
Sur l'ancienneté de son origine il n'y a pas moins de variété dans les opinions. Il faut d'abord rejeter celle de du Breul et autres qui attribuent son érection à saint Denis l'Aréopagite: elle n'est appuyée sur aucune preuve, pas même sur des conjectures vraisemblables. L'abbé Lebeuf[321] se contente de dire que cet édifice existoit dans le septième siècle, et cite à ce sujet le testament d'une dame nommée Hermentrude, qui désigne l'église Saint-Étienne parmi celles auxquelles elle distribue des legs; mais il est combattu par Jaillot: celui-ci prétend ne reconnoître dans cette église Saint-Étienne que l'ancienne église-mère, laquelle, comme on sait, étoit originairement sous l'invocation de ce saint. Ce critique rejette également l'interprétation qu'Adrien de Valois donne à un passage des annales de saint Bertin, au moyen duquel il prétend prouver que cette église fut rachetée, en 857, des fureurs des Normands, qui livroient alors aux flammes tous les édifices dont Paris étoit environné. Il n'a pas de peine ensuite à prouver que ce n'est point de ce monument, mais de la cathédrale qu'il est question dans le poëme d'Abbon, lorsque cet auteur dit qu'en 886 le corps de saint Germain fut reporté dans la basilique de Saint-Étienne, martyr. Toutefois, en regardant comme incomplètes toutes ces preuves apportées par divers historiens de l'existence de l'église Saint-Étienne à ces différentes époques, Jaillot est loin d'en conclure qu'il n'y avoit pas alors quelque chapelle de ce nom dans les faubourgs. Il est certain que le territoire sur lequel elle est située appartenoit à la cathédrale avant l'invasion des Normands; il est probable en outre que ce territoire entra dans la transaction faite avec ces barbares, et du reste l'existence de cette église et sa dépendance de l'église-mère sont constatées, dans le siècle suivant, par des actes présentés par ce critique comme les premiers qui en parlent avec authenticité.
Au commencement du onzième siècle, les malheurs des temps et les troubles de l'état avoient fait abandonner plusieurs églises; le service divin ne s'y faisoit plus régulièrement, et les biens qu'elles possédoient avoient été usurpés. Un clerc, nommé Girauld, jouissoit des églises de Saint-Étienne, de Saint-Julien, de Saint-Séverin et de Saint-Bache (Saint-Benoît). On voit par une charte sans date[322], mais qui doit avoir été donnée entre 1031 et 1050, que sur la demande d'Imbert, évêque de Paris, Henri Ier, qui régnoit alors, accorda la propriété de ces églises à la cathédrale, toutefois sous la réserve des droits de Girauld, qui continua d'en jouir jusqu'à sa mort. C'est donc à cette époque qu'il convient de fixer l'origine de Saint-Étienne comme église collégiale. Elle étoit, comme nous l'avions déjà dit[323], l'une des quatre-filles de Notre-Dame, et son desservant avoit rang parmi les prêtres cardinaux qui assistoient l'évêque à l'autel les jours de Noël, de Pâques et de l'Assomption.
Il ne paroît pas que, dans ces premiers temps, le clergé en ait été nombreux: le chapitre de Notre-Dame commettoit un chanoine pour avoir soin de cette église, qui, jusqu'en 1187, ne fut desservie que par deux prêtres; mais depuis cette année jusqu'à 1250, le nombre des membres de cette collégiale s'accrut successivement, de manière qu'elle se composa dès lors de onze chanoines et d'un chefcier, qui fut élu, pour la première fois, dans cette dernière année[324]. Ils se maintinrent ainsi jusqu'à la fin. Les chanoines et le chefcier étoient à la nomination de deux chanoines de Notre-Dame, en vertu du droit attaché à leur prébende, et il y avoit de plus un chapelain que nommoit le chapitre de Saint-Étienne-des-Grès.
Les bâtiments de cette église n'avoient d'ancien que le côté où étoit la chapelle de Notre-Dame-de-Délivrance: plusieurs piliers qui existoient encore dans cette partie de l'édifice et la tour paroissoient être de la fin du onzième siècle. Le portail étoit plus moderne d'environ cent ans; le reste, construit à diverses époques beaucoup moins reculées, se trouvoit masqué par une foule de constructions irrégulières élevées entre le portail extérieur et l'église, et servant de logements aux membres du chapitre et aux gens attachés à leur service. Ce portail extérieur avoit été, suivant les apparences, bâti dans le dix-septième siècle[325].
On raconte que saint François-de-Sales, encore étudiant à Paris, venoit souvent prier dans cette chapelle de la Vierge dont nous venons de parler.
Il y fut institué, en 1533, une confrérie qui depuis devint célèbre, et à laquelle deux papes (Grégoire XIII et Clément VIII) attachèrent de grandes indulgences.
CURIOSITÉS DE L'ÉGLISE DE SAINT-ÉTIENNE-DES-GRÈS.
Sur la droite du maître-autel, un tableau représentant la Vierge, et l'Enfant-Jésus caressant saint Jean-Baptiste; par un peintre inconnu.
Sur la tranche d'un bénitier de marbre, placé au pied d'un des piliers de l'orgue, on lisoit une inscription grecque récurrente[326], copiée sans doute d'après les bénitiers de la croisée de Notre-Dame, où elle se trouvoit également gravée, mais beaucoup plus anciennement. Elle étoit conçue en ces termes:
ΝΙΨΩΝ
ΑΝΟΜΗΜΑΤΑ
ΜΗ
ΜΟΝΑΝ
ΟΨΙΝ
1626.
Lava peccata non solam faciem.
On prétend que cette inscription étoit primitivement gravée sur le bénitier de l'église de Sainte-Sophie à Constantinople[327].
LA CHAPELLE SAINT-SYMPHORIEN.
Cette chapelle, qui fut détruite dans le dix-septième siècle, étoit située dans la rue des Cholets, vis-à-vis le collége qui porte le même nom. Son origine, sur laquelle on n'a aucun renseignement, devoit être fort ancienne, car il en est fait mention dans le testament d'Hermentrude. On la trouve citée depuis dans la charte de Philippe-Auguste de 1185, et dans le cartulaire de Sainte-Geneviève à la date de 1220. Sauval dit qu'elle subsistoit encore de son temps; il devoit ajouter aussi qu'il l'avoit vu détruire, car il n'est mort qu'en 1670, et alors il y avoit huit ans que cette chapelle, tombant en ruines, avoit été vendue au collége de Montaigu, par contrat du 2 septembre 1662.
La chapelle Saint-Symphorien avoit été bâtie au milieu d'un clos de vignes qui s'étendoit jusqu'à Notre-Dame-des-Champs (les Carmélites). Ce vignoble appartenoit au roi et à différents seigneurs. D'anciens titres nous apprennent que le monarque avoit, entre l'église Saint-Étienne et le collége de Lisieux, un pressoir, dans lequel on portoit le vin qui se recueilloit au clos des Mureaux. Ce clos, situé au faubourg Saint-Jacques, étoit nommé, au treizième siècle, Murelli, dans le suivant de Murellis, aliàs de Cuvron. On donnoit le nom de clos Saint-Étienne aux vignes plantées près de cette église.
LES RELIGIEUSES DE LA VISITATION DE SAINTE-MARIE.
Nous avons déjà parlé de l'origine de ces religieuses et de leur établissement à Paris en 1619[328]. Leur nombre s'étant considérablement augmenté dès le commencement, ce fut une nécessité de chercher presque aussitôt un lieu convenable pour y fonder un nouveau monastère et y établir une colonie de ces saintes filles. L'archevêque de Paris leur en accorda la permission en 1623. Elles achetèrent en conséquence, au faubourg Saint-Jacques, une maison dite Saint-André, avec quelques bâtiments et jardins qui l'environnoient, et firent disposer le tout dans la forme propre à y recevoir une communauté. Ce second établissement, dans lequel elles entrèrent le 13 août 1626, fut confirmé par des lettres patentes données en 1660.
La maison du faubourg Saint-Jacques étant devenue, dans le courant du siècle dernier, l'une des plus considérables de l'ordre, ces dames se trouvèrent dans une situation assez prospère pour penser à faire reconstruire leur église en entier et une partie de leurs bâtiments. Ce projet fut exécuté quelques années avant la révolution. L'église, qui existe encore, est petite, mais d'une architecture élégante[329]. Le portail en est simple et de bon goût.
CURIOSITÉS DE L'ÉGLISE DE LA VISITATION.
Sur le maître-autel, dédié à saint François-de-Sales, un tableau représentant ce saint évêque; par Le Brun.
Dans un des bas-côtés, à droite, la Visitation; par Suvée.
Dans le bas-côté, à gauche, le tableau des Sacrés-Cœurs; par Mauperin.
Ces dames possédoient en outre plusieurs tableaux de La Fosse, renfermés dans l'intérieur de leur maison.
LE SÉMINAIRE SAINT-MAGLOIRE.
C'étoit dans l'origine un hôpital connu sous le nom de Saint-Jacques-du-Haut-Pas. On ne sait rien de positif ni sur l'origine des religieux qui le desservoient, ni sur l'époque de leur établissement à Paris. Le P. Helyot[330] nous présente cet ordre comme une société de laïcs qui, au douzième siècle, et à l'exemple des religieux appelés Pontifices ou faiseurs de ponts, s'étoient voués à l'occupation pénible de faciliter aux pèlerins les passages difficiles des rivières, et faisoient eux-mêmes les ponts et bacs destinés à cet usage. Il dit qu'ils portoient, comme marque distinctive, un marteau figuré sur la manche gauche de leur habit; que cet institut, ayant été favorisé, forma une espèce de congrégation religieuse, dont le chef-lieu fut le grand hôpital de Saint-Jacques-du-Haut-Pas, au diocèse de Lucques en Italie. Quelques historiens en ont fait un ordre militaire; d'autres prétendent qu'ils étoient chanoines réguliers. La première opinion sembleroit la plus probable, parce qu'en effet le chef de l'ordre prenoit le titre de commandeur.[331] Jaillot conjecture qu'ils étoient établis à Paris dès le douzième siècle; et que c'est d'eux qu'il est question dans une donation faite, en 1183, par Philippe-Auguste de tout ce qui lui appartenoit sous Montfaucon; d'autres historiens ne pensent pas que l'hôpital du Haut-Pas ait été fondé avant l'année 1286. Quelques-uns même, tels que Sauval et D. Félibien, reculent cette fondation jusqu'au quatorzième siècle; mais des titres authentiques en constatoient l'existence dès 1260[332].
Ces hospitaliers, ne trouvant pas en France l'occasion de rendre aux fidèles les services auxquels ils s'étoient obligés par leur institut, cherchèrent quelque autre moyen de leur devenir utiles, et le trouvèrent dans l'érection d'un hôpital, où ils reçurent les pèlerins des deux sexes, et leur prodiguèrent tous les secours de l'humanité et de la religion. L'utilité de cette nouvelle institution fut si vivement sentie, que, malgré la suppression de cet ordre faite en 1459 par Pie II et la réunion de ses revenus à celui de Notre-Dame de Bethléem, on résolut de le conserver en France. Antoine Canu, qui en étoit commandeur en 1519, fit rebâtir l'hôpital et reconstruire une plus grande église, qui fut dédiée, par François Poncher, évêque de Paris, sous le nom de Saint-Raphaël archange et de Saint-Jacques-le-Majeur. Les choses restèrent dans le même état jusqu'au milieu du siècle suivant, que cet hôpital fut mis dans la main du roi, sans qu'on en sache la raison. On trouve qu'en 1554 il fut destiné, par un arrêt du conseil, à recevoir les soldats blessés, et qu'en 1561 le roi en faisoit acquitter les charges.
Nous avons déjà dit qu'en 1572 un ordre de Catherine de Médicis fit transférer à Saint-Jacques-du-Haut-Pas les religieux de Saint-Magloire[333]. Cette translation, qui ne s'opéra que difficilement, et contre le gré de ces religieux, fit naître parmi eux des dégoûts, y produisit un relâchement si marqué, que M. de Gondi, évêque de Paris et abbé de ce monastère[334], se crut obligé de recourir à l'autorité du parlement, qui, par son arrêt du 13 février 1586, ordonna que cette abbaye seroit réformée, et nomma des commissaires à cet effet. Cette réforme eut tout le succès que l'on pouvoit désirer; mais le nombre des religieux diminua successivement, et à un tel point, que M. Henri de Gondi, cardinal de Retz et évêque de Paris, jugea qu'il ne pouvoit trouver ni un lieu ni une circonstance plus favorable pour établir un séminaire qu'il avoit depuis quelque temps résolu de former. Il obtint à cet effet des lettres-patentes du mois de juillet 1618, qui autorisèrent la fondation de ce séminaire, et y appliquèrent le produit de la mense conventuelle.
Ce fut aux PP. de l'Oratoire que ce prélat jugea à propos de confier la direction du nouvel établissement: ils furent chargés d'instruire et d'entretenir douze ecclésiastiques, à sa nomination et à celle de ses successeurs. L'événement justifia pleinement la sagesse d'un tel choix; et de cette école, recommandable par la science et la piété de ses directeurs, on a vu, dans l'espace de près de deux siècles, sortir une foule de sujets distingués, dont plusieurs ont été l'ornement de l'Église, et en ont rempli les premières dignités.
Ce fut le 16 mars 1620 que fut passée la transaction entre les PP. de l'Oratoire et les religieux de Saint-Magloire: il fut convenu que ceux-ci pourroient rester dans la maison, qu'ils y jouiroient chacun d'une pension de 414 livres, et de la prébende de l'église Notre-Dame, qu'on avoit affectée à leur mense. Le dernier de ces religieux y mourut en 1669.
CURIOSITÉS DE L'ÉGLISE.
Sur le maître-autel, un tableau représentant l'Annonciation; sans nom d'auteur.
Dans la nef, plusieurs autres tableaux médiocres, ou copiés d'après de bons maîtres.
La bibliothèque, composée de dix-huit à vingt mille volumes, renfermoit les manuscrits de M. de Saint-Marthe sur les grandes maisons de France[335].
L'ÉGLISE PAROISSIALE DE SAINT-JACQUES-DU-HAUT-PAS.
Cette église doit le nom qu'elle porte à la chapelle de l'hôpital dont nous venons de parler. Vers le milieu du quinzième siècle, les habitants des faubourgs Saint-Jacques et Saint-Michel, trop éloignés des églises Saint-Médard, Saint-Hippolyte et Saint-Benoît, leurs paroisses, avoient sollicité l'érection de cette chapelle en succursale. Cette demande, après quelques contestations, leur fut accordée en 1566; et la sentence de l'official qui ordonna cette érection remit la nomination du chapelain qui devoit résider à Saint-Jacques-du-Haut-Pas aux curés et vicaires perpétuels des églises que nous venons de nommer.
Les Bénédictins de Saint-Magloire ayant été transférés, en 1572, dans la maison des Hospitaliers de Saint-Jacques, il arriva que l'office de ces religieux devant se dire à certaines heures, se rencontroit souvent avec celui de la succursale, ce qui, des deux côtés, devint également incommode, et détermina les paroissiens à faire bâtir une nouvelle chapelle à côté de l'ancienne. Elle fut commencée en 1584, et l'on en bénit le cimetière le 10 mai de la même année.
Dès l'époque de l'érection de cette succursale, le prêtre qui la desservoit avoit pris le titre de curé; plusieurs actes cités par Jaillot le lui donnent, et il paroît que cette cure étoit alors à la nomination du trésorier de la Sainte-Chapelle. Cependant la chapelle de Saint-Jacques-du-Haut-Pas n'étoit point encore une paroisse en titre; et ce titre elle ne le dut qu'à l'augmentation rapide des habitants de ce quartier. Cette augmentation devint telle, que, dès 1603, on forma le projet de faire bâtir une église plus vaste, ce qui toutefois ne fut exécuté qu'en 1630, parce qu'une foule d'obstacles en traversèrent jusque-là l'exécution. La première pierre en fut posée, le 2 septembre de cette année, par Monsieur, frère de Louis XIII; et ce fut alors seulement que les habitants obtinrent l'érection de leur église en paroisse, ce qui ne fut accordé toutefois qu'après de longues contestations, et sous la condition de certaines redevances aux curés des diverses églises dont la chapelle Saint-Jacques étoit auparavant dépendante. Il fut aussi ordonné que cette cure seroit à l'avenir à la présentation alternative du chapitre Saint-Benoît et du curé de Saint-Hippolyte.
Toutefois les travaux de la nouvelle église, commencés avec beaucoup d'ardeur, restèrent suspendus, faute de secours, jusqu'en 1675; et à cette époque on n'avoit encore construit que le chœur de l'église que nous voyons aujourd'hui. On en dut la continuation à madame Anne-Geneviève de Bourbon, princesse du sang, duchesse douairière de Longueville, qui s'étoit retirée aux Carmélites. Elle posa la première pierre de la tour et du portail le 19 juillet de cette année, et ses libéralités furent d'un grand secours à la fabrique pour en achever la construction; mais il est juste de dire que la plus grande partie de la dépense fut faite par les paroissiens. Il est peu d'exemples dans cette histoire d'un zèle de piété plus unanime et plus touchant. Les carriers, qui étoient en grand nombre dans le quartier, fournirent gratuitement toute la pierre dont cette église est pavée, et les ouvriers employés à sa construction voulurent donner chacun un jour de leur travail par semaine. Ces deux parties de l'église, le portail, décoré de quatre colonnes doriques, et la tour, d'une forme carrée, furent construits sur les dessins de l'architecte Guittard, membre de l'académie, et achevés en 1684. On commença en 1688 la chapelle de la Vierge située dans le fond du chœur[336].