Théâtre de Hrotsvitha: religieuse allemande du dixième siècle, traduit pour la première fois en français avec le texte latin revu sur le manuscrit de Munich
VI.
SAPIENCE.
ARGUMENT.→
Passion des vierges saintes, Foi, Espérance et Charité, que l’empereur Hadrien(80) fait périr par divers supplices sous les yeux de Sapience, leur vénérable mère, qui les exhorte, au nom de l’autorité maternelle, à supporter les tortures. Dès que le martyre est consommé, la sainte mère réunit les corps de ses filles, les embaume et leur donne une sépulture honorable à cinq milles de Rome. Elle-même, au bout de quarante jours, rend son âme au ciel, en prononçant auprès de leurs tombes les derniers mots d’une pieuse oraison(81).
SAPIENCE,→
ou
FOI, ESPÉRANCE ET CHARITÉ.
PERSONNAGES.
| ANTIOCHUS, préfet de Rome(82). | ||
| HADRIEN, empereur. | ||
| SAPIENCE, princesse grecque. | ||
| FOI, | } | filles de Sapience. |
| ESPÉRANCE, | ||
| CHARITÉ, | ||
| Matrones romaines. | ||
| Soldats et Bourreaux, personnages muets. |
SCÈNE PREMIÈRE.→
ANTIOCHUS, HADRIEN.
- ANTIOCHUS.→
- Dans mon désir, ô empereur Hadrien, de voir tout succéder au gré de vos vœux et les fondements de votre empire à l’abri des perturbations, je m’efforce d’arracher promptement et d’anéantir dans leurs racines toutes les causes de troubles qui pourraient ébranler la république et porter atteinte au calme de votre esprit.
- HADRIEN.→
- Et vous n’avez pas tort; car votre bonheur est attaché à ma prospérité. Je vous élève, chaque jour, à de plus grands honneurs.
- ANTIOCHUS.→
- J’en rends grâces à votre bonté paternelle. Aussi à peine vois-je surgir quelque obstacle à votre pouvoir, que, loin de le dissimuler, je vous le dénonce sans retard.
- HADRIEN.→
- Et vous agissez comme il convient pour n’être pas accusé de lèse-majesté, en cachant ce qui ne doit point être caché.
- ANTIOCHUS.→
- Je n’ai jamais eu à craindre une pareille accusation.
- HADRIEN.→
- Assurément; mais dites-moi si vous ne savez rien de nouveau.
- ANTIOCHUS.→
- Une femme étrangère est arrivée depuis peu dans Rome, accompagnée de trois jeunes enfants qui sont nés d’elle.
- HADRIEN.→
- De quel sexe sont ces enfants?
- ANTIOCHUS.→
- Tous trois du sexe féminin.
- HADRIEN.→
- Pensez-vous que l’arrivée de ces faibles femmes puisse amener quelques résultats nuisibles à la république?
- ANTIOCHUS.→
- Oui; de très-grands.
- HADRIEN.→
- Lesquels?
- ANTIOCHUS.→
- Le renversement de la paix publique.
- HADRIEN.→
- Comment?
- ANTIOCHUS.→
- Et qu’y a-t-il de plus capable de rompre la concorde civile que les différences de religion?
- HADRIEN.→
- Il n’y a rien de plus fâcheux, rien de plus funeste, comme le prouve assez la situation du monde romain, qui est partout souillé par des flots impurs de sang chrétien.
- ANTIOCHUS.→
- Cette femme donc, que je vous signale, exhorte les citoyens à abandonner le culte de nos ancêtres et à se vouer à la religion chrétienne.
- HADRIEN.→
- Est-ce que ses exhortations font des prosélytes?
- ANTIOCHUS.→
- Beaucoup trop; car déjà nos femmes nous traitent avec tant de hauteur et de mépris, qu’elles ne daignent plus prendre place à nos tables, encore bien moins partager nos lits.
- HADRIEN.→
- Je l’avoue, le péril est sérieux.
- HADRIEN.→
- J’en conviens. Qu’on appelle cette femme, et nous verrons si, en ma présence, elle ne consent pas à se soumettre.
- ANTIOCHUS.→
- Vous désirez que je la fasse venir?
- HADRIEN.→
- Oui, sans aucun doute.
SCÈNE II.→
ANTIOCHUS, SAPIENCE, FOI, ESPÉRANCE ET CHARITÉ.
- ANTIOCHUS.→
- Quel est votre nom, femme étrangère?
- SAPIENCE.→
- Je me nomme Sapience.
- ANTIOCHUS.→
- L’empereur Hadrien vous ordonne de comparaître devant lui dans son palais.
- SAPIENCE.→
- Je n’ai aucune crainte d’entrer dans le palais, avec la noble escorte de mes filles; et je ne redoute nullement de voir de près le visage menaçant de l’empereur.
- ANTIOCHUS.→
- Cette odieuse race des sectateurs du Christ est toujours prête à résister aux princes.
- SAPIENCE.→
- Le prince de l’univers, qui l’emporte sur tous, ne permet pas que ses serviteurs soient vaincus par l’ennemi.
- ANTIOCHUS.→
- Trêve à ce flux de paroles, et venez sur-le-champ au palais.
- SAPIENCE.→
- Marchez devant, et montrez-nous la route; nous vous suivrons en toute hâte.
SCÈNE III.→
Les mêmes, HADRIEN, GARDES.
- ANTIOCHUS, à Sapience.→
- Voici l’empereur en personne: vous le voyez assis sur son trône. Pesez bien vos paroles.
- SAPIENCE.→
- Les préceptes du Christ nous défendent d’user de telles précautions et nous promettent, en retour, le don d’une invincible sagesse(84).
- HADRIEN.→
- Approchez, Antiochus.
- ANTIOCHUS.→
- Me voici à vos ordres, seigneur.
- HADRIEN.→
- Sont-ce là les femmes que vous m’avez dénoncées comme chrétiennes?
- ANTIOCHUS.→
- Oui, ce sont elles.
- HADRIEN.→
- Je suis frappé de leur beauté, et je ne puis surtout assez admirer la sage dignité de leur maintien.
- ANTIOCHUS.→
- Cessez, ô mon seigneur, de vous livrer à l’admiration, et forcez-les d’adorer les dieux.
- HADRIEN.→
- Si je commençais à leur demander avec douceur si elles ne voudraient pas céder?
- ANTIOCHUS.→
- C’est là le meilleur moyen; car la fragilité de leur sexe ne cède jamais plus facilement qu’à l’impression des douces paroles.
- HADRIEN.→
- Illustre matrone, je vous invite doucement et sans colère à revenir au culte des dieux; vous pourrez par là jouir des avantages de mon amitié.
- SAPIENCE.→
- Je n’ai envie ni de satisfaire vos désirs en revenant au culte de vos dieux, ni de contracter avec vous aucune amitié.
- HADRIEN.→
- Jusqu’ici je retiens ma colère, et loin de donner cours à mon indignation, je montre une affectueuse et paternelle sollicitude pour votre bien et celui de vos enfants.
- SAPIENCE.→
- Gardez-vous, mes filles, d’ouvrir vos cœurs aux fallacieuses et sataniques paroles de ce serpent tentateur; méprisez-les, à mon exemple.
- FOI.→
- Nous dédaignons et nous méprisons de toute notre âme ces propos frivoles.
- HADRIEN.→
- Que murmurez-vous?
- SAPIENCE.→
- J’adressais quelques mots à mes filles.
- HADRIEN.→
- Vous me semblez d’une haute naissance; mais je voudrais que vous me fissiez connaître plus complétement votre patrie, votre famille et votre nom.
- SAPIENCE.→
- Quoiqu’il faille mépriser l’orgueil du sang, je ne nie pas, néanmoins, que je ne sois sortie d’une souche illustre.
- HADRIEN.→
- Je le crois volontiers.
- SAPIENCE.→
- J’ai eu, en effet, pour parents les plus grands princes de la Grèce(85). Mon nom est Sapience.
- HADRIEN.→
- L’éclat de votre naissance brille dans tous vos traits, et la vertu dont vous portez le nom éclate sur votre visage.
- SAPIENCE.→
- En vain vous me flattez; nous ne céderons pas à vos séductions.
- HADRIEN.→
- Dites-moi ce qui vous amène et pourquoi vous venez parmi nos concitoyens.
- SAPIENCE.→
- La seule cause de mon voyage est le désir de connaître la vérité, d’apprendre plus à fond la croyance que vous combattez, et de consacrer mes filles au Christ.
- HADRIEN.→
- Apprenez-moi le nom de chacune d’elles.
- SAPIENCE.→
- La première s’appelle Foi, la seconde Espérance et la troisième Charité.
- HADRIEN.→
- Combien ont-elles accompli d’années?
- SAPIENCE.→
- Ne vous plaît-il pas, ô mes filles! que je fatigue cet esprit grossier par quelques problèmes d’arithmétique(86)?
- FOI.→
- Oui, ma mère, et nous vous prêterons l’oreille avec grand plaisir.
- SAPIENCE.→
- O empereur! puisque vous désirez savoir l’âge de ces jeunes filles, Charité a accompli un nombre d’années diminué pairement pair; Espérance un nombre aussi diminué, mais pairement impair; Foi, au contraire, un nombre superflu et impairement pair.
- HADRIEN.→
- Par une semblable réponse, vous me laissez complétement ignorer ce que je vous demandais.
- SAPIENCE.→
- Cela n’est pas étonnant, car une définition de cette sorte ne s’applique pas à un seul nombre, mais à plusieurs.
- HADRIEN.→
- Expliquez-vous avec plus de clarté; sans cela, mon esprit ne vous peut comprendre.
- SAPIENCE.→
- Charité a vu la révolution de deux olympiades, Espérance de deux lustres et Foi de trois olympiades.
- HADRIEN.→
- Et pourquoi appelez-vous diminué le nombre huit, qui forme deux olympiades, ainsi que le nombre dix, qui compose deux lustres? Enfin, pourquoi le nombre douze, qui contient trois olympiades, reçoit-il le nom de superflu?
- SAPIENCE.→
- C’est qu’on appelle diminué tout nombre dont les parties additionnées forment un total inférieur au nombre qu’elles composent, comme 8, par exemple; car la moitié de 8 est 4, le quart 2 et le huitième 1; or 4, 2 et 1 réunis font 7. De même, la moitié de 10 est 5, le cinquième 2, le dixième 1; additionnez, vous obtiendrez 8. On appelle, au contraire, superflu le nombre dont les parties additionnées forment un total supérieur à ce nombre même, comme 12. En effet, la moitié de 12 est 6, le tiers 4, le quart 3, le sixième 2, le douzième 1, lesquels additionnés donnent 16. Et pour ne point passer sous silence le nombre principal, qui tient le milieu entre les deux inégalités contraires, on appelle parfait le nombre que ses parties additionnées reproduisent exactement, sans différence en plus ni en moins, comme 6, dont les parties, c’est-à-dire 3, 2 et 1, forment le nombre 6. Par la même raison, 28, 496 et 8128 sont des nombres parfaits(87).
- HADRIEN.→
- Et les autres nombres?
- SAPIENCE.→
- Sont ou superflus ou diminués.
- HADRIEN.→
- Quel est le nombre pairement pair?
- SAPIENCE.→
- Celui qu’on peut diviser en deux parties égales, qui elles-mêmes peuvent se diviser en deux autres parties, et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’on atteigne l’unité indivisible, comme 8, 16 et les nombres qu’on obtient en doublant ceux-là.
- HADRIEN.→
- Et quel est le nombre pairement impair?
- SAPIENCE.→
- Celui qu’on peut diviser en parties égales, lesquelles sont indivisibles, comme 10 et tous les nombres qu’on obtient en doublant un nombre impair; car ce nombre est d’une nature contraire à celui dont nous venons de parler, en ce sens que dans le premier (le pairement pair), le terme mineur est divisible, et que dans le second (le pairement impair), le terme majeur peut seul être divisé. De plus, dans celui-là toutes les parties sont pairement paires, quant à la dénomination et à la quantité des parties; et dans celui-ci, lorsque la dénomination est paire, la quantité des parties est impaire, et si la quantité des parties est paire, la dénomination est impaire.
- HADRIEN.→
- Je ne sais ce que signifie le mot terme que vous venez d’employer, ni ceux de dénomination ou de quantité des parties.
- SAPIENCE.→
- Lorsque des nombres aussi grands qu’on voudra sont rangés dans un ordre croissant, le premier est appelé terme mineur et le dernier terme majeur; et lorsque faisant une division nous disons que tel nombre forme telle partie d’un autre nombre, nous faisons une dénomination(88); et quand nous énumérons combien il y a d’unités dans chaque partie, nous exposons ce qu’on appelle la quantité des parties.
- HADRIEN.→
- Et quel est le nombre impairement pair?
- SAPIENCE.→
- Celui qui est non-seulement divisible une fois, mais deux fois, trois fois et plus, comme le nombre pairement pair, et dont cependant la division ne peut descendre jusqu’à l’unité indivisible.
- HADRIEN.→
- Oh! quelle difficile et inextricable question s’est élevée à propos de l’âge de ces petites filles!
- SAPIENCE.→
- C’est en cela qu’il faut admirer la suprême sagesse du Créateur et la science merveilleuse de l’auteur de l’univers, qui non-seulement au commencement des choses a créé le monde du néant, et en a disposé toutes les parties avec nombre, équilibre et mesure; mais qui encore nous a permis d’arriver à l’admirable connaissance des arts, à travers la série des temps et des générations qui se succèdent.
- HADRIEN.→
- Longtemps j’ai supporté vos divagations, dans l’espoir que je vous trouverais plus docile.
- SAPIENCE.→
- A quoi?
- HADRIEN.→
- Au culte des dieux.
- SAPIENCE.→
- Je n’y consens pas, assurément.
- HADRIEN.→
- Si vous résistez, vous subirez la torture.
- SAPIENCE.→
- Vous pourrez tourmenter mon corps par des supplices; mais vous n’aurez pas le pouvoir de forcer mon âme à fléchir.
- ANTIOCHUS.→
- Le jour disparaît, la nuit étend ses voiles; ce n’est plus le moment de discuter, car l’heure du souper est venue.
- HADRIEN.→
- Qu’on enferme ces femmes dans la prison attenante au palais. Je leur accorde trois jours pour réfléchir.
- ANTIOCHUS.→
- Soldats! veillez soigneusement sur elles, et ne leur laissez aucune occasion de s’évader.
SCÈNE IV.→
SAPIENCE, FOI, ESPÉRANCE ET CHARITE.
- SAPIENCE.→
- O mes tendres filles, enfants bien aimées! que le séjour de cette étroite prison ne vous contriste pas! que les menaces d’un prochain supplice ne vous inspirent point d’effroi!
- FOI.→
- Nos faibles corps pourront pâlir devant les tortures; mais nos âmes ne cesseront d’aspirer à la récompense céleste.
- SAPIENCE.→
- Que la maturité de votre courageuse raison triomphe de la faiblesse enfantine de votre âge.
- ESPÉRANCE.→
- C’est à vous de nous aider de vos prières, pour que nous puissions vaincre.
- SAPIENCE.→
- Ma prière continuelle et la plus instante est de vous voir persévérer dans la foi, qu’au milieu même des jouets de l’enfance je n’ai cessé de faire pénétrer dans votre entendement.
- CHARITÉ.→
- Ce qu’enfants à votre mamelle nous avons appris dans notre berceau, nous ne pourrons jamais l’oublier.
- SAPIENCE.→
- Je vous ai nourries de mon lait maternel, je vous ai prodigué les plus tendres soins, dans la pensée de vous donner, non à un époux terrestre, mais à l’époux céleste, et de mériter, à cause de vous, le titre de belle-mère du roi éternel.
- FOI.→
- Pour l’amour de cet époux, nous sommes toutes prêtes à mourir.
- SAPIENCE.→
- J’ai plus de plaisir à vous voir dans cette disposition qu’à savourer le plus doux nectar(89).
- ESPÉRANCE.→
- Envoyez-nous devant le tribunal du juge, et vous verrez combien l’amour de cet époux nous donnera d’intrépidité.
- SAPIENCE.→
- Mon plus vif désir est de me parer de la couronne de votre virginité et de la gloire de votre martyre.
- CHARITÉ.→
- Marchons en enlaçant nos mains, et faisons rougir le front du tyran!
- SAPIENCE.→
- Attendez que vienne l’heure où l’on nous appellera.
- FOI.→
- Quoique les retards nous soient pénibles, nous devons nous résigner à attendre.
SCÈNE V.→
HADRIEN, ANTIOCHUS, ensuite SAPIENCE, FOI, ESPÉRANCE ET CHARITÉ.
- HADRIEN.→
- Antiochus, faites venir devant nous ces captives grecques.
- ANTIOCHUS.→
- Approchez, Sapience, et comparaissez devant l’empereur avec vos filles.
- SAPIENCE.→
- Marchez courageusement avec moi, mes filles; unies de cœur, persévérez dans la foi, afin de pouvoir obtenir heureusement la palme du martyre.
- ESPÉRANCE.→
- Marchons; nous aurons à nos côtés pour compagnon celui pour l’amour duquel on nous mène à la mort.
- HADRIEN.→
- Notre Sérénité vous a accordé trois jours; si vous avez su mettre ce délai à profit, cédez à nos ordres.
- SAPIENCE.→
- Ce délai nous a été très-profitable; il nous a affermies dans la résolution de ne vous point obéir.
- ANTIOCHUS à Hadrien.→
- Pourquoi daignez-vous parler à cette femme obstinée, qui vous fatigue de son insolente présomption?
- HADRIEN.→
- Dois-je donc la renvoyer impunie?
- ANTIOCHUS.→
- Non, assurément.
- HADRIEN.→
- Et que ferai-je?
- ANTIOCHUS.→
- Exhortez ces jeunes filles; et si elles vous résistent, sans pitié pour leur âge, faites-les périr. La vue de la mort de ses enfants sera le plus cruel supplice pour cette mère rebelle.
- HADRIEN.→
- Je ferai ce que vous me conseillez.
- ANTIOCHUS.→
- Vous n’avez que ce moyen de la dompter.
- HADRIEN.→
- Foi, regardez cette image vénérable de la grande Diane, et offrez des libations à la déesse, afin d’obtenir sa protection.
- FOI.→
- O l’absurde commandement de l’empereur, et bien digne de tout mon mépris!
- HADRIEN.→
- Que murmurez-vous d’un air railleur? De qui vous moquez-vous, en fronçant le sourcil?
- FOI.→
- Je me ris de votre sottise, je me moque de votre folie.
- HADRIEN.→
- De ma folie?
- FOI.→
- De votre folie.
- ANTIOCHUS.→
- De la folie de l’empereur?
- FOI.→
- De lui-même.
- ANTIOCHUS.→
- O crime!
- FOI.→
- Que peut-on voir de plus absurde, de plus insensé? Il nous exhorte à adorer un vil métal, au mépris du Créateur de l’univers!
- ANTIOCHUS.→
- Foi, vous extravaguez.
- FOI.→
- Antiochus, vous mentez.
- ANTIOCHUS.→
- N’est-ce pas le comble de l’extravagance et du délire, que de traiter d’insensé le maître du monde?
- FOI.→
- Je l’ai dit, je le répète, et je le redirai aussi longtemps que je vivrai.
- ANTIOCHUS.→
- Ce temps sera court; vous allez mourir sur-le-champ.
- FOI.→
- Je ne souhaite que la mort en Jésus-Christ.
- HADRIEN.→
- Que douze centurions lui déchirent les membres à coups de fouet; s’ils sont fatigués, qu’ils se relayent.
- ANTIOCHUS.→
- Elle mérite ce châtiment.
- HADRIEN.→
- Braves centurions! approchez, et vengez l’insulte qu’elle m’a faite.
- ANTIOCHUS.→
- La justice le commande.
- HADRIEN.→
- Demandez-lui, Antiochus, si elle veut céder.
- ANTIOCHUS.→
- Foi, persistez-vous à vouloir insulter l’empereur avec vos torrents d’injures accoutumées?
- FOI.→
- Pourquoi moins à présent que d’ordinaire?
- ANTIOCHUS.→
- Parce que les coups de fouet vous en empêcheront.
- FOI.→
- Vos coups ne peuvent me contraindre au silence, car ils ne me font aucun mal.
- ANTIOCHUS.→
- O déplorable obstination! incorrigible audace!
- HADRIEN.→
- Son corps succombe sous les supplices, et son âme est toujours gonflée d’orgueil.
- FOI.→
- Vous vous trompez, Hadrien, si vous croyez lasser mon courage par les tortures; ce n’est pas moi, ce sont vos faibles bourreaux qui succombent; la fatigue inonde leurs membres de sueur.
- HADRIEN.→
- Antiochus, ordonnez qu’on lui coupe les seins; peut-être que la honte la fera céder.
- ANTIOCHUS.→
- O plût aux dieux qu’il y eût un moyen de la contraindre!
- HADRIEN.→
- Peut-être se soumettra-t-elle.
- FOI.→
- Vous avez déchiré mon chaste sein; mais vous ne m’avez pas blessée. Voyez, au lieu de sang, il en jaillit une source de lait.
- HADRIEN.→
- Qu’on l’étende sur un gril placé au-dessus d’un feu ardent, pour que la violence de la chaleur la brûle et l’étouffe.
- ANTIOCHUS.→
- Elle est digne de la mort la plus misérable, cette fille obstinée, qui ne craint pas de résister à vos ordres.
- FOI.→
- Tout ce que vous inventez pour me faire souffrir se change pour moi en douceur et en repos. Je me trouve aussi commodément étendue sur ce gril que dans une barque tranquille.
- HADRIEN.→
- Mettez sur ce brasier ardent une chaudière pleine de poix et de cire, et plongez cette fille rebelle dans le liquide bouillant.
- FOI.→
- Je m’y précipite moi-même.
- HADRIEN.→
- J’y consens.
- FOI.→
- Que deviennent vos menaces? Voyez, je nage en me jouant et sans blessure dans ce liquide enflammé. Au lieu de brûlures, je ressens la douce fraîcheur de la rosée du matin.
- HADRIEN.→
- Antiochus, que faire après cela?
- ANTIOCHUS.→
- Il faut empêcher qu’elle n’échappe.
- HADRIEN.→
- Qu’on lui tranche la tête.
- ANTIOCHUS.→
- Vous ne pourrez la vaincre autrement.
- FOI.→
- Le moment est venu de me réjouir, et de triompher dans le Seigneur.
- SAPIENCE.→
- Christ, vainqueur tout-puissant du démon, donne à ma fille la force de supporter jusqu’au bout la douleur.
- FOI.→
- O ma vénérable mère! dites un dernier adieu à votre enfant; donnez un baiser à l’aînée de vos filles, et ne vous abandonnez à aucune tristesse de cœur, car je vais recevoir la couronne de l’éternité.
- SAPIENCE.→
- O ma fille, ma fille! je n’éprouve ni trouble, ni chagrin; au contraire, je te dis adieu avec allégresse; je baise tes yeux et tes joues en pleurant de joie, et je prie le ciel que, sous le fer du bourreau, tu conserves intact le mystère de ton nom.
- FOI.→
- O mes sœurs sorties du même sein! donnez-moi le baiser de paix, et préparez-vous à soutenir le combat qui approche.
- ESPÉRANCE.→
- Aidez-nous continuellement de vos prières, pour que nous méritions de suivre vos traces.
- FOI.→
- Soyez dociles aux conseils de notre sainte mère, qui nous a toujours enseigné le mépris des biens présents, pour mériter de jouir de ceux qui n’ont pas de fin.
- CHARITÉ.→
- Nous obéissons de grand cœur aux avis de notre mère, qui nous feront obtenir la félicité éternelle.
- FOI.→
- Avance, bourreau, et remplis l’office qui t’est imposé, en me donnant la mort.
- SAPIENCE.→
- O Christ! en embrassant la tête coupée de ma fille expirante, en la couvrant de mes plus tendres baisers, je vous remercie d’avoir accordé la victoire à cette faible vierge.
- HADRIEN.→
- Espérance, cédez à mes exhortations; je vous le conseille avec les sentiments d’un père.
- ESPÉRANCE.→
- A quoi m’exhortez-vous? Que me conseillez-vous?
- HADRIEN.→
- Je vous conseille de ne pas imiter l’obstination de votre sœur, afin de ne point mourir dans les mêmes supplices.
- ESPÉRANCE.→
- Puisse Dieu m’accorder d’imiter son courage, pour que j’obtienne un prix égal au sien!
- HADRIEN.→
- Déposez cette dureté de cœur, prosternez-vous et offrez de l’encens à la grande Diane; et je vous élève aux honneurs et je vous comble de tendresse, comme mes propres enfants.
- ESPÉRANCE.→
- Je répudie les sentiments de père que vous m’offrez; vos bienfaits n’excitent nullement mes désirs; aussi vous flattez-vous d’un vain espoir, si vous pensez que je vous cède.
- HADRIEN.→
- Ménagez vos paroles, pour ne pas m’irriter.
- ESPÉRANCE.→
- Je me soucie peu de votre colère.
- ANTIOCHUS.→
- Je m’étonne, auguste empereur, de vous voir supporter si longtemps les injures de cette jeune fille. Pour moi, je sens éclater ma fureur, quand je l’entends aboyer aussi insolemment contre vous.
- HADRIEN.→
- Jusqu’ici j’ai eu pitié de son enfance; mais je ne l’épargnerai pas davantage, et je lui infligerai le châtiment qu’elle mérite.
- ANTIOCHUS.→
- Oh! plût aux dieux!
- HADRIEN.→
- Licteurs, approchez et déchirez à coups de fouet cette fille rebelle, jusqu’à ce qu’elle expire.
- ANTIOCHUS.→
- Il convient qu’elle ressente les effets de votre sévérité, puisqu’elle dédaigne le bienfait de votre indulgence.
- ESPÉRANCE.→
- Je souhaite cette douceur; je désire cette indulgence.
- ANTIOCHUS.→
- O Sapience, quelles paroles murmurez vous, les yeux levés au ciel, et debout auprès du corps inanimé de votre fille?
- SAPIENCE.→
- J’invoque le Créateur de l’univers pour qu’il accorde à Espérance autant de fermeté et de courage qu’il en a donné à sa sœur.
- ESPÉRANCE.→
- O ma mère, ma mère! j’éprouve en ce moment combien vos prières sont efficaces. Elles sont exaucées: voyez, pendant que vous priez, les bourreaux hors d’haleine me frappent à coups redoublés, et je ne sens aucune atteinte.
- HADRIEN.→
- Si vous êtes insensible aux coups de fouet, nous vous infligerons des supplices plus pénétrants.
- ESPÉRANCE.→
- Employez, employez tout ce que vous pourrez inventer d’atroce et de mortel! plus vous aurez été cruel, plus grande sera la confusion de votre défaite.
- HADRIEN.→
- Qu’on la suspende en l’air, et qu’on la déchire avec des ongles de fer, jusqu’à ce que, les entrailles arrachées et les os mis à nu, elle expire membre par membre.
- ANTIOCHUS.→
- Ordre digne d’un empereur, et punition proportionnée au délit!
- ESPÉRANCE.→
- Antiochus, vous parlez avec la fausseté du renard, et vous flattez avec l’astuce du caméléon.
- ANTIOCHUS.→
- Silence, malheureuse! il est temps de mettre fin à votre bavardage.
- ESPÉRANCE.→
- L’événement trompera votre espoir. Vous et votre maître, vous allez être couverts de confusion.
- HADRIEN.→
- Qu’est ceci? Je sens une odeur nouvelle et suave; je respire un parfum d’une surprenante douceur.
- ESPÉRANCE.→
- Les lambeaux de mon corps déchiré exhalent les plus délicieux aromes du Paradis, pour vous contraindre à confesser, en dépit de vous-même, que vos supplices me trouvent invulnérable.
- HADRIEN.→
- Antiochus, que dois-je faire?
- ANTIOCHUS.→
- Il faut avoir recours à de nouvelles tortures.
- HADRIEN.→
- Qu’on pose sur ce brasier un vase d’airain rempli d’huile et de graisse, de cire et de poix, et qu’on l’y plonge, les pieds et les mains liés.
- ANTIOCHUS.→
- Si on la livre au pouvoir de Vulcain, peut-être ne trouvera-t-elle pas d’issue pour lui échapper.
- ESPÉRANCE.→
- Le Christ a prouvé souvent qu’il a le pouvoir d’ôter au feu sa violence et de changer sa nature.
- HADRIEN.→
- Qu’est-ce? Antiochus, j’entends comme le bruit d’un torrent qui cause une inondation.
- ANTIOCHUS.→
- Hélas! hélas! seigneur.
- HADRIEN.→
- Que nous est-il arrivé?
- ANTIOCHUS.→
- L’eau bouillante a fait éclater le vase; elle a brûlé vos serviteurs, et cette magicienne est demeurée sans blessure.
- HADRIEN.→
- Je le confesse, nous sommes vaincus.
- ANTIOCHUS.→
- Complétement.
- HADRIEN.→
- Qu’on lui tranche la tête.
- ANTIOCHUS.→
- C’est le seul moyen de lui ôter la vie.
- ESPÉRANCE.→
- O Charité! ô ma sœur bien-aimée et maintenant unique, ne vous effrayez pas des menaces de ce tyran; ne redoutez pas les supplices; tâchez d’imiter l’inébranlable fidélité de vos sœurs, qui vous précèdent dans le palais du ciel.
- CHARITÉ.→
- Je n’ai que dégoût pour la vie présente, dégoût pour cette habitation terrestre, qui me sépare encore de vous pour un peu de temps.
- ESPÉRANCE.→
- Oubliez ces dégoûts, et ne pensez qu’à la palme que vous allez cueillir; car nous ne serons pas longtemps séparées, et nous allons tout à l’heure être réunies dans le ciel.
- CHARITÉ.→
- Arrive, arrive ce moment!
- ESPÉRANCE.→
- Courage et joie, ô mon illustre mère! Que la douleur de mon martyre n’afflige pas votre cœur maternel. L’espoir doit l’emporter sur la tristesse, quand vous me voyez mourir pour le Christ.
- SAPIENCE.→
- Oui, je me livre à la joie; mais cette joie pourtant ne sera complète que lorsque j’aurai envoyé au ciel votre plus jeune sœur, morte pour la même cause que vous, et que je vous suivrai la dernière.
- ESPÉRANCE.→
- La Trinité immortelle vous rendra pour l’éternité autant de filles que vous en aurez perdu.
- SAPIENCE.→
- Affermissez votre courage, ma fille; le bourreau s’élance vers nous l’épée nue.
- ESPÉRANCE.→
- Je me livre avec joie au glaive; et vous, Christ, recevez mon âme, qui, pour confesser votre nom, est chassée de son habitation corporelle.
- SAPIENCE.→
- O Charité, ma sainte fille, aujourd’hui unique espoir de mes flancs, n’affligez pas votre mère, qui attend une heureuse issue du combat que vous allez soutenir. Méprisez le bien-être présent, pour parvenir à la joie éternelle, dans laquelle déjà vos sœurs resplendissent couronnées de leur virginité sans tache.
- CHARITÉ.→
- Mère, soutenez-moi par vos saintes prières, jusqu’au moment où j’aurai mérité de partager les joies de mes sœurs!
- SAPIENCE.→
- Je demande à Dieu que vous persévériez jusqu’au bout dans la foi, et je ne doute pas que vous ne soyez admise aux fêtes éternelles.
- HADRIEN.→
- Charité, je suis excédé de l’insolence de vos sœurs et fort courroucé de leurs prolixes arguties. Je ne disputerai donc pas longuement avec vous. Si vous obtempérez à mes désirs, je vous comblerai de toutes sortes de biens; si vous me résistez, je vous accablerai de mille maux.
- CHARITÉ.→
- C’est le bien que j’embrasse de toute mon âme; j’ai le mal en horreur.
- HADRIEN.→
- Rien ne peut vous être plus salutaire et n’est plus propre à m’apaiser. Aussi, dans ma clémence, je n’exigerai de vous qu’une chose très-facile.
- CHARITÉ.→
- Quoi?
- HADRIEN.→
- Dites seulement: «Grande Diane!» et je ne vous force plus à lui sacrifier.
- CHARITÉ.→
- Très-certainement je ne le dirai pas.
- HADRIEN.→
- Pourquoi?
- CHARITÉ.→
- Parce que je ne veux point mentir. Mes sœurs et moi, nous sommes nées des mêmes parents, nous avons reçu l’onction des mêmes sacrements; nous nous reposons fermes et constantes dans une seule et même foi. Sachez donc que nous n’avons aussi qu’une seule volonté, une seule et même manière de sentir et de connaître nos devoirs, et que jamais je ne diffèrerai d’elles en rien.
- HADRIEN.→
- O honte! une si jeune et si faible créature me brave!
- CHARITÉ.→
- Quoique je sois d’un âge bien tendre, je suis cependant assez savante pour vous confondre par mes arguments.
- HADRIEN.→
- Emmenez-la, Antiochus; faites-la hisser sur un chevalet, et qu’on la batte de verges sans pitié.
- ANTIOCHUS.→
- Je crains que les coups ne puissent point la faire céder.
- HADRIEN.→
- S’il en est ainsi, que pendant trois jours et trois nuits on tienne une fournaise continuellement allumée, et qu’on la jette au milieu des flammes.
- CHARITÉ.→
- O impuissance de ce juge, qui craint de ne pouvoir vaincre un enfant de huit ans sans le secours du feu!
- HADRIEN.→
- Allez, Antiochus, et exécutez l’ordre dont je vous ai chargé.
- CHARITÉ.→
- Oui, il obéira et fera ce que votre cruauté exige; mais il ne me causera aucun mal: car les coups ne pourront déchirer mon faible corps, et les flammes ne noirciront ni mes cheveux ni mes vêtements.
- HADRIEN.→
- C’est ce qu’il faudra voir.
- CHARITÉ.→
- Soit; vous verrez.
SCÈNE VI.→
HADRIEN, ANTIOCHUS.
- HADRIEN.→
- Antiochus, quel mal vous est-il arrivé? Pourquoi revenez-vous plus triste que de coutume?
- ANTIOCHUS.→
- Vous ne serez pas moins affligé que moi, quand vous connaîtrez la cause de ma tristesse.
- HADRIEN.→
- Parlez, ne me cachez rien.
- ANTIOCHUS.→
- Cette fille impudente que vous m’aviez donnée à torturer, a été flagellée en ma présence; mais elle n’a pas même eu l’épiderme effleuré. Ensuite, je l’ai fait jeter dans une fournaise, que l’excès de la chaleur avait fait devenir rouge....
- HADRIEN.→
- Pourquoi hésitez-vous à continuer. Exposez-moi la fin de tout ceci.
- ANTIOCHUS.→
- La flamme s’est élancée, et a consumé cinq mille hommes.
- HADRIEN.→
- Et que lui est-il arrivé?
- ANTIOCHUS.→
- A Charité?
- HADRIEN.→
- Oui.
- ANTIOCHUS.→
- Elle se promenait, comme en se jouant, au milieu des tourbillons de flammes et de fumée, et chantait les louanges de son Dieu. Ceux qui l’ont observée avec le plus d’attention, prétendaient que trois jeunes hommes vêtus de blanc se promenaient avec elle.
- HADRIEN.→
- Je rougirais de la rappeler en ma présence, puisque je n’ai pas le pouvoir de la punir.
- HADRIEN.→
- Faites-le sans différer.
SCÈNE VII.→
ANTIOCHUS, CHARITÉ, SAPIENCE, LE BOURREAU.
- ANTIOCHUS.→
- Charité, découvrez votre tête aussi dure que le marbre, et livrez-la à l’épée du bourreau.
- CHARITÉ.→
- Pour cela, loin de vous résister, j’obéis avec joie à vos ordres.
- SAPIENCE.→
- C’est à présent, ma fille, à présent qu’il faut nous réjouir dans le Christ. Pour moi, je n’ai plus aucun souci au cœur, assurée comme je le suis de votre victoire.
- CHARITÉ.→
- Donnez-moi un baiser, ma mère, et recommandez au Christ mon âme qui doit retourner vers lui.
- SAPIENCE.→
- Que celui qui vous a donné la vie dans mes entrailles daigne reprendre votre âme, souffle céleste, qu’il a fait descendre en vous.
- CHARITÉ.→
- Gloire vous soit rendue, ô Christ, qui m’appelez à vous avec la palme du martyre!
- SAPIENCE.→
- Adieu, ma fille bien-aimée; et, lorsque dans le ciel tu seras l’épouse du Christ, souviens-toi de ta mère, qui t’a enfantée quand déjà tes sœurs aînées avaient épuisé ses forces.
SCÈNE VIII.→
SAPIENCE, MATRONES ROMAINES, les corps des trois jeunes filles.
- SAPIENCE.→
- Venez, illustres matrones, et ensevelissez avec moi les restes mortels de mes filles.
- LES MATRONES.→
- Nous répandons des aromates sur ces corps délicats, et nous leur rendons les honneurs funèbres.
- SAPIENCE.→
- Grande est la bonté, admirable est la compassion que vous me témoignez à moi et à mes mortes.
- LES MATRONES.→
- Nous faisons avec dévouement tout ce qui peut alléger votre peine.
- SAPIENCE.→
- Je n’en doute pas.
- LES MATRONES.→
- Quel lieu avez-vous choisi pour la sépulture?
- SAPIENCE.→
- Un lieu à trois milles de Rome, si la longueur du chemin ne vous effraie pas.
- LES MATRONES.→
- Nullement; nous désirons les suivre jusqu’à l’endroit que vous avez choisi.
SCÈNE IX.→
Les mêmes.
- SAPIENCE.→
- Voici le lieu.
- LES MATRONES.→
- Il est convenable pour conserver leurs reliques.
- SAPIENCE.→
- O terre! je te confie ces tendres fleurs nées de mes entrailles; conserve-les avec tendresse dans ton sein formé de même matière qu’elles, jusqu’au jour de la résurrection, où elles reverdiront, je l’espère, avec plus de gloire. Et toi, Christ, remplis, en attendant, leurs âmes des splendeurs célestes, et donne paix et repos à leurs ossements!
- LES MATRONES.→
- Amen.
- SAPIENCE.→
- Je rends grâces à votre humanité pour les consolations que vous m’avez données, après la mort de mes enfants.
- LES MATRONES.→
- Voulez-vous que nous restions ici avec vous?
- SAPIENCE.→
- Non.
- LES MATRONES.→
- Pourquoi ce refus?
- SAPIENCE.→
- De peur que l’intérêt que vous me témoignez ne vous cause trop de fatigue. N’est-ce pas assez que vous ayez passé trois nuits avec moi? Allez en paix, et retournez chez vous heureusement.
- LES MATRONES.→
- Ne voulez-vous pas revenir avec nous à Rome?
- SAPIENCE.→
- Nullement.
- LES MATRONES.→
- Et qu’avez-vous dessein de faire?
- SAPIENCE.→
- De rester ici, pour voir si ma prière et mes vœux seront exaucés.
- LES MATRONES.→
- Que demandez-vous? que désirez-vous?
- SAPIENCE.→
- Seulement de mourir en Jésus-Christ, aussitôt que j’aurai fini ma prière.
- LES MATRONES.→
- Notre devoir est d’attendre, jusqu’à ce que nous vous ayons donné aussi la sépulture.
- SAPIENCE.→
- Faites selon votre désir.—Adonaï Emmanuel, toi qu’avant le commencement des temps la divinité du Créateur de toutes choses a engendré, et qui, dans le temps, es né du sein d’une vierge; toi, dont les deux natures forment miraculeusement un seul Christ, sans que la diversité de ces natures détruise l’unité de ta personne, ni que l’unité de ta personne confonde la diversité des natures; ô Christ! que l’aimable sérénité des anges et la douce harmonie des astres te réjouissent! Que la science de tout ce qu’on peut savoir et que tout ce qui est composé de la matière des éléments, se réunissent pour te louer! car, seul avec le Père et le Saint-Esprit, tu es une forme immatérielle. Par la volonté du Père et la coopération du Saint-Esprit, tu n’as pas dédaigné de te faire homme, passible comme homme, et impassible comme Dieu. Et pour qu’aucun de ceux qui croient en toi ne périssent, et que tous, au contraire, jouissent de la vie éternelle, tu n’as pas dédaigné d’approcher, comme un de nous, tes lèvres de la coupe de mort et de consommer les prophéties par ta résurrection. Dieu parfait, homme véritable, je me rappelle que tu as promis à tous ceux qui, par respect pour ton saint nom, renonceraient à la jouissance des biens terrestres et te préféreraient aux affections de parenté charnelle, qu’ils seraient récompensés au centuple et recevraient pour couronne le don de la vie éternelle(91). Encouragée par cette promesse, j’ai fait ce que tu avais ordonné, et j’ai perdu sans murmure les enfants à qui j’avais donné le jour. Ne tarde donc pas, ô Christ, de tenir fidèlement ta promesse; fais qu’au plus tôt délivrée des liens corporels, j’aie la joie de voir mes filles reçues dans le ciel, elles que, sans balancer, je t’ai offertes en sacrifice, espérant que tandis qu’elles te suivraient, ô agneau de la Vierge, et chanteraient le nouveau cantique, j’aurais la joie de les entendre et de jouir de leur gloire; espérant même que, bien que je ne puisse chanter comme elles le cantique de virginité, je pourrais au moins mériter de te louer avec elles éternellement; ô toi qui n’es point le Père, mais qui es de même nature que lui; qui, avec le Père et le Saint-Esprit, es le seul maître de l’univers, et qui, régulateur unique du système supérieur, moyen et inférieur, règnes et gouvernes pendant la durée infinie des siècles(92)! (Elle expire.)
- LES MATRONES.→
- Recevez-la, Seigneur, dans votre sein! Amen.
FIN.
NOTES
ET
ÉCLAIRCISSEMENTS.
NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENTS.
PROLOGUE.
Note 1, Page 3.
Par ces mots le livre qui précède, Hrotsvitha désigne le recueil de ses légendes en vers, qui remplit les 76 premiers feuillets de ses œuvres dans le manuscrit de la bibliothèque royale de Munich. Ce court avertissement occupe dans le manuscrit une partie du verso de la page 77, entre le premier livre, qui contient les légendes, et le second qui contient les drames. Conrad Celtes, en intervertissant l’ordre du manuscrit et en commençant son édition par les comédies, a détruit le sens de ce petit morceau, qui précède chez lui le poëme sur les Othons, tandis qu’il était destiné à lier le livre des légendes à celui des drames, et devait servir tout à la fois d’épilogue au premier et de prologue au second.
Note 2, Page 3.
Si nous avons placé ici cette espèce d’avis aux lecteurs, c’est surtout pour constater, par la déclaration même de Hrotsvitha, qu’elle n’a aucune prétention à l’invention des sujets qu’elle traite. Bien au contraire, comme tous les poëtes des époques religieuses, elle s’interdit soigneusement de rien inventer, dans la crainte de profaner ce qu’elle vénère. Elle se contente de reproduire, en les ornant avec discrétion, les récits les plus accrédités des agiographes. Aussi, pourrons-nous très-aisément reconnaître et indiquer les sources authentiques où elle a puisé les sujets de ses six drames.
PRÉFACE DES COMÉDIES.
Note 3, Page 5.
Nulle part l’auteur ne donne à ses pièces le nom de comédies. C’est une main plus moderne, probablement celle de Conrad Celtes, qui a inséré dans le manuscrit les mots Præfatio in comœdias. On sait, d’ailleurs, que dans le latin du moyen âge le mot comœdia avait un sens très-étendu et très-complexe, et qu’il s’appliquait plus ordinairement à un récit épique qu’à une action en dialogue. De là le titre de commedia donné par Dante à son épopée.
Note 4, Page 5.
Le manuscrit porte partout Gandesheim, et nous avons respecté cette orthographe dans le texte; mais nous avons dans la traduction adopté Gandersheim, dont l’usage a prévalu.
Note 5, Page 9.
Il faut se garder de confondre ce que Hrotsvitha appelle ses vers héroïques, c’est-à-dire, les huit histoires qu’elle a tirées des légendes, et qui composent le premier livre de ses œuvres, avec le poëme ou panégyrique des Othons, dont un fragment de 837 vers forme la dernière partie du manuscrit de Munich.
ÉPITRE A CERTAINS SAVANTS.
Note 6, Page 11.
Nous trouvons, dès ces premières pages, un exemple frappant du pédantisme et des subtilités aristotéliques, dans lesquels se complaît la docte religieuse. On voit combien elle affectionne la langue de l’école, et qu’elle ne s’abstient même pas de la terminologie la plus prétentieusement scolastique.
GALLICANUS.
Note 7, Page 17.
Le primicier (primus in cera, ou le premier sur le tableau) était, au Bas-Empire, le chef de la chapelle impériale. Il en fut de même chez les princes francs et saxons. Cette dignité répondait à celle de l’officier appelé depuis grand aumônier. Alcuin, dans sa 42e lettre, donne à Angelbert le titre de primicier du palais du roi Pépin. Hrotsvitha suppose Paul et Jean tous les deux primiciers de la princesse Constance, quoiqu’il ne pût y avoir, ce nous semble, auprès d’une même personne, qu’un seul primicier. Notre auteur n’a pas suivi dans ce détail l’autorité des Actes. Ceux-ci font de Paul le præpositus et de Jean le primicerius de la princesse Constance.
Note 8, Page 17.
L’histoire de la conversion de Gallicanus par Paul et Jean est consignée dans les récits de plusieurs agiographes que les Bollandistes ont discutés et insérés dans leur collection, sous la date du 24 juin. Voyez Acta Sanctorum, Junii t. V, p. 35. On ne peut douter que Hrotsvitha n’ait eu sous les yeux une de ces relations. La légende ayant pour titre Acta præfixa passioni S. S. Johannis et Pauli, présente non-seulement une complète ressemblance quant à l’ordre des faits, mais jusqu’à des phrases entières empruntées textuellement par notre auteur. La seconde partie, qui se rapporte à la résistance des deux frères Paul et Jean et à la réaction tentée par l’empereur Julien, est tirée d’une relation qu’on peut lire dans les Bollandistes, sous la date du 25 juin (Acta Sanctorum, Junii t. V, p. 158). On la trouve également dans le martyrologe romain, dans Bede, Usuardus, Ado, etc.
Note 9, Page 19.
J’ai dans cette pièce et dans les suivantes complété la liste des personnages, qui est très-abrégée dans le texte. J’ai, de plus, coupé le dialogue en scènes, et indiqué au commencement de chacune d’elles, le nom des acteurs qui y figurent, suivant l’usage actuel.
Note 10, Page 29.
Jamais l’auteur n’indique le lieu de la scène, qui d’ailleurs change fort souvent. L’usage des tapisseries, très-répandu au Xe siècle, rendait les changements de décorations assez faciles. J’ajouterai qu’alors, comme aux XVIe et XVIIe siècles, l’imagination des spectateurs dut suppléer facilement à l’imperfection de la mise en scène. Les graves personnages réunis pour ces pieux divertissements dans la grande salle du Chapitre de Gandersheim, ne durent pas se montrer plus exigeants que les turbulents spectateurs du théâtre du Globe à Londres ou du théâtre Del Principe à Madrid.
Note 11, Page 31.
Peut-être serais-je entré davantage dans l’esprit et la couleur de l’original, en traduisant Gallicanus dux par le duc Gallicanus. En effet, Hrotsvitha se sert volontiers des qualifications introduites par la chancellerie byzantine et par les usages de la féodalité.
Note 12, Page 43.
Les notes indicatives du jeu des acteurs, que les grammairiens grecs appelaient didascalies, se rencontrent, comme on sait, fort rarement dans les ouvrages dramatiques anciens. Ces indications de mise en scène sont également fort peu nombreuses dans le théâtre de Hrotsvitha. Cependant, nous en signalerons dans Gallicanus deux, qui ont échappé à Celtes. Nous attachons, pour notre part, une grande importance à ces didascalies, parce qu’elles prouvent, de la manière la plus formelle, que ces drames n’ont pas été écrits seulement pour la lecture, comme le prétend M. Price, un des récents éditeurs de Warton (History of English poetry, édit. de 1824, t. II, p. 68).
Note 13, Page 47.
Le mot ingenuitas a deux sens: vertu, puis noblesse de race. J’ai préféré dans ce passage la première de ces significations, parce que l’humilité toute chrétienne de la princesse qui l’emploie, ne permet pas de supposer qu’elle attachât un grand prix aux avantages de la naissance. Par la raison contraire, dans la dernière comédie de Hrotsvitha, intitulée Sapience, où l’empereur Hadrien se sert du même mot, j’ai cru devoir préférer la seconde acception. Voyez p. 390.
Note 14, Page 51.
Voici une nouvelle indication d’un jeu de théâtre.
Note 15, Page 55.
Le lieu de la scène change ici brusquement; nous passons, en un clin d’œil, des rues de Rome dans les campagnes de la Thrace, près de Philippopolis, où, suivant les Actes et Eusèbe (Vit. Constantini, lib. IV, cap. 5–7) eut lieu la bataille gagnée par Gallicanus sur les Sarmates. On voit que Hrostvitha n’a imité de Térence ni l’unité de lieu, ni l’unité de temps. La nouvelle forme de drame qu’elle emploie, est, en quelque sorte, narrative et calquée sur les légendes. Cette forme a commencé, chose remarquable, à se montrer dans les premiers essais dramatiques, tirés des traditions chrétiennes ou bibliques, et elle est restée celle de Lope de Vega, de Calderon, de Shakespeare et de Schiller.
Note 16, Page 57.
C’est ici une allusion au fameux labarum de Constantin: In hoc signo vinces.
Note 17, Page 61.
Hrotsvitha, toujours préoccupée de plaire aux yeux, ménage aux spectateurs l’appareil d’un triomphe romain.
Note 18, Page 67.
C’est le mot de Jules César renversé: Veni, vidi, vici.
Note 19, Page 81.
Ce projet de répartition charitable est emprunté textuellement aux Actes; mais il n’est pas moins surprenant que Hrotsvitha n’ait ajouté aux dispositions de Gallicanus aucune libéralité pour les églises ou les couvents. Une semblable réserve a lieu d’étonner de la part d’une religieuse, qui écrivait un peu avant l’an 1000. Nous aurons occasion de renouveler cette remarque.
DEUXIÈME PARTIE DE GALLICANUS.
Note 20, Page 85.
Le premier éditeur de Hrotsvitha, Conrad Celtes, a intitulé cette seconde partie Actus secundus, sans y être autorisé par aucune indication du manuscrit. J’ai rejeté cette division, avant même d’avoir eu sous les yeux la copie du manuscrit de Munich (voy. Revue des Deux-Mondes, numéro du 15 novembre 1839 et Biographie universelle, supplément, t. 67, p. 388). Je pensais, comme J. Chr. Gottsched (Nöthiger Vorrath zur Geschichte der deutschen dramatischen Dichtkunst, t. II, p. 19), que l’histoire de Gallicanus et le martyre de Jean et Paul formaient deux drames séparés, 1o parce qu’il y a dans le manuscrit, avant le martyre de Jean et Paul, une nouvelle liste de personnages; 2o que le soi-disant premier acte se termine par la formule finale amen, qui dans les pièces religieuses du moyen âge correspond au plaudite des comédies païennes. J’ajoute que les Actes de Gallicanus et de Jean et Paul, qui sont réunis en une même relation, ont été cependant coupés dans les Acta Sanctorum et séparés par l’intervalle d’un jour dans les cérémonies de l’Église. Je pense, en définitive, que Hrotsvitha a tiré de cette légende complexe, non pas un drame en deux actes, mais deux pièces, qui se suivent à peu près comme dans Shakspeare les diverses parties de Henri IV. Si même je n’ai pas fait de Gallicanus et du martyre de Jean et Paul deux œuvres entièrement distinctes, c’est que ces deux pièces ont un argument qui leur est commun et qui les lie, jusqu’à un certain point, l’une à l’autre.
Note 21, Page 87.
Cette raillerie sacrilége de l’empereur Julien est mot pour mot dans la légende.
Note 22, Page 89.
Les gardes parlent ici par antiphrase, selon la coutume superstitieuse des anciens, qui avaient grand soin de supprimer toutes paroles de mauvais augure.
Note 23, Page 89.
Ces détails sont empruntés aux mœurs féodales. Hrotsvitha songeait aux forteresses des vassaux indépendants.
Note 24, Page 101.
Cette scène a été fidèlement et élégamment traduite par M. Villemain, dans son Tableau de la littérature au moyen âge (Paris, 1830, t. II, p. 252). C’est un modèle achevé, que nous aurions été heureux de pouvoir suivre de loin. «Hrotsvitha, dit l’éloquent critique, fait habilement parler Julien. Il y a là un sentiment vrai de l’histoire. Julien ne se montre pas un féroce et stupide persécuteur comme l’auraient imaginé les légendaires du VIe siècle....» Je regrette d’avoir à atténuer un peu cet éloge donné à Hrotsvitha par un aussi excellent juge; mais la vérité m’oblige à dire que les meilleurs traits du dialogue entre Julien et les deux martyrs appartiennent au légendaire.
Note 25, Page 109.
Ce passage soudain de la frénésie à la raison offrait à la religieuse chargée de représenter le fils de Térentianus l’occasion d’un jeu muet, qui devait être plein d’énergie et d’expression. Hrotsvitha, en ne mettant pas une seule parole dans la bouche du jeune démoniaque, a montré combien elle se reposait sur la puissance de la pantomime, et prouvé, une fois de plus, qu’elle ne cherchait pas moins à faire impression sur les yeux que sur l’esprit.
Note 26, Page 109.
Nous avons ajouté la formule finale, qui manque dans le manuscrit.
DULCITIUS.
Note 27, Page 113.
Le sujet de la seconde pièce de Hrotsvitha est pris dans les Actes du martyre des trois sœurs (Acta trium sororum), légende fort répandue au moyen âge dans les églises grecque et latine. Le recueil des Bollandistes contient sous la date des 3 et 5 avril (Aprilis t. I, p. 245 et 250): 1o une notice des divers agiographes latins et grecs qui ont raconté en prose et même en vers la passion des trois vierges, mises à mort à Thessalonique l’an 290, par ordre de Dioclétien; 2o le récit latin de ce martyre, extrait des Actes très-anciens de sainte Anastasie. Hrotsvitha, dans le drame qu’on va lire, a suivi pas à pas, selon sa coutume, la relation qu’elle avait sous les yeux. Seulement, elle insiste avec une prédilection marquée, sur tout ce qui pouvait exciter le rire, et développe de préférence les suites grotesques de l’incontinence du gouverneur Dulcitius. C’est, je crois, en raison de cette prédominance de la partie comique, que Hrotsvitha a donné pour titre à cette comédie, non pas le nom vénéré des trois héroïques sœurs, mais celui du malencontreux magistrat, dont les déconvenues jettent une si étrange gaieté dans cette pièce tragi-comique.
Note 28, Page 131.
Ce rapprochement bizarre du corps noirci de Dulcitius et de la noirceur de son âme est pris textuellement de la légende.
Note 29, Page 133.
Toutes les mésaventures plaisantes qui assaillent Dulcitius, la méprise des gardes, la colère des huissiers et jusqu’à l’imperturbable et risible confiance qu’il montre dans l’élégance de sa toilette, sont autant de traits d’excellent comique fournis par le légendaire.
Note 30, Page 147.
Cette belle parole se lit dans les Actes.
Note 31, Page 153.
C’est ici pour la seconde fois que nous voyons un cheval introduit sur la scène. Dans Gallicanus, Paul et Jean montent à cheval pour rejoindre le général. Plus loin, nous verrons Abraham chevauchant avec sa nièce. On pensera peut-être qu’il dut être assez difficile aux novices de Gandersheim de représenter le comte Sisinnius demandant à grands cris un cheval, comme Richard III dans Shakespeare, et poursuivant sur sa monture rétive l’innocente Irène. Mais il ne faut pas oublier que le cheval de Sisinnius ne fait que tourner, comme dans un manége, ce qui simplifiait beaucoup les difficultés de cet exercice équestre.—D’ailleurs, la présence des animaux dans les divertissements hiératiques n’était point une chose rare au moyen âge. L’ânesse de Balaam, celle de notre Seigneur le jour des Rameaux, le bœuf et l’âne auprès de la crêche à Noël, étaient les accessoires habituels et nécessaires des cérémonies ecclésiastiques. Quelquefois, il est vrai, par respect pour les saints lieux, ces animaux ne figuraient qu’en effigie. Du Cange a extrait d’un ancien rituel la mention d’une ânesse peinte, qu’on plaçait, le dimanche des Rameaux, auprès du maître-autel, Asina depicta propter altare. De nombreux témoignages nous prouvent que des simulacres représentant le bœuf et l’âne faisaient jadis partie du mobilier de toute église épiscopale ou monastique. On voit donc, sans que j’insiste ici davantage, que la mise en scène de Dulcitius ne dépassait pas les moyens d’exécution dont le drame hiératique était au Xe siècle en mesure de disposer.
Note 32, Page 155.
L’emploi des expressions tirées des superstitions païennes est assez fréquent dans les auteurs ecclésiastiques. On en trouve des exemples jusque dans nos offices. Ce mélange, toutefois, ne se rencontre que rarement dans les écrits de Hrotsvitha.
CALLIMAQUE.
Note 33, Page 159.
L’aventure romanesque et touchante qui fait le sujet de Callimaque, est racontée dans le Ve livre d’un ouvrage dont Fabricius a publié une rédaction latine parmi les apocryphes du Nouveau Testament (Codices apocryph. Nov. Test., t. II, p. 542); je veux parler de l’histoire apostolique d’Abdias, premier évêque de Babylone, ou d’un pseudo-Abdias, traduite en latin par Jules Africain.
Note 34, Page 165.
La docte religieuse prête ici au jeune amoureux et à ses amis le jargon même de l’école. Ce langage sophistiqué qui nous semble si pédantesque, devait être du meilleur air et un signe d’élégance et de bon ton, à cette époque où régnait la scolastique.
Note 35, Page 169.
La citation de Virgile qui termine l’entretien de ces étudiants est bien dans le goût et dans les habitudes des personnages.
Note 36, Page 169.
Il est impossible de ne pas reconnaître dans la scène d’amour qu’on va lire, et surtout dans les faux-fuyants pudiques qu’emploie Drusiana, pour cacher d’assez tendres sentiments sous la colère, les premiers essais tentés dans un genre qui défraie presque uniquement la littérature moderne, et dont on trouverait difficilement des exemples dans l’antiquité, même en les demandant aux poëtes élégiaques.
Note 37, Page 179.
Quoique les unités soient moins complétement violées dans Callimaque que dans les autres pièces de Hrotsvitha, et que l’action ne sorte pas de l’enceinte de la ville d’Édesse, il n’y a guère de scène, cependant, qui n’amène un changement de lieu.
Note 38, Page 183.
Cette apostrophe aux spectateurs, que Celtes a fait disparaître par une correction malheureuse, est une preuve nouvelle et décisive qui témoigne de la représentation de ces drames.
Note 39, Page 185.
Voilà un jeu de scène qui ne peut que donner une idée fort avantageuse de l’habileté du machiniste de Gandersheim.
Note 40, Page 191.
Je ne puis laisser passer sans remarque ce nouveau compliment adressé par l’auteur aux talents du machiniste.
Note 41, Page 203.
Ce sont presque les belles paroles du duc de Guise au siége de Rouen, si heureusement transportées par Voltaire dans le dénoûment d’Alzire:
Les tiens t’ont commandé le meurtre et la vengeance;
Et le mien, quand ton bras vient de m’assassiner,
M’ordonne de te plaindre et de te pardonner.
Note 42, Page 205.
Il échappe ici à la docte théologienne une sorte de contradiction dans les termes; mais le texte est douteux, et il faut peut-être lire, comme j’ai fait plus loin, pages 368 et 446.
Note 43, Page 211.
Cette invitation à passer le reste de la journée dans la joie m’avait porté à penser que ce drame avait été fait et représenté à l’occasion d’une réjouissance séculière, peut-être pour célébrer le mariage de quelque noble protecteur de l’abbaye. Mais on trouve absolument la même conclusion dans la légende. En apprenant que Fortunatus a succombé aux morsures du serpent, saint Jean s’écrie: «Habes filium tuum, diabole!» et le narrateur ajoute: «Illam diem cum fratribus lætam exegit (Abdias, Histor. apostol. lib. V, inter Fabricii Codic. apocryph. Nov. Testam., t. I, p. 557).»
ABRAHAM.
Note 44, Page 217.
Ce drame, le plus pathétique que nous ait laissé Hrotsvitha, est tiré d’Actes que nous possédons tant en grec qu’en latin, et qui portent le nom de saint Éphrem. Plusieurs modernes, entre autres, Vossius et Arnauld d’Andilly, lequel a traduit cette touchante histoire dans ses Vies des Pères des déserts (t. I, p. 271 et 547), l’ont attribué à saint Éphrem, le solitaire, qui devint diacre d’Édesse et qui vivait au IVe siècle. D’autres pensent que les Actes d’Abraham et de Marie sont l’œuvre d’un autre Éphrem un peu postérieur à celui qui, avant d’être diacre, avait été le maître et le compagnon d’Abraham. Voyez, à la date du 16 mars, les Acta Sanctorum (Martii t. I, p. 433).—L’action se passe, d’après les agiographes, tantôt dans une solitude voisine de Lampsaque, sur les bords de l’Hellespont, tantôt dans la ville d’Assos, qui n’en est distante que de deux journées.
Note 45, Page 219.
C’est bien ici Éphrem, le solitaire devenu diacre, dont on peut lire la vie dans Arnauld d’Andilly (Pères des déserts, t. I, p. 294). On attribue à cet ermite plusieurs conversions de courtisanes, qui ont beaucoup de ressemblance avec l’histoire de Paphnuce et de Thaïs.—Hrotsvitha donne à Éphrem un rôle bien plus important que la légende, laquelle ne le cite qu’une ou deux fois en passant.
Note 46, Page 227.
Le caractère de Marie est plus encore que celui de Drusiana, une création de Hrotsvitha. Il est tracé avec beaucoup de naturel et de goût. La légende avait très-peu fait, et notre auteur a développé ce germe avec une véritable science du cœur féminin. Dès les premiers mots que cette jeune fille prononce, on sent dans ses reparties aux exhortations mystiques d’Éphrem, une sorte de matérialité et de sensualité naïves, présage de chute.
Note 47, Page 227.
Il y a dans cette pensée comme un éclair de coquetterie précoce, qui me semble un trait exquis de naturel.
Note 48, Page 229.
Le texte dit tout crument asinum vivit. Cette jeune fille a quelque chose de positif et de matériel, jusque dans l’exaltation religieuse.
Note 49, Page 233.
On pourrait voir dans ce passage une satire indirecte des moines au Xe siècle, si cette particularité ne se trouvait dans la légende: nomine dumtaxat monachus.
Note 50, Page 237.
Hrotsvitha ne laisse guère échapper l’occasion de repasser sur la trace de Virgile.
Note 51, Page 253.
Je ne puis m’empêcher de faire remarquer combien il y a d’art délicat et de grâce pudique dans les paroles à double sens que le bon anachorète prononce durant cette scène et la suivante.
Note 52, Page 261.
La légende indique ici énergiquement le jeu de scène. Elle nous montre Marie perterrefacta... lapidis instar immobilis.—La situation développée dans cette scène est une des plus pathétiques que l’on ait jamais mise au théâtre.
Note 53, Page 267.
Ces belles paroles, qui ne sont qu’indiquées dans le légendaire, rappellent par la pensée, comme par le mouvement, les vers tant applaudis de l’Hamlet de Ducis, et que disait si admirablement Talma:
Mais il n’est pas plus grand que la bonté des cieux.
Note 54, Page 269.
Voilà un blâme formel des dons pieux, regardés comme expiatoires. La légende est en cet endroit beaucoup moins explicite que le drame. Hrotsvitha reviendra encore sur ce blâme; voyez Paphnuce, p. 327 et note 71.
Note 55, Page 271.
Encore un doux souvenir de Virgile. Marie aura bien raison tout à l’heure de remercier le bon ermite de sa tendre compassion. Il est impossible de prêcher la pénitence à un cœur de femme avec une plus douce, plus charitable et plus consolante onction.
Note 56, Page 273.
L’auteur ne dit qu’un mot et ne décrit pas la scène, sans doute parce que le voyage se faisait sous les yeux des spectateurs. La légende, qui n’avait pas la ressource de la représentation, a soin de nous montrer Marie placée sur le cheval d’Abraham, tandis que le vieillard marche devant, conduisant par la bride la monture de sa nièce, à peu près comme on peint le bon saint Joseph et la Vierge, dans les tableaux de la fuite en Égypte.
Note 57, Page 273.
Cette crainte pudique, qu’inspire à Marie la vue du lieu où elle a failli, est un trait charmant de délicatesse féminine; il appartient en propre à Hrotsvitha.
PAPHNUCE.
Note 58, Page 283.
Le succès que n’a pu manquer d’obtenir la comédie si touchante d’Abraham, a probablement engagé Hrotsvitha à donner un pendant à cet ouvrage, que l’argument qu’on vient de lire rappelle avec complaisance. Il lui a été facile de trouver dans les agiographes la légende de Paphnuce, autre ermite convertisseur de pécheresses, légende qui se rapproche et diffère assez de la précédente, pour que Hrotsvitha ait pu entreprendre de la mettre en scène, sans craindre de se répéter. Cette histoire d’une autre Madeleine repentante, si propre à intéresser et à toucher un monastère de femmes, a été brièvement racontée par un écrivain grec antérieur au Ve siècle (voyez Sirlet., Græc. Menol., ap. Canis., Antiq. lection., t. II). Une version latine, dont on ne connaît pas l’auteur, a pris place dans le recueil des Bollandistes, sous la date du 8 octobre (Act. Sanctor., octobr. t. VI, p. 223). Enfin, Arnauld d’Andilly a traduit en français cette courte légende dans ses Vies des Pères des déserts (t. I, p. 541). L’action se passe pendant la première moitié du IVe siècle, d’abord en Égypte, dans l’ermitage de Paphnuce, à l’entrée du désert, puis dans une ville voisine, que notre auteur ne nomme pas, mais que plusieurs agiographes disent être Alexandrie. Plus tard, Hrotsvitha transporte la scène dans la Thébaïde, où saint Antoine s’était retiré avec quelques disciples.
Note 59, Page 287.
Les discussions dont cette scène est remplie nous montrent beaucoup moins un paisible ermitage du IVe siècle, où un simple religieux enseigne d’humbles disciples, qu’une bruyante école du Xe siècle, devant laquelle un subtil controversiste étale les arguties les plus abruptes de la scolastique naissante. En effet, Hrotsvitha, comme les auteurs dramatiques de tous les temps, n’a guère peint que son propre siècle, en croyant faire revivre les siècles passés. Mais, à notre point de vue, de pareils tableaux, vrais en eux-mêmes, et dont la date seule est fautive, n’en sont pas d’un moindre intérêt.
Note 60, Page 291.
Hrotsvitha prend prétexte du mot harmonie, jeté dans sa pédantesque digression sur le monde majeur et le monde mineur, pour faire montre de tout ce qu’elle avait pu apprendre sur la musique, telle qu’on l’enseignait dans les écoles monastiques.
Note 61, Page 291.
Tous ces détails techniques ont été tirés par Hrotsvitha des écrivains alors les plus autorisés. On peut voir l’explication des mots soni excellentes dans le chapitre IX de Martianus Capella et dans Remigius Altisiodorensis (ap. Gerbert., Scriptor. de musica, t. I, p. 65). On trouvera la définition des mots pressi soni dans le chap. VI du traité De musicæ disciplina d’Aurelianus Reomensis, écrivain du IXe siècle, recueilli par Gerbert (Loco citato, p. 35). Notre auteur emploie presque toujours textuellement les expressions de Boëce, qui traite de la musique non-seulement dans ses trois livres De musica, mais dans plusieurs endroits de son arithmétique.
Note 62, Page 293.
Il est singulier que Hrotsvitha qui définit le quadrivium, ne parle pas du trivium. Le quadrivium renfermait, comme on vient de le voir, l’arithmétique, la géométrie, la musique et l’astronomie. Le trivium comprenait la grammaire, la dialectique et la rhétorique. Cette division des études au moyen âge se retrouve à peu près dans notre division actuelle en sciences et lettres. La réunion du trivium et du quadrivium constituait les sept arts libéraux, dont Cassiodore, Boëce et Martianus Capella ont traité avec étendue. Je vois déjà dans Boëce le mot quadrivium (Arithmet., lib. I, cap. 1); d’ailleurs, le partage des arts libéraux en sept branches est de beaucoup antérieur au Ve siècle. On se rappelle la LXXXVIIe épître de Sénèque qui commence ainsi: «De liberalibus studiis quid sentiam scire desideras.» Il fallait que ces notions élémentaires fussent quelque peu tombées dans l’oubli à la fin du Xe siècle, pour que Hrotsvitha ait pensé qu’il pouvait y avoir quelque mérite à les rappeler si hors de propos.
Note 63, Page 295.
Cette bizarre division de la musique en céleste, humaine et instrumentale n’est point, comme on pourrait croire, une poétique fantaisie de Hrotsvitha; on la trouve dans tous les écrivains dogmatiques alors accrédités. Voyez, entre autres, Boëce (De musica, lib. I, cap. II) et Aurelianus Reomensis (ap. Gerbert., Loc. cit., p. 32).
Note 64, Page 297.
Ici doctrine et nomenclature sont tirés de Martianus Capella: «Sonum, id est tonum, productionem vocavi (lib. IX, § 955).»
Note 65, Page 297.
Censorinus donne de la consonnance (Symphonia) une définition beaucoup plus claire que Hrotsvitha: «Symphonia, dit-il, est duarum vocum inter se junctarum dulcis concensus (De die natali, cap. X, § 5).» Suivant Cassiodore: «Symphonia est temperamentum sonitus gravis ad acutum vel acuti ad gravem modulamen efficiens (De musica, p. 430, ed. 1589).» C’est évidemment de cette définition abrégée que Hrotsvitha a formé la sienne, qui a le double défaut d’être obscure et incomplète.—Le mot modulatio qu’elle emploie, a ici une signification tout à fait différente de celle qu’a reçue chez nous le mot modulation. Cette expression offre dans Hrotsvitha le même sens que dans Martianus Capella, quand il dit: «Modulatio est soni multiplicis expressio.»
Note 66, Page 299.
Cette théorie mathématique des accords et des intervalles est tirée presque textuellement de Censorinus (De die natali), de Macrobe (Somnium Scipionis), de Martianus Capella, de Cassiodore, Boëce, saint Isidore de Séville, etc. Je trouve dans le Mystère de l’Incarnation et de la nativité, représenté à Rouen en 1474, une scène curieuse, que M. Onésime le Roy a citée dans ses Études sur les Mystères, et dont on pourrait croire le dessin et les détails imités de Hrotsvitha, s’ils n’étaient tout simplement puisés aux mêmes sources. Un berger mélomane, nommé Ludin, s’obstine à donner à un berger ignorant la leçon de musique suivante:
- LUDIN.
-
...............Premièrement
Pour avoir de chant l’instrument,
Dont vient mainte joyeuseté,
Tu trouveras dyapenté
Qui contient troys tons et demy.
- ANATHOT.
-
Ludin, par ma foy, mon amy.
Se je y entons ne blanc ne bis;
Mais parle moi de nos brebis,
Et de ce qu’il leur appartient.
- LUDIN.
-
Puis deux tons et demy contient
Dyatessaron. Qui assemble
Les deux consonnances ensemble,
Il peut dyapason trouver.
- ANATHOT.
- Autant en sçay je comment hier.
- LUDIN.
-
Numérables proportions
Ont grans participations
A ceux-cy, car avec Dupla
Tres grande conveniance ha
Dyapason. Puis me souvient
Qu’a dyatessaron convient
Sexquitercia, et après
De sexquialtera est près
Celle qu’on dit dyapenthé.
L’édition imprimée de ce Mystère cite à la marge, comme autorité, quelques extraits de l’arithmétique de Boëce, abrégée par maître Johannes de Muris.
Note 67, Page 301.
Paphnuce, ou plutôt Hrostvitha, expose ici l’opinion des Pythagoriciens sur l’harmonie des sphères célestes. Cette poétique hypothèse, adoptée par Platon, a pénétré dans quelques écrivains ecclésiastiques. Je ne saurais dire si c’est par cette dernière voie qu’elle est parvenue à Hrotsvitha. On la trouve exposée dans une foule d’écrivains. Je ne citerai que Porphyre (De vit. Pythag.), Héraclide de Pont (Allegor. Homeric.), le pseudo-Aristote (De cœlo, lib. II, cap. IX), Cicéron (Somnium Scipionis), Chalcidius (in Platonis Timœum), Censorinus, saint Basile (Homel. III, in hexaemeron), saint Ambroise, (Lib. Hexaem., cap. II), saint Anselme (De imag. mundi, lib. I, cap. XXIII).
Note 68, Page 303.
Allusion à ces paroles de saint Paul: «Quæ stulta sunt mundi elegit Deus, ut confundat sapientes.» Epist. I ad Corinth., cap. I, v. 27.
Note 69, Page 305.
C’est là, il faut l’avouer, une assez belle apologie de la science et bien imprévue dans un siècle si généralement accusé de barbarie.
Note 70, Page 307.
Cette réflexion aussi fine qu’heureusement exprimée semble échappée à la plume d’un moraliste moderne.
Note 71, Page 327.
Cette pensée vraiment chrétienne est une nouvelle et bien remarquable censure des fondations, par lesquelles on croyait obtenir le pardon de tous les crimes. Hrotsvitha a déjà fait entendre le même blâme dans Abraham. Voyez p. 269 et note 54.
Note 72, Page 327.
Il semble que Virgile soit le guide de Hrotsvitha, comme de Dante. Le souvenir du poëte ne l’abandonne jamais longtemps. Elle s’empresse de revenir à lui, dès qu’elle en trouve l’occasion.
Note 73, Page 349.
La scène qu’on vient de lire, où Paphnuce recommande Thaïs pénitente aux soins de la supérieure d’un couvent de femmes, ne retrace en rien les usages monastiques du IVe siècle. Mais cet entretien nous offre en échange un exemple curieux des formules de pieuse courtoisie, avec lesquelles devaient s’aborder et converser un abbé et une abbesse dans le siècle et dans la patrie des Othons.
Note 74, Page 353.
Il pourra paraître singulier que je traduise ecce tres mensurni par il y a trois ans; mais, ainsi que j’en ai fait la remarque dans les notes latines, le mot mensurnus signifie dans Hrotsvitha, la révolution complète de douze mois. Cela est surtout évident dans le présent passage de Paphnuce. Un peu plus bas, en effet (p. 354), Hrotsvitha explique ecce tres mensurni, par ante hoc triennium.
Note 75, Page 357.
En reportant notre pensée sur la scène à laquelle il est fait ici allusion, nous ne pouvons nous empêcher de remarquer que ce mélange de douces remontrances et d’énergiques conseils se rapporte avec beaucoup plus de vérité à la conversion de Marie par Abraham. C’est seulement, comme nous le verrons tout à l’heure, en assistant la pécheresse agonisante, que Paphnuce montrera envers elle toute sa tendresse de cœur.
Note 76, Page 359.
Hrotsvitha me paraît s’être plutôt rappelé ici le sens que les paroles de saint Matthieu: «Ubi sunt duo vel tres congregati in nomine meo, ibi sum in medio eorum.» Evangil., cap. XVIII, v. 20.—Il est presque impossible de signaler tous les emprunts que notre auteur fait au Nouveau et à l’Ancien Testament. Par exemple, un peu plus loin (p. 362), on lit: Si Deus iniquitates observabit, nemo sustinebit. C’est une allusion au verset 3 du psaume CXXIX: «Si iniquitates observaveris, Domine; Domine, quis sustinebit?»
Note 77, Page 367.
On voit que notre auteur suivait les opinions de saint Augustin sur la grâce.
Note 78, Page 367.
Cette théologie miséricordieuse, qui se retrouve dans toutes les pièces de Hrotsvitha, prouve que la barbarie des mœurs n’avait pas pénétré dans les doctrines.
Note 79, Page 371.
Voilà une belle et consolante prière, et qui aurait été bien digne d’être prononcée au chevet des agonisantes dans les monastères de femmes.
SAPIENCE.
Note 80, Page 375.
Au lieu du nom d’Hadrien, le manuscrit porte ici le nom de Dioclétien. J’ai pensé qu’il ne fallait voir dans cette variante qu’une faute de copiste, et j’ai rétabli dans l’argument le premier nom qu’on lit dans tout le cours de la pièce. Cependant, cette leçon acquiert un certain intérêt, quand on voit dans la dissertation préliminaire des Bollandistes «qu’on ne sait pas bien si le martyre des trois sœurs Foi, Espérance et Charité a eu lieu à Rome ou à Nicomédie, ni même si cet événement s’est passé du temps d’Hadrien ou sous le règne de Dioclétien.»
Note 81, Page 375.
Les noms significatifs des principaux acteurs de ce drame m’avaient d’abord induit à croire que Foi, Espérance et Charité, filles de Sapience, étaient une pièce allégorique du genre de nos anciennes moralités, plutôt que la mise en action d’une légende. Je m’étais trompé. Un assez grand nombre d’auteurs grecs et latins ont mentionné l’histoire de cette mère intrépide et de ses trois jeunes filles. Les Bollandistes, à la date du 1er août (Acta Sanctor., August. t. I, p. 16), donnent une notice des écrivains qui ont parlé de ces courageuses héroïnes, et regrettent que, hors leur martyre, on ignore ce qui les concerne. En effet, tous les agiographes, sauf le déclamateur Métaphraste, n’ont accordé qu’un très-petit nombre de lignes à cette histoire. Hrotsvitha a eu rarement moins de secours. Il faut encore remarquer qu’elle a un soin particulier de faire parler chaque personnage suivant le caractère que son nom suppose.
Note 82, Page 377.
C’est le titre que les légendes donnent à Antiochus.
Note 83, Page 383.
N’y a-t-il pas là un souvenir lointain de l’ancienne formule Caveant consules?
Note 84, Page 385.
Ce commandement est tiré de saint Marc, chapitre XIII, v. 11, et de saint Luc, chapitre XII, v. 11 et 12.—Il est juste de faire observer que si Hrotsvitha se montre versée dans la lecture d’Horace et de Virgile, elle ne l’est pas moins dans celle de l’Écriture Sainte.
Note 85, Page 389.
Cette circonstance semble prouver que la légende de Sapience ou de Sophie et de ses filles est d’origine hellénique.
Note 86, Page 391.
Hrotsvitha retombe ici dans une de ces digressions pédantesques où elle aime tant à se jeter en écolière émerveillée de son savoir de fraîche date. Ce ne sont pas cette fois des lambeaux de philosophie scolastique, comme dans Callimaque, ni une exposition technique de la science musicale, comme dans Paphnuce. Nous allons assister, bon gré, mal gré, à une leçon sur la théorie des nombres. Il semble que Hrotsvitha ait eu à cœur de prouver sa compétence dans presque toutes les branches du trivium et du quadrivium. Elle a, d’ailleurs, laissé percer cette ambition dans la préface de ses comédies, sous une formule modestement orgueilleuse: «Pour que ma négligence, a-t-elle dit, n’anéantisse pas en moi les dons de Dieu, toutes les fois que, par hasard, j’ai pu recueillir quelques fils ou légers débris du vieux manteau de la philosophie, j’ai eu grand soin de les insérer dans le tissu de mon ouvrage (Épître à certains savants, p. 13).» Il est impossible de tenir plus exactement ses résolutions. La savante religieuse ne laisse, en effet, échapper aucune occasion de se parer du bonnet doctoral, ou plutôt elle s’en affuble, comme ici, sans même avoir pour excuse la moindre apparence d’occasion.
Note 87, Page 395.
Toute cette théorie des nombres se trouve dans Boëce, qui lui-même l’avait prise ailleurs. Il n’y a pas jusqu’à ces quatre nombres parfaits cités pour exemple, qui ne soient dans Boëce (Arithm., lib. I, cap. 20).—Un jeune mathématicien de Franche-Comté, M. Grillet, me communique sur ce passage la note suivante. «Les nombres parfaits dans l’ordre où l’on vient de les lire (6, 28, 496, 8128) sortent de la formule 2n (2n+1-1) laquelle donne des nombres parfaits, toutes les fois que (2n+1-1) est un nombre premier. On conçoit, d’ailleurs, que les arithméticiens du moyen âge se soient arrêtés à ces quatre nombres, car le plus petit que la formule fournit ensuite est 33,550336, pour n = 12.»
Note 88, Page 397.
Il est nécessaire d’interpréter ici la définition de la dénomination. Quand on dit qu’un nombre est la moitié, le tiers, etc., d’un autre nombre, cela signifie que le premier entre exactement deux fois, trois fois dans le second. Ce sont ces nombres de fois que Hrotsvitha considère, quand elle dit plus haut que la dénomination des parties est pairement paire, paire ou impaire.
Note 89, Page 403.
Encore une sorte de réminiscence mythologique.
Note 90, Page 439.
On voit par la lecture des agiographes que le seul instrument qui eût action sur les martyrs et qui pût leur donner sûrement la mort, c’était l’épée. Tous les Actes nous montrent les saints confesseurs insensibles aux autres supplices.
Note 91, Page 449.
C’est ici une allusion aux paroles de saint Matthieu, plutôt qu’une citation textuelle. Voy. Evang., cap. XIX, v. 29.
Note 92, Page 449.
Ce dénoûment me paraît avoir un frappant caractère de solennité et de grandeur. Cette vieille mère éplorée, cette Hécube calme et chrétienne, qui, après avoir enterré de ses mains ses trois filles offertes au ciel, se retire à l’écart et n’émet qu’un vœu, celui de mourir après une courte et fervente prière, et qui meurt comme elle l’a souhaité, me semble rappeler un autre grand et noble type de maternité courageuse, la vénérable duchesse Oda, qui consacra cinq de ses filles à Dieu, en vit mourir quatre et, ne devançant la dernière que de peu de mois, descendit, en priant, dans la tombe. Hrotsvitha, dans son poëme sur la fondation du monastère de Gandersheim, a rappelé avec émotion la glorieuse vieillesse d’Oda et les tombeaux de la mère et des filles: