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Œuvres de P. Corneille, Tome 02

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1560 Var. [N'aura plus que les tiens pour maîtres et pour Dieux:]
Que leurs attraits unis....LYSE. La princesse s'avance,
Madame. CLIND. Cachez-vous, et nous faites silence.
Écoute-nous, mon âme, et par notre entretien
Juge si son objet m'est plus cher que le tien.

SCÈNE IV.

CLINDOR[1479], ROSINE.

ROS. Débarrassée enfin d'une importune suite,
Je remets à l'amour le soin de ma conduite,
Et pour trouver l'auteur de ma félicité,
Je prends un guide aveugle en cette obscurité.
Mais que son épaisseur me dérobe la vue!
Le moyen de le voir ou d'en être aperçue!
Voici la grande allée, il devroit être ici,
Et j'entrevois quelqu'un. Est-ce toi, mon souci?
CLIND. Madame, ôtez ce mot dont la feinte se joue,
Et que votre vertu dans l'âme désavoue:
C'est assez déguisé, ne dissimulez plus
L'horreur que vous avez de mes feux dissolus.
Vous avez voulu voir jusqu'à quelle insolence
D'une amour déréglée iroit la violence,
Vous l'avez vu, Madame, et c'est pour la punir
Que vos ressentiments vous font ici venir.
Faites sortir vos gens destinés à ma perte,
N'épargnez point ma tête; elle vous est offerte:
Je veux bien par ma mort apaiser vos beaux yeux,
Et ce n'est pas l'espoir qui m'amène en ces lieux.
ROS. Donc au lieu d'un amour rempli d'impatience,
Je ne rencontre en toi que de la défiance?
As-tu l'esprit troublé de quelque illusion?
Est-ce ainsi qu'un guerrier tremble à l'occasion?
Je suis seule, et toi seul, d'où te vient cet ombrage?
Te faut-il de ma flamme un plus grand témoignage?
Crois que je suis sans feinte à toi jusqu'à la mort.
CLIND. Je me garderai bien de vous faire ce tort:
Une grande princesse a la vertu plus chère.
ROS. Si tu m'aimes, mon cœur, quitte cette chimère.
CLIND. Ce n'en est point, Madame, et je crois voir en vous
Plus de fidélité pour un si digne époux.
ROS. Je la quitte pour toi; mais, Dieux! que je m'abuse,
De ne voir pas encor qu'un ingrat me refuse!
Son cœur n'est plus que glace, et mon aveugle ardeur
Impute à défiance un excès de froideur.
Va, traître, va, parjure, après m'avoir séduite,
Ce sont là des discours d'une mauvaise suite:
Alors que je me rends, de quoi me parles-tu?
Et qui t'amène ici me prêcher la vertu?
CLIND. Mon respect, mon devoir et ma reconnoissance
Dessus mes passions ont eu cette puissance.
Je vous aime, Madame, et mon fidèle amour
Depuis qu'on l'a vu naître a crû de jour en jour;
Mais que ne dois-je point au prince Florilame?
C'est lui dont le respect triomphe de ma flamme:
Après que sa faveur m'a fait ce que je suis....
ROS. Tu t'en veux souvenir pour me combler d'ennuis.
Quoi! son respect peut plus que l'ardeur qui te brûle?
L'incomparable ami, mais l'amant ridicule,
D'adorer une femme et s'en voir si chéri,
Et craindre au rendez-vous d'offenser un mari!
Traître, il n'en est plus temps: quand tu me fis paroître
Cette excessive amour qui commençoit à naître,
Et que le doux appas d'un discours suborneur
Avec un faux mérite attaqua mon honneur,
C'est lors qu'il te falloit à ta flamme infidèle
Opposer le respect d'une amitié si belle,
Et tu ne devois pas attendre à l'écouter
Quand mon esprit charmé ne le pourroit goûter.
Tes raisons vers tous deux sont de foibles défenses:
Tu l'offensas alors, aujourd'hui tu m'offenses[1480];
Tu m'aimois plus que lui, tu l'aimes plus que moi.
Crois-tu donc à mon cœur donner ainsi la loi[1481],
Que ma flamme à ton gré s'éteigne ou s'entretienne,
Et que ma passion suive toujours la tienne?
Non, non, usant si mal de ce qui t'est permis,
Loin d'en éviter un, tu fais deux ennemis.
Je sais trop les moyens d'une vengeance aisée:
Phèdre contre Hippolyte aveugla bien Thésée,
Et ma plainte armera plus de sévérité
Avec moins d'injustice et plus de vérité.
CLIND. Je sais bien que j'ai tort, et qu'après mon audace
Je vous fais un discours de fort mauvaise grâce;
Qu'il sied mal à ma bouche, et que ce grand respect
Agit un peu bien tard pour n'être point suspect;
Mais pour souffrir plus tôt la raison dans mon âme,
Vous aviez trop d'appas, et mon cœur trop de flamme:
Elle n'a triomphé qu'après un long combat.
ROS. Tu crois donc triompher lorsque ton cœur s'abat?
Si tu nommes victoire un manque de courage,
Appelle encor service un si cruel outrage,
Et puisque me trahir, c'est suivre la raison,
Dis-moi que tu me sers par cette trahison.
CLIND. Madame, est-ce vous rendre un si mauvais service,
De sauver votre honneur d'un mortel précipice?
Cet honneur qu'une dame a plus cher que les yeux....
ROS. Cesse de m'étourdir de ces noms odieux.
N'as-tu jamais appris que ces vaines chimères
Qui naissent aux cerveaux des maris et des mères,
Ces vieux contes d'honneur n'ont point d'impressions
Qui puissent arrêter les fortes passions?
Perfide, est-ce de moi que tu le dois apprendre?
Dieux! jusques où l'amour ne me fait point descendre?
Je lui tiens des discours qu'il me devroit tenir,
Et toute mon ardeur ne peut rien obtenir.
CLIND. Par l'effort que je fais à mon amour extrême,
Madame, il faut apprendre à vous vaincre vous-même,
A faire violence à vos plus chers desirs,
Et préférer l'honneur à d'injustes plaisirs,
Dont au moindre soupçon, au moindre vent contraire
La honte et les malheurs sont la suite ordinaire.
ROS. De tous ces accidents rien ne peut m'alarmer:
Je consens de périr à force de t'aimer.
Bien que notre commerce aux yeux de tous se cache,
Qu'il vienne en évidence, et qu'un mari le sache,
Que je demeure en butte à ses ressentiments,
Que sa fureur me livre à de nouveaux tourments:
J'en souffrirai plutôt l'infamie éternelle
Que de me repentir d'une flamme si belle.

SCÈNE V.

CLINDOR[1482], ROSINE, ISABELLE[1483], LYSE[1484], ÉRASTE, troupe de Domestiques[1485].

ÉR. Donnons, ils sont ensemble. ISAB.Oh Dieux! qu'ai-je entendu?
LYSE. Madame, sauvons-nous. PRID.Hélas! il est perdu.
CLIND. Madame, je suis mort, et votre amour fatale
Par un indigne coup aux enfers me dévale.
ROS. Je meurs, mais je me trouve heureuse en mon trépas,
Que du moins en mourant je vais suivre tes pas.
ÉR. Florilame est absent; mais durant son absence,
C'est là comme les siens punissent qui l'offense:
C'est lui qui par nos mains vous envoie à tous deux
Le juste châtiment de vos lubriques feux[1486].
ISAB. Réponds-moi, cher époux, au moins une parole:
C'en est fait, il expire, et son âme s'envole.
Bourreaux, vous ne l'avez massacré qu'à demi:
[Il vit encore en moi; soûlez son ennemi;
Achevez, assassins, de m'arracher la vie;]
Sa haine sans ma mort n'est pas bien assouvie.
ÉR. Madame, c'est donc vous! ISAB.Oui, qui cours au trépas.
ÉR. Votre heureuse rencontre épargne bien nos pas:
Après avoir défait le prince Florilame
D'un ami déloyal et d'une ingrate femme,
Nous avions ordre exprès de vous aller chercher.
ISAB. Que voulez-vous de moi, traîtres? ÉR.Il faut marcher:
Le prince, dès longtemps amoureux de vos charmes,
Dans un de ses châteaux veut essuyer vos larmes.
ISAB. Sacrifiez plutôt ma vie à son courroux.
ÉR. C'est perdre temps, Madame, il veut parler à vous.

(Ici on rabaisse une toile qui couvre le jardin et le reste des acteurs, et le Magicien et le père sortent de la grotte[1487].)

SCÈNE VI.

ALCANDRE, PRIDAMANT.

[ALC. Ainsi de notre espoir la fortune se joue.] (1639-57)

FIN DU COMPLÉMENT DES VARIANTES.


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