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Victor Hugo à vingt ans: Glanes romantiques

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VI

Le voyage à Blois.—Une lettre de Victor Hugo au dessinateur Queyroy.—Deux poètes nommés chevaliers de la Légion d'honneur.—Les sables de la Miltière.—Le sacre de Charles X.

En avril 1825, le projet si longtemps caressé d'un voyage à Blois put enfin être mis à exécution.

Victor Hugo et sa femme, elle nourrissait Léopoldine, prirent la malle-poste et arrivèrent à Blois, au matin, par la rive gauche de la Loire[95].

[95] Ancienne route directe de Blois à Orléans par Saint-Dyé et Cléry, avant que Mme de Pompadour eut fait tracer, sur la rive droite, une nouvelle route, passant devant son château de Menars.

Près de quarante ans plus tard, remerciant de son album, les Rues et Maisons du vieux Blois, le dessinateur Queyroy[96], Hugo vieilli adressait, de Guernesey, cette jolie lettre à l'artiste.

[96] Outre les Rues et Maisons du vieux Blois, on doit au dessinateur Armand Queyroy, qui a été longtemps conservateur du Musée de Moulins, un certain nombre d'eaux-fortes sur Vendôme et la plupart des portraits qui servent de frontispice à chacun des volumes composant la Galerie des Hommes illustres du Vendômois.

Ce n'est plus la prose un peu flottante et souvent impersonnelle des lettres au général. Si les cheveux du poète avaient blanchi, son verbe avait, depuis des années, pris son ampleur et adopté sa formule définitive.

Ce sont là de très belles pages, où magnifiquement, Victor Hugo évoque son arrivée à Blois, son père et son jardin; et, s'éveillant au bord du fleuve, la ville tout entière, désuète mais pleine de grâce, avec son château, ses vieilles maisons et tous ces souvenirs qui sont le passé.

Hauteville-House, 17 avril 1864.

Monsieur, je vous remercie. Vous venez de me faire revivre dans le passé. Le 17 avril 1825, il y a trente-neuf ans aujourd'hui même, (laissez-moi noter cette petite coïncidence intéressante pour moi), j'arrivais à Blois. C'était le matin. Je venais de Paris. J'avais passé la nuit en malle-poste, et que faire en malle-poste? J'avais fait la ballade des Deux Archers[97] puis, les derniers vers achevés, comme le jour ne paraissait pas encore, tout en regardant à la lueur de la lanterne passer à chaque instant des deux côtés de la voiture des troupes de bœufs de l'Orléanais descendant vers Paris, je m'étais endormi. La voix du conducteur me réveilla.—Voilà Blois! me cria-t-il. J'ouvris les yeux et je vis mille fenêtres à la fois, un entassement irrégulier et confus de maisons, des clochers, un château, et sur la colline un couronnement de grands arbres et une rangée de façades aiguës à pignons de pierre au bord de l'eau, toute une vieille ville en amphithéâtre capricieusement répandue, sur les saillies d'un plan incliné, et, à cela près que l'océan est plus large que la Loire et n'a pas de pont qui mène à l'autre rive, presque pareille à cette ville de Guernesey que j'habite aujourd'hui. Le soleil se levait sur Blois.

[97] Ballade VIII; dédiée à Louis Boulanger.

Un quart d'heure après, j'étais rue du Foix, nº 73. Je frappais à une petite porte donnant sur un jardin: un homme qui travaillait au jardin venait m'ouvrir. C'était mon père.

Le soir, mon père me mena sur le monticule qui dominait sa maison et où est l'arbre de Gaston[98]; je revis d'en haut la ville que j'avais vue d'en bas; l'aspect, autre, était, quoique sévère, plus charmant encore. La ville, le matin, m'avait semblé avoir le gracieux désordre et presque la surprise du réveil; le soir avait calmé les lignes. Bien qu'il fît encore jour, le soleil venant à peine de se coucher, il y avait un commencement de mélancolie; l'estompe du crépuscule émoussait les pointes des toits; de rares scintillements de chandelles remplaçaient l'éblouissante diffusion de l'aurore sur les vitres; les profils des choses subissaient la transformation mystérieuse du soir; les roideurs perdaient; les courbes gagnaient; il y avait plus de coudes et moins d'angles. Je regardais avec émotion, presque attendri par cette nature. Le ciel avait un vague souffle d'été.

[98] La Butte des Capucins.

Cf. Dr H. Chauveau: Mémoire sur les Buttes dans le département de Loir-et-Cher. Blois, imp. Lecesne, 1866, in-8, de 39 pp. (carte).

A. de Rochas: Les Buttes et la télégraphie optique. Mémoires de la Société des Sciences et Lettres de Loir-et-Cher, tome XI (1886), pp. 1-26 (carte).

La ville m'apparaissait non plus comme le matin, gaie et ravissante, pêle-mêle, mais harmonieuse; elle était coupée en compartiments d'une belle masse, se faisant équilibre; les plans reculaient, les étages se superposaient avec à-propos et tranquillité. La cathédrale, l'évêché, l'église noire de Saint-Nicolas[99], le château, autant citadelle que palais, les ravins mêlés à la ville, les montées et les descentes où les maisons tantôt grimpent, tantôt dégringolent, le pont avec son obélisque, la belle Loire serpentant, les bandes rectilignes de peupliers, à l'extrême horizon, Chambord indistinct avec sa futaie de tourelles, les forêts où s'enfonce l'antique voie dite «ponts romains»[100] marquant l'ancien lit de la Loire, tout cet ensemble était grand et doux. Et puis mon père aimait cette ville.

[99] Ancienne église de l'abbaye bénédictine de Saint-Laumer.

[100] Les «ponts châtrés», vulgairement appelés «ponts chartrains».

Vous me la rendez aujourd'hui.

Grâce à vous, je suis à Blois. Vos vingt eaux-fortes montrent la ville intime, non la ville des palais et des églises, mais la ville des maisons. Avec vous, on est dans la rue; avec vous on entre dans la masure; et telle de ces bâtisses décrépites, comme les logis en bois sculpté de la rue Saint-Lubin[101], comme l'hôtel Denis Dupont[102], avec sa lanterne d'escalier à baies obliques suivant le mouvement de la vis de Saint-Gilles, comme la maison de la rue Haute, comme l'arcade surbaissée de la rue Pierre-de-Blois étale toute la fantaisie gothique, ou toutes les grâces de la Renaissance, augmentées de la poésie du délabrement. Être une masure, cela n'empêche pas d'être un bijou. Une vieille femme qui a du cœur et de l'esprit, rien n'est plus charmant. Beaucoup des exquises maisons dessinées par vous sont cette vieille femme-là. On fait avec bonheur leur connaissance. On les revoit avec joie, quand on est, comme moi, leur vieil ami. Que de choses elles ont à vous dire, et quel délicieux rabâchage du passé! Par exemple, regardez cette fine et délicate maison de la rue des Orfèvres, il semble que ce soit un tête-à-tête. On est en bonne fortune avec toute cette élégance. Vous nous faites tout reconnaître, tant vos eaux-fortes sont des portraits. C'est la fidélité photographique, avec la liberté du grand art. Votre rue Chemonton est un chef-d'œuvre. J'ai monté, en même temps que ces bons paysans de Sologne peints par vous, les grands degrés du château. La maison à statuettes de la rue Pierre-de-Blois est comparable à la précieuse maison des musiciens de Woymouth. Je retrouve tout.

[101] Vieille rue de Blois, bien connue des touristes pour ses maisons du XVe siècle. L'une d'elles, dont il existe un curieux dessin par Victor Hugo, aurait été habitée par Marion Delorme, que certains, (le bibliothécaire Dupré, entre autres, qui en a publié un acte de naissance), prétendent née à Blois.

[102] Denys Dupont,—Pontanus—avocat et célèbre jurisconsulte blaisois; l'un des principaux auteurs de la Coutume de Blois et son commentateur. (Blois, Angelier, 1556; Paris, Billaine, 1677.)

Voici la Tour-d'Argent[103], voici le haut pignon sombre, coin des rues des Violettes et de Saint-Lubin, voici l'hôtel de Guise, voici l'hôtel de Cheverny[104], voici l'hôtel Sardini[105] avec ses voûtes en anses de panier, voici l'hôtel d'Alluye[106] avec ses galantes arcades du temps de Charles VIII, voici les degrés de Saint-Louis qui mènent à la cathédrale, voici la rue du Sermon, et au fond la silhouette presque romane de Saint-Nicolas; voici la jolie tourelle à pans coupés dite Oratoire[107] de la reine Anne. C'est derrière cette tourelle qu'était le jardin où Louis XII, goutteux, se promenait sur son petit mulet.

[103] Ancien atelier monétaire des comtes de Blois formant le coin des rues des Trois-Clefs et de la Serrurerie, où est établi aujourd'hui le siège d'une compagnie électrique.

[104] Hôtel à Blois de la famille Hurault (Hurault de Cheverny de Saint-Denis et de Vibraye), ou «Petit Louvre», rue Saint-Martin.

[105] Scipion Sardini, financier lucquois amené en France par Catherine de Médicis qui lui fit épouser Isabelle de Limeuil. La rapidité de sa fortune lui valut cette épigramme de ses contemporains:

Qui modo Sardinii jam nunc sunt grandia cete
Sic alit italicos Gallia pisciculos.

En dehors de l'hôtel du 7 de la rue du Puits-Châtel, à Blois, Sardini possédait, à Paris, un hôtel dans le quartier Mouffetard, auquel M. Anatole de Montaiglon a consacré deux articles intéressants: L'hôtel de Scipion Sardini et ses médaillons en terre cuite (Les Beaux-Arts, tome I, 1869, pp. 161-166; 197-202); Bulletin de la Société impériale des Antiquaires de France, année 1857, pp. 97-101; cette communication a été réimprimée dans la Revue universelle des Arts, tome V, 1857, pp. 461-463).

M. Édouard Drumont a d'autre part tracé une jolie silhouette du personnage dans la première série de Mon vieux Paris: Un Financier du XVIe siècle (Réimpression Flammarion, S. D., in-12, pp. 207-247).

Brantôme, puis... le duc d'Aumale ont évoqué, non sans esprit, cette tant bizarre Isabelle de Limeuil dont la vengeance vis-à-vis de Condé fut plutôt rabelaisienne, et l'accouchement en pleine cour pour le moins maladroit.

[106] Ancien hôtel rue Saint-Honoré (ainsi que l'hôtel Denys Dupont), de Florimond Robertet, baron d'Alluye, secrétaire des finances de Charles VIII, de Louis XII et de François Ier. Bien que la plupart de ses biographes le fassent mourir, à Blois, en 1522, il ne serait mort, d'après l'hommage de sa veuve, Michelle Gaillard, pour le château de Bury, qu'en 1527, et à Paris.

[107] Pavillon situé dans les anciens jardins bas du château et y faisant face, souvent improprement appelé «Bains de Catherine».

Anne de Bretagne s'y était retirée durant l'excommunication de Louis XII.

Cf. Pierre Lesueur: Les Jardins du château de Blois et leurs dépendances. Blois: C. Migault et Cie, in-8º, de 225 pp. (Pl.)

Ce Louis XII a, comme Henri IV, des côtés aimables. Il fit beaucoup de sottises, mais c'était un roi-bonhomme. Il jetait au Rhône les procédures commencées contre les Vaudois. Il était digne d'avoir pour fille cette vaillante huguenote astrologue, Renée de Bretagne, si intrépide devant la Saint-Barthélémy et si fière à Montargis. Jeune, il avait passé trois ans à la tour de Bourges, et il avait tâté de la cage de fer. Cela qui aurait rendu un autre méchant, le fit débonnaire.

Il entra à Gênes, vainqueur, avec une ruche d'abeilles dorée sur sa cotte d'armes et cette devise: Non utitur aculeo. A Aignadel, à un courtisan qui disait: Vous vous exposez, sire, il répondait: Mettez-vous derrière moi. C'est lui aussi qui disait: Bon roi, roi avare. J'aime mieux être ridicule aux courtisans que lourd au peuple. Il disait: La plus laide bête à voir passer, c'est un procureur portant ses sacs. Il haïssait les juges désireux de condamner et faisant effort pour agrandir la faute et envelopper l'accusé. Ils sont, disait-il, comme les savetiers qui allongent le cuir en tirant dessus avec leurs dents. Il mourut de trop aimer sa femme, comme plus tard François II doucement tués l'un et l'autre par une Marie. Cette noce fut courte. Le 1er janvier 1515, après quatre-vingt-trois jours ou plutôt quatre-vingt-trois nuits de mariage, Louis XII expira, et comme c'était le jour de l'an, il dit à sa femme: Mignonne, je vous donne ma mort pour vos étrennes. Elle accepta de moitié avec le duc de Brandon.

L'autre fantôme qui domine Blois est aussi haïssable que Louis XII est sympathique. C'est ce Gaston, Bourbon coupé de Médicis. Florentin du XVIe siècle, lâche, perfide spirituel, disant de l'arrestation de Longueville, de Conti et de Condé: Beau coup de filet, prendre à la fois un renard, un singe et un lion! Curieux artiste, collectionneur, épris de médailles, de filigranes et de bonbonnières, passant sa matinée à admirer le couvercle d'une boîte en ivoire, pendant qu'on coupait la tête à quelqu'un de ses amis, trahi par lui[108].

[108] Non sans courage,—il est des réhabilitations difficiles—un descendant de Brunyer, l'ancien médecin de Gaston, M. J. de Pétigny, de l'Institut, protesta dans une lettre à la France Centrale (9 juin 1864), contre la sévérité de ce jugement.

Toutes ces figures, et Henri III, et le duc de Guise, et d'autres, y compris ce Pierre-de-Blois[109], qui a pour gloire d'avoir prononcé le premier le mot transsubstantiation, je les ai revues, Monsieur, dans la confuse évocation de l'histoire, en feuilletant votre précieux recueil. Votre fontaine de Louis XII m'a arrêté longtemps. Vous l'avez reproduite comme je l'ai vue, toute vieille, toute jeune, charmante. C'est une de vos meilleurs planches. Je crois bien que la Rouennerie en gros, constatée par vous, vis-à-vis l'hôtel d'Amboise, était déjà là de mon temps[110]. Vous avez un talent vrai et fin, le coup d'œil qui saisit, le style la touche ferme, agile et forte, beaucoup de naïveté, et ce don rare de la lumière dans l'ombre. Ce qui me frappe et me charme dans vos eaux-fortes, c'est le grand jour, la gaieté, l'aspect souriant, cette joie du commencement qui est toute la grâce du matin. Des planches sont baignées d'aurore. C'est bien là Blois, mon Blois à moi, ma ville lumineuse. Car la première impression de l'arrivée m'est restée. Blois est pour moi radieux. Je ne vois Blois que dans le soleil levant. Ce sont là des effets de jeunesse et de patrie.

[109] Pierre de Blois, né dans le faubourg de Vienne, vers 1130. Après avoir étudié le droit à Bologne et la théologie à Paris, fut tour à tour, en Angleterre, où il mourut en disgrâce vers 1200, secrétaire et confident de Henri II Plantagenet et chancelier de l'archevêque de Cantorbéry, qui lui conféra l'archidiaconé de Bath.

Les lettres qu'il a laissées sont, au dire des biographes, pleines de jugements satiriques et violents sur ses contemporains.

[110] Une plaque de cuivre gravé a ramené cette inscription à des proportions plus modestes.

Je me suis laissé aller à causer longuement avec vous Monsieur, parce que vous m'avez fait plaisir. Vous m'avez pris par mon faible, vous avez touché le coin sacré des souvenirs. J'ai quelquefois de la tristesse amère, vous m'avez donné de la tristesse douce. Être doucement triste, c'est là le plaisir. Je vous en suis reconnaissant. Je suis heureux qu'elle soit bien conservée, si peu défaite, et si pareille encore à ce que je l'ai vue il y a quarante ans, cette ville à laquelle m'attache cet invisible écheveau des fils de l'âme, impossible à rompre, ce Blois qui m'a vu adolescent, ce Blois où les rues me connaissent, où une maison m'a aimé, et où je viens de me promener en votre compagnie, cherchant les cheveux blancs de mon père et trouvant les miens.

Je vous serre la main, Monsieur.

Victor Hugo.

Publiée d'abord dans la Gazette des Beaux-Arts[111], la Presse et la France Centrale[112], souvent reproduite depuis, cette lettre fixe au 17 avril 1825 l'arrivée de Victor Hugo à Blois.

[111] Gazette des Beaux-Arts, juin 1864.

[112] La France Centrale, 2 juin 1864.

Le commissionnaire essoufflé remettant au poète «la grande lettre cachetée de rouge qui venait d'arriver chez lui et que son beau-père lui envoyait en toute hâte» de Victor Hugo raconté par un Témoin de sa Vie risque donc fort d'appartenir à la légende.

C'est dommage, car nous y perdons cette jolie scène.

A Blois, le général était à la descente de la voiture. Victor Hugo, sachant le plaisir qu'il ferait à son père, lui tendit aussitôt son brevet et lui dit:

—Tiens, ceci est pour toi.

Le général, charmé en effet, garda le brevet et, en échange détacha de sa boutonnière son ruban rouge[113] qu'il mit à celle de son fils[114].

[113] Le général était officier de la Légion d'honneur du 14 février 1815.

[114] Victor Hugo raconté par un Témoin de sa Vie, tome II, p. 83.

Le 29 avril seulement, le Moniteur annonçait la distinction dont Lamartine et Victor Hugo venaient d'être l'objet:

«Le Roi vient de nommer MM. Alphonse de Lamartine et Victor Hugo, chevaliers de la Légion d'honneur[115]

[115] Moniteur Universel, nº 119, vendredi 29 avril 1825, partie non officielle.

Le 12 mai suivant, le nouveau chevalier n'avait encore ni croix, ni papiers[116].

[116] Lettre écrite de la Miltière à M. Foucher, le 12 mai 1825.

Ce Roi qui, par ordonnance spéciale, venait de décorer deux poètes, n'était plus Louis XVIII, mort le 16 septembre 1824, à 4 heures du matin, mais le comte d'Artois, devenu Charles X.

Non content d'accorder à Victor Hugo l'étoile au centre de laquelle un Henri IV barbu avait remplacé le masque consulaire, le Roi l'invitait à son sacre.

Cette «marque d'honneur» était bien due au chantre, alors si fidèle, des Bourbons. Il y fut très sensible, et les lettres qu'il écrivit alors de Blois témoignent du plaisir qu'il en ressentit.

La Correspondance de Victor Hugo nous en fournit le texte. Il complète heureusement celui dont la bibliothèque de Blois conserve les originaux.

Dès le 27 avril, aussitôt ces importantes nouvelles reçues, Victor écrit à Soulié, au bon Soulié, non pas l'auteur du Lion Amoureux, mais Augustin Soulié, le rédacteur à la Quotidienne[117].

[117] Jean-Baptiste-Augustin Soulié, né à Castres en 1780, mort à Paris en 1845. Après avoir fondé et dirigé à Bordeaux: le Mémorial bordelais, la Ruche d'Aquitaine et la Ruche politique il vint, en 1828, se fixer à Paris, où il collabora activement à la Quotidienne.

Paul Lacroix lui attribue les articles signés d'un S. parus dans le Conservateur littéraire. Ils semblent plutôt devoir être attribués à J.-B. Biscarrat.

Nommé conservateur à la Bibliothèque de l'Arsenal, A. Soulié a laissé une édition assez estimée des Poésies de Charles d'Orléans.

Le poète ne cache ni sa joie, ni sa reconnaissance pour ses protecteurs.

A Monsieur J.-B. Soulié, hôtel de Hollande,
rue Neuve-des-Bons-Enfants, à Paris.


Blois, 27 avril 1825, matin.

Savez-vous, mon bon Soulié, que les grâces royales pleuvent sur moi, au moment où je viens à Blois me faire hermite? Le Roi me nomme chevalier de la Légion d'honneur, et me fait l'insigne honneur de m'inviter à son sacre. Vous allez vous réjouir, vous qui m'aimez, et je vous assure que le plaisir que cette nouvelle vous fera augmente beaucoup ma propre satisfaction. Il y a entre nous une telle fraternité de sentiments et d'opinions, qu'il me semble que ma croix est la vôtre, comme la vôtre serait la mienne.

Ce qui accroît beaucoup le prix de cette croix à mes yeux, c'est que je l'obtiens avec Lamartine, par ordonnance spéciale qui ne nomme que nous deux, attendu, a dit le Roi, qu'il s'agit de réparer une omission. Ces deux décorations ne comptent pas dans le nombre donné au sacre.

Ce qui ajoute aussi un grand charme à mon voyage de Reims, c'est l'espérance de le faire avec notre Charles Nodier[118], auquel j'ai écrit hier, pour qu'il s'arrange de manière à m'avoir pour compagnon. Je dois ajouter à tout ceci que M. de La Rochefoucauld a été charmant, dans cette circonstance, pour Lamartine et moi. Il est impossible de s'effacer plus complètement pour laisser au Roi toute la reconnaissance, de mettre plus de grâce et de délicatesse dans ses rapports avec nous. C'est à lui que nous devons nos croix et c'est lui qui nous remercie. Je dois cette justice haute et entière à un homme qui ne l'obtient pas toujours[119].

[118] «Notre Charles Nodier»! Il faut lire le jugement que portait sur lui, dans une lettre à Albert Stapfer, Prosper Mérimée, son successeur à l'Académie, qui venait de terminer non sans peine, il est à croire, le discours de réception au cours duquel les usages académiques le forçaient à faire son éloge:

«Il m'a fallu lire les œuvres complètes de Nodier, y compris Jean Sbogar. C'était un gaillard très taré qui faisait le bonhomme et avait toujours la larme à l'œil. Je suis obligé de dire, dès mon exorde, que c'était un infâme menteur. Cela m'a fort coûté à dire en style académique. Enfin, vous entendrez ce morceau, si je ne crève pas de peur en le lisant». (Prosper Mérimée; l'homme, l'écrivain, l'artiste. Paris, Journal des Débats, 1907, in-8º. Lettre du 16 octobre 1844, p. 101).

L'article de Charles Nodier sur Han d'Islande, paru dans la Quotidienne, en 1823, l'avait mis en rapport avec Victor Hugo et leurs relations n'avaient point tardé à tourner à l'intimité.

[119] Le vicomte Sosthènes de la Rochefoucauld. Son passage à la direction des Beaux-Arts fut surtout marqué par l'allongement momentané qu'il fit subir, à l'Opéra, aux jupes des danseuses et par les feuilles de vigne en papier dont il gratifia, au Louvre, les nudités des statues.

Sa haine du nu souffrait, sans doute, en dehors de ses fonctions, des accommodements: à entendre Horace de Viel Castel, il n'aurait pas été sans consoler Zoé du Cayla des amours par trop pures de Louis XVIII.

Le vicomte de la Rochefoucauld fut,—lui aussi,—l'objet de mystifications sans nombre, auxquelles le Mercure de France ne demeura pas toujours étranger.

Je vais donc vous revoir, cher ami, et il me faut cette espérance pour apporter quelque adoucissement au chagrin de quitter mon Adèle pour la première fois. Dites tout cela à ceux de nos bons amis auxquels je n'aurai pas le temps d'écrire.

Votre canif est beau et excellent; votre dessin est d'une bizarrerie charmante. Merci mille fois, et merci surtout de votre franche et tendre amitié.

Personne ne vous aime plus que moi.

Victor[120].

[120] Victor Hugo: Correspondance, 1815-1835, pp. 219-220.

Le lendemain c'est le tour d'Alfred de Vigny, «Vigny qu'on avait oublié dans cette cérémonie malgré ses titres de noblesse et les autres»[121], et, à la satisfaction du jeune légionnaire se mêlent de jolies notes sur Blois.

[121] Léon Séché: Alfred de Vigny et son temps, p. 113.

«Il est vrai que ce fils de royalistes, cet officier de la garde royale, n'avait été inspiré ni par la mort du duc de Berry, ni par celle de Louis XVIII, ni par la naissance du duc de Bordeaux. Un jour, trente ans plus tard, on lui demanda de faire une poésie sur la naissance du prince impérial. Il répondit qu'il n'avait jamais su faire ces choses-là.» (Ibid., en note.)

A Monsieur le comte Alfred de Vigny,
rue Richepanse, Paris.

Blois, 28 avril 1825.

Il ne faut pas, cher Alfred, que vous appreniez d'un autre que moi les faveurs inattendues qui sont venues me chercher dans la retraite de mon père. Le Roi me donne la croix et m'invite à son sacre. Réjouissez-vous, vous qui m'aimez, de cette nouvelle; car je repasserai à Paris en allant à Reims, et je vous embrasserai.

Je compte faire le voyage avec notre Nodier, auquel je viens d'écrire. Vous nous manquerez.

Tous les honneurs, du reste, portent leur épine avec eux. Ce voyage me force à quitter pour quinze éternels jours cette Adèle que j'aime comme vous aimez votre Lydia[122], et il me semble que cette première séparation va me couper en deux.

[122] Miss Lydia de Bunbury que le poète avait rencontrée en 1824, à Pau, où il était en garnison et où il l'avait épousée le 3 février 1825.

Vous me plaindrez, mon ami, car vous aimez comme moi.

Je suis ici, en attendant mon nouveau départ, dans la plus délicieuse ville qu'on puisse voir. Les rues et les maisons sont noires et laides, mais tout cela est jeté pour le plaisir des yeux sur les deux rives de cette belle Loire; d'un côté un amphithéâtre de jardins et de ruines, de l'autre une plaine inondée de verdure. A chaque pas un souvenir.

La maison de mon père est en pierres de taille blanches, avec des contrevents verts comme ceux que rêvait J.-J. Rousseau; elle est entre deux jardins charmants, au pied d'un coteau, entre l'arbre de Gaston et les clochers de Saint-Nicolas. L'un de ces clochers n'a point été achevé et tombe en ruine[123]. Le temps le démolit avant que l'homme l'ait bâti.

[123] Restauré une première fois sous le règne de Louis-Philippe, ce clocher a été complètement refait ces dernières années.

Voilà tout ce que je vais quitter pour quinze jours, et mon vieux et excellent père et ma bien-aimée femme par-dessus tout. Mais je vous reverrai un instant, et il y a tant de consolations dans la vue d'un ami.

Adieu, cher Alfred, mille hommages à votre chère Lydia. Avez-vous terminé votre formidable Enfer[124]? C'est une page de Dante, c'est un tableau de Michel-Ange, le triple génie.

[124] Il faut comprendre, sans doute, votre Satan.

Embrassez bien pour moi Émile[125], Soumet, Jules[126], Guiraud[127] et d'Hendicourt et tous nos amis, auxquels j'écrirai dès que j'aurai quelque loisir.

[125] Émile Deschamps, né à Bourges en 1791, mort à Versailles, en 1871. L'un des premiers adeptes du Romantisme. Il fut un des fondateurs de la Muse française de Victor Hugo, dont il demeura l'ami, collabora aux Annales de la Littérature et des Arts, au Mercure du XIXe siècle, etc. Poésie, drame, roman, études historiques et littéraires, Émile Deschamps embrassa un peu tous les genres. Ses œuvres complètes ont été publiées en six volumes, chez Lemerre (1872-1894).

[126] Jules Lefèvre-Deumier (1797-1857), lié d'amitié avec Alexandre Soumet, entra avec lui dans le mouvement romantique et collabora au Conservateur littéraire et à la Muse française. Ses vers se ressentent fort de l'influence de Byron qu'il imita en allant combattre pour la délivrance de la Pologne. Fait prisonnier par les Autrichiens, il devint, après son retour en France, bibliothécaire du prince Louis-Napoléon, puis de l'Élysée et des Tuileries.

Jules Lefèvre n'était pas, comme poète, sans valeur (le Parricide, 1823; le Clocher de Saint-Marc, 1826; Ode sur la mort du général Foy, 1826; les Confidences, 1833). Il a laissé en outre des romans qui eurent quelques succès: Sir Lionel d'Arquenay (1834), les Martyrs d'Arezzo (1836).

Il fut un moment co-propriétaire de l'Artiste avec Arsène Houssaye.

[127] Pierre-Marie-Thérèse-Alexandre, baron Guiraud (1788-1847). Un des fondateurs de la Muse française où il rendit compte des Mémoires du général Hugo (tome I, p. 198) et où il publia un véritable manifeste littéraire: Nos Doctrines (t. II, nº 7). Collabora également aux Annales de la Littérature et des Arts et au Mercure du XIXe siècle.

Avait eu un drame, les Macchabées, joué, en 1822, à l'Odéon; d'autres suivirent: le comte Julien (1823), Pharamond, en collaboration avec Ancelot (1825), Virginie (1827).

Assidu du salon de Mme Ancelot (Marguerite Chardon), Guiraud aimait à y réciter les vers un peu pleurards qui devaient former ses Élégies savoyardes (Ponthieu, 1823). Il a publié, en outre, Poèmes et Chants élégiaques (Boulland, 1824), des Poésies dédiées à la jeunesse (Dondey-Dupré, 1836) et deux forts volumes assez justement oubliés, imprimés à Limoux, sa ville natale: Philosophie catholique de l'Histoire (Boute, 1839-1841).

Le baron Guiraud faisait depuis 1826 partie de l'Académie française.

Cf. Léon Séché: Le Cénacle de la Muse française.

Je suis encore ici pour trois semaines. Vous m'écrirez vite, n'est-ce pas?

Mille respects de ma part à Madame votre mère[128].

[128] Victor Hugo: Correspondance, 1815-1835, p. 221-222.

Rues et maisons noires et laides, «tout cela est jeté pour le plaisir des yeux». Voilà, pour les Blaisois, s'il en était besoin, de quoi faire pardonner au poète les deux vers du comte de Gassé.

Regardez.—Tout est laid, tout est vieux, tout est mal.
Ces clochers même ont l'air gauche et provincial[129].

[129] Marion Delorme, acte II, scène I.

Au reste, Victor Hugo a suffisamment magnifié Blois, voire les clochers de Saint-Nicolas, pour que cette boutade ne puisse inspirer qu'un sourire et rien plus.

De Blois, il écrivit encore au baron d'Eckstein[130], pour lui recommander le Résumé de L'Histoire de Russie, du pauvre Alphonse Rabbe; puis, le 7 mai, à la veille d'en partir, ce fut cette lettre, jolie et intéressante, à Adolphe de Saint-Valry[131], son ami d'enfance:

[130] Ferdinand d'Eckstein, né à Altona, en 1790, mort à Paris en 1861. Après avoir servi contre la France, suivit Louis XVIII et s'attacha à sa fortune. Successivement commissaire central à Marseille, inspecteur général au ministère de la police, historiographe à celui des Affaires étrangères et enfin créé baron.

Après avoir collaboré aux Annales de la Littérature et des Arts, auxquelles il donna des articles politiques, historiques et de littérature étrangère, le baron d'Eckstein, fonda en 1826, le Catholique.

Rendu à la vie privée par la Révolution de juillet il a exprimé, avec talent, dans nombre d'ouvrages, son loyalisme.

[131] Adolphe Souillard, plus connu sous le nom d'Adolphe de Saint-Valry (1802-1862), né la même année que Victor Hugo, était pour lui un ami d'enfance, car son père avait servi sous les ordres du général. Après avoir collaboré au Conservateur littéraire, Adolphe de Saint-Valry,—il donnait comme Jules Lefèvre et Jules de Rességuier les plus belles espérances,—était passé aux Annales de la Littérature et des Arts, où l'honneur lui fut imparti de rendre compte des Odes et poésies diverses de V. Hugo.

Je ne puis reproduire le morceau dans son entier, il ferait longueur, mais la date où ces lignes furent écrites (1822, tome VII) leur donne trop de saveur pour que je puisse ne point les citer:

«Nous ne savons à quelle fatalité attribuer le silence des journaux quotidiens à son égard; est-ce que par hasard la supériorité d'un écrivain aussi jeune que M. Victor Hugo donnerait de l'ombrage et du souci à quelques hommes de lettres en crédit? Ce serait là un sentiment bien bas, mais au reste bien digne d'un siècle essentiellement jaloux et dépréciateur; car, de nos jours dans le compte que l'on rend des meilleurs ouvrages, il règne habituellement une certaine réserve cauteleuse, assez proche parente de l'envie et de la médiocrité. Heureusement pour M. V. Hugo, une édition épuisée sans annonce, les éloges et l'amitié si honorables de M. de Chateaubriand et de M. de Lamennais sont une fort belle compensation.»

Que l'on veuille se souvenir que le poète et le critique n'avaient pas à eux deux, plus de quarante ans.

Adolphe de Saint-Valry fut un des sept fondateurs de la Muse française, avec Émile Deschamps, Guiraud, Soumet, Victor Hugo, Alfred de Vigny et Desjardins. (Ce Desjardins, doit être l'auteur d'un drame «en cinq coupes d'amertume», Semiramis la Grande, dont les lecteurs de l'Intermédiaire n'ignorent pas le titre. Il semble avoir été professeur libre et avoir collaboré à la Tribune de Germain Sarrut. C'est, parmi les Romantiques de la première heure, un des plus inconnus.)

Il prit une part active, en l'absence de Guiraud, à la préparation du premier numéro, qui parut le 28 juillet 1823 sous la date du 15, et, quand, après douze numéros, la Muse disparut, le 15 juin 1824, survivant à peine huit jours à la disgrâce de Chateaubriand, dont le grand public ignora longtemps les causes, ou tout au moins l'une d'entre elles, ce fut Saint-Valry, qui, non sans esprit et sans courage, traça le portrait d'Auguste, l'ami hier tout puissant, aujourd'hui ministre révoqué, «car il est doux de rendre hommage à la vertu et au courage d'un homme de bien, et peut-être n'est-il pas encore défendu d'accompagner jusqu'aux portes de Rome Cicéron partant pour l'exil».

En vérité, Saint-Valry donnait mieux, là, que des espérances, et, en dehors de leur amitié, l'on comprend en quelle singulière estime le pouvait tenir Hugo qui avait souvent été son hôte à Montfort-l'Amaury, dont ils ont, l'un et l'autre, chanté les ruines. (Odes et Ballades, Odes Livre V, Ode XVII; Les Annales romantiques, 1826.)

On doit à Adolphe de Saint-Valry un roman, publié en 1836: Mme de Mably.

Cf. Ch.-M. Des Granges: La Presse littéraire sous la Restauration.Léon Séché: Le Cénacle de la Muse française.—L'Intermédiaire des Chercheurs et Curieux, 1893.

A Adolphe de Saint-Valry.

Blois, 7 mai 1825.

Oui, mon ami, de cette ville historique et pittoresque, je tournerai bien souvent mes regards vers Paris et Montfort, et le château de Blois ne me fera point oublier Saint-Laurent. J'ai passé là en août 1821, des moments bien doux et votre excellente mère m'y a fait presque oublier pendant huit jours l'admirable mère que je venais de perdre.

Je vous remercie des nouvelles que vous me donnez. Je suis charmé que le bon Jules Lefèvre vous doive la vente de son Clocher de Saint-Marc. C'est un homme d'un vrai talent, et il ne manque à ce talent qu'un succès.

Rien de tout cela ne vous manque à vous, mon cher ami, et vous avez tort de désespérer de vous-même; il faut que votre poème se vende, et il se vendra. Entre le talent et le public, le traité est bientôt fait.

On me dit ici que l'on dit là-bas que j'ai fait abjuration de mes hérésies littéraires, comme notre grand poète Soumet. Démentez le fait bien haut partout où vous serez, vous me rendrez service.

J'ai visité hier Chambord. Vous ne pouvez vous figurer comme c'est singulièrement beau. Toutes les magies, toutes les poésies, toutes les folies mêmes sont représentées dans l'admirable bizarrerie de ce palais de fées et de chevaliers. J'ai gravé mon nom sur le faîte de la plus haute tourelle[132]; j'ai emporté un peu de pierre et de mousse de ce sommet, et un morceau de châssis de la croisée sur laquelle François Ier a inscrit les deux vers:

[132] Marie-Caroline, duchesse de Berry, devait suivre ce mauvais exemple, le 18 juin 1828, lors de sa visite à Chambord. (Relation du voyage de S.A.R. Madame, Duchesse de Berry, dans la Touraine, l'Anjou, la Bretagne, la Vendée, et le Midi de la France en 1828; par M. le vicomte Walsh. (Paris, Hiver, 1829, tome I, p. 24.) Il faut lire dans les mémoires d'Horace de Viel Castel comment il traite ce «Walsh d'Irlande».

Sur Chambord, cf. L. de la Saussaye: Le château de Chambord, 8e édit. Lyon, Perrin, 1859, in-8º, de VII; 137 pp.

Souvent femme varie
Bien fol est qui s'y fie

Ces deux reliques me sont précieuses.

Adieu, mon ami, vous savez que le roi m'invite à son sacre. Je serai à Paris vers le 29, et je vous embrasserai.

L'amitié d'un homme comme vous est douce et inappréciable.

Victor[133].

[133] Victor Hugo: Correspondance, 1815-1835, pp. 48-49.

Le lendemain ou le surlendemain, le général emmenait ses hôtes passer quelques jours à la Miltière, la propriété qu'il possédait en Sologne[134], d'où, après avoir écrit de façon plaisante à son jeune beau-frère, Paul Foucher[135], le 9 ou le 10 mai, il adressait, le 12, cette lettre plus sérieuse à son beau-père.

[134] Par acte passé devant Me Pardessus, notaire à Blois, le 12 décembre 1823, le général Hugo, avait acquis au prix de 31.000 francs cette petite propriété située communes de Pruniers et de Lassay (Loir-et-Cher) avec la locature de Laudinière. «Elle consistait d'après l'acte, en: maison de maître, grange, cénacles, un enclos appelé le parc de la Miltière, distribué en jardins anglais et entouré de fossés, contenant environ 5 hectares de terre, prés et taillis.» (L. B.)

[135] Correspondance, pp. 50-51.

Né en 1818 et mort en 1875, Paul-Henri Foucher devait être en 1828 le collaborateur de son beau-frère dans le drame d'Amy Robsart. Drames, opéras, ballets, romans, chroniques, Paul Foucher a un peu affronté tous les genres et l'on ne doit pas oublier ses intéressantes correspondances parisiennes adressées à l'Indépendance belge.

Alfred de Musset semble avoir lié à jamais son nom à celui de Mélanie Waldor:

Quand Madame Waldor à Paul Foucher s'accroche,
Montrant le tartre de ses dents...

Il ne s'agit pas dans celle-ci de baccalauréat ou des jeux du soleil à travers le lierre tapissant «une salle de verdure attenante à la Miltière».

Le sacre approche, Victor n'a reçu encore ni sa croix de la Légion d'honneur, ni les papiers la concernant. Il craint «de ne pouvoir porter la décoration au sacre, ce qui serait inconvenant». Il prie son beau-père de vouloir bien passer à la chancellerie pour stimuler un peu l'apathie des bureaux.

Puis, ce sont les 350 francs demandés à Reims pour une chambre,—la province est sans pitié quand elle a occasion d'écorcher quelques Parisiens,—et si ce n'est tout à fait le chapitre des chapeaux, c'est tout au moins celui du tailleur et du chapelier. Du protocole presque.

La Miltière, 12 mai 1825.

Mon cher papa,

Le messager envoyé par mon père à Blois est de retour. Il nous rapporte l'aimable lettre de maman à son Adèle, que nous avons lue en famille et une lettre fort cordiale de Victor Foucher[136], qui nous fait aussi beaucoup de plaisir. Nous nous attendions également à recevoir la croix de la Légion d'honneur et les papiers, etc., que vous nous avez annoncés pour le commencement de cette semaine. Notre espérance est frustrée de ce côté, et mon père désirerait que vous eussiez la bonté de passer encore une fois à la Légion, pour presser cet envoi. Car ma place est retenue pour le 19 au matin, et si nous ne recevions pas tout cela au moins le 18, je courrais grand risque de ne pouvoir porter la décoration au sacre, ce qui serait inconvenant.

[136] Victor-Adrien Foucher, beau-frère de Victor Hugo, né comme lui, en 1802, mort en 1866. Magistrat, Victor Foucher a dirigé de 1833 à 1862 la Collection des lois civiles et criminelles des États modernes et a laissé en outre, un certain nombre d'ouvrages et de brochures d'un caractère juridique.

Paul Lacroix attribue à Victor Foucher vingt articles, signés F., du Conservateur littéraire.

Je sens, mon excellent père, combien je vous donne de peines, et je suis pénétré d'une vive reconnaissance de toutes vos bontés. La lettre de maman Foucher est bonne comme elle: elle est remplie de détails qui nous intéressent. Nous sommes enchantés des progrès de Juju[137] autant que de Didine[138]; quand nous serons de retour à Paris ces deux enfants seront l'objet de nos curiosités réciproques, et nous aurons de longs récits à nous faire.

[137] Julie Foucher, la toute jeune sœur d'Adèle Hugo, mariée plus tard au graveur Paul Chenay (1818-1906) auteur d'un volume de souvenirs intimes: Victor Hugo à Guernesey.

(Paris, Juven, S. D. in-12), de 296 pp.

[138] Léopoldine Hugo.

Voudriez-vous encore ajouter à tous vos soins paternels celui de payer nos contributions dont le papier a été remis à maman. Nous vous rembourserons cette petite somme.

Maman nous apprend que la chambre à Reims est louée 350 francs et qu'on cherche une quatrième personne. Est-ce pour la voiture ou pour le logement? Vous me disiez dans votre dernière que Beauchêne s'occupait de la fabrication de mon habit. Comment a-t-il eu ma mesure? Il faudra sans doute les culottes, bas, souliers à boucles, épée d'acier, chapeau à galon d'acier et plumes. En quel métal doivent être les boucles de la culotte et des souliers? Faudra-t-il les jabots et les manchettes?

Parlez de nous à la bonne Mme Deschamps. M. Deschamps[139] m'a écrit une charmante lettre. Veuillez l'en remercier en attendant que je le fasse moi-même.

[139] Père d'Émile et d'Antoni Deschamps.

Paul a dû recevoir aujourd'hui une lettre de moi, la première que j'ai écrite de la Miltière. Celle-ci est la seconde. Je vais écrire la troisième à Charles Nodier.

Adieu, mon cher et bon père; papa et son excellente femme, mon Adèle et sa petite Didine aux joues fermes, vous embrassent ainsi que maman Foucher, et je me joins à eux de cœur. Vous ne sauriez croire comme on parle de vous en Sologne à l'heure qu'il est.

Votre fils tendrement dévoué,
Victor.

Mon portier a-t-il reçu quelque lettre depuis notre départ? J'en reçois une bien paternelle de M. de la Rivière[140].

[140] M. de la Rivière, le vieux maître d'école de Victor rue Saint-Jacques. Il en sera, ultérieurement, plus longuement question.

Écrivez toujours à Blois[141].

[141] Correspondance, pp. 223-225.

Victor Hugo a raconté assez sommairement son séjour à Reims et ses impressions au cours de la cérémonie du sacre, à laquelle il fait assister Lamartine[142], dont M. Edmond Biré a, depuis, établi l'absence à ce gala où le carton peint semble avoir été un trop fréquent accessoire[143].

[142] Victor Hugo raconté par un Témoin de sa Vie, tome II, p. 92.

[143] Victor Hugo avant 1830, p. 377.

Il convient d'être plus bref encore. Ce fut pour Victor l'occasion, et elle était excellente, d'écrire l'Ode sur le Sacre[144].

[144] Odes, livre III (1824-1828), ode IV.

Il aimait le sujet. Les Bourbons l'avaient jusqu'ici heureusement inspiré. Louis XVIII ne s'était point montré ingrat. Charles X ne le fut point davantage.

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