← Retour

Victor Hugo à vingt ans: Glanes romantiques

16px
100%

V

Le cachet du Général.—Ode sur la guerre d'Espagne.—Les Nouvelles Odes.—La négligence de Ladvocat.—Les bonnes dispositions du duc d'Angoulême vis-à-vis du Général.—Les dessous d'une disgrâce: Chateaubriand et Mme Boni de Castellane.

Victor Hugo a trop éloquemment exprimé sa douleur pour qu'elle fût de longue durée. La mère fut plus longue à se consoler et pour se distraire, dessinait un peu.

Le poète continue à faire à Paris les courses du général. Le fameux cachet d'acier—«il a excité l'admiration de tout le monde»—et l'écusson colorié semblent tenir une grande place dans les préoccupations du père et du fils.

Mon cher papa,

Notre désolée mère commence à se consoler un peu; tandis que je t'écris ceci, elle s'occupe à dessiner quelque chose qui fera plaisir à ses chers parents de Blois, car l'un de ses sentiments les plus vifs est sa tendresse et sa reconnaissance pour vous. Tu connais quelqu'un, cher papa, qui partage bien ces sentiments.

M. Lemaire te remettra avec cette lettre les deux bouteilles de fleur d'orange, le cachet d'acier qui a excité ici l'admiration de tout le monde par la beauté de son fini et l'écusson colorié. J'ai eu le malheur dans tous mes malheurs, d'égarer la lettre où tu m'envoies la note d'un livre à t'acheter. Seras-tu assez bon pour m'excuser et me récrire de nouveau ce renseignement.

Adieu, bon et cher papa, ma femme t'embrasse tendrement, ainsi que ton excellente femme. J'en fais autant. Nous sommes inquiets des santés de Blois. Il y a longtemps que nous n'avons de tes nouvelles.

Ton fils dévoué et respectueux,
Victor.

16 octobre.

Le dessin destiné par Adèle aux parents de Blois est terminé. M. de Féraudy, de passage à Paris, veut bien se charger de le leur porter.

Mon cher papa,

Je t'écris à la hâte quelques mots; M. de Féraudy attend ma lettre et le paquet; ma femme se dépêche de terminer ce qu'elle envoie à ses bons parents de Blois; j'espère que tu en seras content; et je me tais parce que je craindrais en louant le talent de mon Adèle, de paraître vouloir rehausser son présent. Nous aurions bien voulu t'envoyer ceci encadré; mais M. de Féraudy nous ayant fait quelques observations sur la difficulté du transport, tu sens qu'une délicatesse impérieuse nous a interdit de t'offrir ce beau dessin dans toute sa splendeur. Au reste M. de Féraudy s'est chargé de la commission avec une grâce toute parfaite, et je te prie de lui réitérer à Blois tous nos vifs remerciemens.

Il y a bien longtems, ce me semble, cher papa, que nous n'avons de vos nouvelles. Comment se porte ta femme? Console-la en notre nom de notre malheur. Je chercherai ce que tu me demandes.

Mon Adèle est toujours bien souffrante. Ce coup n'a pas contribué à la remettre. Cependant, elle a éprouvé une grande douceur à faire quelque chose pour toi, mon excellent père, et pour la grand'mère de son Léopold. Elle ne prend pas en ce moment la plume pour vous parce qu'elle tient encore le crayon.

Je ne puis m'empêcher de te dire tout bas que son dessin a fait ici l'admiration de tous ceux qui l'ont vu.

Ce bon Adolphe est peut-être à Blois en ce moment, embrasse-le pour nous en attendant que je l'embrasse pour toi. Adieu, bon et cher papa. Nos respects à ta femme. Nous t'embrassons bien tendrement. Il faut fermer ma lettre. M. de Féraudy m'attend; une ligne de plus serait une indiscrétion.

V.

Samedi, novembre.

Le 2 décembre 1823, date de la rentrée plus officielle que triomphale du duc d'Angoulême à Paris,—l'anniversaire d'Austerlitz!—Adèle Hugo rend compte au général des démarches de Victor et de ses espérances.

Le marquis de Clermont-Tonnerre, à qui il a lu son ode sur La guerre d'Espagne, l'a engagé à la remettre au duc d'Angoulême.

Le libraire Ladvocat vient d'acheter pour deux ans, moyennant deux mille francs, la propriété des odes.

La pauvre femme cherche à cacher à son mari, sous des apparences de tranquillité, la profonde douleur que lui a laissée la mort de son enfant.

Elle souffre des oreilles, Abel engraisse et les nouvelles d'Eugène ne sont guère bonnes.

Mon cher papa,

Victor est tellement occupé en ce moment, qu'il me charge d'être son secrétaire; et je remplis avec joie cet emploi. Il me charge de vous dire que la lettre a été remise à M. de Serre[74], qu'il a été chez Monsieur de Chateaubriand[75], qu'ayant trouvé à quelque heure que ce soit du monde, il va lui demander un rendez-vous. Monsieur de Clermont-Tonnerre[76] a été charmant pour lui, Victor ayant fait une ode sur la guerre d'Espagne[77], il l'a engagé à la remettre à Monseigneur le duc d'Angoulême qui doit venir à une fête que va lui donner le ministre de la Marine[78].

[74] Pierre-François-Hercule, comte de Serre, né à Pagny-sur-Moselle en 1776, mort ambassadeur de France à Naples, à Castellamare, dans la nuit du 20 au 21 juillet 1824.

Ministre de la Justice sous le cabinet Dessolle (29 décembre 1818), M. de Serre avait conservé son portefeuille sous la présidence du comte Decazes (19 novembre 1819) et sous le second ministère Richelieu (20 février 1820).

Démissionnaire ainsi que ses collègues le 12 décembre 1821, il avait reçu le titre de ministre d'État et était allé siéger au centre droit.

[75] Ministre des Affaires étrangères, depuis le 28 décembre 1822.

[76] Ministre de la Marine et des Colonies du 14 décembre 1821, le marquis de Clermont-Tonnerre devait être appelé le 4 août 1824, au portefeuille de la Guerre.

[77] Odes et Ballades, Liv. II; Ode VII.

La guerre d'Espagne fait, dans l'édition originale des Nouvelles Odes, suite à l'Ombre d'un Enfant.

[78] Des banquets eurent lieu à l'Hôtel de Ville les 15 et 23 décembre. Le 15: concert et bal aux Champs-Élysées.

Mon Victor vient de vendre à l'Advocat un nouveau volume d'odes[79] qu'il vient de faire. Il en a vendu la propriété pour deux ans ainsi que celle de son premier volume, deux mille francs. Mais qui ne doivent lui être payés de (que) dans l'année prochaine. Nous désirons ne pas tomber encore dans une banqueroute.

[79] Nouvelles Odes.

Je suis enchantée que mon portrait ait fait quelque plaisir à notre chère maman, c'est le seul bonheur que j'aye éprouvé depuis notre malheur qui ne cesse de me poursuivre. Je tâche pourtant de le cacher à mon Victor crainte de l'affecter, sous des apparences de gaîté ou du moins de tranquillité. Je ne sors pas, j'ai des douleurs d'oreilles très cruelles, on parle encore de me purger, ce qui est pour moi un grand ennui.

Mon frère Victor est à Alençon bien placé; que ne pouvons-nous en dire autant de notre frère Eugène. Ces messieurs lui écriront comme vous l'avez dit. Bien heureux si cela adoucit un peu son sort.

Nous ne savons pas ce que fait Abel en ce moment, il est plus gros que jamais. Notre oncle Francisque doit être à Paris, Victor y est en ce moment; je voudrais bien que vous y fussiez aussi.

Adieu, mes chers et bien bons parents, permettez-moi de vous embrasser comme je vous aime, et de vous assurer des sentiments avec lesquels je suis,

votre très humble et respectueuse fille,
A. Hugo.

Ce 2 décembre.

Victor songe toujours au rappel à l'activité de son père. C'est, dit-il, ce qu'il désire le plus au monde. Il rêve pour lui d'une inspection générale et a déjeuné, ces jours derniers, avec le marquis de Clermont-Tonnerre qui a été des plus aimables.

Il s'occupe en même temps, de concert avec l'oncle Francis, en ce moment à Paris avec sa femme, de leur cousin Michaud que lui a recommandé le général, tout en surveillant l'impression de ses odes, sans pour cela négliger ses banqueroutiers.

Victor et sa femme se font une joie d'aller passer quelques jours à Blois, au printemps prochain.

Ce pli est adressé à M. le Gal Comte Hugo.

Mon cher papa,

Je suis bien étonnée que vous n'ayez pas encore reçu le bonnet, je l'ai livré il y a quinze jours à Abel, qui l'attendait pour le faire voyager avec deux tableaux qu'il devait vous envoyer de suite; il est vrai que tout cela est parti par le roulage mais il est fort étonnant, que vous ne l'ayez pas encore, car il y aura demain quinze jours qu'il est en route.

Vous êtes bien bon de vous occuper de ma santé, je ne souffre plus des oreilles mais des douleurs d'entrailles qui m'ont fait garder la chambre tous ces jours-ci, mais je vais mieux cependant sans me bien porter. Vous m'avez chargée, mon cher papa, de rappeler à Victor, notre cousin, mon oncle Francisque s'en occupe en ce moment, il connaît justement la personne qu'il faut solliciter. Nous le voyons souvent ainsi que sa femme qui est très bonne et très aimable. Nous leur parlons souvent de vous, de toutes vos bontés, de celles de votre excellente femme et du bonheur que nous avons à vous aimer.

Je vous envoie une note de la part de papa, Victor désirerait bien que vous fussiez employé, c'est, dit-il, la seule chose qu'il désire. Ce bon Victor vous aime tant!

Nous nous faisons une fête d'aller vous voir au printemps, comme nous allons nous embrasser.

Adieu, mon cher papa, dites bien des tendresses de ma part à ma chère maman, et croyez aux sentiments respectueux de votre fille.

A. Hugo.

En attendant, cher papa, que je puisse te rendre un compte détaillé des démarches que le major et moi faisons pour notre cousin, M. Michaud[80], je ne puis m'empêcher d'ajouter quelques mots à la lettre de mon ange.

[80] Joseph Hugo, père du général, menuisier, «très excellent républicain», couronné, le 10 floréal an V, à Nancy, lors de la fête des époux, avait épousé en secondes noces, Jeanne-Marguerite Michaud, gouvernante d'enfants chez le comte Rosières d'Euvezin; d'où ce cousinage.

Je ne saurais te dire quel plaisir nous font les lettres de Blois, et si je n'étais accablé de mes prochaines publications, j'y répondrais bien plus promptement; mais les soins à donner à mon nouveau recueil qui s'imprime, outre l'affaire de mes banqueroutiers et les démarches sans nombre qui se disputent mes instans, m'ôtent la douceur de t'écrire aussi fréquemment que l'exigerait mon attachement profond pour toi et ta femme.

M. le marquis de Clermont-Tonnerre, avec qui j'ai déjeuné dernièrement m'a chargé de mille choses aimables pour toi; il est tout disposé à te servir, et je voudrais que toi tu employasses tes amis, parmi lesquels il en est de si puissans, à obtenir au moins une inspection générale.

M. Foucher, qui compte incessamment t'écrire et Mme Foucher, ainsi qu'Abel, le major et sa femme vous embrassent tendrement. Quant à moi, cher et excellent père, tu connais mon profond et respectueux dévouement.

Victor.

Ce lundi 19.

Le voyage à Blois est remis: Adèle Hugo est à nouveau enceinte et les médecins lui ont interdit la voiture. Les Nouvelles Odes viennent de paraître[81]; mais, par la négligence de Ladvocat, le général n'a pas encore reçu l'exemplaire sur vélin qui lui est destiné. La publication de ce «méchant livre» initie Victor Hugo aux «courses indispensables» connues des auteurs.

[81] Les Nouvelles Odes avaient paru chez Ladvocat quelques jours auparavant (Journal des Débats du 24 mars 1824) avec cette épigraphe: Nos canimus surdis et formaient un volume grand in-8º, orné d'une gravure, vendu 4 francs. Les Débats en rendirent compte le 14 juin sous l'initiale Z, signature de M. Hofman. Victor Hugo répondit aux critiques qui lui étaient adressées par une longue lettre publiée dans le numéro du 26 juillet suivant.

M. de Féraudy, candidat, sans doute, avec ses fables, à une récompense de l'Académie, a été également l'objet des démarches de son confrère.

Le poète est décidément fort bien en cour. Il vient de déjeuner derechef avec M. de Clermont-Tonnerre. Le duc d'Angoulême aurait lu les Mémoires du général et aurait regretté, au dire du marquis, qu'il n'ait pas «été employé dans la dernière guerre d'Espagne».

Mon cher Papa,

Remercie, de grâce, M. de Féraudy de sa trop aimable lettre qui nous a apporté un mot de toi. Dès que j'aurai qque détail des opérations de l'Académie, je m'empresserai de lui en faire part; et je désire bien vivement qu'ils soient conformes à mes justes espérances.

Il me paraît d'après ton apostille d'ailleurs si pleine de tendresse et de bonté, que tu n'as pas encore reçu mes nouvelles rapsodies. Pourtant le libraire Ladvocat s'était chargé de te faire passer un exemplaire vélin sur lequel j'avais écrit un mot. Mande-moi si tu l'as reçu.

Je t'écris encore aujourd'hui provisoirement, entre deux courses indispensables et je t'assure fort ennuyeuses. Il n'y a rien pour absorber toute une vie, comme la publication d'un méchant livre.

M. de Clerm.-Tonn. avec qui j'ai déjeuné avant-hier m'a chargé de t'écrire que M. le duc d'Angoulême lui avait parlé de toi et de tes Mémoires qu'il a lus avec le plus haut intérêt, et qu'il regrettait que tu n'eusses pas été employé dans la dernière guerre d'Espagne.

Je n'oublie pas, cher papa, les dernières commissions dont tu m'as chargé; ma prochaine lettre t'en annoncera l'accomplissement.

Ma femme avance dans sa grossesse sans se porter aussi bien que je le voudrais. Nous ne sommes cependant pas inquiets: mais, tout en m'affligeant, je ne puis m'empêcher d'approuver la défense que lui ont faite les médecins d'aller en voiture. Cela nous prive d'un bien grand bonheur que nous nous promettions pour le printemps; mais qui, nous l'espérons, n'est retardé que de six mois.

Adieu, cher papa, nous t'embrassons tendrement, mon Adèle et moi, ainsi que ton excellente femme.

Ton fils dévoué et respectueux,
Victor.

Ce 27 mars 1824.

Tout le monde ici se porte bien.

Trois mois se sont écoulés. L'inspection générale rêvée par Victor pour son père, vient, malgré tous leurs efforts, de leur échapper. Le duc d'Angoulême réservait ces fonctions à des généraux ayant fait avec lui la campagne d'Espagne.

Il n'y a pas lieu de se désespérer, néanmoins. C'est peut-être une chance de plus d'obtenir le titre de lieutenant-général si ardemment désiré.

Puis, c'est la disgrâce de Chateaubriand...

Elle était encore bien complète. Le 6 juin 1824, une ordonnance royale confiait l'intérim des Affaires étrangères à M. de Villèle[82], sans même indiquer que le vicomte de Chateaubriand fût démissionnaire, ni même appelé à d'autres fonctions.

[82] Par ordonnance du 4 août le baron de Damas devait se voir attribuer le portefeuille des Affaires étrangères.

A nouveau il était chassé du Ministère. La comtesse du Cayla, née Talon, triomphait.

Même à la cour de Louis XVIII, les dessous de cartes de la politique sont toujours plaisants à connaître et ceux-ci de ne point manquer à la règle.

Dans ce renvoi brusque de Chateaubriand, en dehors de l'animosité de la favorite du vieux roi et de la rancune de M. de Villèle, qui ne pouvait pardonner à son collègue des Affaires étrangères d'avoir prétexté d'un enrouement pour ne pas défendre, au Luxembourg, son projet de conversion des rentes, il y a, dirai-je, une histoire de femme, et peu banale, en vérité.

Malgré ses cinquante-cinq ans, Chateaubriand était une fois de plus amoureux, amoureux comme un jeune homme, comme on l'est à peine hors de page, et écrivait à sa maîtresse—oh, cette fugue si malencontreusement interrompue, tous les deux, vers Dieppe!—les lettres les plus insensées.

Ces lettres à une presque inconnue, Mme de C..., M. Léon Séché les a publiées dans les Annales Romantiques[83] où leur publication fit du bruit, et reproduites, non sans dévoiler en partie l'anonymat de la nouvelle amie de René, dans son bel ouvrage sur Hortense Allart de Méritens[84].

[83] Juillet-octobre 1907, pp. 257-301.

[84] Paris, Société du Mercure de France, 1908, in-8º, pp. 98-104.

Le nom de la dame n'avait pas été prononcé, cependant. Les Souvenirs du Baron de Frénilly, récemment publiés[85], ne laissent aucune incertitude à ce sujet, pas plus que sur les motifs de la grande colère de Louis XVIII qui amena cette seconde révocation.

[85] Souvenirs du baron de Frénilly, pair de France (1768-1828), publiés avec introduction et notes par Arthur Chuquet, membre de l'Institut, Paris, Plon-Nourrit et Cie, 1908, in-8º.

L'incendie qui dévorait son cœur ne faisait point assez oublier au Ministre l'influence à laquelle il pouvait prétendre vis-à-vis de cet infortuné Ferdinand.

Les affaires sont les affaires.

Chateaubriand «avait donc joint au portefeuille des affaires étrangères celui des affaires particulières de Mme Boni de Castellane[86] dont il était l'admirateur fort peu secret, avant, je crois, que mon ancien ami Molé[87] eût recueilli sa succession, et cette dame ayant vendu 1.800.000 francs sa terre de Saint-Pierre de Moustier, il n'avait su rien de mieux que de lui conseiller le placement de ces fonds dans l'emprunt des Cortès d'Espagne. Par suite, quand Ferdinand, replacé sur son trône par Louis XVIII, refusa fort sagement de reconnaître cet emprunt révolutionnaire, Chateaubriand, voyant son amie ruinée, n'avait encore su rien de mieux que de charger Talaru[88] de mettre le pied sur la gorge au monarque espagnol pour le forcer à légitimer l'emprunt, et Talaru, à qui on ne peut nier la force et quelquefois les formes d'un cheval, avait si fidèlement rempli cette commission que le roi, irrité et éperdu, avait passé par-dessus toutes les formes diplomatiques en écrivant secrètement à Louis XVIII pour savoir de lui-même si c'était réellement par ordre de celui qui venait de le remettre sur le trône et qui avait annulé l'ordonnance d'Andujar[89] qu'on lui ordonnait de ruiner lui et son peuple pour enrichir les révolutionnaires d'Espagne et donner crédit et garantie aux révolutions futures... Le roi fut irrité ainsi que Villèle; le silence perfide de Chateaubriand dans l'affaire des rentes fit déborder le vase[90]

[86] Louise-Cornélia-Eucharis de Greffulhe.

Marmont, dans une note de ses Mémoires (tome VII, p. 293), avait montré plus de discrétion:

«M. de Chateaubriand était lié d'une manière intime avec une personne de la Cour, qui est assez connue pour que je ne donne aucun détail sur elle...»

mais, racontait l'aventure en termes presque identiques.

[87] Le comte Louis-Mathieu Molé (1781-1855), ancien grand juge, ministre de la Justice, en novembre 1813, votait deux ans plus tard, pair de France, la mort de Ney.

[88] Louis-Justin-Marie, marquis de Talaru (1773-1850), ancien officier de l'armée royale, siégea en 1815 comme ultra-royaliste à la Chambre des pairs, fut promu maréchal de camp en 1823, et nommé, la même année, ambassadeur à Madrid. Le marquis de Talaru avait été un des premiers bailleurs de fonds du Conservateur, ce semble même avoir été son seul titre, au dire du chancelier Pasquier, à représenter la France en Espagne.

Sur «ce patagon romanesque», cf. Souvenirs du baron de Frénilly, p. 425.

[89] Ordonnance rendue le 8 août 1823, à Andujar, par le duc d'Angoulême, pour placer l'autorité entre les mains des commandants français et faire libérer les détenus politiques, bientôt abrogée de fait sur des ordres venus de Paris.

[90] Souvenirs du baron de Frénilly, pp. 494-495.

Le général Hugo était indirectement victime des amours de René vieilli et de la femme du futur maréchal de France.

Mon cher papa,

Malgré tous les efforts de M. Foucher et toute la bonne volonté du Gal Coëtlosq...[91] nous n'avons pu réussir cette fois. Ta demande était arrivée trop tard; et le duc d'Angoul... avait depuis quelque temps retenu les inspect. gales pour des officiers gaux de l'armée d'Espagne. J'ignore, cher papa, si cet événement est un malheur réel; ce n'est pas un échec pour tes vieux et glorieux services, puisqu'il est hors de doute que ta demande l'aurait emporté, s'il y eût eu concurrence; mais les places étaient déjà promises au Prince. Il me semble d'ailleurs que cela augmente tes chances pour la promotion de lieutenants-généraux de la Saint-Louis; et qu'avec l'appui de M. Clerm.-Tonn. (je ne puis plus dire malheureusement et de M. de Chateaub...) il sera très possible à cette époque de te faire arriver à ce sommet des dignités militaires où tu devrais être depuis si longtemps parvenu.

[91] Le lieutenant général Charles-Yves-César-Cyr de (alias du) Coetlosquet, directeur général au Ministère de la Guerre, né à Morlaix, le 21 juillet 1783, mort à Paris, le 23 janvier 1836.

Je crois que M. Foucher envisage la chose comme moi; au reste, il va t'écrire. Quant à moi, je griffonne à la hâte cette lettre. Mes yeux sont toujours bien faibles, et notre emménagement n'est pas encore terminé[92]. Mon Adèle, qui se porte toujours bien, va t'écrire et te répéter, ainsi qu'à ta femme, l'expression de notre filial et respectueux dévouement.

[92] Victor Hugo et sa femme venaient de s'installer au nº 90 de la rue de Vaugirard.

Victor.

Si mon illustre ami revient aux affaires, nos chances triplent. Nos rapports se sont beaucoup resserrés depuis sa disgrâce, ils s'étaient fort relâchés pendant sa faveur.

Ce 27 juin.

Cependant, une fille est née dont le berceau est venu remplacer celui de l'enfant mort à Blois. Elle porte aussi le prénom du grand-père. C'est Léopoldine: elle devait épouser plus tard Charles Vacquerie, et trouver avec lui une fin si tragique à Villequier, le 4 septembre 1843.

La femme du général Hugo en est marraine. La petite va bien et n'a pas encore de dents. Le jeune ménage se fait une fête de la conduire bientôt grande rue du Foix.

Mon cher papa,

J'attendais toujours pour vous écrire que mon mari eût fini le portrait de ma Didine, mais comme ma fille remue toujours et que Victor exige un modèle tranquille, il est très long à le terminer, et moi je m'ennuyais de ne pas vous écrire. Si je ne vous aimais trop je vous gronderais de n'avoir pas compris le motif de mon silence, et de ne m'avoir pas donné de vos nouvelles, mais j'espère mon cher papa que vous ne tarderez pas à nous satisfaire en me donnant en détail des nouvelles de la santé de ma bonne mère.

Ma fille se porte très bien et n'a pas encore de dents. Elle est très gaie et nous amuse beaucoup; il me tarde bien de vous la remettre entre les bras, aussi comptons-nous partir, si cela arrange vos projets, dans deux mois; nous nous faisons une si grande fête de vous voir que je voudrais que ce fût demain. Au surplus, mon cher papa, écrivez-nous quand il vous sera commode de nous recevoir.

Mon Victor vous embrasse, embrasse la marraine de notre Didine; et moi mon cher papa je vous aime tous deux à l'égal de votre bonté, d'après cela jamais il n'y a eu de plus tendre fille. Je vous écrirais plus longuement, mais ma fille me réclame.

Votre respectueuse fille,
A. Hugo.

Cette lettre est adressée au Général comte Hugo (en toutes lettres) et Victor y a joint ce court billet:

Ce 19 février.

J'ajoute un mot, cher papa, à la lettre de notre Adèle. Je voudrais pouvoir ajouter quelque chose à l'expression de sa tendresse pour toi et ta femme; mais je ne saurais exprimer mieux qu'elle, ce qu'elle sent aussi bien que moi. Je voulais, comme elle te le dit, t'envoyer le portrait de ta Léopoldine dans ma plus prochaine lettre, mais mon désir de te le donner ressemblant me l'ayant déjà fait deux ou trois fois recommencer: je ne veux pas tarder plus longtemps à solliciter de tes nouvelles pour nous, pour Abel et pour la famille Foucher.

Rabbe[93], qui est venu hier dîner avec nous, m'a parlé de toi avec le plus tendre et le plus respectueux attachement. C'est un bon et noble ami.

[93] Alphonse Rabbe, né en 1786 dans les Basses-Alpes, mort à Paris, le 1er janvier 1830. Après avoir créé à Marseille le Phocéen, essai d'un quotidien en province, Rabbe était venu à Paris, où il collabora au Courrier français, aux Tablettes universelles (1820-1824) et à différents périodiques.

Il dirigea la Biographie universelle et portative des Contemporains à ses débuts et en demeura le collaborateur. Il a laissé, entre autres travaux, des résumés de l'histoire d'Espagne et de celle de Russie.

Une maladie cruelle avait défiguré Alphonse Rabbe et Victor Hugo raconte comment le pauvre homme évitait, en raison de sa laideur, de se laisser voir par Adèle Hugo, durant sa grossesse (Victor Hugo raconté, p. 69-70).

Louis nous a envoyé ces jours-ci un superbe panier de gibier que nous avons mangé en famille avec le vif regret de ne pas vous le voir partager.

Adieu, bien cher et bien excellent père, je m'occupe en ce moment de ramasser de la besogne pour notre séjour à Blois, qui nous promet tant de bonheur.

Notre Didine est charmante. Elle ressemble à sa mère, elle ressemble à son grand-père. Embrasse pour elle sa bonne marraine.

Ton fils tendre et respectueux,
V. H.

Où en est ta demande près du ministre? Veux-tu que je m'en informe? As-tu vu que des exceptions ont été faites[94]?

[94] Le Moniteur (20 février 1825) chercha à les expliquer:

«Plusieurs journaux ont annoncé que quelques-uns des officiers généraux mis en retraite par l'ordonnance du 1er décembre 1824, avaient été, par une exception ou faveur spéciale du Roi, rétablis sur le cadre de l'État-major général de l'armée.

«Nous nous sommes assurés que rien n'est moins exact et qu'aucune exception à cette ordonnance n'a été faite; à la vérité quelques officiers généraux qui avaient été d'abord considérés comme compris dans une des deux positions qu'elle détermine ont réclamé: ils ont produit de nouveaux documents; et un examen approfondi de leurs réclamations et des nouvelles pièces fournies, a fait reconnaître qu'ils ne remplissaient pas les conditions exigées par l'ordonnance pour l'admission à la retraite; ils ont été alors et ont dû être maintenus dans le cadre de l'État-major général, non par une exception prononcée en leur faveur comme on l'a prétendu, mais par une suite naturelle de l'exécution impartiale de l'ordonnance du 1er décembre 1824.»

Ces deux lettres se sont croisées avec celle du général annonçant sa venue et celle de sa femme à Paris. Les grands-parents connaîtront donc leur petite-fille, avant qu'on la leur ait menée à Blois.

Mon cher papa,

Tu as vu que nos lettres se sont croisées. Je désire que notre lettre t'ait fait autant de plaisir que la tienne nous en a fait. Elle ne pouvait nous apporter de plus agréable nouvelle que celle de votre prochaine arrivée; et j'espère presque, en t'écrivant celle-ci, qu'elle ne te trouvera pas à Blois.

Tu ne saurais croire quelle fête nous nous faisons de vous présenter notre Léopoldine toujours petite, mais toujours bien portante et si gentille... elle vous aimera tous deux comme nous l'aimons, nous ne saurions dire davantage.

Nous nous applaudissons presque d'avoir été une partie du mois sans nouvelles de toi puisque tu as été malade. Nous aurions eu des inquiétudes, maintenant nous n'avons que le plaisir de te savoir rétabli.

Adieu, bon et cher papa, je ne t'en écris pas plus long puisque nous pourrons bientôt communiquer de vive voix.

Quelles que soient les affaires qui t'amènent, tu sais que tu peux compter en tout et pour tout sur notre dévoûment comme sur notre tendre et respectueux attachement.

Embrasse pour moi la bonne marraine de ta Léopoldine.

Victor.

Ce 27 février.

Chargement de la publicité...